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I ÉTABLISSEMENT RECONNU D’UTILITÉ PUBLIQUE (décret du 17 octobre 1990) PLACÉ SOUS LE HAUT PATRONAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE 30 boulevard des invalides 75007 paris Tél.: 01 47 05 81 50 FAX : 01 47 05 89 50 Site internet www.fmd.asso.fr 1 2 14 16 Éditorial Palmarès 2008 du concours annuel de la meilleure photographie d’un lieu de mémoire 13 De l’usage de la mémoire Vie associative Publications ou productions recommandées La déportation NN dite aussi Nuit et Brouillard Sommaire Trimestriel N°59 décembre 2008 3 MÉMOIRE VIVANTE Bulletin de la Fondation pour la mémoire de la Déportation MEMOIRE VIVANTE N°59/1 Il est des dates importantes dans l’histoire humaine : celle de la proclamation par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, à Paris, au palais du Trocadéro le 10 décembre 1948 en est une. La traduction dans les faits de cette avancée considérable de la conscience collective peut être considérée comme un acquis positif et déboucher sur une note d’optimisme pour l’avenir, ou inversement, être considérée comme un chantier encore fragile et bancal dont on se demande si chaque manifestation nouvelle de violence et chaque entorse aux Droits de l’homme, accompa- gnée de son lot de victimes innocentes, ne va pas provoquer l’effondrement de tout l’édifice. Progrès de la civilisation et recul de la barbarie ne vont pas sans un constat, sans concession, des accidents de parcours, en évitant de sombrer dans un pessimisme qui pourrait bien devenir suicidaire et s’exprimerait ainsi : « de toute manière on n’y peut rien » ! Parce que justement on peut toujours quelque chose. Chaque progrès, chaque conquête du droit, chaque recul de la barbarie si infimes soient-ils, sont utiles et nécessaires. Qu’en est-il aujourd’hui ? La Déclaration universelle concrétise une approche commune des États signataires, des droits et libertés en vue de leur respect dans le monde entier. Elle exprime les idéaux de justice et d’égalité qui ont façonné les relations interna- tionales et répondu aux aspirations des peuples à la suite du traumatisme de 1939-1945. Des outils internationaux ont été mis au service des principes de liberté et de dignité, énoncés dans les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels concernés. Tous les États ont ratifié au moins un des neuf principaux traités internatio- naux sur les Droits de l’homme, et 80 % en ont ratifié au moins quatre. Le processus d’adoption des normes édictées par la Déclaration, est enclenché. Ces normes sont progressivement intégrées et mises en application dans les législations internes et le processus suit le même cheminement au plan international, en particulier avec la création de la CPI (Cour pénale interna- tionale) et son statut. Pour autant les Droits de l’homme ne sont pas devenus réalité pour tous et restent encore une conquête lointaine pour une grande partie de l’humanité, quand ce n’est pas un patrimoine menacé à défendre. Dans la balance des enjeux stratégiques qui déterminent les options politiques des nations, leurs entreprises de guerre ou les modes d’actions du terrorisme international, l’homme, en tant qu’être de droit, devient rapidement quantité négligeable, classée en profits et pertes. ÉDITORIAL La déclaration universelle des Droits de l’homme 10 décembre 1948 10 décembre 2008 Un anniversaire et un but D’autres « droits » sont venus s’ajouter à ceux qui avaient été proclamés en 1948.Tous doivent être pris en compte, sans oublier celui qui conditionne tous les autres, le droit à la paix, le droit de vivre en paix, qui n’est autre que le droit à notre souveraineté personnelle, au respect de la vie et de la dignité. Federico Mayor, janvier 1997

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IÉTABLISSEMENTRECONNUD’UTILITÉPUBLIQUE(décret du

17 octobre 1990)PLACÉ SOUS

LE HAUT PATRONAGEDU PRÉSIDENT

DE LA RÉPUBLIQUE30 boulevard des

invalides 75007 parisTél.: 01 47 05 81 50FAX : 01 47 05 89 50

Site internetwww.fmd.asso.fr

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Éditorial

Palmarès 2008du concoursannuel dela meilleurephotographied’un lieude mémoire

13De l’usagede la mémoire

Vie associative

Publicationsou productionsrecommandées

La déportationNN dite aussiNuit et Brouillard

Sommaire

Trimestriel N°59 décembre 2008 3€MÉMOIRE VIVANTE

Bulletin dela Fondation

pour lamémoire dela Déportation

MEMOIRE VIVANTE N°59/1

Il est des dates importantes dans l’histoirehumaine : celle de la proclamation parl’Assemblée générale des Nations Unies de laDéclaration universelle des Droits de l’homme, àParis, au palais du Trocadéro le 10 décembre 1948en est une.La traduction dans les faits de cette avancéeconsidérable de la conscience collective peut êtreconsidérée comme un acquis positif et débouchersur une note d’optimisme pour l’avenir, ouinversement, être considérée comme un chantierencore fragile et bancal dont on se demande sichaque manifestation nouvelle de violence etchaque entorse aux Droits de l’homme, accompa-gnée de son lot de victimes innocentes, ne va pasprovoquer l’effondrement de tout l’édifice.Progrès de la civilisation et recul de la barbarie nevont pas sans un constat, sans concession, desaccidents de parcours, en évitant de sombrerdans un pessimisme qui pourrait bien devenirsuicidaire et s’exprimerait ainsi : « de toutemanière on n’y peut rien » ! Parce que justementon peut toujours quelque chose. Chaque progrès,chaque conquête du droit, chaque recul de labarbarie si infimes soient-ils, sont utiles etnécessaires.Qu’en est-il aujourd’hui ?La Déclaration universelle concrétise une

approche commune des États signataires, desdroits et libertés en vue de leur respect dans lemonde entier. Elle exprime les idéaux de justiceet d’égalité qui ont façonné les relations interna-tionales et répondu aux aspirations des peuples àla suite du traumatisme de 1939-1945. Des outilsinternationaux ont été mis au service des principesde liberté et de dignité, énoncés dans les droitsciviques, politiques, économiques, sociaux etculturels concernés. Tous les États ont ratifié aumoins un des neuf principaux traités internatio-naux sur les Droits de l’homme, et 80 % en ontratifié au moins quatre. Le processus d’adoptiondes normes édictées par la Déclaration, estenclenché. Ces normes sont progressivementintégrées et mises en application dans leslégislations internes et le processus suit le mêmecheminement au plan international, en particulieravec la création de la CPI (Cour pénale interna-tionale) et son statut.Pour autant les Droits de l’homme ne sont pasdevenus réalité pour tous et restent encore uneconquête lointaine pour une grande partie del’humanité, quand ce n’est pas un patrimoinemenacé à défendre.Dans la balance des enjeux stratégiques quidéterminent les options politiques des nations,leurs entreprises de guerre ou les modes d’actionsdu terrorisme international, l’homme, en tantqu’être de droit, devient rapidement quantiténégligeable, classée en profits et pertes.

ÉDITORIALLa déclaration universelle des Droits de l’homme

10 décembre 194810 décembre 2008Un anniversaire et un but

D’autres « droits » sont venus s’ajouter à ceux qui avaient été proclamés en 1948. Tous doivent être pris en

compte, sans oublier celui qui conditionne tous les autres, le droit à la paix, le droit de vivre en paix, qui n’est

autre que le droit à notre souveraineté personnelle, au respect de la vie et de la dignité.

Federico Mayor, janvier 1997

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«NJean-LucBellanger,ancien déporté,germanisant, s’est livréà de nombreuses études, notamment de documentationallemande et est l’auteur de nombreuses chroniques etétudes publiées, notamment dans le Patriote Résistant,périodique de la FNDIRP. Il a bien voulu accepter derédiger cette étude pourMémoire Vivante.

« Nuit et Brouillard », c’est une appellation quechacun a déjà entendue, surtout dans la mesure oùl’un des premiers et des meilleurs films sur lescamps nazis, celui d’Alain Resnais, est sorti sous cetitre en 1956. L’expression a plu à Resnais, elle amarqué les esprits, mais ce terme avait en réalitéun sens infiniment plus limité dans l’histoire quede décrire la déportation dans son ensemble. Ilva falloir quelques précisions pour clarifier laquestion.

Le mot « déportation » est entré dans le vocabulairecourant et on pourrait penser qu’il est facile d’endéfinir le sens exact et la portée. Les choses sontmoins simples, en dehors de la notion de base : ladéportation, c’est le fait de transférer un prisonnierde son pays d’origine vers un pays étranger, engénéral ennemi. Des déportations de France

occupée vers l’Allemagne nazie ont eu lieu relative-ment tôt. Un des premiers exemples est la déporta-tion vers le camp de concentration deSachsenhausen, en juillet 1941, de 244 mineurs duNord de la France, à la suite de grèves massives.Les camps de concentration en Allemagne nazie,chacun en France savait depuis 1933 qu’ilsexistaient, et que tout opposant à Hitler risquaitd’y être envoyé sans jugement,mais cela concernaitles Allemands. En France occupée, l’armée alle-mande avait tous les pouvoirs, et dans les premierstemps, elle soignait son image de respectabilité enobservant les usages généralement admis. Les actesqu’elle considérait comme des délits, quelle qu’ensoit la nature, politique ou de droit commun,entraînaient le renvoi devant des tribunauxmilitaires, des conseils de guerre, qui prononçaientdes condamnations en fonction d’un code pénalprécis. ChaqueKommandantur (le commandementmilitaire local) disposait d’un « tribunal decampagne », (Gericht der Feld- ou Oberfeldkom-mandantur), chargé d’appliquer dans toute sarigueur ce code militaire. C’était le mode « normal» de répression pour l’armée d’occupation. Lescamps sous contrôle de la SS ne constituaientqu’une menace théorique et lointaine.

Une raison de la création de la catégorie NNapparaît pourtant ici en filigrane. Hitler suivait de

2/MEMOIRE VIVANTE N°59

Robert Badinter, à propos de la peine de mortqu’il réussit enfin, il y a quelques années, à faireabolir dans notre pays, et nous devons en êtrefiers, tenait ce propos d’une grande simplicité etd’une force inouïe dont on apprécierait qu’ildevienne universel : « il est quelques valeurssacrées, la vie humaine en est une ». C’est en effetle premier de tous les Droits de l’homme !Reconnaître à l’homme le droit de tuer, fût-ceau nom de la justice, permet de franchir un degréde violence légale à partir duquel toute interpré-tation extensive devient possible. Pourquoiaccorder le droit de tuer aux uns et pas autres ?Tuer devient un réflexe auto protecteur légitime,rapidement par anticipation.Lorsque, dans le monde, la vie et la dignitéhumaine n’ont plus guère d’importance, la révoltedes consciences devient salutaire. Il faut lui ména-ger un vaste espace d’expression et d’indignation.Nous savons bien que l’être humain s’émeutfacilement de situations insoutenables constatéesou rapportées par les images ou la presse, nous

savons qu’il sait hélas aussi bien s’accoutumer àl’horreur lorsque cela l’arrange ou que la mortqu’il délivre correspond trop bien à ses intérêts.

La déclaration universelle des Droits de l’hommereste un idéal en devenir dont on peut espérerqu’il sera générateur d’une véritable culturemondiale de paix qui stoppe enfin les ambitionsdominatrices et les esclavages de situation, nonplus par le jeu des armes et de la force mais parcelui de la raison, des consciences et du dialogue.Nous savons les ravages de l’égoïsme humain,nous savons aussi l’extraordinaire générosité dontl’être humain est capable.L’organisation mondiale de la générosité pourraitbien être le chantier à bâtir d’urgence en contre-point d’une organisation mondiale de conciliationdes égoïsmes et des suprématies qui montre plusque jamais ses limites.Ce serait le prolongement normal de laDéclaration universelle de 1948.�

Marie-José Chombart de Lauwe

LA DÉPORTATION NNDite aussi « Nuit et Brouillard »

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MEMOIRE VIVANTE N°59/3

près tout ce qui se passait dans les pays occupés.Depuis toujours, il se méfiait de l’armée et surveillaitde près les sanctions prononcées par les tribunauxmilitaires, jamais assez sévères à ses yeux. Pourtantles débuts de l’occupation en France n’avaient pasdonné lieu à des actions importantes de nature àinquiéter laWehrmacht.En 1940 et au début de 1941,des personnes ou des groupes, isolés, réfléchissaientcertes déjà aux possibilités de lutter contre l’arméeennemie. On notait quelques sabotages, des câblestéléphoniques étaient coupés, des véhicules étaientimmobilisés ; déjà certains envisageaient l’hypothèsed’un débarquement et cherchaient à récupérer etcacher des armes abandonnées par l’armée françaisepour participer, un jour, à des combats de libération.Des filières improvisées aidaient des prisonniersde guerre évadés à échapper aux recherches, descourageux tentaient de gagner l’Angleterre, pourrejoindre le général de Gaulle.D’autres misaient surune activité organisée sur place, en France, visant àaider de Gaulle et « les Anglais » comme on disait,en recueillant et transmettant des renseignementssur l’armée allemande. Il s’agissait des premiersbalbutiements de ce qui deviendraient, plus tard etavec l’expérience, la Résistance.

Dans tout cela et sauf quelques exceptions, rienne menaçait gravement la sécurité des troupesallemandes. Les tribunaux militaires condamnent,

sans hésiter devant la peine demort, le plus souventdisproportionnée par rapport aux actions commises.On peut cependant parler d’un calme relatif.Mais les choses changent en juin 1941, aprèsl’attaque de Hitler contre l’Union soviétique quimet un terme aux ambiguïtés du pacte germano-soviétique. Ceux qui hésitaient sur les moyens decombattre Hitler et son armée se sentent soudainpoussés à trouver des solutions. Des communistesisolés avaient bien tenté des actions ici ou là. Lavolonté de lutter contre l’occupant s’étendait del’extrême droite à l’extrême gauche. Le particommuniste clandestin se mettait en mouvement.Bientôt, des attentats comme celui de Fabien àParis entraînaient des représailles et des assassinatsen masse d’otages.Dans les autres pays occupés, unmouvement populaire apparaît également, parfoisviolent.Les Allemands sentent monter une menace, contrelaquelle il apparaît bientôt difficile de réagirefficacement. Le 16 septembre 1941, le chef duHaut-Commandement de la Wehrmacht (OKW),Keitel, promulgue un « Ordre » (Keitel-Befehl)exigeant, en raison de la menace d’« un mouvementinsurrectionnel communiste généralisé… d’appli-quer les moyens les plus rigoureux », et précisantque si, exceptionnellement, il devait y avoir renvoidevant un Conseil de guerre, « un moyen réel dedissuasion ne saurait être que la peine de mort ».

Nuit et brouillard (NN)catégorie de détenusà exterminer.

Source

:H.GayotN.N.11784«LeStruthofNatzwiller».

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4/MEMOIRE VIVANTE N°59

Dans les jours suivants, le général von Stülpnagel,Commandant en chef en France, décide que toutFrançais arrêté par les autorités d’occupation estipso facto considéré comme otage, et un « Code desotages » durcira et précisera la chose le 30septembre.Durant l’été, le maréchal Keitel à Berlins’entretient à plusieurs reprises avec Hitler pourmettre au point une riposte efficace. Le Führerentend terroriser les populations occupées pourmettre fin à ce que nous connaissons maintenantsous le terme de « Résistance ».

Le décret KeitelPourtant Hitler se souvenait d’évènements de laPremière Guerre mondiale. L’exécution par l’arméeallemande de l’infirmière anglaise Édith Cavell enBelgique en 1915, qui en fit une héroïne et unmodèle pour les populations, l’avait marqué defaçon durable. D’autres exemples allaient dans lemême sens. Ainsi, pour n’en citer qu’un, enAllemagne même, un saboteur fusillé par lesFrançais occupant la Rhénanie en 1923, Schlageter,avait aussi du même coup gagné cette dimensionde héros et de modèle. Hitler voulait éviter cela.Il avait déjà interdit l’exécution de femmescondamnées à mort, en Europe de l’ouest occupée,en les faisant déporter en Allemagne dans le plusgrand secret. Il exigeait maintenant une procéduregénéralisée de ce type et invita Keitel à la formuleret à la promulguer.De là découle le décret Keitel du7 décembre 1941, suivi le 12 décembre d’un « texted’accompagnement » et d’une « ordonnanced’application ». Ces textes de quelques pages,seront plus ou moins rapidement envoyés auxinstances concernées dans les pays auxquels ilss’appliquent. Le décret ne vise en effet seulementque l’Europe de l’Ouest occupée (à l’exception duDanemark), c’est-à-dire la France, la Belgique, lesPays-Bas et la Norvège.

En quoi consiste cette nouvelle procédure et quelleest sa différence par rapport aux mesures envigueur jusque-là ?

Il s’agissait, dans les cas « d’actesillégaux commis contre le Reich ou lesforces d’occupation », et lorsque detels actes mettaient en danger leursécurité ou leur capacité de réaction,d’appliquer par principe aux auteursla peine de mort. Ces actes, toujourspar principe, ne devaient être jugésdans les territoires occupés que « siles coupables ou du moins les princi-paux coupables pouvaient êtrecondamnés à mort et exécutés dansdes délais très brefs » (le texte précised’abord « dans un délai d’unesemaine après l’arrestation », formu-lation modifiée en avril 1942 en« après la décision de mise en juge-ment »). Sinon, les auteurs devaientêtre transférés en Allemagne. En casde demande d’information à leur

sujet, le texte interdit de répondre autre choseque : « Ils ont été arrêtés et l’état de la procéduren’autorise aucune autre explication ».

Dans ce jargon juridique, se trouvent résuméestoutes les incidences de la procédure NN oupresque. D’abord, il s’agit par définition depersonnes dont les actes ont eu (ou auraient puavoir) une importance notable à l’encontre desoccupants, méritant une mort rapide, paradoxale-ment difficile à obtenir de tribunaux militairessurchargés et de surcroît estimés insuffisammentsévères. La solution est claire : ces personnes serontdéportées enAllemagne pour y être jugées.Pour lesresponsables de laWehrmacht, qui ont accepté bongré mal gré cette mesure, il allait de soi que lesinstances judiciaires militaires du Reichprendraient le relais, en l’occurrence le « Conseil deguerre du Reich » (Reichskriegsgericht, RKG)siégeant à Berlin, pouvant toutefois organiser desprocès ailleurs, comme ce fut le cas à Fribourg-enBrisgau, pour les membres du réseau Alliance(dont il sera question plus loin), ou le « Conseilsupérieur de guerre du Reich » (Oberreichskriegs-gericht, ORKG), dont le siège est à Torgau surl’Elbe. Mais lorsque la Commission juridique de laWehrmacht contacte les responsables de cestribunaux, elle se heurte à un tollé. Ces juridictionsd’exception du temps de guerre sont déjà surchar-gées de travail et refusent absolument que leurscollègues des conseils de guerre des pays occupés« se déchargent » sur eux.

C’est pourquoi la solution « civile » prévaudra,conformément aux vœux des responsables nazis.Les « directives » du décret Keitel de décembre1941 le précisent : « les coupables transférés enAllemagne n’y seront soumis aux procédures deguerre que si des considérationsmilitaires l’exigent ».Quelques mois plus tard, en juin 1942, une note dumême Keitel précise, en clair cette fois, que lesdétenus dont il n’est pas expressément décidé qu’ilsdoivent être jugés par les militaires, seront versés

Source

:H.GayotN.N.11784«LeStruthofNatzwiller»

Travaux de terrassementla moindre défaillancepouvait avoir desconséquences funestes.

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MEMOIRE VIVANTE N°59/5

dans des établissements de détention dépendant duministère de la Justice du Reich. Il aura encore fallupour cela des tractations entre les hautes instancesmilitaires, le ministère de la Justice du Reich et lesautorités d’occupation, qui se trouvent privéesd’une partie leurs prérogatives. Mais surtout« justice civile » signifie « tribunaux spéciaux »(Sondergerichte), ou « Tribunal du peuple »(Volksgerichtshof) de Berlin, organismes créés trèstôt enmars 1933 et en avril 1934, composés de jugeset d’assesseurs du parti nazi, et devant lesquelsles accusés sont privés de la plupart des droitsélémentaires de la défense. C’est l’un des facteursaggravants de la nouvelle procédure.

Surtout, cette déportation s’entoure d’un anonymaten principe total. Dès l’arrestation des personnesplacées sous ce régime, aucune information ne seraplus donnée à leur sujet, ni sur le lieu où ils setrouvent, ni sur l’autorité dont ils dépendent, ni dufait qu’ils seront ou non jugés et par qui et finale-ment, s’ils sont jugés, quel aura été le verdict. Letexte est clair : « Les coupables transportés enAllemagne ne sont autorisés à aucun contact avec lemonde extérieur : aussi n’ont-ils le droit ni d’écrire,ni de recevoir lettres, colis ou visites ». L’exempleultime est celui des NN condamnés à mort aprèsjugement en Allemagne et exécutés : ils avaient ledroit d’écrire une « dernière lettre », comme c’étaitl’usage, mais cette lettre restait dans leur dossier etn’était pas envoyée.

L’exécution de membres du « Groupe Renard »,groupe de résistance de Poitiers dirigé par LouisRenard, dont les membres classés NN furentd’abord déportés à Hinzert NN, puis à la prison deWolfenbüttel où ils furent guillotinés, illustre cettefaçon de procéder. Les dernières lettres des dixvictimes exécutées le 3 décembre 1943 étaientdemeurées dans un dossier.Retrouvés en RDA en1964, ces documents, précieux pour les familles,furent alors restitués solennellement, plus de 20années après. La lettre de Louis Renard, elle, nefut retrouvée et rendue qu’en 1995.

De même, lors du décès d’un NN, que ce soit parsuite de maladie ou des conditions de sa détention,ou par suite de son exécution, le service municipalde l’état civil localement compétent enregistraittoutes les données normales, noms, dates, etc.,maisassorties de l’interdiction formelle de copier ou decommuniquer ces indications sauf autorisationexpresse du ministère de la Justice du Reich !Mort ou vivant, aucun signe du déporté NN neparviendrait plus à sa famille qui du coup pouvaittoujours craindre le pire : c’est là l’effet de terreurrecherché par Hitler, considérant que le douteétait pire que la certitude, même celle de la mort.Rappelons qu’en Argentine sous la dictatureVidela, des familles de disparus (desaparecidos)ont été capables de manifester chaque semaine surla « Place de Mai » de Buenos-Aires des annéesdurant pour obtenir des informations, tant était

grande leur douleur d’ignorer le sort de leursproches1.

Une observation s’impose à ce stade, d’importancecertes secondaire par rapport à la cruauté desmesures en vigueur mais qui n’est pas sans intérêt :j’ai employé plusieurs fois le sigle NN, sans recourirà l’expression « Nuit et Brouillard ». Ces termes nefigurent pas en effet dans les textes qui instaurent laprocédure en question. En voici l’explication : audépart, tout est simple. Comme on parle en Francede « naissances sous X », ou de « Monsieur X », dèslors qu’est ignoré le nomd’une personne, l’allemandemploie couramment, aujourd’hui encore, le sigleNN, qui vient du latin nomen nescio, « je ne sais pasle nom ». C’est une abréviation usuelle banale, etlorsque les premiers convois de prisonniersdéportés dans le cadre du décret Keitel ont circuléen Allemagne et sont arrivés dans le camp spécialSS de Hinzert ou dans les diverses prisonsallemandes affectées à leur détention, les instruc-tions étaient simples : ces prisonniers devaient sevoir attribuer des zones ou bâtiments spéciaux oùils ne devaient avoir strictement aucun contact avecles autres détenus. Leur nom devait être inconnudu personnel qui aurait affaire à eux (et qui enpratique leur attribuait souvent un sobriquet), et ilsrecevaient un numéro qui constituerait leur seuleidentité dans l’établissement. Je peux témoigner deces faits, puisque j’étais dans une des prisonsallemandes où ont été enfermés de nombreux NN(plus de 600 y sont passés en deux ans). À aucunmoment je n’ai entendu d’autre expression lesconcernant que le sigle NN.

Pourquoi « Nuit et Brouillard » ?D’où vient alors cette autre appellation de « Nuit etBrouillard », que le cinéaste Alain Resnais areprise, par une généralisation abusive, comme titrede son film sur les déportations ? C’est une questionencore sans réponse. Tout ce que l’on peut dire,c’est qu’à partir d’un certain moment, vers l’été1942,on commence à trouver dans les références dedocuments nazis, la notion d’« Affaire Nuit etBrouillard ». Nuit et Brouillard, en allemand, se ditNacht und Nebel, donc avec une allitération en N,etl’idée doit être venue un jour à quelqu’un de fairele rapprochement entre ces mots et le sigle NN.« Dans la nuit et le brouillard » est en effet uneexpression courante en allemand, signifiant « ensecret », « à l’abri des regards », et de plus on parleparfois, pour évoquer des faits dissimulés, qu’onveut soustraire aux regards, de vernebeln, cacherdans le brouillard2.Tout ceci correspond finalementbien à la situation de ces détenus.

Quoi qu’il en soit, dès l’été 1942, les NN sont parfoismentionnés sous cette expression imagée de « Nuitet Brouillard », qui figure par exemple dans uneconvocation envoyée par le ministère de la Justiceà la mi-octobre 1942 au président du « Tribunal dupeuple », Roland Freisler. Chose curieuse celui-ci,un des principaux juristes nazis, dont nous reparle-

1 - Ce n’est pas un hasard si, lesdisparitions forcées devenant uneméthode de répression policière etpolitique de plus en plus répanduedans le monde, l’Assemblée géné-rale des Nations Unies a adopté àl’unanimité le 20 décembre 2006la « Convention internationalepour la protection de toutes lespersonnes contre les disparitionsforcées », signée ensuite à Paris parune soixantaine de pays le 6 février2007.

2 - Le mot figure même dans untexte concernant le sort à réserver àdes détenus NN innocentés. On neles renverra pas dans leur pays. Ilsseront confiés « à la garde de lapolice pour la durée de la guerredans le secret (unter Vernebelung) ».

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6/MEMOIRE VIVANTE N°59

rons, a toujours protesté contre cette expression,dont il interdisait l’emploi, et a d’ailleurs aussirejeté le sigle NN. Pour lui les affaires concernantles prisonniers ressortissant au décret signépar Keitel, devaient être désignées comme « FE-Sachen » (Affaires FE), dépendant du « décret duFührer » (Führererlass). Freisler restera toutefoisle seul à utiliser ce sigle. Ceci d’ailleurs tend àconfirmer l’affirmation du maréchal Keitel selonlaquelle c’est contraint et forcé qu’il a signé cetexte, qu’il a fait précéder de la formule ambiguë :«C’est la volonté mûrement réfléchie du Führer… ».On ne saura jamais s’il voulait par là donner unpoids supplémentaire à la mesure, ou au contraireprendre ses distances. Quant aux hypothèsesattribuant la formule « Nuit et Brouillard » à Hitlerlui-même, ou la rapprochant des opéras wagnériens,elles ne reposent sur rien de concret.

Revenons à ce qui est réellement important danscette déportation particulière. Il s’agit donc dedéporter dans des lieux d’internement en territoireallemand des détenus, maintenus au secret, en vuede les faire juger par des tribunaux civils enAllemagne. Selon la définition du décret, il doits’agir de prévenus. Mais la situation se compliqueun peu pour l’observateur d’aujourd’hui, avecplusieurs catégories de déportations sur des basesdifférentes, à la même époque. Les nazis cherchenten même temps à désengorger les prisons des paysoccupés, surchargées de prévenus et de condamnés.1) C’est ainsi que vont être déportés aussi d’autresdétenus, condamnés par les conseils de guerre despays occupés dont la peine à purger reste supé-rieure à 3 ans, mais qui ne subiront pas le régimeNN Ils pourront par exemple correspondre avecleurs familles dans le cadre de la réglementationpénitentiaire.2) Des résistants, déjà jugés en France par unConseil de guerre de laWehrmacht et condamnés àmort, mais exceptionnellement non exécutés dansle pays occupé seront également déportés.Une fois

dans le Reich, soit ils seront exécutés,par exemple à Cologne pour lesFrançais, soit, si leur dossier est révisé,ils seront envoyés dans un centre dedétention renforcée (en allemandZuchthaus).Bien que ne correspondantpas à la définition officielle, eux serontclassés NN.Un des lieux où seront ainsidéportés de nombreux condamnés àmort non exécutés est le Zuchthaus deSonnenburg (aujourd’hui Slonsk enPologne). Le régime y est terrible et laplupart de ces détenus ne rentrerontpas.

Le principe de départ était simple maisla situation s’est compliquée du fait dedistinctions pas toujours subtiles. Il yeut par exemple de « faux NN », classéscomme tels, mais ressortissants de pays(par exemple Suisse ou Suède) non

prévus par le décret d’origine : France, Belgique,Pays-Bas et Norvège. Une fois les conditionsadministratives mises au point entre les autoritéssuprêmes de la Wehrmacht, leurs services dansl’ensemble des territoires occupés de l’ouest del’Europe, et ceux du ministère de la Justice duReich, pouvait commencer la mise en applicationdu décret. Pour cela, il fallait d’abord trouver de laplace dans le Reich pour loger, dans des conditionspermettant le secret, les détenus qui seraientdéportés en tant que NN.Entre février et mai 1942,une activité administrative intense se manifeste. Àla date du 13 mai, les tribunaux devant juger les NNdes différents pays concernés savent déjà à quellecharge de travail s’attendre dans un premier temps.Le tribunal de Kiel, chargé des procès contre lesNorvégiens, a devant lui 9 affaires, groupant 262inculpés, celui d’Essen, chargé des Belges, a 26affaires avec 285 inculpés, et celui de Cologne,chargé des Français, a seulement 16 affaires avec 46inculpés. Mais, sauf en ce qui concerne lesNorvégiens, le rythme va s’accélérer. Le 1er septem-bre, Essen se trouve à la tête de 240 affairesgroupant 1 163 inculpés belges, et Cologne, pour lesFrançais, a 177 affaires avec 331 inculpés. Ce sont1 756 détenus qu’il faut loger !

En pratique, comment les choses se passent-elles ?En application du décret, les résistants arrêtésdoivent être envoyés enAllemagne, en théorie trèsrapidement, mais en pratique, c’est variable. Ledélai est parfois très long. Les Français, regroupésdans les prisons parisiennes, à Fresnes, à la Santé ouau Cherche-Midi, sont le plus souvent expédiés au« Camp spécial SS » de Hinzert, près de Trèves,camp très dur, où le sort des détenus est particuliè-rement éprouvant. La première vague desdéportations NN de France débute en mai 1942vers Hinzert. Elle se poursuit, avec 42 convois dechemin de fer, jusqu’à septembre 1943, conduisantquelque 2 000 hommes à leur première étape enAllemagne. En vue de leur jugement, ces hommes

La direction SS du campde Hinzert.

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sont ensuite répartis entre les prisons d’Aix-la-Chapelle et de Cologne. De même pour les Belges(et les Français des départements Nord et Pas-de-Calais, rattachés au Commandement allemand deBruxelles), qui dépendent du Tribunal d’Essen :tous quittent les prisons de Bruxelles et d’Anverspar des voitures-cellulaires de chemin de fer(Gefangenen-kurswagen) qui circulent selon unhoraire régulier chaque semaine vers Aix-la-Chapelle, et ils vont de là dans les prisons d’Essenet Bochum (d’autres « voitures-cellulaires » dechemin de fer transportent des détenus de Franceentre autres vers Fribourg).

Difficultés d’application du décret KeitelLes jugements débutent dès juillet 1942.Le principeest apparemment très simple. Pourtant la machine arapidement des ratés. Les dossiers s’accumulent, ona vu les chiffres, et dès mai 1942 l’armoire blindéedu tribunal d’Essen ne pouvait plus contenir lesdossiers, pourtant strictement secrets, concernant lesaffaires NN.De même, les prisons sont vite surchar-gées, et ne peuvent plus recevoir ces détenusétrangers, qu’il faut par surcroît maintenir au secret.Il en résulte parfois une cohabitation forcée, quirend l’isolement des NN impossible. La situationdevient franchement difficile, et personne n’a devraie solution à proposer alors qu’elle continue às’aggraver.

Au début de mars 1943, le total des « affaires NN »atteint le chiffre de 1 115 avec 3 377 accusés. Seuls167 accusés dans 96 affaires ont été effectivementjugés, dont 12 affaires avec 28 condamnations trai-téés par le « Tribunal du peuple », de Berlin, quis’était réservé certains cas. Huit mois plus tard, ennovembre 1943, rien qu’à Cologne, qui reçoitdésormais également des NN arrêtés dans la zonesud de la France (occupée en novembre 1942),1 169 affaires touchant 2 185 accusés restent enattente. L’accusation est prête pour 257 accusésdans 173 affaires, et 183 condamnations ont étéprononcées dans le cadre de 128 affaires. Lesstatistiques indiquent qu’au total, sur les 4 centresde jugement de NN, 5 240 inculpés dans 1 655affaires attendent, alors que seuls 441 jugementsont été prononcés contre 1 230 accusés.

Le « Tribunal du peuple », le Volksgerichtshof(VGH) siège à Berlin. Son président (déjà évoqué)est le redoutable « juriste » nazi, Roland Freisler,rendu célèbre par les vociférations et les insultesqu’il profère à l’encontre des prévenus dans lesprocès qu’il a menés (en particulier contre lesconjurés de l’attentat du 20 juillet 1944, dont lescomptes rendus filmés ont rendu compte après laguerre). Pour être sûr de la sévérité des condamna-tions dans les procès contre les NN, Freisler avaitfait décider le 2 octobre 1942 que tous les cas detrahison ou de haute-trahison seraient jugés par leVGH.Celui-ci se subdivisait en plusieurs chambres,appelées « Senat ». C’est le 2e Senat, dirigé par levice-président du VGH, Crohne, dont Freisler se

méfiait, qui avait été chargé le 16 octobre des pre-miers procès contre des NN. Mais Freisler voulaitgarder la haute main sur les procès NN, et décidaque le 1er Senat, qu’il présidait, aurait égalementcompétence pour les NN. C’est finalement lui quijugea la plupart de ces affaires.Déjà à court de collaborateurs, l’appareil judiciares’enfonce dans des difficultés inextricables. Laprocédure, conçue pour être rapide, est ralentie parl’engorgement presque immédiat de toutes lesinstances concernées. Réservée aux pays de l’ouesteuropéen, elle doit logiquement se dérouler dansl’Ouest de l’Allemagne : les lieux d’internement desNN y sont regroupés afin de limiter les déplace-ments des détenus comme des membres destribunaux.Mais 6 mois seront nécessaires pour queles choses se mettent en place. Le camp de Hinzert,près de Trèves, reçoit par exemple « ses » premiersNN fin mai 1943, un an et demi après le décret. Demême les prisons désignées pour recevoir les NNnorvégiens ou surtout les Belges, infiniment plusnombreux, ont le plus grand mal à dégager desespaces permettant de garantir le secret autour deces détenus particuliers. Très vite la situations’aggrave et se complique du fait notamment desbombardements alliés qui croissent en fréquencecomme en efficacité, et menacent les prisonscomme les lieux où doivent siéger les tribunaux.

Il ne s’agit pas de risques théoriques. Le 17 mai1943, la RAF a bombardé, par une action techni-quement et militairement exceptionnelle, lesbarrages des lacs de retenue des vallées de laMöhne et de l’Eder, inondant puis privant d’eautout un secteur de la Ruhr. Il est alors devenunécessaire de déplacer vers le nord les détenus desprisons d’Essen et Bochum3. On envoie la plupartd’entre eux dans un des « camps de l’Emsland »(appelés aussi « Camps des Marais »), à la frontièrenéerlandaise, à Esterwegen. C’est là que devra seréunir le Tribunal spécial d’Essen, dont les

Il fallait d’abordtrouver de laplace dans leReich, pourloger, dans desconditionspermettant lesecret, lesdétenusdéportés entant que NN

L’administration du campde Hinzert.

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3 - A la date du 22 mai 1943 onrecensait à Bochum 1131 hommesclassés NN, à Essen 170 femmes et70 hommes, à Wuppertal 170hommes.

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membres sont tenus d’y passer 5 jours par semaine.Les 29 juin et 9 juillet 1943, Cologne est à son tourl’objet de violents bombardements, et la prison deKlingelpütz où se trouvent entre autres denombreux NN est très endommagée. Il fauttransférer la plupart des détenus à Wittlich, à plusde 100 km de Trèves. Le tribunal devra s’y rendreégalement pour siéger. Et puis le 24 novembre unbombardement de Berlin va entraîner la destructionde la presque totalité des dossiers NN du Tribunaldu peuple. Il faudra demander aux autoritésd’occupation de tout reconstituer. Ce qui avait étélaborieusement mis sur pied se désagrège progres-sivement.

Le ministre de la Justice du Reich, Thierack, étaitconscient de ces problèmes. Déjà depuis un certaintemps il envisageait de déplacer l’ensemble desprotagonistes de cette procédure encombrante versl’est de l’Allemagne, dans des secteurs moinsexposés aux bombardements. C’est effectivementce qui est décidé à l’été de cette même année 1943,

où le tribunal spécial de Cologne, compétentpour les NN français, se verra remplacer parcelui de Breslau (aujourd’hui Wroclaw enPologne), auquel il prêtera quelques juges etprocureurs, le temps que ses juristess’habituent à ces procès particuliers. Lesdétenus NN seront envoyés entre autres àUntermassfeld ou à Schweidnitz, et d’autresprisons, ou bien iront dans des campsdépendant d’entreprises sucrières.

Il faut ici mentionner à part le cas desfemmes. Comme les hommes condamnés àmort en France par les Tribunaux de laWehrmacht, des femmes condamnées à lamême peine sont classées NN et déportéesen « maison de détention » (Zuchthaus) enAllemagne. Destinées d’abord à êtreemprisonnées à Zweibrücken (Deux-Ponts)en Sarre, elles seront envoyées à Lubeck.Les Françaises classées NN en attente de

procès seront finalement envoyées en prison àJauer (en Pologne, Jawor) dans le district deBreslau. Certaines NN condamnées enAllemagne,voire des détenues « non classées NN » serontd’ailleurs également enfermées dans cet établis-sement « pour femmes » (Frauenzuchthaus).

Le Camp de Hinzert est vidé des derniers Françaisen octobre 1943, et le Tribunal spécial de Breslaucommence à juger les NN français en novembre.C’est également à ce moment que le camp deconcentration de Natzweiler en Alsace, communé-ment appelé Struthof, non loin de Strasbourg,commence à jouer un rôle important dans laprocédure NN. Les premiers NN arrivés dans cecamp de concentration y sont immatriculés débutjuillet 1943. En pratique, Natzweiler-Struthofprendra la suite du camp de Hinzert sur le chemindes NN. Et si l’on peut noter à ce stade une césureentre Hinzert et Natzweiler, on peut égalementsituer vers cette époque une modificationfondamentale dans l’application du système mis enplace par le décret Keitel, et d’ailleurs totalementdérogatoire par rapport à lui.

Les « NN nouvelle manière »En effet, seuls 350 des NN français de Natzweiler-Struthof seront envoyés en Silésie, dans les prisonsdeWohlau, Brieg ou Breslau, pour y être jugés parle tribunal spécial compétent à l’égard des Françaisclassés NN. Ils seront déportés par 4 convois (uncinquième train devait partir le 1er septembre 1944mais ne fut jamais mis en route, le régime NNdevant être profondément modifié, comme on va levoir). Ils ne seront donc sans doute jamais présen-tés à un tribunal, étant donné l’engorgement et leblocage qui en résultait en pratique.Mais en mêmetemps apparaît une nouvelle distinction, trèsimportante. Beaucoup des NN passés parNatzweiler ont été classés comme tels, non par lajustice militaire,mais par la Gestapo, à la suite d’undécret du RSHA du 31 mai 1943. Il n’est pas prévu

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Plan du camp de Hinzert.

Vue cavalière du camp de Hinzert.

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MEMOIRE VIVANTE N°59/9

de faire passer en jugement ces « NNnouvelle manière » (NN Häftlinge neuer Art). TouslesNN de Gestapo, comme les appelait l’abbé de laMartinière, le spécialiste français de la déportationNN, dont lui-même avait été victime, étaient desti-nés à aller directement en camp de concentration,celui de Natzweiler-Struthof ne constituant qu’unepremière étape pour nombre de détenus, puisqueson évacuation vers d’autres camps du Reich futdécidée à l’été 1944, devant l’avance des Alliés enFrance.L’importance de ce camp dans le contexte des NNmérite d’être soulignée. En effet les difficultésrencontrées pour insérer les NN dans le cadre dusystème pénitentiaire avaient fini par conduire à ladécision de les regrouper au moins en majoritédans deux camps de concentration, Gross-Rosen, àune cinquantaine de kilomètres à l’ouest deBreslau,et précisémentNatzweiler-Struthof.À l’été1943 (15 juillet) arrivent dans ce camp des NNnorvégiens, puis des Hollandais quelques semainesplus tard. Tous seront marqués par de grandesinscriptions « NN » à la peinture sur leur uniforme.Le commandant du camp avait préalablement reçudes instructions particulières concernant le secrettotal qui devait entourer ces détenus, dont certainsavaient été envoyés là parce que, d’une façon oud’une autre, leur sort avait été connu de leursfamilles, de la Croix-Rouge ou d’autres instances. Ilreçut également au mois de septembre 1943 copied’un ordre du RSHA,une circulaire adressée par leReichsführer SS Heinrich Himmler à l’ensembledes camps de concentration, décidant que « tous lesdétenus NN de souche germanique devaient êtretransférés au KL Natzweiler ». Ce qui expliquedonc le transfert des Norvégiens, et également desNéerlandais. Les Français, quant à eux, certesnon-germaniques, étaient les plus mal considérésdans ce camp, et objets constants de la vindicte desSS, desKapos et autres «détenus à responsabilités ».Ils étaient affectés aux Kommandos les plus durs,maltraités par les Kapos « verts » (droit commun)et ont même été interdits d’infirmerie durant desmois. Il s’agissait surtout de résistants du sud de laFrance.

Himmler se passionnait facilement pour lesquestions ésotériques et était toujours prêt àaccepter des théories non scientifiques pour peuqu’elles puissent se rattacher de près ou de loin à lamythologie germanique. De même qu’il était unfervent défenseur de la « pureté » de la « race »aryenne, il n’aurait voulu pour rien au mondelaisser se perdre des éléments de cette « race »supérieure. Il avait ainsi fait faire des recherchesapprofondies au sujet de certains groupesethniques vivant en Crimée et était même prêt àassimiler à la race germanique des individus pré-sentant des caractéristiques physiques compatiblesavec l’image qu’il se faisait du « Germain idéal ».C’est pourquoi on a pu voir transférer pouradoption dans des familles ou dans des institutionsd’accueil nazies des enfants originaires de pays

globalement méprisés comme la Pologne. C’estaussi pour cette raison qu’il fit transférer les NN« racialement sains » à Natzweiler-Struthof. Aprèsla victoire, et selon ses conceptions, on pourraitfaire un tri plus serré et « récupérer » ceux quipourraient faire de bons « Germains ».

Dans la plupart des lieux où sont internés les NN(autrement qu’en transit), ils sont affectés dans desKommandos très durs. En effet à partir de 1942, lesresponsables nazis prennent conscience du manquede main-d’œuvre que provoque l’envoi d’effectifscroissants d’Allemands pour les besoins de laguerre. En ce qui concerne les NN, se pose leproblème du secret dans lequel ils doivent êtremaintenus, et qui est difficilement compatible aveclamise au travail au profit des entreprises duReich.Pourtant, nécessité faisant loi, ce sera parfois le cas.J’ai évoqué l’internement en Silésie dans desentreprises sucrières. Je connais au moins un exem-ple de Français NN qui, mis au travail dans une deces entreprises, a réussi par l’intermédiaire deFrançais, prisonniers de guerre ou travailleurs libres,à entrer en contact avec sa famille et brièvement, àéchanger du courrier avec elle, et même à recevoirun colis. Cela reste bien entendu exceptionnel.

Le plus souvent les NN travaillent dans des condi-tions conformes au secret imposé. En salle ou encellules, ils doivent récupérer du cuir ou du tissu devêtements usagés, ou coudre des boutons sur descartons, destinés à la vente en mercerie, récupérerdes liens en sisal pour le bottelage des moisson-neuses etc. J’ai parlé d’usines de sucre, mais letravail pouvait consister en terrassement épuisant.On pense ici par exemple au labeur sadique infligéaux détenus qui devaient monter des blocs depierre du bas de la colline au long de laquelle s’éta-geait le camp de Natzweiler, sous les coups des SSet les morsures des chiens.On peut évoquer aussi leKommando de Kochem-Bruttig (dépendance deNatzweiler) où des centaines deNN français durentdéblayer au printemps 1944 un tunnel d’unedouzaine de kilomètres des restes d’une champi-gnonnière datant de la Première Guerre mondiale.Les conditions de ce chantier étaient épouvanta-bles, et son but était, comme en bien d’autresendroits, la création d’un site souterrain deproduction d’armes secrètes, en l’occurrence lesbombes volantes V1.

Dans d’autres cas, des ateliers sont créés spéciale-ment pour les NN.Un exemple que je connais bienest celui de la prison de Wolfenbüttel, près deBrunswick, ville où se trouvait le siège d’uneimportante société d’optique, Voigtländer. Début1943, un des bâtiments de la prison deWolfenbüttela été vidé de ses détenus, répartis dans les autresbâtiments de cette centrale. À leur place sontarrivés en avril 1943 environ 200 NN, venant deHinzert, rejoints dans les 10 mois suivants parenviron 300 autres NN. Le bâtiment cellulaire enforme de T qui leur avait été réservé comportait à

En effet lesdifficultésrencontréespour insérerles NN dansle cadre dusystèmepénitentieireavaient finipar conduireà la décisionde lesregrouperau moins enmajorité,dans deuxcamps deconcentration,Gross-Rosenà unecinquantainede kilomètresà l’ouest deBreslau, etprécisementNatzweiler-Struthof

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l’arrière une branche centrale avec à l’étage la cha-pelle de la prison et de vastes salles au rez-de-chaussée. C’est là que fut installé pour la firmeVoigtländer un vaste atelier, produisant pour laWehrmacht des jumelles, des systèmes de viséepour mitrailleuses lourdes et divers autres élémentsoptiques. La production de matériel militaire a étéjusqu’au bout la raison d’être principale de ceregroupement de NN, vers lequel des NN ingé-nieurs de profession étaient régulièrement transfé-rés. Il ne cessa de fonctionner que quelques joursavant la libération de la prison par les troupes amé-ricaines. Mais durant les deux ans de son existence,les procès et les exécutions s’y poursuivirent paral-lèlement.

Pendant ce temps, les mutations et transferts conti-nuent dans le pays. En février 1944, ce sont les NNd’Esterwegen-Papenburg, au nord-ouest du Reich,qui sont transportés vers l’est. Leur destination estla région proche de la frontière de ce que les nazisappelaient le « Protectorat de Bohême-Moravie »(autrement dit la Tchéquie d’aujourd’hui), lesecteur de Dresde, Iéna, Bamberg. Les camps ouprisons sont Gross-Strelitz, Untermassfeld,St-Georgen ou Blechhammer. Seuls sont restés àPapenburg les NN dont le jugement est prévu parle Tribunal du peuple. Durant ce même printemps1944, en mars, les NN belges et Français du Nord,ainsi que des Néerlandais sont envoyés à Oppeln(aujourd’hui Opole en Pologne) sur l’Oder, pour yêtre jugés.

Les Pays-Bas, un cas à partIl n’a pratiquement pas été question jusqu’ici deNN néerlandais. La raison, qui d’ailleurs montrebien à quel point le système mis en place par lesnazis était pragmatique et souvent fort illogique,tient à ce que la France et la Belgique étaient admi-nistrées chacune par un « Commandantmilitaire enchef » (Militärbefehlshaber), donc en théorie par laWehrmacht, la lutte contre la Résistance étantconfiée au Service secret militaire, l’Abwehr, et à la« Police secrète de campagne » (GFP).En pratique,Himmler et ses services étaient tout-puissants, à tra-vers le réseau du SD et celui de la Gestapo.On saitd’ailleurs les rivalités qui pouvaient les opposer.LesPays-Bas n’étaient pas sous régime militaire d’oc-cupation. Pour les nazis, les Néerlandais pouvaientêtre considérés comme « de sang apparenté », doncprobablement « germanisables ». C’est pourquoi lepays était régi par une administration civileallemande dirigée par le « Commissaire du Reich »Seyss-Inquart. C’est pourquoi aussi le régime NNavait été « interprété » dans ce pays de telle façonque seuls les principaux inculpés dans les affairestraitées étaient soumis à la procédure Keitel, le«menu fretin » étant simplement remis à laGestapo,c’est-à-dire destiné à aller directement et sansjugement en camp de concentration. Cettedésobéissance avait déplu en haut lieu, et lesautorités aux Pays-Bas avaient été fermementinvitées à se plier aux instructions générales. Sans

succès d’abord, puis lorsqu’ils durent enfin céder, ilfallut constater en janvier 1944 que seuls 10 casdemeuraient en cause.

Il n’est pas possible de procéder à une étude de ladéportation NN de France sans mentionner deuxnoms de groupes de résistants qui y ont eu uneplace particulière, « Porto » et « Alliance ». Lepremier, « Porto », est en fait le nom de code donnépar le service secret militaire, l’Abwehr, à unensemble de plusieurs centaines de résistantsfrançais arrêtés et déportés en juin, octobre etdécembre 1941 donc avant l’entrée en vigueur dudécret Keitel. Une cinquantaine d’entre eux, contrelesquels aucune accusation n’avait pu être mainte-nue, furent libérés de Hinzert le 15 août 1942.Restèrent 223 inculpés qui furent officiellementintégrés à la procédure NN par un accord entrel’OKW (OberKommando derWehrmacht) - RSHA(Direction de la Sécurité SS) du 28 octobre 1942, laplupart étant jugés par le « Tribunal du peuple »(VGH). « Alliance » par contre est le nom queportait l’un des plus importants réseaux de résis-tance, le plus important de ceux qui dépendaient del’Intelligence Service (IS). Créé par le Loustaunau-Lacau (militant de l’extrême droite à l’époque),Marie-Madeleine Méric (Fourcade) et le comman-dant Faye, il compta jusqu’à 3 000 agents qui seconsacraient essentiellement au renseignementmilitaire, transmis par tous les moyens existants (en1943, 50 émetteurs). Nombre de ses membres arrê-tés en 1941,puis surtout en 1943, et déportés commeNN sont passés en jugement devant le « Conseil deguerre du Reich » (RKG) siégeant à Fribourg-en-Brisgau en décembre 1943, mars-avril et juin 1944.La plupart furent condamnés à mort. Un groupeimportant d’entre eux fut massacré dans les locauxdu crématoire du KZ Natzweiler-Struthof.

Cette année 1944 est décisive pour la procédureNN découlant du décret Keitel. Il devenait de plusen plus difficile de réunir en un même lieu desaccusés, dont il fallait garantir l’anonymat au seinde prisons ou de camps que rien ne préparait à cettemission (« cent et quelques prisons ont étéconcernées par la procédure NN », dit Joseph de laMartinière !), et les membres de tribunaux spéciauxdéjà surchargés par l’application au sein de lapopulation générale d’une législation répressivetoujours plus contraignante et sanguinaire. Ladécision d’adopter cette procédure exceptionnelle,personne n’osait formuler de critiques publiques àson égard.Pourtant elle ne satisfaisait pratiquementplus personne et surtout pas les juges militaires. Enpratique, dès le milieu de l’année 1943, la tendancedes organismes relevant de Himmler, Gestapo etSD, était de se libérer des contraintes, en échappantau juridisme pointilleux des militaires. Plus lesdifficultés inhérentes à l’évolution de la guerreaugmentaient, plus le maintien du régime NNdevenait fastidieux.Enfin, en juillet 1944, cinq joursaprès la percée décisive des troupes américainesàAvranches, il fut pratiquement supprimé.

Il n’est paspossible deprocéder à uneétude de ladéportation NNde France sansmentionnerdeux noms degroupe derésistants qui yont une placeparticulière,Porto et Alliance

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MEMOIRE VIVANTE N°59/11

« Terreur et sabotage »C’est un décret de Hitler daté du 30 juillet 1944connu sous le titre « Terreur et sabotage », qui meten route le démantèlement de la procédure NN.Les « actes de violence de civils non-allemandscontre la Wehrmacht, les SS et la police » doiventêtre combattus, en ce qui concerne les terroristes etsaboteurs pris sur le fait, en les abattant sur place,ou en les remettant auxmains de la police de sûretéou du SD, s’ils sont pris plus tard.Les complices, (lesfemmes en particulier), qui ne participent pas auxcombats doivent être mis au travail, les enfantsdoivent être épargnés. Presque 3 semaines plustard, le 18 août, est diffusée l’ordonnanced’application, signée une fois encore par Keitel.Elle comprend deux parties. La première ordonnede faire connaître l’ordre du Führer oralement àtous les membres de laWehrmacht, des SS et de lapolice.La seconde— c’est elle qui nous intéresse auplus haut point — va bien au-delà, puisqu’elleprécise, sans lien apparent avec la première,que : lesprocédures judiciaires en cours contre des non-Allemands (selon la définition du décret Keitel)dans les territoires occupés, doivent être interrom-pues, les actes d’accusation doivent être retirés.L’application des peines ne sera plus mise en œuvre.Les coupables seront remis auxmains de la police desûreté et du SD.

En clair, la procédure NN est supprimée, et tousles détenus qui en relèveraient doivent être remisau SD et aller en camp de concentration. Le 9septembre, une réunion de divers représentants desautorités discute des implications de ce texte. Il enrésulte, en tout cas selon le compte rendu qui nousen est parvenu, qu’avec ce texte, le décret Keitel surla procédure NN est devenu « sans objet » (gegens-tandslos). Et le compte rendu précise que, selon undocument écrit de Himmler apparemmentprésenté lors de cette réunion, il reste quelque 24000 détenus, condamnés ou en prévention, qu’il vafalloir remettre au SD dans les meilleurs délais. Onpeut aussi comprendre que des voix se soient faitentendre, sans obtenir de réponse, posant laquestion de l’utilité de cette opération, qui doitentraîner un travail administratif non négligeable.Voici en tout cas enterrée au bout de 3 ans uneprocédure exceptionnellement cruelle. Sonefficacité n’avait pas été démontrée, même si elleavait été particulièrement douloureuse pour sesvictimes et leur entourage. Pourtant, en cet été1944, la guerre n’était pas encore terminée et le sortdes détenus NN que l’on continuera à appeler ainsiet à maintenir au secret, était aussi incertain quecelui des autres détenus des camps et prisons duReich hitlérien.

Effectivement, entre octobre 1944 et février 1945,un certain nombre de camps de concentrationverront arriver des convois de NN. Ce sont descondamnés, ou des détenus dont l’instruction estsuspendue par le décret du 30 juillet 1944. Les NNdu camp du Natzweiler-Struthof sont parmi les

premiers à être envoyés à Dachau, près deMunich, dès septembre, en raison de l’avance destroupes alliées en France. Les détenus duZuchthaus de Sonnenburg sont transférés àSachsenhausen, près de Berlin, des NN belges etfrançais de la zone rattachée au commandementde Bruxelles sont expédiés de diverses prisonsvers Flossenbürg, près de la frontière ouest de laTchéquie, les femmes NN, internées à Lübeck ouWaldheim, partent au camp de Ravensbrück, viaCottbus. Elles y sont rejointes par des femmes NNqui étaient dans diverses prisons, et aboutirontensemble à Mauthausen. Les détenus NN desprisons de Silésie sont envoyés, par des transportsinnombrables, entre octobre 1944 et janvier 1945au camp de concentration de Gross-Rosen,proche de l’Oder. Ce camp lui-même est évacué àla fin de janvier 1945 vers le camp de Mittelbau-Dora, au sud des montagnes du Harz, puis de là,partiellement vers Flossenbürg et Buchenwald.C’est une frénésie de déplacements, souvent loin-tains, en cette période d’avance des Alliés de l’Estcomme de l’Ouest, et de bombardements aériensqui désorganisent tous les transports, en particulierpar chemin de fer. En tout cas, si le décretconcernant les NN est devenu « sans objet », lesdétenus eux-mêmes continuent, dans leurs trajetset une fois dans les camps, à subir les mêmescontraintes. Sur les listes de tous ces convoisfigurent les noms de chacun des prisonniers, suivide la précision NN, pour confirmer qu’ils sont bientoujours au secret.

Pourtant, pour des raisons diverses, les NN decertains lieux de détention échappent, au moins enpartie, aux transferts forcés. Le plus souvent ils’agit de détenus employés à des travaux dans desentreprises ou des ateliers en liaison avecl’industrie de guerre, dont les nazis croient encorequ’elle peut changer quelque chose à l’évolutionde la guerre. Dans des cas de ce genre, lesresponsables attendront jusqu’à la dernièreminute, et en pratique souvent jusqu’au contactavec les troupes alliées pour décider leur départ.Dans quelques cas, les SS appliqueront la directivequ’avait un temps donné Himmler, de ne laisseraucun des détenus tomber vivant aux mains desAlliés (ce sera le cas à Sonnenburg par exemple,où dans la nuit du 30 au 31 janvier 1945 plus de800 détenus dont au moins une quarantaine deNN seront massacrés). Les dossiers sont le plussouvent détruits. En tout cas, pour l’immensemajorité des NN, les derniers mois, les dernièressemaines de la guerre furent épouvantables, avecles évacuations improvisées à pieds, des « marchesde la mort » comme pour les autres catégories dedétenus, ou par le train, parqués sur des wagon-plateaux sans aucune protection, dans le froidglacial d’un des hivers les plus durs de l’époque, ouencore sous les bombes et les mitrailleuses del’aviation alliée qui, croyant voir des concentrationsde troupes nazies, tuait par exemple un millier dedéportés à Nordhausen près de Dora.

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En conclusionPeut-on résumer cette histoire des NN ? Pourterroriser des populations dont la résistance nais-sante menaçait la sécurité des arrières de l’arméeallemande en butte aux premiers obstaclesinattendus en Union soviétique qu’elle s’attendait àécraser au cours d’une campagne-éclair, les nazisrecourent au système des « disparitions ». Desrivalités entre l’armée, et en particulier ses juges,d’une part, et les services de police du parti nazi, SS,Gestapo et Service de Sécurité d’autre part, ontd’abord freiné la mise en œuvre du système. Malpréparé, il se heurtait ensuite à des problèmesd’intendance comme l’insuffisance des lieuxd’internement où le secret indispensable pouvaitêtre garanti, tribunaux spéciaux disposant d’unpersonnel et de locaux suffisants etc.. C’était aussisans compter avec l’évolution de la guerre, etsurtout avec les bombardements toujours plusfréquents et plus efficaces, qui obligèrent à destransferts répétés de prisonniers, contraignant lesmembres des tribunaux eux-mêmes à des déplace-ments constants, et entraînant de considérablespertes de temps. Enfin les destructions imposèrentfinalement le transfert de tous les protagonistes decette procédure à l’autre bout de l’Allemagne, et ladésignation d’autres tribunaux, qui devaientreprendre à zéro toutes les procédures. Cette massed’inconvénients dans l’application d’une mesuredont, par ailleurs, il devenait jour après jour plusévident qu’elle ne suffisait pas à freiner le dévelop-pement d’une résistance devenue efficace finit parrendre son abandon préférable à un maintienaléatoire. De toute façon, la Gestapo avait cessédepuis longtemps de se conformer à un juridisme deprincipe pour utiliser arbitrairement les seulsaspects de la procédure qui lui convenaient.On peutdonc parler d’un échec, au moins relatif.

Quel prix les déportés résistants des pays soumis àcette législation d’exception ont-ils dû payer ? Il estdifficile de répondre à cette question, la plupart desdocuments ayant disparu. Il n’y a par exempleaucun chiffre permettant de savoir combien laGestapo a déporté de personnes dans le cadre deson interprétation propre du décret Keitel, c’est-à-dire en expédiant directement ses victimes dans les

camps de concentration. En ce qui concerne les« vrais » NN, l’abbé de la Martinière a fait pour laFrance un travail immense, qui lui a permisd’avancer le chiffre approximatif de «5 000 à 6 000».Par contre on dispose de chiffres pratiquementcomplets en ce qui concerne les condamnations àmort suivies d’exécution dans le cadre de cetteprocédure.Ce chiffre total est de 457, et il en ressortune énorme différence entre les jugements pronon-cés par les quelques tribunaux spéciaux provinciauxqui ont eu à juger des NN, et le Tribunal du peuple.Sur les 457 guillotinés4, 381 ont été condamnés parle Tribunal du peuple, les tribunaux spéciaux étantresponsables de 76 exécutions, 34 pour Essen, 20pour Cologne, 16 pour Breslau et 6 pour Oppeln.Parmi les usines de mort qu’étaient certaines pri-sons (il y a eu près de 16 000 exécutions de civilsentre 1940 et 1945), celles qui ont fait disparaître leplus grand nombre de NN ont été celle de Cologne-Klingelpütz, avec 144, de Dortmund avec 85 et deWolfenbüttel avec 55. Derniers chiffres, concernantla répartition par nationalités des NN exécutés dansles prisons allemandes : 258 Belges, 144 Français, 25Néerlandais et 15 Norvégiens.

Le système nazi n’a à aucun moment reculé devantdesmesures considérées dans les pays de civilisationoccidentale comme échappant aux règles classiquesdu droit, par des lois rétroactives, des arrestations etmaintien en détention sans jugement ni indicationde durée, des assassinats arbitraires, individuels oude masses, bien d’autres encore. La procéduredécoulant du décret Keitel entre bien entendu dansce cadre. J’ai déjà dit que le maréchal Keitel avaitété réticent, et avait cherché à en laisser laresponsabilité à Hitler, qui l’avait exigée. Devant letribunal militaire international de Nuremberg, le 6avril 1946, l’interrogateur anglais Sir Maxwell-Fyfe,lui demanda de lui indiquer, parmi les actes qu’ilavait accomplis, selon ses propres termes, « encontradiction avec sa voix intérieure »,quels étaientles trois plus graves. Keitel cita d’abord deuxexemples, mais conclut : « C’est sans doute enpremier lieu le décret Nuit et Brouillard, avec sesconséquences réelles et plus tardives,que j’ignorais »,et il ajouta : « tels ont sans doute été les plus durscombats que j’ai menés contre moi-même ».

Il serait juste, pour conclure cette étude, dereprendre certains jugements de l’Abbé Joseph deLa Martinière, ancien NN, dont les travaux fontautorité dans ce domaine. Il ne faisait pas partie, entout cas, de ces déportés qui pensaient, de par leurappartenance à la catégorie NN, faire partie d’« unesorte d’aristocratie de la déportation », une idée qui aparfois poussé certains à s’affirmer NN, alors qu’ilsn’avaient pas été soumis à cette procédure.Voici cequ’il disait : « Les NN ont-ils souffert plus que lesautres ? Je me garderais bien de l’affirmer. La prisonest, à tout prendre, moins éprouvante que le camp deconcentration.Mais il est vrai que la plupart des NNont connu soit Hinzert soit Natzweiler pourcommencer, et un camp de concentration pour

Le Kommando de lacharrette, Hinzert. Dessinà l’encre sur papier del’abbé Jean Daligault.

©Musée

delaRésistanceetdelaDéportationde

Besançon.

4 - Les décapitations « à la hache »,légalement en pratique danscertaines régions d’Allemagne avantle nazisme, avaient été suppriméestotalement en 1936-37. En août1942, les procès contre les NN vontcommencer. Il faut s’attendre à descondamnations à mort. Comme ilsont agi « sur la base de leurs convic-tions personnelles et, de leur pointde vue pour des motifs honorables»,la question se pose de savoir s’ilsseront exécutés « de façon militairepar fusillade ». Le ministère de laJustice refuse et précise que « selonle droit en vigueur seule l’applicationde la peine de mort par décapitationest envisageable ». Par ailleurs leHaut-Commandement de l’Armée(OKW) avait précisé que les exécu-tions de condamnés à mort par leConseil de guerre du Reich (le plushaut tribunal militaire) auraient tou-jours lieu par la guillotine.

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MEMOIRE VIVANTE N°59/13

terminer. Il est probable qu’ils sont décédés propor-tionnellement en plus grand nombre que les non NN,mais il faut remarquer que leur captivité a étésouvent sensiblement plus longue. Leur suppressionsystématique, programmée dans les dernièressemaines des hostilités, n’a pas eu lieu, à part quelquesexceptions ». Il était cependant, nécessaire, pourl’abbé de La Martinière, de « rendre aux déportésNN l’hommage auquel ils ont droit, comme lesautres, alors qu’ils sont souvent méconnus, considéréscomme « quantité négligeable », par rapport à lamasse des « concentrationnaires ».�

Jean-Luc Bellanger

Quelques références incontournables sur le sujet

- LOTHAR GRUCHMANN, « Nacht und Nebel »-Justiz.Vierteljahresheftefür Zeitgeschichte, Stuttgart, juillet 1981 (54 pages - non traduit)Karol Jonca-ALFREDKONIECZNY,Nuit et brouillard,NN,L’opération terroriste nazie,publié par l’Association « Souvenir de la Déportation NN », 1981.- LA MARTINIÈRE JOSEPH (de),Le décret et la procédure Nacht undNebel (Nuit et brouillard), FNDIRP, 1989- LA MARTINIÈRE JOSEPH (de),La procédure Nuit et Brouillard,Nomenclature des déportés NN, publié à compte d’auteur, 3 tomes, 1997

Un article récent publié dans lebulletin trimestriel de la Fonda-tion Auschwitz1 sous la plume de

Lucie TAÏEB, doctorante en littératurecomparée à l'Université de Paris IV,donne un éclairage, intéressant notremission à bien des égards, sur laconstruction de la mémoire du passé dela nation argentine.Rappelons les faits : de 1976 à 1983, unedictature militaire de type fascisant s’estinstallée au pouvoir sous la houlette dugénéral Videla.La lutte opposait d’un côté « les forcesde l’ordre » qui depuis longtempsattendaient leur heure en cherchantà déstabiliser ou discréditer le pouvoir enplace pour se substituer à lui, résultatatteint avec le putsch du général Videla,et de l’autre côté les « subversifs »,groupes révolutionnaires héritiers dupéronisme qui entretenaient un climatde guérilla armée.Tout comme Hitler et la Police secrèted’État à l’ère nazie, la dictatureargentine s’attaqua à l’oppositionintérieure avec une sauvagerie et unecruauté débridée, séquestrant, torturantsans retenue, faisant fi du droit,enfermant dans des centres clandestinsde détention pour ensuite assassiner etfaire disparaître les corps des victimes.Du déjà vu… certains criminels nazisavaient il est vrai savamment conseilléla junte jusqu’à son accession aupouvoir. Le système d’élimination des« subversifs » s’accompagnait d’unepropagande destinée à masquer et enmême temps faire accepter par le reste

de la société ce qu’elle ne pouvaitignorer. La répression activa 340 campsde détention-concentration où sepratiquaient « la disparition » des indivi-dus au terme d’un processus dedéshumanisation plus ou moins longdans lequel la torture tenait une placeessentielle. Aujourd’hui encore les corpsde trente mille disparus n’ont pas étéretrouvés.

L’auteure de cette étude montrecomment un pays et sa capitale tententde se réapproprier un passé et des lieuxqui furent théâtres et témoins deshorreurs commises par le régime.Elle établit une chronologie mémoriellequi débute au lendemain de la guerredesMalouines, terme de la dictature, parune phase de transition fondatrice dela démocratie. Cette phase permit larecherche de la vérité et la reconstructionde ce qui s’était passé, interrogeantdes témoins survivants, pratiquant desfouilles pour retrouver les corps desvictimes et tenter de les identifier.

Mais bientôt les témoignages dessurvivants, qui permirent dans unpremier temps l’émergence de la vérité,furent, dit-elle, englobés dans une visionmédiatique des événements qui eutl’effet pervers de contribuer précisémentà ce qui avait été l’un des objectifs desmilitaires au pouvoir : sa banalisation.Les témoignages viennent rompre lesilence porté par l’amnésie. Au début, ilsne représentaient qu’une rumeur quicirculait (…) à l’étranger. Puis la rumeur

a enflé (…) et fini par se faire entendreavec de plus en plus d’urgence. Après lachute des militaires (…) ce fut comme unraz de marée qui déferla sur « l’opinionpublique » et l’engloutit.(…) Lamémoirea pu se manifester et se constituer enmémoire collective grâce aux médias,mais parallèlement, son impact en a faitun produit de consommation. Dans biendes cas, il ne s’agissait plus de chercherà intégrer la réalité des camps deconcentration à une réflexion critique,mais de la consommer (…).

Ces quelques lignes sont essentielles etéclairantes pour le travail de mémoiremené dans et autour de la Fondationpour la mémoire de la Déportation sur lapériode nazie et les camps de la mortqu’elle a institutionnalisés, qu’ils aient euune vocation répressive ou génocidaire.Elles soulignent le risque que représenteune surconsommation de l’horreur,desservant à terme l’analyse critiqueet la compréhension « politique ethistorique » des phénomènes.La connaissance des faits et des crimesapparaît bien et c’est aussi notreconviction profonde, comme indissocia-ble de l’étude des mécanismes qui ontfavorisé l’apparition de la barbarie et ledéchaînement des violences et descrimes de masse.C’est par ce double cheminement que seconstruit positivement la mémoire.

Yves Lescure

1 - N°99 avril-juin 2008, Éditions du centre d’études et dedocumentation-Mémoire d’Auschwitz p 63 à 74.

Réflexion

De l’usage de la mémoire :le cas de la dictature militaire en Argentine

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14/MEMOIRE VIVANTE N°59

Créé en 1998 à l’initiative de la Fondationde la Résistance, rejointe par la Fondationpour la mémoire de la Déportation et parla Fondation Charles de Gaulle, leconcours organisé pour le cycle 2007-2008a connu une participation exceptionnelleavec 109 photos envoyées, réalisées parun panel de 34 élèves de lycées et 33

élèves des collèges, représentant autotal 39 filles et 28 garçons de 15départements. Un résultat auquell’information relayée par l’Association desprofesseurs d’Histoire et de Géographien’est pas étrangère.Les lieux de mémoire objet des travauxphotographiques reçus couvraient une

gamme étendue, stèles (Villedieu surIndre, Orion), monuments commémoratifs(Montélimar, Vercors, Ascq, Cassel, Douai,etc.), cimetière américain (Saint Laurentsur Mer), carré de fusillés (cimetièred’Ivry), vestiges de sites authentiques (capGris-Nez, Ligne Maginot, Oradour,Natzweiler-Struthof, Auschwitz, Bergen-

Concours annuel de la meilleure photographiePalmarès 2008

Poème de Charlotte DELBO, déportée à Auschwitz et Ravensbrück, tiré de Aucun de nous ne reviendraet accompagnant la photo D’Antony Picard.

O vous qui savezsaviez-vous que la faim fait briller les yeuxque la soif les ternitO vous qui savezsaviez-vous qu’on peut voir sa mère morteet rester sans larmesO vous qui savezsaviez-vous que le matin on veut mourirque le soir on a peurO vous qui savezsaviez-vous qu’un jour est plus qu’une annéeune minute plus qu’une vie

O vous qui savezsaviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeuxles nerfs plus durs que les osle cœur plus solide que l’acierSaviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pasqu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvantequ’un mot pour l’angoisseSaviez-vous que la souffrance n’a pas de limitel’horreur pas de frontièrele saviez-vousvous qui savez ?

Premier prix Anthony Picard

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MEMOIRE VIVANTE N°59/15

d’un lieu de mémoire

Belsen, mur du ghetto juif de Cracovie,voie ferrée etc.).Au terme de ses délibérations, toujourstrès discutées compte tenu de la qualitéde la plupart des travaux, le Jury a primétrois photos et accordé une mention.Le premier prix a été décerné à AnthonyPicard, élève de bac Pro ELEEC à l’écoleindustrielle de Rouen dont la photoreprésente l’intérieur d’une baraque ducamp des femmes d’Auschwitz. Elle estreproduite ci après ainsi que le texte quil’accompagnait.Le deuxième prix a été décerné à MarieKovalenko, élève de 3e à l’externat SaintJoseph La Cordeille à Ollioulés (Var) pourla photo d’une jeune fille devant la voieferrée qui entre dans le camp deBirkenau, prise à l’occasion d’un voyage àAuschwitz avec sa classe.Le troisième prix enfin a été décerné àValentin Guinet, élève de 3e à l’externatde Saint-Joseph La Cordeille à Ollioulés(Var), pour la photo prise devant les stèlesde Birkenau.La force évocatrice du site d’Auschwitz asans doute été déterminante dans lechoix du jury. Mais il faut savoir que ledébat a été vif et que les autres photosn’ont pas démérité pour autant.Un conseil pour l’année prochaine : soi-gner le texte d’accompagnement, il faitsouvent la différence entre deux photosde qualité équivalente.�

Texte d’accompagne-ment joint par MarieKovanenko :

« Cette voie d’entrée,cette entrée maudite,si redoutée.Que fait donc cettejeune fille au bout decette voie sans issue ?Peut-être est-elle pen-sive ou triste ; peut-êtrevient-elle pour qu’on neles oublie pas.Les fleurs faneront, lajeune fille vieillira, lesbâtiments se dégrade-ront et les rails se rouil-leront, mais l’épouvanta-ble acte nazi sera tou-jours aussi horrible, etceci ni lavieillesse, ni le temps, nepourra le changer. »

Texte d’accompagnement joint par Valenti Guinet :

« À la Mémoire des hommes, des femmes et des enfants qui ont été victimes dugénocide nazi. Ici reposent leurs cendres. Que leurs âmes restent en paix.Ce message est gravé dans 4 stèles en marbre en différentes langues. Ces stèles setrouvent au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.Derrière ces stèles, les ruines des chambres à gaz qui ont fait plus d’un million demorts. Il n’y pas de mot pour décrire ce que l’on ressent. Cette jeune fille représentel’espoir car malgré tous ces morts, certaines personnes ont réussi à survivre commeCharlotte Delbo, ancien déporté à Auschwitz. La fille tient une bougie pour ne pasoublier ce qui s’est passé. Elle leur rend hommage. »

Deuxième prix Marie Kovalenko

Troisième prix Valentin Guinet

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Mémoire Vivante - Trimestriel édité par la Fondation pour la mémoire de la Déportation - A. S. B. L. reconnu d’utilité publique (décret du 17 octobre 1990)Placée sous le haut patronage de M. le Président de la République - SIRET 380 616 433 00047 APE 913 - C. C. P. 19. 500 23 W Paris - 30, boulevard des Invalides - 75 007 PARIS

Tél. : 01 47 05 81 50 - Télécopie : 01 47 05 89 50 - internet : http://www.fmd.asso.fr - Email : [email protected] numéro a été réalisé par les éditions Tiresias, 21, rue Letort - 75 018 Paris, maquette, création, mise en page par Patrick Puech-Wilhem

sous la direction artistique de Michel Reynaud - Impression : LUSSAUD - N° 59 décembre 2008 - Dépôt légal : décembre 2008Directeur de la publication Marie-José Chombart de Lauwe - Directeur de la rédaction Jean-Luc Bellanger - Rédacteur en chef Yves Lescure

Commission paritaire N° 0708 G88240 - ISSN 1253-7535

Le DVDROM « Mémoires dela Déportation »Un outil pédagogique créépar la Fondation pour laMémoire de la Déportation.

En 2004 la Fondation pourla Mémoire de laDéportation a produit undvdrom intitulé « Mémoiresde la Déportation », tiré ducdrom du même nomauquel de nombreuses

améliorations ont été apportées et qui constitue un outilpédagogique remarquable.Son contenu adapté aux besoins d’un enseignement toutautant qu’au public visé, permet de préparer des parcours« à la carte » en choisissant les séquences et les documentsà montrer, films d’archive, photos, textes, dessins,organigrammes complétés par une cinquantaine d’extraitsde témoignages qui permettent d’illustrer un thème ouun camp selon les choix du présentateur. La raréfactioncroissante des témoins rend ces témoignages enregistrésd’autant plus utiles.Il comporte les rubriques suivantes :Contexte français et nazi, système concentrationnaire,arrestations, internement, ghettos, Einsatzgruppen,camps de concentration, centres d’extermination, marchesde la mort libération des camps, retour, accueil en France,mémoire... avec les voix de Catherine Deneuve, RichardBerry, Hubert Saint-Macary.Au total 35 heures de navigation possible, avec des

possibilités de navigation simples, souples et rapides.Disponible sur simple commande à la Fondation pour lamémoire de la Déportation au prix de 25 €(port en sus).

Matricule 34534(Roger Gouffault)Déporté à MauthausenÉditions « Écritures ».

Après son premier livreQuand l’homme sera-t-ilhumain Roger Gouffaultrevient sur sa vieconcentrationnaire surlaquelle il porte un regarddistancé, pensé et précis.Il retrace son parcours,sa résistance,son arrestation,sa déportation puis consa-

cre deux parties centrales au camp principal deMauthausen pour finir sur son retour et les difficultés ren-contrées dans la France en reconstruction.Avec l’appui de la fraternité Edmond Michelet et de la villede Brive-la-Gaillarde, la Société Pyramides Productions aproduit un film, réalisé par Patrick Séraudie représentant23 heures d’enregistrement où sont évoqués les camps deMauthausen, Ebensee et Gusen. Se renseigner auprès de laFraternité Edmond Michelet ou de Pyramides Productions.(Centre d’Études Edmond Michelet, 4 rue Champanatier,19100 Brive-le Gaillarde, tél : 05 55 74 06 08)

Publications ou productions recommandées

À l’initiative de Roger Tardivel1,ancien déporté résistant, prési-dent de l’ADIF (Association des

Déportés Internés et Familles dedisparus) des Bouches du Rhône, lelocal associatif acquis par cette associa-tion départementale en 1958, àMarseille, 8 rue Sainte dans le premierarrondissement, a été dévolu à laFondation pour la mémoire de laDéportation en 2007 pour y poursuivreles actions de mémoire sur le départe-ment et tout particulièrement cellesen faveur du Concours national de la

Résistance et de la Déportation. Lelocal, qui conserve les archives de l’ADIFet reste ouvert à ses anciens membres,est désormais le siège de la délégationdes Bouches du Rhône des Amis de laFondation présidée par Madame RenéeLopez, professeur retraitée d’Histoire etGéographie. Il devient le centre dépar-temental d’animation de la mémoiredont se voulait porteuse l’ADIF mainte-nant dissoute et son président, auquella Fondation exprime sa reconnaissanceen l’assurant qu’elle veillera à la fidélitédu message transmis.

L’Amicale départementale de Sachsen-hausen y a également installé sonsiège depuis peu. Ce lieu devient doncun centre de convergence du mondede la Déportation en Bouches duRhône, conformément aux vœux duprésident Tardivel et de sonAssociation.

1 - Arrêté en août 1940 pour acte de résistance, l’un destout premiers résistants déporté dans le Reich en juin1941, réussit après presque 5 ans de captivité à s’évaderlors de son évacuation par les nazis de la prison deZwickau

Vie associative

Un exemple de synergie et de coopération