Milhaud Gaston Descartes Savant

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  • MAY 7- 1964

    WEST VIRGINIA UNIVERSITYMEDICAL CENTER LIBRARY

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  • WVU - Mdical Center Library

    Locked Cage B 1875 D453m cl WVMJDescartes savant, / Milhaud, Gaston Samuel

    3 0802 000007475 4

    OlD BOOKSB1875

    1921

    MOT C'IRCUU.

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    in 2009 witin funding fromLyrasis IVIembers and Sloan Foundation

    littp://www.arcliive.org/details/descartessavantOOmilh

  • BIBLIOTHQUEDE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

    DESCARTESSAVANT

    GASTON MILHAUDProfesseur la Sorbonne.

    PARISLIBRAIRIE FLIX ALCAX

    1U8, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, VI'

  • JAl^i G 1934

    WEST VIRGINIA UNIVERSITYMEDICAL CENTBR LIBRARY

  • j..a G 1954

    WEST VRGIMIA U^JVERSMMEDICAL CENTER LIBRA.^ ;

  • DESCARTES SAVANT

  • A LA MME LIBRAIRIE

    DU MME AUTEUR :

    Essai sur les conditions et les limites de la certitudelogique (1 volume in-10).

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    Nouvelles tudes sur l'histoire de la pense scientifique(1 volume in-8).

  • DESCARTES SAVANT

    GASTON MILMAUDProfesseur la Sorbonne

    PARIS

    LIBRAIRIE FLIX ALGAN108. BOULEVARD S AINT-GE il M A I N , 1 (H

    1921

    Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation r:iercspour tous pai/s.

  • misj^ ^5'i

  • DDICACE

    A la mmoire de ni07i jrrc, Marcel Milhaud, commandant'd'artillerie au dbut de la guerre^ -promu lieutenant-colonel le8 mai 1915, mort le 28 septembre 1916 des suites d'une graine mala-die contracte sur le front, officier de la Lgion dliojuieur, dcorde la croix de guerre.

    Les documents officiels ont rendu hommage son courage, son sang-froid, sa comptence technique, aux grands servicesqiiil a rendus : ces documents je prfre pourtant ce tmoi-gnage de ceux qui V ont vu Vuvre, tmoignage qui, par suitedes circonstances, tiest pas devenu citation officielle, mais quirsume avec le plus de vrit son rle dans la guerre :

    Officier suprieur distingu, actif, extrmement dvou, enoctobre 19 14 a assum, en plus dti commandement de son groupe,la tche de lieutenant-colonel d'une artillerie divisionnaire; a ins-tall, en pleine bataille, un grand yiombr de batteries, se dpen-sant jusqu' l'extrme limite de ses forces; a organis avec desmoyens prcaires leur liaison avec l'infanterie, et pendant plusieurssemaines, coordonn heureusement leurs tirs avec nos contre-atta-ques; a ainsi contribu pour beaucoup l'arrt de la pousse alle-mande vers Cambrin et Vermelles.

  • AVERTISSEMENT

    Parmi les tudes contenues dans cet ouvrage, quelques-unes sont indites ; les autres ont paru dans la Revue phi-losophique, la Revue de mtaphysique, la Revue gnraledes Sciences et Scientia. Lorsque Gaston Milhaud a tenlev si brusquement, si prmaturment, la profondeaffection de sa famille, de ses amis et de ses lves, il avaitdcid de runir ces travaux sous le titre commun quileur est donn, et qui avait t celui de ses cours laSorbonne en 1917 et 1918. 11 avait mme revis, en vue decette impression, le texte de ceux qui avaient dj paru,et fix Tordre des chapitres : toutes les diffrences qu'onpourra relever entre le livre et les articles proviennentdes corrections qu'il y a apportes lui-mme.

    Il avait aussi l'intention de consacrer Descartessavant de nouvelles tudes, qui auraient peut-tre puconstituer un second volume et qui auraient justifi pluscompltement encore l'tendue de ce titre. On n'a pas crucependant devoir y renoncer, ou mme le modifier : carsi l'ouvrage, tel qu'il parat, n'puise pas en extension lascience cartsienne, ;' n'en marque pas moins trs nette-ment, en particulier dans le cliapitre xi, les caractresgnraux qui en dominent tout l'ensemble.

    Ce livre aurait t publi beaucoup plus tt sans lacrise si grave que traverse en ce moment la librairiescientifique et philosophique en France. Mme aujour-d'hui, ce n'est pas sans de grande' difficults qu'il a puparatre. Mais on a pens qu' moins d'empchementabsolu, on devait mettre la disposition des tudiants etdes hommes de science un ensemble de travaux si utiles,si nouveaux, et dont l'auteur runissait la pntrationd'un esprit suprieur, la double comptence profession-nelle, actuellement si rare, d'un savant et d'un philo-sophe.

  • INTRODUCTION

    LA QUESTIONDE LA SINCRIT DE DESGARTES

    Les travaux publis sur Descartes depuis le xvii^ si-cle sonL en nombre considrable

    ;je ne crois pas pourtant

    qu'ils fournissent les lments d'une tude srieuse et dfi-nitive de son uvre scientifique. Il y a cela bien des rai-sons.

    Tout d'abord la plupart de ces travaux sont dus deshommes qui, faute d'une comptence suffisante, n'ontgure pu porter des jugements personnels sur les probl-mes traits par notre philosophe. En gnral, d'ailleurs,s'ils ont mentionn en passant tels ou tels dtails emprun-ts la Gomtrie, ou la Dioptrique, ou aux Mtores,ou mme la Correspondance, ils ont insist sur lestendances mcanistes de la Physique de Descartes, surl'limination systmatique des formes substantielles, descauses finales, etc., portant ainsi l'attention sur les carac-tres que Descartes lui-mme et jugs essentiels dansson uvre, mais donnant en fin de compte peu d'informa-tions prcises sur ces contributions au dveloppement dessciences positives.

    En second lieu, reconnaissons-le : le ton sur lequel ona parl du rle scientifique de Descartes a t fort peuscientifique lui-mme, et n'a pu atteindre, aprs bientttrois sicles, la vritable impartialit que rclame l'His-toire.

    D'un ct on se croit ol)lig un pangyrique constant.De Baillet Alfred Fouille, en passant ]^nr Bordns-Des-

  • 10 DESCARTES SAVANT

    moulins, c'est la mme note. Tout est parfait, tout estadmirable dans les ides dont Descartes a enrichi lessciences humaines ; dans les disputes o nous le trouvonsengag avec quelques-uns de ses contemporains, c'est tou-jours lui qui voit juste. Le progrs naturel des ides sem-ble parfois lui apporter un dmenti : Newton, par exem-ple, semble rduire nant une partie de sa Physique,comme Leibniz semble au moins corriger la Mcanique. Erreur ! Tous ceux qui sont venus aprs lui n'ont faitque dvelopper les germes nouveaux, qu'en initiateur, encrateur, il tait venu rpandre sur les ruines de la scienceantrieure... Ce n'est pas seulement la philosophie, c'est,dans tous les ordres d'ides, toute la science moderne quiest suspendue, comme son premier anneau, aux recher-ches de Descaries.

    Et, d'un autre ct, il faut voir la svrit avec laquelleces recherches sont apprcies par certains esprits qu'ef-fraie la Mtaphysique de leur auteur, depuis Voltaire jus-qu' M. Lon Bloch, ou par des historiens vraiment troppartiaux comme Poggendorf... Tous ne vont pas jusqu'rpter avec Voltaire que les efforts de Descartes n'ontabouti qu' retarder de, cinquante ans le progrs de laScience humaine, mais tous insistent sur l'insuffisancede ces efforts auxquels manquaient par trop les caractresde la vraie positivit (1).

    Est-ce dire qu'il ne s'est pas trouv, pour apprcierles travaux scientifiques de Descartes, des hommes lafois comptents et impartiaux ? Ce serait oublier les excel-lentes tudes de Bonasse et de Duhem sur quelques ques-tions de mcanique, les notes dont Paul Tannery a enrichila Grande Edition, les notes historiques et critiques dePierre Boutroux sur la Gomtrie analytique, et par-des-sus tout, pour remonter plus haut, les prcieuses indica-tions de Montucla, dans son Histoire des Maihmatiqueset de la Physique, indications oii ont si abondammentpuis les rcents historiens des sciences. Du moins lespremiers n'ont envisag que quelques problmes sp-ciaux. Tannery, dans ses notes varies, si instructives

    (1) Comte fait ici exception : mais c'est dans la logique de son sys-

  • LA QUESTION DE LA SLNCRIT DE DESCARTES 11

    fussent-elles, n'a pas song non plus parler, en un seulchapitre complet, d'une uvre dtermine de Descartes.Et, quant Monlucla, outre que ses informations sontparses dans son grand ouvrage, et qu'il faut les y cher-cher comme en un dictionnaire, il n'avait pas sa dispo-sition les moyens de travail que nous pouvons utiliseraujourd'hui (1).

    Je ne crois donc pas faire uvre inutile ou vaine enpubliant cette srie d'tudes. Elles n'puisent pas le sujet.En particulier, le lecteur trouvera ici peu de rflexionssur les caractres gnraux de la Physique cartsienne,sur la thorie des Tourbillons, sur le Mcanisme cart-sien, sur l'extension systmatique de ce mcanisme labiologie. C'est que vraiment, en ce qui concerne ces con-ceptions gnrales, il m'a sembl que tout ce qui peut treajout d'intressant, sous forme de commentaire, auxpages mmes de Descartes, a t dit et redit cent fois... Jeme suis born lucider les points les plus obscurs, outout au moins ceux sur lesquels une mise au point, sinonune apprciation nouvelle, tait ncessaire, et je me suisattach aux problmes par lesquels Descartes pourrait leplus lgitimement, quoi qu'il en et pens lui-mme,rclamer une place fort honorable dans les progrs effec-tifs des sciences positives. Enfin, si je me suis proccupdu lien qui relie ses travaux sa pense intgrale, j'ai eu cur de marquer aussi leur troit rattachement aux effortsde ses prdcesseurs et de ses contemporains.

    J'ai peine besoin de dire avec quel profit j'ai utilis laGrande Edition d'Adam et Tannery, et toutes les notes ettous les commentaires dont elle est pleine, en particulierle Journal de Beeckmann (Tome X), si riche en informa-tions. Mais j'ai tch aussi et surtout de comprendre Des-cartes lui-mme, soit dans les textes publis par lui, soitdans les crits posthumes, soit dans sa Correspondance.Et si quelque nuance est signaler dans ma manire de

    (1) Je ne parle pas des beaux livres de Liard et de Ilamelin, parceque, quoiqu'ils aient louch l'un et l'autre, et de la faon la plus intel-ligente, aux travaux scientifiques de Descartes, ils n'ont pas eu la pr-tention d'analyser l'uvre, ni dans son ensemble, ni dans ses dtails.Il3 se sont borns envisager quelques-unes des grandes lignes, et ontvoulu surtout marquer la place de la Mattimatique ou de la Physiquecartsienne dans le systme intgral de la pense du philosophe.

  • i2 DESGARTES SAVANT

    procder ici, compare celle de la plupart des commen-tateurs, je dirai trs simplement que je. crois, plus sansdoute qu'on n'y a cru jusqu'ici, la sincrit de Descartes.

    Expliquons-nous. Si pour reconstruire riiistoire de sapense, et en particulier l'origine de ses conceptions, ons'en fiait purement et simplement ses affirmations, onrisquerait souvent de taire fausse route. D'abord il n'a pasconscience, en quoi il ressemble beaucoup d'autrescratures humaines, de l'apport dans son esprit dutemps et du milieu o il vit, et il exagre son originalit propos d'ides qu'a mries le travail collectif de ses con-temporains. Non seulement il ne voit pas alors tout cequ'il reoit du dehors, mais tout naturellement il croitpouvoir montrer comment y ont abouti ses efforts les pluspersonnels, comment l'y ont conduit, par exemple, saMthode ou sa Mtaphysique. Ce sont l des constatationsqu'il est permis de faire sans incriminer le moins dumonde sa bonne foi.

    Il est ais, d'autre part, de noter un assez grand nombrede circonstances oii Descartes volontairement ne donnepas sa pense complte.

    Tels sont d'abord les cas o il se refuse indiquer aulecteur ou quelque correspondant comment il est par-venu d'intressants rsultats mathmatiques. Ses lettres cet gard fourmillent d'exemples. L'insistance du P.Mersenne ou de tel autre de ses amis le fait parfois sortirde sa rserve, comme pour les problmes de la Gylode etpour les courbes de de Beaune, mais le plus souvent nouspouvons parcourir toute sa correspondance sans tre ren-seigns sur les chemins qu'il a suivis. Dans tous ces cas,il nous le dit lui-mme, il se refuse donner des armes ses rivaux, ceux i)ar qui, tort ou raison, il se croitsans cesse provoqu, en faisant connatre les mthodesqui lui ont servi.

    Mais mme quand il accompagne l'nonc de quelquevrit d'une dmonstration complte, il nous est permisde douter que celle-ci l'ait vraiment conduit celle-l ;rien n'empche, sans mettre en cause sa bonne foi, etquoiqu'il n'en dise rien lui-mme, de supposer la dmons-tration construite aprs coup. On en trouvera un exemplesaisissant propos de la loi de la rfraction, et de la

  • LA QUESTION DE LA SINCRIT DE DESCARTES 13

    dmonstration qu'en donne la Dioptrique. Pas plus qu'Fermai, il ne nous parat.admissible que la loi des sinusait pu jaillir dans la pense de Descartes d'une semblabledmonstration, et on s'explique que la mme impressionproduite sur la plupart des lecteurs ait t pour beaucoupdans l'accusation de plagiat, dont nous trouvons et ldes traces aujourd'hui, quoiqu'elle ne me semble pasrsister un examen srieux. Il sera permis, je crois, d'af-firmer que Descartes a pu parvenir spontanment sa loipar une autre voie que par sa trop fameuse dmonstration,mme si nous ne pouvons avec prcision indiquer quelleest cette voie, et qu'il a construit ensuite, pour y con-duire les autres, le raisonnement ses yeux le plus simpleet le plus objectif. Gela sera permis, dis-je, sans qu'on aitle droil-de contester sa sincrit.

    Et enfin, dans cet ordre d'ides, il faut bien accepter,quand il a pris la rsolution de voyager, pour lire dans legrand livre du monde, quand son principal souci est detirer des enseignements des hommes et des choses quipassent dans ses yeux, il faut bien accepter que cetteproccupation reste au fond de son esprit, et que rien nela dcle dans son attitude, dans ses conversations, dansses occupations, dans les fonctions qu'il est amen rem-plir. N'est-ce pas l le sens de ces mots consigns par luidans ses notes intimes :

    Ut comdi, moniti ne in fronte appareat pudor, per-sonam induunt, sic ego, hoc mundi thealrum. conscensu-rus, in quo hoctenus spectator exstiti, larvatus pro-deo (1).

    On a voulu parf(tis s'appuyer sur ce texte pour montrerque Descartes, de son propre aveu, n'hsite pas dgui-ser sa pense, dans l'expression qu'il en donne. Toutcependant tend faire remonter cette rflexion aux annesde jeunesse, et tout particulirement aux jours o, engagvolontaire dans les armes du duc de Nassau ou du princede Bavire, il peut sembler au premier venu tout absorbpar des fonctions militaires quand sa vritable penseest ailleurs. Parmi les notes au milieu desquelles se

    (1) CorjUaUnnes privatx. Adam et Tannery. t. X. p. 213.

  • 14 DESCARTES SAVANT

    trouve celle phrase, il en est une qui vise, propos de lapression des liquides sur le fond des vases, un entretienrcent avec Beeckmann ; nous avons la date de cet entre-tien par le journal du savant hollandais : il remonte l'hiver 1618-1619. D'autres sont des essais de rsolutiond'quations du 3^ degr. Par leurs notations cossiques, etpar leur nature, elles correspondent exactement ce quedit Descartes son ami dans sa lettre du 26 avril 1619. D'autres enfin sont des penses sur les potes et sur les choses Olympiques qui se retrouvent, d'aprs lersum qu'en donne Baillet, dans les Olyinpica, manifes-tement rdig- vers la fin de 1619. Ailleurs encore, nousretrouvons sur la prtendue loi de la chute des corps desides que Descartes expose Beeckmann dans un m-moire de la mme anne... Et alors, si notre interprtationdu texte cit semble naturelle, il ne peut encore aboutirqu' nous montrer, dans des circonstances particulires,notre philosophe ne se livrant pas tout entier, ce qui nesaurait se confondre avec un manque de sincrit.

    Ces remarques faites, et tout malentendu de ce cttant cart, d'o pourrait nous venir, au sujet de Des-cartes, le soupon de mauvaise foi ? Disons-le tout desuite, il est difficile un historien des sciences de ne passe laisser plus ou moins impressionner par les innom-brables accusations de plagiat qui ont commenc se pro-duire de son vivant, et qui n'ont fait ensuite ques'aggraver. De son vivant, les accusateurs sont des savantsqui, pour la plupart, ont maille partir avec lui, commeRoberval ou comme Beaugrand, et la rigueur on pour-rait penser que l'pret des querelles, les coups qu'ilsreoivent eux-mmes de Descartes, leur ont mis un ban-beau sur les yeux. Mais que dire quand, aprs sa mort,il s'agit de savants comme Vossius ou comme ChristianHuygens

    ;quand il s'agit de Newton et de Leibniz, pour

    ne citer que les principaux noms ? Le fait est qu' forced'entendre rpter que la loi des sinus a t voleSnellius,que l'explication de l'arc-en-ciel a t emprunte deDominis, que l'essentiel de la thorie des quations vientde Harriot ou de Vite, etc., on s'est habitu admettresans discussion qu'il y a en tout ceci une part de vrit.Et il n'est pas rare de voir ceux mmes qui apprcient et

  • LA QUESTION DE LA SINCRIT DE DESCARTES 15

    nous lont apprcier le mieux la valeur des travaux scienti-(iques de Descaries laisser apparatre et l, en ce quiconcerne sa bonne foi, des rserves, auxquelles d'ailleursil ne semblent pas ajouter une importance extrme,comme si c'tait l chose entendue, et qui en mme tempsne vaut gure la peine qu'on s'y arrte.

    Et cependant, exception faite de la question Snellius, l'origine de laquelle se trouve du moins un fait positif,signal par Vossius et par C. Huygens (le manuscrit hol-landais contenant l'nonc de la loi de la rfraction auraitpass sous les yeux de Descartes), fait positif dont ladate, aujourd'hui souponne, dtruit toute l'importance, je ne connais pas une seule accusation s'appuyant surd'autres preuves que la ressemblance des rsultats. Or,s'il est une leon qui se dgage avec quelques nettet de[Histoire des Sciences, c'est la constatation d'une sortede courant, dominant plus ou moins, une poque, lesrecherches individuelles, et qui, tout en se formant de lavarit indfinie des efforts des savants, les conduit auxmmes vrits.

    Sans doute, pour comprendre la possibilit de sembla-bles rencontres, on dit supposer deux sortes de conditionsgalement indispensables. D'une pa'rt, chez les savantseux-mmes, il faut admettre des dispositions, qui s'a-daptent avec une certaine aisance au mouvement natureldes sciences qu'ils tudient, un temprament de go-mtre, ou de physicien, ou de naturaliste, spontanmentimpressionn par les suggestions les plus dlicates, lesmoins apparentes pour le vulgaire. Disons tout de suite,comme nous serons amens le constater dans ces tudes,que ce fut un degr qu'on ne souponne pas assez, lecas de Descartes. D'autre part, il faut un milieu traverslequel se propagent les ides. Il suffit de lire la correspon-dance de Descartes et du P. Mersenne pour sentir quelpoint ce milieu se trouve constitu autour de notre philo-sophe, bien avant l'existence des points de concentrationque devaient tre les Socits savantes et les Revues. Nousimaginons sans peine ce que pouvaient tre, ct de ceschanges de lettres, les conversations familires avec lessavants franais ou hollandais : un chantillon nous enest, du reste, fourni par Je Journal de Beeckmann. Puis

    2

  • 1(5 DESCARTES SAVANT

    il y aval L les livres. Sans parler de ceux des anciens, onsait l'admiration que tmoigne DescarLes pour ceux deHarvey et de Kepler ! A quoi bon vouloir en outre* qu'ilait connu par leurs crits tous les travaux de ses prdds-seurs inmidiats ou de ses contemporains, quand il nousdit lui-mme qu'il n-e les a jamais vus, ou quand nous pou-'vons constater, aux aveux que contiennent ses lettres, dequel il distrait il parcourt ceux qu'on lui communique ?Ce qui pouvait avoir pntr jusqu' lui du travail collectifdes: savants, par les seules habitudes intellectuelles dont ilavait compos sa vie, tait suffisant pour amener son es-Pfit, qui y tait si naturellement dispos, rejoindre etsouvent dpasser le mouvement spontan de la science deson temps. S'il est vrai, comme nous l'avons dj dit,qu'il n'avait pas en lui-mme conscience de cette actionextrieure, et qu'il ait plus d'une fois exagr' l'originalitde ses dcouvertes, c'est par la mme erreur, par lamconnaissance de ce mme courant, que ses accusateurs,comme Leibniz, ont t si souvent conduits parler deplagiat. Et pourtant, puisque nous avons prononc le- nomde celui dont le rquisitoire contre Descartes- a t le plussvre, comment celui-l a-t-il pu oublier les injures dontl'accablaient lui-mme les amis trop zls de > Newton,incapables d'expliquer autrement que par un vol ses tra-vaux sur le Calcul inllnitsimal, faute de saisir le mouve-ment naturel qui, chez les Mathmaticiens du xvni* si-cle, devait normalement y aboutir ?

    Moins graves sans doute, mais tout de mme asseztroublantes pour qui s'interroge sur la sincrit de Des-(?arles, sont les allusions si frquentes de ses commenta-teurs ses habilets, son souci exagr de prudence, auxformules ou mme aux thories qui ne seraient de sa partque simples prcautions, soit pour carter quelque ennemi,soit pour faire mieux accepter telle partie, plus importante ses yeux, de son systme. Les exemples abondent chezles historiens de la pense cartsienne :"c'est une premireraison pour que nous n'ayons pas besoin d'entrer ici dansles dtails. Mais il en est une seconde, beaucoup plussrieuse : c'est que de semblables soupons impliquentordinairement une certaine interj^rtation du systme,laquelle son tour suppose a prmri une confiance trs

  • LA QUESTIOiN DE LA SINCRIT DE DESCARTES 17

    limite clans la sincrit de Descartes. Or, c'est justementcette dernire supposition que je ne juge pas ncessaire.

    Il faut ici pourtant faire une exception. Il est des caso l'attitude de notre philosophe semble exclure nette-ment l'hypothse d'une franchise parfaite : c'est quandil se trouve aux prises avec quelque problme touchant deprs ou de loin aux controverses religieuses, quand parexemple, pour citer tout de suite le cas le plus grave, ilveut faire prvaloir, dans les Principes, la formule del'immobilit de la Terre. Si une fois, une seule, il taitprouv que le savant qu'tait Descartes a sacrifi la vritscientifique au souci de sa tranquillit, s'il s' tait' renducoupable de cette lchet, comme semblent n'en avoir pasdout ceux mmes qui ont eu le plus cur de le glorifier,iMillet par exemple, aucune raison ne serait plus vala-ble pour justifier ailleurs notre croyance sa bonne foi. Et c'est pourquoi, loin d'observer ici un silence prudent,ou de jeter comrne tant d'autres un mant'eau pudique surcette faiblesse du grand penseur, il nous faut voir de prsen quoi consiste au juste le mensonge tant de fois dnonc.

    Les thses entre lesquelles le procs de Galile avaitmarqu le conflit aigu taient, d'une part, celle de Coper-nic, d'aprs laquelle la Terre est une plante, et les pla-ntes ont chacune un double mouvement autour de sonaxe et autour du soleil ; l'autre, celle de Ptolme, ou,si l'on veut, celle de la Bible et d'Aristote, d'aprs laquellela Terre reste immobile au centre de la sphre cleste quifait, chaque jour, un tour complet sur son axe, tandis quele soleil accomplit autour de la terre sa rvolution en unan. Ce qui avait donc t condamn en 1633, c'tait l'assi-milation de la Terre aux plantes, et l'affirmation de sondouble mouvement : ce qui seul avait t dclar ortho-doxe c'tait le maintien pur et simple de la vieille croyance l'immobilit et la fixit de la Terre au centre du monde.

    Descartes, quand il a crit son Monde, c'est--dire avantle procs de Galile, n'a pas hsit adopter la thsecopernicienne

    ; il y a joint son explication gnrale de laformation du systme solaire, en faisant du Soleil et desplantes, parmi lesquelles il rangeait la Terre, des centresde tourbillons dans des conditions telles que chaque pla-nte est entrane par la matire de son ciel tourner

  • 18 DESCARTES SAVANT

    la fois sur son essieu et autour du soleil. Mais l'arrtde Rome a empch la publication de l'ouvrage, et c'estplus tard, quand vont paratre les Principes, que se posela terrible question : comment faire accepter par Romel'adhsion formelle l'aslronomie de Galile, aggraved'ailleurs par la prtention d'expliquer mcaniquement laformation des plantes ? L'explication est, il est vrai,donne comme une construction rationnelle qui la ri-gueur pourrait ne pas rpondre la ralit. Mais cetteprcaution pourra-t-elle suffire ?

    En deux mots, Descartes rsout la difficult en inter-calant dans l'expos de son systme une dfinition dumouvement dtermin dun corps, par opposition aux mul-tiples mouvements qu'on peut concevoir en lui, dfinitionqui permet de dire : la Terre qui tourne autour de sonessieu et qui tourne autour du soleil, n'a pourtant pas demouvement dtermin, ou de mouvement propre.

    C'est au second livre des Principes que sont poses lesdfinitions relatives au mouvement. Un corps... peutparticiper une infinit de mouvenTents, en tant qu'il faitpartie de quelques autres corps qui se meuvent diverse-ment. Par exemple, si un marinier se promenant dans sonvaisseau porte sur soi une montre, bien que les rouesde sa montre aient un mouvement unique qui leur soitpropre, il est certain qu'elles participent aussi celui dumarinier qui se promne, parce qu'elles composent aveclui un corps qui est transport tout ensemble ; il est cer-tain aussi qu'elles participent celui du vaisseau, et mme celui de la mer, parce qu'elles suivent son cours, et celui de la Terre, si on suppose que la Terre tourne surson essieu, parce qu'elles composent un corps avec elle :et bien qu'il soit vrai que tous ces mouvements sont dansles roues de cette montre, nanmoins, parce que nousn'en concevons pas ordinairement un si grand nombre la fois, et que mme il n'est pas en notre pouvoir de con-natre tous ceux auxquels elles participent, il suffira quenous considrions en chaque corps celui qui est uni-que et dont nous pouvons avoir une connaissance cer-taine [31].

    Que sera ce mouvement unique ?La dfinition qui semble offrir le sens commun, l'action

  • LA QUESTION DE LA SINCRIT DE DESCARTES 19

    par laquelle un corps passe d'un lieu dans un autre, ouplus simplement encore son transport d'un lieu dans unautre ne saurait convenir ; car, nous ne pouvons parlerdu lieu d'un corps que relativement d'autres que nousconsidrons comme immobiles, et, selon que ceux quenous considrons ainsi sont divers, nous pouvons direqu'une mme chose en mme temps change de lieu et n'enchange point. Par exemple, si nous considrons unhomme assis la poupe d'un vaisseau que le vent emporlehors du port, et ne prenons garde qu" ce vaisseau, il noussemblera que cet homme ne change point de lieu ;... et sinous prenons garde aux terres voisines, il nous sembleraaussi que cet homme change incessamment de lieu ;... sioutre cela, nous supposons que la Terre tourne sur sonessieu, et qu'elle fait prcisment autant de chemin ducouchant au levant, comme ce vaisseau en fait du levantau couchant, il nous semblera derechef que celui qui estassis la poupe ne change point de lieu, parce que nousdterminerons ce lieu par quelques points immobiles quenous imaginerons tre au ciel [13].

    Et ds lors, si nous voulons attribuer au mouvementune nature unique, dtermine, il nous fout renoncer ladfinition qui le fonde sur l'usag^e vulgaire, et dire, selonla vrit, (( qu'il est le transport d'une partie de la matireou d'un corps du voisinage de ceux qui le touchent imm-diatement et que nous considrons comme en repos, dansle voisinage de quelques autres [25].

    Ces rflexions n'ont plus qu' s'appliquer la Terrequi repose sur son ciel, comme le voyageur sur le bateauqui le transporte, et alors son mouvement dterminou son mouvement propre n'existe plus. Le IIP livredes Principes, aprs avoir fait celle remarque, exposetout au long le systme des tourbillons, tel queDescaries l'avait conu jadis. Sans plus de gnequ'il n'en avait en crivant le Monde, il pose tous les l-ments de l'Astronomie de Copernic et de Galile, com-plts par sa thorie mcanique de la formation de l'en-semble plantaire, dont la Terre n'est qu'un lment sem-blable aux autres.

    Telle est l'altitude de Descartes en 16'i^. La premireimpression qui s'en dgage, est qu'il y a l un enfantillage

  • 20 . DESCARTES SAVANT

    peine digne cFun penseur tel que lui. La convenlion quilui permet de lever tout scrupule a beau porter unique-ment sur le langage, et lui permettre de maintenir tous lesdtails de la thse condamne, ne semble-t-elle pas tomberdu ciel juste point pour tromper la vigilance de Rome ?.Se justilie-t-elle par quelque raison srieuse ? Est-ce que^vraiment le dplacement d'un corps par rapport ceuxqui le touchent se distingue des autres par un caractre,tel qu'il puisse de prfrence tous tre appel le mouve-ment propre du corps ? Et y a-t-il autre chose ici qu'une,dfmition purement arbitraire ?

    Mais ce qui importe, en ce qui concerne cett dfini-,tion, ce n'est pas notre sentiment, c'est celui de Descartes.Or, si trange que cela puisse paratre, j'ai l'impression'qu'il prend tout fait au srieux sa thorie du mouve-ment et toutes les dfinitions qu'elle implique, telles quenous les trouvons exposes au. second livre des Principes.Et je ne suis pas le seul : Hamelin, citant ces pages, ne-songe pas le moins du monde s'en tonner (1). Au reste,'si nous nous reportons la rdaction du Monde, quoiqueDescartes ait accept jadis sans hsitation de voir dans lemouvement un simple changement de lieu, et n'ait en.aucune faon senti le besoin des distinctions que nous'trouvons dans les Principes, n'a-t-il pas sembl ajouterdj une certaine importance ce cjue la Terre, telle qu'il-la prsente dans son systme, n'ait point d'autre mouve-'ment que celui qui lui vient de son tourbillon ? Il n'taitpas encore question pour lui d'viter par ses foriiiules lescolres de Rome, mais bien d'tablir la supriorit de sa^thorie astronomique sur les autres. Et il avait cur^d'observer qu'en abandonnant la Terre simplement aucours du ciel qui l'enveloppe, nu lieu de la laisser se mou-voir autrement, il rpondait des objections bien connues.(( Et vous pouvez entendre de ceci, .crivait-il . la fin duchapitre sur la pesanteur (ch. xi), que les raisons dont'se servent plusieurs philosophes pour rfuter le mouve-

    (1) Le syslme de Descaries, p. 318. Quelques lignes plus bas, il eslvrai, Hamelin dclare qu"on a bien le droit de choisir comme reprel;^s corps immdiatemenl voisins de celui qui se meut : je ne sais s'il abien vu que pour Descaries ce choix n'est pas arbitraire.

  • LA QUESTION DE LA SLVCRITB DE DESCARTES 21

    ment de la vraie Terre, n'ont point de force contre celuide la Terre que 'Je vous dcris ; comme lorsqu'ils disentque si la Terre se mouvait, les corps pesants ne devraientpas descendre plomb vers son centre, mais plutt s'encarter et l vers le ciel et que les canons points versl'occident devraient porter beaucoup plus loin qu'tantpoints vers l'orient, et qilft Ton devrait toujours sentir enl'air de grands vents et our de grands bruits, et chosessemblables, qui n'ont lieu qu'en cas qu'on suppose qu'elleest mue par quelque autre force et en quelque autre sensque ce ciel.

    En 1644, ride est assurment quelque peu diffrente :mais ne se rattache-t-elle pas l'ancienne ? L'absence detoute action propre laisse la Terre indpendamment deson ciel, qui pouvait rassurer les savants, en faisant tom-ber certaines objections courantes contre la thse coper-

    :

    nicienne, peut galement rassurer les autorits religieuseset au fond pour la mme raison : rien ne se produit par.un mouvement propre de la Terre, les seules cons-quences de ses dplacements sont celles du mouvementde son ciel. Celui-ci supprim, la Terre resterait immo-bile.

    Gela implique, il est vrai, que le mouvement reste inspa-rable dans la pense de Descartes de quelque action, tail-dis qu'il s'efforce dans les Principes de le rduire unsimple transport, c'est--dire une simple variation dedistances. Mais en le lisant de prs, on voit Lien, commele note justement Hamelin, qu' cet gard, la confusionsubsiste dans son esprit. Songeons d'ailleurs, si cesconfusions d'une part,- et ce^ distinctions trop subtilesdautre part, nous jettent dans quelque tonnement, son-geons que la sience du mouvement n'est pas encore cons-titue, et que c'est de ces premiers ttonnements qu'ellecommencera se dgager. Pour ce qui concerne en parti-culier la distinction cartsienne du mouvement dtermind'un corps, n'est-il pas curieux de constater que cent ansplus tard, lorsque Kant voudra essayer de voir clair dansle fameux conflit qui devait sparer cartsiens et leibni-ziens au sujet de la force vive, sa tentative de conciliationreposera principalement sur la distinction de deux sortesde mouvement, dont l'un diffre de l'autre par le simple

  • 22 DESCAUTES SAVANT

    fait que le mobile est simplement port ou pouss par uneorps contigu, au lieu d'tre isol dans son dplacement?

    Ainsi, il nous faut accepter que la Ihorie du mouve-ment telle que la donne les Principes, traduise la pensede Descaries. Il importe moins alors qu'arriv au troisimelivre, on soit quelque peu choqu par le zle que met noirephilosophe insister sur certaines formules, et dclarerque seule sa conception respecte l'immobilit de la Terre.

    D'ailleurs, ces exagrations restent, pour le lecteur, enmarge de l'expos du systme ; elles n'entranent le sacri-fice d aucune parcelle de la thorie astronomique de Des-carles. Et, d'autre part, ce serait une erreur de croirequ'elles risquent de tromper la bonne foi des autoritsromaines et de fermer les yeux sur des conceptions, dontla hardiesse est peine diminue par leur caractre hyi^o-thtique. La Correspondance, la veille de la publicationdes Principes, laisse supposer que de vritables ngocia-tions s'engagrent Rome par Tinlermdiaire d'amis denotre philosophe. Et il n'est pas impossible d'imaginerquel tait l'tat d'me de celui qui avait jou le principalrle dans l'arrt de 1633, je veux dire d'Urbain Vlll,quand le P. Dinet reut Descartes, et probablement soumiten haut lieu le plan et la substance de l'ouvrage. Person-nellement, Urbain VIII ne devait pas tre tellement hostileaux ides nouvelles. Lorsqu'il s'appelait encore le cardinalBarberini, tout en prsentant des objections Galile, ilavait amicalement accueilli ses confidences. Sa colren'avait commenc que quand, devenu pape, il avait com-pris tout coup que Galile s'tait jou de Rome, en Inis-sant le dernier mot, dans ses Dialogues, au ridicule per-sonnage de Simplicius, dfenseur de la Ihse classique,et surtout quand il avait cru se reconnatre dans ce person-nage. Depuis onze ans, la colre du vieillard avait eu letemps de s'apaiser. IF fallait seulement, et cela tait detoute ncessit, sauver les apparences, et donner satisfac-tion l'amour-propre des autorits romaines. La thoriesavante de Descartes sur la nature du mouvement pouvaitmerveilleusement s'y prter pourvu qu'elle se traduist enformules prcises et claires pour tous... L'accord, cellecondition, dut tre prompt se faire, car l'ouvrage parais-sait quelque temps aprs.

  • LA QUi:STIO.N DE LA SINCRIT DE DESCARTES 2o

    Et loiii compte lait alors, la question ne m'apparatplus avoir la gravit quon a eru et que j'ai cru moi-mmelongtemps devoir lui accorder. On ne saurait en tirerargument contre la bonne foi ordinaire de Descaries.

    Au surplus, si nous ne trouvons pas de raisons s-rieuses de douter de sa sincrit, n'avons-nous pas desraisons i)ositives d'y croire ? Ne sommes-nous pas frapps,quand nous lisons ses crits, et plus particulirement sacorrespondance, o se reflte le mieux son me, de sesqualits de clart, de fermet, de prcision? Il n'est pasrare, s'il fait allusion quelque incident de sa vie, dcou-verte intressante, publication d'un livre, etc., qu'il enrappelle la date. Nous pouvons parfois en vrifier direc-tement la justesse, comme lorsque, dans la prface desPrincipes, il parle de la publication des Essais ou des Mdi-ta fions. Ce sont l des dtails, mais ces habitudes de pr-cision et d'exactitude sont peu compatibles avec unepense qui fuit ou qui se dissimule trop aisment. Il aimait se cacher lui-mme, viter les distractions mondaines,les conversations inutiles, tout ce qui risquait de troublerses recherches, ses mditations ; -mais sa correspondanceesi l pour montrer qu'il n'a jamais hsit rpondre auxinnombrarbles questions qui lui ont t poses. Au reste,par-dessus tout, travers ses querelles, ses accs de mau-vaise humeur et de susceptibilit exagre, comme tra-vers les dissertations les plus sereines, ce qui frappe lelecteur c'est qu'il prend toujours tout au srieux. p]t cetrait de son caroctre, qui carte naturellement toutsoupon de comdie, ne se dgage-t-il pas pour un obser-vateur attentif, du portrait si vivant de Franz Halz ?

    Enfin, je peux ne pas savoir analyser toutes les raisonsd'une impression que j'prouve de plus en plus vive enlisant et relisant Descartes. Je me dois et je lui dois, entous cas, d'en tenir compte dans ces tudes, et la mthode laquelle elle me conduit aura au moins le mrite de lasimplicit. Quand dans les querelles plus ou moins pas-sionnes o nous le verrons engag, celle que provoquepar exemple avec Fermt le problme des tangentes, nousaurons quelque peine comprendre son attitude, nouscarterons a priori l'hypothse de mauvaise foi. Quand ilnous donnera sur sa vie ou sur sa pense des dtails rela-

  • 24 DESCARTES SAVANT

    tifs des faits plus ou moins corrects, cliappant par leurnature aux erreurs inconscientes d'apprciation auxquel-les j'ai fait allusion plus haut. quand, pour citer unexemple prcis, nous nous trouverons en prsence du rcithislorique dir Z>isco/,r5, nous admettrons qu'il est exact.Quand nous rencontrerons des affirmations du genre, decelles-ci : je ne connais pas tel savant, je n'ai jamais lu telouvrage, nous accepterons le fait comme acquis. Et ainside suite. En d'autres termes, pour tudier l'uvre scien?lifique de Descaries, nous rendrons aux textes de Desrcartes lui-mme, toute .leur valeur, comme source essen-tielle d'information.

  • CHAPITRE PREMIER

    LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES

    DE DESCARTES

    Grce la publication du Journal de Beeckmann (tomeX de la grande dition, Adam et Tannery, des uvres deDescartes), nous connaissons les premires recherchesauxquelles s'est exerc Descartes, pendant l'hiver de 1618-:1619, quand il n'avait encore que vingt-deux ans. Noussavons aujourd'hui comment, parti pour rejoindre en Hol-,lande Tarme amie du prince de Nassau, il se laissait sur-,tout sduire par les questions de lout ordre (Mathmati-que, Physiq.ue, Mcanique, Musique...) que lui soumettaitl'esprit alerte et curieux, de Beeckmann. Sans nous arrter,au conte, trop bien construit peut-tre, par lequel Baillet,exi)lique la rencontre des deux hommes, nous ne pouvons,plus douter en tout cas qu'une troite amiti ne les aitunis, qu'ils aient eu pendant quelques mois des entretiens,IrL'S frquents, et que Descaries ait d (comme il le dit lui-,mme d'ailleurs [1]) aux incitations de son ami de fixer,dfinitivement sa pense sur quelques problmes impor-.tauts. Le Journal de Beeckmann nous offre, pour nous gui-der dans l'tude de ces premiers essais, tantt les rflexions,de Beeckmann, tantt la copie trs prcieuse de pagesrdiges par Descartes lui-mme, tantt enfin la corres-.pondance change par les deux amis. Ajoutons ([ue lesCofjitationes pvivat c'est--dire les indits publis jadispar Toucher de Careil, et dont le tome X de la grande di-

    (1) Ad. et T., l. X. p. 162.

  • 26 DKSCAITES SAVANT

    lion nous donne un texte corrig nous permet lent dejeter et l quelque lumire sur ces recherches de Des-caries. Je dtacherai, de renseml)le des questions quementionne le Journal , les problmes de la chute descorps et de la pression des liquides contenus dans desvases, le trait de musique, et enfin les recherches deMathmatiques pures, tantt me contentant de quelquesremarques, tantt poussant plus fond l'analyse, et entout cas cherchant saisir sur le vif, avant ce qu'on pour-rait appeler l'allitude dogmatique de Descaries, quelquestraits essentiels de sa pense scientifique.

    En novembre ou dcembre 1618, Beeckmann avaitinterrog Descaries sur la loi de la chute des corps dansle vide. Son journal conlienl deux rponses la question :Tune, rdige par Descaries lui-mme, l'autre rdige parBeeckmann, d'aprs sa conversation avec le jeune Fran-j^ais. Il est tout naturel de se reporter d'abord la pre-mire.

    Puisque, dit en substance Descaries, on imagine cha-que instant s'ajouter une force nouvelle qui entrane lapierre dans sa chute, celle force crol de la mme manireque les lignes Iransverses d c, / r/, /( i..., et loules cellesen nombre infini que l'on Iracei'a enire celles-ci (fig. 1).Pour le dmontrer, soit le carr aide reprsentant lepremier minimum de mouvement ou le premier point de;mouvement ; les rectangles d m

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCAUTES 27

    L

    f

    N

  • C28 DESCARTES SAVANT

    verons plusieurs fois l'nonc sous sa plume. Il est peinebesoin de faire observer que cet nonc ne revient nulle-ment au mme que celui de la loi vritable, que Galileconnaissait, en dpit de sa mauvaise dmonstration, ds1604. Si l'on en doutait, il suffirait de constater que, si tet V sont les temps correspondants aux espaces e et 2e, on

    4 /devrait avoir pour Descartes T = t, au lieu de ^' = / V2.

    Mais qui ne sent, en lisant la dmonstration de Descar-tes, qu'ovec quelques changements dans le texte, et enconservant la mme figure, comme peu prs les mmesconsidrations mathmatiques, on substituerait aismentdes ides claires aux notions confuses, et la conclusioninexacte, l'nonc exact de la loi de la chute des corpsdans le vide ? 11 suffirait de voir dans la verticale ah l'axedes temps, et non plus des espaces, dans les horizontalesles vitesses, enfin dans les aires a f g, f b-c g, des quanti-ts proportionnelles aux espaces parcourus, et l'on abou-tirait clairement cette conclusion que l'espace parcourudans le deuxime instant est le triple du premier. Gest aufond la dmonstration que donnera plus tard Galile (1).Mais, surprise, c'est alors justement et exactement celleque Beeckmann rdige lui-mme sur son Journal, pourtranscrire celle qui s'est dgage pour lui de son entretienavec Descartes (2) 1 Est-ce donc que celui-ci, en exprimantlui-mme sa propre pense, l'aurait inconsciemment trahieau point de ne nous offrir qu'une srie de confusions ?Ou bien tenons-nous dans cette rdaction la vraie pensede Descartes, et est-ce Beeckmann qui l'a corrige spon-tanment et instinctivement, sans mme voir (car il l'au-rait note) la diffrence des deux dmonstrations ?

    Si curieux que cela doive paratre, je n'hsite pas opter pour cette dernire hypothse.

    Si on lit de prs le Journal de Beeckmann, on est con-duit supposer que la bonne dmonstration est donnepar celui-ci, non pas comme due entirement DescarteSjmais la collaboration des deux amis : l'auteur du Jour-nal ayant fourni les principes physiques, les conditions

    (1) Cf. p. DcHEM : Idem.

    (2) Ad. et T., t. X. p. 58.

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 29

    concrtes du problme, Descaris la partie proprementmathmatique.

    Aprs avoir, en effet, expos la suite d'ides trs rigou-Feuses qui conduit formuler la loi de la chute des corj^sdans le vide, Beeckmann dit liien : Hc ita demonstravilMr Peron (cest--dire Descartes), mais il ajoute : Cumei ansam prbuissem rogando an possit quis scire quan-tum spacium res cadendo conficerl unica hora, cumscitur quantum conficiat duabus horis, secundum meaiundamenta (1), viz. quod semfel movetur, semper move-tur in vacuo, et supponendo inter terram et lapidemcadentem esse vacuum. Descartes a donc eu rsoudrele problme d'aprs des donnes fournies par Beeckmann.Ces donnes se rduisaient-elles aux deux conditions icinonces ?... Au commencement de sa propre rdaction,Descaries dit : In proposita qustione ubi imaginalursmgulis temporibus novam addi vim... C'tait assur-ment Beeckmann qui avait ainsi imagin qu' chaquemoment du temps s'ajoute' une force nouvelle. D'abord ceprincipe semble tre un complment naturel de l'autre,d'aprs lequel ce qui se meut dans le vide continue ind-finiment se mouvoir ; mais il y a plus : en quelqueslignes de son Journal qui prcdent la dmonstration enquestion et o il ne nomme pas encore Descartes, Beeck-mann s'exprime ainsi : Si on suppose le vide, voici com-ment les choses tendent vers le centre de la terre ; au pre-mier moment l'espace est ce qu'il peut tre, tant donnel'action de la terre ; au second moment un nouveau mou-vement de -traction s'ajoute, de sorte que l'espace est dou-ble du premier

    ; i)uis il est triple, etc. (2) Un renvoi plac la .fin de ces lignes y fait bien correspondre la dmons-tnition qui suivra sur le Journal, mais la distribution dutout en deux morceaux spars sembl rpondre la dis-tinction des donnes du problme et de sa solution. Enfin,s'il fallait une autre preuve que l'hypothse imagine,comme dit Descartes, d'aprs laquelle il' va traiter la ques-tion, appartenait bien Beeckmann, c'est que Descartes nelardera ])as, nous allons le voir dans un instant, la reje-

    II C'est moi qui soiili.ane.

    2) A.l. et- T., f. X. p. 5S.

  • 30 DESCARTES SAVANT

    1er, du moins en tant que la force nouvelle ajoute cha-que moment tait considre comme constante.

    Ainsi les lunda^acnla taient de Beeckmann. Et ce n'estpas tout. Celui-ci, par sa manire de poser la question, nedonnait-il pas une indication que Descartes a eu grandtort de ne pas suivre ? Il ne demandait pas quelles durescorrespondent aux espaces successifs, mais bien l'inverse,c'est--dire qu'il prenait le temps comme variable ind-pendanle, quoi il se conformait tout naturellement lui-mme dans sa rdaction de la rponse de Descartes.

    Alors qu'est-ce qui lui manquait donc pour avoir, sansDescartes, la solution du problme ? Il lui manquait l'idedu triangle form par les espaces qui correspondent auxmoments infinitsimaux du temps, et de la reprsentationpar des aires des espaces finis parcourus par le mobile :cela, il le trouvait dans les indications de Descartes. Ladformation que celui-ci faisait subir aux donnes, inter-vertissant la signification des abscisses et des ordonnes,n'altrait en rien la figure ni le rapport des aires, oBeeckmann trouvait la rponse sa question. L'noncauquel aboutissait Descartes n'tait pas le mme que lesien, mais au premier abord, sans prendre le temps d'yrflchir, on pouvait penser que les deux formules reve-naient au mme.

    Ainsi, lire attentivement le Journal de Beeckmann, ilsemble trs probable que les rdactions diffrentes desdeux amis traduisent exactement les penses respectivesde l'un et de l'autre.

    iMais nous avons cet gard une autre source d'infor-mations dans les crits ultrieurs de Descartes. Noussavons dj par les Cogitaliones prwot que, peu de joursaprs l'entretien avec Beeckmann o avait t traite laquestion de la chute des corps, les mmes confusions per-sistent dans son esprit (Ad. et T., t. X, p. 219). Peu dejours, ce n'est encore rien. Mais ouvrons la Correspon-dance... Dans une lettre Mersenne, du 8 octobre 1629,onze ans plus tard, par consquent, rpondant une ques-tion sur le temps que met un pendule cart de sa positiond'quilibre pour y revenir. Descartes mesure l'espace cir-culaire dcrit par la longueur de la corde, et dit : S'il fautun moment quand la corde est longue d'un pied, il faudra

  • LES TREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 31

    4 16- de moment pour la longueur 2 pieds, -^ de moment

    pour 4 piftds, etc. On reconnat la loi laquelle avaitabouti sa dmonstration de 1618. Mersenne d'ailleurs aquelque peine comprendre et insiste. La rponse de Des-cartes (13 novembre) reproduit exactement l'anciennedmonstration, sauf que d'une part il manie plus dcid-ment les indivisibles, mais que, d'autre part, par une inad-vertance inexplicable, il substitue des parallles verticalesaux horizontales de la premire figure, et rend ainsi leschoses absolument incomprhensibles.

    Un peu plus tard, pendant l'automne de 1631, commeMersenne revient sur la question, Descartes revient encoresur ses anciennes conclusions, telles qu'il les avait non-ces plusieurs fois dj. Mais il ne les croit plus exactes.Ce n'est pas seulement parce

    ,

    qu'elles supposaient tou-jours le vide, et cessaient d'tre vraies ds qu'intervenaitla rsistance de l'air, ce qu'il a toujours pens ; mais c'estdsormais le postulat de la constance de la force venants'ajouter chaque moment qu'il croit pouvoir rejeter. Gela rpugne, dit-il, apertement aux lois de la Nature

    ;

    car toutes les puissances naturelles agissent plus oumoins, selon que le sujet est plus ou moins dispos rece-voir leur action, et il est certain qu'une pierre n'est pasgalement dispose recevoir un nouveau mouvement ouune augmentation de vitesse, lorsqu'elle se meut dj fortvite, et lorsqu'elle se meut fort lentement (1). Ainsi Des-cartes n'tait pas rest longtemps attach au principe fon-damental d'o dcoulait la dmonstration de 1618.

    La lettre de Mersenne,. du 14 aoilt 1634, vient jeter unedernire lumire sur la rpugnance de' Descartes l'garddu fameux postulat, en mme temps que sur ses disposi-tions anciennes, et en particulier sur la confusion quis'tait produite dans son esprit. Il s'agit de la lettre o ildonne pour la premire fois son apprciation sur les tra-vaux de Galile. Aprs avoir dclar qu'il n'y a rien vud'intressant, il ajoute : Je veux pourtant bien avouerque j'ai rencontr dans son livre quelques-unes de mespenses, comme entre autres deux que je pense vous

    (1) Ad. et T., t. Ie^ p. 2.30.

  • 32 DESCARTES SAVANT

    avoir autrefois crites. La premire est que les espaces paro passent les corps pesants, quand ils descenclenL, sontles uns aux autres comme les carrs du temps qu'ilsemploient descendre, c'est--dire que, si une balleemploie trois moments descendre depuis A jusqu' B,elle n'en emploiera qu'un descendre depuis B jusqu'G, etc., ce que je disais avec beaucoup de restrictions, caren effet il n'est jamais entirement vrai comme il pense ledmontrer (1).

    N'est-on pas en droit de dire, aprs cette consultation,qu'il reste peu de doute sur le rle des deux amis dansleur tude sur le problme de la chute des corps ? ABeeckmann revient l'honneur d'avoir pos nettement laquestion, el d'avoir nonc les principes fondamentauxauxquels il ne restait plus qu' appliquer la dmonstra-tion mathmatique de Descartes. Que lun et l'autre aientdonn leurs conclusions la forme que l'on sait, sansapercevoir la diffrence de leurs formules, cela n'a plusrien d'tonnant pour qui a lu les dernires rflexions deDescartes de 1634.

    Cette enqute nous permet en outre de rpondre plusexactement qu'on ne l'a fait jusqu'ici cette question :pourquoi Descartes, aprs l'essai de 1618, n'a-t-il jamais

    ,

    song pousser plus loin Ttude du problme de la chute|

    des corps ? Paul Tannery en voyait la raison dans le tem-prament de Descartes, qui rpugnait ne pas prendrela ralit entire avec son indivisible complexit, qui enparticulier se refusait faire abstraction de la rsistancede lair et accepter, par abstraction, l'hypothse du vide, la possibilit duquel il ne croyait pas (2).

    Bordas Demoulin, dans son dsir de toujours voir Des-cartes en avance sur les dcouvertes de ses successeurs,prtendait trouver chez lui cette affirmation, au sens oii

    .il] Ad. et T., t. 1"-, p. 304. C'est moi qui souligne. Plus tard, dans;*^une lettre de fvrier 1643, adresse probablement Huygens, il noncesimplement la vritable loi. Dans la mme lettre, d'ailleurs.' il s'aippuiesur les travaux de Galile, relatifs la forme pai'abolique de la trajec-toire des projectiles. Aurait-il, dans l'intervalle, reconnu son erreur ?En mme temps, peut-tre qu'il aurait eu l'occasion de mieux apprcierquelque partie de l'uvre du savant italien ? [Ad. et T.. t. III. p. 620,624, 630.]

    (2 Rev. de Met. et de Morale, 1896, p. 478-488.

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 33

    nous rentenclrions aujourcriiui, que la pesanteur d'uncorps n'est pas constante sur la surface du globe (Lom II,p. 339-340). L'explication est beaucoup plus simple. Des-cartes a accept provisoirement de Beeckmann le principede la permanence de la force qui, chaque instant, donneune impulsion nouvelle ; il ne tarde pas y renoncer, etds lors s'croulent les rsultats de ses premires recher-ches.

    Au point de vue de l'histoire de la pense scientifique,comment enfin apprcier ce qu'il y a de si intressant et,semble-t-il au moins, de si original dans la partie math-matique de la dmonstration de 1618 ? Descartes, pour sonpremier coup d'essai, apportait-il brusquement de lui-mme les mthodes impliques dans cette simple reprsen-tation d'ides qu'a t son triangle ? Rien dans sa rdac-tion, pas plus que dans celle de Beeckmann, ne vientprouver que tout n'est pas sorti de son seul gnieinventif...

    Un mot de sa lettre Beeckmann du 26 avril 1619appelle pourtant notre attention : (( Toi seul as secou maparesse et rappel ma mmoire mon rudition qui entait presque sortie (1)... Descartes se reconnaissait donc,avant les incitations de son ami, une certaine rudition.De quelles lectures tait-elle faite ? Il est assez difficile dese prononcer exactement.

    Quoi qu'il en soit, Gantor, l'auteur des VorJesungeu(II^ p. 130), et M. Diihem {Etudes sur Lonard de Vinci,3* srie; ch. XXXI) nous ont appris que, dj au milieu duxv^ sicle, Nicole Oresme utilisait, pour tudier la varia-tion dune qualit, un systme de coordonnes rectangu-laires, longitude et latitude. La figure triangulaire, quandil s'agissait d'une qualit uniformment varie, servait mesurer la variation totale de l'intensit de la qualit ; etM. Duhem a montr comment cette tradition avait pu secontinuer travers l'cole d'Oxford et celle de Paris jus-qu' Galile lui-mme qui, en fait, avait esquiss ds 1604une dmonstration semblable celle de Descartes pour lachute des corps.

    Jusqu' Descartes lui-mme la filiation chappe, m^iis

    (!) Ad. et T., t. X, p. 162.

  • S4 DESCARTES SAVANT

    il est tout de mme du plus haut intrt de constater que.quelle que soit la part d'invention de Descartes, vingt-deux ans, dans sa premire production mathmatique, ilne fait, sans s'en douter peut-tre, que se rattacher unetradition dj trs ancienne ; et, d'autre part aussi noussavons bien que Kepler, dans sa Stereometria de 1615,maniait couramment les indivisibles.

    Un second mmoire rdig par Descartes vers la mmepoque (novembre ou dcembre 1618) traite de la pressiondes liquides sur le fond des vases et de leur pesanteur. Letravail a l'aspect d'un 'trait complet prsent dans l'ordrequ'affectionnent les gomtres : quelques principes sontposs d'abord comme postulats ou dfinitions, puis les-propositions sont nonces et dmontres, l'argumentci-tion prenant sans cesse la forme syllogistique.

    Les principes d'abord ont de quoi appeler notre atten-tion :

    La pesanteur d'un corps est proprement la force quiKentrane verticalement de haut en bas dans le premierinstant du mouvement. Un lment indispensable l'apprciation de cette pesanteur est, dans le commence-ment imaginable du mouvement, la vitesse initiale. Ainsi,si un atome d'eau descend deux fois plus vile que deuxatomes, il psera seul comme les deux runis.

    Descaries donne assez nettement l'impression qu'il voitle problme de la comparaison des pesanteurs traverscelui de l'quilibre des machines. D'une part, en effet, c'estle premier dclanchement instantan qui lui importe, etd'autre part il va d'emble la considration du produit dela masse par la vitesse, se rangeant la tradition aristo-tlicienne ; tradition qu'il reniera plus tard quand ilvoudra donner la thorie dfinitive des machines, maisqui en somme se retrouvera toujours dans la notion fonda-mentale de sa Physique gnrale, je veux dire dans cellede la quantit de mouvement. Malgr les dngations qu'ilaurait pu trouver, cet gard, dans la correspondance de

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 35

    Uescartes, en parlculier dans les critiques que celui-ciadresse Galile, Leibniz voudra voir l'origine du prin-cipe de la quantit du mouvement dans l'tude de la condi-tion d'quilibre des machines. Il ne sera pas sans intrt,pour lucider le problme, que ds ses premiers ttonne-ments Descartes se soit attach en somme comme Galile la vieille formule aristotlicienne.

    Quoi qu'il en soit, sur ces premires notions Descartesprtend tablir les propositions suivantes :

    Soient (fig. 2) les quatre vases A, B, G, D, de mme

    Fig. 2.

    hauteur, de mme poids quand ils sont vides, et de mmesurface de fond. Supposons dans B, G, D autant d'eauqu'ils peuvent en contenir, et dans A la mme quantitd'eau que dans B :

    1 A avec son eau pse comme B avec la sienne;

    2 La pesanteur de l'eau seule sur le fond de B est lamme que celle de l'eau sur le fond de D, et plus grandeque la pesanteur de l'eau sur le fond de A ; la mme aussique sur le fond de G

    ;

    3 Le vase D avec l'eau ne pse ni plus ni moins que Gtout entier dans lequel plonge un corps solide E

    ;

    4 Ge vase G tout entier pse plus que B tout entier.

    La premire proposition est vidende. La seconde sem-ble tout d'abord trs remarquable cette date, longtempsavant que Pascal nonce son fameux principe. M. Duhem,dans une tude sur ce principe, publie en 1905 par laRevue gnrale des Sciences, a appel l'attention sur lastatique de Stevin qui le contenait explicitement, et oiPascal en a trs vraisemblablement puis l'nonc. Stevintait Flamand : nous aurions pu dire a priori que ses tra-vaux taient connus de Beeckmann et deviner que celui-ci

  • 36 DESCARTES SAVANT

    avait au moins suggr le principe Descaries, mais lesCogitaliones privatw nous apportent sur ce point une cer-litude. Elles nous disent, en effet, que Beeckniann a inter-rog Descartes e Stevino, d'aprs Stevin. Le dbut de Ten-tretien est ais reconstituer : on imagine facilementBeeckniann tirant l'ouvrage de sa bibliothque et deman-dant Descartes, en lui dsignant les passages relatifs lapression des liquides sur le fond des vases : qu'en pensez-vous ? Rien de cela ne se laisse mme entrevoir dans lardaction du mmoire, o le principe en question sembledcouler des dfinitions et des postulats de Descartes parune curieuse dmonstration, qui, si je la comprends bien,fait dpendre la pression d'une molcule de la surface surune molcule du fond, de la distance verticale de leurspositions, qui par consquent m'a tout l'air d'impliquer leprincipe mme qu'il faut dmontrer. Mais peu importe.Descartes oublie, en rdigeant son mmoire, que la pro-position lui vient de Stevin tout simplement parce qu'ilcroit en avoir trouv une dmonstration. Ce n'est pas lefait de formuler une vrit qui compte pour lui : c'est lefait de la dmontrer, de la comprendre, de l'expliquer

    ;

    bien des fois, je crois, on devra s'en souvenir dans l'exa-men de ses uvres. Lui-mme, d'ailleurs, n'a-t-il pas critdans ses notes intimes : Juvenis, oblatis ingeniosisinventis, qurebam ipse per me possemne invenire, etiamnon lecto auctore (1).

    Je ne m'arrterai pas la suite trange d'ides par les-quelles Descartes essaie de rendre vidente la troisimeproposition qui nous heurte si vivement, pas plus qu'auxraisons pour lesquelles les choses se passent autrement(4^ proposition) quand on compare C et B, au lieu de D etG ; tout ce qu'on devine travers l'argumentation de Des-cartes, c'est que, se reportant sa dfinition de la pesan-teur, il croit que la vitesse initiale des molcules de la sur-face, le fond tant brusquement enlev, ne serait pas lamme dans G et B, tandis qu'elle le serait dans D et C.

    Les dernires lignes de Descartes nous suggrent enfinune remarque qui peut servir l'tude de son caractre.La question laquelle rpond ce trait a t pose la veille

    (1) Ad. et T., t. X, p. 214.

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES UE DESCARTES 37

    par Beeckmanii. Descartes, qui donnera tant de preuvesde son amour pour la mditation lente, pour le tra,vailentrecoup de flnerie, a trouv le moyen de rdiger sonmmoire de forme si parfaite en moins de vingt-quatreheures. La raison ? il nous la dit lui-mme : il n'tait passatisfait des rponses qu'il avait faites la veille ; sonamour-propre en souffrait, il avait hte de donner sonami une meilleure opinion de lui-mme... C'est ainsi queplus tard nous le verrons galement manquer ses pluschres habitudes pour rsoudre en hte les questionsposes par Alersenne toutes les fois que son amour-propresera en jeu...

    Je dirai peu de choses du Trait de Musique, Compen-dium music, rdig par Descartes et offert son amiBeeckmann au commencement de janvier 1619. Nousretrouvons ici ds le dbut une srie de principes, sur les-quels s'appuieront toutes les dmonstrations ; ils rsu-ment les conditions auxquelles doivent satisfaire les objetsdes sens pour tre perus avec plaisir : pas de dispropor-tion entre l'objet et le sens lui-mme ; l'objet doit tombersous le sens facilement et sans confusion ; la facilit de Inperception est lie une faible diffrence des parties ou,ce qui revient au mme, la proportion des parties ; ilfaut de la varit, etc.. Descartes procde ensuite a prioripour la division de la corde vibrante en 2, 3, 5 parties ga-12 3les, formant avec ces parties des fractions ---, , 7-...,

    ^ o 4

    parmi lesquelles il choisit celles qui correspondent desonsonances.

    Puis il tudie successivement les questions qui se trou-vent dans tous les traits classiques. Il est infiniment pru-hable qu'il emprunte le fond de son travail Zarlino, qu'ilcite d'ailleurs, mais en arrangeant sa manire, et surtoutn substituant ses raisons aux siennes. Il dit propos descadences : Zarlino les numre abondamment, et expli-que dans ses tables quelles consonances peuvent treposes aprs une autre quelconque (( quorum omnium

  • 38 DESCARTES SAVANT

    rationes nonnullas affert ; sed pliires opinor, et magisplausibiles ex nostris funclamenlis possunt deduci (1).

    Et certainement tout ce qu'il nonce devient sa pro-prit, devenant intelligible ses yeux par ses propresdductions. ^ A la fin du trait, Descartes insiste modes-lement sur Fimperfction de son uvre ; mais pourtantplus tard, quand il croira que Beeckmann a pu s'en direlui-mme l'auteur, il se fchera tout rouge, et il faudra quelout malentendu sur ce point soit dissip pour que leuramiti renaisse sans nuage.

    Reste tudier les essais proprement mathmatiquesde l'hiver 1618-1619. Cette fois, nous n'avons pas.de traitcomplet rdig par Descartes, mais seulement ses lettres Beeckmann et quelques passages des Cogitationcs con-sacrs ses recherches mathmatiques.

    Le 26 mars 1619, il annonce son ami, comme les ayantIrouves en six jours, quatre dmonstrations nouvelles etremarquables, pour lesquelles il utilise ses compas. IIs'agit, dit-il, du fameux problme de la division d'un angleen trois parties gales, ou mme en un nombre quelcon-que de parties gales

    ;puis de trois types d'quations

    cubiques, chacun avec toutes les varits de signes qu'ilcomporte, c'est--dire en tout de treize cas distincts pour]

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 30

    observ M. Enestrm dans ses notes de la grande dition^que Descartes les avait puises dans les ouvrages duJsuite Glavius, qui devaient faire partie de la biblioth-que du Collge des Jsuites de La Flche. C'est un systmede notations o, comme chez Diophante, un caractre sp-cial dsigne chacune jies trois premires puissances denficonnue ou de la racine. N est la racine elle-mme, lachose, Cosa, en italien ; z en dsigne le carr ; 7: le cube,zz la 4^ puissance, etc. La lettre introduite ici par Des-caries dsigne un coefficient quelconque.

    En suivant le texte de Descartes (que j'ai abrg ci-des-sus) et en employant nos notations, on voit sans peine queles treize cas distingus par lui sont donns par le tableausuivant :

    ^ = : p g,cp^ = p^ q,x^ = + px'^- qx r.

    d'o il faut retrancher les trois types obtenus avec tousles signes dans le second membre ; car Descartes nemanie, ce moment du moins, que des quantits essen-tiellement positives.

    Quant aux dmonstrations auxquelles il fait allusion,les notes intimes ou Cogitationes privat nous permettentde les connatre.

    Un angle est aisment divis en trois parties gales parun compas quatre branches construit de telle manireque les trois angles forms par elles restent toujours

  • 40 DESCARTES SAVANT

    gaux, quelle que soi! l'ouverture qu'on donne aux bran-ches extrmes. Il suffit pour cela que les quatre longueursa b, o c, a d, a g tant gales et les tiges h c, c d, e /, f fj,pouvant tourner autour des points h, d, e, r/, et se coupantdeux deux sur les branches internes du compas, soientaussi gales aux premires longueurs (fig. 3). La figureforme par les deux losanges montre immdiatementl'galit permanente des trois angles, De sorte qu'onn'aura qu' faire concider l'angle b a a avec un angledonn pour rsoudre le problme de la trisection de l'an-gle. Un compas analogue, mais naturellement plus com-pliqu, servirait la division d'un angle en un nombrequelconque de parties gales.

    Un autre compas sert la rsolution des quationscubiques ; c'est celui mme qui sera dcrit plus tard au

    dbut du livre II de la Gomtrie. Soit (fig. 4) l'angle formpar les deux branches a x, a y. Psxx point b de a y est fixeperpendiculairement ce ct une rgle qui vient rencon-trer le petit ct au point variable c.

    Quand on ouvre le compas, le joint c se dplace dans lesens de la flche P et pousse une rgle c d perpendiculairek a X.

    En mme temps, celle-ci dplace, dans le sens de laflche F', une rgle d e, perpendiculaire k a y, laquelledplace dans le sens* de la flche P une rgle e f perpendi-culaire a X, et ainsi de suite.

    Quoique rien ne l'indique dans la lettre du 26 mars, onne peut douter que ce compas avait dj servi rsoudrele problme de l'insertion de deux moyennes proportion-nelles et mme de n moyennes proportionnelles entredeux longueurs donnes ; Descartes le dira plus tard dans

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 41

    sa Gomtrie. Mais la solution est si vidente que la pen-se de ce problme avait t certainement lie dans sonesprit rinventioti du compas. Il saute aux yeux en effetque l'on a

    ab ac_

    ad__

    ae

    ac ad~' ae ~ af

    S'il s'ag-it de trouver deux moyennes proportionnellesentre deux longueurs A et B, on ouvrira le compas de tellemanire que a e reprsente B l'chelle o a b repr-sente x\.

    Quant la rsolution des quations cubiques, il est dif-ficile de se reconnatre exactement dans les Cogitationesprivat, moins d'admettre assez souvent des erreurs etdes traces d'inexprience qui surprennent, mais qu'il fauttrs probablement accepter. Il n'y a en somme de vraimentclair que le cas o l'quation est de la forme ^ = x + N.Descartes, en prenant ab pour unit, et ae pour liiracine x, remarque que a e = x^ ce qui est trs facile tablir, et que ds lors il suffit d'ouvrir le compas jusqu'ce que c e soit gal N, pour que a c soit la valeur cher-che de l'inconnue. Mais dj s'il s'agit du cas plus gn-ral ^ = p X +^, Descartes semble dire qu'en divisanttout par p on peut d'abord rsoudre x^ = x + N', puismultiplier x + N' par p ?

    Pour le type d'quation x"^ =^_?; x- + N, mme erreur

    dans l'affirmation qu'on peut se ramener au casx^ ='^2 _|_ ]\T'_ En outre, ici il faut renoncer trouver dansles indications des Cogitationes la solution du cas parti-culier. Et enfin, lorsqu'il s'agit du cas le plus gnral,c'est--dire de l'quation complte, Descartes fait unesrie de calculs revenant au fond, comme l'a montrM. Enestrm, la transformation x = y . i effectue surune quation o le coefficient de x^ a t d'abord ramen tre 8, pour aboutir la disparition du terme en x'^. Il seramne ainsi au type x^ = p .1: + N, c'est--dire pour lui cet autre x'^ = :r + N dj rsolu.

    En dehors de ces types gnraux d'quations cubiquesse trouve dans ses notes lexemple particulier :

    ^3 = 6 c2_ 6 ^ 4- 56

  • 42 DESCARTES SAVANT

    i iZ;3 = 3 ^2 _ 3 ^ ^ 2g

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES 43

    instruments, de nouveaux compas ; les nouvelles lignesqu'ils permettront de dcrire serviront rsoudre les nou-veaux problmes. Et, de fait, on le voit dj dans les Cogi-tationes privat, Descartes parle des lignes qui dcriventles points d, /..., de son compas (i), lignes moins sim-ples que le cercle, mais qu'il n'y a, dit-il, aucune raison derejeter hors de la Gomtrie, sous prtexte qu'elles ne sontpas fournies par le compas ordinaire. Quelques pagesavant (232-3), Descartes avait dj dcrit des compas per-mettant de dcrire une ellipse, comme intersection d'unplan et d'une surface de rvolution conique ou cylin-drique...

    La suite de la lettre Beeckmann, du 26 mars, est cet gard assez significative. Aprs une allusion unetude de certains radicaux composs, qui n'est qu' l'tatde projet, et dont il parat difficile de prciser la nature.Descartes confie son ami sa conception d'une science quilui tient surtout cur, et si grandiose qu'elle puiseraiten somme l'objet intgral de la Gomtrie (adeo ut pnenihil in geometria supersit inveniendum). Cette science,qui constitue une uvre infinie, qui ne saurait trel'uvre d'un seul, uvre incroyablement ambitieuse,mais o il a le sentiment d'avoir aperu, travers unchaos obscur, il ne sait quelle lueur qui lui permettra dedissiper les tnbres les plus paisses , cette sciencequelle est-elle donc ? quel en est l'objet ?... C'est une sortede classification complte de toutes les questions relatives la quantit, selon leur nature, leur solution devant cha-que fois y tre adopte. Comme en Arithmtique certainsprobjmes se rsolvent par des nombres rationnels, d'au-tres par des nombres irrationnels, et d'autres enfin qu'onpeut seulement imaginer chappent toute solution, demme dans le domaine de la quantit continue. Descartesespre le prouver, certains problmes peuvent se rsoudreavec la droite et la circonfrence, d'autres ne le peuventqu' l'aide d'autres lignes courbes issues d'un mouve-ment unique, et dcrites avec des compas nouveaux, qu'ilpense n'tre ni moins prcis ni moins gomtriques quele compas ordinaire ; et d'autres enfin ne peuvent se

    (1) Ad. et T., t. X, p. 235.

  • ii DESCARTES SAVANT

    rsoudre qu' l'aide de courbes issues de deux mouve-ments indpendants, et qui ne sauraient exister qu'en ima-gination, comme la quadratrice bien connue (1). Des-cartes croit pouvoir faire rentrer dans ces trois catgoriestoutes les questions imaginables ei espre montrer quellessont celles qui correspondent chaque groupe.

    Voici donc pos d'emble, ds le mois de mars 1619,le problme qui se trouvera compltement trait en 1637de la classification des lignes apportant la solution detoutes les questions relatives la quantit continue, c'est--dire, d'aprs le texte de Descartes, de toutes les ques-tions qui constitueront ses yeux la Gomtrie. Quandon se demandera ce qu'a voulu tre au juste la Gomtriede-Descartes, il faudra se rappeler que ds sa jeunesse, etavant renonciation de sa Mthode, elle tait simplementl'ensemble des problmes concernant la quantit continue.Et quant aux moyens par lesquels doit procder cettesorte d'Algbre du continu, on se rappellera que ds lemois de mars 1619 ils consistaient exclusivement en lignesdcrites par des compas appropris, dont une pointe tracetoujours dans le plan un lieu gomtrique proprement dit,pourvu ([ue la dOnition quantitative des points du lieu nefasse intervenir qu'un seul mouvement.

    Ainsi Descarte's, au moment o allait s'accomplir savingt-troisime anne, avant la mditation qui, dans lefameux pole, devait aboutir la confection de sa Mthode,annonait dans ses traits essentiels ce que devait trel'objet principal de sa Gomtrie. Les diffrences porterontplus tard sur deux points : l'attention de Descartes seraplus attire sur le caractre particulier des coniques, etsur la catgorie qu'elles -forment entre la circonfrence etles autres lignes gomtriques, et d'autre part s'intro-duira, comme cl naturelle de la classification des courbes,la notion de leur degr. Mais dj, en tout cas, avec lapremire vision plus ou moins lointaine d sa solutionfuture, s'exprime navement sa tendance voir grand, rver d'oeuvre complte, totale ; chercher des solutionsexhaustives, concevoir ses travaux comme devant ra-liser la science intgrale et dfinitive...

    (l; Ad. et T.. t. X, p. 157.

  • LES PREMIERS ESSAIS SCIENTIFIQUES DE DESCARTES ,45

    Abstraclion faite de celle teinte ambitieuse qui colo-rera toutes ses ides et sera un des traits permanents deson caractre, qui donc, pour le fond mme de ses pen-ses, se rattachait ainsi Descaries ? N'en doutons pas,c'est aux Grecs, ou plus prcisment aux traditions dela Gomtrie classique de la grande poque, el qu'il fautsoigneusement distinguer, d'une part de certaines ten-liances des Pythagoriciens, d'autre part et surtout de latradition reprsente par Diophante. Au pre Ciermansqui, avec une politesse exagre, voudra voir plus tarddans sa Gomtrie la Mathmatique elle-mme, la Math-matique totale. Descartes rpondra (1), en relevant lexa-gration, qu'on ne saurait trouver dans son 'livre aucunede ces questions traitant de l'ordre et de la mesure (c'est--dire qui sont des questions mathmatiques) dont Dio-phante nous offre l'exemple. Et comment enfin connat-il cette Gomtrie grecque de l'cole classique ? En 1588a paru la traduction par Commandin de la collectionPappus, qui, sous une forme un peu dsordonne, faisaitconnatre une foule de problmes traits par les Anciens,et donnait les solutions souvent nombreuses de telle outelle question : trisection de l'angle, construction de deuxmoyennes proportionnelles, etc. On y trouvait la des-cription de compas utiliss par tels ou tels gomtres, deslignes auxiliaires qu'ils taient amens tracer, commela conchode de Nicomde, etc. Descartes a lu Pappus,dont il citera le nom dans les Regulie {w" rgle), ct decelui de Diophante, comme personnifiant sans doute,' parle contenu de sa collection historique, l'autre tendance dela Mathmatique, celle laquelle il se rattache (2^.

    Il est peine ncessaire de rappeler comment s'oppo-sent ces deux tendances. L'Algbre, selon la tradition deDiophante, est une sorte de prolongement de l'Arithmti-que ; les solutions des quations sont des valeurs numri-quement calculables l'aide de formules. Dans l'autre tra-dition, ce sont des longueurs qu'il faut construire. Ainsi

    (l; Ad. el T., t. II, p. 70.

    (2) Il avait certainement lu aussi, nous l'avons dj dit, les ouvragesde Clavius. Or, la deuxime grande dition de ceux-ci, datant de IGll,donnait les principaux exemples de l'Analyse des Grecs.

  • 46 DSCARTES SAVANT

    les racines de l'quation du second degr peuvent d'unct se calculer par une suite d'oprations qui aboutissentd'ailleurs des rsultats approchs. Chez les Grecs, bienqu'ils fussent assurment capables d'effectuer ces suites decalculs, le problme se rsolvait par la construction dedeux longueurs dont on connat la somme ou la diffrence'et le produit. En particulier, la racine de l'quationX2 = 2a^ que rsout le problme de la duplication ducarr, s'obtient si l'on veut par la suite des calculs fournis-sant la racine carre de 2 avec telle approximation qu'onvoudra ; mais elle se reprsente aussi, comme Platonle montre dans le Menon, par la diagonale du carr dontie ct est a. Et de mme pour les quations cubiques. Lesgrands gomtres grecs n'auraient certainement pas tembarrasss pour calculer avec telle approximationsouhaite la racine de l'quation X^ = 2a^. Mais, quands'est pos son tour le fameux problme de la duplicationdu cube, ils ont tous prfr construire la longueur quidevait tre le ct du nouveau cube. Ramenant la question l'insertion de deux moyennes proportionnelles entre a et2 a, et renonant forcment la rsoudre l'aide de ladroite et du cercle, ils construisaient de nouvelles lignesplus ou moins compliques devant servir dterminer leslongueurs cherches. Et ainsi de suite... Cette science dela quantit continue, qui n'est autre chose en somme quele TTto vaX'J[jLvo; dont parle Pappus, ou plus sim-plement, comme nous di.sons, et comme disait dj Des-cartes, l'Analyse des anciens, est bien celle laquelle serattache dj en 1619 et se rattachera toujours Descartes.Seulement elle implique un langage, des notations, et destransformations quantitatives qu'il simplifiera bientt,rendant cette analyse infiniment plus aise manier. Carnous voici arrivs presque au moment o Descartes, deretour d'un voyage Francfort, va choisir ses quartiersd'hiver Ulm, ou tout prs d'Ulm, et prendre la gravedcision de chercher dsormais en lui-mme les fonde-ments sur lesquels il va tenter de rebtir l'difice entier dela Science humaine.

  • CHAPITRE II

    UNE CRISE MYSTIQUE DE DESCARTESEN 1619

    On sait que parmi les petits traits de DescartesJiientionns par l'Inventaire de Stockholm, et qui onl_malheureusement disparu, s'en trouvait un ayant pourtitre OUjmpica. Quelques textes cits par Leibniz, etsurtout les renseignements de Baillet sur le contenu de cetrait, qu'il a eu sous les yeux, permettent, semble-t-il,mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici, d'en prciser la signifi-cation et l'importance.

    Baillet parle pour la premire fois des Olyrapica, quandil fait rnumration des crits trouvs dans les papiersdo Descartes (1). Il mentionne ce manuscrit de douze[ages , comme dbutant par ces mots qui en fixent ladate : X novembris 16i9, cum plenus forem Enthou-siasme, et mirabillis scientise fundamenta reperirem,etc. . En marge, il est vrai, d'une criture plus rcente,(lit Baillet, se trouve la remarque suivante : XI novem-bris 1620, cpi intelligere fundamentum inventi mira-bilis . On est en gnral d'accord qu'il ne s'agit pas l(Tune correction, mais seulement d'une note conservant1(' souvenir d'une quasi concidence curieuse de certainesdates, un an de distance. Laissons donc de ct cetteremarque, et venons en au rsum des Oltjmpica tel quele donne Baillet, lorsqu'il arrive, dans la Vie de MonsieurDescartes, l'automne de 1619 (2).

    Aprs avoir montr les tourments de Descartes cher-

    H) Vie de Monsieur Desaarles, 1691, t. ler, p. 50-51.(2) Ibid., t. I^ p. 80-86. Ad. et T., t. X., p. 179-188.

  • 48 DESCARTES SAVANT

    chant les moyens de parvenir la vriL, il se fatiguade telle sorte, dit-il, que le feu lui prit au cerveau, et qu'iltomba dans une espce d'enthousiasme, qui disposa detelle manire son esprit dj abattu, qu'il le mit en tatde recevoir les impressions des songes et des visions .Et c'est manifestement ici (comme l'indique un renvoi enmarge au dbut des Olympiques, c'est--dire au texte latindj cit) que commence le vritable rsum de ce manus-crit. (( Il nous apprend, dit Baillet, que le dixime denovembre mil six cent dix-neuf, stant couch tout remplide son enthousiasme, et tout occup de la pense d'avoirtrouv ce jour-l les fondements de la science admirable,il eut trois songes conscutifs en une seule nuit, qu'ils'imagina ne pouvoir tre venus que d'en haut. Suit lercit des trois songes, et de leur interprtation commencepar Descartes pendant qu'il dormait encore, et poursuivieaprs son rveil. Dans le premier, ce qui le frappe surtout,c'est un vent violent, reprsentant ses yeux un mauvaisgnie, qui le pousse contre une Eglise oi il allait d'ailleursvolontairement.

  • UNE CRISE MYSTIQUE CHEZ DESCARTES EN 1619 49

    quam philosopliorum. Ratio est qiiod poet6e per enthu-siasmum et vim imaginationis scripsere : Sunt in nobissemina scieiiti, ut in silice, qu per rationem a philo-sophis educuntur, per imaginationem a poetis excutiunturmagisque elucent. Dans le Corpus poetarum, l'attentionest appele sur deux posies d'Ausone dont Tune com-'mence par Est et Non , l'autre par a Quod vit sectaboriter ?... Celle-ci u marquait le bon conseil d'une personnesage, ou mme la Thologie Morale ; par la premirea il comprenait la Vrit et la Fausset dans les connais-sances humaines et les sciences profanes . Voyant,ajoute Baillet, que l'application de toutes ces chosesrussissait son gr, il l'ut assez hardi pour se persuaderque c'tait l'esprit de vrit qui avait voulu lui ouvrir lestrsors de toutes les sciences par ce songe.

    Notons un dernier dtail, qui achve de montrer lecaractre nettement divin que Descartes attribuait sesvisions : ds le lendemain il formait le vu d'un pleri-nage Notre-Dame de Lorette. Son zle... lui fitpromettre que ds qu'il serait ^'enise, il se mettrait enchemin par terre, pour faire le plerinage pied jusqu'Lorette

    ;que si ses forces ne pouvaient pas fournir cette

    fatigue, il prendrait au moins l'extrieur le plus dvot etle plus humili qu'il luy serait possible pour s'en acquitter.Il prtendait partir avant la fin de novembre pour cevoyage. En fait, il se rendit Lorette quelques annesplus tard.

    Comment ces textes et ces faits ont-ils t comprisjusqu'ici ? En gnral, sauf de rares exceptions, on aadmis que le 10 novembre 1619, Descartes ayant fait unegrande dcouverte fut jet aussitt dans une certaineexaltation.

    Poucher de Careil ne juge mme pas que la moindrecontestation soit possible : il rappelle couramment diverses reprises la date, bien connue d'aprs les Olympica,de la dcouverte de la Mthode, 10 novembre 1619. Et ilne s'agit pas de tel ou tel aspect de la Mthode, mais dela Mthode cartsienne intgrale, dont les lois de Keplerelles-mmes n'taient qu'un cas particulier, quand elle

  • 50 DESCARTES SAVANT

    s'appelait Mcanisme, et qui, sous forme de symbolisme,s'appliquait aux choses inlellectuelles, mme l'expii-calion des songes {uvres indites de Descartes, Inlro-duclion).

    Millel, dans son tude si consciencieuse sur Descartesavant 1637 dclare que d'aprs le tmoignage mme deDescaries , celui-ci trouva le 10 novembre 1619 lesfondements de la Mthode et de son Analyse (p. 74).

    M. Liard crit {Desc., p. 107) : le 10 novembre 1619,ai^rs linvention de la Mthode, et peut-tre aussi de laMathmatique universelle. Descartes a des songes quil'pouvantent .

    Hamelin est du mme avis, sauf que, en tenant comptede quelques iexies des Olympiques, il voit dans la Mthode,dcouverte le 10 novembre 1619, la conception, avantLeibniz, d'une sorte de caractristique universelle {Syst.de Descartes, p. 43 et 44). Il note la crise psychologiqueque dcrit Baillet d'aprs les Olympica, et n'hsite pas l'expliquer par les recherches et par la dcouverte deDescartes, la suite desquelles le feu le prit aucerveau , selon l'expression de Baillet.

    Pour M. Adam, le 10 novembre 1619 fut probablementmarqu par une grande dcouverte mathmatique, pourla dsignation de laquelle nous n'avons que l'embarrasdu choix : mathmatique universelle, ou bien rforme del'algbre, ou bien expression de toutes les quantits pardes lignes, et des lignes elles-mmes par des caractresalgbriques... ou peut-tre simplement solution trsgnrale d'un problme... (t. XII, p. 50). Il note la crisemystique, mais quant au rapport o elle se trouve avec ladcouverte, il se contente de dire : Le philosophe mani-festement eut un accs ou une crise de mysticisme,condition peut-tre de toute grande dcouverte : il fautque l'homme soit soulev hors de soi, au-dessus de soi,pour avoir une vision nouvelle de la vrit (t. XII, p. 49).Cela semble bien vouloir dire que la crise n'a pas tprovoque par la dcouverte (et en cela M. Adam faitexception), mais ou l'a prcde au contraire, disposantlesprit aux grandes dcouvertes, ou mme l'a simplementaccompagne.

    Je crois que toutes ces interprtations sont inexactes.

  • UNE CRISE MYSTIQUE CHEZ DESCARTES EN 1619 dl

    Et d'abord est-on fond rsumer les faits en disantqu'une crise d'exaltation mystique chez Descartes a suiviune grande dcouverte ?

    Baillet, avant de donner le dtail des Olympica^ parledes efforts de Descartes et des recherches trs fatigantes la suite desquelles u le feu lui prit au cerveau , sans

    que nous trouvions l la moindre allusion l'heureuxrsultat de ses efforts et de ses recherches, la dcouverte.Si Hamelin a cru pouvoir crire que le feu lui prit aucerveau la suite de ses recherches et de sa dcouverte {Systme de Desc, p. 42), il ajoutait ce dernier mot autexte de Baillet ; ou plutt il runissait en une seule phrasedeux textes, celui que nous visons en ce moment et celuiqui suit de trs prs, et que nous avons cit plus haut, savoir : Il nous apprend que s'tant couch tout remplide son enthousiasme et tout occup de la pense d'avoirtrouv ce jour-l les fondements de la science admirable,etc., etc. . Et c'est cette phrase de Baillet qui a fait consi-drer comme vident Hamelin et la plupart des autresque l'enthousiasme avait suivi la dcouverte. Mais on n";ipas remarqu d'oii vient ce tmoignage -de Baillet. Lui-mme indique, en le formulant, qu'il s'appuie sur le dbutdu manuscrit des Olympica. Or, ce dbut, nous le connais-sons dans le texte latin lui-mme : a X novembris 1611),cum plenus forem enthousiamo et scienlias mirabilis fuu-damenta reperirem... Et c'est donc la traduction de cesmots de Descartes que Baillet veut simplement donner ici.Or, nous reconnaissons bien l sa manire d'en user avecles textes. Baillet, dit trs justement M. Adam, a unefaon lui de traduire les textes, en les amplifiaiiltoujours et y ajoutant force dtails de son cr (1). Nousen tenons ici un exemple frappant. Il suffit de mettre (miregard le texte de Descartes et la prtendue traduction,pour voir quel point celle-ci est infidle. En outre d'am-plifications dont il a peine se passer, Baillet n'hsite pas poser l'antriorit de la dcouverte par rapport l'enthousiasme, qui n'est nullement indique par le lexl(^.latin, et il ne tient compte ni de l'identit des temps desverbes, ni de l'ordre des deux propositions. En somme,

    (1) Ad. et T., l. X, p. 175.

  • 52 DESCARTES SAVANT

    abstraction faite de quelques dtails complmentaires, ilne traduirait pas autrement, si au lieu du texte que nousconnaissons. Descartes eiit crit : X novembris 1619,cum. scienti mirabilis fundamenta reperissem, et plenusforem Enthousiasmo... Ce que Baillet nous apporte cen'est pas une traduction, c'est dj une interprtation,celle qui a t adopte tout naturellement aprs lui par laplupart des commentateurs de Descaries.

    Dira-t-on que la suite du manuscrit pouvait justifiercette interprtation, corrigeant l'insuffisante clart dudbut ? Pour sentir quel point cela est peu probable,qu'on relise d'abord les pages o Baillet rsume lesOlympica. On voit difficilement o se placerait quelqueallusion une dcouverte antrieure la crise. Bien plus,l'hypothse d'une semblable dcouverte est en contra-diction avec le caractre gnral des Olympica, et plusparticulirement avec quelques dtails prcis. Descartes,en effet, n'hsite pas considrer comme surnaturels sonenthousiasme et ses songes : ceux-ci viennent directementde Dieu. On pourrait croire qu'il aurait bu le soir avantde se coucher , c'tait la veille de Saint-Martin ?Descartes avait rpondu pnr avance cette objection endclarant qu'il n'avait pas bu de vin depuis trois mois.Mais tait-ce la seule explication possible pour ramenerses visions un incident purement humain ? L'hypothsed'une grande trouvaille capable de jeter son auteur dansune sorte d'ivresse peut encore s'offrir assez naturellement.Mais n'est-ce pas Descartes lui-mme qui rfute par avancetoutes ces tentatives d'explication, en disant de ses songesque H l'esprit humain n'y avait aucune part ?

    Ainsi, il faut renoncer l'interprtation courante quivoit dans la dcouverte la cause de la crise mystique.

    Reste l'interprtation de M. Adam : L'enthousiasme deDescartes lui aurait inspir sa dcouverte scientifique, lessonges seraient venus ensuite... L*hypothse se heurle de srieuses objections : De quel droit sparons-nous endeux moments distincts l'enthousiasme d'une part, d'autrepart les visions de la nuit ? Baillet dit bien dans sonprambule, que l'enthousiasme a prpar l'esprit deDescaries recevoir les impressions des songes et desvisions , comme il le fera se prolonger quelques jours

  • UNE CRISE MYSTIQUE CHEZ DESCARTES EN 1619 53

    encore aprs la nuit du 10 novembre... Remarquons aumoins que si ron prenait ces tmoignages au srieux, ils'agirait d'un tat maladif, de faiblesse, consquence d'unsurmenage intellectuel... Nous serions loin de cette sorted'ivresse, d'exaltation, qui soulve l'tre tout entierau-dessus de lui-mme, dcuple ses forces, et le rendcapable, comme dit M. Adam, d'avoir une vision nouvellede la vrit !

    Mais non, nous ne pouvons prendre au srieux cebavardage de Baillet, pas plus que les dtails de la fin surl'enthousiasme qui se serait prolong quelques jours aprskl nuit fameuse. Nous savons trop comment pour rtablirla conLinuit de son rcit de la vie de Descartes, pour nelaisser aucun vide entre deux faits, il sait les prparer ouen prolonger le retentissement aprs leur production...Ne nous donne-l-il pas d'ailleurs lui-mme le moyen de lecorriger ?

    La premire phrase