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M I C H E L L E R E I DM I C H E L L E R E I D

UU NN H É R I T I E RH É R I T I E R ÀÀ T O U TT O U T P R I XP R I X

Ce roman a déjà été publié dans la collection AZUR n° 1519 sous le titre LES PIÈGES DE LA PASSION en avril 1995

Résumé:

Leonadis Stephanades n'était pas du genre à s'amouracher d'une petite Anglaise sans fortune...

Cela, Jemma le savait. Mais comment résister aux avances d'un homme aussi beau, aussi séduisant que lui ? Dès le premier regard, elle avait senti qu'un lien particulier se nouait entre elle et son patron.

Bien sûr, elle ne se faisait pas d'illusions : un jour, le riche industriel grec se lasserait d'elle et épouserait une femme de son milieu.

En attendant, elle devait profiter de chaque seconde en sa compagnie — au risque de commettre une erreur irréparable...

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1.1.Ce lundi matin, Josh était en retard au bureau. Son week-end avait dû être... bien occupé.

Tout en répartissant le courrier dans les corbeilles avec son efficacité habituelle, Jemma esquissa un sourire ironique. Elle devait reconnaître que Cassie Drake avait réussi là où beaucoup d'autres avaient échoué. Il y avait maintenant trois mois que cette brune incendiaire sortait avec son patron, le séduisant Josh Tanner. Trois mois, oui ! Un record ! D'ordinaire, Josh se lassait après quelques jours — le temps d'obtenir ce qu'il voulait. Puis il se remettait en chasse.

Jemma n'ignorait rien de sa technique. Ne l'avait-il pas essayée avec elle deux ou trois fois ? Sans résultat, cependant, car Jemma savait que Josh n'avait qu'une idée en tête, et comme elle n'était pas femme à se contenter d'une aventure éphémère...

Elle ne connaissait que trop le schéma de ces brèves liaisons pour en avoir été, enfant et adolescente, le témoin impuissant et malheureux. Son père, un terrible don Juan, multipliait les idylles passagères. Quant à sa mère, elle n'était pas en reste !

Josh, qui n'avait pas l'habitude qu'on lui résistât, n'avait pas abandonné facilement la partie. Il lui avait fallu deux mois pour accepter sa défaite, plus un mois de bouderie. Mais maintenant, Jemma pouvait se vanter d'être sa meilleure amie et confidente.

Ainsi, il lui avait avoué que sa température montait en flèche dès qu'il portait les yeux sur les sensuelles rondeurs de sa maîtresse actuelle. Il est vrai que Cassie avait une silhouette à damner un saint !

— Pourquoi elle ? avait-il demandé une fois à Jemma avec une pointe d'exaspération. Oui, pourquoi ? Elle n'est même pas mon genre... Je n'aime que les femmes longues et minces, les femmes qui ont des jambes interminables — comme les tiennes. Les femmes qui ont des cheveux blonds si longs que je pourrais m'étrangler avec — comme les tiens.

Elle avait fait mine de s'offusquer.

— Désolée, mes cheveux ne sont pas blonds, mais cendrés.

— Blonds ! D'un blond doré, comme du miel.

Les yeux de Josh s'étaient mis à briller.

— Tiens, ça me donne envie de...

— Lève un seul doigt sur moi et je le dis à Cassie !

La menace avait suffi à refroidir les ardeurs du séducteur.

— Cassie, Cassie... Oh ! là, là ! A croire que cette fille m'a jeté un sort !

Et, en jurant entre ses dents, il était retourné dans son bureau dont la porte avait claqué avec violence.

Pour la première fois de sa vie, Josh Tanner, le plus grand noceur de Londres, avait trouvé son maître. D'ailleurs, Cassie savait ce qu'elle voulait et n'en faisait pas mystère.

— Un mari, des enfants, une maison... tout le tralala, quoi ! avait-elle expliqué une fois à Jemma.

En attendant que Josh se décide à l'emmener déjeuner, elle s'était perchée sur le bureau de la jeune assistante.

— J'en avais assez de sortir avec l'un, puis l'autre... A vingt-sept ans, on commence à avoir envie de se ranger, non ? Alors je me suis mise en quête de l'homme idéal.

Pour elle, c'était Josh, apparemment. Même si Jemma trouvait étonnant qu'une femme souhaite faire sa vie avec un pareil dragueur !

— Où avez-vous fait connaissance ? avait-elle demandé à Cassie.

— A une fête où m'avait emmenée Stephanades, un ami d'enfance. Tu le connais ?

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— Pas du tout.

— Non ? Eh bien, tu ne sais pas ce que tu manques... Si j'étais plus ambitieuse, c'est lui que j'aurais dû essayer de conquérir au lieu de me contenter d'un Josh Tanner. Mais je connais mes limites, je ne vise pas si haut !

— Qu'est-ce qu'il a de si extraordinaire, ton Stephanades ?

— Ah ! si tu le voyais ! Imagine un Grec beau comme un dieu de l'Antiquité et riche comme Crésus... Mais très indépendant, aussi, et c'est là que le bât blesse. Son père a tout essayé pour le convaincre d'épouser l'héritière qu'il lui avait choisie. Pas question, il tient trop à sa liberté ! Son refus a causé un véritable petit drame familial...

Cassie avait haussé les épaules avant de conclure :

— Je ne suis pas folle ! Je me suis rendu compte qu'une petite Anglaise sans nom ni fortune n'avait aucune chance d'accrocher un homme comme Stephanades.

— Et tu as pensé que Josh...

— Absolument ! Ça ne m'empêche pas de rester amie avec mon beau Grec — ce qui met Tanner en rage. Il est jaloux comme un tigre parce qu'il s'imagine que j'ai eu une liaison avec Stephanades. Je ne le détrompe pas, même si c'est entièrement faux !

En voyant l'expression soudain rêveuse de Cassie, Jemma s'était dit que son amie devait regretter que rien ne se soit passé. Déjà, la jolie brune reprenait :

— Stephanades m'a dit que si j'arrivais à me faire épouser par Tanner, il m'offrirait en guise de cadeau de noces une poule en or massif avec des dents en perles.

Jemma n'avait pu s'empêcher d'éclater de rire.

— Quand les poules auront des dents... Ton ami d'enfance a de l'humour.

— Il pense que je n'ai aucune chance. Mais tu verras ! Si je veux quelque chose, moi...

Cassie avait dû parler à Josh de cet étrange projet de cadeau, car quelques jours plus tard, il avait fait brusquement irruption dans le bureau de Jemma en tonnant :

— Je n'épouserai jamais cette fille-là ! Jamais ! Même pas pour une poule en or massif !

La sonnerie stridente du téléphone ramena la jeune femme à l'instant présent. Elle décrocha et n'eut même pas le temps de s'annoncer.

— Je suis en retard ! cria Josh à l'autre bout du fil. J'ai eu un week-end épouvantable et je viens à peine de me réveiller. Il faut que tu t'occupes de tout en attendant que j'arrive.

— Et ton rendez-vous de 10 heures avec cette grosse huile de la Leonadis Corporation ?

Jemma jeta un coup d'oeil à sa montre. 10 heures moins 20... Jamais son patron n'arriverait à temps !

Josh se mit à jurer copieusement. Il avait de toute évidence oublié ce rendez-vous — ce qui ne lui ressemblait guère.

« Il faut que son week-end ait été vraiment épouvantable ! » se dit Jemma.

Josh maugréait toujours.

— Ah ! je n'ai pas de chance ! Il faut que ce soit aujourd'hui que j'aie rendez-vous avec ce type ! Ecoute, arrange ça comme tu peux... Téléphone à son bureau, raconte n'importe quoi, confonds-toi en excuses... Avec un peu de chance, tu le joindras avant qu'il ne soit parti. Et si cette garce de Cassie a le toupet de se présenter, dis-lui que je suis mort et en enfer. Surtout, qu'elle ne s'avise pas de m'y suivre !

Et il raccrocha.

— Eh bien ! murmura Jemma en secouant la tête.

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Sans perdre une seconde, elle chercha le numéro de la Leonadis Corporation. Tout en le composant, elle se dit qu'elle ne connaissait même pas le nom du directeur de cette société... Josh avait pris lui-même le rendez-vous vendredi soir, et son seul commentaire avait été celui-ci :

— Je déteste cet homme, mais il cherche de nouveaux fabricants pour ses pièces et comme j'ai besoin de faire tourner mes machines, il faut bien que je lui fasse quelques ronds de jambe.

Il était rare que Josh éprouve une quelconque antipathie envers des clients potentiels. D'ordinaire, cela ne lui coûtait nullement de se mettre en frais pour obtenir des commandes.

— Leonadis Corporation à votre service.

— Ici Jemma Davis, l'assistante de Josh Tanner...

Jemma hésita une fraction de seconde, se demandant comment contourner la difficulté sans paraître ridicule.

— Votre directeur avait rendez-vous avec M. Tanner ce matin. Le problème, c'est que M. Tanner a été retardé...

Elle espérait que la standardiste lui fournirait le nom qui lui manquait sans qu'elle ait besoin de le demander. Ce ne fut malheureusement pas le cas.

— Ne quittez pas, je vous passe la secrétaire de M. le directeur.

— Merci.

En attendant que la communication soit établie, Jemma consulta une nouvelle fois sa montre. Le temps passait à toute vitesse...

— Ici la secrétaire de M. Stephanades. Que désirez-vous ?

Stephanades... Où avait-elle entendu ce nom ?

— J'espère que M. Stephanades n'a pas encore quitté son bureau. Il avait rendez-vous avec M. Tanner ce matin à 10 heures ; malheureusement, M. Tanner a été retardé. Je voudrais éviter à M. Stephanades un déplacement inutile...

— Trop tard, coupa une voix masculine à la fois rauque, chaude... et amusée.

Jemma sursauta. A l'entrée de son bureau se tenait le plus bel homme qu'elle eût jamais vu. Adossé nonchalamment au chambranle de la porte, les mains dans les poches du pantalon de son strict costume foncé, il la regardait d'un œil goguenard. Très grand, très brun, il était infiniment séduisant avec son visage bien dessiné, son teint hâlé et ses yeux sombres frangés de longs cils.

En voyant un sourire jouer sur ses lèvres sensuelles, Jemma retint sa respiration, tandis que son cœur s'emballait dans sa poitrine.

— Vous êtes toujours là, mademoiselle ? demandait la secrétaire à l'autre bout du fil.

— Euh... oui, balbutia-t-elle sans quitter son visiteur du regard. Mais... euh, cela n'a plus d'importance.

De plus en plus troublée, elle raccrocha.

« Bonjour monsieur Stephanades ! » aurait-elle dû dire avec amabilité.

Mais les mots lui manquaient... Elle était en cet instant absolument incapable de jouer son rôle de parfaite assistante. Tous ses sens étaient en émoi, son cerveau ne lui obéissait plus et sa raison encore moins.

— On part maintenant ? lança le visiteur avec ironie. Ou bien avez-vous besoin d'un petit moment pour vous reprendre ?

Jemma battit des cils, tandis que ses grands yeux bleus prenaient une expression étonnée.

— Par... partir ? Mais pour aller où ?

— Chez moi, évidemment.

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L'homme pénétra dans le bureau. Il prit le temps de refermer la porte derrière lui avant de poursuivre :

— On s'est souvent jeté à ma tête, mais jamais d'une manière aussi... comment dire ?

Jemma écoutait la musique de sa voix. Il avait un petit accent délicieux...

— D'une manière aussi silencieuse, reprit-il. Et en même temps aussi explicite... et aussi charmante.

Jemma devint écarlate.

— Je... je suis désolée, balbutia-t-elle.

Au prix d'un terrible effort, elle parvint à se lever.

— J'ai été surprise par... par votre arrivée inattendue, monsieur... euh, monsieur...

La secrétaire lui avait pourtant communiqué le nom du directeur de la Leonadis Corporation, mais dans son trouble, elle l'avait déjà oublié !

— Stephanades. Leonadis Stephanades.

Moqueur, il ajouta :

— Pour vous servir, mademoiselle... ?

Ainsi, il s'appelait Leonadis... Si Jemma s'était écoutée, elle aurait répété ce prénom sans fin.

— Mademoiselle comment ? insista-t-il.

Au prix d'un indicible effort, elle réussit à répondre :

— Davis. Je suis navrée que vous vous soyez déplacé pour rien, monsieur Stephanades ; malheureusement...

« Ah ! c'est mieux, Jemma ! », se dit-elle pour s'encourager.

Mieux valait cependant qu'elle évite de le regarder, sinon elle allait de nouveau perdre la tête.

— ... malheureusement, M. Tanner a été retardé. J'ai essayé de vous téléphoner avant que vous ne quittiez votre bureau. Hélas...

— Quelle chance Que vous n'ayez pas pu me joindre !

De nouveau incapable de maîtriser son malaise, la jeune femme baissa les yeux et déclara d'un trait :

— Si vous voulez bien attendre un instant, je vais consulter l'agenda de M. Tanner et nous pourrons fixer un autre rendez-vous.

— J'ai une bien meilleure idée : déjeunons ensemble ! Cela nous permettra de discuter des... arrangements futurs.

Le double sens de sa phrase ne put échapper à Jemma qui crut mourir de honte.

— Je regrette..., murmura-t-elle.

Difficile de s'exprimer avec professionnalisme quand son corps tenait un tout autre langage !

— Je regrette, reprit-elle plus distinctement, mais je ne serai pas libre à l'heure du déjeuner. Quelqu'un doit s'occuper du bureau pendant l'absence de M. Tanner.

— Dommage !

Jemma ne put s'empêcher de relever la tête. Et quand ses yeux rencontrèrent ceux de Leonadis Stephanades, elle eut l'impression que lui aussi était troublé. Par elle ?

« Arrête de fantasmer ! » se dit-elle, de plus en plus perturbée.

— Oui, dommage ! répéta-t-il. Car je m'envole pour New York cet après-midi et ne serai pas de retour avant une semaine. C'est bien long pour laisser... pareille promesse en suspens.

Seigneur, que répondre à cela ? La situation prenait un tour de plus en plus délirant !

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Soudain, la porte du bureau s'ouvrit brusquement. Une fraction de seconde, Jemma espéra que c'était Josh et qu'elle allait être enfin libérée.

Mais ce fut Cassie qui entra en trombe.

— Où est ce salaud, ce...

Elle s'interrompit net en voyant le visiteur.

— Leonadis !

Et elle se précipita dans ses bras.

Jemma comprit enfin ce qu'elle aurait dû deviner depuis longtemps : l'homme qui se tenait devant elle n'était autre que l'ami d'enfance dont Cassie lui avait parlé.

Il embrassa la nouvelle venue avec une visible affection. Et la jalousie — une jalousie viscérale, presque primitive — envahit Jemma. Si Josh avait vu Cassie et Leonadis Stephanades s'embrasser ainsi, rien d'étonnant à ce qu'il soit jaloux !

« Mais lui a le droit d'être jaloux », lui murmura une perfide petite voix intérieure. « Pas toi ! »

Si elle s'était écoutée, elle aurait couru les séparer, elle aurait arraché les yeux de Cassie, elle...

Leonadis Stephanades lâcha enfin la jeune femme.

— Comment va ta vie amoureuse ? demanda-t-il avec indulgence.

— Mal.

— Tanner n'est pas gentil avec toi ?

— C'est le pire des salauds ! Je le déteste ! Ne me regarde pas comme ça, je te dis que je le dé-teste !

Leonadis Stephanades haussa les sourcils.

— Des problèmes ?

— Et comment !

Cassie se tourna vers Jemma.

— Où est-il, l'affreux ?

Mais que s'était-il donc passé pendant le week-end pour que Josh et Cassie soient tous les deux dans un tel état ?

— Je parie qu'il se cache ! reprit Cassie. Oui, il se terre dans un trou quelconque, en attendant que la tornade passe. Eh bien, s'il croit qu'il va s'en tirer comme ça !

— Il a été ret...

La sonnerie du téléphone interrompit Jemma. Pas fâchée de cette diversion, elle s'empressa de répondre.

— Tu as pu joindre Stephanades avant qu'il ne quitte son bureau ?

La voix impatiente de Josh la fit tressaillir. Elle pressa l'écouteur contre son oreille pour que personne ne puisse entendre à qui elle parlait.

— Non, répondit-elle tout bas, très embarrassée. Puis-je vous rappeler ?

Josh comprit immédiatement.

— Il est là ?

— Oui.

Quelques jurons... puis une pause.

— Passe-le-moi, il vaut mieux que je lui présente personnellement mes excuses.

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— C'est-à-dire que... euh, je ne pense pas que ce soit le moment, bredouilla Jemma, de plus en plus mal à l'aise.

— Pourquoi ?

Jemma baissa encore la voix.

— Nous ne sommes pas seuls.

Cassie bondit, les yeux étincelants de rage.

— C'est Josh ?

Elle essaya d'arracher le combiné des mains de Jemma.

— Je ne veux pas lui parler ! cria Josh à l'autre bout du fil. Mets-la dehors !

Cassie essayait toujours de s'emparer du téléphone.

— Donne-moi ça ! J'ai deux ou trois vérités à dire à ce salaud !

Leonadis Stephanades regardait la scène sans chercher à cacher son amusement.

« Ça n'a pourtant rien de drôle ! » se dit Jemma, furieuse. Son regard croisa à ce moment-là celui du visiteur et sa colère tomba brusquement, faisant place à un désir sans nom. Cassie pouvait continuer à trépigner, Josh à hurler... Soudain elle s'en moquait, plus rien ni personne ne comptait — à part Leonadis Stephanades. Ils étaient tous les deux dans une espèce de bulle. Loin, très loin...

Dans un véritable état second, elle remarqua à peine que Cassie venait de s'emparer du récepteur.

— Alors, c'est comme ça, espèce d'ordure ? hurla-t-elle en sanglotant de désespoir. Tu n'as pas honte ? Depuis que je suis enceinte de toi — oui, enceinte de tes œuvres, mon cher ! —, tu ne veux plus rien savoir de moi ?

Le combiné lui échappa des mains et elle se serait effondrée sur la moquette si Leonadis ne l'avait pas retenue à temps. Machinalement, Jemma reprit le téléphone.

— Allô ?

— Jemma ? Elle l'a fait exprès ! Elle a tout manigancé pour me mettre la corde au cou !

Que répondre à cela ? La jeune femme se contenta de bredouiller :

— Je... euh, je te rappellerai, Josh.

Et elle raccrocha.

Leonadis Stephanades avait transporté Cassie évanouie sur le canapé en cuir du bureau de Josh. Quand Jemma le rejoignit, apportant un linge mouillé et un verre d'eau, elle le trouva agenouillé devant son amie qui, peu à peu, reprenait ses esprits.

— Seigneur ! fit-elle d'une voix mourante. Oh ! Leonadis... que vais-je devenir ? Que dois-je faire ?

— Pour le moment, rien. Repose-toi un peu. Dès que tu te sentiras mieux, je te reconduirai chez toi.

Des larmes perlèrent aux longs cils de Cassie.

— Tu sais, je ne l'ai pas fait exprès !

— Non ? lança Leonadis Stephanades, d'un ton visiblement peu convaincu.

Il n'en dit pas plus, mais cela suffit pour que Cassie se cache le visage entre les mains et se remette à sangloter désespérément. Très choquée par l'aveu muet de la jeune femme, Jemma se laissa tomber dans le fauteuil de Josh.

Leonadis Stephanades lui adressa un coup d'œil moqueur.

— Ne prenez pas cet air horrifié, mademoiselle Davis. Ce stratagème est fort courant. Quand il s'agit d'attraper un homme comme Josh Tanner — ou comme moi — Je peux vous assurer que tous les moyens sont bons.

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Écœurée, Jemma se leva et regagna son propre bureau. Elle avait honte pour Cassie — comme pour toutes les femmes qui avaient recours à un procédé aussi traître pour se faire épouser.

Et Josh ? Que ressentait-elle pour lui ? Surtout de la pitié, à vrai dire ! Pour la première fois en deux ans, après l'avoir vu draguer sans merci, elle le voyait pris à son propre piège. Soit, il avait besoin d'une bonne leçon... Mais il ne méritait pas cela.

Le téléphone se mit à sonner. Un second appel suivit celui-ci, puis un troisième, et pendant près d'un quart d'heure, complètement absorbée par son travail, Jemma oublia Cassie et ses problèmes.

Elle venait de raccrocher après la dernière communication quand Leonadis Stephanades entra.

— Elle s'est enfin calmée. Je vais la conduire chez elle.

— Bien, murmura Jemma sans le regarder.

Leonadis ferma la porte de communication entre les deux bureaux et s'approcha.

— Ça va ?

— Oui. Mais... mais j'ai du mal à croire quelle l'ait fait exprès.

— Les femmes sont des créatures machiavéliques, mademoiselle Davis. Pour elles, la fin justifie les moyens.

— Oh, gardez vos généralités pour vous ! Sachez que toutes les femmes ne sont pas comme ça.

— Dans ma sphère, si.

« Sa sphère ! Rien que ça ? Mais pour qui se prend-il ? » songea la jeune femme avec irritation.

Elle se leva vivement et feignit de rassembler les notes qu'elle venait de prendre.

— On en apprend tous les jours, rétorqua-t-elle d'un ton sec. Tout ce que j'espère, c'est que je saurai me tenir à distance respectueuse de votre sphère.

— Ce serait dommage.

Malgré elle, Jemma leva la tête. Leonadis Stephanades lui souriait et elle eut l'impression que son cœur s'arrêtait de battre.

Il s'approcha doucement d'elle et, d'un doigt, il lui effleura les lèvres d'une caresse très chaste — et pourtant elle eut le sentiment qu'il s'agissait de l'expérience la plus érotique qu'elle eût jamais vécue.

— Pas d'attaches, murmura-t-il contre son oreille. Pas d'engagement. Mais tant que nous serons ensemble, il n'y aura personne d'autre. Ni pour vous ni pour moi. Et quand ce sera fini, nous nous séparerons sans faire d'histoires, amicalement.

Il l'attira contre lui et lui effleura les lèvres d'un rapide baiser.

— Pensez-y... Je vous appellerai bientôt.

Sur ces mots, il la lâcha. Jemma eut l'impression que tout tournait autour d'elle et tituba... Déjà, Leonadis Stephanades était à la porte.

— Je ramène Cassandra chez elle. Dites à Tanner que je serai absent pendant une semaine. S'il veut travailler avec moi, il a intérêt à être présent lors de notre prochain rendez-vous. Qu'il prenne contact avec ma secrétaire.

Il ne lui avait pas fallu plus d'une fraction de seconde pour redevenir un homme d'affaires glacial pour lequel le temps était de l'argent. Jemma se demanda si elle n'avait pas rêvé l'incroyable proposition qu'il venait de lui faire...

— Vous pouvez aussi dire à Tanner que, quelle que soit sa décision au sujet de Cassie, je veux qu'il la traite avec respect. Cassie est un être humain, et la nature veut que tous les êtres humains soient faillibles. Au revoir, mademoiselle Davis.

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2.2.— Faillible ?

Josh se mit à ricaner, tout en arpentant le bureau de long en large comme un taureau furieux.

— Elle, faillible ? Tu veux rire... Un vrai tank, oui !

Il était arrivé à peine dix minutes après le départ de Leonadis M de Cassie, et Jemma l'avait mis au courant des événements de la matinée.

— Elle m'a chargée de te dire qu'elle te contacterait de nouveau, dit Jemma.

Elle avait parlé d'un ton neutre, se gardant de transmettre I e message avec l'intonation pleine de défi qu'avait eue Cassie. Cela n'empêcha pas Josh de sauter au plafond.

— De ma vie, je ne veux pas revoir cette bonne femme ! Tu sais qu'elle l'a fait exprès ?

— Oui.

— C'est elle qui te l'a dit ?

— Leonadis Stephanades a réussi à le lui faire avouer.

— Ah, celui-là, si je le tenais ! s'exclama Josh avec aigreur. Les connaissant, ça ne m'étonnerait pas qu'ils aient tout manigancé ensemble...

Jemma ne put s'empêcher de s'insurger.

— Comment oses-tu parler ainsi ? Leonadis Stephanades est un homme beaucoup trop intègre pour tremper dans une machination de ce genre.

— Tu le connais, peut-être ? Je croyais que c'était la première fois que tu le rencontrais ?

Et quelle rencontre mémorable !

— C'est vrai, mais il ne m'a pas fallu longtemps pour le juger.

— Ah bon ?

— C'est un terrible dragueur, comme toi.

L'espace d'un instant, Josh oublia ses propres soucis.

— Tiens, tiens... Stephanades t'aurait-il fait des propositions malhonnêtes ? demanda-t-il, moqueur.

En voyant Jemma rougir, il se remit à ricaner.

— J'espère que tu as eu assez de bon sens pour l'envoyer promener — tu es très forte pour ça, j'en sais quelque chose ! Parce que ce type navigue très au-dessus de nos petites têtes, dans des sphères différentes...

Jemma hocha la tête avec ironie.

— Figure-toi que je suis déjà au courant, pour les sphères !

— Tant mieux !

La jeune femme se détourna, tandis que sa rougeur s'accentuait. Avec le recul, elle avait honte de s'être pratiquement jetée à la tête de Leonadis Stephanades.

— De toute manière, vous vous valez ! murmura-t-elle.

— Ne me compare pas à ce type. C'est flatteur, O.K., mais pas très juste... Il est quand même à un autre niveau !

— Quel niveau ?

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Le seul fait de parler de Leonadis Stephanades emplissait Jemma d'un trouble délicieux. Heureusement, Josh était trop préoccupé pour s'en apercevoir.

— Le sommet, tout simplement. Apprends, ma chère, que les Stephanades font partie des vingt plus riches familles du monde. Oui, du monde ! L'argent, la puissance... tout, quoi ! Et je t'assure que si une femme essayait d'attraper Leonadis Stephanades en lui jouant le sale tour que Cassie vient de me jouer, elle ne l'emporterait pas en paradis.

— Josh, tu exagères ! Cassie est amoureuse de toi, ça n'entre pas en ligne de compte ? D'accord, elle a eu tort d'agir ainsi. Mais je suis sûre qu'elle l'a fait par amour. Allons, tâche d'être un peu plus compréhensif !

— Quand on aime, on ne tend pas de pièges.

Sous l'amertume, la déception et la fureur de son patron, Jemma devina beaucoup de chagrin.

— Je ne sais pas, s'entendit-elle déclarer. Non, je ne sais pas, pour la bonne raison que...

Qu'elle n'avait jamais été amoureuse. Mais elle n'allait tout de même pas avouer cela à Josh !

— Je me sens trahi, murmura ce dernier en baissant la tête.

Que dire ? Jemma comprenait mal que Cassie ait voulu forcer la main de Josh en ayant recours à un semblable stratagème. Certes, son amie n'avait jamais caché quel était son but. Et si elle avait fait preuve d'un peu plus de patience, il est probable qu'elle y serait parvenue. Mais maintenant...

— Que vas-tu faire ? demanda-t-elle.

— Oh, c'est clair ! Si elle veut le garder, je l'aiderai matériellement. Si elle veut avorter, je paierai les frais. Mais entre nous, c'est fini.

A peine rentrée chez elle, Jemma se laissa fauteuil. Elle était tellement épuisée qu'elle ne prit même pas la peine d'ôter son imperméable. Trina, la jeune femme avec laquelle elle partageait son petit trois-pièces, sortit de la cuisine, une banane à la main.

— On dirait que la journée a été dure.

— Plutôt !

Trina terminait son travail plusieurs heures avant son amie. Elle menait d'une main de fer sa propre société et régnait en maître sur une véritable armée de femmes de ménage qui travaillaient en équipes jusqu'à 15 heures, car les gens tenaient à ce que leur appartement soit nettoyé pendant leur absence et libéré de bonne heure.

Jeunes, avenantes, ses employées portaient un uniforme marine et blanc aussi élégant que celui d'une hôtesse de l'air et se déplaçaient dans des minibus aux mêmes couleurs. Elles étaient très bien payées — mais les factures de Trina atteignaient des sommets. Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir toute une liste de clients en attente, car sa réputation de sérieux et d'efficacité s'était vite répandue dans le Tout-Londres. Si elle s'occupait de la partie pratique de l'affaire, c'était son fiancé, Frew, qui se chargeait de la comptabilité pendant ses heures de loisir.

— Tu as vu ?

Jemma écarquilla de grands yeux en voyant le panier de fleurs et de fruits que lui montrait Trina dans un geste théâtral. Un panier absolument gigantesque qui tenait à peine sur la table basse...

— Seigneur ! D'où ça vient ?

— De tous les coins du monde, on dirait, répondit Trina en riant.

Le panier débordait de bougainvillées, de lis blancs, de jasmin parfumé et d'hibiscus écarlates. Il y avait aussi des oranges avec leurs feuilles, des pêches veloutées, d'énormes grappes de raisin, des figues juteuses...

Trina s'empara de la carte qui accompagnait cet incroyable envoi et l'apporta à son amie.

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— Pour vous, madame, dit-elle en esquissant une révérence. Il semblerait que vous ayez un admirateur... Un homme de goût ! D'ailleurs, même son écriture est sensuelle ! Qui est-ce ?

Les doigts de Jemma se mirent à trembler sur cette enveloppe qu'elle n'osait même pas ouvrir. Car elle savait qui était l'auteur de cet extravagant cadeau... N'avait-elle pas pensé à lui toute la journée ?

Comment avait-il obtenu son adresse ? Elle n'en avait aucune idée. Mais pour un homme comme lui, cela ne devait pas être très compliqué.

Qu'avait dit Josh à son sujet, déjà ? Ah, oui ! Qu'il était au sommet. Au sommet de la richesse, au sommet de la puissance... Quant à Cassie, elle l'avait décrit comme étant beau comme un dieu, riche comme Crésus — et très indépendant.

« Moi, je le trouve surtout trop sûr de lui, trop déterminé... et dangereux », se dit Jemma en décachetant enfin l'enveloppe. Elle y découvrit un bristol gravé aux initiales L. S.

« Aujourd'hui, dans des circonstances plutôt tristes, j'ai fait la connaissance d'une femme destinée à prendre beaucoup de place dans ma vie. Pour vous faire oublier l'amertume qui entourait cette première rencontre, je vous envoie des fleurs et des fruits de mon pays. Mettez les fleurs dans l'eau, sinon elles faneront avant mon retour. Mangez les fruits... et pensez à moi.

Leonadis »

Jemma contempla la corbeille en soupirant. Et elle eut l'impression d'y voir, en surimpression, le beau visage sensuel de Leonadis Stephanades.

— Seigneur ! s'exclama-t-elle en passant la main sur son front.

Trina haussa les sourcils.

— Des problèmes ? Pas possible ! C'est pour t'annoncer de mauvaises nouvelles qu'on te fait un pareil cadeau ?

Jemma tendit la carte à son amie.

— Lis toi-même.

Trina ne se le fit pas répéter deux fois.

— Qui est ce Leonadis ? Tu ne m'en as jamais parlé.

— Parce que je l'ai vu pour la première fois ce matin seulement. Il s'appelle Leonadis Stephanades, c'est un Grec qui traite des affaires avec Josh.

— Leonadis Stephanades ? Eh bien !

— On dirait que tu as déjà entendu parler de lui.

— Plutôt. C'est un des clients de ma société, il possède un superbe hôtel particulier à Grosvenor Square. Mais un homme comme lui est vraiment un peu trop... euh, trop...

Embarrassée, Trina s'interrompit.

— Un peu trop haut placé pour moi ? suggéra Jemma. Ne t'inquiète pas, je le sais ! N'empêche que je me suis rendue complètement ridicule aujourd'hui. Quand je l'ai vu, mon cœur s'est mis à faire des bonds et j'étais tellement troublée que je n'ai pas réussi à prononcer un mot. Je me contentai de le regarder avec des yeux grands comme ça... Bien sûr, il s'est tout de suite rendu compte de l'effet qu'il avait sur moi !

— Il a dû ressentir la même chose pour t'envoyer cette corbeille qui a dû lui coûter une fortune.

— Lui ? Troublé par moi ? Tu plaisantes ! fit Jemma avec cynisme. Il a juste vu un fruit à point pour la cueillette...

Elle alla chercher l'une des pêches du panier et la brandit.

— Tu crois que lorsqu'on présente ça à un homme il va faire la fine bouche ?

— Et quel homme !...

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— Grand, beau, séduisant, si sûr de lui qu'il m'a fait des propositions cinq minutes après m'avoir rencontrée !

— Non ! Raconte !

— Figure-toi qu'il a déjà établi les règles de notre future relation.

— Comment ça ?

— Pas d'attaches, pas d'engagement, déclara Jemma avec une petite moue de mépris. Mais une fidélité absolue — du moins tant que durera notre liaison. Et au moment de la séparation, surtout pas d'histoires ! J'aurais dû le gifler : au lieu de ça, je l'ai laissé m'embrasser...

— Oh, oh !

— J'étais dans un tel état que je ne savais plus ce que je faisais.

— Peut-on savoir jusqu'où les choses sont allées pour qu'il te fasse pareil cadeau ?

— Pas plus loin qu'un petit baiser. Mais il a bien vu que j'étais prête... à tout.

Trina ouvrit de grands yeux.

— Eh bien ! Attends que je raconte ça à Frew ! Lui qui prétend que celui qui réussira à te dégeler n'est pas encore né !

— Merci ! De quoi se mêle-t-il, ton Frew ?

— Ne te fâche pas. Tout le monde sait que tu es très, très sage... Et tu crois que Frew connaît beaucoup de filles encore vierges à vingt-quatre ans ?

— De quel droit..., commença Jemma avec fureur.

Sans achever sa phrase, elle jeta violemment la pêche dans la corbeille. Le fruit velouté s'ouvrit et son parfum l'assaillit, si fort qu'elle ferma les yeux tant les sensations qu'elle éprouvait en cet instant étaient puissantes.

« Que m'arrive-t-il ? » se demanda-t-elle avec désarroi.

Sans se rendre compte de l'émoi de son amie, Trina déclara :

— Dans cette histoire, tes parents sont les seuls à blâmer. Quand ton père n'avait pas une liaison tumultueuse, c'était ta mère qui le trompait pour se venger. Comment, après avoir eu de pareils exemples, une fille trouverait-elle aisément son équilibre ? La preuve ! Tu es furieuse en pensant à l'image que Frew a de toi — alors que cette image est juste...

— Ecoute, Trina...

— Tous les hommes te font peur. Et moi, je sais pourquoi ! C'est parce que tu crains d'avoir hérité du tempérament volcanique de tes parents.

— Tu veux que je saute sur le premier qui franchira cette porte pour te démontrer que tu as tort ?

— Si c'est mon Frew, je ne te le conseille pas ! s'exclama Trina dans un éclat de rire. Parce que je peux t'assurer que ce sera ta première et ta dernière expérience !

Trina gardait en toutes circonstances le sens de l'humour. Mais aujourd'hui, Jemma n'avait pas envie de rire...

— S'il te plaît, ne te moque pas de moi en ce moment. Je suis complètement déboussolée.

Trina reprit son sérieux. Et ce fut d'un ton presque grave qu'elle demanda :

— Te rends-tu seulement compte de ce qui t'est arrivé aujourd'hui ? Il a suffi qu'un homme comme Leonadis Stephanades entrouvre le couvercle pour que tout ce que tu avais réussi à garder enfermé en toi explose.

— Je te dois combien pour le diagnostic ? interrogea Jemma d'un ton sarcastique. Grâce à ton analyse, je me sens beaucoup mieux.

— Ne te froisse pas. Ce que je voudrais, c'est tout simplement te faire comprendre pourquoi tu lui as répondu aussi passionnément. Cet homme est très au-dessus du commun des mortels. Tu as

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jusqu'à présent réussi à tenir à distance tous les autres — je veux dire les hommes ordinaires.. Mais quand tu as vu celui-là...

— Heureusement que Josh ne peut pas t'entendre... Il n'aimerait pas qu'on le traite d'homme ordinaire.

— Josh Tanner n'arrive pas à la cheville de Leonadis Stephanades.

— Essaie de dire ça à Cassie ! Oh ! Mais tu ne sais pas encore ce qui s'est passé ce matin !

— Parce qu'il y a eu autre chose que ta rencontre avec Stephanades ?

— Plutôt !

Et Jemma se mit en devoir de raconter à son amie le drame qui avait eu lieu au bureau. Trina hocha la tête.

— Je comprends enfin ce que ton Leonadis a voulu dire en parlant de « circonstances plutôt tristes » !

— Ce n'est pas mon Leonadis !

— Peut-être pas encore, mais ça ne tardera pas. Que feras-tu quand il se manifestera ?

Jemma hésita.

— Je crois que je l'ignorerai, tout simplement.

Ignorer l'existence de Leonadis Stephanades ? C'était plus facile à dire qu'à mettre en pratique... Car il se rappela au souvenir de Jemma presque chaque jour.

Elle reçut tout d'abord un élégant écrin en velours frappé du sigle d'un célèbre joaillier. Cet écrin contenait un fin bracelet d'or dont le fermoir était orné d'une turquoise. La couleur de vos yeux, disait le petit mot qui accompagnait ce cadeau délivré par porteur.

Le lendemain, on lui livra les boucles d'oreilles assorties. Et le surlendemain, un collier, lui aussi en or et en turquoises. Portez cette parure pour notre premier dîner, avait écrit Leonadis Stephanades, sans même se donner la peine de signer autrement que d'un L au dessin impérieux.

« Il croit qu'on peut m'acheter ? »

Furieuse, Jemma rangea ce troisième écrin dans un placard en compagnie des deux autres, avec la ferme intention de restituer tout cela à l'envoyeur dès qu'elle en aurait l'occasion.

Grâce au ciel, le livreur du joaillier n'apporta rien le vendredi. Et, un peu par défi, pour se prouver qu'elle était libre, Jemma accepta l'invitation à dîner de son voisin du dessous, Tom MacDonald, un jeune architecte écossais qui venait d'être engagé par une grande compagnie londonienne. C'était un homme sympathique et, pour la première fois de la semaine, Jemma se détendit un peu.

Elle en avait bien besoin car ces dernières journées avaient été pénibles. Tout d'abord, l'image de Leonadis Stephanades ne cessait de l'obséder. Ensuite, Josh était d'une humeur exécrable. Et enfin Cassie, de plus en plus déprimée, ne cessait de téléphoner pour répéter combien elle était malheureuse. Comme Josh refusait de lui parler, c'était à Jemma que la standardiste passait les communications.

Au moins, la jeune femme pouvait oublier ses soucis en compagnie de Tom MacDonald. Ce dernier, ravi de se faire quelques relations à Londres où il ne connaissait encore personne, lui parla de son village et de ses six frères et sœurs.

— Et vous, Jemma, avez-vous grandi au milieu d'une famille nombreuse ?

— Oh ! non. J'étais fille unique...

— Très gâtée ?

— Pas du tout. Mes parents n'avaient guère de temps à me consacrer. Ils étaient aussi volages l'un que l'autre et ne cessaient de se quitter, de se retrouver... tandis que moi je pleurais en me disant qu'un jour ils partiraient tous les deux à la fois, me laissant toute seule.

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Elle s'étonna de parler aussi aisément de son enfance avec un quasi-inconnu. Jusqu'à présent, jamais elle: ne s'était confiée, sauf à Trina.

A la fin de la soirée, en quittant ce petit restaurant italien situé à deux pas de l'immeuble où ils habitaient, ils promirent de se revoir.

— Et si on dînait ensemble demain ? proposa Tom.

Jemma s'était sentie si à l'aise en sa compagnie qu'elle n'hésita pas une seconde à accepter.

— Avec plaisir !

Il l'embrassa sur le palier et elle se laissa faire, un peu déçue parce que ce baiser n'éveillait aucun émoi chez elle. Pas d'étincelle, rien... Quelle différence entre un baiser de Tom MacDonald et un baiser de Leonadis Stephanades !

— Bonsoir, Tom, merci pour cette bonne soirée, dit-elle avant de monter chez elle.

Elle trouva Trina et Frew devant la télévision.

— Le téléphone n'a pas arrêté de sonner ! lui dit son amie. Devine qui a cherché à te joindre pendant toute la soirée ?

Jemma se raidit.

— Je n'en ai aucune idée...

— M. Macho-Stephanades lui-même ! lança Frew avec un rire sardonique. J'ai eu le malheur de prendre la dernière communication... Oh ! là, là ! Ça n'a pas plu à M. Macho d'apprendre qu'il y avait un homme chez sa dulcinée !

Jemma se tourna vers Trina.

— J'espère que tu lui as dit de me laisser tranquille.

— Quelle idée ! Comme si c'était mon rôle de transmettre de pareils messages ! Et puis je n'aurais jamais eu le courage de dire des choses désagréables à un homme qui a une voix aussi sexy...

Elle lança un coup d'œil taquin à Frew.

— Si c'était à moi qu'il téléphonait...

Frew haussa les épaules.

— Il t'avalerait en deux bouchées pour son petit déjeuner sans rien remarquer.

— S'il peut me croquer aussi facilement, moi, que fera-t-il à Jemma ?

Cette dernière pinça les lèvres.

— Je vous laisse dire des bêtises. Moi, je vais me coucher.

— Il est de retour à Londres ! cria Trina au moment où Jemma s'éloignait. Il n'a pas eu l'air très content d'apprendre que tu étais sortie.

— Et quand c'est moi qui ai répondu, renchérit Frew, il a cru que j'étais son rival et a menacé de venir m'éjecter !

— J'espère que tu lui as dit ce qu'il en était, rétorqua Jemma d'un ton acide. Toi, mon fiancé ? Il faudrait que j'aie vraiment mauvais goût !

— Eh là ! protesta Trina. C'est l'amour de ma vie que tu insultes !

— Tu peux dire à l'homme de ta vie de ne pas s'occuper de mes affaires. Et que...

La sonnerie du téléphone l'interrompit. Soudain figée sur place, elle contempla l'appareil d'un air terrifié.

— Tu veux que je réponde ? demanda gentiment Trina.

C'était bien tentant... Jemma eut cependant le courage de refuser.

— Non, je vais prendre la communication dans l'entrée.

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Elle sortit et, après avoir soigneusement fermé la porte du séjour, elle souleva le combiné, le porta à son oreille et, en silence, attendit.

— Jemma ?

Elle ferma les yeux. Le seul son de sa voix la troublait...

— Oui, chuchota-t-elle enfin.

— Je veux vous voir.

— Moi, je ne...

— Maintenant ! coupa-t-il. Je passerai vous prendre dans une demi-heure.

— Mais il est déjà presque minuit !

— Je donnerai un coup de klaxon quand j'arriverai en bas de chez vous. Vous aurez trois minutes pour descendre. Sinon je monterai. Compris Jemma ? Et n'essayer pas de vous dérober ! On ne joue pas ce petit jeu avec moi.

A l'autre bout du fil, il y eu un déclic. Il avait raccrocher... après avoir eu le front de la menacer !

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3.3.Leonadis n'eut même pas besoin de klaxonner : Jemma l'attendait déjà dehors, enveloppée dans

son duffle-coat bleu pâle. Elle était furieuse.

Quand il se pencha pour lui ouvrir la portière de sa Mercedes gris métallisé, elle aperçut son visage crispé à la lueur du plafonnier. Lui aussi avait l'air très en colère...

Sans un mot, la jeune femme s'assit et fixa un point droit devant elle.

— Ceinture ! ordonna-t-il.

Elle allait le rabrouer, mais elle n'en eut pas le temps : il avait déjà enclenché la première vitesse et la voiture bondit littéralement en avant. Au lieu de protester. Jemma s'empressa de boucler sa ceinture.

Au premier feu rouge, il lui adressa un regard glacial qu'elle lui retourna avec défi. Mais il avait suffi que leurs yeux se rencontrent pour que gagnée par un trouble intense, elle se mette à trembler de tous ses membres. Comment pouvait-elle être à ce point consciente de la présence d'un homme qu'elle connaissait à peine ? C'était... délirant !

Trina avait peut-être raison, après tout... Ses émotions, trop longtemps contenues, jaillissaient soudain avec une violence inouïe.

Leonadis ne tarda pas à garer sa voiture à Grosvenor Square.

C'était une adresse prestigieuse... Mais lorsqu'on s'appelait Leonadis Stephanades, on n'habitait pas n'importe où !

Il sortit de voiture et en fit le tour pour ouvrir à Jemma. Voyant celle-ci hésiter, il déclara d'un ton sec :

— Ne commettez pas l'erreur de me braver. Ce n'est pas le moment, je suis fatigué et de mauvaise humeur.

Comprenant que mieux valait ne pas discuter, elle se résigna à le suivre dans le hall d'un ravissant petit hôtel particulier. Machinalement, elle regarda autour d'elle et ne put s'empêcher d'admirer l'harmonie qui régnait entre les murs couleur pêche et les meubles anciens en acajou.

Leonadis feuilleta d'un doigt négligent le courrier empilé sur un plateau d'argent. Il n'était donc pas rentré chez lui depuis son retour à Londres ? Où était-il donc allé ? A son bureau ? Ou bien... chez une autre femme ?

A cette pensée, la jalousie submergea Jemma. Choquée par sa réaction, elle pivota brusquement sur les talons, prête à fuir. Mais il la saisit par le bras.

— Où allez-vous ?

— Je ne veux pas rester ici !

En guise de réponse, il ferma la porte à clé, puis il ôta le duffle-coat de la jeune femme et le jeta sur une chaise. Les forces manquèrent brusquement à Jemma. Résister ? Elle en était incapable... Comment cela aurait-il été possible quand il lui semblait être devenue une poupée de chiffon ?

S'emparant de son sac, Leonadis se dirigea vers le salon. D'un pas mal assuré, elle le suivit dans cette vaste pièce décorée en jaune pâle et blanc. Déjà, son hôte était en train de verser un liquide ambré dans deux verres en cristal.

Il la détailla des pieds à la tête et haussa les sourcils. Ce soir-là, Jemma portait une robe en Stretch bleu glacier qu'elle avait trouvée en solde chez un styliste réputé. Une robe décolletée, très courte mais surtout très moulante. Sous le regard de Tom, elle s'était sentie jolie dans cette tenue. Mais soudain, elle avait l'impression d'être très déshabillée, très vulnérable...

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— C'est pour lui que vous vous êtes habillée comme ça ?

Elle se redressa avec fierté.

— Et alors ? De quoi vous mêlez-vous ?

— De mes affaires, ma chère. Vous avez encore beaucoup à apprendre, je vois ! murmura-t-il en lui tendant l'un des verres.

Jemma jeta un coup d'œil méfiant à son contenu.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Du Metaxa, un cognac grec. N'ayez pas peur, je ne l'ai pas drogué ! La preuve : je prends la même chose.

Après en avoir bu une gorgée, Jemma ne put s'empêcher de remarquer avec étonnement :

— C'est bon !

Leonadis esquissa un bref sourire, mais ses yeux étincelaient toujours.

— Vous tenez à lui ? lança-t-il d'un ton rogue.

— A qui ?

— Cet homme avec lequel vous êtes sortie ce soir...

— Comment pourrais-je le savoir ? s'écria-t-elle. Je le connais à peine ! C'était notre première sortie !

— Ce n'est pas une raison. Dès que vous m'avez vu, vous avez su que vous me vouliez.

Terriblement humiliée, la jeune femme baissa la tête.

— II... il y a une... une différence énorme entre... euh, vouloir et avoir, balbutia-t-elle.

— Je suis là ! dit-il en lui tendant les bras.

Il souriait de nouveau, mais elle ne s'y trompait pas : il était toujours en colère.

— Oui, je suis là ! répéta-t-il. Ce qui ne vous a pas empêchée de flirter avec ce garçon au séduisant sourire et aux cheveux châtains tout hérissés d'épis.

Jemma ouvrit de grands yeux.

— Comment pouvez-vous décrire Tom ?

Leonadis la fixa en silence. Quand il la regardait ainsi, une étrange mollesse la gagnait et tout tournait autour d'elle.

— Tom MacDonald, déclara-t-il enfin. Vingt-neuf ans, récemment engagé par le cabinet d'architectes Driver & Lowe. S'est installé dans l'appartement situé au-dessous du vôtre la semaine dernière. Solde bancaire : 1 052 livres. A pris le bus avec vous mercredi. Jeudi, a emprunté à la charmante Trina, avec qui vous logez, quelques sachets de thé.

Médusée, Jemma écoutait ce résumé insensé. Et ce n'était pas fini !

— Trina Beaton, reprit-il. Une jolie rousse très entreprenante. Dirige sa propre société. Apparemment, ce sont ses employées qui font le gros du ménage ici... Vous vivez avec elle depuis que vous êtes arrivée à Londres il y a quatre ans. Son comptable est aussi son amant, même s'ils n'utilisent jamais votre appartement pour... hum, leurs activités extra-professionnelles.

— Mais..., fit Jemma d'une voix étranglée.

— Frew Landers — c'est le nom du comptable. Intelligent, vif, débrouillard. Son passe-temps favori ? Taquiner Jemma Davis.

— Oh!

— Jemma Davis, vingt-quatre ans. Parents tués dans un accident de voiture il y a quatre ans. Études de gestion et de marketing. A travaillé pour trois sociétés.

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— Par exemple ! Vous...

— La dernière en date, TDC, est dirigée par Josh Tanner. Au début, celui-ci s'intéressait plus à votre look qu'à vos diplômes. Mais vous n'êtes pas tombée dans ses filets. Vous êtes devenue son bras droit, même s'il ne s'en est pas encore rendu compte. Très dragueur, ce monsieur... A propos, comment va Cassie ?

— Je... j'ai besoin de reprendre mes esprits...

— Bien sûr.

Il la prit par le bras et la fit asseoir sur l'un des confortables canapés qui encadraient la cheminée en acajou surmontée d'un merveilleux bouquet de fleurs tropicales.

Très pâle, les doigts crispés sur son verre, Jemma se recroquevilla sur elle-même au coin du siège. De force, Leonadis lui fit boire une gorgée de cognac et un peu de couleur lui revint aux joues.

— Je suis navré, murmura-t-il. Je ne vous aurais jamais dit tout cela si vous ne m'aviez pas mis aussi en colère.

— Pourquoi vous êtes-vous mis en devoir de chercher tous ces... ces...

Il haussa les épaules.

— C'est simple, je vous veux, répondit-il comme si cela expliquait tout. Mais ma position m'oblige à faire preuve d'une excessive prudence. Le pouvoir vous vaut toujours de nombreux ennemis et le danger peut venir de partout...

— Vous me prenez pour une Mata Hari ? lança Jemma avec mépris. Vous croyez que j'en veux à vos secrets d'entreprise ?

— On ne sait jamais. Vous pourriez aussi avoir un passé louche, et cela pourrait me nuire.

— Mais c'est incroyable ! Quelle arrogance !

Furieuse, Jemma se mit debout.

— Apprenez, monsieur Stephanades, que malgré mon « passé louche », je me montre très difficile !

— Je le sais, répondit-il en souriant.

— Tout cela me... me dégoûte !

Sur des jambes qui la portaient à peine, elle se dirigea vers la porte, poursuivie par la voix moqueuse, la voix cruelle de son tortionnaire.

— Vierge et fière de l'être ! Vos amis font des paris... Qui réussira à vous faire céder ?

Elle s'immobilisa, soudain incapable de faire un pas de plus.

« Ce n'est pas possible ! songea-t-elle confusément. Je fais un cauchemar... Un horrible cauchemar ! » Sans la moindre pitié, il ajouta :

— On dit que vous avez dû subir une mauvaise expérience pour manifester une telle indifférence au sexe opposé. Mais moi, je sais qu'un véritable incendie couve sous cette glace.

Horrifiée, Jemma ferma les yeux tandis qu'il poursuivait :

— L'époque où j'allais avec n'importe qui est finie depuis longtemps, agape mou. C'est bien trop dangereux de nos jours ! Et j'ai la faiblesse de tenir à ma santé...

— Mon Dieu, murmura-t-elle d'une voix blanche. J'ai peine à croire ce que j'entends !

— Je vous veux, mais cela ne m'empêche pas de me méfier. C'est pourquoi, par prudence, j'ai ordonné une petite enquête.

— De nos jours, vous ne vous offrez que des vierges ? demanda Jemma d'un ton cinglant.

— De nos jours, j'évite les femmes. Vous êtes l'exception.

— Je devrais être fière de cet honneur, je suppose ?

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— Vous pourriez au moins être contente de savoir que vous ne courrez aucun risque avec moi.

Écœurée, elle soutint son regard.

— J'aime autant courir des risques avec Tom MacDonald qu'avec un être aussi calculateur que vous ! Bonne soirée !

La jeune femme saisit son sac et partit en courant. Elle eut la présence d'esprit de s'emparer au passage de son duffle-coat avant de faire jouer la clé dans la serrure avec des doigts tremblants. Au moment où elle allait sortir, Leonadis la rattrapa. Il l'enlaça et lui prit les lèvres dans un baiser presque brutal. Elle se débattit de toutes ses forces pendant quelques instants avant de s'abandonner, les yeux clos, vaincue... Et le monde arrêta de tourner.

Leonadis releva enfin la tête.

— Vous croyez que je permettrais que vous donniez tout ça à un Tom MacDonald ?

Jemma retrouva un peu de son ardeur combative.

— Parce que vous voulez tout ? Désolée... Plutôt mourir.

Haletants, fous de rage mais encore plus de désir, ils se faisaient face.

— Eh bien... mourez ! s'écria Leonadis en l'étreignant passionnément. Parce que je serai le seul homme qui vous aura jamais !

Et il lui reprit les lèvres dans un baiser sans fin. Submergée de désir et de colère, par moments Jemma se débattait, et à d'autres elle lui répondait avec une ardeur, une frénésie dont elle ne se serait jamais crue capable.

Voyant des larmes jaillir brusquement des yeux de la jeune femme, Leonadis se rejeta en arrière.

— Mon Dieu, mais que nous arrive-t-il ? murmura-t-il, comme dégrisé.

Et il se mit à jurer en grec. Puis, avec une infinie douceur, il la reprit dans ses bras et enfouit son visage dans ses cheveux. Jemma ne songeait plus à résister. Elle resta contre lui, les yeux clos, heureuse de pouvoir prendre appui contre cette solide poitrine. Elle était dans un tel état qu'elle aurait été incapable de faire trois pas sans s'effondrer et elle ne songea pas à bouger lorsque Leonadis la lâcha enfin.

— Je vais faire du café, déclara-t-il comme si rien ne s'était passé.

Le monde se remit à tourner...

Restée seule, Jemma regarda autour d'elle d'un air égaré. Plus rien ni personne ne l'empêchait de partir sur la pointe des pieds. Elle trouverait bien un taxi... et un quart d'heure plus tard elle serait chez elle, à l'abri de cette violence presque hostile qui confinait à la folie. Que signifiait tout cela ? Elle haussa les épaules avec dégoût.

« Au fond, ce n'est rien d'autre que de la lubricité ! » Et sur des jambes flageolantes, elle se dirigea vers la porte d'entrée.

— Où allez-vous ?

Cette simple question, pourtant énoncée avec calme, la fit tressaillir.

— A... à la maison.

Leonadis laissa échapper un profond soupir.

— D'accord. Mais je vous ramène.

Il la prit dans ses bras avec autant de précaution que si elle avait été une précieuse porcelaine.

— Je... j'ai honte de moi, avoua-t-elle en se mettant à trembler de tous ses membres. Je n'ai jamais eu honte à ce point !

— Moi aussi, j'ai honte. Encore plus que vous, car je me sens responsable.

Il la prit par le bras et l'entraîna vers le salon.

— Venez. Vous ne pouvez pas partir dans cet état. Nous allons discuter tranquillement...

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Mais il suffit que leurs yeux se rencontrent de nouveau pour que le désir jaillisse encore une fois. Leonadis se détourna le premier.

— Discuter ? lança-t-il en haussant les épaules. Vous n'en avez pas plus envie que moi en ce moment.

Jemma secoua la tête et quelques mèches de ses cheveux défaits tombèrent sur son visage. Sans même songer à les rejeter en arrière, elle regarda Leonadis avec désespoir.

— Je ne vous connais même pas !

— Nos corps se sont déjà reconnus.

Il l'attira contre lui.

— Il suffirait d'un peu de confiance de votre côté...

— Et du vôtre ?

— Un peu plus de contrôle. Alors nous réussirions peut-être à retrouver le respect de nous-mêmes. Je ne suis pas quelqu'un de violent, Jemma. J'étais de mauvaise humeur, vous étiez en colère... Mais il n'empêche que nous sommes ensemble pour une raison fondamentale. Nous nous désirons, nous avons besoin l'un de l'autre...

Il resserra son étreinte.

— Je vous en prie, permettez-moi de vous faire l'amour... le plus doucement possible, de la plus belle façon qui soit...

— Pas d'attaches ? s'entendit-elle demander. Pas d'autres aventures tant que nous serons ensemble ? Et quand ce sera fini, nous nous séparerons sans faire d'histoires, en bons amis ?

— Voulez-vous que je m'engage davantage ? demanda-t-il avec gravité.

Jemma se souvint des hautes sphères dans lesquelles cet homme évoluait. Elle se souvint aussi de la jeune Grecque qui l'attendait dans son pays natal. Et elle secoua la tête.

— Non. Je ne veux rien de plus que... cela, murmura-t-elle en se lovant contre lui.

Toute sa colère était tombée. Elle s'abandonnait déjà, s'offrant tout entière. Et leur baiser, cette fois, fut infiniment tendre.

Leonadis la souleva sans effort, la transporta à l'étage et la déposa sur un grand lit.

— Faites-moi confiance, agape mou..., murmura-t-il, ses lèvres contre les siennes.

Il releva la tête et la contempla avec des yeux assombris de désir.

— La passion vous va si bien...

Ils ne tardèrent pas à être nus dans les bras l'un de l'autre. Avec autant de patience que de douceur et d'habileté, Leonadis sut la conduire sur le chemin du plaisir. De baisers en caresses, toutes ses inhibitions oubliées, chacune des fibres de son corps en éveil, Jemma frémissait des pieds à la tête....

— Leonadis..., balbutia-t-elle en s'accrochant à lui.

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4.4.— Tu vas aller vivre avec lui ? demanda Trina.

On était déjà dimanche soir, et Jemma venait seulement de rentrer après quarante-huit heures d'absence. Quarante-huit heures de passion, d'amour et de sensualité. Quarante-huit heures merveilleuses...

Leonadis avait été un maître exceptionnel dans l'art d'aimer. Mais Jemma s'était révélée une élève douée... Et leurs corps s'entendaient si bien ! On aurait cru qu'ils se connaissaient depuis des siècles, et il leur suffisait d'un regard pour que s'allume entre eux le feu du désir.

— Non, répondit-elle enfin avec un tendre sourire. Non, je ne vais pas vivre avec lui.

Une ombre légère passa sur son visage. Ce sujet avait été un point de désaccord.

— Il voudrait que je m'installe chez lui, mais je préfère rester ici, reprit-elle.

— Pourquoi ?

— Il voyage beaucoup et je m'imagine seule dans cette grande maison sans personne à qui parler. Ça me déprimerait trop.

— Il n'y a pas de domestique ?

— Ce sont tes équipes qui font le ménage. A part ça, une employée vient tous les matins. C'est tout...

— Il ne reçoit pas ?

— En général, il emmène ses relations d'affaires au restaurant et quand il doit organiser un dîner chez lui, il fait appel à un traiteur. Tu sais, il a des goûts très simples, en fin de compte.

Très pris pendant la journée par le tourbillon incessant des affaires, Leonadis avait raconté à Jemma combien il appréciait la solitude en rentrant le soir.

— Ça m'agacerait d'être accueilli par des domestiques, lui avait-il dit.

— Par conséquent, ça t'agacerait aussi d'avoir une maîtresse, avait-elle rétorqué. Il vaut mieux que je continue à habiter avec Trina.

Le voyant froncer les sourcils, elle s'était attendue à une discussion âpre. Au lieu de cela, il l'avait embrassée sur le bout du nez.

— D'accord... sauf pour les week-ends ! Le vendredi soir, tu viendras ici directement en sortant du bureau et tu resteras avec moi jusqu'au dimanche soir. Je t'achèterai une somptueuse garde-robe pour que tu n'aies pas besoin de faire et de défaire sans cesse tes valises.

Cette offre avait été l'occasion d'un second désaccord.

— Pas de vêtements, Leonadis, avait déclaré Jemma d'un ton catégorique. Pas d'autres présents non plus !

Là-dessus, elle avait pris dans son sac les écrins qu'il lui avait fait porter et les lui avait rendus.

— Il faut que tu me prennes comme je suis. Avec mes bijoux à neuf carats et mes vêtements en solde...

En silence, Leonadis avait contemplé les trois écrins.

— Je ne veux pas que tu me fasses de cadeaux, avait-elle alors insisté. Ça me donne l'impression d'être... d'être...

Elle s'était interrompue, cherchant le mot juste.

— A vendre ? avait-il suggéré d'un ton sec.

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— Non. Ce n'est pas cela... Comment expliquer ? Disons que je me sens ordinaire... Or je n'ai pas envie que tu me traites comme une femme ordinaire. Ça me met mal à l'aise.

Leonadis avait repoussé les écrins avec dédain.

— Tu crois qu'il s'agissait de bijoux coûteux ? Pas du tout. Quand je les ai vus, je les ai trouvés jolis. Ils m'ont fait penser à toi et je me suis dit qu'ils t'iraient bien. Tu sais, il s'agit d'une petite parure très ordinaire !

Partagée entre la colère et l'humiliation, la jeune femme avait sursauté.

— Alors, si je comprends bien, tu me considères comme une femme ordinaire ?

— Ma chère, figure-toi que si c'était le cas, tu ne serais pas là en ce moment.

— Alors pourquoi proposer de m'offrir une garde-robe somptueuse ? Pourquoi ces bijoux coûteux — pardon, ordinaires ? Si ça te dérange d'être vu avec quelqu'un qui porte des vêtements bon marché, autant rompre tout de suite !

— Tu te fâches pour un rien, tu es vraiment d'une susceptibilité maladive ! Cette discussion est ridicule. Moi je n'ai jamais voulu t'offenser...

— Non?

— Ecoute, Jemma, que tu portes une robe de soie signée du plus grand couturier parisien ou un vieux T-shirt, pour moi tu seras toujours la plus belle femme du monde. Ça me ferait plaisir de t'acheter de jolies choses, pourquoi veux-tu m'en empêcher ?

— Parce que je me sentirai mieux si tu ne me couvres pas de cadeaux démesurés. Je n'ai rien à t'offrir — sinon moi. Et je ne veux rien en contrepartie — sinon toi. Est-ce si compliqué à comprendre ?

Leonadis l'avait enlacée avec tant de tendresse que les larmes étaient venues aux yeux de Jemma.

— Tu as tort, tu sais..., avait-il murmuré. Tu m'as donné le plus précieux des cadeaux qu'une femme peut offrir à un homme, agape mou. Cela ne mérite-t-il pas une récompense ?

Elle avait rougi.

— Je t'ai offert cela librement.

— Comme si je ne le savais pas ! Mais vois-tu, je ne peux pas te restituer ce présent inestimable, tandis que toi, tu refuses ces petits bijoux de rien du tout. Reprends-les, s'il te plaît, Jemma. Sinon c'est moi qui serai gêné.

Après avoir hésité pendant quelques instants, elle s'était rendue à ses arguments.

— D'accord.

— Permets-moi aussi de t'offrir quelques vêtements.

— Juste un ou deux ! Si j'arrive ici vendredi prochain pour trouver un placard plein, je jetterai tout par la fenêtre !

— Jemma...

La voix de Trina ramena la jeune femme à l'instant présent.

— Oui?

Son amie la regardait avec inquiétude.

— Tu crois que... que tu fais bien de te lancer dans une telle aventure ?

— Je n'en sais rien. Je sais seulement que je ne peux pas me passer de lui.

— Tu l'aimes ?

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Jemma hésita. Etait-ce cela, l'amour ? Était-elle tombée follement, désespérément amoureuse de Leonadis Stephanades dès le premier regard ?

— Bien sûr que tu l'aimes ! s'exclama Trina. Je te connais... Tu ne te serais pas laissé piéger dans une pareille situation si ton cœur n'avait pas parlé.

Elle hocha la tête en répétant d'un ton convaincu :

— Oui, tu l'aimes. Et je parie que ce salaud le sait ! Mais ça ne l'empêchera pas de te laisser tomber sans le moindre scrupule quand il en aura assez de toi.

— Je vais me coucher, dit Jemma d'un ton froid. Bonne nuit, Trina.

— Je te préviens, il va te faire souffrir ! C'est le genre de type qui s'offre ce qui lui plaît sans se soucier des conséquences. Dans la vie, il y a ceux qui prennent et ceux qui donnent. Ton Leonadis fait partie de la première catégorie.

— Tu crois que je ne lui prends rien, moi ?

— Ce n'est pas du tout la même chose. A la fin de cette histoire, c'est toi qui pleureras, pas lui.

— Bonne nuit. Trina, répéta Jemma.

Elle était sur le point de se retirer dans sa chambre quand Trina cria de toutes ses forces :

— Je le déteste, ce sale type !

Jemma ne put s'empêcher de sourire.

— Ah bon ? Tu peux compter sur moi pour lui transmettre le message.

— Pas la peine. C'est moi qui le lui dirai !

Leonadis prit l'habitude de téléphoner à Jemma presque tous les après-midi. Ses communications étaient très brèves, mais il suffisait à la jeune femme d'entendre sa voix si chaude, si rauque et si sensuelle pour avoir l'impression de planer à des centaines de mètres au-dessus de son petit bureau.

Le mercredi, un livreur lui apporta un ravissant bouquet de freesias dont le parfum capiteux envahit aussitôt! le bureau. Un petit mot accompagnait l'envoi.

« Ce n'est pas un cadeau ! avait écrit Leonadis sur un bristol gravé à son nom. Juste un petit bonjour parce que je n'aurai pas le temps de t'appeler aujourd'hui. Mais je voulais te rappeler qu'on se voyait ce soir. L. »

Josh fit irruption juste à ce moment-là dans la pièce et Jemma eut tout juste le temps de cacher la carte.

— Oh ! là, là ! Qui t'envoie des fleurs ?

— Un admirateur.

Sachant que les deux hommes ne s'entendaient guère, Jemma n'avait aucune envie que son patron soit au courant de sa liaison.

Quant à Cassie, on n'entendait plus parler d'elle et Josh accusait maintenant Leonadis Stephanades de la lui avoir prise. Tout d'abord, Jemma ne prit pas cette accusation au sérieux, puis les doutes firent du chemin dans son esprit, et la première question qu'elle posa à Leonadis lorsqu'il sonna à la porte de son appartement pour l'emmener dîner fut celle-ci :

— As-tu des nouvelles de Cassie ?

— Non. Pourquoi ?

Sans attendre la réponse, il s'écria :

— Mais tu n'es pas prête ?

Il consulta sa montre. Jemma, qui sortait de la douche, était seulement vêtue d'un peignoir blanc en tissu-éponge.

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— J'ai réservé une table pour 20 heures ! tempêta Leonadis. Je déteste être en retard.

— Ne t'inquiète pas, je me dépêche ! Je serai prête dans deux minutes.

Oubliant déjà son accès de jalousie, Jemma courut s'enfermer dans la salle de bains. Tout en achevant de se maquiller, un autre sujet d'inquiétude l'assaillit : elle avait laissé Leonadis en compagnie de Trina et cette dernière n'avait pas l'habitude de mâcher ses mots...

Quand elle les rejoignit, moins de dix minutes plus tard, elle comprit qu'elle n'avait pas eu tort de se faire du souci : dans le petit salon, la tension était presque palpable.

Les mains dans les poches de son élégant costume foncé, Leonadis se tenait debout devant la fenêtre, tournant le dos à Trina dont les yeux lançaient des éclairs.

Jemma se mordilla la lèvre inférieure avec anxiété. Trina avait dû faire la leçon à son amant. Or celui-ci n'était pas homme à accepter qu'on lui fasse la morale !

— Voilà ! Je suis prête..., murmura-t-elle d'une voix faussement enjouée.

Il pivota sur lui-même et, sans mot dire, la détailla des pieds à la tête.

Ce soir-là, elle s'était fait un chignon pour mettre en valeur sa nuque, bien dégagée par l'encolure en collier de chien de cette robe en jacquard de soie noire qui dénudait complètement ses épaules.

Quand elle se retourna pour prendre son sac, Leonadis laissa échapper une brève exclamation. Jemma se redressa, mal à l'aise. L'espace d'un instant, elle avait oublié que sa robe était dos nu...

— Tu veux peut-être que je te prête une veste ? susurra Trina d'un ton acide.

Mal à l'aise, Jemma hésita. Elle croyait que cette robe lui allait bien, mais, soudain, elle n'en était plus aussi sûre.

« C'est peut-être trop exagéré... trop déshabillé... »

Enfin, elle adressa un coup d'œil interrogateur à Leonadis.

— Tu penses que j'ai besoin de mettre quelque chose sur mes épaules ?

Trina laissa échapper un rire sarcastique.

— Il pense surtout à ôter le peu que tu as sur le dos !

Sans même regarder Trina, Leonadis lança d'une voix qui claqua comme un coup de fouet :

— Vous, la paix !

Et, prenant Jemma par la taille, il l'entraîna dehors tout en assurant :

— Tu es parfaite comme ça.

Une fois sur le palier, il l'enlaça et lui caressa le dos.

— Mais elle a raison, tu sais ! J'ai bien envie de te déshabiller...

Ses doigts glissèrent sous les côtés de la robe, frôlèrent les seins nus de la jeune femme. Le même désir les animait et, déjà, leurs lèvres se cherchaient. Les yeux clos, en proie à un trouble sans nom, Jemma s'arqua contre lui.

A l'intérieur, une porte claqua. Leonadis releva la tête et ricana.

— Attention ! La méchante sorcière va sortir !

— Trina n'est pas une sorcière ! protesta Jemma. Et elle n'est pas méchante non plus. Elle se fait du souci pour moi, tout simplement...

— N'empêche qu'elle a une langue de vipère.

Arrivée dans le hall, Jemma s'arrêta.

— Ça t'ennuie qu'elle t'ait parlé franchement ?

— Oh ! Ça m'est bien égal.

— Vraiment ?

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Il haussa les épaules.

— Elle veille sur toi comme une mère poule et s'imagine que ça lui donne le droit de me dire n'importe quoi.

Par jeu, il lui mordilla l'oreille en l'entraînant vers la voiture. Et Trina fut tout de suite oubliée.

Ils avaient dîné dans un restaurant réputé. L'un de ces restaurants horriblement chers où Jemma n'avait jamais mis les pieds, mais dont il était souvent question dans certains magazines sur papier glacé.

Pendant le repas, Leonadis s'était révélé le plus charmant des compagnons. Disert, plein d'humour, cultivé... La jeune femme ne s'était pas ennuyée une seconde. A vrai dire, même s'il n'avait pas prononcé plus de deux mots, elle n'aurait pas davantage trouvé le temps long avec lui...

Le cœur battant, déjà pleine d'émoi, elle attendait la suite de cette soirée qui avait si bien commencé. Mais lorsqu'elle s'aperçut que Leonadis la reconduisait chez elle au lieu de l'amener chez lui, elle se sentit glacée.

Que signifiait tout ceci ? Etait-ce déjà la rupture ? Pourtant il s'était montré si attentionné et si tendre pendant Je dîner !

Après avoir garé sa Mercedes devant l'immeuble où vivait Jemma, Leonadis se tourna vers elle et lui caressa la nuque.

— Merci pour cette bonne soirée.

— Ce serait plutôt à moi de te remercier pour cet excellent dîner, répondit-elle d'un ton cérémonieux.

Incapable déjouer plus longtemps la comédie, elle le regarda avec désespoir.

— Tu... tu ne veux pas de moi ce soir ?

Tout d'abord, Leonadis parut surpris. Puis il laissa échapper un profond soupir.

— Je ne suis pas un homme marié, Jemma.

— Mais... je le sais bien, murmura-t-elle, interloquée.

— Et pourtant tu t'attends à ce que je te traite comme un homme marié traite sa maîtresse ? Cette femme qui l'attend dans l'ombre et qu'il ne voit que pour satisfaire ses instincts...

Jemma demeura silencieuse. Car elle s'attendait en effet à ce genre de relation. Leonadis la lâcha.

— Tu n'as rien compris ! s'exclama-t-il avec colère.

— Pardon.

— C'est insultant ! Pour qui me prends-tu ?

Jemma se fâcha à son tour.

— Et toi ? Comment voudrais-tu que je sache comment ces choses-là se passent ? Après tout, c'est ma première expérience ! Si tu ne veux pas que je commette d'erreurs, tu ferais bien de me donner un mode d'emploi avec des règles précises !

Quand elle voulut ouvrir la portière, il la retint.

— Petite folle ! dit-il en l'enlaçant. Drôle de petite folle... Sais-tu que tu as été adorable ce soir ?

Il lui effleura la tempe d'un baiser.

— Si je m'étais écouté, je t'aurais emmenée chez moi et je t'aurais fait l'amour comme un fou !

— Alors pourquoi...

— Parce que je te respecte. Parce que j'estime qu'il faut par moments savoir se contrôler.

Un sourire joua sur ses lèvres sensuelles.

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— Mais tu ne perds rien pour attendre... Vendredi, nous nous rattraperons, agape mou. Apporte seulement ta brosse à dents, c'est tout ce dont tu auras besoin.

A partir de cette première semaine s'établit le schéma de la première relation amoureuse de Jemma. Le mercredi, si Leonadis était à Londres, il l'emmenait dîner dans un restaurant élégant où ils discutaient sans fin à propos de tout et de rien. Les derniers livres qu'ils avaient lus, les derniers films qu'ils avaient vus... et ils s'étonnaient de se découvrir tant de goûts communs. Les autres jours, où qu'il se trouvât, Leonadis s'arrangeait pour lui téléphoner. Et il organisait son emploi du temps surchargé en fonction du week-end, qu'ils passaient régulièrement ensemble.

Ils se voyaient déjà depuis plus d'un mois quand Leonadis vint chercher la jeune femme pour leur dîner hebdomadaire du mercredi. Il paraissait fatigué ce soir-là, et les réflexions acerbes de Trina semblaient l'agacer plus que de coutume.

Jemma attendit qu'ils soient dans la voiture pour demander :

— Veux-tu que je dise à Trina de te laisser tranquille ?

Leonadis haussa les épaules.

— D'ordinaire, ses flèches me laissent complètement froid. Mais je suis un peu énervé aujourd'hui. Ça doit être le décalage horaire : je viens de faire un aller-retour éclair à New York...

Jemma contempla avec inquiétude son visage tendu, ses yeux cernés.

— On n'est pas obligés de dîner au restaurant si tu n'en as pas envie, dit-elle en posant la main sur le genou de Leonadis dans un geste qu'elle voulait apaisant.

Il en aurait fallu plus pour le calmer et ce fut avec agacement qu'il rétorqua :

— Et qu'est-ce que tu veux faire ? Rester dans la voiture ?

— On pourrait passer la soirée chez toi, bien tranquillement.

Leonadis lui jeta un bref coup d'oeil. Puis, sans mot dire, il lui recouvrit la main de la sienne et prit la direction de son domicile.

A peine arrivé, visiblement épuisé, il s'affala dans un fauteuil. Pendant ce temps. Jemma alla inspecter la cuisine et prépara une omelette et une salade.

Après avoir dîné, Leonadis attira la jeune femme contre lui et s'allongea sur le canapé devant la télévision. Dix minutes plus tard, il dormait... Jemma resta longtemps près de lui. Elle le contemplait — heureuse, tout simplement. A minuit, elle se dégagea sans faire de bruit, enfila son manteau et rentra en taxi.

Leonadis l'appela le lendemain matin au bureau.

— Tu es partie sans rien dire ! Ne fais plus jamais ça.

— Tu dormais, je n'ai pas voulu te déranger.

— Moi. j'aurais aimé te reconduire. Tu mérites une punition !

— Leonadis...

— Oui ! Pour la peine, tu vas de nouveau sortir avec moi ce soir ! Mets quelque chose de sexy. La robe noire que tu portais la première fois que je t'ai emmenée dîner, par exemple. Sois prête à temps, je passerai te prendre à 20 heures.

Il raccrocha sans même lui laisser le temps de répondre.

— Quelle arrogance, monsieur ! murmura Jemma avec tendresse.

Elle souriait et elle garda ce sourire pendant toute la journée, parce que Leonadis, rompant la routine, avait décidé de la voir cette semaine non seulement le mercredi, mais aussi le jeudi.

Cassie téléphona en début d'après-midi.

— Tu crois que Josh va accepter de me parler ?

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— Je ne sais pas...

Jemma contempla d'un air soucieux la porte du bureau de son patron.

— Je peux toujours aller le lui demander, murmura-t-elle sans enthousiasme. Comment vas-tu, Cassie ?

— A merveille ! répondit-elle d'un ton grinçant. Il a proposé de m'entretenir ainsi que l'enfant. Tu es au courant ?

— Non, murmura Jemma, mal à l'aise.

Depuis cette histoire avec Cassie, Josh avait beaucoup changé. L'œil dur, le visage de bois, le séducteur d'antan n'était plus que l'ombre de lui-même.

— C'est un avocat qui m'a informée de cette proposition, reprit Cassie. Josh est prêt à me verser une pension trimestrielle et à prendre en charge les mensualités qui me restent à verser pour l'achat de mon appartement.

Gênée, Jemma soupira.

— Je suis désolée que ça ait si mal tourné, balbutia-t-elle.

A vrai dire, de Josh et de Cassie, elle ne savait pas lequel des deux était le plus à plaindre.

— Si je peux t'aider en quoi que ce soit.... ajouta-t-elle. Ou si tu as tout simplement besoin de parler, n'hésite pas. Je suis là...

— Tu es gentille. Mais pour le moment, ça va, je m'en sors.

— Ne quitte pas. Je vais voir si Josh est arrivé.

Cassie laissa échapper un rire sans joie.

— Inutile de me raconter des histoires ! Dis-moi simplement s'il veut me parler ou pas.

A la grande surprise de Jemma, Josh accepta de prendre la communication. Peut-être y avait-il encore un peu d'espoir, malgré tout ?

« Ce serait si bien s'ils se réconciliaient ! » se dit Jemma.

Hélas ! Quand elle vit le visage buté de Josh, quelques minutes après, elle comprit que ses relations avec Cassie en étaient toujours au même point.

Ce soir-là, Leonadis avait retrouvé sa forme habituelle. Il provoqua même Trina en lui lançant quelques flèches acérées. Celles-ci atteignirent leur cible car, furieuse, la jeune femme quitta la pièce en pestant.

Leonadis éclata de rire.

— Tout feu, tout flammes, la belle Trina !

— Laisse-la tranquille ! s'exclama Jemma. Elle n'est pas libre. Et toi non plus !

— Jalouse ?

— Il y a des raisons pour que je le sois ?

— Peut-être..., rétorqua-t-il d'un air énigmatique en contemplant la porte derrière laquelle venait de disparaître Trina.

Il cherchait à la mettre en colère, mais Jemma s'efforça de ne pas tomber dans le piège.

— On y va ? demanda-t-elle d'une voix unie. Je suis prête.

En descendant l'escalier, ils croisèrent Tom MacDonald qui montait. Le visage de ce dernier s'éclaira en voyant Jemma.

— Où étiez-vous l'autre samedi ?

— L'autre samedi ? répéta-t-elle, incertaine.

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— Ça fait déjà presque un mois... On devait dîner ensemble, mais quand j'ai sonné chez vous, personne n'a répondu.

Jemma mit sa main devant sa bouche.

— Oh ! Tom, pardon ! s'écria-t-elle.

Mue par une soudaine impulsion — peut-être aussi parce qu'elle voulait punir Leonadis de l'avoir taquinée —, elle se haussa sur la pointe des pieds et embrassa le jeune architecte sur la joue.

— Je suis navrée, j'avais complètement oublié !

— Probablement parce que tu avais mieux à faire, suggéra Leonadis.

Il prit la jeune femme par la main et lui adressa un coup d'oeil amusé.

— Quelle honte, ma chérie ! Promettre à un homme de dîner avec lui et aller faire l'amour avec un autre...

— C'est... euh, c'est sans importance, fit Tom avec embarras.

Dès le premier coup d'oeil, il avait compris qu'il ne faisait pas le poids devant Leonadis Stephanades.

Ce dernier serrait toujours la main de Jemma entre des doigts de fer.

— Tu as de la chance cette fois, ma chérie. Les gens ne se montrent pas tous aussi accommodants que ce monsieur.

C'était une menace, elle le devina sans peine.

— Et maintenant, dis au revoir à ton ami. On est déjà en retard...

Elle attendit d'être dehors pour chuchoter :

— Tu es odieux ! Comment as-tu osé lui dire que nous faisions l'amour ?

— C'était la vérité, non ?

Elle tenta de se dégager.

— Lâche-moi ! Tu me fait mal !

Au lieu de cela, il resserra encore son étreinte.

— Si je te reprends à embrasser un autre homme, je te ferai encore plus mal !

Jemma refusa de se laisser impressionner.

— Ah, ah ! Et qui est jaloux, cette fois ? lança-t-elle d'un ton sarcastique.

Leonadis la poussa dans la voiture.

— Monte !

Elle obéit en silence, consciente d'être allée trop loin. On ne se moquait pas impunément de Leonadis Stephanades...

— Où allons-nous ? demanda-t-elle.

— A une réception. Je veux que tu fasses la connaissance de mes amis.

Jemma pâlit. Sourire à des inconnus alors qu'elle venait tout juste de se disputer avec Leonadis ? Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi !

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5.5.La fête battait son plein quand ils firent leur entrée dans les élégants salons d'un somptueux hôtel

particulier. Mais presque toutes les têtes se tournèrent vers eux... Oubliant son ressentiment à l'égard de Leonadis, Jemma se rapprocha de lui, cherchant instinctivement sa protection.

— Ma parole, c'est le musée Grévin, ici ! murmura-t-elle.

Leonadis lui adressa un bref sourire.

— Trop de visages connus ?

— Plutôt ! Je rêve... C'est bien Sonia Craven que je vois là-bas, non ? Oh ! et Mike Williams...

Elle laissa échapper un rire léger.

— ... Je sais que lui a son effigie au musée Grévin, on en parlait à la télévision l'autre jour.

— Tu aimes les pop stars ? Tu veux que je te le présente ?

— Merci, ce n'est pas mon type d'homme, prétendit-elle.

— Peut-on savoir quel est ton type d'homme ?

« L'œil noir, le cheveu noir, l'accent grec, l'air d'un pirate... et une arrogance pas possible ! »

Mais elle n'allait certainement pas lui dire cela ! Il serait beaucoup trop content.

— Leonadîîîîîîîîs !

Une brune très maquillée se jeta dans les bras de son compagnon. Elle portait une robe en taffetas blanc moiré et cinq rangs de perles s'enroulaient autour de son cou altier. Sans adresser un seul regard à Jemma, elle entraîna sa proie.

— Viens vite ! Carlos est là, il veut te féliciter... même si tu lui as joué un sale tour en lui soufflant le marché Pritchard ! Figure-toi que...

Jemma n'en entendit pas davantage : Leonadis et la brune en robe de taffetas venaient de disparaître, littéralement engloutis par la foule.

— On vous a abandonnée ? fit une voix masculine au timbre velouté.

Jemma leva les yeux vers l'inconnu qui venait de lui adresser la parole. Un inconnu ? A vrai dire, pas vraiment, car on voyait son effigie placardée sur tous les murs de la ville pour annoncer la sortie de son nouveau film. Jack Bridgeman lui souriait — de ce sourire qui faisait fondre toutes les femmes sur tous les continents.

— Je vous ai vue arriver avec Stephanades, dit-il.

Sans hâte, de son regard d'un bleu incroyable, il la détailla des pieds à la tête.

— On peut dire que les Grecs s'y entendent pour dénicher de jolies filles !

Jemma se raidit.

— Je vous en prie, monsieur !

Son interlocuteur haussa les sourcils.

— Ça, alors ! Vous vous fâchez parce que je vous fais un compliment ?

— Ah bon ? C'était un compliment ? Votre technique aurait besoin d'être affinée.

L'homme éclata de rire et lui tendit la main tout en se présentant :

— Jack Bridgeman.

— Oh, je sais qui vous êtes ! II faudrait être aveugle pour l'ignorer. On vous voit partout.

Au lieu de se froisser, il se contenta de rétorquer :

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— Vous aussi, ma jolie, vous auriez besoin d'affiner votre technique.

Jemma laissa échapper un soupir résigné en lui serrant la main.

— Jemma Davis. Une parfaite inconnue...

Il la prit par le bras.

— Allons boire quelque chose.

Jemma ne refusa pas. Elle se sentait in peu moins perdue maintenant que Jack Bridgeman lui-même l'avait prise sous son aile. Mais tout en traversant des salons tous plus somptueux les uns que les autres, elle ne cessait de chercher Leonadis du regard.

Ils arrivèrent enfin devant le buffet derrière lequel officiaient des serveurs en veste blanche. C'était là, au centre d'un groupe animé, que se trouvait Leonadis. Il tenait par les épaules la jolie brune aux cinq rangs de perles et semblait avoir complètement oublié Jemma.

La jeune femme fit la moue, consciente de son insignifiance. Au milieu de ces gens riches et célèbres, que représentait-elle, en effet ? Rien.

D'autorité, Jack Bridgeman lui mit un verre dans les mains. Elle avala plusieurs gorgées de ce cocktail et faillit s'étrangler. Jamais elle n'avait bu quelque chose d'aussi fort ! Mais grâce à l'alcool, elle se sentit un peu mieux et, d'un air dégagé, regarda autour d'elle.

— Qui donne cette fête ?

— Elle, répondit Jack Bridgeman en désignant la femme en robe de taffetas blanc qui se collait à Leonadis comme une véritable sangsue.

— Ah ! fit-elle seulement, s'efforçant de ne pas montrer sa jalousie.

« Je me demande pourquoi Leonadis n'est pas venu ici seul se dit-elle. Puisque de toute évidence il préfère la compagnie de son hôtesse à la mienne... »

— Elle ressemble à un affectueux petit chaton noir, reprit Jack Bridgeman. Mais ne vous y fiez pas ! C'est une terrible panthère assoiffée non de sang, mais d'argent. Voilà pourquoi on ne la voit qu'avec des hommes du niveau de votre Stephanades.

— Ce n'est pas mon Stephanades.

En prononçant ces mots, Jemma se dit que c'étaient les plus vrais qu'elle ait jamais dits au sujet de sa relation avec Leonadis.

— Tant mieux ! Dans ce cas, vous êtes libre ? Eh bien, allons danser...

Quand il voulut l'entraîner vers le salon où jouait un petit orchestre, Jemma hésita. Malgré elle, ses yeux revenaient sans cesse vers Leonadis...

« Je devrais peut-être le rejoindre, m'imposer... »

Mais juste à ce moment-là, il serra la jolie brune plus fort contre lui. Et quand elle le vit déposer un petit baiser sur sa joue recouverte d'une épaisse couche de fond de teint, Jemma se détourna, blessée, humiliée...

— Danser ? lança-t-elle en adressant un sourire lumineux à Jack Bridgeman.

Elle termina d'un trait son cocktail et posa son verre sur le plateau qu'un serveur lui présentait.

— Bonne idée !

L'acteur se révéla être un compagnon plein d'humour et cinq minutes plus tard, après avoir fait plusieurs tours de piste, Jemma commença à se détendre — et même à s'amuser.

— Votre robe est très suggestive, Jemma..., dit-il en lui caressant le dos.

— Pas plus que celles des autres !

— En voyant le recto, j'ai perdu la tête, murmura Jack Bridgeman. Mais je n'avais pas encore vu le verso...

— Encore un de vos compliments...

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— ... peu raffinés, termina-t-il dans un éclat de rire.

— Remarquez, vous n'êtes pas mal non plus, pour un sex-symbol, rétorqua la jeune femme, flirtant délibérément.

Jack Bridgeman se remit à rire.

— Voilà un compliment extrêmement raffiné ou je ne m'y connais pas.

Jemma se joignit à son hilarité. Elle se sentait un peu étourdie, légère... mais quand elle aperçut Leonadis debout au bord de la piste, elle se figea.

Jack Bridgeman suivit son regard.

— Ah ! une sommation de Sa Majesté !

— On dirait, oui...

— Vous savez, vous n'êtes pas obligée d'aller le rejoindre. Il vous suffit de lui tourner le dos... il comprendra et n'insistera pas. Stephanades n'est pas le genre d'homme à faire des scènes. Si vous croyez qu'il va courir après vous !

Jack Bridgeman n'avait pas besoin de lui expliquer tout cela. Jemma savait que Leonadis était beaucoup trop orgueilleux pour s'abaisser à réclamer ce qui lui appartenait.

— Alors ? demanda Jack Bridgeman en la regardant d'un air interrogateur. Qu'allez-vous faire ?

Mue par une impulsion subite, Jemma se haussa sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue.

— Bonsoir, Jack. Et... merci.

— Bonsoir, Jemma.

Sans insister, Jack Bridgeman laissa retomber ses bras.

— Bonne chance, murmura-t-il en la laissant aller. Quelques instants plus tard, elle rejoignait Leonadis.

— Si tu veux partir, je suis prête.

Elle s'attendait à un commentaire acerbe ou bien à un silence lourd de signification. Au lieu de cela, il la prit par les épaules et sourit avant de déposer un léger baiser sur ses lèvres... Sidérée, Jemma l'accompagna sans mot dire jusqu'à la voiture.

— Tu es fâchée ? demanda Leonadis un peu plus tard.

Elle feignit de ne pas comprendre.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne me suis pas occupé de toi ce soir. Les affaires...

— Drôles d'affaires !

— Heureusement, Jack Bridgeman a eu la gentillesse de se charger de toi.

— Il est charmant ! lança-t-elle d'un ton plein de défi. Sans lui. je me serais horriblement ennuyée.

— Il faudra que je le remercie la prochaine fois que je le verrai.

Au grand étonnement de la jeune femme, Leonadis n'en dit pas plus à ce sujet. Et au cours des semaines qui suivirent, chaque fois qu'ils durent se rendre à des réceptions, si ses « affaires » l'obligeaient à s'éloigner d'elle, il ne se fâchait jamais en la retrouvant en compagnie d'un autre. Jemma, qui trouvait cette attitude non seulement choquante, mais presque incompréhensible, eut la clé de l'énigme quelques jours plus tard, en rencontrant Tom MacDonald dans l'escalier.

— Votre ami s'est-il remis de sa crise de jalousie ? lui demanda le jeune architecte d'un ton badin.

— Euh... oui, bien sûr.

Soudain, tout s'éclairait ! Leonadis avait eu une réaction de colère en la voyant embrasser amicalement Tom...

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Et aussitôt après, il s'en était voulu d'avoir révélé un trait de faiblesse de son caractère. Depuis ce jour-là, il s'efforçait de gommer toute manifestation trop possessive — probablement pour qu'elle ne se fasse pas d'idées, pour bien lui démontrer que leur relation n'irait jamais très loin.

Dans le type de liaison qui était le leur. Iles sentiments ne jouaient aucun rôle. Or la jalousie n'avait de raison d'être que lorsque le cœur était impliqué... Et Leonadis n'éprouvait rien de sérieux à son égard. Rien, sinon du désir physique.

Ses affaires avaient une nouvelle fois appelé Leonadis à New York.

— Je serai absent pendant une dizaine de jours, avait-il dit à la jeune femme.

S'il se rendait fréquemment aux États-Unis, il n'allait que très rarement à Athènes, où pourtant était basé le siège de la société. Était-il en froid avec son père ? C'était possible car il ne parlait jamais de ce dernier. Et au cours des rares occasions où le nom de Dimitri Stephanades avait été mentionné devant lui, Jemma l'avait vu pincer les lèvres.

Pendant son absence, la jeune femme s'inquiéta un peu de l'irrégularité de son cycle. Mais comme ce n'était pas vraiment nouveau, elle n'y attacha guère d'importance. D'autant plus qu'elle n'avait guère le temps de se faire du souci pour sa santé : Josh Tanner avait signé de nouveaux contrats et elle était débordée de travail.

Puis ce qui devait arriver arriva... Son patron apprit un beau jour qu'elle avait une liaison avec Leonadis.

— Tu es folle ! s'écria-t-il. Comme s'il n'y avait pas assez d'hommes à Londres ! Et des hommes sérieux...

— Comme toi ?

Faisant mine de ne pas avoir entendu cette flèche, il continuait à lui faire la morale.

— Il a fallu que tu tombes sur celui-là !

— Je suis heureuse avec lui.

— Tant que ça durera... Mais après ?

Jemma s'était contentée de hausser les épaules.

— A chaque jour suffit sa peine.

— Facile à dire ! Mais...

Elle lui avait coupé la parole.

— Ne t'inquiète pas pour moi, Josh, j'aviserai le moment venu.

Jemma passa le week-end seule — ce qui ne lui était pas arrivé depuis qu'elle avait rencontré Leonadis. Elle errait dans l'appartement comme une âme en peine car Trina était sortie avec Frew. Le dimanche soir, son amie lui téléphona.

— Tu veux venir dîner au restaurant avec nous et quelques amis ? Des gens que tu connais pour la plupart.

Heureuse de cette diversion, Jemma accepta. Mais elle ne tarda pas à le regretter... Elle ne se sentait plus du tout à sa place au milieu de cette bande de jeunes. Leonadis occupait tout son esprit, toutes ses pensées. Comment aurait-elle pu se distraire quand il n'était pas là ?

Le lundi matin, elle se réveilla en proie à de terribles nausées et quand elle se leva, tout se mit à tourner.

— J'ai dû manger hier quelque chose qui ne m'a pas réussi, dit-elle à Trina qui s'inquiétait.

Les jours passèrent... Nausées matinales et vertiges ne cessaient pas, sans qu'elle se sente toutefois assez malade pour consulter un médecin.

Un matin, alors qu'elles prenaient ensemble leur petit déjeuner, Trina l'examina d'un air soucieux.

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— Tu as très mauvaise mine.

— Ça doit être un virus. Il paraît que tout le monde est plus ou moins patraque en ce moment. Bah ! ça passera...

Une demi-heure plus tard, en la voyant arriver au bureau, Josh leva les bras au ciel.

— Tu as une tête épouvantable !

— Eh bien, merci ! Tu t'y entends pour faire des compliments, toi !

— Je parie que c'est la faute de ce Stephanades. Il démolit toutes les femmes... J'en sais quelque chose ! Après tout, j'ai hérité de ses restes !

Jemma bondit.

— Cassie n'a jamais été sa maîtresse.

— Ha, ha ! C'est peut-être ce qu'il t'a raconté, mais je n'en crois pas un mot. On me dit dragueur, mais à côté de lui, je suis un petit saint, moi, ma chère !

Dès son retour, Leonadis remarqua tout de suite la pâleur de Jemma.

— Et on dirait que tu as maigri, aussi... Tu es sûre que ce n'est qu'un virus ?

— Mais oui !

— Tu devrais voir un médecin.

— Pour qu'il me donne une ordonnance longue comme ça ? Merci ! Je préfère me nourrir convenablement ! Des fruits, des légumes... Ça vaut tous les médicaments du monde !

Et, s'efforçant de sourire :

— Je ne me sens pas très malade, tu sais ! D'ailleurs, je vais déjà mieux.

— Tu devrais te reposer un peu. Il y a combien de temps que tu n'es pas partie en vacances ?

— Je suis allée à Noël à la Barbade avec Trina. C'était formidable ! Le soleil, la plage...

— ... le flirt?

— Les flirts, tu veux dire ! corrigea-t-elle en riant. Chaque soir un nouveau...

Leonadis ne resta pas plus d'une semaine à Londres.

— J'ai des affaires très délicates à traiter à New York. Si je ne veux pas que ce marché m'échappe, il faut que je retourne là-bas.

Jemma se sentait tellement fatiguée qu'elle accueillit cette nouvelle presque avec soulagement. Elle avait peine, ces jours-ci, à prolonger les soirées. Si elle s'était écoutée, elle se serait mise au lit dès son retour du bureau.

Josh devenait de plus en plus désagréable. Il n'avait pas pardonné à Cassie de l'avoir trahi et, par ricochet, en voulait à toutes les femmes — même à Jemma !

— Si tu es malade, va voir un médecin ! lança-t-il un jour d'un ton rogue.

Une autre fois, alors qu'elle avait déclassé un dossier, il se fâcha.

— Je commence à en avoir assez ! Ça ne peut plus durer comme ça. Il va falloir que tu choisisses entre ton job et Stephanades...

Jemma avait jusqu'à présent mis un point d'honneur à ne pas parler de son travail à Leonadis. Mais ce soir-là, elle ne put s'empêcher de lui confier combien Josh devenait difficile à vivre.

— Il est d'une humeur exécrable depuis cette histoire avec Cassie...

— Ça t'étonne ? La manière dont elle a agi est impardonnable. Pour moi, c'est la pire des trahisons.

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Jemma se sentit visée. C'était un peu comme si Leonadis lui disait : « Essaie d'en faire autant et tu verras ! »

Elle frissonna et s'empressa de changer de sujet de conversation. Mais elle commençait à comprendre que cette liaison ne pourrait jamais rien lui apporter. La réflexion de Cassie lui revenait souvent à la mémoire : « Une petite Anglaise sans nom ni fortune n'a aucune chance d'accrocher un homme comme Stephanades. »

Et elle se disait que le moment était peut-être venu de rompre...

Leonadis avait-il remarqué sa froideur ? Peut-être. Cependant, si tel était le cas. il ne faisait aucun commentaire. Un soir, en la ramenant chez elle, il déclara :

— J'ai une proposition à te faire.

— Oui ?

— Je repars à New York pour quelques jours. Mais je devrai y retourner pour — je l'espère — conclure enfin l'affaire sur laquelle je travaille depuis un an. Cela risque de durer car il faudra mettre cette société au niveau de toutes celles de la Leonadis Corporation. Par conséquent, je serai retenu aux États-Unis pendant plusieurs mois et ne reviendrai à Londres que pour de si brefs et si rares séjours que cela ou rien...

Toute glacée intérieurement, Jemma murmura :

— C'est... un adieu ?

Il tressaillit.

— Non ! Quelle idée...

Déjà, il l'enlaçait.

— Quelle idée..., répéta-t-il d'un ton grondeur. Vraiment, tu es la femme la plus difficile à comprendre du monde. Pendant tout le week-end, tu m'as traité avec froideur, et maintenant, tu as le toupet de dire que c'est moi qui veux rompre ?

Elle rougit.

— Tu sais que je ne me suis pas sentie très bien ces derniers temps...

Leonadis l'embrassa sur le bout du nez.

— Tu crois que je n'ai rien remarqué ? Tu as besoin de repos et c'est l'une des raisons pour lesquelles je veux que tu m'accompagnes à New York.

— A... à New York ? Moi ?

Leonadis laissa échapper un petit rire amusé.

— Qui d'autre ?

— Mais... et mon appartement ? Et mon travail ?

— Tu m'as avoué toi-même que Tanner devenait impossible à vivre. Ne me dis pas que tu le regretteras !

— II... il faut bien que je gagne ma vie !

— Si tu vivais avec moi, tu n'aurais aucun souci matériel.

Voyant Jemma froncer les sourcils, il se hâta d'ajouter :

— Laisse-moi prendre soin de toi, laisse-moi te gâter, agape mou. J'ai besoin de toi... Viendras-tu ?

Allait-elle tout abandonner pour suivre Leonadis ? Étendue dans le noir, Jemma se posait cette question pour la centième fois peut-être. Leonadis était parti et, déjà, il lui manquait. Elle aimait tant l'écouter respirer, sentir sa présence...

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Mais devait-elle dire adieu à tout ce qui avait constitué sa vie jusqu'à présent pour un homme qui la désirait seulement physiquement ?

— Ne me demande pas de te répondre maintenant. Laisse-moi réfléchir, lui avait-elle dit.

Il s'était presque fâché.

— Comme s'il était nécessaire de réfléchir ! Ou bien tu as envie d'être avec moi ou pas. C'est simple !

— Tu crois ? Pour toi, c'est peut-être simple : il te suffit d'aller t'installer dans l'un de tes nombreux domiciles. Tu es chez toi partout... Pour moi, il s'agit d'un véritable déracinement. Et que se passera-t-il le jour où tu en auras assez de moi et que tu voudras me remplacer ?

— Si c'était toi qui te lassais la première ? Je me rends bien compte que tu aimes la compagnie des autres hommes. Tu flirtes...

— Toi aussi, tu flirtes ! Toi aussi, tu aimes la compagnie des autres femmes !

Leonadis avait soudain paru très las.

— Nous n'allons pas nous disputer !

— Non, mais...

— Je ne veux pas te perdre. Crois-tu que je te ferais une pareille proposition si je ne tenais pas à toi ?

« Physiquement ! avait-elle eu envie de crier. Physiquement, rien de plus ! »

— Je t'en prie, laisse-moi le temps de réfléchir, avait-elle seulement demandé d'une voix neutre.

— Très bien. Je serai de retour la semaine prochaine. J'espère que tu auras eu le temps de prendre une décision.

Quand il l'avait embrassée, elle s'était blottie contre lui.

— Oh ! Leonadis...

En cet instant, si un restant de lucidité ne l'avait pas retenue, elle aurait dit oui à tout ce qu'il voulait. Mais à la dernière minute, quelque chose l'en avait empêchée — une force inconnue, inexplicable...

Pour la même raison diffuse, elle n'avait pas encore parlé à Trina de la proposition de Leonadis.

« Que faire ? » se demanda-t-elle encore une fois.

Le lendemain matin, Josh fit irruption dans son bureau d'un air conquérant. Toute son énergie d'antan semblait être revenue et un grand sourire éclairait son visage.

— Ça y est ! s'exclama-t-il triomphalement.

Jemma, qui tombait des nues, le regarda avec des yeux ronds.

— Pourquoi as-tu l'air si content ?

— Elle est allée à la clinique !

Et comme Jemma ne semblait toujours pas comprendre, il répéta en martelant les syllabes :

— Cassie est allée à la clinique ! Ouf ! on est tranquilles ! Libres comme l'air !

Sans réfléchir une seconde, Jemma se leva et le gifla de toutes ses forces.

— Tu me dégoûtes ! cria-t-elle.

Josh fit un bond en arrière.

— Eh là !

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— Tu n'es qu'un... un sale égoïste ! Le pire salaud qui soit ! Comment oses-tu venir te pavaner devant moi ? Tu n'as pas honte ? Tu devrais te terrer dans un coin ! Tu... Oh ! c'est simple, tu me rends malade !

Et elle courut jusqu'aux toilettes.

Quand elle regagna son bureau, Josh avait disparu. Elle rassembla ses affaires et partit, bien décidée à ne jamais revoir un homme capable de se conduire avec une telle insouciance. Soit, chacun était libre et elle n'avait pas à le juger. Mais un peu de décence ne faisait pas de mal... Et dans de telles circonstances, il n'y avait pas de quoi se réjouir. Le comportement de Josh l'écœurait et allait à rencontre de tous ses principes.

Trina était en train de réorganiser le planning de ses équipes lorsque Jemma regagna l'appartement.

— Je suis malade, dit-elle seulement. Je vais me coucher.

Encore sous le choc devant l'attitude de Josh, elle tremblait de tous ses membres. Elle était dans un tel état qu'elle ne songea même pas à mettre son amie au courant de ce qui venait de se passer. Tout ce qu'elle voulait, c'était se recroqueviller dans son lit, tirer le drap sur sa tête et essayer d'oublier... Mais Trina ne l'entendait pas de cette oreille.

— Ton virus, ton soi-disant virus..., lança-t-elle en haussant les épaules. Il serait temps de faire face à la réalité, tu ne crois pas ?

— Faire face à quoi ?

— Je t'en prie... Tu n'es quand même pas idiote !

Les yeux soudain assombris, Jemma s'effondra dans un fauteuil et se cacha le visage entre les mains.

— Mon Dieu ! Oh, non ! Pas ça !

Enceinte. Elle était enceinte... Voilà pourquoi son inconscient l'avait empêchée de donner une réponse à Leonadis. Voilà pourquoi elle avait réagi si violemment à l'annonce que venait de lui faire Josh. Voilà pourquoi elle se sentait si bizarre depuis plusieurs semaines.

Elle aurait dû deviner depuis longtemps ! Mais peut-être savait-elle — sans toutefois vouloir l'admettre.

— Mon Dieu ! répéta-t-elle d'une voix blanche.

Et les larmes se mirent à couler lentement sur ses joues blêmes. Trina vint s'agenouiller près d'elle.

— Tu n'avais rien remarqué ? Ce n'est pas possible !

— Mon... mon cycle était souvent irrégulier. Alors je... je n'ai pas pensé à m'inquiéter.

— Dis plutôt que tu jouais les autruches !

— Possible...

— Quand vas-tu le mettre au courant ?

Jemma se raidit.

— Jamais !

— Il faut quand même que tu...

— Jamais, te dis-je ! Comment pourrais-je agir ainsi ? Il croira que je l'ai fait exprès, comme Cassie !

— Ce n'est pas du tout la même chose !

— Désolée. C'est exactement pareil !

Trina secoua la tête d'un air navré.

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— Choisir un homme comme Leonadis Stephanades pour avoir une première histoire d'amour ! Je savais bien que tu allais au-devant de gros déboires... Je ne m'étais pas trompée. Regarde-toi maintenant ! Le cœur brisé, enceinte... Ça ne pourrait pas être pire !

Jemma se mit à sangloter désespérément.

— Je l'aime... je ne peux pas lui jouer un tour pareil !

— Alors que vas-tu faire ?

— Je... je ne le sais pas encore. Je suis tellement bouleversée... C'est au point que je n'arrive pas à penser... Oh ! Comment ai-je pu être assez aveugle pour ne pas me rendre compte que... que...

Toujours pratique, Trina déclara :

— Au fond, on se dit que c'est ça, mais on se trompe peut-être. Tu dis que tes cycles ont toujours été irréguliers ? Après tout, tu peux très bien avoir une espèce de grippe qui traîne...

Entre ses larmes, Jemma laissa échapper un rire sans joie.

— Tu crois que c'est une grippe ? Honnêtement ?

Il y eut un long silence. Un silence presque tangible, chargé de tension.

— Non, admit enfin Jemma.

Soudain, Trina bondit.

— Mais comment est-ce possible ? Vous ne preniez pas de précautions ?

— Si... Sauf la première nuit.

— Tu veux dire que ce dragueur patenté, ce tombeur de femmes n'a pas fait attention ? Alors qu'il savait que tu étais vierge ? Alors que...

Jemma n'écoutait plus. Elle se remémorait la nuit merveilleuse qu'elle avait passée dans les bras de Leonadis. Ils étaient bien trop éblouis par la découverte de leurs corps pour songer à autre chose qu'à faire l'amour. Encore et encore...

— Mais ça change tout ! s'écria Trina. Il est aussi responsable que toi — et même plus, parce que lui avait de l'expérience !

Jemma essuya ses larmes d'un revers de la main.

— Quoi qu'il en soit, je ne lui dirai rien, déclara-t-elle d'un ton ferme.

— Par exemple ! Mais il faut qu'il t'épouse ! Répéta Trina en martelant chaque syllabe

— Tu es folle ?

— Lui ? Il ne veut pas se marier, il ne veut pas d'enfants, il...

— Il tient quand même à toi. sinon il ne t'aurait pas proposé daller vivre avec lui à New York.

— De toute manière je refuse de le piéger avec ce bébé. Je ne lui dirai rien ! répéta Jemma avec entêtement.

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6.6.Josh téléphona le lendemain pour demander si Jemma avait l'intention de revenir travailler. Trina,

qui avait pris la communication à la demande de son amie, lui répondit qu'il n'en était pas question. Visiblement soulagé, Josh accepta sans protester la démission de son assistante et promit de lui envoyer un chèque correspondant à ce qu'il lui devait.

Leonadis appelait chaque jour Jemma de New York. Elle en profita pour commencer à dénouer les liens. Il suffisait pour cela de prétendre ne pas avoir compris les mots tendres et de répondre avec froideur... C'était pour elle une épreuve terrible et après cela elle pleurait une bonne partie de la nuit. Mais il fallait en passer par là.

Le jeudi soir, Leonadis lui apprit qu'il serait de retour le lendemain en fin d'après-midi. D'un ton sarcastique, il ajouta :

— Je t'attends ou non ?

S'efforçant de ravaler ses larmes, elle répondit :

— Je viendrai, oui.

Mais comme elle n'avait pas l'intention de s'éterniser, elle n'emporta rien cette fois — même pas une brosse à dents. Leonadis, qui la guettait, lui ouvrit la porte.

— Tu arrives de bonne heure...

Quand elle esquiva son baiser, il laissa échapper un rire dur.

— Je crois avoir compris ! Alors, ta décision est prise ? Tu restes à Londres ?

Déchirée, Jemma baissa la tête. Que n'aurait-elle donné pour se jeter dans les bras de Leonadis, pour lui tendre ses lèvres, pour effacer d'une caresse les lignes qui durcissaient son beau visage ! Au lieu de cela, elle s'entendit déclarer d'une voix rauque :

— Oui.

Leonadis se dirigea vers le bar et servit deux whiskies bien tassés. Jemma refusa le verre qu'il lui tendait. Tout en sirotant le sien à petites gorgées, il examina le visage pâle et ravagé de la jeune femme.

— Tu as trouvé quelqu'un d'autre ?

— Non !

Jemma prit une profonde inspiration avant d'ajouter d'un trait :

— L'idée d'aller vivre à New York ne m'a jamais tentée. Je crois que ce serait une erreur...

— Pourquoi ?

— Parce qu'il n'y a pas d'avenir pour moi là-bas.

Leonadis posa brusquement son verre vide sur une table basse. Ses yeux s'étaient assombris.

— Ah ! nous y sommes... L'avenir !

Il se mit à ricaner.

— Tu essaies de me coincer ! Mais si tu t'attends à une demande en mariage, tu vas être déçue.

— T'ai-je jamais suggéré de m'épouser ? s'écria Jemma avec colère.

— Non, mais...

— Mais je ne veux pas devenir une maîtresse en titre ! coupa-t-elle. Pas plus celle de Leonadis Stephanades que celle d'un autre. Jusqu'à présent, nous avons maintenu une relation sur des bases égales. En gardant mon logement et mon emploi, j'ai réussi à préserver un certain amour-propre. Si

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j'acceptais de te suivre à New York, je ne serais plus que... qu'une femme entretenue. Et cela ne me plaît pas. Voilà !

Sans mot dire, Leonadis alla remplir de nouveau son verre. Ce simple geste fit comprendre à Jemma qu'il n'y avait pas d'espoir. Enfin, il se retourna et dit simplement :

— Alors c'est fini ?

— Oui... Une séparation sans histoires, comme tu le voulais.

Elle réussissait à parler avec un tel calme que Leonadis, pourtant perspicace, ne pouvait remarquer son trouble intérieur. Mais l'annonce de la rupture l'avait certainement secoué, même s'il savait se dominer assez pour n'en rien montrer.

— Je tiens à toi, se crut-elle obligée d'ajouter.

— Pas assez pour me suivre.

Et il alla se resservir un troisième whisky.

— Très bien ! lança-t-il d'un ton léger. Ni larmes ni regrets...

Jemma se raidit.

« Mon Dieu ! S'il savait... »

Soudain, au moment où elle s'y attendait le moins, il l'enlaça passionnément.

— Jemma... Change d'avis ! Je t'en supplie... Nous sommes si bien ensemble !

Au prix d'un effort presque surhumain, elle le repoussa.

— Non.

Il la reprit dans ses bras.

— Laisse-nous au moins encore un week-end !

Elle se durcit. Un week-end avec lui ? C'était si tentant... Mais trop dangereux, aussi, car elle risquait d'oublier ses résolutions. D'autre part, d'imperceptibles changements avaient déjà transformé son corps. Que se passerait-il si Leonadis les remarquait ? Il ne manquerait pas d'en arriver aux conclusions qui s'imposaient... et ce serait terrible !

— Non. Je... je suis désolée, Leonadis, mais je ne peux pas.

— Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ? demanda-t-il avec amertume.

Les larmes aveuglèrent soudain la jeune femme. Elle comprit qu'il ne lui restait plus qu'une chose à faire : s'enfuir tant que ses jambes la portaient encore.

— Adieu, Leonadis ! lança-t-elle avec désespoir.

Et elle partit en courant. Sans qu'il cherche à la rattraper, sans qu'il cherche à la retenir...

Assise à la table de la cuisine, Jemma parcourait le journal du matin tout en grignotant un toast sans appétit.

Elle en était à son cinquième mois de grossesse et continuait à avoir des nausées. Pas seulement le matin, mais pratiquement toute la journée... Le médecin s'arrachait les cheveux.

— Je ne comprends pas ! Tout se passe bien et il n'y a aucune raison pour que vous ayez encore des malaises ! A moins que ceux-ci ne soient d'origine psychologique... Avez-vous des soucis, des problèmes ?

— Non, pas vraiment, prétendait-elle.

Cependant, jamais elle ne s'était sentie aussi lasse de sa vie. Le cheveu terne, le visage pâle, les yeux cernés, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Et comme elle était maigre ! Si son état était maintenant bien visible, elle n'avait pratiquement pas gagné un gramme.

On sonna à la porte et Trina se précipita.

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— J'y vais ! C'est sûrement le courrier...

Pendant que son amie bavardait avec la gardienne, Jemma reprit une coupure du journal de la semaine précédente qu'elle avait précieusement gardée. Dans les pages consacrées à l'économie, il était question de Leonadis...

« Leonadis Stephanades, le brasseur d'affaires grec bien connu, vient de réaliser l'OPA du siècle sur la plus importante compagnie de navigation américaine. Grâce à ce coup de maître, les actions de la Leonadis Corporation ont monté en flèche sur toutes les places boursières.

» A vrai dire, nul n'envisageait la possibilité d'une pareille opération — Dimitri Stephanades, le père du précédent, encore moins que les autres. Le patriarche, qui fêtait le mariage de son second fils, nous a confié : « Leonadis possède un flair étonnant. » Il n'a cependant pas jugé bon d'ajouter qu'il avait refusé de donner carte blanche à son aîné pour se lancer dans une aventure qu'il jugeait perdue d'avance. Leonadis Stephanades a donc réussi cet exploit sans l'appui de la maison mère.

» On est en droit de se demander s'il était sage de lier les mains d'un homme aussi entreprenant que Leonadis Stephanades. Place aux jeunes générations ! L'heure est peut-être venue pour le père de songer à la retraite et de céder la place à son fils aîné... »

Jemma avait lu et relu cet article qui lui en apprenait plus sur Leonadis qu'il ne lui en avait jamais dit lui-même. Tout d'abord, il se trouvait quelqu'un au-dessus de lui — son père en l'occurrence —, qui ne le laissait pas libre de ses mouvements. Et ensuite il avait un frère...

La jeune femme posa la main sur son ventre.

— Ton papa est très fort, tu sais ! murmura-t-elle. Je comprends qu'il nous ait si vite oubliés... Il avait bien autre chose en tête !

La voix de Trina la ramena à l'instant présent.

— Jemma ?

Cette dernière replia le vieux journal.

— Oui ?

— Tiens... Des problèmes, apparemment !

Jemma frissonna en voyant la longue enveloppe en vélin blanc que son amie venait de poser devant elle. Trina avait reconnu elle aussi l'écriture de Leonadis...

— Que peut-il te vouloir, après tout ce temps ? s'exclama-t-elle.

— Je n'en sais rien.

Pour Jemma, qui était persuadée que plus jamais elle n'entendrait parler de Leonadis, cette lettre faisait l'effet d'une petite bombe et ce fut avec des mains tremblantes qu'elle la décacheta enfin.

« Je serai à Londres vendredi et j'aimerais te voir. On dîne ensemble ? Je passerai te prendre à 20 heures. L. »

Ces deux lignes se mirent à danser devant ses yeux soudain brouillés de larmes, tandis que les battements de son cœur s'accéléraient follement.

Cet instant de faiblesse ne dura pas. Déjà, elle se reprenait... Il n'y avait plus de place dans sa vie pour ce genre d'émotions.

— Qu'est-ce qu'il dit ? demanda Trina.

En guise de réponse. Jemma lui tendit la lettre. Après l'avoir parcourue, Trina déclara :

— A mon avis, tu devrais y aller.

Avec un rire sans joie, Jemma désigna sa silhouette alourdie.

— Comme ça ?

— Oui. Il est grand temps que tu le mettes au courant. Il doit t'aider !

— Sûrement pas !

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Quand Jemma voulut aller s'enfermer dans sa chambre. Trina la retint de force.

— Désolée, tu vas m'écouter !

Ignorant l'expression hostile de son amie, elle poursuivit :

— C'est bien simple, mais ta grossesse t'épuise. Tu es en train de ruiner ta santé ! Tu as perdu ton travail...

— Pour de tout autres raisons !

— De toute manière, Leonadis doit t'aider. Il a quand même une énorme responsabilité dans cette affaire !

— Pas du tout.

— Tu n'as pas le droit de lui cacher l'existence de cet enfant. C'est quand même le sien !

— Tiens ! Tu prends son parti, maintenant ? Je croyais que tu le détestais !

— Je persiste à penser qu'il aurait mieux valu que tu ne le rencontres jamais. Mais le mal est fait... Et les conséquences sont chaque jour un peu plus visibles.

Jemma posa la main sur son ventre.

— Tu entends ça, toi ? Ta tante Trina t'en veut !

Trina ne put s'empêcher de rire.

— Arrête de parler à ce bébé comme s'il t'entendait.

— Bien sûr qu'il m'entend ! Bien sûr qu'il me comprend ! C'est mon enfant... Mon enfant à moi toute seule.

— Faux ! Il a un père. Un père dont tu n'as pas le droit de le priver.

Trina avait touché là un point sensible.

— Quoi qu'il en soit, je ne veux pas le voir, murmura Jemma en détournant la tête.

Trina, qui était allée superviser ses équipes de femmes de ménage, revint en fin d'après-midi épuisée.

— Quelle journée ! S'exclama-t-elle en s'effondrant dans un fauteuil. J'ai dû mettre deux équipes sur cet hôtel particulier qu'il fallait nettoyer de fond en comble... Et ce n'est pas fini ! On a donné les doubles-rideaux à la teinturerie, et comme ils ne seront prêts que demain, il faudra que je retourne là-bas pour les suspendre.

— S'agirait-il par hasard d'une maison à Grosvenor Square ? demanda Jemma.

Elle était forcément au courant, car depuis qu'elle avait quitté son travail, elle s'occupait des dossiers de son amie. Trina s'était figée.

— Oui, c'est bien cette maison-là. répondit-elle enfin.

Jemma sortit une lettre de sa poche et la lui tendit.

— Je peux compter sur toi pour mettre ça bien en vue dans l'entrée ? Je n'ai pas osé l'envoyer par la poste parce que j'avais peur que Leonadis ne la reçoive pas en temps voulu.

Trina contemplait l'enveloppe sans mot dire, avec une visible réticence.

— Je serais allée la porter moi-même, poursuivit Jemma, mais j'ai un rendez-vous à l'hôpital.

Cela signifiait qu'elle devait se rendre de l'autre côté de Londres et attendre son tour pendant de longues heures. Trina, qui n'ignorait pas que ces expéditions épuisaient son amie, se décida enfin — sans enthousiasme — à prendre l'enveloppe.

— Bien, déclara-t-elle en pinçant les lèvres.

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Ce vendredi-là, en fin d'après-midi, la nervosité de Jemma s'accrut. Pourtant, elle n'avait rien à craindre ! Leonadis avait dû trouver sa lettre et ne viendrait certainement pas l'importuner.

— Je ne veux pas penser à lui..., murmura-t-elle en pressant les mains sur ses joues fiévreuses.

Et elle se mit à faire les cent pas dans cet appartement vide où elle se sentait soudain très seule. D'autant plus que Trina, qui devait passer le week-end avec Frew, ne rentrerait pas avant le dimanche soir — peut-être même le lundi matin.

Elle alla prendre une douche et resta longtemps sous le jet d'eau tiède, mais cela ne parvint pas à la calmer. Que faire ? La soirée s'annonçait douce. Elle pourrait peut-être faire une petite promenade ? ou bien aller au cinéma ? Justement, on donnait en ce moment le dernier film de Jack Bridgeman.

La jeune femme enfila, au-dessus d'un caleçon blanc, un T-shirt marine géant. Après avoir attaché ses cheveux à l'aide d'une barrette en écaille, elle se maquilla légèrement et s'apprêta à sortir.

Elle ouvrit la porte et laissa échapper une exclamation étranglée.

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7.7.Les yeux agrandis, Jemma contemplait l'homme qui se tenait sur le palier et qui n'était autre que

Leonadis Stephanades en personne. Très bronzé, vêtu de manière estivale — pantalon et polo blancs —, il était plus séduisant que jamais.

Il adressa à la jeune femme un sourire étincelant.

— Tu allais sortir ?

Comme transformée en statue, Jemma ne bougeait toujours pas.

— Que... que fais-tu ici ? réussit-elle enfin à demander. Tu n'as pas reçu mon petit mot ?

— Si.

Le sourire de Leonadis disparut.

— Rentre ! ordonna-t-il d'une voix sèche.

— Mais...

D'autorité, il la poussa à l'intérieur et claqua la porte sur eux.

— Alors, qu'as-tu à me dire ? lança-t-il.

En proie à un trouble intérieur intense, Jemma balbutia :

— Euh... rien.

— Non ?

Leonadis posa les mains à plat sur le ventre de la jeune femme.

— A qui appartient cet enfant ?

— A... à moi.

— Tiens ! Il n'a pas de père ?

Le bébé bougea sous les doigts de Leonadis qui retint sa respiration.

— Tu as senti ? demanda-t-il.

Soudain incapable de parler, Jemma se contenta de hocher la tête.

— Il parle à son père ! s'écria Leonadis d'un ton triomphant. Et maintenant, plus de mensonges, s'il te plaît ! Vas-tu pour une fois être franche avec moi ?

Submergée de colère, la jeune femme s'écria :

— Ah ! tu veux que je sois franche ? Eh bien, ne me touche pas.

— Ce n'était pas toi que je touchais, mais notre enfant.

— Mon enfant. Il est là par ma faute, parce que je n'ai pas su prendre mes responsabilités. Et je ne t'ai pas demandé de venir ici ! Au contraire, je t'ai écrit en te disant que je ne voulais pas te voir !

Elle se mit soudain à trembler.

— Mais si tu es venu m'apprendre que je dois me débarrasser de ce bébé, tu arrives un peu tard ! On n'avorte pas sans raisons médicales sérieuses à ce stade d'une grossesse.

— Avorter ? Par exemple ! Où as-tu pris cela ? Ai-je jamais prononcé un mot pareil ?

En proie à une terrible nausée, Jemma se détourna.

— Non... pour la bonne raison que je ne t'en ai pas laissé le temps. Mais je ne suis pas Cassie, moi ! Jamais tu ne pourras danser de joie en clamant que tu es libéré.

— Cassie ? Que vient-elle faire dans cette histoire ?

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— En réalité, rien. Mais quand elle a avorté, Josh était ravi.

— Ravi ?

— Oui. Et son attitude m'a tellement écœurée que je lui ai donné ma démission.

Jemma se redressa.

— Moi, je n'ai pas eu recours au chantage ! Je n'ai pas essayé de me faire épouser sous prétexte que j'attendais un bébé ! Alors tu n'as pas le droit de débarquer ici sans prévenir, pour me dire que je devrais...

— Cassie a avorté ? s'écria Leonadis avec horreur.

— Oui.

— Et tu penses sérieusement que j'avais l'intention de t'obliger à suivre son exemple ?

— Je... je ne sais pas.

— Par exemple !

Leonadis se mit à marcher de long en large d'un air furibond.

— Assieds-toi ! lança-t-il en la voyant trembler comme une feuille. Tu ne tiens pas debout...

— Qui t'a mis au courant, pour le bébé ?

Il n'avait manifesté aucune surprise en voyant son état. Par conséquent, il savait déjà...

— Qui ? s'écria-t-il. Trina, évidemment !

Jemma pâlit encore un peu plus.

— Elle devait seulement déposer ma lettre chez toi...

— Le hasard a voulu que je rentre un peu plus tôt que prévu. Je l'ai trouvée en train d'accrocher des rideaux...

— Et?

— Et la petite conversation que nous avons eue ne regarde que nous. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu ne mérites pas d'avoir une amie pareille. On l'invitera à notre mariage.

Jemma ouvrit de grands yeux stupéfaits.

— Notre... notre mariage ? Leonadis, voyons ! Je ne peux pas t'épouser !

— Pourquoi pas ?

— Parce que ce n'est pas possible.

— A cause de l'autre ?

— Quel autre ?

— Celui dont tu me parlais dans ta lettre, évidemment ! Celui dont tu es tellement amoureuse.

Jemma baissa les yeux en rougissant. Elle était dans un tel état qu'elle avait tout oublié du contenu de cette missive...

— C'est peut-être cet homme qui est le père de ton enfant ? poursuivit Leonadis, impitoyable. Qui est-ce ? Je le connais ? Est-il meilleur amant que moi ? Est-ce à cause de lui que tu m'as laissé tomber ?

Jemma se boucha les oreilles.

— Tais-toi, je t'en prie ! Tu sais que je ne suis pas... comme ça.

— Ce que je sais, c'est que tu es la pire des menteuses.

La jeune femme se plia en deux, en proie à une nausée encore plus forte que la première.

— Laisse-moi...

— Ça ne te plaît pas d'être traitée de menteuse ?

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— Va-t'en, s'il te plaît.

— Pas avant que tu ne m'aies dit qui est le père de cet enfant.

— Toi, bien sûr ! fit-elle dans un sanglot. Toi ! Comme si tu ne le savais pas ! Oh ! Ex... excuse-moi...

Et elle courut s'enfermer dans la salle de bains. Elle en sortit cinq minutes plus tard, pâle comme un linge.

— Excuse-moi, répéta-t-elle en s'écroulant sur un fauteuil. Je ne me sens pas très bien...

— C'est plus qu'évident ! Tu as maigri... Comment peut-on perdre du poids quand on attend un bébé ?

Leonadis vint s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil où avait pris place la jeune femme.

— Pourquoi ne m'as-tu rien dit, Jemma ? Tu as donc si peu confiance en moi ?

— En toi, si... Mais pas en notre relation.

Il posa un doigt sous le menton de Jemma, l'obligeant à relever la tête.

— Pourtant, je t'ai proposé de vivre avec moi. C'était plus que je n'ai jamais offert à une femme. Ça ne compte pas ?

Jemma retrouva un peu de sa combativité.

— Tu m'as proposé de devenir une femme entretenue !

— Oh ! là, là ! Tout de suite les grands mots... Nous ne sommes plus au XIXe siècle, ma chère !

Elle s'entêta.

— Une femme entretenue, c'est pourtant ça ! Et tu n'as pas fait mystère de tes opinions concernant celles qui se livraient au chantage à l'enfant. On ne peut pas dire que tu m'aies laissé beaucoup le choix !

Leonadis ne répondit pas. Mais il était évident que les arguments de Jemma avaient atteint leur cible ; au lieu de continuer la discussion, il changea de sujet.

— Pourquoi es-tu si maigre et si pâle ?

Elle haussa les épaules.

— Qu'est-ce que j'en sais, moi ! marmonna-t-elle.

— Que disent les médecins ? Parce que je suppose quand même que tu es suivie médicalement ?

— Bien sûr.

— Alors, que disent-ils ? insista Leonadis.

— Ils veulent que je me repose, que je me nourrisse bien...

— Et?

— Et j'ai beau suivre leurs instructions, je reste toujours aussi maigre, répondit-elle avec ironie. Quant au bébé...

— Oui, le bébé ? demanda Leonadis avec anxiété.

— Lui se porte comme un charme.

Leonadis laissa échapper un soupir de soulagement. Puis, voyant Jemma s'essuyer le front d'une main tremblante, il s'inquiéta aussitôt.

— Tu ne te sens pas bien ?

— Dans mon état, on ne se sent jamais en grande forme...

— Pourtant certaines femmes ne semblent jamais aussi épanouies que pendant leur grossesse.

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— Eh bien, ce n'est pas mon cas, coupa Jemma d'un ton sec. Trina, qui voulait au moins trois enfants, a trouvé tout cela si éprouvant qu'elle a décidé de ne jamais en avoir de sa vie.

— Trina..., murmura Leonadis en souriant. Ah ! je t'assure que tu as une bonne amie !

— Pas possible ! Ai-je bien entendu ? Tu ne pouvais pas la supporter autrefois. Et elle non plus, d'ailleurs...

— Nous avons maintenant le même intérêt à défendre.

— Le même intérêt ! répéta Jemma avec un rire sardonique. Quoi qu'il en soit, Trina n'avait pas le droit de me trahir.

— C'est moi qui l'ai forcée à parler. Elle m'a avoué qu'à cause de toi, elle avait refusé d'épouser son Frew quand il a proposé de régulariser.

— Quoi ? Mais... pourquoi ?

— Parce qu'elle se sent responsable de toi, tout simplement. Elle n'ose pas te laisser seule.

— Mon Dieu ! fit Jemma, sidérée et horrifiée.

Car pas une seconde elle n'avait imaginé que son amie se sacrifiait pour elle !

« Je suis devenue un poids pour tout le monde... », pensa-t-elle avec désarroi.

— Et à propos de mariage, reprit Leonadis. Non, je ne parle pas de celui de Trina et de Frew, mais du nôtre ! Écoute-moi bien... Je tiens à ce que tu suives mes instructions à la lettre !

Jemma baissa la tête, vaincue.

— Que veux-tu que je fasse ?

— Pour commencer, tes bagages. Arrange-toi pour être prête demain à l'heure du déjeuner.

— Bien.

— Je veux aussi que tu écrives une longue lettre à Trina pour la remercier de m'avoir mis au courant. Dis-lui que tout s'arrange et que tu es folle de joie...

Il marqua une pause avant d'ajouter d'un ton sarcastique :

— Follement amoureuse, aussi !

— Peut-être devrais-tu me dicter le texte de cette missive ? demanda la jeune femme en pinçant les lèvres.

— Je te fais confiance. Le but de tout ceci est de permettre à Trina d'être heureuse de son côté sans avoir le moindre remords te concernant. Pour qu'elle ne s'inquiète pas à ton sujet, il faut absolument qu'elle pense que tu planes au septième ciel. Tu as compris ?

Jemma hocha la tête en ravalant les larmes insidieuses qui lui picotaient les yeux.

— Tout à fait.

Leonadis se leva et lui tendit la main pour l'aider à se mettre debout à son tour.

— Et maintenant, je t'emmène dîner.

La nausée habituelle la submergea.

— Je n'ai pas faim ! Je serai incapable d'avaler une bouchée et je ne veux pas aller au rest...

— Mais si, coupa-t-il. Tu iras ! Même s'il faut que je te porte jusque-là, même s'il faut que je te fasse manger à la petite cuillère !

Jemma ne protesta pas. Elle comprenait que dorénavant elle n'aurait plus son libre arbitre... Elle avait retrouvé son seigneur et maître et il ne lui restait qu'à obéir.

A sa grande surprise, les nausées qui d'ordinaire accompagnaient chaque repas disparurent comme par enchantement. Et elle fit honneur au délicieux dîner qu'en leur servit dans l'un des meilleurs restaurants londoniens.

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Leonadis la ramena un peu après 22 heures.

— Je ne monte pas agape mou. Va te reposer... Tâche de dormir et ne te plains pas trop de ton sort. Je ne suis quand même pas un si mauvais parti...

La jeune femme soupira profondément.

— Je ne comprends pas pourquoi tu agis ainsi. Je n'attendais rien de toi. je ne t'ai jamais demandé de m'épouser, je...

— Tu préférerais que je t'achète un pavillon de banlieue et que je te verse une pension chaque mois pour élever mon enfant ?

— J'aimerais mieux que tu me laisses mener ma vie à ma guise ! rétorqua-t-elle avec colère.

— Qu'a-t-elle à voir dans tout cela, ta vie ? Rien ! Pas plus que la mienne, d'ailleurs... La seule qui compte, c'est celle-là !

Et dans un geste possessif, il posa la main sur le ventre de la jeune femme.

— Ce bébé a besoin de sa mère et de son père. Il les aura tous les deux — même si je dois te traîner par les cheveux jusqu'à l'autel !

— Mais...

— Pas de discussion. Je viendrai te prendre demain à midi. Sois prête.

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8.8.Jemma marqua un mouvement de recul en voyant où Leonadis portait ses bagages.

— Je ne veux pas réinstaller dans la même chambre que toi ! s'écria-t-elle.

Cet homme n'avait-il donc aucun tact ? Déjà, après être passé la prendre chez elle à midi, comme convenu, il l'avait emmenée d'autorité chez le spécialiste le plus réputé de Londres. Sans tenir compte de sa gêne, il avait décrété qu'il assisterait à l'examen. Et maintenant, il s'attendait à ce qu'elle partage son lit !

— Je te déteste ! fit-elle entre ses dents. Tu es donc complètement insensible ?

— Parce que j'ai décidé que nous dormirions ensemble ?Ou bien parce que j'ai insisté pour t'accompagner dans le cabinet du médecin ?

— Les deux.

Jemma se mit à trembler d'indignation.

— Ton intrusion dans certains aspects très... très personnels de ma vie me déplaît profondément.

— Dis plutôt que c'est mon intrusion dans ta vie en général qui te déplaît !

Comment le nier ? En moins de vingt-quatre heures, Leonadis avait pris son destin en main. C'était tout juste s'il lui laissait la liberté de penser !

— Tu aurais pu respecter ma pudeur et me laisser seule avec le médecin.

— Mes droits de futur père ne comptent pas, peut-être ? J'ai été aussi ému que toi en voyant notre enfant à l'échographie... Et rassuré quand le spécialiste a déclaré que tout se passait bien.

Il la prit par les épaules.

— Désormais, nous formons une famille. Cet enfant — notre enfant — en est la preuve irréfutable.

— Ce n'est pas une raison pour que nous dormions dans le même lit, s'entêta-t-elle.

— Il le faut si nous voulons la réussite de notre mariage.

— Nous ne sommes pas encore mariés !

— Nous le serons dans deux jours.

Jemma porta les mains à ses tempes douloureuses.

— Dans... deux jours ? répéta-t-elle avec stupeur.

— Mais oui. A partir de maintenant, nous ferons chambre commune, que cela te plaise ou non.

— Tu n'es que... qu'une brute !

— Peut-être...

Leonadis l'attira contre lui.

— Agape mou, as-tu oublié comme tu aimais dormir avec ta brute, il y a quelques mois ?

— Nous ne dormions guère ! ne put-elle s'empêcher de commenter.

Il lui caressa la joue.

— Ce sera différent maintenant... Le médecin a dit que tu avais besoin de repos et je vais y veiller. A propos, que penses-tu des bateaux ?

Ce soudain changement de sujet la laissa perplexe.

— Les... les bateaux ? balbutia-t-elle enfin. Quel rapport ?

— Nous pourrions faire une petite croisière. Mais tout dépend de toi... Si tu es sujette au mal de mer, pas question ! Tu as déjà assez de problèmes sans en rajouter !

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A vrai dire, depuis la réapparition inattendue de Leonadis dans son existence, les nausées de Jemma avaient disparu comme par enchantement.

— Je n'ai jamais été malade en bateau, affirma-t-elle. Quand j'étais au lycée, je faisais partie d'un club de voile... Et l'hiver dernier, lorsque Trina et moi sommes allées à la Barbade, nous avons loué un dériveur. Pas de problème !

— Parfait! Nous allons donc partir faire une croisière dans les îles grecques à bord de mon yacht, le Poséidon. Et tu suivras les conseils du médecin à la lettre. Du repos, de la bonne nourriture, une vie calme... En quelques semaines, je parie que tu redeviendras solide !

Pour la première fois depuis bien longtemps, Jemma eut envie de sourire.

— Une croisière en Méditerranée ? Ce serait merveilleux ! Mais...

— Pas de « mais ». Le Poséidon est à Corfou. Nous embarquerons mardi et cap sur les îles Ioniennes. Pas mal comme voyage de noces, non ?

Jemma ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Tout cela lui paraissait soudain bien hypocrite.

— Tu n'as pas besoin de perdre autant de temps pour moi, Leonadis ! Je me rends compte que j'ai déjà bouleversé ta vie...

— C'est vrai, admit-il avec simplicité. Mais voilà, c'est comme ça ! Le destin vous réserve parfois des surprises.

— Ecoute, je...

— Inutile de discuter : tout est décidé, tout est arrangé. Bon ! Et maintenant, si nous pensions à déjeuner ?

Ils allèrent inspecter le contenu du réfrigérateur et du congélateur — exactement comme autrefois. Puis, sans façon, ils mirent le couvert dans la cuisine. Et Jemma fut surprise de constater combien les vieilles habitudes étaient faciles à reprendre.

En terminant sa salade de fruits frais, elle étouffa un bâillement qui ne passa pas inaperçu aux yeux de Leonadis.

— Maintenant, tu vas aller faire la sieste, agape mou. Il y a cinq chambres là-haut... Choisis celle qui te plaît.

Il s'agissait là d'une petite victoire et la jeune femme aurait dû être contente. Au lieu de cela, elle se sentit très déçue.

— Quant à moi, j'ai du travail, poursuivit Leonadis. Je vais m'installer dans mon bureau. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à m'appeler.

— Merci, murmura-t-elle, mal à l'aise.

Qu'aurait-elle pu dire d'autre ?

Leonadis déposa un léger baiser sur ses lèvres. Un baiser auquel, malgré elle, elle répondit avec passion, les yeux clos. Quand elle souleva les paupières, elle vit que Leonadis l'examinait d'un air perplexe. Honteuse de se montrer aussi vulnérable, elle chuchota :

— Je voudrais pouvoir te haïr vraiment...

— Aujourd'hui, tu n'auras aucune raison de m'en vouloir car j'ai l'intention de te laisser en paix dans ta chambre. Alors, détends-toi.

Se détendre ? Depuis deux semaines, Jemma ne faisait que cela. Elle passait ses journées allongée sur le pont de ce grand yacht tout blanc, entre ciel et mer... L'équipage, très discret, se manifestait le moins possible. Chaque matin, une vedette rapide rejoignait le Poséidon pour apporter le courrier matinal ainsi que les dossiers urgents à étudier. Car, même en vacances, Leonadis travaillait...

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Jemma avait très vite compris que lorsqu'on se trouvait à un tel niveau de responsabilités, on ne pouvait pas s'accorder un seul jour de repos. Il y avait des affaires à traiter, des décisions à prendre... Mais lorsqu'il sortait du bureau ultramoderne aménagé à bord, Leonadis se montrait le plus agréable des compagnons. Il venait rejoindre la jeune femme sur le pont, à l'ombre d'un parasol, ou bien il l'emmenait nager. Equipée d'un masque, de palmes et d'un tuba, Jemma évoluait paresseusement au milieu des bancs de poissons multicolores, des anémones de mer et des algues aux formes étranges qui s'étiraient dans le courant.

En quelques jours, son état de santé s'était amélioré de manière spectaculaire et elle se sentait en pleine forme. Ses nausées avaient disparu, son appétit était revenu et elle avait déjà pris quelques kilos. L'ombre grise et maladive qui se traînait à Londres avait fait place à une future maman rayonnante, joliment hâlée par le soleil grec.

Aux heures les plus chaudes de la journée, elle regagnait sa cabine climatisée. Celle-ci, dotée d'une salle de bains tout en marbre, ressemblait à une chambre d'hôtel de grand luxe.

La jeune femme passait le reste du temps dehors, vêtue d'un des innombrables bikinis que Leonadis avait fait livrer à son intention, ainsi que d'une de ces légères tuniques de coton qui étaient si agréables à porter.

Il y avait ce matin une lettre pour elle dans le paquet de courrier que le pilote de la vedette avait livré à bord du Poséidon. Une lettre de Trina...

Mais Jemma n'avait pas encore osé la lire. Elle se trouvait si bien dans l'espèce de petite bulle où Leonadis l'avait installée ! Loin des soucis, très protégée, vivant presque dans un rêve, elle redoutait qu'une mauvaise nouvelle ne vienne tout gâcher.

Elle ne pouvait cependant pas refuser de faire face à la réalité ! Avec un soupir, elle se décida donc à décacheter la lettre de son amie.

« Devine un peu ! Nous nous sommes mariés la semaine dernière... Et si tu trouves que ton mariage a été précipité, je t'assure que c'a été la"même chose pour moi !

» Frew m'a emmenée passer un week-end prolongé à la Barbade... et c'est là qu'a eu lieu la cérémonie. Sur la plage, tu imagines ?

» Nous voici de retour à Londres. Le problème, c'est qu'on avait décidé de s'installer dans l'appartement de Frew. Cela semblait logique puisqu'il se trouve situé tout près de son bureau. Je t'assure qu'on aurait mieux fait de réfléchir avant... C'est bien trop petit ! Il faut qu'on trouve autre chose. Dommage que j'aie rendu les clés de notre ancien appartement, c'était exactement la surface qui nous aurait convenu et j'aurais pu transformer ta chambre en bureau.

» Je suis allée voir notre propriétaire. Hélas ! L'appartement était déjà reloué ! Inutile d'avoir des regrets, ça ne sert à rien... Il ne me reste plus qu'à chercher autre chose. »

Bouleversée, Jemma crispa ses doigts sur le feuillet bleu pâle. Ainsi, des inconnus occupaient leur appartement ? Cela signifiait qu'elle n'avait plus de maison, plus de foyer, plus de point de chute, plus de refuge... Si les choses tournaient mal et si elle souhaitait revenir à Londres sans demander d'aide à Leonadis, où irait-elle ?

Elle se sentit très mal à l'aise en mesurant à quel point elle dépendait désormais de son mari.

Ce dernier arrivait justement sur le pont. Pour lui cacher son visage tendu, la jeune femme enfonça son chapeau de paille sur ses yeux.

Sans mot dire, Leonadis lui tendit un verre d'eau fraîche et deux comprimés.

— Merci.

Tout en buvant, elle l'examina entre ses cils baissés. Musclé et bronzé, seulement vêtu d'un vieux short gris, comme il paraissait solide et sûr de lui.

Soudain troublée, Jemma se détourna. Que lui arrivait-il ? Éprouver du désir pour un homme qui ne ressentait plus rien pour elle ! La vie avait de ces ironies ! Tout côté physique avait clé gommé entre eux depuis qu'ils étaient mariés, alors qu'avant leur mariage il n'y avait que cela qui comptait...

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Après la brève cérémonie qui les avait faits mari et femme, Leonadis l'avait embrassée sur la joue. Un baiser si chaste qu'il aurait pu être celui d'un frère à sa sœur. Et depuis, il avait rigoureusement respecté son souhait de faire chambre à part. Quoi de surprenant, à vrai dire ? Dans son état, Jemma se savait bien peu désirable !

Cette manière de vivre avait cependant ses bons côtés. Ils avaient ainsi appris à mieux se connaître et étaient presque devenus de bons amis.

— Tu veux lire la lettre de Trina ? demanda-t-elle en la lui tendant

— Ça ne t'ennuie pas ?

Elle haussa les épaules.

— Il n'y a pas de secret ! Trina m'annonce son mariage et me dit qu'elle est en train de chercher un nouvel appartement...

Leonadis parcourut la lettre en souriant.

— Ton amie semble heureuse, agape mou.

— Oui.

— Alors pourquoi as-tu l'air si soucieuse ?

— Moi ? Non, non. ça va. C'est seulement que...

Mal à l'aise, Jemma laissa sa phrase en suspens.

— Tu aurais aimé assister à son mariage ? demanda Leonadis.

— Ce n'était pas le genre de mariage où l'on invite tous ses amis !

— Non, en effet. Alors, quel est le problème ?

— Elle a rendu les clés de l'appartement où j'ai passé les quatre années les plus heureuses de ma vie. Cet appartement, c'était... ma maison. Et je vais peut-être te paraître idiote, mais je me trouve un peu perdue, maintenant que je n'ai même plus une chambre en Angleterre.

— Je ne te comprends pas, fit Leonadis en fronçant les sourcils. Tu sais bien que nous avons une maison à Londres.

— Ta maison. Ce n'est pas la même chose...

Comment lui expliquer que, soudain, elle avait l'impression de ne plus rien posséder en propre ? Même s'il s'agissait d'un petit appartement sans prétention dont elle partageait la location avec une amie. Un petit appartement plein de courants d'air, parce que la fenêtre de la cuisine fermait mal et que des vents coulis passaient sous la porte de l'entrée... Sans parler du robinet de la baignoire qui fuyait...

Comment lui expliquer, aussi, qu'elle n'avait plus vraiment d'amie puisque Trina était devenue la femme de Frew ?

« Tout comme je suis devenue la femme de Leonadis. Mais ce n'est pas la même chose... »

— J'ai passé mon enfance et mon adolescence à aller d'une maison à l'autre, d'un appartement à l'autre, d'une ville à l'autre, d'une école à l'autre. Mes parents se quittaient sans cesse, se réconciliaient, repartaient... Un jour, c'était ma mère qui partait avec un amant de passage. A peine était-elle revenue que mon père s'amourachait du premier jupon venu. Et la ronde continuait. .. Je ne savais jamais, d'une semaine à l'autre, avec lequel j'allais me retrouver, et comme nous déménagions sans arrêt, je n'avais jamais le temps de me faire des amis de mon âge.

— Je comprends, mais...

— Après leur mort, je suis venue à Londres pour travailler. Je cherchais un logement. Trina avait mis une annonce pour trouver quelqu'un afin de partager celui qu'elle venait de louer. C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance, que nous nous sommes liées d'amitié... et que, pour la première fois de ma vie, j'ai connu une certaine stabilité.

Jemma ouvrit les mains dans un geste impuissant.

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— Et d'un coup, tout cela vient de disparaître !

— Tu ne penses pas que je peux te donner cette stabilité ? Et pour plus longtemps ?

— Je ne sais pas. Tu m'as épousée à cause du bébé. Un bébé qui n'était pas particulièrement désiré ! Peut-on bâtir une relation solide sur de telles bases ?

Jemma laissa échapper un profond soupir tout en ajoutant a mi-voix, comme pour elle-même :

— J'en doute... Mais nous nous écartons de notre sujet, j'essayais simplement de t'expliquer pourquoi je me sentais un peu déphasée, maintenant que je ne peux plus compter sur Trina ni sur l'appartement que nous avons habité pendant plusieurs années.

Sur ces mots, elle se leva et s'apprêta à regagner sa cabine. Leonadis l'arrêta en lui prenant les mains.

— Tout ce que tu as perdu a été remplacé.

« Par quoi ? » eut-elle envie de demander avec amertume. Au lieu de cela, elle déclara avec un sourire forcé :

— C'est l'heure où je dois me reposer.

Quand elle s'éveilla, une heure plus tard, la trépidation des moteurs lui fit comprendre que le Poséidon avait quitté son mouillage dans une baie abritée entre deux îles couvertes d'oliviers.

Après avoir pris une douche, elle enfila une-djellaba en coton bleu pâle et monta sur le pont. Allongé sur une chaise longue, Leonadis lisait les journaux financiers que la vedette lui avait apportés. Lui aussi s'était changé. Il portait maintenant un pantalon blanc et un polo à manches courtes, blanc également.

— Où allons-nous ? demanda Jemma.

— A Fiskardho, un village de pêcheurs situé au nord de l'île de Céphalonie. J'aimerais que tu visites mon pays. mais, jusqu'à présent, je n'ai pas voulu te fatiguer... Je te crois maintenant assez bien pour faire un peu de tourisme. Nous pourrons flâner dans le village puis dîner dans l'une des tavernes locales. Que dis-tu de ça, agape mou ?

Un large sourire se peignit sur les traits de Jemma.

— Quelle bonne idée !

Le yacht se dirigeait vers deux grandes îles verdoyantes, tandis que le soleil faisait étinceler de mille paillettes d'or la mer d'un bleu intense. Jemma mit sa main en écran au-dessus de ses yeux.

— Laquelle est Céphalonie ?

— Celle de gauche. A droite, c'est Ithaque.

— Ithaque ! s'exclama-t-elle avec émerveillement. L'île d'Homère et de l'Odyssée... Comme tu as de la chance d'être originaire d'un pays aussi fascinant !

— Je suis né ici.

— A Ithaque ?

— Non, en Céphalonie. Je ne suis pas grec, mais céphalonien !

— Cette île appartient pourtant à la Grèce !

— Ce n'est pas une raison... Comme un Irlandais, un Ecossais ou un Gallois, moi je suis fier d'être un Céphalonien !

Jemma ne put s'empêcher de rire.

— Alors je n'ai pas épousé un Grec...

— ... mais un Céphalonien.

— Ah bon !

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— Tu as des regrets ?

Jemma se remit à rire.

— Ma foi... cela change tout ! Je croyais être devenue la femme d'un important homme d'affaires grec... et je me retrouve...

— ... celle d'un important homme d'affaires céphalonien !

Il lui prit les mains.

— Tu sembles plus heureuse... Le moment de déprime est passé ?

— Tout à fait. C'était un peu stupide, non ?

— Il faut que tu me fasses confiance, Jemma. Désormais, ta maison est la mienne. Et je suis ta famille... Je resterai toujours à tes côtés.

— Oh ! je te fais confiance ! assura-t-elle avec élan. Pardonne-moi d'avoir eu un peu de cafard. Il n'y avait vraiment aucune raison pour cela !

Leonadis lui caressa les cheveux avec une infinie tendresse.

— Nous avons été forcés de nous marier dans la précipitation à cause de ce bébé... mais je tiens à toi, tu sais. Je serai toujours là pour te protéger et veiller sur toi. Ne l'oublie jamais !

— Non, je ne l'oublierai pas, fit-elle d'une voix presque inaudible.

C'était la vérité : il tenait à elle. Sinon, jamais il ne lui Minait proposé de l'accompagner à New York. Jamais il ne l'aurait épousée. Jamais non plus il ne l'aurait amenée à bord du Poséidon pour qu'elle se refasse une santé.

Mais tout cela n'était pas vraiment suffisant. Jemma aimait cet homme de tout son cœur, de toute son âme, de chacune des fibres de son corps... Et elle aurait voulu que cet amour soit réciproque.

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9.9.Le village de Fiskardho se trouvait blotti au creux de collines couvertes d'oliviers et de

lauriers-roses, au fond d'une baie abritée.

Mais le tirant d'eau du Poséidon ne lui permettait pas d'entrer dans ce port de pêcheurs. Aussi le capitaine dut-il donner l'ordre de mouiller à distance. A peine l'ancre était-elle jetée que deux marins mirent un hors-bord à l'eau et, quelques minutes plus tard, Leonadis et Jemma débarquaient dans un village de carte postale aux maisons blanches coiffées de toits de tuiles. Partout, il y avait une profusion de fleurs. Les balcons débordaient de géraniums et de bougainvillées, tout comme les grandes jarres en terre cuite disposées de chaque côté des portes peintes en bleu éclatant.

Leonadis échangea deux ou trois phrases en grec avec le vieil homme qui s'était précipité pour amarrer leur embarcation. Ce dernier regarda Jemma d'un air admirateur avant de lui adresser un sourire édenté. Puis il se pencha vers Leonadis et lui chuchota quelques mots qui le firent sourire.

— Qu'a-t-il dit ? demanda Jemma avec curiosité.

— Que j'avais bon goût.

— Et que lui as-tu répondu ?

— Que cela n'avait rien détonnant, puisque j'étais céphalonien.

La jeune femme leva les yeux au ciel.

— Et comme il n'y a pas plus vaniteux qu'un Céphalonien..., remarqua-t-elle en riant.

Leonadis se joignit à son hilarité.

— Bon ! s'exclama-t-il en reprenant enfin son sérieux. Que veux-tu faire ?

— Retrouver mon équilibre. C'est bizarre, j'ai l'impression que le quai bouge comme si nous étions toujours en bateau !

— Une sensation classique. Ça va s'arranger très vite... Veux-tu aller t'asseoir à la terrasse d'une taverne ?

— Je préférerais marcher un peu et faire les vitrines. Il y a des semaines que je n'ai pas vu un magasin !

— Ah ! l'éternel féminin... Viens ! On va flâner un peu. Mais avant, prends ça.

Il lui tendit un rouleau bien serré.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Des drachmes. Tu en auras besoin si tu veux acheter quelque chose.

La voyant hésiter, il eut un mouvement agacé.

— Seigneur ! A-t-on jamais vu une femme ne pas vouloir de l'argent que lui offre son mari ? Je t'en prie, pas de fierté mal placée !

Et, presque de force, il lui mit les billets entre les mains.

— Combien me donnes-tu là ? demanda Jemma avec embarras.

— Pas une fortune ! A peine l'équivalent de quelques livres anglaises.

Sans enthousiasme, Jemma se décida enfin à enfouir les drachmes dans la poche du léger pantalon en coton blanc qu'elle avait revêtu pour descendre à terre. Au-dessus, elle portait une tunique indienne d'un rose très pâle brodée d'un fil à peine plus foncé.

Leonadis l'entraîna vers les échoppes qui bordaient le quai et, en voyant tous ces étalages colorés, la jeune femme ne tarda pas à oublier sa gêne.

La plupart des matons de ce ravissant village avaient été converties en magasins.

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— Pendant la haute saison seulement, lui expliqua Leonadis. L'été fini, les rues reprennent l'aspect qu'elles avaient il y a cinquante ans, avant le boom touristique.

Les villageois vendaient pour la plupart des objets faits à la main : poteries, vanneries, colliers en coquillages ou en graines, ouvrages en dentelle ou en broderie... Jemma allait d'une échoppe à l'autre et ne se lassait pas d'admirer toutes ces merveilles réalisées pendant les longs mois d'hiver.

Leonadis, qui l'avait perdue de vue pendant quelques minutes, la retrouva en contemplation devant une couverture de bébé réalisée entièrement au crochet dans une laine mohair d'une légèreté exceptionnelle.

— Tu veux l'acheter ? demanda-t-il.

Malgré elle, la jeune femme rougit.

— Oui, murmura-t-elle.

Leurs regards se rencontrèrent. Soudain très troublée, Jemma se détourna en rougissant de plus belle.

— Aurai-je assez de drachmes ?

— Ne t'inquiète pas pour ça.

Leonadis la prit par les épaules.

— Tu es si belle..., fit-il avec émotion.

Il se pencha et lui effleura les lèvres d'un baiser aussi léger que l'aile d'un papillon. Puis il régla à l'aide d'une carte de crédit la couverture que la commerçante avait pliée dans un papier de soie. Elle la mit ensuite dans un sac en plastique que Leonadis offrit à Jemma en s'inclinant cérémonieusement.

Les joues de la jeune femme s'empourprèrent de nouveau.

— Merci, murmura-t-elle en baissant les yeux.

Curieusement, ce cadeau pourtant bien simple avait établi entre eux un lien nouveau et ce fut main dans la main qu'ils poursuivirent leur promenade.

L'heure du dîner venue, ils s'attablèrent dans l'une des nombreuses tavernes du port. Il y avait déjà beaucoup de monde dans la vaste salle éclairée par des lanternes multicolores, mais, en bon commerçant, le propriétaire de l'endroit avait tout de suite deviné qu'il avait affaire à des hôtes de marque et les conduisit à la meilleure table.

Leonadis consulta le menu qui était simplement écrit à la craie sur un tableau noir.

— Qu'est-ce qui te tente ?

— Je te laisse choisir.

— Que dirais-tu d'une salade et d'un loup de mer grillé avec de la coriandre ?

— Parfait !

On leur apporta tout d'abord une salade grecque typique, composée de tomates, de poivrons, d'olives noires et de feta. Leonadis avait également commandé une bouteille de retsina, mais n'autorisa pas Jemma à en boire plus d'un verre.

Tout en faisant honneur à ce délicieux repas, ils bavardèrent à bâtons rompus, parlant de tout et de rien. Très détendue, Jemma posait des questions au sujet de l'île — questions auxquelles Leonadis répondait avec un visible orgueil.

Elle lui adressa un sourire amusé.

— Tu sembles très fier d'être céphalonien !

— Et comment !

La jeune femme jeta un coup d'oeil à la ronde.

— Y a-t-il beaucoup d'insulaires dans cette taverne ?

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— L'été, on y voit surtout des touristes !

On parlait toutes les langues autour d'eux. Et les Allemands étaient certainement plus nombreux que les Grecs ! Mais on entendait aussi de l'anglais, du français, de l'italien... Jemma tendit l'oreille.

— A gauche, ce sont des Espagnols... Mais je n'arrive pas à deviner la nationalité des dîneurs assis sous le filet de pêcheur.

— Il y a un couple danois et un autre finlandais. Quant à la petite famille assise un peu à l'écart, elle est hollandaise.

— Une véritable tour de Babel !

Jemma savait déjà que Leonadis parlait plusieurs langues.

— Ne me dis pas que tu es aussi capable de t'exprimer en danois et en finnois !

Il éclata de rire.

— Pas vraiment. Mais je possède quelques notions des idiomes Scandinaves.

— Je t'admire !

— Vraiment ? murmura-t-il en lui adressant un coup d'oeil appuyé.

Puis il lui prit la main. Pour se donner une contenance, Jemma feignit d'écouter la conversation de leurs voisins de table — un groupe de Canadiens à l'accent très fort. Mais elle ne tarda pas à s'intéresser vraiment à ce qu'ils disaient car ils parlaient du grand yacht ancré devant la baie.

— Je me demande à qui il peut appartenir...

Et les suppositions se mirent à pleuvoir. Pour les uns, ce bateau était la propriété d'un émir arabe, pour les autres, il s'agissait du refuge d'un trafiquant colombien, tandis que certains soutenaient avoir reconnu le yacht d'un des chefs de la mafia sicilienne.

En écoutant ces suggestions invraisemblables, Leonadis esquissa un sourire. Il n'avait pas lâché la main de Jemma et celle-ci ne songeait pas à la lui retirer.

Après avoir terminé leur repas par des pâtisseries au miel, ils regagnèrent le quai où ils avaient laissé le hors-bord. Le vieil homme qui avait pris les amarres à l'arrivée maintint l'embarcation le long de la jetée pour permettre à Jemma d'y prendre place, aidée par Leonadis.

Leurs hanches se frôlèrent et, soudain submergée de désir, la jeune femme retint sa respiration. Leonadis remercia chaleureusement le Grec qui regardait Jemma en hochant la tête d'un air entendu.

Quelques instants plus tard, tandis que le hors-bord fonçait droit vers le Poséidon, Leonadis remarqua en riant :

— Tu as un admirateur... Ce vieux Céphalonien te trouve à son goût, c'est certain !

Les yeux rétrécis, il ajouta d'un ton plein de sous-entendus :

— Et il n'est pas le seul !

Le cœur de Jemma se mit à battre la chamade. Elle était toujours très troublée quand ils arrivèrent devant l'échelle du yacht en haut de laquelle attendaient deux marins.

D'ordinaire, quand Jemma se retirait dans sa cabine pour la nuit, Leonadis restait sur le pont. Cette fois, il la suivit... Toute frémissante de désir, elle ouvrit sa porte et se tourna vers lui.

— Merci pour cette excel...

Leonadis la fixait d'un regard brûlant et, soudain incapable d'en dire plus, elle s'interrompit. Très mal à l'aise, elle fit quelques pas dans sa cabine, faisant mine de chercher quelque chose. Avisant la chemise de nuit disposée sur son lit, elle s'en empara et la serra contre elle avec des mains tremblantes.

En quelques enjambées, Leonadis la rejoignit. Il saisit la chemise de nuit et la jeta dans un fauteuil.

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— Pas ce soir, agape mou. Pas ce soir...

Puis il l'enlaça avec une infinie douceur et lui prit les lèvres dans un baiser très tendre qui se fit de plus en plus passionné. Un baiser auquel la jeune femme répondit avec ardeur.

Quoi de surprenant à ce qu'elle se montre aussi réceptive ? Toute la soirée, ils n'avaient cessé de se regarder, de se toucher, tandis que leur désir s'exacerbait...

Il la déshabilla sans hâte, tout en la couvrant de baisers et de caresses. Quand il la transporta sur le grand lit, elle ferma les yeux, s'abandonnant déjà.

— Oh ! Leonadis ! fit-elle dans un cri étranglé.

— Jemma...

Soudain, il hésitait.

— Je... je ne vais pas te faire mal ?

— Non, murmura-t-elle. en lui tendant les bras, s'offrant tout entière.

Blottie contre Leonadis, Jemma écoutait leurs cœurs battre à l'unisson. Jamais ils n'avaient fait l'amour avec autant de douceur, autant de tendresse... On aurait cru que Leonadis voulait lui démontrer que sa place était là, près de lui, avec lui.

Oui, il tenait à elle, c'était évident. Et s'il commençait à l'aimer... un peu ? Elle ferma les yeux.

« Ce serait merveilleux... »

Mais trop beau, aussi ! Avec un petit soupir, la jeune femme se lova contre son mari et s'endormit.

Le lendemain matin, il faisait déjà grand jour quand un bourdonnement les réveilla. Tout en jurant, Leonadis sauta à bas du lit et se précipita dans la salle de bains.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Jemma.

— Rien. Dors...

Quand le bruit devint plus fort, la jeune femme n'eut pas de peine à l'identifier.

— Un hélicoptère, fit-elle à mi-voix.

Après avoir pris une douche rapide, Leonadis sortit de la salle de bains, seulement vêtu d'une serviette de toilette qu'il avait nouée autour de sa taille comme un pagne. Sans adresser un seul coup d'oeil à Jemma, il ramassa ses vêtements et s'apprêta à sortir.

— Leonadis ! appela-t-elle.

Il s'immobilisa.

— Oui ?

— Tu penses que l'hélicoptère a amené quelqu'un pour te voir ?

— Naturellement. Ce n'est pas un hélico, mais un hydravion, corrigea-t-il machinalement.

— Qui vient te...

— Seigneur ! Comment veux-tu que je le sache ? Coupa-t-il avec impatience.

— Tu es furieux, mais ce n'est pas ma faute ! Je t'en prie, ne tourne pas ta colère contre moi !

Leonadis vint s'asseoir sur le bord du lit.

— Pardon...

Il lui caressa les cheveux.

— Sais-tu que tu es très belle au réveil ?

— La flatterie n'a jamais mené à rien. Je voudrais comprendre ce qui se passe.

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— Ne t'inquiète pas, tu le sauras... dès que je l'aurai moi-même appris.

Il lui effleura les lèvres avant de se relever.

— Reste ici. Il est encore très tôt. Essaie de dormir un peu plus. Si tu le peux ! Si tu n'y arrives pas, sonne pour qu'on t'apporte ton petit déjeuner au lit.

— Pourquoi ? demanda-t-elle, se fâchant à son tour. Tu ne veux pas que tes visiteurs me voient ? Tu as honte de moi ?

— Ne sois pas sotte...

Se penchant, il l'embrassa de nouveau.

— Reste ici jusqu'à ce que je nous débarrasse de... de ceux qui ont osé venir nous déranger.

— Pourquoi ?

— Parce que je te le demande. O.K. ?

— Bon, murmura-t-elle, résignée.

Elle ne posa pas d'autre question. Mais cela la blessait profondément de penser que l'homme qui l'avait épousée éprouvait le besoin de la cacher.

Jemma, qui s'était rendormie, ne se réveilla qu'à midi. Elle s'étira langoureusement et un sourire heureux lui vint aux lèvres lorsqu'elle se remémora les événements de la veille. Main dans la main, Leonadis et elle avaient flâné dans le village avant de dîner dans une taverne pittoresque, puis ils étaient revenus ensemble à bord du Poséidon. Et alors...

Ah ! quelle nuit merveilleuse ils avaient passée dans les bras l'un de l'autre !

Mais le réveil avait manqué de romantisme ! Jemma fronça les sourcils en se souvenant combien Leonadis s'était fâché quand un hydravion était venu se poser tout près du yacht. Pressentait-il des problèmes ?

La jeune femme se prépara rapidement et se mit à la recherche de Leonadis. Elle le trouva dans le salon.

— Alors ? J'ai le droit de sortir maintenant ? s'enquit-elle d'un ton sarcastique.

Leonadis ne lui répondit même pas. L'avait-il seulement entendue ? Les sourcils froncés, le visage sombre, il allait et venait comme un ours en cage.

— Leonadis ? Tu as des ennuis ?

Au prix d'un visible effort, il se domina.

— Mais non...

Et, avec un sourire forcé, il annonça :

— Nous avons été invités à une réception ce soir.

Jemma le connaissait maintenant assez pour savoir qu'il était encore très en colère.

— Une fête d'anniversaire, précisa-t-il. Tu as eu ton petit déjeuner ?

— Pas encore.

— Je vais le commander.

Il décrocha le téléphone et, tout en composant le numéro de la cuisine, demanda :

— Où préfères-tu le prendre ? Dans la salle à manger ou sur le pont ?

— Euh... ça m'est égal.

L'attitude de Leonadis la mettait très mal à l'aise.

— Dans la salle à manger ou sur le pont ? répéta-t-il d'une voix tonnante.

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Presque effrayée, elle eut un mouvement de recul.

— Comme tu veux... Euh... ici.

Leonadis donna quelques ordres brefs avant de raccrocher avec brusquerie.

— C'est l'anniversaire de qui ? demanda un peu timidement Jemma.

Leonadis lui tourna le dos en lançant d'un ton rogue :

— De mon père.

La jeune femme se sentit soudain glacée.

— Est-il au courant de mon existence ? Sait-il que... que tu t'es marié et que... que nous allons avoir un enfant ?

— Non.

Avec un sourire presque diabolique. Leonadis enchaîna :

— Mais il ne tardera pas à l'apprendre ! Tu viendras avec moi ce soir pour lui faire une bonne surprise !

Soudain, les jambes de Jemma ne la portaient plus et elle dut s'asseoir.

— Tu crois qu'il va être content ?

— J'en suis sûr, dit Leonadis en ricanant.

Jemma n'avait pas oublié la jeune Grecque que Dimitri Stephanades avait choisie pour son fils. Et elle devinait sans peine que, pour le patriarche céphalonien, la soi-disant bonne surprise serait plutôt mauvaise.

— Je ne veux pas y aller, déclara-t-elle d'un air têtu.

— Par exemple ! J'aurais pensé que tu serais contente de faire la connaissance des miens. C'est l'occasion ou jamais.

Jemma secoua la tête.

— Pas dans de telles conditions. Je trouve que tu devrais les prévenir avant de me présenter. Sinon, cette situation sera aussi pénible pour eux que pour moi. Vas-y seul. Leonadis. Moi, si ça ne t'ennuie pas, je resterai à bord.

— Justement, ça m'ennuie.

Il avait parlé sans élever la voix, mais avec une indéniable autorité. Et bien qu'ils se trouvent dans la même pièce, Jemma avait l'impression qu'ils se tenaient à des kilomètres de distance. Un fossé s'était brusquement creusé entre eux, un fossé qui s'élargissait de seconde en seconde.

— Tu es ma femme maintenant, Jemma. Ta position t'oblige à m'accompagner chez mon père.

— Et la fille qu'il voulait que tu épouses ? Sera-t-elle là aussi ?

Leonadis parut surpris, mais cela ne dura pas.

— Ah ! C'est Cassie qui t'a parlé de tout cela ! J'aurais dû m'en douter...

Il soupira.

— D'accord, cette soirée ne sera peut-être pas une partie de plaisir. Mais quoi qu'il arrive, agape mou, rien ne peut désormais nous séparer.

— Tu en es sur ? Demanda-t-elle avec angoisse. Et si ton père me trouve antipathique ? S'il me met dehors ?

Leonadis eu un rire dur.

— Pas de danger ! Je parie plutôt que lorsqu'il te verra, mon père aura surtout envie de me féliciter !

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10.10.Sans enthousiasme, Jemma contemplait les quatre robes du soir que Leonadis avait fait livrer une

heure auparavant à bord. Le bateau avait contourné l'île et était maintenant amarré au quai du port d'Argostoli.

— Aucune ne me plaît, murmura-t-elle, boudeuse.

En réalité, elles étaient toutes ravissantes. Et si Jemma avait dû se faire belle pour une autre occasion, elle aurait été ravie ! Mais à la perspective de rencontrer le père de Leonadis, elle se sentait de plus en plus mal à l'aise et angoissée.

Leonadis la rejoignit sur ces entrefaites, très élégant dans un costume en lin foncé. Il ne portait pas de cravate et les premiers boutons de sa chemise de soie blanche était ouverts sur un triangle de peau bronzée.

— Tu n'es pas encore prête ? s'exclama-t-il en la voyant seulement vêtue d'un slip et d'un soutien-gorge en dentelle.

Jemma secoua ses longs cheveux, qu'elle avait laissés libres sur ses épaules.

— Aucune ne me va. D'ailleurs, mettre une robe du soir quand on est dans mon état, c'est d'un ridicule achevé !

— En as-tu seulement essayé une ?

— Pourquoi me serais-je donné cette peine ? rétorqua-t-elle avec mauvaise humeur. Je sais qu'elles ne m'iront pas.

— Agape mou, j'ai fait venir ces robes d'Athènes à ton intention et...

— Oh, je sais !

Un avion, spécialement affrété pour l'occasion, les avait transportées jusqu'à l'aéroport de Céphalonie où attendaient deux marins du Poséidon. C'était ainsi que Jemma avait appris que la Leonadis Corporation possédait également une compagnie aérienne...

— On ne met pas de robes du soir quand on ressemble à une montgolfière, déclara-t-elle d'un air buté.

— Mais ce sont des robes de grossesse !

— C'est vrai ?

— Ecoute, j'ai quand même un peu de bon sens ! Ces toilettes sont destinées à des femmes enceintes !

— Ah bon ? Elles n'en ont pas l'air...

Avec une grimace, Jemma examina une tunique de soie bleu roi, puis un fourreau maintenu par d'étroites bretelles qui s'entrecroisaient dans le dos. Il y avait aussi une robe à volants en crêpe rouge, style Ginger Rogers, et une autre tunique mousseline blanche drapée à la grecque.

— Au fond, j'aimerais autant mettre l'une de tes chemisés, déclara-t-elle enfin.

Leonadis haussa les épaules.

— Comme tu veux. L'important, c'est que tu te sentes à l'aise. Mais dépêche-toi ! Une voiture nous attend sur le quai depuis déjà au moins une demi-heure.

— Une voiture conduite par un chauffeur, je suppose ?

Cette fois, Leonadis perdit patience.

— Oh, Jemma ! Que t'arrive-t-il ? Depuis ton réveil, tu cesses de me dire des choses désagréables ! Qu'ai-je fait pour mériter ça ?

Presque au bord des larmes, elle se détourna.

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— Rien. C'est... c'est moi qui suis très énervée. Si tu veux savoir, j'ai peur !

Leonadis la prit par les épaules.

— Il n'y a aucune raison pour cela. Je ne les laisserai pas te faire de mal. Ils ne te diront pas un seul mot déplaisant. Fais-moi confiance !

— Ils vont me regarder comme... comme une bête curieuse !

— Raison de plus pour te sentir sûre de toi dans tes vêtements. Mets donc la robe rouge !

— Elle est trop voyante.

— La bleue ?

— Je risque d'avoir trop chaud..., objecta cette fois la jeune femme.

— La noire ?

— Non, alors ! Je ne vais pas me mettre en deuil quand j'ai déjà l'impression d'aller à un enterrement !

— Il ne reste plus que la blanche.

Jemma fit la moue.

— Elle est trop... révélatrice.

— Arrête de te conduire comme une enfant gâtée. Aurais-tu honte d'être enceinte de ton mari ?

— Bien sûr que non !

— Alors c'est de moi que tu as honte ?

— Ne dis pas de pareilles bêtises ! Je n'ai honte de rien ni de personne !

Leonadis hocha la tête.

— Tant mieux ! Ecoute, je te laisse te préparer. Mets ce que tu veux mais tâche de te dépêcher. Si tu n'es pas sur le pont dans dix minutes, je viendrai t'habiller moi-même !

La menace fit son effet. Restée seule, Jemma s'empressa d'enfiler la tunique blanche. A sa grande surprise, celle-ci lui allait à merveille ; elle mettait son teint bronzé en valeur et suggérait sa grossesse sans la rendre trop évidente. Le créateur de ce modèle avait un talent fou !

Lorsque Leonadis la vit apparaître ainsi vêtue, il ne cacha pas son admiration.

— Tu es splendide ! Je suis fier de toi.

Tout à fait rassérénée, Jemma virevolta sur la pointe de ses sandales blanches en souriant.

— Eh bien... merci.

— J'ai une faveur à te demander. Voici... Accepterais-tu de porter ce bijou ?

Leonadis fit jouer le fermoir d'un long écrin en velours et un collier en rubis et en diamants aussi gros que des bouchons de carafe étincela de tous ses feux. Un collier voyant, vulgaire... horrible, mais qui avait dû coûter une fortune.

— Ça ? s'exclama Jemma avec stupeur. Tu veux vraiment que je...

En voyant son expression. Leonadis esquissa un sourire ironique.

— Je sais, il est affreux. Mais ils vont s'attendre à ce que tu l'aies autour du cou ce soir. Il appartenait à ma mère.

— C'est ton père qui le lui a offert ?

— Oui.

Leonadis laissa échapper un bref ricanement.

— Ça en dit long sur son goût, non ? C'était son premier faux pas et il sera furieux qu'on le lui rappelle.

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— Tu aimes le faire enrager ?

— J'adore. Sais-tu pourquoi il a épousé ma mère ? Tout simplement pour mettre la main sur la Leonadis Corporation. Une fois son but atteint, le charmant fiancé s'est transformé en mari tyrannique. Il a fait de la vie de ma mère un véritable enfer.

Jemma comprenait enfin pourquoi les sociétés sur lesquelles régnaient les Stephanades ne portaient pas leur nom.

— Ta mère était une Leonadis ?

— Exact.

— Et ton frère ?

— Mon demi-frère Nico est né sept mois après que mon père s'est remarié, très peu de temps après la mort de ma mère.

— Quel âge avais-tu à l'époque ?

— Huit ans.

En voyant le visage de Leonadis se crisper, Jemma comprit que les vieilles blessures n'étaient pas encore cicatrisées.

— Anthia était la maîtresse de mon père depuis des années — avant qu'il n'épouse ma mère, reprit-il. Après la mort de cette dernière, Anthia est venue immédiatement vivre à la maison et a voulu s'approprier tout ce que possédait celle qu'elle considérait comme sa rivale. Elle a même essayé de mettre la main sur ce collier.

Jemma hocha la tête.

— D'accord, je le porterai.

Leonadis l'embrassa sur le front en guise de remerciement avant de lui passer le collier autour du cou. Elle fit la grimace en contemplant son reflet dans la glace.

— J'ai l'air d'un arbre de Noël !

Tout en vérifiant la chaînette de sécurité, Leonadis déposa un baiser sur la nuque de sa jeune femme.

— Je te promets de le remplacer par une parure plus discrète à la première occasion. D'ailleurs, je ne t'ai encore rien offert en échange du merveilleux cadeau que tu m'as fait ! Agape mou, je te dois...

Elle posa un doigt sur les lèvres de son mari.

— Tu ne me dois rien du tout ! coupa-t-elle. Le plus beau des présents tu me l'as déjà offert ! Sens-le vivre...

Elle prit la main de Leonadis et, dans uni geste très tendre, la posa sur son ventre.

— Agape mou..., répéta-t-il avec une émotion intense. Je ne te mérite pas. Jemma, il faudrait que je te dise...

Laissant sa phrase en suspens, il haussa les épaules.

— Non, tant pis ! Alea jacta est, comme disaient les Anciens. Allons-y !

Une longue limousine noire les attendait en effet sur le quai. En les voyant traverser la passerelle, un chauffeur en livrée se précipita pour les saluer et leur ouvrir les portières. A peine étaient-ils installés que la voiture partit en direction des collines qui dominaient la mer. La nuit était tombée et Jemma ne se lassait pas d'admirer les myriades d'étoiles qui scintillaient au firmament, tandis que la lune se reflétait dans l'eau sombre en une coulée d'argent.

— La villa de mon père se trouve de l'autre côté de cette baie, déclara soudain Leonadis.

— Oh ! fit seulement Jemma d'une voix étranglée.

En proie à une nervosité et à une anxiété inexplicables, elle crispa les poings si fort que ses ongles pénétrèrent dans sa paume.

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— Nous arrivons.

La limousine, après avoir passé un gigantesque portail à ouverture électronique, remontait une allée interminable. La maison apparut enfin, au milieu de jardins fleuris éclairés par des projecteurs habilement disposés. Une villa, avait dit Leonadis ? Un palais, plutôt... Un petit palais devant lequel étaient déjà garées de nombreuses voitures de luxe.

Le chauffeur arrêta la limousine devant le perron où deux domestiques gantés de blanc attendaient les invités. Déjà, Leonadis avait sauté à bas de la voiture et en faisait le tour pour aider Jemma à descendre.

Comme s'il avait deviné son désarroi, il lui pressa les mains pour lui donner du courage. Forte de son appui, elle se sentit aussitôt un peu mieux.

Les deux serviteurs, qui avaient reconnu Leonadis, s'inclinèrent respectueusement tandis qu'il passait sans même leur adresser un regard, avec cette arrogance que Jemma trouvait si désagréable, mais qui n'était peut-être qu'une réaction de défense. Leonadis était désormais un adulte, mais il était toujours resté quelque part un petit garçon de huit ans meurtri par la mort de sa mère et son trop rapide remplacement...

II la prit par la taille et la fit traverser un hall au sol dallé de marbre. Les portes étaient ouvertes sur des. salons somptueusement meublés, mais vides. La réception se tenait sur la terrasse, derrière la maison. Guidés par le brouhaha des conversations et les éclats de rire, ils arrivèrent devant une vaste piscine scintillante comme une gigantesque opale. Au moins une centaine de personnes avaient trouvé place autour des tables rondes surchargées d'argenterie et de cristaux.

En voyant les tasses à café et les verres à liqueur, Jemma comprit qu'ils arrivaient en retard. Et délibérément !

Comme s'il avait deviné ses pensées, Leonadis esquissa un sourire ironique.

— Oui, on a bien calculé notre moment...

Soudain, une femme les aperçut et poussa un cri strident. Alors toutes les têtes se tournèrent vers eux. Et un silence total se fit... Jemma se raidit.

— Du calme, murmura Leonadis.

Mais elle devina sans peine qu'il était aussi tendu qu'elle.

— C'est à cette heure-ci que tu daignes arriver ? lança un homme d'un certain âge.

Il avait parlé d'un ton très dur — ce qui n'étonna pas Jemma outre mesure. Et en anglais, ce qui en revanche la surprit beaucoup.

A droite de cet homme, qui ne pouvait être que Dimitri Stephanades, se tenait une femme ravissante au regard hostile. Quant à ce jeune homme à la bouche pincée, c'était vraisemblablement le demi-frère de Leonadis. Dimitri, Leonadis et Nico... les trois Stephanades se ressemblaient tant qu'on ne pouvait avoir aucun doute sur les liens de parenté qui les unissaient.

Voyant une place libre à la table du maître de maison, Jemma comprit que c'était celle que Leonadis aurait dû occuper. Quant à elle... personne n'avait prévu son arrivée.

« Une bonne surprise », avait dit Leonadis.

— Bon anniversaire, père !

— C'est tout ce que tu as à me dire ? lança Dimitri Stephanades en se tournant vers Jemma.

Des dizaines d'yeux étaient fixés sur le collier étincelant de stupeur de le lui voir porter était telle que personne n'avait encore remarqué son état.

Une lueur passa dans les yeux de Dimitri Stephanades. Et ce fut avec un sourire plein d'espoir qu'il demanda :

— Cela signifie que...

Sa femme l'interrompit d'une voix sèche.

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— Nous t'attendions à 19 heures, Leonadis.

Elle se leva et frappa la table du plat de la main.

— Et il est 21 heures !

Leonadis lui adressa un sourire moqueur.

— Bonsoir, Anthia. Plus belle que jamais...

Elle ne prit pas cela pour un compliment. Au contraire, ses traits se crispèrent et Jemma s'aperçut alors que cette femme à l'allure très jeune devait en réalité friser la soixantaine. Mais les soins intensifs, les massages quotidiens et vraisemblablement la chirurgie esthétique lui avaient donné une silhouette parfaite et un visage sans la moindre ride.

— Tu veux saboter l'anniversaire de ton père, c'est ça ? reprit-elle. Tu pourrais au moins t'excuser d'être en retard !

Leonadis se redressa encore. -

— Des excuses ! jeta-t-il avec mépris. Et la personne qui m'accompagne ? Pourquoi l'ignorez-vous ainsi ? C'est elle qui aurait droit à des excuses !

Les yeux d'Anthia se posèrent de nouveau sur le collier et Jemma lut dans ses prunelles de la peur. Non, elle ne se pait pas... Cette femme éprouvait en cet instant une véritable peur panique.

Elle s'efforça cependant de faire bonne figure.

— Ecoute, Leonadis, c'est toi qui es arrivé en retard. Tu nous présenteras plus tard la... la personne qui t'accompagne. Ton père était sur le point de faire un discours très important. Alors, je t'en prie, laisse-le parler !

Leonadis soutint le regard dur de sa belle-mère.

— Bien sûr que je laisserai mon père parler, Anthia, je vais me montrer une fois de plus très mal élevé en insistant pour présenter la personne qui m'accompagne.

Ses doigts pressèrent la hanche de Jemma, qu'il tenait toujours par la taille, tandis qu'il déclarait :

— Jemma, voici mon père. Père, voici Jemma, ma femme.

Dimitri Stephanades était devenu très pâle. Il échangea un long regard avec son aîné. Un regard chargé de mille interrogations...

— Vous ne lui souhaitez pas la bienvenue dans notre famille, père ? demanda Leonadis en feignant la surprise.

Dimitri Stephanades eut un rire dur avant de jeter quelques mots en grec.

— Oui, c'est bien le mien ! répondit Leonadis en anglais avec un sourire triomphant. Mon enfant ! Mon fils !

Jemma ferma les yeux. Un fils... Leonadis savait que l'en qu'elle attendait était un garçon ! Elle se revit dans le cab du grand spécialiste londonien que Leonadis l'avait emmenée consulter.

— Voulez-vous connaître le sexe de l'enfant ? leur a proposé le médecin.

Jemma n'avait pas hésité une seconde.

— Non ! Je préfère que ce soit une surprise.

Elle se souvenait que, après l'examen, pendant qu'elle se rhabillait, Leonadis avait entraîné le praticien à l'écart — probablement pour lui demander ce qu'elle refusait de savoir... Et sans le moindre égard pour elle, il annonçait maintenant cela devant tout ce monde !

La jeune femme regarda autour d'elle avec égarement. Si Leonadis ne l'avait pas soutenue, il est probable qu'elle se serait effondrée.

« Fuir », songea-t-elle.

Mais où ? Fuir... mais comment, quand ses jambes la portaient à peine ?

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La belle-mère de Leonadis, les yeux agrandis d'une stupéfaction horrifiée, saisit son menu d'une main tremblante et s'en éventa. Nico Stephanades toisait Jemma avec tant de haine qu'elle eut l'impression que s'il avait pu lui sauter à la gorge, il n'aurait pas hésité. Quant à Dimitri Stephanades, il regardait son fils aîné d'un air affolé, presque suppliant.

Jemma voyait Leonadis savourer son triomphe en silence, mais elle ne comprenait pas encore quel était l'enjeu de tout ceci.

— Vous aviez un discours à faire, père ? demanda-t-il enfin. Nous vous écoutons...

Dimitri Stephanades se leva. Le premier instant de stupeur passé, il paraissait surtout soulagé, pour ne pas dire heureux.

— Bien sûr !

Quand il se tourna vers ses invités, le silence se fit. Un silence lourd, presque tangible. Un silence plein d'attente...

— Aujourd'hui, j'ai soixante-cinq ans et les médecins, qui s'inquiètent pour mon cœur, m'ont conseillé d'abdiquer et d'aller m'occuper de mes vignes.

Quelques rires nerveux fusèrent.

— Ce n'est pas avec un enthousiasme démesuré que j'abandonnerai le contrôle de cet empire qui a constitué toute ma vie. Mais personne n'est éternel... Et si je veux voir la Leonadis Corporation rester florissante, il est temps que j'en passe les rênes à mon successeur. J'ai deux fils dont je suis également fier. Deux fils aussi capables l'un que l'autre de prendre la destinée de la Leonadis Corporation en main.

Il marqua une pause seulement troublée par le bruit d'un verre qu'Anthia venait de faire tomber par mégarde et qui se brisait en mille morceaux.

— Certes, je pourrais diviser la compagnie en deux, mais quel homme d'affaires digne de ce nom agirait ainsi ? Il faut que la Leonadis Corporation garde son unité. Il faut également assurer la descendance des Stephanades... Il y a quelques semaines, j'ai donc décidé — le document a été signé devant notaire — que prendrait ma place à la direction du conseil d'administration celui de mes fils qui, le premier, me présenterait un héritier mâle.

Un sourire de biais lui vint aux lèvres.

— C'était l'annonce que je voulais vous faire ce soir. Mais comme vous avez pu le constater, mon fils Leonadis m'a devancé. Aussi...

II leva son verre.

— ... portons un toast à Leonadis, à sa femme et à leur futur fils ! Yassas !

Jemma eut l'impression qu'une véritable marée humaine se levait.

— Yassas ! crièrent tous les invités d'une seule voix.

Un brouillard environna soudain la jeune femme. Puis tout devint noir autour d'elle.

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11.11.Peu à peu, Jemma reprenait ses esprits. Mais elle gardait les yeux clos, redoutant le moment où il

lui faudrait affronter le monde extérieur. Autour d'elle, la confusion était à son comble, tout le monde criait...

— C'est une folie, Dimitri ! cria une femme d'une voix haut perchée. On ne sait rien de cette fille ! Qu'est-ce qui prouve que son enfant est de Leonadis ?

— Vous me prenez pour un idiot, Anthia ? interrogea ce dernier d'une voix glaciale.

— Non. Mais je te connais ! Pour toi, la fin justifie les moyens et je te crois capable de tout pour t'emparer du pouvoir.

— Même de prétendre que l'enfant d'un autre est le mien ?

— Si c'est pour mettre la main sur la Leonadis Corporation... tout à fait !

— Anthia...

— Cette histoire me paraît bien louche ! Tout d'abord, qui est cette fille ? Pourquoi n'avons-nous jamais entendu parler d'elle... jusqu'à aujourd'hui ?

— Jemma est ma femme légitime, déclara Leonadis d'un ton sans réplique. Le reste ne vous regarde pas.

— Tu me crois aveugle ? s'écria Anthia avec rage. Je me rends compte que tes machinations n'ont qu'un seul but : déshériter ton frère !

— Mon demi-frère, corrigea Leonadis. Ce qui change tout !

— Tu joues sur les mots ! Tu...

— Tout en étant subtile, la différence est fondamentale. Auriez-vous oublié, ma chère Anthia, que la Leonadis Corporation appartenait à ma mère ? Et pas à celle de Nico... Désolé de devoir vous le rappeler.

— Suffit ! coupa Dimitri Stephanades. Vous allez trop loin ! Leonadis, apprends que la Leonadis Corporation m'appartient en propre — et cela, quelles que soient ses origines. Quant à toi, Anthia, je te prierai de ne pas accuser Leonadis de tricher. C'est mon fils, il a toujours été irréprochable...

— Jusqu'à ce soir ! ne put s'empêcher de lancer Anthia d'un ton plein de venin.

Que d'hostilité, que d'amertume et que de haine dans cette famille ! Avec un bref gémissement, Jemma porta une main glacée à son front.

Aussitôt, Leonadis s'agenouilla près d'elle et l'observa avec inquiétude.

— Ça va un peu mieux ? Tu m'as fait une belle peur... Tu es restée si longtemps évanouie que j'ai fait appeler un médecin. Il ne devrait pas tarder.

— Tu préserves tes intérêts ? demanda-t-elle, à la fois sarcastique et désespérée.

Une jeune femme au visage très doux lui tendit un verre d'eau dont elle s'empara avec reconnaissance. L'inconnue, qui semblait être un peu plus âgée qu'elle, la soutint pendant qu'elle buvait. Depuis que Jemma avait mis le pied dans cette maison, c'était la seule personne à lui témoigner un peu de sympathie et elle en éprouva une absurde reconnaissance.

Leonadis voulut lui prendre la main.

— Jemma...

Elle le repoussa de toutes ses forces.

— Ne me touche pas !

La jeune Grecque parut surprise en entendant Jemma traiter Leonadis Stephanades avec si peu d'égards.

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— Eh bien, on dirait que tu as trouvé ton alter ego ! remarqua-t elle, moqueuse.

Leonadis s'efforça de sourire.

— Tu n'as encore rien vu ! C'est une vraie sorcière... Elle me bat à coups de balai deux fois par semaine.

— Un de ces jours, je te transformerai en serpent ! lança Jemma.

La jeune femme éclata de rire et Leonadis se trouva forcé de l'imiter à contrecœur. Puis, en soupirant, il s'assit au bord du canapé sur lequel on avait allongé Jemma.

— Salaud ! fit celle-ci entre ses dents.

— Je sais...

L'arrivée du médecin amena une diversion. Il fit sortir tout le monde de la pièce — à l'exception de Leonadis — et se mit en devoir d'examiner Jemma. De temps en temps, il lui posait des questions dans un anglais parfait.

D'ailleurs, dans l'entourage de Dimitri Stephanades, tout le monde s'exprimait dans cette langue — ce qui était assez surprenant. Et assez regrettable, selon l'opinion de Jemma... Car s'ils avaient discuté en grec, elle vivrait toujours dans une bienheureuse ignorance.

Hélas ! Maintenant, elle savait pourquoi Leonadis l'avait épousée. Et comme cela faisait mal... Si mal qu'elle ne pouvait plus le regarder sans se sentir ravagée intérieurement.

Le spécialiste rangea enfin son stéthoscope dans sa trousse.

— A première vue, tout va bien, déclara-t-il sobrement.

— Malgré cet évanouissement prolongé ? demanda Leonadis.

— Il faut attribuer ce petit malaise à la vague de chaleur qui sévit actuellement sur nôtre pays. Mes conseils ? Beaucoup de repos, pas de soucis, pas d'émotions...

Jemma faillit laisser échapper un ricanement.

— ... Mais j'aimerais quand même vous revoir en fin de semaine, poursuivit le médecin. Venez à mon cabinet... disons vendredi ? Je procéderai alors à un examen plus poussé.

Après lui avoir fait ses adieux, il sortit avec Leonadis. Jemma, qui ne se sentait pas la force de se lever, contempla le plafond 3 d'un regard morne. Quelques heures auparavant, elle était si heureuse ! Elle s'imaginait alors que tout était possible, que Leonadis commençait à l'apprécier, peut-être même à l'aimer... Quelle désillusion ! Ah, le choc avait été dur !

La porte se rouvrit. S'attendant à voir Leonadis entrer, elle se raidit. Mais quand elle reconnut la jeune femme qui lui avait apporté un verre d'eau, elle se détendit immédiatement.

— La fête continue, lui apprit la nouvelle venue. Quant à Leonadis, il discute avec le médecin. Alors je suis venue vous tenir compagnie.

Elle s'assit près de Jemma.

— Comment vous sentez-vous ?

— Aussi bien que possible, répondit-elle avec une ironie appuyée.

— Je comprends que ce... euh, que cet incident vous ait bouleversée. Les Stephanades ont tous beaucoup de personnalité. Ce sont des lutteurs, voyez-vous. En affaires comme en famille...

— Pourquoi parlent-ils tous anglais ?

— Mais Dimitri est anglais ! Vous ne le saviez pas ? Plus exactement, il est né en Angleterre de parents céphaloniens, si bien qu'il se sent plus britannique que grec. Il pense en anglais, il rêve en anglais... Par conséquent, ceux qui l'entourent se sentent obligés d'adopter cette langue.

— Êtes-vous une Stephanades vous-même ?

La jeune femme parut trouver cette question très amusante.

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— Oh, non ! s'exclama-t-elle. Mais il serait temps qu'on fasse les présentations, ne croyez-vous pas ? Tout le monde semble avoir oublié ses bonnes manières, ce soir. Je m'appelle Melva Markopoulou et je connais Leonadis... depuis toujours.

Jemma serra la main que lui tendait Melva.

— Jemma Dav...

— Stephanades, coupa Leonadis qui venait de faire son entrée dans la pièce.

Melva leva les yeux vers lui.

— Ta femme et moi étions en train de faire connaissance.

— C'est ce que je vois. Comment te sens-tu, agape mou ?

Malgré tout ce qui venait de se passer, il osait l'appeler ainsi ! Se détournant, elle murmura d'une voix neutre :

— Bien. Mais j'aimerais partir d'ici.

— Quand tu voudras.

— Tout de suite.

Quand il voulut l'aider à se lever, elle le repoussa.

— Laisse-moi ! Je t'ai interdit de me toucher !

Il lui tourna le dos en haussant les épaules.

— A ta guise ! Je vais prévenir le chauffeur...

A peine Leonadis avait-il disparu que Melva jugea bon de prendre sa défense.

— Je vous en prie, ne soyez pas trop dure, Jemma ! Ne le condamnez pas sans appel. Dans cette histoire, son père est le seul à blâmer. Avec cette horrible Anthia qui ne vit que pour l'argent... Je n'ai jamais vu une femme aussi cupide ni aussi dépourvue de scrupules ! Pendant vingt-huit ans, elle a manœuvré pour que la Leonadis Corporation revienne à son fils. Leonadis, qui connaissait les ambitions de sa belle-mère, se devait d'utiliser toutes les armes qu'il avait à sa disposition pour retourner la situation en sa faveur. Sinon, c'était Anthia qui gagnait !

Soit, Leonadis était sorti vainqueur de l'épreuve. Mais à quel prix !

— Comme vous prenez son parti ! murmura Jemma. Que représente-t-il exactement pour vous ?

— C'est la femme que mon père avait choisie pour moi, lança Leonadis qui venait de les rejoindre. Mais pas plus Melva que moi n'avions envie de nous marier...

— Exact ! J'étais amoureuse d'un autre... que j'ai épousé et qui m'a donné trois beaux enfants.

Melva sourit.

— Quant à Leonadis, il lui a fallu longtemps pour trouver chaussure à son pied ! Je suis bien contente que ce soit enfin arrivé !

Là-dessus, elle se haussa sur la pointe des pieds et l'embrassa sur les deux joues. Puis elle se tourna vers Jemma et lui prit les mains avec élan.

— Si vous avez besoin de parler à quelqu'un, n'hésitez pas à venir me trouver. J'habite une villa dans les collines et tout le monde connaît mon adresse !

— Merci, dit Jemma en s'efforçant de sourire.

Mais elle savait que jamais elle n'irait voir Melva — même si celle-ci lui avait été d'emblée très sympathique. Car Melva était l'alliée de Leonadis...

Ils regagnèrent le yacht en silence. La présence du chauffeur les empêchait de discuter, et au fond cela valait mieux. De toute manière, Leonadis n'avait aucune excuse. Dès le premier instant, il l'avait exploitée... Les larmes picotèrent les yeux de la jeune femme. Depuis trois semaines déjà, son mari connaissait le sexe de l'enfant qu'elle portait ! Ainsi, c'était un garçon... Et il n'avait pas hésité à le proclamer devant plus de cent personnes, alors qu'elle ne voulait pas le savoir avant la naissance.

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Pourquoi avait-il gâché cela aussi ? Dans sa quête acharnée du pouvoir, il fallait donc qu'il détruise tout ?

Une fois arrivée à bord, Jemma se dirigea droit vers sa cabine. Leonadis voulut la suivre.

— Jemma...

Elle eut un frisson de dégoût.

— Laisse-moi !

Après s'être enfermée à clé, elle se déshabilla et alla prendre une douche interminable, espérant que le pouvoir purificateur de l'eau la débarrasserait de tous les miasmes écœurants qui semblaient lui coller à la peau.

Hélas ! rien n'y faisait ! Constatant l'inanité de ses efforts, elle s'enveloppa dans un long peignoir en tissu-éponge et regagna enfin la cabine. Voyant Leonadis debout devant l'une des baies vitrées, elle s'immobilisa. Devinant sa surprise, il déclara sans se retourner :

— J'ai un passe pour toutes les serrures du Poséidon.

Évidemment ! Tout lui appartenait, ici. Le yacht, elle-même...

— Je suis fatiguée. Veux-tu me laisser me reposer, s'il te plaît ?

— Il faut que nous parlions.

— Parler ? répéta-t-elle avec lassitude. A quoi bon ? Tout a été dit.

— Non. Je voudrais te faire comprendre pourquoi j'ai été obligé d'agir ainsi ce soir.

— Tu crois que je ne sais pas de quoi il en retourne ? Tu avais tout calculé. Une fois de plus, tu m'as manipulée...

Jemma essuya la larme traîtresse qui coulait sur sa joue.

— ... Et ton enfant n'est pas encore né que tu commences déjà à le manipuler, lui aussi. Oh ! Tu peux être fier de toi et de tes sordides petites manœuvres.

— Tu ne te rends pas compte ! J'ai joué gros et pour cela, j'avais besoin de ton aide.

— Tu aurais pu me prévenir !

— Impossible ! Si je t'avais mise au courant, tu aurais refusé de coopérer.

— C'est ta seule excuse ?

— Cela explique au moins pourquoi je ne t'ai rien dit.

D'un geste las, il rejeta ses cheveux en arrière.

— Ecoute, la Leonadis Corporation me revient de droit. N'appartenait-elle pas à ma mère ? Et avant cela, à mon grand-père et à mon arrière-grand-père... Si on m'a appelé Leonadis, c'était en prévision du jour où je prendrais les commandes de la société. Nico ne peut prétendre à rien ! Ce serait un vol pur et simple... Tu crois que j'allais le laisser me prendre mon bien ? Réfléchis un instant et tu comprendras...

— ... que tu aies sacrifié mes droits aux tiens ? acheva-t-elle avec amertume. Tu peux être fier !

Leonadis crispa les poings.

— J'ai été obligé de frapper un grand coup. Tu as entendu mon père ? Sa santé inquiète les médecins... Mais ce n'est pas de gaieté de cœur qu'il s'est résigné à la perspective d'abandonner les commandes de la Leonadis Corporation. Ce document qu'il a signé devant notaire... du bluff ! Il joue tout le temps à des petits jeux de ce genre avec moi. Mais ce n'est pas un imbécile et il sait parfaitement que je suis le seul capable de prendre sa place. Cette fois, il y a eu un problème parce que l'existence de ce document est venue à la connaissance d'Anthia, qui s'est empressée d'en rendre le contenu public. Mon père s'est alors trouvé coincé... et il m'a supplié de me marier et d'avoir un enfant.

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— Tu as touché le jackpot en découvrant que j'étais enceinte ! Quel miracle ! La solution idéale à tes problèmes...

Il eut un geste agacé.

— Si je le niais, tu ne me croirais pas. Aussi, je ne me donnerai pas cette peine. Sache cependant que je t'aurais épousée de toute manière. Je tiens à toi.

— Assez pour m'amener à bord de ce bateau et consacrer deux semaines de ton temps si précieux à me remettre d'aplomb. Tu tenais à ce que j'aie l'air de rayonner de santé ! Si je m'étais présentée devant ton père toute maigrichonne, pâle et déjetée, l'effet n'aurait pas été le même !

— Tu fais fausse route, Jemma. Quand tu te seras calmée un peu, tu le comprendras.

— Depuis que je te connaisse n'ai eu que des déceptions. Tu m'as exploitée sans aucun scrupule...

A travers ses yeux brouillés de larmes, elle aperçut sur la coiffeuse le collier de diamants et de rubis.

— Tiens ! cria-t-elle en le lui jetant avec mépris. L'un de tes... accessoires...

Elle posa une main tremblante sur son ventre.

— Dommage ! Il te faudra attendre encore un peu pour te saisir de l'autre !

Soudain, Leonadis se fâcha.

— Tu fais un drame à propos de rien ! Ecoute, Jemma...

Elle fit un bond en arrière.

— N'essaie pas de me toucher !

Il jura, puis, résigné, laissa retomber ses mains.

— Très bien. Puisque c'est ce que tu veux...

Sans insister, il sortit. Une fois seule, Jemma se jeta sur le lit et se mit à pleurer désespérément.

Le lendemain matin, après s'être préparée, la jeune femme s'empara de la liasse de drachmes que lui avait remise Leonadis et descendit la passerelle.

Elle n'avait pas remarqué que son mari se tenait sur le pont. Il la suivit des yeux pendant quelques instants avant de donner un ordre bref à l'un des membres de l'équipage. Aussitôt, celui-ci sauta à terre et suivit la jeune femme à distance.

Jemma arriva sur une place et s'assit à la terrasse d'un café pour prendre son petit déjeuner. Cela lui faisait du bien de se mêler à la foule des vacanciers. Ce matin-là, elle se sentait une touriste comme les autres.

Elle flâna ensuite au hasard dans les rues étroites de la ville, regardant les vitrines sans vraiment les voir. Devant une agence de voyages, en remarquant une publicité pour la plus importante compagnie aérienne britannique, elle s'arrêta net.

— Mais bien sûr... C'est la solution ! murmura-t-elle.

Après ce qui s'était passé, elle ne pouvait — elle ne voulait plus continuer à vivre avec un homme aussi calculateur, un homme à ce point dépourvu de scrupules. Jamais elle ne lui pardonnerait ce qu'il lui avait fait.

Aussi, sans hésiter davantage, elle poussa la porte de l'agence.

Lorsque Jemma regagna le Poséidon, il était près de midi, mais personne n'avait paru remarquer son absence. Quant à Leonadis, il n'était nulle part en vue.

Une fois seule dans sa cabine, la jeune femme sortit de son sac l'enveloppe contenant un aller simple pour Londres. L'un des employés de l'agence de voyages lui en avait donné le prix en drachmes.

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— Ai-je assez sur moi ? lui avait-elle demandé en lui tendant sa liasse.

Elle craignait qu'il ne se moque d'elle. Au lieu de cela, il lui apprit qu'il lui resterait encore beaucoup d'argent après avoir réglé son billet.

Cela s'était passé si facilement, si simplement...

Après-demain — samedi — elle retrouverait Londres. Où logerait-elle? Elle l'ignorait, mais ce détail lui paraissait sans importance. Tout ce qui comptait pour elle en cet instant, c'était de fuir Leonadis.

Quand on frappa à la porte, elle pâlit.

— Oui ? fit-elle d'une voix mal assurée. Qui est là ?

— C'est moi, Leonadis.

En hâte, la jeune femme cacha l'enveloppe et les drachmes dans un tiroir et alla ouvrir.

Leonadis se tenait sur le seuil, le visage tendu, mais sans la moindre trace de remords dans le regard.

— Où étais-tu allée ?

— Faire un tour. Pourquoi ? Je n'ai plus le droit de me promener, maintenant ? Je suis prisonnière ?

— Jemma ! Que vas-tu chercher là ? Mais tu aurais dû prévenir...

— Tu préviens quand tu sors, peut-être ? Demanda-t-elle d'un ton plein de défi.

— Le médecin a dit que tu avais besoin de repos. Tu es restée en ville pendant des heures ! Je m'inquiétais...

— Pour qui ? Pour moi ou pour l'enfant ?

— Pour les deux. Ecoute, Jemma, je ne veux pas entamer de discussion avec toi. Je me rends compte que tu me considères plus bas que terre...

— Tout à fait !

Sans paraître avoir entendu l'interruption, il poursuivit :

— Quoi qu'il en soit, je suis préoccupé par ta santé. Cet après-midi, j'ai une réunion d'affaires... Puis-je m'y rendre sans crainte que tu fasses des bêtises ?

— Par exemple ?

— Par exemple, que tu ailles te promener au lieu de rester allongée.

— Tu peux aller à ta réunion sans te faire de souci. Je n'ai pas l'intention de sortir de nouveau aujourd'hui.

— Bien. Merci...

— Tu crois que je respecterai ma parole ? lança-t-elle avec un rire sardonique.

— Je t'ai toujours fait confiance, agape mou.

Sur ces mots, il sortit, laissant Jemma en proie aux tourments de sa conscience. Leonadis ne savait pas encore que sa confiance était bien mal placée...

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12.12.La journée s'écoula sans que Jemma ait l'occasion de revoir Leonadis, qui avait quitté le yacht en

début d'après-midi.

« Au fond, cela vaut mieux », se dit-elle tout en terminant son dîner, seule dans la vaste salle à manger du Poséidon.

Elle n'avait pas faim et avait à peine touché aux plats tous plus appétissants les uns que les autres que lui avait présentés un steward. Pour stimuler son appétit, le cuisinier se surpassait. En vain, hélas !

A midi, la jeune femme avait à peine mangé et, alors que d'ordinaire elle dormait profondément à l'heure de la sieste, elle n'avait pas réussi à trouver le sommeil. Incapable de rester plus longtemps enfermée dans sa cabine, elle était sortie sur le pont où elle avait erré comme une âme en peine.

Elle avait dû se rendre à l'évidence : Leonadis lui manquait !

— Eh bien, si tu t'ennuies déjà de lui ! avait-elle dit à mi-voix en s'accoudant au bastingage. Qu'est-ce que ça va être une fois que tu seras loin !

Elle ne comprenait pas sa réaction. Comment était-il possible qu'elle tienne encore à un homme qui lui avait fait tant de mal ? D'ailleurs, chaque fois que le bébé bougeait, elle avait l'impression que c'était pour lui rappeler la terrible trahison de son père.

Les larmes lui picotèrent soudain les yeux. Alors, c'était un garçon qu'elle attendait ! Elle n'aurait pas de petite fille aux yeux bleus et aux boucles aussi blondes que les siennes... Mais un fils semblable en tout point à son père. Un vrai Grec solide, indépendant — aussi combatif et impitoyable que tous les autres Stephanades.

« J'exagère », se dit-elle avec un frisson.

Car, en réalité, que son enfant soit un garçon pu une fille, cela lui était complètement égal.

Cependant, elle aurait préféré attendre la naissance pour avoir la surprise. Leonadis avait tout gâché, parce que ses intérêts passaient avant tout le reste. Il avait piétiné quelque chose d'infiniment précieux et cela, jamais elle ne réussirait à le lui pardonner.

Jemma dormit comme une masse dans la nuit du jeudi au vendredi. Au réveil, se souvenant qu'elle avait rendez-vous avec le spécialiste qui l'avait examinée après son évanouissement, elle se traîna péniblement jusqu'à la salle de bains.

Quand la glace lui renvoya le reflet de son visage pâle aux traits tirés et aux yeux cernés, elle fit la grimace. Ces dernières vingt-quatre heures avaient eu raison d'elle...

« Je suis redevenue exactement comme j'étais avant d'embarquer à bord du Poséidon... »

L'ombre d'elle-même.

Ce qui confirmait ce qu'elle avait déjà deviné. Ce n'était pas sa santé qui était en cause. Mais son cœur...

Quand la jeune femme sortit de la douche, un mouvement du bateau attira son attention. En fronçant les sourcils, elle regagna sa cabine, s'approcha d'une des baies vitrées et souleva le double-rideau de velours. La veille encore, elle pouvait voir d'ici le quai, les eaux claires de la baie et les collines verdoyantes qui dominaient Argostoli. Mais ce matin, il n'y avait plus rien. Rien que la mer, scintillant à perte de vue.

— Ce... ce n'est pas possible, balbutia la jeune femme en tremblant de tous ses membres.

Le yacht n'avait pas pu appareiller pendant la nuit sans qu'elle entende les manœuvres, le bruit des moteurs...

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En hâte, elle ouvrit un placard et enfila la première chose qui lui tomba sous la main — en l'occurrence un T-shirt géant blanc et un léger pantalon en coton rose pâle. Puis elle sortit de sa cabine. Une fois arrivée sur le pont, elle comprit qu'il n'y avait plus aucun doute à avoir : le Poséidon avait quitté l'île de Céphalonie et se trouvait en pleine mer.

— Mais...

Apercevant Leonadis assis sur l'un des canapés du salon, Jemma courut vers lui.

— Où sommes-nous ?

Il haussa les épaules.

— Sur l'eau.

La jeune femme était devenue livide. Sa pâleur s'accrut encore quand elle aperçut, disposées sur une table basse, toutes ses possessions : son passeport, les drachmes, son porte-monnaie... et l'enveloppe contenant le billet d'avion pour Londres.

— Tu... tu as...

— Je ne pouvais pas te laisser faire ça, coupa-t-il. Tu me hais, je le sais. Malgré tout, tu as besoin de moi.

Il secoua la tête en répétant avec une infinie tristesse :

— Non, je ne pouvais pas te laisser faire ça.

— Comment as-tu découvert que...

— Je t'ai vue partir hier et j'ai chargé un homme d'équipage de te suivre. Il t'a vue entrer dans une agence de voyages et acheter un billet d'avion.

— Et tu as attendu que je sois endormie pour venir fouiller dans mes tiroirs ! s'écria-t-elle avec un indicible mépris. Eh bien, je peux te dire que...

— Moi, ce que je peux te dire, c'est que tu t'es bien mal débrouillée !

— Pourquoi ?

— En commandant ton billet sous ton nom de jeune fille. Tu n'as pas encore compris que tu es une Stephanades, agape mou ? II t'aurait suffi de le préciser pour que, au lieu de te faire attendre deux jours, on te réserve un siège sur le premier vol en partance...

— Je préfère m'appeler Davis plutôt que Stephanades !

— Trop tard ! coupa-t-il avec arrogance. Mon nom restera le tien jusqu'à la fin de tes jours l

— Pas si j'en décide autrement. J'ai l'intention de demander le divorce et...

— Tu crois que j'accepterai ?

— Je ne vois pas pourquoi tu refuserais. En effet, plus rien ne nous obligera à vivre cette parodie de mariage une fois que j'aurai donné naissance à ton fils.

Tout en allant chercher une bouteille d'eau minérale dans le réfrigérateur habilement dissimulé par des panneaux de teck, la jeune femme poursuivit avec amertume :

— Si j'ai en ce moment la chance — entre guillemets ! — de faire une croisière à bord de ce yacht d'un luxe inouï, c'est bien grâce à lui — ou à cause de lui, comme tu voudras.

— Faux.

Jemma pivota brusquement sur elle-même pour faire face à son mari.

— Vrai ! s'écria-t-elle. Rien n'a été plus vrai depuis le moment où tu as demandé au spécialiste de Londres si j'attendais un garçon ou une fille.

En vain, elle essayait d'ouvrir la bouteille, mais la capsule se montrait récalcitrante. Son énervement était tel que des larmes lui vinrent aux yeux. Leonadis lui prit la bouteille des mains, la déboucha sans peine et en versa le contenu dans un verre qu'il lui tendit.

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— Merci, fit-elle entre ses dents serrées avant de se mettre à boire à longs traits.

— Jemma, sache que je n'ai posé aucune question concernant le sexe de notre enfant au médecin.

— Menteur ! Tu es allé lui parler pendant que je me rhabillais ! Je m'en souviens parfaitement !

— Je me suis seulement enquis de ton état de santé.

Les yeux étincelants de colère, Jemma s'écria :

— Alors peut-on savoir comment tu as appris que j'attendais un garçon ?

— Je n'en sais rien. J'ai menti.

Cette fois, Jemma se trouva réduite au silence.

— Oui, j'ai menti, répéta Leonadis. Il fallait qu'Anthia et Nico comprennent qu'ils avaient bel et bien perdu la dernière manche. C'est seulement en voyant l'effet que ce mensonge a produit sur toi que j'ai compris combien je m'étais montré cruel — sans le vouloir.

Jemma dut s'asseoir car ses jambes ne la portaient plus. Elle se mit à trembler de tous ses membres.

— Je... je ne te crois pas, balbutia-t-elle.

Leonadis haussa les épaules.

— Tu ne m'apprends rien ! C'est pourquoi je n'ai même pas essayé de te le dire plus tôt. Après la manière dont je t'ai traitée, tu me juges ignoble.

Il baissa la tête.

— Et je le mérite !

— Jamais tu n'aurais osé proclamer que j'attendais un garçon si ce n'était pas la vérité. Tu n'es pas homme à t'en remettre au hasard. On ne lance pas de pareilles affirmations sans être sûr de soi. L'enjeu était trop important...

— Je t'assure que...

— Jamais tu n'aurais tenté un pareil coup de poker ! insista-t-elle. Imagine que naisse une fille après que tu aies assuré que j'attendais un garçon... Tu te retrouverais alors pris à ton propre piège. Plus de compagnie, plus rien !

Leonadis éclata de rire.

— Tu te trompes sur toute la ligne ! Primo, ça m'est complètement égal d'avoir un fils ou une fille. Le plus important, à mon avis, c'est que ce bébé soit en bonne santé. Secundo, la Leonadis Corporation m'appartient désormais : mon père a signé hier tous les papiers — avec soulagement, je t'assure ! Car il s'était mis dans une situation très difficile et ne savait comment tirer son épingle du jeu sans paraître ridicule. La seule perspective de voir Nico prendre sa place lui donnait des cauchemars... Mais Nico est son fils, il l'aime et ne veut pas le peiner. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et s'il lui avait annoncé de but en blanc qu'il n'avait pas la carrure suffisante pour mener la société, quel choc pour le pauvre Nico !

— Alors, pour épargner ce « pauvre Nico », comme tu dis, tu n'as pas hésité à me sacrifier ?

— Je n'ai aucune excuse, admit Leonadis. Je m'en veux d'avoir agi sans tenir compte de tes sentiments. Jamais je n'aurais imaginé que mes soi-disant révélations te feraient un tel choc. Pardonne-moi, Jemma.

— Comment le pourrais-je jamais ? murmura-t-elle avec une amertume infinie. Si ce bébé est un garçon, j'aurai toujours des doutes sur ta sincérité !

De grosses larmes se mirent à couler sur ses joues pâles.

— Plus jamais je ne te ferai confiance, Leonadis. Plus jamais !

Il voulut lui prendre les mains, mais elle le repoussa.

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— Ne me touche pas !

Presque de force, il l'enlaça.

— Il faut quand même que tu m'écoutes !

Quand il la tenait ainsi, elle oubliait toutes ses résolutions... Pourquoi était-elle si faible ? Honteuse de se découvrir aussi vulnérable, elle se détourna.

— Je t'en prie, Jemma, écoute-moi ! insista Leonadis.

— Quels autres mensonges as-tu encore en réserve ?

Il resserra son étreinte.

— Je t'aime, Jemma.

L'espace d'un instant, le cœur de la jeune femme se mit à battre à tout rompre. C'était si doux d'entendre cet aveu dans la bouche de Leonadis ! Mais elle ne savait que trop bien à quoi s'en tenir... En se raidissant, elle le repoussa de nouveau.

— Aimer ? Toi ? Tu ne sais même pas ce que ce mot signifie !

— Jusqu'à ce que je te rencontre, je voyais l'amour comme une invention de poète... J'étais sûr qu'il n'existait pas dans la réalité. Le désir, soit. L'envie de fonder une famille, d'accord. Mais l'amour, bof !

Il eut un rire sans joie et haussa les épaules.

— Au début, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. C'est lorsque je me suis retrouvé seul à New York que j'ai enfin admis la vérité. J'étais amoureux et tu me manquais tant ! J'en perdais la tête, l'appétit, la raison...

— Ça ne t'a pas empêché de conclure le contrat du siècle ! remarqua Jemma qui n'avait pas oublié l'article qu'elle avait découpé dans le journal.

— J'essayais de t'oublier en me consacrant totalement à mon travail. Et puis il y a eu cette histoire avec Nico... Il venait de se marier et mon père me suppliait d'en faire autant, car ce ridicule document dont Anthia connaissait l'existence lui liait les mains. Vois-tu, mon père adore Anthia... mais il n'est pas aveugle au point d'ignorer que seule la cupidité la guide — pas tant pour elle-même que pour son fils. Poussée par la jalousie, elle a voulu mettre la main sur tout ce qui appartenait à ma mère...

— C'est horrible !

— Ne juge pas avant de connaître la situation. Anthia a été le seul vrai amour de mon père. C'est elle qu'il aurait dû épouser, mais il lui a préféré la Leonadis Corporation, que lui apportait ma mère en dot. Anthia ne lui a jamais vraiment pardonné cette trahison.

A mi-voix, comme pour lui-même, il ajouta :

— Ni à moi non plus...

Jemma se souvenait que Leonadis n'avait que huit ans quand son père s'était remarié. Quelle triste enfance avait dû être la sienne auprès d'une belle-mère qui le détestait !

— Connaissant l'avidité de sa seconde femme, mon père a toujours pris soin de mettre l'accent sur le fait que la Leonadis Corporation me reviendrait de droit, puisqu'elle avait appartenu à ma mère.

— Et Nico, dans tout cela ? Il va se retrouver sans rien ?

— Ne t'inquiète pas pour lui, il ne sera pas lésé. Parallèlement à la Leonadis Corporation, mon père a fondé d'autres sociétés qu'il a mises au nom de son second fils. Nico connaissait l'arrangement et en était satisfait. Mais pas Anthia... Et quand elle a appris l'existence du document que mon père avait conçu dans le seul but de me faire enrager, elle s'est empressée de lui donner toute la publicité voulue après avoir marié son propre fils.

— Ce qui était un peu... malhonnête !

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— Pour Anthia, il s'agissait de l'ultime revanche. Et elle pense que l'amour maternel excuse tout. Mon père s'est donc retrouvé coincé. Bien sûr, il aurait pu tout simplement déchirer ce papier... Mais un tel geste l'aurait fait passer pour un idiot. Il est venu me supplier de me marier. Et j'ai alors compris qu'il n'y avait qu'une seule femme au monde que j'avais envie d'épouser. Toi.

Jemma gardait les yeux baissés sur ses mains crispées.

— Alors ? murmura-t-elle d'une voix sans timbre.

— Alors, dès mon retour à Londres, j'ai voulu te voir pour t'expliquer franchement la situation. Et je t'ai trouvée enceinte... Tu avais l'air si pâle, si maladive que l'ordre de mes priorités s'est trouvé bouleversé. Le plus important était de te soigner pour que tu retrouves ta belle santé.

— Tu m'as épousée parce que...

— Parce que je t'aimais et parce que je voulais que mon enfant porte mon nom. Je ne pensais plus guère à mon père... Je me disais de temps en temps qu'il fallait que je te mette au courant de tous ces problèmes de lutte pour le pouvoir. Mais nous étions si bien, si heureux et si tranquilles que je remettais toujours cela au lendemain. J'ai eu tort. Cela, je l'ai compris quand mon père est venu m'inviter à la fête organisée à l'occasion de son anniversaire. Il était trop tard pour te dire ce qu'il en était. Tu aurais refusé de comprendre et encore plus de participer, tu m'aurais accusé d'avoir tout calculé...

Il passa la main sur son front dans un geste égaré.

— Jemma, il faut que tu me croies ! s'écria-t-il.

Et, dans un élan de sincérité :

— Je te jure que j'ignorais, que j'ignore toujours le sexe de notre enfant. Mon père sait que j'ai menti. Je le lui ai avoué avant la signature de l'acte de donation.

Jemma lui adressa un regard surpris.

— Et cela ne l'a pas dérangé que tu aies menti en public ?

— Il voulait surtout sauver la face. Si nous avons une fille, ce sera ma crédibilité qu'on mettra en cause, pas la sienne.

— Mais il y a cinquante pour cent de chances que nous ayons une fille.

Leonadis sourit, très sûr de lui.

— A mon avis, beaucoup moins... Car depuis cinq générations, seuls des garçons sont nés chez les Stephanades ! Les statistiques sont donc en ma faveur.

Le grand yacht poursuivait sa route et son étrave fendait la mer Ionienne qui scintillait sous un soleil de plomb.

Leonadis se mit à faire les cent pas. Il venait de parler à cœur ouvert, mais la jeune femme ne se sentait pas vraiment soulagée pour autant. Car elle avait découvert chez son mari un côté dur, cruel et impitoyable qu'elle n'avait jamais soupçonné auparavant.

Entre ses cils baissés, elle l'observa. Tête basse, les épaules voûtées, cet homme qu'elle croyait si fort paraissait soudain extrêmement vulnérable.

— Leonadis..., murmura-t-elle.

Au prix d'un visible effort, il se redressa.

— Oui?

— Si je te dis que... que je t'aime, me rendras-tu malheureuse ? Me briseras-tu le cœur ?

En un bond, il la rejoignit et l'étreignit.

— Te briser le cœur ? Oh, Jemma ! N'as-tu pas encore compris que tu es la personne qui, pour moi, compte le plus au monde ?

Elle se blottit contre lui.

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— Serre-moi... Serre-moi très fort !

— Je t'aime, Jemma. Je t'aime ! Et même s'il te reste une certaine méfiance à mon égard, il ne faut jamais que tu doutes de mon amour.

Leurs yeux se rencontrèrent, plus éloquents que de longs discours.

— Je te crois, déclara-t-elle enfin. Je crois tout ce que tu m'as dit.

— Et tu me pardonnes ?

— Quand tu me tiens comme ça, comment pourrais-je encore t'en vouloir ?

Leonadis déposa une pluie de baisers sur le visage de la jeune femme. Elle avait retrouvé son sourire et, déjà, un peu de rose revenait à ses joues.

— Où aimerais-tu vivre ? lui demanda-t-il sans autre préambule. A Londres, à Paris, à Athènes, à New York ?

— Cela m'est égal, tant que je serai avec toi.

— Mais il faut que nous ayons une base quelque part. Tout au moins jusqu'à la naissance du bébé. Après cela, tu m'accompagneras partout. Plus jamais je ne veux me sentir seul comme je l'ai été à New York, quand tu m'as dit que tu préférais rester à Londres.

Une ombre passa dans les prunelles de Jemma.

— J'étais bien obligée de prétendre cela ! Je venais de comprendre que j'étais enceinte...

— J'aurais été si heureux que tu te confies à moi !

— Jamais je n'aurais osé. Tout d'abord, je savais que tu ne voulais pas te marier. Ensuite, il y avait eu cette histoire entre Cassie et Josh... Tu étais écœuré par le vilain chantage auquel s'était livrée Cassie...

Il sursauta.

— Mon Dieu ! Tu pensais que ma réaction serait la même que celle de Josh ?

— Ma foi... Tu aurais pu m'accuser d'avoir imité Cassie pour te forcer la main...

Leonadis resserra son étreinte.

— Oh ! Agape mou ! Jamais ! Je t'aime...

— Je t'aime, fit-elle en écho.

Le soleil brillait dans un ciel sans nuages, aussi bleu que la mer. Les moteurs bourdonnaient régulièrement, tandis que le grand yacht poursuivait sa route droit vers une destination inconnue. Où jetteraient-ils l'ancre ce soir ? Dans une baie tranquille ? Dans un port ? Devant une île ou l'autre ?Jemma n'en avait cure...

Elle savourait ce bonheur qu'elle n'aurait jamais cru possible et, tant que Leonadis la tiendrait ainsi dans ses bras, rien d'autre n'aurait d'importance.

Fin

Scan Chantal/ OCR et MEP de Meauma Pour EBG