Mesurer Education CITE

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9 Éducation & formations n° 80 [ décembre 2011 ] Méthodes internationales pour comparer l’éducation et l’équité UNE CLASSIFICATION POUR LA COMPARAISON INTERNATIONALE : DE LA MESURE DU DROIT À LÉDUCATION À LA RECHERCHE DES PERFORMANCES ÉDUCATIVES Assurer la paix dans le monde par le développement du droit à l’éducation La standardisation des normes statistiques à l’échelle internatio- nale débute au milieu du XIX e siècle : elle est discutée au sein de congrès internationaux de statistique avant d’être relayée par les organisations officielles mises en place après la pre- mière et la seconde guerre mondiale 1 . L’activité centrale est la collecte de données auprès des administrations des différents pays participants. Pour les rendre comparables, il s’agit d’éta- blir des nomenclatures communes. Dans le domaine de l’éducation, une catégorisation du contenu de l’enseignement primaire est propo- sée dès 1893 et des tables de classi- fication commencent à être élaborées dans l’entre-deux-guerres. En 1933, le Bureau international de l’Éduca- tion (BIE) 2 entreprend une collecte régulière de données administra- tives nationales (principalement sur les finances et les effectifs d’élèves et d’enseignants). Le rapport annuel contient des tableaux statistiques sur les systèmes éducatifs de 35 pays acceptant de répondre au question- naire (Smyth, 2008) [1]. La création de l’UNESCO en 1945, au sein de laquelle est intégré le BIE, marque un nouvel essor de cette dynamique d’internationalisation des statistiques de l’éducation. Chargée de lutter par l’éducation, la culture et la science contre « l’ignorance » responsable de la « grande et terrible guerre », cette Mesurer l’éducation à l’ère de la « société de la connaissance » : les usages de la Classification Internationale Type de l’Éducation Rémi Tréhin-Lalanne Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST) Centre Maurice-Halbwachs (CMH) La Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE) est un accord international sous l’égide de l’ UNESCO , adopté dans sa première version en 1975 et révisé en 1997. Outil de compilation des données sur l’éducation, elle propose un classement des « programmes éducatifs » par domaine d’études et par niveau d’éducation, défini en six grandes catégories, du préscolaire au tertiaire. Son usage croissant dans des outils de comparaison internationale a conduit l’UNESCO à piloter sa révision avec l’appui de l’OCDE, d’Eurostat et d’experts de leurs pays membres (voir p.41, « La CITE : quelles perspectives ? Quels défis ? » Pour mieux percevoir les enjeux de cette nouvelle étape importante dans la normalisation des statistiques internationales de l’éducation, cet article crit l’évolution des usages de la classification. Après un retour historique sur ses origines institutionnelles et politiques, nous décrivons les différents types d’enquêtes qui y recourent. Enfin, une troisme partie rend compte des problématiques politiques et scientifiques pour lesquelles les données de ces enquêtes sont utilisées. NOTES 1. Citons principalement la Société des Nations (SDN) et le Bureau international du travail (BIT), fondés en 1919, la FAO, créée en 1945, et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1948. 2. Le BIE est créé en 1925 comme an- tenne du département de sciences de l’éducation de l’université de Genève. Il a été dirigé par le psychologue suisse du développement Jean Piaget pendant près de quarante ans.

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REGLEMENTARI EDUCATIE

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  • 9ducation & formations n 80 [ dcembre 2011 ]

    Mthodes internationales pour comparer lducation et lquit

    UNE CLASSIFICATION POUR LA COMPARAISON INTERNATIONALE : DE LA MESURE DU DROIT LDUCATION LA RECHERCHE DES PERFORMANCES DUCATIVES

    Assurer la paix dans le monde par le dveloppement du droit lducation

    La standardisation des normes statistiques lchelle internatio-nale dbute au milieu du XIXe sicle : elle est discute au sein de congrs internationaux de statistique avant dtre relaye par les organisations officielles mises en place aprs la pre-mire et la seconde guerre mondiale1. Lactivit centrale est la collecte de donnes auprs des administrations des diffrents pays participants. Pour les rendre comparables, il sagit dta-blir des nomenclatures communes.

    Dans le domaine de lducation, une catgorisation du contenu de lenseignement primaire est propo-se ds 1893 et des tables de classi-

    fication commencent tre labores dans lentre-deux-guerres. En 1933, le Bureau international de lduca-tion (BIE)2 entreprend une collecte rgulire de donnes administra-tives nationales (principalement sur les finances et les effectifs dlves et denseignants). Le rapport annuel contient des tableaux statistiques sur les systmes ducatifs de 35 pays acceptant de rpondre au question-naire (Smyth, 2008) [1]. La cration de lUNESCO en 1945, au sein de laquelle est intgr le BIE, marque un nouvel essor de cette dynamique dinternationalisation des statistiques de lducation. Charge de lutter par lducation, la culture et la science contre lignorance responsable de la grande et terrible guerre , cette

    Mesurer lducation lre de la socit de la connaissance :les usages de la Classifi cation Internationale Type de lducation

    Rmi Trhin-LalanneLaboratoire dconomie et de sociologie du travail (LEST)Centre Maurice-Halbwachs (CMH)

    La Classification InternationaleType de lducation (CITE) est un

    accord international sous lgide delUNESCO, adopt dans sa premire

    version en 1975 et rvis en 1997.Outil de compilation des donnes

    sur lducation, elle propose unclassement des programmes

    ducatifs par domaine dtudeset par niveau dducation, dfini

    en six grandes catgories, duprscolaire au tertiaire. Son

    usage croissant dans des outilsde comparaison internationale

    a conduit lUNESCO piloter sarvision avec lappui de lOCDE,dEurostat et dexperts de leurs

    pays membres (voir p.41, La CITE : quelles perspectives ?

    Quels dfis ? Pour mieuxpercevoir les enjeux de cette

    nouvelle tape importante dansla normalisation des statistiques

    internationales de lducation, cetarticle dcrit lvolution des usages

    de la classification. Aprs unretour historique sur ses origines

    institutionnelles et politiques,nous dcrivons les diffrents types

    denqutes qui y recourent. Enfin,une troisime partie rend compte

    des problmatiques politiqueset scientifiques pour lesquelles

    les donnes de ces enqutessont utilises.

    NOTES

    1. Citons principalement la Socit des Nations (SDN) et le Bureau international du travail (BIT), fonds en 1919, la FAO, cre en 1945, et lOrganisation mondiale de la sant (OMS) en 1948.

    2. Le BIE est cr en 1925 comme an-tenne du dpartement de sciences de lducation de luniversit de Genve. Il a t dirig par le psychologue suisse du dveloppement Jean Piaget pendant prs de quarante ans.

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    nouvelle organisation internationale donne rapidement ces donnes un rle central pour progresser vers lidal dun droit gratuit et universel lducation tel quinscrit dans la Dclaration de 1948.

    Au dbut des annes cinquante, lUNESCO publie les premires Enqutes mondiales sur lorgani-sation et les statistiques de ldu-cation qui prsentent la fois lorganisation de lducation et les statistiques ducatives dans les catgories nationales, sans per-mettre de comparaison directe terme terme (voir p.17 : Les notions statistiques dducation, de len-seignement habituel lducation formelle ). Les limites de lexercice encouragent la constitution dun Comit intergouvernemental sur la standardisation des statistiques de lducation charg de proposer des premires dfinitions et classifica-tions communes dans ce domaine. Les propositions aboutissent une recommandation concernant la nor-malisation internationale des statis-tiques de lducation , adopte en 1958 en Confrence gnrale. Cet accord porte sur les dfinitions com-munes de lanalphabtisme, de ce quest un lve, un enseignant, une classe, une cole, etc. Il propose une distinction de niveaux (prprimaire, primaire, secondaire et tertiaire) et de type dducation (gnrale, professionnelle et la formation des enseignants) (Smyth, 2008, op. cit.). Les donnes sont dlivres nationa-lement par type dtablissement, ce qui rend le classement des lves par niveau difficile. Certaines insti-tutions scolarisent des lves dges trs diffrents sans que les donnes ne permettent de distinguer leur niveau denseignement.

    Planifier les besoins dducation

    Dans les annes soixante, la ques-tion ducative prend une connotation plus conomique, la suite de travaux sur le rle du capital humain dans la croissance. Cette considration est largement porte par les organi-sations internationales et sert alors lgitimer une intervention mas-sive des pouvoirs publics dans le secteur ducatif (Vinokur, 2003 [2]). Cest le cas aussi bien pour lOCDE3, qui dfend un financement public et une gestion centralise de lducation4 (OCDE, 1962), que pour lUNESCO, qui cre de son ct lInstitut international de planification de lducation (IIPE) en 1962, dont le premier directeur est un conomtre. Dans ce contexte, la recommandation de 1958 est rapide-ment juge insatisfaisante. Lenjeu est dsormais davoir une nomenclature de lducation qui puisse tre croise avec la Classification Internationale Type des Professions (CITP)5, des fins de planification de lducation, en tenant compte des besoins en main-duvre. LUNESCO et le BIT sattlent, entre 1966 et 1974, loc-casion de rencontres rgionales de groupes dexperts et de consultations des pays membres, concevoir une nomenclature visant rpondre ces nouveaux enjeux. La Classification Internationale Type de lducation (CITE), prsente dans un volumineux document, est adopte en 1975 la Confrence internationale de lduca-tion et en 1978 en Confrence gn-rale de lUNESCO. Lunit de classe-ment est dsormais le programme ducatif, dfini comme un ensemble de cours , eux-mmes entendus comme srie planifie dexprien-ces dapprentissage dans un domaine

    particulier de sujets ou de compten-ces offertes par une organisation (a sponsoring agency) et suivies par un ou plusieurs lves (CITE 1978). Une codification cinq chiffres est propo-se pour chaque programme : le premier correspondant lun des huit niveaux dducation dfinis par cette nouvelle classification, les deux sui-vants au domaine et les deux derniers au sous-domaine de connaissances. Cette catgorisation des savoirs ren-voie principalement des secteurs professionnels (agriculture, commerce, communication, ingnierie, etc.), mais aussi des domaines artistiques (arts graphiques, danse, cinma, etc.) ou des disciplines dtudes (physique, gographie, histoire, etc.).

    Mesurer le rendement de lducation

    Lusage scientifique des statis-tiques mondiales sur lducation concerne cette poque essentielle-ment les conomtres, qui travaillent une amlioration des modles sur

    NOTES

    3. LOrganisation de coopration et de dveloppement conomique a t cre en 1961 avec pour mission de renforcer lconomie de ses pays Membres, den amliorer leffi cacit, de promouvoir lco-nomie de march, de dvelopper le libre-change et de contribuer la croissance des pays aussi bien industrialiss quen dveloppement . Elle est lhritire de lOrganisation europenne de coopration conomique (OECE) institue en 1947 pour administrer le plan Marshall.

    4. Cette organisation, souvent critique pour l ultra-libralisme quelle pro-fesse, a toujours promu des outils de gestion, dabord de planifi cation puis lo-gistiques (Lesourne, 1987). Actuellement, elle encourage un vaste mouvement de certifi cations des produits (y compris denseignement), charges de rguler le march.

    5. Cre en 1958 par le Bureau interna-tional du travail.

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    le capital humain. Une partie dentre eux se retrouve au sein du Centre de recherches sur lducation et lin-novation (CERI), cr par lOCDE en 1968. Dans les annes quatre-vingts, le dveloppement de linformatique accompagne lextension des ana-lyses internationales bases sur des donnes ducatives. En 1988, le CERI propose, avec le soutien de la France, la mise en place dun projet dindica-teurs des systmes denseignement (Ines) qui aboutit, en 1992, au premier rapport annuel sur lducation produit par lOCDE, Regards sur lducation. Parmi la quarantaine dindicateurs prsents, plusieurs mesurent les effets conomiques de lducation, tels que les niveaux de rmunration ou les taux de chmage en fonction du niveau dducation atteint (Bottani, 1994). Cet usage des donnes interna-tionales sur lducation contraste avec le recueil annuel publi par lUNESCO qui se concentre sur la prsentation des effectifs (dlves et densei-gnants) et des dpenses par niveau de la CITE de 1978. Rapidement, des pressions sexercent contre le service statistique de lorganisation et pro-voquent sa dlocalisation de Paris Montral et sa restructuration com-plte (Cuss, 2005) [3]. Cest aussi loccasion dun profond remaniement dans la collecte des donnes. Cest dsormais lOCDE qui soccupe de les compiler pour la quarantaine de pays quelle regroupe, puis de les trans-mettre lUNESCO et Eurostat, qui commence diffuser ces chiffres. De plus, la classification de 1978 est juge inadapte aux nouveaux usages qui en sont faits et un groupe de sept experts est charg den propo-ser une nouvelle version (Sauvageot, 2008) [4]. La nouvelle classification, adopte en 1997, tablit une nouvelle

    typologie de concepts ( critres , dimensions , orientations , etc.) permettant de catgoriser tous les programmes . Rduit une trentaine de pages, le texte se veut ainsi beau-coup plus simple et clair, plus facile mettre en uvre dans les diffrentes enqutes. Il vise aussi englober de nouvelles formes dducation qui se sont dveloppes dans les deux der-nires dcennies, particulirement avec le dveloppement de la formation professionnelle pour les adultes.

    La catgorisation des niveaux denseignement au niveau internatio-nal a longtemps t la proccupation et la responsabilit presque exclusive de lUNESCO, charge duvrer pour la promotion de lducation dans le monde, dans une perspective huma-niste. Avec llaboration de la pre-mire version de la CITE, en 1975, les enjeux conomiques de la comparai-son internationale des systmes du-catifs deviennent plus prgnants. Mais ils sont dabord lis une perspective planificatrice (faire correspondre les besoins et loffre de main-duvre). Linfluence grandissante de lOCDE sur les questions ducatives la fin des annes quatre-vingt-dix entrane une premire rvision de la CITE en 1997, afin de mieux la faire corres-pondre aux besoins dindicateurs de lorganisation.

    LES UTILISATIONS DE LA CITE DANS LES ENQUTESLimportance des moyens humains

    et financiers mis en uvre au sein du programme Ines de lOCDE (ru-nissant plusieurs fois par an entre 60 et 150 personnes issues des admi-nistrations de lensemble des pays membres) encourage la production et

    lharmonisation des donnes interna-tionales sur lducation. Le dvelop-pement de linformatique facilite leur diffusion et la mise en uvre de nou-velles enqutes. Lessor du paradigme de socit de la connaissance , en particulier au niveau europen avec la Stratgie de Lisbonne, place de plus en plus les chiffres sur lducation au cur de laction politique des tats. Dans ce contexte, la CITE est plus mobilise que jamais. Avant dexami-ner les problmatiques scientifiques et politiques auxquelles sont censes permettre de rpondre les donnes construites partir de la classifica-tion CITE, nous dtaillons dans cette section les diffrents types denqutes qui lutilisent.

    Les donnes administratives

    Depuis plus de cinquante ans, les donnes administratives sur les systmes denseignement (effec-tifs scolariss, diplms, personnel enseignant, taille des classes, etc.) sont collectes auprs des minist-res de lducation de chaque pays. Cette collecte, dabord conduite par le dpartement de statistiques de lUNESCO, est maintenant effectue conjointement par lInstitut de sta-tistiques de lUNESCO (ISU), lOCDE et loffice statistique de lUnion europenne, Eurostat. Cest la raison pour laquelle elle est couramment dsigne sous le terme de collecte UOE. Cette compilation de donnes internationales est effectue partir de quatre questionnaires6, envoys sous forme lectronique aux services

    NOTE

    6. Ces questionnaires sont disponibles en ligne sur le site de lInstitut de statisti-ques : www.uis.unesco.org

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    ministriels comptents. La CITE est centrale dans la collecte de ces don-nes. Dans deux questionnaires (lun porte spcifiquement sur lenseigne-ment suprieur), les tats doivent ren-seigner les effectifs dlves et den-seignants pour chacun des niveaux de la CITE. Dans le questionnaire sur les finances, les pays indiquent le montant des diffrentes sources de financement des tablissements classs par niveaux de la CITE. Enfin, dans un dernier formulaire, les pays doivent rpartir leurs programmes ducatifs dans les diffrentes cat-gories de la CITE et prciser leurs cri-tres de classement (diplme obtenu la fin du programme ; ge thori-que dentre ; dure denseignement thorique ; orientation et destination du programme ; etc.). Ceci constitue le mapping des programmes. Les donnes sont exploites par lun ou lautre des trois organismes.

    Les donnes sur la situation des individus

    Des donnes sur la situation des individus (vis--vis de lemploi, de lducation et de la formation, etc.) sont principalement fournies par les enqutes sur la force de tra-vail (lenqute Emploi conduite par lINSEE en France), les recensements ou les registres selon les pays. Ainsi, pour la Communaut europenne, le niveau dducation atteint par la population adulte est obtenu par lin-termdiaire du dispositif statistique europen des enqutes sur les forces de travail (EU-LFS European Labour Force Survey) devenues obligatoi-res pour tous les tats-membres de lUnion europenne depuis 1998 [5]. Au moins une fois par an, les tats-membres doivent mener une enqute par sondage sur un chantillon de

    mnages ou dindividus rsidant sur leur territoire. Les modes de collecte, la structuration et la formulation des questions restent du ressort des instituts statistiques nationaux. Des rglements europens viennent nan-moins rgulirement harmoniser les pratiques et imposer des variables. La variable sur le niveau dtudes est ainsi dfinie en catgories de la CITE en 1998. De nouvelles enqutes viennent complter les donnes sur la situation sociale et professionnelle des individus. Ainsi, en 2003 a t introduit un module ad hoc sur ldu-cation des adultes, en complment des enqutes sur les forces de travail. En 2004, lenqute communautaire SILC sur les revenus et les conditions de vie succde au panel europen. Ces dif-frentes enqutes collectent le niveau dducation atteint par les individus dans les catgories de la CITE.

    Les donnes sur les comptences des individus

    Les principales donnes concernent les acquis des lves travers des va-luations standardises administres sur des chantillons dindividus sco-lariss. La plus connue, le Programme International pour le Suivi des Acquis des lves (PISA), est pilote par lOCDE. Sur le continent africain, le programme Pasec (Programme dAna-lyse des Systmes ducatifs), financ par la Banque mondiale, organise des valuations standardises sur les lves de quarante pays francophones. Le programme Sacmeq (The Southern and Eastern Africa Consortium for Monitoring Educational Quality) concerne les pays anglophones. Ces valuations connaissent un dvelop-pement important auprs dlves de diffrents ges, mais aussi auprs

    des adultes (avec The International Adult Literacy Survey IALS ou le Programme pour lvaluation interna-tionale des comptences des adultes PIAAC conduit par lOCDE). Les enseignants aussi sont directement valus, comme dans Timss (Trends in International Mathematics and Science Study), enqute internationale ayant pour but damliorer lenseigne-ment et lapprentissage des mathma-tiques et des sciences. Afin de pouvoir mettre en relation le niveau de com-ptences avec le niveau dducation, ces enqutes mesurent le niveau de scolarit atteint par les individus dans les catgories de la CITE.

    Les donnes sur les opinions et les valeurs

    Il faut aussi souligner lessor des enqutes sur les valeurs ou lopi-nion des individus dans les ana-lyses du rle de lducation dans la socit. Les plus importantes sont la World Values Survey, conduite par un rseau international de chercheurs et lEuropean Social Survey, programme de recherche acadmique sintres-sant aux comportements et attitudes des citoyens sur un ensemble de th-mes socio-politiques. Par ailleurs, la Commission europenne conduit un suivi rgulier de lopinion publique par lEurobaromtre.

    La CITE est mobilise dans un nombre croissant denqutes, conduites aussi bien par des organisa-tions internationales comme lUNESCO ou lOCDE, par lUnion europenne que par des rseaux de chercheurs. Elle sert de plus en plus, dans ces nouveaux outils statistiques, mesurer le niveau dducation atteint, qui peut ensuite tre mis en comparaison avec une situation sociale, des comptences, des attitudes ou des opinions.

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    LA CITE AU CUR DES PROBLMATIQUES DE LA SOCIT DE LA CONNAISSANCE

    On examine dans cette section les problmatiques politiques et scienti-fiques sous-jacentes ces enqutes utilisant la CITE.

    La CITE et le dveloppement au niveau mondial

    La classification des niveaux ddu-cation est beaucoup utilise dans le cadre des politiques de coopration pour le dveloppement. lissue de la Dclaration du millnaire adopte par 147 chefs dtat et de gouverne-ment en 2000 New-York, les Nations unies, la Banque mondiale, le FMI et lOCDE ont abouti une prsentation des Objectifs du millnaire pour le dveloppement (OMD) sous la forme de 8 objectifs, 18 cibles et 48 indica-teurs. Lobjectif n 2, Assurer une ducation primaire pour tous , est assorti de trois indicateurs : le taux net de scolarisation dans le primaire, la proportion dlves commenant la premire anne dans le primaire et achevant la cinquime, et le taux dalphabtisation des 15-24 ans. Les catgories sur lesquelles se basent les deux premiers sont celles de la CITE. Les donnes proviennent de la collecte UOE. Pour lOCDE (2002) [6], les Objectifs du millnaire pour le dveloppement fournissent un cadre de rfrence pour rendre compte des progrs du dveloppement aux niveaux national et mondial. [] Lexistence de donnes est fondamen-tale pour la bonne gestion des affaires publiques : elle permet une informa-tion en retour sur la performance des

    gouverne ments, mettant ainsi tous les acteurs du dveloppement et tous les segments de la socit en mesure de demander des comptes ceux qui dtiennent le pouvoir.

    La CITE et lOCDE : augmenter lefficacit de lducation et dvelopper le capital humain

    Depuis la mise en place du projet sur les indicateurs des systmes denseignements (INES) la fin des annes quatre-vingts, lOCDE est devenu un acteur incontournable sur les questions ducatives au niveau international. Le succs mdiatique et politique de sa grande enqute sur les comptences des lves 15 ans (PISA) en tmoigne. Lun des cinq benchmarks europens est construit partir des rsultats de cette enqute. Le dernier rapport (Regards sur lducation, 2010) [7] en soulignant, dans lintroduction, que, lave-nir, on ne mesurera plus la russite des systmes dducation selon le niveau de dpenses consenties par les pays dans ce domaine ou selon le taux dobtention des diplmes, mais laune des rsultats ducatifs atteints et de leur impact sur le pro-grs conomique et social , indique toute la prpondrance qui sera pro-gressivement accorde aux donnes sur les comptences. Nanmoins, la mesure du niveau dducation atteint, grce la classification CITE, reste un outil privilgi par lorganisation pour produire ces principaux indicateurs. En particulier, le premier chapitre de Regards sur lducation est consacr limpact social et conomique de lducation, valu en comparant les taux de chmage, les niveaux de rmu-nration, lintrt pour la politique et

    le sentiment dtre en bonne sant, selon le niveau dducation atteint, mesur en catgories de la CITE. Un autre indicateur, plus rcent, permet de comparer le rendement public et priv de lobtention dun diplme diffrents niveaux, partir dun ratio cots-bnfices. Llaboration de ces indicateurs reste largement justifie par le postulat de rationalit cono-mique des individus : Les retombes financires sont dterminantes dans la dcision des individus dinvestir du temps et de largent dans la poursuite de leurs tudes au-del de la scola-rit obligatoire. Lavantage pcuniaire que procure llvation du niveau de formation incite les individus faire cet investissement pour leur avenir, quitte retarder lachat de biens de consommation. (OCDE, op. cit.).

    La CITE et lUnion europenne : garantir lquit, le dveloppement conomique et la mobilit

    Les pays membres de lUnion europenne saccordent en 2000 sur un nouvel objectif stratgique : faire de lEurope lconomie de la connaissance la plus comptitive et la plus dynamique du monde, capable dune croissance conomique durable accompagne dune amlioration quantitative et qualitative de lem-ploi et dune plus grande cohsion sociale (Conseil de lUnion euro-penne, 2000). La politique envisage consiste favoriser le triangle de la connaissance constitu par linno-vation, la recherche et lducation. Le prambule du Trait insiste sur la dtermination de ses signataires promouvoir le dveloppement du niveau de connaissance le plus

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    lev possible pour leurs peuples par un large accs lducation et par la mise jour permanente des connaissances . Cependant, lUnion europenne ne dispose pas de com-ptence lgislative dans le domaine de lducation et de la formation pro-fessionnelle, mais uniquement dune comptence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou com-plter laction des tats-membres . Ds lors, il sagit de dvelopper les principes dune Mthode ouverte de coordination dans le domaine de lducation, visant rpondre au nou-vel objectif stratgique de lUnion. Cette mthode sappuie principa-lement sur des indicateurs quan-titatifs et qualitatifs et des critres dvaluation tablis par rapport aux meilleures performances mondiales [] de manire pouvoir comparer les meilleures pratiques (ibid. : 37). La Commission a donc propos au Conseil en 2007 un cadre cohrent de 20 indicateurs appels mesurer les progrs des tats-membres par rapport aux diffrents objectifs quils se sont fixs et au cur desquels se trouvent deux ambitions majeures : lefficacit et lquit . En 2009, le Conseil a adopt cinq critres de rfrence ou benchmarks pour lho-rizon 2020 [8]. Trois sont directement construits partir des catgories de la CITE :

    diplms de lenseignement suprieur : dici 2020, la proportion des personnes ges de 30 34 ans diplmes de lenseignement sup-rieur (CITE 5A, 5B ou 6) devrait tre dau moins 40 % ;

    jeunes en dcrochage scolaire dans le cadre de lducation et de la formation : dici 2020, la proportion des jeunes en dcrochage scolaire ou des sorties prcoces dans le

    cadre de lducation et de la forma-tion devrait tre infrieure 10 %. Sont considres comme en dcro-chage scolaire les personnes ayant un niveau dducation infrieur au niveau 3 de la CITE (et tant sorties du systme scolaire) ;

    enseignement prscolaire : dici 2020, au moins 95 % des enfants ayant entre quatre ans et lge de la scolarit obligatoire devraient parti-ciper lenseignement prscolaire (CITE 0).

    En plus de ces benchmarks, il faut souligner la construction de nom-breux indicateurs supplmentaires partir de la CITE dans les rapports de suivi des progrs de la Stratgie de Lisbonne. Dans la version de 2009, ils viennent justifier quatre types de problmatiques :

    pour valuer les progrs en direction de lobjectif de faire de lapprentissage tout au long de la vie et de la mobilit une ralit , deux indicateurs bass sur les catgories de la CITE sont utiliss : le pourcen-tage dtudiants trangers dans le suprieur (CITE 5 et 6) ; le pourcentage dtudiants du suprieur inscrits dans un pays tranger ;

    pour amliorer la qualit et lefficacit de lducation et de la for-mation : part des 20-24 ans ayant achev le second cycle du secondaire ; effectifs dtudiants et de diplms du suprieur aux diffrents niveaux de la CITE (CITE 5A, 5B, 6) ; niveau dducation de la population active ; comparaison homme-femme selon les niveaux dducation ; taux demploi moyen par niveau dducation atteint ;

    pour promouvoir lquit, la cohsion sociale et la citoyennet active : nombre de dcrocheurs prsent par sexe et par origine (natifs du pays ou migrants) ; part des fem-

    mes selon les domaines dtudes dans lenseignement suprieur ;

    pour dvelopper la crativit et linnovation : part de diplms en mathmatiques, sciences et technolo-gies par niveaux de la CITE (CITE 5A, 5B, 6).

    Au total, sur les 150 graphiques et tableaux prsents dans ce rapport de la Commission, une soixantaine mobi-lise les catgories de classement de la CITE.

    Il faut galement noter que lindi-cateur sur les sorties prcoces est lun des trois principaux indicateurs utiliss pour mesurer les progrs en termes dinclusion sociale, dans le cadre de la Stratgie pour le dvelop-pement durable (adopte en 2010). On le retrouve dans la publication majeure dEurostat : le rapport de pilotage sur le dveloppement soutenable [9].

    La CITE et la recherche scientifique

    Dans la mesure o lducation reste une comptence des tats, les benchmarks europens ont un carac-tre faiblement contraignant et nen-tranent pas de sanctions contre les pays qui ne les atteindraient pas. Mais ces outils sont appels jouer un rle crucial la fois dans la dfinition de la ralit sur laquelle le politique doit agir et dans la mise en vidence de la pertinence de son action. Cette double vocation de ces techniques de mesure est affirme en 2008 par Odile Quintin, alors directrice gnrale de lduca-tion et de la culture la Commission europenne : la Stratgie de Lisbonne [] a mis au premier plan ce nouveau mode dlaboration des poli-tiques publiques : [] la politique fonde sur la preuve ; preuve admi-nistre par des mesures certifies et valides par tous. [] les indicateurs

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    et les critres de rfrences [] se font guides pour laction dans le souci dune amlioration permanente des politiques dducation et de for-mation 7. Dans ce contexte, les cher-cheurs sont invits collaborer la production et lanalyse des indica-teurs sur lducation.

    En dehors des publications de lOCDE, de la Commission europenne ou des organisations internationales comme lUNESCO, la Banque mondiale et le FMI, de plus en plus de centres de recherche exploitent les donnes denqutes sur lducation qui sont construites partir de la CITE. Ces ins-tituts peuvent directement dpendre dune organisation internationale. Au niveau de la Commission europenne, on peut citer : le Crell, le Cedefop ou le rseau Nesse. Au niveau international, le Ple de Dakar reoit une partie de

    ses financements par la Banque mon-diale. Le CERI est un institut de recher-che directement rattach lOCDE.

    Par ailleurs, les chercheurs en sciences sociales bnficient de plus en plus de financements de la direc-tion de la recherche la Commission europenne. Les projets privilgis sont souvent ceux se proposant duti-liser les donnes communautaires.

    Mais, en dehors de ces incitations financires, laccroissement du nom-bre de donnes disponibles encou-rage les recherches comparatives sur lducation partir dun grand nombre de pays. En France, deux ouvrages rcents en sociologie de lducation prsentent les rsultats de lexploi-tation de donnes internationales sur lducation : Baudelot, 2009 [10] ; Dubet et al., 2010 [11].

    CONCLUSION

    Les donnes internationales sur lducation se sont multiplies depuis une vingtaine dannes, en grande partie sous linfluence de lOCDE, qui promeut le rle de len-

    seignement et de la formation dans la croissance conomique. Cette pers-pective est largement reprise depuis 2000 par lUnion europenne, avec la Stratgie de Lisbonne. Dsormais, les efforts visent amliorer lefficacit des systmes ducatifs. La mesure du niveau dducation atteint par la population active est devenue centrale dans la construction dindicateurs sur lefficacit sociale et conomique des systmes ducatifs. La mise en uvre dun programme intergouver-nemental dans ce domaine par lOCDE la fin des annes quatre-vingts a acclr lessor de ces outils statis-tiques et a encourag leur utilisation politique. Ce mouvement a abouti la rvision de la CITE de 1997. Depuis, lUnion europenne, par le biais de la Commission, a pris une responsabilit croissante dans la production des don-nes sur lducation. Disposant dun important pouvoir rglementaire dans ladoption des normes statistiques au niveau europen, elle joue un rle central dans la diffusion de la classi-fication. Elle a largement contribu la rvision de la CITE qui aboutira la nouvelle version de 2011.

    NOTE

    7. Discours dintroduction la Confrence europenne intitule Comparaison in-ternationale des systmes ducatifs : un modle europen ? , organise sous la Prsidence franaise de lUnion euro-penne (Paris, 13 et 14 novembre 2008). Retranscription offi cielle.

    Thme

  • ducation & formations n 80 [ dcembre 2011 ]16

    BIBLIOGRAPHIE

    [1] Smyth, J., The Origins of the International Standard Classifi cation of Education , Peabody Journal of Education, vol. 83, n 1, pp. 5-40, 2008.

    [2] Vinokur, A., De la scolarisation de masse la formation tout au long de la vie : essai sur les enjeux conomiques des doctrines ducatives des organisations internationales , ducation et Socits, n 12/2, pp. 91-104, 2003.

    [3] Cusso, R., La qualit, les usagers et la restructuration ou comment changer les objectifs politiques des statistiques internationales de lducation , ducation et Socits, n 16/2, pp. 193-207, 2005.

    [4] Sauvageot, C., Un outil au service des comparaisons internationales : la Classifi cation Internationale Type de lduca-tion , ducation & formations, n 78, pp. 221-232, novembre 2008.

    [5] Rglement (CE) n 577/98 du Conseil du 9 mars 1998 relatif lorganisation dune enqute par sondage sur les forces de travail dans la Communaut (JO L 77 du 14 mars 1998, p. 3).

    [6] Revue de lOCDE sur le dveloppement, 1/2002 (n 3).

    [7] OCDE, Regards sur lducation, 2010.

    [8] Conseil de lUnion europenne, Conclusions du Conseil du 12 mai 2009 concernant un cadre stratgique pour la coopration europenne dans le domaine de lducation et de la formation ( ducation et formation 2020 ), 2009.

    [9] Eurostat, Sustainable Development in the European Union. 2009 Monitoring Report of the EU Sustainable Development Strategy, Luxembourg, 311 pages.

    [10] Baudelot, C. et Establet, R., Llitisme rpublicain : lcole franaise lpreuve des comparaisons internationales, Seuil, Collection : La rpublique des ides, 2009.

    [11] Dubet, F., Duru-Bellat, M. et Vrtout, A., Les socits et leur cole, Seuil, 2010.

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