Winter 2019 Chris Scharpf American Currents The Mystery of ...
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Renate MayntzFritz W. Scharpf
L'institutionnalisme centr sur les acteursIn: Politix. Vol. 14, N55. Troisime trimestre 2001. pp. 95-123.
Abstract
The Actors Centred Instutionalism
Renate Mayntz et Fritz W. Scharpf
This article summarizes an approach that has been characteristic of research, carried out at the Max Planck Institute for the
Study of Societies, Cologne, on the interaction between government policy and the self-organization of industrial and service
sectors. According to this approach, outcomes are explained by the interactions of individual, collective and (primarily) corporate
actors, all of them guided by their respective cognitive and normative orientations. In this context, institutions play a dual role. On
the one hand, they define the rules and actor constellations within which interactions take place, and on the other hand they
shape the normative and, to a lesser extent, the cognitive orientations of the actors involved. In combination, these institutional
effects increase mutual predictability among the actors themselves and, by the same token, they create ontological preconditions
which allow for limited generalization in the social sciences.
Rsum
L'institutionnalisme centr sur les acteurs
Renate Mayntz et Fritz W. ScharpfCet article rsume une approche caractristique de la recherche mene l'Institut Max Planck pour les sciences sociales de
Cologne, sur les interactions entre politique gouvernementale et autoorganisation des secteurs industriels et des services. Selon
cette approche, les rsultats sont expliqus par les interactions entre acteurs individuels, personnes collectives et (le plus
souvent) corps constitus, tous tant guid par leurs orientations cognitive et normative. Dans ce contexte, les institutions jouent
un rle double. D'un ct, elles dfinissent les rgles et les constellations d'acteurs dans lesquels les interactions se droulent;
d'un autre ct, elles configurent les orientations normatives et, dans un moindre mesure, les orientations cognitives des acteurs
impliqus. En se combinant, ces effets institutionnels augmentent la prvisibilit rciproque pour les acteurs eux-mmes et, dans
le mme temps, crent les prconditions ontologiques qui permettent une gnralisation limite en sciences sociales.
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Mayntz Renate, Scharpf Fritz W. L'institutionnalisme centr sur les acteurs. In: Politix. Vol. 14, N55. Troisime trimestre 2001.
pp. 95-123.
doi : 10.3406/polix.2001.1174
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2001_num_14_55_1174
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_polix_192http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_polix_193http://dx.doi.org/10.3406/polix.2001.1174http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2001_num_14_55_1174http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2001_num_14_55_1174http://dx.doi.org/10.3406/polix.2001.1174http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_polix_193http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_polix_192 -
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L institutionnalisme
centr
sur les acteurs*
Renate MAYNTZ
Fritz W. SCHARPF
ne pproche
analytique s appuie
sur un
canevas
de catgories assez
gnrales, qui servent recenser
et
classifier
les
faits empiriques
et sont gnralement adaptes
un
type donn
d objets
explicatifs.
Dans
le
cadre
de
la thmatique
esquisse
dans
le
premier chapitre,
nous
disposions
de plusieurs approches
de ce type,
gnralement
associes
une
thorie spcifique (par
exemple
la thorie de la diffrenciation, la thorie de
la gouvernance, la thorie des
jeux),
dont aucune n tait cependant adapte
en soi aux spcificits de notre
objet explicatif.
Il
a
donc
fallu,
pour
rpondre
correctement
la problmatique, recourir
des
lments provenant de
plusieurs thories,
susceptibles
d clairer diffrents
aspects d un
faisceau de
conditions
complexes.
Progressivement,
nous avons pu dgager
diverses
questions dominantes
et catgories analytiques, particulirement utiles, qu il
a
fallu
ensuite ajuster les
unes aux
autres, au prix
de grands efforts et de
longues
discussions.
Nous
allons
dcrire
dans
ce
chapitre
le
rsultat
provisoire de ces efforts
pour dfinir une approche
sur
mesure
de la
problmatique
de la rgulation et de l autoorganisation dans
des
sous-
ensembles sociaux entiers,
approche que nous avons appele
institutionnalisme centr sur les acteurs
.
On
gardera
toutefois
l esprit
qu une
approche
s appuie sur des prmisses orientes et thoriques, mais
Ce
texte
est
la
traduction du chapitre 2 Der Ansatz des akteurzentrierten
Institutionalismus
de l'ouvrage dirig par R.
Mayntz
et F.W. Scharpf,
Gesellschaftliche
Selbstregelung und politische
Steuerung, Francfort/Main,
Campus,
1995,
p.
39-72.
Elle
a
t
ralise par
S.
Avril
de
l'INIST-
CNRS et revue par O. Giraud et
P.
Laborier.
Politix. Volume 14 - n
55/2001, pages 95
123
-
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96
Politix
n
55
qu elle
ne reprsente pas en soi une thorie
sur
le fond, rapporte un objet.
L institutionnalisme centr
sur
les acteurs
n est donc
pas
un
modle
apportant
une
explication,
mais
tout
au mieux
une
heuristique de recherche,
qui
attire
l attention
sur certains
aspects de
la
ralit.
La renaissance de l institutionnalisme
Le concept d institutions connat depuis quelque temps un regain d'intrt.
Les
institutions ont toujours jou un
rle
important en sciences
sociales,
sans
que le concept ait
toutefois
t toujours utilis de manire homogne.
Herbert
Spencer
a dcrit en
sociologie
une srie d institutions
fondamentales
correspondant
des besoins
fondamentaux. Dans le prolongement de cette
approche, le concept
a pris
une
place centrale
dans le fonctionnalisme
en
anthropologie
culturelle
et
en
sociologie,
les institutions
tant
rapportes soit
aux besoins fondamentaux de l homme, soit
des
impratifs
systmiques.
L institution tait galement un concept essentiel
pour
Durkheim, qui
mettait
toutefois moins
l accent
sur la fonctionnalit
que
sur l lment de
contrainte sociale externe influenant
le comportement
humain.
Dans la
thorie
politique, les
institutions
occupent
depuis
l Antiquit une
place
importante, voire prdominante1.
Quant
la
science
politique, mme
aprs
avoir abandonn la
description compare
des institutions
dfinies
juridiquement (gouvernement,
parlement, administration
et
partis)
pour
se
tourner vers l tude
des
comportements, elle s est concentre sur l analyse
de
l action
dans
les
institutions
politiques observes
empiriquement2.
Le
concept
d institution
est donc appliqu tant
des construits sociaux qu
des modles de
comportements
normaliss3. Les tentatives visant ramener
le concept d institution
des
rgles
abstraites
(mais
applicables, autrement
dit
approuves socialement
si
ncessaire4) et
le
remplacer,
pour
les
construits sociaux, par le concept
d organisation5
n ont pas
abouti
jusqu
prsent. Il
est
cependant gnralement admis
que,
dans
le
concept
d institution, on insiste surtout
sur les aspects
de rgulation se rapportant
avant tout
la
rpartition
et l exercice du
pouvoir,
la dfinition
des
1. Cf. les contributions dans
Ghler
(G.), edv
Politische
Institutionen
im gesellschaftlichen
Umbruch :
Ideengeschichtliche Beitrge
zur Theorie
Politischer
Institutionen,
Opladen, Westdeutscher Verlag,
1990.
2.
Notamment
l'article de
K. von Beyme
dans
Ghler (G.)
et
al., eds,
Die
Rationalitt politischer
Institutionen,
Baden-Baden,
Nomos, 1990.
3.
Vanberg (V.),
Markt und Organisation, Tbingen,
Mohr,
1982,
p. 32.
4.
Pour
R. Jepperson le cur
du
concept d'institution est la reprsentation d'un
schma
stable
pour des squences d'activits
rptes
de faon chronique , Jepperson (R.), Institutions,
Institutional Effects,
and Institutionalism ,
in Powell (W.), DiMaggio
(P.), eds, The New
Institutionalism
in
Organisational
Analysis,
Chicago,
University
of
Chicago
Press, 1991, p. 145.
5. Cf. North (D.), A Transaction Cost
Theory
of Politics , journal of
Theoretical
Politics,
2, 1990.
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L'institutionnalisme centr
sur
les acteurs 97
comptences,
la
disposition
de ressources
ainsi
qu aux
relations
d autorit
et de dpendance.
Les
institutions ont retrouv, depuis peu,
une
place
de
choix
dans
l institutionnalisme
conomique,
la sociologie institutionnelle
des
organisations, le no-institutionnalisme en
science
politique. Ces thories ont
en
commun de
porter
un
regard critique sur certaines
approches
employes
jusqu
prsent,
mais
cette critique porte sur
un
lment diffrent dans
chaque
cas et le concept d institutions utilis n est pas le mme.
En
science
conomique,
on distingue
- bien
que
conceptuellement la
distinction ne
soit
pas
toujours aussi
nette -
une
conomie institutionnelle,
qui cherche
des
explications
institutionnelles
aux situations
conomiques,
et
un institutionnalisme conomique qui
tente
d expliquer les
institutions
par
des
arguments
conomiques
(autrement
dit,
comme
le
rsultat
d une
action
rationnelle,
calcule, manant
d individus^). Le
premier
courant dnonce
une thorie
conomique qui se contente, au
niveau
micro-conomique, de
l analyse du comportement
individuel
rationnel et, au niveau
macroconomique,
des
variables agrges de l'offre et de la demande, sans
prter attention
aux
particularits des structures de
production
et du
march, ni du cadre
social
dans
lequel
l action conomique s insre. Ce
n est
pas un
hasard
si
des
sociologues comme Granovetter7
et
Streeck ont critiqu
de telles
omissions.
Streeck a
d ailleurs
contribu,
par ses
travaux
empiriques,
l laboration d une
thorie institutionnelle
de l'offre dans les
socits capitalistes
avances8
.
Bien
que
la
thorie
conomique
des
institutions
fonde sur
une
argumentation
gntique
ne s carte pas de
l approche no-classique, elle
critique
cependant l hypothse d un Homo
conomicus hyper-rationnel
mais
dj domestiqu
par les normes.
Elle
suppose qu il
existe
d une part des acteurs qui ne sont pas totalement
rationnels,
et d autre
part
la
possibilit
toujours prsente de
prjudices
opportunistes . Ces deux lments
se
traduisent par
des
cots de
transaction
, susceptibles de
nuire des
changes et cooprations
normalement
bnfiques.
L existence d institutions
adquates peut
accrotre
la fiabilit des
attentes
mutuelles et rduire ainsi les cots de transaction.
Les
avantages
ainsi obtenus
en
terme
d efficience
expliquent,
selon les
arguments tirs de thories volutionnistes,
non
seulement le choix entre le
march et la hirarchie
, mais
aussi le choix entre diffrentes formes
d organisation
de l entreprise9.
6. Ghler (G) et
al.,
eds, Die Rationalitt politischer Institutionen, op. cit.
7. Granovetter
(M),
Economie
Action and
Social Structure : The
Problem
of Embeddedness ,
American
journal
of Sociology,
91, 1985.
8.
Streeck
(W.),
Social Institutions and
Economic
Performance, Londres, Sage, 1992.
9.
Williamson (O.),
Markets
and
Hierarchies. Analysis
and
Antitrust
Implications,
New
York, Free
Press, 1975
;
Williamson
(O.),
The
Economic Institutions
of Capitalism. Firms,
Markets, Relational
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Politix n 55
L institutionnalisme de la sociologie
des
organisations
dnonce, quant
lui,
la conception selon laquelle
Les
organisations
taient envisages
principalement comme
des systmes
de production et/ou
d change
et
leurs
structures
comme
tant
modeles,
dans
une
large
mesure,
par
leurs
technologies,
leurs transactions,
ou
les relations de pouvoir-dpendance qui
rsultent de ces
interdpendances10.
Zucker
dtache la nouvelle thorie
institutionnelle de toutes les
approches
fondes sur l hypothse
selon
laquelle le comportement est motiv par
les
intrts
des acteurs
humains et
s explique par
ceux-ci11.
II
se
rfre
ici
moins
Selznick - qui soulignait
dj,
dans son tude sur la Tennessee Valley Authority12,
que
les
organisations peuvent
certes tre
cres comme
des instruments,
mais
qu elles acquirent
en gnral une
valeur
propre
pour
leurs
membres et
pour les acteurs intervenant dans
leur
environnement
- qu au
constructivisme
sociologique
ou
l interactionnisme symbolique.
Dans
F
ouvrage-clef
de Berger
et
Luckmann, l institutionnalisation
est
le
processus
par lequel les
individus
laborent
une
dfinition
commune de la
ralit
sociale ; les rgles vcues
tenues
pour acquises
, les reprsentations
et
les
croyances jouent
alors
un rle de
premier
plan13. En consquence,
l institutionnalisme de la sociologie
des
organisations
s intresse surtout
aux
lments symboliques et
cognitifs
de l environnement d une
organisation
(mythes,
traditions
orales,
idologies
lgitimes, etc.) qui influencent celle-
ci14.
Le concept d institution est
alors
employ
dans un sens trs large et
concret, synonyme de
culture15
.
L un
des
courants
mme
du no-institutionnalisme en science
politique
se
fonde sur la
critique des
approches
rductionnistes et utilitaristes, qui
expliquent
les phnomnes
politiques comme
les
effets agrgs de l action
intresse d individus
et n accordent
aucune
importance aux
structures
organisationnelles ni aux actions
vise
normative voire symbolique. Cette
critique
est formule de
manire
incisive par March et Olsen, qui
Contracting,
New
York, Free Press, 1985
;
North (D.),
Structure and
Change
in
Economie
History,
New
York,
W.W.
Norton,
1981.
10. Scott
(R.),
The
Adolescence
of
Institutional Theory
,
Administration
Science
Quarterly,
32,1987, p. 507.
11 . Zucker
(L.), ed., Institutional Patterns
and
Organization,. Cambridge, Ballinger, 1988,
p.
4.
12. Selznick (P.),
TVA
and the Grass Roots. A Study in the Sociology of Formal Organization, New
York, Harper & Row,
1966.
13 . Berger
(P.),
Luckmann (T.), Die gesellschaftliche Konstruktion der Wirklichkeit, Francfort/Main,
Fischer, 1972.
14. Cf. les
contributions
dans Powell (W.), DiMaggio
(P.),
eds, The New Institutionalise? in
Organizational
Analysis op.
cit.
15. Cf.
aussi
la caractrisation
synthtique
de R.
Jepperson
: Dans
l'analyse
organisationnelle,
en particulier,
de nombreux
commentateurs
associent
d'une faon
ou
d'une
autre les
institutions
la culture , c'est--dire aux effets normatifs, aux ides, aux conceptions,
aux
institutions
prconscientes ,
aux
mythes,
aux rituels,
l'idologie,
aux
thories
ou aux
rcits
(Jepperson (R.),
Institutions, Institutional
Effects,
and
Institutionalism,
in
Powell
(W.),
DiMaggio
(P.), eds, The New
Institutionalism.
., op. cit.,
p.
150).
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L'institutionnalisme centr sur les acteurs 99
s intressent
la place
des institutions en
politique16 et
insistent sur
l importance de
comportements
appropris ,
vise
normative,
ainsi
que
des
rituels, des
crmonies et des mythes.
Ce
courant
du
no-
institutionnalisme en
science politique
rejoint
ainsi l institutionnalisme
de
la
sociologie des organisations.
Un second courant
du no-institutionnalisme politique
fait
davantage
appel
une
notion dj
ancienne, qui
entend
par
institutions politiques,
les
organes politiques centraux, autrement dit (contrairement
l orientation
sociologique
organisationnelle dcrite
plus
haut) des
construits sociaux
prcis. Il ne s agit cependant pas d un simple
retour
la pense classique,
encore
que ce nouvel
institutionnalisme
soit
apparu aux
Etats-Unis
avec la
devise bringing the state
back in17
.
Ce
courant
du
no-institutionnalisme
politique,
fond
sur
la
thorie
de
l Etat,
s oppose
aux
approches
bhavioristes18, structuralistes,
et
systmiques, qui ne
s intressaient
pas
aux
particularits de
l organisation
politique
(comme
construction et
systmes
de
rgles)
et
se concentraient soit sur les comportements individuels pertinents
sur le
plan politique,
soit
sur
les
effets
des
structures de pouvoir
et
d intrts
sur
les
dcisions politiques.
Partant de l, Keck
identifie
une
renaissance de
la
vision
institutionnelle , accordant
davantage
d attention aux
structures
organisationnelles du systme
politique.
Ces dernires ne constituent pas
une scne neutre,
mais
restreignent
le champ d action ou bien ouvrent de
nouvelles options d action.
Contrairement
aux conceptions antrieures de
la
thorie
de
l influence,
les
intrts
sociaux
dominants... n ont
pas
de
rpercussions
directes
sur les
rsultats du processus politique
:
ils sont
modifis
ou filtrs par
la machinerie du systme politique19. L ouvrage
collectif
Do
Institutions Matter ? est un exemple loquent de ces
nouvelles
tendances : ses coordinateurs
cherchent
comprendre comment diffrents
arrangements institutionnels
influencent
la
stabilit
et
l'efficacit des
gouvernements20 .
16 . March
(].), Olsen (].), The New Institutionalism : Organizational
Factors in Political Life
,
American
Political
Science
Review,
78,
1984,
p. 735.
17 .
Evans (P.) et al., eds,
Bringing
the State
Back
In, Cambridge, Cambridge University Press,
1985.
18 . Courant dans lequel K.
von Beyme se distingue particulirement.
Cf.
son
article
dans
Ghler
(G.),
ed., Grundfragen der Theorie
Politischer
Institutional. Forschungsstand, Problem, Perspektiven,
Opladen, West-deutscher Verlag,
1987.
19 . Keck
(O.),
Der neue Institutionalismus
in der Theorie der Internationalen Politik
,
Politische Vierteljahr sschrift, 32, 1991, p. 637.
20 .
Weaver
(R.),
Rockman
(B.), eds,
Do
Institutions
Matter
?
Government Capabilities
in the
United
States and Abroad, Washington,
DC, Brookings Institution,
1993, p.
4.
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Politix n 55
L institutionnalisme
centr sur les acteurs
L approche de l institutionnalisme centr sur les
acteurs,
labore pour un
objet
d tude
spcifique,
se
rattache
ce
dernier
courant
du
no-
institutionnalisme en
science politique,
dont elle se distingue
toutefois
par
plusieurs aspects. En effet, ce courant ne
se
limite pas aux institutions
politiques, il se base sur un concept troit des institutions, considre celles-ci
comme
des
variables pouvant
tre dpendantes aussi
bien
qu indpendantes, et ne leur attribue pas d'effet dterminant. Au contraire,
les facteurs
institutionnels
constituent bien
plus
un contexte de
l action,
stimulant,
potentialisant
ou
limitant. La figure 1
tente
de schmatiser cette
approche. Si
l on
veut
tudier
la
rgulation sectorielle
et l autorgulation
dans les secteurs
para-tatiques et
leurs rsultats,
il
est
ncessaire
de
s intresser en
priorit
aux
interactions
entre
les
acteurs
corporatifs,
ces derniers
pouvant tre
provisoirement dfinis comme des organisations
capables
d action. Si l accent est mis
sur les acteurs corporatifs,
c est
la
fois en
raison
du niveau d analyse choisi (sous-systmes sociaux)
et
de l organisation
trs
pousse
propres aux secteurs
dits
para-tatiques ; sans cela, on ne pourrait
pour
ainsi
dire
pas parler
d autoorganisation
au niveau
macrosocial. Bien
que l action
des acteurs corporatifs occupe effectivement
une
place de
premier plan dans notre champ d investigation
et
notre problmatique,
cela
ne
signifie
pas
pour
autant
que
nos tentatives
d explication
se
limitent
l action de ces
seuls
acteurs. Mme dans
les secteurs trs organiss,
il arrive
que
l action d individus,
au
niveau
microsocial,
contribue
de
manire
dcisive la situation
que
l on souhaite expliquer21.
En outre,
les stratgies
d acteurs
corporatifs
peuvent aussi s expliquer,
dans certains cas,
par
l action,
non
dtermine par
les institutions,
d individus
en leur
qualit
de
membres,
de
titulaires
d une
fonction ou de reprsentants. Ceci
implique
nouveau, en principe,
une
perspective multi-niveaux, dans laquelle le
cadre
institutionnel
influence
l action des organisations, ces dernires
crant leur
tour le
cadre
institutionnel dterminant
l action de
leurs membres.
Dans les secteurs sociaux
trs
organiss,
chaque
acteur corporatif fait en
gnral partie d une constellation d'acteurs
plus
ou moins complexe. De fait, en
science politique, le
no-institutionnalisme s intresse
moins
aux diffrentes
institutions
politiques qu
l'effet
que produisent
certains dispositifs
institutionnels,
que
l on cherche
styliser de manire
en extraire des types
idaux, puis spcifier
selon
leur mode de fonctionnement. On
peut citer
comme
exemple
le modle de
dmocratie
parlementaire de Westminster
ou le
fdralisme unifi
l allemande
(Verbundfderalismus).
Ces
catgories
dfinies dans
une
optique
phnomnologique
oriente vers les
formes
ont
21. Cf. Schimank
(U.),
Wasem (].), Die staatliche Steuerbarkeit unkoordinierten kollektiven
Handelns
,
in
Mayntz
(R.), Scharpf (F.W.), eds,
Gesellschaftliche
Selbstregelung
und
politische
Steuerung, Francfort /Main, Campus, 1995.
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L'institutionnalisme centr sur les acteurs 101
toutefois l inconvnient d'tre assez
peu abstraites
et de ne
concerner que
les
structures de
dcision
politiques. Dans l institutionnalisme centr sur
les
acteurs,
en
revanche, on
s'efforce de dfinir des
catgories
analytiques
permettant d'identifier
les
aspects
thoriques
pertinents
des
constellations
d acteurs englobant tout un secteur.
C est
la
raison pour laquelle, on
ne
peut
pas
se limiter aux institutions (ou
acteurs)
politiques il est ncessaire
d'intgrer tous les acteurs pertinents dans les diffrents
champs de rgulation
sociale.
On
vite ainsi le
point de vue du lgislateur
,
commun
bien
des
tudes
en
science
politique,
dans
lesquelles
les champs
de rgulation sociale
constituent
un environnement
plus ou
moins
amorphe et
passif. Au contraire,
l accent est mis ici sur l intgration des acteurs tatiques et non tatiques dans
les
structures
qui influencent
leur action.
Facteurs
non
institutionnels
Contexte
institutionnel
Acteurs
en
constellations
en
situations
Mode
d'interaction
Rsultat,
effet
Figure
1.
Vue d'ensemble du modle
analytique
A la diffrence des
tentatives
d largissement
culturaliste
, le concept
d'institutions dans l institutionnalisme centr
sur
les acteurs
est relativement
troit
et
se concentre sur
les
aspects de rgulation. Cette orientation
analytique,
fondamentale
pour
l ensemble de la dmarche,
a deux
consquences
importantes.
D une part,
les
institutions
ne sont pas interprtes
simplement
comme
le rsultat d un
dveloppement
volutionniste
et tenues
pour acquises : elles peuvent
tre
volontairement modeles et modifies par
l action d acteurs
identifiables.
L approche centre sur les acteurs
considre
donc
les
institutions
comme des
variables aussi
bien
dpendantes
qu indpendantes. D autre part, en
limitant le concept d institution
aux
aspects de rgulation,
on
met en valeur
une
prmisse,
souvent simplement
cite de manire
formelle,
selon laquelle
le
contexte institutionnel autorise ou
entrave l action,
mais
ne
la
dtermine
pas. Bien
qu elles
s en
dfendent,
les
approches
institutionnalistes
sont
souvent
crypto-dterministes concernant
l action des
acteurs, surtout
lorsque
le
concept d institutions est assez large
pour englober non seulement les normes du
comportement
adquat,
mais
aussi
les lments cognitifs
et symboliques
influenant l action. Si l on inclut
encore dans
ce concept les pratiques
de la
vie
quotidienne, sans
se poser
la
question
de
leur
provenance,
les
acteurs
sont
alors
privs
de
toute
latitude
et il
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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102
Politix n 55
ne reste au
sujet
que quelques
impulsions idiosyncrasiques, quasiment
inaccessibles
l analyse
sociologique thorique.
Cette
conceptualisation est
peut-tre exploitable dans les thories sociologiques
qui
s intressent au
comportement
individuel
(moyen).
En
revanche,
l explication
des processus
de
rgulation
et d autoorganisation
au
niveau macrosocial
ncessite
quant
elle
un
concept
plus
troit des
institutions,
permettant de considrer l action
des acteurs
comme une
variable autonome et
d analyser
ainsi
des situations
o,
malgr un cadre institutionnel fondamentalement
inchang,
on observe
des modifications
lourdes de consquences au
niveau
de
l'action22.
L analyse des structures sans rfrence
aux
acteurs est tout aussi dficiente
que
l analyse de l action
des
acteurs sans
rfrence
aux structures,
comme
Alexander
l a
rappel
rcemment encore23. L institutionnalisme centr sur
les
acteurs surmonte cette
dichotomie par sa double perspective
sur les
acteurs et les institutions.
La dmarcation
explicite,
ainsi propose, entre
institutions
et
action
observable,
rejoint ainsi le dbat de
longue
date sur les
rapports
entre
acteur
et
systme24
ou
structure
et
agency25. Ce dbat porte
toutefois davantage
sur le
primat de
la
structure
ou de l action de l acteur
que sur
l'intgration de
ces deux
perspectives. De mme, la dmarcation
entre structure
et agency
reste floue
dans
l analyse26. Le concept
gency est
associ
celui de
libre arbitre,
mais dans la ralit,
les acteurs sont
toujours
marqus
par
des
influences sociales. Cela ne pose pas de problme
si l on
distingue les
rgles institutionnelles
de l action des
acteurs rels,
comme
le
fait
l institutionnalisme
centr sur les acteurs27.
Dans les
explications
proposes dans le cadre de l institutionnalisme centr
sur les acteurs,
l action observable
des acteurs a
toujours une fonction de
cause premire {proximate cause), tandis que le
cadre
institutionnel
reprsente
pour
nous la cause seconde (remote cause) centrale. Entre ces
deux
ples, de nombreux
facteurs interviennent
pour codterminer
les
acteurs
et leurs
orientations, leurs relations
et les
situations dans lesquelles
22. Par
exemple
les changements de stratgie
politico-conomique
de ces vingt dernires
annes.
Le succs de la
rforme Seehofer dans le secteur
de
la sant,
aprs l'chec
des
multiples
tentatives prcdentes,
ne
s'explique pas non plus par une modification des
conditions
institutionnelles.
23. Alexander (J.),
Commentary
: Structure, Value,
Action
, in Hamilton (P.), ed.,
Talcott
Parsons : Critical Assessment, Londres, Routledge,
1992.
24.
Crozier
(M.), Friedberg (E.), L'acteur et le systme, Paris, Seuil,
1977
; Weyer (J.), System und
Akteur. Zum Nutzen zweier soziologischer Paradigmen bei der Erklrung erfolgreichen
Scheiterns , Klner Zeitschrift
fr
Soziologie
und Sozialpsychologie, 45, 1993.
25.
Par
exemple Giddens (A.),
The
Constitution of Society. Outline of
a
Theory of Structuration,
Cambridge,
Polity Press, 1984.
26. Alexander (J.), Sowie
Differenzierung
und
kultureller
Wandel, Francfort /Main, Campus,
p.
502.
27. Pour A. Giddens (The Constitution of Society.
..,
op. cit.,
p.
282), les acteurs
agissent
surtout
par
habitude.
La
variance,
qui parvient
ramener un comportement
globalement
habituel
dans
des
explications
du
reste
dtermines
structurellement,
est
pourtant
si
faible
que
le
rsultat
de
l'action
parat en
pratique
dtermin
par
la
structure.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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L'institutionnalisme centr
sur
les acteurs 103
ils interagissent. Ainsi, les acteurs
corporatifs
sont
constitus,
ou du
moins
approuvs, par la lgislation, mais
cela ne
suffit
pas dterminer
entirement leurs caractristiques en tant qu organisation
sociale, ni
l orientation
de
leur
action
dans
une
situation
concrte.
Il
en
va
de mme des
structures plus
globales dans lesquelles
ils s insrent. Ici encore,
par
exemple,
une
partie des relations durables
est
donne
par
les institutions,
mais une
autre
partie est
plus
informelle, voire
parfois
hors la loi . Enfin,
les
interactions entre certains acteurs sont
aussi
motives
par
des
rgles
institutionnelles,
mais
les
situations relles contiennent galement de
nombreux
lments
non
institutionnels. Nous
dtaillerons
ci-aprs
ces
composantes
de notre
approche. Pour des
raisons pragmatiques
et
pour
assurer
une
meilleure transparence dans la recherche d explications, nous
n employons
aucune grille
de
catgories
pour
le
recensement systmatique
des
facteurs
d influence,
y
compris
des
facteurs
non
institutionnels.
Le
contexte
institutionnel
Une
classification diffrentielle
des contenus possibles de la
rgulation
devient
trs
vite trop
complexe28 et
finit
par dpasser la systmatique
juridique
du droit
constitutionnel,
administratif, fiscal, pnal, civil, du droit
des socits, des associations, du travail ou du droit procdural.
L important
est
que
les rgles institutionnelles (dfinies,
appliques et approuves)
permettent
de
fonder
la
fiabilit
des
attentes
mutuelles
et
rendent
ainsi
possible
l action
sociale par-del les limites
des
relations
personnelles,
comme
l ont
soulign
les
institutionnalistes,
juste
titre,
par opposition
une
thorie
conomique dpourvue de dimension institutionnelle29. Une
classification minimaliste
des contenus
de
la rgulation,
en vue
de l analyse
des
structures sectorielles
et
des
processus
de
dcision,
doit tout
d abord
distinguer,
selon
les
dfinitions
courantes des
institutions,
les rgles qui :
-
dfinissent
les
normes
(matrielles) de comportement et de
procdure
(formelles)
dans des situations donnes,
-
autorisent ou
au
contraire
refusent
l accs
de
certains groupes des
ressources
financires,
juridiques,
personnelles,
techniques
ou
naturelles,
-
et
dterminent les relations (notamment de dominance
et
de dpendance)
entre
des acteurs donns.
28 .
Cf. Ostrom (E.), A Method of Institutional
Analysis
, in Kaufmann (F.-X.) et
ah,
dir.,
Guidance, Control,
and
Evaluation in the Public
Sector. The
Bielefeld
Interdisciplinary
Project, Berlin,
De Gruyter, 1986
;
Ostrom (E.), An Agenda
for
the Study of Institutions , Public Choice,
48,
1986.
29 .
North (D.),
A
Transaction Cost
Theory
of
Politics
, art.
cit
;
North
(D.),
Institutions
,
Journal of Economic
Perspectives, 5, 1991.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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104
Politix n 55
II
est
en outre important, dans
notre optique,
que
les
acteurs
corporatifs
soient constitus par
des
rgles
institutionnelles. Il
est mme frquent qu ils
soient crs
par une
dcision de l'Etat, ce qui leur confre, en
une seule fois,
une mission
et
des
comptences30.
Il
convient
enfin
de
souligner
que, dans
le
cadre de la rgulation
institutionnelle des
procdures,
des
motifs
d interaction
entre
certains acteurs sont dfinis
et des arnes
sont cres dans
lesquelles
des acteurs donns se runissent
pour
discuter
ou dcider de
thmes spcifiques, tout en tant subordonns
des rgles
de dcision
dtermines. En dfinissant les
tches
et
les relations
entre
les acteurs,
la
rgulation institutionnelle
cre
des
structures
de division du
travail qui
peuvent aussi tre dcrites
par
les
concepts
de la diffrenciation sociale.
Bien
que
la thorie systmique, qui ne laisse pas de part aux acteurs et argumente
uniquement
sur
la base
des relations
de communication, diffre fortement,
dans
sa
perspective analytique,
de
l institutionnalisme
centr sur
les
acteurs,
celui-ci se rapproche beaucoup d une thorie de la diffrenciation mettant
l accent
sur
les
structures sociales
relles31. Ainsi,
la
structure
particulire du
systme
de
sant
allemand, avec sa
sparation caractristique
entre soins
hospitaliers et soins ambulatoires
ainsi que son mode de financement bas
sur
les
cotisations
obligatoires32, ou
encore la
proximit
de l enseignement et
de la recherche dans les universits allemandes, avec les consquences
qu elle
entrane33, constituent
des
formes de diffrenciation sociale modeles
par
les institutions. La thorie de
la
diffrenciation met
l accent
la fois sur
un
aspect important
pour
la description des structures sectorielles et des
constellations
d acteurs (la
division
du
travail)
et
sur
une composante
importante
(fonctionnelle)
de l orientation
de
l action.
Acteurs et orientation de
l action
Le
cadre
institutionnel, dfinissant
les rgles
que l on doit
soi-mme
respecter et
que l on
souhaite que
les
autres
respectent, est
un lment
constitutif des acteurs
et
des constellations
d acteurs
;
il
structure leur
accs
aux
ressources
ncessaires l action, influence leurs orientations
et
modle
des aspects
importants
des
situations
auxquelles
chaque
acteur
est
confront.
Pour
autant, ce
cadre
institutionnel n englobe pas
tous
les types
d action,
ni tous les facteurs pertinents
pour
l action,
et
ne dtermine pas
entirement non
plus
l action lorsqu il entre en
jeu.
Cela
signifie
non
30.
La capacit
d'action
des individus repose
souvent, elle
aussi, sur des conditions
institutionnelles. S'
agissant
des personnes physiques, cela est toutefois moins vident et
l'influence
sur
les comportements est moins
dterminante.
31.
Mayntz (R.),
Funktionelle Teilsysteme in der
Theorie
sozialer
Differenzierung ,
in
Mayntz
(R.)
et ed.,
eds, Differenzierung und Verselbstndigung, Francfort/Main, Campus, 1988.
32. Alber (J.),
Das Gesundheitswesen
der
Bundesrepublik
Deutschland. Entwicklung, Struktur und
Funktionsweise,
Francfort /Main,
Campus,
1992.
33. Schimank
(U.),
Hochschulforschung im Schatten der Lehre, Francfort /Main, Campus, 1995.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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L'institutionnalisme centr sur les acteurs 105
seulement
que
l on peut enfreindre les normes, abuser du pouvoir ou
recourir
des
interactions
informelles,
mais
aussi que l accs
aux ressources
n est
rgul
que
partiellement
par les
institutions,
notamment s agissant de
ressources naturelles
et
techniques.
Tous
ces aspects
sont
vidents,
si
l on
s intresse
non plus
au
cadre
institutionnel
mais aux
acteurs qui agissent
dans ce cadre.
Les acteurs
Selon
March
et Olsen34, le concept de bringing the
state
back in implique
aussi que les institutions
politiques
soient considres
comme
des acteurs
part entire : on peut noter, avec raison,
que
les institutions politiques
peuvent
tre traites
comme
des acteurs,
de la mme manire
que l on
traite
les
individus
comme des
acteurs35.
Cela va
de
soi
si
l on dsigne
par
institutions non seulement
les
systmes de rgles,
mais
aussi
les
formes
sociales.
Si l on utilise en revanche un
concept d institutions troit, centr
sur
les rgles,
il
faut alors dans
l analyse
faire la distinction entre institutions
et
acteurs.
Les systmes de rgles n agissent pas, mais
ils
peuvent
tre
un
lment constitutif des acteurs
et
modeler des
caractristiques
importantes
de
ceux-ci.
On
peut ds
lors
considrer
les
structures sociales comme
les
organisations
aussi
bien
du point
de
vue des rgles
qu elles
incarnent,
autrement dit du point de vue institutionnel, que du point de vue de leur
capacit
d action, autrement dit en
tant
qu acteurs corporatifs.
Selon la dfinition de Coleman36, un
acteur
corporatif est un groupe
organis
de
faon formelle, majoritaire dans son sous-ensemble social
capable d action,
et disposant
pour agir
de ressources centralises (c est--
dire qui ne sont
plus disponibles au
niveau individuel des membres), dont
l utilisation est dtermine soit par la voie hirarchique (par exemple dans
les entreprises
ou les
administrations), soit
la
majorit (dans les
partis
ou
les associations). La
manire
dont les
organisations
se voient habilites agir
et
quelles conditions elles le sont, est un thme largement
dbattu
en
sociologie37. Les
conditions internes aux organisations
les
plus
importantes
pourront
tre
la
capacit
former
une
volont
collective
et
le
contrle
effectif
34 . March
(J.), Olsen (J.)
The New
Institutionalism...,
art.
cit, p.
738.
35. Ibid., p.
742.
36 . Coleman
(J.),
Power and the Structure
of Society,
New
York, Norton,
1974.
37. Cf. Mayntz
(R.),
Corporate
Actors in Public
Policy
: Changing Perspectives in Political
Analysis
,
Norsk Statsvitenskapelig Tidsskrift, 3, 1986 ; Schneider (V.), Werle
(R.),
Vom Regime
zum korporativen Akteur. Zur institutionellen Dynamik der Europaischen Gemeinschaft , in
Kohler-Koch
(B.),
ed., Regime in den internationalen Beziehungen, Baden-Baden, Nomos,
1989
;
Flam (H.), Corporate Actors, MPIFG Discussion Paper 90/11,
Cologne,
MPI fr
Gesellschaftsforschung, 1990
; Wiesenthal (H.), Unsicherheit und Multiple-Self-Identitat : Eine
Spekulation
ber die Voraussetzungen strategischen
Handelns,
MPIFG
Discussion
Paper
90/2,
Cologne,
MPI
fur
Gesellschaftsforschung,
1990 ; etc.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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106
Politix n 55
de Faction
des
membres de
l organisation ;
c est
sur ces critres
que
l on
valuera si
l action
peut tre attribue
l organisation
(et
non
pas certains
de ses membres). Il ne s agit pas ici d une
alternative.
Toute organisation
n est
pas
tout
moment
dote
de
la
mme
capacit
d action,
comme
l a
montr
par exemple la
reconstitution des comportements
de l Acadmie des
sciences
de RDA au cours de l unification allemande38. La
capacit d action
des
organisations
est
donc une
variable.
Les
acteurs individuels et corporatifs
(organisations)
sont lis par
une
relation
d inclusion
: tous
les
acteurs
corporatifs
ont pour membres des
acteurs
individuels. Gnralement,
pourtant, lorsqu on cherche
expliquer
l action stratgique
des
acteurs collectifs,
on
nglige
les
processus qui se
droulent
au niveau
microsocial,
soit au niveau
de
leurs membres. Cette
omission est principalement
pragmatique
: la
complexit
de
nombreux
processus
ne
peut
tre
rduite
des
proportions
grables que
si
l on
se
concentre sur le comportement des acteurs corporatifs. Il en rsulte toutefois
une
perte
d acuit.
Les processus
internes aux
organisations
sont en
effet
des
dterminants
importants
de la perception
des
situations et des choix
stratgiques de celles-ci. A ce
titre,
ils
doivent
tre inclus dans l analyse
chaque fois
que
les facteurs institutionnels et le contexte de la situation ne
suffisent
pas
expliquer le
comportement
apparent d un
acteur corporatif.
L approche
sur
plusieurs
niveaux,
intgrant
les
acteurs
individuels,
est
particulirement prcieuse
lorsque
l on
tudie les
interactions
entre
acteurs
corporatifs. Toujours
pour
des raisons de simplification, les acteurs
individuels
reprsentant
une
organisation
sont
gnralement
assimils
l acteur
corporatif
lui-mme.
Cela
ne poserait aucun problme
si
tous
les
reprsentants taient intgralement dirigs par
un
mandat
impratif
de leur
organisation, ou si un seul reprsentant pouvait diriger parfaitement
l organisation. Or, il n en est
gnralement
rien. Les organisations
sont le
plus
souvent
des coalitions de groupes ayant des intrts,
des
perceptions
et
des potentiels d influence diffrents39
et
les
individus agissant pour
le
compte d une organisation disposent
presque toujours d une certaine
latitude
d action
(qui peut
tre
considrable), notamment parce
qu aucune
organisation
ne dispose
de
stratgies
prdfinies pour
toutes les
situations
auxquelles
elle
est
confronte.
De
ce
fait,
l issue
de
ngociations
peut
tre
diffrente
selon
la
personne
qui reprsente l organisation,
selon
qu il s agit
d un
membre
de l encadrement, disposant d une grande autonomie
d action
et
autoris
engager et
discipliner l organisation,
ou par
exemple d un
spcialiste d un
rang
hirarchique
moins
lev.
Pour la
pratique
de
recherche, cela
signifie
en pratique qu il faut ventuellement
(mais
pas
38. Mayntz (R.), Academy of
Sciences in
Crisis : A Case Study of
a Fruitless Struggle for
Survival
,
in
Schimank
(U.), Stucke (A.), eds,
Coping With
Trouble. How Science
Reacts to Political
Disturbances
of
Research Conditions,
Francfort/Main,
Campus,
1994.
39. Cyert (R.),
March
(J.), A
Behavioral
Theory of
the
Firm, Englewood Cliffs, Prentice-Hall,
1963.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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L'institutionnalisme
centr sur les
acteurs
107
toujours), dans notre tentative
d explication de l action d un acteur
corporatif, tenir compte aussi des orientations des
individus agissant
dans
et
pour
les
organisations.
Il
ne
suffit
pas,
pour
dcrire
la
structure
de
sous-systmes
sociaux ou
de
secteurs
politiques entiers,
d utiliser
seulement
deux catgories
d entits
sociales,
savoir
les acteurs individuels et corporatifs.
Les
individus ne se
regroupent
pas seulement en organisations,
mais
aussi en familles, en
rseaux
de
connaissances moins formels, en foules occasionnelles ou en
simples
quasi-groupes
,
autrement dit dans des
catgories de
personnes
ayant en
commun une
caractristique
prcise et
pertinente
pour l action.
Ce
sont eux, tous ensemble, qui peuvent jouer un
rle
important dans
les
processus de rgulation et d autoorganisation et
dans
la production de
macroeffets, qu on leur concde ou non une capacit d action.
Les
quasi-
groupes
ne
sont
pas
des
acteurs
capables
d action,
mais
ils
sont
souvent
les
destinataires de tentatives de gouvernance slectives. Ceci
tant
dit,
les
individus
composant un quasi-groupe peuvent
parfois tre modliss
en tant
qu acteurs, lorsque les individus rassembls
dans
le
quasi-groupe
ragissent
chacun
de la mme
manire
un
stimulus
externe.
Il en va de
mme
lorsque
les membres d un
quasi-groupe ragissent
les
uns aux autres, ce qui renforce
par
l'intrieur
la
raction collective.
Dans ces
quasi-groupes,
la
dynamique
propre de l action convergente, renforce
par les
interactions internes, joue
un rle important
mme
dans les secteurs
trs organiss
de la
socit.
Elle
seule
peut
expliquer
le
passage
tonnamment rapide des soins mdicaux
ambulatoires
en
polyclinique
la
mdecine
en cabinet
de
ville en
Allemagne
de l'Est40.
Si les orientations
d action
des
membres d un tel mouvement
social
convergent consciemment, autrement dit s ils aspirent
une
action
collective sans organisation formelle,
on
peut
parler
d acteur collectif .
C est
dans
ce
sens,
que
l on accorde aux classes sociales, par exemple, le
statut d acteur41.
Qu ils soient
constitus ou
simplement rguls
par
les
institutions ou par des
phnomnes
extra-institutionnels, tous ces
lments
sociaux
(pris
comme
acteurs ou
comme
composante de leur
contexte
d action) peuvent
tre
importants
pour les
processus
de gouvernance et
d autoorganisation.
Orientations de l'action
Les rgles
institutionnelles
ont rarement
une
porte
universelle.
L exploitation
de la latitude qui
subsiste en
ralit est fortement
dtermine
40 .
Wasem
(J.),
Niederlassung
oder Poliklinik . Zur
Entscheidungssituation
der ambulant
tatigen rzte im
Beitrittsgebiet
,
in
Oberender (P.),
ed., Steuerungsprobleme
im
Gesundheitswesen,
Baden-Baden,
Nomos,
1992
;
Schimank
(U.),
Wasem
(].),
Die
staatliche Steuerbarkeit.
, art. cit.
41 .
Touraine (A.),
The
Self-Production of Society, Chicago, University of Chicago Press, 1977.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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108
Politix n
55
par l orientation de
l action par
les acteurs
concerns. L orientation
est elle-
mme
en partie modele
par
les institutions, notamment
par
les tches ou les
objectifs d action fixs, mais
aussi par
la position des
acteurs au
sein de
leur
constellation.
Dans le
mme
temps,
elle est galement
dtermine
par
les
qualits des
acteurs
individuels
ou
corporatifs,
indpendantes du contexte et
lies
la socialisation ou
des
facteurs historiques.
Cette
vision
des rapports
entre
les institutions et l orientation de
l action
n est
pas la
mme que celle
propose
dans
l approche du choix rationnel
(rational
choice), qui considre
les
institutions, lorsqu elles sont thmatises,
comme des
restrictions
externes imposes
une maximisation
des
profits de
nature goste et
rationnelle. Elle diffre
aussi
du modle de filtrage, dans
lequel les institutions dterminent des
corridors d action
l intrieur
desquels les choix peuvent
se
faire
de
manire
rationnelle42. L opposition
de
deux
orientations
d action,
l orientation
normative
impute
l institution
et
l orientation rationnelle par rapport un but (zweckrational) impute
l acteur, ne rend pas totalement compte de la ralit.
Les acteurs n utilisent
pas uniquement la latitude
que
mnagent les
rgles
institutionnelles
pour
maximiser leur profit.
A l inverse, il
n est
pas
rare
que
les
acteurs
considrent
comme
appropri , par
rapport aux institutions,
un
comportement rationnel par rapport
un but, voire visant
une
maximisation
goste de leur profit.
Lorsque
l on
veut
dcrire les orientations
de
l action,
il est
important
d identifier
d abord
quelle est l unit sociale dont on adopte la perspective
pour
envisager les diffrentes options s'offrant aux individus agissants
(car,
en dernire
analyse,
les acteurs
corporatifs eux-mmes n agissent
que
par
l intermdiaire d individus).
En
s inspirant de la distinction formule
par
Parsons entre
orientation
par
rapport soi
et
orientation
par
rapport
la collectivit
,
on peut
tablir
une
diffrenciation
entre l action
centre
sur
soi et
l action
centre
sur
le systme43. Cette dernire mrite toutefois
une
diffrenciation plus
fine.
Les
individus peuvent
agir en
tant que
membre
d une
classe
sociale, d un groupe
ethnique, d une
organisation
ou
d un
Etat.
Parce qu ils appartiennent en gnral
plusieurs units sociales
hirarchises,
des
conflits
sont
possibles non seulement
entre
les
actions
centres sur soi
et
les
actions
centres
sur
le groupe,
mais aussi
dans les
rapports
diffrents groupes : ainsi,
les
membres du Bundesrat allemand
(Conseil
fdral),
par exemple, peuvent,
lorsqu ils agissent, se placer dans
la
perspective
de leur Land ou
bien
dans
celle
de leur parti. La dtermination
empirique
du
rfrent
social dirigeant
l action n a
donc rien
d anecdotique.
42.
Czada
(R.),
Windhoff-Hritier (A.),
eds, Political
Choice: Institutions,
Rules,
and the Limits
of
Rationality. Francfort/Main,
Campus
1991.
43. Parsons
(T.), The
Social
System, Glencoe, Free
Press,
1951, p. 60.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
16/30
L'institutionnalisme centr sur les acteurs 109
On peut ds lors
distinguer,
du point de
vue
du contenu,
des
aspects
cognitifs et motivationnels dans l orientation de l action.
Les
orientations
cognitives
concernent la perception de la situation de l action et de
sa
causalit, les options disponibles
et
les rsultats
escompts.
Leur importance
pour
la
russite
de l action
est tout aussi
vidente
que
la difficult
les
mesurer
empiriquement44.
L issue
de l action
dpend en
particulier de
l existence
et de l ampleur d une ventuelle
diffrence
entre la perception
des
acteurs
et
la ralit, de la manire dont les interprtations de la
situation
et les hypothses sur la fin et les moyens sont intgres dans
des
concepts
stratgiques
cohrents,
la manire dont ceux-ci sont rpartis
selon les
acteurs
concerns dans des
communauts pistmiques45
ou des coalitions
advocatives46 et enfin
de
la manire dont
ils
peuvent
tre
modifis par
des
processus
d apprentissage individuels et collectifs. Le sort
qu a subi
l Acadmie des
Sciences
de
RDA
au cours de l unification allemande47
montre
bien qu il
n est
pas possible de fonder
des
stratgies de
rsolution
des
problmes efficaces sur des perceptions
inexactes (que, pour
cette raison,
la recherche empirique
des
cognitions
gouvernant
effectivement
l action est
bien
une
condition ncessaire pour trouver
une
explication pertinente).
Une
interprtation
concordante
de la situation
peut
tre
une condition
ncessaire
l action
commune. Cependant, selon
le phnomne
universel de
perception slective48
,
il
est
vraisemblable que des
acteurs indpendants
ayant
des missions,
des attributions
ou
des
intrts diffrents
peroivent
des
fragments diffrents
de la
ralit
avec une acuit diffrente.
Il
est
donc
peu
probable
qu une
constellation
d acteurs
tatiques
et
non-tatiques
interdpendants, confronte
un
problme
commun, parvienne
spontanment
une
perception concordante de la situation,
des
options
d action
de
chaque
intervenant
et
des
effets escompts de
celles-ci.
Au
contraire,
les schmas
cognitifs
des acteurs (cognitive mapsf seront
plutt divergents. Dans l idal, le processus de rsolution du problme
permet
l intgration
de ces perspectives
clates50. Si
cela n est pas possible,
44 .
Cf.
Vowe
(G.),
Qualitative
Inhaltsanalyse.
Cognitive Mapping Policy
Arguer,
Demonstration
der
Vorgehensweise zur
Analyse
politischer Kognition.
Forschungsbencht
zum
Projekt
Handlungsorientierungen,
manuscrit, Cologne, MPI fur
Gesellschaftsforschung,
1993.
45 . Haas (P.), Introduction : Epistemic Communities and
International Policy Coordination ,
International Organisation, 46, 1992.
46 .
Sabatier (P.),
Knowledge,
Policy-Oriented Learning, and Policy Change
,
Knowledge :
Creation, Diffusion, Utilization,
8, 1987.
47. Mayntz (R.), Academy of Sciences in Crisis.
, art.
cit.
48 . Dearborn (D.), Simon (H.), Selective
Perception:
A Note on the Departmental Identification
of Executives
,
Sociometry, 21, 1958.
49. Axelrod
(R.),
ed.,
Structure
of Decision.
The
Cognitive Maps of Political Elites,
Princeton,
Princeton University
Press,
1976.
50 .
Cohen (M.), The Power of Parallel Thinking , Journal of Economic Behaviour and
Organization,
2,
1981
;
Quirk
(P.),
The
Cooperative
Resolution
of
Conflict , American
Political
Science Review, 83,
1989.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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110 Politixn55
il
est
tout de mme important que les participants peroivent
au
moins
correctement les diffrentes interprtations de la situation en prsence,
et
qu ils
puissent
anticiper
correctement
les
stratgies probables de
chaque
partie
concerne51.
Les
aspects motivationnels
de l orientation concernent les facteurs
d impulsion incitant
une
action
dote
de sens (ou
dote
de sens,
sinnhaft,
au sens o l entend Max Weber) ou plus, troitement concernent,
les
considrations
rgissant
le choix des options
d action
(pour
l adapter
l action stratgique
des acteurs corporatifs). Si
l on
ne peut faire l impasse
ni
sur les
motions ni
sur
les habitudes aveugles
dans
l explication
des
comportements
individuels observs,
l tude
de l action des acteurs
corporatifs peut
souvent
se concentrer sur les intrts,
normes
et
identits
guidant l action.
Le
concept
d'intrt
peut
revtir
des
significations
trs
diffrentes52,
et
on
a
tendance
l employer de faon assez floue mme dans les
analyses
sociologiques.
Aujourd hui,
c est le sens du
profit troit et gocentrique
qui
domine.
En
consquence,
l action motive par
l'intrt est
oppose l action
fonde sur les normes ou les valeurs, et elle est facilement qualifie
pjorativement d goste.
C est
faire
bien
peu
de
cas
de
la connotation positive
que
peut avoir l action autonome. Comme
le
rappelle
Albert
O.
Hirschmann,
dans les
dbats idologiques des XVIIe et
XVIIIe sicles,
l'intrt
tait
considr comme
le
pendant
raisonnable de la passion, idiosyncrasique
et
destructrice53. Cette acception ouvre la voie
une
dfinition
de l'intrt
utilisable pour l analyse
: puisqu ils
sont
raisonnables, les intrts peuvent tre
dfinis
objectivement, au
niveau
abstrait, comme
des
impratifs
fonctionnels,
en recourrant
(comme
le fonctionnalisme sociologique)
des
catgories
biologiques volutionnistes. Fondamentalement,
les
intrts visent
la
survie
long terme :
ce sont des
objectifs d action
centrs sur le
sujet et que
celui-ci doit
s'efforcer
d atteindre
pour
assurer sa propre survie. Le bien-tre
physique,
la
libert
d action
et l accs aux ressources importantes, notamment,
le
pouvoir,
la reconnaissance sociale et la possession d un domaine protg, peuvent
tre
considrs comme
des intrts
quasiment standard chez
tous les
tres
vivants. De la mme
manire,
les acteurs corporatifs ont gnralement aussi
51. C'est
ainsi
que la forte
augmentation du chmage
en Allemagne en 1974-1975
a t
impute
au
fait
que les syndicats allemands, prisonniers de leur
conception
keynsienne, n'avaient pas
peru
temps le tournant montariste
pris par
la
Bundesbank,
ou
du
moins ne l'avaient pas
jug crdible.
Ce type
de
quiproquo a pu
tre vit en Autriche
par
une communication
intensive entre
la
banque
centrale et les
partenaires sociaux. Cf.
Scharpf (F.W.),
Sozialdemokratische
Krisenpolitik in
Europa,
Francfort/Main, Campus, 1987.
52.
L'infinitif
latin
interesse
(tre important) domine
dans
le
sens du franais intrt et de
l'adjectif allemand
interessant, tandis
que le
substantif
allemand
Interesse,
apparu
dans
le
jargon
juridique
au
XIIIe
sicle, a
le
sens
plus
restreint
d'utilit conomique.
53. Hirschmann (A.),
The Passions
and the Interests.
Political
Arguments for Capitalism Before Its
Triumph, Princeton, Princeton University
Press, 1977.
-
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L'institutionnalisme centr sur les acteurs 111
leurs propres intrts, lis leur propre existence, leurs ressources
et
leur
autonomie54.
Intrts
Normes
Dterminant
externe
Orientation
durable
de l action
Motivations
lies
la
situation
impratifs fonctionnels
slection
i
prfrences
stables
activation
i
objectifs
d action
lis
la
situation
(motifs
pour que )
attentes
normatives
slection
i
normes
internalises
activation
i
causes de l action
lies
la situation
(motifs
parce que
)
Figure
2. Niveaux
d'orientation de l'action
Les intrts
standard imputables doivent d abord
tre
concrtiss avant de
pouvoir diriger
l action.
Ce
sont
alors
les rgles
institutionnelles
constitutives
de l acteur qui aident
dfinir ce
que signifie l autonomie
dans
un
cas
particulier ou dlimiter un
domaine. Par exemple,
ce sont
le
rle
social
pour
l acteur
individuel
et
l objet
de l organisation pour l acteur
corporatif qui dfinissent l ventail de tches dans lequel
leur
domaine
est
circonscrit.
Les
intrts standard imputables
ne
sont pas non
plus
hirarchiss de manire univoque.
L acteur
individuel peut s identifier
eux
de faon
slective
et
les hirarchiser
sa
manire. Lorsqu ils
ont la
forme
de
prfrences stables, ils deviennent des
lments d une
orientation
propre
l acteur et
valable
dans toutes les situations
(figure
2). Par
exemple,
si un
acteur
corporatif considre
que
la croissance est un but
plus
important que
la protection de son
domaine, il
accordera plus de place cet intrt dans
ses
actions, toutes autres choses gales par
ailleurs,
qu un acteur ayant l attitude
inverse.
L intrt
qui
gouverne
l action
dans
chaque
cas
particulier
dpend
en fin de compte
des
particularits de la situation : les intrts activs
lorsque
les
ressources viennent
manquer
ne sont pas
les mmes que
lorsque le domaine ou mme l existence de
l acteur
sont menacs.
L influence
des
attentes
normatives
sur l action peut
tre
reprsente dans
un
modle
par niveaux,
tout
comme la squence
des
impratifs
54. Schimank (U.), Politische
Steuerung
in der
Organisationsgesellschaft
am
Beispiel der
Forschungspolitik
,
in
Zapf (W.),
ed.,
Die
Modernisierung moderner Gesellschaften. Verhandlungen
des 25. Deutschen Soziologentages
in
Frankfurt
am
Main
1990,
Francfort
/Main,
Campus,
1991.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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112 Politixn55
fonctionnels
/prfrences
gnrales
des acteurs
/intrts
et
gouvernent, en
fonction de la situation,
les intrts
gouvernant
l action .
Bien
que les
attentes
normatives soient
formules en partie sous
la forme de valeurs
ou
de qualits
valables dans l ensemble
du systme,
elles
s adressent
souvent
spcifiquement ceux qui
occupent
des
positions
sociales
prcises
et
sont
comprises dans le
contexte institutionnel.
Au
premier
niveau,
les attentes
normatives restent
des
consignes extrieures
l acteur,
bien
que
celui-ci
puisse
les
intrioriser sous
forme
d orientations
normatives
stables55. L
encore,
c est
la
situation
concrte de
l action
qui active slectivement ces
orientations,
aussi
bien
pour les
acteurs
corporatifs
que pour les
acteurs
individuels. Les attentes normatives
s adressent
aussi aux acteurs
corporatifs,
puisqu elles
englobent
notamment
les tches
qu ils doivent
accomplir (objet de l organisation) et les
moyens
admis
pour
leur
accomplissement.
Le concept de comportement appropri de
March
et Olsen56
runit
l action dtermine par la norme et l action dtermine par
l identit. Si
nous
militons
pour
que
l identit propre soit conserve et confirme comme
rfrent autonome
pour
le choix des options de
l action,
c est parce
que
l identit de l acteur
ne se
rsume pas
des
normes internalises. Si l on
entend par
identit une image (simplifie) de soi, contenant des
aspects lis
l'tre et d autres lis au comportement57,
alors certaines particularits
(le
sexe de l individu, par exemple)
et
activits (la peinture chez
l'artiste,
la
production
d appareils lectromnagers
pour
une entreprise)
font
aussi
partie
du
cur
de
l identit
propre.
La
figure
2
illustre notre
propos.
L identit
(consciente) d un
acteur peut inclure des intrts (par
exemple
la
revendication d un
domaine
prcis) et
des
orientations normatives (par
exemple la
dfinition
d un
comportement
respectueux de
l environnement),
qui se situent alors la croise des deux
colonnes
du
schma,
ainsi
que
d autres caractristiques essentielles qui ne peuvent tre subsumes (par
exemple le caractre tatique
ou d'intrt gnral
d une
organisation, le
sexe
ou l appartenance
ethnique d un individu). En
tant que
rfrent
de l action,
l identit est transversale
aux normes
et aux
intrts
et
les
transcende.
Comme l illustre le
comportement
de diffrents acteurs dans le domaine de
55.
Les sociologues, en
particulier, insistent sans relche
sur l'opposition
entre l'action
rationnelle par rapport
un but, gouverne par
l'intrt,
et l'action
dtermination normative,
et
opposent
YHomo sociologicus,
dtermin
par la
socit,
et YHomo conomicus, acteur rationnel
autodtermin.
Il
serait toutefois erron de formuler une opposition de principe entre valeurs et
intrts :
l'autonomie et l'autodtermination, par exemple,
sont les deux
la
fois.
A
l'analyse,
la
dichotomie conceptuelle entre normes
(valeurs)
et intrts est beaucoup plus floue puisqu'elle
n'est
pas facilement
rductible
une opposition
entre
le
devoir
(exogne)
et
le
vouloir
(endogne).
56. March (].), Olsen (].),
Rediscovering Institutions.
The Organisational Basis of Politics,
New
York,
Free
Press,
1989.
57.
Cette dimension
apparat
dj
chez Parsons (T.), The Social System, Glencoe, Free
Press,
1951,
p.
63-64.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
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L'institutionnalisme
centr sur les acteurs 113
la politique de la recherche lors de l unification allemande58, la
conservation
de l identit propre
d un
acteur peut susciter de sa part des
comportements
diffrents de ceux qui
serviraient ses
propres intrts (organisationnels) en
fonction
de
la
situation
ou
qui
rpondraient
aux
attentes
normatives
de
ses
partenaires. Le
risque
d apparition de conflits
entre
diffrentes orientations
montre
quel point ce
troisime
rfrent
l action est autonome. Le cadre
institutionnel,
par
le
biais des
normes
et
des
missions
auxquelles s identifie
l acteur, imprime sa marque
sur
l identit. Mais les identits
ont
aussi
d autres racines lies,
pour
un individu,
son histoire et souvent
sa
socialisation,
ou bien,
pour les
acteurs corporatifs, sa
culture
d organisation, qui s est constitue avec le temps, voire
sa corporate
identity
,
qui a
t
modele activement.
Outre
les composantes cognitives
et
motivationnelles de l orientation de
l action,
il
convient
de
souligner
l importance,
pour l analyse des
processus
d interactions stratgiques, d un aspect relationnel
rarement
abord dans les
thories classiques de
l action
: les orientations issues des interactions. Il
s agit ici d interprtations (typifies) de la relation
entre
plusieurs acteurs.
Les
principales
orientations des interactions
dfinissent la relation comme
hostile (la perte subie par l'autre apparat
comme
un
gain
pour soi),
comptitive
(diffrence entre le
gain de l autre et le sien propre),
goste-rationnelle
(seul
le propre profit
compte)
ou cooprative
(recherche
d un profit
mutuel59).
Dans
certains
contextes, un
certain
type
d orientation des interactions
peut correspondre
une attente normative.
Chez
les
individus,
une
telle
orientation
peut
aussi
constituer
un
trait
de
personnalit,
li
par exemple
la
socialisation
ou
la culture60, et
tre
ainsi
intgre l image
de
soi, c est--dire l identit.
Il
va
de
soi que,
dans
bien
des situations, diffrents
points de
vue
guidant
l action coexistent,
chacun
pouvant, pris isolment, motiver diffremment
l action. Pour comprendre la manire dont
les
acteurs peuvent rgler
les
conflits d orientation
potentiels,
il
faut recourir
une
thorie de
l action. S il
n est pas indispensable, pour expliquer
les
macrophnomnes, d expliquer
comment
est
apparue
une
orientation
donne,
en revanche,
il
importe
de
savoir quelle
tait
l orientation gouvernant
l action des
acteurs centraux.
A
cet gard,
une
thse essentielle de la thorie de l action postule
que
(contrairement
ce que prtend la
thorie conomique) les acteurs
n ont
pas
58 . Mayntz
(R.),
Deutsche Forschung im Einigungsprozess. Die Transformation der Akademie der
Wissenschaften der DDR
1989
bis 1992, Francfort /Main, Campus, 1994.
59 . Scharpf (F.W.),
Decision
Rules, Decision Styles, and
Policy Choices ,
Journal
of
Theoretical
Politics,
1,
1989
;
Scharpf
(F.W.), Positive und negative
Koordination
in
Verhandlungssystemen
,
in Hritier
(A.),
ed.,
Policy
Analyse.
Kritik
und Neuorientierung,
Politische Vierteljahresschrift, Sonderheft 24, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1994.
60 .
Liebrand (W.), van Rung
(G.),
The
Effects
of
Social
Motives on
Behavior
in
Social
Dilemmas in Two Cultures , Journal of
Experimental
Social Psychology, 21, 1985.
-
7/27/2019 Mayntz & Scharpf - L'institutionnalisme centr sur les acteurs.pdf
21/30
114 Politixn55
tendance
hirarchiser durablement leurs diffrents critres,
ni
mme
s orienter
selon une fonction agrge de
l'utilit runissant les diffrents
critres
et
tenant
compte
de leur
pondration.
Le facteur essentiel
est
ici la
situation
de
l action,
laquelle
nous consacrerons
le
paragraphe
suivant.
Situations
de
l action
Les acteurs
agissent toujours
dans
des
situations concrtes. Lorsqu on
parle
de la situation dans le
cadre
de la thorie de l action,
on entend
habituellement par-l l environnement
d un
acteur
individuel, au sens des
circonstances sociales et non sociales
pertinentes
pour
l action. Pour
l analyse
des processus
dans
les
systmes d interorganisation sectoriels (ou
les rseaux
politiques),
il
est pourtant
souvent
important de
prendre
en
compte les
situations qui concernent, du point de
vue
de l observateur,
une
pluralit d acteurs
ou
un secteur
entier.
On parle
par
exemple de la situation
du btiment ou de
celle
de l agriculture. Reste savoir dans quelle
mesure
on
peut
appliquer telles
quelles
des secteurs
entiers des
catgories dfinies
suivant le modle de
l acteur
individuel et de son
environnement,
pour
caractriser les
situations
pertinentes pour
l action.
La
pertinence
des
situations pour l action relve, d une
part, des
stimuli
qu elles apportent, et
d autre
part des possibilits d action qu elles offrent aux
acteurs.
Une situation peut provoquer l action parce
qu elle
confronte le
ou
les
acteurs
un
problme
ou
parce
qu elle
leur
offre,
au
contraire,
des
opportunits
particulires.
En la matire, la perspective d une perte semble
motiver
plus
fortement
que
des gains potentiels61,
mais
des menaces trs
lourdes peuvent
aussi paralyser
la capacit
agir.
Dans la perspective
du
choix rationnel, on distingue, en fonction du degr de risque de perte,
des
situations cot lev
et
d autres faible cot,
qui
motivent
des
ractions
diffrentes de la part
des
acteurs62. L action peut toutefois
tre aussi
provoque par
un
motif
li
la
rgulation institutionnelle
:
c'est ainsi que sont
dfinies les circonstances dans
lesquelles
un policier doit intervenir,
un
parti
politique, prsenter
des
candidats ou
le parlement, dbattre
d un projet de loi.
En
provoquant
l action, les situations
activent
de manire
slective certains
aspects de l orientation de l action prsente l'tat
latent. Une
situation
menaant
l existence de l acteur active surtout ses intrts de survie. On peut
supposer
que
les
valeurs et
les normes
gouvernent l a