Manuel des âmes intérieures

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    l JOHN M. KELLY LIBDAKY \it

    Donated byThe Redemptorists ofthe Toronto Province

    from the Library Collection ofHoly Redeemer Collge, Windsor

    University ofSt. Michael's Collge, Toronto

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    HOtY REBEEsfevklSRARY, IftirtDSOR

    MANUELDES

    AIES INTEIEUEES

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    PROPRIETE

    iop.4 1 iMk * Vf,'matm, . t- ctapu ir- *

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    HOtY REr^EEMZR O^^RY, WiKDSORMANUEL

    AMES OTRIEURESRECUEIL

    D'OPUSCULES INDITSDU P. GROU

    DE LA COMPAGNIE DE jSU

    NO.UELLE DITIO

    PARISLIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE90, RUE BONAPARTE, 90

    1885

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    University of Ottawa

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    NOTICESURL'ABB GROU

    On nous saura gr peut-tre de donner ici unenotice abrge sur l'auteur de cet excellent ou-vrage, extraite d'une autre plus tendue dansVAmi de la religion (1).

    Jean Grou , n au diocse de Boulogne, le 24 no-vembre 1731, entra fort jeune au collge desJsuites, et fut admis dansleur noviciat l'ge dequinze ans ; il pronona ses premiers vux l'gede dix-sept ans, et fut ensuite employ dans l'en-seignement, suivant l'usage de la Socit. L, songot pour la littrature se dveloppa. Il affec-tionnait surtout Platon et Cicron, dans lesquelsil trouvait, avec une grande richesse de style,de belles penses et une morale plus pure quedans le commun des anciens auteurs. Le pre-mier fruit de son travail sur le philosophe invite.fut \- Rpublique de Platon, traduite en frani^ais,(l)loni. XXXllI, pag. (Jetsuiv.

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    f HOTICE SUR L ABB GROO.2 vol. in-12. Cette traduction fut suivie de ceedes Lois, du mme auteur, et plus tard de celledes Dialogues.Le P. Grou habita plusieurs annes Pont--

    Mousson, et c'est l qu'il fit ses derniers vux, une poque oti les Jsuites taient dj suppri-ms en France. Apres la mort de Stanislas, ilsfurent aussi renvoys de Lorraine. Le P. Grouvint Paris, o il prit le nom de Leclaire. Il ymenait une vie fort retire, partageant son tempsentre l'tude et les exercices de pit. Dans lescommencements, M. de Beaumont, archevquede Paris, l'employa crire sur des matires re-latives la religion ; il lui fit quelque temps unepension, qui cessa ensuite. Une sainte religieusede la Visitation, dont un de ses confrres luiprocura la connaissance, et qui passait pour trefavorise de grces spciales, l'engagea dans lesvoies de la perfection. Il donnait au travail toutle temps que lui laissaient les exercices spirituelset les soins du ministre. Le rsultat de celte vielaborieuse fut la composition de plusieurs livressur des matires de pit. Son premier ouvrageen ce genre fut la Morale tire des Confessionsde sahil Ayijasn. Paris, 17G6, 2 vol. in-12.

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    NOTICE SDR L'ABB GROU. VIIL'auteur se proposait d'opposer la morale chr-tienne aux systmes des incrdules, et d'en pui-ser les principes dans les crits de saint Augus-tin. A cet ouvrage succdrent les Caractresdel vraie dvotion. Paris, 1788, in-18. L'au-teur y dfinit la dvotion, et en assigne les mo-tifs, l'objet et les moyens. Ce volume fut suivide prs des Maximes spirituelles^ avec des expli-cations. VSiVis, 1789,in-12.

    Vers le mme temps il composa les petits trai-ts de pit que nous donnons au public, et les fitcopier pour l'usage d'une dame de qualit qu'ildirigeait. Ces manuscrits qui forment neuf pe-tits volumes in-12, ont t ainsi conservs. Ilavait aussi entrepris un grand travail qui lui acot quatorze ans de recherches et de peines.Avant de quitter la France, il confia les manus-crits une dame qu'on arrta pendant la Ter-reur, et dont les domestiques les livrrent auxflammes, dans la crainte qu'ils ne compromis-sent leur matresse.

    L'existence du P. Grou semblait honnte etpaisible; il tait estim, jouissait d'une pensiondu roi, et faisait du bien par ses conseils et sescrits. Lorsque la rvolution arriva, il avait d'-

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    TllI IVOTICE SUR l'abb GROU.bord form le projet de demeurer cach Pariset d'y exercer le ministre en secret ; mais cettereligieuse dont nous avons parl l'engagea seretirer eu Angleterre. Il suivit cet avis, et fut in-vit par un de ses anciens confrres, chapelaind'un riche catholique anglais, M. Thomas Weld, venir le joindre. Log dans le chteau mme,il fut le directeur de toute la famille. Sa douceur,sa sagesse, sa connaissance des voies intrieures,furent trs-utiles aux personnes qui lui avaientdonn leur confiance. C'est alors qu'il apprit queson grand ouvrage, le fruit de tant d'annes deravail, avait t hrl Paris; il soutint cetteperte avec beaucoup de calme, et dit simple-ment : Si Dieu avait voulu tirer sa gloire de cetouvrage^ il l'aurait conserv. Il observait, autantqu'il le pouvait, la rgle des Jsuites; se levaittous les jours quatre heures du matin, sanslumire et sans feu, faisait une heure d'oraison,rcitait son brviaire, et se prparait pour lamesse, qu'il n'a jamais manqu de dire jusqu'sa dernire maladie. Il pratiquait la pauvret,n'ayant rien lui, et demandant avec simplicitdes livres ou des vtements quand il en avaitbesoin. Ce iju'on remanjuait le plus eu lui tait

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    KOiii'.K si;ii L'iKi'.r. ciion. nune foi vive et une me toujours iranquiiie,beaucoup d'iiumilit, de candeur et de zle. En1796 il fit imprimer, Londres, des Bditatiomen forme de retraite^ sur Famour de Dini^ avecun petit crit sur le Don de soi-mme Dieu.Quelques thologiens crurent y voir des idesfavorables au quitisme ; mais unvque franaiseu jugea la doctrine saine et hors d'atteinte. Onpublia encore Londres un autre ouvrage de lui,intitul School of Christ (l'cole de Jsus-Christ) ; mais il n'a pas encore paru en franais.

    Le Supplmeiit la Bibliothque des crivainsjsuites, publi Rome en 1816, cite encore duP. Grou la Science du Crucifix, Paris, chez On-froy ; et la Science pratique du Crucifix dansfusage des sacrements de Pnitence et d'Eucha-ristie, pour servir de suite au prcdent.Deux ans avant sa mort, il fut attaqu d'unasthme trs-pnible. Frapp quelque temps aprsd'apoplexie, l'hydropisie se dclara ; ses jambesdevinrent monstrueuses, il ne pouvait rester aulit, et il a pass les dix derniers mois de sa viedans un fauteuil. Il continua jusqu' la fin d'en-tendre les confessions de la pieuse famille chezlaquelle il demeurait. On lui portait la commu-

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    X KOTICE SDR L ABBE GKOU.iiion deux fois par semaine. Sentant sa fin appro-cher, il demanda et reut les sacrements avecune pleine connaissance. Peu avant de rendre ledernier soupir, tenant son crucifix la main, ils'criait : mon Dieu l qu'il est doux de mourirentre vos bras! Sa mort arriva le 13 dcembre 803 : il avait soixante-douze ans rvolus.Ses manuscrits, qui taient en grand nombre,ont t remis ses anciens confrres. Ils firentimprimer, en 1815, VIntrieur de Jsus et deMarie, 2 vol. in-12. Cet ouvrage fort estim a tdepuis lors rimprim plusieurs fois.

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    PRFACE DE LA PREMIRE DITION

    Nous ne manquons pas de livres o les principes de lamorale chrtienne et de la vie intrieure sont clairementexposs et dvelopps ; et pourtant le vritable esprit duchristianisme est peu connu. Parmi ceux qui, dans ce si-cle d'incrdulit, ne rougissent pas de se dclarer haute-ment chrtiens, il en est peu qui soient devrais diciplesde Jsus-Christ. C'est qu'il est impossible de l'tre, commele dclare le P. Grou dans un des traits qui font partie dece volume, moins que d'tre intrieur, adonn au re-cueillement, accoutum rentrer en soi-mme, ou plu-tt n'en jamais sortir, possder son me en paix. On s'tonne que l'incrdulit ait fait de si rapides pro-

    grs depuis environ un demi-sicle, qu'on ne craint pasde nous appeler dans les brochures du jour un peupled'athes^ auquel il conviendrait pourtant de faire embras-ser une religion quelconque ; car enfin, dit-on, il en fautune au moins pour le peuple; et un de nos modernesAristarques nous proposait gravement, l'anne dernire,celle du paganisme, comme plus convenable aux mursactuelles de la socit !

    Il est incontestable que l'empire de la religion n'a faitque dcrotre dejour en jour, surtout en France, depuisque nous avons t comme inonds d'un dluge de livresimpies, qui ont fait circuler partout le poison de l'incr-dulit depuis que la philosophie vollairienne a su in-

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    lU PREFACE.9 focter de son venin, suivant l'expression ries ^vqnes de France, les ouvrages mme les plus trangers la religion ; qu'elle a tout associ ses funestes complots, histoire, philosophie, posie, les sciences, le thtre,'( les arts mme, etc. (1); qu'enfin la rvolution de 89Il couronn cette horrible conjuration par les plus pou-vantables scandales (2).Majs nous croyons qu'en attribuant le dprissementde la foi celte prodigieuse quantit de productions

    antichrtiennes et immorales dont regorgent aujourd'huitoutes nos bibliothques, la licence effrne de la presse,qui propage chaque jour jusque dans nos campagnes lahaine de la religion et de ses ministres, et aux vices del'ducation publique, on a plutt signal les moyens em-ploys par les ennemis de la religion pour la ruiner dansl'esprit des peuples, que la vraie cause de leur succs.Elle est non -seulement dans l'ignorance, aujourd'huipresque gnrale, mme parmi les classes les plus levesde la socit, des fondements de la foi, mais surtout danscelle des devoirs qu'impose la religion tous ceux quila professent ; dans cette routine de pratiques de pitqui, chez la plupart des chrtiens de nos Jours, tiennentla place des vraies vertus du christianisme.

    ( I ) Remontrances du clerg de France au roi, le 24 septembre 1775.(2) C'est M. de la Harpe lui-mme, qui, aprs avoir t longtempsun des plus clbres coryphes de celte philosophie, nous apprend

    que ces sophistes ont t, sous le faux nom de philosophes, d'abord les ennemis de la religion, et ensuite, par une consquence infail-M lible, ceux de tout ordre moral, social et politique, et, pour tout dire, en un mot, les peines de la Rvolution franaise. Lyce,tom. XV, p. Ifi, dition d'Agasse, l.'

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    PRRFACE. TIIEli publiant un ouvrage dont le but principal est de

    faire connatre ces vertus sans lesquelles on n'a que lenom de chrtien, et d'en faciliter la pratique, il nous aparu utile de comparer les chrtiens des trois premierssicles avec ceux de ces derniers temps.

    Les philosophes modernes ont rpt satit que lespremiers fidles n'taient qu'un amas d'ignorants oud'hommes fltris par de mauvaises murs, qui embrass-rent la religion chrtienne sans la connatre, et reurentle baptme sans savoir quoi ils s'engageaient. Or, c'estun fait notoire qu'une foule d'hommes savants et cl-bres par leur loquence se convertirent au christianismeet en prirent la dfense contre les attaques des paens(l)

    (l)Nous n'en citerons ici que les principaux. Dsle commencementdu second sicle, deux philosophes d'Athnes, Quadrat et Arislideconvertis la foi, prsentrent successivement l'empereur Adrienune savante apologie de la religion chrtienne; l'admirable gniod'Aristide, observe M. de Tillemont, se fit si fort admirer dans sonApologie, qu'elle eut la force d'teindre la perscution dont l'^disetait alors agite, et Lampride, historien paen, nous apprend qu'A-drien reconnut la divinit de Jsus-Christ.

    Saint Justin^ ancien philosophe paen, qui embrassa le christia-nisme, tait aussi loquent qu'instruit dans toutes les sciences. Sesdeux apologies de la religion chrtienne, que nous avons encore, dontla premire fut adresse l'empereur Antonin vers le milieu du se-cond sicle, en sont des preuves videntes ; il nous reste de lui d'autresexcellents ouvrages. Parmi les nombreux disciples que lui attira sagrande rputation, un des plus clbres fat Tatien, philosophe paen,profondment vers dans toutes les sciences des Grecs, comme il leprouve dans son Discours con&e les Grecs, o il dmontre, avecautant de force que d'lgance, la folie du pagav/isme et ''excellencede la religion chrtienne. Il donna, comme son matre, des leonspubliques de la religion Rome; car Antonin, aprs avoir lu l'Apologie(le saint Justin, avait dtendu qu'on perscutt les chrtiens. [1 eut

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    XIT PREFAGE.durant le second et le troisime sicle de l'glise, et d?.plus qu'on n'tait admis dans la socit chrtienne qu'a-prs avoir gubi de longues et rigoureuses preuves. Ce-

    pour disciple le clbre iJot/o, qui tait arriv au comble de la sciencedes Cbaldens (Fieuiy, Hist. eccl., liv. iv, n 9). Saint Augustin lecite comme un des plus illustres prdicateurs de rvanglle.

    Bardesane, philosophe syrien, embrassa aussi la foi vers le mmetemps ; il tait ami du prince Abgar, avec qui il avait t instruit ; iltait dj clbre par ses crits avant sa conversion. Saint Jrme nousapprend que la beaut de son gnie faisait l'admiration des philosophespaens (In cap. x Osi).Peu de temps aprs florissaient trois autres clbres apologistes de

    la religion chrtienne, Mliton, Claude^ Apollinaire et Miltiade.Tertullien fait le plus grand ioge de l'rudition et de l'loquence dece dernier (Adv. Valent., c. v) . Un autre philosophe paen converti la foi, Thophile, qui fut ensuite vque d'Antioche, homme degrand esprit, dit Fleury, et de grande rudition (Hist. eccl., liv. iiti,c. ix), nous a laiss trois lettres Autolique, dont le style est levet poli, et o l'on admire galement la force du raisonnement etl'tendue de l'rudition; il y piouve la vrit, la sublimit de la mo-rale chrtienne et l'absurdit du culte des faux dieux.A la mme poque, Athnagore, philosophe paen d'Athnes, em-brassa le christianisme et en prit hardiment la dfense, au pril de savie, dans une Apulogie adresse l'empereur Marc-Aurle, et quinous a t conserve : elle est digne de la haute rputation dont il jouis-sait. Hennias suivit son exemple, et nous a laiss une satire pleine desel et d'esprit contre les philosophes paens, dont il avait partag leserreurs. Vers la fin du mme sicle, Pnnfenus, homme illustre parsa doctrine, dit Fleury, philosophe sorti de l'cole des platoniciens{Hist. eccl.,\i\. iv, n 3), tant devenu disciple de l'vangile, ensei-gna la doctrine chrtienne avec une grande rcputiition dans la clbrecole d'Alexandrie; un de ses plus illustres lves fut Clment d'A-lexandrie, dj savant dans les belles-letties et dans les sciences lors-qu'il embrassa le christianisme, dont il devmt un des plus loquentsdfenseurs. Eu>be de Csaie nous apprend que ses livres, dont laplupart sont venus jusqu' nous, taient alors dans les mains de toutle monde (Prpar. evang., hb. x, c. ii) . Rien de plus profond et de

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    PREFACE. XV lui dit, Fleury, qui tait jug capable de devenir chr- tien tait d'abord fait catchumne par l'impositiondes mains; l'vque ou le prtre le marquait au front du si-

    plus lgant que son Exhortation aux Gentils, o il montre auspaens la beaut de la religion chrtienne et l'absurdit de l'idoltrie,dont il dcouvre l'origine et les infamies que cachaient ses mystres.Tertullien le disputa Clment par l'tendue et la varit de ses con-naissances, et le surpassa par la vivacit et la fcondit de son gniepar la force du raisonnement. 11 tait dj fort habile dans toutesles sciences, et surtout dans la connaissance des lois romaines,lorsqu'il se convertit la foi. Son Apologie pour les chrtiens estun chef-d'uvre d'loquence et d'rudition dans son genre. Ce grandhomme a t parmi les Latins ce qu'a t Origne parmi les Grecs.Dans les premires annes du troisime sicle, et lorsque Tertul-

    lien continuait d'enrichir l'glise de savants ouvrages que nous avonsencore, florjssait Ammonius Saccas : son cole de philosophie, qu'iltenait Alexandrie, tait si clbre, que les paens comme les chr-tiens y accouraient de toutes parts ; il eut pour disciples le fameuxOrigne, Adamance, Plotin, qui jouit d'une si grande rputationparmi les paens, et Longin, d'Athnes, si connu par son admirableTrait du sublime. Porphyre, ennemi des chrtiens, qui fut depuisdisciple de Plotin, appelait Ammonius le plus grand philosophe desonsicle (Apud Euseb., Hist. eccL, c. xix). Sous le rgne de Svre,Minufius Flix exerait Rome, avec une grande rputation, laprofession d'avocat. Aprs qu'il eut embrass le christianisme, ilcomposa son Dialogue intitul Octavius, que nous avons encore, eto l'on trouve toutes les beauts de la langue latine; il y dmontre,avec autant de grce que de solidit, l'extravagance du paganisme etl'excellence de la religion chrtienne. Jules Af7-icain, qui florissait versle milieu du troisime siice, renona aussi au paganismepour suivreJsus-Christ. L'historien Socrate le met au nombre de ceux qui s'-taient rendus habiles dans tous les sciences (Histor., lib. ii, c. xxxv).11 a rendu son nom clbre dans l'glise par son Histoire des cemps^dont Eusbe nous a conserv un grand nombre de prcieux fragments.Vers le mme temps florissait Origne, le plus grand gnie de

    on sicle; il joignit un esprit solide, vaste, profond, une loquencequi entranait ses auditeurs, une force de raisonnement laquelle oa

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    XV PREFACE. gne de la croix, en priant Dieu qu'il profitt des instnc-'(tions qu'il allait recevoir, et qu'il le rendt digne de par- venir au saint baptme; il assistait aux sermons publicsauxquelles infidles mmes taient admis. Le temps ducatchumnat tait ordinairement de deux ans; mais on le prolongeait ou on l'abrgeaitsuivant les progrs et les dispositions du catchumne. On ne regardait pas seu-lement s'il apprenait la doctrine, mais s' il corrigeait ses

    ne pouvait rsister, une rudition immense, et les plus minentes ver-tus Porphyre nous apprend que ce grand homme, tant all Rome,entra par hasard dans l'cole de Plotin, le plus clbre 4es philoso-phes paens de ce temps, et que Plotin, si fier d'ailleurs de son m-rite, mugit l'aspect d'un tel auditeur^ cessa de parler, et ne repritson discours qu' la demande d'Origne, mais ce fut pour faire l'-loge de l'illustre tranger (In Vita Plotin.). Son ouvrage contre Celseest une des plus solides et des plus brillantes apologies de la religionchrtienne. Parmi les plus savants paens qu'il convertit la foi, onremarque Tliodore, n de parents nobles et trs-riches, connu de-puis sous le nom de Grgnire le Thaumaturge, vque de No-Csa-re. Avant de se sparer de son maitie, il fit son pangyrique devantun nombreux auditoire ; nous avons encore son discours, qui est unepice d'loquence acheve. Grard, Vossius, Casaubon, Fabricius,du Pin et autres savants critiques, disent de ce pangyrique, quel'antiquit n'en olfie pas de plus beau ni de plus lgant. Firmilien,depuis vque de Csare en Cappaloce, et Demjs d'Alexandrie, au-tres disciples d'Origne, ns de parents distingus par leur nais-sance et leur fortune, excellaient dj dans les sciences profanesavant qu'ils eussent cmbra-s le christianisme.

    Vers le milieu du troisime sicle parut avec un grand clat saintCyprien, vque de Carihage. C'tait un homme de grand esprit,cultiv parla philosophie et les belles-lettres avant sa conversion.Ses parents taient les premiers parmi Us snateurs, et il nous apprendlui-mme qu'il avait vcu longtemps dans l'opulence et au milieu desfaisceaux, qui taient chez les Romains l'emblme de la souverainemagistrature. (Epist ad Donat.). Aprs avoir reu le baptme, il

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    rKEFACE.murs, et ou le laissait en cet tat jusqu' ce qu'il ftparfaitement converti (1). On refusait le baptme,dit Origbne (2), ceux qui ne voulaient pas renoncer leurs habitudes vicieuses et ne montraient pas de dignesfruits de pnitence. Un philosophe paen, clbre pro-fesseur d'loquence, qui avait pendant longtemps d-clam contre le christianisme, ne put tre admis aubaptme avant d'avoir publi un ouvrage contre le pa-ganisme et en faveur de la religion chrtienne. C'est celte fermet de l'vque deSicca, en Afrique, que nousdevons l'excellent livre d'Arnobe contre les Gentils (3). Plus rservs que les philosophes qui discourent enpublic sans choisir leurs auditeurs, les chrtiens, disaitOrigne, examinent avec soin le cur de ceux qui de-mandent tre mis au nombre de leurs disciples, et,avant de les recevoir dans leurs assembles, ils les forti-quitta le laste et les vanits du sicle, et devint par son zle, sacharit, par la sagesse et la fermet de son administration, un mo-dle de toutes les vertus piscopales. Nous avons la plupart de sesouvrages, qui sont autant de preuves de son loquence.Arnobe^ clbre professeur d'loquence Scique, embrassa aussi

    la foi. Ladance, son disciple, avait t lev comme lui dans le pa-ganisme. Nous avons de lui d'excellents ouvrages, o l'on trouve lamme puret de st}le que dans Cicron, la mme clart, la mmenoblesse, la mme lgance. Saint Pamp/iile, et Eusbe de Csare,son disciple, parurent galement dans les dernires annes du troi-sime sicle; le premier fonda Csare une acadmie qui devintclbre, et forma une bibliothque qui contenait plus de trente millevolumes. Eusbe nous a laiss plusieurs ouvrages qui sont admirspar les savants.

    ^1) Murs des chrtiens, n 2.|2) Contr. Cels., hb. m.(3) Fleury, Hist. eccL, liv. vin, no 45.

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    VIII PREFACE.fient par diverses exhortations dans la rsolution qu'ilsont prise de bien vivre (1). Ce qu'on inculquait principalement tous ceux qui,

    aprs de longues preuves, taient admis au baptme,c'tait la ncessit de vivre, aprs Tavoir reu, de la viemme de Jsus-Christ. On leur enseigne, dit encoreOrigne, que par le baptme on est enseveli avec Jsus-Christ, et qu'on doit marcher avec lui dans une vie toutenouvelle (2). C'est ce que l'aptre saint Paul exige detous les chrtiens ; il enseigne, dans son pitre aux Ro-mains, qu'ayant tcomme plants et ents en Jsus-Christpar le baptme, nous ne devons plus vivre que de son es-prit et de sa vie, comme une branche ente et incorporeavec un arbre vit de sa vie, est nourrie de sa sve. Cegrand aptre considre le fidle converti Jsus-Christcomme une personne change entirement en une autre ;il appelle la premire le vieil homme, et la secondel'homme nouveau. Le vieil homme, c'est--dire les an-ciennes habitudes criminelles, les pchs commis avantla rgnration, a t crucifi avec Jsus-Christ pour neplus revivre. Vous devez, dit-il encore, vous considi^ercomme tant morts au pch et comme ne vivant plus quepour Dieu en Jsus-Christ Notre-Seigneur ; et, faisantallusion la manire dont on baptisait autrefois les cat-chumnes, qu'on plongeait entirement dans l'eau : Nousavonsy dit-il, t ensevelis avec lui par le baptme pourmourir au pch, afin que, comme Jsus-Christ e,st reS'

    (1) Contr. VIII., lib ni.(2) Lib. viiii^ in Ep. ad Kom.

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    PREFACE. XIXsuscit d'entre les morts par la gloire de son Pre, nousmarchions aussi dans une nouvelle vie (1). Saint Paulne pouvait mieuxprouver ses disciples qu'il pratiquaitexactement ce qu'il leur enseignait, qu'en leur disant:Je vis, ou plutt ce n'est pas moi qui vis, mais c'est Jsus-Christ qui vit en moi (2).

    Tel est l'engagement sacr que contractent tous leschrtiens en recevant le baptme. Aussi, comme le re-marque Fleury, Tous ceux qui taient baptiss com- menaient mener une vie nouvelle, tout intrieure et toute surnaturelle, et trouver facile ce qui leur pa- raissait impossible auparavant. Etlesauteursecclsias-liques des trois premiers sicles l'attestent constamment.

    Saint Justin, philosophe paen converti la foi, fait aussil'loge des chri'tiens du second sicle dans son Apologie de1 a religion chrtienne adresse l'empereur Tite-Antonin. Nous ne sommes pas insenss d'adorer Jsus crucifi,puisqu'il est la souveraine raison qui change entirementles murs de ceux qui l'adorent. Autrefois nous prenionsplaisir dans d'infmes dbauches, prsent nousn'aimonsque la puret ; nous ne cherchions que les moyens de nousenrichir, maintenant nous mettons nos biens encommun,ou, si nous les retenons, ce n'est que pour en faire part ceux qui en ont besoin; l'esprit de vengeance qui rgnaitparmi nous est chang en un esprit d'amour pour nosennemis mmes ; nous prions pour eux, et nous ten-dons envers tout le monde le devoir de l'hospitalit

    (1) Ad Roman., c. vi.t2}AdGalat., c. lu

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    IX PREFACE.qu'autrefois nous restreignions nos parents et tout auplus nos compatriotes, .. Ils aiment tout le monde, et touslesperscutent; maislamort qu'on leur fait souffrirne sertqu' leur donner la vie ; les opprobres leur sont un sujet degloire, les calomnies dont on les noircit servent de tmoi-gnages leur justice, etils ne rpondent auxinjures et auxmaldictions que par des paroles pleines de respect et decharit. Vivant en gens de bien, ils sont nanmoins puniscomme mchants : d'un ct, les Juifs leur font la guerre;de l'autre, les paens les perscutent; mais ni les uns ni lesautres ne peuvent rendre raison de la haine qu'ils leur por-tent. Enfin, pour le dire en un mot, les chrtiens sont dansle monde ce qu'est l'me dans le corps : l'me est rpanduedans toutes les parties du corps, les chrtiens sont rpan-dus dans toutes les parties du monde ; l'me , quoique dansle corps, n'est point corporelle ; leschrtiens, quoique dansle monde, n'en sont point. La chair fait l'esprit uneguerre continuelle, parce qu'il l'empche de s'abandon-ner ses plaisirs, et le monde perscuteles chrtiens, parcequ'ils mprisentles plaisirs qu'il leur prsente, etc. (1).

    Quelques annes aprs, Athnagore, philosophe plato-nicien d'Athnes, qui avait embrass le christianisme,prsenta Marc-Aurle une savan te Apologie de la religionchrtienne, dans laquelle il justifie leur croyance et leursmurs contre les calomnies des paens; il y compare lamorale de l'vangile avec les tudes vaines etstriles desphilosophes. Chez nous, dit-il, vous trouverez des igno-rants, des ouvriers, de vieilles femmes, qui ne pourraient

    (I) Justin , Apolog. I.

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    l'REFACr:. XXIpeut-tre pas montrer par des raisonnements ia vrit dtinotre doctrine, mais ils en montrent l'utilit parleseflett>:ils ne savent pas des discours par cur, mais ils font de,bonnes uvres; ils ne se dfendent point quand on lesmaltraite; ils donnent qui leur demande, aimant leurprochain comme eux-mmes. Je ne crois pas que vousdoutiez que des gens dont toute la vie se propose Dieupour modle, et dont le but est de se rendre irrprhen-sibles devant lui, ne s'abstiennent mme de la pense dumoindre pch ; car, si nous ne croyions vivre que sur laterre, on pourrait nous souponner de suivre la chair ellesang, et de nous abandonner l'avarice et la dbauche ;mais nous qui croyons que Dieu est prsent jour et nuit,non-seulement toutes nos aciions, mais encore nos pa-roles et nos penses, qu'il est toute lumire et voit jus-qu'au fond de nos curs ; qu'aprs cette vie mortellenous jouirons d'une autre bien plus excellente dans leciel; ou que si, nous tombons avec les autres, nous se-rons comme eux tourments par le feu ; est-il vraisem-blable que nous voulions tre mchants et nous livrer la justice de ce grand Juge ?... Si quelqu'un peut nousconvaincre du moindre des crimes dont on nous accuse,nous ne refusons pas le supplice le plus cruel ; mais sinous ne sommes coupables que parce que nous portonsle nom de chrtien, c'est vous, trs-grand et trs-sageprince, nous dfendre par les lois. Jusqu' prsent,tout ce qu'on a dit contre nous se borne un bruit con-fus : Aucun chrtien n'a t convatticu de crime; il n'y apoint de chrtien mchant s'il n'est hypocrite (i).

    (1) Legatio pro Christ.

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    XXII PRFAP*-Nous avons dans Tertullien, philosophe et clbre ju.

    risconsulte d'Afrique, converti la foi, un autre tmoin dela saintet des chrtiens du troisime sicle ; il opposedans son Apologie les murs des paens la chastet,la modestie, l'humilit la patience, la simplicit et ladouceur des chrtiens. Combien de cruauts, dit-il,exercez-vous contre nous ! Combien de fois arrive-t-il quele peuple, sans attendre vos ordres, nous jette des pier-res ou met le feu nos maisons ! Dans la fureur des bac-chanales, ils n'pargne pas mme les chrtiens morts ; illes tire de leurs spulcres et les met en pices. Qu'avez-vous remarqu que nous ayons fait pour nous venger detant d'outrages et de cette animosil nous poursuivrejusqu' la mort? Une seule nuitavec quelques flambeauxpourrait nous satisfaire pleinement, s'il nous tait permisde rendre le mal pour le mal ; si nous voulions nous d-clarer ouvertement vos ennemis, manquerions-nous deforce et de troupes? Les Maures, les Marcomans, lesParthes mme ou quelque nation que ce soit, est-elle plusnombreuse que toutes les nations du monde ? Nous nesommes que d'hier, et nous remplissons tout, vos villes,vos les, vos chteaux, vos bourgades, vos champs, lepalais, le snat, la place ; nous ne vous laissons que vostemples. Ne serions-nous pas bien propres la guerre,mme forces ingales, nous qui nous laissons tuer si vo-lont'.ers, si ce n'tait une de nos maximes, qu'il faut su-bir la mort plutt que de la donner !... Vous avez beaunous reprocher les fagots de sarment et les pieux o l'onnous attache : ce sont les ornements de notre triompheLe mprisde la mort a couvert de gloire Scvola, Rgulus,

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    PREFACE. XXIIIEmpdocle, Anaxarque et tant d'autres, parce qu'ils sontmorts pour leur patrie, pour l'empire, pour l'amiti : iln'y a que mourir pour Dieu qui vous paraisse une folie...J'en prends tmoin vos registres, vous qui jugez escriminels, y en a-t-'il un seul qui soit chrtien ? Ce sontles vtres qui remplissent les prisons, qui travaillentaux mines, qui sont exposs aux btes; il n'y a pointl de chrtien, ou il n'y est qu' ce seul titre ; s'il y est un autre titre^ il n'est plus chrtien.

    Pour plaire Dieu, crivait Origne plus de cin-quante ans aprs, les chrtiens domptent les inclinationsles plus violentes des plaisirs sensuels, au lieu que lespaens se plongent dans les plus sales volupts, sans s'encacher, et soutenant au contraire qu'il n'y a rien en celacontre le devoir d'un honnte homme. Les chrtiens lesplus ignorants sont sur cette matire bien au-dessus desphilosophes, des vestales et des pontifes les plus purs despaens. Aucun chrtien n'est tach de ces vices, ou, s'ils'en trouve quelqu'un, il n'est pas de ceux qui viennent nos assembles et participent aux prires (1). C'estqu'en elet, remarque Fleury, on chassait de l'gliseceux qui tombaient dans quelque pch, principalementd'impuret : on les pleurait comme morts Dieu (2).

    Tels taient les chrtiens des premiers temps ; et leplus grand gnie du troisime sicle, Origne, l'oracledes savants comme le modle des mes intrieures, neu'aiguait pas de dire, dans l'ouvrage clbre qu'il com-

    (1) Coitr. Cels.y lib. iv et vu.(;) Fleury, Hiil. eccl , li\ . vu, n" 18,

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    XXIV PRF.FAf.E.posa contre Celse, que les vertus des chrtiens taienttelles, que ceux d'entre eux qui taient sous ce rapport audernier rang, par comparaison avec les plus parfaits, va*laieut beaucoup mieux que la plupart de ceux dont lesassembles civiles taient composes (1). Aussi ne recou-raient-ils point aux tribunaux civils pour obtenir justiceles uns contre les autres. Les vques accordaient tousles diffrends, car on ne souffrait point, suivant la d-fense de saint Paul, que les chrtiens plaidassent devantles tribunaux des infidles. Ceux qui ne voulaient pas sesoumettre l'arbitrage de l'vque taient excommuniscomme pcheurs impnitents et incorrigibles ; mais lesdiffrends taient rares entre les chrtiens dsintresss,humbles et patients comme ils taient. On recevait aussi ce tribunal les plaintes contre ceux qui taient accuss dene pas vivre en chrtiens (2) : car il y en a eu de mauvaisdans les premiers sicles ; mais on les chassait de l'glise :ou ne mangeait point avec eux, on ne leur parlait point,et on les fuyait comme des gens frapps d'un mal conta-gieux. Saint Paul ordonne de les viter avec plus de soinque les paens, dont il tait impossible de se sparer entirement. On accordait cependant la pnitence ceux quila demandaient, et le temps de leur pnitence tait pro-portionn la grivet de leurs pchs. Il tait, parexemple, assez ordinairement de quinze ans pour unadultre, dont une partie au pain et l'eau.

    Si quelqu'un, dit Fleury, s'tonne de cette ancienne

    (l)Contr. Cels., lil. m.(2) Fleury, Murs des chrtiens, n" 33.

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    PRFACE. XXVdiscipline, qu'il considre qu'alors les pchs dignes detelles pnitences taient rares parmi les chrtiens. Gommeles gens d'honneur bien levs et bien tablis dans lemonde ne commettent gure de ces crimes qui attirent lavengeance des lois et l'infamie du supplice, aussi n'ar-riva- t-il pas souvent que des chrtiens, si bien choisis etsi bien instruits, commissent des adultres, etc. (1).

    Il est peine ncessaire de remarquer combien sontrares aujourd'hui les chrtiens qui mnent une vie toutintineure et toute siamaturelle ^ suivant l'expression deFeury ; qui aiment tout le monde et jusqu' leut^s enne-mis, pour qui les opprobres sont des sujets de gloire ; ^aine rpondent aux injures et aux maldictions que pardes paroles pleines de respect et de charit, comme lemarque saint Justin ; qui sont dsintresss, humbles,patients et dsirant surtout de sortir au plus vite de cemonde pour aller au Seigneur, selon le tmoignage deTertullien. Des mes ainsi vivantes en Jsus-Christ, at-taches lui comme leur racine et difies sur lui commesur leur fondement (2), taient l'preuve de tous lesassauts, de toutes les ruses de l'ennemi ; mais des mesfaibles dans la foi, dont tout le christianisme consistedans quelques pratiques de pit, et dont les murs nesont pas constamment rgles par un esprit i^ntricur quicrucifie toutes les convoitises de la chair (3), sont facile-ment branles, et il ne faut pas de grands efforts pour

    (I) Fleury, Murs des chrtiens, n 25a('.') Coldss. H, V. 6 et 7.i'j ialdt. V, V. :;-i.

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    XXVI PnFACE.corrompre leur esprit et sduire leur cur. Oa ne doitdonc pas s'tonner qu'une poigne d'hommes impiessoit parvenue, dans ces derniers temps, rpandre snrtoute la France le poison de l'incrdulit. Des chrtiensremplis de l'esprit qui animait les fidles des premierssicles auraient rendu tous leurs efforts inutiles, maistel est l'aveuglement de la plupart de ceux qui n'ontpas encore secou le joug de la foi, qu'ils regardent lavie intrieure comme le partage exclusif des clotres.Aussi la plupart ont-ils applaudi cette satire, aussiamre que ridicule, qu'a faite de la vie dvote ou int-

    rieure un crivain devenu malheureusement clbre parses dclamations contre le clerg. C'est lui qui nous ap-prend que la vie dvote est une nouvelle espce de chris-tianisme ; qu'elle est trangre au monde, parce qu'ellelui est suprieure; qu'elle tend conduire la socit auxtemps d'ignorance et de barbarie ! Et il avoue, toutefois,qu'elle office le caractre de la saintet mme sur laterre (1).

    ISous croyons qu'en lisant avec attention les pelistraits contenus dans ce volume, et avec un vrai dsirde connatre et de pratiquer la vie intrieure, on seraconvaincu qu'elle est, en effet, la seule voie qui conduit la saintet, l'unique moyen de 'nnir intimement Jsus-Christ, et d'viter cette terribie sentence pronon-ce par l'aptre saint Paul contre tous ces lches chr-tiens qui ne s'attachent pour ainsi dire qu' l'coroe du

    (1) Mmoire consulter etc., par M. de M*.

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    PREFACE. XVIIchristianisme : Si quelqu'un n'a point l'esprit de Jcsns-Christ, il n est point Jsus-Christ (1).Le P. Grou ne se borne point tracer les rgles qu'on

    doit suivre pour avancer peu peu dans la vie int-rieure : il prouve aussi dans ces opuscules qu'elle estune source de consolations ineffables; qu'en captivantl'imagination et les sens, elle met l'homme l'abri deces passions fougueuses qui troublent sans cesse son re-pos et celui de la socit ; qu'elle lui lve l'me et larend capable des actions les plus hroques ; qu'elle luifacilite l'accomplissement de tous les devoirs de la viedomestique et de la vie sociale ; qu'il en cote beaucoupmoins la nature pour sauver son me que pour la per-dre ; qu'en un mut, c'est la vraie pit, suivant l'ex-pression de l'criture, que les biens de la vie prsente etceux de la vie future ont t promis (2). Quel plaisirplus grand, s'criait Tertuliien, que le mpris du monde,la vraie libert, la puret de conscience, se contenter de]ieu, et ne point craindre la mort (3)

    (1) Roman., c. vin, v. 9(2) Tim., c. IV, V. 8.(3) De Speclac, c. x\ii.

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    MANUELDES AMES INTRIEURES

    De la Traie et solide drotion.Le mot dvotion, qui est latin, rpond celui de d-vouement. Une personne dvote est donc une personnedvoue Dieu. II n'y a point d'expression plus forteque celle de dvouement pour marquer la disposition oest l'ame de tout faire et de tout souffrir pour celui au-quel elle est dvoue.Le dvouement aux cratures (j'entends celui qui estlgitime et autoris de Dieu) a ncessairement des bor-nes. Le dvouement Dieu n'en a point, et n'en peutavoir. Ds qu'on y met la moindre rserve, la moindreexception, ce n'est plus un dvouement.La vraie et solide dvotion est doac cette dispositiondu cur par laquelle on est prt faire et souflVir sansexception m rserve, tout ce qui est du bon plaisir deDieu. Cette disposition est le don le plus excellent dubaint-Esprit. On ne saurait la demander trop souvent etavec trop d'ardeur ; et l'on ne doit jamais se flatter delavoir dans toute sa perfection, puisqu'elle peut tou-jours crotre, soit dans elle-mme, soit dans ses effets.

    iOn voit, par cette dfinition, que la dvotion est quel-que chose d'intrieur et mme d'intime, puisqu'elleARUEL DBS lg3 lut. \

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    2 MINUELaffecte le fond de l'me, et ce qu'il y a en elle de plusspirituel, savoir : l'intelligence et la volont. La dvotionne consiste donc, ni dans le raisonnement, ni dans l'ima-giiialion, ni dans le sensible. On n'est pas dvot prcis-ment parce que l'on est en tat de bien raisonner sur leschoses de Dieu, ni parce qu'on a de grandes ides, debelles images des objets spirituels, ni parce qu'on estquelquefois attendri jusqu' verser des larmes.On voit encore que la dvotion n'est pas quelque chosede passager, mais d'habituel, de fixe, de permanent, qui

    s'tend tous les instants de la vie, et qui doit rglertoute la conduite.Le principe de la dvotion est que Dieu tant l'unique

    source et l'unique auteur de la saintet, la crature rai-sonnable doit dpendre de lui en tout, et se laisser abso-lument gouverner par l'esprit de Dieu. Il faut qu'elle soittoujours attache Dieu par son fond, toujours attentive l'couter au dedans d'elle-mme, toujours fidle ac-complir ce qu'il demande d'elle chaque moment.

    Il est donc impossible d'tre vraiment dvot moinsque d'tre intrieur, adonn au recueillement, accou-tum rentrer en soi-mme, ou plutt n'en jamais sor-tir, possder son me en paix.

    Quiconque se livre aux sens, l'imagination, aux pas-sions, je ne dis pas dans les choses criminelles, maisdans celles qui ne sont pas mauvaises en elles-mmes,ue sera jamais dvot ; car le premier effet de la dvotionest de captiver le sens, l'imagination et les passions, etde ne jamais y laisser entraner sa volont.

    Quiconque est curieux, empress, aimant se rpan-dre au dehors, se mler des affaires d'autrui, ne peuthabiter avec soi-mme ; quiconque est critique, mdi-

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    DES AMES INTEniEDRES. 9gant, railleur, emporte, mprisant, hautain, dlicat surtout ce qui touche l'amour- propre ; quiconque est atta-ch son sens, entt, opinitre, ou asservi au respe( humain, l'opinion publique, et par consquent faible,inconstant, changeant dans ses principes et dans sa con-duite, ne sera jamais dvot dans le sens que j'ai expliqu.Le vrai dvot est un homme d'oraison, qui fait ses

    dlices de s'entretenir avec Deu, qui ne perd jamais opresque jamais sa prsence; non qu'il pense toujours Dieu, cela est impossible ici-bas, mais parce qu'il lui esttoujours uni de cur, et qu'il est conduit en tout parson esprit.Pour faire oraison, il n'a besoin ni de livre, ni de m-

    thode, ni d'efforts de tte, ni mme d'efforts de volont.Il n'a qu' rentrer doucement en lui-mme ; il y trouveDieu, il y trouve la paix, quelquefois savoureuse, quel-quefois sche, mais toujours intime et relle.

    Il prfre l'oraison o il donne beaucoup Dieu, l'c-raison otiil souffre, l'oraison o l'amour-propre est minpeu peu et ne trouve aucune pture, en un mot, l'o-raison simple, nue, vide d'images, de sentiments aper-us, et de tout ce que l'me peut remarquer ou sentir entoute autre espce d'oraison.Le vrai dvot ne se recherche en rien dans le service

    de Dieu, et il s'attache pratiquer cette maxime del'Imitation : Partout o vous vous trouverez, renoncez-vous.Le vrai dvot s'tudie remplir parfaitement tous lesdevoirs de son tat et toutes les vritables bienhances

    de la socit. Il est fidle ses exercices de dvotion,mais il n'en est point l'esclave ; il les interrompt, il lessuspend, il les quitte mme pour un temps, lorsque

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    4 HNCELquelque raison de ncessit ou de simple convenancel'exige. Pourvu qu il ne fasse pas sa volont, il est tou-jours assur de faire celle de Dieu.Le vrai dvot ne court point au-devant des bonnesuvres, mais il attend que l'occasion s'en prsente. Hfait ce qui dpend de lui pour la russite; mais il enabandonne le succs Dieu. Il prfre les bonnes uvresobscures celles qui ont de l'clat ; mais il ne fuit pascelles-ci lorsque la gloire de Dieu et l'diiication du pro-chain y sont intresses.L'homme dvot ne s'accable point de prires vocaleset de pratiques qui ne lui laissent pas le temps de respi-rer. Il conserve toujours la libert d'esprit; il n'est niscrupuleux ni inquiet sur lui-mme ; il marche avec sim-plicit et confiance.

    Il est dtermin ne rien refuser Dieu, ne rien ac-corder l'amour-propre, ne faire aucune faute volon-taire; mais il ne se chicane point, il procde avec ron-deur, il n'est point minutieux ; s'il tombe en quelquefaute, il ne se trouble point, il s'en humilie, se relve,t n'y pense plus.

    Il ne s'tonne point de ses faiblesses, de ses imperfec-tions ; il ne se dcourage j amais. Il sait qu'il ne peut rien,mais que Dieu peut tout. Il ne compte pas sur ses bonspropos et ses resolutions, mais sur la grce et sur labont de Dieu. Quand il tomberait cent fois le jour, il nese dsolerait pas; mais il tendrait amoureusement lesmains Dieu, le priant de le relever et d'avoir pitide lui.Le vrai dvot a horreur du mal, mais il a encore plus

    d'amour du bien. Il pense ])lus pratiquer la vertu qu'viter le vice. Il est gnreux, magnanime, et, lorsqu'il

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    DES AMES INTERIEURFS. Ss'agit de s'exposer pour son Dieu, il ne craint pas lesblessures. Il aime mieux, en un mot, faire le bien, au ris-que d'y commettre quelque imperfection, que de l'omet-tre pourviler le danger de pcher.

    Rien n'est plus aimable dans le commerce de la viequ'un vrai dvot. Il est simple, droit, ouvert, sans pr-tention, doux, prvenant, solide et vrai ; sa conversationest gaie, intressante, il sait se prter aux amusementshonntes; et il pousse la condescendance aussi loinqu'elle peut aller, au pch prs.

    Qu'on dise ce qu'on voudra, la vraie dvotion n'estpoint triste, ni pour elle-mme ni pour les autres. Com-ment celui qui jouit continuellement du vrai bien, duseul bien de l'homme, serait-il triste ? Ce sont les pas-sions qui sont tristes, l'avarice, l'ambition, l'amour. Etc'est pour faire diversion aux chagrins dont elles ron-gent le cur, qu'on se jette avec fureur dans des plaisirstumultueux, qu'on varie sans cesse, et qui puisentl'me sans la jamais contenter.

    Quiconque prendra comme il faut le service de Dieuprouvera la vrit de cette sentence que, servir DieUyc'est rgner, ft-on dans la pauvret, dans l'ignominie,dans les souffrances. Tous ceux qui cherchent ici-basleur bonheur hors de Dieu, tous, sans exception, vri-fient cette parole de saint Augustin : Le cur de l'homme^uniquement fait pour Dieu, est toujours agitjusqu' cequ'il se repose en Dieu.

    Ide de la Traie Tertn.Il est peu de chrtiens, mme parmi ceux qui sont sp-

    cialement consacrs Dieu, qui aient une juste ide do

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    MANUELla vraie vertu. Presque tous la font consister dans unecertaine routine de pit, dans la fidlit certaines pra-tiques extrieures. Si avec cela ils ont par intervallesquelques mouvements de dvotion sensible, sans discer-ner mme si ces mouvements viennent de Dieu ou deleurs propres efforts, ils se croient solidement vertueux.Cependant ils sont sujets mille dfauts dont ils ne s'a-peroivent pas, et qu'on essayerait en vain de leur mettresous les yeux. Ils sont petits, minutieux, scrupuleusementexacts dans leurs pratiques, remplis d'estime pour eux-mmes, d'une extrme sensibilit, entts de leurs ides,concentrs dans leur amour-propre, gns et affectsdans leurs manires; rien de vrai, rien de simple, riende naturel en eux. Ils se prfrent intrieurement aux au-tres, et souvent ils mprisent, ils condamnent, ils pers-cutent, dans les saints mmes,la vritable pit, qu'ils neconnaissent point. Rien n'est plus commun dans lechristianisme que cette justice fausse etpharisaque. Lesvrais gens de bien n'ont pas de plus grands ennemis ;et, pour les peindre d'un seul trait, ce sont ces faux jus-tes qui ont crucifi Jsus-Christ, et qui le crucifientencore tous les jours dans ses plus parfaits imitateurs.Ds qu'une personne se donne vritablement Dieu, ets'applique la vie intrieure, elle est sre d'attirer surelle, d'abord la jalousie et la critique, ensuite les calom'nies et les perscutions des dvots pharisiens.Pour concevoir ce que c'est que la vraie vertu, c'est

    dans Jsus-Christ qu'il faut la considrer : il est notreunique modle, il nous a t donn comme tel, il s'estfait homme pour nous rendre la saintet sensible etpalpable. Toute saintet qui n'est pas forme et moulefiur la sienne est fausse ; elle dplat Dieu, elle trompe

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    DES AMES INTERIErRES. 7les hommes^ elle est tout au moins inutile pour le ciel.tudions donc Jsus-Christ, et, pour le bien connatre,pour l'exprimer ensuite en nous, demandons-lui conti-nuellement sa lumire et ses grces.

    Jsus-Christ ne s'est jamais cherch lui-mme, jamaisil n'a eu en vue ses propres intrts, ni temporels nisi)irituels : il n'a jamais fait une seule action pour plaireaux hommes, il ne s'est jamais abstenu d'aucune bonneuvre dans la crainte de leur dplaire. Dieu seul, sagloire et sa volont, ont t l'unique objet de ses penseset de ses sentiments, l'unique rgle de sa conduite. Il atout sacrifi, tout sans aucune rserve, aux intrts deson Pre.

    Jsus-Christ a fait consister la pit dans les dispo-sitions intrieures, non dans des sentiments vains etillusoires, mais dans des sentiments sincres, efficaces,toujours suivis de l'excution ; disposition d'un entierdvouement Dieu, d'un continuel anantissement delui-mme, d'une charit sans bornes envers les hommes.Tous les instants de sa vie ont t consacrs l'accom-plissement de ces trois dispositions. Il n'a nglig l'ob-servation d'aucun point de la loi; mais, en mme temps,il a dclar, et par ses discours et par son exemple, quecette observation devait venir d'un principe intrieurd'amour, et que la seule pratique de la lettre faisait desesclaves et non des enfants de Dieu.

    Jsus-Christ a toujours regard la vie prsente commeun passage, un plerinage, un temps d'preuve unique-ment destin tmoigner Dieu son amour. Ce qui estternel l'a toujours occup. Il a donn la nature ce quilui tait ncessaire, sans jamais aller au del. Quoiqu'iln'et rien, et que pour les besoins du corps il ft dans

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    t HMCELune dpendance continuelle de la Providence, il n'a ja-mais t inquiet du lendemain, et il a voulu prouverplus d'une fois les effets de la pauvret.

    Jsus-Christ a embrass par choix ce qui fait le plusde peine aux hommes, et quoi ils ne se soumettentque par la ncessit de leur condition. Il n'a pas abso-lument rprouv les richesses, mais il leur a prfr lapauvret. Il n'a pas condamn les rangs et les marquesd'honneur que Dieu lui-mme a tablis parmi les hom-mes, mais il leur a appris qu'une condition obscure,dnue de toute espce de considration, tait plus agra-ble Dieu, plus favorable au salut, et que se croire plusque les autres, parce qu'on est n grand, noble, puis-sant, qu'on a autorit sur eux, c'est une erreur, unesource de bien des fautes. A l'exception des plaisirsnaturels que le Crateur a attachs certaines actions,et dont l'usage est soumis aux rgles les plus svres,il a mpris absolument tous les autres genres de plai-sirs qu'on recherche avec tant de fureur, et il s'est inter-dit mme les plus innocents. Le travail, les coursesapostoliques, la prire, l'instruction de ses disciples etdes peuples, ont rempli tous les moments de sa vie.

    Jsus-Christ a t simple, uni, sans affectation dansses discours et dans toutes ses actions. Il a enseign, avectoute l'autorit d'un Homme-Dieu, les choses les plus su-blimes, les plus inconnues aux hommes avant lui. Maisil a propos sa doctrine d'une manire aise, familire,loigne de toute la pompe de l'loquence humaine, porte de tous les esprits. Ses miracles, divins en eux-mmes, le sont encore plus par la manire dont il lesfait. Il a voulu que le rcit des vanglistes rpondt lasimplicit de sa vie. Il est impossible d'exprimer ave

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    DES AMES INTERIEURES. 9moins de recherche des faits et des discours qui portentl'empreinte de la divinit.Jsus-Christ a eu une tendre compassion pour les p-cheurs sincrement humilis et repentants de leursfautes. Je suis venu pour les pcheurs, disait-il, et nonpour les justes qui se confient en leur propre justice. Lepublicain, Madeleine, la femme adultre, la Samaritaine,sont traits par lui avec une bont qui nous tonne. Maisl'orgueil, l'hypocrisie, l'avarice des pharisiens, sont l'ob-jet de sa censure et de ses maldictions. Les pchs del'esprit, pchs auxquels les faux dvots sont plus sujetsque les autres, sont ceux qu'il condamne avec le plusde svrit, parce qu'ils marquent plus d'aveuglementdans l'esprit, et plus de corruption dans le cur.

    Jsus-Christ a support avec une douceur inaltrableles dfauts et la grossiret de ses aptres. A considrerles choses selon nos ides, combien ne devait-il pas souf-frir d'avoir vivre avec des hommes si imparfails et siignorants des choses de Dieu? Le commerce avec le pro-chain est peut-tre une des choses les plus difficiles etqui cotent le plus aux saints. Plus ils sont levs enDieu, plus ils ont besoin de condescendance pour serabaisser, pour se proportionner, pour dissimuler, peurexcuser dans les autres mille dfauts dont ils s'aperoi-vent mieux que personne. Ce point est d'une pratiquecontinuelle, et de la conduite qu'on tient cet garddpend C*qui rend la vertu aimable ou rebutante.Jsus-Christ a souffert de la part de ses ennemis tousles genres de perscutions, mais il n'y a jamais cd. Ilne leur a oppos que son innocence et la vrit, et par lil les a toujours confondus. L'heure venue o il devaittomber entre leurs mains, il a laiss agir leurs pasbi ns

    1.

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    i MANUELqu'il regardait comme des instruments de la justice di-vine. Il s'est tu quand il les a vus obstins dans leurmalice; il n'a pas cherch se justiSer, ce qui lui taitsi ais; il s'est laiss condamner ; il les a laisss jouirde leur prtendu triomphe; il leur a pardonn, il a pri,il a vers son sang pour eux. V^oil le point le plus su-blime et le plus difficile de la perfection.

    Quiconque aspire la vraie saintet, et se conduireen tout par Tesprit de Dieu, doit s'attendre passer parles langues des hommes, essuyer leurs calomnies etquelquefois leurs perscutions. C'est ici surtout qu'il fautse proposer Jsus-Christ pour modle; soutenir tantqu'on le peut, ses dpens, les intrts de la vrit;ne rpondre aux calomnies que par une vie innocente ;garder le silence lorsqu'il n'est pas absolument nces-saire de parler; laisser Dieu le soin de nous justifier,s'il le juge propos; touffer dans son cur tout ressen-timent, toute aigreur; prvenir ses ennemis par toutessortes d'actes de charit ; prier Dieu qu'il leur pardonne,et ne voir dans ce qu'ils nous font souffrir que l'accom-plissement des desseins de Dieu sur nous.Quand la vertu se soutient ainsi dans le mpris, dansl'opprobre, dans les mauvais traitements, on peut la re-garder comme consomme. Aussi Dieu rserve-t-il or-tlinairement cette preuve pour la fin. Heureux ceuxqui y passent 1 Ils auront la gloire de Jsus-Christ une1 art proportionne celle qu'ils ont eue ses humilia-lions. Dsirer un pareil tat, l'accepter quand il noustst offert, le soutenir lorsqu'on s'y trouve, ce ne peut

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    DES AMES INTRIEURES. Ildons seulement Dieu que le respect humain ne nousfasse jamais abandonner ses intrts.

    Des moyens de parvenir la Traie et solide vertu.Le premier moyen, qui parat le plus ais, et qui est

    le plus difficile, est de le vouloir; mais d'une volontsincre, entire, efficace et constante. Qu'elle est rarecette bonne volont! On se flatte de vouloir, et dans lefait on ne veut pas. Ce sont des dsirs, des vellils, dessouhaits; mais ce n'est pas une volont forte et dter-mine. On veut tre dvot, mais sa manire, maisjusqu' un certain point, mais pourvu qu'il n'en cotepas trop. On veut, et l'on se borne vouloir. On nepasse point la pratique ; on se rebute ds qu'il fautmettre la main l'uvre, carter ou forcer les obstacles,combattre ses dfauts, lutter contre la nature et ses pen-chants vicieux. On veut aujourd'hui, on commence avecardeur, mais on se relche bien vite. On entreprend,et on laisse. On ne veut pas voir que tout consiste per-svrer.Demandons Dieu cette bonne volont; demandons-

    la tous les jours^ et mritons, par notre fidlit d'aujour-d'hui, de l'obtenir pour le jour suivant.

    Le second moyen est de rgler sa journe, et d'treexact observer tout ce qu'on s'est prescrit. Il ne fautpas trop se charger d'abord. Il vaut mieux augmenterles exercices insensiblement et par degrs. Il faut avoirgard la sant, l'ge, l'tat et aux devoirs qu'ilexige; car ce serait une dvotion mal entendue que cellequi prjudicierait aux devoirs de notre tat.

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    11 MANUELLe troisime moyen est de s'exercer la prsence de"

    Dieu. Pour cela, il faut se persuader, ce qui est do for,que Dieu habite dans le cur de l'homme; qu'on letrouve au dedans de soi-mme, pour peu qu'on veuilley entrer ou se recueillir; qu'il est dans notre cur pournous inspirer de saintes penses, de bons sentiments,pour nous porter au bien et nous loigner du mal. Cequ'on appelle la voix de la conscience est la voix deDieu mme, qui nous avertit, qui nous reprend, quinous claire, qui nous dirige. Le point donc est d'treattentif et fidle cette voix. Ce n'est pas dans la dissi-pation, dans l'agitation et le tumulte qu'elle se fait en-tendre, mais dans la solitude, dans la paix, dans le si-lence des passions et de l'imagination. Le plus grandpas que l'me puisse faire vers la perfection est de setenir habituellement en tat d'entendre la voix de Dieu,de s'appliquer possder toujours son me en paix,d'viter tout ce qui la dissipe, tout ce qui l'inquite,tout ce qui l'attache violemment. Tout ceci doit trependant longtemps la matire d'un examen et d'un com-bat continuels.Le quatrime moyen est de donner Dieu un certaintemps dans la journe, oti l'on ne s'occupe uniquementque de sa prsence, que de lui parler non de la bou-che, mais du cur, et de l'couter. C'est ce qu'on ap-pelle l'oraison mentale. Pour s'y accoutumer, on peut,dans les commencements, s'aider du livre de Vlmita'tion, faisant une pause sur chaque verset, mditant etsavourant doucement la doctrine qu'il contient. On ypeut donner d'abord un quart d'heure le matin et autantle soir ; mais il faut s'accoutumer y employer au moins vune demi-heure le matin. Quand on aura pris got ce **

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    DES AMES INTERIEURES. 13>saint exercice, et qu'on pourra se passer de livre, on setiendra de temps en temps en paix devant Dieu durantle recueillement, le priant d'agir lui- mme sur notreme et d'y oprer suivant son bon plaisir. C'est uneerreur grossire do traiter d'oisivet le temps qu'on passeainsi se tenir attentif et recueilli devant Dieu, soit qu'illui plaise de nous faire sentir ou non son action.Le cinquime moyen est d'approcher souvent des sa-crements, qui sont les principales sources de la grce.

    Il ne faut pas se faire de la confession un tourment: celaest contre l'intention de Dieu; ni se faire une routineet une espce de formule d'accusation, chose trs-ordi-naire aux personnes qui se confessent frquemment. Leschoses dont les personnes qui tendent la perfection doi-vent principalement s'accuser, sont les vues auxquelleselles ont rsist, les sentiments d'amour-propre qu'ellesont couts, tout ce qu'elles ont dit, ou fait, ou omisavec rflexion et de propos dlibr. La communionsera toujours bien faite lorsqu'on en sortira avec un nou-veau courage et une nouvelle rsolution d'tre plusfidle Dieu que jamais. 11 ne faut pas croire que, pourse bien confesser et bien communier, on doive s'assujet-tir aux actes qui sont marqus dans les livres. Cela estbon pour les jeunes personnes dont l'imagination estvive et lgre, pour ceux qui communient rarement,en gnral, pour ceux qui n'ont aucune habitude du re-cueillement. Mais, pour peu qu'on soit entr dans lesvoies de l'oraisun, il ne faut plus emprunter le secoursdes livres, ni pour entendre la messe, ni pour partici-per aux sacrements.

    Le sixime moyen, ce sont les lectures de pit. Il ya un grand choix faire pour les livres. Il faut prf-

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    14 MANUELrer tous les autres ceux qui touchent le cur et quiportent avec eux une certaine onction. Rodriguez estexcellent pour les commenants. Pour ceux qui sontplus avancs, Vlmitation, le P. Saurin, saint Franoisde Sales, etc., les Psaumes et le Nouveau Testament, lesVies des Saints. La lecture doit tre une demi-oraison,c'est--dire qu'en lisant, il faut donner lieu l'action deDieu et s'arrter aux endroits o l'on se sent touch.On doit lire dans la vue de pratiquer, et, comme tout neconvient pas tout le monde, il faut s'attachera ce quinous est propre et personnel, sans pourtant trop multi-f)lier les pratiques, ce qui nuirait la libert d'esprit,qu'il faut toujours conserver.Le septime moyen est la mortification du cur. Tout

    s'oppose en nous au bien surnaturel; tout nous ramneaux sens, l'amour-propre. Il faut lutter sans cessecontre soi-mme et se faire une guerre continuelle, soitpour rsister aux impressions du dehors, soit pour com-jjattre celles du dedans. On ne saurait donc trop veillersur son cur et sur tout ce qui s'y passe. Cela est pni-ble dans les commencements; mais la chose deviendrafacile mesure qu'on s'habituera rentrer en soi-mme,et qu'on s'appliquera la prsence de Dieu.Le huitime moyen est la dvotion la sainte Vierge.

    Qu'on demande par elle Jsus-Christ les grces donton a besoin, on les obtiendra infailliblement. C'est sur-tout dans les tentations de dgot, d'ennui, de dcoura-gement, d'envie de tout quitter, qu'il faut s'adresser elle avec une sainte confiance qu'elle nous exaucera.On ne saurait avoir aussi trop de dvotion son angegardien. Il ne nous quitte jamais, il nous est donn pournous diriger dans la route de la saintet. Il faut dono

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    DES AUES INTBIEUBES. 15nous adresser lui dans nos doutes^ dans nos embar-ras, et le prier souvent de veiller sur nous.

    Enfin, le point capital est d'avoir un bon guide, undirecteur entendu dans les voies de Dieu, et qui se con-duise lui-mme par l'esprit de Dieu. Ces bons directeursont toujours t assez rares, et ils le sont aujourd'huiplusque jamais. Cependant on peut assurer que les bon-nes mes qui veulent aller droit Dieu ont toujourstrouv un homme propre les y conduire. La Provi-dence est engage leur en fournir un, et elle ne man-que jamais de le faire lorsqu'on l'invoque cette fin. Onpeut dire que c'est toujours la faute des mes lorsqu'ellesn'ont pas le directeur que Dieu leur a destin. Qu'ellesle prient donc de leur faire connatre celui qui ellesdoivent confier le soin de leur perfection, et, quand ellesl'auront trouv, qu'elles lui ouvrent leur cur, qu'ellesi'coutent avec docilit, qu'elles suivent ses conseils,comme si Dieu leur parlait par sa bouche. Une me debonne volont et bien conduite ne peut manquer deparvenir la saintet.

    Sur la -vie nouTelle en lsus-Chrst.L'aptre saint Paul, en plusieurs de ses lettres, disait

    aux premiers chrtiens que par le baptme ils taientmorts et ensevelis avec Jsus-Christ

    ;qu'en sortant des

    fonts baptismaux, ils taient ressuscites avec lui et obli-gs mener une vie nouvelle sur le modle de sa glo-rieuse rsurrection. C'est ce qu'on prche son exempleaux fidles dans la solennit de Pques.Comme j'cris ici pour des mes non-seulement mor-

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    16 UMIELtes au pch, mais dtermines vivre d'une vie toutede grce, je leur propose la rsurrection du Sauveur,non comme le modle, mais comme le terme de cettevie toute sainte qu'elles ont embrasse , et je leur disque, pour ressusciter comme Jsus-Christ, il faut qu'ellesmeurent comme lui. Or, la vie de Jsus-Christ a tune mort continuelle, j'entends une mort mystique,dont le dernier acte et la consommation a t sa mortnaturelle sur la croix.

    Ainsi la vie nouvelle qu'elles doivent mener en Jsus-Christ n'est autre chose qu'une mort continuelle elles-mmes : mort aux pchs les plus lgers et aux moindresimperfections ; mort au monde et toutes les choses ex-trieures ; mort aux sens et aux soins immodrs ducorps ; mort au caractre et aux dfauts naturels ; mort la volont propre ; mort l'estjme et l'amour denous-mmes^ mort aux consolations spirituelles; mortaux appuis et aux assurances par rapport l'tat denotre me; enfin, mort toutes les proprits dans leschoses qui concernent la saintet. C'est par ces diversdegrs de mort que la vie mystique de Jsus-Christs'tablit en nous; et lorsque le dernier coup de la mortest port, Jsus-Christ nous ressuscite et nous commu-nique les qualits de sa vie glorieuse, mme ds ici-bas,du moins quant l'me, et autant qu'elle en est sus-ceptible en ce monde. Parcourons en peu de mois cesdiffrents degrs de mort.Mort aux pchs les plus lgers et aux moindres im-perfections. La premire rsolution que doit former uneme qui veut tre tout fait Dieu est de ne jamaiscommettre aucune faute avec vue et de propos dlibr; [de ne jamais agir en quoi que ce soit contre sa con-

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    DES MES INTBIECKES. iTscience; de ne jamais rien refuser Dieu de ce qu'il luidemande; de ne jamais dire : C'est peu de chose, Dieume passera cette bagatelle. Cette rsolution est essen-tielle, et il faut s'y maintenir avec une fidlit invio-lable. Ce n'est pas qu'il n'chappe des fautes de premiermouvement, d'inadvertance, de fragilit ; mais ces fautesne nous arrtent point dans la voie de la perfection,parce qu'elles ne sont ni prvues ni rflchies.Mort au monde et toutes les choses extrieures,

    c'est--dire qu'il ne faut plus aimer le monde ni le cher-cher ; mais ne lui accorder que ce qu'on ne peut lui re-fuser selon son tat, et ce que Dieu mme veut qu'on luiaccorde; et qu'il faut aller jusqu' soufl'rir et gmirdans son cur du commerce indispensable qu'on a aveclui, c'est--dire qu'il ne faut plus respecter le monde,ni avoir gard ses jugements, ni craindre ses mpris,ses railleries, ses perscutions, ni avoir honte devant luide ses devoirs et de la pratique de l'Evangile, ni se d-tourner en rien de ce que nous dictent Dieu et la cons-cience, dans l'apprhension de ce que le monde enpourra dire et penser. Dans un sicle aussi corrompuque le ntre, il y a bien des combats soutenir, biendes obstacles vaincre, bien des usages mpriser, biendes prjugs fouler aux pieds, pour triompher plei-nement du respect humain. C'est un des articles surlesquels il faut s'examiner avec le plus de rigueur, et nese faire aucune grce.Mort aux sens et aux soins immodrs du corps. treen garde contre la mollesse, l'amour des aises, la sen-sualit, ne donner au corps que ce qui lui est ncessairepour la nourriture, le sommeil, les vtements ; le mor-tifier detemps en temps par des privations, et, si la sant

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    i 8 MANUELle permet, si Dieu l'inspire, si le confesseur le trouvebon, lui imposer quelques peines afflietives. Ne riendonner surtout aux yeux et aux oreilles, et viter toutce qui peut vivement affecter l'me.

    Mort au caractre et aux dfauts naturels. Ce n'estpas une petite chose de rformer tellement son carac-tre, qu'on ne conserve que ce qu'il a de bon, et qu'oncorrige ce qu'il a de dfectueux. Bien des saints que l'E-glise rvre n'taient pas morts entirement sur cet ar-ticle. Tous n'ont pas t des Augustin et des Franoisde Sales, en qui le caractre tait parfaitement domptet soumis la grce. Le grand moyen d'y parvenir, sanstant d'tude ni de rflexion, est de veiller la garde deson cur, d'arrter les premiers mouvements, de nepoint agir, de ne point parler par humeur, par saillie,par imptuosit, de se maintenir toujours en paix etdans la possession de soi-mme. Pourquoi ne ferait-onpas pour Dieu et avec le secours de sa grce ce que tant degens font dans le monde pour l'intrt de leur fortune ?

    Mort la volont propre et au propre esprit. Ce point,est d'une grande tendue et d'une pratique difficile.D'abord, dans les choses ordinaires, il faut s'tudier soumettre son esprit et sa volont la raison ; ne pointse laisser aller aux caprices, aux fantaisies; ne points'aheurter son sentiment, couter les raisons des au-tres, et y dfrer si elles nous paraissent bonnes; cder volontiers l'avis et au dsir des autres dans lesclioses indiffrentes. En ce qui regarde notre conduitespirituelle, recevoir simplement ce que Dieu nousdonne, et rester comme il nous met, sans dsirer au-tre chose; nepointjugef nidesonlat ni des oprationsde la grce; pratiquer, l'gard du directeur, l'obis-

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    DES AMES INTBIECRES. 19sance de jugement et de volont, rprimer l'activitde l'esprit, et le tenir toujours dans la dpendance deDieu, ainsi que la volont ; ne point rflchir sur soi ; ne point raisonner, et se conduire par l'instinct di-vin, bien suprieur nos raisonnements et nos lu-mires, ne rien donner dans ses lectures la curio-sit de l'esprit, cherchant simplement nourrir le cur,et ne faisant point d'efforts pour tout approfondir ettout entend re dans les livres spirituels : chose dangereuse,qui aboutirait nous remplir de fausses ides, nousrendre prsomptueux, et nous exposer aux illusions.Croyons que Dieu nous donnera mesure les lumiresqui nous sont ncessaires, et ne cherchons point allerau del, mais recevons-les humblement et appliquons-les la pratique. En gnral, tenons toujours notre es-prit et notre cur dans un certain vide, afin que Dieupuisse y mettre son gr ce qu'il voudra.Mort l'estime et l'amour de nous-mmes. Cette

    mort, comme on le voit, devient toujours de plus enplus intime ; car s'il est quelque chose de profondmentenracin en nous, c'est l'orgueil, c'est l'amour-propre.Ce sont l deux grands ennemis de Dieu, et par con-squent les ntres. Dieu les attaque et les poursuit sansrelche dans une me qui s'est donne lui. Elle n'aqu' le laisser faire, et le seconder dans l'occasion

    Mort aux consolations spirituelles. Un temps vient oDieu en svre l'me. Plus de got rien : tout lui pse,tout l'ennuie, tout la fatigue, elle ne sent plus la prsencede Dieu en elle; elle a la paix, mais elle ne s'en aper-oit pas, elle ne croit pas mme l'avoir, et le reste quej'ai expos ailleurs. Il faut que l'me soit gnreuse,'iu'olle consente ces privations, qu'elle s'accoutume

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    20 MAKDLL ne se rechercher en rien, aimer Dieu purement, et le servir pour lui-mme et ses dpens. Alors, commede raison, le service de Dieu cote beaucoup la na-ture; elle crie, elle se plaint, elle enrage, elle se dses-pre, il faut la laisser crier, et tre plus fidle que ja-mais; il faut traner la victime au sacrifice, et n'avoiraucun gard ses rpugnances.

    Mort aux appuis et aux assurances par rapport l'-tat de noire me. Tant que l'me, au milieu des tenta-lions et des preuves, trouve encore quelque appui aufond de sa conscience, quelque soutien dans son direc-teur, et qu'elle ne se croit pas abandonne de Dieu, illui est ais de porter les plus grandes peines; mais quandelle se voit suspendue, qu'elle voit l'enfer sous sespieds, que rien ne la soutient, et qu' chaque instantelle se croit prs d'y tomber, en un mot, quand elle sepersuade que Dieu l'a dlaisse, qu'elle est perdue sansressource, que rien ne la dtrompe, et qu'au contrairetout concourt l'enfoncer dans cette persuasion, c'estalors que ses angoisses sont extrmes, et qu'elle a besoind'un courage hroque pour persvrer, et pour se sou-mettre tout ce qu'il plaira Dieu d'ordonner d'ellepour l'ternit.

    Mort toute proprit en ce qui concerne la saintet.L'me s'tait appropri les dons de Dieu, les vertus dont

    ill'avait enrichie, et elle avaitune certaine complaisanceen sa puret. Dieu la dpouille de tout, non quant laralit, mais quant l'apparence, et la rduit en uneentire nudit; elle ne voit plus en soi ni dons ni vertus,-ni rien de surnaturel. Elle ne sait ni ce qu'elle est, ni cequ'elle a t, ni ce qu'elle deviendra. Ses pchs, sonnant, sa rprobation ; voil tout ce qu'elle aperoit

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    DES iUES IMEfilECfiES. 21en elle dont elle se juge digne. Voil la consommationde la morl mystique. La rsurrection et l'tat glorieuxviennent aprs. Laissons Dieu ses secrets, et n'en di-sons pas davantage.

    De la Tiulence qu'il faut se faire soi-mme.Depuis les jours de Jean-Baptiste, dit Jsus-Christ, leroyaume des cieux souffre violence, et ceux qui se font

    violence le ravissent. Si Jsus-Christ a rendu en un sensla voie du ciel plus facile par l'effusion abondante de sesgrces, et par l'esprit d'amour qu'il a rpandu sur sesdisciples, d'un autre ct il a rendu celte voie plustroite, parce qu'il est venu mettre la loi sa perfection,et qu'il exige plus que Dieu n'exigeait sous la loi denature et sous celle de Mose. Ainsi, depuis le momentque Jean-IJaptisle a annonc la venue du Sauveur, leroyaume des cieux ne s'obtient que par la viorence qu'onse fait soi-mme; il faut le ravir et l'emporter, pourainsi dire, d'assaut. Cette parole est dure la nature,parce que c'est elle qu'il faut combattre, et cela quelque-fois jusqu'au sang, sans trve ni repos. Si le service deDieu ne cunsislait que dans une certaine routine de d-votion, compatible avec une vie douce et commode,avec les recherches de l'amour-propre, et une secrtecomplaisance en soi-mme, le nombre des saints, c'est--dire des vrais chrtiens, des vritables amateurs del'vangile, ne serait pas si rare, et notre condiion serait tous gards plus heureuse que celle des Juifs, quiDieu presciivait tant de pratiques extrieures, dont laloi de glace nous a affranchis.

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    22 MAISDELMais ces pratiques extrieures, Jsus-Christ en a

    substitu d'intrieures, qui sont sans comparaison pluspnibles. Il n'est pas venu, dit-il, apporter la paix, maisle glaive. 11 met ce glaive la main de ses serviteurs, etil veut qu'ils s'en servent contre eux-mmes pour cir-conscrire leur cur, pour retrancher sans piti tous lespenchants de la nature corrompue, pour se donner lamort, et ne laisser en eux aucun vestige du vieil Adam.Que cela est dur, encore une fois, et difficile enten-dre ! Tant qu'il ne s'agit que de faire quelques prires

    rgles, de visiter les glises, de pratiquer les uvres docharit, on trouve assez de personnes qui embrassent leparti del dvotion. Un directeur qui n'en demande pasdavantage est cout ; c'est un homme de Dieu, c'est unsaint. Mais parle-t-il de se corriger de certains dfauts,de vaincre le respect humain, der former son humeur,de tenir en bride fous les sentimenis naturels, et desuivre en tout l'esprit de la grce, il n'est plus coul ;il exagre, il outre les choses.

    Il est certain toutefois que c'est en cela que consistel'esprit du christianisme, qu'un vrai chrtien se regardecomme son plus grand ennemi ; qu'il se fait une guerrecontinuelle; qu'il ne s'pargne sur rien, et qu'il mettout son progrs dans les victoires qu'il remporte contrelui-mme.

    Lorsque l'on commence se donner Dieu, il noustraite d'abord avec beaucoup de douceur pour nous ga-gner; il rpand dans l'me une paix, une joie ineffaLle;il nous fait trouver du got la retraite, au recueille-ment, aux exercices de pit ; il nous facilite la pratiquede la vertu ; rien ne cote, on se croit capable de tout.

    Mais ds qu'il s'est une fois bien astui d'une me,

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    DES AMES INTERIEUEES. 2il ne tarde point l'clairer sur ses dfauts ; il lve pardegr le voile qui les lui cachait, et il lui inspire un fortevolont de les combattre. De ce moment elle se tournecontre elle-mme; elle entreprend la dfaite de sonamour- propre; elle le poursuit sans relche partout oelle l'aperoit; et, la faveur de la lumire divine, one l'apercoit-elle pas? Elle ne voit en elle que misres,qu'imperfections, que recherches de soi-mme, qu'at-tache son propre sens ; sa dvotion mme lui paratpleine de dfauts. Elle croyait aimer Dieu, et elle trouvequ'elle rapporte soi l'amour qu'elle a pour Dieu; qu'elles'approprie ses dons; qu'elle le sert dans cette vue, qu'elles'en estime davantage, et qu'elle conoit un secret m-pris des autres qui n'ont pas reu les mmes grces.

    Dieu lui montre tout cela successivement : car si toutlui tait montr la fois, elle ne pourrait en soutenir lavue, et tomberait dans le dcouragement. Mais le peuqu'elle en dcouvre suflt pour lui faire connatre qu'ellen'est pas encore entre dans le chemin de la perfection,et qu'elle a bien des combats se livrer avant que d'ar-river au terme.

    Si elle est courageuse et fidle, que fait-elle alors?Elle s'humilie sans se dsesprer; elle met en Dieu saconfiance, elle le conjure de la seconder dans la guerrequ'elle va entreprendre. Ensuite elle se met bien avantdans l'esprit et dans le cur cette maxime du livre del'Imitation : Vous ne profiterez qu' mesure que vousvous ferez violence; maxime qui contient le plus puresprit de Tvangile, et sur laquelle se sont gouvernstous les saints.A leur exemple, elle dclare la guerre la nature, son esprit, son cur, son caractre, et, puur ne rien

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    SK MARCELdonner ici l'imagination et une ardeur indiscrte,elle prie Dieu de la diriger dans celte guerre, de l'-clairer mesure sur les ennemis qu'elle doit combattre,de ne lui rien passer, mais de l'avertir de tout ce qui sepasse en elle, afin qu'elle y mette ordre avec le secoursde la grce. Elle forme la gnreuse rsolution de secontrarier en tout et de ne rien souffrir en elle quipuisse blesser la saintet infinie de Dieu.La voil donc devenue soldat de Jsus-Christ; la voilenrle sous ses tendards. Jusqu'alors Dieu l'avait pr-

    pare et dispose ; mais ce moment elle se revt desarmes de la foi, et elle entre dans le champ de bataille.Combien durera ce combat? Il durera tant qu'il res-

    tera un ennemi vaincre, tant que la nature conserveraun souffle de vie, tant que le vieil Adam ne sera pas d-truit. Un bon chrtien ne met jamais les armes bas, ettout n'est pas encore fini pour lui lorsqu'il a combattujusqu' l'extinction de ses forces. Que veut dire cela?Que peut-il lui rester faire quand il est puis parses propres victoires et qu'il a pouss la violence contrelui-mme aussi loin qu'elle pouvait aller? Il ne lui resteplus rien faire, mais il lui reste souffrir l'action deDieu qui, dsormais, veut faire seul ce qui est au-dessusdes forces de l'homme.La saintet se commence par nos efforts soutenus de

    la grce, et elle s'achve et se consomme par l'oprationdivine. L'homme lve l'difice tant qu'il peut, maisparce qu'il y a de l'humain dans cet difice. Dieu ren-verse tout l'ouvrage de l'homme, et il y substitue le sien,o la crature n'a d'autre part que de le laisser faire.Elle n'agit plus, mais elle ptit, parce que c'est sur elleque Dieu opre ; elle ne se fait plus violence, mais elle la

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    DES AMES USTEUIECRES. iSsouffre: et cet tat purement passif est incomparable-ment plus pnible. Tant que l'me agit, elle se sent dela force, et sa propre action la soutient. Or, dans ce sen-timent de sa force il entre toujours quelque peu d'a-mour-propre, et elle s'attribue quelque part de la vic-toire, parce qu'en effet elle y a contribu.

    Mais lorsque Dieu agit seul, toute facult d'agir estte l'me. Elle voit bien ce que Dieu fait en elle; maiselle ne peut le seconder; et elle n'a garde de s'attribuerrien, puisqu'elle n'y a nulle part. D'ailleurs, toute l'op-ration de Dieu consiste alors dtruire, renverser, dpouiller l'me, et la rduire une parfaite nudit ;et il n'exige d'elle d'autre correspondance, sinon qu'ellese laisse comme enlever sans regret tous les dons, toutesles grces, toutes les vertus dont Dieu l'avait orne etqu'elle s'tait appropris.

    Oh! que cette destruction, cet anantissement delcrature est une uvre grande et difficile! Que de com-bats il faut se livrer pendant une longue suite d'annes!Et quand on croit que tout est fini, que de nouveaux as-sauts bien plus terribles il faut essuyer de la part deDieu, qui agit sur sa crature en matre souverain et quiexerce sur elle tout le domaine qu'elle lui a cd par ledon de sa libert! Quel courage ne faut-il pas pour en-treprendre et pousser jusqu'au bout la guerre contresoi-mme! Mais quel courage incomparablement plusgrand pour soutenir la guerre que fait ensuite Dieu lui-mme, et pour se laisser craser sous les coups de samain toute-puissante !Omon Dieu! je commence connatre quelle vio-lence doit se faire et prouver celui que vous appelez la perfection de votre vangile. Mais grces vous en

    Bnobl bb jjiEg inT. 3

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    26 MKUELsoient rendues ; cette vue ne m'effraye point. Si je comp-tais sur moi, j'abandonnerais tout, ne me sentant capa-ble de rien. Mais je ne compte que sur vous seul, et jepuis tout en celui qui me fortifie. Vous avez commencl'uvre ; j'espre que vous la continuerez et que vousl'achverez. Je n'y veux d'autre part que celle de vousseconder tant que je pourrai, et ensuite de vous laisserfaire seul tout ce qu'il vous plaira.

    Sur la croix.Celui qui ne porte pas sa croix tous les jours n'est pas

    digne de moi. (Jsus-Christ.)La croix est le sommaire de l'vangile et l'tendard

    du chrtien. Par la croix, Jsus-Christ a rpar la gloirede son Pre, il a apais sa colre, et a rconcili le mondeavec lui. Mais la croix par laquelle Jsus-Christ nous arachets ne nous dispense pas de porter la ntre; aucontraire, elle est pour nous un engagement indispen-sable marcher sur les traces de notre divin matre. Sacroix a sanctifi la ntre ; elle lui a donn du prix et l'arendue mritoire du salut ternel ! Sans la croix deJsus-Christ toutes nos peines, toutes nos souffrancesn'auraient pu satisfaire Dieu pour le moindre pch,et le ciel nous aurait toujours t ferm. Nous savonsassez cela; mais ce que nous ne savons pas, ou pluttce que nous ne pouvons nous rsoudre pratiquer, c'estque, pour nous rendre la croix de Jsus-Christ salutaire,il faut renoncer nous-mmes, mourir nous-mmes,et cela tous les jours et continuellement. Sans cela nousne sommes pas chrtiens : Jsus-Christ nous dsavoue.

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    DES AMES INTRIEUBES. 17nous renonce. Ses paroles sont formelles sur ce point.Pour peu que nous aimions Dieu, pour peu que nousnous aimions nous-mmes, il n'y a plus balancer.Voyons donc en quoi consiste la ncessit de porter

    sa croix, et si cette ncessit est aussi dure qu'elle lesemble la nature.La ncessit de porter sa croix consiste premirement

    et principalement viter le pch et toutes les occasionsdu pch. La chose est juste : tout chrtien en convient;mais cela va loin dans la pratique. Le pch a ses attraits ;il a ses avantages temporels ; les occasions en sont fr-quentes et mme journalires; elles nous sollicitentpuissamment, et le commun des chrtiens qui s'y trou-vent sans cesse exposs ont besoin de se faire une vio-lence continuelle pour n'y pas succomber.

    Elle consiste, en second lieu, mortifier ses passions, modrer ses dsirs, tenir la chair assujettie l'es-prit, veiller sur ses sens, garder exactement toutesles avenues de son cur; car le foyer du pch est ennous-mmes et dans notre concupiscence. Nous som-mes ports au mal ; nous ne l'ignorons pas, et une fu-neste exprience nous apprend qu' moins d'une vigi-lance continuelle, nos chutes sont invitables.

    Elle consiste, en troisime lieu, nous sparer d'es-prit et de cur de tous les objets terrestres, charnels,temporels, pour occuper notre pense et notre affectiondes objets clestes, spirituels, ternels ; ce qui demandeque nous luttions sans cesse contre le poids de la naturecorrompue, qui nous entrane vers la terre. Si nous yprenons garde, nous nous surprendrons chaque mo-ment dans des penses et des dsirs qui nous attachent la terre comme les animaux, et qui nous ramnent sans

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    cesse aux besoins, au bien-tre, aux commodits ducorps et aux moyens de nous les procurer. Le physiquenous occupe plus que le moral, moins que nous nefassions de continuels efforts pour nous lever au-dessusde nous-mmes.

    Elle consiste, en quatrime lieu, recevoir, commeautant de dispositions de la Providence, tous les vne-ments fcheux qui nous arrivent, soit par des causes na-turelles, soit par la malice des hommes, soit par notrepropre faute. Ces croix de Pro\ndence sont frquentes;plus Dieu nous aime, plus il nous en envoie, parcequ'elles tendent nous dtacher de la terre et nousattacher lui ; elles sont les plus propres nous sancti-fier, parce qu'elles ne sont pas de notre choix, et que,pour cette raison, elles en sont plus mortifiantes.Elle consiste, en cinquime lieu, embrasser toutesles preuves, toutes les peines dont la vie spirituelle n'estqu'un tissu : ceci regarde les mes intrieures qui mar-chent plus spcialement sur les traces de Jsus-Christ.Ce divin Sauveur, en les acceptant pour ses pouses, lescharge de sa croix, de la croix qu'il a lui-mme porte;croix forme de deux branches, qui sont les souffranceset les humiliations intrieures et extrieures; croix dontle dmon, les hommes et Dieu lui-mme s'accordent les accabler ; croix intime, et qui pntre jusqu'au fondde l'me ; croix auprs de laquelle toutes les croix pr-cdentes ne sont rien ; croix, enfin, qui aboutit l'ex-tinction totale de l'amour-propre et au sacrifice de nosplus chers intrts. ,

    Cette dernire croix n'est e partage que d'un petitnombre d'mes favorites : ce n'est pas une croix de n-cessit, mais une croix d'amour; c'est aussi pour cela

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    DES AMES INTERIEURES. "9qu'elle est pins pesante, parce que le motif de Tamourest incomparablement plus fort que celui du devoir. Ilfaut joindre celte croix toutes celles que l'me em-brasse volontairement, comme les austrits, les vux,l'tat religieux.

    Telles sont peu prs les croix auxquelles la vie duchrtien est plus ou moins sujette, et que les mcliantspartagent en partie avec les bons; car ils ne sont |)asmoins exposs que les autres toutes les croix de Provi-dence, sans parler de celles qui leur sont propres et quisont la suite de leurs passions et de leurs crimes.Examinons prsent si cette ncessit de porter sa

    croix est aussi dure qu'elle le parait la nature. Sur cela,je dis d'abord en gnral, qu'il n'y a point et qu'il nepeut y avoir sur la terre de vritable bonheur hors de lavoie de la croix ; je dis qu'il en cote plus pour se damnerque pour se sauver; que les mchants ont en un sensplus souffrir que les bons, et qu'ils souffrent sans con-solation, sans esprance ; qu'ils sont dans un trouble,dans une agitation continuelle, toujours obligs de sefuir eux-mmes, d'viter leurs propres regards, toujourscondamns par les reproches secrets de leur conscience.Quand il n'y aurait que cette seule raison de porter sacroix en chrtien, pour se soustraire aux remords qutdchirent le libertin et l'impie, il n'en faudrait pas da-vantage pour disculper de duret la doctrine de rvau-gile. Mais reprenons en particulier chaque espce decroix, et voyons les adouci^isenicnts que la grce y at-tache.

    La premire croix consiste viter le pch et toutesles occasions du pch. Cela est pnible pour la nature,et il en cote souvent bien des sacrifices. Mais n'en cote-,

    S.

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    te MANUELt-il rien la conscience et la raison pour offenser Dieu?Ne paye-t-on pas bien cher un moment de plaisir, suivide repentirs invitables, lorsqu'on a encore de la reli-gion ? Quelle plus douce paix, au contraire, que la paixde la conscience? N'est-elle pas prfrable un instantd'ivresse? Quelle joie de s'tre vaincu soi-mme et d'a^voir rsist une tentation o l'on tait prs de succom-ber! Avec quelle satisfaction et quelle confiance ons'approche de Dieu, on s'unit lui par la prire et laparticipation des sacrements, tandis que celui qui se sentcoupable n'ose paratre devant lui, et que les devoirsde pit sont pour lui une gne et un supplice !La seconde croix consiste dans la mortification des

    passions. Mais n'est-il pas plus pnible de s'y livrer quede les dompter? Toutes les passions ne sont-elles pas au-tant de tyrans et de bourreaux? N'excitent-elles pas dansl'me une faim insatiable ! On apaise cette faim par in-tervalles; mais ne renat-elle pas avec une nouvelle vio-lence? L'ambitieux, l'avare, le voluptueux, lors mmeque rien ne s'oppose leurs dsirs, ce qui n'arrive pres-que jamais, sont-ils heureux, peuvent-ils l'tre? Lessuites des passions ne sont-elles pas presque toujoursaffreuses, mme selon le monde ? Comparez en toutemanire, soit du ct de la religion, soit du ct de la vieprsente, l'tat d'un homme esclave de ses passions,a' cc celui d'un chrtien qui leur fait la guerre, et quivient enfin bout de les assujettir, et vous avouerez quel'vangile, en nous ordonnant cette guerre, travaillepour notre bonheur, mme temporel.

    La troisime croix est la sparation violente de l'med'avec elle-mme, de sa partie basse et animale d'avec lapartie suprieure et spirituelle. Cette sparation est trs-

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    DES MES INTERIECRES. 81pnible, parce que le corps nous ramne sans cesse lui. Mais est-il rien de plus assujettissant que ce mis-rable corps? Est-il jamais content? A mesure qu'on luiaccorde une chose, n'en demande-t-il pas une autre? Etl'attention continuelle le flatter, carter de lui toutce qui le blesse, n'est-elie pas un tourment? Est-il, aucontraire, un empire plus digne de l'homme et plusagrable pour lui que celui de matriser son corps, dele rduire se contenter du ncessaire, de l'endurcir autravail et la peine, de n'tre presque point occu