Madame Bovary (French Edition) eBook Gustave Flaubert Kindle Store

27
Book sections Cover Beginning Gustave Flaubert MADAME BOVARY (1857)

description

Madame Bovary (French Edition) eBook Gustave Flaubert Kindle Store

Transcript of Madame Bovary (French Edition) eBook Gustave Flaubert Kindle Store

  • Book sections

    Cover Beginning

    Gustave Flaubert

    MADAME BOVARY

    (1857)

    javascript:void(0)javascript:void(0)

  • Table des matires

    A propos de cette dition lectronique

    Marie-Antoine-Jules Senard

    MEMBRE DU BARREAU DE PARIS EX-PRESIDENT DE LASSEMBLE NATIONALE ET ANCIEN MINISTRE DE

    LINTRIEUR

    Cher et illustre ami,

    Permettez-moi dinscrire votre nom en tte de ce livre et au-dessus mme de sa ddicace ; car cest vous, surtout, que jen dois la publication. En passant par votre magnifique plaidoirie, mon uvre a acquis pour moi-mme comme une autorit imprvue. Acceptez donc ici lhommage de ma gratitude, qui, si grande quelle puisse tre, ne sera jamais la hauteur de votre loquence et de votre dvouement.

    GUSTAVE FLAUBERT

    Paris, 12 avril 1857

    Louis Bouilhet

    PREMIRE PARTIE

    I

    javascript:void(0)javascript:void(0)

  • Nous tions ltude, quand le Proviseur entra, suivi dun nouveau habill en bourgeois et dun garon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se rveillrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.

    Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le matre dtudes :

    Monsieur Roger, lui dit-il demi-voix, voici un lve que je vous recommande, il entre en cinquime. Si son travail et sa conduite sont mritoires, il passera dans les grands, o lappelle son ge.

    Rest dans langle, derrire la porte, si bien quon lapercevait peine, le nouveau tait un gars de la campagne, dune quinzaine dannes environ, et plus haut de taille quaucun de nous tous. Il avait les cheveux coups droit sur le front, comme un chantre de village, lair raisonnable et fort embarrass. Quoiquil ne ft pas large des paules, son habit-veste de drap vert boutons noirs devait le gner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitus tre nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient dun. pantalon jauntre trs tir par les bretelles. Il tait chauss de souliers forts, mal cirs, garnis de clous.

    On commena la rcitation des leons. Il les couta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, nosant mme croiser les cuisses, ni sappuyer sur le coude, et, deux heures, quand la cloche sonna, le matre dtudes fut oblig de lavertir, pour quil se mt avec nous dans les rangs.

    Nous avions lhabitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin davoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, ds le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de faon frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussire ; ctait l le genre.

    Mais, soit quil net pas remarqu cette manuvre ou quil neut os sy soumettre, la prire tait finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. Ctait une de ces coiffures dordre composite, o lon retrouve les lments du bonnet poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs dexpression comme le visage dun imbcile. Ovode et renfle de baleines, elle commenait par trois boudins circulaires ; puis salternaient, spars par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une faon de sac qui se terminait par un polygone cartonn, couvert dune broderie en soutache complique, et do pendait, au bout dun long cordon trop mince, un petit croisillon de fils dor, en manire de gland. Elle tait neuve ; la visire brillait.

    Levez-vous, dit le professeur.

    Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit rire.

  • Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber dun coup de coude, il la ramassa encore une fois.

    Dbarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui tait un homme desprit.

    Il y eut un rire clatant des coliers qui dcontenana le pauvre garon, si bien quil ne savait sil fallait garder sa casquette la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tte. Il se rassit et la posa sur ses genoux.

    Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.

    Le nouveau articula, dune voix bredouillante, un nom inintelligible.

    Rptez !

    Le mme bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les hues de la classe.

    Plus haut ! cria le matre, plus haut !

    Le nouveau, prenant alors une rsolution extrme, ouvrit une bouche dmesure et lana pleins poumons, comme pour appeler quelquun, ce mot : Charbovari.

    Ce fut un vacarme qui slana dun bond, monta en crescendo, avec des clats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trpignait, on rptait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isoles, se calmant grand-peine, et parfois qui reprenait tout coup sur la ligne dun banc o saillissait encore et l, comme un ptard mal teint, quelque rire touff.

    Cependant, sous la pluie des pensums, lordre peu peu se rtablit dans la classe, et le professeur, parvenu saisir le nom de Charles Bovary, se ltant fait dicter, peler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable daller sasseoir sur le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement, mais, avant de partir, hsita.

    Que cherchez-vous ? demanda le professeur.

    Ma cas fit timidement le nouveau, promenant autour de lui des regards inquiets.

    Cinq cents vers toute la classe ! exclam dune voix furieuse, arrta, comme le Quos ego, une bourrasque nouvelle. Restez donc tranquilles ! continuait le professeur indign, et sessuyant le front avec son mouchoir quil venait de prendre dans sa toque : Quant vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum.

    Puis, dune voix plus douce :

    Eh ! vous la retrouverez, votre casquette ; on ne vous la pas vole !

  • Tout reprit son calme. Les ttes se courbrent sur les cartons, et le

    nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire, quoiquil y et bien, de temps autre, quelque boulette de papier lance dun bec de plume qui vnt sclabousser sur sa figure. Mais il sessuyait avec la main, et demeurait immobile, les yeux baisss.

    Le soir, ltude, il tira ses bouts de manches de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, rgla soigneusement son papier. Nous le vmes qui travaillait en conscience, cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal. Grce, sans doute, cette bonne volont dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe infrieure ; car, sil savait passablement ses rgles, il navait gure dlgance dans les tournures. Ctait le cur de son village qui lui avait commenc le latin, ses parents, par conomie, ne layant envoy au collge que le plus tard possible.

    Son pre, M. Charles-Denis-Bartholom Bovary, ancien aide-chirurgien-major, compromis, vers 1812, dans des affaires de conscription, et forc, vers cette poque, de quitter le service, avait alors profit de ses avantages personnels pour saisir au passage une dot de soixante mille francs, qui soffrait en la fille dun marchand bonnetier, devenue amoureuse de sa tournure. Bel homme, hbleur, faisant sonner haut ses perons, portant des favoris rejoints aux moustaches, les doigts toujours garnis de bagues et habill de couleurs voyantes, il avait laspect dun brave, avec lentrain facile dun commis voyageur. Une fois mari, il vcut deux ou trois ans sur la fortune de sa femme, dnant bien, se levant tard, fumant dans de grandes pipes en porcelaine, ne rentrant le soir quaprs le spectacle et frquentant les cafs. Le beau-pre mourut et laissa peu de chose ; il en fut indign, se lana dans la fabrique, y perdit quelque argent, puis se retira dans la campagne, o il voulut faire valoir. Mais, comme il ne sentendait gure plus en culture quen indiennes, quil montait ses chevaux au lieu de les envoyer au labour, buvait son cidre en bouteilles au lieu de le vendre en barriques, mangeait les plus belles volailles de sa cour et graissait ses souliers de chasse avec le lard de ses cochons, il ne tarda point sapercevoir quil valait mieux planter l toute spculation.

    Moyennant deux cents francs par an, il trouva donc louer dans un village, sur les confins du pays de Caux et de la Picardie, une sorte de logis moiti ferme, moiti maison de matre ; et, chagrin, rong de regrets, accusant le ciel, jaloux contre tout le monde, il senferma ds lge de quarante-cinq ans, dgot des hommes, disait-il, et dcid vivre en paix.

    Sa femme avait t folle de lui autrefois ; elle lavait aim avec mille servilits qui lavaient dtach delle encore davantage. Enjoue jadis, expansive et tout aimante, elle tait, en vieillissant, devenue ( la faon du vin vent qui se tourne en vinaigre) dhumeur difficile, piaillarde, nerveuse. Elle avait tant souffert, sans se plaindre, dabord, quand elle le voyait courir aprs toutes les gotons de village et que vingt mauvais lieux le lui renvoyaient le soir, blas et puant livresse ! Puis lorgueil stait rvolt. Alors elle stait tue, avalant sa rage dans un stocisme muet, quelle garda

  • jusqu sa mort. Elle tait sans cesse en courses, en affaires. Elle allait chez les avous, chez le prsident, se rappelait lchance des billets, obtenait des retards ; et, la maison, repassait, cousait, blanchissait, surveillait les ouvriers, soldait les mmoires, tandis que, sans sinquiter de rien, Monsieur, continuellement engourdi dans une somnolence boudeuse dont il ne se rveillait que pour lui dire des choses dsobligeantes, restait fumer au coin du feu, en crachant dans les cendres.

    Quand elle eut un enfant, il le fallut mettre en nourrice. Rentr chez eux, le marmot fut gt comme un prince. Sa mre le nourrissait de confitures ; son pre le laissait courir sans souliers, et, pour faire le philosophe, disait mme quil pouvait bien aller tout nu, comme les enfants des btes. lencontre des tendances maternelles, il avait en tte un certain idal viril de lenfance, daprs lequel il tchait de former son fils, voulant quon llevt durement, la spartiate, pour lui faire une bonne constitution. Il lenvoyait se coucher sans feu, lui apprenait boire de grands coups de rhum et insulter les processions. Mais, naturellement paisible, le petit rpondait mal ses efforts. Sa mre le tranait toujours aprs elle ; elle lui dcoupait des cartons, lui racontait des histoires, sentretenait avec lui dans des monologues sans fin, pleins de gaiets mlancoliques et de chatteries babillardes. Dans lisolement de sa vie, elle reporta sur cette tte denfant toutes ses vanits parses, brises. Elle rvait de hautes positions, elle le voyait dj grand, beau, spirituel, tabli, dans les ponts et chausses ou dans la magistrature. Elle lui apprit lire, et mme lui enseigna, sur un vieux piano quelle avait, chanter deux ou trois petites romances. Mais, tout cela, M. Bovary, peu soucieux des lettres, disait que ce ntait pas la peine ! Auraient-ils jamais de quoi lentretenir dans les coles du gouvernement, lui acheter une charge ou un fonds de commerce ? Dailleurs, avec du toupet, un homme russit toujours dans le monde. Madame Bovary se mordait les lvres, et lenfant vagabondait dans le village.

    Il suivait les laboureurs, et chassait, coups de motte de terre, les corbeaux qui senvolaient. Il mangeait des mres le long des fosss, gardait les dindons avec une gaule, fanait la moisson, courait dans le bois, jouait la marelle sous le porche de lglise les jours de pluie, et, aux grandes ftes, suppliait le bedeau de lui laisser sonner les cloches, pour se pendre de tout son corps la grande corde et se sentir emporter par elle dans sa vole.

    Aussi poussa-t-il comme un chne. Il acquit de fortes mains, de belles couleurs.

    douze ans, sa mre obtint que lon comment ses tudes. On en chargea le cur. Mais les leons taient si courtes et si mal suivies, quelles ne pouvaient servir grand-chose. Ctait aux moments perdus quelles se donnaient, dans la sacristie, debout, la hte, entre un baptme et un enterrement ; ou bien le cur envoyait chercher son lve aprs lAnglus, quand il navait pas sortir. On montait dans sa chambre, on sinstallait : les moucherons et les papillons de nuit tournoyaient autour de la chandelle. Il faisait chaud, lenfant sendormait ; et le bonhomme, sassoupissant les mains sur son ventre, ne tardait pas ronfler, la bouche ouverte. Dautres fois,

  • quand M. le cur, revenant de porter le viatique quelque malade des environs, apercevait Charles qui polissonnait dans la campagne, il lappelait, le sermonnait un quart dheure et profitait de loccasion pour lui faire conjuguer son verbe au pied dun arbre. La pluie venait les interrompre, ou une connaissance qui passait. Du reste, il tait toujours content de lui, disait mme que le jeune homme avait beaucoup de mmoire.

    Charles ne pouvait en rester l. Madame fut nergique. Honteux, ou fatigu plutt, Monsieur cda sans rsistance, et lon attendit encore un an que le gamin et fait sa premire communion.

    Six mois se passrent encore ; et, lanne daprs, Charles fut dfinitivement envoy au collge de Rouen, o son pre lamena lui-mme, vers la fin doctobre, lpoque de la foire Saint-Romain.

    Il serait maintenant impossible aucun de nous de se rien rappeler de lui. Ctait un garon de temprament modr, qui jouait aux rcrations, travaillait ltude, coutant en classe, dormant bien au dortoir, mangeant bien au rfectoire. Il avait pour correspondant un quincaillier en gros de la rue Ganterie, qui le faisait sortir une fois par mois, le dimanche, aprs que sa boutique tait ferme, lenvoyait se promener sur le port regarder les bateaux, puis le ramenait au collge ds sept heures, avant le souper. Le soir de chaque jeudi, il crivait une longue lettre sa mre, avec de lencre rouge et trois pains cacheter ; puis il repassait ses cahiers dhistoire, ou bien lisait un vieux volume dAnacharsis qui tranait dans ltude. En promenade, il causait avec le domestique, qui tait de la campagne comme lui.

    force de sappliquer, il se maintint toujours vers le milieu de la classe ; une fois mme, il gagna un premier accessit dhistoire naturelle. Mais la fin de sa troisime, ses parents le retirrent du collge pour lui faire tudier la mdecine, persuads quil pourrait se pousser seul jusquau baccalaurat.

    Sa mre lui choisit une chambre, au quatrime, sur lEau-de-Robec, chez un teinturier de sa connaissance : Elle conclut les arrangements pour sa pension, se procura des meubles, une table et deux chaises, fit venir de chez elle un vieux lit en merisier, et acheta de plus un petit pole en fonte, avec la provision de bois qui devait chauffer son pauvre enfant. Puis elle partit au bout de la semaine, aprs mille recommandations de se bien conduire, maintenant quil allait tre abandonn lui-mme.

    Le programme des cours, quil lut sur laffiche, lui fit un effet dtourdissement : cours danatomie, cours de pathologie, cours de physiologie, cours de pharmacie, cours de chimie, et de botanique, et de clinique, et de thrapeutique, sans compter lhygine ni la matire mdicale, tous noms dont il ignorait les tymologies et qui taient comme autant de portes de sanctuaires pleins daugustes tnbres.

    Il ny comprit rien ; il avait beau couter, il ne saisissait pas. Il travaillait pourtant, il avait des cahiers relis, il suivait tous les cours ; il ne perdait pas une seule visite. Il accomplissait sa petite tche

  • quotidienne la manire du cheval de mange, qui tourne en place les yeux bands, ignorant de la besogne quil broie.

    Pour lui pargner de la dpense, sa mre lui envoyait chaque semaine, par le messager, un morceau de veau cuit au four, avec quoi il djeunait le matin ; quand il tait rentr de lhpital, tout en battant la semelle contre le mur. Ensuite il fallait courir aux leons, lamphithtre, lhospice, et revenir chez lui, travers toutes les rues. Le soir, aprs le maigre dner de son propritaire, il remontait sa chambre et se remettait au travail, dans ses habits mouills qui fumaient sur son corps, devant le pole rougi.

    Dans les beaux soirs dt ; lheure o les rues tides sont vides, quand les servantes, jouent au volant sur le seuil des portes, il ouvrait sa fentre et saccoudait. La rivire, qui fait de ce quartier de Rouen comme une ignoble petite Venise, coulait en bas, sous lui, jaune, violette ou bleue, entre ses ponts et ses grilles. Des ouvriers, accroupis au bord, lavaient leurs bras dans leau. Sur des perches partant du haut des greniers, des cheveaux de coton schaient lair. En face, au-del des toits, le grand ciel pur stendait, avec le soleil rouge se couchant. Quil devait faire bon l-bas ! Quelle fracheur sous la htraie ! Et il ouvrait les narines pour aspirer les bonnes odeurs de la campagne, qui ne venaient pas jusqu lui.

    Il maigrit, sa taille sallongea, et sa figure prit une sorte dexpression dolente qui la rendit presque intressante.

    Naturellement, par nonchalance ; il en vint se dlier de toutes les rsolutions quil stait faites. Une fois, il manqua la visite, le lendemain son cours, et, savourant la paresse, peu peu, ny retourna plus.

    Il prit lhabitude du cabaret, avec la passion des dominos. Senfermer chaque soir dans un sale appartement public, pour y taper sur des tables de marbre de petits os de mouton marqus de points noirs, lui semblait un acte prcieux de sa libert, qui le rehaussait destime vis--vis de lui-mme. Ctait comme linitiation au monde, laccs des plaisirs dfendus ; et, en entrant, il posait la main sur le bouton de la porte avec une joie presque sensuelle. Alors, beaucoup de choses comprimes en lui, se dilatrent ; il apprit par cur des couplets quil chantait aux bienvenues, senthousiasma pour Branger, sut faire du punch et connut enfin lamour.

    Grce ces travaux prparatoires, il choua compltement son examen dofficier de sant. On lattendait le soir mme la maison pour fter son succs.

    Il partit pied et sarrta vers lentre du village, o il fit demander sa mre, lui conta tout. Elle lexcusa, rejetant lchec sur linjustice des examinateurs, et le raffermit un peu, se chargeant darranger les choses. Cinq ans plus tard seulement, M. Bovary connut la vrit ; elle tait vieille, il laccepta, ne pouvant dailleurs supposer quun homme issu de lui ft un sot.

  • Charles se remit donc au travail et prpara sans discontinuer les matires de son examen, dont il apprit davance toutes les questions par cur. Il fut reu avec une assez bonne note. Quel beau jour pour sa mre ! On donna un grand dner.

    O irait-il exercer son art ? Tostes. Il ny avait l quun vieux mdecin. Depuis longtemps madame Bovary guettait sa mort, et le bonhomme navait point encore pli bagage, que Charles tait install en face, comme son successeur.

    Mais ce ntait pas tout que davoir lev son fils, de lui avoir fait apprendre la mdecine et dcouvert Tostes pour lexercer : il lui fallait une femme. Elle lui en trouva une : la veuve dun huissier de Dieppe, qui avait quarante-cinq ans et douze cents livres de rente.

    Quoiquelle ft laide, sche comme un cotret, et bourgeonne comme un printemps, certes madame Dubuc ne manquait pas de partis choisir. Pour arriver ses fins, la mre Bovary fut oblige de les vincer tous, et elle djoua mme fort habilement les intrigues dun charcutier qui tait soutenu par les prtres.

    Charles avait entrevu dans le mariage lavnement dune condition meilleure, imaginant quil serait plus libre et pourrait disposer de sa personne et de son argent. Mais sa femme fut le matre ; il devait devant le monde dire ceci, ne pas dire cela, faire maigre tous les vendredis, shabiller comme elle lentendait, harceler par son ordre les clients qui ne payaient pas. Elle dcachetait ses lettres, piait ses dmarches, et lcoutait, travers la cloison, donner ses consultations dans son cabinet, quand il y avait des femmes.

    Il lui fallait son chocolat tous les matins, des gards nen plus finir. Elle se plaignait sans cesse de ses nerfs, de sa poitrine, de ses humeurs. Le bruit des pas lui faisait mal ; on sen allait, la solitude lui devenait odieuse ; revenait-on prs delle, ctait pour la voir mourir, sans doute. Le soir, quand Charles rentrait, elle sortait de dessous ses draps ses longs bras maigres, les lui passait autour du cou, et, layant fait asseoir au bord du lit, se mettait lui parler de ses chagrins : il loubliait, il en aimait une autre ! On lui avait bien dit quelle serait malheureuse ; et elle finissait en lui demandant quelque sirop pour sa sant et un peu plus damour.

    II

    Une nuit, vers onze heures, ils furent rveills par le bruit dun cheval qui sarrta juste la porte. La bonne ouvrit la lucarne du grenier et parlementa quelque temps avec un homme rest en bas, dans la rue. Il venait chercher le mdecin ; il avait une lettre. Nastasie descendit les marches en grelottant, et alla ouvrir la serrure et les verrous, lun aprs lautre. Lhomme laissa son cheval, et, suivant la bonne, entra tout coup derrire elle. Il tira de dedans son bonnet de laine houppes grises, une lettre enveloppe dans un chiffon, et la prsenta dlicatement Charles, qui saccouda sur loreiller pour la

  • lire. Nastasie, prs du lit, tenait la lumire. Madame, par pudeur, restait tourne vers la ruelle et montrait le dos.

    Cette lettre, cachete dun petit cachet de cire bleue, suppliait M. Bovary de se rendre immdiatement la ferme des Bertaux, pour remettre une jambe casse. Or il y a, de Tostes aux Bertaux, six bonnes lieues de traverse, en passant par Longueville et Saint-Victor. La nuit tait noire. Madame Bovary jeune redoutait les accidents pour son mari. Donc il fut dcid que le valet dcurie prendrait les devants. Charles partirait trois heures plus tard, au lever de la lune. On enverrait un gamin sa rencontre, afin de lui montrer le chemin de la ferme et douvrir les cltures devant lui.

    Vers quatre heures du matin, Charles, bien envelopp dans son manteau, se mit en route pour les Bertaux. Encore endormi par la chaleur du sommeil, il se laissait bercer au trot pacifique de sa bte. Quand elle sarrtait delle-mme devant ces trous entours dpines que lon creuse au bord des sillons, Charles se rveillant en sursaut, se rappelait vite la jambe casse, et il tchait de se remettre en mmoire toutes les fractures quil savait. La pluie ne tombait plus ; le jour commenait venir, et, sur les branches des pommiers sans feuilles, des oiseaux se tenaient immobiles, hrissant leurs petites plumes au vent froid du matin. La plate campagne stalait perte de vue, et les bouquets darbres autour des fermes faisaient, intervalles loigns, des taches dun violet noir sur cette grande surface grise, qui se perdait lhorizon dans le ton morne du ciel. Charles, de temps autre, ouvrait les yeux ; puis, son esprit se fatiguant et le sommeil revenant de soi-mme, bientt il entrait dans une sorte dassoupissement o, ses sensations rcentes se confondant avec des souvenirs, lui-mme se percevait double, la fois tudiant et mari, couch dans son lit comme tout lheure, traversant une salle doprs comme autrefois. Lodeur chaude des cataplasmes se mlait dans sa tte la verte odeur de la rose ; il entendait rouler sur leur tringle les anneaux de fer des lits et sa femme dormir Comme il passait par Vassonville, il aperut, au bord dun foss, un jeune garon assis sur lherbe.

    tes-vous le mdecin ? demanda lenfant.

    Et, sur la rponse de Charles, il prit ses sabots ses mains et se mit courir devant lui.

    Lofficier de sant, chemin faisant, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait tre un cultivateur des plus aiss. Il stait cass la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois, chez un voisin. Sa femme tait morte depuis deux ans. Il navait avec lui que sa demoiselle, qui laidait tenir la maison.

    Les ornires devinrent plus profondes. On approchait des Bertaux. Le petit gars, se coulant alors par un trou de haie, disparut, puis, il revint au bout dune cour en ouvrir la barrire. Le cheval glissait sur lherbe mouille ; Charles se baissait pour passer sous les branches. Les chiens de garde la niche aboyaient en tirant sur leur chane. Quand il entra dans les Bertaux, son cheval eut peur et fit un grand cart.

  • Ctait une ferme de bonne apparence. On voyait dans les

    curies, par le dessus des portes ouvertes, de gros chevaux de labour qui mangeaient tranquillement dans des rteliers neufs. Le long des btiments stendait un large fumier, de la bue sen levait, et, parmi les poules et les dindons, picoraient dessus cinq ou six paons, luxe des basses-cours cauchoises. La bergerie tait longue, la grange tait haute, murs lisses comme la main. Il y avait sous le hangar deux grandes charrettes et quatre charrues, avec leurs fouets, leurs colliers, leurs quipages complets, dont les toisons de laine bleue se salissaient la poussire fine qui tombait des greniers. La cour allait en montant ; plante darbres symtriquement espacs, et le bruit gai dun troupeau doies retentissait prs de la mare.

    Une jeune femme, en robe de mrinos bleu garnie de trois volants, vint sur le seuil de la maison pour recevoir M. Bovary, quelle fit entrer dans la cuisine, o flambait un grand feu. Le djeuner des gens bouillonnait alentour, dans des petits pots de taille ingale. Des vtements humides schaient dans lintrieur de la chemine. La pelle, les pincettes et le bec du soufflet, tous de proportion colossale, brillaient comme de lacier poli, tandis que le long des murs stendait une abondante batterie de cuisine, o miroitait ingalement la flamme claire du foyer, jointe aux premires lueurs du soleil arrivant par les carreaux.

    Charles monta, au premier, voir le malade. Il le trouva dans son lit, suant sous ses couvertures et ayant rejet bien loin son bonnet de coton. Ctait un gros petit homme de cinquante ans, la peau blanche, lil bleu, chauve sur le devant de la tte, et qui portait des boucles doreilles. Il avait ses cts, sur une chaise, une grande carafe deau-de-vie, dont il se versait de temps autre pour se donner du cur au ventre ; mais, ds quil vit le mdecin, son exaltation tomba, et, au lieu de sacrer comme il faisait depuis douze heures, il se prit geindre faiblement.

    La fracture tait simple, sans complication daucune espce. Charles net os en souhaiter de plus facile. Alors, se rappelant les allures de ses matres auprs du lit des blesss, il rconforta le patient avec toutes sortes de bons mots ; caresses chirurgicales qui sont comme lhuile dont on graisse les bistouris. Afin davoir des attelles, on alla chercher, sous la charreterie, un paquet de lattes. Charles en choisit une, la coupa en morceaux et la polit avec un clat de vitre, tandis que la servante dchirait des draps pour faire des bandes, et que mademoiselle Emma tchait coudre des coussinets. Comme elle fut longtemps avant de trouver son tui, son pre simpatienta ; elle ne rpondit rien ; mais, tout en cousant, elle se piquait les doigts, quelle portait ensuite sa bouche pour les sucer.

    Charles fut surpris de la blancheur de ses ongles. Ils taient brillants, fins du bout, plus nettoys que les ivoires de Dieppe, et taills en amande. Sa main pourtant ntait pas belle, point assez ple peut-tre, et un peu sche aux phalanges ; elle tait trop longue aussi, et sans molles inflexions de lignes sur les contours. Ce quelle avait de beau, ctaient les yeux ; quoiquils fussent bruns, ils semblaient

  • noirs cause des cils, et son regard arrivait franchement vous avec une hardiesse candide.

    Une fois le pansement fait, le mdecin fut invit, par M. Rouault lui-mme, prendre un morceau avant de partir.

    Charles descendit dans la salle, au rez-de-chausse. Deux couverts, avec des timbales dargent, y taient mis sur une petite table, au pied dun grand lit baldaquin revtu dune indienne personnages reprsentant des Turcs. On sentait une odeur diris et de draps humides, qui schappait de la haute armoire en bois de chne, faisant face la fentre. Par terre, dans les angles, taient rangs, debout, des sacs de bl. Ctait le trop-plein du grenier proche, o lon montait par trois marches de pierre. Il y avait, pour dcorer lappartement, accroche un clou, au milieu du mur dont la peinture verte scaillait sous le salptre, une tte de Minerve au crayon noir, encadre de dorure, et qui portait au bas, crit en lettres gothiques : mon cher papa.

    On parla dabord du malade, puis du temps quil faisait, des grands froids, des loups qui couraient les champs, la nuit. Mademoiselle Rouault ne samusait gure la campagne, maintenant surtout quelle tait charge presque elle seule des soins de la ferme. Comme la salle tait frache, elle grelottait tout en mangeant, ce qui dcouvrait un peu ses lvres charnues, quelle avait coutume de mordillonner ses moments de silence.

    Son cou sortait dun col blanc, rabattu. Ses cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun dun seul morceau, tant ils taient lisses, taient spars sur le milieu de la tte par une raie fine, qui senfonait lgrement selon la courbe du crne ; et, laissant voir peine le bout de loreille, ils allaient se confondre par derrire en un chignon abondant, avec un mouvement ond vers les tempes, que le mdecin de campagne remarqua l pour la premire fois de sa vie. Ses pommettes taient roses. Elle portait, comme un homme, pass entre deux boutons de son corsage, un lorgnon dcaille.

    Quand Charles, aprs tre mont dire adieu au pre Rouault, rentra dans la salle avant de partir, il la trouva debout, le front contre la fentre, et qui regardait dans le jardin, o les chalas des haricots avaient t renverss par le vent. Elle se retourna.

    Cherchez-vous quelque chose ? demanda-t-elle.

    Ma cravache, sil vous plat, rpondit-il.

    Et il se mit fureter sur le lit, derrire les portes, sous les chaises ; elle tait tombe terre, entre les sacs et la muraille. Mademoiselle Emma laperut ; elle se pencha sur les sacs de bl. Charles, par galanterie, se prcipita et, comme il allongeait aussi son bras dans le mme mouvement, il sentit sa poitrine effleurer le dos de la jeune fille, courbe sous lui. Elle se redressa toute rouge et le regarda par-dessus lpaule, en lui tendant son nerf de buf.

  • Au lieu de revenir aux Bertaux trois jours aprs, comme il lavait promis, cest le lendemain mme quil y retourna, puis deux fois la semaine rgulirement, sans compter les visites inattendues quil faisait de temps autre, comme par mgarde.

    Tout, du reste, alla bien ; la gurison stablit selon les rgles, et quand, au bout de quarante-six jours, on vit le pre Rouault qui sessayait marcher seul dans sa masure, on commena considrer M. Bovary comme un homme de grande capacit. Le pre Rouault disait quil naurait pas t mieux guri par les premiers mdecins dYvetot ou mme de Rouen.

    Quant Charles, il ne chercha point se demander pourquoi il venait aux Bertaux avec plaisir. Y et-il song, quil aurait sans doute attribu son zle la gravit du cas, ou peut-tre au profit quil en esprait. tait-ce pour cela, cependant, que ses visites la ferme faisaient, parmi les pauvres occupations de sa vie, une exception charmante ? Ces jours-l il se levait de bonne heure, partait au galop, poussait sa bte, puis il descendait pour sessuyer les pieds sur lherbe, et passait ses gants noirs avant dentrer. Il aimait se voir arriver dans la cour, sentir contre son paule la barrire qui tournait, et le coq qui chantait sur le mur, les garons qui venaient sa rencontre. Il aimait la grange et les curies ; il aimait le pre Rouault ; qui lui tapait dans la main en lappelant son sauveur ; il aimait les petits sabots de mademoiselle Emma sur les dalles laves de la cuisine ; ses talons hauts la grandissaient un peu, et, quand elle marchait devant lui, les semelles de bois, se relevant vite, claquaient avec un bruit sec contre le cuir de la bottine.

    Elle le reconduisait toujours jusqu la premire marche du perron. Lorsquon navait pas encore amen son cheval, elle restait l. On stait dit adieu, on ne parlait plus ; le grand air lentourait, levant ple-mle les petits cheveux follets de sa nuque, ou secouant sur sa hanche les cordons de son tablier, qui se tortillaient comme des banderoles. Une fois, par un temps de dgel, lcorce des arbres suintait dans la cour, la neige sur les couvertures des btiments se fondait. Elle tait sur le seuil ; elle alla chercher son ombrelle, elle louvrit. Lombrelle, de soie gorge de pigeon, que traversait le soleil, clairait de reflets mobiles la peau blanche de sa figure. Elle souriait l-dessous la chaleur tide ; et on entendait les gouttes deau, une une, tomber sur la moire tendue.

    Dans les premiers temps que Charles frquentait les Bertaux, madame Bovary jeune ne manquait pas de sinformer du malade, et mme sur le livre quelle tenait en partie double, elle avait choisi pour M. Rouault une belle page blanche. Mais quand elle sut quil avait une fille, elle alla aux informations ; et elle apprit que mademoiselle Rouault, leve au couvent, chez les Ursulines, avait reu, comme on dit, une belle ducation, quelle savait, en consquence, la danse, la gographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du piano. Ce fut le comble !

    Cest donc pour cela, se disait-elle, quil a la figure si panouie quand il va la voir, et quil met son gilet neuf, au risque de labmer la pluie ? Ah ! cette femme ! cette femme !

  • Et elle la dtesta, dinstinct. Dabord, elle se soulagea par des

    allusions, Charles ne les comprit pas ; ensuite, par des rflexions incidentes quil laissait passer de peur de lorage ; enfin, par des apostrophes brle-pourpoint auxquelles il ne savait que rpondre.

    Do vient quil retournait aux Bertaux, puisque M. Rouault tait guri et que ces gens-l navaient pas encore pay ? Ah ! cest quil y avait l-bas une personne, quelquun qui savait causer, une brodeuse, un bel esprit. Ctait l ce quil aimait : il lui fallait des demoiselles de ville ! Et elle reprenait :

    La fille au pre Rouault, une demoiselle de ville ! Allons donc ! leur grand-pre tait berger, et ils ont un cousin qui a failli passer par les assises pour un mauvais coup, dans une dispute. Ce nest pas la peine de faire tant de fla-fla, ni de se montrer le dimanche lglise avec une robe de soie, comme une comtesse. Pauvre bonhomme, dailleurs, qui sans les colzas de lan pass, et t bien embarrass de payer ses arrrages !

    Par lassitude, Charles cessa de retourner aux Bertaux. Hlose lui avait fait jurer quil nirait plus, la main sur son livre de messe, aprs beaucoup de sanglots et de baisers, dans une grande explosion damour. Il obit donc ; mais la hardiesse de son dsir protesta contre la servilit de sa conduite, et, par une sorte dhypocrisie nave, il estima que cette dfense de la voir tait pour lui comme un droit de laimer. Et puis la veuve tait maigre ; elle avait les dents longues ; elle portait en toute saison un petit chle noir dont la pointe lui descendait entre les omoplates ; sa taille dure tait engaine dans des robes en faon de fourreau, trop courtes, qui dcouvraient ses chevilles, avec les rubans de ses souliers larges sentrecroisant sur des bas gris.

    La mre de Charles venait les voir de temps autre ; mais, au bout de quelques jours, la bru semblait laiguiser son fil ; et alors, comme deux couteaux, elles taient le scarifier par leurs rflexions et leurs observations. Il avait tort de tant manger ! Pourquoi toujours offrir la goutte au premier venu ? Quel enttement que de ne pas vouloir porter de flanelle !

    Il arriva quau commencement du printemps, un notaire dIngouville, dtenteur de fonds de la veuve Dubuc, sembarqua, par une belle mare, emportant avec lui tout largent de son tude. Hlose, il est vrai, possdait encore, outre une part de bateau value six mille francs, sa maison de la rue Saint-Franois ; et cependant, de toute cette fortune que lon avait fait sonner si haut, rien, si ce nest un peu de mobilier et quelques nippes, navait paru dans le mnage. Il fallut tirer la chose au clair. La maison de Dieppe se trouva vermoulue dhypothques jusque dans ses pilotis ; ce quelle avait mis chez le notaire, Dieu seul le savait, et la part de barque nexcda point mille cus. Elle avait donc menti, la bonne dame ! Dans son exaspration, M. Bovary pre, brisant une chaise contre les pavs, accusa sa femme davoir fait le malheur de leur fils en lattelant une haridelle semblable, dont les harnais ne valaient pas la peau. Ils vinrent Tostes. On sexpliqua. Il y eut des scnes. Hlose, en

  • pleurs, se jetant dans les bras de son mari, le conjura de la dfendre de ses parents. Charles voulut parler pour elle. Ceux-ci se fchrent, et ils partirent.

    Mais le coup tait port. Huit jours aprs, comme elle tendait du linge dans sa cour, elle fut prise dun crachement de sang, et le lendemain, tandis que Charles avait le dos tourn pour fermer le rideau de la fentre, elle dit : Ah ! mon Dieu ! poussa un soupir et svanouit. Elle tait morte ! Quel tonnement !

    Quand tout fut fini au cimetire, Charles rentra chez lui. Il ne trouva personne en bas ; il monta au premier, dans la chambre, vit sa robe encore accroche au pied de lalcve ; alors, sappuyant contre le secrtaire, il resta jusquau soir perdu dans une rverie douloureuse. Elle lavait aim, aprs tout.

    III

    Un matin, le pre Rouault vint apporter Charles le payement de sa jambe remise : soixante et quinze francs en pices de quarante sous, et une dinde. Il avait appris son malheur, et len consola tant quil put.

    Je sais ce que cest ! disait-il en lui frappant sur lpaule ; jai t comme vous, moi aussi ! Quand jai eu perdu ma pauvre dfunte, jallais dans les champs pour tre tout seul ; je tombais au pied dun arbre, je pleurais, jappelais le bon Dieu, je lui disais des sottises ; jaurais voulu tre comme les taupes, que je voyais aux branches, qui avaient des vers leur grouillant dans le ventre, crev, enfin. Et quand je pensais que dautres, ce moment-l, taient avec leurs bonnes petites femmes les tenir embrasses contre eux, je tapais de grands coups par terre avec mon bton ; jtais quasiment fou, que je ne mangeais plus ; lide daller seulement au caf me dgotait, vous ne croiriez pas. Eh bien, tout doucement, un jour chassant lautre, un printemps sur un hiver et un automne par-dessus un t, a a coul brin brin, miette miette ; a sen est all, cest parti, cest descendu, je veux dire, car il vous reste toujours quelque chose au fond, comme qui dirait un poids, l, sur la poitrine ! Mais, puisque cest notre sort tous, on ne doit pas non plus se laisser dprir, et, parce que dautres sont morts, vouloir mourir Il faut vous secouer, monsieur Bovary ; a se passera ! Venez nous voir ; ma fille pense vous de temps autre, savez-vous bien, et elle dit comme a que vous loubliez. Voil le printemps bientt ; nous vous ferons tirer un lapin dans la garenne, pour vous dissiper un peu.

    Charles suivit son conseil. Il retourna aux Bertaux ; il retrouva tout comme la veille, comme il y avait cinq mois, cest--dire. Les poiriers dj taient en fleur, et le bonhomme Rouault, debout maintenant, allait et venait, ce qui rendait la ferme plus anime.

    Croyant quil tait de son devoir de prodiguer au mdecin le plus de politesses possible, cause de sa position douloureuse, il le pria de ne point se dcouvrir la tte, lui parla voix basse, comme sil et t

  • malade, et mme fit semblant de se mettre en colre de ce que lon navait pas apprt son intention quelque chose dun peu plus lger que tout le reste, tels que des petits pots de crme ou des poires cuites. Il conta des histoires. Charles se surprit rire ; mais le souvenir de sa femme, lui revenant tout coup, lassombrit.

    On apporta le caf ; il ny pensa plus.

    Il y pensa moins, mesure quil shabituait vivre seul. Lagrment nouveau de lindpendance lui rendit bientt la solitude plus supportable. Il pouvait changer maintenant les heures de ses repas, rentrer ou sortir sans donner de raisons, et, lorsquil tait bien fatigu, stendre de ses quatre membres, tout en large, dans son lit. Donc, il se choya, se dorlota et accepta les consolations quon lui donnait. Dautre part, la mort de sa femme ne lavait pas mal servi dans son mtier, car on avait rpt durant un mois : Ce pauvre jeune homme ! quel malheur ! Son nom stait rpandu, sa clientle stait accrue ; et puis il allait aux Bertaux tout son aise. Il avait un espoir sans but, un bonheur vague ; il se trouvait la figure plus agrable en brossant ses favoris devant son miroir.

    Il arriva un jour vers trois heures ; tout le monde tait aux champs ; il entra dans la cuisine, mais naperut point dabord Emma ; les auvents taient ferms. Par les fentes du bois, le soleil allongeait sur les pavs de grandes raies minces, qui se brisaient langle des meubles et tremblaient au plafond. Des mouches, sur la table, montaient le long des verres qui avaient servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre rest. Le jour qui descendait par la chemine, veloutant la suie de la plaque, bleuissait un peu les cendres froides. Entre la fentre et le foyer, Emma cousait ; elle navait point de fichu, on voyait sur ses paules nues de petites gouttes de sueur.

    Selon la mode de la campagne, elle lui proposa de boire quelque chose. Il refusa, elle insista, et enfin lui offrit, en riant, de prendre un verre de liqueur avec elle. Elle alla donc chercher dans larmoire une bouteille de curaao, atteignit deux petits verres, emplit lun jusquau bord, versa peine dans lautre, et, aprs avoir trinqu, le porta sa bouche. Comme il tait presque vide, elle se renversait pour boire ; et, la tte en arrire, les lvres avances, le cou tendu, elle riait de ne rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents fines, lchait petits coups le fond du verre.

    Elle se rassit et elle reprit son ouvrage, qui tait un bas de coton blanc o elle faisait des reprises ; elle travaillait le front baiss ; elle ne parlait pas, Charles non plus. Lair, passant par le dessous de la porte, poussait un peu de poussire sur les dalles ; il la regardait se traner, et il entendait seulement le battement intrieur de sa tte, avec le cri dune poule, au loin, qui pondait dans les cours. Emma, de temps autre, se rafrachissait les joues en y appliquant la paume de ses mains ; quelle refroidissait aprs cela sur la pomme de fer des grands chenets.

    Elle se plaignit dprouver, depuis le commencement de la saison, des tourdissements ; elle demanda si les bains de mer lui seraient utiles ; elle se mit causer du couvent, Charles de son collge,

  • les phrases leur vinrent. Ils montrent dans sa chambre. Elle lui fit voir ses anciens cahiers de musique, les petits livres quon lui avait donns en prix et les couronnes en feuilles de chne, abandonnes dans un bas darmoire. Elle lui parla encore de sa mre, du cimetire, et mme lui montra dans le jardin la plate-bande dont elle cueillait les fleurs, tous les premiers vendredis de chaque mois, pour les aller mettre sur sa tombe. Mais le jardinier quils avaient ny entendait rien ; on tait si mal servi ! Elle et bien voulu, ne ft-ce au moins que pendant lhiver, habiter la ville, quoique la longueur des beaux jours rendt peut-tre la campagne plus ennuyeuse encore durant lt ; et, selon ce quelle disait, sa voix tait claire, aigu, ou se couvrant de langueur tout coup, tranait des modulations qui finissaient presque en murmures, quand elle se parlait elle-mme, tantt joyeuse, ouvrant des yeux nafs, puis les paupires demi closes, le regard noy dennui, la pense vagabondant.

    Le soir, en sen retournant, Charles reprit une une les phrases quelle avait dites, tchant de se les rappeler, den complter le sens, afin de se faire la portion dexistence quelle avait vcu dans le temps quil ne la connaissait pas encore. Mais jamais il ne put la voir en sa pense, diffremment quil ne lavait vue la premire fois, ou telle quil venait de la quitter tout lheure. Puis il se demanda ce quelle deviendrait, si elle se marierait, et qui ? hlas ! le pre Rouault tait bien riche, et elle ! si belle ! Mais la figure dEmma revenait toujours se placer devant ses yeux, et quelque chose de monotone comme le ronflement dune toupie bourdonnait ses oreilles : Si tu te mariais, pourtant ! si tu te mariais ! La nuit, il ne dormit pas, sa gorge tait serre, il avait soif ; il se leva pour aller boire son pot leau et il ouvrit la fentre ; le ciel tait couvert dtoiles, un vent chaud passait, au loin des chiens aboyaient. Il tourna la tte du ct des Bertaux.

    Pensant quaprs tout lon ne risquait rien, Charles se promit de faire la demande quand loccasion sen offrirait ; mais, chaque fois quelle soffrit, la peur de ne point trouver les mots convenables lui collait les lvres.

    Le pre Rouault net pas t fch quon le dbarrasst de sa fille, qui ne lui servait gure dans sa maison. Il lexcusait intrieurement, trouvant quelle avait trop desprit pour la culture, mtier maudit du ciel, puisquon ny voyait jamais de millionnaire. Loin dy avoir fait fortune, le bonhomme y perdait tous les ans ; car, sil excellait dans les marchs, o il se plaisait aux ruses du mtier, en revanche la culture proprement dite, avec le gouvernement intrieur de la ferme, lui convenait moins qu personne. Il ne retirait pas volontiers ses mains de dedans ses poches, et npargnait point la dpense pour tout ce qui regardait sa vie, voulant tre bien nourri, bien chauff, bien couch. Il aimait le gros cidre, les gigots saignants, les glorias longuement battus. Il prenait ses repas dans la cuisine, seul, en face du feu, sur une petite table quon lui apportait toute servie, comme au thtre.

    Lorsquil saperut donc que Charles avait les pommettes rouges prs de sa fille, ce qui signifiait quun de ces jours on la lui demanderait en mariage, il rumina davance toute laffaire. Il le

  • trouvait bien un peu gringalet, et ce ntait pas l un gendre comme il let souhait ; mais on le disait de bonne conduite, conome, fort instruit, et sans doute quil ne chicanerait pas trop sur la dot. Or, comme le pre Rouault allait tre forc de vendre vingt-deux acres de son bien, quil devait beaucoup au maon, beaucoup au bourrelier, que larbre du pressoir tait remettre :

    Sil me la demande, se dit-il ; je la lui donne.

    lpoque de la Saint-Michel, Charles tait venu passer trois jours aux Bertaux. La dernire journe stait coule comme les prcdentes, reculer de quart dheure en quart dheure. Le pre Rouault lui fit la conduite ; ils marchaient dans un chemin creux, ils sallaient quitter ; ctait le moment. Charles se donna jusquau coin de la haie, et enfin, quand on leut dpasse :

    Matre Rouault, murmura-t-il, je voudrais bien vous dire quelque chose.

    Ils sarrtrent. Charles se taisait.

    Mais contez-moi votre histoire ! est-ce que je ne sais pas tout ? dit le pre Rouault, en riant doucement.

    Pre Rouault, pre Rouault, balbutia Charles.

    Moi, je ne demande pas mieux, continua le fermier. Quoique sans doute la petite soit de mon ide, il faut pourtant lui demander son avis. Allez-vous-en donc ; je men vais retourner chez nous. Si cest oui, entendez-moi bien, vous naurez pas besoin de revenir, cause du monde, et, dailleurs, a la saisirait trop. Mais pour que vous ne vous mangiez pas le sang, je pousserai tout grand lauvent de la fentre contre le mur : vous pourrez le voir par derrire, en vous penchant sur la haie.

    Et il sloigna.

    Charles attacha son cheval un arbre. Il courut se mettre dans le sentier ; il attendit. Une demi-heure se passa, puis il compta dix-neuf minutes sa montre. Tout coup un bruit se fit contre le mur ; lauvent stait rabattu, la cliquette tremblait encore.

    Le lendemain, ds neuf heures, il tait la ferme. Emma rougit quand il entra, tout en sefforant de rire un peu ; par contenance. Le pre Rouault embrassa son futur gendre. On remit causer des arrangements dintrt ; on avait, dailleurs, du temps devant soi, puisque le mariage ne pouvait dcemment avoir lieu avant la fin du deuil de Charles, cest--dire vers le printemps de lanne prochaine.

    Lhiver se passa dans cette attente. Mademoiselle Rouault soccupa de son trousseau. Une partie en fut commande Rouen, et elle se confectionna des chemises et des bonnets de nuit, daprs des dessins de modes quelle emprunta. Dans les visites que Charles faisait la ferme, on causait des prparatifs de la noce ; on se

  • demandait dans quel appartement se donnerait le dner ; on rvait la quantit de plats quil faudrait et quelles seraient les entres.

    Emma et, au contraire, dsir se marier minuit, aux flambeaux ; mais le pre Rouault ne comprit rien cette ide. Il y eut donc une noce, o vinrent quarante-trois personnes, o lon resta seize heures table, qui recommena le lendemain et quelque peu les jours suivants.

    IV

    Les convis arrivrent de bonne heure dans des voitures, carrioles un cheval, chars bancs deux roues, vieux cabriolets sans capote, tapissires rideaux de cuir, et les jeunes gens des villages les plus voisins dans des charrettes o ils se tenaient debout, en rang, les mains appuyes sur les ridelles pour ne pas tomber, allant au trot et secous dur. Il en vint de dix lieues loin, de Goderville, de Normanville, et de Cany. On avait invit tous les parents des deux familles, on stait raccommod avec les amis brouills, on avait crit des connaissances perdues de vue depuis longtemps.

    De temps autre, on entendait des coups de fouet derrire la haie ; bientt la barrire souvrait : ctait une carriole qui entrait. Galopant jusqu la premire marche du perron, elle sy arrtait court, et vidait son monde, qui sortait par tous les cts en se frottant les genoux et en stirant les bras. Les dames, en bonnet, avaient des robes la faon de la ville, des chanes de montre en or, des plerines bouts croiss dans la ceinture, ou de petits fichus de couleur attachs dans le dos avec une pingle, et qui leur dcouvraient le cou par derrire. Les gamins, vtus pareillement leurs papas, semblaient incommods par leurs habits neufs (beaucoup mme trennrent ce jour-l la premire paire de bottes de leur existence), et lon voyait ct deux, ne soufflant mot dans la robe blanche de sa premire communion rallonge pour la circonstance, quelque grande fillette de quatorze ou seize ans, leur cousine ou leur sur ane sans doute, rougeaude, ahurie, les cheveux gras de pommade la rose, et ayant bien peur de salir ses gants. Comme il ny avait point assez de valets dcurie pour dteler toutes les voitures, les messieurs retroussaient leurs manches et sy mettaient eux-mmes. Suivant leur position sociale diffrente, ils avaient des habits, des redingotes, des vestes, des habits-vestes : bons habits, entours de toute la considration dune famille, et qui ne sortaient de larmoire que pour les solennits ; redingotes grandes basques flottant au vent, collet cylindrique, poches larges comme des sacs ; vestes de gros drap, qui accompagnaient ordinairement quelque casquette cercle de cuivre sa visire ; habits-vestes trs courts, ayant dans le dos deux boutons rapprochs comme une paire dyeux, et dont les pans semblaient avoir t coups mme un seul bloc, par la hache du charpentier. Quelques-uns encore (mais ceux-l, bien sr, devaient dner au bas bout de la table) portaient des blouses de crmonie, cest--dire dont le col tait rabattu sur les paules, le dos fronc petits plis et la taille attache trs bas par une ceinture cousue.

  • Et les chemises sur les poitrines bombaient comme des cuirasses ! Tout le monde tait tondu neuf, les oreilles scartaient des ttes, on tait ras de prs ; quelques-uns mme qui staient levs ds avant laube, nayant pas vu clair se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez, ou, le long des mchoires, des pelures dpiderme larges comme des cus de trois francs, et quavait enflammes le grand air pendant la route, ce qui marbrait un peu de plaques roses toutes ces grosses faces blanches panouies.

    La mairie se trouvant une demi-lieue de la ferme, on sy rendit pied, et lon revint de mme, une fois la crmonie faite lglise. Le cortge, dabord uni comme une seule charpe de couleur, qui ondulait dans la campagne, le long de ltroit sentier serpentant entre les bls verts, sallongea bientt et se coupa en groupes diffrents, qui sattardaient causer. Le mntrier allait en tte, avec son violon empanach de rubans la coquille ; les maris venaient ensuite, les parents, les amis tout au hasard, et les enfants restaient derrire, samusant arracher les clochettes des brins davoine, ou se jouer entre eux, sans quon les vt. La robe dEmma, trop longue, tranait un peu par le bas ; de temps autre, elle sarrtait pour la tirer, et alors dlicatement, de ses doigts gants, elle enlevait les herbes rudes avec les petits dards des chardons, pendant que Charles, les mains vides, attendait quelle et fini. Le pre Rouault, un chapeau de soie neuf sur la tte et les parements de son habit noir lui couvrant les mains jusquaux ongles, donnait le bras madame Bovary mre. Quant M. Bovary pre, qui, mprisant au fond tout ce monde-l, tait venu simplement avec une redingote un rang de boutons dune coupe militaire, il dbitait des galanteries destaminet une jeune paysanne blonde. Elle saluait, rougissait, ne savait que rpondre. Les autres gens de la noce causaient de leurs affaires ou se faisaient des niches dans le dos, sexcitant davance la gaiet ; et, en y prtant loreille, on entendait toujours le crin-crin du mntrier qui continuait jouer dans la campagne. Quand il sapercevait quon tait loin derrire lui, il sarrtait reprendre haleine, cirait longuement de colophane son archet, afin que les cordes grinassent mieux, et puis il se remettait marcher, abaissant et levant tour tour le manche de son violon, pour se bien marquer la mesure lui-mme. Le bruit de linstrument faisait partir de loin les petits oiseaux.

    Ctait sous le hangar de la charreterie que la table tait dresse. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricasses de poulets, du veau la casserole, trois gigots, et, au milieu, un joli cochon de lait rti, flanqu de quatre andouilles loseille. Aux angles, se dressait leau de vie dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse paisse autour des bouchons, et tous les verres, davance, avaient t remplis de vin jusquau bord. De grands plats de crme jaune, qui flottaient deux-mmes au moindre choc de la table, prsentaient, dessins sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux poux en arabesques de nonpareille. On avait t chercher un ptissier Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il dbutait dans le pays, il avait soign les choses ; et il apporta, lui-mme, au dessert, une pice monte qui fit pousser des cris. la base, dabord, ctait un carr de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constelles dtoiles en papier dor ; puis se tenait au second tage un donjon en gteau de

  • Savoie, entour de menues fortifications en anglique, amandes, raisins secs, quartiers doranges ; et enfin, sur la plate-forme suprieure, qui tait une prairie verte o il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en cales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balanant une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux taient termins par deux boutons de rose naturels, en guise de boules, au sommet.

    Jusquau soir, on mangea. Quand on tait trop fatigu dtre assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait table. Quelques-uns, vers la fin, sy endormirent et ronflrent. Mais, au caf, tout se ranima ; alors on entama des chansons, on fit des tours de force, on portait des poids, on passait sous son pouce, on essayait soulever les charrettes sur ses paules, on disait des gaudrioles ; on embrassait les dames. Le soir, pour partir, les chevaux gorgs davoine jusquaux naseaux, eurent du mal entrer dans les brancards ; ils ruaient, se cabraient, les harnais se cassaient, leurs matres juraient ou riaient ; et toute la nuit, au clair de la lune, par les routes du pays, il y eut des carrioles emportes qui couraient au grand galop, bondissant dans les saignes, sautant par-dessus les mtres de cailloux, saccrochant aux talus, avec des femmes qui se penchaient en dehors de la portire pour saisir les guides.

    Ceux qui restrent aux Bertaux passrent la nuit boire dans la cuisine. Les enfants staient endormis sous les bancs.

    La marie avait suppli son pre quon lui pargnt les plaisanteries dusage. Cependant, un mareyeur de leurs cousins (qui mme avait apport, comme prsent de noces, une paire de soles) commenait souffler de leau avec sa bouche par le trou de la serrure, quand le pre Rouault arriva juste temps pour len empcher, et lui expliqua que la position grave de son gendre ne permettait pas de telles inconvenances. Le cousin, toutefois, cda difficilement ces raisons. En dedans de lui-mme, il accusa le pre Rouault dtre fier, et il alla se joindre dans un coin quatre ou cinq autres des invits qui, ayant eu par hasard plusieurs fois de suite table les bas morceaux des viandes, trouvaient aussi quon les avait mal reus, chuchotaient sur le compte de leur hte et souhaitaient sa ruine mots couverts.

    Madame Bovary mre navait pas desserr les dents de la journe. On ne lavait consulte ni sur la toilette de la bru, ni sur lordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son poux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares Saint-Victor et fuma jusquau jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mlange inconnu la compagnie, et qui fut pour lui comme la source dune considration plus grande encore.

    Charles ntait point de complexion factieuse, il navait pas brill pendant la noce. Il rpondit mdiocrement aux pointes, calembours, mots double entente, compliments et gaillardises que lon se fit un devoir de lui dcocher ds le potage.

  • Le lendemain, en revanche, il semblait un autre homme. Cest lui plutt que lon et pris pour la vierge de la veille, tandis que la marie ne laissait rien dcouvrir o lon pt deviner quelque chose. Les plus malins ne savaient que rpondre, et ils la considraient, quand elle passait prs deux, avec des tensions desprit dmesures. Mais Charles ne dissimulait rien. Il lappelait ma femme, la tutoyait, sinformait delle chacun, la cherchait partout, et souvent il lentranait dans les cours, o on lapercevait de loin, entre les arbres, qui lui passait le bras sous la taille et continuait marcher demi pench sur elle, en lui chiffonnant avec sa tte la guimpe de son corsage.

    Deux jours aprs la noce, les poux sen allrent : Charles, cause de ses malades, ne pouvait sabsenter plus longtemps. Le pre Rouault les fit reconduire dans sa carriole et les accompagna lui-mme jusqu Vassonville. L, il embrassa sa fille une dernire fois, mit pied terre et reprit sa route. Lorsquil eut fait cent pas environ, il sarrta, et, comme il vit la carriole sloignant, dont les roues tournaient dans la poussire, il poussa un gros soupir. Puis il se rappela ses noces, son temps dautrefois, la premire grossesse de sa femme ; il tait bien joyeux, lui aussi, le jour quil lavait emmene de chez son pre dans sa maison, quand il la portait en croupe en trottant sur la neige ; car on tait aux environs de Nol et la campagne tait toute blanche ; elle le tenait par un bras, lautre tait accroch son panier ; le vent agitait les longues dentelles de sa coiffure cauchoise, qui lui passaient quelquefois sur la bouche, et, lorsquil tournait la tte, il voyait prs de lui, sur son paule, sa petite mine rose qui souriait silencieusement, sous la plaque dor de son bonnet. Pour se rchauffer les doigts, elle les lui mettait, de temps en temps, dans la poitrine. Comme ctait vieux tout cela ! Leur fils, prsent, aurait trente ans ! Alors il regarda derrire lui, il naperut rien sur la route. Il se sentit triste comme une maison dmeuble ; et, les souvenirs tendres se mlant aux penses noires dans sa cervelle obscurcie par les vapeurs de la bombance, il eut bien envie un moment daller faire un tour du ct de lglise. Comme il eut peur, cependant, que cette vue ne le rendt plus triste encore, il sen revint tout droit chez lui.

    M. et madame Charles arrivrent Tostes, vers six heures. Les voisins se mirent aux fentres pour voir la nouvelle femme de leur mdecin.

    La vieille bonne se prsenta, lui fit ses salutations, sexcusa de ce que le dner ntait pas prt, et engagea Madame, en attendant, prendre connaissance de sa maison.

    V

    La faade de briques tait juste lalignement de la rue, ou de la route plutt. Derrire la porte se trouvaient accrochs un manteau petit collet, une bride, une casquette de cuir noir, et, dans un coin, terre, une paire de houseaux encore couverts de boue sche. droite tait la salle, cest--dire lappartement o lon mangeait et o

  • lon se tenait. Un papier jaune-serin, relev dans le haut par une guirlande de fleurs ples, tremblait tout entier sur sa toile mal tendue ; des rideaux de calicot blanc, bords dun galon rouge, sentrecroisaient le long des fentres, et sur ltroit chambranle de la chemine resplendissait une pendule tte dHippocrate, entre deux flambeaux dargent plaqu, sous des globes de forme ovale. De lautre ct du corridor tait le cabinet de Charles, petite pice de six pas de large environ, avec une table, trois chaises et un fauteuil de bureau. Les tomes du Dictionnaire des sciences mdicales, non coups, mais dont la brochure avait souffert dans toutes les ventes successives par o ils avaient pass, garnissaient presque eux seuls, les six rayons dune bibliothque en bois de sapin. Lodeur des roux pntrait travers la muraille, pendant les consultations, de mme que lon entendait de la cuisine, les malades tousser dans le cabinet et dbiter toute leur histoire. Venait ensuite, souvrant immdiatement sur la cour, o se trouvait lcurie, une grande pice dlabre qui avait un four, et qui servait maintenant de bcher, de cellier, de garde-magasin, pleine de vieilles ferrailles, de tonneaux vides, dinstruments de culture hors de service, avec quantit dautres choses poussireuses dont il tait impossible de deviner lusage.

    Le jardin, plus long que large, allait, entre deux murs de bauge couverts dabricots en espalier, jusqu une haie dpines qui le sparait des champs. Il y avait au milieu un cadran solaire en ardoise, sur un pidestal de maonnerie ; quatre plates-bandes garnies dglantiers maigres entouraient symtriquement le carr plus utile des vgtations srieuses. Tout au fond, sous les sapinettes, un cur de pltre lisait son brviaire.

    Emma monta dans les chambres. La premire ntait point meuble ; mais la seconde, qui tait la chambre conjugale, avait un lit dacajou dans une alcve draperie rouge. Une bote en coquillages dcorait la commode ; et, sur le secrtaire, prs de la fentre, il y avait, dans une carafe, un bouquet de fleurs doranger, nou par des rubans de satin blanc. Ctait un bouquet de marie, le bouquet de lautre ! Elle le regarda. Charles sen aperut, il le prit et lalla porter au grenier, tandis quassise dans un fauteuil (on disposait ses affaires autour delle), Emma songeait son bouquet de mariage, qui tait emball dans un carton, et se demandait, en rvant, ce quon en ferait ; si par hasard elle venait mourir.

    Elle soccupa, les premiers jours, mditer des changements dans sa maison. Elle retira les globes des flambeaux, fit coller des papiers neufs, repeindre lescalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire ; elle demanda mme comment sy prendre pour avoir un bassin jet deau avec des poissons. Enfin son mari, sachant quelle aimait se promener en voiture, trouva un boc doccasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves et des gardes-crotte en cuir piqu, ressembla presque un tilbury.

    Il tait donc heureux et sans souci de rien au monde. Un repas en tte--tte, une promenade le soir sur la grande route, un geste de sa main sur ses bandeaux, la vue de son chapeau de paille accroch lespagnolette dune fentre, et bien dautres choses encore o Charles navait jamais souponn de plaisir, composaient maintenant

  • la continuit de son bonheur. Au lit, le matin, et cte ct sur loreiller, il regardait la lumire du soleil passer parmi le duvet de ses joues blondes, que couvraient demi les pattes escalopes de son bonnet. Vus de si prs, ses yeux lui paraissaient agrandis, surtout quand elle ouvrait plusieurs fois de suite ses paupires en sveillant ; noirs lombre et bleu fonc au grand jour, ils avaient comme des couches de couleurs successives, et qui plus paisses dans le fond, allaient en sclaircissant vers la surface de lmail. Son il, lui, se perdait dans ces profondeurs, et il sy voyait en petit jusquaux paules, avec le foulard qui le coiffait et le haut de sa chemise entrouvert. Il se levait. Elle se mettait la fentre pour le voir partir ; et elle restait accoude sur le bord, entre deux pots de graniums, vtue de son peignoir, qui tait lche autour delle. Charles, dans la rue, bouclait ses perons sur la borne ; et elle continuait lui parler den haut, tout en arrachant avec sa bouche quelque bribe de fleur ou de verdure quelle soufflait vers lui, et qui voltigeant, se soutenant, faisant dans lair des demi-cercles comme un oiseau, allait, avant de tomber, saccrocher aux crins mal peigns de la vieille jument blanche, immobile la porte. Charles, cheval, lui envoyait un baiser ; elle rpondait par un signe, elle refermait la fentre, il partait. Et alors, sur la grande route qui tendait sans en finir son long ruban de poussire, par les chemins creux o les arbres se courbaient en berceaux, dans les sentiers dont les bls lui montaient jusquaux genoux, avec le soleil sur ses paules et lair du matin ses narines, le cur plein des flicits de la nuit, lesprit tranquille, la chair contente, il sen allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mchent encore, aprs dner, le got des truffes quils digrent.

    Jusqu prsent, quavait-il eu de bon dans lexistence ? tait-ce son temps de collge, o il restait enferm entre ces hauts murs, seul au milieu de ses camarades plus riches ou plus forts que lui dans leurs classes, quil faisait rire par son accent, qui se moquaient de ses habits, et dont les mres venaient au parloir avec des ptisseries dans leur manchon ? tait-ce plus tard, lorsquil tudiait la mdecine et navait jamais la bourse assez ronde pour payer la contredanse quelque petite ouvrire qui ft devenue sa matresse ? Ensuite il avait vcu pendant quatorze mois avec la veuve, dont les pieds, dans le lit, taient froids comme des glaons. Mais, prsent, il possdait pour la vie cette jolie femme quil adorait. Lunivers, pour lui, nexcdait pas le tour soyeux de son jupon ; et il se reprochait de ne pas laimer, il avait envie de la revoir ; il sen revenait vite, montait lescalier ; le cur battant. Emma, dans sa chambre, tait faire sa toilette ; il arrivait pas muets, il la baisait dans le dos, elle poussait un cri.

    Il ne pouvait se retenir de toucher continuellement son peigne, ses bagues, son fichu ; quelquefois, il lui donnait sur les joues de gros baisers pleine bouche, ou ctaient de petits baisers la file tout le long de son bras nu, depuis le bout des doigts jusqu lpaule ; et elle le repoussait, demi souriante et ennuye, comme on fait un enfant qui se pend aprs vous.

    Avant quelle se marit, elle avait cru avoir de lamour ; mais le bonheur qui aurait d rsulter de cet amour ntant pas venu, il fallait quelle se ft trompe, songeait-elle. Et Emma cherchait savoir ce

  • que lon entendait au juste dans la vie par les mots de flicit, de passion et divresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres.

    VI

    Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rv la maisonnette de bambous, le ngre Domingo, le chien Fidle, mais surtout lamiti douce de quelque bon petit frre, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid doiseau.

    Lorsquelle eut treize ans, son pre lamena lui-mme la ville, pour la mettre au couvent. Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais, o ils eurent leur souper des assiettes peintes qui reprsentaient lhistoire de mademoiselle de la Vallire. Les explications lgendaires, coupes et l par lgratignure des couteaux, glorifiaient toutes la religion, les dlicatesses du cur et les pompes de la Cour.

    Loin de sennuyer au couvent les premiers temps, elle se plut dans la socit des bonnes surs, qui, pour lamuser, la conduisaient dans la chapelle, o lon pntrait du rfectoire par un long corridor. Elle jouait fort peu durant les rcrations, comprenait bien le catchisme, et cest elle qui rpondait toujours M. le vicaire dans les questions difficiles. Vivant donc sans jamais sortir de la tide atmosphre des classes et parmi ces femmes au teint blanc portant des chapelets croix de cuivre, elle sassoupit doucement la langueur mystique qui sexhale des parfums de lautel, de la fracheur des bnitiers et du rayonnement des cierges. Au lieu de suivre la messe, elle regardait dans son livre les vignettes pieuses bordes dazur, et elle aimait la brebis malade, le Sacr-Cur perc de flches aigus, ou le pauvre Jsus, qui tombe en marchant sur sa croix. Elle essaya, par mortification, de rester tout un jour sans manger. Elle cherchait dans sa tte quelque vu accomplir.

    Quand elle allait confesse, elle inventait de petits pchs afin de rester l plus longtemps, genoux dans lombre, les mains jointes, le visage la grille sous le chuchotement du prtre. Les comparaisons de fianc, dpoux, damant cleste et de mariage ternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de lme des douceurs inattendues.

    Le soir, avant la prire, on faisait dans ltude une lecture religieuse. Ctait, pendant la semaine, quelque rsum dHistoire sainte ou les Confrences de labb Frayssinous, et, le dimanche, des passages du Gnie du christianisme, par rcration. Comme elle couta, les premires fois, la lamentation sonore des mlancolies romantiques se rptant tous les chos de la terre et de lternit ! Si son enfance se ft coule dans larrire-boutique dun quartier marchand, elle se serait peut-tre ouverte alors aux envahissements lyriques de la nature, qui, dordinaire, ne nous arrivent que par la traduction des crivains. Mais elle connaissait trop la campagne ; elle savait le blement des troupeaux, les laitages, les charrues. Habitue

  • aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidents. Elle naimait la mer qu cause de ses temptes, et la verdure seulement lorsquelle tait clairseme parmi les ruines. Il fallait quelle pt retirer des choses une sorte de profit personnel ; et elle rejetait comme inutile tout ce qui ne contribuait pas la consommation immdiate de son cur, tant de temprament plus sentimentale quartiste, cherchant des motions et non des paysages.

    Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler la lingerie. Protge par larchevch comme appartenant une ancienne famille de gentilshommes ruins sous la Rvolution, elle mangeait au rfectoire la table des bonnes surs, et faisait avec elles, aprs le repas, un petit bout de causette avant de remonter son ouvrage. Souvent les pensionnaires schappaient de ltude pour laller voir. Elle savait par cur des chansons galantes du sicle pass, quelle chantait demi-voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prtait aux grandes, en cachette, quelque roman quelle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-mme avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce ntaient quamours, amants, amantes, dames perscutes svanouissant dans des pavillons solitaires, postillons quon tue tous les relais, chevaux quon crve toutes les pages, forts sombres, troubles du cur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne lest pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. Pendant six mois, quinze ans, Emma se graissa donc les mains cette poussire des vieux cabinets de lecture. Avec Walter Scott, plus tard, elle sprit de choses historiques, rva bahuts, salle des gardes et mnestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces chtelaines au long corsage, qui, sous le trfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, regarder venir du fond de la campagne un cavalier plume blanche qui galope sur un cheval noir. Elle eut dans ce temps-l le culte de Marie Stuart, et des vnrations enthousiastes lendroit des femmes illustres ou infortunes. Jeanne dArc, Hlose, Agns Sorel, la belle Ferronnire et Clmence Isaure, pour elle, se dtachaient comme des comtes sur limmensit tnbreuse de lhistoire, o saillissaient encore et l, mais plus perdus dans lombre et sans aucun rapport entre eux, saint Louis avec son chne, Bayard mourant, quelques frocits de Louis XI, un peu de Saint-Barthlemy, le panache du Barnais, et toujours le souvenir des assiettes peintes o Louis XIV tait vant.

    la classe de musique, dans les romances quelle chantait, il ntait question que de petits anges aux ailes dor, de madones, de lagunes, de gondoliers, pacifiques compositions qui lui laissaient entrevoir, travers la niaiserie du style et les imprudences de la note, lattirante fantasmagorie des ralits sentimentales. Quelques-unes de ses camarades apportaient au couvent les keepsakes quelles avaient reus en trennes. Il les fallait cacher, ctait une affaire ; on les lisait au dortoir. Maniant dlicatement leurs belles reliures de satin, Emma fixait ses regards blouis sur le nom des auteurs inconnus qui

  • avaient sign, le plus souvent, comtes ou vicomtes, au bas de leurs pices.

    Elle frmissait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait demi pli et retombait doucement contre la page. Ctait, derrire la balustrade dun balcon, un jeune homme en court manteau qui serrait dans ses bras une jeune fille en robe blanche, portant une aumnire sa ceinture ; ou bien les portraits anonymes des ladies anglaises boucles blondes, qui, sous leur chapeau de paille rond, vous regardent avec leurs grands yeux clairs. On en voyait dtales dans des voitures, glissant au milieu des parcs, o un lvrier sautait devant lattelage que conduisaient au trot deux petits postillons en culotte blanche. Dautres, rvant sur des sofas prs dun billet dcachet, contemplaient la lune, par la fentre entrouverte, demi drape dun rideau noir. Les naves, une larme sur la joue, becquetaient une tourterelle travers les barreaux dune cage gothique, ou, souriant la tte sur lpaule, effeuillaient une marguerite de leurs doigts pointus, retrousss comme des souliers la poulaine. Et vous y tiez aussi, sultans longues pipes, pms sous des tonnelles, aux bras des bayadres, djiaours, sabres turcs, bonnets grecs, et vous surtout, paysages blafards des contres dithyrambiques, qui souvent nous montrez la fois des palmiers, des sapins, des tigres droite, un lion gauche, des minarets tartares lhorizon, au premier plan des ruines romaines, puis des chameaux accroupis ; le tout encadr dune fort vierge bien nettoye, et avec un grand rayon de soleil perpendiculaire tremblotant dans leau, o se dtachent en corchures blanches, sur un fond dacier gris, de loin en loin, des cygnes qui nagent.

    Fin de l'extrait de ce livre Kindle.

    Vous avez apprci l'extrait ? L'acheter maintenant

    ou Voir la page dtaille ce livre dans la boutique Kindle

    javascript:jQuery('#sitbReaderCart-form').submit()http://www.amazon.com/kindle/dp/B005R3Y6YQ