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A century of Swiss public policies for sports development Jean-Loup Chappelet IDHEAP Swiss Graduate School of Public Administration Abstract Swiss public policies for sports development have grown slowly but surely since 1874, when gymnastics was introduced within Federal military law: one of the earliest cases of including "sport" in the national legislation of a European country. Over the 20 th century, and although the notion of “sport” evolved considerably, the Swiss Confederation, its Cantons and its municipalities progressively introduced public policies for the development of sport as a tool for physical education, health, social integration and economic development. This paper shows how sport moved – particularly over the last twenty five year – from a purely private endeavour to a socio-political phenomenon that has involved all levels of government in Switzerland to an ever-increasing extent. It concludes by calling for more research on Swiss public sport policies and for charting some possible directions for the future. Alors que l’analyse des politiques publiques s’est bien établie depuis un quart de siècle en Suisse et que le phénomène sportif s’est considérablement renforcé durant cette même période, l’étude scientifique des politiques publiques sportives helvétiques reste à ce jour quasi inexistante. Pourtant, comme nous allons le découvrir, la Confédération se préoccupe des activités physiques et sportives depuis 1874 et a considérablement accru son effort dans ce domaine depuis les années 1970, tout comme d’ailleurs les cantons et les communes. A quoi ce désintérêt de l’analyse politique est-il dû ? D’abord sans doute à un certain mépris historique des politologues pour le sport, la grande exception francophone étant Jean Meynaud, professeur à l’Université de Lausanne, qui publia en 1966 un des premiers ouvrages sur ce thème (Meynaud 1966). Mais il faut aussi reconnaître que ces politiques sportives ne sont apparues que lentement et timidement en Suisse par rapport à d’autres pays européens et ont donc laissé le champ libre pour analyse à d’autres politiques publiques apparemment plus importantes. Il 1

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A century of Swiss public policies for sports development

Jean-Loup ChappeletIDHEAP Swiss Graduate School of Public Administration

Abstract

Swiss public policies for sports development have grown slowly but surely since 1874, when gymnastics was introduced within Federal military law: one of the earliest cases of including "sport" in the national legislation of a European country. Over the 20th century, and although the notion of “sport” evolved considerably, the Swiss Confederation, its Cantons and its municipalities progressively introduced public policies for the development of sport as a tool for physical education, health, social integration and economic development. This paper shows how sport moved – particularly over the last twenty five year – from a purely private endeavour to a socio-political phenomenon that has involved all levels of government in Switzerland to an ever-increasing extent. It concludes by calling for more research on Swiss public sport policies and for charting some possible directions for the future.

Alors que l’analyse des politiques publiques s’est bien établie depuis un quart de siècle en Suisse et que le phénomène sportif s’est considérablement renforcé durant cette même période, l’étude scientifique des politiques publiques sportives helvétiques reste à ce jour quasi inexistante. Pourtant, comme nous allons le découvrir, la Confédération se préoccupe des activités physiques et sportives depuis 1874 et a considérablement accru son effort dans ce domaine depuis les années 1970, tout comme d’ailleurs les cantons et les communes. A quoi ce désintérêt de l’analyse politique est-il dû ? D’abord sans doute à un certain mépris historique des politologues pour le sport, la grande exception francophone étant Jean Meynaud, professeur à l’Université de Lausanne, qui publia en 1966 un des premiers ouvrages sur ce thème (Meynaud 1966). Mais il faut aussi reconnaître que ces politiques sportives ne sont apparues que lentement et timidement en Suisse par rapport à d’autres pays européens et ont donc laissé le champ libre pour analyse à d’autres politiques publiques apparemment plus importantes. Il y a trente ans, peu d’élus ou de fonctionnaires auraient admis que le sport était une affaire politique, l’utopie étant plutôt de le tenir le plus possible à l’écart de la sphère publique. Aujourd’hui, la dimension politique du sport est reconnue et les politiques sportives suisses ont atteint leur maturité.

Cet article se propose donc de montrer l’émergence en Suisse, durant les vingt-cinq dernières années, de ces politiques de développement1 du sport et leurs liens avec d’autres politiques publiques classiques comme celles de l’éducation, de la santé ou de l’aménagement du territoire. Ce faisant il espère susciter l’intérêt de chercheurs pour ces « nouvelles » politiques au niveau fédéral, cantonal et communal qui posent aussi des questions politiques et managériales de mise en œuvre et d’évaluation passionnantes, relevant parfaitement du champ de l’administration publique (cf. par exemple, Girginov 2008).

1 Dans les documents de la Confédération, on parle plus de « promotion » du sport que de « développement du sport ».

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Après avoir brièvement retracé la genèse des politiques suisses de développement du sport dans une première partie (section 1), la base légale actuelle de l’intervention étatique dans le sport sera présentée (section 2). Nous nous concentrerons ensuite (section 3) sur les années 1980 et 1990 qui ont vu se transformer considérablement l’arrangement politico administratif du sport suisse (Knoepfel et al 2001) tant du point de vue public que parapublic. La section 4 analysera la situation résultant du « Concept du Conseil fédéral pour une politique du sport en Suisse » adopté en 2000 et de son plan d’action subséquent. L’article se conclura sur des pistes possibles d’analyse plus approfondies de ces politiques du sport au vu des théories disponibles et des besoins pour l’action publique.

Genèse des politiques publiques suisse de développement du sport

La première moitié du XIXe siècle marque en Suisse le début d’une institutionnalisation de certaines formes d’activités physiques. La Société suisse des carabiniers est fondée en 1824 et la Société fédérale de gymnastique en 1832. Ces deux associations ont des buts plus patriotiques et civiques que sportifs, comme d’ailleurs le Club alpin suisse créé en 1863, mais elles sont historiquement importantes (Marcacci 2006). Parallèlement, l’apparition de l’école publique pendant la Régénération (1830-1848) favorise la diffusion cantonale de la gymnastique et de l’éducation physique sous l’influence des idées de Rousseau et Pestalozzi, mais surtout grâce aux écrits d’Adolphe Spiess (1810-1858) et à son activité de maître enseignant dans le canton de Bâle (Pieth 1979).

Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, la gymnastique se développe beaucoup en Suisse alémanique sous l’influence de l’Allemagne (Mouvement du Turnverein). Beaucoup voit en ce mouvement une des causes de l’unification allemande et de la victoire de la Prusse sur la France en 1870 à Sedan (Burgener 1970). En 1874, à l’occasion d’une révision de la constitution, le Conseil fédéral fait voter dans la loi sur l’organisation militaire un article 81 qui charge les cantons d’assurer aux garçons de 10 à 20 ans des cours de gymnastique préparatoire au service militaire. Ces cours doivent être donnés par les régents (instituteurs) qui reçoivent une instruction appropriée à cet effet dans les écoles de recrues fédérales et les écoles normales des cantons. La Confédération prévoit d’adjoindre à ces cours des exercices de tir pour les jeunes hommes de 18 à 20 ans. L’application de ces prescriptions se heurte à de grandes difficultés du fait d’un recouvrement de compétences entre la Confédération (chargée du militaire) et les cantons (chargés de l’éducation). Aucune ordonnance d’exécution ne fut établie (CF 1971). Toutefois une Commission fédérale de gymnastique (CFG) consultative fut créée en 1874 pour élaborer des manuels d’enseignement fédéraux et pour conseiller le Département militaire sur l’évolution des exercices physiques.

À part la gymnastique et le tir, les sports modernes arrivent en Suisse sous l’influence des écoles anglaises et des touristes britanniques, notamment en Suisse romande (Morath 1996). Le premier football club suisse est fondé en 1872 à Saint-Gall, puis suivent les fédérations nationales de cyclisme (1883), d’aviron (1886), de football et d’athlétisme (1895), de tennis (1896), de golf (1898) et d’équitation (1900). Il s’agit d’organisations regroupant des clubs aux buts exclusivement sportifs et calqués sur le modèle anglais : compétitions et/ou loisirs (Marcacci 2006).

Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que les dispositions fédérales concernant la gymnastique puissent être pleinement appliquées et s’ouvrent progressivement à d’autres sociétés que celles de gymnastique. La révision de la loi sur l’organisation militaire de 1907 rend obligatoire l’enseignement de la gymnastique à l’école et précise que la Confédération

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institue des cours de maîtres de gymnastique (article 102) ; elle encourage également toutes les « associations… poursuivant le développement corporel des jeunes gens après la sortie de l’école et leur préparation au service militaire » et forme des moniteurs à cet effet (article 103) ; enfin elle subventionne partiellement d’autres institutions ayant pour but le développement des aptitudes militaires (article 126). Les activités physiques et sportives à l’école et après l’école faisaient ainsi leur entrée dans la politique fédérale au travers de la politique militaire quoique fortement influencée par les pédagogues membres de la CFG (CF 1971).

On n’emploie pas encore le mot de sport. Il faudra attendre 1930, pour que la CFG devienne la Commission fédérale de gymnastique et de sport. Entre temps, le mouvement sportif associatif se structure. Le Comité olympique suisse (COS) est fondé en 1912 sous impulsion romande pour regrouper les fédérations de sports au programme des Jeux olympiques (sauf la société fédérale de gymnastique qui préfère rester à l’écart) et pour faciliter la participation des athlètes helvétiques à ces Jeux. Comme une réplique, dix ans plus tard, l’Association nationale d’éducation physique (ANEP) est fondée sur proposition de la CFG pour regrouper toutes les fédérations nationales (y compris les non olympiques) et aplanir les divergences entre gymnastique populaire (on dirait aujourd’hui sport pour tous), sports modernes (de compétition) et sport éducatif. Dès 1938, l’ANEP obtient un financement sûr en recevant environ un quart des bénéfices de la Société du Sport-Toto, association fondée à cette époque par les cantons pour gérer les paris sportifs, les trois autres quarts leur revenant en vertu de leurs compétences légales en matière de loteries.

Ces bénéfices de plus en plus importants allaient permettre le développement des premières politiques sportives cantonales et surtout communales au travers des fonds cantonaux du Sport-Toto qui s’élèvent globalement à environ 1,6 milliard de 1938 à 1998 (Kennel 1999). En effet, ces fonds servirent essentiellement à subventionner les clubs et leurs équipements, ainsi qu’à financer des installations sportives dans la grande majorité des communes dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Jusque là ce n’étaient que les villes les plus importantes qui avaient pu construire de telles installations, au prix parfois de débats politiques houleux. A Lausanne, par exemple, une municipalité progressiste élue en 1933 fait de la mise à disposition d’infrastructures sportives populaires et de subventions aux sociétés locales une des priorités de sa législature (piscine de Bellerive, patinoire de Montchoisi, vélodrome de la Pontaise).

A la suite des succès sportifs allemands aux Jeux de Berlin, en 1936, et à l’instigation de parlementaires fédéraux pleinement soutenus par les milieux gymniques et sportifs, le Conseil fédéral propose de rendre obligatoire pour les garçons une instruction préparatoire au service militaire basée sur des activités physiques et sportives après l’école. Mais cette loi est repoussée en 1940 à la suite d’un référendum lancé par les milieux confessionnels et le scoutisme qui ne voulaient pas d’une mainmise militaire sur le sport. Le Conseil fédéral décide néanmoins une année plus tard, grâce aux pleins pouvoirs attribués pour la guerre, de réviser une ordonnance de 1929. Il rend ainsi obligatoires trois heures de gymnastique par semaine à l’école obligatoire et, au-delà, propose une instruction préparatoire volontaire. Il créé finalement, en 1944, une Ecole fédérale de gymnastique et de sport (EFGS) qu’il localise sur la frontière des langues, à Macolin (BE). Cette école civile destinée à former des maîtres d’éducation physique et de sport pour les cantons restera néanmoins rattachée au Département militaire jusqu’en 1981, avant de rejoindre celui de l’intérieur de 1981 à 1997. Dès sa fondation, « Macolin » servira de référent dans l’administration fédérale pour toutes les

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questions sportives, ceci sous la haute surveillance de la Commission fédérale de gymnastique et de sport.

La base légale actuelle des politiques suisses de développement du sport

Dans les années 1950 et 1960, alors que le sport commençait à devenir un phénomène social de masse et touchait bien plus que la question militaire, l’action publique fédérale en la matière était toujours basée sur la loi militaire de 1907 et les ordonnances subséquentes, révisées pour la dernière fois en 1947. Il devint ainsi de plus en plus évident qu’une base légale plus forte et surtout plus appropriée devenait nécessaire pour couvrir l’intégralité des activités de la Confédération et des cantons relatives au sport. D’ailleurs diverses interventions parlementaires le demandaient (CF 1969). Comme le sport touchait à l’éducation et à la santé publiques, deux compétences traditionnellement cantonales, il était nécessaire de passer par une modification constitutionnelle.

En 1970, après une procédure de consultation commencée six ans plus tôt, le Conseil fédéral propose donc au peuple et aux cantons un article constitutionnel sur l’encouragement de la gymnastique et du sport. Celui-ci est voté à une large majorité sous le numéro 27quinquies. Il institue que : «  1) La Confédération a le droit d’édicter des prescriptions sur la pratique de la gymnastique et des sports par la jeunesse. Elle peut, par une loi, rendre obligatoire l’enseignement de la gymnastique et des sports dans les écoles. Il appartient aux cantons d’appliquer les prescriptions fédérales dans les écoles. 2) Elle encourage la pratique de la gymnastique et des sports chez les adultes. 3) Elle entretient une école de gymnastique et des sports. 4) Les cantons et les organisations intéressées seront consultés lors de l’élaboration des lois d’exécution. »

Près de trente ans plus tard, en 1999, à l’occasion de la révision totale de la constitution, la gymnastique disparaît du texte et les sports passent au singulier. L’article est ainsi reformulé de façon beaucoup plus claire sous le numéro 68 (juste avant celui sur la culture) : « 1) La Confédération encourage le sport, en particulier la formation au sport. 2) Elle gère une école de sport. 3) Elle peut légiférer sur la pratique du sport par les jeunes et déclarer obligatoire l’enseignement du sport dans les écoles. »

Les motifs invoqués par le Conseil fédéral en 1969 pour l’adoption de cet article constitutionnel sont, dans l’ordre : la santé publique, la défense militaire, l’éducation générale, l’organisation judicieuse des loisirs, la représentation honorable de la Suisse dans les compétitions internationales (CF 1969).

En 1972, très rapidement après l’adoption de l’article 27quinquies, une loi fédérale encourageant la gymnastique et les sports (LEGS) est votée. Elle précise les missions de l’EFGS de Macolin et de la CFGS. Au travers de cinq chapitres principaux, elle institue trois politiques publiques sectorielles et deux politiques publiques transversales (Blanc 1997). Les politiques sectorielles ont pour bénéficiaires les écoliers, les jeunes et les sportifs adultes. Elles concernent : 1) l’éducation physique obligatoire à l’école en coopération avec les cantons ; 2) le sport facultatif hors l’école au travers de cours pour les garçons et les filles assurés par des moniteurs (politique de loin la plus importante et qui sera baptisée « Jeunesse+Sport) ; 3) le sport des adultes par le subventionnement des associations sportives nationales. Les politiques transversales concernent les installations sportives et la recherche scientifique sur le sport. Le tableau 1 montre les moyens financiers affectés à ces différentes politiques au fil des années (sauf installations : voir plus loin) via le budget de l’EFGS (Baumgartner 1999).

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Tableau 1 – Montants affectés aux politiques publiques sportives fédéralesEn millions de CHF 1972 1980 1990 1999*Subventions pour l’éducation physique à l’école

0,65 2,33 0,74 0,67

Jeunesse+Sport 6,08 19,44 31,84 51,91Subventions aux fédérations nationales et ASS/AOS

1,33 3,70 3,78 4,21

Recherche scientifique 0 0,08 0,16 0,38*Dernière année de fonctionnement de l’EFGS avant son inclusion dans l’OFSPO

La LEGS sera remaniée à cinq reprises de 1984 à 2000 (voir section ci-dessous) pour tenir compte des évolutions du sport (comme le dopage) et pour étendre les compétences fédérales (notamment dans le sport hors l’école). Il est actuellement envisagé de la réviser complètement. Avec ses ordonnances fédérales, elle constitue la base quasi unique des politiques publiques sportives en Suisse. Il s’agit d’une législation non interventionniste typique des pays européens du nord selon la classification établie par Chaker (1999) dans une étude sur une vingtaine d’Etats membres du Conseil de l’Europe. A la suite de la LEGS, la plupart des cantons ont adopté des lois d’exécution notamment pour le sport à l’école et Jeunesse+Sport. Ces législations ont induits autant de politiques cantonales.

Ces politiques sportives fédérales et cantonales se mettent en place en partenariat étroit avec les associations sportives nationales, cantonales et locales. L’ANEP, qui regroupe les associations nationales, se rebaptise Association suisse du sport (ASS) en 1977 et se veut l’interlocuteur vis-à-vis de la Confédération du sport associatif. Avec le COS et l’EFGSM, elle avait créé, en 1966, le Comité national du sport d’élite (CNSE) pour mettre sur pied une formation d’entraîneur national en partageant coûts et compétences. Plusieurs autres programmes sportifs au niveau fédéral ou cantonal ont été ainsi réalisés sur la base de partenariats publics-associatifs, notamment pour la mise en œuvre de la politique du sport des adultes (Blanc 1997).

Les années 1980 et 1990

Les années 1980 et 1990 constituent un tournant capital pour les politiques suisses de développement (promotion) du sport dans la mesure ou l’arrangement politico administratif est bouleversé par la disparition, création ou transformation de plusieurs institutions sportives tant publiques qu’associatives. Elles marquent aussi un intérêt accru des politiciens qui se traduit, par exemple, par une inflation des interventions des parlementaires fédéraux sur le sujet. On constate aussi une augmentation importante des dépenses de la Confédération pour le sport qui passent de 48 millions en 1980 à 134 millions en 2000 (AFF 2003).

Au niveau fédéral, l’EFGS est transférée au Département de l’intérieur à partir de 1984 malgré l’opposition du conseiller fédéral alors à la tête du Département militaire. Ce passage permet au sport de se dégager de l’emprise de l’armée et de se rapprocher des offices chargés de la santé et de l’éducation. L’année suivante, un nouveau directeur est nommé en la personne de Heinz Keller, un enseignant de l’EPFZ, qui restera à son poste pendant vingt ans et marquera de son empreinte les politiques sportives suisses (Keller 2005). En 1988, l’EFGS devient l’Ecole fédérale de sport de Macolin (EFSM) abandonnant, comme la CFGS une année plus tard, toute référence à la gymnastique qui devient un sport comme les autres.

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Durant le mandat de Heinz Keller, le budget de l’EFSM sera plus que doublé au fur et à mesure que l’école développe ses programmes et que de nouvelles tâches lui sont confiées. Ainsi Jeunesse+Sport voit sa direction se renforcer, son offre de cours augmenter, l’âge des bénéficiaires passer de 14-20 ans à 10-20 ans, le nombre de branches sportives s’étendre, etc. Le sport des apprentis et celui des aînés doivent être pris en compte à la suite de nouvelles ordonnances fédérales. Un CFC de sportif doit être mis sur pied, ainsi qu’une école de recrue pour sportifs d’élite. L’EFSM est chargée des débuts de la lutte contre le dopage en Suisse. Le centre sportif de la jeunesse de Tenero, annexe tessinoise de l’école, s’agrandit. Plusieurs nouvelles installations sont érigées sur le site de Macolin. L’Ecole gère aussi tout un secteur de conseils et normes pour la construction d’installations sportives. Elle est chargée d’examiner les demandes de garanties de déficit des grandes manifestations sportives pour le Conseil fédéral, tout comme de préparer les réponses aux interventions parlementaires. Son directeur représente la Suisse au Conseil de l’Europe lors des discussions sur les conventions contre le dopage et la violence dans les stades qui seront ratifiées par la Suisse.

En 1991, à l’occasion du 700e anniversaire de la Confédération, l’EFSM, la CFS, le COS et l’ASS créent la Communauté de travail « Sport Suisse » (SPO-CH) pour mieux coordonner les tâches des principaux acteurs publics et privés du sport suisse. Cette communauté élabore et présente lors d’un symposium à Macolin seize « Postulats relatifs au sport suisse » (EFSM 1991). Ces postulats réaffirment la place du sport comme culture contribuant au développement humain et le rôle fondamental des sociétés sportives, tout en soulignant le besoin de maintenir et développer les divers domaines sportifs soutenus par des politiques fédérales et cantonales. Ils sont les prémisses d’un véritable programme politique du sport suisse et soulignent l’amalgame organisationnel (Germann 1987) sur lequel il repose.

A la suite des mauvais résultats des athlètes suisses aux Jeux olympiques d’hiver d’Albertville et d’été de Barcelone, cet enchevêtrement des responsabilités commence à être remis en cause, notamment du côté associatif. Un groupe de travail est formé et il aboutit, en 1996, à la fusion du COS, de l’ASS et du CNSE en une seule structure baptisée Association olympique suisse (AOS) qui sert désormais à la fois de confédération des fédérations nationales, structure faîtière chargée de représenter le mouvement sportif associatif, et de comité national olympique, organisme chargé de préparer une équipe suisse pour les Jeux. A partir de là, les résultats olympiques des athlètes suisses seront bien meilleurs sans qu’il soit possible de l’attribuer entièrement à cette fusion. L’AOS prendra le nom de Swiss Olympic en 1999 pour mieux communiquer dans les trois régions linguistiques à l’instar de nombreuses fédérations nationales qui adopteront aussi des noms en anglais. Swiss Olympic est financé pour l’essentiel par le quart des bénéfices du Sport-Toto, par une subvention de la Confédération et par les revenus du marketing des anneaux olympiques en Suisse.

En 1997, malgré l’opposition de son directeur et de la plupart de son personnel, l’EFSM se retrouve à nouveau avec les militaires lors d’une réorganisation de l’administration fédérale et une redistribution des départements. Elle est rattachée au nouveau Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) créé sur mesure pour le conseiller fédéral A. Ogi, ancien directeur de la Fédération suisse de ski. Cette entrée du sport (curieusement au pluriel) dans le nom d’un département fédéral marque néanmoins la reconnaissance de l’importance du phénomène par les pouvoirs publics suisses. Deux années plus tard, le Conseil fédéral transforme l’EFSM en Office fédéral du sport (OFSPO) pour officialiser l’ensemble des tâches politiques qu’elle accomplissait depuis de longues années pour le gouvernement. L’école proprement dite devient une division de l’OFSPO à laquelle est incorporé l’Institut de sciences du sport qui conduisait la politique de recherche

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scientifique mandatée par la LEGS. En même temps, l’EFSM devient une haute école spécialisée (HES) rattachée à la Berner Fachhoschule avec le nom de Haute école fédérale de sport Macolin (HEFSM) pour lui permettre de s’intégrer dans le système universitaire suisse.

A l’instar de la Confédération, quelques cantons incorporent le sport dans l’appellation de leurs départements, comme celui d’Argovie ou celui du Valais avec son Département de l’éducation, de la culture et du sport (dès 1997) qui vise les Jeux d’hiver à Sion en 2002 puis 2006 avec des garanties de déficit fédérales, cantonales et communales (Chappelet 1999). Les années 1980-1990 voient aussi apparaître dans une vingtaine de cantons (BADAC 2001) des offices ou services cantonaux spécialisés au sein d’un département dirigé par un conseiller d’état, par exemple dans le canton de Vaud, le Service de l’éducation physique et du sport rattaché successivement à l’instruction publique, puis aux institutions et relations extérieures, et aujourd’hui à l’économie. Depuis 1995, les chefs de ces services ou offices constituent la Conférence des répondants cantonaux du sport qui a été reconnue par la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique.

Au-delà des cinq politiques publiques mandatées par la loi fédérale (voir ci-dessus), on voit apparaître au cours des années charnières 1980-1990 au moins trois autres politiques réalisées en partenariat avec des organismes publics ou privés : la lutte contre le dopage, la formation des maîtres en éducation physique, l’aide à la construction d’installations sportives d’importance nationale. Ces nouvelles politiques publiques sont brièvement présentées ci-dessous.

Avec le développement du dopage dans les années 1970 et 1980, l’EFSM met en place un laboratoire de contrôle antidopage pour tester les échantillons suisses. Il est néanmoins fermé en 1986 faute de moyens pour le maintenir à un niveau international. La Confédération se concentre dès lors sur la prévention contre le dopage. Un laboratoire se développe néanmoins dans le cadre de l’Université de Lausanne grâce à des fonds cantonaux et atteint une réputation mondiale. En 2000, la LEGS est complétée (article 11) pour interdire le dopage aux athlètes et condamner pénalement leurs pourvoyeurs, sous la responsabilité des cantons. (Jusqu’alors seul le dopage des chevaux était interdit par la loi sur la protection des animaux !) Swiss Olympic se charge des sanctions sportives et établit à cet effet une Commission technique indépendante élue par l’assemblée générale de cet organe faîtier et un règlement (Statut concernant le dopage). Il s’agit donc là d’un partenariat Etat-Mouvement sportif pour le contrôle du dopage que l’on retrouve au niveau international avec l’Agence mondiale antidopage (Chappelet 2002).

La formation des maîtres de gymnastique était une des tâches originelles de l’EFGM. Mais avec l’obligation légale d’assurer des heures de gymnastique au primaire et secondaire, quatre universités cantonales (Bâle, Berne, Genève, Lausanne) et l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich mettent sur pied, dans les années 1970-1980, des formations pour futurs enseignants en éducation physique et sportive (EPS). En 1984, un article est ajouté à la LEGS pour fixer les exigences minimales pour leur formation. A part l’EPFZ qui abandonne la formation de base dans cette branche, ces diplômes sont progressivement transformés en licences universitaires (et aujourd’hui en bachelor et master) dans le cadre d’instituts de sciences du sport rattachés à une faculté (médecine ou sciences sociales). Un réseau de ces instituts est créé par l’EFSM pour coordonner les études d’EPS en Suisse. Les universités de Fribourg, Neuchâtel et St-Gall le rejoignent, ainsi que la conférence des hautes écoles pédagogiques. On voit là ce mettre en place un partenariat Confédération-Canton dans le cadre du nouveau paysage universitaire.

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La construction d’installations sportives d’importance nationale et régionale était une priorité des années 1980-1990 et la Confédération y contribua de façon subsidiaire, comme le prévoyait la LEGS, à raison de 33 millions pour la période 1974-1983. Dès 1984 ces contributions furent supprimées par mesure d’économie et aussi car elles servaient surtout à des projets locaux sans envergure. Après une première tentative infructueuse, le Conseil fédéral adopte en 1996 une « Conception des installations sportives d’importance nationale » (CISIN) dans le cadre de la loi sur l’aménagement du territoire (article 13). Le parlement vote une première tranche de 60 millions en 1998, puis de 20 millions en 2000 pour réaliser cette conception. Elle prévoit que la Confédération peut contribuer de 15 à 20% des fonds nécessaires à des installations identifiées par Macolin comme importantes pour le pays sur la base d’un inventaire de l’existant. Les autres contributeurs sont les cantons, les communes, ainsi que des organisations sportives, voire des promoteurs privés. C’est ainsi que les stades de football de Bâle, Berne, Genève et Zurich purent être construits ou rénovés en vue de l’Euro 2008, tout comme le centre mondial du cyclisme à Aigle, le centre polysportif de Suisse orientale à St-Gall, le centre national de natation de Gotteron-Village à Fribourg et les centres nationaux de sports de glace de Champéry et Davos pour ne parler que de ceux qui ont eu les financement fédéraux les plus importants. Ces constructions et leur exploitation sont autant de partenariats publics-privés qui permettent la mise en œuvre de cette politique publique de développement des grandes installations sportives. Certains cantons, comme celui de Berne, ont aussi élaboré des conceptions cantonales pour leurs installations.

La situation actuelle des politiques suisses de développement du sport

Comme on l’a vu, la fin du XXe siècle a été particulièrement importante pour la restructuration de l’arrangement politico administratif des politiques suisses du sport. Le début du XXIe siècle a été lui décisif pour l’élaboration et l’adoption d’un plan d’action fédéral sensé fixer les priorités et les moyens. Dès sa création en 1999, l’OFSPO reçoit en effet la mission de préparer un document stratégique qui sera finalement intitulé « Concept du Conseil fédéral pour une politique du sport en Suisse ». Ce concept sera élaboré durant l’année 2000 par un groupe de travail (dont faisait partie l’auteur) et adopté par le gouvernement lors de sa dernière séance de l’année, présidée par le conseiller fédéral Ogi qui avait donné sa démission pour le 31 décembre. Ce dernier avait déjà esquissé ses idées, en 1997, dans une sorte de programme politique rare en Suisse intitulé « Sept champs d’action » (Ogi 1999).

Après avoir rappelé la place prise par le sport dans la vie sociale du pays, les principes de la politique sportive gouvernementale et quelques problèmes pressants en matière d’activités physiques et sportives, le concept du Conseil fédéral fixe cinq objectifs, dans l’ordre (OFSPO 2000) :

- Santé : augmenter la part de la population active sur le plan physique ;- Education : utiliser les possibilités offertes par le sport sur le plan éducatif ;- Performance : soutenir les jeunes talents et le sport d’élite ;- Economie : utiliser le potentiel économique du sport ;- Développement durable : faire du sport un terrain d’apprentissage pour le

développement durable de la société.

Par rapport aux motifs invoqués dans le message du Conseil fédéral de 1969 pour la LEGS (voir ci-dessus), on note que seulement deux (la santé et l’éducation) persistent sous le même intitulé même si le public cible s’élargit à toute la population. La défense et l’organisation des loisirs disparaissent. Par contre le dernier motif du message de 1969 (la représentation

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honorable de la Suisse dans les compétitions internationales) se voit promu au troisième rang sous l’appellation de performance : la Confédération se déclare ainsi prête à vraiment soutenir les meilleurs athlètes au travers de classes de sport-études, d’apprentissages de sportif professionnel, d’un suivi des talents, etc. Les deux derniers objectifs sont totalement nouveaux. La Confédération reconnaît l’apport des grandes manifestations et organisations sportives en Suisse et veut développer une politique coordonnée pour l’accueil de ces dernières. Enfin, au travers du développement durable, la Confédération veut sensibiliser les milieux sportifs à la durabilité, notamment en matière d’utilisation de l’espace et d’organisation de manifestations.

Sur la base de ce concept, l’OFSPO prépare en 2001 et 2002 un plan d’action détaillé en six domaines pour la période législative 2003-2006. Au total, près de CHF 4 millions sont alloués pour la période dont 1,3 million pris sur le budget de l’Office et 2,65 millions provenant de crédits de transfert (OFSPO 2002 : 27). Une évaluation des mesures en cours est faite par le Département (DDPS 2005). Sur cette base, le Conseil fédéral approuve pour la période 2007-2010 un crédit de 3,54 millions pour la poursuite de la mise en œuvre des mesures. Ces moyens sont relativement faibles par rapport aux ambitions affichées, mais constituent néanmoins une augmentation des sommes disponibles dans une période de coupures budgétaires. De plus, un plan directeur de la recherche en « sport et mouvement » est élaboré pour 2004-2007 et approuvé par le Groupement (fédéral) de la science et de la recherche. Inspiré du concept du Conseil fédéral, il pose 19 questions de recherche dont 7 sont déclarées prioritaires par la CFS. Environ 1,35 million est disponible chaque année pour réaliser ce plan dans le cadre du budget de l’OFSPO dont on trouvera le montant des dépenses dans le tableau 2.

Tableau 2 - Dépenses de l’OFSPO depuis sa création selon comptesEn millions CHF

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006(budget)

Fonctionnement 32,3 42,0 44,2 41,8 45,5 49,5 47,7Subventions 77,1 75,9 79,8 91,3 86,8 76,1 70,1Totaux 109,4 117,9 124,0 133,1 132,3 125,6 117,8Sources : AFF, Comptes d’Etat 2000-2005, Budget 2006

Pour avoir une idée complète des montants dépensés par la Confédération en matière de sport, il convient d’ajouter aux totaux du tableau 2 quelques millions par an qui proviennent des dépenses d’autres départements relatives au sport et identifiées par l’Administration fédérale des finances (AFF) : sport pour les apprentis, les militaires, aide au développement, etc.

Le Concept du Conseil fédéral appelle à de nouveaux partenariats pour réaliser les objectifs qu’il fixe pour le sport en Suisse. A titre d’exemple, on peut citer la convention de prestations conclue pour 2004-2007 entre l’OFSPO et Swiss Olympic. Cette association faîtière reçoit ainsi des subventions fédérales qu’elle redistribue aux fédérations nationales au travers de contrats de performance quadriennaux qui commencent à se mettre en place avec certaines fédérations pilotes comme celle de triathlon. Jusqu’alors les subsides étaient versés directement aux fédérations sur proposition de la CFS. Dans un même ordre d’idée, la Société du Sport-Toto se recentre à partir de 2003 sur la répartition des nouvelles subventions destinées au sport provenant des deux loteries supra cantonales (Swisslos et Loterie romande) et sur le partage des bénéfices de ses propres jeux. Cet argent va aux cantons et à Swiss Olympic, ainsi qu’aux associations et ligues nationales de football et de hockey sur glace.

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En plus des associations sportives et autres milieux privés, le Concept du Conseil fédéral sollicite aussi les collectivités territoriales. La moitié des cantons ont déjà élaboré leur propre concept de politique sportive (OFSPO 2006) sous l’égide de leurs services ou offices de sport. Une vingtaine de communes participent comme pilote à la mise en place de « réseaux sportifs locaux » qui visent à faire collaborer tous les partenaires publics et privés d’un lieu autour du développement des activités physiques et sportives. Par ailleurs, l’Association suisse des services de sport (ASSS) regroupe une centaine de villes et communes pour l’échange d’expériences, notamment en matière de construction et gestion des installations. Certaines ont élaboré des documents d’orientation (CCRE 1998) qui parfois prennent le nom de politique du sport et sont adoptés par le législatif communal (par exemple, à Lausanne). Les offices communaux du sport voient en effet leurs tâches se diversifier pour toucher d’autres politiques locales comme le social, les loisirs et le développement territorial (Chappelet 2004).

Quelques communes et cantons suisses ont même mis sur pied des politiques d’accueil systématique d’événements sportifs dans un but touristique et de marketing territorial, à l’instar de nombreuses villes et régions du monde. C’est le cas notamment de Lausanne, capitale olympique, et du canton de Vaud, ainsi que de plusieurs stations de montagne. Il s’agit là de nouvelles politiques publiques (Chappelet 2006). Dans son Concept pour une politique du sport, le Conseil fédéral souhaitait l’élaboration d’une politique nationale coordonnée vis-à-vis des grandes manifestations. Il a modifié en 2004 l’ordonnance permettant l’octroi de garanties de déficit pour ces manifestations afin de permettre des subventionnements directs de leur budget. Il a aussi remanié la réglementation des engagements de l’armée et de la protection civile pour leur permettre d’aider à l’organisation de ces événements. Par contre, la coordination et le suivi des manifestations internationales ont été confiés à un nouveau service de Swiss Olympic qui se contente de les recenser et de donner des informations quant à leur subventionnement. On est très loin d’une politique coordonnée qui est bien sûr difficile à mettre en place dans un pays fédéraliste comme la Suisse, mais que d’autres comme le Canada pratiquent pourtant.

En combinant les trois niveaux d’autorité, on estimait qu’en 2004 les collectivités publiques suisses ont dépensé près d’un milliard de francs : 134 millions provenant de la Confédération + 112 millions des cantons (hors sport scolaire) + 750 millions des communes (hors sport scolaire). Pour une vue d’ensemble des flux financiers complexes du sport en Suisse on peut se reporter à Baumgartner & Ursprung (2004).

Pistes pour l’analyse des politiques publiques suisses de développement du sport

Dans un récent article, Houlihan (2005) souligne que, contrairement à d’autres sciences humaines comme l’histoire, la sociologie ou l’économie, la politologie et plus particulièrement l’analyse des politiques publiques ont été très peu utilisées pour étudier le phénomène sportif. Et ceci malgré l’implication de plus en plus marquée des pouvoirs publics des pays développés dans le sport. Dans son article il examine quatre cadres théoriques pratiqués pour l’analyse d’autres politiques publiques au niveau méso, à savoir : le modèle par étapes, l’analyse institutionnelle, l’approche des courants multiples (Multiple Streams Framework) et la coalition de cause (Advocacy Coalition Framework). Il en conclue que ce dernier cadre légèrement modifié conviendrait parfaitement à l’analyse des politiques publiques du sport. En effet, ce cadre est à la fois englobant, largement appliqué à d’autres politiques publiques et particulièrement intéressé par les changements de politique sur le

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moyen terme, autant de critères importants pour les politiques sportives. Pour le compléter, il propose un ensemble de variables clés pour décrire ces politiques avec des exemples provenant du Royaume-Uni.

Les autres approches ne doivent néanmoins pas être négligées, notamment pour des analyses comparatives. Elles sont d’ailleurs pratiquées par plusieurs auteurs comme Harvey et al (1993), Roche (1993) et Henry (2001). Le modèle par étape a été illustré par Shenk (2005) sur les politiques publiques événementielles suisses qu’il compare avec les politiques de développement économique. D’autres comparaisons sont souhaitables, entre cantons ou de la Suisse avec l’étranger.

Ces diverses approches peuvent être utilisées pour les phases de mise à l’agenda et de conception des politiques, mais aussi pour celles de mise en œuvre et d’évaluation. Il semble que cette dernière phase soit très peu pratiquée pour les politiques publiques sportives suisses, sauf de façon interne – par exemple (DDPS 2005) pour l’évaluation de la mise en œuvre du Concept pour une politique du sport en Suisse – ce qui enlève beaucoup d’intérêt à ces évaluations. Une rare exception concerne l’évaluation d’un projet baptisé « LaOla » visant à prévenir la dépendance envers le tabac, les drogues et l’alcool dans les clubs sportifs (Horber-Papazian & Favre 2003). Il s’agit là d’un projet dans le cadre de l’objectif « éducation » du Concept du Conseil fédéral, réalisé avec le financement et la coopération et de l’Office fédéral de la santé publique. On peut aussi citer la récente évaluation partielle de la CISIN (Junod & Sueur 2006). De nombreux autres projets sportifs conduits par la Confédération, les cantons et les communes pourraient ainsi être évalués pour mieux guider l’action publique.

Après les sciences politiques, le management public ne saurait rester absent de l’étude des politiques publiques du sport et des organisations qui les conduisent (Chalip 1995). L’OFSPO est d’ailleurs un des offices fédéraux pilotes pour la « gestion par mandat de prestations et enveloppe budgétaire » (GMPE) progressivement mise en place dans l’administration fédérale. Plusieurs services cantonaux et offices municipaux ont aussi participé à des démarches de type NPM (New Public Management). Caprara (2000) analyse dans quelle mesure ces nouvelles approches du management public peuvent en général améliorer le développement du sport en Suisse. De telles études sur des cas particuliers pourraient être menées utilement dans divers contextes.

Comme on l’a vu, les installations et manifestations sportives sont devenus un pan important des politiques publiques du sport suisse aux trois niveaux. Les pouvoirs publics investissent des sommes importantes dans ces deux domaines liés (il faut en effet des installations pour tenir des événements sauf ceux sur la route ou dans la nature). Les spécialistes de l’économie publique se posent tout naturellement la question de la rentabilité et de la durabilité de telles dépenses. Il ne s’agit pas uniquement de faire des études d’impact, mais plutôt des analyses coûts-bénéfices (Chappelet 2004). Une première analyse de ce type en Suisse a été faites par Junod et Gigandet (2007) sur le stade St-Jacques à Bâle qui a été construit avec l’aide de la CISIN. Cette arène accueille régulièrement les matchs de football du FC Basel et a été agrandie pour accueillir quatre rencontres de l’Euro 2008, la plus grande manifestation jamais organisée en Suisse. L’analyse conduit à un équilibre favorable seulement si sont pris en comptes les effets d’image, notamment si l’on veut justifier l’agrandissement du stade. D’autres études de ce type sont souhaitables pour éclairer les élus sur l’opportunité d’investissements pour ces constructions ou de subventions à ces manifestations sportives.

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Ce ne sont là que quelques pistes de recherche pratiquées à l’IDHEAP parmi d’autres disponibles, les politiques publiques du sport étant très diversifiées et les approches possibles multiples.

Conclusion

Cet article avait pour but de montrer l’émergence progressive des politiques sportives suisses et la maturité qu’elles atteignent aujourd’hui. D’une politique fédérale ancienne pour la gymnastique préparatoire au service militaire, on est passé à l’introduction avec les cantons de l’éducation physique et sportive à l’école et au sport des jeunes hors l’école, pour arriver présentement à un développement du sport d’élite au niveau national et du sport pour tous dans les communes avec des objectifs de santé publique, de promotion économique et de développement durable. Tous ces objectifs se superposant, on ne peut être que frappé par l’étendue et la diversité que les politiques publiques du sport ont prises à tous les niveaux au XXIe siècle en Suisse comme, de plus longue date, dans la plupart des pays européens. Un tel phénomène ne saurait rester sans analyse. Il constitue un merveilleux champ d’application de cadres théoriques développés pour d’autres secteurs de l’administration publique. Il présente aussi un intérêt particulier car le sport était jusqu’alors un secteur où l’Etat intervenait peu. Nous sommes aussi en présence d’un secteur où les organisations sportives privées mais sans but lucratif jouent un rôle capital et où donc des partenariats public-privé peuvent être naturellement développés. Les politiques sportives nécessitent également une coopération particulière entre Confédération, cantons et communes qui est intéressante du point de vue du fédéralisme. Quelques pistes d’étude ont été proposées dans cet article. Il en existe d’autres encore. Puissent-elles inspirer des étudiants et des chercheurs en Suisse ou ailleurs pour que dans quelques années nous puissions avoir une meilleure compréhension et adéquation du développement du sport par les pouvoirs publics suisses.

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