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Hen L I n t e l l i g e n c e A r t i f i c i e l l e , mais enfin de quoi s’agit-il?

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Hen

L’IntelligenceArtificielle,

mais enfinde quoi s’agit-il?

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L’Intelligence Artificielle,

mais enfin

de quoi s’agit-il?

Des chercheurs de l’IRIT*répondent ...

* Institut de Rechercheen Informatique de Toulouse

Les livrets du Service Culture UPS n°3

Avant-Propos

Petit historique des débuts de l’IA

Dix grands paradigmes de recherche

Représenter l'information, acquérir desconnaissances

Algorithmes généraux de résolution deproblèmes

Intelligence artificielle collective

Formaliser et mécaniser différents types deraisonnement

Evaluer des situations, décider, planifier

Raisonner sur le changement, le temps, etl'espace

Résumer, apprendre, découvrir

Langue et IA: des interrelations étroites

Indexation multimédia et IA

La réalité virtuelle et l'IA

La place de l’IA dans les sciences

IA et mathématiques

IA et informatique

L'IA et les sciences du traitement del'information

Sciences de la cognition et IA

L'IA et la théorie des systèmes symboliques

L’IA, un voyage dans notre culture

Pour conclure… sur une ouverture

Quelques références

Intervenants

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Avant-propos

L’usage de l’expression IntelligenceArtificielle (on utilisera l’abréviation IA dansla suite) s’est largement répandu dans lepublic, au fur et à mesure des progrès de latechnologie informatique et de sapropagation dans les activités humaines.L’IA fait maintenant partie de notre culturecomme en témoignent l’existence denombreux articles, livres, ou films s’yrapportant plus ou moins directement.

Il est vrai que l'expression "intelligenceartificielle" a pu causer quelques malen-tendus, voire déplaire, et peut assurémentêtre interprétée de diverses manières. Eneffet, si chacun peut apprécier les capa-cités toujours plus grandes des machinespour effectuer des calculs numériques oudes opérations symboliques, ou traiter desdocuments, l’idée que la machine pourraitdétenir ne serait-ce que quelques oncesd’intelligence provoque bien naturellementdes questions, des craintes et desfantasmes.

Comme le suggère le rapprochement, qui apu sembler provocateur à certains, desmots "intelligence" et "artificiel", il s'agit deréussir à donner à des machines descapacités leur permettant d'effectuer destâches ou des activités réputées intelligen-tes (car jusqu'à présent uniquement réali-sées par des humains). Une telle définitionreste cependant assez vague car elle nedonne ni une définition de l'intelligence, nimême ne précise la nature des capacitésdont il convient de doter la machine. Ainsi,une machine capable de reclasser dansl'ordre croissant des nombres donnés envrac, ou de résoudre des équations, n'estpas considérée comme intelligente pourautant (même si seulement un petit nom-bre de mathématiciens savent résoudre leséquations considérées !).

Les recherches en IA tendent à rendre lamachine capable d'acquérir de l'informa-tion, de raisonner sur une situation statiqueou dynamique, de résoudre des problèmescombinatoires, de faire un diagnostic, deproposer une décision, un plan d'action,d'expliquer et de communiquer les conclu-sions qu'elle obtient, de comprendre un

texte ou un dialogue en langage naturel, derésumer, d'apprendre, de découvrir. Pource faire, la machine doit être munie deméthodes génériques susceptibles des’adapter à de larges classes de situations.

Même si sur toutes ces questions degrands progrès restent certainement àfaire, de nombreux résultats ont déjà étéobtenus montrant qu'au moins, dans unecertaine mesure, ce programme estréalisable.

Cependant, une machine dotée del'ensemble des fonctionnalités citées plushaut, ces fonctionnalités ayant atteint leurmeilleur niveau d'efficience, serait encoreassez loin de posséder les capacités depenser d'un être humain (même si lamachine s'avérera bien plus performantesur certains registres de tâches qu'un êtrehumain). On pourra consulter l’opuscule dela même série « Les machines pensent-elles » pour une discussion autour de cettequestion.

Par ailleurs, l'IA entretient des échangesfructueux avec les sciences cognitives, car,d'une part elle fournit de nouveaux repères,points de comparaison pour la compré-hension de l'intelligence, et d'autre part ellepeut s'inspirer de ce qu'on sait du fonction-nement du cerveau et de la façon dontl'homme raisonne, même si rien ne dit quel'IA doive copier l'intelligence humaine danstoutes ses manières de procéder (ainsi lesavions volent, quoique différemment desoiseaux !). De plus, puisque la machine doitéchanger ses conclusions avec desusagers, il importe qu'elle puisse s'expri-mer en termes cognitivement significatifspour eux.

L’ambition de ce livret est d’apporter uneimage relativement structurée, concisequoique précise, des préoccupations de larecherche en Intelligence Artificielle (IA)aujourd’hui, au travers de la présentationdes principaux paradigmes (de base ouapplicatifs) qu’elle étudie, et d'indiquer saplace vis-à-vis des autres disciplinesscientifiques, et l’évolution de sa présencedans les productions culturelles.

Henri Prade

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Petit historique

des débuts de l’IA

L’acte de naissance de l’IntelligenceArtificielle (IA) correspond à un programmede rencontres organisées à DartmouthCollege (Hanover, New Hampshire, USA)pendant l'été 1956, à l'initiative notammentde deux jeunes chercheurs qui, dans desregistres différents, allaient fortement mar-quer le développement de la discipline :John McCarthy et Marvin Minsky, le pre-mier défendant une vision purementlogique de la représentation des connais-sances, le second privilégiant l'usage dereprésentations structurées (appelées enanglais 'frames') de stéréotypes de situa-tions pouvant inclure différents typesd'information. C'est à cette occasion quel'expression 'Artificial Intelligence' (choisiepar McCarthy) fut utilisée pour la premièrefois de manière systématique pour dési-gner le nouveau champ de recherche ; elleétait cependant loin de faire l'unanimitéparmi les chercheurs présents, certains nevoyant là que du traitement complexed'informations. D'autres participants à cesrencontres, Alan Newell et Herbert Simon,allaient aussi avoir un impact particu-lièrement important sur le développementde l'IA.

Bien sûr, les rencontres de Dartmouthétaient le résultat d'une effervescence quiavait débuté un peu avant 1950 autour dequestions liées à la possibilité de construiredes "machines à penser", voire des"machines pensantes" ('thinking machi-nes'), et à la comparaison du fonction-nement du cerveau humain avec lespremiers ordinateurs qui venaient d'appa-raître (et qui étaient essentiellementtournés vers le calcul numérique). Lanaissance de l'IA a été ainsi plus ou moinsdirectement influencée par différentstravaux : notamment ceux de WarrenMcCulloch et Walter Pitts qui, inspirés parla neurophysiologie, proposaient les toutpremiers modèles de réseaux de neuronesartificiels, ceux de Norbert Wiener sur lacybernétique (science centrée sur l'étudedes mécanismes de communication et decontrôle des machines et des êtresvivants), ceux de Claude Shannon enthéorie de l'information, ceux de John vonNeumann sur l'architecture des calcula-teurs, et ceux d'Alan Turing sur lesfonctions calculables par machine.

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C’est aussi en 1956 que Newell et Simon(en collaboration avec J. Cliff Shaw),proposèrent un premier programmed'ordinateur capable de démontrer desthéorèmes en logique, avant de bientôtprésenter un "résolveur de problèmegénéral' ('General Problem Solver'), basésur l'évaluation de la différence entre lasituation à laquelle le résolveur est arrivé etle but qu'il a à atteindre.

L’IA s’intéresse dès ses débuts au déve-loppement de programmes capables dejouer aux échecs (C. Shannon discute leproblème dans plusieurs articles dès 1950).Les premiers programmes, notammentceux de Arthur Samuel et Alex Bernstein,apparaissent au début des années 60, etau fil des décennies arrivent à battre desjoueurs de niveaux de plus en plus élevés,comme déjà MacHack celui de RichardGreenblatt à la fin des années 60. Larecherche des années 70 dans ce domaineest marquée par l’idée de doter la machinede capacités de mise en œuvre destratégies sophistiquées évoluant dyna-miquement avec le jeu (comme dans lestravaux de Hans Berliner). C’est cependantd’abord la puissance calculatoire del’ordinateur capable d’explorer de gigan-tesques espaces combinatoires qui viendraà bout du champion du monde de ladiscipline (victoire de l'ordinateur “DeepBlue” sur Gary Kasparov, en 1997).

Parmi les travaux variés qui marquèrent lesdébuts de l’IA, mentionnons encore leprogramme de Thomas G. Evans (1963)capable, comme dans un test d'intelli-gence, de trouver par analogie la quatrièmefigure géométrique complétant une série detrois ( ce qui nécessitait aussi unereprésentation conceptuelle des figures),ou les systèmes exploitant des contraintesen les propageant, comme dans l'approchede David Waltz (1975) pour reconnaîtredans une image les lignes correspondantaux arêtes de solides et leurs positionsrelatives, qui devaient s'étendre par la suiteà beaucoup d'autres domaines ou lareprésentation par contraintes s'imposenaturellement.Le traitement de textes ou de dialogues enlangage naturel tant au plan de leurcompréhension, qu'au plan de leur produc-tion automatique, a préoccupé également

l'IA très tôt. Le système ELIZA (de JosephWeizenbaum) en repérant des expressionsclés dans des phrases et en reconstruisantdes phrases toutes faites, était capable dès1965, de dialoguer en langage naturel entrompant un moment des interlocuteurshumains qui croyaient avoir affaire à uninterlocuteur humain ! Pourtant ELIZA neconstruisait aucune représentation desphrases du dialogue et donc n'en détenaitaucune compréhension. C'est sans doutele système SHRDLU de Terry Winograd quien 1971 qui fut le premier à construire detelles représentations et à les exploiterdans des dialogues qui portaient sur unmonde simplifié fait de blocs, et où ons'intéressait à leurs positions relatives.

Les années 70 et le début des années 80furent marqués par la réalisation de nom-breux systèmes experts (DENDRAL enchimie, MYCIN en médecine, HEARSAY-IIen compréhension de la parole,PROSPECTOR en géologie), où uneconnaissance experte dans un domainespécialisé est exprimée sous forme derègles "si...alors..." et est appliquée à unensemble de faits décrivant la situation surlaquelle le système doit produire desconclusions.

Les années 70 furent aussi marquées en IApar les premières expérimentations avecdes robots mobiles (comme par exemple lerobot Shakey du SRI à Menlo Park enCalifornie), qui posaient conjointement desproblèmes de vision par ordinateur, dereprésentation des connaissances, et deplanification d’activités et de trajectoires.Une dizaine d’années plus tard, RodneyBrooks, au MIT, s’intéressera à dessociétés de robots réactifs à leur environ-nement immédiat, mais agissant sansreprésentation construite du monde danslequel ils évoluent.

Comme le montre ce bref aperçuhistorique, l'IA s'est largement développéetout d'abord aux Etats-Unis, avant à partirdu milieu des années 70 d'intéresser deschercheurs en Europe puis en Asie. Pource qui est de la France, si on excepte despionniers de la cybernétique (LouisCouffignal, Paul Braffort), et si l'on ne s'entient qu'à des recherches se réclamantexplicitement de l'IA, les premières équipes

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françaises dans ce domaine, furent crééesà Paris, puis à Marseille sous les impul-sions respectives de Jacques Pitrat (qui aen particulier mis en lumière le rôle desmétaconnaissances dans les processus derésolution de problèmes et d'apprentis-sage), et d'Alain Colmerauer (père d'unlangage de programmation, PROLOG,basé sur la logique et très utilisé en IA).Des équipes d’IA devaient ensuite bientôtnaitre dans d’autres grands centres :Toulouse, Grenoble, Nancy, … Aujourd’hui,presque tous les laboratoires d’informa-tique comptent des chercheurs en IA.

Henri Prade

Dix

grands paradigmes

de recherche

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Représenter l’information,acquérir des connaissances

Avec le système expert d'aide audiagnostic médical MYCIN conçu en 1975l'architecture des systèmes de résolutionde problèmes répondait aux exigencesfondatrices de l'IA, en séparant d'un côtéun programme (le moteur) ayant des capa-cités générales de raisonnement (capa-cités d'inférence), et d'autre part desconnaissances spécifiques à l'application(la base de connaissances), représentéesle plus souvent sous la forme d'affirmationset de règles "SI conditions ALORSconclusions". D’autres représentations,basées sur la logique, ou structuréescomme les « frames » (assemblagesd’objets définissant un contexte, proposéspar Minsky pour représenter initialementdes concepts visuels), les scripts (assem-blages d’objets définissant une séquenced’événements) et autres représentations dece type, comme les réseaux sémantiques(réseaux de concepts liés par desassociations) ont également été proposéeset ont par la suite été développées dansdes applications informatiques classiquescomme la « programmation objet », quireprend le concept de frame en repré-sentant des entités auxquelles sontassociés des comportements ou les basesde données relationnelles. Ces systèmesont séduit par leur structure modulaire,laissant envisager le développement sim-ple d'applications à base de connaissancesdans des domaines aussi variés que lamécanique, la médecine, la chimie, ... etpour des tâches différentes : diagnostic etréparation de pannes, agencement, etc.

La seule difficulté était de renseigner labase à l'aide des notions et des règles dudomaine concerné, en tenant compte deleur utilisation dans le raisonnement. Orcette difficulté a été rendue responsable dela non utilisation de plusieurs systèmespourtant techniquement valides : ils necontenaient pas les bonnes connaissan-ces ! Ce fut donc l'enjeu essentiel del'acquisition des connaissances, devenuevéritable champ de recherches, de contri-buer à définir des systèmes d'aide àl'usager qui soient utilisés et utilisables

parce qu'ils traitent correctement les bonsproblèmes. Ce domaine de l’informatiquefait appel à la psychologie (pour étudier etrecueillir les modes de raisonnementdes individus) ainsi qu'à l'ergonomie et auxsciences sociales (pour spécifier desconnaissances adaptées aux besoins desutilisateurs dans le cadre de travail) ouencore à la linguistique dès lors que l'onsouhaite extraire de textes les savoirs déjàexplicités.

La problématique d'origine s’est aujourd'huiélargie. Sous le nom "d'ingénierie desconnaissances", elle englobe désormais laconception d'applications d'aide "intelli-gente" à l'utilisateur. En tant qu'ingénierie,elle cherche à définir des principes, desméthodes et outils pour guider le recueil,l'analyse et la structuration des connais-sances et informations nécessaires dansl'application finale. Le courant majoritairedes recherches s'appuie sur la notion cléde modèle conceptuel. Un modèle est vucomme une représentation simplificatricedu monde, justifiée par les besoins del'application. Il est conceptuel car inter-prétable par les individus impliqués dans leprojet et traduisible dans un langageopérationnel, qui, lui, est interprété par lamachine. Le modèle assure donc, entre lesindividus et le système artificiel, un conti-nuum dans le sens donné aux concepts,règles et raisonnements utilisés pour traiterune tâche donnée. Il doit garantir ausystème un comportement rationnel (moti-vé par des buts), efficace et perti-nent, éventuellement adaptable, face auxutilisateurs et aux experts du domaine.

Les difficultés essentielles de cetteapproche sont liées aux caractéristiquesdes connaissances. Elles sont implicites etnécessitent donc de définir des méthodesd’analyse de l’activité pour y accéder. Ellessont évolutives et les modèles doiventpouvoir être mis à jour simplement. Ellessont contextualisées, ce qui implique deprendre en compte les conditions danslesquelles elles sont utilisées.

On sait aujourd’hui construire des« ontologies », structures de donnéescontenant les concepts d’un domaine etleurs liens sémantiques, à partir de textes àl'aide de logiciels de traitement auto-

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matique du langage. On sait égalementévaluer l’impact de l'application sur lecontenu du modèle, les limites de laréutilisation directe des composants deconnaissances, et on dispose de méthodespour l'adaptation et la spécialisation decomposants.

Des applications significatives ont étéréalisées dans divers domaines :- informatisation du dossier médical dansles hôpitaux- diagnostic de panne dans le fonction-nement des hauts fourneaux- recherche intelligente d'information dansdes sources de données hétérogènes surinternet (avec des ontologies).

Les échanges de savoir, le partage maissurtout la localisation des connaissancesou l'identification de compétences sontprésentés comme étant à la portée dechacun et de toute entreprise. Loin decéder aux charmes de discours séduisantsliés à la gestion des connaissances dansles entreprises, l'ingénierie des connais-sances étudie de près, en collaborationétroite avec des gestionnaires, des spécia-listes des systèmes d'information ou desciences humaines, les enjeux scienti-fiques et théoriques de cette facilitétrompeuse. Il s'agit d'alimenter de manièrepertinente les ressources technologiques,de faciliter une utilisation finalisée qui aideà filtrer, retrouver, organiser les connais-sances dont chacun a besoin, dans uneforme plus ou moins opérationnelle. Ainsi,en se tournant vers les systèmes d'infor-mation des entreprises et vers lestechnologies de l'information, l'ingénieriedes connaissances continue de traiter,dans des cadres applicatifs nouveaux, leproblème récurrent de l'accès au sens etaux connaissances.

Nathalie Aussenac et Jean-Luc Soubie

Algorithmes généraux derésolution de problèmes

Pour attaquer un problème il arrive qu’onpuisse le décomposer en sous-problèmespuis décomposer ceux-ci, etc., jusqu’àn’avoir plus que des problèmes dont lasolution est considérée immédiatementaccessible sans qu’il soit nécessaire de lesdécomposer à leur tour. L’ensemble desdécompositions possibles peut être repré-senté par un “ graphe des sous-problèmes ”. Certains sommets marquentune conjonction de sous-problèmes dont larésolution implique celle du problèmedécomposé. D’autres sommets marquentune disjonction de décompositions possi-bles. La résolution d’un problème est alorsramenée à la recherche d’un certain sous-graphe du graphe des sous-problèmes.

Remplacer un problème par un problèmeéquivalent peut être vu comme une formeparticulière de décomposition. Dans ce cason cherche une suite d’opérations d’équi-valence qui conduise à un problème déjàrésolu. En figurant les problèmes par dessommets et les opérations d’équivalencepar des arêtes, on se ramène à larecherche d’un parcours, éventuellementoptimal ou voisin de l’optimum, dans un“ graphe des états ”.

En général, les possibilités de parcourssont si nombreuses qu’on ne peutexaminer toutes les alternatives. Enrevanche, il arrive que la recherche puisseêtre guidée par des connaissancesd’origine plus ou moins analytique ouexpérimentale ou empirique qu’on appelledes “ heuristiques ” : on parle alors de“ Résolution Heuristiquement Ordonnée ”.Ainsi pour construire un itinéraire, chercherà réduire la distance à vol d’oiseau quisépare de l’objectif est une heuristiquefamilière et souvent efficace. Lesheuristiques et les divers algorithmes quisont capables de les exploiter sontintéressants s’ils favorisent la découvertede solutions satisfaisantes, voire optimales,par rapport à la difficulté du problème etaux ressources mobilisées.

Après les succès de programmes jouant au

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backgammon ou aux dames, la victoire dusystème joueur d’échecs Deep Blue, en1997, contre Gary Kasparov, champion dumonde en titre, témoigne spectaculai-rement des progrès accomplis depuis undemi-siècle pour explorer de vastesgraphes de sous-problèmes.

On peut aussi attaquer certains problèmesen essayant systématiquement de donnerdes valeurs, prises dans des domainesfinis, à un ensemble fini d’inconnues, desorte qu’elles satisfassent une collectionfinie de contraintes. Différents algorithmesde “ Résolution par Satisfaction deContraintes ” à vocation générale ont étéproposés et partiellement comparés. Unproblème de référence souvent abordédans ce cadre est le “ problème desatisfiabilité ” ou “ problème SAT ” : il s’agitde trouver des valeurs (soit “ vrai ” soit“ faux ”) pour les variables d’un ensembled’expressions logiques (disjonctions,conjonctions, négations de variables) desorte que les expressions prennentsimultanément la valeur “ vrai ”. Desheuristiques sont étudiées en vue derenforcer l’efficacité, prédite et/ou obser-vée, des algorithmes de ce type.

Résolution Heuristiquement Ordonnée etRésolution par Satisfaction de Contraintespeuvent servir, éventuellement ensemble,dans des contextes variés : identification,diagnostic, décision, planification, démons-tration, compréhension, apprentissage…Ces approches sont aujourd’hui en mesured’aborder des problèmes de plus grandetaille ou plus complexes, éventuellementdans des environnements dynamiquesavec informations incomplètes ouincertaines. Leur développement va depair avec les avancées de la puissance dessystèmes informatiques.

Henri Farreny

Intelligence Artificiellecollective

Depuis ses débuts, l'IA s'estessentiellement focalisée sur les théories ettechniques permettant la réalisationd'intelligences individuelles. Mais dans lanature, il existe une autre forme d'intelli-gence – collective celle-là - comme lesêtres multi-cellulaires simples, les coloniesd'insectes sociaux, les sociétés humaines.Ces sources d'inspiration montrent qu'uneforme d'intelligence supérieure peut résul-ter de l'activité corrélée d'entités plussimples. Dans les systèmes artificiels, cechamp porte le nom d'IA Distribuée ou deSystèmes Multi-Agents, que nous englo-bons ici dans le terme d'IntelligenceArtificielle Collective (IAC).

Vers le milieu des années 1970, une partiede l'IA explorait les potentialités de ladistribution des connaissances conduisantà la résolution distribuée de problèmes. Ladistribution du contrôle est la principalecaractéristique d'une deuxième générationde systèmes dans lesquels une seule entitén'a pas le contrôle des autres et nepossède pas une vue globale du système.Mais dès lors, il ne suffit pas d'avoir un tasd'agents pour obtenir un système du mêmenom ; au même titre qu'un tas de briquesn'est pas une maison. Ainsi, le champd'étude porte actuellement sur les théorieset techniques permettant la réalisationd'une activité collective cohérente, pour desagents qui sont par nature autonomes etqui poursuivent des objectifs individuelsdans un environnement dont ils n'ontqu'une perception partielle.

Ces agents sont dotés de capacitésd'interaction avec les autres agents et leurenvironnement. Ils sont sociaux dans lesens où ils peuvent communiquer avec lesautres. Quand ils réagissent aux événe-ments perçus, ils sont qualifiés de réactifs.Ils sont proactifs s'ils ont la capacité de sedéfinir des objectifs, de prendre desinitiatives… Aujourd'hui, les conceptsd'autonomie, d'interaction, de dynamique etd'émergence sont de plus en plus pris encompte pour la spécification de cessystèmes, conduisant à des méthodologiesde conception spécifiques.

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À l’évidence, tout agent qui nécessite une'intelligence' peut bénéficier de l'apport desautres techniques d'IA présentées dans cedocument. Toutefois la spécificité dudomaine porte d'une part sur les théoriesorganisationnelles permettant la réalisationd'une 'intelligence collective' sous lescontraintes précédentes, et d'autre part lestechniques d'interactions entre agents pourgérer tous les imprévus (conflit, concur-rence, incompréhension, inutilité, …)survenant nécessairement dans unsystème ouvert ou dans un environnementdynamique.

L'IAC s'est notamment développée pourfaciliter la simulation d'applications distri-buées géographiquement, logiquement,sémantiquement ou temporellement. Lesplates-formes multi-agents sont des outilsprivilégiés pour simuler des sociétésd’individus plongés dans un environnementcommun, telle une équipe de robotsfootballeurs. C’est notamment le cas dessimulations environnementales où l’onsouhaite observer l’influence de compor-tements individuels sur des phénomènesglobaux (pollution, prévision de crues, …).

De plus, l'IAC s'adresse à des applicationspour lesquelles il est difficile de concevoiret de valider des logiciels de grande tailleavec les techniques classiques dedéveloppement. Ainsi, l'IAC est concernéeaussi par la conception de composantslogiciels qui auront vocation à êtreréutilisés. L’"agentification" des logicielsdevrait permettre - à terme - de lesassembler à partir d’une bibliothèque sansconnaître finement leur spécification : à leurcharge d’ajuster leurs comportementsindividuels dans le cadre préalable de latâche définie par l’application. Latechnologie agent et multi-agent a vocationà devenir un nouveau paradigme deprogrammation dans les années à venir.

Ce domaine est aussi motivé par l'évolutiondes outils informatiques : coût des machi-nes, réseaux de machines, Internet… Eneffet, Internet est aujourd’hui un autrechamp d’investigation privilégié de l’IAC oùdes agents collaborent dans une activitécommune (commerce électronique, recher-che d’information, …) sans algorithme decontrôle global. Ce sont souvent desapplications appelées systèmes ouverts car

le nombre d’agents du système évolue aucours du temps. Cette problématique seretrouve aussi dans le champ de la robo-tique collective.

Les domaines d'application précédents onten commun qu'ils situent les agentsindividuels mais aussi le collectif dans desenvironnements dynamiques où il faudrafaire face à l’imprévu et donc où il faudras’adapter. Ainsi, les agents doivent avoir lapossibilité d'échanger sur leurs problèmesrespectifs qu'ils vont nécessairementrencontrer dans leur activité, d’autant qu’ilsn'ont qu'une connaissance partielle dumonde dans lequel le système évolue. Siles agents n'ont jamais à faire face à desimprévus, alors la technique multi-agentn'est pas requise. Les travaux sur lesagents portant principalement sur lesinteractions, ils se sont inspirés de recher-che sur le dialogue humain, notamment lestravaux de J.L. Austin et J.R. Searle. Ils'ensuit des tentatives de formalisation desactes de communication et de standar-disation (voir bibliographie Fipa).

Un autre axe important de recherches portesur le modèle d’organisation adéquat à laréalisation de la tâche collective. Il estavéré depuis longtemps qu’il n’existe pasd’organisation idéale et que le changementd’organisation est un moyen de transfor-mer la fonction du système. La questions’aborde ainsi dans trois directions selonles présupposés adoptés :

- Soit l'organisation est un élémentmaîtrisable du système et alors lesystème multi-agent apporte desconcepts et techniques issus de lathéorie des organisations, conduisant àdes spécifications de modèlesorganisationnels.

- Soit l'organisation est un élément nonconnaissable et il faut donner auxagents des stratégies pour participer àune activité collective cohérente. Lesmodèles "Beliefs Desires Intentions", oules réseaux de dépendances entreagents ont été définis pour permettre lamise en œuvre de telles organisations.

- Lorsque les travaux considèrent simulta-nément que l'organisation n'est pasconnaissable et les protocoles de sortiede crise ne le sont pas non plus, alorsc'est du domaine de l'émergence de

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fonctions collectives cohérentes à partird'entités ayant des comportementsélémentaires, tels les travaux en"emergent computation".

Marie-Pierre Gleizes et Pierre Glize

Formaliser et mécaniser différentstypes de raisonnement

Les raisonnements de sens commun, quel’homme effectue au quotidien, s’accom-modent d’informations incomplètes, incer-taines, voire incohérentes, lui permettentde rapprocher des situations et detransposer des solutions, de tirer parti à lafois de faits généraux et d’exemples, ouencore d'appréhender de manièrequalitative des informations quantitatives.

De tels processus de raisonnementexcèdent les capacités de représentation etd’inférence de la logique classique (surtoutdéveloppée au XXième siècle en relationavec la question des fondements desmathématiques), et de la théorie desprobabilités en ce qui concerne certainsaspects de l'incertitude. Ceci ne signifie paspour autant que les raisonnements que faitl’homme en dehors de la déductionmathématique soient totalement dénués derigueur, ou de valeur pratique. Ainsi l’IAs’intéresse à formaliser différentes formesde raisonnement étudiées depuis long-temps par les philosophes : les raison-nements déductifs (comme dans lessyllogismes), inductif (ou de généralisation,exploités en apprentissage), ou abductif(qui cherche à expliquer, en termes decauses, une situation observée et qui est àl’œuvre pour établir des diagnostics), ouencore le raisonnement par analogie. Cedernier permet à partir d’un répertoire decas observés, d’extrapoler une conclusionplausible pour une situation rencontréeprésentant des similarités avec des casconnus – par exemple deviner le prixpossible d’un produit à partir descaractéristiques connues de produits plusou moins semblables.

L’IA a également formalisé diverses exten-sions ou affaiblissements du raisonnementdéductif, que cela soit pour propagerl’incertitude (probabiliste ou non) associéeà des informations, ou pour pouvoirproduire des conclusions plausibles, en casd’information incomplète. Ces conclusionsplausibles peuvent êtres révisées à l’arrivéed'une nouvelle information. On conclura,par exemple, qu’un animal qu’on saitseulement être un oiseau, vole, car on sait

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qu’en général les oiseaux volent (tout ensachant aussi que les autruches et lesmanchots, qui sont des exceptions, nevolent pas). Apprenant ensuite que l’oiseauen question est une autruche, on seraamené à remettre en cause la conclusionprécédente. De fait, les règles “ si…alors… ” qui constituent un formatcommode pour exprimer des connais-sances (même spécialisées), ne spécifientpas toujours explicitement toutes lesexceptions des règles. Sinon elles seraienttrop lourdes à décrire et requerraientsouvent, pour être appliquées, plusd’informations qu’il n’en est de disponible.Un autre dépassement de la déductionclassique s’appuie sur l'idée de proximité(une conclusion, fausse à strictementparler, mais proche d’une autre conclusion,elle avérée, sera considérée commepresque vraie), et permet alors d’obtenirdavantage de conclusions par interpolationentre conclusions avérées.

On peut aussi vouloir étendre l'inférencedéductive à la prise en compted'informations contradictoires. En effet, lesinformations dont on dispose viennentsouvent de sources multiples, de fiabilitésinégales, et leur mise en commun conduitsouvent à des incohérences qu’il convient,soit d’éliminer dans des processus de“ fusion ” d’informations, soit de prendre encompte si on cherche à développer dessystèmes capables de proposer desarguments et des contre-arguments enfaveur ou à l’encontre d’un même énoncé.Ceci peut se rencontrer notamment dansdes situations de dialogue, où chacun nedispose pas des mêmes informations, etcherche à préciser ses informations, etaussi éventuellement à comprendre lesintentions de l'autre.

On perçoit la grande variété des problèmesde raisonnement auxquels l’IA s’intéressedepuis un quart de siècle. Parallèlement àdes recherches théoriques, de nombreux“ systèmes experts ” (c.à.d. exploitant desconnaissances fournies par des experts),de plus en plus puissants et sophistiqués,susceptibles de proposer des avis, dessolutions, des diagnostics, des pronostics,sont développés en pratique. De telssystèmes posent bien sûr des problèmesd’interface avec l’homme (utilisateur,

expert, concepteur) pour ce qui est de lareprésentation et de l’acquisition del’information. Il faut surtout les doter d’uneaptitude à fournir des explications, de façonà pouvoir éclairer les conclusions obtenuespar le calcul. La façon dont l’incertitude estappréhendée, et est restituée à l’utilisateur,doit également être étudiée du point de vuede la psychologie cognitive.

Salem Benferhat, Claudette Cayrol,Didier Dubois, Henri Prade

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Evaluer des situations, décider,planifier

La théorie de la décision (décision multi-critères, décision dans l'incertain, décisionde groupe) a été étudiée depuis plus decinquante ans par des économistes et deschercheurs en Recherche Opérationnelle. Ils'agit pour les premiers de modéliser laprise de décision chez des décideurs"rationnels", c'est-à-dire des agentséconomiques dont le comportement est enpermanence en accord avec des postulats,tandis que les seconds considèrent ladécision davantage dans une perspectivede problèmes d'optimisation où, parexemple, plusieurs critères interviennent.

Les modèles de la décision ainsidéveloppés, ont pour but le classement desdécisions possibles, souvent à l'aided'évaluations numériques (dont l'usage estjustifié par des postulats). Ces méthodesne permettent pas de remonter aisémentaux raisons qui font qu'une décision estmeilleure qu'une autre. Par ailleurs, cesmodèles supposent souvent la connais-sance de fonctions numériques pourévaluer les choix, et de distributions deprobabilité pour décrire l'incertitude sur lerésultat des actions. Cependant lespréférences des agents ne sont pastoujours connues de manière complète (etcohérente !) sous la forme de fonctionsd'évaluation. De même, ce qui est connudes résultats possibles des actions peutêtre de nature qualitative, et ne pas semettre aisément sous la forme deprobabilités précises.

La problématique de la décision n'a pasfait partie des préoccupations centrales del'IA jusqu'au début des années 90 : l'IA,étant tournée vers la modélisationsymbolique et logique du raisonnement,était en effet assez loin des opérationsnumériques de compromis utilisées endécision. Et ce, même si l'un des pionniersde l'IA n'était autre que le prix Nobeld'économie H. A. Simon. Il apparaîtcependant depuis quelques années que l'IApeut apporter à la problématique de ladécision des outils permettant unereprésentation plus souple et plusqualitative de l'information, des

préférences, et des buts poursuivis, etpropose des formulations qui se prêtentensuite plus facilement à des possibilitésd'explications des décisions proposées. Detelles approches s'avèrent utiles pourguider un usager dans ses choix, en luiproposant des solutions répondant à sespréférences, qu'il peut faire évoluer sinécessaire. Un système d'aide à ladécision peut aussi s'appuyer sur lesrésultats connus de décisions prisesantérieurement dans des situationssimilaires à celle où une décision doit êtreproposée : cette façon d'envisager ladécision est très proche du raisonnement àpartir de cas développé en IA.

Enfin la planification (qui inclut le suivid'exécution de tâches) est un problème dedécision étudié depuis une trentained'années en IA. Il s'agit de déterminer unenchaînement d'actions (le plus simplepossible) qui permette d'atteindre un but àpartir d'une situation donnée. Laplanification d'opérations élémentaires pourun robot (ou plus généralement unensemble de robots) en vue de réaliser unetâche plus globale est l'exemple classiqueen IA de ce problème, qui peut aussi serencontrer plus généralement dansl’organisation d’activités complexes. Unedes difficultés réside dans le fait qu'unesous-suite d'actions menant à lasatisfaction partielle du but recherché peutne pas constituer un morceau d'unesolution permettant de réaliser le butcomplètement. Depuis le début des années90, l'utilisation des probabilités ou d'autresmodèles de représentation, ont permisd'étendre cette problématique à desenvironnements incertains (où par exempleune action peut échouer), en prenant encompte des fonctions de coût et lapossibilité d’inclure des actions informa-tives (qui renseignent sur l’état du monde)à chaque étape décisionnelle.

Les situations précédentes ne concer-naient qu'un agent isolé (face à unenvironnement éventuellement incertain).Depuis une dizaine d'années, les cher-cheurs en IA se préoccupent également dela prise de décision concernant un grouped'individus. Il faut noter qu'il s'agit dedécision centralisée (par opposition à lasection ``Intelligence artificielle collective''

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où il s'agit de décision distribuée) : ungroupe d'agents, ayant chacun sespréférences propres, doit parvenir à unedécision commune. Le critère de qualité decette décision commune dépend du typed'application considéré : ainsi, pour desproblèmes de vote ou plus généralementde recherche de compromis, il estimportant d'obtenir une solution équitable;alors que pour des problèmes ditsd'enchères combinatoires (de plus en plusutilisées en commerce électronique) il s'agitde maximiser le gain total d'un ensemblede vendeurs (centralisés en un``commissaire-priseur électronique''), endéterminant une attribution optimale debiens aux agents (acheteurs), sachant quechaque agent a au préalable exprimé lasomme d'argent qu'il est prêt à payer pourchaque combinaison possible de biens.

Didier Dubois, Hélène Fargier, Jérôme Lang, Henri Prade.

Raisonner sur le changement,le temps et l’espace

Un système intelligent possède deuxcapacités fondamentales. Il s'agit d'unepart de la possibilité de percevoir le mondeextérieur, et d'autre part de la faculté d'agirsur celui-ci. La perception s'effectue àtravers des capteurs, tandis qu'une actionest accomplie à travers le contrôle moteur(les effecteurs d'un robot). Dans le langageinformatique et dans la théorie du contrôle,ce sont ces capteurs qui fournissent lesentrées, tandis que les effecteurs fournis-sent les sorties. Une instance de ceschéma perception/action est par exemplela communication entre agents. A partir decette analyse, on obtient l'architecture debase d'un système intelligent si on ajoutecomme troisième composante l'état internedans lequel l'agent se trouve à un instantdonné. Les actions entreprises par l'agentsont alors fonction de cet état interne, quiest modifié en fonction des perceptions.

Pour être considéré comme intelligent,l'état interne de ce système doit luipermettre de raisonner. C'est pour celaque dans l'approche standard, cet étatinterne repose sur une représentationsymbolique du monde extérieur, constituéede "faits", c'est-à-dire d'assertions corres-pondant à ce que l'agent croit être vraidans le monde. On appelle souvent cesfaits internes les croyances de l'agent. Biensûr, ces croyances sont en généralimparfaites (incomplètes, erronées), et denouvelles perceptions mènent fréquem-ment à un changement, ou mise à jour, decroyances. A un niveau élémentaire, unagent exécute une action, le plus souventau sein d'une suite d'actions, que l'onappelle aussi plan. À un niveau plus élevé,l'agent qui exécute une action cherche àatteindre un but, auquel il croit parvenir enexécutant un plan généré préalablement.Ce sont donc ses croyances qui intervien-nent lorsqu'il planifie, c'est-à-dire qu'ilraisonne pour générer un plan d'actionsélémentaires à exécuter. Notons qu'un planpeut aussi faire appel aux capacitésperceptives à travers des actions commu-nicatives ou des actions de test.

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Les formalismes qui ont été proposésdans la littérature pour prendre en comptel'évolution des bases de connaissances(les formalismes de mise à jour et deraisonnement sur les actions) se heurtent àplusieurs difficultés. La plus connue est lefameux problème de la persistance desinformations lors d'un changement (problè-me du "décor") : comment éviter de décrireles non-effets d’un changement ? Aussisurprenant que cela puisse paraître,beaucoup de formalismes nous forcent àpréciser que d’allumer mon ordinateur nemodifiera pas l’état de celui de mon voisin.Aujourd’hui on considère généralement quele problème du décor a été résolu dans saversion simple, à savoir que les actionsn’ont pas d’"effets de bord" : allumer l’unitécentrale de mon PC n’allumera pas sonécran. C’est donc l’interaction de ce dernierproblème dit "de la ramification" et duproblème du décor dans toute sa généralitéqui constitue un défi redoutable non encorerésolu à ce jour.

L’évolution d'un agent est rythmée parla perception d'objets, événements et faits,et par l'exécution d'actions, les actionsn'étant que des événements particuliers.D'autre part, générer un plan signifiedéterminer des actions à réaliser ainsi quela suite qu'elles constituent, c'est-à-dire leurordonnancement temporel. Le temps,paramètre fondamental dans le raison-nement des agents, doit donc êtrereprésenté. Comme pour tant de domaines,la nature ontologique du temps ne s'imposepas à nous de façon indiscutable, etdifférentes approches de la représentationdu temps ont été proposées dans lalittérature. Un facteur ayant motivé denombreux développements théoriquesconcerne la notion de durée des entitéstemporelles. Soit on fait l'hypothèse que lesdifférents événements (actions etperceptions) sont instantanés (ou que leurcomposante temporelle peut s'exprimer entermes d'instants), soit on considère leurétendue temporelle comme étant non nulleet irréductible. Cette seconde approche estla seule valable en général si l'agent nedispose pas d'une horloge internedéterminant un temps "absolu", et ne peutque situer temporellement les uns parrapport aux autres des événements diverscomme l'ouverture du robinet, l'eau qui

coule, le remplissage du verre et la noyadede la mouche. Les travaux ont montré queles systèmes de raisonnement temporeldits de "calcul d'intervalles" (bien que leterme "intervalle" désigne en mathéma-tique des ensembles convexes d'instants, ils'agit ici d'entités temporelles primitivesétendues) sont malheureusement pluscomplexes que ceux basés sur desinstants. Tous les problèmes d'ordonnan-cement exprimés en termes d'intervalles etqui sont "calculables" ne sont pas à ce jouridentifiés et classifiés.

On distingue les actions épistémiques(à effet sur les connaissances) et ontiques(à effet sur le monde physique), enconsidérant que les premières ont effetuniquement sur les états internes, tandisque les secondes ont des effets sur l’étatdu monde et s’inscrivent donc dansl’espace environnant le système. Pouvoirraisonner sur ces dernières actionsnécessite donc une modélisation del’espace. Comme pour le temps, on estconfronté alors à des choix dereprésentation. Bien qu’il soit possible derecourir à l’analyse mathématiqueclassique (espace euclidien, coordonnéescartésiennes), beaucoup d’approches ontpréféré une modélisation qui soit nonseulement plus proche de la cognitionhumaine mais également plus robuste enprésence d'informations incomplètes ouimprécises. C'est pourquoi le raisonnementspatial dit "qualitatif" se base le plussouvent sur un espace à base d'objets,corps ou volumes ayant une extensionspatiale perceptible, plutôt que sur lesentités primitives abstraites que sont lespoints et les figures de la géométrieclassique. Si les travaux ont beaucoupavancé en ce qui concerne la modélisationdes concepts méréotopologiques (inclu-sion, contact) sur les objets ou les corps, àl'heure actuelle, raisonner de façonqualitative sur des concepts géométriques(distance, alignement, forme...) avec desentités étendues reste un problème difficile.

Andreas Herzig, Laure Vieu

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Résumer, apprendre, découvrir

Lorsque l'on s'intéresse à la simulation ducomportement intelligent de l'homme parune machine, on peut distinguer l'aptitude àcomprendre et l'aptitude à apprendre, ensupposant que cela soit possible. Ledomaine de l'Apprentissage en IntelligenceArtificielle est simplement une tentative desimuler avec une machine cetteremarquable aptitude à apprendre dontl'homme fait preuve.

D'où les robots qui, après plusieurstentatives infructueuses pour suivre unepiste, apprennent qu'une porte s'est ferméeet qu'il faut trouver une autre solution, d'oùles logiciels qui induisent, à partir del'historique des connexions Internet d'unindividu, un profil psychologique (MonsieurUntel est un passionné de football, nes'intéresse que peu à l'actualité inter-nationale et semble rechercher unenouvelle voiture), d'où les programmes quiutilisent l'immense base de données dugénome humain, mettent en correspon-dance différentes observations etfinalement "découvrent" que tel gène estresponsable de telle maladie.

Nous sommes au cœur de laproblématique de l'apprentissage. Reste àsavoir le sens précis que nous donnons aumot "apprendre" et c'est le premierchallenge de l'informaticien dans cedomaine. D'où l'importance des travauxthéoriques fondateurs qui tentent dedonner un cadre formel à l'apprentissagepar machine. On distingue alors desconcepts qui peuvent être appris d'autresqui ne le peuvent pas. Un peu à la manièredont les travaux de Alan Turing distinguentce qui est calculable de ce qui ne l'est pas !On s'aperçoit alors, que pour qu'un conceptsoit « apprenable » il faut qu'il puisse êtrerésumé (un informaticien dirait"compressé") mais évidemment cela n'estpas suffisant. "Apprendre" ce n'est passeulement "résumer", c'est plus que cela !En effet, il faut aussi que ce que l'on aappris permette de donner des réponses àdes questions autres que celles utiliséesdans le processus d'apprentissage : end'autres termes, "Apprendre" c'est aussi"Généraliser".

Dès lors, il est possible de chercher desalgorithmes et donc de construire desprogrammes qui "apprennent"... Leurexécution sur une machine donne alorsl'idée que la machine est à l'école. Surgitalors une nouvelle question : apprendre,oui mais à partir de quoi ? De quellesinformations dispose-t-on ? En général, leprocessus d'apprentissage suppose deuxagents au moins : un apprenti et unprofesseur. Là encore, on s'inspire dumodèle humain. Et un processus question-réponse s'engage. En simplifiant un peu,on apprend à partir d'exemples et decontre-exemples. Une large palette detechniques ont alors été développées pourapprendre à partir d'exemples. Lesméthodes statistiques, historiquement lesplus anciennes, sont très efficaces. Maisdes techniques spécifiques à l'Informatiqueont été développées à partir des années80 : les réseaux de neurones qui simulentl'architecture du cerveau humain, lesalgorithmes génétiques qui simulent leprocessus de sélection naturelle des indi-vidus, la programmation logique inductivequi fait "marcher à l'envers" le processushabituel de déduction, les réseauxbayésiens qui se fondent sur la théorie desprobabilités pour choisir, parmi plusieurshypothèses, la plus satisfaisante.

Et si le professeur est absent ? Et c'estsouvent le cas quand on dispose degrandes quantités d'information (parexemple une base de données despersonnes atteintes de migraines sur les 5dernières années) et que l'on cherche àextraire des relations entre ces informa-tions. Par exemple, y a-t-il un rapport entrele fait d'être migraineux et le fait deposséder un téléphone portable ? Et si oui,quel est ce rapport ?

Dans ce cas, où personne ne guidel'apprenti, on parle de fouilles de données,de découverte de lois aussi. Il faut alorsadapter les méthodes évoquées plus hautpour tenir compte de l'absence d'exemplesqui pourraient nous guider. On peut utiliserdes techniques statistiques, mais si l'ondispose d'un nombre insuffisant dedonnées, on se tourne vers des méthodesfondées sur la logique.

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On voit qu’il n’y a aucun rapport entreconcevoir des machines qui apprennent etutiliser des ordinateurs pour faire del'enseignement (ceci relève del'Enseignement Assisté par Ordinateur ouEAO). Aujourd'hui, les machines commen-cent à apprendre mais les résultats, bienque souvent remarquables, sont encoreloin des performances d'un enfant del'école primaire qui apprend énormémentde choses sans que l'on comprenne biencomment. Ce qui signifie qu'il y a encore dutravail pour cloner l'homme par unemachine. Heureusement !

Gilles Richard

Langue et IA :des interrelations étroites

Les êtres humains sont capables decomprendre et de parler une ou plusieurslangues. Cette capacité langagière estindissociable de l'intelligence humaine. Ilest donc légitime de se poser la questiondes rapports qui unissent IA et langue.

Les textes de ce livret soulignent qu'unetâche centrale de l'IA est de formaliser lesconnaissances et les raisonnementshumains. Or la langue est le principalmoyen dont nous disposons pour exprimernos raisonnements et véhiculer nosconnaissances. Les messages ou échan-ges en langue naturelle représentent donc,pour certains chercheurs en IA, un terraind'observation privilégié. Ainsi, par exemple,l'étude de l'expression de l'espace (àtravers les prépositions, les verbes, lesnoms de localisation, ...) dans la languepermet-elle de faire avancer les études surle raisonnement spatial, ou bien l'étudesystématique de corpus de textesspécialisés permet-elle d'acquérir laconnaissance spécifique à un domaine àtravers l'étude de l'organisation du lexiquespécialisé de ce domaine.

D'un autre côté, si l'on cherche à doterl'ordinateur de capacités ressemblant àcelles de l'homme, il est naturel d'envi-sager de rendre l'ordinateur capable decomprendre, ou en tout cas de traiterautomatiquement des informations enlangue naturelle, et de le rendre capable degénérer des messages en langue naturelleà bon escient. C'est là que l'IA etl'informatique linguistique se rejoignent.

L'analyse automatique du langage est uneentreprise difficile qui met en jeu une trèsgrande diversité de modes de raison-nements et de connaissances. En effet,outre le vocabulaire très vaste et enévolution constante et le très grand nombrede constructions grammaticales, le langageabonde en éléments et structures ambigus,en données implicites qu'il faut recons-truire, ainsi qu'en une proportion élevéed'énoncés incorrects grammaticalementmais qui demeurent néanmoins tout à fait

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compréhensibles.

Pour illustrer la fécondation mutuelle de l’IAet de l’informatique linguistique, prenonsles champs de la sémantique et de lapragmatique. Il s’agit de construire unereprésentation de messages en languenaturelle qui soit manipulable par lamachine. Ceci implique la modélisationd’un très grand nombre de phénomènessémantiques, comme les mécanismes deréférence (pronominale, spatiale, tempo-relle : de là, je te voyais avec ses jumelles),la quantification, les opérateurs complexes(négation, modalités, opérateurs épistémi-ques, argumentatifs parce que, à causede), la dynamique générative du langage(production de métaphores, métonymies,glissements ou fluctuations sur les sensétablis: des idées rouillées, vendre unPicasso, etc.). En plus des phénomènesliés au sens et aux rapports que lesénoncés établissent avec le monde, il estnécessaire de s’intéresser à desphénomènes concernant la mise encontexte de l’énoncé dans une situation decommunication. Ainsi, pour le dialoguehomme-machine, on cherche à formaliserles actes de langage, à prendre en comptele modèle de l'usager, locuteur ou auditeur,à représenter l’évolution des connais-sances et croyances au cours du dialogue,et pour pouvoir générer des réponses, àmodéliser la façon de présenter,d'argumenter et d'être coopératif vis-à-visd'un usager.

Une part croissante de l'informatiquelinguistique devient une discipline techno-logique, avec des enjeux majeurs dansl'industrie et dans la société. Elle imposedes exigences d'efficacité, de simplicité etd'expressivité dans les mécanismes etdans la représentation de volumesconsidérables de données. De ce point devue, les techniques d'acquisition et demodélisation automatique de la connais-sance sont précieuses. Tandis que lesapplications qui gravitent autour del'indexation automatique, la recherched'informations, voire la traduction auto-matique, font un usage encore modéré destechniques de l'IA, d'autres champs telsque le dialogue, le résumé automatique oules interfaces homme-machine coopé-ratives doivent et font massivement appel

aux travaux de l’IA en matière deformalisation du raisonnement.

D'un point de vue fondamental, l'analyse dulangage et l'informatique linguistique sesont repositionnées. Partant de repré-sentations et de raisonnements idéalisés,dans la tradition de pensée cartésienne oude l'esprit - logique pure, de nombreuxtravaux, s'inscrivant dans une doubleperspective cognitive et anthropologique,ont montré que nos concepts, mêmes lesplus abstraits, sont largement méta-phoriques, c’est-à-dire construits parabstraction à partir de représentationsconcrètes. D'autres travaux, en particuliergénérativistes, ont montré que le langageapparaît davantage comme une compo-sante instinctuelle qu'une aptitude acquise.Les relations IA - informatique linguistiquesont donc en pleine évolution. Un axe quiinclut les paradigmes proposés, entreautres, par Darwin, Turing et Chomsky seconstruit et se trouve singulièrement mis enlumière : évolution et dynamique créativedu langage, calcul, et modélisation parprincipes et paramètres postulés êtreinstinctuels, implémentés par descontraintes aux dépens de lourds systèmesde règles, postulées acquises.

Myriam Bras, Patrick Saint-Dizier

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Indexation multimédia et IA

Si les ressources multimédia disponiblesaujourd'hui sur ordinateur sont à la foisnombreuses et volumineuses, elles restentsouvent d'un accès difficile en raison del'absence d'index systématique recensantles informations pertinentes sur leurcontenu. Il n'est pas toujours possibled'associer manuellement une descriptiontextuelle ou quelques mots clés à uncontenu multimédia pour faire desrecherches ultérieures sur ces infor-mations. Dans ce cas, l'indexation auto-matique doit prendre le relais.

Les chercheurs impliqués dans le domainetravaillent sur l'ensemble des points de lachaîne qui relie la production du documentà la consultation de celui-ci en passant parson encodage et son stockage. Que ce soitpour l'extraction de connaissances sur lecontenu des documents, la gestion et lastructuration des données produites et leurmise à disposition auprès des utilisateurs,l’IA est de plus en plus fortement impliquéedans la chaîne d'indexation automatiquemultimédia.

Pour les documents déjà existants qu'ils'agit d'indexer automatiquement, une desétapes les plus importantes consiste àextraire les données descriptives appeléesmétadonnées. Ces métadonnées sont, parexemple, les segments temporels ou lesrégions correspondant à un objet importantou pour le moins structurant du document.Cette extraction automatique des méta-données demande la mise en oeuvred'outils de reconnaissance des formes, oul'apprentissage de modèles des documentsà analyser. On peut ainsi utiliser desmodèles dits "stochastiques" qui carac-térisent l'évolution dans le temps ou dansl'espace du contenu : en parole, unelocution s'exprime par une succession deréalisations de phonèmes ; dans uneémission de télévision, telle séquence atoujours lieu avant telle autre. Cesmodèles, appris a priori en fonction desobjets à reconnaître, permettent ainsi à lamachine de localiser tel ou tel évènement.D'autres techniques consistent à exploiterune connaissance experte transcrite àtravers une base d'heuristiques. On peut

ainsi signaler à la machine que la présenced'un objet dans une image se caractérisepar la présence d'une région de telle forme,telle couleur et telle texture. Parfois, cettecombinaison entre plusieurs descripteursde bas niveau ne peut pas être formulée defaçon précise et catégorique. On utilisealors les outils de la logique floue pourappréhender des spécifications référant àdes propriétés non-tranchées. Parexemple, pour détecter une page depublicité diffusée à la télévision, on peut lacaractériser comme étant un segmentayant un montage assez rapide, desmouvements d'objets ou de caméraimportants, et présentant visuellement denombreuses couleurs vives et contrastées.

L'indexation multimédia pose également lesproblèmes de la représentation, de lastructuration et de l'exploitation desmétadonnées dans un même système, ouentre systèmes différents. Des choixjudicieux et des technologies spécifiquess'imposent afin de gérer une connaissanceextraite pas toujours fiable et précise, deconstruire des index et de définir desdistances pour optimiser le temps et laqualité de la recherche d'une information,de traduire ces index en élargissant leurcontenu sémantique, d'établir des liensentre eux, d'étudier la nature des structureset des liens pour améliorer l'exploitationdes données.

L'exploitation "intelligente" des données vade pair avec l'élaboration d'outils deconsultation "savants" susceptibles des'adapter à différents modes d'accès et àdifférents types d'usage. De nombreuxtravaux de recherche ont été ainsi menés,visant à modéliser les intérêts desutilisateurs et à comprendre leur démar-che. Ce type d'information, couplé à unmode de représentation symbolique ducontenu, peut permettre par exemple deconstruire dynamiquement des cheminsoptimaux vers les données recherchées enprenant en compte des considérationsergonomiques et cognitives.

Le domaine d'application de l'indexationmultimédia est vaste : il relève aussi biende l'aide à la production que de l'aide àl'analyse, de la conception d'outils d'archi-vage que d'outils d'encodage. Même si des

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solutions ont dû être trouvées dans chaquedomaine pour combler des besoinsévidents, aucune approche homogènen'avait été jusqu'alors proposée. Il est doncbien ici question de convergence destechnologies parmi lesquelles l’IA a un rôleimportant à jouer.

Régine André-Obrecht et Philippe Joly

La Réalité Virtuelle et l'IA

La Réalité Virtuelle propose de nouvellesformes d'interaction entre l'homme et lessystèmes. L'avènement de stations detravail en réseau dotées de très fortescapacités graphiques 3D couplées à denouveaux périphériques de visualisation etd'interaction dont l'usage est intuitif(casque, gant...) permet de fournir àplusieurs utilisateurs les informationssensorielles nécessaires pour lesconvaincre de leur présence dans unmonde synthétique. De plus, la possibilitéde manipuler certains aspects de cesmondes virtuels quasiment comme dans lavie réelle offre aux intervenants lapossibilité d'utiliser leur expérience et leurscapacités naturelles pour travailler de façoncoopérative. Les mondes synthétiquescréés et gérés par un système de RéalitéVirtuelle Distribuée peuvent donc êtrevirtuellement peuplés par de nombreuxutilisateurs qui interagissent, à travers despériphériques spécialisés, avec cesmondes virtuels et en particulier avec desentités autonomes, animées et dotées decomportements complexes : descomportements collaboratifs, mais aussiadaptatifs et pas uniquement réactifs, c'està dire avec la capacité de raisonner etd'apprendre, ou encore cherchant àanticiper la dynamique du monde danslesquelles elles se trouvent, voire decomportement émergent. Les travaux enréalité virtuelle sont ainsi à la frontière denombreux domaines : les systèmes (etapplications) distribués, les réseaux, lamodélisation géométrique et la synthèsed'images, l'interaction homme-système,pour les systèmes en eux-mêmes, maisaussi, les techniques issues de l'intelli-gence artificielle classique ou de la vieartificielle, pour la gestion des entités(agents) autonomes ou semi-autonomesdotées de comportements.

Un aspect important des travaux ensynthèse d'image, en CAO et donc enréalité virtuelle, concerne la modélisationde l'univers virtuel. Le but de cette premièreétape, cruciale pour la création de mondes3D complexes, est de fournir unedescription géométrique 3D de l'univers.Pour faciliter et automatiser cette tâche

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complexe, mais aussi pour la contrôler, ilest nécessaire de gérer des contraintes oude vérifier des propriétés sur les objets ousur la scène. Ainsi, la modélisationdéclarative et la modélisation par contraintes'intéressent à des problématiques del'Intelligence Artificielle, comme le langagenaturel et la sémantique des propriétésspatiales et à leur traduction en unensemble de grande taille de contraintescomplexes alimentant des résolveurspouvant utiliser une exploration de l'espacedes solutions soit exhaustive soitstochastique.

Pour la simulation des acteurs comporte-mentaux peuplant les univers virtuels, laproblématique est la même pour desapplications industrielles de simulation quepour ce qui existe dans les jeux vidéos ouen animation de synthèse pour le cinéma.Des techniques de l'animation de synthèse,de l'intelligence artificielle, de la robotiqueet de la vie artificielle sont donc utilisées, àtravers des systèmes hybrides (à la foisréactifs et délibératifs), pour donner descapacités d'autonomie aux entités compor-tementales et les doter de facultésd'apprentissage, de réaction, de dialogue(la communication entre agents et avec desavatars), de planification de leurs tâches (etde leurs trajectoires). Les premierssystèmes comportementaux utilisaient dessystèmes à base de règles et de moteursd'inférence, mais actuellement, ilsemploient des réseaux de neurones, dessystèmes de classifieurs, des algorithmesgénétiques et des systèmes multi-agents.

Une des motivations actuelles les plusprometteuses pour la modélisation de cesacteurs de synthèse est de reproduireartificiellement des propriétés du vivantliées à l'adaptation. La première formed'adaptation considère un point de vueplutôt centré sur l'individu et sur la manièredont celui-ci peut apprendre au cours de savie, en fonction de ses différentesconditions environnementales. La secondeest plus axée sur l'espèce et descaractéristiques génétiques qui la compo-sent, et se concentre sur la modélisationdes théories de l'évolution et sur la manièredont elles peuvent améliorer lesperformances des individus en les faisantévoluer. Finalement, la dernière met

l'accent sur les phénomènes collectifs etsociaux pouvant apparaître dans desgroupes d'individus, tels que les processusde communication ou encore de coopé-ration. Certaines de ces préoccupationssont aussi au cœur de recherches actuellesmenées en Intelligence Artificielle.

Les études et les développements autourde la Réalité Virtuelle apportent doncsouvent des contributions significatives etoriginales aux différents domainesévoqués, à travers toutes ces nombreusesinteractions.

Yves Duthen, Jean-Pierre Jessel

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La place de l’IA

dans

les sciences

IA et mathématiques

Le besoin d'appréhender et de manipulerde manière formelle cette nouvelle entitéqu'est l'information dans ses différentsaspects, a accru l'intérêt pour certainsoutils de modélisation mathématique,conduisant quelquefois à de nouveauxusages de notions anciennes, voire audéveloppement, d'abord empirique, denouveaux outils de formalisation. Cela estvrai pour les sciences du traitement del'information en général, et pour l'IA enparticulier.

Il en est ainsi de la logique. La logiques'intéresse traditionnellement à la formali-sation du raisonnement. L'étude duraisonnement mathématique a été à labase du développement de la logique dansla première moitié du XXième siècle. Celaa permis de donner une définition précisede la notion de calcul effectif, constituantainsi le point de départ de l'informatique.Avec l'IA, d'autres types de raisonnementque celui de mathématiciens sont devenusdes sujets importants d'étude. Ainsi, sontapparues de nouvelles techniques permet-tant l'étude systématique de logiques ditesnon-classiques, dans lesquelles- des concepts comme la connaissance, letemps, l’incertitude, ou la croyance sontformalisés,- des méthodes automatiques de preuvepour ces logiques sont définies,- ainsi que de nouvelles applications à desdomaines aussi variés que la synthèse deprogrammes et la construction de logicielssûrs, ou la formalisation de la notiond'agents (également en relation avec lathéorie des jeux).

Les probabilités, avec le développementdes "réseaux Bayésiens" pour le traitementd' inférences incertaines, ont conduit à unimportant renouveau des préoccupationsalgorithmiques dans ce domaine. Lesmathématiques concernant les structuresdiscrètes (c’est-à-dire à caractère "disconti-nu"), les représentations par graphes, lesmodèles à base du calcul des relationssont très employées.

Le besoin de modèles qualitatifs, a conduità l'usage de structures algèbriques exoti-

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ques, où les opérations maximum, ouminimum, remplacent la somme ou leproduit de l'algèbre linéaire. A coté desprobabilités, de nouveaux cadres demodélisation de l'incertitude sont apparuscomme les fonctions de croyance (quientretiennent des relations avec lesensembles aléatoires), ou la théorie desfonctions de possibilité et de nécessité, quiutilise largement les opérations maximumet minimum, tout comme la théorie desensembles flous (qui traite de classes et depropriétés aux frontières non-tranchées, oùon peut passer graduellement del'appartenance à la non-appartenance).

Didier Dubois, Luis Farinas del Cerro, Henri Prade

IA et informatique

Le catalyseur qui a conduit à la naissancede l'IA a été l'apparition des premiersordinateurs, qui fut elle-même précédéepar une période florissante pour ledéveloppement des fondements logiquesdes mathématiques, de la théorie de lacalculabilité et des automates. L'IA est ainsiapparue en tant que discipline à l'intérieurde l'informatique dans le but de donner àl'ordinateur une nouvelle fonctionnalité cellede "penser".

Les caractéristiques essentielles de l'IAapparaissent plus "nettement" dans lanature même des informations (respective-ment des problèmes) et dans la manière deles représenter (respectivement de lesrésoudre). En effet, les systèmes d'IA ontbesoin d'intégrer et de manipuleravantageusement à la fois les informationsde type symbolique mais aussi numérique.Ils doivent aussi pouvoir s'accommoder dessituations où les informations traitées sontincomplètes, inexactes, voire conflictuelles.Une autre caractéristique de la rechercheen IA concerne le développement d'unealgorithmique nouvelles pour résoudre desproblèmes, comme la planification parexemple.

Sans entrer plus avant dans desconsidérations théoriques, nous adoptonsdans la suite, un point de vue pratique, endonnant quelques exemples des apportsréciproques de l'informatique et de l'IA.

Cette nouvelle problématique a permis dedévelopper de nouveaux domaines eninformatique comme par exemple, la miseau point de méthodes permettant lamécanisation du raisonnement, ainsi que ledéveloppement de méthodes de déductionpermettant la preuve automatique dethéorèmes, ou encore les nouvellestechnologies de l'information (bases dedonnées et Internet), la formalisation de lacommunication entre l'homme et lamachine, le traitement automatique dulangage naturel.

Ce type de recherche a permis aussi d'unepart, la définition de nouveaux langages deprogrammation comme les langages objets

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(qui sont liés aux réseaux sémantiques etdistinguent les objets et classes d'objets),les langages fonctionnels (ex. LISP), ou leslangages basés sur la logique (commePROLOG), et d'autre part, d'aborder desproblèmes au cœur de l'informatique,comme par exemple, déterminer si unprogramme est correct, ou en faire lasynthèse, sans oublier les systèmes d'aideà la configuration, à l'exploitation et à lamaintenance des systèmes informatiques.

Luis Fariñas del Cerro et Lakhdar Saïs

L’IA et les sciences dutraitement de l’information

Les Sciences du Traitement del’Information et de la Communication(STIC) sont quelquefois confondues avecl'Informatique, science du calcul, numéri-que ou symbolique, sur ordinateur (tantdans ses aspects algorithmiques, quelogiciels ou matériels). Les STIC, qui certesbénéficient de la puissance calculatoire desmachines informatiques, concernent tousles problèmes posés par la manipulationd'un "matériau" dont la spécificité etl'importance se sont affirmées depuis undemi-siècle : l'information.

En effet, l'information existe sousdifférentes formes (tableaux de données,textes, images, sons,...) et requiert denombreux traitements de diverses sortespour être utilisée par l'homme à différentesfins. Ainsi, très schématiquement, on peutdistinguer trois grandes familles detraitements qu'on peut souhaiter faire surl'information :

- i) ceux ayant pour but de l'élaborer, del’interpréter, c.à.d. de la mettre dans uncertain cadre représentationnel afin depouvoir la communiquer, soit à un usager,soit à un nouveau module de traitement ; ils'agit alors de la "d’ébruiter", de la "lisser",c.à.d. de l'épurer), mais aussi de classifier,de structurer, de résumer l'information, dela présenter sous forme synthétique ;

- ii) ceux ayant pour fonction de la stocker,de la retrouver et de l'expliciter; il s'agit icinotamment de techniques de compressiond'information, de langages d'interrogationayant éventuellement des capacitésd'inférence pour pouvoir produire denouvelles conclusions à partir desinformations disponibles, et les expliquer ;ceci suppose de concevoir des interfacessatisfaisantes pour les usagers. Il convientégalement de sécuriser l'information et d'enréglementer l'accès, ou encore de la"banaliser" si on doit protéger l'anonymatde personnes auxquelles elle réfère ;

- iii) enfin les traitements visant à exploiterl’information dans des environnements

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statiques ou dynamiques, en général dansune perspective de décision et d'action ; ilest alors question de trouver des solutions,éventuellement optimales, à des problè-mes exprimés sous forme de contraintes,d'évaluer des situations selon de multiplescritères, de proposer des décisions enprenant en compte l'incertitude sur leursrésultats, de piloter automatiquement dessystèmes dynamiques, de prédire lecomportement de systèmes, d'évaluer leurfiabilité.

Ces différentes préoccupations ont donnénaissance depuis les années 40-50 à denombreuses spécialités, aux noms plus oumoins explicites, qui toutes participentd'une façon ou d'une autre à laproblématique des STIC : le Traitement duSignal, l'Analyse de Données, la Recon-naissance des Formes, l'InteractionHomme-Machine, les Bases de Données,la Recherche d'Information, l'IntelligenceArtificielle, l'Automatique, la RechercheOpérationnelle, ici grossièrement ordon-nées selon leur implication dans les troisfamilles de traitements qu'on vient dedécrire à grands traits. A côté de cesdisciplines focalisées sur des questionsspécifiques que nous ne préciserons pasdavantage ici, il existe aussi desthématiques de recherche transversales,centrées sur le type d'informationconsidéré, comme le Traitement d'Imageset la Vision par Ordinateur, ou comme leTraitement du Langage Naturel (paropposition aux langages artificiels del'informatique), ainsi que la LinguistiqueComputationnelle. Signalons enfin desproblématiques de recherche qui sont pluscentrées sur le développement d’un typed’outils que sur une classe de traitements,mais qui peuvent réunir aussi descommunautés de chercheurs : citons parexemple, les Réseaux de Neuronesartificiels (pour la classification et l’appren-tissage), les Algorithmes Génétiques (uneclasse de méta-heuristiques utilisée enoptimisation), ou la Logique Floue (orientéevers la manipulation de catégories auxfrontières mal définies mais plus flexiblepour appréhender la réalité). Notons qued’une manière ou d’une autre ces troisexemples tirent leur idée première deparadigmes inspirés du vivant ou del’humain.

L'IA, comme le suggèrent ses différentsparadigmes de recherche, présentés dansce livret, opère à la confluence des troisfamilles d'opérations citées plus haut et setrouve ainsi au coeur des STI. En effet, ellese préoccupe de la manipulation d'informa-tions pour l'essentiel non-numériques, demécanismes généraux de raisonnement,de résolution de problèmes et d'outils pourl'explication des résultats. Ainsi, l'IApropose-t-elle des outils pour la "fouille" debases de données afin d'en extraire desconnaissances synthétiques ou d'ydécouvrir des informations cachées, dediagnostiquer des situations, ou d'aider àsuperviser la conduite de systèmes.Clairement, dans la plupart des applica-tions, l'IA, même quand elle en est unecomposante prépondérante, n'intervientpas de manière isolée, mais au contraireen relation étroite avec d'autres disciplinesdes STI.

La Robotique est un bon exemple dedomaine spécialisé où les STI, et notam-ment l'IA, ont une place importante. L'IA yest utilisée pour maintenir des représenta-tions dynamiques de l'environnement desrobots, les munir de capacités deplanification d'actions ou de génération detrajectoires évitant les obstacles, d'inter-prétation d'images, et éventuellement decommunication en langage naturel. Maisles robots sont en général plus que de"simples cerveaux" (spécialisés), puisqu'ilsdisposent de capteurs et d'effecteurs pourla locomotion et la préhension dont lamaîtrise pose aussi de nombreuxproblèmes de mécanique, d'ingénierie etd'informatique. A la jonction de laRobotique, de l’IA Multi-Agents et de laRéalité Virtuelle, la Vie Artificielles’intéresse à l’étude, la simulation ou laréalisation d’êtres animés artificielscapables d’effectuer de manière adaptativedes tâches spécialisées.

Didier Dubois, Henri Prade

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Sciences de la cognition et IAVisages multiples

d’un projet (presque) unique

Quelques mots de présentation sontnécessaires, même si on ne tentera pas icide cerner complètement l’univers multipledes sciences de la cognition, d’autantqu’elles peuvent recevoir des définitionsconcurrentes qui trahissent à la fois leurjeunesse et la multiplicité de leurs objectifs.Une définition minimale serait de direqu’elles ont pour objet de décrire,d’expliquer et le cas échéant de simuler lesprincipales dispositions et capacités del’esprit humain - langage, raisonnement,perception, coordination motrice,planification...“ (Daniel Andler, Encyclop.Universalis, 1989). Même une esquisseaussi ténue suffit à indiquer qu’une telleambition est fondamentalement transdisci-plinaire et qu’elle exige la collaboration dedisciplines aussi diverses que laneurophysiologie et la neuropsychologie, lapsychologie, la linguistique et lapragmatique, la philosophie de l’esprit,l’anthropologie culturelle... ceci pour laphase de description empirique desphénomènes cognitifs et leur interprétation,la mathématique et la logique pour leurreprésentation formelle et leur modélisa-tion, enfin l’informatique théorique quifournit le paradigme fondamentalementcomputationnel de la cognition et qui de cefait ouvre la voie à la simulation de certainscomportements cognitifs. C'est dans larésolution des problèmes formels etcalculatoires que soulève la mise en œuvrede cette simulation de comportementscognitifs par une machine que résidel'essentiel des tâches de l'IA.

Vu de plus près, ce cadre général révèlepourtant un clivage théorique importantentre les deux grandes orientations de larecherche cognitive. On distinguera lecognitivisme "classique", construit autourde la notion de processus mental, dont lareprésentation s'exprime dans deslangages symboliques discrets (comme lalogique), et dont la "dynamique" met en jeules concepts de mémorisation et detraitement de l'information. Les calculs quiréalisent ces processus s’effectuent

idéalement dans des architecturescomputationnelles séquentielles, c’est àdire isomorphes à celle des ordinateurs detype Von Neumann classiques. Sonprogramme porte sur la description desactivités mentales caractéristiques decomportements psychologiques et linguisti-ques aussi divers que la reconnaissancede formes, la compréhension et laproduction du langage, l’acquisition deconnaissances, la conduite de raison-nements et la prise de décisions ou mêmela manifestation d’états émotionnels.

La conception complémentaire de laprécédente, dite "sub-symbolique", estfondée sur un paradigme biologique,attaché comme son nom l’indique à ladescription des structures et des fonctionsneuronales sous-jacentes aux phénomè-nes mentaux évoqués plus haut, maisaussi à d’autres phénomènes n’accédantpas nécessairement au niveau mental maisnéanmoins très importants, par exemple lecontrôle du comportement sensori-moteur.Les modèles dans cette approche s’expri-meront surtout au moyen de formalismesdu continu comme l’analyse non-linéaire oules processus markoviens, et leurtraitement s’effectuera dans des archi-tectures hautement parallèles du type"réseaux de neurones" ou automatescellulaires.

Une seconde distinction doit être faite selonla conception, en quelque sorte "sociale",dont on affecte l'exercice de l'intelligence.Dans la première, qui a donné naissance àl’IA classique, celle-ci est l'apanage d'unagent cognitif individuel. La secondearchitecture cognitive pourrait être qualifiéede "collective" ou "distribuée", puisqu'elledéveloppe de manière plus spécifique unesérie de recherches sur les techniques derésolution collective de problèmes par desentités appelées "agents" coopérant ausein d'un même système. Ces systèmes,dans lesquels les connaissances, lestraitements et le contrôle sont distribués,réalisent une fonction globale qui est parexemple mise en œuvre pour simuler lecomportement de collectivités naturellesaussi diverses que des organismescellulaires (neuronaux) ou des coloniesd'insectes.

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Ensemble, ces approches affichent uneambition qui ouvre des territoires nouveauxet assez bouleversants à la penséescientifique. Il y aurait bien entendu unedémesure inquiétante dans cette ambitionsi elle était prise au pied de la lettre, c’est àdire sans les restrictions inséparables detoute démarche scientifique. Le sens desmots varie subrepticement selon qu’ils sontemployés dans le langage courant ou danscelui du projet scientifique. Vues de plusprès, quelles sont les contraintes associéesaux objectifs du projet cognitif? Lapremière exigence porte sur la délimitationau niveau empirique du domaine del’analyse - le langage, la perception, leraisonnement… - ce qui restreintimmédiatement la portée des résultatséventuels à une classe de phénomènescognitifs. Leur extrême diversité ne permetcertainement pas de tirer de conclusionsquant à la cognition en général. En outre, ilne faut pas oublier qu'à cette"segmentation" sur des critères empiriquesvient se superposer en quelque sorte, pourla plupart des phénomènes cognitifs, ladiversité des options théoriques etméthodologiques évoquées plus haut.

Il s’en suit que la connaissance éventuellesera doublement circonscrite: par lesdélimitations a priori et par les choixthéoriques selon lesquels est conduitel'étude. On a pu dire que la toile de fond del'"IA classique" est mentale. Si l’on voulait,comme le fait parfois l'IAD, descendrejusqu’au niveau neuronal, il faudrait êtrecapable de décrire les structures etfonctions cérébrales impliquées dans lesprocessus mentaux considérés, ce quisuppose pour le moins des recherchesneuro-psychologiques importantes.

Les formes de l’activité de l’esprit sontconfrontées aux formes de la viesensorielle et cérébrale, mais il ne s’agitplus ici de corrélations behaviouristes sansprincipes. La révolution conceptuelleapportée par les sciences cognitives tientpour l’essentiel à la nature de la médiationque la théorie de la computation effective(sous ses diverses formes) a permisd’établir entre la sémantique des systèmessymboliques et les opérations program-mées sur ces symboles d’une part,l’architecture matérielle des machines et la

dynamique des transformations réglées deleurs états internes d’autre part. Entre lesoftware et le hardware, transposés auxstructures de l'univers mental et auxprocessus biologiques associés, l’informati-que fondamentale a défini un cadreconceptuel qui permet pour la première foisd’articuler avec rigueur les différentsavatars de la cognition et par conséquentde lancer un programme cohérent derecherches expérimentales aussi bien queformelles.

Encore faut-il ne pas faire de confusion: ilne s’agit pas d’assimiler le fonctionnementdes machines à celui de notre pensée,mais plutôt, sur la base d’un certainnombre d’hypothèses théoriques, de voirdans quelle mesure la référence auxmachines permet, au prix de travauxoriginaux sur nous-mêmes, d’éclairer lefonctionnement de notre pensée. On sesitue là au coeur du débat philosophiquetrès vif sur les relations entre le physique,le biologique et le mental que cesrecherches ont contribué à renouveler. Unenjeu majeur pour l'avenir du savoir surnous-mêmes.

Mario Borillo

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L’IA et la théorie des systèmessymboliques

Quelles relations entretiennent exactementmadame Laetitia Casta, les milliers destatuettes censées représenter une partiede son anatomie, le prénom de“ Marianne ”, et l’objet ainsi dénommé, lui-même censé représenter la RépubliqueFrançaise ? Ces relations sont-ellestributaires de propriétés esthétiques de cesstatuettes, ou (et) de leur ressemblanceréussie avec le “ modèle ” ? La localisationde ces dernières joue-t-elle un rôle (dansune mairie vs chez un particulier vs dansun entrepôt) ? — Quelles relations précisesexistent entre une partition musicale et uneexécution, et entre de multiples exécutions,de cette partition ? Et entre un tel type denotation et d’autres (chorégraphiques,gymniques, etc.) ? — Comment fonctionneexactement un diagramme, un graphique,un schéma, un plan d’architecte, une cartegéographique ? Appellent-ils un modespécifique de raisonnement à côté duraisonnement de type propositionnel ouvisuel ?

“ Une enquête systématique sur lesvariétés et les fonctions des symboles ararement été entreprise ” note N. Goodmandans l’Introduction des Langages de l’artqui constituent justement une telle enquêtesystématique. Il précise que le termesymbole “ recouvre les lettres, les mots, lestextes, les images, les diagrammes, lescartes, les modèles, et bien d’autreschoses ”, et un programme tel que FoR(Forms of Representation, cf. Peterson)comporte effectivement “ bien d’autreschoses ” encore. Et l’on peut être saisi dudoute de la pertinence scientifique dugroupement des questions indiquées pourcommencer, comme de l’homogénéité decet ensemble de dispositifs notationnels quisemble par exemple hors de portée d’uneapproche sémiologique post-saussurienne.N. Goodman a initié une problématiquesémiologique nouvelle en instituant cettelégitimité et cette homogénéité au niveauabstrait des formes de référence etd’identification opérées par les systèmessymboliques, et c’est principalement à ceniveau que l’IA peut être intéressée par, etintéresser, cette discipline puisqu’il met en

jeu des modes de représentation, deréférence et de raisonnement. Troisaspects illustratifs peuvent être signalés.

Sur le plan de la théorie de la référence, lesnotations issues de systèmes symboliquesdoivent satisfaire, pour qu’elles remplissentcorrectement les fonctions indiquées, desprérequis et contraintes qui garantissentleur univocité et leur efficacité : ne noterque ce qui est constitutif en laissant tout cequi n’est pas déterminant hors de lanotation ; être complètes (tous les cas sontprévus), consistantes (il n’y a pas decontradiction), compactes (il n’y a pas deredondance inutile), etc. Les recherchessur ces points conduisent à identifier etdéfinir formellement des formes originalesde référence telle que ressemblance,exemplification, expression, illustration,légendage, ou à redéfinir la relationmétaphorique.

En second lieu, les notations symboliquesconstituent, parmi tous les objets (au sensle plus large du mot) fabriqués parl’homme, des supports de l’exercice defacultés ou capacités cognitives, telles lamémorisation ou l’action. Il s’agit alors dereprésentations externes (RE) si on lesconfronte aux représentations internes (RI)à l’esprit/cerveau qui résultent dutraitement cognitif de l’information par lesêtres vivants. Quelles sont alors lesrelations de nature logique entre ces deuxtypes de représentations ? Les RI ne sontappréhendables indirectement qu’à traversdes hypothèses où les RE peuvent jouer unrôle décisif, bien qu’il soit avéré que les REne sont en aucune manière une copie ouune image des RI ; mais par ailleurs, lesRE peuvent servir de base à la constitutiondes représentations des connaissancesnécessaires à la mise en œuvre desraisonnements reconstruits par l’IA ; deplus, les RE, en tant qu’objets physiques,appréhendables sensoriellement, induisentelles-mêmes des RI ...

Enfin, à l’occasion de telles recherches, quiconcernent aussi bien les représentationsscientifiques que pratiques (en vue deguider l’action) ou encore les productionsartistiques, des domaines de l’informatiqueconstituent des champs d’applicationoriginaux pour l’IA, comme par exemple la

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conception de systèmes de visualisation de(structures de) données, de traitements, derésultats, — par exemple sur le web —,eux mêmes éléments d’interfaces“ intelligentes ” dont les NTIC ont besoin.L’histoire des progrès décisifs enmathématiques ou en chimie induits pardes progrès dans les systèmesnotationnels eux-mêmes (cf. Dagognet)signalent l’intérêt du sujet.

Jacques Virbel

L’Intelligence Artificielle,

un voyage dans notre culture

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L’édition de ce livret sur la recherche en IAoffre l’occasion d’ajouter une note surl’évolution de ses représentations dansnotre imaginaire. Les premiers signesapparaissent dans la culture occidentaleavec la construction des premiersautomates.

Le mythe de l’homme ingénieux au pointd’inventer une machine douéed’intelligence hante semble-t-il notre espritdés le XVIIIème siècle avec Vaucanson(1709-1782), homme des Lumières etpremier ingénieur de l’ère industrielle. Deuxpassions l’animent : la mécanique et lamédecine. Il construit ses premiersautomates, le joueur de flûte, le canardexposés aujourd’hui au Conservatoire desArts et Métiers à Paris. A l’époque, sescréations intriguent, fascinent, commentpouvait-il dans son projet d’homme artificieldoter sa machine d’intelligence ?

En 1747 Julien Offray de La Mettriepropose une réponse dans son livre“ L’homme-machine ”, oeuvre interdite quisera brûlée et obligera l’auteur à quitter lesPays Bas où il s’était réfugié. “ S’il fallutplus d’instruments, plus de rouages, plusde ressorts pour marquer les mouvementsdes planètes que pour marquer les heuresou les répéter; s’il a fallu plus d’art àVaucanson pour faire son flûteur que pourson canard, il eût dû en employer encoredavantage pour faire un parleur : machinequi ne peut plus être regardée commeimpossible, surtout entre les mains d’unnouveau Prométhée ”. L’idée d’un homme-machine agite le monde des Lumières etoppose violemment ceux qui croient en lapart d’immatérialité de l'homme, à sonesprit, à son âme.

Un nouveau pas est franchi en 1818 avecle roman “ Frankenstein ou le Prométhéemoderne ” de Mary Godwin Shelley oùl’autonomie de la machine, sa capacité àexercer son libre arbitre, vont inspirer touteune lignée de romans d’anticipation. Danscet esprit s’imaginent aussi “ l’Eve future ”de Villiers de l’Isle d’Adam en 1886, et unpeu plus tard “ Le surmâle ” d’Alfred Jarry1902, “ Locus Solus ” de Raymond Roussel1914. Le cinéma entre dans l’aventure avec“ Le cabinet du Docteur Galigari ” deRobert Weine 1919.

Les années 20 connaissent de nouvellesprogressions scientifiques dont on retrouvela trace dans la culture. Carel Capek écritune comédie utopique “ R.U.R ” oùapparaît pour la première fois le mot robot.“ […] Il arrive quelquefois qu’un Robots’endommage lui-même, parce que cela nelui fait pas mal ; il fourre la main dans unemachine, il se casse un doigt ou la tête…çalui est égal. Il faut leur donner la douleur :c’est une prophylaxie automatique contreles accidents. […]. Pourquoi ne leurdonnez-vous pas une âme ? […] Ce n’estpas en notre pouvoir. […] Cela rendrait lafabrication plus coûteuse. ”

Mais peut-on mécaniser la pensée et laconscience - serait-ce l'âme ? - au point deles implanter dans une machine ? Qu’est-ce que l’intelligence : de la pensée, de laconscience, du raisonnement, du juge-ment, de la décision, de l’expérience, dulangage, des sentiments, des perceptions,du savoir, du discernement… ? Autant dequestions complexes, qui paraissentimpossibles à résoudre. Pourtant, en 1950,Turing considéré comme le père fondateurde l’informatique, fait l’hypothèse qu’ " à lafin du siècle, l’on pourra parler de machinespensantes sans craindre d’être contredit".Avec le concept de machine de Turing,l’arrivée des premiers ordinateurs, notreintelligence pourrait-elle se ramener à desimples calculs ?

Le film de Stanley Kubrick “ 2001 l’Odysséede l’espace ” réalisé en 1968 d’après unenouvelle de Arthur Charles Clarke nous faitdécouvrir un ordinateur, “ Carl ”, cerveaudu vaisseau spatial. Il n’a pas l’autonomiede mouvement des humains, mais il estdoué de connaissances encyclopédiques etgère toutes les communications. Il prendrale pouvoir (sur les hommes) grâce à sonaptitude à mettre en relation des savoirsdifférents et il décidera seul de ce qui estbon ou mauvais pour lui et les autres. Lesinterrogations de Vaucanson sont denouveau d'actualité. “ Le problème deTuring ”, roman de science-fiction de HarryHarrison et Marvin Minsky (un desfondateurs de l’Intelligence Artificielle),édité en 1992, pose clairement la questionde l’humanité chez l’homme et la machine.Il est notable que dans ce roman, la

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machine devienne plus humaine que soncréateur.

Les univers oniriques proposés par lecinéma, la littérature et l’art alimentent nosopinions sur la science et notre devenir.Dans la lignée de Frankenstein, les romansd’anticipations sont peuplés d’hommes-machine, d’hommes bioniques et de robotsqui dirigent le monde. L’homme n’a plus deraison d’être, sinon de servir ce nouveaumonde ou de tenter de s’en extraire.L’Intelligence Artificielle peut aussi appa-raître sous des formes plus complexes,comme la logique froide d’un systèmed’organisation produit par l’homme et dontil est devenu l’instrument. Un dernier genrerenverse le sujet. Le cinéma comme lalittérature et l’art deviennent de ce fait desmachines à explorer notre propre logique.L’Intelligence Artificielle devient le langage,l’écriture, le scénario. La logique de lapensée et la construction d’arborescencessont autant d’états de notre esprit quioscille entre perte de sens et organisationde l’image de nous-même.

Le jeu nous met en abîme. Les artefactssont si rapides, si efficaces, siautonomes… Serions-nous ordonnés,maîtrisés, commercialisés, chosifiés ? Sepose ainsi l’ultime question de notre proprenature et de notre aptitude à dépasser ceque l’on invente. La mécanisation de lapensée ouvre un monde que l’on invente ànotre guise, un peu comme dans les livresà parcours multiples “ dont vous êtes lehéros ”.

Charlie Chaplin dans “ Les TempsModernes ” pose la question de l’hommeréduit à l’appendice de la machine. Lalittérature contemporaine et l’industrie duspectacle dessinent discrètement l'esquis-se de ce que nous pourrions être nous-mêmes des intelligences artificielles auservice d’une cause encore inconnue etinaccessible.

Mais toujours est-il vrai que l’imaginationseule aperçoit que c’est elle qui sereprésente tous les objets, avec les mots etles figures qui les caractérisent ; et qu’ainsic’est elle encore une fois qui est l’âme,puisqu’elle en fait tous les rôles.[…] Parelle, les sciences fleurissent, les arts

embellissent, les bois parlent, les échossoupirent, les rochers pleurent, le marbrerespire, tout prend vie parmi les corpsinanimés (Julien Offray de La Mettrie).

Catherine Gadon

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Pour conclure…

sur une ouverture

Ce livret veut offrir un panorama desgrandes problématiques de l'IA aujourd'hui.Comme on peut s'en rendre compte, lesrecherches en IA depuis près de cinquanteans ont permis de mieux comprendre, deformaliser, de faire exécuter à desmachines des tâches qui semblaient êtrel'apanage de l'intelligence humaine, commedes tâches de raisonnement, d’explicationet de résolution de problèmes, comme pourle diagnostic, la planification, l'aide à laconception, à la prévision ou à la décision,l'analyse ou la génération de textes ou dedialogues en langage naturel ... Cette liste,on le voit, est longue et diverse, et il estremarquable que les machines utilisentsouvent des méthodes génériques pouratteindre leurs objectifs.

La puissance multipliée des ordinateurs, ledéveloppement de nouvelles architecturesmatérielles, par exemple, rendentenvisageables le traitement et la résolutionpratique de problèmes toujours plusdifficiles. L'émergence de nouveauxdomaines pour l'informatique et lessciences du traitement de l'information,ouvre de nouveaux défis à la recherche enIA. On peut citer par exemple, la sphèreInternet, le web, le commerce électronique,etc... Qui a utilisé un moteur de recherchese rend compte de la nécessité d'une"recherche intelligente" de l'information.Comment organiser et traiter cesgigantesques masses d'informations?Comment en extraire les connaissancespertinentes pour les problèmes posés ?C'est à l’évidence un domaine où lesrecherches en IA trouvent un importantchamp d'applications. Notons aussi que parleurs retombées dans des domaines aussidivers que l'aéronautique et l'espace,l'agriculture, la production industrielle, labanque et la finance..., l'informatique aréussi à élargir considérablement sonimpact dans la transformation enprofondeur des activités humaines.

On peut dira que l’IA, en modélisant et ensimulant des fonctions cognitives parti-

culières, permet de faire effectuer destâches réputées intelligentes à desmachines, de manière généralement à lafois plus fiable et plus rapide que ne leferait l'homme, en exploitant généralementde grandes quantités d'information. Celadonne lieu à des réalisations qui peuventêtre spectaculaires, mais qui peuvent aussiperturber l'idée qu'on se fait de notreintelligence.

Bien sûr de grands progrès restent encoreà faire en IA pour créer des systèmesdisposant de gammes plus étendues decapacités cognitives et aussi plusconviviaux pour les usagers. Sans doute,est-il parfaitement envisageable que l'IAréalise des systèmes capables d'unecertaine introspection (c. à d. de s'observerdans des tâches de raisonnement etd'acquérir ainsi des méta-connaissances),d'analyser des émotions, ou même d'écriredes poèmes ou de réaliser des oeuvresgraphiques obéissant à certaines contrain-tes ou principes. Mais tout ceci resteraencore assez loin d'une pensée autonome,consciente d'elle-même, capable de jongleravec les représentations qu'elle se fait dumonde, de se comporter de manièreludique, non purement réactive, de créer demanière non dirigée, de rêver.

Mario Borillo, Luis Farinas del Cerro, Henri Prade

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Intervenants

Régine André-Obrecht, Univ. P. Sabatier

Nathalie Aussenac, Univ. P. Sabatier

Salem Benferhat, CNRS

Mario Borillo, CNRS

Myriam Bras, Univ. P. Sabatier

Claudette Cayrol, Univ. P. Sabatier

Didier Dubois, CNRS

Yves Duthen, Univ. P. Sabatier

Luis Farinas del Cerro, CNRS

Hélène Fargier, CNRS

Henri Farreny, Inst. Nat. Poly. Toul.

Catherine Gadon, Culture, Univ. P. Sabatier

Marie-Pierre Gleizes, Univ. P Sabatier

Pierre Glize, CNRS

Andreas Herzig, CNRS

Jean-Pierre Jessel, Univ. P. Sabatier

Philippe Joly, Univ. P. Sabatier

Jérôme Lang, CNRS

Henri Prade, CNRS

Gilles Richard, Univ. P. Sabatier

Patrick Saint-Dizier, CNRS

Lakdhar Saïs, Univ. P. Sabatier

Jean-Luc Soubie, INRIA

Laure Vieu, CNRS

Jacques Virbel, CNRS