Les pirates et les brigands dans le roman grec - Accueil · UFR de Lettres et Arts ... Les pirates...

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HAL Id: dumas-00843300 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00843300 Submitted on 11 Jul 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien Pérez Isabelle To cite this version: Pérez Isabelle. Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien. Littératures. 2013. <dumas- 00843300>

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  • HAL Id: dumas-00843300https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00843300

    Submitted on 11 Jul 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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    Les pirates et les brigands dans le roman grec ancienPrez Isabelle

    To cite this version:Prez Isabelle. Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien. Littratures. 2013.

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  • 1

    Universit Stendhal (Grenoble 3)

    UFR de Lettres et Arts

    Dpartement de Lettres Classiques.

    Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien.

    Mmoire de recherche pour le Master 2 Lettres et Arts, spcialit Langues et civilisations de

    lantiquit

    Prsent par : Directrice de recherches :

    Isabelle Perez le 22/05/2013 Me Franoise Ltoublon

    Professeur de Littrature grecque.

    Docteur Honoris Causa.

    Anne universitaire 2012-2013.

  • 2

    INTRODUCTION p. 5

    PARTIE 1 : DES FIGURES ROMANESQUES.

    CHAPITRE 1 : LE VOCABULAIRE DE LA PIRATERIE ET DU

    BRIGANDAGE. p. 9

    I. La famille de .

    II. La famille de .

    III. La famille de .

    IV. La distinction entre le et le / .

    CHAPITRE 2 : LA PRESENCE INCONTOURNABLE DES PIRATES ET DES

    BRIGANDS p. 18

    I. Le schma narratif des romans grecs.

    II. Les dbuts de romans : des personnages catastrophiques.

    III. Les milieux de romans : des opposants envahissants et criminels.

    A. Des personnages actifs.

    B. Des personnages voqus.

    a. dans les rsums.

    b. dans les rves.

    c. dans les explications dpisodes non lucids.

    d. dans les lamentations.

    IV. Les fins de romans : des ennemis limins.

    CHAPITRE 3 : LES CATEGORIES DE PIRATES ET DE BRIGANDS . p. 30

    I. Les chefs de troupes.

    A. Les chefs des pirates, brigands et Bouviers.

    B. Les cas de Thyamis et dHippothoos.

    II. Les troupes.

    a. Certains brigands se distinguent.

  • 3

    b. La plupart restent anonymes.

    CHAPITRE 4 : PORTRAITS DES PIRATES ET DES BRIGANDS p. 37

    I. Aspects physiques.

    A. Les pirates et les brigands.

    B. Les Bouviers.

    II. Aspects moraux.

    A. Les pirates et les brigands.

    a. Le point de vue des victimes.

    b. Le point de vue des brigands.

    III. Le mode de recrutement.

    IV. Une socit hirarchise et organise.

    A. Des chefs et des troupes.

    B. Une socit de brigands.

    C. Des lois.

    D. Des repaires.

    PARTIE 2 : LE RLE DES SOURCES.

    CHAPITRE 5 : LE ROLE DES SOURCES HISTORIQUES : CONSTITUTION DES

    FIGURES DES PIRATES ET DES BRIGANDS p.54

    I. Les pirates et ses brigands du monde mditerranen.

    II. Les Bouviers du delta du Nil.

    A. Des gardiens de bufs ?

    B. Des brigands ?

    III. Deux vnements et leurs retentissements.

    A. Lenlvement de Jules Csar par des pirates ciliciens.

    B. La rvolte des Bouviers du delta du Nil.

    a. Un pisode dramatis.

    b. Un rcit dtourn.

  • 4

    CHAPITRE 6 : LE ROLE DES SOURCES LITTERAIRES : CONSTITUTION DES

    FIGURES DE PIRATES ET DE BRIGANDS p. 66

    I. Pirates et brigands dans littrature gyptienne.

    II. Pirates et brigands dans mythogie grecque et romaine.

    A. Les brigands.

    B. Les pirates.

    C. Les ekphraseis.

    III. Pirates et brigands dans la tragdie.

    IV. Pirates et brigands dans la comdie.

    V. Pirates et brigands dans les discours rhtoriques et judiciaires.

    CHAPITRE 7 : JUGEMENTS ET CONDAMNATIONS PORTES SUR LES

    PIRATES ET LES BRIGANDS . p. 78

    I. La lutte contre le brigandage au quotidien.

    II. Jugements et condamnations des romanciers.

    III. Le triomphe des valeurs grecques dans les romans.

    A. La dfaite des pirates et des brigands.

    a. La btise des pirates et brigands.

    b. Le triomphe des armes sur les brigands.

    B. Le triomphe de la beaut et de la noblesse.

    PARTIE 3 : DETOURNEMENT DES STEREOTYPES.

    CHAPITRE 8 : COMMENT LES ROMANCIERS UTILISENT-ILS LE

    STREOTYPE DU PIRATE ET DU BRIGAND ? ............................................................ p.84

    I. Chariton dAphrodise : une critique dAthnes.

    II. Achille Tatius :

    A. Les Bouviers : outils du sensationnel.

    B. Les ekphraseis : des nigmes dcoder.

    III. Hliodore.

  • 5

    A. Du brigand au prtre.

    B. Un hros de tragdie grecque.

    IV. Longus : La mtaphore du brigandage damour.

    V. Xnophon dEphse : Multitude et varit.

    CHAPITRE 9 : LES PIRATES ET LES BRIGANDS FACE A LAMOUR p. 94

    I. Attitude des pirates et des brigands face lamour.

    A. Des sparateurs de couples.

    B. Des amoureux impulsifs

    II. Mtaphores du pirate et du brigand sappliquent des gens libres et bien ns.

    A. Les mtaphores du pirate, du repaire de pirates et de la bte sauvage chez Achille

    Tatius.

    B. Les mtaphores du cur de brigand chez Hliodore .

    C. La mtaphore du brigandage damour chez Longus.

    III. Le pouvoir dErs : renversement des identits.

    A. Clitophon.

    B. Callisthns.

    C. Thyamis.

    D. Chairas.

    IV. Lamour idal contre lamour mprisable.

    CHAPITRE 10 : LES PIRATES ET LES BRIGANDS CHEZ PETRONE ET CHEZ

    APULEE ... p. 108

    I. Ptrone, Le Satiricon.

    II. Apule, Lne dor ou Les mtamorphoses.

    CONCLUSION.. p. 115

    BIBLIOGRAPHIE. p. 117

    ANNEXES.. p.121

  • 6

    INTRODUCTION.

    Un roman daventures nest pas seulement un roman o il y a des aventures ; cest

    un rcit dont lobjectif premier est de raconter des aventures, et qui ne peut exister sans elles.

    Laventure est lirruption du hasard, ou du destin, dans la vie quotidienne, o elle introduit un

    bouleversement qui rend la mort possible, probable, prsente, jusquau dnouement qui en

    triomphe. crit Jean-Yves Tadi dans Le roman daventures. Cette dfinition peut

    sappliquer aux romans grecs anciens.

    Lirruption du hasard dans les romans grecs se nomme (la Fortune), prsente

    comme une desse qui prside au sort des deux jeunes hros. Elle est tantt bonne, tantt

    mauvaise. Le premier bouleversement quelle introduit est la rencontre des deux jeunes gens.

    Sensuit lintervention dEros qui rend les deux adolescents amoureux, puis leur fuite et, au

    dtour de chaque aventure, la mort possible. Aussi bien la Fortune quErs sont

    imprvisibles : ils aiment jouer avec les hommes. Ers, dont la toute-puissance est annonce

    ds les dbuts des romans, triomphera avec le dnouement, mais la fin. En attendant, la

    Fortune, derrire qui se cache le romancier, est plus puissante quErs et elle amnera

    pripties et revirements, mise en scne et suspens.

    Les romanciers grecs suivent tous le mme schma narratif 1: deux jeunes gens, trs

    beaux et dorigine noble, se rencontrent par hasard et tombent amoureux. Mais de graves

    obstacles les empchent de sunir et les conduisent loin de leur foyer. Durant leur fuite ils

    doivent affronter de nombreux dangers et de de grandes souffrances, soit isols soit en

    compagnie dautres personnages. Ils restent toujours fidles lun lautre, et les dieux les

    guident dans les moments les plus difficiles. Ils se retrouvent la fin. Les mchants sont punis

    et les deux jeunes gens retrouvent leur foyer dorigine.

    Le suspens porte sur la faon dont une jeune fille et un jeune homme, magnifiques en

    tous points de vue, vont parvenir vivre leur amour en dpit des aventures quils subissent,

    avec toutes leurs panoplies dmotions telles que la peur, langoisse, la violence, la jalousie,

    la passion. Mais, bien sr, dans les cinq romans grecs, le jeune couple parvient se runir et

    saimer aprs avoir tenu le lecteur en haleine. Les pirates et les brigands reprsentent quelques

    unes des preuves que les amoureux doivent franchir et ils remplissent toutes les conditions

    pour offrir au lecteur cette gamme dmotions et dactions violentes dans le roman grec. Le

    1 Franoise Ltoublon, Les lieux communs du roman, E. J. Brill, Leiden, 1993.

  • 7

    thme de la piraterie et du brigandage investit deux domaines : celui de laventure et de ses

    violences et celui de lamour et de ses passions.

    Certes les romans grecs voquent tous les aventures dun jeune couple damants, tous

    deux trs beaux, et semblables des dieux, promens au gr de Fortune, et des pirates, et des

    brigands, ou parfois des deux, dans le vaste monde mditerranen mais leur intrt tient la

    faon dont ils vont parvenir franchir les diffrents obstacles et progresser jusqu atteindre

    la perfection amoureuse et sociale des gens bien ns. Deux types damour sont prsents dans

    les romans et ils se livrent bataille. Il sagit de lamour vulgaire avec ses plaisirs corporels

    contre lamour pur, qui slve au-del des considrations corporelles et permet le

    perfectionnement de lme. Les pirates et les brigands vont aussi livrer bataille.

    Les cinq romanciers suivants mettent en scne les cruels personnages des pirates et des

    brigands dans leurs romans 2:

    Achille Tatius dans Le roman de Leucipp et Clitophon

    Chariton dAphrodise dans Le roman de Chairas et Callirho

    Hliodore dans Les Ethiopiques, Thagne et Charicle

    Longus dans Pastorales ( Daphnis et Chlo)

    Xnophon dEphse dans Les Ephsiaques.

    Nous trouvons des bouviers, des pirates et des brigands chez Achille Tatius ; des

    pirates et brigands chez Chariton dAphrodise ; des troupes de brigands rivales, des bouviers,

    des pirates de Pharos chez Hliodore ; des brigands tyriens chez Longus ; des pirates

    phniciens, des brigands et des bergers chez Xnophon. Ils sont tous des personnages

    secondaires et des personnages catastrophiques qui sparent mais peuvent aussi runir,

    contre toute attente, hros et hrones ; ils tombent amoureux, parfois violemment, font

    preuve de cruaut ou au contraire de bont et ressemblent aussi aux autres hommes. Il y a en

    effet les vrais et les faux pirates ou brigands. Certains brigands sont danciens hommes libres

    de haute naisance qui ont connu des malheurs sentimentaux ou sociaux. A linverse, certains

    hommes ou femmes libres ainsi que leurs esclaves se comportent parfois comme des pirates

    ou des brigands ; et mme le hros peut tre trait de brigand. Les pirates ou brigands que le

    romancier veut distinguer sont au singulier : le faux brigand Thyamis ; ou le brigand

    occasionnel Hippothoos ; ou le pirate Thron ; ou leffrayant pirate Corymbos ; ou Manto,

    fille et pouse de pirates. Les pirates et brigands strotyps sont au pluriel. Nous pouvons

    2 Titres proposs par ldition des Belles Lettres, Paris.

  • 8

    ainsi nous demander do viennent toutes ces figures littraires, quel point de vue les

    auteurs adoptent et dans quel but.

    Le roman grec se caractrise par son ouverture toutes les influences, il est le lieu o

    se rencontrent et se mlent divers genres littraires : pope et histoire, tragdie classique,

    comdie nouvelle, contes mythologiques, ekphrasis, etc. Quelles sont ses sources ? Sont-elles

    historiques, mythologiques, orales, littraires, picturales et dans quel sens sest produit

    linfluence ? et que veut-il raconter ? Les pirates et les brigands ont-ils une fonction

    symbolique particulire ? Illustrent-ils des personnages reprsents dans des mosaques ou

    des peintures ? Sont-ils le reflet de la pense morale de leurs auteurs ? Sont-ils les

    reprsentants de la barbarie ? Les questions sont nombreuses Notre tude permettra de

    poser plus prcisment ces questions et dexaminer les diffrentes rponses possibles et

    pertinentes avec le rle des pirates et des brigands dans les romans pour fil directeur.

    Pour mener bien une telle tude, la premire partie examine les figures des pirates et

    des brigands romanesques. Le premier chapitre essaie danalyser le vocabulaire de la piraterie

    et du brigandage en partant de ltymologie pour aller jusqu lutilisation quen font les

    romanciers et de dgager ainsi les diffrences entre les et les tant dans

    lusage du vocabulaire que dans les types de brigandage que lon peut rpertorier dans les

    romans. Le deuxime chapitre analyse le schma narratif des romans en montrant que la

    prsence des pirates et des brigands est incontournable et envahissante. Puis les chefs des

    pirates et des brigands, et en particulier Thyamis et Hippothoos, ainsi que leurs troupes sont

    envisags pour en faire leurs portraits physiques et moraux et dcrire leur organisation. Aprs

    cette premire partie littraire, nous nous proccuperons des sources de nos romanciers,

    quelles proviennent de la ralit, de textes historiques ou de textes littraires, en examinant

    dans quelle mesure les romanciers ont pu tre influencs. Nous pouvons nous demander si la

    ralit des pirates et des brigands, et en particulier ceux qui ont fait la Une des actualits du

    Ier sicle avant notre re et du IIme, ont impos les bases dun archtype du pirate et du

    brigand et si les romanciers sen sont servis ou carts pour laborer leurs figures littraires.

    Aprs cet expos historique et littraire, le chapitre huit pose la question des jugements et des

    condamnations dans la ralit historique et dans les romans. La troisime partie voque

    lutilisation spcifique que le romanciers grecs et latins font de ces figures littraires. Le

    chapitre neuf voque loriginalit des romanciers dans leur manire personnelle dutiliser les

    pirates et les brigands en les mettant aux prises avec lamour, en montrant le pouvoir dErs

    sur eux et les autres, et dveloppant lide dun amour idal. Ce travail sachvera sur une

  • 9

    comparaison avec les deux romans latins et lutilisation que Ptrone et Apule font de leurs

    brigands.

  • 10

    CHAPITRE I : LE VOCABULAIRE DE LA PIRATERIE ET DU

    BRIGANDAGE.

    Il est tout dabord ncessaire dentreprendre ltude du vocabulaire afin de

    comprendre ce que les romanciers entendent par pirates et brigands. Nous pouvons nous

    demander si les sens modernes de pirate et de brigand correspondent aux sens que leur

    donnaient les anciens.

    Le mot pirate, emprunt au latin pirata emprunt lui-mme au grec , dsigne

    aujourdhui un aventurier qui court les mers pour piller les navires, ralit aussi ancienne

    que la navigation 3. Lemploi du mot en apposition, avec par exemple vaisseau pirate, prend

    le sens de clandestin, illicite . Le mot brigand, emprunt litalien brigante, driv de

    briga troupe et aussi querelle, lutte , dsigne un voleur arm . Par extension le mot

    est employ en parlant dune personne malhonnte4. Les pirates ralisent donc leurs exactions

    sur mer ; les brigands sur terre pour les modernes. Ltymologie et lhistoire des mots vont

    nous permettre de dgager des dfinitions plus prcises des pirates et brigands de lantiquit et

    de mieux comprendre lutilisation quen font les romanciers grecs.

    Les romanciers utilisent principalement les noms , , et pour

    dsigner leurs hors-la-loi.

    I. La famille de .

    Le nom dagent est issu de la famille de mots de qui signifie, selon le

    Dictionnaire tymologique de la langue grecque de Pierre Chantraine, tentative, exprience,

    essai , parfois fait de mettre lpreuve , parfois attaque, tentative de sduire

    une femme . Ces trois champs smantiques se retrouvent dans les verbes dnominatifs

    , et, plus rarement, , qui signifient tenter de faire quelque chose avec

    linfinitif ; mettre quelquun lpreuve , lattaquer avec le gnitif (chez Homre et

    Thucydide, les emplois militaires sont assez nombreux) ; chercher sduire une femme .

    Le verbe est employ depuis Homre jusqu lpoque romaine.

    Les drivs du nom sont qui constitue un essai ; (neutre

    pluriel) preuve au tribunal ; nid de pirates, bande de pirates ; le nom

    d'agent brigand, pirate apparat la priode hellnistique avec le sens militaire

    3 Dfinition du Dictionnaire historique de la langue franaise. Paris, 2010. 4 Id.

  • 11

    de celui qui attaque , do qui concerne les pirates , se conduire

    en pirate .

    Cette famille de mots s'est prte des emplois assez divers, souvent expressifs

    comme ceux d'attaquer au sens militaire, de s'en prendre une femme, de tenter, de faire

    succomber la tentation.

    Le nom repose sur *per-ya dont la notion originelle serait aller de l'avant,

    pntrer dans . On peut rapprocher de cette racine le latin periculum preuve d'o

    danger, pril , peritus expriment , experior prouver, faire l'exprience de .

    La recherche dans le Thesaurus Linguae Graecae5 porte sur le thme -, prsent

    dans , et rpertorie soixante mots dans les cinq romans : le roman de Longus nen

    contient quun (lpisode des pirates est bref) ; les quatre autres en contiennent une quinzaine

    chacun ; ce qui en fait, chez ces derniers, un thme assez frquent. Mais les pirates peuvent

    aussi tre dsigns par une priphrase, ou par leur prnom, une fois quils ont t prsents

    par lauteur, ou par des pronoms de reprise. Leur place et leur rle sont importants dans quatre

    romans sur cinq. Les mots de la famille de prcits et contenant le thme - se

    retrouvent chez les cinq romanciers grecs, ainsi rpartis :

    Achille Tatius Chariton Hliodore Longus Xnophon

    3 2 0 0 11

    , ,

    3 3 3 0 0

    /

    5 2 2 0 0

    tenter

    1 6 6 1 4

    5 TLG : base de donnes regroupant lensemble des textes crits en grec rassembls par des professeurs de luniversit de californie Irvine.

  • 12

    Ladjectif , , qui concerne les pirates, de pirate est utilis par

    Chariton dAphrodise, Hliodore et Achille Tatius. Il qualifie quatre fois fois lembarcation

    des pirates, deux fois une bande de pirates, une fois des pcheurs de pourpre qui sadonne la

    piraterie, une fois lhybris dont font preuve les pirates selon Leucipp, lhrone dAchille

    Tatius, une fois le temprament naturel dun esclave. Nous pouvons constater quAchille

    Tatius napplique pas cet adjectif uniquement aux pirates eux-mmes et leur environnement

    mais aussi un esclave. Cette mtaphore se poursuit avec le nom nid de pirates,

    troupe de pirates. En effet le se situe, toujours chez Achille Tatius, chez

    Thersandre et Mlit, des hommes et femmes libres, ou bien il dsigne, avec ironie, une

    troupe de philosophes. Deux occurrences dsignent une troupe ou des dangers chez Chariton

    et Hliodore. Le mot au pluriel dsigne, chez Hliodore, une preuve au tribunal, comme le

    signale Pierre Chantraine.

    Les verbes et prennent toujours le sens de tenter de avec

    l'infinitif parmi les formes verbales contenant -, cest dire les troisimes personnes du

    singulier du prsent actif, de limparfait actif ou du parfait passif. Et les pirates ne sont pas les

    seuls personnages tenter de faire quelque chose : tous les catgories de personnages tentent

    de faire quelque chose, le verbe tant courant en grec.

    Il y a seize occurrences du nom , dont onze chez Xnophon. Le nom pirate est

    utilis quinze fois au pluriel chez les romanciers, except une fois au singulier chez

    Xnophon. Les auteurs dsignent ainsi un groupe car on ne rencontre les pirates quen bande

    dans les romans, et, mme si parfois le chef des pirates se singularise, comme Thron chez

    Chariton dAphrodise, il nest jamais appel le pirate mais le brigand . Les sens

    premiers tenter de faire quelque chose et de mettre quelquun lpreuve et d

    attaquer associ au suffixe de nom d'agent - indique que le pirate est celui qui met

    lpreuve, qui attaque. Les pirates des romans en effet attaquent les personnages du rcit,

    hros et hrones en particulier, et les mettent lpreuve sur le plan physique : ces derniers

    risquent le viol ou la mort. Ltymologie cependant ne prcise pas quils sont lis la mer

    comme le sens moderne linclut dans sa dfinition.

  • 13

    II. La famille de .

    Le terme de pirate est moins utilis que celui de brigand alors que son usage est attest

    ds Homre.

    Le nom est issu de la famille de mots de , issu du ionien *, qui

    signifie, selon le Dictionnaire tymologique de la langue grecque de Pierre Chantraine,

    butin sous toutes ses formes : btail, prisonniers, captives, etc.

    Le verbe dnominatif est emmener comme butin des animaux, des

    captives, etc. chez Homre et Hrodote, se procurer chez Hsiode, piller un pays, un

    peuple, etc., faire du brigandage . Les noms dagent sont brigand notamment

    pirate avec dit de vaisseaux, de manires, de personnes ; bande de

    brigands, bateau de brigands, repaire de brigands .

    Le terme usuel pour dsigner le brigand sans rapport avec une action militaire est

    avec de pirates . Le verbe dnominatif est pratiquer le

    brigandage, la piraterie . Le mot repose sur *F- . Il ny a pas dtymologie tablie pour

    ce mot.

    Les mots de la famille de cits ci-dessus et contenant le thme - se retrouvent

    chez les romanciers, ainsi rpartis :

    Achille

    Tatius

    Chariton Hliodore Longus Xnophon

    69 26 28 9 34

    4 5 0 1 22

    , ,

    1 0 25 0 3

    5 0 12 0 0

    1 4 2 0 0

    ,

    ,

    1 0 0 0 0

    ,

    ,

    0 0 0 0 1

    2 2 0 0 4

    0 0 0 0 1

  • 14

    Il y a deux cent soixante-deux occurrences du thme - dans les cinq romans soit

    huit fois plus que celles de -. Il y a une grande frquence de ce thme chez Achille

    Tatius, puis Hliodore et Xnophon, rpartis galement dans les diffrents livres. Les

    occurrences sont concentres dans les livres I et III chez Chariton ; dans le livre I, 28-32 chez

    Longus o il ny a quun seul pisode de brigandage.

    Trois mots sont rares : et sont employs une fois chacun

    par Xnophon, est employ une fois par A. Tatius.

    Lutilisation du nom et du verbe est trs peu frquente. Les

    romanciers choisissent des verbes daction usuels appartenant au langage courant.

    Le nom est utilis cinq fois par Achille Tatius au livre III, 21-22, pour

    dsigner le chef des brigands gyptiens. Hliodore lutilise douze fois pour dsigner Thyamis

    qui a un rle du livre I au livre VII, en tant que chef des brigands dabord et un autre rle en

    tant que prtre qui veut retrouver son sacerdoce ; il est donc aussi nomm Thyamis, de plus en

    plus frquemment au fur et mesure de lvolution de lintrigue, puisquil perd son statut de

    brigand pour redevenir prtre.

    Ladjectif est employ vingt-cinq fois par Hliodore. Trois fois comme

    adjectif substantiv la troupe de pirates , les autres fois comme adjectif

    qualifiant des termes aussi varis que , , , , , ,

    , , , , , les deux derniers permettant des mtaphores.

    Les occurrences de prdominent dans chacun des cinq romans. Il y en a 166 au

    total.

    La plus grande partie est au pluriel : 141 sur 166, car les brigands agissent en groupe

    dans les romans grecs, de mme que les pirates. Utiliser le pluriel a un impact plus grand chez

    le lecteur car cela dsigne un groupe plus ou moins nombreux et mal dfini qui suscite ainsi

    plus de peur. Au singulier, il est souvent (8 fois sur 25) prcd du nom du brigand

    chez Chariton (5 fois), chez Xnophon (2 fois),

    chez Hliodore (une fois) : cela permet de dcliner lidentit du personnage : lauteur

    insiste sur son statut et non sur son origine familiale comme pour les autres personnages. Il est

    aussi utilis par mtaphore pour rvler la face cache de certains hommes libres ou esclaves

    tels que Thersandre et Sosthns chez Achille Tatius.

    Le sens premier voler, piller et le suffixe des noms dagent indiquent que le

    brigand est celui qui vole ou pille, puisque, selon Pierre Chantraine ; le nom usuel perd son

    sens militaire de butin conquis la guerre.

  • 15

    III. La famille de .

    La recherche dans le Thesaurus Linguae Graecae porte sur le thme - prsent

    dans (bouvier).

    Le thme est issu de la famille de qui signifie selon le Dictionnaire tymologique

    de la langue grecque de Pierre Chantraine espce bovine sans prcision de sexe. Ce mot a

    de rares emplois drivs mais il a jou un grand rle en composition. La forme est en principe

    - devant une consonne. Ainsi nous trouvons bouvier do

    troupeau de bufs et, au neutre pluriel troupeaux de vaches . Le nom

    troupeau de gros btail et la rgion des ptres . Le verbe dnominatif est

    faire patre employ mtaphoriquement dans des expressions familires au sens

    de nourrir, entretenir et parfois de tromper quelquun, lentretenir de fausses

    esprances . Les mots de cette famille se rpartissent ainsi chez les cinq romanciers :

    A. Tatius Chariton Hliodore Longus Xnophon

    15 1 18 16 0

    0 0 0 2 0

    0 0 1 0 0

    0 0 0 1 0

    ,

    ,

    0 0 0 2 0

    Il y a 56 mots contenant le thme - dans les cinq romans. Le thme sert

    former le nom pour 50 des occurrences. Il faut cependant distinguer les diffrents

    bouviers. En effet les bouviers dAchille Tatius et dHliodore sont diffrents de ceux de

    Chariton et de Longus. Si ceux des deux derniers sont de vrais bouviers cest dire des

    gardiens de bufs, ceux dAchille Tatius et dHliodore sont avant tout de vrais brigands, qui

    lvent accessoirement des bufs. Le mot dsigne, chez ces deux romanciers, les bouviers

    gyptiens ou les brigands gyptiens qui habitent le delta du Nil.

    Ce terme renvoie aussi lune des activits de production alimentaire importante des

    zones humides du delta : llevage.

    Le nom bouviers peut se trouver seul, comme toujours chez Achille Tatius, ou

    proximit du mot brigands qui prcise sa catgorie (VI, 7,

    4) ou (VI, 2, 4) puis, aprs cette prcision, Hliodore

  • 16

    peut substituer un mot lautre. Les romanciers associent vraisemblablement les Bouviers

    aux insurgs qui ont svi dans divers villages au cours de la seconde moiti du IIme. Il ny a

    en revanche aucun type de bouviers (avec le thme -) chez Xnophon. Lauteur utilise

    cependant le nom pour dsigner des bergers des ctes de Phnicie qui sont aussi des

    brigands et font dHabrocoms leur prisonnier puis le vendent (III, 12, 2). Mais les bergers de

    Xnophon sont-ils les mmes que ceux dA. Tatius et dHliodore ? Le terme de Xnophon

    est diffrent de ceux de Tatius et dHliodore et ne renvoie pas la mme localisation. Ils sont

    peut-tre de vritables bergers qui font occasionnellement du brigandage vers Pluse.

    Le mot est le plus souvent au pluriel (31 occurrences) et dsigne une troupe de

    Bouviers brigands insparables ou envisags comme tels, aux ordres dun chef, qui forme

    une sorte de une communaut indivisible chez Hliodore et Achille Tatius. Le mot se trouve

    17 fois au singulier.

    Chariton emploie au singulier au livre II, 3, 2, pour dsigner un des bouviers

    de Dionysos avec le sens de gardien de bufs. Longus lemploie 13 fois pour dsigner un

    gardien de boeufs particulier : le bouvier Dorcon, amoureux de

    Chlo ; le bouvier Philtas qui fait fonction darbitre dans le conflit

    entre Mthymne et Mytilne ; le bouvier plein darrogance Lampis .

    Chez Longus, le bouvier est plus grand que le chevrier, il vaut plus que lui qui est pauvre et

    sent mauvais. Il nest pas un brigand mais il est un rival amoureux, capable de ruse et de

    stratagmes comme le sont les brigands dans les autres romans : cest le cas de Dorcon et de

    Lampis. Achille Tatius lemploie au singulier ( deux occurrences II, 2, 3 et 6) pour raconter la

    lgende du don du vin aux humains : il sagit du bouvier tyrien qui Dionysos fait cadeau du

    vin, et, au livre III, 9, 2, pour nommer la peuplade des bouviers.

    Le verbe est utilis une fois par Longus avec la signification de faire

    patre (IV, 14, 2), ce qui est normal dans un roman bucolique, pour faire une comparaison

    entre Apollon, qui faisait patre les bufs de Laomdon, et Daphnis. Ladjectif

    qualifie une fois une tourterelle (I, 27, 1) une autre fois la flte (I, 15, 1) chez Longus. Seul

    Hliodore utilise ( I, 5, 2) que le traducteur Jean Maillon traduit par pays des

    ptres .

    Les bouviers qui nous intressent sont les bouviers dEgypte parce quils font partie de

    la catgorie des brigands. Nous carterons bien sr de notre tude les gardiens de bufs de

    Longus.

  • 17

    IV. La distinction entre le et le / .

    Le mot ainsi que le mot dsignent aussi bien le pirate que le brigand

    dans lantiquit. Le est ainsi lorigine celui qui fait un butin conquis la guerre

    que ce soit sur terre ou sur mer ; le mot a un rapport avec une action militaire. Nous

    retrouvons cet emploi chez Longus dans la guerre entre les Mthymniens et les Mytilniens (

    II, 19-21) o le chef de larme , Bryaxis, reoit lordre de mettre la mer dix

    galres pour aller ravager leur ctes et ramener un butin, fait de btes et dhumains, dont

    Chlo. Nous le retrouvons aussi chez Hliodore (V, 7-8) o le lieutenant Mitrans

    rapporte Charicle comme butin et cherche piller les bergers. Le terme ne

    dsigne donc pas toujours un brigand ou un pirate : il peut aussi dsigner un soldat qui

    rapporte un butin. La frontire entre les soldats et les brigands reste mince chez les romanciers

    comme dans la ralit antique.

    Lvolution du sens montre que les mots de pirate ou de brigand perdent leur sens

    militaire. Ils deviennent de simples pilleurs. Maurice Sartre6 prcise que les pirates ne vivent

    pas toujours sur leau mais quils ont des repaires sur terre o ils peuvent commettre des actes

    de brigandage tels que les enlvements ou le pillage de villes.

    Cest pourquoi les romanciers ne font pas la distinction entre les deux types de

    brigandage : les personnages de pirates ne se contentent pas toujours dattaquer des navires

    dans les romans. Ils accostent aussi et commettent des exactions sur terre. Chez Chariton, par

    exemple, les pirates se font pilleurs de la tombe de Callirho ; leur chef, Thron, dbarque

    plus tard Milet pour vendre sa captive o il sjourne pendant quelques temps. Leur rle ne

    se limite donc pas la mer : ils prennent le rle du brigand sur terre. Chez Xnophon, nous

    voyons que leur repaire se situe sur terre, proximit des ctes.

    De la mme faon, les brigands peuvent monter labordage dun navire et le piller

    sans quils soient appels pirates. Chez Hliodore, un brigand slance labordage dun

    navire (V, 25, 1) : , , : un brigand, le plus audacieux, slana labordage

    Leur rle ne se limite pas la terre : ils prennent le rle du pirate tel quon lentend au

    sens moderne. Il y a cependant une ambigut dans lemploi du vocabulaire. Tantt les auteurs

    distinguent trs nettement pirates et brigands et nous pouvons le constater dans les

    numrations que les hros et hrones font de leurs malheurs. Chez Hliodore, Thagne se

    lamente ainsi :

    6 Maurice Sartre prcise, dans une mission intitule Correspondance des temps consacre aux pirates dans lantiquit du 13 avril 2013 sur France Culture, que les pirates oprent sur mer et sur terre.

  • 18

    , ; : Quelle est linsatiable Erynnie qui nous a livrs aux prils de la mer et aux prils de la piraterie, fait tomber aux mains des brigands ?

    ( II, 4, 1).

    Chez Xnophon, Anthia numre les malheurs quelle et Habrocoms ont subis :

    : je tai donc retrouv aprs tant de courses errantes et sur terre et sur mer, aprs avoir chapp aux menaces des brigands, aux embches des pirates (V, 14,1 ).

    Les deux types de brigandage et leurs deux termes associs sont nettement distingus

    ici : les pirates sont associs la mer, les brigands la terre.

    Tantt ils substituent un terme lautre au cours du rcit. Chez Chariton, Hermocrate

    dit Chairas : ,

    ( VIII, 7, 8) : mais tu tombas en mer sur le bateau des pirates o tu dcouvris tous les brigands morts de soif

    Chez Achille Tatius, Thersandre sexclame :

    ; ; ( VI, 21, 3) : une vierge a pass la nuit avec tant de pirates ? Ctaient donc des eunuques que tes brigands ?

    Les deux termes du brigandage peuvent tre associs ou employs lun pour lautre.

    En conclusion malgr lexistence du mot ds lpoque hellnistique, les

    romanciers ne distinguent pas toujours les actions des pirates de celles des brigands, ni ne

    distinguent toujours lemploi des deux termes et . Cela amne les traducteurs

    traduire par pirate ou par brigand. Les termes le plus frquemment

    utiliss pour dsigner les pirates, ainsi que tous ceux qui s'appliquent aux actes de pillage,

    valent pour les brigands (terrestres) aussi bien que pour les pirates (maritimes). Isoler la

    piraterie (sur mer) du brigandage (sur terre), c'est donc rompre l'unit d'un seul et mme

    phnomne historique et toujours selon des critres fort discutables puisque ces deux types

    d'activit prdatrice taient, dans la pratique elle-mme, difficilement sparables (la piraterie

    antique tant, en rgle gnrale, une activit ctire plutt que de haute mer). 7

    Les romanciers utilisent donc les deux termes indiffremment.

    7 Yvon Garlan, Signification historique de la piraterie grecque in Dialogues dhistoires anciennes, vol. 4.

  • 19

    CHAPITRE 2 : LA PRESENCE INCONTOURNABLE DES PIRATES ET DES

    BRIGANDS.

    Les jeunes hros et hrones se rencontrent, tombent amoureux, et se jurent des

    serments ternels damour et de fidlit. Puis ils sont spars, se retrouvent, connaissent

    nouveau la sparation, les voyages, les temptes qui causent parfois des naufrages. Ils

    rencontrent des pirates et des brigands, se font enlever et vendre, subissent de mauvais

    traitements et des morts apparentes, sont lobjet du dsir amoureux ou de la passion violente

    de diffrents personnages, voient lautre subir des souffrances et en souffrent eux-mmes,

    deviennent parfois jaloux et violents, puis se retrouvent et peuvent enfin vivre un amour

    paisible.

    I. Le schma narratif des romans grecs.

    Les cinq romans grecs de notre corpus sont des romans daventures et damour qui

    respectent tous le mme schma narratif.8 En dautres termes, les romans grecs prsentent

    tous la mme structure narrative que lon peut diviser en cinq tapes de longueur variable :

    1. Prsentation des deux hros.

    2. Eveil amoureux et serments.

    3. Mise lpreuve de lamour sentimental, moral et physique et

    pripties.

    4. Punition des mchants et retrouvailles du jeune couple.

    5. Reconnaissance par leur famille dorigine et mariage sil na pas dj eu

    lieu.

    Le fil directeur du rcit est la puissance dErs. Les aventures mettent lpreuve les

    sentiments, la fidlit et la chastet des jeunes hros amoureux, en particulier celle des jeunes

    filles, Clitophon chez Achille Tatius et Daphnis chez Longus seront initis lamour

    physique au cours du roman.

    La partie centrale des romans, cest--dire la mise lpreuve de lamour et les

    pripties, est de loin la plus longue. Elle contient de nombreux, et parfois de longs, pisodes

    contenant de nombreux pirates et brigands. On trouve, prsents sur plusieurs livres, des

    brigands gyptiens, des Bouviers et des pirates de Pharos chez Achille Tatius ; des pirates et

    des brigands barbares chez Chariton dAphrodise ; des brigands gyptiens, des Bouviers, des 8 Franoise Ltoublon, Les lieux communs du roman, Strotypes grecs daventure et damour, E. J. Brill, Leiden, 1993.

  • 20

    pirates, des brigands de Bessa chez Hliodore ; des pirates phniciens et des brigands de

    toutes sortes chez Xnophon. Seul Longus fait figure dexception par la petite proportion de

    brigands quil fait intervenir dans ses Pastorales et la brivet dun pisode unique les

    concernant : lenlvement de Daphnis par des brigands de Tyr et sa fuite (I, 28-30). Ce qui

    explique la relative absence de pirates et de brigands est le fait que Daphnis et Chlo ne

    voyagent pas mais restent dans lle de Lesbos, Mitylne. En outre Longus est intress par

    la peinture dune passion rciproque dans son dveloppement commente Jean-Ren

    Vieillefond dans sa prface des Pastorales, et ddaigne toute allure de roman de cape et

    dpe ou daventures . Cependant des brigands sont prsents car ils restent des personnages

    incontournables du genre romanesque. Chacun des romans grecs de notre corpus contient en

    effet son lot de pirates et de brigands, personnages faciles faire apparatre puis disparatre

    selon les besoins de lintrigue, aptes aussi susciter des motions fortes et donc procurer du

    succs aux romanciers. Leurs interventions sont attendues des lecteurs et sont un des lieux

    communs9 trs attendus du roman.

    II. Les dbuts de romans : des personnages catastrophiques.

    Dautre part tous ces pirates et ces brigands interviennent rapidement dans les

    romans : ds le livre I chez Chariton dAphrodise, Hliodore, Longus, ou Xnophon. Trs vite

    donc les deux hros rencontrent des opposants : au livre I de Chairas et Callirho, Callirho

    se rveille dans son tombeau quand des pirates, plus prcisment des pilleurs de tombe

    , dont le chef est Thron, lenlvent dans le but de la vendre Milet ; le dbut

    des Ethiopiques montre une scne de massacre perptre par des pirates vue par une troupe de

    brigands gyptiens. Les deux jeunes gens, Thagne et Charicle, sont faits prisonniers par les

    Bouviers et amens dans leur camp (I, 1-7) ; Longus raconte que des brigands de Tyr enlvent

    Daphnis, que Dorcon meurt la suite de blessures faites par les brigands mais que le bateau

    des brigands fait naufrage et que Daphnis revient la nage (I, 28-30) ; au dbut des

    Ephsiaques, des pirates phniciens abordent le navire dAnthia et dHabrocoms Rhodes :

    de nombreux Ephsiens prissent noys, dautres sont gorgs. Le chef des pirates pargne

    Habrocoms et Anthia, mais il met le feu au navire o lquipage prit dans les flammes. Ils

    dbarquent Tyr o Corymbos, le chef des pirates, sprend dHabrocoms tandis

    quEuxinos, le lieutenant, sprend dAnthia et lun et lautre sefforcent de persuader les

    jeunes gens de leur cder (I, 13-16 ). Chez Achille Tatius en revanche lintervention des

    9 Voir F. Ltoublon, Les lieux communs du roman, p. 86-87.

  • 21

    pirates a lieu au livre II seulement: Callisthns, un jeune homme de Byzance, amoureux de

    Leucipp sans lavoir vue et rejet par son pre Sostrats, arrive Tyr. Son esclave engage

    une troupe de brigands qui place une chaloupe en embuscade non loin de Tyr pour enlever

    Leucipp. Mais il se trompe et enlve Calligon (II, 16-18). Cet pisode rapide (II, 16-18) et

    spectaculaire sert les jeunes hros du roman- ici donc les pirates ne sont pas des opposants -

    puisquainsi le mariage de Clitophon avec Leucipp pourra tre envisag. Il faudra attendre la

    fin du roman pour comprendre quune autre histoire sest joue : celle du jeune noble

    Callisthns, transform en brigand par la puissance dErs.

    Les pirates ou les brigands de dbut des romans sont toujours des opposants aux deux

    jeunes personnages principaux ou des personnages secondaires proches dans un premier

    temps. Ceux-l ont pour fonction demmener les jeunes hros, sparment ou ensemble, loin

    de leur patrie et de leur famille ou de les dtourner de leur chemin initial, de les sparer lun

    de lautre pour un temps plus ou moins court, de mettre lpreuve lamour quils prouvent

    lun pour lautre, mais avant tout de leur faire violence.

    Cependant, Hliodore djoue la chronologie habituelle des cinq tapes du rcit telles

    quelles ont t dcrites ci-dessus. Hliodore ouvre son roman par une de ses pripties :

    : une troupe de brigands observe un tonnant spectacle : un

    navire est chou, le rivage est jonch de morts, il reste des traces de festin, le butin est intact,

    une jeune fille dune beaut merveilleuse se lamente sur le corps dun jeune homme la virile

    beaut Le roman commence in medias res par des brigands contemplatifs qui seront trs

    vite chasss par une autre troupe de brigands qui enlvera puis sparera le jeune couple.

    Hliodore est original sur deux points. Le premier par cette technique narrative qui fait

    commencer le rcit au cur de lintrigue et surprend le lecteur ; le second par le point de vue

    interne de brigands qui voient se drouler une scne mystrieuse du haut de leur promontoire,

    frapps dpouvante devant Charicle, quils prennent pour une desse. Lauteur plonge

    immdiatement ses lecteurs dans des pripties qui les tiendront en haleine. Le dbut du

    roman ne correspond pas au dbut de lhistoire. Le livre VI correspond au dbut de lhistoire

    et nous y retrouvons les pirates qui ont attaqu le navire de Charicle et Thagne au dbut du

    roman, parmi lesquels le chef des pirates, Trachinos, veut clbrer ses noces avec la belle

    hrone.

    Les pirates et les brigands, ds le premier livre et sa premire phrase chez Hliodore,

    sont des opposants au jeune couple de hros de romans et ils le confirment dans la suite.

  • 22

    III. Les milieux de romans : des personnages envahissants et criminels.

    Ils font subir de nombreuses preuves aux deux jeunes personnages principaux mais

    aussi aux personnages secondaires et enfin aux personnages lambda qui les croisent, pour leur

    plus grand malheur. Les pirates et les brigands apparaissent en tant que personnages actifs

    dans cette partie centrale des romans, qui est aussi la plus longue des romans puisquelle

    occupe les trois quarts des rcits.

    A. Des personnages actifs.

    Les cinq auteurs de notre corpus relatent lenlvement des deux jeunes gens. Ce thme

    de lenlvement est devenu un lieu commun ; il sera mme repris dans le cours dun mme

    roman : plusieurs enlvements successifs peuvent se produire lintrieur du mme roman.

    Xnophon enchane en les juxtaposant de nombreuses scnes denlvement. Anthia en effet

    est tout dabord enleve par la troupe du pirate Corymbos au livre I, puis, sur le point dtre

    vendue des brigands ciliciens, elle est enleve par Hippothoos au livre II, aprs plusieurs

    pripties, des brigands lemmnent Alexandrie au livre III pour la vendre, elle est enfin

    rachete par Hippothoos au livre V. Xnophon enchane les enlvements rapidement sans se

    soucier des dtails : il raconte des faits et multiplie sans transition les actions, ce qui a valu

    son roman dtre assimil un rsum.

    Les Bouviers dAchille Tatius, comme ceux dHliodore, enlvent le jeune couple de

    hros. En effet peine arrivs sur les ctes de lEgypte, Clitophon et Leucipp sont capturs

    par les et amens leur chef chez A. Tatius dans Le roman de Leucipp et

    Clitophon (III, 9, 2). Le dbut des Ethiopiques montre une scne de massacre perptre par

    des pirates vue par une troupe de brigands gyptiens stupfaits : les victimes sont nombreuses,

    les vainqueurs absents, le butin intact, une belle jeune fille pleure sur le corps dun beau jeune

    homme. Une autre troupe de brigands survient et met la premire en fuite. Les deux jeunes

    gens, Thagne et Charicle, sont faits prisonniers par les Bouviers et amens dans leur camp.

    (I, 1-7). Dans ces deux romans, les jeunes gens restent parmi les brigands. Mais brigands et

    pirates enlvent les jeunes gens dans le but de les vendre comme esclaves et de les vendre

    cher car ils sont beaux. Leur beaut leur permet davoir la vie sauve dans les cinq romans

    grecs. Longus raconte lpisode des brigands de Tyr qui enlvent Daphnis dans le but de le

    vendre comme esclave. Chariton dAphrodise, au livre IV, dcrit des pirates barbares qui,

    aprs avoir enchan Chairas, le vendent en Carie.

    Ils pillent aussi des spultures et rcuprent tous les objets de valeur ainsi que la jeune

    enterre vivante. Chez Xnophon, des voleurs entrent dans la chambre funraire dAnthia,

    lenlvent et lembarquent pour Alexandrie o elle sera vendue (III, 8, 3-7). Chez Chariton

  • 23

    dAphrodise, Callirho se rveille dans son tombeau Syracuse quand des pirates aussi

    appels des pilleurs de tombe , dont le chef est Thron, lenlvent dans le but

    de la vendre Milet (I, 7-14).

    Lenlvement puis lemprisonnement ou la vente dun des personnages principaux

    sont des thmes rcurrents dans nos romans. Cest la premire preuve, qui en amnera

    dautres

    En effet, pirates et brigands tombent amoureux, veulent sduire puis amener les jeunes

    gens leur cder et lhrone les pouser. Nous pouvons noter ce propos un exemple

    unique damour homosexuel chez Xnophon. Il se produit un double coup de foudre chez les

    pirates : Corymbos sprend dHabrocoms tandis quEuxinos sprend dAnthia et lun et

    lautre sefforcent de persuader les jeunes gens de leur cder (Les Ephsiaques, I, 13-16 ).

    Chez Hliodore, le chef des brigands, Thyamis, qui est en ralit un prtre vinc de

    son sacerdoce par son frre Ptosiris, tombe amoureux de Charicle et veut lpouser (Les

    Ethiopiques, I, 19-23). Dans un long discours la troupe de ses brigands, il explique quil

    veut Charicle pour femme puis, se tournant vers la jeune fille, il lui demande une rponse.

    Les brigands prfrent la persuasion la violence car ils pensent le consentement des deux

    parties ncessaires pour un mariage : ,

    . (I, 21, 2). Cependant, en cas de danger, ils prfrent tuer leur

    bien-aime la voir prisonnire dun autre. Thyamis enferme Charicle dans une caverne

    pour lcarter du danger dune guerre entre brigands, mais, par peur de la perdre, il la tue (

    Les Ethiopiques, I, 29-33). Les brigands en effet prouvent des amours violentes.

    Mais parfois leur amour est plus agressif et ils choisissent dutiliser la violence comme

    le pirate Trachinos, chez le mme auteur, qui enlve Charicle pour lpouser (V, 22-26) et

    prvient son pre que leurs noces auront lieu le soir mme ! Malgr leur folle passion, aucun

    des pirates ou des brigands ne tentent de violer lhrone dans nos romans, ce que refuse de

    croire Thersandre dans Le roman de Leucipp et Clitophon : "

    " : Vierge ? quelle audace, quelle plaisanterie! Vierge, aprs avoir pass des nuits avec tant de pirates ? C'taient donc des

    eunuques, que tes brigands ? Et leur repaire une cole de philosophes ? Aucun d'eux n'avait-il des yeux ? (VI,

    21, 3) Exception faite, chez Xnophon, du brigand Anchialos quAnthia tue car il tait sur le

    point de la violer dans Les Ephsiaques, IV, 5-6.

  • 24

    Pirates et brigands chouent dans toutes leurs tentatives de commettre un acte

    irrversible sur nos jeunes hros. Les Bouviers dAchille Tatius sacrifient Leucipp mais il

    sagit dun faux sacrifice ; ses pirates la dcapitent mais il sagit dune autre ; un brigand tente

    de violer Anthia mais il est tu ; Thyamis croit tuer Charicle mais en tue une autre sa place.

    Toute tentative de meurtre ou de viol choue dans les romans, sans quoi ce serait la fin de

    lhistoire !

    En revanche ils tuent sans vergogne les inconnus ou les dcapitent, ou bien ils les

    pillent et les vendent aprs avoir incendi leurs navires.

    Dans Chairas et Callirho, des brigands barbares attaquent la trire grecque de

    Chairas au livre IV de, et gorgent la plupart de ses occupants, puis enchanent et vendent

    Chairas en Carie.

    Dans Les Ethiopiques, la scne douverture prsente un vritable massacre dont

    lauteur se plat nous livrer les dtails : , ,

    , ,

    : Au demeurant le rivage tait tout couvert de gens frachement massacrs, dont les uns taient dj tout raides morts, les autres ne l'taient qu' demi, et il y avait

    quelques parties de leurs corps qui battaient et remuaient encore. Ce qui donnait connatre qu'il n'y avait gure

    que le combat tait fini. (I, 1, 3). Dans Les Ephsiaques, des pirates phniciens abordent le navire dAnthia et

    dHabrocoms Rhodes : de nombreux Ephsiens prissent noys, dautres sont gorgs. Le

    chef des pirates pargne Habrocoms et Anthia, mais il met le feu au navire o lquipage

    prit dans les flammes :

    , . : Et l, la plupart des phesiens se jetaient d'pouvante la mer et mouraient ; d'autres se mettant en dfense, taient gorgs. ( I, 13-16).

    Les descriptions rendent compte avec dlectation des membres arrachs qui bougent

    encore, du sang qui coule et des cris des malheureux. Ce sont des morceaux de genre trs

    apprcis des lecteurs avides de sensations fortes et rpugnantes !

    Considrs comme des ennemis, ils sont contraints de sengager dans des batailles

    contre larme du pays. Chez Achille Tatius , les Bouviers se battent contre larme

    gyptienne : des soldats hoplites attaquent les brigands qui se battent avec des mottes de terre

    et en sortent victorieux dans un premier temps. Le stratge attend des renforts pour sattaquer

    leur repaire (III, 13-14, 1) et les Bouviers sont finalement vaincus.

  • 25

    Le prfet dEgypte dcide de mener une guerre contre les brigands avec, sa tte,

    Polydoros. Polydoros veut purger lEgypte des brigands et les tue tous (Les Ephsiaques, V,

    3-4).

    Sils ne sont pas dissmins par larme, ils sliminent entre eux : ils sattaquent entre

    eux et se dtruisent. Ils sont alors des personnages actifs qui ne nuisent pas directement nos

    hros et rjouissent le lecteur, bien content de les voir victimes de leur propre cruaut.

    Thyamis et Ptosiris, les deux frres ennemis ont engag des brigands afin de lutter pour le

    sacerdoce. Cependant une troupe de brigands, qui se rvlera tre commande par Ptosiris,

    attaque le camp. Plus loin dans le rcit, Trachinos est sur le point dpouser Charicle, quand,

    grce une ruse de Calasiris qui attise la jalousie du lieutenant Ploros contre son chef,

    Trachinos, les pirates sentretuent:

    , ,

    .

    , , , .

    ,

    ,

    .

    . : On aurait dit, chez ces hommes, une mer brusquement souleve par la prsence d'un cueil, tant ils se jetrent aveuglment les uns contre les autres, entrans par une passion sauvage

    et en proie au vin et la colre. Finalement, Trachinos fit mine de frapper Ploros avec le cratre, mais l'autre,

    qui tait sur ses gardes, lui pera le premier la poitrine avec son poignard. Trachinos tomba, mortellement bless,

    et les autres engagrent un combat sans merci; ils se frappaient rciproquement, sans quartier, les uns pour

    venger leur chef, les autres pour dfendre Ploros et le droit. Ce n'tait plus qu'une clameur, tandis que morceaux

    de bois, pierres, cratres, tisons, tables voltigeaient de l'un l'autre (V,1-2). Les batailles que les pirates ou brigands se livrent sont particulirement meurtrires et

    cruelles et lon voit toute leur sauvagerie se dchaner grce aux descriptions prcises des

    auteurs.

    B. Des personnages voqus.

    Ils sont aussi voqus dans les rves, les lettres, les plaidoyers, les rsums des auteurs

    ou de leurs personnages. Ils perdent ici de leur impact sur les personnages mais restent tout

    aussi effrayants. La simple vocation du nom de pirate ou de brigand fait surgir des images

    lourdes de violence et de cruaut et ractivent les strotypes dans linconscient imaginaire

    des personnages et des lecteurs.

  • 26

    a. Les rsums.

    Chariton fait le rsum des obstacles subis, qui se prsentent comme une longue

    numration des diffrentes pripties auxquelles les voleurs de spulture appartiennent :

    , , : comment elle reprit vie dans la tombe et fut emmene loin de la Sicile, la nuit, par des profanateurs de tombeau, qui, s'tant rendus en Ionie, la vendirent

    Dionysios, (V, 1, 1-2).

    Clitophon rsume ses aventures :

    , , , , ,

    , , ,

    , : Alors, je raconte tout notre voyage : notre dpart de Tyr, notre traverse, le naufrage, l'gypte, les bouviers,

    l'enlvement de Leucipp, le ventre postiche devant l'autel, la ruse de Mnlas, la passion du commandant, et le

    philtre de Chaeras, l'enlvement par les pirates, la blessure que j'ai reue la cuisse. (VIII, 5, 1)

    Ce type de procd littraire est inexistant chez Hliodore ou Longus.

    b. Les rves.

    Ils restent aussi menaants dans les rves que dans la ralit.

    Dans Le roman de Leucipp et Clitophon dA. Tatius, Panthia est terrifie par le

    songe dun brigand qui aurait ouvert le ventre Leucipp avec son sabre. Surprenant alors

    Clitophon dans la chambre de sa fille, elle interprte son rve : le ventre ouvert reprsentait en

    fait un viol perptr par le jeune homme : .

    , , . : Panthia rvait qu'elle voyait un brigand arm d'une pe nue, et que cet homme prenait sa fille, la couchait sur

    le dos, et lui ouvrait les entrailles en continuant la blessure qu'il trouvait dj faite. ( II, 23, 4 - 25, 1).

    Le songe de Charicle constitue un mauvais prsage : un homme la chevelure

    hirsute, aux yeux menaants et la main sanglante lui arrache loeil droit.

    . : Charicle fut visite par le songe que voici : un homme la chevelure inculte, au regard de bte prte bondir, les mains

    sanglantes, enfona son pe dans son oeil droit et le lui arracha.(II, 16, 1). Sensuivent plusieurs

    interprtations (II, 16, 1-6). Cet extrait ne contient pas le mot brigand mais le portrait de

  • 27

    lhomme rappelle celui de Thermoutis, le brigand aux regards farouches et rudes et au

    regard plein de meurtre 10 car il est furieux davoir perdu sa bien-aime.

    c. Les explications dpisodes non lucids.

    Leucipp raconte la fin de lhistoire sa dcapitation par les brigands de Pharos, la

    mort de Chairas par la troupe de brigands, et sa vente en tant quesclave :

    , , ,

    ,

    ,

    , , ,

    , , , , ,

    . : Lorsqu'ils m'eurent enleve, comme tu l'as vu, et mise bord de leur bateau, et qu'ils se furent enfuis de toute la vitesse de leurs rames, ils s'aperurent que le navire qui les poursuivait allait les rattraper; alors ils

    dpouillrent la malheureuse femme de ses bijoux et de ses vtements et m'en revtirent, puis ils l'affublrent de

    mes habits. Ensuite ils la firent monter sur la proue, pour que vous puissiez bien la voir, vous qui nous

    poursuiviez, et lui couprent la tte. Aprs quoi ils jetrent le corps dans la mer et la tte,lorsquelle tomba, ils la

    gardrent sur le navire (VIII, 15-16).

    Au livre V des Ethiopiques, Hliodore explique la premire scne de massacre du livre

    I par la voix de Calasiris : en route vers la Crte, puis vers lAfrique, Charicle et Thagne

    sont rejoints par le brigantin de pirates de Trachinos. Celui-ci va pouser Charicle, quand,

    grce une ruse de Calasiris, les pirates sentretuent (V, 30-32). Mais, l-dessus, une troupe

    de brigands survient et enlve Charicle et Thagne. Alors Calasiris ne peut que pleurer. Le

    roman commenait avec cette scne : le rcit de Calasiris sarrte ici.

    d. Les lamentations avec reproches aux dieux de toutes les injustices subies.

    Callirho se lamente sur son sort dans une longue numration de ses malheurs, dont

    pirates et brigands font partie, alors quelle est en route pour Babylone. Elle sadresse la

    Fortune ainsi : ,

    , ,

    : Fortune jalouse et qui te plais triompher d'une seule femme, tu m'as d'abord enferme vivante dans un tombeau, d'o tu m'as tire, non par piti, mais pour me livrer des pirates. (V, 1, 4-7)

    Clitophon se lamente sur son enlvement : ," , "

    , ,

    ; ,

    .

    10 Hliodore, Les Ethiopiques, II, 13.

  • 28

    .

    ; : O dieux et dmons, dis-je, si vous existez vraiment et si vous m'entendez, quels si grands crimes avons-nous donc commis pour qu'en quelques jours nous ayons t plongs dans un aussi grand nombre

    de maux! Voici maintenant que vous nous avez livrs des brigands gyptiens, afin que nous ne puissions plus

    obtenir de piti. Un pirate grec aurait pu tre sensible la parole, la prire aurait pu l'attendrir, car les mots

    servent souvent introduire la piti; qui souffre dans son coeur, la langue prte ses bons offices et permet la

    supplication, qui peut adoucir la colre dont est rempli le cceur de ceux qui l'entendent. Mais aujourd'hui, en

    quelle langue formuler nos prires ? (III, 10, 1-6)

    , ,

    , ; : Quelle est cette Erinye insatiable qui, dans son dlire, s'attache nous nuire? Qui nous a exils loin de notre patrie, exposs aux dangers de la mer et aux

    dangers de la piraterie, livrs aux brigands, et privs, plusieurs reprises, de nos biens? (Les Ethiopiques, II, 4)

    Anthia se plaint ainsi : , , , ; : ce

    ntait pas assez que des tombeaux, des meurtres, des chanes, des brigandages ? (Les Ephsiaques, V, 5, 5

    et V, 7, 2).

    Les plaintes et lamentations des hros et autres personnages sont trs frquentes sur

    lensemble de nos cinq romans. Cela rapproche ce genre du thtre.

    IV. Les fins de romans : des ennemis limins.

    Ils sont peu prsents en tant que personnages actifs dans les derniers livres des romans.

    Seuls restent Hippothoos qui est devenu ami du jeune couple chez Xnophon et Callisthns,

    amant redevenu tempr (un homme au comportement de brigand) chez Achille Tatius.

    Cependant ces derniers nont t que des brigands occasionnels aprs stre fait emporter par

    la puissance dEros : lun est devenu brigand par dpit amoureux, lautre au contraire par

    passion amoureuse, mais les deux ont retrouv un tat modr et humain la fin de lhistoire.

    Les deux auteurs insistent sur leur changement dans les derniers paragraphes de leurs uvres :

    ,

    .

    ,

    ,

    : Cependant, en toutes choses, il se montrait bien lev, mesur, sage; c'tait, brusquement chez ce jeune homme, une mtamorphose tonnante! Il se levait lorsque

  • 29

    entrait quelqu'un de plus g, il prenait grand soin d'tre le premier saluer ceux qu'il rencontrait et sa

    prodigalit, jusque-l sans discernement, cessa d'tre celle d'un dbauch pour devenir prudente, tout en restant

    gnreuse envers ceux que leur pauvret met dans la ncessit d'accepter ce qu'on leur donne. Si bien que tout le

    monde s'tonnait de ce soudain passage du pire quelque chose de vraiment excellent. (Achille Tatius, Le roman

    de Leucipp et Clitophon, VIII, 17, 5). Ils insistent aussi sur leur stabilit affective retrouve :

    .

    ,

    . : Hippothoos ne les quitta pas non plus. Aprs avoir envoy des ouvriers Lesbos pour y btir un spulcre digne du bel Hyperanths, il adopta Clistne

    pour son fils, et passa dans Ephse le reste de sa vie avec son cher Abrocoms et la belle Anthia. Xnophon dEphse, Les Ephsiaques, V, 15.

    Mais ils sont absents des Pastorales de Longus o la brve priptie des brigands de

    Tyr est rapidement rsolue au livre I, ainsi que des Ethiopiques dHliodore o ne figure

    aucun brigand dans les trois derniers livres puisque lhistoire sachve avec une longue scne

    de guerre suivie dune longue scne de reconnaissance. Dans Chairas et Callirho de

    Chariton dAphrodise, les pirates et les brigands sont voqus dans la lettre de Callirho

    Dionysios o elle le remercie de lavoir libre des brigands et de lesclavage (VIII, 4, 5-6) ;

    Chairas, aprs Hermocrate, raconte ses aventures la foule :

    , ,

    ."

    , : Mais, la nuit, des pirates phrygiens qui faisaient une descente sur la cte mirent le feu la trire, turent la plupart des hommes qui s'y trouvaient, nous enchanrent, Polycharme et moi, et nous

    vendirent en Carie. Une lamentation funbre clata dans la foule ces mots, et Chairas dit : Permettez-moi

    de taire ce qui vient ensuite, car cela est encore plus triste que le dbut. Alors, le peuple cria : Dis tout! Il

    continua donc. (VIII, 7, 44-11). Le peuple de Syracuse est friand de pripties et dactions terrifiantes, tout comme le

    lecteur qui veut quon lui raconte tout, surtout ce qui est horrible.

    Nous pouvons conclure que les pirates et les brigands ont perdu leur dangerosit la

    fin des romans soit parce que quils ont t condamns mort comme Thron au livre III, ou

    crass par larme comme les Bouviers dAchille Tatius, ou tu comme Anchialos par

    Anthia chez Xnophon, soit parce quils se sont enfuis comme les pirates de Pharos dAchille

    Tatius, soit parce quils ont t oublis par le narrateur comme Manto et Moris, soit parce

    quils sont passs du statut dennemi au statut dami comme Thyamis dHliodore et

    Hippothoos chez Xnophon. Ils ne sont en tous cas plus des ennemis actifs car toutes les

  • 30

    pripties ont t rsolues avant les derniers paragraphes des romans. Ils sont tout au plus

    voqus dans les rcapitulatifs et les rsums que les jeunes gens font leur entourage.

    Anthia : ,

    : je t'ai donc rejoint force de parcourir et la terre et les mers, m'tant sauve et des menaces des brigands, et des embches de barbares corsaires, et des outrages des trafiquants de femmes !

    Chanes, fosse, bois, poison, spulcres, je me suis chappe de tous ces dangers, (V, 14)

    Chariton dAphrodise rsume les diffrentes actions des livres prcdents et

    ajoute : : plus de brigandage ni desclavage (VIII, 1, 1-5), ce qui

    pourrait servir de fin chacun des romans Lhistoire est finie : tout est redevenu normal et

    calme.

  • 31

    CHAPITRE 3 : LES CATEGORIES DE PIRATES ET BRIGANDS.

    Il y a deux catgories de pirates et de brigands : les chefs et leurs troupes. Ils sont

    distinguer car le portrait et lattitude des premiers sont plus nuancs que ceux des troupes qui

    reposent davantage sur un strotype, comme nous le verrons. Dautre part deux chefs,

    Thyamis chez Hliodore et Hippothoos chez Xnophon dEphse, sont examiner plus

    prcisment car ils ont un double rle en passant du statut de brigands celui dhonntes

    citoyens.

    I. Les chefs de troupes.

    A. Les chefs des pirates, brigands et Bouviers.

    Les chefs de bande portent tous un nom et ont une place importante dans le roman. Il

    sagit du chefs des pirates Thron chez Chariton ; de Trachinos chez Hliodore et dApsyrtos

    chez Xnophon. Aucun chef ne se distingue chez Achille Tatius ni chez Longus ;

    Les chefs Thron et Apsyrtos sont remarquables car ils sont les seuls chefs ne pas

    tomber amoureux de la jeune hrone. Ils ne se montrent donc pas violents avec elle. Thron

    au contraire se montre dlicat : : Il la prit donc

    par la main et la conduisit dehors (I, 9, 7), et lui accorde d'autre part tout ce qui peut servir son

    confort. Cette dlicatesse et ces prcautions ne sont pas conformes avec son rle de pirate.

    Elles seraient conformes avec le rle du mari mais, dans le roman de Chariton, les rles sont

    inverss : Thron, chef des pirates, ramne Callirho la vie en la faisant sortir de son

    tombeau tandis que son mari sest montr violent au point de tuer sa femme. Ironie du sort qui

    dtourne le clich de grosse brute du pirate. De plus il constate sa beaut mais la dsigne

    toujours comme une femme et non comme une desse sans se

    laisser emporter par l'amour comme les autres pirates ou brigands des romans. Il songe mme

    la jeter la mer selon lavis de sa troupe - mais il ne le fait pas- si elle reprsente un butin

    trop difficile couler :

    : jette la mer cette femme si gnante et si encombrante, et ne te

    charge plus dun butin difficile couler (I, 12, 4). Il reste donc particulirement lucide devant son

    exceptionnelle beaut et songe seulement au profit qu'il peut tirer de sa vente :

    , : Cette attitude ntait pas dicte par un sentiment dhumanit, mais par un esprit de gain : il agissait plus en trafiquant quen

    brigand.(I, 12, 1).

  • 32

    Le champ lexical de l'merveillement habituellement utilis par les spectateurs de

    Callirho , est seulement utilis par Thron devant l'opulence

    de la maison de Lonas : (I, 13, 1).

    Thron est un des seuls chefs ne pas se laisser entraner par la passion amoureuse.

    Mais il est aussi le seul tre jug et condamn mort. Nous analyserons plus loin le symbole

    de sa crucifixion face la mer .

    Apsyrtos, le chef des pirates chez Xnophon, a bien constat la beaut des deux jeunes

    quil retient prisonniers mais il ne tombe pas amoureux. Il espre seulement, comme Thron,

    tirer un bon prix de leur vente et demande un de ses esclaves den avoir grand soin.

    Cependant, aprs un renversement de situation, il se montre cruel et intransigeant et fait

    torturer Habrocoms jusquau sang puis le jette en prison. Enfin, sapercevant de son erreur, il

    sexcuse auprs dHabrocoms et lui confie lintendance de sa maison. Ce chef de bande est

    surprenant par ses voltes-faces et sa facilit passer de la bienveillance la cruaut puis la

    confiance ( II, 2, et II, 10).

    Le chef des pirates Trachinos chez Hliodore est, quant lui, remarquable par sa

    btise. En effet, aprs une dispute avec son lieutenant, grce une ruse de Calarisis, les

    pirates sentretuent et lauteur dcrit les pirates se jetant les uns sur les autres sous lemprise

    du vin et de la fureur. Pas un ne survit mais les deux jeunes sont vivants (V, 30-32).

    Leur portrait est plus long et plus prcis que ceux des autres pirates ou brigands et

    leur rle plus frappant. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.

    B. Les cas de Thyamis et dHippothoos.

    Deux brigands voient leur rle voluer positivement entre le dbut et la fin du roman :

    Thyamis qui veut tuer Charicle au livre I devient lami du jeune couple et particulirement

    de Thagne au livre VII, 6,1 :

    : Sur quoi, ils s'treignirent en pleurant et se donnant des baisers, chez Hliodore. Chef

    respect et craint, il se montre reconnaissant envers les Bouviers quil a utiliss, Thyamis leur

    promet :

    : Thyamis avait renvoy les gens de Bessa, en leur exprimant sa reconnaissance pour leur dvouement, et leur

    promettant de leur faire parvenir, bientt, la pleine lune, cent boeufs, mille moutons et dix drachmes pour

    chacun.(VII, 8, 4). Thyamis sait aussi faire preuve damiti et de gnrosit.

  • 33

    Hippothoos qui a enlev Anthia et veut la sacrifier Ars au livre II lui permet

    finalement de retrouver Habrocoms au livre V puis stablit avec le jeune couple Ephse

    dans Les Ephsiaques.

    Nous pouvons cependant considrer que Thyamis et Hippothoos ne sont pas de vrais

    brigands : ils sont des brigands doccasion. Thyamis est devenu chef des brigands bouviers

    parce quil a t vinc de son sacerdoce et compte le reprendre par la force avec sa troupe ;

    Hippothoos est devenu chef dune troupe par dsespoir amoureux. Ces raisons peuvent

    expliquer leurs changements dattitude et de sentiments. Ils ont en effet deux faces qui

    correspondent des parties distinctes dans les romans. Au livre I des Ethiopiques, Thyamis

    est un redoutable chef tandis quil redevient mesur au livre VII. Hippothoos est un

    redoutable chef du premier au dernier livre et redevient tempr dans les derniers paragraphes

    des Ephsiaques. Deux personnalits en fonstion du rle quils assument : celle du brigand,

    dmesure et violente, et celle de lhomme bien n, modre et sensible. Ces revirements

    contribuent adoucir et nuancer leur portrait de guerriers redoutables et cruels puisquils

    peuvent se montrer amicaux, gnreux et humains. Ils assument cependant trs bien leur rle

    de brigands dont ils pousent compltement les comportements en particulier en ce qui

    concerne leur attitude amoureuse. Thyamis en effet tue celle quil aime (ou croit la tuer)

    , ,

    . ()

    ()

    . : Car l o une fois les barbares dsesprent de leur salut, ils ont accoutum de tuer et faire mourir premirement tous ceux qu'ils ont aims en leur vivant, ou parce qu'ils

    estiment qu'aprs la mort ils seront encore avec eux, ou bien qu'ils les veulent ter des mains de leurs ennemis, et

    par ce moyen les tirer du danger d'tre injurieusement viols et outrags. Cest pourquoi Thyamis () forcen

    d'amour, de jalousie et de courroux,() lui jeta la main gauche sur la tte et de la droite tira son pe qu'il lui

    passa tout au travers du corps au-dessous de la mamelle (I, 30, 6-7) et se comporte comme un vritable

    brigand, dmesur et violent.

    Hippothoos veut sacrifier Anthia Ars au livre II des Ephsiaques, puis au livre IV,

    aprs lavoir enferme dans une caverne o elle a tu un brigand qui tentait de la violer, il la

    jette dans une large fosse avec deux normes chiens froces. Hippothoos se montre totalement

    arbitraire et dmesur. Ils relvent alors tous les deux du strotype et revtent chacun un

    vritable rle de brigand. Puis, progressivement, ils redeviennent ceux quils taient avant

    leurs msaventures et montrent de vritables qualits humaines : amiti, tendresse, gnrosit.

  • 34

    II. Les troupes.

    A. Certains se distinguent.

    Quelques pirates ou brigands portent des noms et sont remarquables par leur violence

    et leur cruaut, exerces la plupart du temps sur les hros, parfois sur des personnages

    secondaires ou mme entre eux. Ce sont les Bouviers qui sacrifient Leucipp et mangent ses

    entrailles ; Gorgias, brigand qui est responsable de la folie de Leucipp en la droguant ; les

    pirates de Pharos qui dcapitent lhrone chez Achille Tatius ; Thermoutis, lcuyer de

    Thyamis, qui enlve Thisb et veut tuer Thagne et Cnmon chez Hliodore ( II, 12-13) ; le

    pirate Trachinos et son lieutenant Ploros chez Hliodore ; le pirate Corymbos qui incendie le

    navire phsien et fait prir tout lquipage dans les flammes ; Manto, fille du pirate Apsyrtos,

    qui fait torturer et emprisonner Habrocoms et qui ordonne de faire tuer Anthia ; le brigand

    Anchialos qui tente de violer Anthia, chez Xnophon. Ils ont des actions limites quelques

    paragraphes, qui sont parfois spectaculaires et frappantes mais la plupart nont pas un rle

    important dans le roman, les Bouviers dAchille Tatius excepts.

    Trois pirates font figures dexception dans nos romans, pour des raisons diffrentes, et

    se trouvent tous dans Les Ephsiaques. Il sagit de Manto, de Corymbos et dAmphinomos.

    Manto est la fille du pirate Apsyrtos : elle est lunique femme appartenant une troupe de

    pirates (elle nest pas proprement parler une femme-pirate mais elle est fille de pirate,

    fiance un pirate et vit parmi les pirates) qui soit dcrite dans notre corpus et elle a un

    comportement similaire aux pirates et brigands : viril et violent. Elle-mme se nomme la

    femme barbare et les personnages seffraient plusieurs reprises de la colre de la femme

    barbare . Le pirate Corymbos est exceptionnel dans le roman car il est homosexuel et

    prouve de lamour pour Habrocoms quil va tenter de sduire. Enfin le brigand amoureux

    Amphinomos aide Anthia survivre aux cts des deux chiens froces puis la dlivre

    dHippothoos par piti et par amour. Il est le seul aider une hrone et sa compassion et son

    amour seront constants. En crant ces pirates exceptionnels, Xnophon se dmarque des

    autres auteurs peut-tre parce quil a cr un grand nombre de personnages et quil peut se

    permettre de leur donner des rles divers dautant que Xnophon est lauteur qui offre le plus

    grand nombre de pripties sans quelles aient un rapport entre elles. Il peut donc faire vivre

    des personnages totalement originaux et diversifis.

    Dautres sont seulement nomms et nont finalement aucun rle dans le roman chez

    Chariton : deux pirates sont nomms par Thron la recherche dune troupe quand il value

    leurs capacits mener bien une mission : Znophane de Thourioi et Mnon de Messine

    mais ils sont carts pour leur lchet ou leur tratrise.

  • 35

    B. La plupart restent anonymes.

    Beaucoup sont anonymes. Il agissent en bande et ne sont pas nomms mais sont connus par

    leur lieu dexactions ou dorigine. Il sagit de la troupe de pirates de Thron recrute

    Syracuse et des brigands barbares qui attaquent la trire grecque de Chairas vers Milet chez

    Chariton dAphrodise ; des brigands gyptiens ou Bouviers chez Achille Tatius et Hliodore ;

    des brigands de Tyr chez Longus ; des pirates phniciens et de la troupe itinrante

    dHippothoos chez Xnophon. Les auteurs emploient alors soit les noms ou

    au pluriel, soit ils utilisent des groupes nominaux tels que :

    ( Hliodore V, 24, 1) , (Achille Tatius VIII, 16, 5) : la

    foule des brigands, : troupe de brigands ( Hliodore I, 7, 1) ; ou, plus

    frquemment, les noms usuels et . Ils dsignent ainsi la troupe

    de pirates ou de brigands attache un chef (Thron, Thyamis, Apsyrtos, Hippothoos). Les

    auteurs insistent en mme temps sur laspect anonyme et effrayant dune troupe dont les

    membres restent anonymes et mconnus. Ils sont alors davantage sujets aux strotypes que

    les pirates et brigands singuliers qui portent un nom.

    Nous les retrouvons dans les plaintes et numrations de malheurs ou dans les

    rsums. Chez Chariton, Callirho se plaint et fait la rcapitulation de ses aventures :

    , ,

    . : Fortune de mauvais sort qui te complait accabler de ton hostilit une femme seule, tu mas enferme vivante dans un tombeau, et tu men as sortie non

    certes par piti, mais pour me livrer aux mains de brigands. ( V, 1, 4) ; chez Hliodore, Thagne se

    lamente ainsi :

    , : Quelle est linsatiable Erynnie qui nous a livrs aux prils de la mer et aux prils de la piraterie, fait tomber aux mains des

    brigands ? ( II, 4, 1) ; chez Xnophon, Anthia numre les malheurs quelle et Habrocoms ont

    subis :

    : je tai donc retrouv aprs tant de courses errantes et sur terre et sur mer, aprs avoir chapp aux menaces des brigands, aux embches des pirates(V, 14,1 ).

    Les pirates et les brigands sont toujours au pluriel dans les plaintes et rcapitulations

    o ils forment une troupe indistincte et violente, menaante et dangereuse, associe la

    mauvaise fortune et la mort. Les personnages distinguent les pirates des brigands et les deux

    types de brigandage uniquement comme pour exagrer les dangers quils ont subis et, en

    jouant sur les clichs et les strotypes, pour montrer combien ils ont t courageux. Ils ne

    sparent pas les pirates et les brigands qui ont su se montrer humains avec eux de ceux qui se

  • 36

    sont montrs impudiques et cruels, malgr lexprience quils ont eue : certains se sont en

    effet montrs amicaux et gnreux avec eux et sont parfois devenus des amis mais ils

    choisissent de gnraliser et dutiliser un strotype pour manipuler leurs interlocuteurs (et les

    lecteurs) en accentuant les malheurs quils ont subis et le courage dont ils ont su faire preuve.

    Cette vision manichenne du monde est rassurante pour de nombreux lecteurs et le but,

    parfois moralisateur du romancier, est ainsi facilit : tous les pirates et brigands sont des

    mchants. Chez nos cinq romanciers en effet, les pirates et les brigands sont, les chefs

    excepts, des figures indfinies, des groupes inconnus toujours associs la mort violente. En

    effet ils sont immdiatement associs au meutre et au carnage chez Chariton :

    ;

    : Une troupe de pirates barbares a attaqu brusquement de nuit une trire grecque ; le jour venu, nous avons vu leau mle de sang et

    des cadavres charris par les flots (III, 7, 2). Dans la mme phrase, la brusque apparition des pirates

    est immdiatement suivie de sang et de cadavres. La parataxe souligne le lien inextricable et

    presque naturel qui unit les pirates et les brigands des consquences dsastreuses : pirates et

    massacres sont sur le mme plan, ils sont insparables chez les romanciers, comme, sans

    doute, chez les lecteurs. Entours de sang et de cadavres, souvent arms de sabres, bord ou

    proximit dun bateau lger, sur une mer pleine de dangers, les pirates sont une

    reprsentation, voire une allgorie11 de la sauvagerie antique sur mer. Cette allgorie est

    prsente chez tous nos romanciers.

    Les brigands, quant eux, sont une allgorie de la sauvagerie sur terre. La soudaine

    apparition dhommes terrifiants et sauvages, la peau noire et au physique trapu chez Achille

    Tatius se prsente comme un tableau et suscite la terreur de nos voyageurs :

    : , -

    -, ,

    , : . : Au mme moment, la terre fut remplie dhommes terrifiants et sauvages, tous grands, la peau noire -non dun noir sans mlange comme celle

    des Indiens, mais la faon dun mtis dEthiopie- le crne ras, les pieds menus, le corps trapu ; ils parlaient

    tous une langue barbare. (III, IX, 2) Les personnages du roman deviennent alors des victimes : les verbes la voix passive,

    dont le complment dagent est le mot pirates ou brigands , sont nombreux :

    : jai t livr(e) ; : jai t vendu(e) tandis que les verbes la

    11 Image rsultant de la reprsentation dune ide abstraite et gnrale par un tre anim, compos de traits concrets qui caractrisent lide en question.

  • 37

    voix active tmoignent de la violence : ils incendirent ; : ils

    gorgrent ; : ils nous vendirent

    Le strotype vhicul dans les romans sadressent des lecteurs de culture grecque

    qui redoutent et condamnent eux aussi ces hors-la-loi.

  • 38

    CHAPITRE 4 : PORTRAITS PHYSIQUES ET MORAUX DES PIRATES ET

    DES BRIGANDS.

    I. Aspects physiques.

    A. Les pirates et les brigands.

    Il ny a pas de portrait physique du pirate Thron. Son origine nest pas prcise non

    plus dans le roman de Chariton dAphrodise mais lauteur prcise toujours que les autres

    pirates sont des pirates barbares . Aussi on peut penser quil est dorigine grecque, peut-

    tre Sicilien car il porte le nom dun tyran dAgrigente du Vme sicle av. J. C. mais rien

    nest crit. Il est, en tous cas, le pirate le moins effrayant de notre corpus car il est le moins

    violent. Peut-tre car il est grec ? Le romancier Achille Tatius distingue en effet le brigand

    grec du brigand gyptien : les brigands grecs sont quand mme plus doux ! :

    , .

    . : Et maintenant, vous nous avez mme livrs des brigands gyptiens, afin que nous ne rencontrions mme pas la piti. Car un brigand grec, le son dune voix le flchirait et

    une supplique ladoucirait III, 10, 2. Les deux troupes de pirates du livre V dAchille Tatius ne sont pas dcrites non plus.

    Nous savons seulement quils sont de Pharos et quils exercent le mtier de marin pour les

    premiers, le mtier de pcheurs de pourpre pour les seconds.

    Le pirate peut cependant se reconnatre son regard. Chez Xnophon, le chef des

    pirates Corymbos est grand, au regard farouche, aux cheveux longs et sales :

    ; (I, 13, 3). Chez Hliodore, le brigand

    Thermouthis se prsente ainsi :

    : Et il aborda Thagne et ses amis, en jetant des regards farouches et rudes, et le dessein cach de son me transparaissait

    dans ses yeux (II, 13, 1). Il est noter que le regard se modifie lorsquun homme tombe

    passionnment amoureux et, sil est incapable de matriser sa passion, quil se transforme en

    regard de pirate. Nous le vrifierons plus loin dans notre tude.

    a. Les armes.

    Thron dautre part ne porte pas darmes. Sa troupe utilise de simples outils de maon

    pour ouvrir le tombeau de Callirho. Ils sont donc moins agressifs : ils nattaquent pas et

    pillent seulement un tombeau ! La plupart des pirates et brigands sont munis dune

    pe : ou dun sabre : pour attaquer, tuer ou dcapiter leurs adversaires.

    Longus dveloppe davantage la description des armes des pirates :

  • 39

    : ils portaient sur la poitrine des cuirasses

    couvertes dcailles, et ils taient munis de jambarts montant jusqu mi-jambe (I, 30, 3). Ces derniers

    ressemblent des soldats.

    b. Les bateaux.

    Dautre part, les pirates utilisent de petits bateaux rames, faciles manier et rapides

    tels que la vedette : , un vaisseau lger avec un banc de rameurs o ils

    entreposent leur butin et gagnent un pays lointain chez Chariton dAphrodise. Il y a peu de

    termes techniques prcis de navigation : le nom : bateau est frquemment utilis.

    Hliodore nomme le bateau utilis par les pirates : il sagit de vaisseau lger, manuvr la

    voile ou la rame : : navire lger, barque de pche, brigantin ou bien :

    navire lger, brigantin, chaloupe. Ces navires lgers sont faciles manier et rapides : ils

    permettent aux pirates daccoster et de repartir rapidement aprs avoir fait du butin.

    Les pirates phniciens de Xnophon se trouvent dans une grande galre :

    (I, 13, 1) feignant de transporter des marchandises, et effectueront une longue

    traverse pour rejoindre leur repaire de Tyr.

    Les auteurs ne livrent pas de renseignements prcis sur le physique, les armes ou les

    bateaux des pirates.

    B. Les Bouviers.

    Les brigands gyptiens dAchille Tatius et dHliodore sont en revanche prcisment

    localiss et dcrits physiquement. Ce sont des brigands qui se trouvent au nord du delta du

    Nil, sur les ctes de lEgypte, entre Alexandrie et Pluse. Bien connus, ils sont appels

    : les Bouviers.

    Achille Tatius fait leur portrait physique en insistant sur leur aspect inhumain :

    : , -

    -, ,

    , : . : Au mme moment, la terre fut remplie dhommes terrifiants et sauvages, tous grands, la peau noire -non dun noir sans mlange comme celle

    des Indiens, mais la faon dun mtis dEthiopie- le crne ras, les pieds menus, le corps trapu ; ils parlaient

    tous une langue barbare. (III, IX, 2). Ils apparaissent dune manire quasiment surnaturelle, ds

    lapproche de nos hros ; ils sont si nombreux quils recouvrent la terre et, la soudainet de

    leur apparition associe lhyperbole ( la terre fut remplie ) donne limpression quils

    sagit de forces chtoniennes surgies spontanment de la terre, ce qui les rapproche des

    hommes sems , les Spartes, gants arms et menaants, sortis de la terre. Les brigands

    dAchille Tatius semblent aussi envahir la terre miraculeusement. Plus loin, ils se battent avec

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    des mottes de terre de mme que Cadmos tue le dragon avec une pierre et fait sentretuer les

    spartoi en lanant une pierre parmi eux. Les Bouviers tiendraient-ils de ces cratures

    monstrueuses ? En tous cas, Achille Tatius insiste sur leur aspect archaque.

    Les deux premiers adjectifs terrifiants et sauvages qualifient leur aspect

    physique gnral ; les suivats prcisent leur portrait : et , ils ont aussi

    un physique trapu : et . Le romancier commente

    avec prcision la couleur de leur peau : il ne sagit pas dun noir profond mais dun ton

    mtiss, ce qui parat plus inquitant encore. Les Bouviers sont diffrents des autres brigands

    et semblent plus monstrueux quhumains ; ils parlent de plus une langue barbare. Le portrait,

    ralis en une phrase, rend leur prsentation saisissante et laisse prsager une mort certaine,

    comme sexclame le pilote du navire leur vue : Nous sommes perdus ! (III, 9,

    3). Hliodore fait aussi le portrait physique des bouviers gyptiens en insistant sur le teint de

    leur peau et sur leur aspect sale : : elle

    vit leur teint noir et leur aspect repoussant (I, 2, 1). La jeune hrone les prend pour des fantmes de

    morts et qualifie dtrange : le teint noir de leur peau. Ce teint de peau est toujours

    signal et prsent comme remarquable par les romanciers car il est inconnu des jeunes hros,

    donc trange.

    Plus loin dans Le Roman de Leucipp et Clitophon, limage du pirate monstrueux est

    enrichie dune nouvelle assimilation : ,

    . : , :

    . : Alors un homme, avec une chevelure longue et hirsute, arriva, sur son cheval. Et le cheval avait aussi une une longue crinire, il navait pas de harnais, ne portant ni selle ni

    ornements : cest ainsi que sont les chevaux des brigands. (III, XII, 1). Ladjectif revient dans

    la description de la chevelure des brigands. Ils taient au paragraphe IX, ils sont

    hirsutes au paragraphe XII car il ny a pas de longueur intermdiaire chez les brigands ce qui