Les bandes dessinées et la ritualisation du Moi

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Les bandes dessinées et la ritualisation du Moi

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2010-2014

Du Cairo Times: «The deceased pilot's nephew, Walid Al Batouti, has lashed out in particular against speculation that his uncle could have been a religious extremist. "He loved the United States," the nephew said. "If you wanted to go shopping in New York, he was the man to speak to, because he knew all the stores." The family adopted Donald Duck ("Batout" in Arabic, from batt, or "duck") as its emblem, and toy Donalds are scattered throughout the nephew's and the uncle's houses.»

http://web.archive.org/web/20000303092021/http://www.cairotimes.com/news/batouti.htm, consulté le 20-08-2010

Une demi-heure après avoir décollé à New York le 31 octobre 1999, le vol Egyptair 990, destination Caire, disparait des écrans radars des contrôleurs aériens. Le Boeing 767 s’écrase dans l’océan; 217 personnes meurent. Le NTSB (National Transport Safety Board) conclut que le copilote Gameel Al-Batouti est responsable de l’accident, délibérément pilotant l’avion vers la catastrophe. Ce jugement est disputé par la famille Al-Batouti, ses amis, ses collègues, et le gouvernement égyptien, qui soutiennent que le suicide «n’est pas un trait égyptien».

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Les bandes dessinées ont émergé tôt, avec l’édition de masse au 19e siècle, mais la propagande politique émerge avant. Dans une époque où plusieurs sont illettrés, l’image est importante pour véhiculer des sentiments nationalistes. La Révolution française est un tournant, et d’autres gouvernements réalisent le pouvoir des images pour influencer la culture populaire. La simplicité des thèmes, du style, et de la composition donne à ces images une puissance frappante, surtout pour les illettrés. Dès le début, ils ont un côté moqueur.

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Ici, une image de la Guerre civile américaine (du gouvernement sudiste, évidemment), qui joue sur les peurs populaires que les Noirs aillent prendre la place des Blancs et violer « leurs » femmes (pourtant, dans l’image, elles ne semblent pas trop souffrir). Le tout dans un ton ironique. La forme contemporaine d’aventures présentées avec des dessins séquentiels se concrétise dans les années 1930.

Les comix et l’innovation esthétique

Souvent, on pense que les BD soient «typiques» de la culture populaire, qu’elles incarnent tout ce que les soi-disant critiques considèrent mauvais de cette culture: thèmes simplistes, art primitif, logique surréelle, psychologie enfant, etc. Justement, c’est leur statut secondaire qui leur a garanti un rôle important, comme domaine où sont expérimentés et établis plusieurs techniques et traits qui auraient été impossibles d’explorer dans le cadre de la (haute) culture classique:1) la frontière séparant la représentation (dans ce cas, le BD) du spectateur est franchie continuellement et facilement (un clin d’œil au public), permettant de créer l’impression que le public est impliqué dans les processus de création artistique.2) Paradoxalement, leur réputation de véhicule pour les jeunes et de médium peu sérieux a permis aux BD d’incorporer des éléments fantastiques (animaux parlants, etc.) qui ne respectaient aucunement les conventions de la causalité linéaire. Nous sommes en fait devant une logique mythique qui sabote directement la comptabilité rationnelle à la base de la gouvernance étatique.3) La violence typique des BD ne désensibilise pas le public à l’agression (comme prétend certains critiques de la droite américaine), mais présente la violence (incluant la domination et la subjugation du Soi) comme renversable (une logique mythique). Le BD est un domaine où agit par excellence le biopouvoir individuel, où l’hégémonie étatique ne semble pas toucher les représentations de l’autonomie du Moi. http://zip.4chan.org/co/src/1251023454491.jpg

Au 19e siècle, dans l’absence d’autres médias, les journaux (et les bandes dessinées) acquièrent une importance majeure, qui est alimentée par les conditions économiques aux États-Unis au début du 20e siècle. Celles-ci favorisaient l’émergence de monopoles, et les grosses chaines (telles que Hearst et Pulitzer) sont devenues très compétitives. Ceci favorise l’innovation parmi les artistes et distributeurs des BD; par exemple, la couleur dans les journaux dominés par le noir et blanc apparait en premier dans les BD, car à l’époque la technologie de l’impression de masse ne permet pas d’imprimer des photos-couleurs de façon économique; par contre, les illustrations utilisaient des couleurs primaires. D’autres innovations visuelles suivent, mais, peu à peu, les journaux imposent des limites d’espaces aux artistes, et les BD sont simplifiées pour respecter l’espace limité. Après les années 1970. L’accent passe au verbal et, donc, facilite l’ironie.

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À gauche, les Katzenjammer Kids (après une dispute avec l’organisation Hearst, l’artiste relance la BD sous le nom de Captain and the Kids; Hearst engage d’autres artistes pour continuer avec l’original), créé en 1887, ici en couleur pour un panneau de 1902. Les enfants Hans et Fritz ont des problèmes avec l’autorité.

Du visuel au mot

Le cadre et le mot

Dans les années 1890, The Yellow Kid (qui avait la tête rasée contre les poux, il s’habillait avec une vieille robe de nuit héritée de sa sœur, car la BD était située dans ghetto new-yorkais) incorporait des bulles de dialogue sur ses vêtements. Ceci était une nouveauté, car en général les BD précédents avaient présenté le dialogue dans une bannière sous l’image. L’inclusion du dialogue à l’intérieur du cadre et attaché à chaque personnage établit l’étanchéité du BD, permettant donc de franchir le 4e mur avec un effet encore plus dramatique: le personnage semble parler au spectateur. Le texte émerge pour contourner la simplicité caractérielle du personnage et les limites du format visuel.

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Des bulles de différentes formes:

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Aux États-Unis, les BD passent du domaine de la propagande au divertissement, surtout grâce aux innovations de Walt Disney (dès les années 1920). Mais nous ne sommes pas tout à fait dans la culture pop, car les premiers efforts, bien qu’ils recyclent des éléments de la haute culture, sont présentés totalement sans ironie, et même avec un but éducatif: amener la haute culture aux masses. P.e., Mickey Mouse né en 1928 (le court métrage Steamboat Willie) est, à la fin des années 1930, un caractère « fatigué »: il a apparu en plus de 100 courts métrages. Disney veut le revitaliser auprès du public et lance le long métrage, Fantasia (1940), qui est structuré autour d’une sélection de musique classique adaptée aux segments du film par le grand chef d’orchestre Leopold Stokowsi (qui s’est même offert de diriger l’orchestre gratuitement pour Disney): Bach, Tchaikovsky, et surtout le Sacre du Printemps de Stravinsky. Le premier segment qui a inspiré les autres est The Sorcerer’s Apprentice, basé sur une poésie de Goethe Der Zauberlehrling (l’Apprenti-sorcier, 1797), interprété avec la composition du même nom (1896) par le maestro français renommé Paul Dukas. Le tout est narré par le célèbre critique américain Deems Taylor. Bref, un chef-d'œuvre « sérieux » présenté sous guise de divertissement, sans que le public connaisse les origines « huppées » du film. Fantasia est aussi connu pour les ingénieurs de Disney qui ont inventé la première version de l’enregistrement stéréophonique (Fantasound), qui est devenue le véhicule préféré de la musique pop après les années 1950 (chaque cinéma devait installer de l’équipement spécial pour projeter le film – il a forcément perdu de l’argent, mais aujourd’hui il est reconnu comme un des films les plus importants sortis de la culture de masse). À gauche, Mickey comme symbole de l’entreprise et synecdoque du cinéma. Entre parenthèses, je crois que c’est Mickey qui a établi la convention que les personnages de BD n’ont que 4 doigts: c’est un symbole puissant que les images vivent uniquement dans l’imaginaire, car être fidèle à la réalité de 5 doigts serait signe qu’ils doivent agir selon les normes conventionnelles.

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Les BD ont toujours incorporé des éléments contemporains. Ils sont particulièrement adaptés à la propagande et à imposer des courants ethnocentriques. À gauche, une affiche fasciste des années 1930 qui suggère que les États-Unis soient dominés par les Juifs. Ci-haut, Terry and the Pirates lutte contre les Japonais dans les années 1940, mais même un ami-collaborateur-guide (Connie [Confucius], à droite, un Chinois et donc un allié) doit être présenté selon les canons racistes de l’époque.

Ici, on voit la couverture d’un BD italien des années 1940s (ceci vient du livre homonyme de Umberto Eco, 2005), où même les aventuriers impérialistes (sur un éléphant, néanmoins) ont l’avantage sur les indigènes. Même les animaux sauvages du lieu semblent reconnaitre la supériorité des blancs et attaquent les Noirs.

L’univers réaliste des premières BD

Le monde du BD a toujours illustré certains aspects de la culture qui n’étaient pas représentés dans les musées ou les palais; au 20e siècle, des BD «réalistes» n’avaient pas peur d’affronter la pauvreté et la marginalisation autrement ignorées par la haute culture.

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Gasoline Alley, 1918, centrée sur une station-service; la voiture était déjà symbole de la mobilité sociale et géographique; les personnages qui fréquentent le lieu sont marginaux, mais «intéressants»; la culture du « petit peuple » est présentée comme valide et autonome. C’est une des rares BD où les protagonistes principaux vieillissent en temps réel.

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Our Boarding House, 1922; les tentatives de Martha Hoople d’atteindre une respectabilité petite-bourgeoise sont continuellement sabotées par son mari paresseux et alcoolique.

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Joe Palooka, 1930, un champion de boxe qui veut conserver sa dignité dans un monde louche.

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En 1930, Ernie Bushmiller présente Nancy, la petite nièce de tante Fritzi, une garçonne libérée et riche; aux prises avec les problèmes de classe, Nancy préfère son copain Sluggo, un garçon pauvre, mal habillé, mais de bon cœur.

Plusieurs BD apparues avant la 2e Guerre mondiale rentent inchangées même après que la culture pop commence à dominer les médias dans les années 1950. Parfois, elles semblent un peu dépassées, mais leur public reste fidèle à la BD telle qu’elle était conçue. Cependant, même avant l’émergence de l’ironie pop, ces BD « classiques » ont toujours présenté plusieurs aspects de la vie quotidienne des classes populaires, que les journalistes et les idéologues avaient tendance à ignorer à la fin du 19e siècle. Les BD ont donc anticipé un des traits importants de la culture pop, l’utilisation des thématiques simples (p.e., manger ou crever de faim) et sensibles au vécu quotidien. L’ironie et l’auto-référence arrivent plus tard, mais elles offrent toujours des commentaires sur les instruments de l’hégémonie étatique.

Dans les années 1920, Little Orphan Annie souligne le quotidien du prolétariat et de la petite classe moyenne, puisqu’elle n’est jamais formellement adoptée par son beau-père Daddy Warbucks (qui a fait fortune fabriquant des munitions lors de la 1re Guerre mondiale). Ses absences prolongées permettent aux réalisateurs de réintroduire Annie dans des situations de pauvreté, et d’être « sauvée » par Warbucks. Elle joue l’intermédiaire entre le supercapitaliste Warbucks (qui est charmé par sa « simplicité », et les « personnes simples ». Cette BD était généralement favorable au statuquo. Avec l’arrivée de l’ironie populaire et du sous-texte saboteur, elle perd beaucoup de popularité, et cesse en 2010 (Annie est, pour la centième fois, kidnappée ; elle aboutie au Guatemala, où elle est censée commencer une nouvelle vie).

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Le carnavalesque et l’ordre moral

Comme dans la présentation PPT du comique subversif Charlie Chaplin (Charlot), le monde du BD contient plusieurs éléments qui font référence à la tradition du monde renversé (hérité des saturnales romaines), où certaines libertés (incarnées par un sur-agir, manifesté par la violence) agissent de soupape de sécurité contre la pression du conformisme social et politique. Plusieurs BD, même les plus conservateurs (Tintin, Superman, Captain America), ramènent les autorités gouvernementales à l’ordre en incarnant des valeurs sociales idéalisées. D’autres (p.e., les œuvres émergées dans les années 1960s) sont moins nuancées dans leur critique du statuquo; ils sont carrément subversifs.

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Même la violence irrationnelle du Hulk finit par rétablir l’ordre moral; avec son code de moralité primitif, il tranche l’hypocrisie et les prétentions du pouvoir excessif.

http://www.scifi-universe.com/upload/dossiers/spiderman/spiderman_fin.jpg Un aliéné comme

Spiderman (Peter Parker) vit avec sa tante et s’angoisse à

cause de l’amour. Sa lutte contre le statuquo

(représenté par le directeur haïssable du journal où il

travaille, J. Jonah Jameson) est une lutte contre les

institutions dépersonnalisées qui empêchent l’amour de

s’exprimer.

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Les protagonistes unidimensionnels mènent au recyclage

Des lapins sarcastiques; de beaux mecs gavés de superpouvoirs qui, à propos, dérivent du fait qu’ils sont des extraterrestres ou des victimes d’accident; un canard hystérique avec un défaut d’élocution; un marin déforme qui se nourrit d’épinards; un chien inventeur d’une machine pour voyager dans le temps et son «garçon» Sherman; Boris un espion russe incompétent et sa compagne séduisante Natasha – tous ces personnages (et d’autres) composent l’univers du BD pop. Le recyclage est aidé par la recherche de nouveaux défis pour ces protagonistes unidimensionnels.

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Le 4e mur: la subversion de la perspective Dans les années 1950s, Ozzie Nelson expérimentait avec la technique de

parler directement au public (franchir le 4e mur), dans son émission Ozzie and Harriet. C’était radical pour la télé de l’époque, mais tolérée, car le caractère interprété par Ozzie était tellement conforme aux attentes conservatrices de l’époque: archi-père traditionnel et patriarcal; l’émission incluait son épouse IRL ainsi que ses vrais enfants, dont un (Rickie) est devenu vedette rock dans les années 1960s et 70s. La famille était tellement parfaite que le public n’était jamais certain si l’émission visait l’ironie. Peut-être parler directement au public faisait partie du caractère ironique? Ozzie utilisait cette technique pour offrir de commentaires ironiques surtout à propos de sa femme, ce qui n’aurait pas été toléré autrement, car ceci aurait saboté la façade sérieuse de l’émission et aurait été vue comme une attaque sur la famille américaine. L’idée de franchir le 4e mur avait été expérimentée dans les BD depuis longtemps: Petit Sammy éternue en 1904-6 avait démontré que le cadre n’était ni imperméable ni fixe.

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Le technique devient une convention dans les BD, surtout avec Bugs Bunny et Wiley Coyote (qui ne parle pas, mais communique avec des pancartes).

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Un de traits saillants des BD américaines a toujours été un degré très élevé de violence, au point que des commissions d’enquête et les parents sont intervenus pour

déterminer l’effet sur les jeunes dès les années 1950s

Beavis et Butthead, 1993-7, MTV, créé par Mike Judge. La violence des BD fait partie de la simplification du code moral jadis attaché à la représentation de la communauté, ce qui permet de transformer la violence gratuite en justice (parfois, par inadvertance).

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En 1954 le Congrès américain mène une enquête sur les BD, convaincu qu’il existe un lien avec la délinquance, en dépit du rôle important que les BD avaient joué pour remonter le patriotisme durant la 2e Guerre mondiale. La Commission sénatoriale Kefauver réussit à imposer un code éthique sur les BD. Après, elles ne peuvent plus jouer le rôle de critique sociale. Ils doivent attendre les transformations profondes des années 1960s, où dorénavant le social n’est pas critiqué, mais ironisé.

La violence n’a aucune vraie conséquence

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Des incidents se présentent; elles sont traumatiques, mais pas traumatisantes; la violence, qui assume parfois des dimensions grotesques, ne blesse pas les protagonistes de façon permanente. Même dans les cas extrêmes (Stewie de Family Guy, par exemple, qui parfois tente de tuer sa mère, ou Kenny de South Park, qui meurt chaque épisode dans les premières 5 saisons), les personnes guérissent (ou renaissent) rapidement sans séquelles permanentes: elles incarnent le mythique.

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Les conventions qui entourent la violence des BD sont tellement bien établies (p.e., il n’a rarement du sang) que nous savons immédiatement que nous sommes dans

l’imaginaire du mythique

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Ici, pas des BD classiques, mais deux exemples de Alt Art (alternative art), qui prend comme point de départ un sujet de BD transformé en caractère vivant (dans l’imaginaire de l’artiste), et retransformé en BD réaliste. Populaire sur le site 4chan (http://www.4chan.org/). On est dans l’ironie pure: un commentaire sur le commentaire social de la BD.

La violence et la survie du corps

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Inconsciemment, le manque de conséquences permanentes de l’hyper violence des BD est, comme la mode populaire, signe de la volonté de contrôler la dimension corporelle. Normalement, «In Real Life», c’est le corps qui subit les politiques de contrôle de la part du pouvoir central, et la grande partie de telles politiques consiste à limiter l’agir individuel en imposer un échéancier sur l’individu. À différence des BD, les personnes IRL subissent des conséquences irréversibles. Les BD définissent un imaginaire où la violence devient une métaphore pour le pouvoir individuel sans entraves, un signe concret que l’individu n’est pas victime des politiques temporels de l’État, qu’il vit dans un espace a-temporel.

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Même la politesse exagérée des gaufres Mac et Tosh réussit à créer un monde «atemporel», car leur petite guerre de politesse les transforme en créatures qui ne peuvent participer dans le monde autrui.

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Cliquez: http://www.youtube.com/watch?v=h1YsHgoginU

À droite, Itchy et Scratchy, deux personnages qui sont les vedettes d’une émission à l’intérieur d’une émission (Krusty the Clown) à l’intérieur de l’émission The Simpsons.

Le réalisme: l’antihéros En 1961 Stan Lee est un peu dégouté par sa vie. Il fait des illustrations pour des cartes de souhaits, et n’aime pas les BD conventionnelles (Superman, Batman), où les héros, comme Captain America, sont toujours de la part du statuquo. Avec

d’autres artistes aujourd’hui renommés (surtout Jack Kirby) il introduit à Marvel Comics les Fantastic Four, Spiderman, Iron Man, Thor, The Hulk, et d’autres (qui ont tous été l’inspiration

pour des mega-films hollywoodiens dans la dernière décennie). La compagnie a été vendue à Disney en 2009 pour 4+ milliards. Il

introduit une dimension « noire » à ses protagonistes: Spiderman est criblé de doutes de ses capacités de trouver l’amour; Thor lutte

pour sauver l’humanité, mais a un alter ego handicapé, et ses pouvoirs se décuplent uniquement quand il est berserk (où il perde le contrôle de soi); les Fantastic Four sont animés par un triangle

de jalousie; les pouvoirs du Hulk le transforment en bête dangereuse (le public le craint, comme Spiderman), etc. Les

analyses de cette nouvelle dynamique ont noté que ce côté « noir » est lié à l’affaiblissement de la société traditionnelle et de ces

certitudes de sa narration maitre (à la Lyotard). Ce qu’ils n’ont pas noté est que ces nouveaux héros sont donc en lutte non seulement

avec les forces du mal, mais avec leur propre nature ou psyché: comme l’ironie et le sémiopouvoir, ceci dédouble leur agir, car désormais ils luttent contre les forces cachées qu’ils ne peuvent

pas vaincre. Ils sont donc plus individualistes et postmodernes que leurs prédécesseurs.

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Le hyper-réalisme

Quand, dans les années 1960s et 1970s, le BD prétend devenir plus «réaliste» (car c’est l’époque où il serait difficilement plausible que leurs protagonistes incarnent les valeurs idéalisées de l’Ancien Régime, l’ère des grands-parents), ils le font en fragilisant la psyché du héros, du Soi social. Leurs superpouvoirs sont essentiellement limités par leurs angoisses psychologiques. Spiderman en est le pionnier, mais Batman et Superman vont rapidement suivre le même chemin, rongés par la solitude et par des doutes sur leur capacité de s’intégrer dans la société. Paradoxalement, le héros réaliste est peut-être devenu trop faible pour affronter seul le mal; dorénavant, il a besoin d’une équipe, dont les membres vont souvent agir de miroir psychique pour le protagoniste. Don Quichotte avait son

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Sancho Panza, mais leur rapport était basé sur l’amour chrétien dans sa version médiévale. Les nouveaux superhéros, par contre, se chicanent incessamment, cars ils sont fragiles et sans la foi qui a motivé Don Quichotte.

La violence et son sous texte sémiotique de puissance corporelle (et donc «naturelle»; c’est le capital symbolique des catégories subalternes, surtout des jeunes mâles qui représentent un segment important des consommateurs de BD) a été une

partie intégrale du genre dès les années 1960.

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Dans le monde des BD, même les femmes sont hyper puissantes (mais, curieusement, assez asexuées). Les muscles sont des métaphores de leurs super pouvoirs; même les parodies (Super Dupont) doivent suggérer ces qualités. L’hyper sexualité de certains BD avant-gardes est également un signe de pouvoir. Cette sexualisation est parfois accentuée en le projetant sur des personnages autrement faibles ou enfantins (par exemple, des yeux grands sont signes de leur jeunesse et de leur «innocence», ce qui souligne la puissance de leurs autres qualités, dont le sexe; les Japonais sont les pionniers de cette sémiotique particulière).

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Le réalisme n’est pas uniquement dans la dimension de la narration BD et ses références à la «vraie» vie. Une convention suivie par plusieurs artistes est d’établir un contraste entre la protagoniste « BD -ifié » et l’arrière-plan « vrai ». Hergé, par exemple, était renommé pour la simplicité visuelle de ses personnages qui se contrastait au réalisme détaillé de ses arrières plans. Cette fidélité empirique souligne la dépersonnalisation des personnages, et donc aide à les définir comme des champs ritualisés anthropomorphisés. Cette simplification devient la marque de commerce de la BD, au point qu’on parle d’un «cartoon style»* pour n’importe quelle illustration qui simplifie les éléments visuels.

* N’oublions pas que le mot (cartouche) dérive de carton, un dessin simplifié utilisé pour transférer les images sur une fresque.

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D’autres adoptent la stratégie inverse: un style hyperréaliste pour les protagonistes, avec l’arrière-plan à peine identifiable, ce qui permet à l’industrie cinéma

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de créer un style hybride entre le cinéma classique et la BD; à gauche, Sin City; en bas, Batman.

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La technologie de la nostalgie: le réel « mythique »

Les BD ont évolué: avant, elles étaient des fantaisies; le « réalisme », quand il était présent, se situait au niveau du sujet (comme Gasoline Alley,) ou par des références « vraies » à la lutte contre la criminalité, les Nazis, etc. Les BD se distinguaient par des effets visuels exagérés: les yeux qui sortent des orbites pour indiquer la surprise; la gueule qui s’ouvre jusqu’aux genoux pour indiquer l’attraction sexuelle, un cœur battant qui défonce la cage thoracique pour indiquer l’amour, des biceps surgonflés pour indiquer la puissance, etc. Aujourd’hui, South Park utilise de personnages construits de carton coloré découpé; Archer utilise l’hyper réalisme de l’arrière-plan pour souligner la superficialité des caractères; American Dad a un extraterrestre et un poisson parlant, pour ne pas mentionner que le chef de Stan est interprété par et ressemble à « Captain Picard » de Star Trek : TNG (interprété par le même acteur, sabotant ansi la barrière entre réalité et parodie, qui normalement cible la « vraie » vie, mais dans ce cas, la « vraie vie » est une émission télévisée): Moral Orel et Robot Chicken utilisent des poupées d’enfants (les seules exagérations que se permettent les dessinateurs, c’est la mort, généralement sanglante et ultra violente). Bref, on ne veut pas présenter aucun lien avec la réalité sauf comme prétexte pour la parodie. Les BD sont devenues plus simples soit visuellement soit au niveau de caractérisation pour faciliter la parodie et donc l’ironie.

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À droite, des Cheesy Poofs, le snack préféré de Cartman dans l’émission South Park. Les Cheesy Poofs sont une parodie (poof = homosexuel) des Cheese Puffs (nom générique). La compagnie Frito-Lay a produit quelques millions d’exemplaires: la vie imite l’art qui imite la vie.

C’est pour cette raison que Itchy and Scratchy de l’émission The Simpsons est une parodie: il suit les ancienne conventions visuelles, carrément en contraste avec les personnages principaux qui visionnent l’émission.

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Self-Aware Comix

Non seulement est-ce ironique parce que les protagonistes brisent le 4e mur (en admettant qu’ils sont de personnages de BD), mais il s’agit de recyclage doublement ironique, car un bloggeur anonyme de 4chan a changé le texte originale, où l’échange est à propos du sexisme dans les bandes dessinées (sans admettre qu’il sont de caractères de BD).

Le BD semble recycler Daria, personnage de la série télévisée MTV de 1997-2002 crée par Mike Judge; elle était originalement la protagoniste « serieuse » de Beavis and Butthead.

La subversion et le recyclage

La réponse à la question de la bizarrerie des BD est simple: l’aspect ludique, les superpouvoirs et les personnages curieux ou simplement bizarres créent un espace imaginaire où les règles de la vie quotidienne sont suspendues. Leurs qualités les permettent d’être les défenseurs de personnes marginalisées. Ils deviennent les intermédiaires entre l’individu et le pouvoir, peut-être parce qu’ils possèdent des traits qui permettent une identification cathartique: même s’ils sont associés à des positions idéologiques assez complexes, ils ont un caractère émotif peu nuancé. C’est ce noyau simple qui les permet d’incarner le rôle de héros pour la personne quelconque. C’est cette simplicité émotive et morale qui les permet de questionner le pouvoir déguisé par la «tradition» sous toutes ses formes.

Les BD sont tellement adaptées à la subversion qu’elles sont un format idéal pour se moquer du genre comique-subversif, dans un genre d’autoréflexion récursive.

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Tous ces éléments:1) un contraste esthétique entre l’arrière-plan et le protagoniste;2) une corporalité exagérée ou déformée, même pour les héros dont les pouvoirs n’impliquent pas la force physique; 3) une contradiction entre l’ordre séquentiel rigide avec lequel les panneaux sont présentés et la logique temporelle des événements, qui inverse la causalité; 4) la causalité mise en question par la violence irréelle, sans conséquence; 5) la faiblesse psychique, émotive et caractérielle des protagonistes;6) la capacité de franchir le 4e mur, qui favorise un lien cathartique avec les protagonistes, mais qui sabote le rapport normalisé du sujet-spectateur géré par la perspective centrale; 7) des effets sonores explicités et exagérés, car écrits dans un cadre où l’espace réservé pour les mots est limité; 8) l’identification du protagoniste avec une position idéaliste, idéologique ou philosophique souvent non réalisable, mais prétendument «fondamentale» pour l’humanité;9) surtout, les thématiques simplifiées et exagérées … signifient que les BD sont un champ rituel, et donc représente un domaine d’exploration du pouvoir – spécifiquement, la tension entre la biopolitique étatique et le biopouvoir individuel. Les BD deviennent de plus en plus populaires à fur et à mesure que la mondialisation transforme le pouvoir d’institution à tendance fugace, laissant les individus à la dérive. «In space, no one can hear you scream» proclamait le film pivot Alien. Mais, c’était les années 1970s. Aujourd’hui, le silence des institutions classiques vis-à-vis le Soi à permis à la cacophonie de fond d’émerger et d’assourdir le Moi. Dans le BD, tout le monde peut t’entendre crier, car chacun est un Superman potentiel.

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Mona Leonidas: «Tonight, we … dine … at … K … F… CEE!»