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Les apports de l’Afrique à la science, à la technologie et au développement
Paul E. Lovejoy
Introduction
La découverte scientifique et l’application de la technologie au milieu naturel ont joué un rôle
capital dans l’histoire de l’Afrique et la formation de la diaspora africaine à travers le monde, et
plus particulièrement aux Amériques. En émigrant, déjà soumis à la condition d’esclaves ou de leur
propre gré, les Africains emportaient avec eux la connaissance des techniques agricoles et des
compétences en matière d’exploitation de la nature qui étaient nécessaires au développement.
Comme d’autres ailleurs dans le monde, ils étaient tributaires pour survivre de leur faculté
d’adaptation à certains cadres économiques et de leur aptitude à appliquer les savoirs acquis de
manière à accroître la production tout en enrichissant la qualité de la vie.
L’apport de l’Afrique à la science et à la technologie peut se mesurer à son impact sur le
développement des Amériques, ou la maladie et la conquête européenne firent des ravages
épouvantables dans la population. L’Espagne, le Portugal et, à leur suite, d’autres pays européens
profitèrent de leur supériorité militaire et de cette catastrophe démographique pour confisquer
d’immenses étendues de terre dont la mise en valeur ne demandait que de la main d’œuvre et des
transferts de technologie. La formation d’empires européens et la création d’énormes richesses
furent le produit du mélange de certains ingrédients – des terres pratiquement gratuites et
extrêmement fertiles, de la main d’œuvre et de la technologie, en grande partie d’origine africaine,
et la possibilité d’amasser d’immenses profits en s’appuyant sur l’esclavage, qui permettait de ne
pas rémunérer les esclaves, pas plus pour leur travail que pour leur savoir technologique. Il est
capital de bien voir que l’Europe occidentale n’envoyait aux Amériques aucune des plantes que
celles-ci cultivaient sur leur plantation et très peu des produits alimentaires qu’elles consommaient
et qu’au contraire, les cultures qui y étaient d’introduction récente étaient pratiquement toutes
originaires d’Afrique ou s’y pratiquaient déjà avant leur introduction dans les Amériques. La canne
à sucre avait d’abord été cultivée en Méditerranée et dans le sud du Maroc, avant de se répandre
dans des îles situées au large, puis de là sur le continent américain. Le coton était cultivé et tissé au
Soudan occidental et dans l’intérieur de la baie du Bénin depuis des siècles avant d’être introduite
aux Amériques, de même que le tissage, la teinture à l’indigo et les arts décoratifs associés aux
textiles. Le riz, indigène à l’Afrique occidentale, fut introduit dans les îles au large des côtes de
Caroline du Sud et de Géorgie, ainsi que dans la vallée du Mississipi, le Maranhão dans le nord-est
du Brésil et ailleurs, cependant que de très nombreux produits alimentaires et stimulants étaient
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aussi transférés d’Afrique. Comme Judith A. Carney et Richard Nicholas Rosomoff l’ont établi, les
Africains avaient mis en place des « jardins botaniques des défavorisés », où ils cultivaient
beaucoup de plantes de consommation courante – millet, sorgho, café, okra, pastèque et haricot-
kilomètre, dit « de Chine », par exemple, qui étaient toutes originaires d’Afrique. Les archives
archéologiques, histoires orales et même les pièces documentaires des propriétaires d’esclaves et
marchands européens montrent bien que les Africains de la diaspora cultivèrent pour une bonne part
les mêmes plantes qu’en Afrique pour leur propre subsistance et que, de ce fait, les fermes et jardins
africains devinrent les incubateurs de leur survie aux Amériques, africanisant en outre ainsi les
modes d’alimentation des sociétés de planteurs américaines.
Le transfert de savoirs a parfois été dénommé « échange colombien » pour mettre en relief
les maladies et les connaissances botaniques qui ont traversé l’Atlantique, comme si les navires
transportaient des savoirs et non des gens. Ce transfert de savoirs était double : ce que les gens
emportaient avec eux aux Amériques, ce qu’ils avaient dans la tête, à partir de leur expérience et de
leur formation personnelle, acquise en s’essayant à copier ce qui pouvait être observé et en
l’expérimentant. Le qualificatif de « colombien » appliqué à cet échange privilégie cependant
l’intervention européenne, alors que, on le sait, l’échange de connaissances et le transfert de
techniques furent des processus beaucoup plus compliqués. L’échange de savoirs fut centré sur ce
qui était alors connu comme l’Amérindie et l’Afrique, mais aussi en fait l’Asie, et englobait les
connaissances issues des sciences de l’islam. Nous savons à présent que les savoirs autochtones en
botanique et en zoologie furent d’une importance cruciale pour l’avènement de la science moderne.
De même, l’application de la technologie au développement de produits commerciaux comme le
Coca Cola, la Worcestershire Sauce ou le savon à base d’huile de palme repose sur des plantes que
l’Europe et les Amériques ont remarquées pour la première fois à travers les activités des navires
négriers.
S’il n’est pas à exclure totalement que ces cultures et ces compétences aient pu de toute
manière parvenir aux Amériques, le fait est néanmoins que le transfert de technologies et
l’accumulation des connaissances scientifiques qui les sous-tendaient eurent lieu sous le régime de
l’esclavage. Pourquoi il fut possible de recourir à une main d’œuvre servile pour générer le
développement n’est toujours pas très clair, car tous ces produits peuvent être créés autrement, mais
il n’en demeure pas moins que c’est ainsi que la technologie et la science venues d’Afrique furent
mobilisées au profit, dans une large mesure, de l’Europe occidentale et ses colonies, et non des
Africains et leurs descendants, malgré leurs apports et leur participation au transfert de technologies
et au développement. On ne sait pas très bien pourquoi des plantes cultivées aussi bien dans le cadre
familial que collectif le furent aux Amériques dans celui de l’esclavage. Ce n’était pas lui qui
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constituait l’innovation, puisqu’il existait aussi en Afrique – et d’ailleurs beaucoup des mêmes
cultures, tels le riz et le coton, étaient placées sous le signe de l’esclavage en Afrique, y compris les
plantations où des dizaines et centaines d’individus concouraient à leur production. La question se
pose toujours, par conséquent, de savoir ce qu’il y a avait de novateur dans la production de ces
plantes aux Amériques. La réponse est qu’il fut possible, à travers le régime de l’esclavage et dans
une situation offrant l’occasion de « revendiquer » des terres et au surplus se battre pour elles dans
les guerres européennes, sans autre frais que lesdites guerres, de les rendre productives au profit des
membres d’une classe précise des sociétés européennes occidentales par un double rapt de la terre et
du travail. Quelques spécialistes ont désigné ces faits comme un fruit de l’esprit d’entreprise, mais
cette conception neutralise ce que les générations ultérieures vont considérer comme des crimes
contre l’humanité et une injustice envers les communautés autochtones et leurs droits sur les terres
qu’ils occupaient et qui devraient continuer à leur appartenir.
Toute étude des apports de l’Afrique à la science et à la technologie se heurtent au problème
que posent la racialisation des visions de l’histoire et la relégation de l’Afrique au rang d’un
stéréotype de « sous-développement » ou de « non développement ». Il pourrait sembler que, depuis
la fin de la période coloniale, l’histoire politique de l’Afrique est marquée par l’instabilité,
accompagnée comme il se doit par la stagnation économique et la pauvreté. D’où l’image de ce
continent comme parent pauvre de la communauté mondiale, arriéré, souffrant et incapable de
fournir les apports intellectuels qui pourraient faciliter le développement. Contrairement à cette
image, il se trouve qu’en fait Africains et descendants d’Africains font carrière de nos jours comme
médecins, scientifiques, ingénieurs ou professeurs en Europe, Amérique du Nord, Amérique latine
et aux Caraïbes aussi bien qu’en Afrique continentale, ce qui atteste l’importance de leur
contribution au développement.
Les vestiges de l’esclavage, sous la forme aussi bien de la servitude pour dette aux
Amériques que l’esclavage domestique en Afrique, apparaissent comme des atteintes et des
restrictions aux contributions de l’Afrique au développement, mais surtout en ce qui concerne la
diaspora des Africains asservis aux Amériques et aussi dans le monde islamique. Pour bien des
gens, l’esclavage fait songer à des persécutions qui ont entravé sinon totalement empêché la
transmission de savoirs, que ce soit aux Amériques ou au monde de l’islam. L’image des « esclaves
» africains qui en fait des sauvages barbares, primitifs et tribaux ne peut que renforcer le stéréotype
d’une Afrique qui n’avait rien à offrir en fait de connaissances scientifiques ou de savoirs
techniques pratiques. Si les Africains ont joué un rôle dans le développement, toujours selon cette
image stéréotypée, ce n’est que par le travail de brute qu’ils furent contraints par la force de fournir.
Un tableau plus objectif des réalisations du passé établirait que le développement des productions
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végétales et les technologies y afférentes étaient en grande partie originaires d’Afrique, et non
d’Europe, et que l’apport de l’Europe au développement aura consisté dans le transfert forcé de
compétences et de savoirs d’Afrique à travers l’Atlantique et dans l’accumulation de capital par
l’appropriation.
Les stéréotypes de la sous-performance africaine posent beaucoup de problèmes qu’on ne
peut pas laisser de côté. Tout d’abord, il n’est pas vrai que l’Afrique soit un continent peu
performant. Il suffit de réexaminer ses apports dans divers domaines, et plus spécialement
l’agriculture, l’extraction minière et la pharmacologie, pour constater que même dans ces seuls
secteurs, ce qu’elle a apporté est important. Au surplus, il faut, selon nous, dépasser les conceptions
étroites de la science et de la technologie qui entament notre appréhension du développement –
comment les choses se passent et ce qu’il a fallu comme intelligence humaine pour atteindre des
objectifs pratiques et améliorer les niveaux de vie. En examinant les apports de l’Afrique à la
science, à la technologie et au développement, on est nécessairement amenés à poser la question
cruciale : pourquoi l’esclavage était-il nécessaire au « développement » des Amériques ? N’aurait-il
pas été possible d’obtenir sans lui des résultats semblables, voire meilleurs ? Pourquoi a-t-on
généralement si volontiers vu dans le développement un produit de la science et de la technologie,
comme si l’esclavage n’avait pas existé ? Le monde moderne aurait-il connu un développement
scientifique et technologique plus poussé sans l’esclavage ? Ces questions délimitent l’analyse qui
va suivre des apports de l’Afrique au développement et vont à l’encontre de l’idée stéréotypée que
les Africains n’ont apporté, au mieux, que des contributions marginales à la science et à la
technologie moderne. Or, il peut être démontré que l’esclavage n’a pas privé l’Afrique de gens qui
auraient pu contribuer à son développement, mais que ces migrations forcées ont en outre confisqué
le savoir technologique fondé sur l’expérience et la formation antérieure qui furent transformées
aux Amériques.
L’esclavage aura été particulièrement inefficient dans l’affectation des personnes qualifiées
aux activités qui avaient le plus besoin de leur qualification, mais tel était le mode de transfert de
technologies aux fins d’un développement qui devait profiter à l’élite. Les esclaves n’étaient pas
rémunérés, le coût de leur travail se résumant à leur prix d’achat et aux frais de leur subsistance
venant en sus de ce qu’ils pouvaient s’assurer par eux-mêmes dans leur jardin. Il y a certes eu des
transferts de compétences technologiques et de connaissances scientifiques, mais l’esclavage n’en
comportait pas moins une forme d’exploitation exigeant un travail de brute non qualifié, qui
réduisait la part de la technique à un minimum et le contact avec la science à moins encore.
Comment se fait-il, pourrait-on demander, que l’un des ancêtres du monde scientifique moderne
soit l’esclavage, qui a légué pour tout héritage une sous-évaluation des savoirs des Africains ?
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Si les apports de l’Afrique à la science et la technologie n’ont pas été reconnus, c’est bien parce que
les conceptions de la connaissance scientifique ont été racialisées, comme si la connaissance et la
découverte étaient en quelque sorte corrélées avec la couleur de la peau. La classification de la
nature et l’exploration de l’environnement à des fins d’application pratique sont universelles, que ce
soit dans les régions polaires ou sous les tropiques, en Afrique comme en Asie ou en Europe. Des
disciplines modernes telles que la botanique, la zoologie, la pharmacologie et la médecine doivent
leur essor à la classification, aux méthodes comparatistes qui privilégient la discipline de
l’observation et à l’expérimentation qui cherche à vérifier les résultats. Dans une certaine mesure,
ce qui est tenu pour la science moderne s’est élaborée en dehors des corps de connaissances
constitués ailleurs qu’en Occident, en Chine, dans le monde islamique, chez les populations
amérindiennes, autochtones des Amériques ou en Afrique. La science moderne s’est en partie bâtie
sur une prémisse racialisée : si ce n’est pas dans un laboratoire européen ou nord-américain qu’elle
a eu lieu, il n’y a pas de « découverte », et il ne s’agit pas de science. Ce n’est que récemment que
les « scientifiques » se sont de plus en plus tournés vers les masses de connaissances découlant
d’autres systèmes de classement et d’analyse que le leur.
Un vocabulaire de botanique en langue yoruba, établi à partir de connaissances scientifiques
recueillies par Pierre Verger à Bahia, et non pas au Nigeria, dépasse les 700 pages. Si l’on ajoutait à
ce recueil les connaissances botaniques existant au Nigeria, cette encyclopédie serait plus longue.
Ces connaissances scientifiques sont d’une portée considérable au point de vue pharmacologique.
De même, la composition chimique des très nombreux sels présents dans le centre du Sahara et le
bassin du lac Tchad était comprise dans le sens de ses applications en pharmacologie, en cuisine, en
tannage, en teinture des textiles et en soins vétérinaires. La distinction entre sulfates, carbonates et
chlorures était connue, et il y avait eu des tentatives pour isoler ces sels conduites d’une manière qui
est révélatrice d’un niveau d’investigation scientifique certainement susceptible d’être transféré aux
Amériques. Tant la botanique yoruba que les connaissances scientifiques sous-tendant la mise en
évidence des sels du Soudan central attestent une sophistication scientifique qui fut diffusée au sein
de l’Afrique de l’Ouest puis transférée aux Amériques et à la diaspora africaine qui s’y trouvait.
Une distinction s’impose à l’évidence entre l’aptitude à transférer les connaissances et le
point de savoir si les connaissances issues de la découverte en Afrique furent ou non effectivement
transférées. Mises à part sa brutalité et son arbitraire, l’esclavage n’était pas une méthode
rationnelle de transfert de connaissances effectives et applicables, encore qu’il y ait eu certains
transferts directs, comme dans le cas de la riziculture et peut-être aussi de la culture du coton et de
l’indigo ainsi que de l’entretien du bétail. Les individus qui furent réduits en esclavage en Afrique
ne le furent pas en raison de leurs compétences ou de leurs connaissances, mais bien plutôt pour des
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raisons politiques, d’opportunités et occasionnellement religieuses ou juridiques. Nul ne songerait à
une réaffectation des savoirs pas plus qu’à une mobilisation des ressources intellectuelles au profit
de la technologie et du développement. Telle n’était pas la finalité de l’esclavage mais les individus
réduits à cette condition possédaient des compétences et des savoirs spécialisés qui pouvaient être
transférés et bien souvent le furent.
Aussi, lorsqu’il se concrétisait, un transfert effectif de connaissances scientifiques et de
technologies était-il, jusqu’à un certain point, fortuit, et non pas voulu. Partant, les migrations
forcées d’Afrique vers les Amériques reposaient uniquement sur la recherche d’un travail brut, par
opposition à des qualifications spécifiques, encore que la prise de conscience du fait que tel ou tel
esclave avait de l’instruction ou avait été forgeron, ou savait cultiver le riz ou soigner le bétail se
traduisait par des profits assurés presque entièrement au propriétaire des esclaves en question. Au
sein du monde islamique la circulation des Africains réduits en esclavage n’était pas non plus axée
sur les compétences ou les savoirs. La spécialisation comptait dans le cas de certaines «
compétences », sur le marché des eunuques et pour la demande de concubines, par exemple, mais
aucune de ces deux spécialités n’avait de rapport avec la science ou la technologie, eunuques et
concubines pouvant fort bien se trouver tout près des puissants et être ainsi en mesure d’acquérir
des connaissances et même de peser sur les décisions concernant le développement, mais leur
bagage de savoir scientifique et technique n’était pas indispensable et souvent ne comptait pas, d’où
le fait que l’esclavage interceptait presque toujours le transfert de savoir et sapait la maximisation
de la technologie. Il est donc paradoxal que les mondes « européen » et « occidental » aient souvent
été crédités de l’avancement de la science et de l’application de la technologie au service du
développement. Pourtant, lorsqu’on observe les laboratoires et facultés du monde actuel, on n’y voit
pas d’environnement racialisé. On dirait que le monde entier est enfin en train de rattraper son
retard à se rendre compte que la science et la technologie émanent du savoir collectif issu de
l’expérience humaine. Le fait que le personnel des laboratoires et universités est constitué
d’individus originaires des quatre coins de la planète doit être pris en considération pour évaluer
l’apport de l’Afrique à la science et la technologie. Ce faisant, il importe de bien voir que
l’esclavage aura eu, entre autres, pour conséquence que les contributions de l’Afrique à la science et
la technologie ont été ignorées. Leur négation et la dilapidation des savoirs des Africains viennent
s’ajouter aux raisons pour lesquelles l’esclavage a été érigé en crime contre l’humanité. Le type de
développement qui s’est produit dans le contexte colonial esclavagiste sous domination européenne
et américaine était faussé à plusieurs égards importants, notamment le choix des bénéficiaires de
l’application de la technologie et l’attribution du mérite de la découverte scientifique. La non-
reconnaissance des contributions de l’Afrique explique par conséquent l’étendue de la criminalité.
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La présentation qui suit des apports de l’Afrique à la science, à la technologie et au
développement partira de l’aube de la civilisation et de la domestication de l’agriculture, marquée
par l’introduction de cultures qui ont conservé longtemps toute leur importance dans la production
alimentaire. L’apport de l’Afrique à la seule agriculture a façonné les Amériques, à travers
l’application des techniques correspondantes de production, animale y compris, et des cadres
nouveaux, malgré l’esclavage. Sans ces compétences en matière agricole, il n’aurait pas rimé à
grand-chose de faire fond sur la main d’œuvre africaine pour assurer le développement des
Amériques. Considérant que bon nombre des cultures étaient indigènes à l’Afrique ou s’appuyaient
sur des technologies originaires du continent, il est indispensable de comprendre l’histoire de la
transformation de son agriculture et de bien mesurer que le développement des Amériques assuré
par le transfert de savoirs africains s’est opéré parallèlement à la poursuite du développement
agricole à travers les technologies appliquées en Afrique comme ailleurs dans le monde. L’Afrique
importa donc des cultures inconnues jusque là comme le tabac, [le manioc ?] et le maïs en
provenance des Amériques et de nouvelles variétés végétales comme le riz asiatique, la banane et le
plantain pour accroître sa production et améliorer les produits. De même, il ressort de l’étude des
activités manufacturières et de l’industrie que l’Afrique a contribué à la fabrication de textiles et de
cuirs, à la production de sels et de minéraux et au développement industriel. De plus, les Africains
ont beaucoup apporté à l’architecture, pour la construction de mosquées et des églises coptes
d’Éthiopie, par exemple.
Après avoir examiné les apports à l’Afrique à la science et à la technologie, on peut réagir à
l’ignorance et aux interprétations racialisées qui ont été appliquées aux Africains et à la diaspora
africaine de nos jours. Ce que les peuples du continent ont apporté à travers l’innovation
scientifique et technique a aidé à modeler le monde moderne. En Afrique, ces réalisations étaient
liées à l’environnement et à la société, ainsi qu’au désir de dépasser les limites des écologies et de
maximiser les capacités d’exploitation des ressources naturelles pour répondre aux besoins et aux
misères des êtres humains. Dans la diaspora africaine, quelques-unes de ces réalisations furent
transférées de force outre-Atlantique à travers le recours au travail, aux talents et aux savoirs des
Africains qui avaient été réduits en esclavage, pour leur travail, certes, mais aussi privés de leur
dignité par la négation de leurs succès intellectuels. Leurs apports n’ont pas influencé seulement le
développement du continent africain, ils ont aussi, plus généralement, fait sentir leur influence sur
les mondes de l’Atlantique, l’islam et l’océan Indien.
Bien que les stéréotypes raciaux et la xénophobie, qui nient ou minimisent l’ampleur des
apports africains aient parfois été acceptés, c’est le contraire qu’attestent les annales – comme dans
les autres régions du monde, les gens s’adaptèrent à leur environnement, recherchèrent des moyens
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d’améliorer leurs produits, d’accroître la production et d’élever leur niveau de vie. La technologie
fut mobilisée selon l’étendue des compétences et connaissances locales. Le continent africain n’était
pas isolé du reste du monde, la circulation des personnes et des idées était d’une importance
cruciale pour son développement, mais aussi partout où se trouvaient des Africains de la diaspora.
Pour comprendre ce que furent les apports de l’Afrique à la science, à la technologie et au
développement, il faut aussi ternir compte de l’esprit d’entreprise et des activités de ces Africains de
la diaspora. Nous nous proposons dans cet essai de donner des exemples de réussites africaines afin
d’offrir une base factuelle à partir de laquelle répliquer aux stéréotypes raciaux et ethniques, tout en
diffusant auprès d’un public mondial la connaissance nouvelle que nous possédons aujourd'hui de
l’esprit d’entreprise des Africains.
L’aube de la civilisation
Les contributions de l’Afrique au monde antique sont bien connues. Les pyramides de l’Égypte
témoignent des compétences de ses ingénieurs et de ses architectes. L’Égypte classique était au
carrefour de toutes les frontières de l’Afrique du Nord-Est et de l’Asie du Sud-Ouest. Les
populations de cette région étaient mélangées. Parmi les bâtisseurs des pyramides, il y avait des
Africains de la moyenne et la haute vallée du Nil, aussi bien que des gens venus de la Méditerranée
et d’ailleurs. La technologie et la science qui la sous-tendaient n’étaient pas racialisées mais
traversaient de nombreuses cultures. De même, la culture Nok de ce qui est à présent le centre du
Nigeria affiche des formes d’art d’une très haute antiquité qui révèlent une maîtrise de la
métallurgie et de la sculpture sur pierre offrant des similitudes avec ce qu’on trouve dans d’autres
parties du monde. La diffusion de la technologie du fer en est un bon exemple. Il importe de bien
s’en rendre compte, les percées technologiques et scientifiques se sont produites indépendamment
les unes des autres dans diverses régions du globe. Les Africains purent transférer les techniques de
la ferronnerie aux Amériques parce qu’elles étaient anciennes en Afrique. Ce ne fut pas cas, au
contraire, d’autres technologies comme le travail d’autres métaux tels le bronze et l’argent. En règle
générale, l’Amérique des plantations n’en avait pas besoin, alors qu’il lui fallait des gens capables
de travailler le fer. Ce n’est là qu’un exemple des types de savoirs technologiques courants en
Afrique mais qui ne furent pas transférés avec la diaspora et se perdirent, retardant le
développement. On voit là encore combien le système de l’esclavage était inefficient ; l’exploitation
de gens réduits à la condition d’esclaves avait tendance à en entraver le transfert de compétences.
La présence dans la vallée du Nil de monuments, palais et temples remontant à l’antiquité atteste
l’existence d’une tradition architecturale qui devait se perpétuer avec la construction de mosquées
en Afrique de l’Ouest et le long des côtes de l’Afrique de l’Est, ainsi que d’églises en Éthiopie. La
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connaissance des mathématiques et du génie civil est très ancienne, et elle était intimement liée aux
matériaux de construction disponibles. Aux Amériques, les contributions en matière d’architecture
sont attestées par des forts et des églises, tout particulièrement à Cuba et en Amérique centrale, où
ils furent construits, mais aussi entretenus avec le concours d’Africains et de descendants
d’Africains. Beaucoup de ces palais, mosquées, temples, églises et fortifications dont les plus
anciens datent du Moyen-âge ont été inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les
antiques pyramides de la vallée du Nil prouvent que la distinction entre ce qui était « africain » et ce
qui ne l’était pas est une question de définition. Assurément, ces pyramides sont sans équivalent,
mais elles s’inscrivent tout autant dans l’histoire des apports de l’Afrique à la technologie et au
développement. Il faut aussi signaler le Zimbabwe, les églises coptes d’Éthiopie, l’architecture
islamique de la côte de l’Est africain, de même que la diffusion de la construction de mosquées et
palais en adobe, en liaison avec la tradition d’al-Sahili. De plus, les techniques africaines
d’architecture et de construction se sont étendues à la diaspora. Certaines des cathédrales de
l’Amérique hispanique construite du XVIe au XVIIIe siècle, ainsi que des fortifications furent
bâties par des architectes d’ascendance africaine. De même, ce sont des Africains, dont beaucoup
étaient originaires de l’actuel Ghana, qui ont construit la totalité des bâtiments de la ville de
Newport, dans l’État de Rhode Island, comme à Kingston (Jamaïque) et ailleurs.
Les débuts de l’agriculture : domestication végétale et animale
Il est certain que les contributions des Africains à l’agriculture ont été à la base du développement
du continent et, dans une large mesure, également des Amériques, comme le montrent plusieurs
innovations, dont la domestication du millet/sorgho, du riz, de l’igname, de la kola et du café. Pour
comprendre cet apport des Africains, il faut partir de l’apparition de civilisations qui trouvèrent leur
expression dans l’ensemble Nok au Nigeria et les enclos du Zimbabwe en Afrique australe.
L’agriculture, élevage compris, a suivi une évolution autonome sur tout le continent africain, lequel,
à proprement parler, ne fut pas seulement le berceau de l’humanité, mais encore celui de la
production alimentaire, de la spécialisation des cultures et de l’expérimentation de systèmes
d’agriculture et d’élevage pastoral. Ces grands progrès de la technologie de la production agricole
mettent bien en évidence l’apport de l’Afrique à l’évolution qui a conduit le monde antique jusqu’à
l’âge moderne. En examinant de près les innovations technologiques et agricoles, on constate que
les compétences acquises en Afrique ont pu être transférées aux Amériques et, par conséquent agir
sur le développement. Il faut donc se demander de quelle nature était la connaissance qu’eurent les
Africains de l’agriculture et dans quelle mesure elle fut transférée et approfondie aux Amériques
sous le régime de l’esclavage. Je défendrai ici l’idée que c’était une connaissance étendue surtout
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dans le cadre de certaines cultures comme le riz, l’indigo et le coton, que les propriétaires
d’esclaves aient eu ou non l’intention de mobiliser cette expérience sur leurs plantations
américaines. À ce qu’il semble, ils considéraient plutôt les Africains comme des bêtes de somme
dépourvus de toute qualification transmissible et de tout savoir susceptible de se révéler utile. Les
avantages que ce transfert de savoirs put procurer dans la perspective du développement furent
purement fortuits et rarement reconnus.
Il ressort de l’étude du développement agricole intervenu dans différentes parties de
l’Afrique que plusieurs régions du monde ont connu ce phénomène indépendamment les unes des
autres. Tel est le cas, au moins, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Éthiopie, où l’on tient pour indigènes
diverses cultures comme le riz et les millets et, dans les forêts tropicales, l’igname et d’autres
racines ainsi que les cultures arboricoles, dont le palmier à huile. Les divers millets étaient
particulièrement importants et demeurent à ce jour, dans bien des régions d’Afrique, l’une des
productions vivrières de base. Les techniques de production varient beaucoup, depuis les systèmes
d’agriculture nomade (la culture sur brûlis) jusqu’aux cultures intercalaires ou alternées. De même,
la domestication de l’igname a permis une expansion démographique par la pénétration des régions
forestières du continent. Aux Amériques, la culture de racines comestibles dans le cadre des
plantations était souvent marginale, pratiquée par les Africains en dehors du travail dû au
propriétaire d’esclaves, comme stratégie de survie. [En période de pénurie ?] alimentaire ou de
catastrophes naturelles, comme les cyclones, ils ne pouvaient survivre qu’à condition de disposer de
racines à consommer. L’innovation agriculture ne se résume pas à l’obtention de variétés nouvelles,
elle consiste aussi à adopter et adapter des espèces de denrées alimentaires importées tels la banane,
le maïs et le manioc, et se mesure en outre à leur importance sur le plan de la production agricole et
de la viabilité en longue durée. De même encore, les agriculteurs expérimentèrent forcément
différents types de culture, de la culture sur brûlis à l’irrigation, des arbres et des racines aux
condiments et aux épices, en passant par les céréales, les fruits et les légumes.
La culture du riz offre un bon exemple du mode de transfert de la technologie africaine aux
Amériques et du mode d’exploitation par l’esclavage des savoirs issus d’Afrique. Domestiqué dans
la région de savanes de l’Afrique de l’Ouest et le long de la côte de Haute-Guinée, le riz s’est
répandu, à partir de là, en Caroline du Sud et en Louisiane, puis dans lé région brésilienne de
l’Amazone et ailleurs. L’étude des différentes techniques de production et de leur propagation aux
Amériques montre bien l’importance du rôle des Africains dans leur développement. Bambara,
Fula, Malinké, et Songhaï pratiquaient de longue date la riziculture le long du Nil, cependant que
Sérère, Mendé, Temné, Kissi, Papel, et Baga, de leur côté, appliquaient leurs propres techniques
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spécifiques, du Sénégal à la Côte d’Ivoire. Il existe des études spécialisées très approfondies des
sociétés productrices de riz de la côte de Haute-Guinée, Doala et Branes, entre autres.
Sur les 20 et quelques espèces de riz connues dans le monde, deux seulement furent
domestiquées, l’une en Asie (Oryza sativa), l’autre en Afrique de l’Ouest (Oryza glaberrima) – à
l’origine, pense-t-on, il y a quelque 2000 ans, au Mali, dans les terres humides [dulcicol ?] du bassin
du moyen Niger. La diversité génétique semble aussi indiquer l’existence en Afrique de deux
centres secondaires d’innovation et de développement concernant le riz, au nord et au sud de la
Gambie et des hauts plateaux de Guinée, entre Sierra Leone, Guinée Conakry et Libéria.
Les deux riz, africain et asiatique, offrent plusieurs contrastes manifestes. L’africain est
mieux adapté aux carences des sols en substances nutritives comme l’acidité, la salinité, l’excès
d’inondation, la toxicité ferreuse et la carence en phosphore. Il pousse vite, ce qui fait qu’il est plus
compétitif par rapport au sativa au début de son cycle de croissance. En revanche, dans des
conditions pédologiques et hydrologiques optimales, l’asiatique donne généralement de meilleurs
rendements. Si la culture du riz africain, glaberrima, ne s’est pas diffusée sur de vastes étendues à
travers le monde, c’est notamment parce qu’il est notoirement difficile à moudre. Il faut en effet le
débarrasser de ses glumelles indigestes par une méthode de traitement qui garde les grains entiers ;
c’est le cas du mortier et du pilon usités en Afrique (pilao en portugais).
Quelques études attribuent la présence précoce du riz en Afrique de l’Ouest aux navigateurs
portugais qui l’auraient apporté d’Asie jusqu’à la côte de Haute-Guinée. Or, loin d’y introduire le
riz, les caravanes portugaises étaient tributaires de l’achat de denrées produites sur place, et tout
particulièrement du riz, qui était depuis longtemps commercialisé en Afrique. Les Européens
parlaient de Côte du riz à propos de cette côte où l’on cultivait le riz, par opposition à la Côte des
grains, où l’on pouvait acheter du millet et du sorgho. Aux XVIe et XVIIe siècles, les Ouest-
Africains vendaient du riz aux trafiquants d’esclaves pour approvisionner leurs navires, y compris
les Africains emmenés aux Amériques.
Les espèces de riz signalées dans les premières relations européennes étaient Oryza
glaberrima, qui se caractérise par des fleurs groupées en panicules dressées et compactes et un
tégument rouge et qui était cultivée dès 1500 av. J.-C. le long de la Casamance en Sénégambie et
dans le delta intérieur du Niger, au point où celui-ci coule en direction du nord-ouest, vers
Tombouctou. Beaucoup plus tard sera introduite l’espèce originaire d’Asie, O. Sativa, à panicule de
fleurs pendante et tégument blanc, et dont le rendement est plus élevé, au Soudan occidental et sur
la côte de Haute-Guinée.
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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L’espèce asiatique et ses hybrides ont généralement remplacé l’espèce indigène. Cela dit, si
les variétés de riz asiatiques ont pu être introduites avec succès, c’est parce qu’il existait déjà un
système de riziculture irriguée et des méthodes de mouture du riz.
La région rizicole de l’Afrique de l’Ouest se divise en deux parties, selon les précipitations
annuelles : au nord, dans des zones où celles-ci sont inférieures à 890 mm, la culture du riz se
déploie sur les terres marécageuses conjointement avec le pacage, tandis que vers le sud, où dans
des zones qui reçoivent davantage de pluie, les animaux sont moins nombreux à mesure que l’on
passe de l’agropastoralisme à un système surtout agricole. Trois régimes hydrologiques principaux
influent sur la plantation de riz en Afrique de l’Ouest : les précipitations, les eaux souterraines et les
marées, qui donnent lieu à trois systèmes de rizicultures, des hautes terres, des marais de l’intérieur
et des marées.
Le système des hautes terres, qui en fait peuvent ne pas même atteindre 100 m au-dessus du
niveau de la mer et où les précipitations sont d’au moins 1 000 mm par an, se caractérise par un
déboisement qui permet de planter dans des sols bien drainés. Les grains sont semés dans des
sillons, soit à la volée, soit jetés dans un trou fait en perçant le sol à l’aide d’une houe spéciale. Le
trou peu profond est ensuite recouvert et tassé avec le talon. Ce système était régulé par la durée de
la saison des pluies, les cultivateurs ouest-africains plantaient habituellement des variétés à cycle
court, de trois ou quatre mois. En général, la culture du riz dit « de montagne » se pratique dans des
conditions climatiques et pédologiques et suivant un système de répartition des sols qui sont
favorables, en Sierra Leone et au Libéria.
Le deuxième grand type de riziculture se rencontre le long d’une pente du paysage ouest-
africain, c’est celle des marécages de l’intérieur, où les eaux souterraines atteignent le niveau des
racines durant la majeure partie de la période de croissance. Le nombre et la diversité de ces
marigots ainsi semés de riz sont la concrétisation d’une connaissance très fine des sols et de leur
propriété de rétention de l’humidité, comme des méthodes facilitant le captage d’eau pour
l’irrigation d’appoint. Comme l’observe Judith A. Carney, la culture du riz dans ces marécages
exige que l’on prête une grande attention à la topographie et à l’écoulement des eaux. Les
agriculteurs construisent souvent des petites buttes de terre autour des parcelles pour former un
réservoir qui captera et gardera les eaux de pluie ou de ruissellement. Cette pratique fait que les sols
restent saturés jusqu’à la fin de la saison sèche dans les cycles courts pendant la période de la
récolte. Si celle-ci se trouve compromise par excès d’inondation, la parcelle peut rapidement être
drainée en perçant la butte. Les agriculteurs améliorent parfois le drainage et l’aération en
billonnant le sol. Les grains de riz sont semés directement au-dessus des billons, ou bien les plants
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sont ensuite repiqués, cette dernière méthode étant souvent préférée lorsque les plants risquent de ne
pas pouvoir se développer sur le sol détrempé.
Enfin, la culture du riz de marée se pratique dans trois environnements distincts de plaines
inondées : le long des fleuves et rivières d’eau douce, de ceux dont les eaux deviennent
saisonnièrement salées et des estuaires de la côte soumis en permanence à l’influence de l’eau de
mer. Le riz de mangrove, qui affiche les rendements les plus élevés de la région rizicole de l’Ouest-
Africain, se caractérise par une culture d’estuaire en milieu salin. Du Cap-Vert à la Sierra Leone, la
topographie a dicté la création d’une technologie de la riziculture adaptée à la mangrove. Dans les
estuaires des très nombreuses rivières à forte charge de vase, les racines de la mangrove saisissent la
terre et retiennent les alluvions, produisant ainsi un sol extrêmement riche qui est idéal pour le riz.
Les paysans locaux débroussaillent le marécage à mangrove et construisent une digue pour
empêcher la pénétration de l’eau salée de l’Atlantique. Cette digue est fermée par des écluses de
troncs d’arbre à marée montante et ouverte à marée descendante, afin de permettre le lavage du sol
salé par les eaux de pluie ou des crues. Le champ est subdivisé en séries de canaux et de chaussées
qui facilitent l’irrigation. Répétée sur une période qui peut durer des années, cette opération draine
les alluvions du sel qu’elles contiennent. À l’aide d’une sorte de pelle, les agriculteurs aménagent
des billons au plus près de la mer. Et pendant ce temps-là, les femmes préparent d’autres terrains
plus haut en se servant d’une petite houe et y sèment du riz qui sera repiqué plus tard dans les
champs. Après la récolte, le fumier du bétail apporte un engrais supplémentaire dans toute la zone
entièrement exempte de trypanosomes de la région rizicole. Les riziculteurs qui se trouvent au sud
de la ceinture du trypanosome n’ont pas cette chance : faute de bétail, ils sont bien obligés de
recourir à d’autres techniques pour entretenir la fertilité des sols, telles la rotation avec la culture de
légumes fixant l’azote et la culture dérobée de plantes apportant aux sols des nutriments d’une
importance cruciale.
Le travail des femmes s’est révélé décisif en Afrique de l’Ouest pour la riziculture, à la
différence de ce que l’on peut observer pour d’autres céréales comme le sorgho et le millet. C’était
elles qui choisissaient les semences, sarclaient les mauvaises herbes et récoltaient le riz, qui le
moulaient et le portaient dans des paniers, le traitaient, le cuisinaient et le vendaient sur les marchés.
Le rôle du travail féminin variait en fonction de l’importance du riz dans le système d’exploitation :
les hommes participaient davantage à sa culture là où le riz était l’aliment de base, et les femmes
l’assuraient entièrement lorsque le riz était secondaire dans le système alimentaire régional.
L’une des contributions principales des esclaves africains aux Amériques réside dans les systèmes
ouest-africains de connaissance sur le riz – les principes de l’utilisation des sols, la division du
travail entre hommes et femmes et les techniques de transformation alimentaire. Dans au moins
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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deux zones d’esclavage du Nouveau monde, la Caroline du Sud et l’Amazonie orientale au Brésil,
les planteurs européens se sont appuyés sur l’expertise africaine en matière de riziculture pour
aménager des plantations de riz. Dans ces deux pays, les techniques de la riziculture étaient très
proches de celles qui avaient cours en Afrique de l’Ouest. Beaucoup d’Africains réduits en
esclavage étaient des producteurs de riz expérimentés, d’où, chez les colons britanniques de
Caroline du Sud, une certaine difficulté à réussir dans la riziculture. Autrement, le riz devint un
produit d’exportation important dans la période où des Africains furent importés en grand nombre,
fait qui donne à penser que les colons anglais avaient été très tôt au courant de la connaissance de la
culture du riz que possédaient les Africains. D’un autre côté, beaucoup des pratiques des débuts de
la production en Caroline du Sud étaient parallèles à celles qui avaient cours en Afrique. On peut
donc dire que les Africains furent des participants actifs, et non passifs, à la fondation de la
civilisation américaine.
Les Africains ont joué un rôle important dans le développement d’une industrie du riz
commercial dans la Caroline du Sud et la Géorgie coloniale. Les esclaves qui travaillaient sur les
plantations de riz de Caroline du Sud étaient qualifiés. Tout au long du XVIIIe siècle, les planteurs
accordèrent de la valeur aux esclaves amenés des régions rizicoles, ce qu’attestent les annonces
publiques dans les journaux des planteurs de Caroline du Sud à la recherche d’esclaves en fuite. Les
planteurs préféraient les captifs originaires de la Côte du riz, malgré la prépondérance des esclaves
venus du Congo et de l’Angola. Les négociants de Charleston et Savannah entretenaient d’étroites
relations avec les propriétaires de l’île Bance sur le fleuve Sierra Leone, d’où étaient souvent
originaires les captifs destinés aux plantations de riz de Caroline du Sud et de Géorgie. Les
planteurs qui utilisaient les services d’Africains réduits en esclavage transmirent par la suite la
technologie du riz au Texas, à la Louisiane et au Brésil.
Le Maranhão commença à exporter du riz à la fin des années 1760 et demeura la principale
source d’exportation brésilienne durant la période coloniale. Entre 1760 et 1810, deux sur trois des
Africains qui arrivaient dans la région rizicole du Maranhão étaient originaires de la côte de Haute-
Guinée ; de fait, ils embarquaient presque tous à Cacheu et Bissau. Dans le reste du Brésil, il n’y
avait pratiquement pas d’Africains originaires de cette côte. La culture du riz au nord-est du Brésil
était tributaire de cet afflux d’Africains en provenance des régions productrices de l’ouest de leur
continent.
Les Africains plantaient le riz au printemps, en pressant un trou d’un coup de talon et
couvrant les semences avec le pied, mouvement semblable à ce qui se pratiquait en Afrique de
l’Ouest. L’été, les Noirs de Caroline du Sud se déplaçaient à travers champs en rangs, maniant la
faucille au rythme de chants qui suivaient le modèle cultural ouest-africain et non un modèle
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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imposé par les Européens. En octobre, lorsque le grain battu était « vanné » au vent, les larges
paniers plats utilisés pour cela avaient été fabriqués par des mains noires sur un modèle africain. De
même, la décortication du riz se pratiquait au pilon dans un mortier, comme en Afrique. Cette
donnée technologique et la présence d’Africains réduits en esclavage qui étaient originaires de la
côte de Haute-Guinée et de l’intérieur rizicole prouvent suffisamment que la technologie et la
connaissance de la production de riz que possédaient les Africains furent effectivement transférées
aux Amériques.
Stimulants
L’Afrique est le berceau de trois substances importantes en pharmacologie, qui font partie des
alcaloïdes, à savoir la kola, le café et le khat. Ces produits agricoles ont pour principales
caractéristiques de posséder des propriétés qui stimulent l’activité cérébrale et le système nerveux
central. Comme d’autres alcaloïdes (thé, cacao, bétel, coca, tabac, opium et ainsi de suite), ils n’ont
pratiquement pas de valeur nutritive, mais donnent l’impression de réduire la faim et la fatigue. Les
ingrédients actifs que l’on trouve dans les divers alcaloïdes varient, mais la caféine (kola, café) et la
théobromine (thé, kola) sont parmi les plus importants. Au surplus, ils entraînent une accoutumance
variable, la plus forte étant celle due à la nicotine (tabac). Ce qu’ils perdent de leurs propriétés après
la récolte détermine la répartition de ces produits, qui ont souvent été considérés comme des articles
de luxe, selon qu’ils étaient plus ou moins périssables. Leur mode d’activation est lui aussi variable
: certains doivent être consommés comme boisson (café, thé), d’autres, ingérés en fumant (tabac) ou
en mangeant (kola et, jusqu’à un certain point, tabac). Plusieurs alcaloïdes sont indigènes à
l’Afrique ; c’est le cas de la kola, du café et du khat, stimulant développé en Éthiopie, mais qui ne
s’est guère propagé au-delà du nord-est de l’Afrique, parce qu’il n’est pas facile à transporter et
perd ses propriétés une fois séché. Nous nous en tiendrons essentiellement ici à la kola et au café, en
raison des conséquences que ces deux produits ont entraînées pour le transfert de savoirs d’Afrique
au reste du monde, et partant de leur influence sur la diffusion de la science et des types particuliers
de développement qu’ils ont dictés.
La noix de kola, et singulièrement Cola nitida, est indigène à l’Afrique de l’Ouest et
constitue l’ingrédient de base des boissons très populaires élaborées aux États-Unis et en Europe
dans les 20 dernières années du XIXe siècle. Dans la présente section, nous verrons la
pharmacologie de la kola comme médicament, stimulant et produit de consommation. Celle de la
noix de kola, qui était à la base des boissons « kola », était cantonnée pour une large part en Afrique
de l’Ouest, pour des raisons tenant à la nature de ce produit. Seule C. nitida peut être transportée
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assez aisément, les noix périssent et perdent vite leurs propriétés quand elles ne sont pas manipulées
avec assez de soin. Les autres variétés périssent plus rapidement.
La noix de kola, qui se mange parce qu’elle contient caféine, théobromine et kolatine, est un
stimulant très apprécié dans bien des parties de l’Ouest africain. À l’instar d’autres stimulants
légers, tels le café, le thé ou le cacao, la noix de kola entraîne une accoutumance modérée. Il y a
deux variétés très courantes, Cola nitida, qui contient de 1 à 4 % de caféine en poids et des traces de
théobromine, et C. acuminata, dont la teneur en caféine est de 1,5 à 3,6 % et en théobromine, de
0,02 à 0,09 %. Toutes deux, caféine et théobromine, sont des alcaloïdes qui stimulent le système
nerveux et les muscles du squelette. Les deux variétés contiennent de faibles quantités de kolatine,
glucoside qui est un stimulant cardiaque, et du tanin. Combinées, ces propriétés rendent la kola
aussi efficace que les autres stimulants légers, tels le café, le thé et le cacao (tableau 1). Bien que
l’on n’ait pas réduit la noix de kola à une boisson, on l’a souvent comparée au café, et même parfois
dénommée « le café du Soudan ».
Teneur en caféine et en théobromine des stimulants légers (en pourcentage)
Stimulant Caféine Théobromine
Kola 1,0-4,0 0,02-0,09
Café 0,7-3,0 Néant
Thé 1,0-4,7 Traces
Cacao 0,07-0,36 0,8-4,0
Le kolatier est indigène à la forêt ouest-africaine, mais il se rencontre vers l’est jusqu’au Gabon et
au bassin du Congo. Il comprend plus de 40 espèces, dont quatre – C. nitida, C. acuminata, C.
verticillata, et C. anomala – sont les plus courantes des espèces comestibles et ont joué un rôle
important dans le commerce de l’Afrique de l’Ouest. Elles sont semblables dans leur composition
chimique et leurs usages. Elles contiennent notamment beaucoup de caféine et, en moindre quantité,
de la théobromine, de la kolatine et du glucose, substances qui sont toutes des stimulants : la caféine
agit sur le système nerveux central, la théobromine active les muscles du squelette, la kolatine agit
sur le cœur et le glucose fournit de l’énergie à l’ensemble du corps. En raison de ces propriétés, la
kola était une plante médicinale à usage divers, surtout C. nitida, comme remède et comme
stimulant, ce qui prouve bien que son importance pharmacologique était connue. Mâchées – et il
apparaît que la kola n’était ni cuisinée ni transformée en boisson nulle part en Afrique – les noix de
kola ont un effet semblable à celui du café, du thé ou du cacao, moyennant quoi comme c’est un
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excellent rafraîchissement, elles peuvent soulager la faim, la soif et la fatigue, et être servies en
société.
Le fruit du kolatier se présente dans des coquilles qui contiennent de trois à douze noix.
Celles de C. nitida sont divisées en deux cotylédons faciles à séparer pour la consommation, à la
différence de C. Acuminata, qui en possèdent de deux à cinq. Chaque noix est en gros de la taille
d’une châtaigne, soit à peu près 5 cm de diamètre. Les noix s’abîment facilement, il faut les tenir
humides et les garder à l’abri de l’air, mais si l’on en prend soin, elles peuvent durer des mois, voir
un an ou davantage, moyennant des inspections constantes pour éliminer celles qui sont infestées
par les insectes, moisies ou autrement abîmées ou flétries. Pour les protéger lorsqu’elles sont en
transit et durant le stockage, on les a enveloppées dans des feuilles. Bien qu’il existe au moins 42
espèces de kola, C. nitida et C. acuminata ont particulièrement compté à travers l’histoire. Rouges,
blanches ou de diverses nuances intermédiaires, les noix de C. nitida étaient plus spécialement
prisées parce qu’elles nettoyaient la bouche, procuraient une bouffée d’énergie et étaient censées
posséder d’innombrables propriétés médicales et autres. Comme en outre elles créent une légère
dépendance, c’était [là ?] une raison de taille, même si elle n’était pas toujours reconnue, de sa
consommation par des milliers de gens du peuple, qui en mâchaient en diverses occasions,
cérémonies de nomination, noces et autres, bien que ce fût un luxe. Pour les riches, elles étaient le
signe nécessaire de leur hospitalité et de leur fortune. Les autres espèces de kola, moins largement
diffusées et moins prestigieuses, avaient des effets physiologiques analogues.
C’est l’amertume de la noix qui en crée le goût. Comme il suffit d’un petit morceau
seulement de noix pour agir sur le corps, les consommateurs la cassent souvent en deux, ce qui fait
qu’il existe des termes pour désigner la taille d’un morceau. Une fois ouverte, en outre, la noix
s’oxyde vite et devient rouge foncé, puis noire à mesure qu’elle sèche et perd pratiquement tout son
effet. Aussi les noix se partageaient-elles, ce qui renforçait la dimension sociale de cette
consommation. Le goût de la noix s’attarde quelques temps après qu’on l’a mâchée et rend celui de
l’eau sucré et rafraîchissant, si souillée qu’elle puisse être par la natron et autres minéraux courants
présents dans l’eau des puits. Consommée en quantité suffisante, elle rend les dents et les lèvres
légèrement rouges, ce qui était considéré comme agréable et comme un signe de bonne santé, sinon
de prospérité.
La kola était très appréciée presque partout en Afrique de l’Ouest : dans la savane, où la
demande était forte en l’absence de thé, café ou autres boissons remplissant les mêmes rôles, elle ne
fit que progresser avec la diffusion de l’islam et de ses interdits frappant les boissons alcoolisées,
elle était également consommée dans les zones de forêts, où l’on buvait aussi de l’alcool, souvent à
l’occasion de rituels et de cérémonies.
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Le goût distinctif de la kola a inspiré d’innombrables boissons du genre cola. De
merveilleux breuvages comme le vin à la kola, le cacao-kola, le choco-cola furent expérimentés en
Grande-Bretagne dès les dernières décennies du XIXe siècle, même si la boisson de Wellcome
baptisée « Forced March Tabloid » était une préparation unique en son genre qui conservait le goût
originel de la noix amère. Aujourd'hui bien entendu, ce sont le Pepsi Cola et le Coca Cola qui sont
le plus prisés. Ces boissons gazéifiées ne sont pas amères, du fait des grosses quantités de sucre qui
y ont été ajoutées, contrairement aux noix traditionnellement mâchées en Afrique de l’Ouest. La
zone de production ouest-africaine se divisait en deux régions, l’une dans les forêts situées à l’ouest
de la Volta, où l’on cultivait C. acuminata, C. verticillata et C. anomala, mais pas C. nitida. Voilà
qui est intéressant, parce que C. nitida était de loin l’espèce la plus importante sur le plan des
échanges commerciaux entre forêts et savanes et que son aire de culture était géographiquement
séparée de celles des autres variétés. Il n’y a apparemment pas de différences dans les méthodes
culturales pour rendre compte de cette division et l’on ne sait pas très bien non plus pourquoi elle
seule a pris une telle importance commerciale ; il faut donc se contenter de relever que la mise en
place d’un marché s’imposait puisque le goût de ces noix était acquis et que, pour quelque raison
que ce soit, la demande des autres espèces est toujours restée faible en comparaison. La relative
facilitée de conservation des noix a sans doute beaucoup compté. C. nitida peut se garder jusqu’à un
an si elle est inspectée soigneusement et régulièrement.
Avant la dernière décennie du XIXe siècle, la production de C. nitida se cantonnait dans les
forêts situées à l’ouest de la Volta, exception faite de celle, très limitée, de Nupe, près du confluent
du Niger et de la Benué ; la demande de cette espèce était particulièrement forte chez les
musulmans, ce qui, vu l’éloignement des zones de production, impliquait un transport sur des
distances considérables pour l’acheminer jusqu’aux marchés situés le plus à l’est du Soudan central.
C. acuminata était la principale espèce cultivée en pays yoruba, chez les Igbo et plus à l’est ; une
partie de la production était vendue au-delà de la zone des forêts, mais la majeure partie était
absorbée par le commerce local. C. verticillata était elle aussi cultivée dans les forêts du pays
yoruba et peut-être encore plus à l’est, et en partie exportée vers le Soudan central au nord, où les
consommateurs Hausa la dénommaient hannunruwa ; elle était présente aussi à Borno, encore que
la demande y fut visiblement très inférieure à celle de C. nitida, parce qu’elle était jugée gluante et
que les femmes l’utilisait autant comme cosmétique que pour sa caféine. C. anomala, en revanche,
ne poussait qu’à Bamenda, au Cameroun, et était exportée vers le nord, au moins à partir du milieu
du XIXe et, à la différence de C. verticillata, offrait un produit de substitution de C. nitida
acceptable sur les marchés du Soudan central. La zone de production était cependant limitée, et il se
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peut que peu de C. anomala ait été cultivée avant l’expansion du commerce hausa jusqu’au
Fombina (Adamawa) méridional, au XIXe siècle.
Bien que le kolatier fût indigène à l’ensemble de la région de forêts de l’Afrique de l’Ouest,
certaines zones seulement ont compté à travers l’histoire dans la production de C. nitida. Le kolatier
peut pousser en forêt à peu près au sud du 10e parallèle (10° de latitude N), mais la principale zone
de culture de C. nitida (celle dont il s’agit ici, sauf indication contraire) aura été entre 60 et 80 ° de
latitude N, soit la zone qui s’étend de la Volta aux fleuves et rivières de la côte de Haute-Guinée. La
proximité de la savane fut déterminante pour fixer la production potentielle, la zone la plus
productive commençant à 125-150 km à l’intérieur et finissant à 300 km environ de la côte. Cette «
ceinture » se divisait en quatre secteurs. La principale source se situait à l’est, dans la bande
forestière du pays Akan, depuis Mampong jusqu’à la vallée du [Tano ?] en passant par le Tekyiman,
mais il y avait aussi la région Ano le long de la Comoé, à 200 ou 300 km de la côte. Le deuxième
secteur, enjambant le Bandama, était le pays Guro, mais englobait, à un moindre degré, la zone de
la Bete. Le troisième secteur, plus loin à l’ouest, se situe dans la région frontalière actuelle Sierra
Leone-Libéria-Guinée, près de la source du Niger : divers peuples exportaient déjà la kola de cette
zone, à savoir, d’est en ouest, les Dan, Gerze (Kpelle), Toma, Kissi, et Kono. Enfin le quatrième
secteur était la bande côtière qui s’étendait entre la Scarcies et le Río Nuñez en Sierra Leone et en
Guinée, où les Temne et les Bullom récoltaient la kola le long de la côte et surtout le haut plateau
du Futa Jallon pour l’exportation. La kola était aussi cultivée au nord de cette large bande, mais
seulement dans de petits bosquets proches des villages, où les conditions étaient favorables ;
d’ordinaire, ces noix étaient plus petites et consommées sur place. Les arbres demandaient des soins
attentifs et leur présence dans le Futa Jallon, en pays Kuranko, et même près de Kankan, indique
bien leur importance commerciale.
Dans la première décennie du XXe siècle, les arbres de C. nitida étaient plantés, comme cela
se faisait probablement depuis des siècles. Cette culture était courante chez les Temne, Baga, Kissi,
Toma, Gerze, Dan, Mano, Ge, Guro, Gan et peut-être Asante (Ashanti). Il y avait souvent des
bouquets de 30 à 60 arbres près des villages Ge, les Kissi, pour leur part, plantant les arbres dans les
forêts proches de leurs villages. Chez les Guerze et les Toma, les bouquets d’arbres se trouvaient le
long de la Diani, à Kabaradougou et à Simandougou. Dans la région Ano, qui approvisionnait
Kong, le kolatier était planté en bois de 200 à 300 arbres. Ailleurs, ces arbres étaient plantés en plus
petit nombre. Les Guro plantaient un arbre lorsqu’une fille atteignait l’âge de 6 ou 7 ans pour
préparer les rites de la puberté, mais ne créaient pas de plantations. Les Mano, eux, en plantaient un
ou deux autour des tombes, ce qui entraînait parfois la formation de petits bosquets.
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Même à l’état sauvage, ces kolatiers étaient souvent revendiqués et marqués. Les Toma, les
Guerze et leurs voisins, lorsqu’ils en découvraient, défrichaient la terre tout autour et installaient des
bottes de paille, de vieilles poignées de machete auxquelles ils attachaient de petites pierres, des
morceaux de calebasse fourrée de « coton » du bombax (fromager) et autres dispositifs pour établir
une prétention. En pays Guerze, on reconnaissait les villages abandonnés au nombre des kolatiers
qui se trouvaient sur leur emplacement. Chez les Guro, il en allait autrement : mis à part quelques
arbres, les noix récoltées provenaient en majeure partie de la forêt, où l’accès des kolatiers était un
droit héréditaire du lignage. Dans le secteur situé entre Kumasi et Nkoranza, en pays Ashanti, les
kolatiers étaient si serrés dans les années 1980 qu’ils formaient une gigantesque forêt. Il se peut que
certains d’entre eux y aient été plantés, et il ne fait pas de doute que les sous-bois avaient été
débroussaillés pour protéger les jeunes pousses, ce qui devait être une pratique habituelle depuis
longtemps. Comme chez les Guro, en tout cas, la collecte de la kola paraît avoir été ouverte à
n’importe quel membre du lignage, lequel affirmait des droits collectifs sur les arbres.
Il est difficile de savoir durant combien de temps la kola fut très demandée et donc jugée
intéressante à cultiver. Les coutumes associées à la plantation d’arbres autour des tombes et comme
préparation des rites de la puberté sont très anciennes. La question est de savoir à quel point elles le
sont et dans quelle mesure elles ont contribué à la diffusion de C. nitida : un unique texte, datant du
XVIe siècle, affirme bien qu’il existe des « plantations de kola », mais comme c’est là la seule
mention connue, il reste théoriquement possible qu’avec l’apparition d’un marché de la kola, seules
les noix provenant d’arbres à l’état naturel aient été dans un premier temps commercialisées.
Néanmoins, C. nitida se propagea à travers tout le secteur allant des Scarcies et du río Nuñez en
direction de l’est jusqu’à la Volta. Par suite des déplacements de villages, du dégagement de terres
nouvelles et du commerce local, des kolatiers furent plantés et ceux que l’on découvrait dans la
nature furent protégés et dégagés des broussailles.
Il ressort des données linguistiques que la culture de C. nitida a probablement son origine
dans la région frontalière actuelle de Guinée/Libéria/Sierra Leone. Bien qu’il n’y ait pas de données
permettant d’établir la date de son développement initial, kola a une origine commune aux langues
classées comme ouest-atlantiques par opposition aux langues mande et autres de l’Ouest africain.
Au surplus, les groupes parlant des langues mande étaient arrivés dans les forêts de kolatier au
XVIe siècle, ce qui avait entraîné une expansion de la production de kola à des fins commerciales.
La kola était certainement exportée vers la savane dès le XIIIe siècle et peut-être beaucoup plus tôt.
La production de kola des forêts du pays Akan, qui se développa plus tard que dans les secteurs
situés à l’ouest, était florissante au XVe siècle et peut-être dès le XIVe – ce qui corrobore la thèse
que la culture de la kola avait débuté beaucoup plus tôt dans la zone de production primitive. Qui
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plus est, il ressort des données disponibles que des importations de kola avaient eu lieu dans le
Soudan central, prouvant bien l’existence d’une forte demande dans la savane au XVe siècle, car le
Soudan central se trouvait à une distance considérable des zones de production. Enfin, l’information
disponible sur le commerce le long de la côte de Haute-Guinée donne quelques indications sur
l’échelle de la production à l’époque où l’entrée des groupes mande dans la forêt fut suivie de
changements majeurs dans l’aire de production primitive. Les échanges côtiers ne devaient
représenter qu’une fraction du commerce intérieur, mais ils n’en atteignaient pas moins plusieurs
centaines de tonnes par an pour une aire géographique relativement restreinte de la savane. Il paraît
probable que d’autres régions d’Afrique de l’Ouest, de densité démographique comparable,
importaient au moins autant à la même époque. Le commerce total, par conséquent, devait
impliquer la distribution de milliers de tonnes de kola par an dès la fin du XVIe siècle.
Le café a été élaboré sous forme de boisson en Éthiopie et s’est par la suite diffusé en Arabie
et, de là, dans le monde entier. Il contient divers composants, caféine en tête, mais aussi
théophylline and théobromine, ayant chacun des effets biochimiques différents sur le corps humain.
La caféine est un stimulant léger qui peut donner plus d’allant, renforcer la concentration et
améliorer le fonctionnement physique et mental. Comme elle agit à divers égards sur le système
nerveux central et qu’un petit nombre de personnes sont sans doute particulièrement sensibles à ces
effets, il arrive que des gens réagissent mal à la consommation de café. Il n’empêche que celui-ci
est devenu l’un des produits les plus consommés dans le monde aujourd'hui. À la différence de la
kola, en effet, il se transporte facilement une fois torréfié.
La plante est une dicotylédone ligneuse à feuillage persistant qui appartient à la famille des
Rubiaceae. Elle peut atteindre une assez grande hauteur, mais une fois taillée, elle ressemble plus
exactement à un buisson. Elle a un tronc principal vertical (orthotrope) et des branches primaires,
secondaires et tertiaires horizontales (plagiotropes). Dans la même famille, on trouve le gardénia et
des plantes donnant de la quinine et autres substances utiles, mais le caféier est de loin son membre
le plus important sur le plan économique. Il existe plusieurs espèces différentes de café, dont les
deux principales à avoir été cultivées sont Coffea Arabica, ou Arabica, et Coffea canephora, ou
Robusta. L’arabica est indigène aux hauts plateaux d’Éthiopie, le robusta aux forêts d’Afrique de
l’Ouest et d’Afrique centrale.
On peut faire remonter les origines de la consommation de café à l’Éthiopie, et plus
précisément aux forêts de la région de Kaffa, où Coffea Arabica poussait à l’état sauvage, et qui a
donné au café son nom, encore qu’en amharique le café, que l’on trouvait aussi dans la région du
Harar, se dise « bun » ou « buna ». Selon la théorie populaire de la découverte du café dans la
région de Kaffa, celle-ci aurait été le fait d’un berger qui, ayant remarqué que ses moutons
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devenaient hyperactifs après avoir mangé des « cerises » rouges de café, en aurait lui-même essayé
les grains et découvert ainsi les effets de la caféine, l’ingrédient actif contenu dans le café. Qu’il y
ait ou non une part de vérité historique dans cette légende, celle-ci met en valeur l’acte
d’observation et la découverte. En tout état de cause, il est certain que le café se consomme en
Éthiopie depuis des temps très anciens. Chez les Galla, les grains étaient moulus et mélangés à de la
graisse animale pour être consommés durant les chasses ou les expéditions militaires de longue
durée, et aujourd'hui encore, on consomme des « barres d’énergie » dans les provinces éthiopiennes
de Kaffa et de Sidamo, où le café a de tout temps été considéré comme un remède, un aliment et
une boisson. Le café se mangeait parfois avec des céréales, et les cerises pouvaient être mélangées
avec du beurre, du poivre et d’autres épices comme en-cas. Comme aliment, les cerises devaient
être fraîches, ce qui limitait leur aire de consommation, mais les grains torréfiés pouvaient en
revanche se conserver longtemps sans perdre leurs propriétés stimulantes. Comme boisson, les
cerises fraîches peuvent être bouillies pour donner un liquide verdâtre dénommé « café blanc ».
Manufacture et industrie
Pour étudier le développement technologique de certains articles manufacturés, je m’attacherai,
dans cette section, à la diffusion précoce de la culture du coton, depuis l’an 1000 au moins,
accompagnée dans quelques endroits d’une production locale de tissu de raphia et de peaux et cuirs
utilisés comme vêtements – le progrès le plus important demeurant cependant la fabrication de
textiles de coton. L’exemple de l’industrie textile de l’Ouest africain révèle des innovations et un
développement autochtones, comme le montre très clairement la mise au point de la teinture à
l’indigo, notamment à l’aide de puits de teinture construits avec du ciment local. Il est à noter que la
production d’indigo à des fins industrielles s’est diffusée aux Amériques par l’intermédiaire de la
diaspora africaine. Et c’est également ainsi que la production de coton s’est implantée aux
Amériques et tout particulièrement aux États-Unis, au XIXe siècle.
Le coton était cultivé, récolté, nettoyé, filé et tissé depuis des siècles en Afrique de l’Ouest,
bien longtemps avant le début des échanges directs avec les Européens, dans la région de la
Sénégambie et probablement sur l’ensemble de la savane dès l’an 1000. Des marchés de
consommateurs étaient déjà en place pour certains types de textiles lorsque les navigateurs
portugais commencèrent à explorer les côtes au XVe siècle. Des centres de production de textiles
s’étaient constitués très tôt dans au moins deux secteurs de l’intérieur : l’un à l’ouest se situait
autour de la ligne de partage des eaux du Haut-Niger, de la Gambie et du Sénégal, l’autre à l’est,
était implanté autour du lac Tchad et du territoire des anciens royaumes des Haoussa.
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Le tissu est fait de fibres, mais toutes les fibres ne sont pas filées en fils et tous les fils ne
sont pas tissés en textiles. Dans bien des parties des forêts tropicales africaines, par exemple, des
fibres des jeunes feuilles du palmier raphia (Raphia vinifera) étaient sélectionnées et soigneusement
traitées (mais non filées) et tissées pour donner des textiles servant à de nombreux usages, y
compris comme formes de monnaie. Citons encore les tissus d’écorce, catégorie de non tissés qui,
de par leur structure très variable, vont du très solide au fin et au délicat. Ils étaient fabriqués en
Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, en prélevant avec soin des sections de l’intérieur de
l’écorce de certains arbres préalablement sélectionnés, que l’on martelait ensuite à l’aide d’un
maillet pour les élargir, les attendrir et les assouplir. Dans d’autres cas, divers types de fibre étaient
filés, puis torsadés en fils plus lourds ou cordages qui étaient ensuite noués, entrelacés ou tressés à
la main pour faire des vêtements et autres articles utiles. La direction du filage est un autre aspect
important du fil. On apprend à filer en tournant le fuseau dans une direction ou dans l’autre, dans le
sens des aiguilles d’une montre ou en sens contraire, et le sens se voit nettement dans le fil même :
dans un sens, il y a un « S », dans l’autre, c’est un « Z ».
Le tissage est un procédé particulier par lequel sont croisés deux ensembles indépendants de
fils, ceux qui formeront la longueur du tissu ou fils de chaîne, tenus sous tension dans le métier, et
ceux de la largeur, ou fils de trame, passés entre des ensembles de fils de chaîne relevés et abaissés.
Lorsque la trame est amenée en place, elle coupe chaque fil de chaîne à angle droit. Puis
l’orientation des fils de chaîne est inversée – ceux qui avaient été relevés sont maintenant abaissés
et ceux qui avaient été abaissés sont relevés. Le fil de trame est passé derrière à travers cette
ouverture dans les fils et est placé contre la trame précédente. Et ainsi de suite. Un fil de trame
continu passé d’arrière en avant donne une marge solide de chaque côté de la chaîne. Cette
caractéristique confirme qu’un tissu a été tissé sur un métier et qu’il s’agit effectivement d’un
textile.
Le tissage est un métier qui repose sur le calcul et le comptage. Pour installer son métier,
le/la tisserand(e) doit estimer la quantité de fil nécessaire pour la chaîne, qui dépend du type de fil,
de son épaisseur ou de sa finesse, ainsi que des dimensions et de la densité recherchées pour le tissu.
Il faut ensuite mesurer la longueur voulue des fils de chaînes, ordonner ceux-ci en succession et les
disposer sur le métier. Selon la façon dont ils sont disposés et manipulés, on obtient des structures
de tissu de types différents. La plus courte, qui est aussi la plus élémentaire, est l’armure toile
(tissage simple), où chaque fil de trame passe alternativement sur et sous chaque fil de chaîne et est
ensuite enfoncé. En utilisant les fils groupés par deux au lieu d’un seul pour la chaîne et pour la
trame, on obtient une armure unie double.
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Les autres types d’armure s’obtiennent en changeant la proportion de fils de chaîne par
rapport aux fils de trame. Lorsque celle-ci est forte au point que les fils de trame se voient
difficilement dans le tissu, cela crée un effet dit de chaîne ; lorsqu’il y a proportionnellement plus de
fils de trame que de chaîne, on obtient un effet de trame. C’est le cas avec les tapisseries, dont les
thèmes faits de différentes couleurs sont des fils de trame recouvrant complètement les fils de
chaîne. Les figures 8 et 9 offrent des exemples de différentes combinaisons de fils de chaîne et de
trame.
Les tisserands(es) travaillant sur métier haute lisse ont employé diverses fibres, récoltées
dans la nature ou cultivées, traitées sur place ou importées et filées ou non selon les cas. Les tout
premiers textiles forestiers étaient très visiblement tissés à partir de fibres non filées, telles les
folioles des jeunes palmiers, qu’il fallait tremper, battre et peigner avant de les encoller et les tisser
sur le métier. Divers palmiers différents ont été utilisés en Afrique pour fabriquer des textiles, les
plus importants, dans la région du Bas-Niger, étant plusieurs espèces de Raphia vinifera, qui
servaient aussi à faire du vin de palme. À ce jour, on n’a trouvé aucun élément autorisant à penser
que les palmiers à raphia aient été délibérément cultivés en vue de produire des textiles sur une
grande échelle, comme cela se faisait dans certaines parties de l’Afrique centrale, à l’ouest du
Niger, pour le vin – endroits qui auraient aisément pu devenir des sources d’approvisionnement en
fibres de raphia, vu que sa récolte ne compromettait nullement la vie de l’arbre.
Le tissu de raphia a continué d’être fabriqué parallèlement au coton, et malgré des siècles
d’importation de textiles d’autres continents, ce qui donne à penser que les consommateurs de la
région ont continué à le préférer pour certains usages et le jugeaient nécessaire dans les grandes
occasions cérémonielles. Et de fait, les tissus entièrement faits de fibre de raphia étaient
suffisamment prisés en pays yoruba pour être dotés d’un nom particulier dans la langue locale :
Odun, signifiant tissu en fibres de bambou et odon, ou odun, tissu de fibres de feuilles de palmier.
La fabrication de textiles était impressionnante dans le Califat de Sokoto, non seulement par
les quantités produites, mais encore et surtout par la qualité manifestement supérieure du tissu.
Avec leurs fils spécialisés et la densité de leur tissage, il paraît certain que les produits du Califat
méritaient bien leur réputation. Ils étaient sans aucun doute de meilleure qualité que les tissus tellem
et de même qualité ou plus fins que les plus beaux cotons d’Inde, dont le commerce était antérieur à
la fabrication industrialisée de coton en Europe et en Amérique du Nord. En outre, il apparaît que le
tissu le plus fin était réservé à la fabrication de vêtements longs d’intérieur et d’extérieur
exclusivement destinés à la clientèle musulmane, tant féminine que masculine, pour laquelle
l’habillement était un indicateur de la personnalité, du goût, de la perspicacité et de la réussite
sociale. Les hommes musulmans très en vus portaient des vêtements faits sur mesure
Volume collectif La Route de l’Esclave, UNESCO
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– dès lors qu’ils étaient fabriqués dans des tissus acceptables et d’un style convenable – comme
signe extérieur de leurs qualités intérieures et de leur rang dans la société. Et dans le Califat de
Sokoto, le tissu sak’i, en particulier, était réservé aux amples vêtements longs et pantalons les plus
prisés, ceux qui étaient destinés à être ornés de motifs ou thèmes brodés.
L’indigo, qui est originaire des zones tropicales d’Asie du Sud, des Amériques et d’Afrique,
a joué un rôle important dans l’histoire économique locale, régionale et internationale. Diverses
parties de la plante, l’indigotier, fournissent des remèdes et un colorant, dont la découverte remonte
au monde méditerranéen antique, où l’indigo était hautement apprécié, les Grecs et les Romains en
important au moins dès les derniers siècles avant notre ère. Indigofera tinctoria, originaire de l’est et
du sud du continent africain, a aussi été cultivé un peu partout en Afrique de l’Ouest et a fait l’objet
d’une vigoureuse promotion au Nigeria après 1905. Une autre espèce, appartenant à un genre
différent, Lonchocarpus cyanescens, a été récoltée à l’état sauvage, mais aussi cultivée dans les
zones de forêt pluviale et de savane très humide d’une bonne partie de l’Ouest africain. Son
antiquité supposée et son omniprésence en pays yoruba lui ont valu la dénomination vernaculaire
d’« indigo sauvage yoruba ». Une autre espèce d’indigora, I. suffruticosa, était à l’origine indigène
à l’Amérique tropicale et aux Indes occidentales, avant d’être introduite dans certaines parties de
l’Afrique durant la traite Atlantique. Elle a occupé une place importante dans le commerce
international de l’indigo comme colorant.
La fabrication de tissu teint à l’indigo possède une longue histoire dans la région du Bas-
Niger, où la tradition de l’adire eleko est profondément enracinée, même si elle doit beaucoup à la
traite Atlantique le long de la côte de Guinée, où elle a apporté des types nouveaux de motifs, de
techniques et de matériaux qui ont transformé le mode de fabrication des robes et autres vêtements
d’intérieur teints et leur aspect. On a fait un certain nombre de découvertes à propos de variétés
particulières d’indigotier pouvant servir de colorant et l’on a relevé parmi elles des différences.
L’efficacité de l’indigo comme colorant varie selon l’espèce, les conditions de croissance et
le moment de la récolte, et les différences qui en résultent sont faciles à reconnaître dans les
produits textiles pour un client expérimenté et perspicace. Les teinturiers(ères) étant
particulièrement conscients de ces différences de qualité visuelle, on pouvait compter sur eux pour
tâcher au maximum d’obtenir les teintes les plus profondes.
L’efficacité de la teinture à l’indigo dépend aussi de la composition de la cuve et des
qualités particulières des autres ingrédients. C’est dans ceux qui sont ajoutés que réside le secret
d’un bleu profond et de sa bonne adhérence à la fibre du tissu. Alors que de nombreux procédés de
teinture comportaient un traitement préalable de la fibre par un mordant destiné à fixer la couleur,
les principes et procédés chimiques employés avec l’indigo sont entièrement différents. Il y a deux
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étapes distinctes. Comme l’indigo est insoluble dans l’eau, il faut d’abord lui faire subir une
réduction pour le dissoudre, ce qui change le bain en un liquide clair dit « indigo blanc ». Le tissu
plongé dans ce bain présente, quand on l’en retire, une couleur jaune qui tourne vite au vert et
ensuite au bleu. Dans un second temps, l’opération s’achève avec l’oxydation de la teinture à l’air.
Obtenir un bleu indigo vif n’était ni simple ni facile, surtout avec des ingrédients naturels et tout
leur cortège d’irrégularités et d’impuretés. Les teinturiers africains, dont beaucoup étaient des
femmes, découvrirent divers moyens de créer des solutions de bain de teinture efficaces pour
réduire l’indigo. De plus, ils employaient certaines sortes de sels pour créer un bain alcalin.
Avec les progrès de l’islam, après le XIe siècle, au sein des élites urbaines et chez les
dirigeants politiques, les vêtements faits sur mesure devinrent la tenue vestimentaire préférée des
hommes en vue. Vêtements de toutes sortes, mais surtout chemises, robes amples et longues, voiles
et turbans traversèrent le Sahara jusqu’aux marchés bordant le Sahel subsaharien et la zone de
savane pour habiller de plus en plus de notables musulmans. La fabrication de textiles ouest-
africains était complétée par les importations d’au-delà du Sahara. Les tissus de laine étaient
importés du Maghreb et associés aux groupes berbères, mais même ainsi, les solides couvertures en
laine et autres textiles étaient également produits au sud du Sahara en poil de chameau et laine de
mouton. Les soies étaient les plus exotiques et les plus luxueux des articles importés.
À partir du XVIe siècle, la fabrication de textiles fut complétée et stimulée en Afrique de
l’Ouest par des importations, le long de la côte, dans plusieurs régions dont la baie du Bénin et son
arrière-pays, où l’on produisait des tissus de coton pour l’exportation. Le grand nombre de tissus
béninois dont les négociants européens se mirent au XVIIe siècle à faire commerce étaient classés
selon le nombre de pièces par vêtement. Ces textiles sont essentiellement de deux sortes : un
vêtement ample et long fait de trois pièces de tissu et un autre, de quatre pièces de coton teint en
bleu indigo ou à motif de bandes indigo. Il y avait encore d’autres sortes de « tissus du Bénin »,
mais l’on n’en a pas décelé les caractéristiques précises ni les dénominations en langue
vernaculaire. Le vêtement très courant à trois pièces servait aux Hollandais d’unité de compte pour
calculer leurs achats. Au XVIIIe siècle, les textiles de l’arrière-pays qui arrivaient aux ports d’Arbo
et de Lagos étaient rassemblés et triés pour être expédiés vers les marchés de la Côte de l’or, de
l’estuaire du Gabon, de l’Angola, de l’île de São Tomé et jusqu’aux Indes occidentales et au Brésil.
À Allada, autre entrepôt de textiles de coton destinés à l’exportation situé sur la baie du Bénin,
arrivaient trop de tissus produits par des communautés de l’arrière-pays, dont quelques-unes aussi
éloignées vers l’intérieur que le Royaume yoruba septentrional d’Oyo. En Côte d’Ivoire, les
négociants européens appelaient « tissu quaqua » les textiles de coton ainsi exportés. D’autres tissus
de coton étaient exportés de la Côte des graines aux alentours de Cape Mount et du Cap Mesurado
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(Libéria), mais on ne sait pas si c’étaient des « quaqua ». Dans ce cas-là, la production de textiles
était implantée dans l’intérieur, et les produits finis transportés jusqu’à la côte, où ils étaient troqués
contre du sel et des articles en provenance d’outre-Atlantique. Les tissus « quaqua » n’étaient pas
aussi variés structurellement et visuellement que ceux d’Allada et du Bénin, consistant seulement en
bandes blanches et bleues alternées ou en bandes à motif machine . Les armures et motifs les plus
simples du « quaqua » expliquent sans doute pourquoi il coûtait moins cher que certaines sortes de
tissus du Bénin.
Les textiles de coton exportés de la côte de Haute-Guinée étaient aussi faits d’étroites
bandes tissées sur un métier à pédale, dont certains venaient peut-être d’aussi loin dans l’intérieur
que la courbe du Niger, cependant que beaucoup d’autres étaient faits dans une vaste région
délimitée par la frontière des bassins versants des fleuves Sénégal et Gambie. Ces tissus servaient
de modèles aux artisans des îles du Cap-Vert et le souvenir de leur importance dans le commerce
régional se retrouve dans les traditions orales des grandes familles de commerçants dioula. Ils
continuèrent à être fabriqués dans l’intérieur de l’Ouest africain durant toute l’époque de la traite
négrière et demeurèrent des articles très importants pour les négociants anglais, hollandais,
portugais et surtout euro-africains jusque bien après le début du XVIIIe siècle. Disponibles à
profusion, surtout le long du cours supérieur de la Gambie et du Sénégal, des milliers de tissus de
coton furent achetés au XVIIe siècle pour servir de monnaie d’échange contre des
approvisionnements ou pour être exportés ailleurs sur la côte.
Du XVIe au XVIIIe siècle, les textiles du Cap-Vert furent très réputés. Les tissus de coton,
dont beaucoup se signalaient par des motifs recherchés produits à l’aide de métiers, conféraient aux
marchands portugais et luso-africains un avantage fort nécessaire dans la période charnière des
débuts de la traite Atlantique. Exploitant la technologie des textiles du territoire continental de
l’Afrique de l’Ouest, des plantations de coton et d’indigo furent implantées sur les îles de Santiago
et Fogo, et dès les dernières décennies du XVe siècle, le coton brut était exporté vers la Gambie, la
Casamance et le Río Cacheu. Dès le XVIe siècle, des textiles de coton étaient tissés sur les îles, qui
imitaient les produits du continent et reposaient sur les compétences des esclaves qui cultivaient,
récoltaient, traitaient, filaient, tissaient et teignaient le coton sous la surveillance des marchands.
Les tissus des îles du Cap-Vert concurrençaient les textiles fabriqués dans l’hinterland de la côte de
Haute-Guinée, et c’est ainsi que les cotons unis des ateliers de l’intérieur étaient expédiés vers des
entrepôts comme Cacheu, où ils étaient teints à l’indigo importé de la région de Sénégambie plus
loin au nord.
Les modèles ouest-africains de consommation dictaient en grande partie le commerce de la
côte de Guinée. En même temps, pourtant, le tissu d’importation était le véhicule de la création de
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nouveaux produits textiles locaux. Le Royaume des Ashantis, du groupe des Akan, qui s’était
développé en une puissante confédération dans l’hinterland de la Côte de l’or offre deux exemples
de ce phénomène : les textiles connus sous les noms de kente et adinkra, respectivement. Avant
l’apparition du commerce international sur la côte, les peuples de la forêt tropicale installés dans
cette région produisaient, à partir d’écorce traitée et de filasse, un tissu qui se fabriquait encore au
début du XXe siècle dans les campagnes, pour les pauvres et à l’occasion de cérémonies.
Production et commerce jouent évidemment dans les deux sens. En tissant, teignant, cousant
et ornant des tissus et vêtements d’une aussi riche diversité, les artisans africains ont contribué à
faciliter le fonctionnement du commerce local, régional et international dans le temps. Et en cours
de route, ils furent à même d’avoir accès à des fibres, des techniques et des images neuves ouvrant
des possibilités d’invention de produits nouveaux et de modification des produits habituels. En
d’autres termes, la formule « production artisanale locale » a quelque chose de l’oxymore, car les
fabriques de textiles n’étaient ni isolées des changements extérieurs, ni imperméables à leur
influence. Ce qui a beaucoup contribué à ce dynamisme, c’est la valeur culturelle toute particulière
que les peuples d’Afrique de l’Ouest attachaient au tissu. Comme dans bien d’autres parties du
continent, ils appréciaient avec ferveur les puissantes qualités sensuelles du tissu tissé et les
questions sérieuses de correction et d’élégance de la tenue vestimentaire et du maintien en public.
La technologie des textiles demandait énormément de travail, mais n’était pas pour autant
statique, obsolète ou non rentable. Les divers métiers entrant en jeu se révélèrent remarquablement
adaptables et souples et ils continuèrent à attirer de nouvelles vocations tout au long de siècles de
concurrence avec les produits importés d’autres continents. Les producteurs et les consommateurs
de textiles africains étaient reliés aux systèmes de commerce international longtemps avant l’époque
coloniale. Aux plus beaux jours du commerce musulman, robes longues, pantalons, chemises,
turbans, couvre-chefs et autres vêtements faits d’étroites bandes de tissu tissé à la main étaient
fabriqués dans des ateliers installés dans tout l’Ouest africain, alors qu’un afflux régulier de textiles
étrangers pénétrait sur les marchés subsahariens avec les caravanes. Le tissu bien connu de Guinée
du commerce Atlantique, exporté d’Inde, puis imité par les manufactures européennes, devait être
fait à la manière des cotons africains unis tissés à la main pour répondre aux goûts de la clientèle
difficile de la côte de Guinée.
Le sel : production et pharmacologie
L’étude de la production et de la pharmacologie du sel dans l’ancien Soudan central amène à
constater l’impact des progrès technologiques en Afrique de l’Ouest. Comme le suggère la chimie
de divers sels qui y étaient exploités, on dispose d’une masse considérable de connaissances sur
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NaCl (le chlorure de sodium) et les sulfates de sodium, sur les chlorures et les sulfates de
potassium. Différents types de sels – natron, trona, sels des légumes et sel de mer, notamment –
étaient importants de par leur usage comme médicaments, pour la cuisine et pour le tannage du cuir,
entre autres.
Dans cette section consacrée au sel, à sa production et à sa pharmacologie, nous aborderons
aussi la chimie et les usages de divers sels. Outre les trois déjà indiqués, les différents types de sels
énumérés ci-dessus, du chlorure de sodium (NaCl) pur au sel de mer, servaient à fixer les teintures
dans la production de textiles ou, mélangés à du tabac, pouvaient être mâchés ou prisés, ce qui
convenait aux musulmans, dont la religion leur interdisait de fumer, car cela libérait son ingrédient
actif, la nicotine, en même temps qu’un alcaloïde ayant des effets stimulants semblables à ceux du
café et de la kola. Notons au demeurant que l’on cultivait le tabac en Afrique de l’Ouest, où il était
arrivé à travers l’Atlantique en provenance des Amériques. Quant au sel, il était rare en Afrique
avant le XXe siècle. On en trouvait dans des dépôts épars, surtout au Sahara et dans la bande
désertique proche de la mer Rouge, mais il s’en libérait aussi de sources d’eau saumâtre très
disséminées. Le sel était extrait de l’eau de mer par évaporation. Le résidu en pots servait aussi de
substitut de sel dans les endroits qui en manquaient. Dans bien des cas, on raclait la terre salée sur le
sol après l'évaporation de l'eau de pluie, et dans les endroits où il y avait une évaporation naturelle
considérable, les dépôts de sel pouvaient être léchés par les animaux et la terre salée être
commercialisée à leur intention.
La production de sel la plus élaborée s’est développée au Soudan central et plus
spécialement dans la région dominée par l’État de Borno, et avant lui Kanem, dans le bassin du lac
Tchad. Musulman depuis au moins le XIe siècle, le Borno contrôlait les oasis de Fachi et Kawar,
qui se trouvaient sur la route caravanière de l’Afrique du Nord et revêtaient une importance décisive
non seulement pour le commerce transsaharien, mais encore comme sites de très importants
gisements de sel. Les types de sel provenant de ces sites comprenaient le natron rouge (Dirkou), le
natron blanc (Djado, Sequidine), le sel kantu (Bilma, Fachi), et en petites quantités, le sel le plus pur
et le plus cher (beza, bilma). Ces lieux sont les plus connus des sites de production du Soudan
central. Du fait de leur position sur la route de l’Afrique du Nord, les écrivains arabes médiévaux
connaissaient bien ces endroits, encore qu’on ne trouve nulle mention de la production de sel, sinon
pour l’alum. En raison de l’importance de Kawar dans les communications transsahariennes, elles
ont eu un grand rôle dans l’histoire du Borno. Il paraît probable que les ressources en sel ont été
exploitées depuis des temps très anciens. Du fait que le Borno tenait fermement Kawar et Fachi au
XVIe siècle, au moins, cet État a dominé le commerce avec l’Afrique du Nord et partant tiré profit
de l’industrie du sel du désert. La face nord du Komodugu Yo consistait en fait en une large bande
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qui s’étendait des États Sosebaki à l’ouest jusqu’aux rives du lac Tchad. La région se subdivisait en
Muniyo, Mangari, Kadzell et les îles ainsi que la rive orientale du lac. Seul le lac lui-même n’était
pas sous le contrôle politique du Borno, mais cet État n’en était pas moins en mesure de peser sur
les échanges à travers le lac et partant sur la distribution du sel. Les types de sel faisant partie de ces
échanges comprenaient plusieurs sortes de natron, baboul ou kige, lequel était tiré des cendres
d'arbustes, et de nombreuses variétés de manda, mélange de natron et de chlorure de sodium et ,en
provenance des rives orientales du lac Tchad, ungurnu, le trona.
Les sels du Borno se composent de chlorure de sodium, sulfate de sodium, carbonate de
sodium, chlorure de potassium, carbonate de calcium, phosphate de sodium, sulfate de potassium et
sulfate de calcium dans diverses concentrations. Ceux que recouvre le terme natron (kanwa)
présentent de faibles concentrations de chlorure de sodium (moins de 4 %) et une forte teneur en
carbonate de sodium (20 à 75 %), ce qui n’exclut pas de fortes proportions de sulfate de sodium
et/ou de carbonate de calcium. La composition du sel du Mangari est encore plus variable, mais il
offre généralement une concentration supérieure de chlorure de sodium (de 12 à 68 %), assortie de
quantités appréciables de carbonate de sodium (de nombreux échantillons vont de 11 à 31 %, mais
quelques-uns descendent jusqu’à 0,18 %) et de sulfate de sodium (15 à 56 %). Ces échantillons
contiennent souvent un peu de chlorure de potassium (moins de 5 %) et, occasionnellement, des
traces d’autres sels (phosphate de sodium et sulfate de potassium). Le sel Baboul ou kige ne
contient pratiquement pas de carbonate ni de sulfate de sodium et se compose essentiellement de
chlorure de sodium et de chlorure de potassium, et, en moindres quantités, de carbonate de calcium,
sulfate de potassium et sulfate de calcium. Le sel appelé Gwangwarasa se distingue des autres types
de natron par la présence presque exclusive de sulfate de sodium, ce qui le rend impropre à la
consommation humaine. Ce sont le natron et le sel des régions du Muniyo, du Mangari et du
Kadzell qui affichent la composition chimique la plus variable. Cette vaste région présentant toutes
sortes de conditions géologiques très différentes, chaque site avait une production propre qui était
unique. Les sites du désert étaient en plus petit nombre, et s’il y avait parmi eux des différences, on
n'en dénombrait cependant que cinq ou six types, contre la centaine ou davantage que l’on trouvait
dans le Sahel.
Le sel du Borno servait à de multiples usages industriels, dont le plus important était de loin
comme sel et comme remède pour le bétail. C’était le cas du natron blanc en poudre (gari) ainsi
utilisé dans tout le Soudan central et au-delà. Le natron servait à fixer la teinture sur les textiles,
encore que, au XIXe siècle, dans les centres haoussa, cette fonction fût en grande partie assurée par
le reliquat des cuves de teinture. À des époques plus anciennes, du temps de la prospérité de
l’industrie textile du Borno, en revanche, il se peut qu’il ait été davantage utilisé. Le natron blanc
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servait aussi à la fabrication de savon et on le mélangeait avec de l’encre. Quant au Gwangwarasa,
que l’on ne trouvait qu’en de rares endroits au Mangari, il servait à tanner les cuirs et peaux, et
comme l’industrie du cuir n’était distancée que par la production de textiles au Soudan central, il y
avait une très forte demande de Gwangwarasa.
Les différents sels avaient d’autre part d’innombrables usages médicinaux : l’ungurnu, ou
trona, des rives orientales du lac Tchad, le natron blanc du pays Mangari et du Kawar, le natron
rouge du Mangari et du Kawar qui contenaient tous de fortes proportions de carbonate de sodium,
étaient excellents contre les maux d’estomac. Les savoirs locaux en la matière créditaient les
différents types de natron de propriétés spécifiques, les uns étant plus doux et meilleurs pour les
enfants et les vieux, les autres utiles durant la grossesse. Comme le sel du Mangari était
extrêmement proche du natron, il pouvait lui aussi être employé comme remède. De plus, le natron
et certaines variétés de sel du Mangari étaient utilisés en divers mélanges pour traiter les pellicules,
les problèmes liés à la grossesse, les maladies des yeux ou la stérilité et entraient dans la
composition de potions et mélanges curatifs.
Les usages culinaires étaient tout aussi spécialisés. Certaines recettes exigeaient tel ou tel sel
ou natron. Le 'porridge' de millet ordinaire des Haoussa, par exemple, pouvait être fait avec diverses
qualités de natron blanc, d’ungurnu, natron rouge ou sel du Mangari, chaque recette ayant un nom
différent. Dans les repas spéciaux préparés pour les jeunes mères, les sabots des animaux étaient
dans une saumure au sel du Mangari. La plupart des sels étaient interchangeables, et la
consommation dépendait en très grande partie du prix et des disponibilités. Il est certain néanmoins
que la demande commerciale pesait sur la production. Comme les divers sels avaient des goûts
différents, c’est dans les usages culinaires surtout que les sels du Borno se heurtaient à la
concurrence. À la différence de celui du Mangari, très demandé dans les campagnes de Kano et du
Zaria, le baboul était rarement exporté si loin à l’ouest. Il était consommé surtout au Borno, ce qui
semble indiquer que la production ne fut jamais suffisamment importante pour répondre à la
demande occidentale. De même, le sel de toute première qualité du Kawar, dit beza, ne suffira
jamais non plus à la demande, moyennant quoi on trouvera du sel de bonne qualité de Teguidda et
autres provenances du désert sur les marchés du Soudan central. La vallée de la rivière Benoué,
surtout Awe et probablement Keana, entre autres, expédiaient aussi du sel vers le nord, car il était
relativement pur du fait de sa forte teneur en chlorure de sodium, par comparaison avec les
différents sels du Borno. Sel et natron, rappelons-le, étaient en outre mélangés avec du tabac, lequel
était communément mâché ou prisé. Cet usage du sel, qu’il fût du Kawar, du Mangari ou du lac
Tchad, était très répandu au Soudan central, chez les Ashantis, dans les États yoruba et ailleurs.
L’ungurnu du lac Tchad était particulièrement apprécié en pays Ashanti, mais le natron blanc du
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Muniyo était très courant lui aussi. N’importe quel sel pouvait être ajouté au tabac pour lui donner
un goût piquant, et le choix variait selon les préférences des consommateurs et les disponibilités.
La production de sel était beaucoup plus dispersée au Muniyo et au Mangari que dans les
salines du désert. D’une part, le natron était traité partout dans ces deux pays, tant sur des sites de
grandes dimensions que par simple grattage partout où il apparaissait sur le sol. D’autre part, le sel
manda était produit sur une centaine de sites répartis depuis l’ouest du Muniyo jusqu’à une zone
distante de quelques kilomètres seulement de Birni Gazargamu. Ce sel exigeait des dispositifs de
filtration et des fourneaux, et les centres de production acquirent de ce fait une certaine permanence.
Quelques-uns étaient d’ailleurs fort grands, mais il y en avait aussi beaucoup de petite taille.
Troisièmement, le sel baboul, qui demandait lui aussi des filtres et des fours, était encore plus
dispersé, et il n’y avait pas de grands sites de production. Les campements de sel, qui consistaient
en un ou deux fourneaux seulement, se déplaçaient d’une année à l’autre ; ils se concentraient dans
le Kadzell, mais il y en avait quelques-uns aussi dans le nord et l’est du Mangari, là encore à courte
distance de Birni Gazargamu, ainsi qu’au sud du Komodugu Yo, le long de la rive occidentale du
lac Tchad.
Très différente était la production du sel manda, qui ne faisait pas appel à des fourneaux et
ne nécessitait pas de filtration. Le natron était simplement gratté sur le sol ou sur les bords des
mares et des lacs qui emplissaient les nombreuses dépressions présentes entre les dunes de sable. Le
natron rouge n’était traité que dans les marais, parce que ses cristaux, qui formaient un lit
entièrement sec, étaient trop difficiles à extraire. On en trouvait à Yamia, à Saouarni, entre
Guidjigaoua et Adebour et ailleurs. L’extraction du natron blanc était de préférence une activité de
saison sèche produisant la variété impure (gari), qui était préparée sous forme de pains. Les
morceaux de natron blanc provenaient essentiellement des bords des lacs et mares qui se retiraient.
Du fait des impuretés qu’il contenait, on distinguait en réalité trois sortes de natron « blanc »
(Haouassa : farar kanwa), le blanc, le gris et le noir. Enfin, gwangwarasa, qui était utilisé pour le
tannage, n’était présent que sur un petit nombre de sites et était traité de la même façon que le
natron.
Pour la production du sel manda, on faisait bouillir l’eau saumâtre filtrée dans des fours
contenant de 40 à 170 petits vases. On obtenait ainsi des « cônes » de sel, pesant de trois à six kilos,
dont le degré de pureté et la composition chimique étaient très variables. Les techniques de
fabrication étaient cependant les mêmes, et il semble bien que l’organisation et le nombre des
sauniers préposés à chaque fourneau aient été très semblables, au moins durant les premières
décennies du XXe siècle, dans les cas où l’on a des informations sur la production. Ces équipes
comptaient de 10 à 20 personnes, dont une grande majorité d’hommes, qui transportaient l’eau
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saumâtre, grattaient la terre salée pour la filtrer, fabriquaient les filtres et les fourneaux, allaient
chercher le bois de feu et préparaient le sel fini en « cônes » pour le transport. Un chef était chargé
du fourneau, d’autres (kandine) fabriquaient les moules pour faire bouillir le sel et les autres
sauniers, hommes et femmes (bagazao) faisaient le reste. À Ari Koumbomiram, centre très
important près de Cheri, par exemple, on comptait 10 fourneaux en activité dans les années 40
encore et des postes de travail d’une dizaine de personnes chacun. À l’un des fourneaux, il y avait
cinq kandine, dont le maître, et cinq bagazao, soit huit hommes et deux femmes, lesquelles étaient
les épouses respectives du maître du fourneau et de l’un des sauniers. La saison du sel durait de cinq
à huit mois, selon les années et les sites. Dans une saison de sept mois, une équipe pouvait assurer
27 opérations d’ébullition, produisant chacune 50 cônes, soit au total de 1 350 à 1 400 cônes.
Au Kedzell, le sel, baboul ou kige, était produit selon une méthode différente de celle qui
avait cours au Mangari et au Muniyo, essentiellement à partir des cendres d’un arbuste,
Salvadorapersica (Kanuri : babul, kaligu ; Arabe: arak, siwark), qui poussait dans tout le Kedzell,
dans l’est du Mangari, dans la zone située au sud du Komodugu Yo près du lac Tchad et aussi à
l’est du lac. Il y avait encore d’autres plantes brûlées pour produire du sel, notamment trois variétés
d’herbe (Kanuri : pagam, kalaslim, et kanido), que l’on trouvait près du lac Tchad, et l’arbuste
Capparis aphylla (Kanuri : tundub), au sud du Komodugu Yo aussi loin que Kukawa. Le matériel
employé pour fabriquer le baboul était semblable à celui qu’on utilisait au Mangari et au Muniyo,
mais on commençait par brûler les arbustes et les mottes d’herbe, puis on plaçait les cendres dans
un filtre semblable à ceux qui servaient à produire le sel manda. L’eau saumâtre était ensuite
bouillie dans des fours ou dans un seul pot sur un feu.
Le sel produit à l’est du lac Tchad, ungurnu, était du trona relativement pur, provenant des
vallées de cette région. Il est vrai que ces zones de production ne faisaient pas partie du Borno au
XIXe siècle, mais une bonne partie de la production traversait le lac pour y être exportée, le reste
passant à travers les États tributaires qui se trouvaient au sud du lac. Les Yedina, qui vivaient sur les
îles et possédaient de grandes flottilles de canoës, contrôlaient en grande partie cette production et
assuraient le transport du sel ungurnu sur le lac Tchad. Quoiqu’ils n’aient jamais été soumis au
Borno, ils entretenaient avec lui des relations commerciales si importantes qu’une dépendance de
fait s’était établie. Sans l’infrastructure commerciale du Borno et ses liens avec le marché plus vaste
du Soudan central, ils n’auraient pas eu de débouché pour leur sel.
Le traitement de ce sel était simple. Le lac étant soumis à une évaporation permanente, le sel
(trona) affleurait forcément à la surface dans les vallées voisines à l’est et au nord-est du lac, dans la
région connue sous le nom de Foli, et il suffisait de casser le trona qui s’était déposé en morceaux
pour le transporter au Bornu. Les Yedina faisaient apparemment faire ce travail par des esclaves. Il
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leur arrivait de se rendre à l’est du lac, en particulier dans la région de Kelbouram au Kanem, où
l’on trouvait des dépôts de sel, non seulement à Kelbouram, mais aussi à Betra, Liga, Tergouna, et
Anjia. L’ungurnu était découpé en blocs plats ayant la forme de cônes et pesant chacun dans les 13
kilos.
Conclusion. Les apports de l’Afrique à la science et à la technologie
L’aperçu qui précède des innovations technologiques révèle les dimensions des apports de l’Afrique
à la découverte scientifique, mais une analyse historique complète reste à faire, en attendant de
nouvelles recherches. Les écrits abondants des spécialistes de l’Afrique de l’Ouest, de Tombouctou
et autres lieux du Sahel et de la savane, renferment incontestablement de précieux renseignements
sur les découvertes du passé, surtout en mathématiques. Au surplus, les acquis des Dogons en
astronomie et les contributions à la navigation dans l’océan Indien et la mer Rouge comme dans
l’Atlantique en sont encore d’autres exemples, tout comme la chimie du sel, du fer, du cuivre, de
l’étain et de l’or était fort bien connue en Afrique, très longtemps avant les moindres échanges
directs avec l’Europe.
Certains ont pu faire valoir que le transfert de la technologie du riz aux Amériques n’avait
au mieux que peu de rapports avec sa production en Afrique ou la maîtrise de l’organisation du
travail requise pour le produire dans des conditions écologiques et environnementales variées. De
fait, la production de riz était très développée en Afrique de l’Ouest, et les techniques employées
allaient d’une division genrée du travail à l’exploitation d’esclaves sur les plantations des bords de
la Gambie. La technologie appliquée pour créer les conditions d’une maximisation de cette
production avait comporté une très large part d’expérimentation pour le drainage, la construction de
polders, le dessalement et l’irrigation, qui fut copiée et amplifiée aux Amériques, où même la
variété de riz initialement cultivée était le riz noir de l’Ouest africain.
D’aucuns voudraient négliger l’importance de ces apports pour l’introduction et le
développement de la riziculture aux Amériques, pour insister plutôt sur l’esprit d’entreprise et les
capitaux européens. C’est ignorer certains faits historiques décisifs, à savoir, en premier lieu,
l'absence de riz en Europe et, comme pour toutes les cultures exploitées par recours à une main
d’œuvre servile, l'ignorance totale de tout ce qui concernait le riz dans les cercles scientifiques,
militaires ou entrepreneuriaux. Deuxièmement, le riz commença très tôt à être acheté dans le cadre
du commerce côtier de l’Afrique de l’Ouest, inauguré par les Portugais et plus tard développé avec
la poussée d’autres pays européens pénétrant dans le monde Atlantique. Le riz était acheté pour
nourrir les esclaves, parce qu’il était facile à entreposer et constituait la base de l’alimentation de
beaucoup d’Africains. Troisièmement, les Européens apportèrent effectivement au monde
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Atlantique leur esprit d’entreprise et leurs innovations, dont les principales relevaient d’une
technologie navale qui permettait de contrôler les voies maritimes de l’Atlantique et finalement de
toute la planète, ce qui impliquait la capacité de transporter marchandises et gens et de réorganiser
par ailleurs la division intercontinentale du travail et des facteurs de production. Cet entrepreneuriat,
cependant, se réduisait à deux formes de vol, d’une part, à travers le recours au travail d’esclaves
pour intensifier la production et, de l’autre, par la confiscation arbitraire aux Amériques de terres
qui auparavant appartenaient à d’autres. Dans les deux cas, l’appropriation fut réalisée par le vol
sous différentes formes. Il en fut de même de la technologie de la production du riz et d’autres
cultures. Les profits qui en furent tirés reposaient sur un transfert de technologie, affinée il est vrai
par la suite, qui lui-même reposait sur le travail d’une main d’œuvre réduite en esclavage et
exploitée au profit d’individus qui aujourd'hui seraient accusés de crimes contre l’humanité. Outre
que ce travail n’était pas rémunéré et que les terres étaient prises sans être payées, ceux qui en
bénéficiaient le plus ne payaient pas non plus d’impôts. Quelques auteurs ont voulu voir dans ce vol
une expression de l’entremise de gens entreprenants, mais pour ceux qui étaient réduits en
esclavage et ceux qui avaient perdu non seulement leurs moyens d’existence, mais même parfois
aussi la vie, l’esclavage et l’exploitation qui profitaient aux Britanniques, aux Français, aux
Hollandais, aux Espagnols, aux Portugais et à quelques autres Européens, ainsi qu’à leurs
descendants, aux Amériques, représentaient la disparition de leurs revenus, le déni de toute
possibilité d’investissement, le mépris de leur dignité personnelle et le plagiat d’innovations
technologiques qu’ils étaient fondés à revendiquer.
La non-reconnaissance des apports de l’Afrique à la science et à la technologie ainsi que du
transfert d’expertise aux Amériques minimise le rôle des Africains réduits en esclavage dans le
développement du continent américain, malgré l’utilisation souvent inefficiente des compétences et
des capacités individuelles. Ce sont des Africains et leurs descendants qui ont pour l’essentiel
assuré la production des principales cultures d’exportation et l’extraction de l’or et de l’argent. Ils
devaient aussi se nourrir, ce qu'ils faisaient, dans une large mesure, grâce aux cultures vivrières et
aux recettes apportées d’Afrique. Le travail des Africains joua un rôle important dans le commerce
maritime et dans les activités des villes portuaires de tout le monde Atlantique. Même lorsqu’il
s’agissait d’une technologie connue en Europe, comme le travail des métaux, beaucoup de ceux qui
la pratiquaient dans ces Amériques venaient d'Afrique, où ils apportaient une expertise technique et
une maîtrise semblables dans la métallurgie. Les Européens excellaient dans la fabrication des
armes et des articles pour bateaux. Pour le reste, que ce fût dans les textiles et les cuirs, l’agriculture
ou les activités extractives, il n’y avait guère de technologie venue d’Europe qui fût supérieure à
celles apportées d’Afrique, au moins jusqu’au XIXe siècle. Était-il nécessaire, par conséquent, de
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s’assurer le développement des Amériques en confisquant les terres, en s’appropriant le travail et la
technologie par l’esclavage et en usant d’une supériorité militaire et navale pour en soumettre les
habitants ? La concentration de richesses obtenue par la violence grâce aux gains tirés de
l’exploitation de la production tropicale reposait sur une main d’œuvre réduite en esclavage,
majoritairement originaire d’Afrique. Ces gains furent pour beaucoup dans l’avènement de la
banque, de l'assurance, de la société par actions et autres institutions capitalistes des places
financières d’Europe et d’Amérique. Cette concentration de richesses s'appuyait sur l’appropriation
des progrès technologiques, quelle qu'en fût l' origine, dans l'intérêt d'entrepreneurs qui trouvaient
des moyens de récolter des profits indus à travers des activités fondées sur le vol et l’esclavage.
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