Le relais de l’éthique professionnelle en ducation –pente glissante...

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Epistrophè Revue d’Éthique Professionnelle en Philosophie et en Éducation. Études et Pratiques Journal of Professional Ethics in Philosophy and Education. Studies and Practices [EPREPE] vol. 1, 2017-2018 http://eprepe.pse.aegean.gr/ ISSN: 1234-5678-9000 Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui? Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique The relay of professional ethics in education - slippery slope or point of support? For the resistance of a warry – the philosophical contribution Elena Théodoropoulou Université d’Égée L’article veut défendre une éthique professionnelle saisie comme un espace par excellence de recherche et de réflexion, d’inquiétude et non pas de promesse. Cette inquiétude invoque avec persistance le mouvement de la pensée qui à son tour fait appel au travail philosophique introduisant une intensité praxique et renforçant la compréhension du professionnel non pas comme un cadre rassurant, de moralisation et d’équilibration précoces, mais comme un espace fécond et fragile, reconnaissant et affrontant le risque dans le dilemmatique. C’est ainsi que l’éthique professionnelle se situe désormais dans une ouverture tenace ou une incapacité de fermeture qui ne la choque pas mais l’interpelle. Mots-clès: mouvement de la pensée, philοsophie de l'éducation, intensité praxique, brèche The article argues for a professional ethics that is being perceived as a par excellence field of research and of self- reflection, of concern and not of promise. This concern persistently appeals to the movement of thought, which in turn recalls the philosophical work, while introducing a praxial tension reinforcing the understanding of the professional not as a reassuring space of premature moralization and counterbalancing, but of a fertile and fragile space that recognizes and deals with the risk in the dilemmatic element. Thus, professional ethics is placed thereon in an unyielding opening or an inability of closure, which does not overwhelm it but addresses it. Κeywords: movement of thought, philosophy of education, praxial intensity, breach

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Epistrophè

Revue d’Éthique Professionnelle en Philosophie et en Éducation. Études et Pratiques

Journal of Professional Ethics in Philosophy and Education. Studies and Practices

[EPREPE]

vol. 1, 2017-2018

http://eprepe.pse.aegean.gr/

ISSN: 1234-5678-9000

Le relais de l’éthique professionnelle en éducation

–pente glissante ou point d’appui? Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

The relay of professional ethics in education - slippery slope or point of support?

For the resistance of a warry – the philosophical contribution

Elena Théodoropoulou

Université d’Égée

L’article veut défendre une éthique professionnelle saisie

comme un espace par excellence de recherche et de

réflexion, d’inquiétude et non pas de promesse. Cette

inquiétude invoque avec persistance le mouvement de la

pensée qui à son tour fait appel au travail philosophique

introduisant une intensité praxique et renforçant la

compréhension du professionnel non pas comme un cadre

rassurant, de moralisation et d’équilibration précoces, mais

comme un espace fécond et fragile, reconnaissant et

affrontant le risque dans le dilemmatique. C’est ainsi que

l’éthique professionnelle se situe désormais dans une

ouverture tenace ou une incapacité de fermeture qui ne la

choque pas mais l’interpelle.

Mots-clès: mouvement de la pensée, philοsophie de

l'éducation, intensité praxique, brèche

The article argues for a professional ethics that is being

perceived as a par excellence field of research and of self-

reflection, of concern and not of promise. This concern

persistently appeals to the movement of thought, which in

turn recalls the philosophical work, while introducing a

praxial tension reinforcing the understanding of the

professional not as a reassuring space of premature

moralization and counterbalancing, but of a fertile and

fragile space that recognizes and deals with the risk in the

dilemmatic element. Thus, professional ethics is placed

thereon in an unyielding opening or an inability of closure,

which does not overwhelm it but addresses it.

Κeywords: movement of thought, philosophy of education,

praxial intensity, breach

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

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L’accès philosophique

Il y aurait encore, selon Lyotard, pour la philosophie

aujourd'hui, le besoin de revoir la différence remarquée par

Kant, entre sa conception scolastique (Schulbegriff) et

celle cosmique (Weltbegrff) 1 : jetée dans le monde; la

philosophie devrait défendre, une deuxième

responsabilité: non pas seulement de prouver ce que

signifie penser, mais se mesurer avec l'idéal de ce type de

philosophe, qui pourrait être le législateur de la raison

humaine. Or, l'exigence vient du monde, qu'à l'intérêt

théorique s'ajoute l'intérêt pratique et laïque de la raison

pour la philosophie, et ce sont (ce qui crée pourtant) deux

exigences contradictoires. Dans ce sens, si les Lumières ont

abondamment lié l'œuvre de la philosophie à

l'émancipation de l'esprit, il nous est désormais permis de

concevoir la philosophie par excellence comme légiférant,

pratiquement aussi que politiquement 2 . Malgré tout,

Lyotard remarque qu’aujourd'hui, personne n'exige rien

de la philosophie. Encore davantage, il n'y a plus la

prédisposition pour la patience, le souvenir, le

recommencement, l'élaboration lente et également plus de

remède pédagogique pour ce manque qui ne soit pire que

le mal lui-même (comme ce serait, par exemple, l’effort

d'éduquer les professeurs de philosophie à séduire, à

capturer l'attitude bienveillante des enfants, à piéger leur

attention, à devenir des propagandistes d'eux-mêmes et

1 Lyotard, J.,-F., «Adresse au sujet du Cours philosophique. À

Hugo Vermeren. Nanterre, Le 20 Octobre 1984», dans: Lyotard, J.,-F., Le Postmoderne expliqué aux enfants, Correspondance 1982-1985, Paris: Galilée, 2005, pp. 147-157, 148 sq. Selon le sens cosmique, la philosophie intéresse forcément tout le monde, dans la mesure où elle se réfère à une science de la relation de chaque savoir avec les fins essentielles, ultimes de la raison humaine, tandis que le sens scolastique renvoie à un système de savoir dont la fin est l'unité systématique de ce savoir et par conséquence sa perfection logique. La conception cosmique attribue à la philosophe sa dignité, à savoir une valeur absolue et, tandis la conception scolastique la limite à la prétention à la compétence, c’est la conception cosmique qui l'associe à l'utilité (v. Kant, E., Critique de la raison pure/ Métaphysique transcendantale, 3ème chap., nt 1, 1788, pp.1389-1390). 2 Ibid.

de leur intervention philosophique). Lyotard se place donc

contre les caractéristiques-objectifs, répandues quand

même en éducation, comme celles (-ci) de la «vitesse, du

plaisir, du narcissisme, de la compétence, de l'achèvement,

comme nullement appropriées à une approche

philosophique». Par contre, il dit, «on doit se confronter

avec les questions sporadiques, partout où il y a le besoin

de la philosophie: le philosophe doit sortir à l'agora»3. Il

précise en plus que si le philosophe devient un philodoxe,

un technicien de la logique 4 recherchant le savoir

théorique sans s’interroger comment ce savoir contribue à

l’objectif ultime du Logos humain, cette attitude constitue

une altération de la philosophie et de sa définition, voire

une certaine atrophie. La redéfinition de la philosophie se

fait en un geste critique et autocritique dans le sens d’une

pratique théorétique au niveau de la formation consciente

et incorporée de la personne elle-même: désormais, la

philosophie vaudra ce que le philosophe vaut5 en tant que

personne – qui –se – trouve – en – situation – de –

philosopher ou en situation – de – se – constituer – en –

tant –que conscience–de son propre – soi–ouvert – à

l’autre.

3 Ibid., Cf. «Ils ne sont pas des philosophes ceux qui chuchotent ou crient dans les oreilles du puissant. Dans les tribunaux, on ne les voit nulle part, ni même dans un rôle de bouffons. Ils se font plutôt remarqués par leur absence. Sur ces entrefaites, psychologues, spécialistes politiques, sociologues, anthropologues et autres ainsi que des spécialistes du comportement sont engagés à former et à assumer notre politique sociale» (Barnett, G., Philosophy and Educational Development, London: Harrap, 1967, p. xii, référence à: Thompson, K., «Philosophy of Education and Educational Practice», dans: Journal of Philosophy of Education, 1, vol. 3, 2006, pp. 45-60 /52). 4 Vernunft Künstler, dans: Lyotard, J.,-F., Le Postmoderne expliqué aux enfants, Correspondance 1982-1985, Paris: Galilée, 2005. 5 Lefebvre, H., La somme et le reste, Paris: Anthropos, 2009/1959, pp. 688-710 et v. Theodoropoulou, E., «Dos à dos avec l’abstraction. Pour une philosophie pratique micrologique», dans: Revista Itinenάrios de Filosofia da Educaçao, nº 12, Porto: Ediçoes Afrontamento/ FCT, 2013, pp. 17-35.

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Le mouvement de la pensée

Si, on comprend la praxis comme un lieu du penser ( et

inversement), la pensée ne cesse pas pour autant de se

constituer comme un «au-delà», quelque chose qui se situe

au-delà du sujet pensant; notre relation avec cet «au-delà»

se détermine comme un «philein», un désir de quelque

chose que nous ne connaissons pas et que nous ne

pouvons pas concevoir (ce qui, dans un sens heideggérien,

fait de la pensée une chose dont l’horizon ne saurait être

habité par aucune «sagesse», en se trouvant toujours à

distance): οr, le mouvement d’approche continue(lle) se

substitue à l’objectif de l’atteinte finale par la pensée d’un

but 6 – peut-être le fait de penser consiste dans la

conscience que l’on a de ne pas penser encore 7 . Un

mouvement qui met en doute le mythe de la sérénité et de

la philia accroché à la pensée et à ses corollaires surtout

sous leurs aspects/usages éducatifs (v. le mécanisme,

sacralisé en éducation, du dialogue): la remarque

deleuzienne, classique dans sa simplicité, ruine le rêve

d’une pensée irénique qui devrait apaiser bel et bien, dès

son émergence, les inquiétudes et plus encore que son

émergence elle-même serait le produit d’une volonté

d’aménagement des discordances ou perplexités au fur et

à mesure que «ce qui est premier dans la pensée, c’est

l’effraction, la violence, c’est l’ennemi, et rien ne suppose la

philo-sophie, tout part d’une misosophie»8. La pensée n’est

pas en principe sage ou savante, elle ne scelle pas

l’accompli, mais elle est marquée par le désir de penser –

c’est ainsi qu’on peut aussi comprendre l’invocation

derridienne pour une certaine folie qui doit veiller sur la

pensée par rapport à nos préférences émergeant

continuellement de notre expérience

quotidienne (puisque tout sort de l’expérience vivante,

6 Νancy, J.,-L., Tyradellis, D., Qu’appelons-nous penser?, Paris: Diaphane, 2013. 7 Ibid. 8 Deleuze, G., Différence et Répétition, Paris: PUF, 1968, pp.181-2.

quotidienne, naïve ou réflexive, toujours jetée contre

l’impossible) «préférences» justement que je dois à la fois

confirmer et sacrifier. C’est quelque chose qu’il nous faut

réinventer à chaque instant, sans aucune garantie, sans

aucun garde-fou 9 . C’est dans ce sens, que Deleuze

s’oppose à l’idée qu’

«un concept n’aurait pas besoin d'être créé puisqu’il ne

serait qu’une simple reprise réflexive, une sorte de

décalque de ce qui est, de ce qui est déjà là et qui n’attend

que le moment où la pensée va daigner se pencher sur lui

pour se révéler, tel qu’il est véritablement, sous la forme

d’un concept. Ce qui est par conséquent en premier lieu

critiqué et dénoncé, c'est cette fonction représentative du

concept, cette “image morale de la pensée” […] de telle

sorte qu'il n'y aurait rien de pré-philosophique qui ne

serait, en bout de ligne, philosophiquement pensable»10.

Comment l’«être dans sa propre vibration, dans sa propre

passion […]» qui représente le caractère d’une pensée vue

justement comme vibration, une écume montante et

débordante, et non pas comme un «tuning» ( qui, pour

Nancy caractérise la fonction de la pédagogie11), prenant

désormais son sens par son caractère d’activité incessante

persévérant «à travers des champs problématiques en

droit infinis» (ce qui mène à une dramatisation de la

pensée et donne au concept son statut pédagogique12)

peut-il se réconcilier avec une insistance pour (ou un recul

devant) le normatif qui vient comme étant la fin de la

pensée? Cette attention persistante que le regard

philosophique prête à toute forme d’intégration ou de

9 Derrida, J., «A certain 'madness' must watch over thinking» Jacques Derrida's interview with François Εwald, dans: Biesta, G., Egéa-Kuehne, D., (eds), Derrida & Education, London & New York: Routledge, 2003, pp. 55-76/72. 10 Bolduc, C., «En quel sens faut-il entendre la formule de Gilles Deleuze voulant que la philosophie soit une création de concepts?», Horizons philosophiques, no 1, vol. 17, pp. 47-68. 11 Νancy, J.,-L., Tyradellis, D., op.cit. 12 Deleuze, G., Guattari, F., Qu’est-ce que la philosophie?, Paris: Éd. de Minuit, 1991, p. 22.

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désintégration accompagne une attitude d’engagement

radical et de retrait à la fois13 , de désengagement avec un

souci à la fois de présence et d’intégration et d’une peur

d’immobilisation à des positions conquises et croyances

inscrites14 . Ainsi, la philosophie s’installerait sur le sol du

concret, révoquerait le rapport entre théorie et acte et

découvrirait la puissance de la soustraction théorique à

travers son rapport vertigineux avec le concret qu’elle tend

pourtant à refuser pour le retrouver éventuellement

comme une blessure (ou comme un refus de la philosophie

elle-même 15). Si la pensée est emphatiquement reliée avec

la déconstruction des (établi)s? aiguisant la conscience de

la différence au sein de l’identité, c’est ainsi que le vent de

la pensée qui n’est pas connaissance mais capacité de

distinction se lève16.

13 Lefebvre, H., La somme et le reste, op.cit., pp. 688-710 & Deleuze, G., Parnet, C., Dialogues, Paris: Flammarion, 1996, pp.13-15. Cf. l’idée du savoir engagé comme défendue par Bourdieu, P., «Intervention au Colloque pour un mouvement social européen», Athènes, Mai 2001, dans: Bourdieu, P., Interventions 1961-2001. Science sociale et Action politique, Paris: Agone, 2002.; pour échapper au dilemme, Blanchot propose à l’intellectuel de se garder en retraite mais sans se désengager du champ politique, comme un observateur en alerte (Blanchot, M., Les Intellectuels en question, Paris: Éditions Fourbis, dans: Bensaid, D., Bourdieu, P., «l’intellectuel et le politique» In Contretemps, 1996, http://www.contretemps.eu/interventions/pierre–bourdieu-intellectuel-politique). Or le «paradoxe d’appartenance et de recul» (Taminiaux, J., «La paradoxe de l'appartenance et du retrait». Politique et Pensée, colloque Hannah Arendt, Paris: Petite Bibliothèque Payot, 1996, pp.93-110) chez Arendt (v. La Condition de l'homme moderne, Paris: Calmann-Lévy, 1983 & Arendt, H., La vie de l'esprit, coll. «Quadridge» Paris: Presses Universitaires de France, 2005).

14 Mounier, E., Introduction aux existentialismes, Paris: Éditions Gallimard, 1962, pp. 24-26.

15 Lefebvre, H., Le Droit à la ville I I: Espace et politique, Paris: Anthropos, 2000, p. 29.

16 Arendt, H., The Life of the Mind - Thinking-Willing, New York-London, Harvest/HJB Book, 1978, p. 193. Capacité pas rencontrée dans le cadre de la culture de la semi-formation dont l’attitude est celle de taking something for granted et son ton déclare incessamment: «Quoi, ne le savez pas?»; ici, la conscience critique s’éstropie en un regard flou aux coulisses (Adorno, T., W., «Theorie der Halbbildung (1959)», dans: Ders.: Gesammelte Schriften, Band 8, Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1998, pp. 93-121).

Si, selon Arendt, le modèle de cet examen est Socrate,

c’est parce qu’ – «à la différence des philosophes

professionnels» - «il a ressenti le besoin de vérifier auprès

de ses concitoyens s’ils partageaient ses perplexités» et

plus que cela, parce que «ce besoin est tout différent de

l’inclination à trouver des solutions aux énigmes et à les

démontrer ensuit aux autres» 17 . Il s’agit d’un modèle

pédagogique de réflexion qui diffère la solution à laquelle

aspirerait une éthique professionnelle réglementatrice en y

introduisant un différend. Cette pédagogie aporétique («le

raisonnement ne mène nulle part ou bien il tourne en

rond»18), est scandée par l’exigence «de tout recommencer

et de rechercher» le sens des concepts, de ces concepts-là

liés «à quelque chose d’invisible» et qui tout en faisant

«partie intégrante de notre discours de tous les jours»,

«pourtant, nous ne pouvons en rendre compte; quand

nous essayons de les définir, ils deviennent fuyants; quand

nous évoquons leur sens, rien ne reste posé, tout

commence à bouger»19. Il s’agit d’une sorte de réflexion,

qui, «a inévitablement un effet destructeur sur tous les

critères, les mesures établies du bien et du mal, bref sur les

coutumes et les règles de conduite dont nous traitons en

morale et en éthique»20. Une pensée dédiée à «dégeler,

faire fondre» les mots («concepts, phrases, définitions,

doctrines»), à savoir «ce que le langage, médium de la

pensée, a gelé dans la pensée»21, qui sont comme une

«pensée gelée» et qui, telle une méditation, «ne produit

pas de définitions et, en ce sens, elle ne donne pas lieu à

des résultats» - or, cette pensée ne saurait être identifiée à

17 Arendt, H., Responsabilité et jugement (éd. établie et préfacée par Kohn, J.), Paris: Payot, 2003, p. 194. 18 Ibid., p. 196.

19 Ibid., p. 197.

20 Ibid., p. 201.

21 Ibid., p. 201.

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la délibération, «censée se terminer par des résultats

tangibles»22.

Dans ce cadre, se sont développées à la fois les trois

comparaisons attribuées à Socrate comme défendant cette

sorte de recherche: taon (éveillant les citoyens «à penser, à

examiner des questions»23, sage-femme (délivrant «les

autres de leurs pensées, c’est-à-dire des implications de

leurs opinions» non examinées24, torpille (Socrate «reste

inébranlable sur ses perplexités, et, telle la torpille,

paralyse ceux avec qui il entre en contact»)25. Ce rythme

ternaire propose justement un dispositif de réflexion qui en

même temps interprète le sens et le but de l’activité

réflexive au sein d’une situation engendrant la perplexité.

Une «quête de sens, qui sans cesse dissout et examine à

nouveaux frais toutes les doctrines et les règles admises,

peut à tout moment se retourner contre elle-même,

produire un renversement des anciennes valeurs et

déclarer que ce sont des “valeurs nouvelles’’»: c’est en fait

une routine –dépourvue de pensée- utilisant les résultats

négatifs de la pensée, une routine qui révèle le «danger

inhérent à l’activité de la pensée elle-

même» provenant «du désir d’obtenir des résultats qui

feraient qu’ensuite, il ne serait plus nécessaire de penser».

Pourtant si «penser est tout aussi dangereux pour tous les

credo et, en soi, ne donne lieu à aucun nouveau credo»26,

par contre, ne pas penser, pour éviter les périls de

l’examen correspond à une habitude des gens non pas tant

au contenu des règles, «dont un examen approfondi les

conduirait à la perplexité, qu’à la possession de règles sous

lesquelles subsumer le particulier»27.

22 Ibid., p. 198.

23 Ibid., p. 199.

24 Ibid., p. 200. 25 Ibid.

26 Ibid., pp. 202-203.

27 Ibid.

À l’entrée de l’éthique professionnelle: la philosophie de

l’éducation et l'intensité prat(x)ique

L'éthique professionnelle se joue et se déjoue dans les

espaces réels et découpe l'expérience éthique vivante,

intarissable: dans ce sens, elle serait plutôt un espace

d’inquiétude et non pas de promesse (de solution, de grâce

ou de punition), en révélant les perplexités innées dans sa

propre constitution – cette inquiétude qui fait

inlassablement penser, prendre la peine «de décrire et

d’examiner» son «expérience de pensée» 28 . Le

questionnement critique, inlassable, persistant, méticuleux

élaborant de l’intérieur la constitution éthique de la vie

éducative, voire un questionnement philosophique, ne

peut qu'interroger incessamment l’applicationisme, le

clos 29 , la recherche de la quiétude assurée par la

démolition de toute ambiguïté, la simplification dualiste

exorcisant l’antinomique et le paradoxal, interrompre la

certitude, excaver et intensifier la compréhension du

professionnel saisi non pas comme un lieu de moralisation

et d’équilibration précoces, mais comme un espace

germinal, reconnaissant et affrontant le dilemmatique,

surtout dans ces espaces de travail, jalonnés comme il sont

par des défis et contraintes multiples. Dans ce sens, la

28 «La pensée, dans son sens non cognitif, non spécialisé, en tant que besoin naturel de la vie humaine, actualisation de la différence présente dans la counsciousness, n’est pas la prérogative de certains mais une faculté présente chez tout le monde; de plus, l’incapacité de pensée n’est pas le ‘prérogative’ de tous ceux qui manquent d’intelligence, elle est cette possibilité toujours présente qui guette chacun –les scientifiques, les érudits et autres spécialistes de l’équipée mentale- et empêche le rapport à soi-même, dont la possibilité et l’importance furent découvertes par Socrate» (Arendt, H., Considérations morales, Paris: Rivages, 1973/1996, p. 70). 29 Cf. la distinction bergsonienne entre le clos et l’ouvert dans la morale et la religion (Bergson, H., Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris: PUF, 2008). Worms voit dans cette distinction transversale non pas une manière de «distinguer entre une morale ou une autre, entre une religion et une autre, mais entre le clos et l’ouvert dans toutes»; il s’agit donc d’un «acte simple et fondamental» que le livre de Bergson «passe comme avec une épée dans toutes les identités et les doctrines [...]» (Wοrms, F., Bergson ou les deux sens de la vie, Paris: PUF, 2004, p. 266).

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question éthique, ainsi recherchée, rechargée, interrogée

et invoquée, semble révéler ou même créer une fissure

renvoyant au besoin d’une compréhension intense, fragile

et approfondie du professionnel à travers pourtant une

réappropriation assidue de l’éthique lui-même, voire une

réappropriation philosophique.

Pourtant, en même temps, travailler en philosophe au

niveau de l'éthique professionnelle en éducation, ne saurait

également court-circuiter une réflexion sur le concept de la

philosophie qu'on devrait défendre à l'égard de la

domination des lieux communs dont la fonction logico-

rhétorique tend à conserver les malentendus sous les

évidences, la pléthore d’assomptions, les affirmations et

les consentements, les préjugés30. Si, d’autre part, on peut

toujours se demander «ce que les philosophes de

l’éducation peuvent faire pour gagner de nouveau

l’attention de l’éducation»31, cela montre qu’il y a un écart

fondamental, plus ou moins construit, qu’il faut

comprendre et élaborer entre la philosophie et l’éducation:

il s’agit aussi du passage d’une optique métaphilosophique

à l’application de modes particuliers de travail

philosophique en fonction des contextes épistémologiques

et socioculturels différents32. En fait, la philosophie de

30 Hamelin, D., «Penser la pédagogie est un luxe sans aucun désespoir de cause», Revue française de Pédagogie, n. 1, vol. 120, 1997, pp. 7-15. 31 Bredo, Ε., «How can philosophy of Education be both viable and good?», Educational Theory, no 3, vol. 52, 2003, pp. 263-271/267. 32 C’est ce passage qui tend à s’établir comme une question brûlante pour la philosophie de l’éducation elle-même: «Enseigner la philosophie de l’éducation crée un espace de pensée et de réflexion dans lequel il est possible de mettre en doute des convictions concernant la nature de la philosophie, le rôle de la philosophie de l’éducation et, spécialement, notre identité en tant que philosophes et enseignants» (Suissa, J., «Teaching and doing philosophy of education: the significance of style», Studies in Philosophy & Education, n. 2-3, vol. 27, 2008, pp. 185-195). Même si, par cette prétention à la réflexion, elle fait bouger de fond en comble la question du rapport entre théorie et pratique et si toutes les théories éducatives peuvent être conçues comme des théories de la théorie et des théories de la pratique» (Carr, W., For education: towards critical educational inquiry, Buckingham: Open University press, 1995, p. 41), rien n’empêche que la philosophie ne garde pas facilement de relevance avec

l’éducation ne saurait faire l'économie de la question de la

relation entre la substance théorique et pratique du

discours philosophique33 posée à trois niveaux: par rapport

à ce qu’est le discours philosophique en lui-même, par

rapport à ce qui est en face de lui, c’est-à-dire le fait et

l'acte pédagogique et éducatif34 et par rapport à ce qu’il

devient lui-même, lorsqu’il se tourne vers le fait

pédagogique pour réfléchir sur lui35.

l’éducation et que cette dernière semble facilement isolée de la première (Carr, W., «Philosophy and Education», Journal of Philosophy of Education, Issue 1, vol. 38, 2004, pp. 55-73). «La philosophie de l’éducation doit être située à l’interface de la théorie et de la pratique de l’éducation, de sorte que les philosophes de l’éducation soient des gens du milieu» (Worsfold, V., L., «Teaching philosophy of Education today», Educational Theory, n. 3, vol. 51, 2001, pp. 373-384). Mais d’autre part, Durkeim n’hésite de reconnaître la pédagogie comme «une théorie pratique» qui «n'étudie pas scientifiquement les systèmes d'éducation, mais elle y réfléchit en vue de fournir à l'activité de l'éducateur des idées qui le dirigent», Durkheim, E., Education et Sociologie, Paris: PUF, 1922/1996 pp. 8-27). 33 Cf. la constatation de Mialaret: «Le savoir théorique est constitué par l’ensemble des réflexions philosophico-historiques. […] Il résulte de l’accumulation des analyses réflexives, théories, commentaires divers émis non seulement par des éducateurs, des philosophes, mais aussi par beaucoup d’autres spécialistes qui appartiennent aujourd’hui aux sciences de l’éducation. […] La philosophie de l’éducation, l’histoire de l’éducation en particulier constituent des savoirs théoriques d’une très grande importance qui paraissent pourtant quelquefois assez éloignés des préoccupations pratiques des enseignants dans leurs classes ou des formateurs dans leur terrain» (Mialaret, G., «Types de savoir et éducation», dans: Barbier, J.,-M., Savoirs théoriques et savoirs d’action, Paris: PUF, 1998, pp. 161-187). 34 Cf. le point de vue d’Ian Scheffler selon qui la force pratique de l’analyse philosophique réside précisément dans son propre but: les dia-logues ouverts par l’analyse philosophique s’occupant des notions de l’éducation, rappellent que l’éducation «n’est pas seulement une discipline abstraite et intellectuelle, mais aussi un lieu d’engagement et de décision pratique, lieu où les programmes officiels sont mis en œuvre, critiqués, justifiés et rejetés. La force pratique des arguments avancés en matière d’éducation suggère de plus que les idées éducatives ne servent pas seulement des buts ‘descriptifs’ mais aussi ‘politiques’. Le but de l’analyse philosophique est précisément de mettre en avant, d’élucider et de séparer entre eux les contextes différents constituant les formes éducatives, parmi lesquelles figure aussi le contexte de la praxis». (Scheffler, I., Le langage de l’éducation, Paris: Klincksieck, 1989/2003, pp. 19-26). 35 La spécialisation de la pensée philosophique mène aujourd’hui à la multiplication des études effectuées par des philosophes de l’éducation relativement à la notion de recherche éducative ainsi qu’à la possibilité de collaboration entre la philosophie de l’éducation et la recherche empirique (v. Bridges, D., Smith, R.,

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Althusser, partant de la distinction aristotélicienne entre la

poiesis et la praxis, se concentre sur l’élément de la

métamorphose du sujet au sein de sa propre praxis (en

tant que «métamorphose de soi par soi»), au fur et à

mesure que le sujet lui-même constitue la matière première

de son propre soi, mais tout à la fois sa propre force de

travail et ses propres outils de production de sorte à

pouvoir finalement y reconnaître la notion de praxis. Le

terme même de «pratique» suggère une relation, un

contact actif avec le réel, l’idée de l’activité étant incluse

dans l’acte et étant liée par excellence au concept de sujet

humain. Néanmoins, dans la mesure où la pratique n’est

qu’une élaboration de la représentation des choses du

monde par l’intermédiaire de la conscience en tant que

capacité supplémentaire de l’individu de tracer

mentalement un plan de la praxis ou de la langue (qui

sépare la réalité immédiate de sa représentation), cette

pratique est perçue comme l’écho inverse de la théorie (et

dans ce sens, tous les humains sont théoriques). Ce reflet

inversé, cette «dépendance perplexe» rend la distinction

entre théorie et praxis incomplète et inefficace, a fortiori si

l’on tient compte du caractère général et social des

pratiques humaines (bien que l’existence d’une pratique

sans l’individu comme sujet agissant soit également

inconcevable36. La pratique philosophique fait partie de ce

«Philosophy, Methodology and Educational Research», Journal of Philosophy of Education, part 1 & 2, Issue 4, vol. 40, 2006). Contre une telle évolution s’insurge l’attitude rortyenne négative (v. aussi, supra, n. 15) à l’égard de la philosophie vue comme un objet académique géré par une classe fermée des professionnels utilisant un idiolecte technique (Fach/ v. Rorty, R., Consequences of Pragmatism, Sussex: The Harvester Press, 1982): selon Rorty, l’exercice de la philosophie n’impliquerait nullement l’usage d’outils spécifiques ou l’émergence de compétences spécifiques en tant que réaction à des problèmes spécifiques (cf. Rorty, R., «What are philosophers for?», Center Magazine, 16, n. 5, 1983, pp. 40-51). Or, les philosophes n’auraient pas de spécialisation particulière par rapport à l’exigence de proposition d’ «une perspective unique interdisciplinaire, une clarté et une rigidité ou une intuition relativement aux dimensions normatives des questions de politique sociale» (Waks, L., J., «Three Contexts of Philosophy of Education: intellectual, institutional and ideological», Educational Theory, 1988, n. 2, vol. 38, pp. 167-174). 36 Althusser, L., Initiation à la philosophie pour les non-philosophes, Paris: PUF, 1975/2014, p. 168. «On entend par pratique les lieux,

cadre, car elle métamorphose «les idéologies sous

lesquelles les différentes pratiques sociales produisent

leurs effets propres», au fur et à mesure que les

propositions philosophiques sont actives et agissantes,

puisqu’elles produisent un certain effet d’existence37. Si les

pratiques sociales sont des processus, voire «un ensemble

d’éléments matériels, idéologiques, théoriques et humains

(les agents) suffisamment adaptés les uns aux autres pour

que leur action réciproque produise un résultat, qui modifie

les données de départ»38, la catégorie althussérienne de la

«pratique théorique» parle de la théorie comme une forme

de la pratique dépassant la dichotomie entre théorie et

pratique39 mais surtout la prédominance de la théorie sur la

pratique. En revanche, la théorie, en tant que pratique

exercée sous des conditions déterminées, pénétrant dans

les corps, les groupes, les outillages, les dispositifs, les laboratoires, les procédures, les textes, les documents, les instruments, les hiérarchies permettant à une activité quelconque de se dérouler. […] Nous avons toujours affaire à des pratiques – des corps habiles, des lieux équipés, des documents inscrits, des hiérarchisations établies [et le terme de théorie] ne désigne aucunement un procès mais seulement un produit. […] La pratique est donc un terme sans contraire qui désigne la totalité des activités humaines». (Latour, B., «Sur la pratique des théoriciens», dans: Barbier, J., M., Savoirs théoriques et savoirs d’actions, Paris: Presses Universitaires de France, 1998, pp. 131-146). 37 Néanmoins, ce n’est pas l’existence réelle de ce à quoi se réfère la proposition, qui se modifie à travers la proposition philosophique, mais son existence philosophique, «son existence dans la philosophie de son auteur et de ses disciples», la connaissance philosophique ne produisant pas de connaissance objective, de connaissance d’un objet réel, mais posant des thèses –, son objet étant un élément purement interne à son cadre. Et la notion de pratique est associée ici à la constatation que «toute thèse est de par nature anti-thèse. Et chaque philosophie apparaît ainsi comme une sorte d’armée théorique en marche». […] Αinsi, la philosophie «n’a pas pour fin la production des connaissances, mais une guerre stratégique et tactique contre les forces théoriques de l’adversaire, qui, comme toute guerre comporte des enjeux» (Althousser, L., op. cit., pp. 315-328). 38 Althusser, L., op.cit., référence à: Théodoropoulou. E. «I would prefer not to (;) La praxis, quand elle s’approfondit brusquement. Introduction», dans: Théodoropoulou, E., (coord. Introd. trad.), Philosophie de l’Éducation: Aspects de la praxis, Athènes: Pedio, pp. 21-67 [en grec]. 39 Balibar, E., et Macherey, M., «Interview», Diacritics, l2 : l, 1982.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

8

l’histoire et n’étant pas perçue comme théorie des

pratiques théoriques dans le sens d’un cadre concevant la

totalité des relations, peut être suffisamment réflexive,

critique, contestatrice et interventionniste pour explorer

ses relations avec tous les autres éléments, ainsi que les

conditions propres de sa faisabilité40. Cette théorie sait

que l’histoire échappera toujours à sa conceptualisation et

qu’il existe un au-delà qui lui est extérieur et qui restera

inconcevable, un reste qui demeurera au-delà de toute

théorisation41.

Or, deux questions se posent: à quoi correspond ce sens de

la praxis? Et comment ce sens fera-t-il pour ne pas

correspondre à la décadence de la Raison [Logos], soit

comme déchéance du discours pratique qui se réduit à une

Raison utilitaire42, soit comme comportement rationaliste?

C’est alors que la praxis fait signe vers l’idée d’un

accomplissement non accompli et incomplet à la manière

d’un acte théâtral ainsi que vers l’idée d’un mode de

compréhension complexe, compréhensif, intentionnel et

improvisateur, systématique et à plusieurs sens, qui

déploie ses branches vers l’horizon d’un entendement

courageux du monde au-delà du produit, du résultat. La

liaison de la philosophie de l’éducation avec le praxique

signifierait d’une part la volonté d’introduire une réflexion

40 Smith, S., B., op.cit. Pour l’acte en tant que notion-catalyseur inhérente aussi bien à la théorie qu’à la praxis, cf. «Les intellectuels et le pouvoir», entretien de Deleuze, G., avec Foucault, M., (4 mars 1972, L’Arc, No 49), dans: Deleuze, G., L’Île déserte. Textes et entretiens 1953-1974, Paris: Les Éditions de Minuit, 2002, pp. 288-298. 41 Le «reste» qui gît derrière chaque système qui ne le saisit pas en l’ignorant (Lefebvre, H., La somme et le reste, op.cit.; Muller-Scholl, U., Le système et le reste. La théorie critique d’Henri Lefebvre, Paris: Anthropos, 1999). 42 «Dans ce sens, la Raison est aussi indispensable dans la technique moderne de la guerre qu’elle l’a toujours été dans le domaine des affaires. Ses traits peuvent se résumer à l’adaptation optimale des moyens à la fin et à sa considération comme une entreprise de conservation d’énergie. C’est un instrument pragmatique, froid et sobre, orienté vers l’opportunité», Horkheimer, Μ., «Zur Kritik der instrumentellen Vernunft», conférences de 1946, rééditées in Zur Kritik der instrumentellen Vernunft, Francfort: Fischer, 1985, pp. 11-174.

approfondie relativement à la pratique dans l’éducation

(nuançant ainsi les assomptions gratuites) et d’autre part le

souci de montrer que la philosophie de l’éducation elle-

même peut être connectée avec la réalité praxique (et

souvent pratique).

Saisir l’éthique professionnelle: lieu glissant et appui

«It is not too much to say that an educational

philosophy which professes to be based on the idea of

freedom may become as dogmatic as ever was the

traditional education which is reacted against. For any

theory and set of practices is dogmatic which is not

based upon critical examination of its own underlying

principles»43.

La saisie de l’éthique professionnelle comme un espace

par excellence de recherche et de réflexion tolère

difficilement la dissolution prématurée -voire inéluctable-

des problèmes plutôt que leur conception et discussion

sous la catégorie esthético-éthique de l’inachevé, qui pour

autant n’arrive pas à occulter ou réfuter le désir ou la

tension d’achèvement44. C'est ainsi que se révèle à la fois

la conflictualité, l'ambiguïté, l'indissolubilité des

problèmes ainsi que le besoin d'un certain arrangement,

d'une synthèse, d'un dépassement de la négativité et de

l'imminence que la question éthique crée. En fait,

l’éducateur/trice oscille entre une double résistance: à

l’égard de l'intransigeance de la question (essayant de la

trancher selon des règles et des principes clairs tout prêts

et ainsi évitant le risque éventuel de transgression) et à

l’égard de la précarité des solutions absolues qui met à

l’épreuve sa sensibilité morale. Il s’agit également d’une

43 Dewey, J., Experience and Education, USA: The Kappa Delta Pu Lecture Series, A touchstone Book, 1938, pp. 10-11. 44 v. les trois figures de la non-totalité dans l’art: la détotalisation, le fragment et l’inachevé; les trois modalités de l’inachevé: l’intotalisation, le non-finito et l’esquisse (Gondin, Ch., La totalité, Vol. 4: La totalité réalisée. Les arts et la littérature, Paris: Champ Vallon, 2004, pp. 102-152).

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

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double résistance contre et pour l’universalisation, la

naturalisation des trais particuliers de l’instance éthique.

C’est ainsi que le lieu de l’éthique professionnelle se situe

désormais dans une ouverture persistante ou une

incapacité de fermeture qui ne le choque pas mais

l’interpelle. Or, demeurer et agir au sein de ce lieu,

nécessite le développement d’une volonté consciente par

rapport aux raisons et aux conséquences d’un tel choix qui

se renouvelle toujours accompagné par la paradoxalité: en

effet, c’est un lieu d’où on guette (et on s’affronte avec) le

paradoxe les yeux ouverts45. Le «double devoir» selon

Derrida (en fonction du concept de responsabilité devant

le spectre de la différentialité multiple), de réfléchir, parler

et agir dans des situations aporétiques sous des impératifs

doubles contradictoires46 concerne justement la nécessité

45 Encore davantage si, comme Βutler le remarque, il y a une relation entre les modes de formation de soi et le pouvoir qui ne s’impose pas extérieurement mais qui prend une forme psychique: «The subject might yet be thought as deriving its agency from precisely the power it opposes, as awkwardand embarrassing as such a formulation might be, especially for those who believe that complicity and ambivalence could be rooted out once and for all. If the subject is neither fully determined by power nor fully determining of power (but significantly and partially both), the subject exceeds the logic of non contradiction, is an excrescence of logic, as it were. To claim that the subject exceeds either/or is not to claim that it lives in some free zone of its own making. Exceeding is not escaping, and the subject exceeds precisely that to which it is bound. In this sense, the subject cannot quell the ambivalence by which its constituted», Butler J., The Psychic Life of Power Theories in Subjection, California: Stanford University Press, 1997, pp.17-8). 46 Derrida, J., The Other Heading, Bloomington: Indiana University Press, 1992, pp. 77-80. Egea-Kuehne, D,«Neutrality in Education And Derrida’s Call for “Double Duty’’», Philosophy of Education, 154-163/ (http://ojs.ed.uiuc.edu/index.php/pes/article/view/2257/952). Cf. le sophisme Soit/Soit [Either-Or] auquel succombent les théories éducatives selon Dewey: la philosophie de l’éducation n’est pas supposée ni de devoir tracer une voie intermédiaire entre écoles de pensée opposées, ni de construire une nouvelle théorie par combiner éclectiquement des éléments tirés de toutes les écoles en vue de court-circuiter le défi du choix. Il ne s’agit pas d’accepter théoriquement ce qu’il n’est pas acceptable en pratique: en fait la conception de la réalité en termes d’opposés extrêmes (Soit/Soit [Either-Or]), n’est pas tolérable au niveau de la pratique, puisque les circonstances obligent à des compromis (Dewey, J., op.cit., p. 10; Théodoropoulou, E., «Antinomie, problématisation et philosophie de l’éducation», Recherches en éducation, n° 6, 2008, pp. 122-131 [http ://www.cren-nantes.net]).

de la tolérance et du respect à l'égard des différences,

idiomes, minorités, singularités mais aussi à l’égard de

l’universalité de la loi formelle, du désir pour l’accord et

l’unanimité. Dans ce sens, l’instant de la décision lutte

contre l’emphase de la souveraineté47.

La question réapparaît donc itérativement pour ainsi

amorcer le parcours de l’éthique professionnelle:

Qu’est-ce qui pousse un sujet vivant et agissant au sein

d’environnements éducatifs compliqués d’entrer, vivre et

agir volontairement et constamment, dans le

spatiotemporel d’une éthique professionnelle? Ce qui est

plus, de subir les secousses, les glissements, les impasses

qu’une telle entrée suppose?

Or, il s’agit d’un instant crucial pour la compréhension de

ce qui fait de l’éthique professionnelle un espace réflexif

permettant, paradoxalement, l’effet d’une double

paralysie de la pensée:

«[…] inhérente au fait de s’arrêter pour penser, à

l’interruption de toutes les autres activités, et elle peut

avoir un effet paralysant quand vous en sortez et que vous

n’êtes plus sûrs de ce qui vous semblait indubitable, alors

que vous étiez sans y penser engagés dans ce que vous

faisiez. Si votre action consistait à appliquer des règles

générales de conduite à des cas particuliers tels qu’il se

produisent dans la vie ordinaire, alors vous vous

retrouverez paralysés parce qu’aucune de ces règles ne

résistera au vent de la pensée»48.

La proposition d’une «philosophie située»49 intégrée à

chaque fois dans le contexte précis d’une situation,

47 Derrida, J., The Politics of Friendship, London & New York: Verso, 1994/2005. 48 Arendt, H., Responsabilité et jugement, op.cit., p.201.

49 «situated philosophy»: Βurbules, N., C., «The dilemma of Philosophy of Education: “relevance”or critique? Part two», Educational Theory, n. 3, vol. 52, 2002, pp. 349-357. Βurbules, N., C., Knight- Abowitz, K., «A situated philosophy of education», Philosophy of Education, 2008, pp. 268-276.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

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engagée en quelque sorte dans une constellation des

présupposés théoriques et pratiques, placée dans le temps

et l’espace, est liée à un travail de philosophe qui

s’implique sur le terrain. Contrairement à une conception

utilitariste qui voulait voir l'éthique professionnelle agir de

l'extérieur, telle un code déontologique, sur la vie des

agents -ce qui ferait de la formation des enseignants

presque un dressage- en fournissant un arsenal de

solutions tranchant ou plutôt court-circuitant les conflits à

travers un usage standardisé et modélisé des lois, codes,

décrets et axiomes moraux, la philosophie voudrait mettre

systématiquement au clair les tensions, les contradictions

et les paradoxes. Cette position éviterait l’hyper-

normalisation, simplification et compartimentalisation de

l’acte éducatif évacuée ainsi de sa con/ré-sistance éthique,

tandis que l'éthique professionnelle, s’engagerait à la

recherche des émergences, des saisies, des croisements

théoriques et pratiques influençant décisivement le

parcours des sujets au sein des institutions.

Faire de la philosophie introduit une insistance praxique

comme insistance n’énonçant pas une déviation mais une

intensification de la philosophie, une suggestion auto-

poétique comprenant le besoin hétérologique. Cependant,

elle explique surtout la réapparition de la dimension

pratique en tant que catégorie éthique et, à la fois, en tant

que suggestion philosophique.

La philosophie de l’éducation, à travers la systématisation

du travail critique50, peut soutenir l’éthique professionnelle

50 Le motif critique est devenu l’intérêt principal de la philosophie moderne, à partir du moment où il a fallu que cette dernière renonce à son exigence d’une forme de connaissance plus élevée du monde naturel en échappant à ses visions idéalistes s’investissant dans une synthèse finale de l’esprit et du monde, synthèse assumée par l’éducation même (Βiesta, G., «How can Philosophy of Education be critical? How critical philosophy of education can be? Deconstructive reflections on children rights», dans: Heyting, F., Lenzen, D., White J., Methods in Philosophy of Education, London & New York: Routledge, 2008, pp. 125-143). Tout de même, dans l’extase d’une conception différentielle de la réalité, la déstructuration derridienne introduit la suspicion: nous ne pouvons jamais opérer une rupture totale, nous ne pouvons jamais sortir de la tradition qui nous a nourris – ainsi, l’action

dans son effort d’organiser des espaces où la personne est

en mesure d’émerger librement et de survivre, en résistant

aux normativisations multiples, afin de mettre au clair de

nouvelles formes de subjectivations? et d’émancipation

capables de traverser les antinomies et contradictions

scandant l’acte éducatif. Si l’espace éducatif est

fondamentalement traversé par l’inquiétude éthique (ou

inversement si l’inquiétude éthique définit l’espace

éducatif) ainsi que par l’impact fort des facteurs

d’hétéronomie et de dépersonnalisation, l’éthique

professionnelle ne serait plus aisément satisfaite par sa

limitation à l’ordre réglementaire et administratif pour

l’arrangement des problèmes spécifiques locaux. Résistant

aux dérives solutionnistes, elle ne considérerait pas, dans

une prétention austère d’efficacité ou selon une stratégie

minutieuse d’application de théories et de principes

moraux sur des cas particuliers, que la nécessité de

solution conformément à un corps de codes préalablement

fixés est indépassable. Ainsi, elle éviterait sa

transformation progressive en un cheval de Troie pour

l’application verticale des approches juridico-pénales. Dans

cette chôra par excellence dilemmatique de l’éthique et

contre les simplifications dualistes ou manichéistes,

généralistes et déductives51, la dimension de la profession

crée ses propres tensions, antinomies et paradoxes – mais

également, dans l’espace collectif, fermé et mesuré de la

profession, l’éthique crée une ouverture et évoque une

compréhension approfondie du professionnel à travers une

réappropriation toujours amorçant de l’éthique lui-même.

déstructurant «est une ouverture vers l’avènement (l’invention) non vu(e) de l’autre» (Caputo, J., D.,(ed.), Deconstruction is a Nutshell. A Conversation with Jacques Derrida, New York: Fordham University Press, 1997, p. 47, référence à: Βiesta, G., «From Critique to Deconstruction: Derrida as a critical philosopher», dans: Peters, M., A., Biesta, G., Derrida, J., Deconstruction and the Politics of Pedagogy, New York: Peter Lang, 2009, pp. 81-96). 51 v. Macintyre, A., «Does Applied Ethics Rest on a Mistake?», The Monist , 67:4 , 1984, pp. 499-512.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

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C'est dans ce sens que l’éthique professionnelle peut

constituer une instance réflexive et critique engagée à la

recherche, un topos mouvementé pour des émergences,

des saisies, des croisements théoriques et pratiques avec

une consonance dramatique sur les sujets et leur histoire

dans les institutions 52 . Or, elle doit faire face à des

mécanismes, des «machines» ou des dispositifs

pédagogiques (vus comme des «agencements comportant

à chaque fois, un énoncé de base, métaphysique ou

anthropologique, des énoncés descriptifs, des principes

pédagogiques concernant les ressorts éducatifs, chaque

chaîne renvoyant à une sorte de machine symbolique qui

les explique superlativement» 53). Et cela au fur et à mesure

que la philosophie se place d’une manière ambivalente à

l’égard du sens commun54. Soit en adoptant une attitude

critique à l’égard de lui, désormais vu comme étranger à la

pensée philosophique (suivant la tradition platonico-

52 v. Théodoropoulou E., Carvalho A., D., «Coups d’ambivalence: quelles résistances pour une éthique professionnelle en éducation?», dans: Kassimati K., Argyriou M., (coord.), Tendances Internationales et Européennes en Education: Leurs influences sur le Système Educatif Grec., (Τome Β), Αthènes: ΑSPΑΙΤΕ – ΕΕΜΑPE, e book: 978-618-81528-7-8, 2014, pp. 13-24. 53 v.Fabre, M., «Le dispositif d’Émile comme analyseur pédagogique», dans: Drouin-Hans, A.,-M., et al., L’Émile de Rousseau: regards d’aujourd’hui, Cerisy: Hermann, 2013, pp. 169-182. La conception foucaldienne de la notion de mécanisme en distingue trois caractéristiques: 1. elle constitue «un réseau d’éléments hétérogènes comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des pratiques», 2. elle permet «un jeu de concrétisation et d’abstraction», et 3. elle est liée au concept de fait: le repérage dans un ouvrage philosophique ou pédagogique des éléments le constituant comme machine pédagogique, nous permet de comprendre en quoi cette pensée que nous tentons de cerner «fait événement, en quoi elle instaure des agencements pédagogiques nouveaux» (Foucault M., Dits et écrits. Volume II (1970-1975), Paris: Gallimard, 1994, référence à: Fabre, M., «Le dispositif d’Émile comme analyseur pédagogique», dans: Drouin-Hans, A.,-M., et al., L’Émile de Rousseau: regards d’aujourd’hui, Cerisy: Hermann, 2013). 54 v. la remarque kantienne concernant le caractère ambivalent de Gemeinsinn: Kant, I., Critique of Judgment, London: Macmillan, 1914: si la possession du sens commun est un grand cadeau de la nature, cela pour autant devrait être prouvé à travers la réflexion et la raisonnabilité et non pas à travers la réduction à des axiomes sans preuve (Kant, Ι., Prolegomena. Metaphysical Foundations of Natural Science, London: G. Bell & Sons, 5, 1983).

hégélienne55) soit par reconnaissant son lien fondamental

avec la philosophie (dans une tradition aristotélicienne), la

pensée philosophique, à la fois orthodoxe et hérétique, se

place en deçà et au-delà du sens commun56.

Ainsi, deux séries d'éléments s’entrecroisent semble-t-il en

formant l'espace de l'éthique professionnelle. D'une part,

la priorité mise sur une certaine adaptation aux données de

la réalité éducative et sociale et aux discours officiels, la

reconnaissance de la professionnalité et de la

professionnalisation en principe à travers les règles et les

normes dans le sens d’une régulation (sur la base des

codes régissant la vie institutionnelle -du code civile au

code déontologique- et de la logique réglementaire et

disciplinaire régissant la vie professionnelle éducative)57, la

rationalisation des désirs, l'invocation de l'opposition

fondamentale entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, la

prévention des crises dans l'urgence, la formation d’une

raison pratique qui concilie les dispositions et les morales

différentes (personnelle, familiale, religieuse) avec

l'élément de la règle58, l'emphase à la responsabilité

collective. D'autre part, des objectifs et des actes liés à

l'observation méticuleuse, l'engagement à l’autonomie et

la confiance, l’auto- régulation, le perfectionnement

continu, la prise en compte des valeurs diverses, croyances

et coutumes des sujets participant à l’enjeu éthique, la

clarification et la délibération, la distanciation par rapport

55 Selon La Boétie (La Boétie É., Discours de la servitude volontaire ou contr’un. Manuscrit de Mesme, Paris: Éditions Payot, 1549/2002), la première cause de la servitude volontaire est l’habitude renforçant la propension à la stabilité que l’inertie crée –désormais on croit que la situation de la servitude n’est que naturelle. 56 v. Théodoropoulou, E., «Le secret de Celia Copplestone ou comment (ne pas) sortir de la solitude», dans: Carvalho, A., D., Solidao nos liminares de pessoa e da solidariedade. Edicoes Afrontamento, chap. 8, 2012 pp. 77-91. 57 Jutras, F., Desaulniers M.,-P., L'éthique professionnelle en enseignement, Québec: PUQ, 2006. 58 Ibid. Cf. Durkheim, E., «Introduction à la morale», Revue philosophique, 89, 1920, pp. 81-97.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

12

aux nécessités combinées de la réalité et des codes,

l’exigence de la vérité, les pratiques diverses des formes

discursives et dialogiques. L'éthique professionnelle serait

ainsi un lieu de travail intense sur des exigences doubles

par rapport à une compréhension de l'éthique qui ne

saurait détruire la force problématologique, la singularité

de l’équilibre entre le doute et l’utopie, l’obligation, le

devoir, le droit et le pouvoir, encore davantage si l’œuvre

de l’éducation est scindée entre un travail d’adaptation et

d’intégration à une société donnée et la conquête

d’autonomie et, subséquemment, le développement de

l’esprit critique59. Le paradoxe toutefois de l’éthique réside

dans le fait, qu’une fois vue comme révélation et défense

du multiple et du relationnel, elle ne peut que se répéter

avec difficulté comme vérification de critères et choix

d’énergies, représentant ainsi l’instant donné d’un sens

complet, cohérent et unique, surtout si l'éducation porte

en elle le défi de l’autorité60.

L’approche philosophique semble être une manière de

regarder en face l’incontournable, l’interminable, de le

penser, ce qui signifie d’accepter le risque et l’ironie de

vivre humainement (au sein des institutions), de résister et

persister à l’angoisse éthique tout en acceptant

l’impensable, ce qui à la fois appelle et empêche la pensée.

C’est ainsi que, de ce point de vue, les enseignant/es sont

invoqué/es de faire face à la formation de leur propre soi au

sein de l’altérité plurielle, au fur et à mesure qu’ils

prennent constamment et dramatiquement conscience de

la singularité de leur position -professionnelle et

personnelle- comme un entrecroisement intensif des

éthicités prêtes à éclater. Or, l’éthique professionnelle en

éducation, réticente à être court-circuitée, ne pourrait que

59 Ardoino, J., Éducation et Politique, Paris: Anthropos, 1999, pp. 319-20. 60 Partout des discours d’arrogance, des voix «autorisées», le pouvoir inséré «dans les mécanismes les plus fins de l’échange social»: «Mon nom est légion» (Barthes, R., Leçon: leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France: prononcée le 7 janvier 1977, Paris: Le Seuil, 1978, pp. 10-11).

devenir un relais, un sol toujours glissant qui

progressivement constitue pour les sujets un appui au fur

et à mesure qu’ils apprennent et désapprennent à trouver

la manière de l’utiliser comme tel, pour trouver un angle

moral.

Mais la philosophie n’est pas donnée: le droit du

philosophe le veut par essence dédié au questionnement

pour sa nature et à sa réinvention continuelle 61 : les

conséquences pratiques extraordinaires de cette

acception 62 se relient avec le fait que pour que la

philosophie soit «philosophiquement correcte» ne peut

que bouleverser et refuser l’ordre établi, tandis que d’autre

part, pour qu’elle soit «pratiquement viable»63, ne peut

qu’élaborer une restitution ou une sacralisation des sens et

usages (car la philosophie elle-même est l’autre chemin64).

Cette manière double et ambivalente d’agir explique tant la

violence que la sensibilité de la philosophie, mais surtout sa

vulnérabilité. Or il s’agit toujours d’une redéfinition

continuelle du théorique et du pratique, de la

reconnaissance de la rationalité elle-même en tant qu’un

lieu double. Un lieu qui, à la fois, engourdit et mobilise la

pensée, contenant l’irrationnel, lieu aporétique

permettant le déplacement de la pensée creusant les

61 Seulement une philosophie de l'éducation critique pourrait exiger la défense de l'enseignement de la philosophie (Derrida, J., Du droit à la philosophie, Tom. 1, Paris: Galilée, 1991, pp. 44-45). 62 Derrida, J., Le droit à la philosophie du point de vue cosmopolitique, France: Éditions Unesco-Verdier, 1997, p.16. 63 Bredo, E., op.cit. 64 Derrida, J., «Globalization, Peace, and Cosmopolitanism», dans: Derrida, J., Negotiations, Stanford: Stanford University Press, 2002, p. 337. Ce qui est plus, la philosophie ne doit pas être enseignée mais aussi être contestée inlassablement, contestation qui doit constituer un effort laborieux de la part de la philosophie, ibid., p. 331, référence à: Egea-Kuehne, D., «The Gordian Knot: Education in A “time out of joint’’», dans: Théodoropoulou, E., (trad., coord., introd), Philosophie de l’éducation: aspects de la praxis, Athènes: Pedio, 2014, pp. 121-136.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

13

entrailles de la rationalité65. Si pour Lyotard l’achèvement

du sens ne peut pas être compris comme une sorte de

pensée, c’est parce que d’une part la parole est

philosophique non pas pour répondre avec des mots à la

question érigée par le désir, mais parce qu’elle reconnaît

qu’elle est déjà envahie66 et d’autre part, parce que le

dialogique qui se meut en vagues, met au clair cette

tension du manque 67 qui torture le soi. En fait cette

caractéristique porte la parrhesia foucaldienne vers

l’espace étrange de l’éthique professionnelle, chaque fois

qu’elle tend à s’immobiliser dans une moralisation de

l’éthique.

Οn aurait volontiers tendance –étrangement surtout dans

l’éducation- à identifier la réflexion éthique à la nécessité

d’une efficacité basée sur le pouvoir de prescription, sur la

possibilité de fabriquer à court terme (voire outiller) des

actes efficaces, individuels et collectifs, qui en plus

pourraient certifier aux agents que ces actes n’entraînent

pas une certaine responsabilité endommageant leur statut

professionnel. Ces actes ne laisseraient pas de résidu

portant le risque d’un relancement du débat éthique et

révélant en plus l’incomplétude et la faillibilité éthique de

l’acte et, finalement, laisserait de nouveau l’individu ou le

collectif exposés à l’égard du risque d’une faille éthique.

Or, le menace d’une innocuité éthique impossible des actes

au sein des situations éducatives est le croque-mitaine qui

permet à l’éthique professionnelle en éducation (oui

plutôt exige d’elle) de glisser vers le prescriptif. Pourtant

un retour du doute, une fissure dévoilée ranime la

réflexion, ouvre de nouveau l’affaire éthique, mène l’affaire

éthique à une nouvelle clairière qui serait justement

l’espace réflexif de l’éthique professionnelle. Si c’est le cas,

65 Les formes de la rationalité s’ésquissent dans la folie de l’aporétique (Derrida, J., Memoires for Paul de Man, New York: Columbia University Press, 1986). 66 Lyotard, J.,-F., Why philosophize?, U.K.: Polity Press, 2013. 67 Ibid.

on pourrait penser à une éthique professionnelle renversée

n’étant plus définitivement restreinte au niveau du

prescriptif, aveugle à ses failles, tout en ayant pourtant

conscience des enjeux de l’institutionnalisation.

«Si on considère la pédagogie comme une hésitation

prolongée entre le sens et le sens (ou le sens et le «non-

sens»), il devient nécessaire de cesser d’occulter les

difficultés réelles des enjeux politiques de l’éducation et

de l’échec inéluctable de la pédagogie. Car justement ce

sont des enjeux parcourus par des paradoxes de sens qui

émergent de la conflictualité entre le sens et le non-sens

soit comme absence de sens, soit comme excès de sens68.

La prolifération des sens accomplit le renversement du

platonisme et pervertit les totalisations, un renversement

qui constitue un défi majeur pour l’éthique professionnelle

des enseignants et des enseignantes. Un mouvement de

dilemmatisation, réhabilitant et radicalisant les dilemmes

ne saura considérer les contradictions comme des

épiphénomènes qui doivent être bel et bien et vite

dépassés, au gré d’une exigence de réconciliation avec

une réalité désormais maîtrisée, ni comme des blocages

paralysant le rapport avec l'expérience personnelle ou re-

produisant des litiges. Il s’agirait plutôt d’un mouvement

permettant la mise au clair des différends, la

confrontation audacieuse avec l'ambivalence et les limites

du sens commun. Une théorie pratique du dilemme et une

formation éthique saisie par le dilemme s'organisent

comme une approche en spirale, analytico-synthétique et

progressive-régressive 69 approfondissant le regard

herméneutique. C’est ainsi que le dilemme éthique

devient la nervure d'une éthique professionnelle vigilante,

située, qui ne contourne pas les risques et les échecs de la

réflexion au sein des actes difficiles, complexes, même

impossibles. D’où son intérêt philosophique et sa place

dans une philosophie de l’éducation qui ne déserte pas la

68 v. Daignault, J., Pour une esthétique de la pédagogie, Victoriaville: NHP, 1985. 69 Sartre, J.,-P., Questions de méthode, Paris: Gallimard, 1986. Foucault, M., Le gouvernement de soi et des autres I / Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres I, Paris: Gallimard-Seuil, 2009.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

14

praxis éducative, mais l’habite intensément en y créant

des espaces réflexifs comme lieux de parrêsia»70.

Peut-être, on ne saurait développer un discours sur

l’éthique professionnelle en dehors du rejet schillérien

entre le désir objectif de la société d’imposer un sens à

l’éducation de l’homme et l’arrogance subjective de

l’individu voulant le construire par lui-même. Peut-être non

pas aussi en dehors de la conception kantienne de la

pédagogie sur la base des pôles de l’ «humanité» et de la

«barbarie». Ou en dehors du constat nietzschéen que la

barbarie moderne détruit de l’intérieur, à travers

l’éducation, les formes supérieures de l’humanité. Ces trois

pistes de réflexion, retenues par Mattéi, annotées par le

doute rousseauiste par rapport à notre possibilité réelle de

créer tant un homme qu’un citoyen complet, concluent à la

remarque que la skolè représente la médiation de la

pensée entre les besoins du temps et les exigences de

l’éternité (dans un élan cicéronien). La skolè, dit Mattéï, ne

peut pas éviter la médiation entre la praxis et le savoir, la

science et la politique qui veulent ainsi devenir un objet de

pensée. Le refus de la pensée permet la naissance d’une

barbarie inguérissable71, et par cette remarque, on rejoint

la mélancolie perspicace arendtienne72.

Mattéï met en filigrane la puissance du soudainement (de

l’εξαίφνης platonicien) qui représente le jaillissement de la

pensée entre l’obscurité et la lumière – c’est ainsi que la

70 Théodoropoulou, E., Carvalho. A.. D., «La limite et le seuil: de la dilemmatisation comme défi pour la formation éthique en éducation», dans: Gohier, C., et Jutras, F., (dir.), Les Dossiers du GREE Série 3. No 2. Questions d’éthique et de formation en éducation et en santé, Questions d’éthique et de formation en éducation et en santé: transversalités et spécificités, pp. 64-79. 71 Mattei, J.,-F., La barbarie intérieure. Essai sur l’immonoé moderne, Paris: PUF, 1999. 72 «[…] À une époque lassée par la théorie», est-ce que la philosophie, en perdant sa force critique, «ne laisse plus de traces sur la vie», la réalité étant une chose et la philosophie étant «désespérément une autre chose?, Slöterdijk, P., Critique de la raison cynique, Paris: Bourgois éditeur, 1987, p. 13, référence à: Théodoropoulou E., «Entre la théorie et la pratique, la place du Tact: notes pour une formation de soi-même», Télémaque, Presses Universitaires de Caen, Νο 49, 2016 pp. 99-110.

paideia n’est pas la conception du savoir mais l’irruption du

sens et à la fois de son doute. Il serait un déni de l’éthique

et une crise du sens éducatif de supposer que l’éthique

professionnelle pourrait d’emblée passer sous silence, à

force d’insistance au professionnel, la force de ce

jaillissement.

Finalement, l’éthique professionnelle pourrait par

surenchérissant sur la régulation, être un lieu où la nausée

roquentinienne serait exempte ou, plus que cela, la

mélancolie aristotélicienne ou le tragique nietzschéen ou

tout court le tragique? Ou, inversement, si elle pourrait

être un tel lieu, ne serait-elle le lieu d’une exception au

ras ?[bord] de l’institutionnalisation, un enjeu pour

l’institution, un défi pour sοn auto-abolition? Or, elle

devrait tolérer, au sein du collectif et par le collectif, les

dangers qu’une approche philosophique crée. Dans ce

sens, l’éthique professionnelle devient également un défi

politique pour l’éducation, au fur et à mesure qu’elle ne

recule pas facilement devant les engagements obsessifs

que l’éducation porte en elle-même. En fait, une éthique

professionnelle qui entrerait par la brèche, se tiendrait sur

la brèche, sensible au détail qui fuit, méfiante des

certitudes prématurées facilement et raisonnablement

partagées, tolérante à l’irrationnel. Probablement ici, le

professionnel serait pour l’éthique un gouffre, un de ses

défis ultimes en éducation.

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

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Elena Théodoropoulou [email protected] http://sae.aegean.gr/eltheod/ http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff/default.aspx http://rephedenprax.blogspot.gr Professeure de première classe en Philosophie de l’Education et

spécialisation en Philosophie Pratique à l’Université d’Egée. Elle a

fait ses études en Grèce et en France (Département de

Philosophie de l’Ecole Philosophique de l’Université Nationale et

Capodistrienne d’Athènes, Université François Rabelais de Tours,

Université René Descartes de Poitiers).

Professeure invitée: Université de Paris 8 de Vincennes à Saint-

Denis UFR SEPF, Université de Rouen, Laboratoire CiViiC - Master

Européen de Recherche en Sciences de l’Education (Merse),

IF/GFE Université de Porto, Institut de Philosophie de l’Université

de Porto, Escola Superior de Educação Paula Frassinetti-Portugal,

Université Catholique de l’Ouest, Universidade do Estado do Rio

de Janeiro, Instituto Superior de Ciencias de la Educacion del

Estado del Mexico-Mexico, University of Haifa/Dep. of Learning,

Instruction & Teacher Education, Faculty of Education Israel,

Université de Sherbrooke/ Faculté de médecine et des sciences de

la santé-Département de psychiatrie.

Μembre des équipes de recherche dans le cadre de

collaborations européennes et internationales, membre

fondateur de la Société Francophone de Philosophie de

l’Education (Sofphied), chercheure étrangère à FCT (Fundação

para a Ciência e a Tecnologia- Ministério da Ciência, Tecnologia e

ensino superior) et à National Foundation of Research of Brazil

(CNPq - Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e

Tecnológico), membre fondateur de l’« Association francophone

internationale d'éthique de la relation d'aide et de la santé

mentale » (Afierasm) et membre du comité scientifique de la

Chaire Unesco «Pratiques de philosophie avec les enfants: une

base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation

sociale ». Fondatrice et coordinatrice du réseau international

Re.Phed.en.Prax. («Réseau de Philosophie de l’Education en

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

19

Praxis»,http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?Language=FR&R

eadArticle=2 &https://rephedenprax.blogspot.com/)

Directrice du «Laboratoire de Recherche sur la Philosophie

Pratique et Appliquée» (L.R.Ph.P.A) de l’Université d’Egée, elle

mène ses recherches sur la philosophie pratique et ses formes

polytropiques (v. p.x. les projets «Objets Philosophiques» et

«Soma/eBody», http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?

Language=FR&ReadArticle=6 &

http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?Language=

FR&ReadArticle=169) ainsi que sur l’éthique de l’éducation et ses

formes appliquées. Chercheuse internationale associée

(http://www.llcp.univ-paris8.fr/spip.php) au «Laboratoire

d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la

philosophie» (LLCP / Statut /Code : EA 4008, Université Paris 8,

Vincennes-Saint-Denis http://www.llcp.univ-paris8.fr/spip.phpp).

Directrice d’une série de volumes collectifs avec participation

internationale sur la philosophie de l’éducation, elle a introduit en

Grèce le dialogue concernant la philosophie avec les enfants et la

réflexion sur l’éthique professionnelle à travers la recherche

philosophique et elle a organisé plusieurs conférences et

colloques ainsi que nombreux ateliers internationaux. En 27 à 29

Avril 2018, elle a organisé la 1ère Biennale en Philosophie

Pratique, «Philosophie en praxis. Le geste philosophique:

engagements politiques, éthiques, éducatifs, artistiques»

(http://practphil-biennale.aegean.gr/). Elle a publié en grec,

français, espagnol, anglais.

Full Professor of Philosophy of Education at the University of the

Aegean. She has studied Philosophy in Greece and France

(National and Kapodistrian University of Athens & Universities

François Rabelais / Tours, René Descartes / Poitiers).

She has been visiting or invites professor to: Université Paris 8 /

Vincennes-St Denis and Université de Rouen Laboratoire CiViiC -

Master Européen de Recherche en Sciences de l'Education

(Merse) & invited professor at the Universidad do Porto, Escola

Superior de Educação Paula Frassinetti-Portugal, Université

Catholique de l'Ouest; Universidade do Estado do Rio de Janeiro, -

Brezil/ Instituto Superior de Ciencias de la Educacion del Estado

del Mexico-Mexico, University of Haifa/Dep. of Learning,

Instruction & Teacher Education, Faculty of Education Israel,

University of Sherbrooke/ Faculty of medicine et of health

sciences -Department of psychiatry.

Member of research groups in the frame of European and

international collaborations, founding member of Sofphied /

Francophone Society of Philosophy of Education), registered as a

foreign researcher to FCT (Fundação para a Ciência ea Tecnologia-

Ministério da Ciência, Tecnologia e ensino superior) of Portugal

and to National Foundation of Research of Brazil (CNPq -

Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico),

founder member of the «Association francophone internationale

d'éthique de la relation d'aide et de la santé mentale» (Afierasm)

and member of the Scientific Committee of the Unesco Chair

«Practices of philosophy with children: an educational basis for

the intercultural dialogue & the social transformation». Founder &

coordinator of the international network «Philosophy of

Education in Praxis» (NePhEdinPrax,

http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?Language=EN&ReadArti

cle=2 & https:// rephedenprax.blogspot.com/), she conducts

research in the fields of practical philosophy and its polytropic

forms and of ethics of education & its applied forms.

Director of the Laboratory «Research on Practical and Applied

Philosophy» (L.R.P.A.Ph.) of University of the Aegean, she

conducts researches in the field of practical philosophy in its

polytropic forms (s. the projects, «Philosophical Objects» &

«Soma/eBody»,

http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?Language=EN&ReadArti

cle=6 & http://www.pse.aegean.gr/labs/eerpreff?

Language=EN&ReadArticle=173) and in the field of ethics in

education & its applied forms. International associated researcher

(http://www.llcp.univ-paris8.fr/spip.php) at the «Laboratory of

studies & researches on the contemporary logics of philosophy»

(LLCP/Statut/Code: EA 4008, Université Paris 8, Vincennes-Saint-

Denis http://www.llcp.univ-paris8.fr/spip.phpp).

Editor of a series of collective volumes with international

participation on philosophy of education & on philosophy and

children, she has introduced in Greece the subject of philosophy

with children & of professional ethics through philosophical

research. She has organized international conferences,

symposiums and numerous workshops on the above fields. In 27-

29 April 2018 she has organized the 1st International Biennale on

Practical Philosophy, «Philosophy in Praxis. The philosophical

Elena Théodoropoulou: Le relais de l’éthique professionnelle en éducation –pente glissante ou point d’appui?

Pour la résistance d’une in-quiétude - l’apport philosophique

20

gesture: political, ethical, educational, artistic engagements»

(http://practphil-biennale.aegean.gr/). Member of the Scientific

Committee and reviewer of international journals, she has

published in Greek, French, Spanish and English.