Le Portrait de La Philosophie Grecque Dans Justin

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BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Vigiliae Christianae. http://www.jstor.org Le portrait de la philosophie grecque dans Justin, "Dialogue" I 4-5 Author(s): J. C. M. Van Winden Source: Vigiliae Christianae, Vol. 31, No. 3 (Sep., 1977), pp. 181-190 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1583131 Accessed: 09-07-2015 17:48 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 147.91.246.195 on Thu, 09 Jul 2015 17:48:46 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Le portrait de la philosophie grecque dans Justin, "Dialogue" I 4-5 Author(s): J. C. M. Van Winden Source: Vigiliae Christianae, Vol. 31, No. 3 (Sep., 1977), pp. 181-190Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/1583131Accessed: 09-07-2015 17:48 UTC

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Vigiliae Christianae 31, 181-190; ? North-HollandPublishing Company 1977

LE PORTRAIT DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE DANS JUSTIN, DIALOGUE I 4-5

PAR

J. C. M. VAN WINDEN

Le dialogue entre le chretien Justin et le Juif Tryphon commence par une discussion sur la philosophie. Le Juif a surpris Justin en disant qu'il avait une haute estime de la philosophie - 6videmment c'est la philosophie grecque qu'il a en vue. Justin demande " Tryphon, comment, en ayant comme maitres Moise et les prophetes, il peut s'attendre a tirer de la philosophie un profit comparable. Tryphon reagit: <<Pourquoi pas? Les philosophes ne parlent-ils pas toujours de Dieu? Ne font-ils pas toujours des recherches sur sa monarchie et sa providence? N'est-ce pas l1 la tache de la philosophie: enqueter sur le divin?>> Tryphon veut dire: la philo- sophie et les livres de Moise et des prophetes ont le m8me objet. Pourquoi donc ne pas studier les philosophes?

Justin repond qu'il est de la meme opinion en ce qui concerne la tache de la philosophie. Mais, dit il, la plupart des philosophes (grecs) ne s'acquittent pas de cette tache. Justin fait suivre alors un portrait de la philosophie grecque, qui doit montrer la justesse de ce reproche.

Ce texte a 6t6 6tudi6 par plusieurs auteurs. Les derniers dix ans ont vu paraitre trois commentaires sur le prologue du dialogue, c'est-a-dire sur les chapitres 1-9. En 1966 M. Hyldahl publia son livre Philosophie und Christentum: Eine Interpretation der Einleitung zum Dialog Justins, Acta Theologica Danica 9, Kopenhagen. Ensuite l'auteur du present article a essaye de donner une explication plus precise du mrme texte (An Early Christian Philosopher. Justin Martyr's Dialogue with Trypho, chapters one to nine. Philosophia Patrum 1, Leiden 1971). Puis R. Joly traita du meme texte dans son livre Christianisme et Philosophie. Etudes sur Justin et les Apologistes grecs du deuxieme siecle, Bruxelles 1973. Enfin J. Ppin a ecrit un article dans les Studia Gerardo Verbeke dicata (Images of Man in Ancient and Medieval Thought, Leuven 1976), consacre t la premiere partie de ce portrait, c'est-8a-dire au Dial. 1,4, sous le titre <<Priere et providence au 2e si6cle >> (p. 111-125).

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Comme en temoignent les etudes mentionnies, ce passage pose un grand nombre de questions. On peut les r6duire, je pense,

" trois questions principales: 1) Quel est le sens du texte? 2) Qui sont les philosophes ou les courants philosophiques envisages par Justin dans ce passage? 3) Justin est-il honnete en tragant un tel portrait de la philosophie grecque? A la troisibme question M. Joly a donne une reponse prononc&e. Selon lui <<l'outrance, I'injustice polkmique de Justin n'est guere douteuse? (p. 18). L'expos6 que donne M. Joly de ce passage a l'air d'une accusation. On doit en examiner la justesse. La deuxieme question se pose speciale- ment sur le paragraphe 4. M. Pepin s'est concentr6 sur ce paragraphe et sa contribution signifie un progres decisif vers la solution des probltmes autour de ce passage. Mais parce qu'il n'6tudie que le paragraphe 4, I'interpretation du texte dans sa totalit6 reste encore ta faire. Voili la fin principale de cette contribution. Mais avant d'entreprendre une telle interpretation, j'avoue volontiers que 1'article de M. Ppin m'a indiqu6 la route.

Commengons par donner le texte grec et une traduction du passage. Celle du paragraphe 4 est de M. Pepin:

(4) Nai, Erlv, o6izo KcaLi f ESig 886o60KCgLV. &X'" oif iRXE ot oU6 toTou nocppov?tiaMCv, CUE s Ci t KD

thiou g 1 90"k0o', Kai Ez, 71povooi0tv flgav i6azou EIzM Kat of0, hg T1ui6v irpbg cb6atigoviav Tig yvI6(seq zazrltg otvzaeo6rrlg. d ahka Kai

fltg a ttXEstpoUot niASEtv yg

Tio tj)iv o6ILntavzot K;ai abw'rv (Tv yT~- v v Kai 6i66v ~6ttcLgXtat kao6;, jo5O 66 Kai i of O6K Et Kiai TOD KXg9

KCTza, t01i O)6' v frlt6bCaSa a)~T40 6it

6grlj vucKTig Kai ftpa . (5) ToS"to 86 6,rt ab'rot ttEo,, 06 XaXerbv auvvoijat. ~86ta ydp Kai EKa uSepia iTx)eat zoST 6o~douont ta?ta, nrotev TE 6it 3po6kovTat Kai X ~ytv, tiL'rlz K6XaCtv pof3oug)votqi [llT dya&6v ~X~tiouoci it EK 8o00. 70g ydp; oi y& dai 'tTablr iaoSYoat XMyovut, Kai c t Eli: a KGa oaK irtaXktv 3Ptis6o att 6jiokog, AiTz KipsfEoovaq Ailz xyipoug yvyov67ag. aXot 8 6TivEg, 6iroa'rrrdltyavot d~dvaovgOV at K i ac- [La'ov T

i Wilv, oi'' KK6V it 6p6oav'vreSg flyo5vrat 0bstyv irlV (dura&q; ydtp 6 "oaC6larov), oirsa, 6Savd6rou aixqf 6Trtapo6TrlJg, 66ov'ai Tt To0 8o ) Mt.

(5) irc'at scripsi secutus Hyldahl: ysctv ai rEaoSat AG (cf. An Early Christian Philosopher, 40-41).

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(4) << Certainement, dis-je, - nous aussi sommes de cet avis. Mais la plupart ne se soucient meme pas de savoir s'il y a un seul ou plusieurs dieux, s'ils exercent leur providence sur chacun de nous ou non, dans la pensee que cette connaissance ne contribue en rien au bonheur; davantage (d&Ad hxai), ils essaient de nous convaincre que Dieu a soin de l'univers et des genres et especes, mais non plus de moi et de toi ni d'aucun etre en particulier, sans quoi nous ne le prierions pas A longueur de nuit et de jour. (5) Il n'est pas difficile a comprendre oii cette th6orie les fait aboutir. Ceux qui professent ces opinions n'auront aucune crainte, ils se sentiront tout a fait libres, ils feront et diront ce qu'ils veulent, puisqu'ils ne craignent aucun chatiment de Dieu et n'en esperent aucun bien. Car qu-l espoir ou quelle crainte auraient-ils? Ils pretendent que les memes choses se passeront toujours et que moi et toi revivrons a nouveau d'une meme faqon, devenus ni meilleurs ni pires. D'autres, se fondant sur le principe que l'ame est immortelle et incorporelle, pensent qu'ils ne seront pas punis de leurs mauvaises actions, puisque l'incorporel ne peut souffrir, et, I'&me 6tant immortelle, ils n'ont besoin d'aucun don de Dieu. >>

I. LE SENS DU TEXTE

Que dit Justin exactement? La difficult6 se manifeste quand on se pose la question: jusqu'd quel point << la plupart >> sont-ils le sujet de ce passage? En d'autres termes: qui sont le sujet de F;'tXetpoiat? qui sont indiques par abzotq, par ot ye? Et les aXot 4 ttvc;g h qui s'opposent-ils?

Quand on se tient au texte des manuscrits, on ne peut guere avoir de doute a l'6gard du verbe intXetpobat. Mais parce que la theorie mentionn6e dans cette phrase semble 8tre incompatible avec celle de la phrase pr6c6dente, Hyldahl et Joly ont propose de lire dkot IKai au lieu de &d Kcai. P6pin est d'accord avec moi qu'une telle correction, d'ailleurs peu satisfaisante pour le style et meme pour le sens ne semble 8tre n6cessaire (p. 112). Le point de vue de Justin, dit-il, ?<est principalement celui du moraliste; or les deux attitudes coincident par leurs consequences pratiques puisque, selon sa propre description, la premiere retire au

probl6me de Dieu toute incidence sur le bonheur humain, et que la seconde exclut de la vie morale la prise en consideration de la recompense ou du chatiment venant de Dieu>> (p. 112-113).

Si la plupart sont le sujet de iArtXctpoct, les deux pronoms abcotr et

oi ye, doivent porter sur le meme sujet. P6pin dit: << h suivre le texte des manuscrits il conserve la meme cible jusqu'a la fin du par. 5, au moment oii "AXXot &

twvcS indique qu'il en vient h d'autres adversaires >> (p. 112).

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Mais la restriction faite dans cette phrase est-elle n6cessaire? A qui s'opposent les iXot 8 ti vtv? La r6ponse a la deuxieme question donnera la solution aussi " la premiere.

Etudions de plus pr6s le paragraphe 5. M. P6pin le resume de la faqon suivante: <<Justin montre les consequences morales ficheuses de l'attitude qu'il vient de decrire (en par. 4) et il 6voque enfin d'autres philosophes ("A)ot 86 6tvqg) qui, partant de pr6suppos6s diff6rents, aboutissent aux memes erreurs pratiques>> (p. 111-112). Ce r6sum6 montre que l'auteur ne s'interesse guere a la phrase qui pr6cede la derniere et qui commence par oi ye. Cela se manifeste de nouveau dans une autre remarque

' la meme page: <<les doctrines decrites au par. 4 (et meme dans la majeure partie du par. 5) sont homog6nes, en ce qu'elles peuvent toutes 8tre attribu6es a 'la plupart' des philosophes>> (p. 112). Evidemment les mots entre parentheses portent sur la phrase qui commence par oi ye.

A mon avis, M. Pepin a n6glig6 cette phrase dans la discussion rapide du par. 5, qui n'6tait pas l'objet direct de son article. (Autrement il n'aurait pas dit que la theorie dans cette phrase est homog6ne avec celles du par. 4. Car il sait fort bien que la theorie d6crite dans cette phrase est d'origine stoicienne et, comme telle, n'a pas beaucoup

' faire avec celles du par. 4). Et c'est par cette negligence qu'il en est venu '& son analyse, qui fait une

c6sure dans ce passage antiphilosophique avant d",,ot

86 ztwvq. A mon avis, il y a deux arguments qui s'opposent a cette analyse.

Premikrement, si on accepte que, dans les phrases pr6c6dentes, Justin attribue diverses theories a <<la plupart>> des philosophes, et qu'on interpr6te <<la plupart>> comme l'6quivalent des <<philosophes en gendral>> (cf. P6pin, p. 113), on ne peut guere entendre que Justin vienne ' attribuer une theorie ' << d'autres >>. Deuxi6mement - et cet argument est plus grave -, s'il y a une c6sure dans ce passage, elle ne se trouve pas avant "AXXot

86 ttveg, mais avant oi ye. Cela resulte d'une analyse du passage dans sa

totalit6, qui va suivre maintenant. Il me semble, en effet, qu'on n'a pas suffisamment 6tudi6 ce qu'on pourrait appeller <<le sens global>> du texte. Pour d6couvrir ce sens, il faut suivre exactement le raisonnement de Justin.

Justin commence par constater que <'la plupart>> des philosophes ne

s'int6ressent pas au probl6me de Dieu. Puis il dit qu'ils veulent nous faire croire que la providence de Dieu ne s'6tend pas jusqu'aux individus. Ce n'est plus le probl6me de Dieu tout court qui est le centre de l'interet maintenant, mais le probl6me de la relation entre Dieu et l'homme. La cause de ce changement d'int6r&t apparait dans la phrase suivante. C'est

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le point de vue de Justin, le point de vue du moraliste. Evidemment il veut attirer l'attention du lecteur sur les consequences morales des theories de <<la plupart> des philosophes. Et les consequences morales sont les memes dans les deux cas. Les consequences morales sont pour Justin l'argument d6cisif pour rejeter les theories philosophiques ,pour rejeter la philosophie en g6n6ral.

Dans mon commentaire (p. 34), j'ai fait remarquer qu'd ce point l'argumentation de Justin a atteint sa fin logique. Mais Justin poursuit son raisonnement en ajoutant deux theories qui, comme telles, n'ont rien a faire avec le probl6me de Dieu et donc ne montrent pas que les philo- sophes ne s'int6ressent pas a ce probl6me. 11 les ajoute parce qu'elles ont les memes consequences morales. La premikre enseigne un determinisme total et enl6ve donc le libre arbitre; la deuxikme dit que l'ame est impassible et sans aucun besoin. Dans les deux cas l'homme n'aura, en th6orie, ni crainte, ni espoir.

On voit la structure de l'argumentation: Justin mentionne d'abord deux theories diverses, l'une concernant le probleme de Dieu, l'autre concernant sa providence, il attire l'attention sur les consequences facheuses pour la vie morale, puis sur deux theories, qui portent sur un autre terrain, mais qui ont les memes consequences facheuses. Cette analyse montre qu'il y a dans ce passage une c6sure claire avant rS ogydp; ce que Justin ajoute apr6s cette c6sure r6sulte du point de vue de l'auteur mais ne concerne pas directement le probl6me de Dieu. Donc les deux theories du par. 5 vont ensemble et les dXXot 8i 8tvEg s'opposent aux ot ys. On pourrait rem- placer o" ye par 'v a y X dXXot gIv; les dXXot 86~ ztvs s'opposeraient alors

t ces hXXot glv, et 6v porterait sur oi nkdtaozot. Cela nous amene a la conclusion que <<la plupart>> sont le sujet du passage jusqu'd la fin du par. 5, inclus les dXXot ztvig.

Pour caract6riser ce passage total, je voudrais faire usage de la formule heureuse de M. P6pin: Justin a confectionn6 <<un portrait composite des philosophes en g6neral, en rassemblant des traits de provenances diverses >> (p. 113). Cette diversit6 se montre "a la fois dans le par. 4, oiA l'on trouve deux theories diff6rentes concernant le probleme de Dieu, et dans le par. 5, qui contient deux theories diff6rentes, l'une concernant l'ordre du monde, I'autre concernant la nature de l'ame. Mais ces quatre theories ont leur unite dans les consequences morales.

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II. QuI SONT LES PHILOSOPHES ENVISAGEIS PAR JUSTIN?

Quant aux deux theories du par. 5 la provenance n'est pas douteuse. On reconnait aisement d'abord la these stoicienne qui dit que le cours des choses dans ce monde s'6coule selon des cycles identiques. Dans la deuxieme these, on reconnait la th6orie platonicienne concernant l'ame humaine. Sur la justesse des consequences tirees par Justin, voyez la troisieme partie de cet article.

Mais les deux theories du par. 4, d'oiA proviennent-elles? Dans mon commentaire, je me suis ref6re a des tendances particulibres dans le Platonisme, le Stoicisme et l'Aristot6lisme, qui pourraient expliquer cette partie du portrait donne par Justin de la philosophie grecque. M. Joly a critique ces efforts en attirant l'attention sur des textes qui montrent des opinions opposees. M. Pepin a creus6 plus profond6ment dans le materiel philosophique. Partant de l'articulation des notions de providence et de priere, comme elle se manifeste dans ce passage de Justin, il en vient a la conclusion qu'on a affaire ici

" une composante cyrenaique dans la pensee grecque. Cela vaut de l'indiff6rence quant ta la connaissance de Dieu aussi bien que du rejet d'une providence individuelle. Les concor- dances entre le texte de Justin et les textes cyrenaiques apportes par M. P6pin sont vraiment frappantes. Les adherents de la premiere these chez Justin donnent comme motif de leur indiff6rence qu'une telle connais- sance ne contribue en rien au bonheur (6qg l&8Av np'bg ebSatgoviav Tzlg yvc~ocog Ta6tzrlg ouvzro6arlng).

Les cyrenaiques cong6dient la physique (qui englobe aussi la theologie) et la logique 6g ptr6v rtpbgo z 6 cbSat- i6vo0g piotv couvpyouvza (P6pin, p. 125, n. 61= Sextus Empiricus, Adv. mathem. 7,11 =fg. 147A Mannebach, p. 37. Dans la meme note M. P6pin mentionne une observation de Th6mistius disant que Socrate est a" l'origine de cette opinion. Cf. mon commentaire, p. 35). Le motif attribu6 par Justin aux adversaires d'une providence individuelle est un argu- mentum ad hominem. II disent aux chr6tiens: votre priere incessante montre qu'il n'y a pas de providence individuelle. Car s'il y avait une telle providence, elle rendrait toute priere superflue. P6pin a d6couvert aussi cette argumentation dans un contexte cyr6naique.

Dans mon commentaire j'ai pris la providence <<dans le sens de l'heimar- m6n>> et conclu " une provenance stoicienne. M. P6pin m'a convaincu qu'une telle d6marche n'est pas n6cessaire. Je renvoie le lecteur aux pages tres instructives de son article (p. 119 ss).

M. Joly a essay6 de donner une interpretation diverse de cet argument. Il suggbre que les philosophes tirent leur argument, non du fait de la pribre,

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mais de l'exp6rience de sa vanit6. Comme l'a remarqu6 M. P6pin, rien dans ce texte ne favorise cette interpretation. Cet argument, qui est une invention de M. Joly, ne se trouve dans aucune pol6mique d'un philosophe palen avec les chr6tiens. A mon avis, la raison en est claire. Car un tel argument est ais6ment convertible: les chr6tiens pourraient dire que leur priere incessante montre qu'elle n'est pas vaine; autrement ils ne persis- teraient pas a prier.

III. JUSTIN EST-IL HONNETE?

M. Joly accuse Justin d'outrance et d'injustice pol6mique t trois points dans ce passage. 1. Il est fort excessif, >> dit-il, ? de pr6tendre, a son 6poque, que la plupart des philosophes n'ont cure ni de Dieu en tant qu'un ou multiple, ni de sa providence. >> 2. ?Au debut du paragraphe 5, Justin insinue clairement l'immoralit6 des philosophes dont il est question. >> 3. Justin fait tirer aux Platoniciens de leur theorie des consequences mo- rales qui leur sont tres certainement 6trang6res (p. 17). Consid6rons de

plus pr6s ces trois reproches. Ad 1. a) Le probl6me de Dieu en tant qu'un ou multiple. M. Joly rejette

les rapprochements faits dans mon commentaire. On peut 8tre d'accord avec lui qu'il s'agit <<d'un courant bien vague en regard des problemes

pr6cis que pose Justin>> (p. 17). On pourrait en outre renvoyer le lecteur a un philosophe qui est a% peu pr6s contemporain de Justin et qui s'int6resse bien au probleme de Dieu. Dans son Contre Celse Orig6ne cite les mots suivants de son adversaire: (I1 y a dans l'homme une part

sup6rieure au terrestre, apparent6e 'a Dieu; ceux en qui cet 616ment - c'est-a-dire l'ame - est en bon etat, tendent de toutes leurs forces a ce qui lui est apparent6 - c'est-a-dire

" Dieu -, et ils brfilent du d6sir de toujours en entendre parler et de s'en ressouvenir>> (C. Cels. 1,8). Et Justin lui- meme dit un peu plus loin (Dial. 2,7) que la vision de Dieu etait le but de la philosophie de Platon.

D'autre part on trouve dans la philosophie grecque l'attitude que M. P6pin a signal6e. Quelle attitude l'emportait dans la philosophie actuelle de ces jours?

b) Quant au probl6me de la providence, je voudrais me borner aux observations suivantes de M. P6pin: <<Joly est tout a fait fond6 d'affirmer

qu'aux premiers siecles de notre are, la croyance a une providence individuelle est partout repandue. Mais il faut ajouter que la these d'une

providence limit~e aux grands ensembles est g peine moins courante; davantage, ce sont souvent les m~mes 6coles, et parfois les memes auteurs,

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qui professent l'une et l'autre>> (p. 117). Et "a l'6gard de la croyance a une providence individuelle il dit: << De ce que la croyance a une providence individuelle connaissait tant de vogue, il s'ensuit, bien 6videmment, que les chr6tiens n'en avaient pas l'exclusivit6 et que Justin, s'il le laisse entendre (ce qui n'est pas sfir),le fait tendancieusement. Deux observations doivent pourtant etre consignees ici. D'une part, il subsiste des traces d'attaques palennes contre la pr6tention des chr6tiens "a concilier provi- dence universelle et providence individuelle; c'est la preuve que la croyance a celle-ci pouvait, dans certains cas, figurer dans leur 'image de marque'. D'autre part, il arrivait aux chretiens de faire express6ment de cette croyance un article de leur foi. Replac6e dans ce double contexte, l'id~e de revendiquer la providence individuelle pour une propriet6 chretienne paraitrait moins extravagante; rien ne prouve d'ailleurs que Justin ait eu dans le par. 4 une telle intention.))

On constate une grande diff6rence d'approche entre M. Pepin et M. Joly. Le premier est un commentateur beaucoup plus bienveillant de Justin que l'autre.

Ad 2. Pour souligner la partialit6 de Justin M. Joly aurait pu renvoyer le lecteur 'a un texte de Celse, oui celui-ci dit des chretiens: <<Ils ont au moins cette opinion droite que ceux qui ont mend une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront toujours accables de maux eternels. C'est une doctrine que ni eux ni personne d'autre ne doivent jamais abandonner>> (Contre Celse 8,49 tr. Borret).

D'autre part, on ne peut nier que la foi en des recompenses ou des chatiments dans l'autre monde joue un role 6norme dans le christianisme. Qu'on lise, par exemple, le Contre Celse, oui Origene repond a l'accusation de Celse, que la plupart des croyants ne peuvent donner raison de leur foi: <<lequel etait pref6rable pour eux? D'avoir, dans une foi non reflechie, un peu reform6 leurs moeurs et trouv6 secours dans la croyance aux chd timents des fautes et aux rdcompenses des bonnes auvres, ou bien diff6rer leur conversion ...? )) (C. Cels. 1,9). Quel role jouait cette croyance aux r6compenses ou chatiments dans l'autre monde chez les adherents des philosophes grecs? On se demande si l'id~e de revendiquer aussi cette conviction pour une propriet6 chretienne ne paraitrait pas moins extrava- gante, comme M.P6pin le soupgonne "a l'6gard de la providence indi- viduelle.

Le texte censure par M. Joly montre une opinion tres negative quant a l'influence de la philosophie sur la vie morale. Il ne faut pas y lire une attaque personnelle contre les philosophes eux-memes.

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Ad 3. On constate que Justin s'est occup6 serieusement de la question de savoir si l' me humaine 6tait non-engendree et immortelle. En Dial. 5 il dit que seul Dieu est non-engendre et incorruptible. II argumente ainsi: une pluralit6 d'8tres non-engendres et immortels est impossible, parce que l'8tre non-engendr6 est semblable, 6gal et identique au non-engendre. Si l'on disait que l'ame est non engendree et immortelle, il s'ensuivrait que l'me est identique

" Dieu. - Deux siecles plus tard on trouve la meme objection contre la these que l'me est noetique et immortelle, qui est devenue alors une these chretienne, dans le De anima et resurrectione de

Gr6goire de Nysse (PG46,41B). Je ne connais pas, il est vrai, de textes oi0 des Platoniciens tirent de leur

doctrine de l'ame les consequences mentionn6es par Justin. A-t-on affaire a une deduction de Justin lui-meme? Ou connaissait-il des philosophes platoniciens qui montraient une mentalit6 de contentement et un sentiment d'impassibilit6, comme on les trouve parfois chez le sage stoicien?

En dehors de ces remarques sur les details, je voudrais encore une fois attirer l'attention sur le passage dans sa totalit6. Que veut Justin argu- menter dans ce passage? On aimerait r6pondre: il veut montrer que la plupart des philosophes ne s'int6ressent pas au probleme de Dieu; c'est cela qu'il fait attendre au debut du passage. Mais apres la lecture du texte on se rend compte que l'auteur veut, en effet, montrer que la plupart des philosophes n'acceptent pas un Dieu qui rdcompense le bien et punit le mal. Voila l'angle sous lequel il considere <le probleme de Dieu?. Partant de cette idle il a rassembl6 quatre theses qui s'opposent a une telle foi; c'est- a-dire deux theses qui concernent directement le probleme de Dieu, deux autres qui ont pour consequence qu'on n'a ni crainte ni espoir pour la vie dans l'autre monde, et, en consequence, ni crainte ni espoir envers un Dieu qui rdcompense et punit. II trouve ces theories dans les environs cyrenaiques, dans le Stoicisme, dans le Platonisme. Est-il 6tonnant qu'il parle de <la plupart>> des philosophes?

Les observations pr&cedentes contribuent, a mon avis, a faire paraitre au moins comprehensible le portrait que Justin peint de la philosophie grecque. Quand M. Joly dit que ce portrait est tendancieux, on peut le suivre. Mais il faut prendre en consideration qu'on a affaire a une

pol6mique, et les lois de la pol6mique ne s'opposent pas, il me semble, a un portrait charge. Le jugement sur l'acceptabilit6 du portrait d6pendra, je crois, de l'attitude plus ou moins bienveillante du commentateur envers l'auteur.

Mais M. Joly fait une erreur 6vidente quand il en vient A expliquer

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Page 11: Le Portrait de La Philosophie Grecque Dans Justin

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pourquoi Justin peint ici la philosophie d'une telle fagon. Selon le savant belge, il y a une opposition entre ce passage et ce que Justin dit dans la discussion avec le vieillard (Dial. 3-6). En face du vieillard, dit M. Joly, Justin fait semblant d'etre beaucoup plus favorable au Platonisme, c'est-a-dire a la philosophie, qu'ici. D'ob vient cette diff6rence d'attitude? Joly r6pond: ?Justin, qui sait fort bien ce qu'il accorde au Platonisme, donne ici des gages a la faction antiphilosophique, qui devait constituer la grande majorit6 des chretiens de l'&poque ). (p. 18-19). En d'autres termes, au d6but du dialogue (ch. 1,4-5), Justin veut montrer les dents a

l'6gard de la philosophie pour 6viter des difficult6s du cot6 de ses lecteurs simples, alors qu'il se montre plus favorable a la philosophie dans la suite du dialogue. Selon M. Joly, c'est une question de tactique.

Si cette observation 6tait juste, Justin ne pourrait guere &chapper a l'accusation d'etre malhonnete. Mais le commentateur s'est tromp6. Car pourquoi Justin est-il plus favorable a l'&gard du Platonisme dans sa discussion avec le vieillard? La r6ponse est simple: parce que a ce moment, Justin est encore Platonicien! Ii d6fend le Platonisme contre les attaques du vieillard. Comme interlocuteur Justin est donc favorable a la philo- sophie. Mais la discussion elle-meme n'est pas favorable a la philosophie. Car Justin se laisse convaincre par le vieillard que le Platonisme ne contient pas la v6rit6. En d'autres termes, ce passage aussi a un caractere anti- philosophique. Il n'y a donc aucune opposition entre ces deux parties du dialogue. M. Joly a-t-il 6t6 6gar6 par son attitude peu bienveillante envers Justin?

Leiden, Haarlemmerstraat 106

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