LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon...

22
Extrait de la publication

Transcript of LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon...

Page 1: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Extrait de la publication

Page 2: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

L E F A N T A S M E M E T R O P O L I T A I NL ' A R C H I T E C T U R E D E R O S S E T M A C D O N A L D

Extrait de la publication

Page 3: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

DANS LA MÊME COLLECTION

Béatrice Sokoloff, Barcelone ou Comment refaire une ville.

Extrait de la publication

Page 4: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

JACQUES LACHAPELLE

L E F A N T A S M E M E T R O P O L I T A I NL ' A R C H I T E C T U R E D E R O S S E T M A C D O N A L D

B U R E A U X , M A G A S I N S E T H O T E L S

1905-1942

LES PRESSES DE L ' U N I V E R S I T É DE M O N T R É A L

Extrait de la publication

Page 5: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Couverture :

À droite : Banque Royale, Toronto, 1913-1915.Extérieur. Photographie tirée de Construction,juillet 1915

À gauche : édifice Price, Québec, 1928-1930.

Perspective reproduite de JRAIC, juin 1930, p. 213.

Conception graphique : Gianni Caccia

Mise en pages : Folio infographie

Données de catalogage avant publication (Canada)

Lachapelle, Jacques, 1959-

Le fantasme métropolitain : l'architecture de Ross

et Macdonald : bureaux, magasins et hôtels de Ross

et Macdonald 1905-1942

Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 2-7606-1754-8

1. Immeubles commerciaux - Canada - Histoire - 2oe siècle.

2. Architecture - 20' siècle - Canada.

3. Ross, George Allen, 1878-1945.

4. Macdonald, Robert Henry, 1875-1942. I. Titre.

6̂214.03132 2000 725'.2'097109041 coo-94Ooi5-x

Dépôt légal : 3° trimestre 2001

Bibliothèque nationale du Québec

© Les Presses de l'Université de Montréal, 2001

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération

canadienne des sciences humaines et sociales, dont les fonds

proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du

Canada.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère

du Patrimoine canadien du soutien qui leur est accordé dans le

cadre du Progamme d'aide au développement de l'industrie de

l'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le

Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des

entreprises culturelles du Québec (SODEC).

Imprimé au Canada

Extrait de la publication

Page 6: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Remerciements

Je dois à madame Béatrice Sokoloff, professeure titulaire à l'Institut d'urbanisme de

l'Université de Montréal, l'initiative de ce projet de livre et ses encouragements à le

mener à bien. Le manuscrit repose sur les recherches qui ont servi à trois chapitres

d'une thèse de doctorat présentée à l'Université Laval en 1994 et dans laquelle j'ai dû

replonger. Ces études avaient bénéficié d'une bourse du Conseil de recherches en

sciences humaines. Elles ont été menées sous la direction de Claude Bergeron que je

remercie à nouveau. Quant à la présente publication, elle bénéficie d'une bourse du

Programme d'aide à l'édition savante de la Fédération canadienne des sciences

humaines et sociales.

Les recherches ont nécessité la consultation de plusieurs fonds d'archives parmi

lesquels je dois souligner le Centre Canadien d'Architecture qui m'a donné accès au

fonds Ross et Macdonald afin de procéder à son dépouillement. L'importance de

cette institution dans l'avancement de la connaissance sur l'architecture canadienne

est inestimable. Son personnel affable mérite d'être remercié, en particulier monsieur

David Rosé qui a indexé le fonds Ross et Macdonald et qui a eu la générosité de me

fournir de précieuses informations alors qu'il faisait lui-même un mémoire de maîtrise

sur les hôtels de ces architectes. Le personnel des Archives publiques de l'Ontario

où est conservé le fonds de la compagnie Eaton a lui aussi fait montre d'une aimable

attention. Quelques mois avant que la compagnie Eaton ne soit démantelée par une

faillite, la direction du magasin du centre-ville de Montréal m'a autorisé à photogra-

phier son restaurant du 9e, comme on l'appelait familièrement. Les événements qui

ont suivi donnent une saveur particulière à ce privilège. Devant le danger d'une

éventuelle démolition, il est heureux que le ministère de la Culture et des Commu-

nications du Québec ait procédé au classement de ce lieu comme monument histo-

rique. Pour les visites de leurs édifices et pour les photographies qui ont été gracieu-

sement offertes, je suis également redevable aux hôtels Macdonald à Edmonton et

Royal York à Toronto, qui font partie tous deux du réseau du Canadien Pacifique, et

aux hôtels Fort Garry à Winnipeg et Saskatchewan à Regina.

Enfin, une recherche comme celle-ci a beau se faire dans une relative solitude,

l'aide et l'encouragement des parents et amis font toute la différence. Je les remercie

tous, sachant qu'ils sauront se reconnaître mais je m'en voudrais de ne pas nommer

Marthe Aikman, Manon Guité et René Tirol, trois personnes dont le soutien

indéfectible m'a été des plus précieux.

Extrait de la publication

Page 7: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Page laissée blanche

Extrait de la publication

Page 8: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Sigles

AAPQ Association des architectes de la province de Québec

ACP Archives du Canadien Pacifique

AF The Architectural Forum

ANC Archives nationales du Canada

ANQ Archives nationales du Québec

ANQM Archives nationales du Québec à Montréal

APO Archives publiques de l'Ontario

AR The Architectural Record

CCA Centre Canadien d'Architecture

ΠThe Canadian Engineer

CN Canadien National

CP Canadien Pacifique («Canadian Pacific Railway»)

CR The Contract Record

CRER The Contract Record and Engineering Review

CRMW Canadian Railway and Marine Word

GTR Grand Trunk Railways

GTP Grand Tronc Pacifique (Grand Trunk Pacific Railways)

IRAC Institut royal d'architecture du Canada

JRAIC Journal of thé Royal Architectural Institute of Canada

MBAM Musée des beaux-arts de Montréal

MIT Massachusetts Institute of Technology

A/I5W Marine and Shipping World

OAQ Ordre des architectes du Québec

RIBA Royal Institute of British Architects

RMW The Railway and Marine World

SÉAC Société pour l'étude de l'architecture au Canada

Page 9: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Extrait de la publication

Page 10: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Introduction

Au Québec comme ailleurs, l'histoire de la modernité en art et en architecture asouvent obéi à une vision manichéenne qui oppose l'inertie des conventions à uneliberté créatrice qui doit refléter le temps présent. D'apparence quasi mythique, cettelutte contre une tyrannie du passé comporte une part de vérité et une part demasque. La vérité, c'est qu'il est indéniable qu'après la Deuxième Guerre mondiale,le désir d'être et de paraître moderne, autrement dit le modernisme, a été fécond eta suscité des œuvres extraordinaires. A Montréal, des lieux comme la Place Ville-Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis(l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont chamboulé les idéesreçues et sont devenus des icônes de la modernité. Le masque, c'est que la rupture,par définition, exclut. En effet, le discours moderniste, avec son désir de faire neuf,tend à s'approprier en entier le concept de modernité. Ainsi, on a laissé dans l'ombrel'inventivité des architectes victoriens du xixe siècle et, ce qui concerne de plus prèsla présente étude, le professionnalisme des architectes des premières décennies duxxe. Les uns et les autres avaient beau s'inspirer des styles du passé, cela ne lesempêchait pas d'éprouver, eux aussi, le sentiment d'être moderne, c'est-à-dire desuivre, et peut-être à l'occasion de subir, les progrès de la société industrielle. Poureux, la modernisation signifiait l'urbanisation, le relativisme des styles, l'apparition debesoins spécifiques à l'essor d'une économie capitaliste, les contraintes et lesopportunités des nouvelles technologies en construction, etc. Ces changementsprenaient leur plein essor dans les métropoles de telle sorte que celles-ci ont fini parconstituer le rêve pour ne pas dire un fantasme, auquel les grandes villes devaientaspirer. C'est à ce modernisme naissant et vacillant que cette étude sur les grandsimmeubles convie. Elle rejoint à plusieurs égards un courant historiographique quitend désormais à relever des traces de modernité dans des faits de culture qui ne seréclamaient pas d'une esthétique radicalement nouvelle1.

Au cours des quatre premières décennies du xxe siècle, le gigantisme architectural,dont le gratte-ciel fait partie, est au cœur de la transformation des grandes villesindustrielles. On sait que, du point de vue de la technologie, le gratte-ciel, apparu à lafin du xixe siècle aux États-Unis, est la résultante de deux innovations complémen-taires: l'ascenseur et la charpente métallique. La première permet de dépasser lacontrainte naturelle de l'ascension à pied, généralement fixée à un maximum de six

Perspective reproduite de JRAIC, juillet 1950.11Ross et Macdonald. Architects' Building, Montréal, 1929-1954. Démoli. lINTRODUCTION

Page 11: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

étages2. La seconde abolit le problème du poids et de la massivité des structures en

maçonnerie. À cet égard, le fait que les murs extérieurs ne soient plus porteurs, mais

portés par la structure d'acier de telle sorte qu'ils ne conservent qu'une fonction de

parement ou d'écran a constitué un tournant décisif. Ces murs-rideaux peuvent être

minces et légers et, comme on s'en étonnait encore dans les années 1920, érigés à

partir de n'importe quel étage et non plus nécessairement à partir du sol3.

Indépendamment des considérations techniques, le gratte-ciel est le fruit de la

spéculation qui a suivi l'urbanisation rapide des villes industrielles: le sol et

l'architecture sont désormais vus comme sources de profit. Dans ce contexte, le

gratte-ciel a constitué, en termes d'espace, d'infrastructure et d'image, une réponse

aux attentes des promoteurs immobiliers dans le secteur tertiaire. Si Chicago et

New York ont particulièrement contribué à son évolution, l'édifice en hauteur s'est

répandu à un point tel qu'il a transformé la physionomie du quartier central de la

plupart des villes nord-américaines.

Cette architecture s'inscrivait parfaitement dans les audacieuses explorations du

victorien tardif. Mais après une période d'enthousiasme et de fascination, la course

à la hauteur a été freinée, et les mots gratte-ciel ou tour, qui suggèrent des volumes

élancés, ne s'appliquent qu'à quelques cas. Il vaut mieux alors parler de gigantisme

ou de grands immeubles. C'est qu'au tournant du xxe siècle, un vent de réforme

politique et idéologique a soufflé sur l'Amérique et entraîné dans son sillage la

question urbaine. En architecture, un discours sur le beau, fondé sur les préceptes

de l'Ecole des beaux-arts de Paris, a remplacé le modèle victorien. Un grand nombre

d'architectes ont suivi ce mouvement de retour à l'académisme, c'est-à-dire à la

discipline, aux règles et à la normalisation des compositions. On cherchait ainsi à

mettre fin à l'éclectisme parfois farfelu du victorien tardif, mais du même coup, on

écartait des pistes innovatrices en émergence, comme l'Art nouveau et l'école de

Chicago, en particulier l'œuvre de Louis H. Sullivan. C'est ce qui explique que ce

courant académique ait longtemps été perçu par les historiens comme un conser-

vatisme mal venu. Encore aujourd'hui, ceux pour qui l'évolution de l'architecture est

le combat du modernisme contre toute forme d'inertie sont désarmés par la répé-

tition des solutions de design qui caractérisent la période. La production du début du

xxe siècle ne peut les amener qu'à conclure au vide créatif et surtout à une inadé-

quation dans l'expression d'une quelconque modernité. La révision critique récente,

généralement moins attachée au seul modernisme, est plus nuancée. Mais on retient

surtout les édifices institutionnels traités de manière monumentale, et auxquels on

reconnaît aisément une qualité de planification et d'exécution digne du

professionnalisme dont les architectes se réclamaient.

Pour ce qui est de l'architecture du secteur tertiaire qui nous intéresse ici, elle n'a

pas échappé à cette discipline de la règle et de l'imitation. Sans ignorer les besoins

nouveaux que les grands immeubles d'affaires satisfont et leur importance dans

l'environnement urbain, les architectes les considéraient souvent comme une quantité

négligeable du point de vue artistique, comme un pis-aller, car à leurs yeux, seule la

commande publique était suffisamment prestigieuse pour permettre la pleine expres-

sion de leur art. Une fois l'enthousiasme de la nouveauté passé, c'est en regard de

cette contradiction fondamentale entre la soi-disant intemporalité des règles acadé-

LE FANTASME METROPOLITAIN12

Extrait de la publication

Page 12: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

miques et la rapidité des bouleversements de la société industrielle que les immeubles

d'affaires seront réalisés au début de ce siècle. Dans ce contexte, ils ne méritent pas

tous les reproches qu'on leur a faits. Pour le démontrer, nous analyserons

l'ensemble de la question, de sa dimension urbanistique jusqu'à la planification

intérieure. Outre un premier chapitre qui donne des indications sur cette perception

de la ville en ce début de siècle et sur le débat concernant la conquête de la

hauteur, trois types architecturaux seront abordés : les édifices à bureaux, qui sont

les plus répandus mais aussi les plus typés; les grands magasins, qui permettent de

renouveler le commerce ; et les hôtels, qui sont les plus complexes des grands

édifices. Cependant, pour éviter de nous éparpiller dans des critères de classification

toujours discutables, nous allons privilégier l'étude de cas, plutôt que l'inventaire et

le répertoire. Nous pourrons ainsi nous concentrer tant sur l'extérieur, que sur

l'intérieur des édifices. Pour cela, nous avons retenu les œuvres de l'agence Ross et

Macdonald, qui fut active de 1913 à 1944, ainsi que celles de Ross et MacFarlane, qui

l'a précédé de 1905 à 1912.

Compte tenu des objectifs de cette étude, deux de ces architectes, Ross et

MacFarlane, ont le mérite d'avoir une formation académique typique de leur

génération et les trois se sont spécialisés dans les immeubles d'affaires. Pour ce qui

est de la formation, avec la valorisation de l'académisme au tournant du siècle, le

curriculum idéal d'un architecte canadien ne pouvait plus contenir, comme autrefois,

qu'un simple apprentissage auprès d'un praticien. Il devait inclure des études univer-

sitaires, de préférence aux États-Unis. Un voyage en Europe était vu comme un

complément utile qui permettait de se familiariser avec les vénérables modèles du

passé, tandis que l'École des beaux-arts était devenue un lieu de pèlerinage pour la

jeune génération américaine. C'est exactement le parcours qu'a suivi George Allen

Ross (1878-1946). En 1902, il a complété un programme d'études de deux ans au lieu

de quatre au MIT à Cambridge. Il y a suivi les cours de l'architecte français Constant

Désiré Despradelle qui s'inspirait de ses propres études à la célèbre école pari-

sienne4. Ross a par la suite fait un stage chez Parker et Thomas à Boston, puis un

autre chez les renommés Carrère et Hastings à New York, ce qui lui a permis de se

familiariser avec la pratique dans de grandes agences. Lors d'un voyage en France et

en Italie, il s'est arrêté à l'atelier Redon, rattaché à l'École des beaux-arts5. David H.

MacFarlane (1875-1950) a fait de même, mais plus modestement: brèves études au

MIT, stages dans des agences montréalaises (Maxwell et Maxwell, Hutchison et

Wood), puis court séjour en Europe. Pour ce qui est de Robert Henry Macdonald

(1875-1942), son parcours s'avère différent. Australien d'origine, il a occupé des

emplois au Canada et aux États-Unis, entre autres chez George B. Post et fils à

New York. Il s'est familiarisé avec la production américaine avant de travailler chez

Ross et MacFarlane dès 1907. C'est par suite de la rupture de cette dernière agence

que Ross s'est associé à Macdonald en 1913.

Ross et Macdonald ont formé ce qui allait devenir l'une des plus grandes agences

au Canada, peut-être même la plus grande vers la fin des années 192O6. La pratique

à grande échelle suit un modèle américain intimement lié à l'industrialisation de la

société. Dès le xixe siècle, au lieu de travailler seuls au service de la bourgeoisie et

des institutions, certains architectes ont aligné leur pratique sur celle des hommes

INTRODUCTION 13

Page 13: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Ross et Mocdono/d. Architects' Building, Montréal, 1929-1954.Plans des bureaux de /'agence Ross et Macdonald aux

douzième, treizième et quatorzième étages.

Reproduits deJRAlC, septembre 1951.

d'affaires. Ils se regroupent et forment

des sociétés. Les associés se partagent le

profit tandis que leurs employés, souvent

nombreux, obéissent à une taylorisation

du travail. La productivité de l'atelier de

conception et l'efficacité du design

constituent deux de leurs principaux

objectifs. Il s'agit d'offrir le meilleur service

professionnel au client en profitant d'une

équipe solide qui peut élaborer

rapidement une architecture de qualité.

Ross et Macdonald ont clairement adopté

cette approche. Les plans de leurs .

bureaux dans l'Architects' Building

témoignent de leur succès et de

l'organisation serrée du travail. Il y avait

même une section d'ingénierie. Les

patrons sont isolés, laissant croire que

leur rôle est avant tout administratif, ce

que confirment les articles de

Macdonald7. Il est important de souligner

cet aspect, car il appuie le caractère

accessoire que prennent les architectes

dans cette étude. Il n'est pas question en

effet de pousser la connaissance sur les

individus pour tenter d'identifier une

quelconque psyché dans un travail

artistique. Ce serait dérisoire dans une

pratique où le design se fait en équipe et

où la participation de-s patrons

architectes est incertaine. Pour Ross et

Macdonald, l'objectif principal qui consiste

à satisfaire leur clientèle va à rencontre

d'une vision de l'architecture comme art

d'expression, mais attention, cela ne

signifie pas que leur œuvre soit anonyme.

De fait, George A. Ross a poussé très

loin ce rôle de l'architecte homme

d'affaires, au point de faire parfois partie

de syndicats de promoteurs pour des

immeubles au centre-ville de Montréal,

devenant ainsi son propre client. Il avait

alos une certaine latitude dans le design.

Comme le nom l'indique, l'Architects'

Building comptait parmi ces édifices.

H LE FANTASME METROPOLITAIN

Extrait de la publication

Page 14: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Il existe peu d'architectes qui, comme Ross et ses associés, se soient spécialisésavec autant de succès dans la commande commerciale au cours de cette période.Mais ils sont d'autant plus intéressants pour les fins de cette étude que leurproduction comprend un nombre élevé de grands immeubles, pour ne pas dired'immeubles de plus en plus grands. Ainsi, l'édifice Transportation (1909-1912), deCarrère et Hastings en association avec Ross et MacFarlane, détenait en 1909 lerecord du plus grand édifice de l'Empire britannique8. Puis, en 1913, le Read (1912-1913) devenait «le plus grand édifice d'affaires au Canada9». Un an plus tard, la gareUnion à Toronto (1914-1921) était comparée aux plus grandes gares des États-Unis10.L'année suivante, l'édifice de la Banque Royale à Toronto (1913-1915) dépassait enhauteur toutes les autres constructions de l'Empire britannique". En 1924, l'hôtelMount Royal à Montréal était déclaré le plus grand hôtel de l'Empire, mais cinq ansaprès, il était surpassé par le Royal York à Toronto12. Et en 1928, le Dominion SquareBuilding remportait le titre de plus grand édifice commercial du Canada13. Ce goût ducolossal peut paraître futile, et pourtant, même s'ils ne rivalisent pas avec les exem-ples états-uniens, ces records attestent des profondes mutations du paysage urbainen ce début de siècle. À cet égard, l'agence Ross et Macdonald fait figure de chef defile et acquiert une notoriété nationale. Sa production, fidèle au goût académique etau professionnalisme qui distinguent cette période, constitue un groupe témoinprivilégié pour l'étude du phénomène singulier des grands immeubles au Canada.

Dans la mesure où l'architecture résulte d'un entrecroisement de forces idéolo-giques diverses et parfois contradictoires, le contexte du début du siècle fournitdifférents axes de questionnement qui orientent notre recherche. Le premierconcerne les rapports entre le grand immeuble et la ville. Pour les architectes et pourla population, la ville est un lieu conflictuel : on éprouve à la fois un attrait et uneaversion face à la concentration et à la rapidité des changements qui ont lieu aucentre-ville. La question de la hauteur suscite crainte et fascination. Les réactionssont fortes. La concentration de grands immeubles pose même un problème socialquant aux activités, voire même aux personnes qui y ont droit de cité. La premièrepartie de cet ouvrage touchera cette redéfinition du quartier central qu'entraînél'arrivée des grands immeubles.

Le second axe de questionnement est l'impact des idéaux d'efficacité économiqueet de pragmatisme du milieu des affaires dans la planification des grands immeubles.Si l'historiographie a surtout fait ressortir les aspects stylistiques de l'académisme desBeaux-Arts et de l'Art déco, Ross et Macdonald ont dû tenir compte des logiques deprofit et de rentabilité. À travers leur œuvre, nous verrons que non seulement legrand immeuble participe à une transformation de la morphologie urbaine, mais qu'ilchange le sens du rapport entre les intérieurs et l'environnement extérieur. En fait, letexte qui suit tentera de démontrer que la problématique des grands immeubles estliée aux aspirations de la société industrielle canadienne du début du xxe siècle.Malgré l'apparent conservatisme qu'on peut leur reprocher après coup, les grandsimmeubles de cette période ont contribué à la modernisation de l'architecture.

Extrait de la publication

Page 15: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont
Page 16: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

1 LES ENJEUX METROPOLITAINS

Transformer la ville

À partir du xixe siècle, la mesure de lavitalité économique des grandes villesnord-américaines fait souvent référenceà deux figures emblématiques, l'uneexogène et l'autre endogène, soit lamétropole et le quartier central. Lapremière figure consiste à présentercertaines villes comme des pôlesd'attraction et de rayonnement pour lesactivités qui ont une échelle régionale,nationale ou même internationale. Dèslors, un certain fantasme métropolitain— qui sert fort bien le milieu desaffaires et en particulier les institutionsqui ont une emprise sur un vaste ter-ritoire — se met en place. On se targuedes symboles du dynamisme de la ville,de son progrès et de sa prospérité. Laqualité de l'environnement urbain et

J'architecture n'échappent pas à cetoptimisme collectif qui porte les gran-des villes à se faire concurrence. Lesprojets ambitieux et coûteux ont sou-vent été considérés comme des signes

du caractère métropolitain d'une ville.Le grand immeuble, ne serait-ce que parsa taille, compte parmi ces signes.

La seconde figure est le centre-ville.Avec l'étalement des villes au xixe siècle,certains commerces, pour assurer leur

croissance, veulent dépasser l'échelle duquartier pour atteindre la ville entière etsa région. Ils ont alors avantage à serapprocher les uns des autres, la con-centration assurant une masse critiqueaccrue : les travailleurs sont des con-sommateurs potentiels et les clientsd'un marchand peuvent devenir ceuxde l'autre, et vice-versa. La proximitéfacilite aussi les échanges de servicesentre les activités du secteur tertiaire.Le partage des infrastructures devientun avantage. En même temps, lesindustries polluantes sont — autant quepossible — rejetées dans des quartierspériphériques afin de préserver l'attraitde cette zone centrale. Seules les petitesmanufactures sont tolérées.L'amélioration des moyens de circulation— le transport public ou la voiture —favorise d'autant cette concentrationque la ville s'étale tout autour. L'accèsau quartier central doit donc être facilitéde sorte qu'une fois sur place, lesconsommateurs puissent réaliserplusieurs transactions en peu

de temps. Avec l'avènement du train,la gare, plutôt que le port, déterminel'emplacement de ce secteur central. Letrain assure le lien entre le quartier desaffaires et les régions, entre la centra-nte du secteur et le rayonnement

Ross et Macdonald. Édifice Confédération, avenue McGII Collège,

au coin de la rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal, 1927-1928. Photographie :J.L, iççç.

LES ENJEUX MÉTROPOLITAINS V

Extrait de la publication

Page 17: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Daniel H. Bumham et Edward H.

Bennett, partenaires de 1903 o

1912. Vue vers /'ouest du projet de

Place du centre civique, planche

132 du Plan de Chicago, 1909,

dessinée par Jules Guér/n (Amé-

ricain, 1866-1946), crayon et

aquarelle sur papier, 1908,

75,5 x 105,5 cm. Prêt permanent

à l'Art Institute of Chicago de la

Ville de Chicago, 28.148.1966.

Photographie ©1998, The Art

Institute of Chicago. Tous droits

réservés.

métropolitain. Il y a une logiqued'ensemble.

Ces figures reflètent l'idéologie pro-gressiste dominante à l'ère victorienne.Mais au xxe siècle, même si l'économieconnaît une forte croissance et quel'urbanisation reste intense, on souhaiteaméliorer ce modèle urbain. Les cou-rants réformistes sont responsables deces changements. Ils remettent enquestion plusieurs préceptes aména-gistes du siècle précédent, dont ceuxde la hauteur et de la densification ducentre-ville. On critique l'idéologiedominante qui a amené les hommespolitiques à centrer leurs programmessur la notion de progrès pour confor-mer l'administration publique auxbesoins et demandes des spéculateurset des industriels, ce qui se fait souventau détriment du bien-être général, oudu moins au détriment des ouvriers'.Les réformistes visent au contrairel'assainissement des mœurs politiques

et l'intervention de l'État pour améliorerles conditions de vie des citoyens. Ilsveulent que chacun puisse profiter untant soit peu de la prospérité. Suivantdes principes de justice sociale, ils pré-sentent le progrès comme une amélio-ration du bien-être collectif, incluant lasanté, l'éducation et la culture, et nonplus comme un simple bilan écono-mique. Autrement dit, il s'agissait defaire bénéficier les masses, et non plusles seuls individus, de l'enrichissementgénéral.

Au début du siècle, l'espace urbain aété vu comme un des moyens d'amélio-rer les conditions de la collectivité. Il asuscité un débat original auquel ontcontribué entre autres des médecinspréoccupés d'hygiène, des citoyens etcitoyennes soucieux de sécurité, et desarchitectes et des artistes convaincusdes bienfaits de l'art. Parmi les courantsde pensée qui ont émergé, on retrouvele City Beautiful Movement qui a été très

18 LE FANTASME METROPOLITAIN

Page 18: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

influent en Amérique du Nord, où il amarqué la reconnaissance de la profes-sion d'urbaniste. Il est le pendant, àl'échelle urbaine, d'une architectureinspirée de l'Ecole des beaux-arts deParis. Il évoque en effet l'urbanisme dubaron Haussmann (1809-1891) etconfirme l'intérêt des Américains pourla grande tradition classique française.Sa naissance est étroitement associée àl'élaboration du plan pour l'Expositioncolombienne de Chicago en 1893, parDaniel H. Burnham (1846-1912) etFrederick Law Olmsted (1822-1903).Ceux-ci avaient entre autres prévu dedégager une grande esplanade avec unbassin central devant la gare qui déter-minait l'axe principal de la composition.Pour les pavillons d'exposition, Burnhamavait fait venir quelques-uns des archi-tectes de formation Beaux-Arts les plusrenommés des États-Unis. Chacundevait se soumettre aux prescriptionsgénérales dont la limite de la hauteur.L'ensemble présentait un effet monu-mental saisissant. Le City Beautiful futpar la suite mis de l'avant dans de nom-breux projets urbains dont ceux deWashington (1902), Cleveland (1903),San Francisco (1904) et Chicago (1908),tous sous l'autorité de Daniel Burnham,protagoniste principal de cet urbanismemagistral de l'ordre et de la beauté.

Le City Beautiful s'inscrit parfaitementdans l'esprit de réforme de cettepériode, puisque comme l'indique lerapport pour le réaménagement deChicago, il s'agit d'un programmeidéologique à la fois égalitariste eteugénique :

L'ordre est un des meilleurs investisse-

ments qu'une ville puisse faire, mais

l'attrait du plan de Chicago n'est pas un

attrait commercial. C'est un attrait

humain, un attrait moral, un attrait pour

améliorer Chicago, pas pour l'argent qui

s'y trouve, mais pour les bienfaits men-

taux, moraux et physiques qu'un plan bien

ordonné peut apporter à la population.

Le plan de Chicago n'est pas une panacée

pour tous les maux civiques de notre ville.

Son but vise simplement le développe-

ment physique de Chicago pour le bien

non pas d'une seule classe de la popu-

lation ou d'un secteur de la ville mais pour

le bien de tous les citoyens de Chicago,

pour le bien de tout Chicago2.

Conçu avant tout par des architecteset des architectes paysagistes de for-mation, les plans du City Beautifulmettent l'accent sur l'esthétique et lesespaces verts. Au mieux, dans ce derniercas, on espérait que les parcs aident àprévenir le crime, la malpropreté et lesmaladies3. L'importance accordée à lanature rattache ce mouvement auromantisme du xixe siècle en amont, etaux Congrès internationaux d'architec-ture moderne (CIAM) en aval. L'esthé-tique, quant à elle, avait pour objet« d'améliorer la santé et le sens moraldes gens et de stimuler la fierté locale etpatriotique4». Cette cure de beautéurbaine nécessitait un plan d'ensemblefondé sur des principes d'ordre, dehiérarchie et de cohérence. Le CityBeautiful a de ce fait condamné lemodèle de la trame en damier héritéedu xixe siècle. Ce système, jugé plusmécanique que rationnel, était considérécomme le propre d'architectes arpen-teurs mal formés. Il n'aurait satisfait queles besoins de spéculateurs plus soucieuxde rentabilité que de qualité. Il est vrai

que la régularité de la trame facilitait lescomparaisons d'échelle et de superficieet transformait les mises en marché en

de simples calculs de prix au pied carré.

LES ENJEUX METROPOLITAINS 19

Extrait de la publication

Page 19: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Mais, pour ses détracteurs, un plan

uniforme empêchait de mettre en valeur

les édifices publics ; il était insensible aux

particularismes. Pour compenser, l'archi-

tecte victorien favorisait la disparité des

édifices contigus en les individualisant par

des effets spectaculaires, souvent

clinquants. De l'ordre apparent du plan

naissait un paysage architectural éclec-

tique dont les gratte-ciel n'auraient fait

qu'amplifier les travers. Pour les uns,

ils étaient des monstruosités hors

d'échelle; pour d'autres, ils enlaidissaient

la silhouette des villes. Le City Beoutiful

Movement présentait la ville comme un

organisme nucléé, structuré et intégré,

plutôt que conçu comme une trame

régulière et continue. Toutes les parties

étaient interdépendantes et reliées entre

elles par le réseau d'avenues, de parcs et

de places5.

En plus de l'esthétique, le plan d'ur-

banisme devait résoudre la question du

transport, qu'il soit automobile, ferro-

viaire ou maritime6. On pensait en effet

qu'avec le développement du centre-

ville, les rues tracées au xixe siècle

étaient devenues trop étroites pour la

circulation du xxe siècle. Presque toutes

de largeur équivalente, elles n'offraient

aucune souplesse. Une rue résidentielle

et une rue commerciale n'étaient pas

différenciées, bien que le poids du trafic

y diffère énormément. La vitesse, la

mobilité, l'efficacité des métropoles se

voyaient contrariées. Le nombre accru

de véhicules motorisés ne faisait

qu'aggraver le problème. De plus, aux

heures de pointe, les piétons qui four-

millaient sur les trottoirs trop étroits

formaient une masse mouvante mais à

ce point compacte qu'il devenait difficile

de s'engager à contresens7.

Le gratte-ciel était lui aussi accusé de

causer la congestion du trafic et la sur-

densification. Cette critique est maintes

fois rapportée dans des articles au tour-

nant du siècle. La seconde conférence

américaine sur l'urbanisme, en 1910, fut

même consacrée à cette question8. Mais

par un raisonnement de cause à effet

qui fonctionne dans les deux sens,

l'inefficacité des réseaux de rues était

elle-même dénoncée, parce que en

partie responsable du phénomène des

grands immeubles9. C'est parce que l'on

ne pouvait pas circuler facilement dans

la ville qu'il fallait concentrer les bureaux

et les commerces. Suivant cette der-

nière logique, la verticalité des bâtiments

compensait l'inadéquation du système

des transports. Aussi croyait-on qu'en

améliorant ce dernier, le centre-ville

pourrait enfin s'étaler davantage au lieu

de pousser en hauteur10.

Pour casser la répétition d'une trame

urbaine en damier et pour accélérer la

circulation à travers la ville, le City

Beautiful favorisait les voies obliques qui

sont devenues par la suite de véritables

figures fétiches du mouvement. Comme

le veut la maxime «Time is money»,

elles devaient servir à diminuer les

pertes de temps, à réduire la fatigue des

travailleurs, et ainsi accroître leur pro-

ductivité. On espérait sauver annuelle-

ment d'énormes sommes d'argent, du

moins dans une perspective macro-

économique de la ville". Du point

de vue de l'espace cependant, ces

boulevards confortaient l'héritage

victorien car ils servaient le rayonne-

ment symbolique et réel du centre-ville

et, par le fait même, ils consacraient le

quartier central comme lieu de travail.

On croyait qu'il était préférable d'habi-

ter loin de l'agitation du centre, dans

une banlieue verte et tranquille où les

valeurs familiales pouvaient le mieux

s'exprimer. La réflexion n'allait pas plus

LE FANTASME METROPOLITAIN20

Extrait de la publication

Page 20: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

loin. Le problème inhérent à la dicho-

tomie entre un centre-ville comme lieu

de travail et une banlieue éloignée qui

deviendrait, selon l'expression usuelle,

une ville-dortoir n'a à peu près pas été

soulevé. La solution fut constamment

réduite à une dimension technique. Le

tramway, le train, le métro, les boule-

vards et les autoroutes ont tour à tour

soulevé l'espoir de régler cette ques-

tion. En vain, car cet héritage de la

culture industrielle où le quotidien est

partagé dans différents secteurs de la

ville demeure un problème d'actualité.

Avec le City Beautiful, les boulevards

diagonaux avaient une autre fin : la mise

en scène urbaine. Exploitant la notion

d'espace public, les avenues et les

places devaient offrir à la collectivité un

paysage urbain grandiose et animé que

les institutions publiques devaient

embellir. Hôtels de ville, gares, biblio-

thèques, musées, etc. devenaient ainsi

des constructions privilégiées pour

signifier cette répartition des richesses

collectives. Puisqu'il y avait des liens

étroits entre l'académisme Beaux-Arts

et cet urbanisme, ces écrins des vertus

civiques recevaient idéalement un

traitement classique monumental. Par un

curieux paradoxe, la position centrale et

la majesté de ces bâtiments transcri-

vaient souvent, de manière presque

impériale, les prétentions démocratiques

de l'idéologie réformiste. Le City Beau-

tiful, comme l'architecture Beaux-Arts,

n'a pas su éviter l'écueil d'une vision

élitiste et autoritaire de la culture et de

la société.

Les autres édifices devaient eux aussi

se plier à cette vision d'ensemble. Il

fallait qu'ils soient en harmonie les uns

avec les autres plutôt que traités isolé-

ment. À l'exposition de Chicago, les

principaux pavillons étaient alignés les

uns aux autres et ils étaient en majorité

classiques. Ils avaient aussi une même

ligne de corniche à soixante pieds de

hauteur et leur couleur uniforme a valu

à l'ensemble le surnom de «ville

blanche». Ainsi, comme ce fut le cas

pour l'Exposition colombienne, les plans

d'urbanisme du City Beautiful favorisent

une limitation de la hauteur. Au-delà de

l'esthétique, il fallait, disait-on, éviter de

trop densifier la ville, car cela n'aurait

comme résultat que d'amener

« désordre, vice et maladie, et par le fait

même [de] devenir la plus grande

menace au bien-être de la ville elle-

même12». De telle sorte que, si l'on en

juge par les remarquables planches de

présentation du projet de Chicago,

l'architecture commerciale du centre-

ville devait former une masse uniforme,

étalée et découpée en îlots, comme si

l'on avait crevassé et retranché d'une

matière compacte les rues et les cours

intérieures. S'attachant par leurs

discours à dénoncer la monotonie du

plan en damier qu'une architecture

hétéroclite compense mal, les apôtres

du City Beautiful inversent ce rapport : ils

souhaitent la continuité de la texture

architecturale d'un édifice à l'autre,

avec des accents toniques à des points

stratégiques du plan urbain, soit les

carrefours, les places, les entrées, etc.

Très souvent, il s'agissait de mettre en

perspective les monuments les plus

significatifs. Par opposition aux origina-

lités victoriennes qui faisaient des

édifices des emblèmes publicitaires,

l'individualité des bâtiments privés devait

dorénavant se subordonner à un projet

collectif plus vaste: la ville. À Chicago,

Burnham a voulu donner la même

hauteur à tous les immeubles commer-

ciaux du quartier central et leur imposer

le même type d'implantation dans le

LES ENJEUX METROPOLITAINS 21

Extrait de la publication

Page 21: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

TABLE DES MATIERES

7 Remerciements9 Sigles

11 Introduction

17 1 LES ENJEUX MÉTROPOLITAINS

17 Transformer la ville

22 La peur des gratte-ciel26 Le zonage : un compromis

31 2 LES ÉDIFICES À BUREAUX

31 L'héritage académique31 La « rationalité voluptueuse » des premières œuvres36 Vérités et mensonges architecturaux: le Transportation43 « Look like business and nothing more» : colosses des années 192047 Un précurseur des mégastructures: l'édifice Dominion Square

52 Le gratte-ciel Beaux-Arts : la Banque Royale à Toronto54 Déjouer l'ombre et la lumière: les gratte-ciel Art déco

61 3 LES GRANDS MAGASINS

61 Eaton ou le rêve inachevé64 Les projets de Ross et Macdonald pour Eaton

79 4 LES GRANDS HÔTELS

79 Le prestige des hôtels

80 Les châteaux de chemin de fer

81 Le Château Laurier: une conception de Bradford Lee Gilbert

91 La vie de château

99 Le luxe du Château Laurier

100 Le charme pittoresque : l'hôtel Macdonald

104 Manhattan dans les Prairies: l'hôtel Fort Garry

112 L'affirmation du gigantisme: l'hôtel Mount Royal

121 La forme épurée: l'hôtel Saskatchewan

125 La ville dans la ville: le Royal York

137 En guise de conclusion : un modernisme avant l'heure

145 Notes

157 Glossaire

165 Archives

167 Bibliographie

Page 22: LE FANTASME METROPOLITAIN...Marie, la Place Bonaventure, les stations de métro et l'ancien pavillon des États-Unis (l'actuelle Biosphère), pour n'en nommer que quelques-uns, ont

Acheve d'imprimer

enaout 2001 sur les presse de

imprimeries scontimental inc.,divison Meritoho

Imprimeu Cananda - Printed in Cananda

Extrait de la publication