LE DIALOGUE EST-IL POSSIBLE

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LE DIALOGUE

CATHOLIQUE-COMMUNISTE

EST-IL POSSIBLE ?

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OUVRAGE DU MÊME AUTEUR

« PAX NOSTRA ». Examen de conscience international

(Grasset).

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G. FESSARD

LA M A I N TENDUE ?

LE DIALOGUE CATHOLIQUE-COMMUNISTE

EST-IL POSSIBLE?

ÉDITIONS BERNARD GRASSET 61, RUE DES SAINTS-PÈRES, 61

PARIS (VI

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Nihil Obstat : Lutetiæ Pariliorum. die 5a Maii 1937.

J. L E B R E T O N . s. j.

Imprimatur : Lutetiæ Parisiorum, die 7a Maii 1937.

M. S U D O U R . v. g.

Tous droits de traduction, de reproduction et d 'adaptat ion réservés pour tous pays, y compris la Russie. Copyright by Editions Bernard Grasset, 1937.

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A TOUS CEUX P O U R QUI LA LOYAUTÉ

E S T LA P I E R R E D'ANGLE DE T O U T E UNION

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AVANT-PROPOS

Le développement de la situation politique en France depuis le 6 février a conduit les Commu- nistes à changer de tactique sur le terrain reli- gieux.

Se rendant compte de l'influence profonde que l'Eglise catholique continue d'exercer sur la masse du pays, le Part i communiste a déclaré, au moment même de la campagne électorale d'avril dernier, renoncer à l'anti-cléricalisme traditionnel des par- tis radicaux et socialistes, et rechercher l'alliance des catholiques. On se rappelle les déclarations de M. Thorez à la fin de son discours radio-diffusé du 17 avril 1936 : « Nous te tendons la main, ca- tholique, ouvrier, employé, artisan, nous qui som- mes des laïques, parce que tu es notre frère et que tu es comme nous accablé par les mêmes soucis. »

De cette tactique à laquelle ils demeurent jus- qu'à présent fidèles, quel a été le résultat? A en croire les chefs communistes, des catholiques en grand nombre auraient répondu par la confiance à l'avance qui leur était faite. En tout cas, le Pape et les évêques ont multiplié les rappels de la con- damnation depuis longtemps portée contre le com- munisme, et mis en garde leurs fidèles contre l'acceptation confiante de la main qui leur était

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ainsi tendue. Qu'il suffise de rappeler, pour la France, la mise à l'index de « Terre Nouvelle », l'organe des Chrétiens révolutionnaires, la lettre du cardinal Liénart, celle des Cinq Cardinaux français. Aux avertissements venus de Rome, dont la liste est déjà longue , est venue s'ajouter ces jours derniers l'Encyclique « Aeterni Redempto- ris ». Dans cette Lettre « sur le Communisme athée », Pie XI dénonce une fois de plus la ruse et l'hypocrisie de ceux qui, « sans rien abandonner de leurs principes pervers, invitent les catholiques à collaborer avec eux sur le terrain humanitaire et charitable comme on dit, en proposant parfois même des choses entièrement conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Eglise ». Et, dans la forme la plus solennelle, le Pape renouvelle la con- damnation déjà portée : « Le communisme est intrinsèquement pervers et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chré- tienne. »

Aux avances communistes, un non catégorique est donc la réponse des autorités religieuses.

D'une pareille réaction ne peuvent être surpris que les communistes ou les catholiques qui, igno- rant presque tout des deux doctrines en présence, s'imaginaient qu'il pouvait exister, comme le dit Pie XI, « quelque accommodement entre la vérité de notre sainte religion et cette négation de tous les droits humains et divins qu'on trouve dans le com- munisme ».

Tout le problème des relations entre catholiques et communistes est-il résolu par le seul fait de cette condamnation?

Devant l 'homme qui lui tend la main, le catho-

1. Cf. Les Actes pontificaux rassemblés dans la Docu- menta t ion Catholique du 13 ju in 1936.

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lique a-t-il assez fait qui se contente de la repous- ser en arguant de la condamnation du commu- nisme? Si ce refus est insuffisant, que doit-il faire de plus?

Ecoutons l'évêque de Moulins, Mgr Gonon, tracer leur ligne de conduite à ses diocésains :

« N'oublions pas une recommandation que Nous avons déjà faite plus d'une fois, celle de saint Augustin : Si nous haïssons les erreurs, nous aimons les hommes. Les catholiques ne sont point le catholicisme; la doctrine est excellente, ceux qui la professent peuvent ne pas être tous bons; ceci n'infirme pas cela. Les communistes ne sont pas le communisme; si celui-ci est une doctrine néfaste et condamnable, parce que anti-religieuse, il y a parmi ceux qui en sont les adeptes, souvent igno- rants et inconscients de ce qu'elle est, des hommes au cœur bon, généreux et droit, dont quelques-uns ont vraiment souffert et souffrent encore, vers les- quels le bon Dieu leur Père comme le nôtre, Jésus leur Sauveur comme le nôtre nous font un pré- cepte d'aller, non certes, le poing levé, mais les mains tendues et le cœur ouvert, pour essayer de les éclairer, à force de les aimer et de prier pour eux . »

« Aller vers eux les mains tendues et le cœur ouvert pour essayer de les éclairer à force de les aimer », telle est donc l'attitude que le catholique doit garder en face des communistes. Sans rien sa- crifier de l'intransigeance doctrinale qui repousse comme chimérique tout accommodement entre la vérité et l'erreur, il doit parler et agir devant le communiste de façon à lui manifester la lumière qui, seule, peut sauver sa droiture des obscurités du mensonge, et à lui faire sentir une charité

1. semaine religieuse du diocèse de Moulins, 23 juin 1936 — cité par J. de Bivort de La Saudée. L'Antireligion commu- niste (1917-1937), Spes.

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d'avance accordée à tout ce que son cœur renferme de bon et de généreux.

Une toute récente occasion m'a été donnée de dé- finir et de pratiquer, en quelque mesure, une pareille attitude. D'abord, pour rétablir la vraie position catholique en face d'un « catholique » qui, sans réflexion ni souci suffisant des condamnations portées, avait cru pouvoir accepter la main tendue des communistes. Puis, pour répondre à M. Vail- lant-Couturier qui tenta indûment d'utiliser mes paroles au mépris de leur sens le plus naturel.

Documents et réflexions qui les accompagnent, je livre les uns et les autres aux communistes sin- cères d'abord, souhaitant seulement qu'ils en reti- rent quelque lumière pour leur droiture, aux catho- liques fervents ensuite dans l'espoir qu'ils y trou- veront aussi quelque encouragement à faire rayon- ner en eux la charité du C h r i s t .

1. Au moment où je mets la dernière main à ces pages, para î t dans le volume Le Communisme et les Chrétiens (Collection : « Présences », Plon) la remarquable étude du P. DUCATTILLON sur Doctrine communiste et Doctrine catholique. Des « réflexions » occasionnelles ne peuvent, quelle que soit leur étendue, dispenser personne de recourir à cet exposé ex professo, auquel je suis heureux, pour marque r un accord foncier, de renvoyer ici ou là. D'autre part , peut-être ne sera-t-il pas inutile à plusieurs de voir comment dans le plus peti t fai t se trouve engagé l 'ensemble des doctrines, et comment, en se référant constamment à leur opposition fondamentale, il est possible de garder une atti- tude toujours logique et toujours chrétienne.

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DOCUMENTS

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Le 15 mai 1936, dans la revue Europe, M. Hon- nert publiait un article intitulé « Foi et Révolu- tion » où il exposait pourquoi, catholique, il accep- tait de collaborer avec les communistes. Le 7 no- vembre dernier, l 'Entretien de l' Union pour la Vérité porta sur « Christianisme et Communisme » et M. Honnert y soutint la même thèse en repre- nant presque textuellement le texte de son article « Foi et Révolution » .

I. — Sollicité quelques jours plus tard par M. Guy-Grand d'exposer le point de vue catholique dans une communication écrite pour le Bulletin de l'Union pour la Vérité, je répondis par une lettre qui, avec l'autorisation de M. Guy-Grand, parut dans les Etudes du 20 décembre, sous le titre : « La Main tendue...? » Réponse à un chrétien révolu- tionnaire, — précédée du « chapeau » suivant :

Les rapports du catholicisme et du communisme ont été, à diverses reprises, authentiquement définis et préci- sés durant ces derniers mois. Interprétant les directions pontificales, les évêques de France ont rappelé à leurs fidèles, en même temps que l'opposition radicale des doctrines, la nécessité de maintenir, dans les circonstan- ces actuelles, les distinctions les plus nettes jusque dans le domaine de l'action.

Le document que nous publions est d'un autre ordre : épilogue d'un débat à l'Union pour la Vérité, il est le témoignage d'un intellectuel catholique, justifiant, devant un partisan décidé de l'union. son attitude de refus.

1. Cf. Bulletin de l'Union pour la Vérité, février-mars 1937, et R. HONNERT, Catholicisme et Communisme, E.S.I.

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Le par tenaire , M. Honnert , catholique, a accepté la main tendue par les communistes; il n 'en professe pas moins « a imer et vénérer l ' immense Eglise catholique ». « C'est un domaine, déclare-t-il, sur lequel, au péri l de mes amit iés ou de ma vie même, je ne pourrais r ien rogner. » Sur l ' invi tat ion de M. Guy-Grand, l ' auteur de Pax Nostra reprend la question dans les termes mêmes où elle a été posée, négligeant à dessein toute considéra- tion de prudence polit ique ou d 'opportunité. Le débat est d 'ordre puremen t spirituel. Et c'est compréhension réciproque y met en plus vive lumière l ' incompatibil i té des at t i tudes et les exigences onéreuses de toute union véritable, même entre les âmes de bonne volonté.

21 n o v e m b r e 1936.

MONSIEUR,

Vous avez l ' a m a b i l i t é de m e d e m a n d e r ce q u e je p e n s e de l ' e x p o s é de M. H o n n e r t s u r les r a p p o r t s d u c a t h o l i c i s m e et d u c o m m u n i s m e . Et, p u i s q u e je n ' a i p a s e u l ' o c c a s i o n s u r p l a c e de m ' e x p r i m e r , vous m 'o f - f r ez de p u b l i e r m a r é p o n s e . Si je m e d é r o b a i s à ce t te offre , je c r o i r a i s m a n q u e r g r a v e m e n t à v o t r e loyau té , qu i va j u s q u ' à m e d o n n e r l ' a v a n t a g e d ' u n e r é p l i q u e m û r i e à m a tab le de t r a v a i l a u l i eu d ' u n e i m p r o v i s a - t i o n d a n s les c h o c s de la d i s c u s s i o n .

Voic i d o n c t r è s s i m p l e m e n t ce que j ' a u r a i s v o u l u d i r e à M. H o n n e r t : en q u o i je su is d ' a c c o r d a v e c lui, en q u o i auss i je ne p u i s le su iv re .

Au geste des chefs communistes qui, depuis peu, ont remplacé l 'attaque directe de Dieu et de la religion par « la main tendue aux catholiques», M. Honnert a répondu en « tendan t la main au r é v o l u t i o n n a i r e Et il nous a expliqué pourquoi, catholique, il a fait ce geste et souhaite que nombreux soient ceux qui l'imi- tent. La raison de cette décision? Dans le bouleverse- ment social où nous sommes, les communistes lui pa-

1. Les passages cités sans références sont ou des textes de l'Ecriture, ou des extraits de l'article Foi et Révolution.

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raissent être l'avenir, avoir les paroles de vie, leur solution «étant la plus proche de la réalité ». Tandis que « les catholiques et leurs prêtres servent souvent tout ce qu'ils sont faits pour combattre », et que l'Eglise catholique laisse s'opérer chez ses croyants « une cristallisation de désirs et d'efforts autour des régimes décomposés ». Cristallisation qui, sous le pavillon divin, met leurs « forces de sommeil et de mort » au service d'une « poussée réactionnaire, agressive et virulente ». Les défaillances de l'Eglise en Russie, en France, en Espagne, ou plus exactement les infidélités des chrétiens à l'idéal et aux comman- dements de leur foi, lui semblent expliquer assez la haine antireligieuse des masses révolutionnaires et excuser les massacres qui ont pu ou pourront en résulter.

Après avoir moi-même écrit assez longuement sur le pharisaïsme, tentation permanente du chrétien, du chrétien romain en particulier, et dénoncé le clérica- lisme comme « l'ennemi du clerc encore plus que du l a ï q u e », j'aurais bien mauvaise grâce à ne point re- connaître tout ce qu'il y a de juste et de profondément chrétien dans l'aveu d'indignité exigé ici par M. Hon- nert, même si son expression le trahit quelque peu. « Pour combien d'infidèles, ai-je dit aussi, les péchés des fidèles ne seront-ils pas une excuse? Et si, à cause de notre pharisaïsme, ne pouvant reconnaître l'image de Dieu que nous devrions incarner devant eux, les païens (les incroyants) continuent d'adorer des idoles, pourquoi ne pourraient-ils être sauvés, s'ils sont fidèles à la loi qui est écrite dans leurs cœurs 2 » M. Hon- nert ne l'a point cité, mais nul croyant ne peut oublier le solennel avertissement donné par le Christ à ceux qui se disent les élus de Dieu sans accomplir les de- voirs de cette élection : « En vérité, je vous le dis, les publicains — traduisons, si vous le voulez, pour notre temps : les communistes — et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. » Toujours, d'ail-

1. « Pax Nostra ». Examen de Conscience international, p. 292 sq.

2. Ibid., p. 316.

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leurs, c'est le premier geste du catholique touché par le malheur ou la persécution que de confesser ses dé- faillances. M. Honnert, je pense, n'a pas oublié les paroles que, le 5 juin dernier, le cardinal Verdier adressait aux catholiques : « Devant les déficiences de notre ordre social, nous devons d 'abord nous frapper la poitrine. Et, à tous, en face des désordres qui se multiplient, je rappelle la parole du Christ : « Que celui qui est sans péché jette la première pierre! »

Loin de moi, par conséquent, de crier à l'agression impie en entendant M. Honnert rappeler aux catholi- ques leurs responsabilités! Je n'ai pas de mal non plus à reconnaître avec lui tout ce qu'on peut discerner de sain, de grand, de profondément humain dans l'élan qui dresse les communistes contre une société t rop souvent asservie à l'égoïsme de la puissance ou de l'ar- gent et les fait rêver d'une véritable communauté hu- maine. C'est vrai : « Notre Dieu n'a pas changé de visage; c'est le fils du charpentier et le frère des pau- vres ». Et, lorsque M. Honnert déclare comprendre la position révolutionnaire parce que brille toujours à ses yeux « la double leçon de l'Evangile : respect de la personne humaine et nécessité pour elle de prendre sa place dans la communion des vivants », je n'ai pas de peine à le comprendre à son tour, ayant moi aussi proposé de définir la personne d'après les mêmes sour- ces : sujet de droit, exigeant un respect absolu, et chargée d'un rôle qui la met au service de tous.

En nous appelant avec les révolutionnaires « à la dé- livrance des opprimés, à l 'aide fraternelle au prochain, à l'effort pour att irer toutes les vies dans la grande communauté h u m a i n e s , M. Honnert ne fait que don- ner accueil au meilleur des aspirations communistes, et je ne pense pas qu'aucun chrétien digne de ce nom ne soit sur ce point en parfait accord avec lui.

Mais ni le communisme ni le catholicisme ne se ré- duisent à cela seulement. Et c'est pour l 'avoir fait indûment que M. Honnert a pu résoudre la question

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de leur accord si simplement. Que M. Vaillant-Coutu- r ier l'ait approuvé, je ne m'en étonne pas, comprenant la logique de sa position. Mais je m'étonne qu'un ca- tholique un peu renseigné sur le sens de sa foi à l'Evangile ait pu se satisfaire de pareille simplifica- tion et ne se soit pas rendu compte que par là il man- quait d 'abord à l'Eglise dont il fait profession d'être membre, et tout autant aux communistes vers qui l'a porté un élan de charité, sincère sans doute, mais insuffisamment éclairé.

Il manque en effet à l'Eglise et à son Evangile même, le catholique qui laisse entendre que la Bonne Nou- velle du Christ se réduit à l 'annonce d'une vie meil- leure... Que le Christ ait promis à toute l 'humanité et spécialement à ceux qui souffrent une vie meilleure, non seulement dans l'au-delà, mais même ici-bas, c'est exact. Mais on cache une partie importante, essentielle, de la vérité si l'on ne dit pas que cette conquête a pour condition absolue la fidélité aux commandements de Dieu, le dépouillement des désirs charnels, la mort à soi-même. Opposant aux catholiques qui s 'attachent à des décombres l 'ardeur des communistes, M. Honnert s'écrie : « Voilà des jeunes hommes s'élançant après des siècles sur les pas de Celui qui avait dit : Je suis la Vie. Qui se sert indûment du mot sacré de vie?» Mais la réponse peut-elle être celle qu'attend M. Hon- nert si l'on se rappelle que le même Christ a dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même et porte sa croix et me suive. Qui aura voulu sauver son âme (sa vie), la perdra; qui l 'aura perdue à cause de moi, la trouvera » ? Dans la représentation du catholicisme que s'est faite M. Honnert, j'ai cherché en vain le rappel de cette loi essentielle. Essentielle en effet, car il ne s'agit pas là d'un « appui mouvant du dogme », d'un moyen accessoire auquel le croyant pourrait refuser « cette adhésion sans réserve qu'il ne doit qu'à la fin». Essentielle au point que si la croix du Christ n'est pas plantée au centre de la foi et de la vie du chrétien, son christianisme et le Christ lui- même n'ont plus de sens.

Si M. Honnert avait songé un instant à cette croix, eût-il pu dire : « Oui, je crois que sans Dieu je n'ar-

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rive pas au maximum de ma floraison humaine, mais cette floraison je la veux, et c'est la sœur de la vôtre; oui, je désire le bonheur sans limites de l 'autre vie; mais la meilleure préparat ion en est encore le bon- heur sur terre » ? Je souligne cette phrase, car, en vain, j'y cherche l 'écho des béatitudes promises aux pauvres, à ceux qui pleurent, à ceux qui souffrent per- sécution pour la justice, aux victimes du mensonge et de la haine ! Sans doute, « l 'homme est un dieu en fleur », comme le dit Clément d'Alexandrie. Mais c'est une fleur qui ne peut porter son fruit qu'en s 'ouvrant à l 'aiguillon de la souffrance et en consentant à être fanée. Et, dans l 'amour des épreuves tel qu'il a tou- jours existé chez les saints, il n'y a nul amer plaisir, nul jansénisme, mais le simple souvenir de Celui qui, par amour pour nous, s'est anéanti jusqu'à la mort de la croix, et l 'ardent désir de part iciper à la rédemp- tion de la grande communauté des vivants. Que l 'amour des souffrances et le désir d'une vie meilleure même ici-bas puissent se concilier, c'est ce que le chrétien doit montrer à l ' incroyant. Au lieu de se contenter d'une « formule de conciliation » qui escamote le pro- blème, M. Honnert aurait fait grande et belle tâche s'il avait essayé de découvrir la conciliation réelle, en acte, dans la Joie, cette Joie spirituelle « qui surpasse tout sens » et qui est donnée hic et nunc à toute vie qui, en union avec le Christ, commence seulement de se sacrifier.

Faute d'avoir mis en lumière l'essentielle médiation de la croix pour parvenir à la vie, je crains que M. Honnert n'ait faussé les perspectives du christia- nisme et laissé croire que la floraison humaine dont le Christ fut la première fleur soit beaucoup moins belle, beaucoup moins spirituelle qu'elle ne l'est en réalité. Je le regrette, non pour le vain honneur du catholicisme, mais pour la vérité.

Je le regrette aussi pour la charité même que M. Hon- nert a vouée aux communistes et que je partage avec lui, même si je ne me rallie pas à ses conclusions. Car, pour avoir laissé dans l 'ombre une part essentielle du vrai, sa charité s'en est trouvée diminuée au point que

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sa main tendue aux leurs devient beaucoup plus capa- ble de les maintenir dans une illusion mortelle que de les aider à monter vers la vie et la lumière. En ce sens, il n'a pas moins manqué aux communistes qu'à l'Eglise.

A ses frères catholiques, M. Honnert n'a pas craint de dire de cruelles vérités, et je l'ai approuvé. Mais pense-t-il que ses frères communistes soient doués de toutes les vertus qui manquent précisément aux dis- ciples du Christ? On le croirait presque, à entendre la conclusion qui résume fidèlement tout son exposé : « Entre la grande masse des croyants et la grande masse des incroyants..., il pourrai t y avoir, pense-t-il, un terrible renversement de vues pour celui qui pour- rait au même moment lire dans tous les cœurs. » En- core une fois, j'admets la vérité d'une telle perspective de jugement dernier ouverte aux yeux des croyants. C'est le thème des paraboles qui ont pour sujet le rem- placement des fils du royaume par des étrangers, ou pour conclusion le changement des premiers en der- niers et des derniers en premiers. Mais, ne l'oublions pas, paraboles et discours de Jésus s'adressaient aux Juifs, au peuple élu des fidèles, non aux païens et aux incroyants.

Or, l'Union pour la Vérité n'est pas encore, que je sache, une chapelle soumise à la juridiction du cardi- nal de Paris, ni Europe, l'Ami du Clergé. Et comment un catholique ne comprendrait-il pas qu'un tel lan- gage, adressé à des incroyants, n'est propre, tant qu'il est privé de sa nécessaire contre-partie, qu'à engendrer et à entretenir l 'erreur? Car, prise seule et à la lettre, la possibilité de ce « terrible renversement » revient à affirmer l'échec de l'Eglise et l 'inutilité du Christ. En effet, l'Eglise a échoué si, actuellement, malgré sa tra- dition millénaire de sainteté et en dépit de tous les moyens de culture spirituelle qu'elle met en œuvre, elle ne réussit à faire de la « grande masse des croyants » que « des sépulcres blanchis qui s'effon- drent sous les malédictions de l'Evangile ». Et d'autre part, si « l a grande masse des incroyants» , ou du moins la grosse majorité des communistes, se trouvent, par le seul fait de leur foi révolutionnaire et de leur adhésion aux directives de Marx, Lénine et Staline,

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doués de toutes les vertus qui manquent aux autres, à quoi bon le Christ?

Comment M. Honnert n'a-t-il pas senti qu'un élémen- taire souci de logique et d'équité réclamait qu'après son réquisitoire contre les chrétiens il mît en lumière tout ce que l'élan révolutionnaire charrie pour sa pari d'impureté et de malice? Se servant, inconsciemment peut-être, de la philosophie chrétienne de l 'histoire, il a qualifié de juifs pharisiens les chrétiens égoïstes; je n'ai pas dissimulé le bien-fondé de ses vues. Mais les mêmes raisons exigeaient qu'il qualifiât de païens ido- lâtres et traitât comme tels ceux qui ne sont pas même chrétiens 1

Ici encore, à ses yeux, auraient dû briller d'une indéfectible lumière et l'Evangile et l 'enseignement de celui qui le transmit des Juifs aux païens, Paul, l'Apô- tre des gentils.

Il est écrit en effet dans l'Evangile — et c'est sans doute à rappeler aux chrétiens — que publicains et courtisanes précèdent les pharisiens dans le royaume de Dieu; mais, dans le contexte, — la parabole des deux fils dont l 'un dit oui au père et désobéit, tandis que l 'autre dit non et cependant obéit, — il est aussi expres- sément écrit que cette priorité dépend d'une condition qu'il ne faut pas omettre de rappeler aux incroyants : à condition qu'après avoir dit : Je ne veux pas, ils

1. Dans son article, M. Honner t oppose tan tô t le croyant à l ' incroyant , t an tô t le chrétien au révolutionnaire, t an tô t enfin le caholique au communiste. A sa suite, j 'assimile à plusieurs reprises les termes de ces diverses oppositions, sans me laisser a r rê te r pa r leur manque de r igueur sur le plan empirique. Car il est évident qu'il y a par exemple des chrétiens communistes et des incroyants qui ne sont ni révolut ionnaires ni communistes. — Ici au contraire, oppo- sant ju i f et païen, j 'entends me placer sur le ter ra in des at t i tudes religieuses str ictement analysées du point de vue de la philosophie chrétienne de l 'histoire. Pour justifier pa- reil point de vue, je ne puis, il est vrai, que renvoyer à l 'ou- vrage déjà cité au début de cette réponse. Mais, même pour qui refuserai t de me suivre sur ce terrain, ma réponse ne manquera i t pas encore d'efficacité, puisque le sens large et analogique selon lequel M. Honnert entend l 'expression de ju i f pharis ien devrait aussi être reconnu valable pour celle de païen idolâtre.

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soient « touchés de repentir » et travaillent selon l'or- dre du père. « Publicains et courtisanes vous précè- dent dans le royaume de Dieu, conclut Jésus, car Jean-Baptiste est venu à vous dans la voie de la justice et vous ne vous êtes pas encore repentis pour croire en lui, tandis que les courtisanes et les publicains ont cru en lui. »

Et de même saint Paul a pu, dans sa lettre aux Ro- mains, rabaisser l'orgueil et la confiance des Juifs en leur loi et en leur justice au point de déclarer que des païens accomplissent naturellement les commande- ments de la loi écrite dans leurs cœurs, mais il avait auparavant dénoncé, en termes d'une violence et d'une crudité rares, l 'erreur et la perversion de ceux qui, « ayant connu les œuvres de Dieu, sont inexcusables de ne pas l'avoir glorifié comme Dieu et de ne lui avoir point rendu grâces ».

Si M. Honnert avait agi avec la même prudence, il aurait satisfait non seulement à la justice envers les chrétiens, mais aussi à la charité envers les commu- nistes. Car c'est proprement les t romper que de leur laisser croire que l'idée d'un paradis sur terre n'est pas une idole et que l'envie et la haine sont de bons outils pour la construction d'une cité fraternelle.

Pour dénoncer le paganisme de ceux qui sont « sans Dieu dans le monde », comme les appelait déjà saint Paul, M. Honnert n'aurait pas été obligé de confondre « le ramassis de haineux et de pêcheurs en eau trouble qui gravitent autour d'un parti de révolution... avec le véritable parti révolut ionnaires . Mais, aux membres de ce véritable parti révolutionnaire, il aurait pu de- mander en retour s'il est juste de commettre une con- fusion analogue. Comme si le petit nombre de riches égoïstes et jouisseurs — on a dit, du côté communiste, qu'ils se réduisaient aux membres de deux cents famil- les... souhaitons-le! — s'identifiaient avec la véritable Eglise catholique! Et, sous ce nom, je n'entends pas seulement le noyau de saints, futurs canonisés que nous ignorons et que vénère M. Honnert, mais cette grande masse des familles chrétiennes de chez nous que nous connaissons bien et qu'il paraît mépriser. Familles aux traditions de dévouement fidèle et de

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vertus obscures, d'où sortent, par milliers, prêtres, re- ligieux et religieuses, qui, militants du Christ, ne se dépensent peut-être pas moins pour Lui que d'autres pour leur parti, et qui réalisent un idéal qui, du seul point de vue social et humain, n'est peut-être pas si médiocre.

Surtout, aux chefs de ce véritable parti révolution- naire, M. Honnert aurait pu demander de s ' interroger pour savoir si, après tant d'appels aux appétits de jouissance et tant d'excitations à l'envie et à la haine, ils se sentent eux-mêmes purs de tout le sang versé, hier en Russie, aujourd'hui en Espagne, et qui coulera peut-être demain en France. Je reconnais la faute des chrétiens, mais je croirais les t rah i r si je disais qu'eux seuls sont coupables et que « les extrémités les plus atroces » ne font que compenser leurs lâchetés. Non, en tout chrétien persécuté pour sa foi, dès qu'il s'est frappé la poitrine et a prié pour ses bourreaux, je puis, je dois voir un membre de ce Christ qui, bien que « sans péché », a été haï, « haï sans sujet ».

Et si M. Honnert préférait ne point faire porter son effort d'assainissement sur les responsabilités d'événe- ments passés, pouvait-il du moins se dispenser de faire réfléchir ses frères révolutionnaires sur les principes mêmes de leur action qui engagent l 'avenir? Comment dès lors un catholique, professant une religion de sa- crifice et d'amour, peut-il ne pas dénoncer l 'erreur fon- cière du dogme de la lutte des classes et passer par- dessus l 'opposition radicale au christianisme, qu'a proclamée Lénine après Marx?

« Les principes sociaux du christianisme, écrit Marx en 1847, prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l 'abaissement, la servilité, l 'humilité, bref toutes les vertus de la canaille... Les principes sociaux du chris- tianisme sont serviles, et le prolétariat est révolution- naire 1 »

Si, pour M. Honnert, comme pour tout catholique, les lois morales et la religion sont éternelles et d'origine

1. Morceaux choisis (Gallimard), p. 224.

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divine, comment pourra s 'accorder son action avec celle des marxistes, pour qui « les lois morales et la religion sont autant de préjugés bourgeois, derrière lesquels se cachent autant d'intérêts bourgeois » (Ma- nifeste du part i communiste)? Je suis persuadé que M. Honnert réprouve la morale hitlérienne, qui est tout entière soumise aux intérêts de la race. Mais pourquoi accepte-t-il une action commandée par une morale soumise aux intérêts de la classe?

« Nous renions toute morale qui n'est pas puisée dans la notion de classe, s'écrie Lénine en 1920, au Congrès panrusse de la Jeunesse communiste. Pour nous, la morale est entièrement soumise aux intérêts de la lutte de classes du prolétariat... Nous disons : la morale, c'est ce qui sert à la destruction de l 'ancienne société d'exploiteurs et au ralliement de tous les tra- vailleurs autour du prolétariat qui crée la nouvelle société communiste. »

Du chef de cellule qui, suivant cette morale, provo- que systématiquement grèves et troubles par le men- songe et la calomnie, ou du « petit abbé déférent » qui quête « la dame du château » pour son école ou son église, qui donc « agit comme s'il était persuadé que la fin justifie les moyens»? Je vois bien que le second peut manquer de détachement et de liberté apostolique, mais je ne vois pas comment l'idéal de la société communiste peut tout justifier de la par t du premier. Car, mise au service de la race par un hitlé- rien, ou mise au service de la classe par un commu- niste, la morale me paraît également supprimée, et je croirais manquer à l'un comme à l 'autre si je ne les avertissais que de tels principes vicient le meilleur de leur élan et que leur action produira le contraire de ce qu'ils souhaitent.

« Je ne me dissimule pas, disait M. Honnert, qu'aux yeux de beaucoup de croyants qui craignent de voir la réalité en face, c'est une position intenable que celle

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qui consiste à entretenir des sentiments fraternels pour des révolutionnaires qui mènent une action antireli- gieuse éclatante; mais il faut plus de courage et de confiance dans la grandeur humaine et l'intelligence divine pour tendre la main par-dessus les cadavres, après avoir essayé de comprendre, que pour se replier en larmes sur soi-même et se livrer à d'inutiles vitupé- rations. »

Une telle prise de position aussi bien que tout l'ex- posé de M. Honnert témoigne d'une générosité d'âme que je veux, en concluant, souligner encore. Et s'il a dû, au préalable, se dépouiller des préjugés bourgeois qui auraient pu le rendre insensible à la grande pitié matérielle et morale des classes laborieuses et lui lais- ser croire qu'il pouvait vivre égoïstement sans prendre par t à la construction d'une société meilleure, je ne puis que le féliciter.

Mais j'ose lui demander de reconsidérer le problème, qui n'est pas simple, de l 'accord du catholique et du communiste. Je ne puis, faute de place et de temps, trai ter à fond ce problème sur lequel d'ailleurs la bro- chure de Marc Scherer Catholiques et Communistes lui fournirai t bien d'autres indications précieuses. Je me permets cependant de signaler à ses méditations, puis- qu'il ne craint pas de voir la réalité en face, deux textes de Lénine. L'un est cité dans la brochure du Bureau d'éditions qui, pour quarante sous, met à la disposition de tous les idées de Lénine sur la Religion, et il figure en note comme commentaire du discours de 1920 sur la morale que je viens de rappeler :

« Il faut être prêt à tous les sacrifices, user même — s'il le faut — de tous les stratagèmes, de ruses, de méthodes illégales, être décidé à taire, à celer la vérité, à seule fin de pénétrer dans les syndicats (on peut ajouter, je pense, sans t rahir : dans les esprits), d 'y rester et d'y accomplir, malgré tout, de la tâche com- muniste (sic). »

L'autre, je l 'emprunte à un article de l 'Internationale

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