Avant-propos: Sensibiliser à l'art contemporain? Raisons ...
L'ART CONTEMPORAIN · L'art contemporain fut à la mode, à tel point que certains, agacés par ce...
Transcript of L'ART CONTEMPORAIN · L'art contemporain fut à la mode, à tel point que certains, agacés par ce...
L'ART CONTEMPORAIN
CATHERINE MILLET
L'ART CONTEMPORAIN
Un exposé pour comprendre
Un essai pour réfléchir
DOMINOS
Flammarion
Catherine Millet. Critique d'art, Catherine Millet dirige aujour-d'hui la rédaction de la revue Art press, à la création de laquelle elle a
participé en 1972. Elle a été commissaire de plusieurs expositions,
dont Baroque 81 au musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 1981 et Douze Artistes français dans l'espace au musée Seibu de Tōkyō en
1985, ainsi que de la sélection française de la Biennale de São Paulo en 1989, récompensée par le grand prix du meilleur pavillon, et du
pavillon français de la Biennale de Venise en 1995.
Elle est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Textes sur l'art conceptuel (Daniel Templon, 1972), Yves Klein (Art press/ Flammarion, 1982), L'Art contemporain en France (Flammarion, 1987-1994), Conversations avec Denise René (Adam Biro, 1991), Les Espaces utopiques de l'art (Art press, 1994) et Le critique d'art s'expose (Jacqueline Chambon, 1995).
© Flammarion 1997
ISBN : 2-08-035441-8
Imprimé en France
www.centrenationaldulivre.fr
9782081305809
Sommaire
6 Avant-propos
Un exposé pour comprendre
11 Le monde de l'art 12 Naissance de l'art contemporain
33 Temporalité
58 Topologie
Un essai pour réfléchir
83 La réalisation du projet moderne 86 Matières
98 Magie
103 L'art victime du commentaire
112 Annexes
La première fois qu'apparaît un mot
relevant d'un vocabulaire spécialisé, explicité
dans le glossaire, il est suivi d'un *
Avant-propos
Nous devons nous rendre à cette évidence, quoi
qu'en aient à souffrir les puristes : l'art en train de
se faire n'a pas toujours été « contemporain ». Ou
encore : on ne s'est pas toujours senti contemporain de
l'art en train de se faire. En effet, « art contemporain »
est une expression qui s'est imposée surtout à partir
des années 80, supplantant alors « avant-garde », « art
vivant », « art actuel ». Elle possède les qualités des
expressions toutes faites, suffisamment large pour se
glisser dans une phrase lorsque l'on manque d'une
désignation plus précise, mais suffisamment explicite
pour que l'interlocuteur comprenne que l'on parle
d'une certaine forme d'art, et non pas de tout l'art
produit par tous les artistes aujourd'hui vivants et qui
sont donc nos contemporains. En fait, un des objectifs
de cet ouvrage pourrait bien être de s'interroger sur le
succès de cette expression : comment et pourquoi un
couple de mots aussi passe-partout réussit-il à désigner
avec autant de pertinence des œuvres d'art qui, elles,
sont loin d'être banales ? Aussi, celles qui sont
évoquées dans les pages qui suivent ne correspondent-
elles ni à un palmarès ni à un choix personnel de l'au-
teur ; elles sont citées parce qu'exemplaires d'un pano-
rama que l'on a voulu le plus large possible.
Le travail n'a pas été entrepris sans une petite
enquête préalable. Un questionnaire a été envoyé à
une centaine de musées d'art moderne, d'art contem-
porain, ou d'art moderne et contemporain, à travers
le monde (on va comprendre un peu plus loin pour-
quoi les musées ont été interrogés en priorité). A la
question : « Considérez-vous que tout l'art produit
aujourd'hui est “contemporain” ? », une grande majo-
rité a répondu : « Oui/non. » Démocrates, les conser-
vateurs de musée s'en voudraient d'exclure a priori de leur champ d'intérêt certaines catégories d'œuvres.
Mais... en dépit de l'état d'esprit régnant, postmo-
derne, qui accepte tous les styles, ils posent des condi-
tions. Exemples.
Philadelphia Museum of Art : « “Oui” dans la
mesure où nous employons généralement le terme
“contemporain” dans un sens chronologique. Mais
“non” dans la mesure où nous tendons aussi à nous
focaliser sur le travail nouveau le plus aigu (“cutting edge”). Si bien qu'une œuvre d'art très traditionnelle,
mais nouvellement réalisée, nécessiterait d'être quali-
fiée par quelque chose du genre “contemporain dans
un style traditionnel”... »
Centro per l'arte contemporanea Luigi Pecci
(Prato) : « Les formes artistiques peuvent être divisées
en : traditionnelles, telles que peintures, sculptures,
installations fixes ; et en expérimentales, telles que
performances, art conceptuel, art électronique. La
différence semble se situer entre les “œuvres d'art” et
la contamination des formes visuelles, littéraires, théâ-
trales, musicales, chorégraphiques, ou du design, par
les nouveautés technologiques, et la combinaison de
ces formes avec ces nouveautés. »
Musée d'art contemporain de Montréal : « Est
forcément contemporain tout l'art qui se fait aujour-
d'hui. Cependant, la question qui doit être envisagée
est celle de l'esprit avec lequel cet art est réalisé. Ce
qui retient plutôt notre attention, c'est un art qui
explore des champs nouveaux de création, en prenant
en compte les acquis de nos civilisations, ou qui
renouvelle des formes d'expression artistique exis-
tantes en poussant au-delà la réflexion. »
On peut circonscrire temporellement la notion.
Jean-Louis Froment, fondateur du capc/musée d'Art
contemporain de Bordeaux, a eu cette formule
piquante : il a parlé de « l'époque de l'art contempo-
rain ». Sans doute avait-il particulièrement en tête ces
années 80 qui convertirent en enchères mirifiques et
popularisèrent la floraison créatrice des années 60 et
70. L'art contemporain fut à la mode, à tel point que
certains, agacés par ce qu'ils considéraient être son
hégémonie, l'attaquèrent. Des polémiques s'enga-
gèrent, qui resurgissent sporadiquement. Il fallut se
prononcer pour ou contre l'art contemporain, ce qui
tend à prouver que, pour ses détracteurs comme pour
ses défenseurs, cet art dessine une frontière assez
nette par rapport à laquelle on ne peut être que d'un
côté ou de l'autre.
En octobre 1995, la municipalité de Carpentras
interdit une exposition de Jean-Marc Bustamante.
Celle-ci comportait l'installation d'un semi-remorque
dans une chapelle sécularisée transformée en salle
d'exposition. Souhaitant à l'avenir éviter ce genre
d'œuvre sujette à controverse, l'adjoint à la culture
annonça que la chapelle ne serait « plus réservée à l'art
contemporain » et qu'il s'emploierait à « désormais
promouvoir l'art figuratif ». Il ne partageait donc pas
l'esprit pratique d'artistes qui, depuis que Marcel
Duchamp eut l'idée des ready-made* – c'est-à-dire de
ces objets manufacturés exposés tels quels comme des
œuvres d'art –, considèrent qu'il n'y a pas de réplique
plus fidèle d'un objet que, finalement, cet objet lui-
même... Pour le Carpentrassien, un semi-remorque
ne « figurait » pas un semi-remorque, c'était de l'« art
contemporain ».
Andy Warhol à la Factory. Dans ce lieu voué à la multiplication des images,
un public de plus en plus nombreux va bientôt se presser.
Ph. © Billy Name.
Le monde de l'art
Achevé d'imprimer en août 1997 sur les presses de
l'Imprimerie Hérissey à Évreux N° d'éditeur : FC 544102 N° d'imprimeur : 77639
Dépôt légal : avril 1997