La stratégie des dominos au XXI siècle / The dominoes' strategy in the 21st century

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65 OPINIONS La stratégie des dominos au XXI e siècle Officier (R) de la Marine, diplômé de HEC Paris et titulaire d’un Master en science politique. Jean-François Loddo E n 1989, l’élargissement des fonctions de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) commence à s’affirmer avec la chute du mur de Berlin. La disparition du pacte de Varsovie n’a pas engendré la désintégra- tion de l’Otan au début des années 90. Bien au contraire, le renforcement du lien euro-atlantique s’exprime, d’une part, par la volonté d’intégrer rapidement et sans trop de concessions une majorité des pays de l’Europe centrale et orientale (Peco) au sein de l’Alliance atlantique, et d’autre part, par l’élargissement des responsabi- lités de l’Otan aux espaces européens par des missions dites « non-article 5 ». Hormis les pays de l’Europe centrale, ce lien tend à engager une vaste coopération régionale englobant les Peco, dont l’Ukraine et le Caucase, avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan, mais aussi les pays de l’Asie, membres pour certains de la Communauté des États indépendants (CEI). Cette coopération militaire à conno- tation « états-unienne » permet à Washington de s’impliquer plus facilement dans les affaires des zones de l’Eurasie qui recèlent des richesses premières à exploiter. Cette volonté de coopération militaire prend vie au sein du CAN (Conseil de l’Atlantique Nord) dans le cadre de la refondation des plans économiques et de la défense de l’Alliance atlantique dont les intérêts vitaux tendent à converger, en ce début de XXI e siècle, vers la zone géographique des cinq pays des « Stan » (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan), le Stansland. Les visions stratégiques émanant du CAN semblent mettre en évidence les théories néoréalistes offensives de John Mearsheimer. Ces théories sont en majorité élaborées sur la nécessité de survie d’États-nations évoluant dans un système inter- national anarchique dont la sécurité tend à s’affirmer par le biais de « manœuvres économiques » émanant de grandes puissances. Dans le cadre de la défense de leurs intérêts économiques, ces dernières — définies comme des acteurs rationnels — accomplissent des projets stratégiques leur permettant d’avoir un temps d’avance sur des États qui cherchent à survivre ou encore qui ne sont jamais certains des intentions des challengers. En 1989, cette ouverture de l’Alliance atlantique va se traduire par la décla- ration de Londres concernant une « Alliance atlantique rénovée » qui vise à déve- lopper la coopération avec les Peco. Cette coopération s’exprime par des liaisons

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La stratégie des dominosau XXIe siècle

Officier (R) de la Marine, diplômé de HEC Paris et titulaire d’un Master enscience politique.

Jean-François Loddo

En 1989, l’élargissement des fonctions de l’Organisation du Traité del’Atlantique Nord (Otan) commence à s’affirmer avec la chute du mur deBerlin. La disparition du pacte de Varsovie n’a pas engendré la désintégra-

tion de l’Otan au début des années 90. Bien au contraire, le renforcement du lieneuro-atlantique s’exprime, d’une part, par la volonté d’intégrer rapidement et sanstrop de concessions une majorité des pays de l’Europe centrale et orientale (Peco)au sein de l’Alliance atlantique, et d’autre part, par l’élargissement des responsabi-lités de l’Otan aux espaces européens par des missions dites « non-article 5 ».

Hormis les pays de l’Europe centrale, ce lien tend à engager une vastecoopération régionale englobant les Peco, dont l’Ukraine et le Caucase, avec laGéorgie et l’Azerbaïdjan, mais aussi les pays de l’Asie, membres pour certains de laCommunauté des États indépendants (CEI). Cette coopération militaire à conno-tation « états-unienne » permet à Washington de s’impliquer plus facilement dansles affaires des zones de l’Eurasie qui recèlent des richesses premières à exploiter.Cette volonté de coopération militaire prend vie au sein du CAN (Conseil del’Atlantique Nord) dans le cadre de la refondation des plans économiques et de ladéfense de l’Alliance atlantique dont les intérêts vitaux tendent à converger, en cedébut de XXIe siècle, vers la zone géographique des cinq pays des « Stan »(Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan), le Stansland.

Les visions stratégiques émanant du CAN semblent mettre en évidence lesthéories néoréalistes offensives de John Mearsheimer. Ces théories sont en majoritéélaborées sur la nécessité de survie d’États-nations évoluant dans un système inter-national anarchique dont la sécurité tend à s’affirmer par le biais de « manœuvreséconomiques » émanant de grandes puissances. Dans le cadre de la défense de leursintérêts économiques, ces dernières — définies comme des acteurs rationnels —accomplissent des projets stratégiques leur permettant d’avoir un temps d’avancesur des États qui cherchent à survivre ou encore qui ne sont jamais certains desintentions des challengers.

En 1989, cette ouverture de l’Alliance atlantique va se traduire par la décla-ration de Londres concernant une « Alliance atlantique rénovée » qui vise à déve-lopper la coopération avec les Peco. Cette coopération s’exprime par des liaisons

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diplomatiques régulières mettant en jeu des plans de coopérations militaro-économiques entre le « rouleau compresseur otanien » et les pays incités à intégrerrapidement le Partenariat pour la Paix (PPP).

En 1991, outre la plateforme européenne, ces idées d’hégémonie de puis-sance militaro-économique de l’Alliance atlantique évoluent avec la fondation duConseil de coopération Nord-Atlantique (Cocona) permettant une « ouverture »otanienne à l’ensemble des membres de la CEI. Ces évolutions n’en restent pas làcar dès l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en tant que Président, ils sontinterprétés comme le préambule à l’agression prédatrice des États-Unis sous couvertde l’Otan. Du fait de manœuvres habiles, l’Otan imprime un nouveau rythme auconcept de stratégie sécuritaire eurasiatique en adoptant la politique extérieureaméricaine basée sur des actions militaro-économiques de formes diverses afin deconserver et d’élargir l’accès à un couloir économique et stratégique, de l’Asie cen-trale aux abords de la Méditerranée.

Facteurs d’évolution multipolaire

Ainsi, le début du XXIe siècle voit l’émergence d’une multipolarité dont lespremières évolutions n’ont pas attendu plus de deux décennies pour se faire ressen-tir dans tout l’hémisphère Nord. Ces évolutions se caractérisent par de nombreuxfacteurs aux influences certaines sur les mutations d’un monde socio-économiquesoumis à des risques étendus dont les principaux ont comme dénominateurscommuns, le terrorisme de masse, la criminalité transcontinentale, le réveil despeuples soumis, la misère, la prolifération nucléaire et des armes de destructionmassive ainsi que la montée en puissance de l’extrémisme religieux.

Le premier facteur actif concerne l’ère de la mondialisation définie par lastratégie de survie ou d’autonomie des conditions d’existence des États-nationsdans le cadre du partage et de la captation des matières premières. Le secondmarque le réchauffement climatique, lequel fait prendre conscience que de nou-velles richesses, majoritairement localisées dans l’Arctique, sont désormais acces-sibles sur les plans technique et financier. Le troisième facteur, à ne pas négliger,n’est autre que le réveil d’États challengers comme les Brics (Brésil, Russie, Inde,Chine, Afrique du Sud). Un autre facteur pouvant conduire à une modification denotre « champ socio-économique » est la colère, toutefois contenue, des popula-tions de pays sous-développés ou en voie de développement (Pev) qui compren-nent que leur économie et leurs modes sociaux se dérèglent du fait d’une politiquerégionale tyrannique et de l’émergence de phénomènes climatiques dans lesquels lamain de l’homme développé ne reste pas étrangère. D’autres facteurs permettentde souligner les mutations majeures et critiques de nos sociétés. L’un se caractérisepar le flux quasi incontrôlable de population cherchant à rejoindre le monde occi-dental, qui met en évidence la perméabilité des frontières mais aussi l’instabilité etla pauvreté de certains pays proches, gouvernés par un pouvoir tyrannique ou

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contrôlés indirectement par des organisations non étatiques de type terroriste,mafieux ou criminel. L’autre tend à souligner la mise en avant de l’importance desvoies maritimes traduisant une globalisation du commerce maritime à hauteur de90 % des importations et des exportations mondiales. On note aussi une recru-descence de la piraterie de plus de 200 % depuis 2007, ce qui incite certaines puis-sances navales à sécuriser les routes de commerce les plus exposées. Enfin, on peutévoquer la crise économique qui bouleverse le monde des finances et permet à despays challengers d’être finalement actifs sur la scène politique internationale. De cefait, et sous l’impulsion indéniable de Paris et de Berlin, le G8 s’est prononcé pourl’existence d’un G20 sans retour en arrière prévisible.

Dans ce nouveau contexte politico-économique d’insécurité globale per-manente, et, dont le 11 septembre 2001 n’aura peut-être été qu’un « avant-goût »de l’avenir réservé à l’espèce humaine, les grandes puissances ont pris la mesure desrisques régionaux et internationaux se profilant à moyen terme. Ainsi, tendent-ellesà s’associer afin de sécuriser le nouveau système stratégique global basé sur leséchanges commerciaux et financiers nés de la mondialisation, sans toutefois négli-ger la survie de leurs propres États-nations.

Configuration du système stratégique global au XXIe siècle

Le monde se trouve partagé entre deux espaces géographiques dissemblablesoccupant essentiellement l’hémisphère Nord, s’agissant de la « zone hégémoniqueoccidentale », et l’hémisphère Sud, pour la « zone hégémonique orientale ».Existantes préalablement au début du XXe siècle, elles ont à nouveau émergé à lasuite de la disparition du rideau de fer induisant une multipolarité épurée du colo-nialisme. Ces deux zones d’intérêts transnationaux ont vu leurs frontières se dessi-ner dès la première guerre d’Irak (1991) mais surtout à partir du « 11 septembre2001 » qui a été le marquant du « renouveau de la FPA (Foreign Policy Analysis),née aux États-Unis en 1960 », élaborée dans le cadre de la naissance d’un ordremondial multiforme et de l’émergence économique de pays en développementcomme le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Au début de XXIe siècle, la configuration du système stratégique fondé surdes politiques étrangères et des relations internationales montre un certain équi-libre des forces — celles des grandes puissances — dont l’entretien conditionne ladéfense des intérêts vitaux et la préservation du seuil de puissance d’hégémonie.

Depuis la dissolution du monde soviétique, le système stratégique globalactuel s’équilibre non plus d’Est en Ouest, mais s’articule dans un rapport straté-gique et économique entre le Nord et le Sud. Un nouveau mode de stabilité s’éta-blit entre puissances prédatrices. Ses limites géographiques — hormis en Afrique oùelles se situent au Sud du Maghreb — pourraient sensiblement se confondre avec laligne de l’équateur. Dans le cadre de ce rapport de stabilité, les « Zones charnièresprincipales » (ZCP), en l’occurrence l’échiquier balkanique, la « plateforme »

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turque et la péninsule Arabique, permettent aux Occidentaux de se positionner surla scène internationale en occupant la zone d’hégémonie occidentale.

La zone d’hégémonie orientale, pour sa part, est caractérisée par la présencede la Chine qui tend à en être l’acteur principal du fait de sa maîtrise grandissantede la mer de Chine jusqu’au Pacifique. Cette présence chinoise sur les mers estcaractérisée par une puissance navale qui inquiète, dont le tonnage (le deuxièmemondial) croit de manière exponentielle et la technicité s’affirme par la création etla mise en œuvre de systèmes d’armes offrant la possibilité de conduire des opéra-tions maritimes complexes. Cette maîtrise navale se confirme par une présencehauturière, incluant la sécurisation des voies de transits commerciaux, et côtière,avec la mise en œuvre d’un concept de sécurité de ses routes du commerce littoralavec le « collier de perles ».

La zone d’hégémonie occidentale (Hégémon Nord)

La zone d’hégémonie occidentale comprend l’ensemble de l’hémisphèreNord, dont l’Eurasie est le cœur des intérêts majeurs de l’Union européenne, desÉtats-Unis et de la Russie pour les vingt-cinq prochaines années. Cette vision estfondée sur la logique d’exploitation pétrolière du peak oil adoptée à la Zoned’intérêt de stratégie économique (« Zise ») créée par le Stansland. Formant lecentre des empires et anciennement sous le joug soviétique, le Kazakhstan, leKirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan sont conscients desrichesses que leur sous-sol recèle et qui les distinguent les uns des autres. Cesrichesses sont essentiellement, soit de l’eau pour les uns ou soit du pétrole et dugaz, voire de l’uranium, pour les autres. Néanmoins, ces États sont incapables deles extraire et de les exploiter étant donné leur faible capacité technologique indu-bitablement due à leurs structures sociales ancestrales et à la période d’occupationet de soumission soviétique pendant plus de soixante-dix ans.

Désormais, le centre de gravité stratégique et économique, situé aux fron-tières de l’Europe du Sud-Est et de l’Europe orientale, se déplace irrémédiablementvers les quatre « Zise » établies en Asie. Cette situation devient inéluctable étantdonné l’instinct de survie des puissances économiques établies et émergentes.On peut nommer ces quatre « Zise » l’Arctland, le Siberland, le Stansland et leCenterland. En cette première décennie du siècle, les deux zones préoccupantes etd’un intérêt primordial sont l’Arctland et le Siberland. Le Centerland est, quant àlui, représenté par les pays émergents de l’Asie du Sud-Est, considérée comme l’undes centres d’intérêts majeurs de l’économie mondiale à venir.

La « Zise » Arctland englobe l’ensemble du Grand Nord jusqu’au cerclepolaire arctique et recèle d’inestimables ressources exploitables dans ses sous-sols.Cette zone potentielle de richesses est sans doute l’un des « poumons économiques »des cinquante prochaines années en considérant que le réchauffement de la planèteperdure, ce qui n’est pas prouvé. Les pays directement concernés par ce futur

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« Éden » arctique sont la Russie, les États-Unis, le Canada, la Norvège (Spitzberg)et le Danemark (Groenland). Cette « Zise » arctique, concentrant l’intérêt desgrandes puissances de l’hémisphère Nord, va capter l’attention de leurs dirigeantsjusqu’au siècle prochain puisque l’exploitation de ces richesses est conditionnée,d’une part, par les inconditionnelles lois de la mécanique et de la physique, et,d’autre part, par l’immanquable application du droit de la mer et par la résignationà subir les méfaits météorologiques.

La « Zise » Siberland occupe, quant à elle, la Sibérie orientale. Elle estconvoitée par des États et de grands groupes industriels pouvant contribuer à la sur-vie d’un État-nation en s’appropriant les atouts vitaux qui permettent d’atteindrel’objectif précité. Ce futur Eldorado du Levant sibérien attise non seulement lesappétits de Pékin mais aussi ceux du monde occidental qui sait pertinemment quela Russie se doit de se rapprocher de l’Union européenne du fait d’une démogra-phie déficiente et d’une incapacité technique qui la rendent inapte à exploiter ouà mettre en valeur son Orient extrême.

La zone d’hégémonie orientale (Hégémon Sud)

La zone d’hégémonie orientale comprend l’hémisphère Sud avec commecentre d’intérêt le continent africain dont l’Afrique subsaharienne est devenue— à l’inverse du « Grand Moyen-Orient » envahi par les entreprises pétrolières del’Occident — le « Far West » de la Chine. Ainsi, pour s’arroger les richesses des solsafricains, la Chine multiplie les accords diplomatiques, industriels, économiques etcommerciaux avec certains États de cette région. Ressemblant à une incontestableforme de « pillage institutionnel », cette exploitation chinoise est réalisée par lebiais d’importants investissements contractés sous forme de partenariats avec dessociétés de droit local que les industriels chinois ont reprises, assainies et enrichies.Le rythme mal maîtrisé de la croissance économique de la Chine oblige les indus-triels chinois à utiliser des quantités considérables de produits premiers, en l’occur-rence fossiles, pour « nourrir » leurs activités d’entreprises.

Bien que l’Afrique ne soit plus colonisée, elle subit continuellement lesinfluences occidentales. Ainsi, les États-Unis cherchent à s’insérer militairement etéconomiquement en Afrique. Sans conviction apparente, cette insertion se perçoitclairement du fait de la création récente de l’US Africom (commandement desÉtats-Unis en Afrique) dont l’état-major se situe en Allemagne. Pour l’instant,l’Union européenne est le partenaire politico-militaire et économique privilégié del’Afrique. Néanmoins, et hormis la Chine, elle est talonnée par la Russie qui désires’implanter en Afrique du Nord en l’occurrence en Lybie et en Algérie, mais aussien zone subsaharienne. Dans ce champ de manœuvre africain libéré du colonialis-me, l’Afrique occidentale (majoritairement ex-française) est devenue la « Zise » detoutes les convoitises occidentales comme orientales. Définie comme étant leSinoland, cette cinquième « Zise » est en passe de devenir le « grenier à blé » de la

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Chine. Tant et si bien que la France, sous l’égide de l’Union européenne, insistepour y conserver une certaine légitimité historique. Sentant qu’un soutien straté-gique de l’UE est une facilité pour s’implanter en Afrique occidentale — et ainsicontrebalancer l’hégémonie chinoise dans la zone — les États-Unis prêtent, sanscompter, leurs moyens tant militaires que diplomatiques afin d’occuper, en tantqu’acteur principal, une place forte économique non négligeable. Pour cela, ilsn’hésitent pas à faire valoir le fait que certains pays sont la proie de l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), d’autres recèlent des ADM, en l’occurrence chi-miques, ou discutent les exigences concernant l’application des droits de l’homme,que ce soit en Afrique ou en péninsule Arabique.

Partage des richesses du monde

Le 11 septembre 2001 a souligné les nouvelles caractéristiques d’un contextestratégique changeant du fait de la fin de l’affrontement bipolaire et du surgisse-ment de nouveaux conflits à connotation nationaliste ayant marqué la période« pré-11 septembre 2001 », tels les conflits dissymétriques ayant eu lieu dans lesBalkans, en Asie centrale et en péninsule Arabique durant les années 90. Les crises« post-11 septembre » apportent leur contribution à ce nouveau contexte straté-gique en révélant de récents dangers aux couleurs de la globalisation du terrorisme(guerre d’Afghanistan débutant en fin 2001), de la guerre économique, de la guerrepréventive (guerre d’Irak de 2003), des guerres irrégulières ou encore des crisespotentielles survenant ou pouvant survenir dans le monde arabe. Depuis l’éclosionde guerres non symétriques, ces guerres irrégulières ou ces crises potentielles, ditesde guérilla, sont définies comme des « conflits au sein de populations » d’un mêmeÉtat-nation et des actions tactiques d’une période révolue. Cette « guérilla renais-sante » englobe les guerres non régulières encore incapables d’être hiérarchiséesdans le cadre d’un système de classification occidental — pour l’heure indescrip-tible — étant donné que l’ennemi commun de l’Occident n’est que diffus bien quela provenance évidente du compétiteur générique économique et sécuritaire soitsituée dans l’Empire du Milieu.

C’est dans ce contexte stratégique en perpétuelle modification que se des-sine l’état contemporain du partage des richesses — majoritairement non renou-velables — d’un monde économique dans lequel l’échiquier balkanique est uneZCP inéluctable du concept stratégique américain de ce début de XXIe siècle. Ceconcept s’applique sans partage dans une partie de la zone d’hégémonie occiden-tale et de surcroît sur le continent eurasiatique dont le Stansland attise la convoiti-se des puissances occidentales jusqu’à ce jour. À l’opposé, la Chine est la principa-le puissance émergente de la zone d’hégémonie orientale du fait de sa présencemassive sur les plans politique et économique, tant sur les mers que sur les terres.

Outre les importations pétrolières en provenance de la péninsule Arabique etde l’Asie centrale, cette puissance chinoise s’octroie d’autres richesses en provenance

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d’Afrique subsaharienne dont la « Zise » Sinoland où elle a su s’immiscer. Cettezone est le cœur économique de l’Afrique noire et englobe, pour l’essentiel, leNigeria (la zone des Lacs), la République de Centre Afrique, la République démo-cratique du Congo, le Tchad et le Soudan dont le Sud est convoité par de nom-breux groupes industriels occidentaux.

La zone d’hégémonie orientale n’est que le reflet de la zone d’hégémonieoccidentale. Le monde se trouve ainsi dans une position d’équilibre. Cette stabilitén’est due qu’aux grandes puissances qui, tant dans la participation indirecte à la miseen œuvre d’un concept stratégique américain ou chinois, assurent la pérennité d’unsystème stratégique international modulable en fonction des notions précitées. Cesprincipes soulignent la volonté de contrôle des États-nations et des organisationssoucieuses de la protection de leurs intérêts vitaux globaux. Cet équilibre est favo-risé et soutenu par des continents offshores : les Amériques pour le concept straté-gique américain ; et l’Australie pour ce qui est du concept stratégique chinois.

C’est uniquement dans le cadre d’une stratégie offensive des États-Unis quel’échiquier des Balkans est devenu la ZCP (de l’Europe du Sud-Est) d’un conceptstratégique visant désormais l’Eurasie. La naissance d’un nouvel ordre mondial afavorisé la prédominance des principes du Heartland de Mackinder aux dépens del’atténuation des principes évoquant le Rimland de Spykman et ayant servi à l’éla-boration du préambule de la Charte de l’Otan.

C’est dans ce contexte que l’Union européenne essaie de maintenir uneposition militaro-économique de niveau régional dans le cadre du « défi eurasia-tique » lancé par les États-Unis dès le siècle dernier. À cet effet, l’UE s’immisce dansla zone des Balkans tout en ayant des vues stratégiques sur le couloir économiqueeurasiatique redéfini par les États-Unis et dont la Turquie est la ZCP de l’Europeorientale et de l’Asie occidentale. C’est ainsi que l’Union européenne, tout commela Russie, découvrent que les capacités militaires des États-Unis sont largement sur-évaluées et que ces derniers ne peuvent dominer, à eux seuls, l’Eurasie.

Esquisse d’un nouveau jeu de dominos

Aujourd’hui, le monde n’est plus unipolaire mais multipolaire, avec la pré-dominance politico-économique des États-Unis, « acteur majeur » économique etstratégique d’une planète en perpétuelle ébullition sociale. Néanmoins, il est néces-saire que les États-Unis composent en Eurasie avec l’Union européenne et laRussie, puis ultérieurement avec la Chine et l’Inde.

C’est en étudiant le niveau de puissance de ses adversaires légitimes ainsi quel’état du système économique et sécuritaire international — tout comme lescontraintes géographiques pour atteindre le Stansland— que les États-Unis ont éla-boré l’échiquier balkanique du XXIe siècle. Cette conceptualisation servit de baseaux actions de l’Alliance atlantique, au-delà des frontières européennes, avec des

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moyens C4I (Command, Control, Communication, Coordination and Intelligence)permettant une stratégie militaro-économique offensive par le biais de projectionsde puissances qui sont l’apanage unique des États-Unis.

Le concept du Stansland s’affirmant, l’Union européenne — avec la prési-dence française — avait compris la nécessité de créer l’Union pour la Méditerranée(UPM) pour faire jeu égal avec les États-Unis dans le centre des mers et en Afrique.

Dans un contexte de politique mondiale effervescente, ce nouveau mondestratégique — défini comme un jeu de dominos — tend à s’organiser et à s’articu-ler autour de deux traits de fractures occupant pour l’un l’hégémon Nord avec leNorth Split et pour l’autre l’hégémon Sud avec le South Split, puis en trois axesd’économies émergentes. Dans un prolongement quasi d’Ouest en Est, ces axeséconomiques situés en Asie s’affirment à partir du Stansland bien qu’ils aient unepropension à prendre naissance en Turquie sous la forme du Main Split.

l Le North Split se dessine à partir de l’Europe orientale bien que ses racinesprofondes proviennent des zones de non-droit du monde occidental qui drainent lemalaise et le mal-être d’une jeunesse en perte ou à la recherche d’identité sociale. Enoutre, il bouscule les frontières de la zone Peco dont certains foyers de crises résis-tants et prêts à exploser se font sentir dans les Balkans en l’occurrence au Kosovo,au Sandjak et en Bosnie-Herzégovine où les accords de Dayton attisent une situa-tion sociale alarmante. Enfin, il s’oriente vers la mer Noire pour emprunter la zoneturbulente du Caucase du Sud afin de pénétrer en Turquie, passerelle économiqueinévitable entre les zones Europe, Asie et Arabie.

l Le South Split, pour sa part, naît en Amérique du Sud. Il s’étire à traversl’océan Atlantique pour finalement éclore dans le golfe de Guinée devenu une zonesensible du fait des intérêts pétroliers offshore et de la piraterie endémique, toutcomme en océan Indien et en mer de Chine. Puis, ce trait de fracture empruntel’Afrique de l’Ouest où la montée en puissance du terrorisme islamique (AQMI) faitson œuvre et l’inclination criminelle se précise du fait du narcotrafic sud-américain. Ce dernier profite de cet axe pour pénétrer de façon indirecte et diffusele marché européen des drogues. Enfin, le South Split s’oriente et longe l’Afriquesubsaharienne, puis la Corne de l’Afrique afin d’emprunter la péninsule Arabique— région « infectée » par AQPA (Al-Qaïda en péninsule Arabique) — et atteindrela zone turbulente Sud de la Turquie.

Somme toute, ces deux lignes de fractures se rejoignent en Turquie orien-tale devenue la « clé de voûte » économique et stratégique entre l’Europe et l’Asie,Eurasie, et l’Europe et l’Arabie, « l’Eurarabie ». Leur convergence forme ainsi unsegment de crise principal défini comme le Main Split. Ce dernier emprunte lecentre des empires par le « verrou » pétrolier azerbaïdjanais et s’engage dans la zone« Afghanistan-Pakistan » pour atteindre le Stansland à partir duquel il se divise entrois axes de crises et d’économies émergentes.

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Le Major Economic Axis s’enfonce jusqu’au Siberland en empruntant laMongolie — zone d’intérêt stratégique de l’Asie orientale — désignée comme lefutur poste d’observation otanien concernant les crises asiatiques qui paraissent sedessiner dans cette région orientale en ce XXIe siècle. Le North Axis, quant à lui,passe par la Sibérie centrale, via le Xinjiang, pour achever sa course dans l’Arctland.Tandis que la South East Axis, pour sa part, se dessine à travers le Cachemire et lazone stratégique frontalière entre l’Inde et la Chine pour venir s’épanouir dans lazone de l’Asie du Sud-Est et clore son « voyage » en mer de Chine.

Au début de ce XXIe siècle, les États-nations ne sont pas les seuls acteursd’une mondialisation ponctuée par des tragédies sociales et économiques. C’estainsi que les organisations internationales, les alliances militaires régionales etmondiales, tout comme les organisations non gouvernementales prennent part àcette stratégie des dominos. Celle-ci repose notamment sur la survie d’identitésnationales, étatiques et culturelles divergentes n’ayant pas de liens indubitables avecles États formant la sphère économique occidentale.

Enfin, la théorie des dominos tend à démontrer que le centre de gravitééconomique et stratégique se déplace irrémédiablement vers l’Asie orientale. Ainsi,l’acteur capable d’influencer la stratégie économique de l’Asie de l’Est sera le pilieréconomique de l’Eurasie et aura une autorité agissant sur l’économie mondiale.

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Juin 2011/ Septembre 2011