La religion dans les relations internationales

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Vol. IV n°1 janvier-février 2010 GLOBALIST The Paris Entretien avec Joseph MAïLA Le religieux, élément de compréhension du monde Jacques ATTALI Religions et géopolitique Valeur 5,60 € Vers une nouvelle guerre religieuse entre l’Inde et le Pakistan ? e Emerging Role of Sharia-Compliant Finance in European Markets Le Saint-Siège : la recomposition d’une influence EN PARTENARIAT AVEC L’ ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LES NATIONS UNIES LE RELIGIEUX DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES

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Numéro de l'hiver 2010 du Paris Globalist

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Page 1: La religion dans les relations internationales

Vol. IV n°1 janvier-février 2010

GlobalistThe Paris

Entretien avec Joseph Maïla le religieux, élément de

compréhension du monde

Jacques attali Religions et géopolitique

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Vers une nouvelle guerre religieuse entre l’inde et le Pakistan ?

The Emerging Role of Sharia-Compliant Finance in European Markets

le Saint-Siège : la recomposition d’uneinfluence

EN PARTENARIAT AVEC L’ ASSOCIATION FRANçAISE POuR LES NATIONS uNIES

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1ère de couverture -Creative Commons licence photo credit : bigdani

The Paris Globalist est dirigé par une nouvelle équipe.

Fidèle à l’esprit de la revue, la Rédaction conserve l’objectif principal de celle-ci : publier des articles qui analysent de façon exigeante les relations internationales contemporaines. The Paris Globalist évolue aussi pour répondre le mieux possible aux attentes de ses lecteurs. L’une des nouveautés est la publication, dans chaque numéro, d’un article provenant d’un partenaire de Global 21, le réseau auquel appartient The Paris Globalist. Pour le présent numéro, il s’agit d’une contribution du Yale Globalist (Yale University).

The Paris Globalist is a member of SOMMAIRE

EDITORIAL Foi et mondialisation

Nathan R. Grison

DOSSIER : LE RELIGIEUX DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES

INTRODUCTION par Jacques AttALiReligions et géopolitique

La religion orthodoxe dans la politique étrangère russeInès Levy

The Emerging Role of Sharia-Compliant Finance in European MarketsKirsten Salyer

La politique religieuse du Parti Communiste Chinois : avancer masqué ?Côme Dechery

Les voies sacrées de Washington ne sont plus impénétrablesJudith Chetrit

Vers une nouvelle guerre religieuse entre l’Inde et le Pakistan ?Jérémy Armand

Le Saint-Siège : la recomposition d’une influenceEléonore Peyrat

Israel: a secular Promised Land?Aline Marsicano Figueiredo

Les non-religieux dans le monde occidental : nouvelle clameur ou voix étouffées ?Guéhanne Beaufaron

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Religion et politique au Japon : une relation en passe de se transformer ?Caroline Soubayroux

ENTRETIEN avec Joseph MAïLA Le religieux, élément de compréhension du mondeNathan R. Grison

REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE El Día de los Muertos au Mexique

Floriane Ortega

VARIA

Working at the Epicentre of Devastation: The United Nations’ Response to Natural DisastersKatelyn Potter

La Chine : partenaire ou menace pour l’Inde ?Claire Spagnol

Le gaz vénézuélien en Amérique latine: facteur de changement ou fauteur de troubles ?Lorène Dumeaux

L’architecture publique de l’Union européenne, entre unité et discordeSimon Brombeiss

VUES D’AILLEURS

The Yale Globalist The Hunt for Al-BashirSibjeet Mahapatra

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The Paris Globalist est une revue ouverte à tous les auteurs. Si vous souhaitez être publié dans ses colonnes, vous pouvez soumettre votre proposition d’article à la Rédaction :

[email protected]

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EDITORIALEn mai 2008, tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, déclarait à l’occasion

de la création de la Faith Foundation qui porte son nom : « I have always believed that faith is an essential part of the modern world. As globalisation pushes us ever closer it is vital it’s not

used as a force for conflict and division. Faith […] is something that has much to give and to teach a world in which economic globalisation and political change are offering many opportunities but also presenting many dangers ».

Homme politique dont le rôle a été capital dans les conflits internationaux emblématiques des années 2000 (guerres d’irak et d’Afghanistan), lui-même de confession catholique, tony Blair inscrit la foi dans le cadre de la mondialisation et des changements politiques qui l’accompagnent. il fait ainsi écho aux propos prêtés à André Malraux : « Le XXième siècle sera religieux ou ne sera pas ». Si notre siècle est « religieux », il l’est de façon différente des précédents. La place du fait religieux dans les relations internationales contemporaines est une question d’une grande complexité. Elle est au cœur de ce numéro du Paris Globalist.

Il est difficile, pour autant, de s’accorder sur le sens et les limites du religieux entre interprétations critiques et généralisations excessives. L’étymologie même du mot demeure controversée depuis l’Antiquité. Au sens propre, le terme religio signifie « engagement », ou encore « obligation », et d’aucuns se fient donc à la définition de Cicéron qui y voyait le souci d’être scrupuleux dans l’observation des rites par respect et par crainte des dieux. Pour d’autres, le terme proviendrait du verbe latin religare, « relier » l’humain au divin mais aussi les hommes entre eux. De la crainte à la cohésion, le phénomène religieux apparaît donc aussi englobant que fragmenté. Cependant, les facteurs religieux apparaissent comme incontour-nables dans l’étude des relations internationales contemporaines.

Le débat qui a fait rage en 2005 sur l’éventuelle inclusion d’une référence à l’héritage chrétien de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne a rappelé avec force l’importance de la religion dans nos sociétés. Néanmoins, le refus persistant des chefs d’Etat et de gouvernement de céder à la pression de l’Eglise catholique sur cette question est emblématique du processus de sécularisa-tion, voire de laïcisation, que connaissent, depuis plusieurs décennies et à des degrés divers, l’Europe et l’ensemble des sociétés occidentales. La religion tend, en effet, à y perdre son rôle social et son influence politique.

Pourtant, c’est une tendance inverse à celle du « désenchantement du monde » (Marcel Gauchet) qui s’affirme dans des régions comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique. En quête de repères, de larges populations en marge de la mondialisation viennent trouver auprès des structures religieuses établies une aide spirituelle mais aussi matérielle. Dans certaines sociétés, pour des raisons culturelles, sociales et politiques, adhérer à la religion dominante reste parfois inévitable. La multipolarité mondiale du religieux a beaucoup évolué et notre cartographie mentale, passéiste autant qu’erronée, d’un christia-nisme européen et d’un islam moyen-oriental n’en devient que plus obsolète.

Mondialisé, transnationalisé, le religieux n’en cherche pas moins un point d’ancrage spatial, source de légitimité globale et de valeur politique. Pour ma part, j’analyse ce phénomène avec le concept opératoire de mise en étoile que je définis comme la projection physique quasiment incontrôlée d’une religion dont l’unité ne subsiste que par son rattachement mental à un lieu mythifié, perçu comme central et reconnu de ses fidèles comme des autres. Le concept de mise en étoile permet d’interpréter nombre de conflits du monde contemporain.

La spatialisation du religieux donne parfois naissance à une géopolitisation abusive du phénomène et à une surévaluation de la place des croyances dans les conflits contemporains. Ainsi les religions se trouvent inscrites au cœur de thèses comme celle, trop fameuse sans doute, du « Clash of Civiliza-tions » (S. Huntington). L’islam, associé aux Etats-Unis comme en Europe aux images marquantes du terrorisme depuis le 11 septembre 2001, est la principale religion à souffrir aujourd’hui de cette vision réductrice. Une telle rhétorique stigmatisante de classification et d’exclusion peut engendrer de graves conflits.

Le religieux joue assurément un rôle central dans la conflictualité moderne. « We have just enough religion to make us hate, but not enough to make us love one another! » écrivait Jonathan Swift. il semble que, depuis le XViiième siècle, les temps aient changé, mais pas les hommes.

Nathan R. GRISONDirecteur de la Rédaction du Paris Globalist

Master Affaires internationales, mention Sécurité internationale

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Directeur de la Rédaction

Nathan R. Grison

Rédactrice en Chef

Eléonore Peyrat

Éditeurs

Sébastien DéniauInès LévyTiphaine MérotSarah NahoumSarah StruckLeslie Tourneville

Graphisme

Solveig Ferlet

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Creative Commons licence photo credit : Greg O’Beirne

De tout temps, le fait religieux a structuré l’histoire. C’est par lui qu’ont surgi les nations. C’est lui qui légitime

les dynasties. C’est lui qui sert de prétexte, pendant des millénaires, à la plupart des guerres, même quand il se cache derrière le nationalisme. Et aujourd’hui encore, le fait religieux est omniprésent dans la dynamique des enjeux internatio-naux qui structurent l’ordre mondial. Souvent négligées, bien souvent écartées, trop souvent oubliées, les religions restent un des facteurs clés d’analyse de la géopolitique contempo-raine. Leurs valeurs, et en particulier celles de Fraternité, d’altruisme, peuvent aider à penser la communauté des hommes, la gouvernance mondiale et les droits de l’humanité.

Pendant des millénaires, les Dieux ont servi aux hommes de modèles, souvent guerriers, dont les batailles justifiaient et expliquaient celles des êtres humains, comme dans le cas de l’iliade, ou du Mahabaratha, ou des grandes batailles retracées dans la Bible. De tout temps, les religions – des animistes africains aux bouddhistes tibétains, en passant par les orthodoxes, les chiites, les sunnites, les hindous, les catholiques, les juifs ou les déistes – tentent de rassembler leurs fidèles autour d’une même compréhension du monde. Du latin religare (relier) ou relegere (recueillir), les religions relient les hommes et recueillent le sens de ce qui les entoure.

D’une part, ciment social, la croyance en une même théologie a toujours participé à la construction identitaire d’une nation. Elle est un ressort facilement mobilisable par le politique. On l’a vu pour les peuples babyloniens, perses, hébreux, grecs, romains, olmèques ou Anasazi. On l’a vu en inde, au tibet ou au Kosovo, on le voit encore au Darfour, au Cachemire ou au Proche-Orient. L’infidèle est Autre, exclu de la communauté soudée par la foi. Vecteur d’alliances et de protections, la religion segmente le monde selon des contours flous et mouvants sans toujours se préoccuper de suivre le dessin des frontières, devenant prétexte à des conquêtes, pour protéger des coreligionnaires.

D’autre part, en faisant l’expérience de la sacralité du divin, la religion recueille une explication du Monde, une cosmogonie partagée par ses fidèles. Le savoir et le croire sont donc entremêlés. En hébreu, Torah signifie « enseignement » ; en sanskrit, Véda – textes retranscrivant la transmission orale des brahmanes aux fondements de l’hindouisme – se traduit par « connaissance ». Puisqu’elle comprend le monde selon sa propre grille de lecture, la religion propose son interpréta-tion de l’ordre mondial. Et elle tolère parfois mal les analyses divergentes, laïques ou émanant d’autres religiosités.

Religions et géopolitique sont donc intrinsèquement nouées. L’ordre international oppose insiders et outsiders, le fidèle et l’infidèle pour les religions, l’allié et l’ennemi pour les Etats. La géopolitique, comme la religion, fait du territoire la donnée principale, ancrant toute stratégie internationale

dans un lieu précis et physiquement identifiable. Pour la religion, la terre sacrée est essentielle. Elle donne corps aux enseignements. Les lieux saints, les temples, les édifices religieux, les endroits porteurs de spiritualité sont d’une importance considérable, pour toutes les religions. ils permettent de

graver dans le sol le lien sacré qui unit l’homme au divin. Dès lors, la religion se marie aisément avec l’idée de nation, également fortement enracinée dans le territoire. Sans jamais se réduire ni se confondre entièrement, à lui, le

Jacques attali

Économiste, écrivain, haut fonction-naire, Jacques Attali a été le conseiller spécial du Président de la République de 1981 à 1991. Puis, il fonde et préside la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, à Londres. Aujourd’hui, il est le président de A&A, cabinet de conseil internatio-nal et président de PlaNet Finance, une organisation internationale à but non lucratif qui développe la microfinance dans plus de 80 pays. Jacques Attali est diplômé de Polytechnique, de l’Ecole des Mines, de l’Institut d’Etudes Politiques et de l’ENA. Sherpa pour de nombreux sommets mondiaux, il a fondé Action contre la Faim et Eureka. Il a notamment conseillé le secrétaire général des Nations Unies sur les risques de prolifération nucléaire. En 2009, pour la deuxième année consécutive, Foreign Policy le nomme parmi les cent premiers intellectuels de la planète car il a réussi à « définir l’intellectuel public dans le pays qui les a inventés ». Jacques Attali est l’auteur de plus de cinquante livres diffusés à plus de huit millions d’exemplaires dans le monde entier.

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La religion segmente le monde selon des contours flous

et mouvants sans toujours se préoccuper de suivre le dessin

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Religions et géopolitique

iNtRODUCtiON par Jacques attali

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nationalisme s’imprègne facilement du paramètre religieux et le mobilise volontiers.

Dans l’Europe chrétienne, c’est au nom de Jésus qu’on s’est entretué, jusqu’à ce que, en 1648, les guerres religieuses qui embrasaient l’Europe s’apaisent, par les traités de Westphalie affirmant que cujus regio ejus religio : à chaque prince, sa religion. Les croyances se sont ainsi trouvées territorialisées, et donc reliées au pouvoir temporel politique.

Puis vint le temps des Lumières, qui prétendit chasser le religieux du politique, pour le remplacer par le nationalisme et par la laïcité. En vain : tout au long du XXème siècle, le religieux est resté le support du géopolitique. C’est au nom du religieux, incarné dans le dynastique, que s’est déclenchée la première guerre mondiale. C’est dans la négation du religieux, que se sont fondés le nazisme et le communisme. C’est aujourd’hui dans le religieux – au moins dans la moitié monothéiste du globe – que se masquent les principaux conflits contemporains dans le monde ; même s’ils ne servent que de prétexte pour dissimuler les véritables raisons de realpolitik sous-jacentes : ressources énergétiques, conquêtes territoriales.

Dans certains cas, le religieux légitime une volonté de revanche des peuples colonisés. Dans d’autres, une aspiration nationale. Ainsi, le rôle de l’orthodoxie dans le conflit entre la Serbie et le Kosovo est une illustration très parlante de la confusion entre identité nationale et identité confessionnelle. Le nationalisme serbe repose, en effet, essentiellement sur la mythification de la bataille historique de Kosovo Polje, en 1389, sur le Champs des Merles. Le Prince serbe Lazar Hrebeljanović, ayant reçu la veille la visite d’un ange, aurait fait le choix christique de mener le combat jusqu’au bout contre les Ottomans. Ce sacrifice de la chrétienté n’a eu de cesse d’alimenter l’idée d’élection ethnique du « peuple serbe

martyr ». L’identité serbe s’enracine dès cette date dans la terre kosovare. Ce mythe, entretenu et survalorisé par l’Eglise orthodoxe de Belgrade sera repris par Milosevic pour réveiller le nationalisme serbe, dont la religion sera

une composante notoire. Faisant du Kosovo la « Jérusalem serbe » et le berceau de la nation, toute velléité d’autonomie ou d’indépendance de la province est ainsi devenue source de conflit. Et parce que Jérusalem est considérée comme le berceau identitaire des trois religions monothéistes, christia-nisme, islam et judaïsme, le conflit au Proche-Orient se trouve pour l’heure dans une impasse.

Pour l’éviter, toutes les religions devront se débarrasser de leurs intégrismes et réussir à séparer religion et culture. C’est possible : bien des religions condamnent la violence. Le Lévitique proclame « tu ne feras pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse », condamnant ainsi toute violence. Jésus dit à Pilate « mon royaume n’est pas de ce monde ». Muhammad iqbal, poète musulman et père spirituel du Pakistan, affirme que « l’islam n’est pas territorial ». Le confucianisme inclut peu de spécificités territoriales car il ne reconnaît aucun extérieur absolu, mais uniquement des degrés relatifs de proximité au centre. Parce qu’elles proposent le salut à tout fidèle, les religions sont directement concernées

par le sort des plus faibles : enfants, habitants des pays pauvres, femmes, victimes de guerres, de catastrophes naturelles… Elles ont également à cœur, de veiller à ce que

la liberté religieuse soit partout préservée, respectée ou améliorée.

Les religions tentent de se parler, pour ne plus être des prétextes à la violence nationale. Du Parlement mondial des religions qui s’est réuni pour la première fois à Chicago en 1893, aux Conférences Mondiales des Religions pour la Paix créées en 1970, les initiatives de dialogue interreligieux se multiplient aujourd’hui. La communauté de Sant’ Egidio en est un exemple remarquable. Elles devront, de plus en plus, s’unir pour condamner le matérialisme, l’égoïsme de l’in-dividualisme croissant et pour en appeler à la victoire de la seule valeur qui leur est commune, et sans laquelle l’humanité disparaitra : la Fraternité.

Jacques attali

Dans d’autres cas encore, c’est un discours prosélyte qui masque une stratégie impériale. L’appartenance à une même religion est parfois traduite en une volonté d’établir des frontières à la communauté de foi. C’est par exemple l’idée d’Al Qaeda d’Islam alone qui veut faire coïncider l’umma (la communauté des musulmans indépendamment de toute différence de nation) et le dâr-al-islâm (la terre où la loi de l’islam, la shari’a, est appliquée à l’état brut) en l’éloignant de toute dâr al-harb (terre de guerre, non musulmane).

À l’avenir, le religieux s’inscrira plus encore dans la géopolitique. D’ici 2020, les musulmans seront plus de deux milliards, soit près d’un quart de la population mondiale. Les protestants, extrêmement adaptables à la globalisation et à la modernité, représenteront démographique-ment la seconde religion, très présents notamment en Afrique. Au sein du catholicisme, on assistera à la radicalisation d’une partie des croyants, moins nombreux mais plus intégristes dans leur foi, poussés par une Eglise en décalage toujours plus grand avec la société. On pourrait bien constater la dé-christianisation de la Rome des clochers, lassée de l’influence du Vatican sur sa politique intérieure. D’ailleurs, on verra se renforcer de nouveaux pôles du catholicisme : aux Philippines, en Afrique ou en Amérique Latine. Les dissensions entre le patriarcat de Moscou et de Constantinople s’accroitront, du fait notamment de la volonté de plus en plus hégémonique de Kirill et de ses successeurs. Le rassemblement des Eglises orthodoxes est toutefois hautement improbable : elles n’y ont elles-mêmes pas intérêt et le Saint-Siège freinera au maximum tout contrepoids trop important à son influence. Le judaïsme verra sa population continuer de se réduire, sauf à changer radicalement d’attitude à l’égard de la conversion.

Les polythéismes seront à nouveau majoritaires sur la planète. L’hindouisme, difficilement exportable en dehors des frontières de la péninsule indienne, restera la troisième religion au monde, même si l’inde s’affranchira de plus en plus des traditions religieuses qui structurent politique et société. Le bouddhisme a connu une longévité qu’il n’avait lui-même pas anticipée. Prévu pour s’éteindre progressivement au bout de 500 ans, il s’est peu à peu reconduit, développé et adapté à la modernité. Le bouddhisme, qui règne dans toute l’Asie sauf dans le pays qui l’a vu naître, deviendra probablement très populaire en Occident.

Surgiront aussi des religions « lego », narcissiques, où chacun se construira une religion sur mesure. Les conflits auxquels les religions servent de prétexte seront donc exacerbés. Aujourd’hui, les dangers d’un conflit des civilisations qui verrait, si l’on en croit Samuel Huntington, s’opposer une alliance de l’islam et de la Chine contre l’Occident hellé-no-chrétien – ce que le conflit entre Hans et Ouïghours en Chine rend un peu moins vraisemblable – ne sont que peu menaçants. Les vrais conflits religieux seront ailleurs. Le vivre ensemble des diverses communautés entassées dans des villes de plusieurs dizaines de millions d’habitants se fera de plus en plus difficile. Et, à côté des guerres de religions, on verra surgir des conflits religieux urbains, bien plus violents encore.

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Tout au long du xxème siècle, le religieux est resté le support

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Bien des religions condamnent la violence

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À la tête de l’Église orthodoxe russe, Kirill ier est patriarche à la fois de Moscou et de toute la Russie, ou plutôt de

toutes les Russies. Un titre qui rappelle que le pouvoir de cette Église a vocation à s’étendre au-delà des frontières de la Fédération. Or cette influence, relayée par la politique extérieure de Moscou, n’est pas du goût de tous ses voisins.

La visite de Kirill ier en Ukraine, en août 2009, a par exemple réveillé de nombreuses voix dans les forces politiques dites pro-occidentales, qui protestent régulièrement contre l’ingérence russe dans les affaires intérieures ukrainiennes, et accusent le patriarche de servir les intérêts du Kremlin. De nombreux observateurs ont vu dans cette visite un geste supplémentaire dans les efforts engagés par la Russie afin de couper court aux avances de l’Ukraine en direction de l’UE et de maintenir ainsi le pays dans sa sphère d’influence. Olexandr Plaiy, historien à l’institut de Politique extérieure, entité rattachée au Ministère des Affaires étrangères ukrainien, cité par la revue Time, considère la démarche du patriarche comme « celle d’un envoyé politique russe plutôt que d’une figure religieuse ». D’après lui, « L’Église est utilisée comme un instrument dans le jeu du Kremlin ».

En effet, l’argument religieux réapparaît tout au long du feuilleton russo-ukrainien autour de la guerre du gaz, qui dure depuis plusieurs années déjà. Le refus du président Medvedev d’envoyer un ambassadeur à Kiev avant les élections prési-dentielles ukrainiennes de janvier 2010 s’est accompagné d’une lettre ouverte énumérant les griefs retenus contre la « politique antirusse » du voisin. Ceci fait référence, entre autres, à la tentative du président ukrainien, en 2008, d’unifier l’église orthodoxe d’Ukraine indépendamment de la tutelle russe.

Les appels à l’héritage orthodoxe commun ne manquent pas dans les relations de la Russie avec cette aire d’influence qu’elle aime appeler son « étranger proche ». Et même au-delà : dans les Balkans notamment, ces appels remontent au soutien apporté à la Serbie orthodoxe dans les années 1990, et continuent dans l’opposition à l’indépendance du Kosovo. Dans un message adressé à Lluís Maria de Puig, président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et à Koïchiro Matsuura, directeur général de l’UNESCO, le patriarche Kirill revient sur les « pogroms contre les Serbes de la part des nationalistes albanais » de mars 2004, qui ont, en plus des victimes et des déplacés, vu les églises et monastères orthodoxes subir d’importants dégâts matériels. Blâmant les institutions internationales pour leur incapacité à protéger le patrimoine orthodoxe ou à restaurer la situation en permettant le retour des réfugiés, il affirme que « l’indépendance de la région du Kosovo n’a pas amélioré la situation, mais au contraire a mis fin aux processus positifs ». Le patriarche demande dans sa lettre au président de l’Assemblée parlemen-taire du Conseil de l’Europe de « soutenir les malheureuses victimes et faire tout le nécessaire pour rétablir la justice et rendre l’espoir à la population de la région serbe du Kosovo ».

L’Église orthodoxe apparaît ainsi comme un instrument puissant de justification de la politique extérieure russe, qualifiée d’impérialiste par certains. Cet outil est devenu d’autant plus facile à utiliser que Poutine a su, en mai 2007, pousser à sa réunification. En effet, l’Eglise orthodoxe russe hors frontières (basée aux États-Unis, ROCOR de son acronyme anglais) s’était séparée du patriarcat de Moscou après la révolution d’octobre 1917. Elle se présentait comme le bastion de l’orthodoxie libre face à l’Église de Moscou, anciennement inféodée au PCUS. La nouvelle Église unifiée

L’Église orthodoxe semble avoir gagné du terrain en Russie. Mais une nouvelle affirmation de l’orthodoxie, notamment dans les relations extérieures russes, cache des marchandages plus complexes.

à l’initiative du pouvoir politique est ainsi désormais une arme supplémentaire au service de l’État et de sa politique étrangère.

Mais cette dynamique est aussi dans l’intérêt du patriarcat de Moscou, qui cherche à réaffirmer sa domination sur le monde orthodoxe et son importance face au patriarcat de Constantinople. Certes, la religion orthodoxe est un pilier majeur du renouveau nationaliste, très utile au pouvoir en place. Cependant, l’Église a retrouvé en retour un lustre et un éclat presque dignes du temps des tsars. Aujourd’hui, près de deux tiers des 140 millions de Russes se proclament orthodoxes, même si pour la plupart il s’agit davantage d’une affirmation identitaire, quasi ethnique, plutôt que spirituelle. Les images de popes aspergeant des bombardiers ou même des missiles nucléaires sont fréquentes à la télévision, et toutes les déclarations politiques du patriarche vont dans le sens du pouvoir. Ce « partenariat actif », tel que défini par Alexis II1, synchronisation des discours et des positions, est le meilleur moyen d’assurer la prééminence du christianisme orthodoxe en Russie.

Malheureusement cette stratégie n’est pas sans risque. D’abord, le discours de l’Église orthodoxe russe désigne de plus en plus la Russie comme un pays orthodoxe, ou à majorité chrétienne, faisant omission de la réalité multiconfessionnelle de la Russie. Ce qui n’est pas pour déplaire aux groupes na-tionalistes et xénophobes, même si l’argument religieux reste encore peu présent dans leur rhétorique. Une différenciation

des communautés ethniques et religieuses, avec la majorité russe au sommet, apparaît dangereusement porteuse de tensions et d’exclusion.

Jouer la carte du religieux est également à double tranchant pour le pouvoir politique russe. L’héritage orthodoxe commun n’a pas empêché la Russie de mener une dure offensive contre la Géorgie, critiquée par les Églises des deux pays comme fratricide. Et l’argument religieux cache mal les enjeux éco-nomico-stratégiques qui le dépassent largement, et pèsent finalement bien plus lourd dans la balance.

Inès LevyEtudiante en 2ème année

Cet article a été réalisé avec l’aimable collaboration de Kathy Rousselet2, Directeur de recherche CERi de Sciences Po, chercheur associé au Centre d’études des mondes russe,

caucasien et centre européen (EHESS).

1 Alexis ii était le patriarche de Moscou jusqu’à son décès en 2008.2 Kathy Rousselet est, par ailleurs, membre du comité de rédaction de la Revue d’Etudes Comparatives Est-Ouest et des Archives de sciences sociales des religions. Elle travaille principalement sur les transformations sociales et religieuses en Russie postsoviétique.

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islamic finance is offering the world an alternative way of looking at economic exchange in which European countries

are becoming increasingly invested.

Based on the Sharia, the traditional Muslim laws that prohibit the use of interest, the Islamic finance industry provides the nearly 38 million Muslims in Europe with an investment option that adheres to their faith. With Muslims projected to reach one-fifth of the total European population by 2050, the more than $800 billion industry is banking on success.

The Islamic financial services industry has “witnessed significant expansion globally and has emerged as a viable system and acceptable alternative to traditional finance for mobilizing savings and financing investment” said Dr. Abdul Aziz Mohamed Al-Hinai, vice president of the islamic Development Bank1. Compared to a 6.8% rise in assets held by conventional banks, the assets of the Sharia-compliant banks rose up to 28.6% in 20092. With 20 new entrants, the industry also continued to expand, making a total of 435 Sharia-compliant institutions and 191 conventional banks with Sharia-compliant options.

Islamic finance follows ethics outlined in the Islamic holy book, the Koran, which does not allow the use of interest in economic exchange. Sharia-compliant credit arrangements instead use islamic bonds, called sukuk. they work on the basis of partnerships in which risk and profit are shared between the two parties. the islamic Development Bank and other Islamic banks first launched those Islamic financial products in the early 1970s. today, the Dow Jones islamic

Market index, created in 1999, provides the benchmarks for 65 country-level indexes.

islamic investors are now turning to Europe to expand the market for Islamic financial products. “The demand is there, says Eleanor De Rosmorduc3 in an interview for The Paris Globalist, islamic investors want to invest outside their own limited markets and are looking to foreign domiciles.”

European Union’s regulation allows investors to access a broad market. Under the Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities Directive, investment funds registered in one country can be freely exchanged throughout the EU. islamic investors are taking advantage of this directive, which allows them to establish institutions

in one country and sell their funds across EU member states.

the relationship between islamic finance and European States works both ways. European countries are also taking steps to attract these

islamic investors. While corporate taxes are guided by broad European standards, many countries have adopted favorable regulations and tax treatments as incentives for Islamic finance structures. Banks and investment institutions are also offering training programs to educate employees on islamic practices and are undertaking research on monitoring the market for islamic funds.

London has developed itself as a premier islamic banking hub. A report published in February 2009 by International Financial Services London placed the United Kingdom as

the eighth largest global center for Islamic finance, behind many Gulf countries but surprisingly ahead of Pakistan and Egypt. In March 2009, the UK offered five fully Sharia-compliant banks, with 17 conventional institutions offering Islamic financial services for the 2.4 million Muslims in the population.

But the United Kingdom is not the only one to attract islamic financing structures. Luxembourg, which is considered the world’s least risky business environment, was the first chosen domicile of a Sharia-compliant insurance company in Europe in 1983. And today, the country offers 31 Sharia-compliant investment funds. the Netherlands is also working to review its industry in order to attract a number of islamic real estate and private equity investments. Germany, with approximately five million Muslims, began to issue sukuk in 2004, and many German banks now offer Islamic financial services.

France is the latest country to undertake a push towards attracting Islamic finance. The country faces both social and economic consequences of its historical tie to northwest Africa: a Muslim population of more than four million and high levels of Muslim immigration. While the social debate on prohibiting the wearing of the islamic veil at school raged in the media last fall, policy makers turned towards opening up France’s legal framework to welcome Sharia-compliant structures. French Finance Minister Christine Lagarde spearheaded a two-year drive to make France a European center for Islamic finance. Despite many discussions at the Senate in September 2009, the amendment authorizing the trading of sukuk was not passed due to an irregularity in the juridical process. But, if the agenda is followed, sukuk might

well appear on the French market by the end of 2010. these policy adjustments appeal to the Muslim population in France and abroad and offer investment alternatives in face of the recent credit crisis.

the rise of islamic banking in Europe shows that the link between islamic countries and European states is more than just a movement of people. the economic ties serve to strengthen the international relations among countries as well as provide necessary services to the Muslim population of EU countries. in the face of the recent economic crisis, the protection from speculation inherent in Islamic finance also appeals to a larger consumer target than Muslims. Nevertheless, risks are not totally absent from Islamic finance as shown by the 2009 crisis in Dubai.

therefore, it is still unclear whether islamic investment in Europe is merely a “fashion” or the beginning of a trend. However, as Eleanore De Rosmorduc said to The Paris Globalist, “Islamic finance has been very, very high. If it continues to grow at this rate it will be a big market for EU countries.” European countries and financial institutions are thus taking steps in anticipation of future growth in islamic investment.

Kirsten SalyerEtudiante en 3ème année

Double cursus Sciences Po/Northwestern

1 Speech of Dr. Abdul Aziz Mohamed Al-Hinai to the Organization of the islamic Conference, May 2009.2 According to a survey released by the Banker magazine in November 2009.3 Eleanor de Rosmorduc is the communication manager for Luxembourg for Finance, an agency for the development of the financial sector in Luxembourg. Part of the work of this organization is to offer information on how to set up Islamic finance products.

As the Muslim population in Europe increases and the world tries to recover from the recent economic crisis,European countries are welcoming Islamic finance into their markets.

Islamic finance follows ethics outlined in the Islamic holy book, the Koran, which does not allow the use

of interest in economic exchange

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The Emerging Role of Sharia-Compliant Finance

in European Markets

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La religion en Chine a longtemps été une affaire d’Etat. En effet, le concept qui a donné à l’Occident son plus

puissant point de ralliement dans la lutte contre les abus du pouvoir temporel, celui d’un Dieu unique et transcendant, est absent des religions chinoises traditionnelles. Le temple demeure ainsi historiquement subordonné à l’Empereur et reste cantonné au domaine social sans jamais se mêler de politique.

Lorsque les communistes prennent le contrôle du pays en 1949, ils mettent les anciennes méthodes au service d’un nouvel idéal. Afin d’en finir avec « l’opium du peuple », la politique religieuse du gouvernement oscille entre une ligne modérée, selon laquelle la religion est simplement contrôlée, et une ligne extrême selon laquelle elle doit être activement détruite.

Dans un premier temps, la modération semble l’emporter. Pour éviter sa propagation et l’extension de son influence, la religion est mise sous contrôle. Les missionnaires étrangers sont renvoyés chez eux. L’Etat reconnaît ainsi cinq religions comme officielles1 et les organise dans huit associations patriotiques qu’il prend soin de noyauter. Ceux qui refusent de reconnaître et d’intégrer les nouvelles structures sont chassés et forcés d’entrer en clandestinité. C’est notamment le cas de l’Eglise souterraine catholique, restée fidèle au Pape.

1 il s’agit du taoïsme, du bouddhisme, de l’islam, du protestantisme et du catholicisme. Le confucianisme, plus proche d’une éthique de vie que d’une religion révélée, n’est pas considéré comme une religion. tous les autres cultes (religion populaire, sectes locales) sont interdits.2 Nom donné aux trois grandes directives promulguées par Jiang Zemin en Novembre 1993 afin de donner une nouvelle impulsion à la politique religieuse gouvernementale. 3 Le Saint-Siège n’entretient plus de relations diplomatiques avec la Chine depuis 1951.4 Shanghai Star, 3 October 2000; China Daily, 6 October 2000.5 Letter of Chen Yun of 4 April 1990, Asia Development Brief, November–December 1994.

Mais en 1966, la tendance s’inverse. Pour éliminer ses rivaux politiques, Mao Zedong s’allie avec l’aile gauche du Parti et lance la Révolution culturelle. Les temples sont détruits, les associations patriotiques dissoutes, les livres saints brûlés et les moines envoyés en « rééducation ».

La politique religieuse durant l’ère des réformes : une rupture post-totalitaire ?La mort de Mao en 1976 et le retour du modéré Deng Xiaoping en 1978 marquent le début de l’ère des réformes. Le PCC définit alors une nouvelle ligne religieuse suivant trois ruptures.

tout d’abord, le PCC abandonne ses visées idéologiques pour une approche pragmatique. À chaque problème sa solution, que celle-ci soit marxiste ou non. La célèbre formule de Deng Xiaoping illustre bien ce nouvel état d’esprit : « Peu importe qu’un chat soit noir ou gris pourvu qu’il attrape les souris ». Le président Jiang Zemin relaya ce principe dans ses Trois Phrases3 : puisque la longévité est la première caractéristique de la religion, le phénomène religieux a toutes les chances de s’inscrire encore durablement en Chine. Le PCC doit donc aider la religion à s’adapter à la société socialiste. Le mot d’ordre n’est donc plus « circonscrire et laisser mourir » mais bien plutôt « encadrer et accompagner ».

Deuxièmement, le PCC passe d’une politique de contrôle totalitaire à la mise en place d’une autonomie limitée. Mieux vaut donner à la religion un espace pour qu’elle s’exprime, plutôt que de la réprimer, au risque de la voir se transformer en un facteur de subversion. La renaissance des associations patriotiques va dans ce sens. Ces dernières ont dès lors le droit d’administrer leurs ouailles tant qu’elles servent aussi les buts du Parti. Lorsqu’en 2000 le Saint-Siège3 canonise 150 martyrs chinois le jour de la fête nationale, l’archevêque Fu tieshan, qui appartient à l’Eglise patriotique officielle, déclare que « choisir cette date pour canoniser ces soi-disant Saints est une insulte publique et une humiliation à l’encontre de tous les catholiques chinois »4. L’honneur national est sauf et les cadres du Parti satisfaits.

Enfin, le PCC entreprend de construire un cadre légal pour mettre fin aux décisions arbitraires des potentats locaux. Pour espérer sauvegarder l’ordre social, le Parti-Etat sait qu’il doit s’habiller des habits de l’objectivité légale.

La constante conservatriceDe toute évidence, il ne faut pas conclure de ces évolutions que la liberté religieuse est aujourd’hui sur de bons rails en Chine.

Marqué par l’effondrement du bloc socialiste en Europe et par le rôle majeur de l’Eglise catholique dans cette chute, le PCC sait que la religion peut causer sa perte. Au début des années 1990, le puissant cacique du Parti, Chen Duxiu, écrivait ainsi : « utiliser la religion pour rallier les masses – particulièrement les jeunes – a toujours été l’une des ruses favorites de nos ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur »5. Parce que la religion permet de proposer une autre forme d’adhésion à un mouvement de masse, parce qu’elle fournit d’autres valeurs que celles prônées par l’Etat, elle menace le monopole qu’exerce le Parti sur la loyauté politique.

Aujourd’hui, comme du temps des anciens Empereurs, la religion est tolérée tant que son message ne porte aucune critique politique ou sociale. L’islam des Ouïgours était

protégé par des lois sur les minorités nationales. Mais il a suffi que la révolte éclate pour que tous les imams suspects d’accointances avec les mouvements séparatistes soient arrêtés, sans autre forme de procès. Dans un contexte de

fortes mutations sociales, le Parti se méfie également des cultes portant les revendications des laissés pour compte. À l’heure où des dizaines de millions de paysans sans travail se déversent dans les villes, la religion joue à plein son rôle de filet social. Et le PCC sait que, d’un point de repère à un point de ralliement, il n’y a qu’un pas.

Le cœur du problème n’a donc pas changé : le Parti-Etat continue d’édicter la norme sociale. Les occupants de Zhongnanhai (siège du PCC) ont peut-être abandonné le rêve de remodeler la société, mais ils n’ont pas abandonné celui de la contrôler dans tous ses aspects. il n’est cependant pas certain que cela dure. Le Parti a jusqu’ici su éviter tous les obstacles que la modernisation posait à son hégémonie. Mais jusqu’à quand pourra-t-il protéger le sommeil de l’unique Saint officiel du régime, reposant dans le mausolée de la place tiananmen, le Grand timonier Mao Zedong ?

Côme Dechery Etudiant en 3ème année

En échange à l’Université de Californie.

Depuis 1978,la Chine a libéralisé son régime des cultes.

Réel progrès ou poursuite par Pékindes mêmes buts par d’autres moyens ?

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L’Etat reconnaît ainsi cinq religions comme officielles et les organise dans

huit associations patriotiques qu’il prend soin de noyauter

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La politique religieuse du Parti Communiste Chinois :

avancer masqué ?

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La religiosité américaine est part de son identité et de son histoire : les Founding Fathers ont quitté l’Europe

pour fuir les persécutions religieuses qu’ils y subissaient. En 1998, le International Religious Freedom Act établit la liberté religieuse comme impératif à respecter dans la conduite de la politique étrangère américaine. Pour 75% des Américains, la religion est un facteur clef de compréhension des relations internationales1. Les Etats-Unis, lieu théopolitique, voient la religion comme une variable de politique étrangère. Dans cette optique, la droite religieuse américaine, si stéréotypée et atypique pourtant, donne une impulsion chrétienne à la politique étrangère du pays, favorisant l’adoption d’une rhétorique moralisante. Les voies sacrées de Washington ne sont plus impénétrables.

Depuis Reagan, la droite religieuse introduit les principes bibliques dans le débat international. La mouvance évangélique, qui s’est appropriée les nouvelles technologies de communication politique, en est le premier acteur. Bénéficiant d’un profond ancrage électoral majoritairement au Sud et au Centre Ouest du pays, les associations locales évangéliques ont rallié à leur cause la mouvance néoconser-vatrice du Nord-Est pour porter leurs revendications. Forte de son hétéroclisme, la droite religieuse représente actuellement 26% de la population américaine. Cette nébuleuse d’associations familiales, de groupes d’intérêts et de think-tanks tente de peser lors des débats au Sénat ou à la Chambre des représentants.

Son poids politique est particulièrement important dans les problématiques latino-américaines, et ce notamment depuis la présidence de Reagan. En soutenant la politique américaine anticommuniste en Amérique Latine, et au Nicaragua en particulier, le protestantisme évangélisateur a fortement pénétré le continent. Aujourd’hui, 20% de la population brésilienne est évangéliste pentecôtiste. La mouvance

évangélique a cependant connu un reflux de son essor au Venezuela avec l’expulsion des New Tribes Mission par Chavez en 2005.

Faisant de la rhétorique religieuse son arme principale, la droite religieuse américaine diffuse ses propres normes dites « judéo-chrétiennes » dans le débat international. La distinction établie par George W. Bush entre le Bien, Etats-Unis en tête, et le Mal, symbolisé par les Rogue States, est emblématique de cette impulsion morale. La présidence de Bush a été particulièrement marquée par ce vocabulaire théologique. Après le traumatisme du 11 septembre, il déclara devant le Congrès : « La liberté et la peur, la justice et la cruauté se sont toujours fait la guerre et nous savons que dans cette lutte, Dieu n’est pas neutre.». Le peuple américain se trouvait alors naturellement engagé, par les mots autant que par les armes, dans un combat contre l’Axe du Mal.

Cette vision messianique et salvatrice de l’Amérique n’est pas nouvelle. Le premier Président des Etats-Unis, George Washington avait affirmé aux prémices de la construction

du pays que « chaque pas qui nous fait avancer dans la voie de l’indépendance nationale semble porter la marque de l’intervention providentielle »2. Ainsi, Ariel

Colonomos3 explique au Paris Globalist que « cette nécessité du pouvoir politique d’être adoubé par le religieux ou, au moins, d’être en phase avec un message religieux est un élément structurant de la vie politique américaine ».

Pour porter ses revendications, la droite religieuse américaine a parfois recours aux instances internationales. Bien qu’elle reste critique envers le droit de regard législatif dont ces institutions se prévalent sur les intérêts américains, les Nations Unies par exemple représentent une tribune supplémentaire pour l’exposition de leurs idées conservatrices en matière familiale et sociale. Ainsi, dans le cadre de l’aide humanitaire

Etats-Unis. toutefois, la cacophonie de la droite religieuse, qui peine à établir une ligne commune et stable, limite son pouvoir d’influence. Et l’arrivée au pouvoir d’Obama semble changer la donne. Dans son discours du Caire, il a fait appel à des sourates précises du Coran pour ponctuer son message de paix et de réconciliation entre l’Amérique et le monde musulman. Pour autant, la rhétorique religieuse, bien que différente, reste centrale.

La foi religieuse des candidats républicains et démocrates n’a d’ailleurs jamais été aussi évoquée qu’en 2008, lors de la course à la présidence. La foi chrétienne du président Obama a ainsi souvent été remise en question en raison de ses origines musulmanes, preuve supplémentaire que la droite religieuse américaine plie mais ne rompt pas.

Judith ChetritEtudiante en 3ème année

En échange à l’Université de Northwestern

1 Selon un sondage réalisé en 2005 par le Pew Forum. 2 Discours d’investiture de George Washington, 1789. 3 Ariel Colonomos est chercheur au CERi, spécialiste de la place que joue l’éthique dans les Relations internationales.

God Bless America :Dans une Amérique où la religiosité est portée fièrement, la droite religieuse américaine a une place politique non négli-geable. Influant sur les décisions de politique étrangère, ses valeurs sont diffusées dans la rhétorique des dirigeants et se matérialisent parfois dans leurs actions internationales.

américaine apportée au continent africain, un milliard de dollars auraient été consacrés à la mise en place d’un planning familial enjoignant à l’abstinence avant le mariage. L’aide humanitaire américaine est donc partiellement en passe de devenir le nouveau cheval de troie du protestantisme évangélique.

Réunie sous le terme de « sionisme chrétien », une partie de cette droite religieuse voit en l’Etat d’israël le lieu où Jésus reviendra sur terre. En plus d’être un Etat démocratique portant les intérêts américains au milieu de pays arabes, israël s’avère stratégique dans la rhétorique évangélique. il ne faut néanmoins pas surestimer ce poids au Moyen-Orient. En effet, cela n’a pas empêché George W. Bush d’approuver le retrait israélien unilatéral de Gaza en 2005 alors que les frontières bibliques d’israël s’en trouvaient bouleversées.

Une autre question émerge alors à la lumière des 78% de voix réunies par George W. Bush dans le milieu évangélique lors de l’élection présidentielle de 2004. Les politiques se serviraient-ils de l’Eglise évangéliste comme partie intégrante d’une stratégie électorale ? Le parti républicain est aujourd’hui convaincu qu’une victoire serait impossible sans le soutien de la Bible Belt, foyer du conservatisme social et religieux aux

Pour 75% des Américains, la religion est un facteur clef de compréhension

des relations internationales

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Entre un regain de l’activisme islamiste de part et d’autre de la frontière

et de vifs ressentiments opposant communautés musulmanes

et hindoues, le facteur religieux peut-il mettre le feu

aux poudres entre les frères ennemis indiens et pakistanais ?

Entre Pakistan et inde, l’Asie du Sud est le lieu de rencontre entre l’islam et l’hindouisme, deuxième et troisième

religions au monde. tandis que les plaies toujours ouvertes entre ces deux pays nucléarisés menacent à tout moment de déclencher une nouvelle guerre, le facteur religieux occupe une part importante des enjeux géopolitiques régionaux. Les deux frères ennemis se sont déjà livrés quatre conflits meurtriers. La région du Cachemire, au cœur de ce face à face, cristallise les deux périls actuels liés à l’identité religieuse : une radicalisation islamiste croissante et des relations quotidiennes entre musulmans et hindous marquées du sceau de l’intolérance. Un « choc des civilisations »1, dont la composante religieuse formerait le cœur, se nouerait-il entre l’inde et le Pakistan ? La réalité est plus complexe : la dimension religieuse s’entremêle et se nourrit des déchirures historiques, des marginalisations sociales, des ambitions politiques et des réalités nationalistes qui traversent ces deux sociétés.

Réalité sanglante des deux côtés de la frontière, le terrorisme islamiste menace la stabilité régionale. Le Pakistan est aujourd’hui en passe de supplanter l’Afghanistan dans le morne décompte des victimes d’attaques terroristes, avec plus de 2400 morts entre juillet 2007 et novembre 2009. Mais les objectifs des islamistes « ne sont pas toujours religieux, loin de là ; ils revêtent une forte dimension de

classe et de génération » nuance Mariam Abou Zahab2 dans un entretien au Paris Globalist. Néanmoins, le chef des talibans pakistanais, Hakimullah Mehsud, a dernièrement affirmé vouloir combattre les Indiens à la frontière, plaçant les autorités indiennes en alerte. Dans un pays guère épargné par l’activisme islamiste, les récentes attaques de Bombay en 2008, ont retenti comme un « 11 septembre indien ». Attribués à des terroristes pakistanais, ces attentats ont renforcé la suspicion entre communautés hindoues et musulmanes.

Point phare de l’antagonisme indo-pakistanais : la situation précaire des minorités hindoues au Pakistan et musulmanes en inde. Au « pays des purs » d’abord, une lente islamisation des assises constitutionnelles pakistanaises a

considérablement restreint les droits politiques des minorités religieuses (4% de la population). La minorité hindoue (2,5 millions de personnes) se concentre au sud-ouest, dans la province du Sindh, et appartient pour une large part à des milieux modestes, ruraux, peu instruits. Elle fait l’objet d’atteintes graves aux droits de l’homme pour des motifs religieux. Viols répétés et conversions forcées à l’islam deviennent le lot quotidien de ces communautés. De plus, les hindous sont parfois accusés de comploter pour le compte de l’inde.

En inde, les préjugés à l’encontre de la minorité musulmane, parfois soupçonnée de tendances pro-pakistanaises, sont ancrés. L’inde compte 138 millions de musulmans (soit 12% de la population) qui souffrent de conditions de vie socio-éco-nomiques globalement plus dégradées que les hindous, d’une plus faible alphabétisation et d’une marginalisation politique. Depuis les années 1980, les violences communautaires se multiplient, à l’image du pogrom anti-musulman de Gujarat en février 2002. Ces violences qui ont engendré la mort de 2000 musulmans ont été encouragées par le parti nationaliste hindou au pouvoir dans cette province indienne3. L’impunité des exactions, la pauvreté et la ghettoïsation croissante des populations musulmanes, conduisent celles-ci à se radicaliser. Les attentats islamistes en inde, ayant longtemps trouvé leurs sources au Pakistan, s’inscrivent dans une logique de plus en plus autonome4. Des facteurs sociaux, politiques et des res-sentiments profonds, entrent ainsi en interaction complexe avec l’identité religieuse.

Le Cachemire, nœud conflictuel du « syndrome de la Partition » de 1947, est emblématique de cette fusion de facteurs. Peuplée à 85% de musulmans, cette région est en proie à un activisme islamiste jihadiste, ciblant à la fois les civils et les forces de sécurité indiennes dans la province indienne de Jammu-et-Cachemire. il reçoit le soutien trouble des partis islamistes et du pouvoir politico-militaire pakistanais, sous la pression de la rue, sensible à cette cause.

Le Cachemire est le théâtre d’un nettoyage ethnique perpétré contre la minorité hindoue, les pandits, à travers une série de meurtres, viols et enlèvements. 300 000 hindous ont ainsi été contraints de fuir vers des camps de réfugiés en inde, dans l’indifférence des autorités et de la population indiennes. Ce contentieux épineux, qui a souvent précipité les deux Etats au bord de la guerre, menace constamment de se réveiller.

Pourtant les violences interconfessionnelles et l’activisme islamiste semblent se tarir depuis quelques mois, dans le contexte d’un réchauffement des relations entre Pakistan et inde, alliés de circonstance contre un terrorisme qui les empoisonne. Ces signaux positifs, associés à l’intérêt manifesté par l’administration Obama sur la question, peuvent inciter à l’optimisme. Le sous-continent indien est ainsi une terre traditionnellement propice au dialogue entre islam et hindouisme. Dans ce sombre tableau indo-pakista-nais, l’embellie ne pourrait-elle pas venir de la religion ? Elle a en effet un rôle majeur à jouer dans le rapprochement et la compréhension mutuels. Gandhi disait ainsi : « Celui qui est parvenu au cœur même de sa religion est aussi parvenu au cœur des autres religions ».

Jérémy ArmandÉtudiant en 2ème année

1 tel que le prédit le politologue américain Samuel Huntington (The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, 1996).2 Mariam Abou Zahab est une chercheuse, spécialiste du Pakistan et de la question religieuse au Centre d’Etudes et de Recherches internationales (CERi) à Sciences Po.3 Le Parti du Peuple indien (BJP), qui détient le pouvoir dans plusieurs Etats indiens, est un parti d’extrême droite et islamophobe.4 Autour, en particulier, d’un syndicat étudiant musulman soutenant Al-Qaïda : le SMi.

La région du Cachemire, au cœur de ce face à face, cristallise les deux périls

actuels liés à l’identité religieuse

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Vers une nouvelle guerre religieuse entre l’inde et le Pakistan ?

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Signés le 11 février 1929, les accords du Latran reconnaissent le Pape, souverain spirituel de l’Eglise

catholique, comme le chef de l’Etat du Vatican. Ce double titre lui confère un statut unique sur la scène internationale. Observateur permanent à l’ONU en tant qu’Etat non membre, le Saint-Siège ne manque pas d’utiliser les Nations Unies comme tribune d’expression afin de relayer un message se voulant « universel » et qui a trait tant à la liberté religieuse qu’aux enjeux économiques ou aux Droits de l’Homme. Si son influence internationale est aujourd’hui peu remarquée, c’est qu’elle se recompose à travers une double mutation : un déplacement géographique vers le Sud, assorti d’une plus grande discrétion des outils diplomatiques déployés.

Les vestiges de l’impact politique du Saint-Siège s’éteignent peu à peu en Europe. Dernière marque de son intervention : la chute du communisme en Europe de l’Est à laquelle Jean-Paul ii a activement participé. Depuis, la diplomatie vaticane n’a essuyé que des revers. Le plus récent concerne l’affaire des « racines chrétiennes de l’Europe ». Le refus d’intégrer cette mention dans la Constitution européenne a constitué un sérieux désaveu pour le Vatican qui en avait pourtant fait un objectif diplomatique primordial. Déchristianisée et laïcisée, l’Europe n’est plus réceptive.

Si la France, l’italie et l’Espagne étaient en 1945 les trois plus grands pays catholiques du monde, ce sont aujourd’hui le Mexique, le Brésil et les Philippines qui les ont remplacés à cette position. Le constat est sans équivoque. En perte de vitesse en Europe, le futur du catholicisme se dessine désormais au Sud.

En Amérique Latine d’abord, le Saint-Siège a eu, et continue d’avoir, une influence considérable. Depuis Vatican II, le catholicisme social tire les ficelles des mouvements de rébellion sociale. Ayant émergé à partir des années 1980, les Communautés Ecclésiales de Base (CEB) ont favorisé la mobilisation collective. Réunis autour d’un prêtre local qui dirige la discussion, leurs membres sont généralement issus de milieux défavorisés. À la lumière de la Bible et du catholicisme, ils dénoncent la dureté de leurs conditions de vie. Les CEB sont vite devenues un acteur social incon-tournable de l’échiquier politique latino-américain, surtout au Brésil. Ce sont de véritables réseaux locaux de l’influence du Saint-Siège.

La diplomatie vaticane est en outre très active en Afrique où l’intervention occidentale est souvent perçue comme l’expression d’un nouveau colonialisme. Le poids des communautés catholiques y étant considérable, le Vatican joue souvent le rôle d’intermédiaire. Les membres de Sant’Egidio1, usuellement appelés les « casques blancs du Pape », participent aux négociations de paix en Afrique. Lors du récent conflit en Côte d’Ivoire, alors que les interventions françaises ont été mal vécues, ils ont aidé aux signatures des accords de Marcoussis puis de l’accord de paix en 2007. Relais alternatif, la médiation de Sant’Egidio est appréciée des autorités et populations locales.

Aujourd’hui, le Saint-Siège a fait de l’Asie son nouvel objectif. Fortement présente aux Philippines, la diplomatie vaticane se heurte toutefois à des écueils délicats. Au Vietnam et en Chine, les tensions se cristallisent autour de l’oppression des minorités catholiques et du contrôle politique des nominations d’évêques. Ainsi, l’Eglise patriotique reconnue par le gouvernement chinois se double d’une Eglise clandestine qui tient sa légitimité de Rome. Pour autant, le Saint-Siège,

seul Etat européen à reconnaître taïwan, a récemment émis la possibilité de revenir sur cette décision dans le but de normaliser ses relations avec l’Empire du Milieu2. Le dialogue à l’Est progresse donc et dans ses discours, Benoît XVi ne cesse de marteler avec force l’importance cruciale du continent asiatique.

Cette recomposition géographique s’accompagne d’une nouvelle façon d’exercer son influence. Le Saint-Siège agit de façon moins visible et plus discrète. L’arrivée de Benoît XVi sur le trône de Pierre n’y est pas étrangère. Autant Jean Paul ii, acteur de théâtre avant d’être Pape, était maître en com-munication sur la scène internationale, autant son successeur, ancien professeur, est réfractaire au versant spectaculaire de sa papauté. Gilles Ferragu3 explique au Paris Globalist que : « pour Benoît XVI, l’influence politique du Saint-Siège ne s’exercera pas uniquement par des grands discours ou des interventions ponctuelles, mais également en s’appuyant sur le peuple chrétien, l’Eglise au sens large, en tant que courant d’opinion, voire comme lobby. Formé dans le moule de l’action catholique, Benoît XVI entend diversifier les instruments diplomatiques de l’Eglise. ».

La diplomatie vaticane repose sur un réseau solide, ancien et transnational. Nonces4 et évêques apportent au Pape une

connaissance aiguë des enjeux politico-re-ligieux de chaque pays. Cette diplomatie vise à être le relais du Souverain Pontife au sein de réseaux d’influence directe.

En outre, Rome s’appuie sur des ordres spéciaux, dont la mission spirituelle comporte d’importantes implications politiques. L’Ordre du Saint Sépulcre œuvre ainsi à Jérusalem pour y défendre les droits des catholiques et jouer un rôle d’intermédiaire des négociations de paix au Proche-Orient.

Voyant son emprise s’effacer inexorablement en Europe, le régime papal concentre ses actions vers le Sud, moins marqué historiquement par son ingérence. Avancer ses pions de façon discrète mais efficace sur un terrain plus neuf : le Saint-Siège n’a guère d’autre issue à l’heure actuelle pour faire valoir son influence politique.

Eléonore PeyratEtudiante en 4ème année

Master Affaires Publiques

Source de fantasmes multiples, la diplomatie vaticane est en profonde

recomposition. Tandis que l’Europe, théâtre de sa gloire passée, se déchristianise,

l’influence politique du Saint-Siège s’exprime désormais avec autant de discrétion que d’efficacité à destination des pays du Sud.

Le Saint-Siège : la recomposition d’une influence

1 Sant’Egidio est une communauté de laïcs à vocation spirituelle au service du Vatican à qui elle est rattachée. Elle a été créée en 1968 à Rome par Andrea Riccardi.2 La Chine et le Vatican n’entretiennent plus de relations diplomatiques depuis 1951 suite à la reconnaissance par le Saint-Siège de taïwan cette même année.3 Gilles Ferragu est maître de conférence en histoire contemporaine, spécialiste en histoire religieuse et diplomatique. il travaille sur le Saint Siège et a publié « Le Saint Siège, force politique » dans Questions Internationales, n°29, janvier-février 2008.4 Les nonces apostoliques sont les agents diplomatiques du Saint-Siège et sont aujourd’hui présents dans 174 pays.

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Le futur du catholicisme se dessine désormais au Sud

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israel : a secular Promised Land?

A history of persecution and the construction of a state in a hostile environment created atypical conditions for the building of the secular State of Israel. Today, the country tries to overcome the issues of conciliating political and religious preoccupations.

According to reports of Amnesty international, there are unjustified discrimination against the Arab population. these discriminations include access to water for irrigation, residency policies, and segregating patterns of settlements as well as noticeable control of the pre-1967 israel land by the israel Lands Administration. For instance, the Law of Return establishes tax benefits, preferential tax loans and other forms of assistance to Jews who decide to immigrate to israel. Other less obvious examples of discrimination include that of allowances for families with a member who has taken part in the army and the fact that greater financial resources are allocated to Jewish villages as opposed to what Arab villages receive.

the particular geopolitical situation of israel is also what motivates the formulation of its foreign policy. For the last six decades, israel has struggled with a surrounding environment of utmost hostility. the country has not succeeded to reach peace agreements with its neighbours except with Egypt and Jordan. Consequently, national security focused on territorial integrity is still at the core of israeli foreign policies today and that determines most alliances with international actors. However, the concept of national security seems to be shaped by the sole concern for a portion of the israeli population.

Being considered the only solid democracy in the region, the acknowledged alliance with the United States has no perspective of fading given the centrality of the “war on terror” and israel’s geopolitical usefulness for Americans. As for the relations with the European Union, there has been progress since Arafat’s death. the unilateral withdrawal from the Gaza strip is responsible for the recent improvement in Euro-israeli relations allowing economic and geopolitical interests to prevail, even if some disagreements remain unsolved.

Exposing its national agenda, the Kadima Party3, victorious in 2006, said: “In order to maintain a Jewish majority, part of the land of israel must be given up to maintain a Jewish and democratic State. [...] israel shall remain a Jewish State and homeland. Jewish majority in israel will be preserved by territorial concession to Palestinians”4. Even the contro-versial construction of the wall in the Palestinian occupied territories – subject of an Advisory Opinion of the iCJ – reflects the increasing preoccupation of the Israeli authorities with regards to the security of the population with regards to the series of terrorist attacks which took place in 2001.

the concern with the Jewish population has been at the heart of policies in israel in both the national and international domains. Judaism is crucial in the identity of the country. therefore, even though many other factors have to be taken into account to fully understand its political orientation, israel’s national and foreign policies cannot remain uninfluenced and hermetic to religious issues.

Aline Marsicano Figueiredo Etudiante en 4éme année

Master Affaires internationales

the intimate relations between religion and politics profoundly affected the construction of the State of israel,

even if the first settlers were not necessarily religious. Like in no other country, in order to guarantee territorial integrity and to keep the project of building a homeland alive, some secular principles – such as the right to equal treatment by the law and “in” the law – ended up rather compromised.

the israeli Jews tried to build some institutions using the occidental rational model, with France and Great Britain as a source of inspiration. the israeli electoral law established the election of the Knesset (the israeli parliament) through a proportional system, based on fixed party lists. A simple majority at the Knesset can oust the Prime Minister, who is chosen by the President.

Even with formal similarities, the significant importance of religion for the Jewish community, however, made it somewhat impossible to establish a real secular State. the building process of an israeli nation State, even if it is recent, still depends on the ancient idea of nation as a complex of common and cultural values shared by a determined group of people. As for the construction of the israeli identity, because the common background constituting the israeli community is linked to religious practices, it is indissociably rooted in Judaism.

the construction of israel is not simply a political question regarding territory. indeed, the land – part of many prayers and mitzvah (commandments) of the torah – is central to Judaism. Living away from the homeland – like in the Galut (exile) – is not the ideal condition in Judaism. in its turn, as Riva Kastoryano1 points out in an interview with The Paris Globalist, the “historical persecution of Jews for the single reason of them being Jewish reinforced their sense of unity and the ties of the community.” It influenced the emergence of the notion of exceptionalism –separating them apart from all others.

As a result, some Jews believed that they were not only the chosen people but also the only community to go through destruction and persecution. According to several experts, this feeling of exceptionalism serves to justify israel’s particular behaviour when it comes to internal inequalities and to foreign policy, which revolves almost only around “national security”. This perspective is challenging. Their course of action concerning their main interests – such as the protection of the Jews and of the israeli territory – can easily be rationalized, sometimes leading to deviated judgement.

the relations between religion and the construction of a Nation-state are problematic, and, in addition, its relations with democracy raise issues of their own. in order to guarantee individual rights to all citizens of a country, secularism tries to separate State and religious privileges.

israel’s reality, despite formally being oriented towards secularism, comprehends a material differentiation against certain groups. israel specialist Alain Dieckhoff asserts that there is an “indirect and bureaucratic discrimination against the non-Jewish communities”2 of the country.

1 Riva Kastoryano is a researcher at the CERi. She focuses on the interaction between religion and nation, and also on transnational identities.2 L’Etat d’Israël, Alain Dieckhoff, Fayard 2008;3 Kadima is a centrist israeli political party created in 2005 by Ariel Sharon.4 On November 28th 2005, the Kadima Party Platform released in the media the national agenda of the Party, as suggested by tzipi Livni, then Justice Minister.

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Les non-religieux dans le monde occidental : nouvelle clameur ou voix étouffées ?

Le débat portant sur le voile ou encore le tollé soulevé par l’affaire des caricatures de Mahommet traduisent la capacité des communautés religieuses à se faire entendre. Souvent silencieux, les non-religieux sont pourtant de plus en plus nombreux. Ont-ils des revendications qui leur sont propres ? Quelle place leur est assignée dans le monde occidental contemporain ?

La présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques italiennes a fait l’objet d’une condamnation par

la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 4 novembre dernier. Ce jugement a été rendu au nom de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui énonce le principe de liberté de pensée et de conscience. Le « caractère attentatoire à la liberté religieuse des élèves » a été invoqué et les juges de la cour se sont prononcés à l’unanimité pour l’interdiction de ces signes religieux. L’annonce de ce verdict soulève plus largement la question de la séculari-sation dans les pays occidentaux, dont la montée en puissance est évidente. Dans un tel contexte, existe-t-il des structures aptes à faire valoir les principes des non-religieux dans le monde et comment choisir les moyens de préservation du pluralisme religieux ?

Le large panel des non-religieux se compose aussi bien des athées, des agnostiques et des non-croyants que des déistes ou encore des religieux non-pratiquants. Définis par voie d’exclusion, ils ne constituent donc en rien une catégorie autonome avec ses propres logiques. Selon le professeur Guillaume Devin1, lorsque l’on cherche à définir les tenants du non-religieux, il faut « faire une distinction entre la variable de la pratique et celle de la croyance ». il explique au Paris Globalist que les non pratiquants s’inscrivent ainsi

dans une communauté de culture religieuse, par opposition aux non-croyants, qui se considèrent en-dehors de cette communauté. Ceux-ci pourraient ensuite être sous catégorisés entre incroyants indifférents et incroyants prosélytes.

Loin d’être un phénomène nouveau, la non-religiosité tend cependant à s’accroître dans le monde occidental. Ainsi, aux Etats-Unis, une enquête nationale de l’American Religious

Identification Survey, publiée en avril 2008, révèle l’augmentation du nombre des personnes se considérant comme « sans religion » dans chacun des 50 Etats américains tout au long des dix-huit années précédentes. En effet, leur nombre a presque doublé, passant

de 8% en 1990 à 15% en 2008 sur l’ensemble du territoire. Le phénomène est sensiblement identique en Europe avec plus de 35 % de réponses négatives à la question « Croyez vous en Dieu ? », posée dans le cadre d’une enquête menée entre 1981 et 1999.

Contrairement aux pratiquants des différentes religions majoritaires, les non-religieux parviennent difficilement à faire entendre leur voix sur la scène internationale. L’absence d’unité et de conscience d’appartenance à un groupe explique ce manque de visibilité. Existe-t-il dès lors des revendications spécifiquement non-religieuses et tenues comme telles ?

groupe à part, une partie d’entre eux s’insèrent cependant dans l’ensemble des activistes sans pour autant se retrouver dans une définition se rapportant exclusivement à leurs principes.

La sécularisation, parfois relative, est ainsi caractéristique du monde occidental contemporain. Le discours, pourtant pluriel, des non-religieux transparaît dans les institutions in-ternationales, telles que l’UE ou encore l’ONU, sous la forme d’une ambition croissante de défense du pluralisme et de la liberté religieuse.

Guéhanne BeaufaronEtudiante en 4ème année

Double master Affaires internationales/ Paris Vi

En réalité, peu d’athées ou d’agnostiques demeurent réellement revendicatifs. En effet, la cause des non-religieux en général – et des athéistes en particulier – ne fait plus réellement sens puisqu’elle revêt les habits de la laïcité et de la sécularisation depuis maintenant un siècle dans les sociétés libérales.

Leurs principes et idéaux semblent plus largement portés par les institutions internationales ayant assimilé les principes de pluralité et de laïcité, que par des organisations se caractérisant essentiellement par une ligne de conduite non ou anti-religieuse. Chercher à discerner un front non-religieux sur la scène internationale se révèle donc aussi délicat qu’inapproprié en raison de l’absence de structuration d’un mouvement unifié.

La décision de la CEDH souligne d’ailleurs que ce sont bien la liberté de culte et le pluralisme qui doivent être préservés. Les non-religieux pourraient donc être perçus comme s’exprimant à travers ce combat, aux côtés notamment, des religieux non-prosélytes.

Ce respect de la tolérance, ancré dans le modèle d’un régime politique de pluralisme constitutionnel, est sans doute ce qui pourrait le mieux définir leur mode de pensée. Une partie des non-religieux s’inscrit ainsi dans le courant de défense des Droits de l’Homme. S’ils ne constituent en aucun cas un

1 Guillaume Devin est professeur des universités et responsable de la spécialité Science Politique de la mention Relations internationales du Master de recherche à l’iEP de Paris.

Définis par voie d’exclusion, ils ne constituent donc en rien

une catégorie autonome avec ses propres logiques

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Religion et politique au Japon : une relation en passe de se transformer ?

L’influence des organisations religieuses dans la politique japonaise

par le biais de relations clientélistes a longtemps soulevé des polémiques, tandis que certains lobbies religieux

aux tendances nationalistes perturbaient les relations régionales.

L’avenir sera-t-il synonyme de changement ?

Historiquement, les deux religions majeures du Japon, le bouddhisme et le shintoïsme, ont été largement instru-

mentalisées par le pouvoir. La Restauration Meiji entreprit une radicale séparation du shintō et du bouddhisme, malgré la liberté de culte alors officielle. En créant le Shintō d’Etat autour d’un culte civique et patriotique axé sur la Maison impériale, le régime fit de la religion un levier de l’expan-sionnisme militaire et du nationalisme japonais. Dès la guerre sino-japonaise de 1894, les chefs religieux officiels légitimèrent les agressions du Japon au nom de l’authenti-cité et de la guerre juste. Une rhétorique qui s’amplifia avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Malgré des actions de résistances menées par plusieurs organisations bouddhistes « dissidentes », les troubles internes et la crainte

d’une montée en puissance des organisations chrétiennes poussèrent les principales religions reconnues à promouvoir officiellement, dès 1912, la « Voie impériale ».

Aussi, lorsque le Premier Ministre Mori Yoshirō déclara en 2000 que le Japon était le « pays des dieux avec l’empereur en son centre », les pays voisins de l’archipel y virent plus qu’un simple dérapage politique. Adressé à une assemblée de chefs shintō, ce discours trahissait la volonté de s’approprier l’influence de ces dirigeants religieux dans le cadre de relations clientélistes établies entre le Parti libéral-démocrate (PLD) et plusieurs organisations religieuses. Si le Parti démocrate est lié à un réseau assez souple de « nouvelles religions »1, le PLD, dominant pendant près d’un-demi-siècle, a une relation plus structurée avec les organisations religieuses. Ces dernières ont bénéficié jusqu’ici d’avantages fiscaux consi-dérables en échange de leur soutien au parti, contrariant le principe de neutralité de l’Etat en matière de religion, pourtant garanti par la Constitution de 1946. A partir de 1999, le PLD n’a maintenu sa domination sur la politique japonaise que grâce à son union avec le Nouveau Kōmeitō, parti originellement issue de la secte2 Sōka Gakkai.

Le lien entre religion et politique pourrait se cantonner à un problème de politique intérieure s’il ne nourrissait pas les franges nationalistes les plus extrêmes du PLD, dont les campagnes ont fragilisé les rapports de l’archipel avec ses voisins coréens et chinois. La Nippon Kaigi constitue le noyau de l’extrême droite japonaise et s’appuie notamment sur l’Association des sanctuaires shintoïques. Descendante des organisations du Shintō d’Etat d’avant-guerre qui avait justifié les agressions japonaises, cette association représente près de 80 000 sanctuaires et a pu regrouper jusqu’à plus de deux cents parlementaires. Son programme justifie les inquiétudes chinoises ou coréennes quant à une réactivation du nationalisme japonais : si le but ultime – la révision de la Constitution afin de renforcer le rôle de l’empereur et de l’armée – reste irréalisé, d’autres parties de ce programme ont influencé l’actualité et fait scandale.

L’affaire du sanctuaire Yasukuni, où sont notamment honorés quatorze grands criminels de guerre japonais, a soulevé une polémique internationale. Les faits eux-mêmes remontent à l’année 1975, lorsque le Premier ministre Miki takeo se rendit au sanctuaire. Ses successeurs suivirent son exemple, entretenant l’ambiguïté sur le caractère privé de ces visites. Dix ans plus tard cependant, Nakasone Yasuhiro fit une visite officielle qui réveilla les tensions régionales, alors qu’était reproché au Japon son incapacité à se repentir de son passé militariste. Les pèlerinages de membres du gouvernement ou de parlementaires au sanctuaire ont cependant continué et l’extrême droite « religieuse » rejette l’idée de remplacer le sanctuaire par un autre monument.

En 2005, la révision des textes scolaires japonais a été vécue comme une insulte en Chine et a même déclenché des manifestations antijaponaises. Déjà ancienne au Japon, la question des manuels scolaires avait été relancée par l’inscription sur la liste officielle d’un ouvrage d’histoire

offrant une vision positive du passé japonais et présentant la guerre en Asie comme une guerre de libération contre les puissances. Une fois encore, le rôle de l’extrême droite religieuse a été décisif. Nombre des parlementaires qu’elle soutient sont en effet membres de la « tribu (zoku) de l’éducation et de la culture » qui gère la politique en matière éducative, culturelle et religieuse.

La récente victoire du Parti démocrate (PDJ) et la nomination au poste de Premier Ministre de Yukio Hatoyama, favorable au renforcement des liens du pays avec la Corée du Sud et la Chine, laissent cependant espérer un assainissement des institutions, la fin des relations clientélistes et un rapport plus apaisé face à l’Histoire. La situation tend donc à s’améliorer,

notamment en termes de relations extérieures. Les organisations religieuses japonaises se sont ma-joritairement éloignées de tout fon-damentalisme et cherchent avant tout à préserver la rente économique

qu’elles ont pu établir. Quant aux organisations les plus radicales, elles ont aujourd’hui une audience limitée.

Pour autant, parce qu’il nourrit le spectre du nationalisme et a pu à plusieurs reprises saper les excuses formulées par les autorités japonaises sur le passé de l’archipel, le lobby religieux d’extrême-droite reste capable de faire obstacle aux politiques d’ouverture du Japon envers la région est-asiatique. La montée du nationalisme chinois et les tensions au sein de l’archipel sur le statut des immigrés coréens peuvent par ailleurs faire le jeu de ce conservatisme nationaliste. La récente proposition de M. Hatoyama d’ériger un mémorial de guerre neutre et laïque géré par l’État rencontre déjà des oppositions. Alors que l’archipel est ébranlé par la crise et que le PDJ est idéologiquement divisé, ce n’est donc qu’à travers une coopération renforcée avec les pays voisins que le Japon pourra dissocier nationalisme et religion.

Caroline SoubayrouxEtudiante en 4ème année

Master Finance et Stratégie

1 Religions établies au XXème siècle et qui ont une place relativement importante au Japon. La plupart sont des syncrétismes entre la pensée traditionnelle japonaise et la pensée occidentale. 2 Le terme « secte » désigne au Japon toute organisation religieuse issue d’une religion établie.

En créant le Shintō d’Etat, le régime fit de la religion un levier

de l’expansionnisme militaire etdu nationalisme japonais

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Pensez vous comme Marcel Gauchet1 que nous sommes aujourd’hui dans un processus de « sortie

de la religion », c’est-à-dire le passage d’une organisation politique de la religion à une croyance plus individuelle ?

La thèse de Marcel Gauchet est fondée sur la réalité du chris-tianisme, religion de la sortie du religieux d’après lui. Cette situation est l’aboutissement du processus de désenchante-ment religieux, de sécularisation, opéré en Europe. Cela est globalement vrai pour l’Occident où la religion relève de la sphère privée. La prétention de régir l’ordre social à partir d’une représentation religieuse du monde n’est plus à l’ordre du jour. De ce fait, une distance critique s’est instaurée vis-à-vis de la religion depuis le siècle des Lumières, d’une part. D’autre part, des valeurs centrées sur le religieux ont été en quelque sorte assimilées et sont devenues des valeurs séculières. il en va ainsi de notions telles que le progrès, la fraternité, et l’égalité, qui existaient à titre d’idées ou de vertus religieuses et qui sont devenues des principes de l’ordre social. Cette mutation du théologique en politique s’est retournée contre la religion par moments comme à l’époque de la révolution française où un radicalisme des Lumières visait à soumettre le religieux à la critique de la raison. Mais dans son rapport au religieux, un pays comme la France a souvent hésité au cours de son histoire entre opposition et adhésion à une identité catholique, avant d’inventer la laïcité.

Dans le panorama contemporain du religieux, la situation est plus contrastée. Les religions sont diverses dans la conception qu’elles se font du rapport de l’homme au monde. Mais elles sont différentes aussi du point de vue des interprétations auxquelles elles donnent lieu, des lectures qu’elles suscitent

et du contexte social et culturel dans lequel elles évoluent. il n’est pas possible d’analyser les religions comme une entité unique. Regardez comment le christianisme est vécu aux Etats-Unis et en Europe, ou l’islam en turquie et en Arabie Saoudite. A la religion individualisée et du for interne répond une demande de religiosité structurante du social comme en Afghanistan. La loi religieuse reste ainsi par endroits une loi civile qui façonne les comportements dans l’espace public. Ailleurs, elle peut fonder une identité nationale et se confondre avec elle, comme en Grèce, au Pakistan, pour certaines factions indiennes pour lesquelles hindouisme et « indianité » seraient consubstantiels. il en va de même de la sorte de « nouvelle évangélisation » que met en œuvre le nouveau patriarche Kirill de Moscou et de toutes les Russies, qui entend reconquérir des âmes un temps abandonnées au communisme. En témoigne, la récente décision de la Douma de rendre obligatoire l’enseignement de la religion chrétienne orthodoxe dans les écoles russes. Ce n’est pas un désenchan-tement, mais bien un réenchantement du monde, auquel nous assistons aujourd’hui.

Comment expliquer dès lors la montée du fondamenta-lisme religieux ?

De façon générale, le fondamentalisme procède d’un besoin de se protéger d’une modernité envahissante autant que d’une conception de la religion comme ressource de spiritualité dans des périodes d’instabilité et d’incertitude comme celles qu’induit aujourd’hui par exemple la mondialisation. Dans ce contexte, revenir à des fondamentaux, c’est retrouver des repères. Les religions sont des pourvoyeuses de sens. Et l’on cherche à se ressourcer dans leur caractère transcendan-tal. L’homme est un être de croyance. De ce point de vue, le religieux n’est pas qu’une construction qui relève de l’esprit, c’est une donnée d’anthropologie fondamentale. Être un homme, appartenir au genre humain, c’est être mû par une quête de sens.

Mais il y a un hiatus entre ce besoin de croire et une forme radicalisée de la contestation politique qui emprunte au religieux son langage. Dans ce dernier cas, il s’agit bien de la mise en place de logiques politiques qui visent à mobiliser une société, que ce soit en temps de guerre ou de paix, autour de valeurs qui peuvent faire sens et qui créent de la solidarité. Dans certaines sociétés, appartenir à une communauté religieuse est une manière d’être situé dans la société qui est précisément une société communautarisée ou de communautés. Le religieux y est alors un marqueur identitaire et une ressource que des acteurs politiques peuvent mobiliser. De la même manière que l’on fait appel à des sentiments nationaux, à la défense du territoire, on peut faire appel aussi à la défense de la religion. Souvent substitut d’une citoyenneté défaillante dans des sociétés en crise, le religieux n’est plus croyance mais élément d’apparte-nance ou d’exclusion.

Si la politique instrumentalise la religion, ne voit-on pas émerger aussi, dans le domaine de la politique étrangère notamment, une forme du religieux qui s’impose aux Etats ?

Je ne crois pas qu’il faille toujours poser le rapport religion / politique en termes d’instrumentalisation, sauf peut-être dans certains conflits. La religion est un élément de la culture au même titre que les valeurs qui fondent des conceptions et des pratiques politiques.

Au plan international, la nouveauté si l’on peut dire en cette époque de fin des idéologies, c’est que le religieux devient une question qui intéresse, qui mobilise et

qui inspire au plan international. L’exemple des problèmes générés par les caricatures de Mahomet est à cet égard

1 GAUCHEt M. (1985). Le désenchantement du monde : une histoire politique de la religion, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ».

Joseph Maïla est le Chef du Pôle Religions, Direction de la prospective du Ministère des Affaires étrangères et européennes, France.

Ancien recteur de l’institut Catholique de Paris, ancien directeur du Centre de recherche sur la paix et fondateur de l’institut de formation à la médiation et à la négociation (iFOMENE), Joseph Maïla a siégé au sein de la Commission du Livre Blanc sur la politique étrangère et européenne de la France (2008). il est diplômé de Sciences Po Paris, Docteur en philosophie (1976) et en sciences sociales (1992). Spécialiste de l’islam et expert en médiation politique, Joseph Maïla a été consultant pour l’UNESCO (1997), membre de la Commission de la Déclaration de Bamako sur Démocratie, Etat de droit et règlement des différends (2000), membre de la Commission francophone du suivi des Accords de Marcoussis sur la Côte d’ivoire et consultant pour l’Organisation inter-nationale de la Francophonie (2006).

Les religions sont des pourvoyeuses de sens

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Le religieux, élément de compréhension du monde

Propos recueillis par Nathan R. Grison

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révélateur de cette nouvelle sensibilité et, plus en profondeur, de l’apparition d’un clivage concernant les valeurs qui doivent aujourd’hui réguler un espace public désormais mondialisé. Regardez le débat sur le port du voile intégral, la Burqa, ou les polémiques passionnées sur la notion de diffamation des religions lors de la conférence de Genève des Nations Unies en avril dernier sur les droits de l’Homme et les discriminations. Le thème du « dialogue des civilisations », à forte connotation religieuse, est devenu un poncif de la pensée contemporaine. Dans le cadre des Nations Unies, l’Espagne et la turquie ont été les fondateurs de « l’Alliance des civilisations ». Le dialogue interreligieux n’est pas en reste. En novembre 2008, le Pape Benoît XVi a réuni le premier « forum islamo-catholique » de dialogue à Rome. Certains expliquent cette montée du religieux par le reflux des idéologies et le besoin de retrouver du sens à travers les religions. D’autres y décèlent des volontés hégémoniques en vue d’imposer des principes et des valeurs dans l’ordre international en matière de droits de l’Homme ou de bioéthique. Des internatio-nalistes croient même à la vertu d’un dialogue des religions et des cultures qui remplacerait le dialogue Est-Ouest dans l’apaisement des tensions inter-nationales.

Alors que le Brésil, le Mexique et les Philippines sont aujourd’hui les principaux pays catholiques du monde, et que l’Inde est le deuxième pays chiite après l’Iran, comment expliquer la persistance d’une perception géographique associant catholicisme et Europe ou Islam et Moyen-Orient ? Une cartographie mentale du religieux est-elle encore possible ?

Vous avez bien dit perception. Je crois en effet qu’un certain imaginaire religieux, paresseux, disons-le, assimile effec-tivement le catholicisme à l’Europe occidentale, tandis que l’islam est par exemple associé aux nations arabes qui ne représentent pourtant qu’un musulman sur quatre ou sur cinq dans le monde. Nous avons là une représentation mythique et figée du religieux, associant une civilisation à une religion, représentation qui favorise l’idée d’un choc des identités par religions interposées. La mondialisation devrait nous pousser pourtant à repenser la cartographie religieuse du monde. En pleine mutation, les religions circulent, se diffusent, se détachent de leur territoire d’origine d’abord par l’immigra-tion, puis par l’intégration des diasporas. On assiste aussi à des confrontations politiques, faussement qualifiées de « conflits de religion », qui sont en réalité des phénomènes d’exclusion identitaire à partir d’appellations religieuses. Ce qui est en cause, c’est le refus du vivre en commun. Les tensions entre hindous et musulmans en inde en sont un exemple frappant. Certaines régions donnent une visibilité géographiquement réductrice du religieux. L’idée pernicieuse de conflits religieux planétaires se diffuse aussi, notamment à travers l’idéologie

d’Al Qaida. Cela peut frapper les esprits faibles et mobiliser des populations marginalisées, pauvres, peu cultivées. Pour autant, la crédibilité de la thèse est extrêmement mince sauf à l’inscrire dans des situations conflictuelles, comme en Irak, en Afghanistan ou encore au Pakistan.

Percevez-vous la formation d’Etats sur des bases princi-palement religieuses comme une source d’instabilité dans l’ordre international ?

L’Etat est un phénomène occidental qui s’est progressivement diffusé dans le reste du monde. Le fait marquant du XXème

siècle, c’est justement l’accultura-tion de l’Etat à l’échelle mondiale. Les Etats se sont multipliés durant cette période mais leur trajectoire n’a pas obéi à une logique unique, et pour la plupart d’entre eux il s’est agi d’un mode d’organisa-tion emprunté à des cultures qui

n’étaient pas les leurs. Dans ces trajectoires, la religion a joué jadis un rôle certain. Comment penser la création des Etats occidentaux sans penser à la chrétienté médiévale ? Pour les Etats modernes, surtout ceux du Sud, la situation est variable. Le Pakistan s’est créé sur des bases religieuses lors de la partition du sous-continent indien en 1947. israël a été porté par un formidable espoir messianique. Les Etats arabes font de l’islam par le biais de la charia une base importante de leur législation. Pour autant, il n’y a pas de règle générale. La très grande majorité des Etats surgis lors de la deuxième moitié du XXème siècle ne se sont pas fondés sur la religion. Et les sources d’instabilité ne sont pas uniquement dues à des crises à caractère religieux mais le plus souvent à des conflits claniques, tribaux et surtout économiques.

Si la rhétorique religieuse est utilisée comme facteur de re-constitution communautaire, elle est parfois aussi utilisée par des Etats comme légitimation de la violence contre certaines minorités. L’identité religieuse est-elle autant facteur de mobilisation que d’oppression ?

L’identité sert à se définir soi-même, mais c’est le regard de l’autre qui est constitutif de sa propre identité. On finit donc par intérioriser le regard qu’autrui pose sur soi. Un groupement humain peut être bâti sur des valeurs séculières comme la terre ancestrale, la patrie, ou la langue. Le sentiment religieux, parce qu’il est émotionnel, sacré et sacral, est une matrice encore plus forte. Le bouddhisme est ainsi devenu une ossature fondamentale du nationalisme tibétain, qui se définit pourtant par d’autres spécificités. Ce qui est facteur de mobilisation peut devenir facteur d’oppression pour des minorités qui vivent sur le même territoire que le groupe dominant mais n’en partagent pas pour autant la même foi.

Quels sont les éléments qui ont motivé la création du Pôle Religions du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes dont vous êtes aujourd’hui le Directeur ?

Les conclusions du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France (2008) ont montré que la vision classique des relations internationales qui se fonde sur les seuls paramètres de la puissance politique (la richesse économique, le potentiel militaire….) est dépassée. Les pandémies, le développement durable ou le religieux sont aussi des dimensions dont il faut tenir compte. Une affaire comme celle dite des « caricatures de Mahomet » a connu une répercussion insoupçonnée mobilisant les Chancelleries.

Par ailleurs, le Pôle Religions est rattaché à la Direction de la Prospective. Notre mission première est donc d’apporter des informations, des analyses et de réfléchir sur les grandes évolutions de notre temps en matière religieuse afin de pouvoir se projeter. Nous n’analysons pour autant pas la religion pour la religion. Nous prenons en considération le facteur religieux pour mieux servir la diplomatie de la France. C’est une modernisation de l’outil diplomatique de notre pays qui est visée. Certains y ont vu un écart vis-à-vis de la laïcité.

Mais la laïcité est d’abord un principe qui règle les rapports entre religion et Etat. Or, notre but est d’intégrer le religieux comme une donnée dans la réflexion diplomatique sans que de cette analyse ne découle ni une vision religieuse ni une vision manichéenne du monde contemporain. Nous aidons à comprendre ce que sont les croyances, et en quoi elles peuvent nous permettre de mieux saisir les agissements de certaines populations ou de certains Etats. il ne serait pas raisonnable de se priver de ces outils d’intelligibilité du monde moderne.

Cet entretien a eu lieu le 5 novembre 2009.

En pleine mutation, les religions circulent, se diffusent, se détachent de

leur territoire d’origine d’abord par l’immigration, puis par l’intégration

des diasporas

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tandis qu’aux Etats-Unis les enfants partent à la grande chasse aux confiseries d’Halloween, au Mexique, chaque

famille se prépare activement pour le Jour des Morts, qui a lieu chaque année les 1er et 2 novembre. Bien qu’el Día de los Muertos suive chronologiquement Halloween, l’apparition de cette tradition précède pourtant de plusieurs siècles celle de la fête gringa.

Dès le début du XVième siècle, les Aztèques avaient pour habitude de se rendre sur la tombe de leurs ancêtres défunts afin de satisfaire leurs besoins par des offrandes mais aussi pour y danser et y chanter. Les peuples aztèques concevaient en effet une vie après la mort. Et c’est, de fait, sur cette croyance que s’est en grande partie fondée la célébration d’el Día de los Muertos.

À cette occasion, les offrandes visant à décorer les tombes sont élaborées à base de fleurs, de bougies mais surtout d’objets, et de nourriture que le défunt appréciait particulièrement de son vivant. il arrive ainsi que se côtoient sur de nombreuses tombes, tortillas, bouteilles de tequila et autres paquets de cigarettes.

Contrairement à la vision catholique de la mort, associée par le Jugement Dernier à l’enfer ou au paradis, au châtiment ou à la récompense pour avoir mené une vie vertueuse, la forme de l’au-delà chez les Aztèques n´était pas déterminée selon le comportement de l’individu durant sa vie, mais selon

El Día de los Muertos au Mexique

le type de mort qui l’avait frappé. Pour autant, les colons espagnols avaient adopté la coutume aztèque. L’habitude était ainsi apparue de déposer fleurs, vin et pain sur les tombes au moment de la toussaint. Les Espagnols craignaient en effet que les âmes des morts, flottant selon eux au-dessus de la terre, ne viennent enlever leurs corps pour les emporter avec elles. Les offrandes exhibées à l’occasion du Jour des Morts étaient ainsi destinées à les apaiser.

De cette fusion entre la tradition aztèque et la coutume catholique de célébrer les Morts est né ce que l’on nomme aujourd’hui el Día de los Muertos. Ainsi, au cœur de ces célébrations, les mélanges identitaires se révèlent, issus des vestiges d’un empire aztèque florissant puis colonisé et finalement rangé au banc de l’histoire, et de la réalité quotidienne du Mexique contemporain. Son voisin américain exerce par ailleurs une influence tangible et grandissante sur la société mexicaine. Et rien n’est plus représentatif à cet égard qu’el Día de los Muertos: en cette journée, dans les échoppes comme dans les demeures, les rituels préhispaniques jouxtent désormais les citrouilles, sorciers et autres personnages de la Famille Adams.

À l’heure de la mondialisation uniformisatrice, el Día de los Muertos constitue donc un symbole hors du commun du mélange identitaire au travers duquel se bâtit sans cesse le quotidien du Mexique d’aujourd’hui. Appartenances et altérités viennent s’y mêler, s’y entremêler, et s’y démêler jusqu’à ne plus former qu’une seule et unique identité.

Floriane OrtegaÉtudiante en 3ème année

En échange à l’Universidad Nacional Autónoma de México

Crédit photographies : Floriane Ortega

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Working at the Epicentre of Devastation : The United Nations’ Response to Natural DisastersWhen natural disaster strikes, Search and Rescue Teams from around the world dispatch to assist. The task of coordinating these efforts falls on OCHA, the UN’s worldly recognized humanitarian coordination body.

During an official visit to the US in December 1988, Soviet Leader Mikhail Gorbachev was informed that Armenia –

then part of the Soviet Union – had suffered a devastating earthquake, resulting in the deaths of thousands. He shocked the world when requesting international assistance, an act unprecedented in its era. Amateurs and professionals alike poured in to offer assistance, unprepared and without any understanding of the quake’s impact. the polarization of Cold War politics added to the mission’s complexity, limiting the effective interaction between local authorities and relief

efforts. this, in addition to the lack of cooperation amongst a multitude of governmental and non-governmental actors, resulted in the mission’s failure.

the unanticipated intervention exposed, however, the need for formal coordination. three years later, in 1991, the UN General Assembly adopted Resolution 46/182, giving birth to the Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA)1. Designed to strengthen the UN’s emergency response, OCHA coordinates a new generation of emergency services and

mechanisms. One such mechanism is the international Search and Rescue Advisory Group (iNSARAG)2, created to enhance the coordination and cooperation for international and national responders to earthquakes. the iNSARAG Secretariat drafted the guidelines, which would later become the recognized standards for Urban Search and Rescue (USAR) teams, also addressing the roles and responsibilities of the respective sending and receiving governments.

USAR teams were put to the test when turkey faced its worst earthquake to date in izmit, in 1999. the initial response to the disaster was criticized as being chaotic, resulting in unacceptable delays. in an interview for The Paris Globalist, UN Humanitarian Affairs Officer Jesper Lund3 commented on his experience. He noted : “We grossly underestimated the international response. We had no idea what was coming. We had estimated 500 USAR personnel from 20 country teams and 2700 arrived from 96 teams and organizations. there is a need for much broader communication between the disaster affected area and resource providers.”

Following this experience, iNSARAG created the On-Site Operations Coordination Centre (OSOCC) and the Virtual OSOCC (a web-platform for emergency response teams). they assist local authorities with disaster management and coordinate in-ternational USAR teams from arrival to mission assignment and departure. through the Virtual OSOCC, teams are able to share critical information such as team size and available resources in real time, prior to their arrival. to know in advance when, to where, and in what capacity teams can be tasked, has revo-lutionized disaster response operations over the past decade.

the initial mobilization period of 48 hours is critical to a mission’s success. in the immediate aftermath of a crisis, specialized disaster management professionals from governments, relief organizations and UN agencies, deploy from a stand-by roster, in order to be among the first to arrive on-site. As the recognized Search and Rescue coordination body, the UNDAC team works closely with overwhelmed government authorities affected by the catastrophe. their goal is to coordinate operations and then facilitate the transition from the relief to recovery phase.

Despite improvements in information dissemination and shortened decision-making process, a great number of challenges lie ahead. the initiation of operations still hinges on the bureaucratized and heavily politicized decision by the affected government to request international assistance. this

delay depends on the extent of the damage, the country’s political will and the communication between the disaster site and government officials. Following Indonesia’s earthquake4, the UNDAC team was deployed in less than 24 hours. in the case of Burma, when cyclone Nargis affected 2.4 million people, the regime refused international assistance entry for three weeks : the longest delay in recent history.

Moreover, guidelines and specialized training reduce, but can never remove the challenge of the unforeseeable nature inherent to all Search and Rescue missions. there are still populations in remote areas that remain out of reach. One month after the quake in West Sumatra, OCHA confirmed that assistance had still not arrived in the most remote areas, due to massive landslides that had buried entire villages.

During Autumn 2009, the Philippines were victim to four back-to-back typhoons. For the first time, a UNDAC team was preemptively deployed to the region. this early arrival tactic aims to circumvent the period of obstructed access to a disaster site and expedite the delivery of emergency assistance. the government worked in collaboration with agencies in order to implement a number of preventative measures before

the arrival of the typhoon, tracked by satellite. in preparation for the storm a total of 23,101 families were evacuated to 251 centers, and relief supplies were delivered to 10 provinces where the typhoon was expected to hit. Yet, many areas are still today facing the

devastation and aid workers continue to stream in and out of the country, in an effort to revive the under-funded on-site operations.

When dealing with natural disasters, international cooperation faces challenges of coordination, rapidity and effectiveness. through OCHA, the United Nations plays an essential role in managing international response efforts and ensuring the effective delivery of emergency services to populations in need.

Katelyn Potter5th year student

Master in international AffairsFormer intern to Surge Capacity Section, OCHA

1 the OCHA is part of the UN Secretariat and coordinates humanitarian response : www.ochaonline.un.org.2 Under the UN umbrella, iNSARAG is a global network of more than 80 countries and organizations.3 Jesper Lund is a Humanitarian Affairs Officer to the UN Field Coordination Support Section, based in Geneva, OCHA. He was the team leader to the emergency response conducted following the earthquake in izmit, turkey, 17th August, 1999.4 the earthquake in September 2009 of 7.8 magnitude affecting West Sumatra claimed the lives of 739 victims, displaced 8,000 and left an estimated 750 000 in need of assistance.

As the recognized Search and Rescue coordination body, the UNDAC team

works closely with overwhelmed government authorities affected

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La Chine : partenaire ou menace pour l’inde ?

Malgré des tentatives de coopération politique, les relations sino-indiennes restent marquées par une rivalité régionale entre les deux Etats.

De plus, la construction de barrages sur la partie chinoise du fleuve comme celui de Pema Koe pourrait rendre le Nord-Est de l’inde hydro-dépendant de Pékin. New Delhi se plaint également du manque d’informations de la part de son rival quant à la situation en amont du fleuve. L’Arunachal Pradesh est régulièrement soumis à des inondations anormales dues à la rupture de barrages naturels sur la partie chinoise du Brahmapoutre et a subi d’importants dégâts durant l’été 2000. Ces accidents attisent sur le sous-continent un sentiment de vulnérabilité face à une guerre environnementale menée par l’Empire du Milieu.

Les relations sino-indiennes semblent reproduire le schéma des relations sino-japonaises. Les deux pays entretiennent des relations économiques intenses. La Chine est le deuxième partenaire commercial de l’inde et devrait bientôt remplacer les Etats-Unis à la première place. Pour autant, les tensions politiques empêchent encore l’établissement d’une coopération renforcée. Au contraire, ces dissensions entre Chine et inde pourraient donner lieu à une course aux alliances stratégiques avec des partenaires comme le Pakistan et la Russie, et ébranler ainsi la stabilité de la région.

Claire Spagnol Etudiante en 4ème année

Master Affaires internationales

Malgré tout, le développement des relations commerciales bilatérales favorise l’émergence d’un discours politique volontaire sur la normalisation des différends frontaliers. Ainsi, le partenariat stratégique signé en 20051 affirme la volonté des deux Etats de résoudre leurs contentieux frontaliers pour se consacrer à l’élaboration « d’une réponse conjointe aux menaces et aux défis globaux ». Mais ce discours politique ne semble pas suivi d’effets et l’inde a multiplié les barrières et les contrôles envers la Chine afin d’y freiner les investisse-ments étrangers et les importations. Ces mesures répondent à la crainte des autorités de voir Pékin prendre une place trop importante dans des secteurs stratégiques, notamment dans les télécommunications. Mais surtout, comme le souligne isabelle Saint-Mézard au Paris Globalist, elles montrent que « l’Inde éprouve des difficultés à suivre le dynamisme chinois. Elle est par exemple très en retard par rapport à la Chine dans l’exploitation des échanges transfrontaliers2 ». La balance commerciale entre les deux pays est très largement favorable à la Chine et New Dehli craint de voir son industrie paralysée par l’afflux de produits chinois sur son marché intérieur. La multiplication des contrôles et des réglementa-tions anti-dumping a découragé nombre d’hommes d’affaires qui tentaient d’établir des partenariats commerciaux.

Les relations sino-indiennes ont été dominées tour à tour par la religion, la politique, l’économie et pourraient l’être à l’avenir par les questions environnementales. La politique d’aména-gements hydrauliques de Pékin dans les hauts plateaux de l’Himalaya inquiète l’inde qui craint qu’à terme les eaux du Brahmapoutre ne soient dérivées pour alimenter le Yangtze3. Les deux pays aspirent en effet à l’obtention du leadership

régional. Si l’Asie est à l’heure actuelle incontestablement sino-centrée, la politique de « regard vers l’Est » adoptée au début des années 1990 permet à l’inde de se positionner en

potentiel contrepoids à l’hégémonie chinoise. Au contraire, l’inde a cessé de soutenir l’opposition démocratique en Birmanie, considérant qu’il s’agissait d’une question de politique intérieure. New Delhi continue toutefois sa politique de coopération militaire et d’investissement dans des infrastruc-tures, annulant les effets des sanctions occidentales contre la junte. La

sécurisation des approvisionnements en matières premières énergétiques a également amené les deux pays à se livrer une rude concurrence en Afrique.

Au-delà des enjeux économiques internationaux qui l’opposent à l’inde, l’Empire du Milieu adopte une attitude ambivalente quant à la volonté de son voisin de s’affirmer comme un acteur international incontournable. Pékin a d’abord annoncé son soutien à la candidature indienne à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, avant de le conditionner à l’obtention d’un consensus régional sur cette candidature. Une revendication impossible étant donnée l’hostilité du Pakistan aux ambitions onusiennes de son voisin rival.

En mai 2009, le Général indien Marshal Fali Homi a affirmé que la Chine représentait désormais une plus

grande menace pour l’inde que le Pakistan. Cette déclaration fait suite à la tentative chinoise de bloquer un prêt de 2,9 milliards de dollars de la Banque Asiatique du Développement à l’inde. Une partie de cet emprunt était destinée à l’Arunachal Pradesh, une région du Nord-Est de l’inde au centre du contentieux frontalier entre les deux pays. L’Arunachal Pradesh ferait partie du « tibet historique » dont la Chine revendique l’entière souveraineté. La frontière contestée par Pékin est le résultat d’un accord entre tibétains et Britanniques en 1914. La reconnaissance chinoise de ce tracé reviendrait à reconnaître la souveraineté du tibet à l’époque de l’accord et délégitimerait alors les revendications chinoises sur la province.

Le règlement de ce contentieux semble un passage obligé pour l’amélioration des relations sino-indiennes. La compétition que se livrent les deux Etats à l’échelle régionale autant que globale reste le problème majeur. De nombreux observateurs indiens considèrent ainsi que Pékin bloque volontairement le règlement de la question frontalière pour conserver un moyen de pression sur l’Inde afin de prévenir une alliance indo-américaine ou une prise de position de New Delhi sur la situation tibétaine.

1 india-China Strategic and Cooperative Partnership for Peace and Prosperity.2 isabelle Saint-Mézard est Docteur en Sciences Politiques et enseignante à l’inalco et à Sciences Po. Elle est spécialiste des relations extérieures de l’inde.3 Le fleuve aurait besoin d’être réalimenté d’ici 2020 suite aux dérivations réalisées dans le cadre du projet d’adduction d’eau du Sud au Nord (PAESN). Creative Commons licence photo credit : Milom

L’Empire du Milieu adopte une attitude ambivalente

quant à la volonté de son voisin de s’affirmer comme un

acteur international incontournable

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Après la découverte d’immenses réserves de gaz au large du Venezuela en septembre dernier, ce pays, détenteur de 7,5% des réserves mondiales de pétrole, a trouvé un nouvel instrument d’influence sur la scène diplomatique régionale et internationale.

Hugo Chavez a néanmoins l’intention de poursuivre ses démarches en faveur d’une entente institutionnalisée et durable entre pays d’Amérique latine et, à échelle mondiale, entre les Etats producteurs et exportateurs de gaz. La création de tels forums lui permettrait de continuer à jouer sur les ressources en pétrole et en gaz naturel du Venezuela, renforçant ainsi l’influence internationale du pays.

Lorène DumeauxEtudiante en 4ème année

Master Affaires Publiques, Filière Energie

pays producteurs et exportateurs de pétrole au monde1, le Venezuela a en effet pris le parti d’approvisionner ses voisins en pétrole et en gaz en priorité sur les Etats-Unis. Le pays met donc au centre de ses relations commerciales la création d’une entente régionale excluant l’Amérique du Nord, ce qui pourrait nuire aux intérêts de Washington en Amérique latine. En 2006, des accords gaziers bilatéraux ont été signés entre le Venezuela et l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, Cuba, la Jamaïque, le Panama et l’Uruguay. Ces ententes bilatérales sont économiquement favorables aux pays importateurs car les prix de pétrole et de gaz naturel sont très attractifs pour eux.

Dès lors, le Venezuela se présente comme le promoteur d’une entente régionale qui passe nécessairement par la coopération énergétique. Le but d’Hugo Chavez est de créer une communauté sud-américaine aux liens économiques, politiques et énergétiques resserrés. Le pays s’est d’ailleurs engagé dans une organisation du gaz avec l’Argentine et la Bolivie : l’Organisation des pays producteurs et exportateurs de gaz d’Amérique du Sud, Opegasur. Sur initiative de Caracas, un premier sommet sud-américain de l’énergie s’est réuni en 2007 afin de mettre en place une nouvelle organisation régionale dans ce domaine. il a cependant été marqué par de fortes dissensions interéta-tiques et a démontré l’impossibilité, pour l’heure, de créer une communauté latino-américaine intégrée.

Bien que principale source de rapprochement avec ses voisins, cette manne énergétique provoque aussi quelques désaccords et tensions régionales. La Bolivie par exemple, est le principal allié du Venezuela sur le plan politique et énergétique. Mais Bogota se désolidarise peu à peu de son puissant voisin. Leurs productions de gaz sont en concurrence sur le marché latino-américain, plus particu-lièrement au Brésil et en Argentine où les demandes en gaz sont en forte hausse.

Parvenir à une entente énergétique régionale n’est cependant pas suffisant pour Hugo Chavez, fervent partisan d’une organisation internationale des exportateurs de gaz. La découverte de ces nouveaux gisements gaziers sur son sol devrait renforcer la place, déjà notable, du Venezuela au sein du forum des pays exportateurs de gaz (FPEG). Créée en 2001, cette association regroupe 15 Etats, représente 75% des réserves mondiales et assure plus de la moitié de la production mondiale de gaz. Partant du constat d’une sous-évaluation des prix sur le marché gazier, le FPEG entend remédier à l’indexation – et donc à la dépendance – des prix du gaz sur ceux du pétrole. Certains pays membres, parmi lesquels le Venezuela, l’Algérie, l’iran et la Russie, voudraient transformer cette entité en « OPEP du gaz ». ils ont déjà, à ce titre, signé des accords significatifs. Toutefois, d’autres pays comme le Qatar, l’indonésie et l’Egypte, sont soucieux de conserver des bonnes relations avec leurs importateurs et restent donc encore réticents à cette idée.

A cet égard, les experts du secteur observent une accentuation de la présence d’acteurs asiatiques dans la région. Les entreprises japonaises s’y sont fortement implantées car l’ouverture au marché latino-américain permet au Japon de diversifier et de sécuriser son approvisionnement en ressources énergétiques. Les entreprises chinoises sont elles

aussi attirées par le potentiel en hydrocarbures du Venezuela qui fournit désormais 5% du pétrole et du gaz à la troisième puissance économique mondiale. Les investis-sements américains dans l’industrie énergétique vénézuélienne ont

par ailleurs fortement diminué en 2009, tandis que le Japon et la Chine y ont récemment investi plus de 14 milliards de dollars. Ces fonds seront nécessaires au développement et à la modernisation des infrastructures gazières, domaines dans lesquels le pays accuse un sérieux retard.

Ces nouvelles rentrées devraient permettre le développement de l’exploitation des ressources en gaz, et venir renforcer l’influence du Venezuela sur la scène diplomatique régionale et mondiale. Caracas pourrait ainsi consolider ses accords bilatéraux avec ses voisins sud-américains et occuper une place prépondérante dans le rassemblement des pays d’Amérique latine, désiré par Hugo Chavez. Faisant partie des dix premiers

Les groupes italien et espagnol, Eni et Repsol, ont confirmé en octobre 2009 la découverte de gisements de gaz naturel

parmi les plus importants au monde à 50 kilomètres des côtes du Venezuela. Les réserves s’élèveraient à plus de 160 milliards de m3, soit plus d’un milliard de barils équivalent pétrole. Repsol et Eni seront les principaux exploitants du gisement, tandis que la compagnie nationale de gaz Petroleos de Venezuela SA devrait en exploiter un tiers. Si cette découverte affermit la position du Venezuela sur le marché du gaz naturel, elle n’est cependant pas suffisante pour réaliser la prétention d’Hugo Chavez : faire de Caracas « une puissance mondiale du gaz ». Le pays, troisième producteur de gaz d’Amérique latine, manque encore d’infrastructures nécessaires au développement de sa production.

La nouvelle arrive à point nommé pour le Venezuela. En effet, son économie, qui repose en grande partie sur l’export de pétrole et de gaz, a fortement souffert de l’effondrement des cours des matières premières en 2008. Cette chute a entraîné un retrait sensible des capitaux étrangers, notamment dans le secteur des ressources énergétiques. La découverte de ces réserves supplémentaires devrait donc contribuer à attirer à nouveau les investisseurs.

1 Selon l’Agence internationale de l’Energie, en 2007, le Venezuela assurait 3,5% de la production mondiale de pétrole, et représentait 4% des exportations de pétrole.

Le but d’Hugo Chavez est de créer une communauté sud-américaine

aux liens économiques, politiques et énergétiques resserrés

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facteur de changement ou fauteur de troubles?

Le gaz vénézuélien en Amérique latine :

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L’architecture publique de l’Union européenne, entre unité et discorde

Le polycentrisme des capitales de l’UE

Les institutions les plus importantes de l’UE – Parlement, Commission, Conseil et Cour de Justice – sont dispersées parmi les trois villes désignées en 1992 comme capitales de l’UE: Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg. Ce polycentrisme souligne dans une certaine mesure les limites de l’intégration européenne. Dès 1950, les pionniers de la construction européenne étaient pourtant d’accord sur le principe d’unicité de la capitale mais ils ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur son lieu. Pour une courte période, le Luxembourg fut désigné comme capitale provisoire. Jean Monnet qualifia cet arrangement « d’équivoque », que « seule la force des choses devait entériner avec le temps ».

Depuis, ces trois villes s’engagent dans un fastidieux concours et veulent toutes profiter du prestige et des avantages politico-économiques liés à la présence des institutions européennes. Jugée par Jean Monnet dans ses Mémoires comme « peu glorieuse », la quête de la capitale européenne semble pour l’heure terminée. Néanmoins, certains débats se poursuivent, notamment en ce qui concerne le triple siège du Parlement2.

L’architecture publique de l’UE

L’architecture européenne ne parle pas à la plupart des citoyens européens. La presse n’y consacre que peu d’articles. La raison est simple : le défaut de qualité archi-tecturale. A Bruxelles, des associations se sont constituées pour s’opposer à la destruction de pans entiers d’anciens quartiers résidentiels en raison du développement du quartier européen. Les résidents ont aussi l’habitude de se moquer des bâtiments européens utilisant des surnoms péjoratifs tels que le « Caprice des Dieux » pour le Parlement, ou « Berlaymonster » pour le Berlaymont, siège de la Commission européenne.

Le problème essentiel réside dans la collusion d’intérêts entre grands promoteurs immobiliers et gouvernements. En effet, jusque récemment, l’UE n’était pas propriétaire et devait louer ses locaux. Elle était donc dépendante de ce que les Etats membres et les villes d’accueil lui offraient. Simple cliente, l’Union n’a quasiment jamais été maîtresse de son image architecturale.

A cet égard, la genèse du bâtiment du Parlement à Bruxelles est pertinente. Dès 1957, la France et la Belgique rivalisent pour accueillir cette institution. À la fin des années 1980, Bruxelles planifie en silence un centre de conférences sans lien avec le Parlement. Pourtant, une fois les plans terminés, en 1992, Bruxelles les propose à l’UE qui n’a d’autre choix que de se soumettre.

La nécessité d’un tel visage architectural pour l’UE n’est toutefois pas immédiate. Riva Kastoryano3 dans un échange

Afin d’inscrire le pouvoir politique dans la topographie de la Nation, les démocraties actuelles

ont adopté des architectures représentatives. Le Palais Bourbon en France, le Reichstag en Allemagne, ou bien le Capitole aux Etats-Unis sont tous reconnus comme lieux du politique. Marquer architecturalement une ville permet en effet d’y imprimer sa légitimité politique. Le cas de l’Union Européenne est inédit puisque, n’étant pas un Etat, elle en possède toutefois certaines caracté-ristiques : un parlement, un président, et trois capitales. Pourtant son architecture publique1 reste méconnue de la majorité des citoyens européens. Quelles sont les raisons de cette lacune et comment se dessine son avenir architectural ?

1 Nous parlons d’architecture publique dans un sens architectural, en la distinguant clairement du terme abstrait d’architecture institutionnelle signifiant les caractéristiques d’un système d’institutions politiques.2 Les séances officielles du Parlement se tiennent à Strasbourg, les séances des commissions à Bruxelles, alors que le Secrétariat demeure à Luxembourg.3 Rita Kastoryano est directrice de recherche CNRS au CERi de Sciences Po. Elle s’intéresse au phénomène d’identité dans l’Union Européenne.

L’architecture publique d’un Etat est souvent

un symbole identitaire. Comment définir celle de

l’Union Européenne ?

avec The Paris Globalist estime que l’UE « n’a pas besoin d’élever des prétentions à une esthétique architecturale fixe » ; l’architecture des établissements européens n’a besoin que d’être fonctionnelle. « L’Europe devrait plutôt constituer un espace civique commun qui permette, à travers une identité multiculturelle égalitaire, la participation et l’échange des citoyens ».

De la discorde à l’unité

La mise en pratique de la réforme institutionnelle du traité de Lisbonne risque de beaucoup influer sur le développement futur de l’architecture européenne. Le renforcement du principe de subsidiarité, l’élimination de la mention explicite des symboles de l’UE ainsi que l’abandon du concept de supra-constitutionnalité semblent confirmer la réclamation souveraine des Etats en termes de représentation symbolique.

Pourtant, la Commission européenne et la Région de Bruxelles ont annoncé en mars 2009 la rénovation du quartier européen. Menée par l’architecte français Christian de Portzamparc, c’est la première fois qu’un projet d’une telle ampleur a été soumis à une compétition architecturale internationale. Si l’optimisme semble de rigueur, il reste encore à savoir si les bâtiments qui naîtront seront davantage reconnaissables.

Contrairement au niveau national donc, l’architecture européenne ne fonctionne pas comme un catalyseur identitaire ou un symbole d’unité mais reflète plutôt les discordes persistantes. L’UE devrait s’atteler à bâtir une monumentalité positive évoquant l’ambition du projet européen, tout en restant subtile, transparente et

ouverte à la participation des citoyens.

Espérons que les défis européens partagés aiguisent notre conscience de l’importance d’une Europe en symbiose, à l’image d’une architecture plus ambitieuse qui reflèterait cette unité. Jacques Delors disait ainsi : « faire resurgir l’idéal, lui donner de la chair et de l’âme, tel est bien l’impératif essentiel si nous voulons façonner l’Europe de nos vœux les plus chers ».

Simon BrombeissEtudiant en 4ème année

Double diplôme Sciences Po - LSE

Creative Commons licence photo credit : Xavier Häpe

L’UE devrait s’atteler à bâtir une monumentalité positive

évoquant l’ambition du projet européen

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imagine a world where a man wanted for murder can be president of a nation of forty-two million people. Sound

plausible? Perhaps—after all, people have done stranger things for power. “Now imagine a world where that man is wanted in not one but 110 countries, for not only the crime of murder but also those of rape, extermination, forcible transfer, pillaging, and torture, and not only remains in high office but also plans to run for another term in 2010” said Josh Rubenstein, a thirty-year veteran of human rights policy and regional director for Amnesty international USA. Still sound plausible? it shouldn’t—but this is real. Welcome to the world of Omar al-Bashir.

On March 4th, 2009, Luis Moreno-Ocampo, head prosecutor of the international Criminal Court (iCC), issued an indictment against President Omar Hassan al-Bashir of Sudan, on five counts of crimes against humanity and two counts of war crimes in the region of Darfur. the warrant placed square blame for the conflict in Darfur—in which an estimated 300,000 people have been killed—on al-Bashir and his administration. Al-Bashir is the first head of state to be indicted by the International Criminal Court while in office. the warrant has been lauded by the international human rights community and supported by NAtO and the European Union.

Of course, the indictment is not without its opponents. the day the warrant was made public, the permanent representative of Sudan to the United Nations lambasted the iCC in the tiny, blue-walled pressroom at UN Headquarters. “This verdict does not deserve the ink used to print it,” the ambassador said, pounding his podium at intervals. “The message that the [iCC] has sent to the entire world is that it is a tool of imperialism and double standards.”

thousands of Sudanese marched in the capital Khartoum following the release of the warrant, rallying in support of al-Bashir. “Some Sudanese don’t agree with al-Bashir’s politics, but at the end of the day, they’re nationalists, and they will support their leader against what they perceive as a patronizing and pro-western system of justice—especially in the northern part of the country” said Beatrice Mategwa, a journalist with the UN who has spent four out of the past five years in Sudan. Darfur, where most of the violence has occurred, lies far to the west of Khartoum.

Most of the African Union (AU) and the Arab League joined the Sudanese government in condemning the warrant as an expression of western hegemony—despite the fact that 30 member nations of the AU are also parties to the Rome Statue, the document that gives the iCC its jurisdiction. Supporters of the iCC allege that the current president of the AU, Muammar Gaddafi of Libya, intimidated and bullied the representatives of other nations into supporting the resolution.

Days after the release of the warrant, the Sudanese government expelled most of the nonpolitical international aid organizations working in Darfur, including Oxfam international, Médecins sans Frontières, and Mercy Corps. Al-Bashir accused the organizations of being “spies” and “thieves”—though he made sure to seize their assets before kicking them out of Sudan.

Seven months have passed since the warrant was issued, and Omar al-Bashir remains comfortably in power in Sudan. in the months following the indictment, al-Bashir has not curbed his international travel, travelling to conferences in Qatar, Egypt, Libya, and Eritrea.

Does this mean that the iCC—an institution founded with the goal of ending impunity for even the most powerful perpetrators of atrocities—is doomed to fail? “Absolutely not,” Rubenstein said firmly, when posed with the question. “The fact that the international community has gotten to the point where it can hold accountable a sitting head of state for human rights violations marks an enormous milestone. Sure, we haven’t gotten al-Bashir yet—we always knew he wouldn’t come easily. But we’re alienating him—no one likes to be seen dealing with a war criminal.”

For now, al-Bashir is free and in power, and he will seek to extend his reign in the 2010 Sudanese elections. the overriding politics of regional affiliation, race, and oil make it unlikely that he will face trial at the Hague during the remainder of his presidency. But if there is one message that the international Criminal Court wants to pass along, it is this:

Watch out, Mr. al-Bashir, when you leave your presidential compound, when you travel outside of Sudan for medical treatment, and when you attend conferences in other nations. Your days are numbered. We know your game, and we will bring you to justice.

Sibjeet MahapatraFreshman and potential Economics major

Yale University (USA)

the Hunt for Al-Bashir

The elusive President of Sudan has evaded trial, imposed on him by the International

Criminal Court, for the genocide in Darfur. What does this mean for global justice?

Creative Commons licence photo credit : Mariordo

L’équipe du Paris Globalist remercie pour leur soutien

l’Association Française pour les Nations Unies

SciencesPo.

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The Economist

& l’Atelier de cartographie de SciencesPo.

The Paris Globalist - Association loi 1901 - 27 rue Saint-Guillaume75007 Paris

Responsables : Nathan R. Grison, Eléonore Peyrat, inès Levy

Directeur de la Rédaction : Nathan R. Grison Rédactrice en chef : Eléonore Peyrat

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Date de parution : janvier 2010 - Dépôt légal : à parution N°iSSN : 1969-1297

VALEUR : 5,60 € - 2500 exemplaires tarif d’abonnement : prix normal pour un an (trois numéros)France Métropolitaine : 12,90 € ttCUE : 19,20 €DOM-COM et reste du monde : 22,40 €

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