Judaïsme et BD (1) par Didier PASAMONIK

UPOP MEDEM · MARDI 2 FÉVRIER 2016 �

(Notes de Dany. Mise en Forme Alas Jonas)

Première partie

Les Juifs, les États-Unis et la BD

Cette histoire commence très tôt aux États-Unis avec PULITZER . 1

Joseph PULITZER sera le premier à faire paraître une BD moderne, The Yellow Kid. The Yellow Kid, parce que tout au long du 19e siècle, l’encre la plus rebelle, la plus difficile à manier, celle qui séchait trop vite ou pas assez, c’était l’encre jaune. Jusqu’en 1895 on n’arrivait pas à stabiliser cette satanée couleur jaune ! PULITZER et ses chimistes, parvinrent les premiers à stabiliser la couleur. Pour marquer le coup, PULITZER décida d’éditer une bande dessinée dans le New York World avec un personnage de gamin habillé en jaune.

Joseph PULITZER (1847-1911). POLITZER József est le fils de riches marchands de semences. Son père est 1

juif, sa mère catholique. Grand patron de presse rival de William Randolph Hearst, le magnat de la presse, il crée le prix qui porte son nom en 1904.

Ce n’est pas pour rien que les « super héros » naissent aux États-Unis. Dans les grands quotidiens, la bande dessinée s’adresse d’abord aux adultes. Les premiers grands héros de la BD, Flash Gordon, Mandrake, apparaitront dans les années 1934. 2

Les auteurs juifs …

Avec Annie BARON-CARVAIS , nous avions un projet qui s’est avéré si pharaonique 3

que c’en est devenu compliqué à éditer car il y a 10 ans, il y avait 200 BD de référence et aujourd’hui 2 000. Cela s’appelait La diaspora des bulles et cela s’intéressait à la fois aux créateurs juifs, à la représentation des juifs et aux éditeurs juifs. Parce que les éditeurs juifs ont joué un rôle considérable.

Couverture du n°1 de l'Assiette au Beurre. avril 1901.

Flash Gordon est créé en janvier 1934 par Alex RAYMOND  ; le personnage Mandrake (1934) et le Phantom 2

(1936) sont des créations de Lee FALK (Léon Harisson GROSS). Ces strips sont publié par King Features Syndicate (KFS) fondé en 1915 par WR Hearst.

Anne-Isabelle BARON-CARVAIS (1952-2007). Maître de conférences  en anglais elle présentes sa thèse de 3

doctorat en 1982  avec pour intitulé  L'évolution des super-héros dans la bande dessinée aux États-Unis.Elle était membre de l'Association des critiques et des journalistes de bande dessinée  et du  jury du Prix Œcuménique de la bande dessinée.

Citons en France Samuel-Sigismond SCHWARZ, juif  hongrois  fortuné naturalisé français, qui crée L’assiette au beurre ou Paul WINKLER, fondateur de la fameuse 4

agence Opéra Mundi , que Vichy destitua de sa nationalité française. 5

Aux États-Unis, il y a évidemment Samuel ZAGAT du Forverts, un des 6

pionniers, ainsi que Al CAPP ou 7

Milt GROSS qui publient dans les 8

grands quotidiens. Le succès populaire est immédiat, parce que

dans ce pays à forte immigration,

la BD est le support idéal pour apprendre la langue. À double titre : on a les paroles en situation et on aborde la langue avec quelque chose qui est très difficile à maitriser pour un étranger : l’humour. The Katzenjammers Kids (Pim Pam Poum en français), une des BD les plus célèbres de 1897, dont le créateur Rudolph DIRKS n’est pas juif, met en scène une famille parlant une espèce de yiddish cockney qui ne fait aucun doute sur leur origine… avec une mamée qui ne cesse de donner des fessées…

Ce journal sous-titré «  satirique, humoristique, hebdomadaire » à tendance anarchiste est paru du 4 avril 4

1901 au 12 octobre 1912. Le titre a définitivement disparu en 1936.

Cette agence fut créée en 1928 et devint rapidement celle qui diffusa les bandes dessinées du KFS parmi 5

lesquelles Flash Gordon, Mandrake, Prince Vaillant. En 1934 Paul WINKLER créa le Journal de Mickey en 1936 et Confidences en 1938.

Samuel ZAGAT (1890-1964), juif lituanien, crée Gimple Beinish the marieur en 1912, pour le journal yiddish 6

Varhayt (Vérité). La BD, qui se lisait de droite à gauche, parut jusqu’en 1919.

Al CAPP (Alfred Gerald CAPLIN. 1909-1979) fils d’émigrants juifs lituaniens, connu pour sa création de L’il 7

Abner.

Milton GROSS (1895-1953) commença à dessiner à 12 ans. Son plus grand succès vint avec Gross 8

exaggerations une rubrique hebdomadaire composée de texte et de dessins.

Gimpel Beinish le marieur, strip en yiddish lu de droite à gauche, de Samuel ZAGAT

Les garnements de Pim, Pam, Poum récoltent moult fessé, tandis que l'"Astronome" et le "Capitaine" se réjouissent.Ils ont

perdu leur accent "allemand' dans la version française.

Le premier studio de création

En 1936, Jerry IGER et Will EISNER (dont la deuxième partie de carrière est presque aussi importante que la première), fondent le premiers comic shop . C’est dans 9

ce studio que débuteront de jeunes créateurs de 16, 17 ans : Bob KANE de son vrai nom Robert KAHN, créateur de Batman, Jack KIRBY de son vrai nom Jacob KURTZBERG, créateur de X-Men, Spiderman, Hulk, Les 4 Fantastiques, Thor, …

Le comics shop a été construit sur le modèle des petits ateliers de couture New Yorkais, c’est à dire que dans une seule pièce il y a 15 types qui dessinent à la chaine, comme d’autres étaient en train de coudre dans l’atelier d’à côté.

Superman

La plupart des grands super-héros qu’on connait ont été créés par des auteurs juifs dans une ambiance juive très particulière mais je vais vous décevoir, Superman n’est pas juif !

Même si sa naissance est assez « mosaïque » puisque qu’on le recueille dans un landau laissé flottant au gré de l’espace et qu’il quitte un monde détruit pour un monde nouveau et qu’il va sauver. Il se marie au temple et on le voit prier devant un crucifix. 10

Tous ces auteurs juifs vont jouer un rôle idéologique important dans l’engagement des États-Unis dans la guerre, dans la lutte contre le nazisme, contre les Japonais. On va voir très vite tous les super héros combattre les méchants.

Le studio EISNER & IGER fournira des planches de dessins à des éditeurs selon leur demande9

Joël KOTEK suggère que Superman est un marrane.10

Auto portrait de Will EISNER, créateur du Spirit

La naissance "mosaÏque" de Spiderman.

Le Spirit en guerre 11

Une histoire courte de 8 pages de Will EISNER exposée au MAHJ en 2008 sur écran, en est un bel exemple. EISNER imagine qu’Hitler lui-même vient à New York pour convaincre les Américains de rejoindre les forces de l’Axe plutôt que de soutenir leur gouvernement.

Dans le métro, il discute avec ses voisins et vitupère contre le « gouvernement dégueulasse ». Au bout de quelques minutes, on lui rétorque : « nous on est des patriotes, on soutient notre gouvernement  » . Il se fait jeter du wagon avec quelques coups de poing. «  Je vais m’adresser aux homeless, aux sans domiciles, se dit Hitler ». Il croise des hobos. L’un des vagabonds monte sur une caisse et dit « ce gouvernement est dégueulasse, regardez dans quelle pauvreté nous sommes ». Il propose alors au type de lui fournir des armes pour combattre ce gouvernement mais le type répond  :  « Pas question ! Je suis patriote » et il se fait casser la gueule. Hitler se retrouve dans la boue d’un jardin, humilié par 2 enfants. On voit alors apparaître en contre-plongée les deux pieds du Spirit qui lui dit :

« Vous n’avez pas bien lu Machiavel. Selon lui, un bon dictateur pour est assuré d’être dictateur jusqu’à la fin des temps, fait le bien de son peuple. Comme ça, celui-ci n’a pas envie de se rebeller. Rentré en Allemagne, Hitler convoque tout son état-major –on reconnaît Goebbels, Goering, …– on voit toutes ces mines sinistres et leur dit : « Notre politique va faire un virage à 180°, on va arrêter de faire le mal pour faire le bien ». Dans le silence qui suit, Goebbels sort un luger et le tue. Ensuite il ouvre une porte, fait entrer un sosie d’Hitler et il lui dit : « Toi tu fais gaffe sinon tu vas avoir le même sort ! ».

Le justicier au petit masque noir, détective privé imaginé et dessiné par EISNER, a été publié la première fois 11

en juin 1940.

Cette couverture date de mars 1941

La BD originale date de 1941. Cette couverture date d'octobre 1975

Le cas GOSCINNY

Je voulais faire un chapitre sur GOSCINNY pour mon livre « La diaspora des bulles». Je lis tout. Je ne vois pas grand-chose en à tirer. Le seul moment où ça parle un peu yiddish, ce n’est pas lui qui fait le scénario. Il y a des trucs un peu allusifs mais bon, pas très juif tout ça. Et puis, en lisant les deux bios en cours je 12

m’aperçois qu’il a frère de six ans plus âgé que personne ne connaît y compris chez les spécialistes de BD.

Goscinny est mort en 1977. En 2003 /2004, au moment où je m’intéresse au sujet vers, je m’aperçois que son frère est encore vivant. Je l’appelle pour le rencontrer, je lui dis que je veux faire un article sur le côté juif de Goscinny, sujet qui n’a jamais été traité.

Il me répond qu’il ne veut pas parler de son frère. J’insiste : « Vous êtes le seul qui puissiez dire si on parlait yiddish à la maison, si vous alliez à la synagogue le vendredi, si on faisait kippour ». Après un long silence, il a accepté de me rencontrer. J’ai enregistré 6 heures d’interview….

Shimkha GOSCYNNY

« Mon père était chimiste mais ce n’était pas son métier, me dit Claude GOSCYNNY, il était directeur pour l’Argentine de la JCA, la Jewish Colonization Association ». La JCA, créée au 19ème siècle par le baron Maurice de HIRSCH, est la plus grande ONG du monde en 1924, au moment où le père de Goscinny est nommé à sa tête. Elle subsistera jusqu’en 1954.  13

Je découvre ainsi une famille de franc-maçons, de «  radsocs » et peut être 14

(sûrement même), un honorable correspondant des services secrets français. Le grand-père maternel de GOSCINNY, Abraham BERESNIAK, est le plus grand

Bios complètement fausses, dont une signée de sa fille qui lui trouve deux grands parents rabbins, ce qui est 12

totalement faux.

Goscinny est né à Paris en 1926. De de 2 à 19 ans il vit à Bueno Aires et de 19 à 26 ans à New York où il 13

rencontrera les futurs créateurs de Mad, Will ELDER, Jack DAVIS et Harvey KURTZMAN.

Radicaux socialistes.14

imprimeur de publications yiddish de Paris, c’est, auteur d’un dictionnaire étymologique Hébreu-Yiddish (Le premier, et le seul, qui fut publié en France en 1939) signé du pseudonyme afar (poussière en hébreu).

L’imprimerie BERESNIAK

Créée en 1912 rue Lagrange, la grande force de cette imprimerie était de pouvait imprimer dans toutes les langues exotiques (hébreu, langues asiatiques). Elle éditait ainsi quatre journaux yiddish. Quatre des huit enfants d’Abraham 15

reprirent l’imprimerie dans les années 1920. Léon, l’ainé fut convoqué au tribunal pour témoigner contre Paul GORGULOV, l’assassin de Paul DOUMER, dont il était l’employeur.

Il y a une photo où l’on voit Serge, l’oncle de René GOSCINNY, à côté de SOLJÉNITSYNE en train d’assister à l’impression de l’édition originale de L’archipel du Goulag.

Ce qui devait être couché en un seul feuillet, devenait gigantesque. Car chaqueJuif porte dans sa famille des histoires absolument… abracadantesques ! 16

L'imprimerie BÉRESNIAK s'était spécialisée grâce la constitution d'un fond important de caractères de 15

typographie en plomb dont les alphabets yiddish, hébraïques, cyrilliques, polonais, etc. Des ouvriers typographes extrêmement qualifiés capables de corriger à la fois le style, le contenu des textes et leurs présentations distinguait cette imprimerie dans la France de l´entre-deux-guerres.

L’activité éditoriale de l'imprimerie BÉRESNIAK se développa sous le nom de «Paris Standing» et publia en 1973 16

l'édition originale en russe de L'Archipel du Goulag dont Soljenitsyne avait réussi à faire sortir le manuscrit de façon clandestine d'URSS.

Dans l'imprmerie BERESNIAK. L'oncle de GOSCINNY est tout à droite.

Le parcours de JODOROWSKI

Autre personnage étonnant et figure juive singulière, le chilien Alejandro JODOROWSKY dont la mère est née à Moïseville au Chili, issue de l’immigration Hirsch (probablement qu’elle at eu affaire au père de Goscinny).

A 17 ans il va sonner à la porte d’André Breton, le pape du surréalisme. Il lui dit qu’il est le plus grand poète surréaliste du Chili. Il a été l’assistant du mime MARCEAU pendant 7 ans et il lui écrit ses pièces les plus connues.

En 1962, avec TOPOR et ARRABAL, ils créent le mouvement Panique . 17

Il commence sa carrière de cinéaste en 1968. Ce qui va faire son succès c’est La Montagne sacrée qui va devenir le film culte du Velvet underground à New York pendant des années, programmé à minuit dans le cinéma le plus huppé de l’avant garde new-yorkaise.

Il participe à la révolution Métal Hurlant en écrivant l’Uncal, dessinée par Mœbius.

Ce personnage sulfureux possède une puissance créative étonnante et fait des commentaires de l’Ancien et du Nouveau testament comme un talmudiste.

-(Fin de la première partie). A suivre…..

En l’honneur du dieu Pan.17

Couverture du tome IV de L'Iincal dessiné par MOEBIUS (Jean Giraud)