Faculté de droit et de science politique | Université de ...
Intro Science Politique
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Dpartement de Sociologie, Licence de Sociologie, Anne universitaire 2003-2004,Cours
Universit Victor Segalen - Bordeaux 2Facult des Sciences de l'Homme
Dpartement de Sociologie
Anne Universitaire : 2003-2004Licence de Sociologie, 1ere anne,1 semestre 2003/2004
Louis-Naud PIERREUE 2/Dcouverte des Sciences humaines
Introduction la Science Politique
INTRODUCTIONA LA
SCIENCE POLITIQUE
http://www.u-bordeaux2.fr/sociologie/encadrement/fichespersonnels/modele2/pierrelouisnaud.htmhttp://www.u-bordeaux2.fr/sociologie/encadrement/fichespersonnels/modele2/pierrelouisnaud.htm -
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Anne universitaire, 2003-2004Cours de M. Louis-Naud Pierre Introduction la
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
I.- LEXPLICATION POLITIQUEA) La tradition marxisteB) Lanalyse systmiqueC) Le fonctionnalismeD) ConstructivismeE) Interactionnisme
II.- LE CADRE INSTITUTIONNEL DEXPRESSION DU POLITIQUEA) Ltat
1. Un ordre juridique
2. Un pouvoir politique3. Lacceptation de lordre tatique4. Rle et fonctionnement
B) Les partis politiques1. Structure, fonctions et fonctionnement des partis politiques2. La lgitimation des partis politiques
C) Les groupes dintrts1. Importance et influence2. Cadres normatifs
III.- LES PRATIQUES DE PARTICIPATION POLITIQUEA) Les mobilisations : origines et enjeux
1. Lapproche psychosocialea. Action collective et frustration relative
b. Lanalyse marxistec. Mouvements sociaux et historicit (Alain Touraine)
2. Action collective et mobilisation des ressources a. Approche en termes de calculs cots/avantages
b. Approche en termes de contrle socialc. Approche en termes constructivistes
B) Les lections
1. Ltude de la participation lectorale2. La mesure de la participation lectorale3. Modles explicatifs de la participation lectorale
a. Lapproche cologiqueb. Lapproche psychosociologiquec. Le modle du march
CONCLUSION
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INTRODUCTION
La rflexion sur le problme politique remonte trs loin dans lhistoire des ides. Ce
sont les philosophes, tels Platon (428 ou 427 348 ou 347 av. J.C.), Aristote (384 322 av.
J.C.), Thucydide (env. 460-395) qui, ds le Ve et IVe sicle avant Jsus-Christ, ce sont
intresss ce problme. Mais les proccupations centrales de ces penseurs tournent autour de
la question de savoir quel type de gouvernement convient-il de mettre en place pour mieux
garantir une coexistence harmonieuse et pacifique des individus, ce qui les conduit desconsidrations morales qui travestissent souvent la ralit des faits. Ces questionnements
apparaissent comme une raction aux spectacles de guerres rptition, de dsordres et de
violences permanentes qui mettent en cause la prennit de la Cit1. Ils cherchent alors le
principe de lordre politique instituer imprativement dans lide de Bien et du Juste tire de
leur mditation mtaphysique . Le dbat politique prend alors la forme dune qute de
connaissance relative au type de conduite individuelle, politique et religieuse auquel
lhomme doit se conformer en vue de la ralisation de lordre, de la raison, cest--dire la
bonne correspondance entre lorganisation du cosmos, celle de la Cit et la hirarchie des
mes2.
Louvrage de Machiavel (1469-1527), Le Prince, crit vers la fin de lanne 1513
marque un renversement de la problmatique de la philosophie politique classique. Machiavel
fut un haut fonctionnaire de la Rpublique de Florence. Entre 1498 et 1512, il a occup les
fonctions de secrtaire de la chancellerie, de secrtaires des Dix de Libert et de paix ainsi que
de conseiller auprs de Pierre Soderini, magistrat suprme de la Rpublique. Il est dchu de
ses fonctions par les Mdicis qui ont envahi et soumis Florence leur autorit en 1512. Pour
1 Ces proccupations sont lies immdiatement au contexte sociopolitique de lpoque. Dans les annes 499avant J.C., des villes grecques d'Asie Mineure ont t en proie des rvoltes permanentes contre la dominationperse. Le roi perse, Darius 1er, crase la rbellion en 494, en dtruisant la ville de Milet, situe dans cette rgion.Entre 490 et 479, les Athniens devaient, de leur ct, faire face aux multiples tentatives dinvasion des Perses.La fin des conflits avec la dfaite de Xerxs, le nouveau roi perse, lors de labataille de Salamine, du Cap Mycaleet de Plates na pas pour autant permis lunification et la pacification de la Cit. Il faut attendre la dominationde Philippe de Macdoine partir de 338 pour que cette unit et cette paix intrieures auxquelles aspiraient les
Grecs depuis si longtemps soient effectivement tablies par la force.2 Platon,Rpublique.
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mieux comprendre les raisons de la dfaite de sa Rpublique, il sest mis lobservation
dune Rpublique qui elle a russi : la Rpublique romaine. Il sagit pour lui de reprer les
mcanismes de la dure et de la grandeur de Rome. Il entend montrer les effets des actions
des dirigeants et des modes des configurations socioculturelles sur la prennit ou non de tout
rgime politique : Lorsque les pays quon acquiert, comme on a dit, sont accoutums vivre
selon leurs lois et en libert, pour les tenir il y a trois procds : le premier, les dtruire ; le
deuxime, y aller habiter en personne ; le troisime, les laisser vivre selon leurs lois, en en
tirant un tribut et en y crant un gouvernement oligarchique qui te conserve leur amiti. Car
cr par ce prince, ce gouvernement sait quil ne peut durer sans son amiti et sa puissance, et
doit tout faire pour le maintenir. Et lon tient plus facilement une cit accoutume vivre libre
par le moyen des citoyens eux-mmes que daucune autre, faon, si on veut lpargner. 3
La rupture opre ici se situe dans le type de questionnements. Il ne sagit plus de
dterminer le statut de lhomme vertueux, lordonnance politique qui lexprime et le rend
possible et les principes qui fondent lun et lautre, mais de chercher savoir comment
fonctionne le pouvoir politique. Il donne ainsi la science politique son objet et sa mthode.
Cette dmarche positive va tre, peu peu, systmatise dans lanalyse politique. Pour
expliquer la particularit du rgime politique selon les socits, Montesquieu (1689-1755) se
rfre dans Lesprit des lois au systme des facteurs socioculturels et climatiques qui
caractrisent chacune dentre elles. Pour lui, la diffrence entre les rgimes politiques est lie
la diffrence des organisations et des structures sociales. Dans De la dmocratie en
Amrique, Tocqueville (1805-1859) suit la mme dmarche positive lorsquil tente de cerner
les facteurs dterminant le caractre libral et dmocratique de la socit en Amrique. Il relie
le rgime dmocratique un processus social global : lgalisation de conditions entre les
individus qui composent la socit amricaine. Cest cette mme proccupation
mthodologique (1818-1883) qui conduit Marx crer le concept de mode de production.Concept qui tend rendre compte concrtement des processus par lesquels les groupes
sociaux produisent leurs moyens dexistence.
La science politique na connu son vritable essor qu partir du XIX e sicle et du
dbut du XXe sicle, notamment avec les uvres de Max Weber mettant ltat et sa
bureaucratie, lintervention tatique et sa rationalit, le pouvoir et les mcanismes de sa
3 Machiavel,Le Prince, Paris, Flammarion, 1992, p. 85.
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lgitimation, bref, les mcanismes de la domination, au centre de lanalyse politique de
premier plan. La cration des dpartements de science politique dans certaines universits
amricaines partir de 1890 et la fondation, en 1903, de lAmrican Polical Science
Association prside successivement par Goodnow, Price, Lowelle et Wilson, permettent
cette discipline de saffirmer et de se dvelopper aux Etats-Unis. En Europe, la science
politique ne saffirme vritablement quaux lendemains de la seconde guerre mondiale,
notamment en Grande-Bretagne, en France, en Italie et en Allemagne.
Cette institutionnalisation nvacue pas pour autant les grands dbats sur les contours
de lobjet mme de la science politique. En quoi les phnomnes dits politiques se
distinguent-ils des autres phnomnes sociaux ? Quels sont les types de phnomnes que lon
dsigne par la notion de politique ? Constituent-ils des phnomnes politiques en soi ? Sinon
comment le deviennent-ils ?
Ltymologie grecque, , dsigne les affaires de la Cit, cest--dire, par
extension, ce qui se rapporte immdiatement aux activits du gouvernement. En dehors de ce
sens classique, la notion de politique se caractrise par son extraordinaire fluidit smantique.
Elle est utilise pour dsigner des champs et des types dactivits extrmement varis :
1)Des actions visant la ralisation de projets personnels non conformes aux normes
daction sociale : La notion de politique recouvre ici les activits visant la ralisation de fins
personnelles. Ces activits relveraient des calculs gostes, qui sopposent la loyaut et au
respect de lintrt gnral. La notion de politique indique, de ce point de vue, la
disqualification du comportement. Cest le sens de lexpression politique politicienne .
Cette connotation pjorative conduit les acteurs politiques se dfendre de faire de la
politique ou clarifier leurs intentions et leurs dmarches, en montrant quelles sont
conformes lintrt gnral.
2) Les activits visant la ralisation dune fin particulire conforme aux normes
daction sociale : Cela concerne tant les actions des hommes politiques pour conqurir et
exercer le pouvoir que celles dployes par une marque pour rehausser son prestige auprs
des consommateurs, par un syndicat pour accrotre son audience auprs des salaris. Dans
cette perspective, la notion politique ne se rfre pas l univers politique classique, cest-
-dire les affaires de la Cit. Elle indique simplement une ligne de conduite mthodique, en
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vue dune plus grande efficacit dans la ralisation dune fin quelconque juge digne par une
communaut dindividus.
3) Lensemble de solutions cohrentes apportes un problme dans un domaine
donn : La notion politique recouvre ici les activits mises dlibrment en uvre par les
pouvoirs publics pour faire face des faits ou des comportements qui deviennent sources de
problme et qui, par consquent, suscitent des inquitudes et des angoisses chez les membres
de la collectivit. Elle se rapporte au processus de maintien de la cohsion sociale. Les
politiques de la ville, de la famille, de lducation, de lemploi, de la justice, bref, les
politiques publiques en gnral, remplissent les mmes fonctions : prvenir les faits et
comportements non souhaitables ou les corriger sils sont dj produits dans un domaine
donn. La politisation dun fait ou dun comportement donn signifie donc que ce fait ou ce
comportement est identifi par les membres de la collectivit comme une menace pour leur
coexistence, pour leur sret et pour leur scurit personnelle et que ces derniers exigent des
interventions publiques.
4)Les processus dcisionnels : La notion de politique signifie un pouvoir de dcision,
de choix. Laction publique peut avoir des consquences multiples et contradictoires :
diminuer les impts sur la fortune peut entraner lattractivit dun pays pour les riches et,
dans le mme temps, conduire laffaiblissement de la solidarit nationale par la suppression
oblige des crdits finanant les politiques socioculturelles et sanitaires. De mme, la
suppression des contraintes juridiques pesant sur lentreprise est susceptible daccrotre tant
lefficacit conomique de celle-ci que la subordination quasi-absolue des salaris aux
patrons. Ici cest la qualit du modle social ou la nature des rapports sociaux qui est en jeu.
La notion politique renvoie aux processus par lesquels les gestionnaires publiques cartent
tels corps de principes de choix pour en adopter dautres.
5)Les processus de rgulation : Lusage masculin (le politique) de la notion politique
renvoie au phnomne multiforme de rgulation des conflits dintrts. Selon cette dernire
acception, la rgulation des activits humaines est la question politique centrale. Cette
rgulation sopre par le biais dun ordre juridique caractris par un systme dinjonctions
obligatoires (agir, sabstenir.) faisant lobjet dun travail de redfinition permanent et
garanti par ltat. Cette activit spcifique constitue lobjet de la science politique qui
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comprend quatre branches : thorie politique incluant lhistoire des doctrines et mouvements
des ides ; relations internationales ; Administration publique et politiques publiques ;
Sociologie politique.
Le concept science politique contient en soi le programme de la discipline. Il sagit
dun discours systmatique sur les faits et les comportements divers et changeants tenus pour
politiques un moment donn par une communaut dindividus dtermins. Ayant la
prtention scientifique, ce discours ne se borne pas constater ces phnomnes ou dcrire
les flots des impressions quils produisent chez lobservateur, mais les ordonner sous une
reprsentation commune, tablir leur liaison en un ensemble qui fournit les lois permettant
de comprendre les mcanismes politiques. Il sagit de produire, plus prcisment, de la
connaissance sur ces faits et comportements qui sont considrs comme politiques, cest--
dire leur attribuer un sens, montrer leur caractre pertinent. Cest ce but que poursuit
lexplication politique.
Ce cours sarticule autour de trois axes fondamentaux. Dans un premier temps, nous
nous tcherons de prsenter les divers modles dexplication politique. Aprs avoir, dans un
second temps, prcis le cadre institutionnel dexpression du politique, nous entrerons, pour
finir, dans la discussion des diffrentes formes de pratiques de participation politique.
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I.- LEXPLICATION POLITIQUE
Lexplication politique sinspire de deux types dapproche classiques en sciences
sociales.
Le premier type prend la socit globale comme point de dpart de lanalyse. Dans
cette perspective, la socit est comprise comme un systme organique dans lequel chaque
individu ou groupe joue un rle dtermin. La finalit suppose de ce rle consiste assurer
le maintien du systme. La socialisation constitue le mcanisme par lequel chacun acquiert leslments normatifs de son rle et les intgre dans sa personnalit propre. Les comportements
aussi bien que les jugements les plus personnels de lindividu sont tenus pour de simples
modes de manifestations concrtes des normes incorpores4. Dans ce type dapproche, lunit
des rapports des individus les uns avec les autres est une donne immdiate du systme. Elle
repose fondamentalement sur la dpendance mutuelle ainsi que sur le contrle que les
individus sexercent rciproquement. Cette dmarche dite dterministe quon retrouve chez
Durkheim est utilise dans un certain nombre de courants sociologiques, tels le marxisme, lesystmisme et le fonctionnalisme, pour expliquer les comportements et les faits politiques.
Le deuxime type dapproche part au contraire de lindividu, considr comme un
acteur autonome poursuivant ses fins personnelles en raison de sa logique propre ou de ses
intrts privs. Dans ces approches, lactivit spcifique de chaque individu est perue comme
le produit du calcul rationnel. Le systme social est compris comme le rsultat alatoire des
transactions sociales dpourvues de principe dunit en soi. Ainsi, le sens de laction socialeest-il dduit des logiques individuelles, lesquelles sont variables selon le rapport
cot/avantage. Cette approche inspire par la sociologie webrienne est mise en uvre dans
les analyses de type interactionniste et constructiviste.
4 mile Durkheim,Les rgles de la mthode sociologique (1894)
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A) La tradition marxiste
Dans lanalyse marxiste, les besoins primaires (manger, dormir, se reproduire, se
protger, besoins dits vitaux) et secondaires (loisirs, luxe, confort, savoir, prestige,reconnaissance, etc.) sont considrs comme le mobile fondamental de laction individuelle.
Lexistence de ces besoins chez lindividu inclut la tendance naturelle de les satisfaire. Il en
rsulte lengagement de celui-ci dans des rapports de production qui contiennent la possibilit
de leur satisfaction. Les intrts des uns et des autres au sein de ses rapports sont dtermins
selon leur apport spcifique (capital ou force de travail). Ces divergences dintrts
impliquent un systme daffrontements et de luttes de classes. Dans ces conditions, lunit des
rapports que linteraction sociale implique ne peut tre produite que par une force extrieure :ltat traduit dans une superstructure juridique et politique5.
Ltat a donc une fonction essentiellement de coercition. Son rle fondamental
consiste contenir les forces sociales susceptibles de mettre en cause la stabilit des rapports
de production, les tenir en chec.
Lanalyse marxiste sarticule sur deux postulats : la sparation des individus davec
ltat et lidentit des intrts de la classe dominante avec ceux de ltat.
1) La sparation des individus davec ltat : Marx montre quil nexiste aucun lien
interne qui rattache les individus ltat. Cest la liaison extrieure avec la superstructure
juridique et politique qui lgitime la domination de celui-ci sur ceux-l. Ltat est ainsi
peru comme une simple forme ajoute la dynamique des forces productives pour
garantir leur unit et leur universalit. Alors, intrts privs et forme tatique se
contredisent, ceux-l sont dtermins selon les classes, et donc contingents, celui-ci est
transcendant et universel.
5 Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports dtermins, ncessaires,indpendants de leur volont, rapports de production qui correspondent un degr de dveloppement dterminde leurs forces productives matrielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structureconomique de la socit, la base concrte sur laquelle s'lve une superstructure juridique et politique et laquelle correspondent des formes de conscience sociales dtermines. Le mode de production de la viematrielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en gnral (Marx,De la contribution
la critique de lconomie politique, cit par Dominique Chagnollaud, Science Politique, Paris, Dalloz, 2002, p.8, 4e dition.)
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2)Lidentit des intrts de la classe dominante avec ceux de ltat: Marx tablit
un lien entre le dveloppement de lindustrie, lintensification de lchange des produits
lchelle mondiale vers la fin du XVe sicle et la construction de ltat moderne. Il montre
comment le niveau atteint par le capitalisme cette poque ncessite la libert et lgalit
des droits. Il sagit de librer les travailleurs des entraves corporatives et le commerce des
privilges fodaux, de garantir les chances gales pour les concurrents bourgeois, dassurer
la scurit juridique des changes et de la proprit prive. Ces impratifs conomiques
constituent, selon lui, les contours des prrogatives fondamentales de ltat moderne. Il en
rsulte immdiatement lidentit des intrts capitalistes et les intrts de ltat.
Marx insiste sur le fait que la traduction des intrts de la classe politiquement
dominante dans ltat demeure quelque chose de purement formel. Alors, la contradiction
entre intrts de classe et forme tatique persiste. Car si ces intrts staient effectivement
levs au rang de luniversel, cest--dire rendus conformes aux aspirations ou aux besoins de
tous les individus ou groupes qui composent la socit, le recours un systme de coercition
pour assurer le maintien de lordre social (le statu quo) serait non seulement superflu mais
encore absurde ; et cela, dans la mesure o ces derniers se plieraient spontanment cet ordre
dans lequel leurvolont particulire est pleinement restitue.
Selon lui, les modes de rapports de production antrieurs et actuels (esclavagisme,
fodalisme et capitalisme) contiennent une contradiction, qui se traduit dans laffirmation du
caractre absolu aussi bien des intrts de classe que des intrts de ltat. Or les intrts ne
peuvent tre penss universellement quen perdant leur caractre de classe, cest--dire en se
gnralisant ; et luniversalit de ltat nest vritablement affirmative que dans la
suppression des classes elles-mmes ainsi que de leurs intrts particuliers. Ce qui implique
immdiatement labolition de ltat dont lexistence ntait justifie, jusque-l, quen tant quepossibilit de coexistence pacifique et tranquille de classes aux intrts antagoniques. Cette
configuration sociale dans laquelle les individus ou groupes et leurs intrts sont
indiffrencis se rapporte au communisme. Cest en ce sens que ce mode de production est
tenu pour la fin de lhistoire. Car selon Marx :
Lhistoire de toute socit jusqu nos jours est lhistoire de la lutte des classes.Homme libre et esclave, patricien et plbien, baron et serf, matre de jurande etcompagnon, en un mot oppresseurs et opprims, en opposition constante, ont men une
guerre ininterrompue, tantt secrte, tantt ouverte et qui finissait toujours soit par une
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transformation rvolutionnaire de toute socit, soit par la ruine commune des classesen lutte6
Le maintien des intrts de classe soppose immdiatement luniversalit effective
de ltat. Alors, les injonctions juridiques et les normes institutionnelles garantissant leurintgration sanantissent comme principes universels. Cest ce qui se passe dans les modes
de production antrieurs et actuels. Dans le communisme, la gnralisation des intrts et la
collectivisation des moyens de production suppriment aussi bien la notion dintrts de
classes que celle de ltat. Le communisme est ainsi pos comme possibilit de
lassociation libre et gale des producteurs 7. Les individus ou groupes sont ainsi unis par
un mode interne, la volont qui se traduit dans lacceptation mutuelle. Il en rsulte la tendance
chez lindividu respecter spontanment les rgles de cette socit fraternelle : Le travail,au lieu dtre un fardeau, sera une joie dclare Engels. Tout appareil de coercition est
devenu inutile8.
Sinspirant de lanalyse marxiste, certains auteurs, comme Gramsci et Althusser, ont
cherch cerner les mcanismes de contrle tatique dans le capitalisme. Le premier a mis en
vidence le rle de lidologie dans ltablissement et le maintien des valeurs de la classe
dominante et de son pouvoir. Le second a fait tat de larticulation des Appareils
Idologiques dtat (AIE) [constitus par les glises, les coles, la famille, le droit, les
mdias] et l appareil rpressif dtat (ARE) [comme larme, la police, la bureaucratie]
dans le processus de lgitimation et de maintien des rapports de production tablis. La notion
de violence symbolique dveloppe par Bourdieu rejoint ce cadre danalyse. Cette notion
dsigne les efforts dploys par les dominants pour poser leurs propres conduites et leurs
manires de vivre particulires comme universelles, et donc disqualifier celles des domins.
La critique politique implicite consiste dans le fait de considrer ltat comme le support de
cette entreprise.
B) Lanalyse systmique
Dans lanalyse dinspiration marxiste la notion politique dsigne les processus par
lesquels la coexistence dun ensemble dindividus donn aux intrts originairement
6 Marx,Manifeste du Parti communiste, Paris, Union Gnrale dditions, 1984, p. 19, coll. 10/18.7
Engels cit par Roger-Grard Schwartzenberg, Sociologie politique, Montchrestien, 1998, p. 57, 5
me
dition.8 Voir Roger-Grard Schwartzenberg, Sociologie politique, Montchrestien, op. cit., pp. 56-57.
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contradictoires est rendue possible. Ltat, qui est lorgane jouant cette fonction, est compris
comme un construit social. Il dpend de ltat des rapports de force un moment donn.
Toute modification de ces rapports est susceptible dentraner sa transformation.
Lanalyse systmique conserve lide selon laquelle la socit serait le produit des
interactions entre des individus cherchant la satisfaction de leurs besoins personnels. Mais ici
la notion politique dsigne le processus de rpartition des ressources et des avantages entre
ces derniers. Processus qui se matrialisent dans des dcisions faisant autorit. Dans ces
conditions, la politique dsigne lensemble dactivits visant influencer ces dcisions. Ces
activits se prsentent comme un systme, dans la mesure o elles sont cohrentes, selon la
finalit. En outre, elles mettent en scne des groupes dacteurs ayant des rles distincts et
placs en situation dinterdpendance dans la socit globale. Toutes activits qui ne
poursuivent pas immdiatement ces fins sont ainsi cartes du champ politique.
David Easton construit un modle danalyse dans lequel les interactions du systme et
son environnement sont reprsentes sous la forme dun circuit cyberntique ferm. Dans ce
modle, le systme politique est considr comme un lieu opaque et obscur qui chappe
lentendement. Do sa dsignation par la notion de bote noire. Pour Easton la seule ralit
connaissable dans ces processus est celle qui se donne observer uniquement dans les
transactions multiformes entre le systme et son environnement. Alors, le but de lanalyse
politique consiste connatre les mcanismes de ces transactions. Il sagit plus prcisment de
cerner les types dinfluences que lenvironnement exerce sur le systme et la manire dont ces
influences sont communiques celui-ci. Les modes dadaptation du systme constituent pour
lanalyse un moment trs important.
Les indicateurs de lanalyse sont dduits des quatre problmes spcifiques unsystme politique donn. Ils sont rangs en deux catgories distinctes : les inputs et les
outputs.
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inputs
exigences
soutiens
frontires dusystme
rtroaction
outputs
dcisions
et actions
environnements
Les inputs consistent dans les messages ou les impulsions que le systme reoit de
lenvironnement. Il sagit des exigences et dessoutiens. Les exigences relvent des attentes ou
des demandes sociales relatives, par exemple, aux droits de lhomme. Dans ce cas, lanalyse
consiste dterminer la nature de ces exigences et leur mode de traitement. Il est bien entendu
que lexpression incontrle de ces exigences est susceptible de provoquer la surcharge
qualitative content stress. Les soutiens sont constitus soit par des manifestations publiques
dadhsion laction gouvernementale, soit par lattachement des citoyens aux rgles de
fonctionnement du systme politique. La socialisation politique, lintgration culturelle, la
grammaire politique (lunivers de sens, le fait linguistique) deviennent des objets privilgis
de lanalyse.
Les ouputs sont le produit de la raction du systme lexpression des exigences et
aux offres de soutiens. Ils prennent essentiellement la forme de dcisions et dactions
matrialises dans les politiques publiques. Le but suppos de ces outputs est de satisfaire les
demandes et de renforcer les soutiens ncessaires au maintien du systme politique. Pour
lanalyse, il sagit dobserver la nature de la raction du systme en rapport avec la
satisfaction, la relance, le dplacement ou le durcissement des exigences. Il en est de mme
pour les soutiens. Contribue-t-elle les renforcer ou au contraire les affaiblir ?
Cette dmarche considre le systme politique comme un lieu de circulation
dinformations. Celles-ci consistent dans les signes et dans les messages envoys au systme
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par les citoyens. Le rle des dirigeants du systme est de les interprter, de les slectionner, de
les traiter, de les convertir en dcisions et en actions publiques.
Cette approche sinsre dans le cadre de la thorie gnrale des systmes. Selon cette
thorie, tout systme comporte en soi sa propre finalit : son maintien ou sa propre
reproduction. Alors, lanalyse se borne tudier les conditions de son adaptation son
environnement porteur dlment de dsquilibre et de perturbation. Dans cette adaptation, les
dcisions et les actions publiques apparaissent comme des lments dtermins quon peut
comparer dautres, comme une marchandise contre laquelle on peut en changer une autre,
savoir les soutiens. Le systme politique comme puissance dispensatrice des ressources et des
avantages tient un march avec des produits appels exigence et soutiens qui sont en vente
contre dautres produits, dcisions et actions ; et le droit en constitue le tarif.
Cette analyse sduit un certain nombre de chercheurs en sciences politiques par sa
clart, sa simplicit et son caractre oprationnel. Le classement des lments du systme
selon leur fonction offre des critres de jugement particulirement solides. Mais lexagration
de la tendance suppose du systme la survie restreint, dans le mme temps, le champ
dinvestigation. Car tout est ramen cette interrogation fondamentale. Tout ce qui ne
contribue pas cet impratif fonctionnel est cart du champ politique. Partant dune
conception plus large de la notion de fonction, lanalyse fonctionnaliste dveloppe par
Almond et Powell dans Comparative Politics (1966) sefforce de dfinir dautres critres
relatifs aux fonctions politiques dites de base et den tudier les rapports.
C) Le fonctionnalisme
Lanalyse fonctionnaliste en sciences politiques prend naissance dans un contexte
gnral de questionnements sur les problmes poss par limportation des modles politiques
occidentaux dans le tiers monde. La nature de la question conduit Almond et Powell
postuler lexistence de fonctions politiques de base contribuant assurer lautoreproduction
dun systme politique et son adaptation un environnement donn. Ces fonctions sont
ensuite tenus pour consubstantielles tout systme politique. Lanalyse se borne identifier
les structures qui les remplissent effectivement, selon lenvironnement social donn.
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Quatre fonctions politiques de base sont ainsi rpertories a priori. La capacit
extractive qui consiste dans laptitude du systme prlever et mobiliser les ressources
financires et humaines ncessaires la ralisation de son but. La capacit rgulatrice
consistant dans les mcanismes de contrle juridique et institutionnel des comportements et
des changes socio-conomiques dans lespace dtermin en vue de dsamorcer les conflits
dintrts et les contestations sociales. La capacit distributive porte sur lallocation des
ressources, des avantages et des privilges aux citoyens pour renforcer leurs soutiens au
systme. La capacit ractive ou responsive concerne lefficacit du systme cerner, voire
anticiper les exigences en vue de prvenir les frustrations susceptibles de mettre en cause sa
survie.
Lanalyse fonctionnaliste part des structures politiques occidentales comme modles.
Les besoins de la comparaison avec les structures politiques extra-occidentales la conduit
forger dautres notions permettant de saisir la spcificit de chaque structure particulire, en
rapport avec la question fondamentale : lautoreproduction et ladaptation du systme
politique. Il sagit de quivalents fonctionnels et multifonctionnalit des structures . La
notion d quivalents fonctionnels dsigne le fait quune mme fonction peut tre remplie
par des structures diffrentes, selon lenvironnement. Par exemple, les fonctions de filtrage et
de formulation des exigences peuvent tre remplies tant par les partis politiques que par des
structures syndicales, associatives ou religieuses. Celle de multifonctionnalit des
structures indique le fait quune mme structure peut remplir une multitude de fonctions
qui, ailleurs, sont prises en charge par des structures spcialises. La prsidence en Hati
soccupe par exemple de toute une srie de questions comme lalphabtisation, llaboration
et la mise en uvre de projets de dveloppement ou daides sociales, domaines qui en
Occident relvent de la comptence dautres structures institutionnelles, notamment des
ministres.
Les diffrentes approches prsentes brivement ci-dessus mettent laccent sur les
processus sociaux globaux. Lanalyse consiste essentiellement dcouvrir les lois gnrales
inhrentes ces processus. Ce qui laissent peu de place la libert des acteurs en prsence.
Les individus concrets et leurs logiques particulires sont ngligs ou mme ignors. Cest en
raction contre cette prtention de dcouvrir des lois rgissant la ralit sociale que se sont
construits les courants constructivistes et interactionnistes.
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D) Constructivisme
Le constructivisme est un courant de pense qui met en cause la validit du discours
scientifique. La science prtend rvler lenchanement des phnomnes (ou lois gnrales)
dans le monde sensible. Cet enchanement est tenu pour positif, dans la mesure o il existeindpendamment de lobservation du chercheur. Dans ces conditions, les concepts produits
de la raison ne peuvent contenir que la possibilit de cet enchanement. Lexistence de ceci
ne peut tre dcouverte que par lobservation. Les approches prsentes ci-dessus sinscrivent
dans cette conception scientifique. Dans ces approches, linterrogation fondamentale est celle
de la dtermination des comportements et des pratiques politiques.
Les tenants du courant dit constructiviste tiennent la connaissance du rel pourimpossible. Pour eux, le discours scientifique ne se rapporte qu la ralit quil fabrique.
Autrement dit, la vrit de ce discours ne repose sur aucune pntration de la nature des objets
dtudes. Donc, ce nest nullement la ncessit de lenchanement rel des faits qui valide le
discours. Cest lassimilation des reprsentations socialement construites avec des ralits qui
fait toute lautorit de ce discours. Peter Berger et Thomas Luckmann va jusqu considrer la
structure sociale comme la somme des typifications et des modles rcurrents qui consistent
dans des catgories par lesquelles nous pensons le monde9.
Ces auteurs dcrivent les processus par lesquels les reprsentations deviennent des
ralits. Dans un premier temps, les individus attribuent un sens aux objets de leur interaction.
Sens qui devient par habitude vident pour tous. Il sagit de la phase dite de typification .
Ils insistent sur le fait que cette typification est non pas corrlatif la ralit concrte mais
simplement notre sensibilit, nos impressions, lesquelles sont elles-mmes conditionnes
immdiatement par la situation dinteraction. Cette typification dbouche, dans un second
temps, sur des reprsentations sociales quils appellent institutions . Celles-ci nexistent
que dans les catgories descriptives (peuples, tats, nations, familles, coles, entreprises) et
dans les valeurs de rfrence (libert, galit, lgalit). Ces catgories ou notions se rapportent
non pas immdiatement des faits rels mais des reprsentations ( institutions ) qui, dans
un troisime temps, sont vcues comme des ralits par les individus.
9
Peter Berger Thomas Luckmann,La Construction sociale de la Ralit, Masson/Armand Colin, Paris, 1996,2me dition.
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Ainsi le critre de lexistence des faits sociaux est la subjectivit individuelle. Le
principe dexplication de ces faits ne renvoie rien de plus ni rien de moins qu ce qui
avait t accept dans les croyances. Les concepts de vrit, dobjectivit nont nullement de
sens, puisque la connaissance des faits tudis est tenue pour impossible. Les objets ne nous
sont pas du tout connus en eux-mmes, et ce que nous nommons objets extrieurs consistent
dans de simples reprsentations.
Sur le plan politique, linterrogation fondamentale consiste non pas dans les
comportements collectifs dont les raisons relles sont censes tre impntrables mais dans
lapparition dun langage (un univers de reprsentations) qui dtermine la politisation des
faits et des problmes. Il sagit dtudier plus prcisment les contextes dinteraction qui
rendent possible cette apparition. Alors, lexistence positive de lois gnrales qui
dtermineraient a priori le fonctionnement social est ignore. Linteractionnisme va aller
jusquau bout de cette logique, en renfermant immdiatement le social (entendu comme
systme de contraintes) dans lindividu.
E) Interactionnisme
Linteractionnisme tient les contraintes structurelles pour des effets des calculsrationnels qui conduit lindividu adopter des comportements, assumer des rles sociaux
dans la poursuite de ce qui lui est utile. Dans lordre denchanement des faits sociaux, ce sont
les intentions des acteurs, leurs calculs et leurs stratgies qui sont tenus pour dterminants. Le
principe de laction nest pas dans les normes sociales ou juridiques incorpores ou connues
des acteurs. Ce principe consiste simplement en une rgle qui, dans la poursuite de lutilit
donne, impose lindividu de maximiser ses gains en raison directe de ses fins particulires.
Le critre de la rationalit des acteurs est lefficacit. Il ne sagit nullement dun principe
constitutif du politique, destin tendre la rationalit au-del des intrts privs. Cest un
principe qui fait poursuivre et tendre lutilit le plus loin possible, et daprs lequel aucune
norme positive ne doit avoir la valeur dune limite absolue. Par consquent, cest un principe
qui postule comme rgle ce qui est utile pour lindividu et nanticipe pas ce qui est donn dans
le vivre ensemble antrieurement laction particulire de lacteur.
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Linteractionnisme ne peut penser les phnomnes sociaux collectifs que comme des
effets mergents , conus comme la rsultante dactes individuels. chappant la matrise
de leurs auteurs, ces actes peuvent, selon Raymond Boudon, gnrer des effets pervers ,
cest--dire deffets mergents qui ne sont souhaits par personne, voire qui sont redouts par
tout le monde. Comme en tmoigne la situation de pnurie ou de panique gnre par la peur
de manquer qui pousse les individus stocker. La raison de ces comportements est recherche
non dans les circonstances extrieures (hausses de prix anticipes, crises annonces, ruptures
de stock, mauvaises gestions, dclarations politiques hasardeuses) mais dans les mesures de
prcaution prises spontanment et souverainement par les acteurs individuels. Dans la
rgression qui consiste remonter des faits expliquer (la situation de pnurie ou de panique)
aux facteurs explicatifs, linteractionnisme sarrte au moment des dcisions individuelles.
Une partie de lenchanement est mthodiquement occulte.
Lexplication interactionniste prsuppose linconditionnalit de lacteur, tat qui
permet celui-ci de dcider ou de choisir en toute libert. Michel Crozier et Erhard
Friedberg10 dfinissent cet tat en dehors des contraintes structurelles et des processus sociaux
globaux signifis par les normes sociales, les normes juridiques et institutionnelles. Ce sont
dans les zones dombres, dans les marges de non-droit, dans les interstices du contrle social
que saffirment la libert de lacteur, qui est identique aux contours de sa marge dinitiative.
Les limites de la dmarche des individus sont poses non pas dans les ncessits du vivre
ensemble mais dans les zones dincertitudes : incapacits daccumuler et de traiter lensemble
des informations utiles, difficults didentifier exactement les intrts des autres partenaires
dinteraction et danticiper leurs capacits de rsistance ou dinfluence. Toute prdiction des
rsultats des actions individuelles est rendue impossible.
Linteractionnisme sinspire de la sociologie wbrienne. Pour Weber la relation
sociale consiste dans le comportement de plusieurs individus, en tant que, par son contenu
significatif, celui des uns se rgle sur celui des autres et soriente en consquence . Laction
collective est donc considre comme la rsultante de comportements individuels orients
vers la ralisation des buts personnels conformes divers types de rationalit (rationnels en
finalit et rationnels en valeur). Dans cette approche le lien politique qui rattache les individus
10 Michel Crozier et Erhard Friedberg,Lacteur et le systme (1977)
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les uns aux autres, la rgulation des conflits dintrts, ne sont perus que comme des effets
dune puissance suprieure dominante. La dfinition classique de ltat est dduite de cette
conception.
II.- LE CADRE INSTITUTIONNEL DEXPRESSION DU POLITIQUE
Dans les analyses politiques exposes ci-dessus, lactivit politique dsigne leffort soit pour
apaiser ou rguler les conflits dintrts (Marxisme), soit pour repartir les avantages et les
ressources entre les citoyens, soit pour influencer les dcisions orientes en ce sens
(systmisme et fonctionnalisme). Ces derniers aspects rentrent dans le cadre de la dfinition
wberrienne de lactivit sociale dite politique : Nous dirons quune activit sociale, et tout
particulirement une activit de groupement, est oriente politiquement lorsque et tant quelle
a pour objet dinfluencer la direction dun groupement politique, en particulier
lappropriation, lexpropriation, la redistribution ou laffectation des pouvoirs
directoriaux .11
Ces activits prennent une forme objective dans des dispositifs de rles
diffrencis interdpendants, des pratiques multiples, et des rgles de comportements. Elles se
ralisent donc dans un cadre institutionnel qui prend des formes diverses : tat, partis
politiques, groupes dintrts, etc., groupements qui permettent ngociations et compromis
entre acteurs aux intrts antagoniques. Il sagira de dterminer la nature et le mode de
fonctionnement de ces structures institutionnelles.
A) Ltat
Ltat est un concept qui se rapporte un ensemble dindividus qui, lintrieur dun
espace territorial donn, entretiennent des liens juridiquement rgls et jouissent dune
certaine souverainet. Dans la ralit, cet ensemble apparat comme la rsultante dactions
rciproques de gouvernants, dagents administratifs et dautres acteurs sociaux les uns sur les
autres. La configuration sous laquelle il se prsente varie selon lespace dtermin, le nombre,
11 Max Weber,conomie et Socit, Paris, Pocket, 1995, coll. t. 1, p. 97.
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les ressources disponibles (financires et humaines), le mode de rapport de production,
lefficacit des systmes de rgulation des conflits dintrts et dintgration. Ainsi, la ralit
dsigne par la catgorie tat en Hati parat diffrente bien des gards de celle dsigne par
cette mme catgorie aux tats-Unis dAmrique ou en France. La mme remarque reste
valable pour dautres configurations sociales auxquelles se rapporte cette notion. Tant et si
bien que nombre de critiques proposent, dans les annes cinquante, sous linfluence du
systmisme et du constructivisme, de bannir ce mot du vocabulaire de la vie politique. Les
tenants de cette position y voient une sorte dcran qui fait obstacle au progrs de lanalyse
savante12. Dautant plus quil laisse supposer lexistence dun tre collectif spar de la
socit civile quil rgit.
La ncessit du discours conduit la communaut scientifique ne pas renoncer
lemploi de cette notion, bien que consciente du caractre htroclite des configurations
sociales concrtes auxquelles elle renvoie. Dans ces conditions, le problme suprme est de
dterminer la reprsentation qui contient les caractristiques supposes gnrales des entits
collectives diverses quelle dsigne. Ces suppositions signifient que toutes configurations
sociales, quelles quelles soient, fournissent des lments do lon peut tirer une rgle
suivant laquelle les actions rciproques des acteurs les uns sur les autres obissent une
certaine rgularit et prsentent un caractre universel.
Ltat est le concept par lequel cette rgularit et cette universalit sont penses. Il
reprsente lunit des interactions multiformes entre les acteurs aussi bien que
lharmonisation des intrts conflictuels. Pour certains, ltat est identique un ordre
juridique. Dans cette perspective, ltat ne dsigne pas seulement le pouvoir central qui se
subordonne les institutions (familles, associations, entreprises) et les intrts des individus,
mais la socit toute entire envisage comme un tre collectif dont lidentit est dterminepar les normes juridiques. Pour dautres, il est corrlatif une entreprise extrieure de
domination qui maintient le respect des normes du vivre ensemble parmi les individus par
la menace de chtiment lencontre des contrevenants, cest--dire un pouvoir politique. Ici
ltat se rapporte essentiellement au pouvoir central. Nous allons essayer de cerner le mode
dargumentation dvelopp par les uns et par les autres.
12
Bernard Lacroix, Ordre politique et ordre social , in Madeleine Grawitz et Jean Leca, Trait de sciencepolitique, Paris, PUF, 1985, tome 1, p. 472 ; Bergeron, Grard,Le fonctionnement de l'tat, Qubec, PUL, 1965.
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1. Un ordre juridique
Lidentit de ltat avec lordre juridique est postule par les juristes allemands et
franais (Jellinek, Laband, Carr de Maberg) au dbut du XXe sicle. Le juriste autrichien,
Hans Kelsen (1881 - 1973), qui a enseign en Autriche et en Allemagne, a systmatis ces
postulats de base dans son ouvrage intitul Thorie pure du droit. Il montre que les trois
lments considrs comme traditionnellement constitutifs de l'Etat : la population, le
territoire et la puissance (pouvoir dinjonction et de coercition), nexistent pas en dehors dun
cadre juridique. Autrement dit, ltat nest rien dautre que la forme de lunit entre une
population donne, un territoire dtermine et une organisation politique structure par des
normes juridiques13
. A partir de l, il convient de percevoir lEtat et le Droit non comme deuxentits qui sont trangres lune de lautre mais comme deux moments distincts dune mme
totalit. Par consquent, la formule d Etat de droit apparat comme un plonasme. Car,
tout Etat est forcment un ordre juridique.
A la question de savoir de quoi cet ordre juridique tire son origine, et partant sa
lgitimit, Kelsen rpond que cest de lui-mme. Il justifie cette auto-rfrence de lordre
juridique en sappuyant sur un rapport hirarchique entre les diverses classes de normes. Dansce rapport, chacune des classes de normes tire directement sa lgitimit dans sa conformit
celle qui lui est directement suprieure, et cela, ainsi de suite. Les classes de normes lgales,
formant ainsi une chane, sont, de manire ncessaire, relies une norme fondamentale : la
Constitution. Lautorit suprieure de celle-ci rsulte de la maxime d obir aux
commandements du constituant. Il ne sagit ni plus ni moins que dune loi que Kelsen
produit partir du nant, et donc en dehors des actions rciproques des individus les uns sur
les autres. La raison juridique apparat comme la facult desubsumersous des rgles, cest--
dire de discerner si des textes, des pratiques, des comportements rentrent ou non sous une
rgle donne (casus datae legis).
Ce ne serait donc pas la coexistence en soi dun nombre dtermin dindividus sur un
territoire donn qui est la base de la constitution de lEtat, mais lexistence dune norme
fondamentale qui la conditionne. Dans cet ordre dide, Kelsen soutient que :
13 Hans Kelsen, Thorie pure du droit, Trad. Paris, Dalloz, 1962, p. 381 et ss.
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La communaut de penses, de sentiments et de volonts, la solidarit dintrts olon veut voir le principe de son unit sont, non pas des faits, mais de simples postulatsdordre thique ou politique que lidologie nationale ou tatique donne pour ralitsgrce une fiction si gnralement reue quon ne la critique mme plus. En vrit, le
peuple napparat un, en un sens quelque peu prcis, que du seul point de vue juridique ;
son unit normative rsulte, au fond, dune donne juridique : la soumission de tousses membres au mme ordre tatique. Par cette allgeance commune, en effet, les actesde ces individus du moins ceux qui tombent sous la prise des rgles de cet ordre rentrent dans un systme normatif. Et cest cette unit de multiples actes individuels, etelle seule, qui, en ralit, constitue le peuple lment de cet ordre social particulier,lEtat. Le peuple nest donc point contrairement la conception nave que lonsen fait un ensemble, un conglomrat dindividus, mais uniquement un systmedactes individuels dtermins et rgis par lordre tatique. 14
Autrement dit, lordre tatique nest pas immdiatement dtermin par le systme de
la communaut de penses, de sentiments et de volonts, la solidarit dintrts ni par leurreprsentation, mais par lacte daffirmation des rgles juridiques qui ordonnent certains
aspects des comportements individuels et collectifs :
Car lindividu nappartient une collectivit sociale mme celle qui tablit sur luilemprise la plus forte, lEtat, par la totalit de son tre, de ses fonctions et de sa vie
psychique et physique. Surtout dans un Etat dont lide de libert dtermine la formedorganisation, lordre tatique ne saisit jamais que des manifestations trs dterminesde la vie individuelle ; toujours, ncessairement, une part plus ou moins grande enchappe cet ordre ; toujours et ncessairement, il subsiste une certaine sphre o
lindividu est libre de lEtat. Aussi est-ce une fiction que donner lunit dunemultiplicit dactes individuels, unit que constitue lordre juridique , en la qualifiantde peuple , pour un ensemble dindividus et dveiller ainsi lillusion que cesindividus forment le peuple par tout leur tre, alors quils ny appartiennent que parquelques-uns de leurs actes, ceux que lordre tatique ordonne ou dfend. 15
Pour Kelsen, les appareils rpressifs (bureaucratie, Justice, Arme, Police, etc.) aussi
bien que les organisations de la socit civile (familles, entreprises, groupes dintrts) ne
sont pas autre chose que les produits de la norme fondamentale :
Nous supposons ici admis que ce que lon a lhabitude dappeler, par imageanthropomorphique, la volont des collectivits et notamment de lEtat, nest pasune donne psychologique car psychologiquement, il ny a de volontsquindividuelles mais bien lordre idal de la communaut, pos par une multitudedactes individuels et en formant le contenu. Comme tel, lordre collectif est un systmede normes, de prescriptions qui dterminent la conduites des individus membres de lacollectivit et qui, en vrit, constituent par l mme cette collectivit. Les membres dela collectivit doivent se conduire dune certaine faon, tel est le contenu intellectuel enquoi consiste lordre collectif ; mais la faon la plus sensible et par suite la plus
14
Hans Kelsen,La dmocratie, sa nature, sa valeur, (Paris 1932), Paris, Economica, 1988, p. 26.15Idem. p. 26.
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intelligible pour la grande masse, quil sagit prcisment datteindre, dexprimer cetterelation purement spirituelle est de la traduire : la collectivit, lEtat (quon hypostasieen une personne) veut comme un homme ou un surhomme que ses membres seconduisent de telle ou telle faon. On prsente l obligation tablie par lordretatique comme la volont dune personne tatique. La formation de la volont
tatique est donc simplement le procs de cration de lordre tatique 16
.
La manire dont Kelsen envisage la formation de la volont tatique , apparat dans
cette remarque :
Or ce procs a pour trait essentiel et caractristique que, partant dune forme premireabstrait, il aboutit, travers des tapes plus ou moins nombreuses, une forme concrte,quil conduit dun ensemble de normes gnrales une multitude de dcisions ou dedispositions, de normes tatiques individuelles. Cest un procs tout diffrent de celui
par lequel se forme la volont psychologique dans lindividu de concrtisation et
dindividualisation, dans lequel la cration des normes gnrales et abstraites sedistingue clairement que celle des dispositions concrtes et individuelles, de ldictionsdes ordres ou dcisions individuels. Il appartient la phnomnologie juridique demontrer la diversit de ces fonctions 17.
Ces postulats conduisent logiquement Kelsen reconnatre au systme lgal de la
priode hitlrienne une valeur juridique formelle. La pense kelsenienne a eu une influence
dterminante sur les constituants de 1958 en France18. Cette vision du droit est aujourdhui
conteste, en particulier en ce quelle considre la personne non pas comme une ralit
substantielle existant en soi et pour soi, cest--dire un sujet digne de respect absolument,
mais comme un prsuppos du droit19. Dans la liste de ces critiques, nous pouvons citer celles
de Norbert Rouland20.
16 Hans Kelsen, La dmocratie, sa nature, sa valeur, op. cit., p. 42.17Idem. p. 43.18 Sur cette question, voir Jacques Chevallier,Ltat de droit, Montchrestien, 1994, collection Clefs Politique 158 p.19
Selon Kelsen : Si ltre humain est une ralit naturelle, la personne est une notion labore par la science du droit, quipourrait dailleurs sen passer. Elle facilite la description du droit, mais elle nest pas indispensable, car il fauttoujours revenir aux normes elles-mmes, qui rglent la conduite des tres humains en dterminant leursobligations, leurs responsabilits et leurs droits subjectifs. Dire dun tre humain quil est une personne ou quila la personnalit juridique, signifie simplement que certaines de ses actions ou abstentions forment dunemanire ou dune autre le contenu de normes juridiques. (Thorie pure du droit, op. cit., p. 114.)20 En 1973 disparaissait H. Kelsen, un des plus grands philosophes du droit de notre poque, auteur dunouvrage clbre, la Thorie pure du droit. Pour lui une science authentique du droit doit viter tout syncrtismeavec dautres disciplines, notamment la sociologie, trop infirme pour apporter des rponses positives auxquestions suscites par la vie des normes. Le juriste na soccuper que des normes existantes, "effectives". Ildoit rester rsolument neutre, quil sagisse du droit nazi ou des codes dmocratiques. Pour dire ce quest ledroit, il suffit dexaminer le produit de ses sources, toujours organises hirarchiquement , depuis une
mystrieuse "norme fondamentale", en passant par la Constitution, la loi, et ainsi de suite jusquaux plusmodestes des actes juridiques infra-lgislatifs. Produit de lcole viennoise, cette construction fut acclimate en
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2. Un pouvoir politique
A ct de la vision juridiciste de Kelsen, existe une vision historiciste de ltat. Cette
vision sefforce de saisir cette organisation travers les actions rciproques des individus, les
sources de revenus et les conflits sociaux, la division du travail et la spcialisation des rles
sociaux, les reprsentations sociales et les dispositions desprit des acteurs en prsence. Dans
cette vision, ltat est reprsent comme un processus, c'est--dire comme tant engag dans
un mouvement, un changement, une transformation et une volution constants. Ltat
apparat non pas comme un enchevtrement de normes places au-dessus des liens ordinaires
qui rattachent les individus les uns aux autres, et que le Lgislateur est amen dcouvrir,parce quiniti, mais comme le processus volutif des groupements humains eux-mmes ; et
lanalyse a pour tche d'en suivre la lente marche progressive travers tous ses dtours et de
dmontrer en lui, travers toutes les contingences apparentes, la prsence de lois universelles.
Cette vision a trouv sa forme acheve dans la sociologie wberienne. Max Weber
considre ltat moderne comme une entreprise politique de caractre institutionnel dont la
direction administrative revendique avec succs, dans lapplication des rglements, lemonopole de la violence 21. Cela na pas toujours t le cas historiquement. Au moyen-ge,
les seigneurs dtenaient les prrogatives en matire de guerre. Pouvoir qui conduisaient les
seigneurs rivaux sengager dans des querelles meurtrires sans fin pour lacquisition de la
terre. Il en rsulte ltablissement dun climat de violences permanent, et un tat de
dvastation ininterrompue dans la socit fodale. Par ailleurs, ils exeraient sur les
populations soumises une autorit multiforme, dont le droit de justice. Jean-Marie Carbasse
montre que cette justice seigneuriale nest gure alors quun simple pouvoir arbitraire de
police, un moyen de contraindre les rustres, une distinctio 22. La centralisation politique,
avec laffirmation de la suprmatie du pouvoir royal, apparat comme un processus
France par Carr de Malberg. Elle inspira les directives donnes par M. Debr aux rdacteurs de la Constitutionde 1958 et laissa une trace profonde chez nos juristes. lvidence, cette perspective est radicalement diffrente de ce que peut enseigner lanthropologie juridique.Elle est mme loppos puisquelle refuse toute approche interculturelle, elle demeure trangre toute ide depluralisme, et milite en faveur dune identification entre le droit et ltat. (Norbert Rouland, Aux confins dudroit, anthropologie juridique de la modernit, Odile Jacob, 1991, p 297)21 Max Weber,conomie et Socit, op. cit., p. 97.22
Jean-Marie Carbasse La ville saisie par la justice , in Jean-Marie Coulon et Marie-Anne Frison-Roche(dir.),Le temps dans la procdure, Paris, Dalloz, 1996.
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dradication de ces violences dans le corps social, et cela conformment aux vux des
populations qui souhaitaient en finir avec cet tat darbitraire et dincertitudes.
En Europe occidentale, ltat moderne apparat comme le produit de la prise de
conscience du dsordre politique dans la socit fodale et du caractre archaque des
systmes de privilges dans les rapports conomiques. Privilges locaux, douanes
diffrentielles, lois d'exception de toute sorte frappaient dans leur commerce non seulement
l'tranger ou l'habitant des colonies, mais assez souvent aussi des catgories entires de
ressortissants de l'tat; des privilges de corporations s'installaient partout sans avoir ni fin ni
cesse, en barrant la route au dveloppement de la manufacture. Nulle part, la voie n'tait libre,
ni les chances gales pour les concurrents bourgeois, - et, pourtant, c'tait l la premire des
revendications et celle qui se faisait de plus en plus pressante 23.
Le droit romain qui est dvelopp sur la base de lgalit entre personnes prives et de
la reconnaissance de la proprit prive offre alors la possibilit de librer la bourgeoisie des
entraves des privilges et des lois dexception et les travailleurs, des liens de la corporation.
Libert qui permet aux uns et aux autres de mettre en valeur leurs ressources en propre
(capital ou force de travail). Cest en se manifestant comme le garant de cet ordre juridique,
qui rend possible la libre circulation des marchandises et la conservation de la proprit
prive, que ltat moderne simpose aux consciences individuelles comme quelque chose
dintressant ; et, partant, doit tre obi.
Max Weber affirme que : Ltat moderne consiste pour une part non ngligeable en
une structure de ce genre en tant quil est un complexe dactivits dtres solidaires parce
que des hommes dtermins orientent leur activit daprs la reprsentation quil existe et
doit exister sous cette forme, par consquent que des rglementations orientes juridiquement
en ce sensfont autorit 24.
3. Lacceptation de lordre tatique
Linterrogation fondamentale est la validit de lordre tatique. Dans cette vision, la
validit de ltat est recherche non pas dans sa conformit avec une norme fondamentale
(dont le concept impliquerait lobissance), mais dans lattitude consciente des acteurs
sociaux son gard. Cest la prise de conscience de sa ncessit relativement aux besoins
dordre, de scurit juridique des changes conomiques, de protection de la proprit et de la
23 Friedrich Engels (1878),Anti-Duhring. M. E. Dhring bouleverse la science, Paris, ditions sociales, 1956,
pp. 137-138.24 Max Weber,conomie et Socit, op. cit. p. 42.
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libert qui conduit les acteurs se reprsenter ses injonctions orientes en ce sens comme
quelque chose quifait autorit.
La validit dun ordre tatique sobserve donc dans les actions ouvertes favorables aux
choix des gouvernants ou dans les dispositions desprit des citoyens qui consistent dans
lacceptation et dans la soumission loyale aux normes tablies, cest--dire dans les diverses
formes de manifestation de soutiens. La lgitimit de ltat est dduite non pas
immdiatement de sa conformit lordre juridique, mais des reprsentations sociales dans
lesquelles lexistence de cet ordre prend une valeur absolue, cest--dire comme valant la
peine dtre respect imprativement. Les normes juridiques deviennent ainsi non pas des fins
en soi, mais des moyens dinstitutionnalisation des conduites sociales souhaitables ou de
prvention de celles indsirables ou redoutes par tout le monde dans la socit ; et ltat, le
moyen de garantir extrieurement lordre normatif donn en raison de sa capacit de
dissuasion et de coercition25. Ltat apparat alors comme un mode daction consciente visant
la domination des passions individuelles et des intrts privs, lchec des prtentions ou des
intentions individuelles tenues pour dmesures ou dangereuses, dans le cadre dun territoire
donn, et cela par lusage du droit reconnu par tout le monde comme valide absolument.
Cette origine fait que ltat prsente des traits diffrents selon les expriences
historiques, ltat des rapports sociaux, llment de base du rapport de lconomie nationale
(agriculture, industries, manufactures, rentes, trafics) et les dispositions desprit des acteurs.
En Europe occidentale, les besoins relatifs un systme de garanties de la libert
dentreprendre, de travail, de commerce, daller et venir, du droit de contracter ncessaire au
dveloppement de lindustrie conduisent la revendication avec succs du droit une valeur
politique ou sociale gale de tous les hommes, ou tout au moins de tous les citoyens d'un tat,
de tous les membres d'une socit. Ce qui permet aux intresss dchanger sur la base d'un
droit gal pour tous, au moins dans chaque localit prise part.
Dans certaines socits, les rentes de produits fonciers ou ptroliers et de lacontrebande, les trafics de toute sorte, la corruption constituent encore la source de revenus
principale pour les acteurs appartenant aux couches suprieures ; et la dbrouillardise, pour
les lments des couches infrieures. Dans ces conditions, le systme de privilges ou de
franchises, les liens de dpendance personnelle au dtenteur du pouvoir, les archasmes
socioculturels, les incertitudes de la proprit, ne peuvent pas tre reprsents comme des
entraves aux rapports conomiques. Dailleurs, les lments des couches dominantes sen
25 Voir Max Weber,conomie et Socit, op. cit. p. 68.
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servent comme des ressources pour protger leurs intrts, et se mettre labri de la
concurrence. Ltat qui y est tabli na quune fonction de simple police, en vue de mieux
faire chec aux contestations sociales. Car la cration des conditions ncessaires lchange
de produits entre des acteurs gaux en droit napparat pas comme une priorit26.
4. Rle et fonctionnement
Ltat apparat comme un acte conscient et intentionnel qui rgule les actions et les
conduites diverses des acteurs en prsence selon la ncessit du maintien de la coexistence
indpendante, gale et harmonieuse de ces derniers. Il se manifeste comme une forme
rationnelle dans laquelle linteraction des individus entre eux, et leur dpendance rciproque,
se fixent, prennent une signification durable. Son adaptation sopre grce un certainnombre dorganes qui existent relativement certaines fonctions spcifiques quil est appel
remplir : Lgifrer, Excuter, Juger. Il sagit du Gouvernement, du Parlement, de la Cour
suprme et de lAdministration. Il nexiste pas de frontire tanche entre ces fonctions. Tant
et si bien quune mme fonction peut-tre remplie par des organes diffrents.
Fonctions et organes de ltat
Fonctions Organes de ltat
Lgifrer
Parlement (loi stricto sensu)
Gouvernement (rglement autonome)
Cours suprmes (arrts de principe)
Excuter
Gouvernement (textes dapplication, mesures individuelles)
Administration (textes dapplication, mesures individuelles, oprations matrielles)
Parlement (mesures individuelles exceptionnelles)
Juger
Parlement (lois damnistie)
Gouvernement et Administration (recours gracieux)
Autorits juridictionnelles (recours contentieux)Source : Philippe Braud27
26 Voir Bertrand Badie,Ltat import. Loccidentalisation de lordre politique, Paris, Fayard, 1992 ; LouisNaud Pierre,La rforme du Droit et de la Justice en Hati : 1994-2002 (Thse de doctorat), Bordeaux,
Universit Victor Segalen Bordeaux 2, dcembre 2002.27 Philippe Braud,La science politique, Paris, L.G.D.J., 6me dition, 2001, p. 144.
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B) Les partis politiques
On doit entendre par partis des associations reposant sur un engagement(formellement) libre ayant pour but de procurer leurs chefs le pouvoir au sein dungroupement et leurs militants actifs des chances idales ou matrielles de
poursuivre des buts objectifs, dobtenir des avantages personnels, ou de raliser les deuxensemble. Ils peuvent constituer des associations phmres ou permanentes, se
prsenter dans des groupements de tout genre et former des groupements de toute sorte :clientle charismatique, domesticit traditionnelle, adhsion rationnelle (en finalit ouen valeur, fonde sur une reprsentation du monde ). Ils peuvent tre de prfrenceorients vers des intrts personnels ou des buts objectifs. En pratique, ils peuvent en
particulier, officiellement ou effectivement, se borner lobtention du pouvoir pourleurs chefs et loccupation des postes de la direction administrative par leur appareil(parti de patronage [Patronage-Partei]). Ils peuvent surtout sorienter consciemment,dans lintrt dordres ou de classes (parti dordre ou de classe), ou vers des butsmatriels concrets ou vers des principes abstraits (parti inspir par une reprsentation dumonde [Weltanschauungs-Partei]. Habituellement, la conqute des postes de ladirection administrative est secondaire ; il nest pas rare que le programme matrieldun parti ne soit quun moyen pour provoquer les adhsions. 28
Cette dfinition prsuppose trois caractristiques essentielles des partis politiques :
1) cadres dactions individuelles orientes vers la ralisation des buts objectifs et/ou
lobtention des avantages personnels, 2) espaces dagrgation et darticulation des intrtsprivs divers et ce en raison dune reprsentationcommune favorable au compromis entre
les intresss [adhsion rationnelle], 3) formes de mobilisation oriente vers la conqute du
pouvoir.
Les partis se prsentent comme de formes sociales qui tendent accrotre lefficacit
des actions individuelles visant exercer une influence quelconque sur la direction
administrative de ltat. Lexigence defficacit conduit la professionnalisation de ces
groupements, mesure que se complexifie le jeu politique relativement la diversification et laccroissement des paramtres constitutifs de laccs et de lexercice du pouvoir
(concurrence lectorale largie quintroduit le suffrage universel, renforcement des
prrogatives du parlement et des comptences juridiques des collectivits territoriales,
largissement des exigences sociales prises en charge par ces instances tatiques, etc.). Cette
professionnalisation ne manque pas dinfluencer leur structuration et leur fonctionnement.
28 Max Weberconomie et socit, op. cit., pp. 371-372.
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1. Structure, fonctions et fonctionnement des partis politiques
Dans son ouvrage Les Partis politiques (1911), Roberto Michels (Cologne, 1876
Rome, 1936) montre comment la spcialisation des tches politiques entrane une
organisation oligarchique des partis politiques vocation dmocratique : les partis socialistes
au dbut du sicle dernier. Il souligne que le souci defficacit conduit les membres
rechercher des chefs et des organisateurs, qui se spcialisent des tches diverses, cest--dire
des professionnels ayant des connaissances et des comptences spcialises dans les questions
politiques. Il sagit pour les masses de dlguer leur pouvoir un groupe de techniciens de la
politique, patents et prouvs. Processus qui se renforce avec lapparition de possibilits de
carrire au sein de ces organisations et ltablissement dun systme de formation contribuant
la formation dune lite dirigeante.
Selon Roberto Michels, cette volution entrane la rduction des influences des masses
sur la direction de ces organisations, et, proportionnellement, de laccroissement du pouvoir
des chefs :
Tous ces instituts dducation destins fournir des fonctionnaires au parti et auxorganisations ouvrires, crit-il, contribuent, avant tout, crer artificiellement une liteouvrire, une vritable caste de cadets, daspirants au commandement des troupes
proltariennes. Sans le vouloir, on largit ainsi de plus en plus le foss qui spare les
dirigeants des masses. La spcialisation technique, cette consquence invitable de touteorganisation plus ou moins tendue, rend ncessaire ce quon appelle la direction desaffaires. Il en rsulte que le pouvoir de dcision, qui est considr comme un desattributs spcifiques de la direction, est peu prs retir aux masses et concentr entreles mains des chefs seuls. Et ceux-ci qui ntaient au dbut que les organes excutifs dela volont collective, ne tardent pas devenir indpendants de la masse, en sesoustrayant son contrle. Qui dit organisation dit tendance loligarchie.29
Cette transformation structurelle est corrlative au rehaussement du rle de ces
organisations dans les processus de rgulation des exigences prsentes au systme politique.
Les partis politiques endossent progressivement la fonction de filtrage ainsi que
dhomognisation de ces exigences souvent contradictoire et de conversion de ces attentes en
objet daction publique ou de politiques publiques. Ils sont galement appels anticiper les
exigences de leurs publics. Le dveloppement des aptitudes en ce qui a trait lcoute de leurs
mcontentements, de leurs dolances et des capacits les prendre en charge est rendu
29 Roberto Michels, Les Partis politiques (1911), Paris, Flammarion, 1914, pp. 15-16.Cette approche a exerc une influence considrable sur la grande majorit des travaux sur les partis politiques,
notamment celui de Maurice Duverger,Les partis politiques (1951), et Annie Kriegel,Les Communistes franais(1968).
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indispensable. Il sagit donc dun travail permanent qui requiert des savoirs-faire prouvs en
matire de gestion administrative, de comptabilit, de prvision, de droit, de communication,
ainsi de suite. Il en rsulte laffirmation des normes de la politique.
Ces normes consistent principalement dans des manires juges dignes de ceux qui
prtendent endosser des fonctions de reprsentation politique. Il importe donc de savoir parler
et se tenir en public, se comporter face des reprsentants dautres groupes dintrts et de
ltat, davoir des aptitudes en matire dcoute tant des lecteurs que des adversaires, de
matrise de soi, dtre apte accepter les compromissions de lintgration institutionnelle. Ces
normes disqualifient les attitudes purement protestataires et valorisent les tendances au
compromis, au respect des dcisions rsultant des processus de ngociation et de concertation.
En exigeant ces lignes de conduites leurs membres, les partis politiques jouent un rle de
socialisation politique.
Divers acteurs interviennent dans laccomplissement de ces rles : militants bnvoles
(non professionnels), salaris et des lus (professionnels de la politique). Des conflits
surgissent souvent entre militants bnvoles et professionnels pour le partage des
responsabilits. Les revendications des militants portent souvent sur des gratifications
matrielles et symboliques auxquelles ils aspirent.
2. La lgitimation des partis politiques
Les partis politiques tirent leur lgitimit non pas seulement de leur capacit
influencer ltat et peser sur lattribution des ressources quil dtient, mais plus encore des
garanties quils prsentent relativement au maintien des rgles du jeu politique. Il en rsulte la
russite de leur effort pour avoir le monopole de la slection des dirigeants politiques :
Lappartenance une organisation politique accrot gnralement les chances dtrereconnu ou slectionn comme susceptible doccuper une position dirigeante, cest--dire dtre effectivement cooptable , dsignable ou ligible . Elle fait
bnficier le candidat dun prjug de comptence gouverner et daptitude reprsenter une famille politique, un groupe dlecteurs, une unit de cohsionsociale, voire la collectivit tout entire. Elle garantit de surcrot que le candidat, silaccde au poste quil revendique, y exercera ses fonctions selon les rgles et lesexigences quil sest engag pratiquement respecter en sollicitant lappui delorganisation ; en ce sens, lappartenance au parti politique a valeur dengagement
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moral , le parti tenant le rle dun garant de fidlit des principes et despratiques. 30
En Occident, les exigences de la concurrence lectorale induites par le suffrage
universel et la complexification des tches lies aux fonctions de reprsentation politique (au
parlement et dans les mairies des grandes villes) finissent par rendre les partis politiques
indispensables. Dans la mesure o ceux-ci apparaissent comme une forme de globalisation et
de capitalisation des ressources pour candidats et lus. Il sagit de soutiens qui savrent
dterminants dans la perspective de conqute et dexercice du pouvoir. Tout cela contribue
rduire considrablement les chances de succs de tous ceux qui veulent briguer un mandat
lectif, en dehors des partis politiques.
Ce rle central tend renforcer la lgitimit du droit de ces organisations reprsenter
des groupes sociaux ou des catgories dindividus, comme celle de leur droit slectionner
les dirigeants. Il sagit dun type de lgitimation n au cours des processus dinteraction,
constitus par des luttes permanentes entre divers groupes pour le contrle des moyens
dinfluence sur ltat et sur le mode de rpartition des ressources quil dtient.
En France, cette volution se fait aux dpens des notables des rgimes censitaires dont
la russite matrielle et le prestige social tenaient lieu de qualification aux postes revendiqus
avec succs au sein de ltat. Jouissant dune forte notorit dans la socit, leur nom suffisait
leur assurer llection aux postes politiques. Leurs prises de position politiques nationales,
linvestissement dans le travail parlementaire navaient aucune incidence sur leur lection ou
leur rlection. La lgitimit des partis entrane la disqualification de ce mode de pouvoir
personnel li aux privilges de la naissance. Limposition du programme politique, dfini par
un parti politique, comme base dun contrat moral liant le candidat et les lecteurs traduit une
nouvelle forme de lgitimit. Celle-ci est plus conforme la position sociale des nouveaux
concurrents issus de la petite et moyenne bourgeoisie que lintroduction du suffrage universela favorise la participation aux joutes politiques :
Partout en Europe, llargissement plus ou moins rapide et important du droit desuffrage se traduit par larrive de candidats socialement plus modestes, sinon toujoursen raison de leur profession dorigine mais par leur origine sociale. Ces dernierscompensent leurillgitimit sociale relative et leur manque de notorit en recourant de nouvelles techniques de mobilisation. Runions publiques, professions de foi,
30 Jacques Lagroye (et al.), Sociologie politique, Presses Sciences Po et Dalloz, 4me dition, 2002, pp. 231-232.
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tournes lectorales font alors leur apparition [] Leurs chances de succs auraient tcependant bien minces, sils navaient dans le mme temps russi sorganiser aumoins sappuyer sur des organisations prexistantes non expressment politiques. Lescafs, les cercles ou encore les loges maonniques constituent ainsi, dans la France desdbuts de la IIIe Rpublique, des relais politiques essentiels, tout comme un peu plus
tard, les cabarets, les mutuelles, et les syndicats le seront pour les partis ouvriers 31
.
On peut dire que les partis politiques en Occident traduisent le succs des prtentions
des acteurs issus des catgories sociales modestes influencer, exercer ou participer au
pouvoir. En France, il a fallu attendre la loi de 1901 sur les associations pour que les partis
politiques obtiennent une reconnaissance et 1958 pour quils aient une existence
constitutionnelle. En dehors des partis politiques, il existe dautres formes de participations
politiques. Il sagit des groupes dintrts.
C) Les groupes dintrts
La notion de groupes dintrts dsigne des communauts structures, organises et
composes dindividus qui partagent des vues et des objectifs communs. Ils regroupent les
associations professionnelles, les syndicats, et autres groupements sociaux. Leurs programmes
visent influencer les fonctionnaires du gouvernement et les politiques publiques. Leur but
n'est pas de tenter de se faire lire mais bien d'assurer des traitements de faveur pour eux-
mmes, pour leurs membres et la satisfaction des attentes et des exigences quils prennent en
charge. Ils apparaissent comme de formes de globalisation des ressources pour patrons,
salaris, entrepreneurs moraux et autres acteurs sociaux.
1. Importance et influence
L'importance et l'influence de ces groupes varient selon le contexte socioculturel etpolitique de chaque pays. Elles dpendent des conditions gnrales de la participation des
citoyens au processus dcisionnel et de la conscience des exigences des grands quilibres
socio-conomiques et politiques chez les acteurs en prsence. Dans les pays qui connaissent
des divisions sociales et politiques profondes, il savre difficile de s'entendre sur lide du
bien commun et la classe des ralits sociales quelle couvre. Dans ces contextes, le pouvoir
politique est souvent confisqu par le groupe social homogne le plus puissant qui dnie aux
31 Jacques Lagroye (et al.), Sociologie politique, op. cit., pp. 237-238.
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autres groupes dintrts les droits de participation politique. Les activits de chacun de ces
groupes visent la plupart du temps le renversement du gouvernement et la neutralisation de
l'autorit de la loi.
Dans les socits o aucun groupe social na les moyens dimposer durablement son
hgmonie sur tous les autres, lexistence et la mobilisation de groupes dintrts finissent par
tre reconnues comme lgitime. Des cadres lgaux des activits de ces groupes sont alors
institus. Cest le cas dans les pays occidentaux32. La plupart des groupes d'intrts engagent
des professionnels pour diriger des programmes qui visent influencer les concepteurs de
politiques, les politiques et les lecteurs. Ces personnes consacrent du temps et de l'argent
pour influencer ceux qui sont dj en poste et pour aider les candidats et les partis qui
appuient leurs ides se faire lire. Ces lobbyistes peuvent venir en aide aux concepteurs de
politiques et ceux qui tablissent les rglements en leur fournissant de l'information factuelle
dans leur domaine d'intrts. Ils peuvent devenir des parties tierces et acheter de la publicit
dans les grands mdias en faveur de certaines campagnes ou pour appuyer certaines opinions.
2. Cadres normatifs
Certes, les lobbyistes cherchent avant tout promouvoir les intrts de leurs clients.Mais ils le font dans le respect des rgles et des rglements conformes aux normes sociales et
juridiques existantes. Cela peut vouloir dire la divulgation du nom de leur employeur, de leurs
sources de financement, de leurs activits et de leurs dpenses. Ces rgles sont fondes sur la
croyance que ltat doit garantir le compromis entre des intrts contradictoires et raliser les
grands quilibres sociaux. Elles reposent galement sur lacceptation consciente de lautorit
de la Constitution et des lois qui encadrent les interactions politiques et la confiance dans des
agents publics, qui sont appels accomplir leurs tches pour le bien public et non pour des
fins personnelles ou partisanes. Ces croyances impliquent que toute personne occupant un
poste de responsabilit, qu'il soit du gouvernement, de la communaut des affaires ou de la
socit civile, a le devoir d'agir avec intgrit et d'encourager la dmocratie et la justice.
Les mthodes et habilets des groupes dintrts influencer le pouvoir politique
varient d'un pays un autre. Dans certains pays, les groupes d'intrts ne sont pas
32 Jacques Lagroye (et al.), Sociologie politique, op. cit., p. 249.
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politiquement actifs. Cependant, dans d'autres pays, comme aux tats-Unis, les groupes
d'intrts se sont organiss et ont prolifr un tel point qu'ils sont reconnus comme des
groupes de pression 33. En Europe, le renforcement des comptences juridiques des
institutions europennes entrane le dveloppement des activits de ces groupes ayant ces
institutions pour cible. Cest le cas des organisations patronales regroupes au sein de
lUNICE (Union Interprofessionnelle des Chefs dEntreprises) et de nombreux syndicats de
salaris, au sein de la CES (Confdration europenne des syndicats).
Ces groupes agissent donc tous les niveaux, infra-tatique, national ou europen, tant
auprs des assembles dlibrantes, des instances excutives quauprs des services
administratifs. Philippe Braud montre quau niveau des institutions europennes ces pratiques
de lobbying crent les conditions fav