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HINDIOS DE BARCELONA LAURENT BAGNARDH H

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INDIOS DE BARCELONA

PHOTOS - TEXTES - MAQUETTE: LAURENT BAGNARDA Louis, Nathan, Amelie et Dylan. Cette histoire est aussi votre histoire.A M. Maris, Wolinski, Charbonnier, Honoré.

“Quand un homme de ton âge vient à Barce-lone régler une affaire de famille, l’histoire de l’Espagne le rattrape, la ville est tout ce que tu veux mais pas innocente.” Franck Pavloff - ‘L’enfant des marges’

“The typewriter is holly” Allen Ginsberg

“… aussi nous n’avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. .” Buenaventura Durruti

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RHUM & CIGARETTES- 1 -

Un tenace besoin de s’extraire de la continu-ité des jours lui faisait presser le pas vers

un refuge qui saurait le protéger à la fois des absurdités d’aujourd’hui et des hypocrisies du lendemain. Travis traversait d’instinct le Barrio Chino, en souriant rapidement aux maladroites racoleuses qu’il croisait sur son chemin – putain bien sur qu’il était seul, ça se voyait tant que ça ? Il filait dans un dédale de ruelles séculaires, dans le froid de l’hiver s’imposant, vers la douce lumière jaunâtre qui baigne le bar ‘Marsella’ ce soir comme tous les autres soirs depuis son an-crage en 1820 au cœur de la vieille Barcelone.Il devait mettre en ordre ses photos et ses chroniques, et avait décidé, pour commencer à donner forme au livre qu’il désirait écrire, de convoquer le passé : Il avait précisément besoin d’un lieu hors du temps et d’au moins un Cuba Libre. Il remonta la fermeture éclair de son blou-son et accéléra le pas. Le temps, exactement, pressait, et Barcelone vibrait tout autour de lui, juste derrière le rempart de sa seconde peau et de l’épaisse pochette qu’il avait glissée contre son torse. Nettement plus insistante qu’une sim-ple nuit ou qu’un hiver qui s’annonce, la ville lui commandait de déméler maintenant l’écheveau d’images et d’impressions qu’il avait glanées au fil des rues. Il frissonnait.

Quand tout n’était encore qu’un balbutiant projet et qu’il commencait juste à accumuler clichés et notes, il avait buté sur le commentaire suivant : ‘Oh encore un livre sur les peintures de Bar-celone !’. Impossible d’ignorer les fresques et les slogans qui éclaboussent les murs de cette ville ; il aurait fait preuve d’un irrespect absolu en tentant de s’approprier à chaque déclenche-ment d’obturateur tout ce qui autour de lui est offert. Médiocre opportuniste, il aurait délibéré-ment ignoré ceux qui en sont les instigateurs, qui vivent pour cela – et ceux qui survivent avec cela. Cette compilation n’aurait fait que refléter

une seule évidence et ne serait jamais parvenue à être ni complètement de lui, ni volontairement à eux. Barcelone n’était pas une galerie d’art à ciel ouvert. Même si le concept pouvait sembler plaisant, et probablement toléré en haut lieu, l’espace que s’allouait ici la libre expression dé-passait l’autorisation initiale et affichait, haut en couleurs, le supplément d’âme qui manquait à tout guide touristique. Il en avait été témoin et il n’avait nullement l’intention de publier un cata-logue de street-art.

Le peintre mexicain Diego Rivera avait déclaré  : ‘Je ne crois pas en Dieu, je crois en Picasso’. Il vivait ici en 1907, puis revint en son cher Mexique après la révolution, pour peindre des ‘murales’ sur les murs de la capitale l’histoire de son pays. En 1920, il était plus urgent d’éduquer avec des couleurs, des symboles et des images qu’avec des cours et des leçons que la jeune République ne pouvait offrir à tous ses citoyens. Le Mexique avait eu à la fois l’intelligence et la naïveté d’avoir recours à la fresque comme me-dium d’éducation, mésestimant la charge émo-tionnelle de la représentation picturale. Depuis lors, ce principe de symbolique affichage pub-lic a largement été détourné, et nous ployons quotidiennement sous le bombardement de messages de propagande de 4 mètres sur 3. A Barcelone, les rues retournent au muralisme et répondent à ces agressions visuelles par des explosions de couleurs et de formes.

Spanish Bombs !

Marcher seul dans les venelles sombres du Barrio Gotico incite au soliloque. Travis pense, peut-être à voix basse : “Je pourrais croire en la part de Dieu qu’il y a en Picasso… Et on devrait tous croire en Guernica et sa déclaration - La peinture n’est pas faite pour décorer les appar-tements, c’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi .” Travis croyait aux images et aux mots, dont ceux-ci, confiés aux façades de cette cité : ‘Le Hasard est en Recher-che d’Infini’, ‘La liberté est irrepressible’, . ‘Aimez la musique, haissez le fascisme’, ‘La meilleure

PREFACE

Attention, ami lecteur : ce qui suit est intelligent. Je ne parle pas de ce qui est écrit, ni de celui

qui l’a écrit. Je ne parle pas de photo non plus. Je parle de quelque chose de latent, patient, mûr, qui prend forme chaque jour qui passe, et vit in-dépendemment de ce que j’ai rapporté dans ces pages. Je parle d’une intelligence particulière, de sa puissance d’évocation, et de sa remarquable vitalité qui s’expriment à l’air libre, sur les murs de la ville. Si cette intelligence ne délivre pas de solution immédiate à la précarité qu’elle dénonce, elle s’offre au décryptage d’un nouveau langage.Ce n’est pas un manifeste, c’est un miroir. Une invitation à la réflexion.

C’est elle qui a déclenché l’écriture de ce livre, qui tente à sont tour d’être à la hauteur de la mag-nifique somme de toutes ces petites lumières in-dividuelles qui s’accrochent, signes des temps, à la texture fade d’un quotidien morose. ... Ce qui suit rend grâce à ces artistes qui font de Barce-lone une mosaique contemporaine, et qui ont décidé de la forme pointilliste que prendrait ce document. A l’unisson de cette ville à laquelle tous sont attachés, à travers ses fresques et la vie qui s’ancre autour, ils font appel à notre intelligence. Moi, l’auteur, je suis responsable d’en avoir fait un une espèce de court roman, un crossover qui mêle histoire, reportage, rock’n’roll et romance, en plus d’un choix percutant d’images glanées durant plus d’un an dans la capitale catalane, en pleine crise économique et sociale. C’est, au final, un truc aussi ambitieux et porteur d’espoir que cette ville en porte en elle-même, au delà de ses catalogues pour touristes ou fêtards invétérés.

Barcelone, c’est foutrement rock’n’roll, et c’est le plus joli compliment que je peux lui faire.

Si je pouvais réduire ce livre à deux chansons, il serait ce 45 tours contrasté. Il aurait une face A, dispensable, et une face B, essentielle.

(FACE A : ‘Barcelona’ – Freddy Mercury et Mon-serrat Caballé)Barcelone est la ville de Gaudi, ses belles réali-sations visionnaires, son indéniable art de la mo-saique. C’est aussi celle de Jean Nouvel, sa tour Agbar et son pot pourri de couleurs nocturnes. Bar-celone est également une mosaique humaine, un creuset de langues; on y parle Catalan, Espagnol, à l’évidence, mais aussi Anglais, Allemand, Arabe, Français, Chinois, Japonais, Coréen. On y cause gros sous, également : Barcelone est une ville moderne, une ode à la ligne droite – ses carrefours à 90°, ses avenues rigouresement rectilignes – mais surtout une un point de convergence culturel. C’est une ville orgueilleuse.

(FACE B : ‘Indios de Barcelona’ – La Mano Negra)Barcelone est la résulante d’un projet human-iste dévoyé, celui de l’ingénieur Cerda, qui lui consacra sa vie et sa fortune. C’est un point de convergence d’une histoire difficile à saisir, pour cause d’absence dans les livres d’histoire : ter-rain de luttes syndicales féroces dans les an-nées 1910 et d’autres, fraticides et idéologiques durant la guerre civile de 36-39, suivies par le musellement de la dictature pendant près de 40 ans, pour échouer en la modernité symbolique des JO de ’92 et le soulèvement des Indignés de 2004. C’est la capitale de la Catalogne, ré-gion semi-autonome (?) depuis 1979, aspirant à se séparer de l’Espagne. C’est un port pour âmes perdues, un refuge d’oiseaux de nuit, un très bel écrin pour une pauvreté endémique.

Je pose donc la tête de lecture sur le sillon de la face B, laisse le saint craquement du vinyle - schrrrrrch, schrrrrrrch - conclure cette préface, et t’abandonne au premier couplet de la chanson de la Mano Negra ‘Welcome, anyway you come from. You’ll lose your mind or find a home here’, ainsi qu’à cette lecture qui n’est, en rien, innocente.

LB - JANVIER 2015

CHAPITRE & INDEX

LEGAL STUFF5

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traduction entre deux langues est le baiser.’ Ces maximes naïves entrent en résonnance avec celles jetées sur les murs de Paris, lorsqu’il était petit. ‘Plutôt la vie !’, ’Nos révoltes font nos soli-darités’, ‘Soyez réalistes, demandez l’impossible’. Pour ses frères, ses enfants et par amour du slo-gan il conclut la liste qui s’allonge au fil de son pas pressé par : ‘Ignore Alien Orders’ (*), placardé sur une Fender Telecaster hachant menu la rythmique de la chanson ‘Spanish Bombs’, précedemment survenue. “Je crois aux trois couleurs primaires, et à leur corolaire musical : les trois accords essen-tiels à la bande son de notre époque.”, lache-t-il à l’entrée de la Career San Pau, à l’étonnement d’une autre fille des rues.Ces fresques barcelonaises s’inscrivent à contre-temps de la gigantesque puissance d’orchestration de son quotidien. Elles sont protest-songs, contre-culture, et redessinent avec une grâce spontanée les contours d’une ville parallèle.C’était là son point de vue, dès ses premières pho-tos.

***

Il pousse la porte du bar à 22 heures et s’asseoit à l’une de ses nombreuses tables rondes, dans l’encoignure près de l’entrée, à l’heure de l’ouverture. Il peut enfin commander un rhum coca parfaitement dosé à un serveur diligent, puis le savourer lentement en s’imprégnant de l’athmosphère surannée de l’endroit. Son re-gard passe du zinc du comptoir aux étalages de bouteilles poussiéreuses puis au plafond décrépit, confit dans des émanations centenaires de nico-tine, mais ne s’accroche ni aux larges miroirs pat-inés qui ornent les murs, ni aux moulures de bois sombre des piliers disséminés dans le vaste local. Il ne s’attache pas au décor en lui-même, ni à un quelconque paysage intérieur : Travis peut ici se reposer de la quotidenne messe noire médiatique qui, bulletin après bulletin, célèbre la régression économique et remplace, implacable, la notion de valeur par celle, froidement mathématique, de richesse. L’opulence, insatiable, n’a pour but que de croitre, quitte à épuiser ses propres ressources. C’est dans son rapport direct à la misère qu’elle provoque qu’elle mesure sa toute-puissance. L’évocation des lendemains qui découlent de ce cercle vicieux ne procède généralement que d’une cynique pirouette grammaticale qui conjugue au

futur les mornes constats d’aujourd’hui : ils prédis-ent ainsi le proche avenir, et s’instituent repères au détriment de valeurs morales, historiques ou culturelles en constante évolution qui nous définis-sent avec tellement plus de justesse. En cette fin 2014, la sournoise régression s’installe derrière un anxieux attentisme et incite à confondre activ-ité économique et vitalité. Pourtant, ici, au détour d’une d’une mauvaise nouvelle ou d’un chantier à l’abandon surgit une foison de signes de vie : d’invisibles artistes s’entêtent à rendre aujourd’hui spontanément coloré. Autour de leurs peintures se sont sédimentés des groupes de pensée et d’activité ! Des insoumis dressent de fresque en fresque un constat courageux qui nie celui qui écorne notre envie de vivre et cherche à canaliser nos pulsions vers un austère futur ! “Ecrire une histoire sur Barcelone revient à la vivre” avait remarqué Paco Ignacio Taibo II, et en notre époque charnière s’entrechoquent les Barcelone du passé, ses présents alternatifs et ses esquisses du futur. La vie, comme l’écriture, n’y sont pas sim-ples… Cependant, le Marsella reste en dehors de ces courants avec son décor d’autrefois et sa cli-entèle du monde entier. Ernest Hemingway venait y affuter sa plume avant d’aller se jeter dans les affres de la Guerre Civile, en 1936 ; c’est ici que Travis a décidé de revenir à ses chroniques, et de doucement briser la frêle barrière du temps. Il en consacre une première fraction à rouler une ciga-rette avant de hêler le serveur et de commander un second Cuba Libre que ce dernier dépose près du premier verre à peine entamé, sur le plateau de marbre. Ne voulant pas replonger dans des pen-sées qui finalement le ramènent au présent, Travis le suit des yeux alors qu’il retourne au comptoir en passant devant la porte qui vient de s’ouvrir. Il marque un bref temps d’arrêt afin de laisser en-trer un nouvel arrivant, puis se détourne de son chemin initial afin de rejoindre sa base. Ce faisant, il découvre au regard la petite femme qui vient de pénétrer dans le bar. Travis savait qu’elle aurait entendu son appel, et sourit à son attention.

Il profite des quelques secondes immobiles qu’elle met à le chercher pour se ravir à l’avance de la douceur de ses mains dans ses mains, de la tié-deur de ses lèvres contre ses lèvres, de la cha-leur de ses yeux clairs dans ses yeux sombres. Son cœur bat fort contre sa poitrine, son sourire s’élargit, ses yeux s’embuent légèrement alors

qu’il lâche les trois syllabes de son prénom, Anem-one, dans l’air du temps encore un peu figé, à la rencontre du sien qu’elle vient juste de prononcer. Ils se retrouvent à mi-chemin, dans un brouillard de cigarettes naissant, au moment même où se croisent puis se mêlent leurs regards.

Elle lui sourit, il se lève, elle accourt, ils s’enlacent.

Les aiguilles des montres et des horloges ac-cèlèrent leur tempo faussement immuable puis cessent de battre la mesure du temps qui passe alors qu’ils s’embrassent au mileu du bar, arrêtant le monde autour d’eux. - Bonsoir mon chéri – lui dit elle.Il ne répond rien et l’embrasse de nouveau. - Merci d’être venue, pense-t-il.Par dessus le brouhaha de la foule hétéroclite qui maintenant s’ajoute au brouillard de nicotine, il l’entraine vers leur table en naviguant entre les ilôts d’humanité disséminés dans la salle, et ils s’assoient côte à côte, main dans la main, yeux dans les yeux. Comme prévu. Espéré. Désiré.

- Ca fait des mois que j’arpente les rues de cette ville, mon coeur, que je me balade entre signes d’opulence, de vie et de misère, avec cette chan-son en tête, ‘Spanish Bombs’, une chanson de Clash sur la guerre civile…

Anemone interrompt Travis d’un autre baiser, puis lui glisse :- J’ai lu quelque part que si les Brigades Inter-nationales revenaient maintenant, elles seraient jugées terroristes.

Il hausse les épaules, ignorant l’indigne amal-game, car pour l’instant, ‘maintenant’ n’existe nulle part ailleurs qu’ici.

- C’est grâce à cette chanson que j’ai lu ‘Pour Qui Sonne Le Glas’ d’Hemingway. A ta santé !

Leurs verres s’entrechoquent en un tintement presque cristallin – mais ce n’est que pure réthor-ique car tous les bruits périphériques sont noyés dans le flot des conversations et des rires ambi-ants. Il reprend :- Sans elle, sans eux, ce livre ne serait pas. Sans toi non plus…Surprise, elle l’interrompt :

- Tu l’as fini, Travis, c’est formidable !Il encadre son visage de ses mains en coupe, rive son regard au sien et ajoute avec émotion :- Presque, Anemone, presque. J’ai amené avec moi toutes mes photos, toutes mes notes... Je vais te les montrer !Ils allument de concert une cigarette. Elle le re-garde attentivement et murmure : - Tu as trouvé le fil conducteur?- Les fils conducteurs, baby ! Le premier c’est le Clash. Le deuxième, c’est la Mano Negra. Le tr-oisième c’est Paco Ignacio Taibo II.- Deux groupe de rock et un écrivain ? Il est mex-icain, non?- Non, il est espagnol, mais sa famille a émigré là-bas quand il était petit. Il sourit, inspire une bouffée et lui confie :- C’est une histoire parallèle. Je suis tombé sur ‘La Vie Même’, la chronique d’une ville autogérée, lorsque j’habitais au Mexique. Je l’ai lu et je n’ai jamais quitté depuis ni ce livre ni son auteur. Il m’a appris dans d’autres ouvrages un peu l’Espagne de 1920 ou de 1936, Barcelone incluse, mais pas que cela. - Travis, tu mélanges tout !- Oui je sais. C’est pas fini : j’ai photographié sur un mur de Greewhich Village un graph’ qui disait ‘End the Joke, Die For Your Art’ en ‘87. Je ne l’ai jamais oublié, et je dois même avoir encore le négatif quelque part chez moi. Si j’avais un chez moi…Elle le regarde avec tendresse. Il lui sourit à nou-veau, avec bravoure.- Je suis désolée mais je n’y comprends pas grand-chose, et tu devrais penser à ordonner un peu tout ça.

Il éclate de rire, et commande un troisième cock-tail, puis se ravise et fait signe au serveur qu’il en désirerait trois. - ‘Le monde est une comédie pour ceux qui pensent, et une tragédie pour ceux qui sentent’, Anemone. J’ai entendu une musique d’un autre temps, voilà tout. Je ne peux pas tout dire en trois phrases... Viens avec moi dans cette Barcelone, je t’invite.- A danser?, lui demande-t-elle, en l’embrassant.Il étale sur leur table ses documents, soigneuse-ment triées. - Oui – il sourit à nouveau – On y joue ‘Rebel Waltz’...

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(*) ‘Ignorez tout ordre étranger’76

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EXISTENCE

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Devant les yeux félins d’une courti-sane masquée à la poitrine offerte, un

clochard ramasse des déchets dans un ter-rain vague. Entre eux deux, un mage inach-evé fait face à l’hétaïre. L’homme tourne le dos au couple qui s’étale sur quelques mètres carrés de ciment gris, au pied d’une abrupte façade, sous le couvert d’arbres malingres. Il a précisément établi son campement près de cette allégorie impar-faite, à peine visible à travers le bosquet qui longe le mur.

Des deux côtés de la saignée outrageuse-ment moderniste de l’Avenida Diagonal, dominée par la Torre Agbar, les murs me re-gardent. Autour de moi, les rares passants vont leur chemin rapidement, semblant se dérober à leur vue. Je marche à la frange du district de l’Eixample, la première ex-tension de la Barcelone moderne, pensée par l’ingénieur Cerda qui découvrit dès le milieu du 19e siècle l’existence de ‘tra-vailleurs pauvres’, et repensa la ville en en prenant compte dans sa ‘Théorie de l’urbanisation’, parue la même année que le premier volume du ‘Capital’. Sa vi-sion sociale déboucha sur la création de rues et d’avenues basée sur le principe des rivières : les petites artères se jet-tent dans des axes plus importants qui eux-mêmes nourrissent les grands boulevards traversant la cité divisée en de multi-ples blocs aux proportions humaines qui préservent parcs et jardins, circulation d’air et de lumière. L’urbanisation était née d’un constat social, et son princi-

DEAMBULATIONS et signes de vie

MISS VAN 1110

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pe d’extension en damier fut retenu… Barce-lone, avec l’aide de ce visionnaire, tentait de s’affranchir du Moyen-Age pour entrer de plein pied dans l’époque moderne. Socialiste de la première heure, Ildefons Carda participa également à l’édification de la première Répub-lique en 1873 mais s’éteignit dans la misère, sans que son projet ni sa ville n’aboutissent à l’équilibre auquel il avait consacré toute sa vie.

Dans le quartier de Clot, Calle Rogent, la façade d’une maison abandonnée hurle ‘Que no calle la calle!‘ (*) Autour de ses volets à jamais clos, depuis le vide de ses pièces qui pourraient accueillir ces gens livrés à la rue, de noires silhouettes de pigeons et de rats disséminées sur la façade dénoncent l’indécence de ceux qui préfèrent laisser des

habitations vides plutôt que de les offrir à ceux qui n’en ont plus, ou n’en ont jamais eu. ‘Une maison vide ne sert que pour que vivent les pigeons et spéculent les rats à deux pattes !’ s’écrie le mur. Non loin, un chat en colère ret-rousse ses babines sur des crocs acérés, menaçant rongeurs et volatiles mutants par prédisposition naturelle. A l’extrémité du mur adjascent, une vieille Indienne fixe le passant d’un regard pro-fond, à la fois digne et résigné – son seul rem-part contre l’ignorance ou l’oubli. En Amérique comme ici, la rue est le dernier refuge de ces laissés pour compte, réduits à la survivance, à la mendicité.A l’invisibilité.Un petit chien, dans l’angle du cadre, jappe son mécontentement. Un voeu pieux bombé clame dans

(*) ‘Que la rue ne se taise pas !’13

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Fuid esin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati,

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une mosaïque de bombardiers et de visages de pilotes des Forces Alliées, combattant pour la liberté : ‘Autogestion et Ré-sistance’. De modernes poulbots, le visage fermé, semblent protester silencieusement contre un destin qui leur dérobe leur en-fance en les plaquant à tout jamais d’un coup de pochoir sur un crépi délabré.

Barcelone se dévoile ainsi, au fil de mes déambulations.

“Le Hasard Est Recherche d’Infini”. Je découvre cette pensée au pied d’un géant bicéphale peint sur la muraille d’un immeu-ble bornant l’une des nombreuses jachères immobilières disséminées dans Poblenou, l’ancien coeur industriel de Barcelone. L’une de ses têtes, tournée vers la rue, s’indigne à la vue de la communauté afri-caine illégale, silencieuse, qui journel-lement arpente les trottoirs et écume les bennes à ordures en recherche de rebuts re-cyclables. L’autre regarde, dubitative, le terrain vague qui l’entoure, conséquence d’aléas économiques ayant figé les tenta-tives de modernisation du territoire et les juteuses plus-values qui normalement en découlent. Au détour d’un carrefour, une femme papil-lon oublieuse du passé veille, depuis la paroi balafrée d’un édifice encore debout sur une vaste friche délimitée par une en-ceinte de tôle, couverte d’inscriptions à demi effacées. A l’abri de toute atten-tion, une tribu a érigé contre la muraille ses abris d’infortune, au plus loin des détritus qui jonchent le périmètre in-térieur de l’enclos.

Fuid esin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati,

FORA 22 @ FORA 22 @

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URIGINAL ‘Carmen Amaya’BTOY + URIGINAL ‘Carmen Amaya’

LUIS GOMEZ DE TERAN ‘El Minotauro y Teseo’

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YRWIG + PNAO

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Les immeubles abandonnés aux façades aveugles, les petites échoppes rav-agées ou les pans de murs de man-ufactures tombées dans l’oubli organisent une cartographie de l’éphémère. Tous ces murs morts aux couleurs paradoxalement vivantes ne constituent pas un rempart contre le dénuement ultime. D’écrasantes con-structions de verre et de métal les narguent en gommant inexorablement les traces d’un passé qui n’a pas tenu ses promesses de jours meil-leurs ; ces monstres de béton aux surfaces lisses, réfléchissantes, s’ancrent dans la précarité de l’existence pour disputer au ciel les fragments d’éternité, la part d’infini qui aurait dû revenir aux humains ! Les plus indigents trou-vent refuge dans ces territoires abandonnés, à l’ombre des tours et des gratte-ciels ; ils s’accrochent à la vie près des fresques, pic-togrammes, et slogans déposés par d’invisibles artistes. Cette asso-ciation hétéroclite, presque intan-gible, résiste avec ténacité aussi bien aux intempéries qu’à la tyran-nie de la modernité.

La vulnérabilité se pare donc ici de couleurs vives, grâce en soit ren-due à ces anges de la désolation qui s’activent à transformer les murailles en témoins d’une discord-ance criante d’avec leur époque.

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24PNAO

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DR CARUSO & 400 KUNSTLER

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Un petit homme noueux, en haillons, toussant et cracho-tant, s’approche de leur table. Travis se lève et sourit cha-leureusement à l’apparition. - Antonio Amador, vous avez pu venir ! s’écrie-t-il en ouvrant les bras.Le vieillard malingre, à l’air épuisé, cesse de jeter de rapides coups d’oeil autour de lui pour se fixer sur le couple attablé. Il s’incline devant Anemone, puis tend la main à Travis. Son visage s’éclaire d’un sourire fugace.- Bonsoir Travis. Bonsoir Madame.Elle lui sourit, mais ne corrige pas.- Asseyez vous Antonio, l’invite Travis, et prenez un verre !- Je vous remercie, j’en ai bien besoin. Pourrais-je vous em-

prunter une cigarette également ?Anemone s’offre à lui en rouler une, tandis qu’il prend place face à eux.- Monsieur Amador est journaliste, et anarchiste, Anemone. J’ai pris la liberté de le convoquer parce qu’il vient des cour-ants qui agitèrent la ville à l’époque de la Première Guerre Mondiale.- Enchantée – elle le gratifie d’un large sourire, en lui tendant sa cigarette.- Trinquons, dit Amador. Ils boivent tous une longue gorgée, allument ou rallument leurs cigarettes respectives et le petit homme en haillons toussote dans le creux de sa main en exhalant un lourd nuage de fumée. Il sourit furtivement,

RHUM & CIGARETTES- 2 -

ROC BLACKBLOCK

400 KUNSTLER

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30 31KOZ DOSJUPITERFABMANU MANU

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JUPITERFAB

AMOK

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FEO FLIP

36ROC BLACKBLOCK

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Fuid esin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati, Fuid esin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati,

s’excuse, et jette à son tour un coup d’oeil attentif aux notes et aux photos étalées sur la table.- Voici la Barcelone d’aujourd’hui, n’est-ce-pas? Ces quartiers ont vu naitre la contestation, avant et du temps de la Grande Guerre. Barcelone était alors une ‘zone neutre’, à la fois un abri pour les artistes européens fuyant le con-flit, et aussi un ‘terrain d’indolence’ où se développaient les libertés coupables ou non qu’apportaient le laisser-aller de la ville basse, où nous nous trouvons actuellement. Prosti-tution, crime etc… La richesse de la Catalogne venait de ton quartier, Poblenou. Il y avait là des manufactures, des

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à partir du sang.’- Oui… Ce fils de pute était un assassin à la solde du pa-tronat. Ca résume la vie ici, à Barcelone, à l’époque. La Fédération puisait dans les bas-fonds pour trouver ses exé-cuteurs, et nous y trouvions également aide et assistance. C’est un gars de votre époque qui a dit, lui aussi, qu’un jour on se réveille en découvrant de quel côté du lit on a dormi. (*) - Vous connaissez ce fameux slogan, Antonio ?- Oh oui, bien sûr. Tu penses bien que les petits excités anglais de 1976, 77 chantaient ‘Anarchy in the UK’ aussi pour nous.- Merde, j’avais 6 ans à l’époque, dit Anemone. C’est quoi cette phrase ?- Une maxime pré punk rock, lui répond Travis en écho, avant de terminer son verre et d’ajouter : j’avais 14 ans à l’époque.- Et moi autour des 80 ! s’esclaffe Antonio en saisissant le sien.- Quant à moi, j’en avais 25. Il fallait que je le cache, ça faisait vieux ! Bonsoir Travis !

Ce dernier manque de s’étouffer et de renverser la table en se levant brusquement pour accueillir le nouvel arrivant ! Il s’écrire :- Joe ! Comme je suis content que tu sois venu !Leurs mains se serrent par-dessus la table en un claque-ment sourd. Anemone regarde l’apparition avec des yeux écarquillés par la surprise. Antonio, sourit aimablement à ses compagnons de table.- Je vous reconnais, monsieur. Vous faisiez partie de ces je-unes qui ont enflammé Londres, dans ces années-là, n’est ce pas ? Permettez moi de me présenter, Antonio Amador Obon, dit ‘La Puce’, journaliste et anarcho-syndicaliste es-pagnol.- John Mellor, musicien britannique, répond l’apparition, tout sourire. Enchanté ! Madame ?- Holly shit, Joe Strummer ! s’exclame Anemone qui ne peut se retenir de lui donner l’accolade.

***

usines. Elles fournissaient aux belligérants des denrées de toutes sortes, au prix d’un mécontentement social dû aux infâmes conditions d’exploitation de nos camarades, dou-blé d’une sévère répression orchestrée par la Fédération du Patronat. La contestation, à Barcelone, a pris racine ainsi. Je faisais partie de la CNT, le syndicat anarchiste, fondé en 1910, qui prônait l’autogestion. La responsabilité. On nous tirait dessus, on nous torturait pour ça, putain de merde…

Il s’arrête, le temps d’une gorgée de rhum et d’une autre bouffée nerveuse de nicotine, puis reprend :

- On a initié la grève générale de Décembre 1917, avec les socialistes… C’était, comment vous dire ça ? Un monde d’une infinie brutalité qui forcément exacerbait les passions, dont un formidable espoir de jours meilleurs. Peut-être ne me croirez vous pas, mais tout ceci est une histoire d’amour…

Un nouveau sourire nait sur ses traits fatigués, adoucissant son visage émacié, marqué par les années.

- Le monde était arrivé à une extrémité, et même les sol-dats du front désertaient la boucherie… Les gens étaient marqués par la guerre, les Russes faisaient la révolution, tout changeait, changeait vite et risquait fort de changer mal. Il fallait choisr, trancher, agir. Le monde semblait à la fois promettre des idéaux et des enfers, mais ‘les ideaux sont pacifiques, et l’histoire est violente’… Entre les deux, il y a des livres pour débrouiller tout ça, et aussi les petites histoires que nous écrivons tous les jours…- J’ai retrouvé quelques phrases de votre main, en 1920 ou à peu près, dans le journal ‘España Nueva’ – l’interrompt Travis. ‘Un jour les coffres qui cachent les bons de caisse du Fond des Reptiles et les livres de comptes secrets de la Fédération patronale de Barcelone s’ouvriront, et cette histoire qui semble à peine percer les ténèbres se termin-era, en espérant que ce sera sur les os flétris de l’assassin des prolétaires caltalans, le Baron de Koenig. Et là, le sang deviendra littérature, puisqu’on ne peut faire de la littérature

(*) ‘You’re Gonna Wake Up One Morning And Know What Side Of The Bed You’ve Been Lyng On!’ - Bernie Rhodes

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Fuid esin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati,

Barcelone alentours n’existe plus. Elle est restée derrière l’enclos

ceignant le terrain vague et l’homme qui m’escorte dans l’enceinte. J’avance dans une friche envahie d’herbes folles et de matériel de ré-cupération délabré jusqu’à un groupe de gens méfiants, aux visages fermés, hommes et femmes. Age mur. Vêtements propres. Cigarettes. Ils m’attendent devant leurs masures adossées à cette fresque aux visages hurlants, tout près du slogan qui aboie : ‘Nous Som-mes des Chiens des Rues’. (*)Je prends mentalement des rafales de photos, des détails sur lesquels je suis incapable de me fixer : je ne trouve pas de point focal.- Je suis le point focal, voilà pour-quoi, pensé-je.L’homme qui m’escortait rejoint le

groupe et me lance :- Maintenant tu nous dis ce que tu veux faire de tes photos.J’étais venu demander l’autorisation de shooter la fresque, et aussi le camp. - Un livre.- Tu sais faire des livres?- Oui. - Tu en as déjà fait?- Oui. Je veux raconter une histoire, celle de ces peintures et des gens qui vivent avec. Un peu de la votre.Je détache mes mots avec application tandis que le groupe se referme lente-ment autour de moi. - Tu vas gagner de l’argent avec ton livre?- Peut être, mais il faut déjà que je le fasse.- C’est un noble moyen de gagner sa

DEAMBULATIONS 2Existences

(*) ‘Somos Perros Callejeros’ - Film mexicain sur la délinquance, mid ‘70s. NDA42

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vie. Viens t’asseoir et parle avec cette femme, Luludja. Elle sait l’espagnol. Nous on est tous gitans, de Roumanie. On parle notre langue. Elle nous traduira.Le groupe se discocie autour de nous, et elle m’invite à entrer dans sa mai-sons, où se trouve déjà une vielle dame, assise près d’un réchaud contre la porte. Trois mètres sur trois, un lit sur lequel on s’asseoit, une table étroite. Au mur, des images pieuses, la Vierge Marie. Sur mon bras, celle de Guadalupe. ‘Assieds-toi, photog-raphe. Tu vas manger avec nous.’ Elle nous sert un plat de chou et de viande bouillie, et me demande pourquoi je m’intéresse à leur histoire. - Si je ne le fais pas, vous restez des Invisibles. Il n’y aura pas de traces de vous. Pas d’intérêt pour votre vie. Vous raconter, même un

peu, n’est qu’un juste retour des choses… Vous existez autant que les peintures murales, autant que celui qui possède ces murs et ce terrain. Est ce qu’il vous connait?- Oui. Il vient parfois, avec des flics. Ca se passe bien. Ils regar-dent un peu ce qu’on fait. Ils nous foutent la paix.- Et c’est tout ? Ils viennent faire l’état des lieux ? - Oui c’est tout…On tient donc une topographie offi-cielle de la misère. Persécutés par les Nazis, puis harcelés par Staline au lendemain de la guerre, les Gi-tans d’Europe de l’Est sont toujo-urs étrangers aux pays qui les ont vu naitre, trois générations après le conflit. Luludja et son époux avai-ent laissé leurs deux petites filles chez sa mère, quitté leur terre sans

CRISTAN BLANXER

CORENTIN ‘SPEAR’ BINARD

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GRITO

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46 47CORENTIN ‘SPEAR’ BINARD

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ressources, et avaient rejoint ce-tte communauté, car d’ici, ils pou-vaient mieux subvenir aux besoins de leur famille éclatée… Ils avaient tous construit leurs abris à l’écart d’un monde qui les nourrissait, mais qu’ils ne faisaient qu’effleurer. Ils côtoyaient en effet touristes et cit-adins, mais ne s’intégraient pas, ma-gré les années passées en Catalogne. Auraient-ils pu le faire, avec une existence partagée entre leurs loin-taines attaches filiales et leurs im-médiates nécessités de survie ? Ils ne parlaient pas avec les autres grou-puscules Roumains, car tous n’étaient pas Gitans. Ils rêvaient pour leurs enfants d’études et de culture, et économisaient pour eux le moindre cen-time quémandé ou gagné en revendant des déchets. Sans négliger les règles élémentaires de l’hospitalité – je pense.Je la remercie chaleureusement pour le repas. Elle me répond que je lui semble éduqué, et de confiance. Je suis autorisé à prendre des photos, mais à la seule condition qu’ils n’y apparaissent pas. Elle en ferait part au groupe, et ils seraient d’accord.

- Pas question qu’on nous reconnaisse, si jamais ton livre est publié. Nos familles ne doivent pas voir comme on vit.

Luludja voulait retourner auprès de sa mère, malade du coeur, ainsi que ses deux petites. ‘C’est le plus dur, la séparation.’ Le reste était support-able, du racisme rampant aux condi-tions de vie élémentaires – je n’avais remarqué ni sanitaires, ni eau cour-ante, ni chauffage dans le camp. Com-ment y faire vivre des enfants ?Je ne pouvais alors imaginer que deux mois plus tard, le campement n’aurait jamais existé. Ni la communauté. Ni l’accueil.

Est-ce que la diagonale qui part de la représentation du Christ jusqu’à la bienveillante femme-papillon, en pas-sant à travers les masures pour at-teindre le ciel suffira à témoigner de leur ténacité à continuer à vivre ?

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J’espère, en quelques images et peu de mots. C’est tout ce que j’ai.C’est ce qu’ils m’ont offert.

***

La ville s’éveille peu à peu, les petits vieux sortent leurs chiens,

les premiers travailleurs du ma-tin commencent à balayer les rues, les épiciers chinois préparent leurs étals. Je remarque les ombres lovées dans les entrées d’immeubles s’étirer lentement puis sans bruit longer les murs vers leur présent de gueux à nouveau recommencé. Réconforté d’une tasse de chocolat bouillant et d’un croissant au bar du coin de ma rue, je me sens aujourd’hui animé à la fois d’une colère noire envers la précarité et d’un débordant senti-ment de compassion pour qui la subit. Au point d’équilibre, l’indignation m’aiguillonne et me donne le courage de me rendre auprès de la petite cour-tisane, derrière l’abominable sup-positoire de fer et de verre qui dom-ine la place des Gloires Catalanes, et d’aller à la rencontre d’une autre forme d’indigence.

L’homme en guenilles vient de se réveiller lui aussi. Il plie soi-gneusement ses couvertures au pied de la fresque, dans le brouillard de gaz carbonique que crachent les bagnoles s’extrayant de ‘son’ terrain vague transformé en parking sauvage. Je cesse d’observer les petits bonshom-mes en costume jeter des coups d’oeil à leurs montres puis démarrer leurs chignoles sans lui prêter aucune at-tention pour m’approcher le moins si-lencieusement possible de lui. Le matin est frileux. Pas moi.Je roule une cigarette en attendant qu’il se retourne. Il me vient spon-tanément un :- Bonjour Monsieur ! qui l’incite à faire volte-face et sans marquer de surprise, me répondre par un hochement

de tête doublé d’un murmure sourd. ‘Je voudrais prendre quelques photos de la peinture, si ça ne vous dérange pas... et discuter avec vous, autour d’un café. Si vous avez un moment.’Il plante son regard dans le mien. Je lui souris et lui tend la main. Il place sa paume calleuse dans la mi-enne. Je me présente.- Jesus, me répond-il. Allez-y.- Muy amable, gracias. Je commence à photographier la façade tandis qu’il se roule une tige avec mon tabac.

Un moment plus tard, nous sommes at-tablés au bar du coin. Une bière pour lui, un coca pour moi, mon appar-eil photo entre nous deux, ainsi que mon paquet de tabac. Cigarettes à la chaine.- J’ai vu de la misère dans ce quarti-er, monsieur. J’ai vu de la beauté aussi. Il y a un lien sensible en-tre les deux, auprès de ces murs. Je voudrais juste en laisser une trace, avec ça – je désigne mon Nikon - mais si vous voulez bien, j’aimerais en parler avec vous – il acquiesce d’un hochement de tête. Vous êtes là depu-is longtemps ?- Depuis un bon moment, oui. - Vous ne souffrez pas trop du froid, la nuit?- On s’habitue. S’il fait trop froid, j’ai un autre coin pour dormir. Pas dans un foyer, parce que d’abord il y en a peu dans cette ville, et puis les gens sont violents là-dedans. Ils te cognent pour te voler, la nuit.- Vous êtes mieux là, près de la fille?- Oui, bien mieux. - Pourquoi ici, précisément? - Parce que j’y suis tranquille. Parce qu’elle est reposante.Je viens d’avoir une une réponse à une question non formulée : je lui avais demandé la permission de prendre la photo de la fresque comme si c’était chez lui. Puisqu’il me l’a accordée, c’est qu’il considère effectivement

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qu’il est chez lui ici. Comme les Gi-tans.Le lien entre signe de vie et preuves d’existence est avéré.Tandis que je regarde cet homme se laisser aller à raconter sa vie par bribes, aiguillonné par les questions qui me viennent, j’essaie de penser à ne pas penser aux images de femmes gravées dans les murs des cellules par les prisonniers, aux soldats qui ap-pelaient leur mère à l’heure de rendre l’âme. Je détaille son visage marqué, ses yeux perçants, sa diction fluide et sa voix rauque, grave. Né à Sara-gosse, sur la route depuis toujours (pourquoi, pourquoi, pourquoi sont les questions que je ne sais pas poser), fuyant le mauvais temps ou les bri-mades policières, jusqu’à Paris, puis retour en Espagne. Ici à Barcelone, parce qu’il y a toujours des miettes à grapiller, ou plus au Sud, mais pas à Madrid. Trop froid. 41 ans. Sans famille, sans amis, sans argent, sans travail. Réduit à l’expression la plus simple de l’existence, la résultante d’une démission d’un jour qui dure depuis lors. A l’une des extrémités de la graduation de l’individualisme, certains sont isolés au dernier étage de leurs tours de verre.

Au pied de celles-ci, peut-être en proportions égales, d’autres vivent dans la solitude absolue. Qui décide de cette échelle de valeur ? Comment est-ce possible qu’ils ne se rencon-trent pas, tous, sur un échelon médian ? Quelle est la distance exacte qui sépare la vie de la survie ?

En silence, je remercie pour lui Miss Van d’avoir posé là cette fille masquée.

- Jesus, vous voulez bien que je fasse un portrait de vous, près de la fille?

***

Le bar peine à contenir le volume des con-versations qui fusent de toutes les tables, et

s’amalgament dans le nuage de tabac qui flotte à mi-hauteur de la vaste salle. Les serveurs vont et viennent, entretenant le niveau sonore en dis-tribuant absinthe et bière au gré des envies de leur volubile clientèle.

- C’est contre ça qu’on s’est battus, lache Antonio. Il aspire une longue bouffée de son mégot. On ne voulait pas que nos contemporains vivent dans l’indigence… C’est cet état de fait qui a décidé de la ballade des Stars…- On vivait dans des squats, nous autres – des quartiers de Londres encore marqués par le Blitz. La ‘Revolution des Fleurs’ avait échoué, dit Joe, pensif. Mick, qui avait fondé le groupe en 1976, avait déclaré : ‘Les gens ont cette image de nous, marchant dans la rue avec des mitraillettes. Ca ne nous intéresse pas, parce que nous n’avons rien de tout ça. Tout ce que nous avons c’est quelques guitares, des amplis et une batterie. C’est notre armement’.- ‘The guitar is mightier than the gun’, cite Anem-one, en réponse à l’évocation, puis s’adressant à Travis : tu n’as pu convoquer tous ces gens ce soir ?- Non, répond-il en finissant son verre. Ils sont re-devenus Invisibles. J’espère pouvoir leur payer un coup, au moins ça, quand le livre existera ! C’est déconcertant, ce sentiment étrange de leur ab-sence, alors qu’on est au chaud entre nous. Ca me fait me sentir presque coupable.

Joe lui claque l’épaule, Anemone lui prend la main. Antonio, qui lui fait face, lui dit :

- C’est normal, Travis. Ce ne sont pas 8 photos et quelques pages qui vont changer leur monde. Mais qui sait, elles vont peut-être y contribuer ! Il n’y a pas de petites révolutions, ne l’oublie jamais !- Ha ! Comme c’est vrai ! Il faut essayer de grandir d’une façon socialiste, tendus vers un futur où le monde serait un endroit moins misérable que ce qu’il est, s’exclame Strummer.

RHUM & CIGARETTES- 3 -

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- C’est ce que je disais à Anemone et Travis, juste avant que tu arrives ! La Puce lève son verre. Ses trois accolytes y joignent le leurs au-dessus de la table.

Anemone fait signe au serveur de leur remettre une tournée, et Joe intervient :

- C’est pour moi !- Non, je t’en prie, répond-elle. Celle-là c’est la mi-enne, messieurs ! J’y tiens !Elle vide son verre, et récupère son mégot éteint dans le cendrier. Amador lui offre du feu en souri-ant. - Merci Antonio ! Ce soir est un soir qui commence à être merveilleux. Je suis ici, au bar que Travis préfère, en train de vous écouter discuter autour de ses photos et de ses notes… et je commence à comprendre. Vous Amador, vous représentez, si vous voulez bien m’accorder cela, la contestation espagnole de 1910/1920. Joe, tu as joué un rôle certain dans celle de l’Angleterre de la fin des sev-enties. Cette chanson que tu as écrite fait le lien entre vous deux et maintenant, via Travis. Antonio – je te tutoie, d’accord ? – tu t’es impliqué dans l’histoire avec des mots et des coups de pistolet…- Oui Anémone. Le pistolet était un Star 7.65 et les mots les munitions des articles publiés dans des journaux qui étaient interdits, censurés, qui m’auraient valu la prison ou la mort si j’avais été capturé à l’époque.- Joe, tu avais une Telecaster et une foutue envie de refaire le monde avec tes compadres de Clash.- Il y a de ça.- Et toi, Travis, tu réunis tout ce beau monde ici. Bien. J’imagine qu’il y a d’autres invités, non ? Ne réponds pas… Capa, Koudelka ?- Ils sont au comptoir, en train de discuter photo numérique avec Agusti Centelles. Il n’y a pas que des photographes qui ont trait à cette histoire qui sont là, je pense. Mais ils se sont invités, moi je n’y suis pour rien...- OK. Excusez moi, très chers, mais il faut que je l’embrasse.Le serveur arrive avec la tournée. Joe et Antonio échangent un clin d’œil, puis Strummer roule une cigarette à l’attention du journaliste. Anemone re-prend : - Je résume : Barcelone et la contestation, une espèce de tradition catalane... Ce ne sont plus des balles, ni des chansons - ou des articles sub-versifs - dont il est question, mais des peintures. C’est ce que m’a, hum, cafouillé Travis quand je me suis assise à cette table, juste avant que vous n’apparaissiez. Il m’a parlé de graffitis New Yorkais

et là il faudra m’expliquer, mais avant tout, comme on dit en Français ou en Espagnol : ‘Santé’ !Les verres tintent à nouveau au-dessus de la ta-ble, mais cette fois plus sourdement, car ils sont pleins à ras bord. Travis prend la parole :- L’injustice, la précarité, la médiocrité, on en a tous eu notre dose, à chacun son échelle, à cha-cun son époque, et chacun a réagi contre elles avec ses moyens, suivant la forme de violence qu’elles généraient … Ici c’est l’expression pictu-rale, passionnée, agressive, qui se dresse contre le mal-être ambiant. End the Joke, Die For Your Art, c’était une définition assez juste de l’engagement artistique, Elle semble s’appliquer plutôt pas mal à ce que j’ai vu...

A une table de celle qui constitue le centre de ce-tte partie de l’histoire, le détective Pepe Carvalho sirote une absinthe en compagnie de l’inspecteur Mendez. Ils n’avaient pas été conviés, ne parlaient guère, mais écoutaient distraitement les quelques phrases qui s’échangeaient autour d’eux. Carval-ho avait tué Kennedy et portait généralement un regard lucide - donc désabusé - sur le monde dans lequel il s’était replié, et Mendez professait un hu-manisme discret sous couvert d’investigations policières… Mais ce soir les deux Espagnols, natifs de Barcelone, n’étaient en mission pour personne. Ils buvaient à petites lampées tant les phrases d’Amador, Strummer et leurs hôtes que le contenu de leurs verres respectifs. Ils n’avaient plus envie de réinventer le monde ni de mourir pour lui. Ils quittent donc opportunément leur ta-ble, laissant deux chaises libres près du groupe qui commence à être passablement éméché.

- Contre-culture et racines historiques... C’est de cela qu’il est question, en fait. Du monde comme il était, et comme il va. Et peut-être où il va... dit Anemone en regardant ses compagnons à travers son verre.

Un vieillard maigre, au costume démodé mais impeccablement repassé, les cheveux blancs pei-gnés à l’arrière, le regard clair et les traits durs, s’approche de la table. Travis lui sourit et l’invite du geste à venir s’asseoir :- Monsieur Longoria, je suis content de vous ac-cueillir ici, fait Travis, puis se tournant vers se compagnons, il ajoute : Saturnino Longoria, com-battant pour la République en 1936 et faussaire également nous vient de México où il est exilé. Une téquila ou un rhum coca ?

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VILLAS + BORIS HOPPEK

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RESISTANCE

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La vieille usine est échouée comme une baleine de pierre sur la grève

de notre siècle, en attente de de-struction ou d’embourgeoisement. Elle m’apparait au sortir d’une portion de la ville nouvelle, où dominent la verticale implacable des imeubles et la radicalité horizontale de l’avenue Diagonal. De loin, je distingue le mot ‘Amor’ peint en rouge sur une portion encore blanche de la façade qui sur-plombe la rue; curieux, je m’approche lentement de cette moribonde nau-fragée du XIXe siècle.

Le terrain, envahi d’herbes folles, dissimule au regard des peintures écaillées apposées sur les parois des batiments autrefois voisins. Les murs de l’ancienne fabrique ne sont griffés que par les ombres portées par les supports rouillées d’une alimen-tation électrique disparue. Ses fenê-tres aveuglées ne donnent plus que sur son intérieur, que je ne ne peux me résoudre à seulement imaginer. En longeant la muraille pelée, je décou-vre un passage, à peine masqué par un arbuste chétif. Je jette un dernier coup d’oeil à la claire matinée de Janvier qui baigne la Carrer Pere IV et saute dans la pénombre froide de la sépulture industrielle. J’atterris dans une vaste salle en L, intégrale-ment vide. Face à moi, la plus pe-tite section se termine abruptement sur une cloison dont la seule issue

est une porte d’acier récente, soli-dement verrouillée. Je longe donc le mur opposé à longue rangée de fenê-tres opaques dans un silence d’église abandonnée, jusqu’à une pièce plongée dans une obscurité presque totale. La seule source de lumière, ténue, provi-ent d’une minuscule fenêtre grillagée à travers laquelle je peux distinguer une allée étroite, délabrée, encom-brée de gravats. Des formes colorées apposées sur son revêtement, anci-ennes elles aussi, se disputent avec la grisaille ambiante. Un joli vélo bleu pâle est posé là, tout près de la fenêtre. Je remarque ses pneus gonflés et son absence de cadenas – des gens vivent là, de l’autre côté de la porte de fer que j’ai vue tout à l’heure, pensé-je. Je me retourne vers les ténèbres muettes qui m’entourent et m’allume une cigarette.‘S’il y avait eu quelqu’un ici, il se serait déjà manifesté’, pensé-je à nouveau. J’écoute le silence, et ne distingue rien au delà du vague halo diffusé par la lucarne. Même les fantômes de l’histoire ont déserté la batisse.

Je me décide donc à utiliser l’écran lumineux mon télphone portable, incon-gru dans cet endroit, pour distinguer ce qui m’entoure. A quelques mètres de moi, dans un coin de la pièce, un escalier que je n’aurais jamais vu si-non, m’invite à gagner l’étage.

Fuidesin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist publici entilinati,

DEAMBULATIONS 3La Escosesa

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Un puits de lumière découvre dès l’entresol un lacis de fils tendus depuis le haut de la rambarde. Ils don-nent l’impression de s’élever du vide de la montée d’escalier pour indiquer un chemin vers le niveau supérieur. A la fois interloqué et prudent, je les suis jusqu’à prendre pied sur un pal-ier encore solide, aux portes d’une petite pièce ravagées. Des motifs géométriques aux contours soulignés par les mêmes fils colorés ont été appliqués à même un papier peint dé-fraîchi. Un coffre fort enchâssé dans la cloison reste inviolé, tandis que ce qui subsiste de mobilier a été van-dalisé. Un fenêtron ouvert, au niveau du plancher, donne sur l’allée entre-vue tout à l’heure et éclaire cette pièce dans laquelle je ne m’attarde pas. Elle n’est pas accueillante, et même si les traces laissées sur les murs m’interpellent, elles sont comme noyées dans la dégradation ambiante.J’emprunte alors un couloir étroit, mais reste figé au bout de quelques

pas devant ce qu’offre au regard la carrée attenante ! Une installation de formes géométriques aux couleurs vives occupe tout son espace, grâce à un agencement harmonieux des mystérieux fils qui m’ont conduit jusqu’ici !Je rentre dans la pièce, en passant délicatement entre eux, et m’asseois près de la lucarne devant la petite constellation apaisante de trapèzes, polygones, arcs et ellipses. Je suis des yeux les chemins élégants qui re-lient les formes entres elles et main-tiennent l’ensemble en un gracieux équilibre en s’accrochant aux murs et au plancher. Je m’abandonne aux courbes, aux angles, aux teintes, à la beauté de la chose et à la grâce de l’instant.Le temps s’est arrêté. Aucun bruit parasite ne vient interférer avec ce-tte impression réconfortante qui len-tement m’envahit : je me rends compte soudain que je ne me sens plus seul.Je suis habité d’un calme aux cou-leurs vives, devenant tranquillement

LABUENAYLAMALA

LABUENAYLAMALA / THOMAS CANTO LABUENAYLAMALA / THOMAS CANTO

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KAFRE KAFRE+SONIA SOCATOBA+H101PAULA DELFIN

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LOLO FONICO

H101

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part de cette construction. Un dialogue silencieux s’instaure brièvement dans la petite pièce, entre les éléments ordonnés par l’Invisible et moi, qui ne suis que de passage. J’en remets le décryptage à plus tard, car malgré l’harmonie des volumes qui me retiennent dans la pièce, je cède lentement à la curiosité qui m’appelle dans le vaste bâtiment, Je retrouve donc presque à contre coeur le couloir sombre, à l’opposée de l’escalier. Son plancher est solide sous mon pas, et la lumière qui m’attire au fond du coridor me promet une surprise sans mesure avec celle de la petite pièce : un assortiment impres-sionnant de fresques habille toutes les parois d’un immense atelier abandonné ! Face à moi, une prétresse nue officie au centre d’un sombre temple païen. A ma gauche, en écho, une masse ondulante de cheveux bouclés dessine les contours d’un portrait de femme dont on ne distingue que le bas du visage et la bouche char-nue. Entre ces deux immédiats repères, un pan de mur entier est occupé par une une scène du passé d’une terre alternative. Au fond de la salle, d’énigmatiques runes ennoblissent la paroi. Plus enclin à la découverte qu’à la divination, je glisse dans une autre aile du batiment, à gauche de l’entrée. Ses fenêtres, rares, ne semblent pas laisser entrer la lumière, mais ouvrent sur la cour intérieure de

l’usine. Depuis la première ouverture, je suis saisi par une population cablée, figée sur un mur extérieur de la bâtisse, qui attend passivement, les yeux morts, l’ultime décrépitude.

A travers une saignée perpendicualire à celle sur laquelle je m’appuie dégor-gent d’une large façade noire un flot de couleurs vives. Je vais à leur ren-contre près de la brêche, et me ret-rouve face à un gigantesque crâne dont les orbites creuses me fixent, depuis la base d’une cheminée de brique depuis longtemps éteinte.

Impossible de croire que cette foison de symboles constitue une épitaphe, un chant funèbre. Ces oeuvres magnifient la désolation, sans pour autant lui rendre grâce : au contraire, elles s’en servent de support afin de la détourner ! Toutes ces oeuvres semblent s’être concentrées ici, à l’abri du regard, dans une at-tente que je ne m’explique pas. A défaut de mots, je me décide à me coller enfin derrière le viseur de mon appareil photo, et à mon tour laisser trace.Ou tenter de. Apres tout, moi aussi, je suis en vie.

***

SAN

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C’est l’usine ‘La Escosesa’, je la reconnais ! dit Antonio Amador de sa voix éraillée. Elle a bien

changé, c’est le moins qu’on puisse dire…

Saturnino Longoria, le dernier arrivé, finit son verre, claque la langue et prend la parole :

- Les usines, à Barcelone, en ’36, étaient autogérées. Si les murs pouvaient parler, ils raconteraient ça aussi. Mais c’est pour cela que je suis là, n’est-ce pas ? Merci pour la tequila, au fait. On remet ça?

Travis fait signe au serveur, et tandis que les verres valsent, Antonio avance :

-- Appelle ça anarchisme, si tu veux, Travis, ou social-isme, Joe. On s’en fout des étiquettes, en 2014, non? - Ouais, je crois qu’on peut, mon pote, rétorque Longoria avant tout le monde. C’est juste du bon sens, simplement. La révolution sociale…Il laisse échapper un rire bref et reprend : - On va essayer d’être moins didactiques que dans le temps, mais il faut lâcher un foutu gros mot avant tout, pour comprendre. “Propriété”, le voilà.

Le vieil homme plante ses yeux vifs dans ceux des plus jeunes attablés. Il enchaine, en allumant une cigarette :

- Et nous avions aboli la propriété, pas vrai, La Puce?

Il claque l’épaule de son compatriote. Strummer et les deux autres écoutent avec attention le Mexicain d’adoption.

- T’emmènes rien dans la tombe, donc ce n’est pas la peine de s’accrocher à des objets de ton vivant. A des idées, oui, bien sûr. A une haute idée de l’humanité

certainement. Mais à des choses manufacturées, des moyens de production, de l’argent, non ! La vie, tu n’a pas à la gagner, puisqu’elle t’est donnée… Par contre, il faut l’entretenir et la mériter. - Who gives you work and why should you do it? murmure Joe.- On misait sur le communautarisme, enchaine Anto-nio. Et ça marchait…- Ouais, pas longtemps, mais ça a marché c’est sûr.- En ‘36, il y eût un coup d’Etat, auquel on a tout de suite répondu. Nous tous, les travailleurs, les paysans, les écrivains, les poètes, les musiciens. On a pris les armes et on est allés barrer la route aux militaires, aux fascistes. De fait, on a déclaré l’autogestion, ici, à Barcelone. Les patrons avaient pris peur de voir les ouvriers avec des fusils et ils sont partis. Nous étions tous équitablement impliqués dans l’outil de production. Les prix furent justement calculés, les bénéfices également répartis...Une organisation humaine séculaire adaptée au monde industriel, c’était pas mal. Ca a été le début de la Guerre Civile.

Longoria semble un instant perdre le fil de ses pen-sées, à moins qu’il ne retourne à leur source. Il se-coue la tête et s’adresse à Travis, d’une voix grave :

- C’est une ode à la libre expression, ton truc, petit. Dedans, il y a quelque chose que j’aime bien, c’est le mot libre. Amour, j’ose pas trop y penser, il y a eu trop de haine dans ma vie, mais liberté c’est pas si loin, et oui, on mourrait pour ça. Hijoles de la chingada !

Il lève son verre

***

SPOK AXEL VOID

RHUM & CIGARETTES- 4 -

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Les peintures semblent s’envoler de la vieille usine pour essaimer alentour

sur d’autres murs en rupture de passé et en attente de lendemains, d’autres fric-hes autant historiques qu’industrielles. L’industrie a contribué à écrire l’histoire contemporaine en mettant en avant une cer-taine idée du progrès, qui se dilue désor-mais dans le monde numérique pour devenir aussi obsolète qu’une Cadillac rose… Le monde moderne est en recherche d’un au-tre modèle, ou un autre leurre, que ni la technologie ni la finance n’arrivent à incarner. Mes pensées interfèrent avec celles du livre de Vasquez Montalban que j’ai emmené pour tromper l’attente de mon rendez-vous. Assis dans l’arrêt de bus qui fait face à la porte de fer de la Escosesa, j’attends Maria, la responsable du col-lectif qui occupe l’usine textile étabile en 1852 et acquise en 2006 par une société immobilière qui voulait en faire un com-plexe de luxe. Les habitants du quartier, las de voir leur ville défigurée par les promoteurs, prirent alors le sentier de la guerre et après deux ans de combat, réus-sirent à la faire classer ‘patrimoine in-dustriel’ par la municipalité, alors que les spéculateurs sombraient dans la crise économique. Les phrases de mon livre jaillissent hors de ses pages pour s’inscrire sous la fig-ure torturée qui surplombe la rue Pere IV, sous le ciel bleu de Poblenou :“Aujourd’hui, heureusement, la ville est un marché. Et ce marché n’est pas an-archique, il a un cerveau. Ce cerveau tient aux institutions démocratiques qui la gouvernent. Il s’agit du marché le plus contrôlé qui soit…. On ne peut plus parler de lutte des classes, mais de concurrence. Le problème ne se résout plus sur le mode du conflit mais sur celui de la compéti-tion. En ce moment le marché est faible en raison de la crise économique et du con-trecoup de l’expansion due aux Jeux olym-piques… mais …”Il est temps de frapper à la porte de fer de la Escosesa. Je veux voir d’où vien-nent les peintures. Je vais rencontrer des Invisibles.

***AXEL VOID

LABUENAYLAMALA

DEAMBULATIONS 5La Escosesa

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Après que je lui aie expliqué ce qui m ‘avait conduit ici, Maria

m’a laissé faire connaissance avec cette cour des miracles entrevue par hasard, depuis une faille dans le mur d’enceinte. Le vétuste batiment est complètement décrépi, ses nombreux recoins encombrées de déblais, mais chaque surface plane, chaque parcelle de mur est utilisés, transcendée. Je retrouve au fond d’une allée les cou-leurs et les formes qui m’ont tant ravies au deuxième étage de la fab-rique. Maria me dit que ce sont les oeuvres de Raquel, Labuenayalmala. ‘Je vais te la présenter, après que nos ayions fait un tour du propriétaire. Tu nous expliqueras comment tu nous a trouvés…’

Bustiurehenda doluptatis natus, oc-catus que laborro rempele sequae

aciandae nobitiam am con pos aut quam, nobis ero volecum quam fuga. Aque mag-nimp ossunt.

Aspid mil magnit que ex eatessi au-temod ut est, quuntur? Qui sitam

ium ent.

Itatquibus, cum harunt voluptat am, nonsectis ab id quaturem invenim

illupicilis as aligent as atis que destior molorporem qui omnitem pori-bus anturias enis arumqui vellorerit este volorio. Nequibeate ab inum vit rem rest abo. Et ut parchic iandipsae quiatibusam eat.

Eperia venitibeate lacest alit fa-cea sitibus, odis maios magnihit

volut ommos asinvenda sus solore sume aut everchi catusandipit voluptassi dolora sam im apit isitibus endunda ntotat es dis magnimet essecta tus-cian delestiani ime ventur sitiumqui-di optate doluptas et derumetusa ent dolupit, ut et esti culla ni officip saperchicid quodigenihil eos accus-ciet aut fugiam, volore pore voluptas secto bea volesse quunt.

Piendis sitat harum eaqui utempo-ria expel experum quidit, ea doles

inctiat ibeaqui andaeca borrorenis sitatiuntia sequae andes si offici volorpos aribus dolor accuscienet of-fictatur anto invelessed mostem qui repudi odita pere, te volore nobitem quidundit que nus destius aepratis exernatum volore, sam venis molo

LABUENAYLAMALA

LABUENAYLAMALA70

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Fuidesin gullerf icibus acrius, quonsum se ium pest videfacrist

publici entilinati, C. Mae et vis, nercem caes et nosum opopopt ifentiq-uidi imihi, C. Feceris publiem entere co vius? Verecon sesse viris veric-ienihic tem moverissis in sa ditereo vere conit esilicaet grac oculina-tiu contemum ad praedem, iam sentem. Efaucen timilibus incero iae ponsum tus vid nonim deme catum dius cestra-chui sullem oculeru rberidet am num poris iam sat, quas condactate con-simmo Catiam tus estiuscio temuropu-bis, vis ocuppl. Etra? Opubliis man-diem ta culem dita et ponvenatilis egerehe bemus, stre, quam, que fur-bis; nimorum.Iribusque fingule reorte aucivas ter-enatem vervivem mo istribero ist pub-liam tea L. Ferios diissenates bon strum, deffre. Ent? Valarbis, consu-lin ponum pat, sica quonlost L. Toris elicaequa opublina, uro in hossulum omnonsum aureorisus, vigilicon vis.Ad aur, ment. Tum se ad illatra vis, quis poris effres cris vem non re, que intemqua quam et optilin vissoltorei perferc eresse vernius sesis perfen

Page de gaudhe : LABUENAYLAMALA

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Une myriade de flocons en suspen-sion retient le temps et nargue

à la fois l’hiver et l’austérité du vieux complexe industriel. Cette in-stallation est l’oeuvre de Rina, résidente à la Escosesa. Native de Lima, Pérou, d’un père Japonais et d’une mère Péruvienne, elle débarque voici plus de dix ans en Catalogne en recherche de ses attaches latines et d’une ouverture sur l’art et la vieille Europe, tels qu’on peut les imaginer depuis Tokyo, où elle résid-ait. Elle s’inscrit à l’école d’art de la Llotja, où ont enseigné Picasso père et fils, et s’écorche rapidement aux aspérités de la vulnérable exist-ence des artistes de rue, des peintres pour touristes. C’est de ce point de vue qu’elle décide d’apprendre de la vie, des autres, et d’elle-même et découvre depuis les trottoirs des Ramblas que cette recherche doit être plus profonde que la satisfaction de plaire aux visiteurs. ‘Si je n’avais rien à donner, il ne fallait pas m’attendre à recevoir’, confie-t-elle avec un calme sourire. S’enfonçant à la fois dans la précarité et la con-naissance, elle réalise au fil des ans que ‘nul n’est misérable s’il cul-tive la noblesse’. Passionnée par le

temps, fascinée par l’éphémère, elle réalise que l’objet d’art se doit d’offrir surprise et questionnement, et qu’à travers lui, elle peut exhi-ber sa richesse intérieure, la seule qui puisse réellement contrer la mis-ère. L’éphémère, quant à lui, induit forcément la notion de destruction. Il n’est que prélude à la douleur de la disparition, mais l’histoire est ainsi, cyclique : la fin est naturel-lement le préambule d’une naissance, la douleur n’est qu’un rite de passage vers une nouvelle connaissance, qui jamais n’exclut le souvenir. Son monde intérieur, fécond, la ratta-che maintenant aux mondes intérieurs des gens qui l’abordent à travers ses oeuvres. Elle n’est, désormais, plus ‘personne’, mais UNE personne. Un in-dividu. Elle a appris à crier sans user de la voix, qu’elle n’utilise presque que mélodiquement pour m’expliquer sa trajectoire, et sa fonction dans la vie. Sous une calme tempête de neige sus-pendue aux murs séculaires d’une usine désaffectée, un après midi de Février, elle me dit ‘s’être trouvé un foyer’.

Elle aussi.***

RINA

RINA - Mural : H 101

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H 101KAFRE

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Une petite pyramide translucide s’est matérial-isée au centre de la table. A travers ce prisme

incongru, Travis regarde ses invités commenter les peintures pré-hispaniques déposées sur les murs de Can Ricart, un autre vaisseau de pierre décati à l’ancre sur le même fleuve d’asphalte que La Escosesa : Amador et Longoria, les vieux lions revenus d’un passé de luttes acharnées, presque oubliées, et l’intemporel Strummer, egalement idéaliste, mais plus ouvertement romantique…. Dans une brume alcoolisée, Anemone sourit et échange avec eux des anecdotes sur la cité dans laquelle elle est la seule du groupe à s’être fixée, tandis que Travis se surprend à étudier les cinq niveaux qui constituent le petit édifice : sa large base porte en elle le diagramme des besoins physiologiques essentiels. Cette assise primordi-ale conduit au niveau suivant, les besoins de sé-curité, qui une fois satisfaits, autorisent à penser aux besoins d’amour, puis d’estime, pour pouvoir enfin atteindre le sommet de la construction : l’accomplissement.‘La pyramie des besoins de Maslow ! ’ pense-il.

- Tu rêvasses, Travis ? lui demande Anemone en glissant sa petite main sur son poignet.

Il sait le combat qu’elle mène pour s’assurer un quotidien dans une ville qui offre des salaires ina-daptés à ses loyers élevés. Les révoltés attablés ce soir ont vécu leur pyramide de façon inversée : l’accomplissement est la base de leur édifice, sa puissance et sa fragilité. Son défi au bon sens. Sa noblesse.- Je pensais à une pyramide …- Ah oui, c’est curieux, ces pyramides qu’on dirait indiennes, sur les photos suivantes, l’interrompt Joe en terminant son verre.Travis revient à la conversation:- Des Invisibles, Joe, encore des Invisibles. Ces tri-bus d’êtres effacés durant la journée qui disparais-sent à la nuit : les Indiens d’Amérique Latine.

- Ils reviennent vers ceux qui les ont rendus insig-nifiants, tu crois? C’est une espèce de devoir de mémoire, alors… Je suis allé vivre avec ma famille au Mexique, quand j’étais petit. C’est une autre histoire, pas vrai ?- Moi aussi, j’ai habité au Mexique, dit Anemone.- J’avais des amis Mixtèques, là-bas, se souvient Travis à mi-voix…Saturnino sourit à l’assemblée : ‘moi, je connais bien l’hopital espagnol et la tour Latino Américaine de México.’ Travis pense : ‘Et comment ! Il a foutu en l’air une opération secrète de la CIA exacte-ment là-bas’.- Certains d’entre nous se sont réfugiés au Mex-ique après la Guerre Civile, pour échapper au fas-cisme qui gangrénait l’Europe, continue Longoria, peu enclin à raconter ses histoires personnelles.- En passant par la France, pour participer à la Ré-sistance, ajoute La Puce Amador. - D’autres Invisibles, hein? On ne cite pas bien la participation des Républicains espagnols dans les livres d’histoire, renchérit Travis.- Puisqu’on dérive, autant que je me jette à l’eau moi aussi, intervient Anemone ! Ma grand-mère veillait sur les toits de Londres pendant le Blitz, et mon grand-père a fait partie des Brigades Interna-tionales, aussi… Travis sourit en voyant les deux anciens échang-er un clin d’oeil avec Joe. Il réprime une envie d’embrasser la jeune femme en faisant un signe discret au serveur, qui, en homme de bon sens, revenait vers eux avec une tournée offerte par la maison.

- La pyramide des besoins, hein… laisse-t-il échapper, alors que le plateau rempli de verres, en se posant sur la table, fait voler en éclat la figure géométrique qu’il n’était, de toutes façons, que le seul à voir.

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H 101

RHUM & CIGARETTES- 5 -

KENOR

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“Welcome anywhere you come fromYou’ll loose your life or find a home here Cause some do it right some do it wrongSome are talkin’ wise some they’re running their tongues …LOS INDIOS DE BARCELONASON MAS INDIOS QUE LOS DE ARIZONA! “

Je marche dans l’officielle Barce-lone, celle des guides pour touristes, dans le Park Guell, sous les arcades penchées où avait été tournée la vidéo d’ ‘Indios de Barcelona’, de la Mano Negra. J’aimais bien cette chanson, ses deux premières lignes prémonitoires, son patchwork de cuivres joyeux et de guitares accrocheuses astucieusement plaqué sur le martèlement dépouillé d’une la caisse claire. Un rythme de locomotive lancée à pleine vapeur sur les rails du succès qui promenait ses wagons d’excités de Gibsontown à Fend-erville en passant par la Calle St Pau et le Barrio Chino… J’aimais beaucoup le foutoir de la Mano, leur métissage musical et leur générosité débor-dante - leur humanisme électrique !

J’allume une cigarette, en regardant la foule d’appareils photos venue du monde entier emmagasiner alentours courbes légendaires, sourires de cir-constance et vues reposantes d’une cité alanguie sous un ciel clément. Je viens de redescendre du sommet de

la colline sur laquelle l’industriel Guell fit édifier ce parc dans les an-nées 10 – il y avait là haut un point de vue magnifique, et un bluesman qui ajoutait son propre soundtrack à cet après-midi limpide. Il m’a dit avoir quitté Austin, Texas, depuis bien des années et trouver refuge ici pour lui, ses chansons sans artifices et sa gui-tare National de 1929.

“There’s gonna be war in the streets, hey gringo you’d better take a trip trip trip”

Qu’est ce que voulait dire par là Manu Chao, leur chanteur ? Je n’y fai-sais pas plus attention à l’époque qu’aujourd’hui je n’arrive à me fix-er sur les réalisations de Gaudi qui m’entourent.

Sur le chemin, un attroupement de vis-iteurs était agglutiné près du mur d’enceinte et tous braquaient leurs objectifs sur l’extérieur : au pre-mier plan d’une vue idéale de Barce-lone, l’inscription ‘OKUPA Y RESISTE’ étalée sur tout le toit de l’immeuble faisant face à la pente affichait ain-si sa différence et invitait par sa seule présence à étendre sa devise à tous les blocs qui s’étiraient der-rière lui jusqu’à la Mediterrannée.

Le mot OKUPA était épaulé par deux déclarations sans détours, en let-tres également capitales, l’une sur

DEAMBULATIONS 6Blokes Fantasma

Ci-contre, sur le toit, une oeuvre interpellant le touriste, à mettre en relation avec celle de la page 25 / Page de droite, le dernier étage du batiment situé au # 59bis de la Calle Coll del Portell , Blokes Fantasma.

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un petit cubicule bati sur le faite du toit, l’autre sur une saille de béton joignant la façade du dernier étage :‘We know your capitalist paradise’‘We look for the hell of freedom’Un chien peint sur le mur montrait les dents aux vacanciers. Tout con-tre lui, un ange aux yeux clos se tenait devant le profil d’un ra-pace qui lui aussi regardait vers le parc. A l’autre extrémité de l’étage, une fille sur la défensive tenait fermement contre son vis-age un révolver et fixait la foule d’un regard dur, tandis qu’un jeune homme, à sa droite, semblait lui sourire.‘No Justice, No Peace’ ‘Fuck the Police’Portes et fenêtres étaient hermé-tiquement closes.

Je rejoins maintenant tranquille-ment la sortie du parc, décidé à voir à quoi ressemble de près ce batiment intriguant qui préserve

farouchement l’intimité de ses oc-cupants, si toutefois il en a. Je remonte la rue Coll Del Portell qui serpente le long de la col-line et de l’enceinte du parc, et à l’entrée d’un virage, je tombe lit-téralement nez à nez avec une gi-gantesque fresque qui recouvre tout le rez-de-chaussée de l’édifice. Dans cette rue étroite, à l’ombre, éclate sur fond orange une foule mixte, réunie sous une bannière qui annonce, en Catalan ‘toucher à l’un de nous, c’est toucher à nous tous’. Les tribus alternatives représentées là se regroupent dans le silence du passage, en couleurs hurlantes, vives, et partagent la surface aux rideaux de fer avec une alégorie de destruction du sytème de video-surveillance d’une Me-tropolis réactualisée. Sur un pan-neau protégé par un grillage, une affiche en catalan invite à se souvenir des exécutions capitales sous la dictature du général Franco et met en garde contre la muta-

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tion du garrotage en vigueur à l’époque en ‘suicides’ et ‘acci-dents’ divers sous le régime dé-mocratique actuel : des prison-niers sont retrouvés étranglés dans des cellules d’isolement, on constate des morts subites d’étrangers en prison…Une autre titre ‘Fascistes ni ici, ni ailleurs !’ et dével-oppe : ‘Deux jeunes ont été ar-rêtés pour avoir protesté aux portes d’un concert néo-nazi à Poblenou ... ils risquent cinq ans et demi de prison et 15 000 Euros d’amende.Solidarité avec l’antifascisme militant, ne permettons pas à nos compagnons d’aller en pris-on pour avoir dénoncé le rac-isme, le fascisme, l’homophobie et la haine que ces fascistes essayent de propager dans les rues.’

Sur l’un des piliers qui encad-rent les rideaux de fer, je re-marque une plaque de métal qui indique ‘Zone Antinazie’.

Le plus curieux finit par me sau-ter aux yeux : ce bâtiment, avec ses volets de fer et ses pein-tures de guerre est, en lui-même, parfaitement cohérent. Ce qui ne l’est pas, c’est que je suis le seul de l’attroupement du parc à être venu m’en ap-procher.

Mon juke-box intime rejoue la sélection de tout à l’heure, et se boucle sur le dernier couplet d’’Indios de Barcelona’ :“There’s gonna be war in the street”.

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La Carboneria, centre culturel autogéré, fermé par décision de justice et retourné à la vacuité, après cinq ans d’activités artistiques et sociales.

Le Mercredi 19 Février 2014, à la mi-journée, un cen-

tre social autogéré a été fer-mé par décision de justice et ses Okupants expulsés sans au-tre forme de procès. Les forces anti-émeutes, appuyées par un hélicoptére, avaient bouclé le quartier tandis que les Mossos (anciens Gardes Civils) évacu-aient en 3 heures les squatters barricadés à l’intérieur d’un bâtiment qu’ils faisaient vivre depuis 2008. A la demande de la banque Barclays, propriétaire des lieux depuis 2011, et con-tre l’avis des habitants du quartier, cet ancien immeuble prolétaire, la Carboneria, dev-enu point de rencontre, atelier d’expression, soupe populaire, bibliothèque et école de danse fut rayé de la carte. Au cri de ‘Qui sème la misère récolte la rage’, une première manifesta-tion s’est organisée spontané-ment. Elle dégénéra à la nuit, entre 2500 émeutiers saccageant des distributeurs d’argent et la police, renforcée par des milices privées.

Le 24 Fevrier, des ouvriers sou-daient des plaques de fer sur tous les ouvrants du bâtiment, le condamnant définitivement, sous la vigilance d’un milic-ien privé. Les fresques, elles, ne seront pas recouvertes avant longtemps.

Les Okupants se sont fondus dans le maquis urbain.

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La Carboneria

91MURAL COLLECTIF ‘CSO CARBONERIA’ PAR : BLANXER, FEO FLIP, PNAO, KIKE MESTRE, PIERRE, NITO, ROC BLACKBOCK, MÓN MORT

MÓN MORT

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MÓN MORT

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Le Lundi 26 Mai 2014, après des mois de négociations inabouties entre

les propriétaires, la mairie et les Okupants de l’immeuble ‘Can Vies’, l’expulsion et la desctruction de ce centre social autogéré du quartier de Sants, au coeur de Barcelone, fut mise en immédiate application : le jour même du jugement, une pelleteuse com-mença la destruction de ce bâtiment du 17e siècle appartenant à la TMB, la compagnie des transports urbains de Barcelone (dont la municipalité est l’actionnaire principal); cet entre-pot collectivisé en 1936 par la CNT servit de salle de réunion pour les travailleurs du chemin de fer dès la fin du régime franquiste, puis fut incendié et abandonné, mais retrouva utilité et autogestion dès 1997, grâce à un collectif de jeunes. Il devint alors un Centre Social et Culturel et pendant 17 ans un élément essentiel à la vie du quartier. Parfaitement intégré, ce lieu de vie alternatif a proposé bien des débats, projeté de nombreux films, mis sur pied des représentations théatrales, des con-certs, des lectures et des diners pop-ulaires, jusqu’à ce que la mâchoire d’une pelleteuse vienne déchiqueter ses murs, dans le but de ‘réaménager le paysage urbain’ ! Encadrée par la police régionale catalane, la grosse machine réduisit en gravats un bon tiers de l’immeuble malgré les bar-ricades et les diverses interruptions causées par environ 3000 manifestants habitant le quartier et les environs. 67 d’entre eux furent arrêtés, et bien d’autres blessés durant les deux pre-

miers jours de révolte, mais dans la nuit de Mardi, quelques-uns réussi-rent à mettre le feu à la pelleteuse, stoppant net son oeuvre de destruc-tion.

Le 31 Mai, après des échauffourées tant diurnes que nocturnes, le maire de Barcelone, M. Xavier Trias, dé-clare que ‘La violence dans cette ville est absoluement inacceptable’, mais devant l’ampleur de la contesta-tion populaire et le soutien de tout le voisinage, renonce à la destruc-tion totale de la batisse.

Dans la foulée, 300 personnes s’uniront pour déblayer le chantier, transporter les gravats devant la mairie et con-voyer le message suivant ‘Nous n’avons pas besoin de mairie, vous ne nous représentez pas’, et reconstruire Can Vies. Grâce à de nombreux bénévoles, pans de murs détruits et débris divers seront évacués vers les groupes sol-idaires spontanément formés pour sou-tenir cet Okupa, nettoyer les briques et les ramener vers l’entrepôt, où elle redeviendront murs au fil des jours. Le budget total de reconstruc-tion – ainsi que les frais de justice pour les 67 interpellés – se monter-ont à 70,000 Euros. Une souscription sera lancée et ramènera 89,000 le 28 Juillet.

‘Pouvoir Populaire’ conclut la fresque qui trône, intacte, au faîte du mur épargné par la pelleteuse.

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Can Vies

Photos prises le 31 Juin. « Nous n’avons pas besoin de mairie, vous ne nous représentez pas »

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ROC BLACKBLOCK

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CCette batisse massive, accrochée à la colline qui surplombe le quarti-

er de Gracia, exhibe une déclaration d’intention percutante : ‘Prison – Démolition’. Elle semble en état de siège, comme l’Okupa ‘Blokes Fantas-ma’ de la rue Coll del Portell. Sur un mur attenant, une petite phrase peinte au pochoir enjolive ma matinée : ‘Le baiser est la meilleure traduc-tion entre deux langues’. Je souris et m’approche de l’imposante porte d’entrée, puis cogne à coups sourds sur le battant. Un volet s’ouvre, au premier étage, et un jeune homme, la tête cagoulée, apparait :- Tu veux quoi ? Je réponds, dans mon mexicain approx-imatif : - Je ne vois que des murs avec des images percutantes et de nobles in-scriptions dans ce quartier – faut pas laisser trainer ça sans s’attendre à ce que ça donne envie de parler ! J’aimerais savoir ce que vous faites, ce que vous êtes… Est-ce que tu aurais un moment ?”- Attends, je descends, me répond-il, après un instant d’hésitation.J’en profite pour me rouler une ciga-rette et penser aux points de jonction entre nécessités de survie et formes de croissance qui balisent cette cap-tivante cartographie alternative de

la ville. Tous sont sublimés par une représentation picturale ! Chaque peinture, chaque installation, chaque slogan est porteur d’un sens qui lui est propre, doublé d’un rapport direct avec son environnement et son époque. La somme de ces peintures murales dé-passe à l’évidence l’intention des autorités de laisser se ‘décorer la ville’ : elle EST la ville ! “L’art ne reproduit pas le visible, il le rend visible” (Paul Klee). Cet art des rues est à la fois vitalité, grâce en soit rendue aux Okupas et leurs Cen-tres Culturels, et un signal fort de l’appauvrissement galopant qui main-tient les Invisibles hors du spectre de la considération générale. A la fois indicateurs et soutiens, toutes ces oeuvres sont gracieusement dis-séminées dans la cité en des endroits-clé qui aident à juger de son état et de sa réalité !En filigrane, je constate qu’en suiv-ant leur itinéraraire, je suis passé de l’individu au collectif, du campe-ment d’une nuit à l’action sociale - pas d’Etat providence ici, il faut bien que quelqu’un s’en charge - et politique. J’ai dérivé de l’anecdote à l’actualité. A l’histoire ? La porte s’ouvre, et j’interromps mes pensées pour aller à la rencontre de l’homme :

La Kasa de la Muntanya

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- Bonjour, Boris se présente-t-il. Ren-trons à l’intérieur, nous serons mieux pour discuter. Nous nous installons sur la ter-rasse de cet ancien bâtiment de la Guar-dia Civil, okupé depuis 25 ans. Les fresques qui décorent ses mur me rivent à ma chaise. Tandis qu’on échange, et que je lui parle de ‘ma’ Barcelone, photos à l’appui, je découvre lentement qu’1l n’y a nulle autre part au monde où je voudrais être en ce moment. Les deux guerrilleras photographiées durant la Guerre Civile par Agustii Centelles revivent ici comme sur les murs de Can Vies, en ce pays mar-qué mais oublié par l’histoire contempo-raine – si ce n’étaient ‘Spanish Bombs’ et ‘Pour qui Sonne le Glas’, je n’en saurais foutrement rien et me contenterais com-me tout le monde de venir m’encanailler ici. Boris me montre une reproduction de Guernica à la bombe, dissimulée sous un amas de poutres dans la cour, pour cause de chantier. Ah, je pense, la peinture n’est pas faite pour décorer des foutus salons et la bombe est bien plus belle en couleurs qu’en disséminations de parti-cules ! Boris, tout amabilité, me con-forte dans mes impressions et mes décou-vertes sur les Okupa, dont il est membre, tandis que je déchiffre l’inscription à la perpendiculaire de ‘Antifeixiste Siem-pre’ : ‘Nous portons un monde nouveau en nos coeurs, et ce monde est en train de grandir, en ce moment même’. (Buenaven-tura Durruti). J’entends alors Boris me dire que ‘Les drogues n’arrivent pas ici par hasard. C’est un bon moyen de faire taire les jeunes. Ca fait partie de no-tre boulot que d’informer les gens. Au-delà de ça, on est un réseau alternatif de squatts dans toute l’Espagne. Au jour le jour, à part ce que tu sais déjà, on s’occupe aussi de garder les petits pour les gens qui bossent et ne peuvent pas se payer les heures extra-scolaires demand-ées par le sytème.You guys fucking rock, je pense.- On fête les 25 ans du squatt Samedi, tu veux venir ?- Oui, merci, je réponds. Tu as quel âge, Boris ? - 20 piges. Je suis né ici. Tu voudrais prendre quelques photos ?

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TIZNE + IAC Crew

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102 103TIZNE + IAC Crew (détail)

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PERSISTANCE

Guerrileras, Guerre Civile espagnole, - photo Augusti Centeles

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Qui est Durruti ? demande Anémone.A l’évocation de ce nom, les deux Espagnols

échangent un coup d’oeil appuyé. - Tu l’as connu, Antonio ? demande Longoria à son concitoyen.- Oui, en 1920 à Barcelone. Il était un des nom-breux camarades de la CNT, le syndicat anar-chiste. C’était un gars décidé, convaincu que, comme Joe, le monde devrait être moins miséra-ble. A l’âge de 20 ans, il avait été membre de la grève de ‘17. Elle s’était soldée par la mort de 500 ouvriers et l’emprisonnement de 2000 autres et ça l’avait décidé à prendre les armes…- En 1936, au début de la guerre civile, il a organ-isé la défense de Barcelone contre le coup d’état des fascistes. renchérit Saturnino. Il voulait faire la guerre et la révolution en même temps, démolir le fascisme et créer un monde plus juste sur ses ruines. C’était une personne qui se devait logique-ment d’être en première ligne. La phrase que tu as vue sur le mur, Travis, est incomplète. Il lui manque cela : ‘La bourgeoisie peut bien faire sau-ter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons un monde nou-veau dans nos cœurs…’’- Encore un romantique, note Anemone en souri-ant... C’est l’histoire de Can Vias d’après les notes de Travis, ajoute-t-elle, pensive. - Mais la Carboneria est promise à la destruction, ajoute Travis. Elle grimace et reprend : - Et les Brigades Internationales, vous pouvez nous en dire un mot, Saturnino ?

Le vieillard, comme tout ceux qui ont connu la guerre, hésite un instant avant de livrer une partie de ses souvenirs. Les anciens combattants ont ce-tte pudeur, et rarement partagent leurs anecdotes, même avec leurs camarades. Cependant, il se lance, d’une voix venue de cet automne lointain :

- J’étais avec elles à Madrid, tout comme la col-onne Durruti - le bataillon qu’il avait formé lors de

l’insurrection de Barcelone - en Novembre 1936, pour défendre la capitale contre les fascistes. Ton grand-père était peut-être là aussi, Anemone. Ces gens étaient venus du monde entier pour nous prêter main forte contre le coup d’état initié par les militaires en Juillet de la même année, qui dégén-era en guerre civile, jusqu’en 1939. L’horreur – il crache par terre. Les militaires étaient appuyés par les fascistes Allemands et Italiens, et par la dictat-ure Portuguaise. Hitler leur prêta son aviation pour bombarder Guernica, au pays Basque, en Avril 37.

Amador, qui avait échoué à Paris vers 1922 à la recherche des derniers documents qui lui permet-traient de mettre la main sur le trésor englouti de Leonard de Vinci avait rencontré Picasso là-bas. (Il était aussi tombé sur le baron de Koenig, ce salopard qui s’y était réfugié, mais c’est une autre histoire). Il croit opportun de rapporter la déclara-tion de son compatriote concernant le massacre de la ville basque :

- ‘Dans le panneau auquel je travaille et que j’appellerai Guernica et dans toutes mes œuvres récentes, j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort.’

Longoria, qui avait survécu au bombardement de la ville, approuve d’un signe de tête. Il se dit qu’on se souvient plus de cette œuvre que de sa guerre à lui, mais tout le monde ne peut pas être artiste. ‘Je suis faussaire, c’est déjà pas mal !’, sourit-il en lui même…

- Ces jeunes des Okupa réinstallent l’autogestion anarchiste, et rappellent à la mémoire d’aujourd’hui les figures d’hier telles que Durruti, remarque Joe.- Oui, en effet, acquiescent les vieux Espagnols, ravis.- Les peintres qui s’expriment sur les murs de Barcelone ne sont pas tous epagnols, intervi-

ent Travis. H 101 est Latino Américain, Chilien je crois. Sebastien ‘SpearArt’ est belge, Miss Van française, Rina japonaise...- Toi tu es Français, Anemone Anglaise.- Des Brigades Interntionales de peintres, re-marque Joe. Et cette fête, c’était comment Travis ? demande-t-il en sortant de nulle part sa vielle guitare noire.- Boris m’a appelé le Samedi matin. Il m’a dit qu’il avait discuté de mon projet avec ses camarades, et qu’ils m’autorisaient à prendre quelques vues. Quand je lui ai dit qu’il était question de les publier, il m’a rétorqué qu’ils voudraient bien les approu-ver avant que je lance la machine, si jamais je la lançais, mais qu’ils aimaient bien mon idée… Les vieux anarchistes profitent de l’interruption pour préciser :- Que les décisions d’importance soient débattues et prises en commun, c’est un héritage de nos an-nées, Travis. - Together we’re invicible, glisse Anemone.- In fine, sourit La Puce. Tes photos, ton bouquin les impliquent. C’est normal qu’ils en discutent et c’est bien qu’ils t’approuvent, camarade.. Cela dit, on a perdu la guerre, mais pas completement, Travis. C’est un petit peu paradoxal, mais je suis sûr que Joe peut comprendre ça, pas vrai ?

Ce dernier sourit à l’assemblée et enchaine :

- Je crois que oui. Vous avez écrit une légende, pas seulement un morceau d’histoire que les programmes d’école s’ingénient à passer sous silence. Si personne ne se rappelle exactement que ‘No Pasaran’ était le mot d’ordre des Répub-licains lors des combats de Madrid, tout le monde sait que c’est un cri de rebellion, par exemple. Ca ne disparait pas, bien qu’on soit très peu capable aujourd’hui de relier ce cri aux luttes de 1917 qui déjà, tentaient de faire barrière à l’injustice. C’est devenu symbole. ‘Spanish Bombs’ vient de là… A l’aube des années ‘80, à notre humble mesure,

on a réparé l’oubli, en somme. Avec mes potes, The Clash, on est devenu une légende à notre tour… Pas pour cette chanson, pour une question d’engagement, de passion. On n’était pas produit de consommation, mais celui d’une autre légende. Une sorte de continuation, une mutation du mes-sage originel, si j’ose dire…Peu importent les époques, car nous convoyons tous cette aspiration à la justice. En ça, nous sommes des Invicibles, c’est vrai. Nous sommes l’inspiration, tout comme ces peintres que tu nous dévoiles...- Joe, écoute ça !, l’interrompt Travis. Je suis ar-rivé à la fête un peu tard, il y avait déjà plein de gens dans la cour, et partout sur le parvis. Un DJ perché sur le mur ‘Guernica’ passait des disques tellement fort qu’on les entendait à deux blocs de distance. Quand je suis entré dans la cour, il jouait ‘Guns Of Brixton’.

Anemone entonne :- ‘When they’ll kick at your front doorHow you’re gonna come ? With your hands on your head or on the trigger of your gun ?When the law breaks in, how you’re gonna go ?Shot them on the pavementOr waiting in death row ?’

Antonio Amador descend un ultime rhum-coca.

- Tu as une belle voix, Anemone, ne peut-il s’empêcher de remarquer en reposant son verre.

Elle s’éclaire d’un franc sourire. Quelque chose en Travis fond, à moins que ce ne soit une corde de sa guitare intime qui soit pincée, alors qu’il cher-che son regard. Elle s’y accroche un instant et, surprise, s’écrie soudain :

- Travis, ton livre commence avec Spanish Bombs et finit avec Guns of Brixton ! Deux chansons de Clash… C’est pour ça que tu as invité Joe ?!

RHUM & CIGARETTES- 6 -

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- ‘You can crush us, you can bruise us, but you’ll have to answer to the guns of Brixton’, cite Satur-nino Longoria qui ne veut pas être en reste, mais qui chante faux. - Saturnino, vous auriez aimé rencontrer, ou ret-rouver mon grand père, dit-elle. De même que toi, Joe. Il était aussi musicien de jazz. Se tournant vers Travis, elle ajoute : tu ne l’as pas convié, mon cœur. Tu m’as invitée, moi. Qu’est ce que j’ai à faire dans cette histoire ?

Il lui sourit une dernière fois, et une dernière fois l’embrasse profondément. La convocation du passé arrive à son terme, tout comme la révision de ses photos et de ses notes. Anemone chante en lui, alors qu’il regarde ses compagnons de ta-ble, heureux d’avoir pu les inviter dans ce livre, mais infiniment triste, soudain, d’avoir à les quitter bientôt.

- Toi, Anemone, tu es l’instrument du destin. Tu es l’histoire dans l’histoire, celle que je ne raconterai pas. Mais sans toi, je ne serais pas venu ici, je n’aurais jamais connu cette ville autrement que par les récits et les chansons. Je n’aurais jamais été touché de si près par son présent tellement coloré, ni par ses promesses ténues de lendemain. A travers toi, je me suis souvenu et je me suis senti vivant, empli d’espoir. Je ...

Il étouffe un sanglot dans une ultime gorgée de rhum. Joe empoigne sa vieille Telecaster balafrée et sourit à l’assemblée avant de la raccorder à un petit ampli que lui tend, oppinément, Antonio. Sat-urnino allume une cigarette, et sérieux, pose sur la table une série de passeports falsifiés par ses soins.

- Travis, nous avons tous rêvé d’être citoyens du monde. Je t’offre ces passeports, compadre. Vas, promène toi, le monde est à toi, comme à nous tous. Il y a d’autres Barcelone, à Hambourg, à

México, à Londres, à Paris, à Los Angeles.. - D’autres photos à prendre et bien d’autres livres à écrire, ajoute Antonio.

Un ré majeur claque dans l’air, alors que Joe at-taque Spanish Bombs par le refran :

‘Yo te Quiero Infinito, o mi corazon’

Ils le reprennent tous en coeur, sans que personne, dans le bar ne leur prête la moindre attention.

***

Travis range ses notes et ses photos dans leur po-chette de carton. Sa table s’est dépeuplée avec la fin de la chanson, dont les échos sont main-tenant dissous dans le brouhaha ambiant. Seuls quelques verres vides attestent d’un long moment passé dans ce bar, et implicitement lui désignent la sortie – demain est là, à la porte, et le futur n’est pas écrit.Il lui appartient d’y contribuer. Pour Antonio, Sat-urnino, pour Joe bien sûr, mais aussi pour Jesus et les Invisibles gitans, Raquel, Rina, les Invisibles artistes acharnés à colorer les murs de Barcelone, pour Boris et ses frères.

Pour Anemone.

Parce qu’il n’y a pas que de grandes révolutions, mais énormément de petites, et parce que si de-main le monde doit s’écrouler et le système rendre gorge, il ne faudra plus seulement convoquer le passé, mais dompter le présent et savoir être, en-fin, Invicibles.

POSTFACE

Un nombre incroyable de livres ont été lus pendant la gestation de celui-ci, mais en proportions moindres

que tous les disques, qui, directement ou non ont été mes compagnons durant tous ces jours. Ils peuvent devenir les vôtres durant la lecture de cet ouvrage, c’est pour cela que je les mentionne. Les livres, en premier, donc :- toute la saga d’Hector Belascoaran Shayne, ainsi que la bio de Che Guevarra, de Paco Ignacio Taibo II. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui emprunter deux de ses person-nages, enfin surtout un, Longoria. Il apparait dans ‘A quatre mains’, un savoureux roman faussement bordélique, et je suis bien content qu’il ait retrouvé une place, dans ces pag-es. Amador, lui, a existé au moins deux fois ; dans l’histoire de Barcelone des années 1910-20 et dans la ‘La bicyclette de Léonard’, du même auteur. Je ne voulais pas relire ‘Le Rendez-vous des Héros’, mais je n’ai pas pu résister, A l’heure où j’écris ces lignes, je lis ‘Archanges’. Je me per-mets de vous conseiller tous ces ouvrages.Dans la foulée, plongez vous dans les aventures de Pepe Carvalho, de Manuel Vàzquez Montalbàn et celles de l’inspecteur Mendez, de Francisco González Ledesma. Outre l’intérêt qu’on peut porter au polar, leurs descriptions de Barcelone méritent attention et respect. Elles dessinent elles aussi une cartographie parallèle de la cité. Il m’était im-possible de ne pas leur faire une petite place au Marsella, avec Travis et tous les autres. Enfin, à côté d’eux...

Question musique, les premiers à être cités sont les immen-ses Gaslight Anthem. Opportunément, la chanson ‘45’, qui traite justement, de la ‘deuxième face’ d’un symbolique 45 tours, m’a collée à l’âme durant tous les moments modelés par ce livre : durant la prise de vue, pendant la prise de note, pendant la relecture, et aussi durant les innomnbrables tra-jets qui m’ont conduits, puis arrachés, à Barcelone. Dans la foulée, impossible de passer sous silence ’Anemone’, des Brian Jonestown Massacre, les premiers albums d’Against Me! et ceux de Gene Vincent, des Fabulosos Cadillacs, et de la Mano Negra que j’ai retrouvée pour l’occasion. Du Clash, je crois avoir ré-écouté tous les enregistrements, pirates ou studio, mais Joe Strummer & the Mescaleros a tenu une place de choix durant cette longue année qui

a changé ma vie... Mais à tout le moins, je vous conseille d’écouter ou de ré-écouter les trois chansons qui ont tenu ce bouquin debout : ‘Spanish Bombs’ et ‘Guns of Brixton’, de Clash, et ‘Indios de Barcelona’ de la Mano Negra. Ah, j’ai failli oublier d’inscrire une mention spéciale pour Calexico, aussi, qui m’a tenu compagnie alors que je manquais de tout, et Johnny Cash et sa version, la seule, de ‘One’, qui résonnera encore quand j’aurai refermé ces pages.

Maintenant, il faut que je cite tous ceux à qui m’ont aidé à arriver jusqu’à ces lignes-ci. Tout d’abord, je voudrais re-mercier Raquel Bianchio et Amelie Brito, pour m’avoir prêté leurs appareils photos quand j’étais en manque, plus qu’en panne. Un quart de ce livre n’aurait pu être fait sans vous. Luc et Cecile Guillot : sans ma Gretsch, je n’aurais pas pu revenir au matin à l’écriture - j’ai fini bien des nuits en jouant de ma guitare, ce qui a permis à ma folie de perdurer tous cet hiver 2014-2015. Merci de m’avoir aidé à la récupérer. Merci à Xav d’en avoir pris grand soin durant tout le temps où nous avons été séparés. La dernière partie, qui con-cerne les Okupa, a été facilitée, sans le savoir, par Isabelle Fabre-Gary. En lisant cela, tu comprendras Isa. Merci, enfin, immensément, à Hugues Giannini, pour son inconditionel soutien et ses conseils, avisés ou non.

J’aimerais maintenant embrasser Véronique et Mathilde à Barcelone, et citer aussi, avant de terminer : Jose Cuervo, Jack Daniels, BlaBlaCar (pour tous les trajets), IDBus (hé oui!), Mmes Lecomte, Savio, Merabti et Géneaux. Un extra thanks à Jean Ginas, qui m’a récupéré un bon nombre de fois, et Mireille une fois. Mais quelle fois. Bouli, un fraternel merci pour les moments partagés autour de cette aventure, tu sais exactement de quoi il retourne. Merci également à Tania Schembri, pour le tatouage et la gentillesse jamais démentie. Merci Elodie,pour avoir été là, aussi quand il fallait. Où que tu sois maintenant. Dorothée, merci de m’avoir tenu compagnie, littéralement, durant les derniers jours. Je t’embrasse !Une dernière mention à Isabelle et Franck Livrieri, pour m’avoir accueilli et écouté.Sans vous tous, ce livre ne serait pas là, et moi non plus.

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