Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
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7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
1/7
Actes de la recherche ensciences sociales
Biographie et mosaque scientifiqueMonsieur Howard S. Becker
Citer ce document Cite this document :
Becker Howard S. Biographie et mosaque scientifique. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 62-63, juin 1986.
Lillusion biographique. pp. 105-110;
doi : 10.3406/arss.1986.2323
http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_62_1_2323
Document gnr le 12/05/2016
http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_62_1_2323http://www.persee.fr/author/auteur_arss_493http://dx.doi.org/10.3406/arss.1986.2323http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_62_1_2323http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_62_1_2323http://dx.doi.org/10.3406/arss.1986.2323http://www.persee.fr/author/auteur_arss_493http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_62_1_2323http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/ -
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
2/7
Howard
S Becker
BIOGR PHIE
La biographie
n'est pas
un matriau
ordinaireans
les sciences sociales, quoiqu elle
ait
certainsspects
des
donnes conventionnelles puisqu elle
tente
e
rassembler des faits utiles
la
formulation
de lahorie
gnrale
en sociologie.
Il
ne
faut pas l assimiler
l autobiographie classique,
bien
qu elle
partage avec
elle-ci la forme narrative, le discours
la
premire
ersonne et un
point
de
vue subjectif.
On ne peut
pas
a comparer
non
plus au roman, quoique les meilleursocuments biographiques comportent une sensibilit,n rythme, une
tension
dramatique
que
n importeuel
romancier
serait
heureux
d exprimer.
es diffrences
rsident,
la fois,
dans
la
Traduit de
l anglais
par
Suzanne et
Jean
PeneffT MOS QUE
SCIENTIFIQUE
Avec
Le
Paysan
polonais
(1),
William
Isaac
Thomas
etlorian Znaniecki
publirent
le
premier
documentiographique, en sociologie, qui reut une largettention. Clifford Shaw et ses collgues en
publirentlusieurs autres dans
les annes qui
suivirent
:
The
ack-Roller**, The Natural History
of
a Delinquentareer et
Brothers
in Crime. A la mme poque,
dwin Sutherland publia The Professional Thief
dont
e
succs ne
s'est pas dmenti***.
Depuis,
des
ocuments semblables
ont
paru de
temps
en
temps,
les plus
cents tant The
Fantastic Lodge et
Hustler (2).uand
The Jack-Roller fut
rdit,
il
y
a quelques
nnes,
on
me
demanda
d'crire
une introduction ete
profitai
de cette
occasion
pour rflchir la placee la mthode biographique
dans
la
sociologieontemporaine.
Howard
S.
Becker, The
Life
History and the Scientific
Mosaic,ntroduction
Clifford R.
Shaw, The Jack-Roller,
Chicago,he
University of
Chicago Press, 1966,
reprise
dans
H. S.
ecker, Sociological
Work, Hawthorne, N.
Y.,
Aldine,
1970
etew
Brunswick,
N.
J. Transaction Books, 1977,
pp. 63-73avec l'autorisation de l'auteur et de l'diteur).
ous
traduisons le
terme
life history
par
biographie.
Les
quivalents
franais
issus
d'une
traduction
littralehistoire de vie, rcit
de
vie, ne
nous
paraissent pas
atisfaisants.
Ils ne
suggrent
pas
la
responsabilit
du sociologue
dans'orientation
de la
recherche propos d'une
destine
ndividuelle. Ils
passent
sous
silence le fait que,
dans
le
travail de'tude d'une trajectoire
individuelle,
outre
la
part
deinterview,
il
y
a un travail sur
la base
des
donnes
extrieures
et
des
moignages d'autres
individus,
ce
qui distingue
la
biographie
u
simple
rcit
ou de l'autobiographie.
C'est
d'ailleurs ainsiue furent faites les
biographies
clbres de l'cole de Chicagoites par
Becker et c'est
pourquoi
ce
dernier
dcrit,
dans'article, les conditions
prcises de l'tablissement
de lifeistories.
Le
terme
biographie
rpond,
en
franais, relativementien aux
exigences
de
la double
ide :
matriau
issu
de laersion de la personne tudie et
celui issu
d'autres donnes
:nstitutions, tmoins, familiers,
etc.. Confrontation
qui
faitartie du
travail
du
sociologue.
Notons
que life
history
se
dit
ussi en amricain
de
l'histoire
d'une
institution ou d'unerganisation dont on se propose d'tudier
le dveloppement
ans
le
temps
(N
d
T).
W. I. Thomas et
F.
Znaniecki, The
Polish
Peasant
in Europa
nd America, New
York, A. A. Knopf, 2e dition, vol. 2 1927,p.
1931-2244.
-C. R.
Shaw,
The
Jack-Roller,
Chicago, The University
of
hicago
Press,
1930,
The Natural
History
of
a Delinquentareer, Chicago, The
University of
Chicago Press, 1931
et
rothers in Crime, Chicago, The
University of
Chicago
Press,
936 ; C.
Conwell et
E.
H.
Sutherland, The Professional
hief,
Chicago, The
University of
Chicago Press, 1937 ;
. MacGill
Hughes
(ed.), The Fantastic
Lodge,
Boston,oughton,
1961 ;
H.
Williamson, Hustler,
ed. by
R. L. Keiser,
ew York,
Garden
City,
1965.
perspective
partir de laquelle le travail est
entrepris
et dans
les mthodes
utilises. Le romancier
n est
videmment pas du
tout concern
par
les
faits, mais
plutt par l impact motionnel et
dramatique,
par la
forme
et
les
images, par la cration
d un
univers
symbolique dot d une
unit
esthtique. La fidlit
la ralit telle qu elle existe est,
pour
lui, seulement
un problme
parmi
beaucoup
d autres,
problme
secondaire pour
de
nombreux
auteurs.
L autobiographe
se
propose
de nous
raconter
sa vie et, ds lors,
s engage
maintenir une cohrence
entre
l histoire qu il narre et ce qu une investigation
objective
pourrait
dcouvrir.
Cependant,
quand
nous
lisons
une
autobiographie,
nous
sommes toujours
conscients que
l auteur ne nous
raconte
qu une
partie
de
son
histoire,
qu il
choisit les faits de manire
nous
prsenter
l image
qu il souhaiterait que
nous
ayons,
qu il nglige
ce
qui
aurait pu
lui paratre
mineur ou dsagrable, quoique
d un
grand intrt
pour
nous.
A l oppos de
ces
formes qui relvent* de
l imagination et de la subjectivit {humanistic form),
la biographie est plus
prosaque,
davantage soumise
aux objectifs
du sociologue qu
ceux
du narrateur,
moins concerne par la valeur artistique
que
par la
restitution fidle de l exprience du sujet et de son
interprtation du
monde o
il
vit.
Le
sociologue qui
recueille une biographie,
prend
des dispositions
pour
**La signification
du titre The Jack-Roller
est
donne par le
rcit de Stanley,
hros
du livre.
Il s'agit
du
nom
argotique
attribu
aux voleurs qui font les poches des individus ivres,
vids des boites de nuit de Chicago. La traduction exacte en
serait
Dtrousseur
d'ivrognes. Travail sans gloire et sans risques,
cette activit est situe,
aux yeux
des
dlinquants,
au plus
bas
de
l'chelle du
vol,
et est, en
principe, rserve aux voleurs
dbutants.
La
biographie
de ce dtrousseur d'ivrognes
qu'tait
Stanley, enfant,
comprend
dans
le livre
paru aux
Presses
de
l'Universit de Chicago,
en
1930, l'histoire de Stanley par
lui-mme (crite la
demande
de Clifford Shaw et obtenue
aprs cinq
ans
de
contacts
continus), l'histoire
de
Stanley
vue
par
les
institutions
dans
lesquelles
il
est
pass
(prison,
justice), l'histoire
de Stanley telle
qu'elle est analyse
par
les
sociologues Clifford Shaw
et
Robert Park,
et d'autres
documents
en
annexe,
pour comprendre
le
milieu
social
et la
dlinquance Chicago
cette
poque-l.
***Le
voleur
professionnel
a t traduit en
France
par
G. Serve et
publi
aux ditions Spes en 1963 (N d
T).
-
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
3/7
106
Howard
S. Becker
s assurer
qu elle
traitera de
toutes les
choses que
nous
voulons connatre, qu aucun vnement important
ne sera nglig,
que
les faits prsents comme
authentiques
cadreront avec
les
autres
tmoignages
disponibles, et que
les
interprtations du narrateur seront
donnes
correctement.
Le chercheur guide l interview
vers les
thmes
qui
intressent la sociologie
;
il
lui
demande de prciser
certains vnements ; il
vise
ce
que son rcit ne soit pas en dsaccord avec
les
rapports
tablis
sur
lui
par
les
institutions
o
il
est
pass, avec
les
tmoignages fournis
par
d autres
individus
qui
le
connaissent
ou qui
connaissent
les vnements ou les
lieux dcrits.
Le
sociologue
assure pour nous le
respect
des rgles du jeu.
Ce faisant, il
travaille
partir de
sa propre
perspective, une perspective
qui
insiste
sur
le ct
tmoignage
personnel. Cette perspective diffre de
celle d autres chercheurs en accordant une grande
importance
aux
interprtations
que,
dans la pratique,
les
gens donnent comme
explication
leur
comportement. Pour comprendre la conduite d un
individu,
on doit savoir comment il percevait la situation,
les
obstacles qu il
croyait devoir
affronter, les
alternatives
qu il voyait s'ouvrir devant
lui ;
on ne peut
comprendre
les
effets du
champ
des
possibilits,
des sous-
cultures de la dlinquance,
des normes sociales
et
d autres explications
de comportement communment
invoques,
qu en
les considrant
du point de vue de
l acteur.
Le dpartement de sociologie de
l Universit
de
Chicago dveloppa avec force cette perspective dans
les annes 1920. Presque toutes les tudes
utilisrent
des documents personnels. Fonde,
d un
point de vue
thorique,
sur la
psychologie sociale
de Georges
Herbert
Mead, applique
avec
succs dans
The
Polish
Peasant
et
vivement recommande par
Ernest W.
Burgess, la
mthode biographique
connut une grande
popularit. Ce fut
une des nombreuses formules du
travail sociologique qui
trouva sa
place dans le
programme de recherche du dpartement.
Ce
programme de recherche n'est pas issu
d une
thorie
axiomatique
bien structure,
mais
plutt
d une conception
des caractristiques des villes
et de
la vie urbaine
qui
a beaucoup imprgn la recherche
faite Chicago durant cette
priode
stimulante
qui
suivit
l'arrive
de Robert E. Park en 1916.
The Ghetto, The Gold Coast and the Slum,
The Gang
(3),
tous ces travaux faisaient partie du
projet de recherche ; comme en
firent partie
les tudes
cologiques
sur
les arrives
successives
de
groupes
ethniques Chicago,
sur
la rpartition de la
dlinquance juvnile, de la maladie mentale et d autres
formes
de
pathologie.
Dans
quelques
articles sur la
nature de la ville, sur le rle de la
communication
dans la vie sociale et dans les introductions aux
livres
que ses tudiants crivaient, Park formulait le projet
gnral
au
fur et
mesure qu il
se
ralisait.
Tout
tait
matriau pour la thorie
qui
se dveloppait. Et toutes
sortes d tudes
faites selon
des
mthodes
diverses
contribuaient
son
dveloppement
(4).
La
valeur
de chaque tude pouvait
donc
tre juge dans le
contexte de
l ensemble
de l entreprise et non comme
si elle
tait
isole.
3-L. Wirth
The
Ghetto, Chicago, The University of Chicago
Press, 1928
;
H. W. Zorbaugh, The Gold Coast and the
Slum :
a Sociological Study
of
Chicago's
Near
North Side,
Chicago,
The University
of
Chicago
Press,
1929 ; F. M. Thrasher,
The Gang : a Study
of
1 313 Gangs in Chicago, Chicago,
The
University of Chicago Press, 1928.
Quand je vins
pour
la premire fois San
Francisco, il
y
a
plusieurs annes,
et
queje
commenai
songer
faire de la
recherche,
j eus d abord le
rflexe de chercher le recensement statistique par
quartier, les monographies de communauts et
d institutions et d autres matriaux de
base
dont je
tenais l existence
pour
acquise quand je travaillais
Chicago. Mais
il
n'y
en
avait pas
:
personne
ne les
avait
raliss. Peut-tre parce qu aucun groupe de
chercheurs aussi
bien organis
que
celui
qui
dmarra
avec
Park dans les annes
20,
n avait
jamais exist
San
Francisco. Ces
chercheurs perurent
les
relations
entre les
divers sujets sur lesquels ils
travaillaient. Ils saisirent surtout les liens profonds et
troits
des problmes tudis avec la ville
en
gnral
et
avec
Chicago en particulier. Quel
que soit
l objet
tudi, le chercheur de
l cole
de Chicago postulait
que ses caractristiques
provenaient
en partie de la
singularit
et du genre de ville
o il
surgissait. Le
chercheur s appuyait, implicitement et
explicitement, sur
les connaissances dj
accumules, tandis
qu il apportait sa propre
contribution cette
mosaque
constitue
par la
thorie
de
la
ville
et
la
connaissance de Chicago que Park tait
en train
d laborer.
L image de la mosaque est
utile
pour rflchir
sur
une telle entreprise scientifique. Chaque
pice
ajoute
la mosaque enrichit un peu
plus notre
comprhension de l ensemble
du
tableau. Quand
beaucoup
de morceaux ont t
placs, nous
pouvons
voir, plus ou moins clairement, les objets et les
individus dans
le
tableau ainsi que
leurs
relations
rciproques. Des morceaux diffrents enrichissent
diversement notre comprhension
:
certains sont
utiles
pour
leur
couleur, d autres
parce
qu ils
permettent de discerner le
contour
d un motif. Aucun
morceau n a
un
grand
rle
et,
si
nous
n avons
pas
sa
contribution,
il
y
a d autres moyens de
parvenir
la
comprhension de
l ensemble.
Les tudes particulires peuvent ressembler
des morceaux de
mosaque
et elles
l taient
l poque de
Park. Le
tableau de la mosaque
tait
Chicago
:
la recherche
avait
un aspect ethnographique,
d tude
de cas, mme
si
la cit de Chicago tait vue
comme reprsentative de l ensemble
des
villes. Quelles
que soient
les
donnes
:
recensements, interviews,
rsultats
de
questionnaires
ou biographies, la
recherche
tenait
toujours compte
des particularits locales,
dcouvrant
les aspects
vraiment
caractristiques
du
Chicago
des
annes 20. En
faisant
cela,
les
tudes
ralisaient partiellement une mosaque dtaille et
de grande
complexit,
dont la ville elle-mme tait
le sujet, et ce
cas pouvait servir
tester une grande
varit de
thories
et
mettre
en
relation,
quoique
de
manire
imparfaite, une foule de
phnomnes
apparemment
distincts.
Notre attention s'est aujourd hui dtourne de
l ethnographie,
de l accumulation de
connaissances
portant sur
une aire
dtermine.
Nous
insistons,
aujourd hui davantage
que
par le pass, sur la
construction
de
thories
abstraites. L enqute
par
questionnaire
l chelle nationale est communment utilise
actuellement comme mode fondamental de
collecte
des
donnes.
Mais
surtout,
les
chercheurs
sont
de
plus
4 Voir
le compte
rendu fait par Everett C. Hughes de ce
grand
mouvement
d'investigation sociale,
in
: New Society,
31 dcembre
1964, pp. 18-19,
et
in : R. E. Park,
Human
Communities,
Glencoe, 111. The
Free
Press, 1952.
-
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
4/7
Biographie
et mosaque scientifique 107
en plus
mobiles,
se
dplaant
en
peu
d annes,
de ville
en ville et d universit en universit, ne
crant
aucun
fonds
de connaissances spcifiquement locales et ne
transmettant
donc aucun
fonds
leurs tudiants.
La tendance est
ne
plus faire
d tudes
de
communauts : il
n'y
aura
plus, ds
lors, de programmes
complexes d tudes
coordonnes comme celles
qui
produisirent
Yankee
City
series
(5) ou
Black
Metropolis (6). Et c est une grande
perte.
En
tout cas,
l apport
scientifique
d une
biographie
telle que The
Jack-Roller ne peut tre valu
correctement que
si on le replace
dans
le contexte
de toutes les tudes entreprises sous la direction de
Park
parce
qu elles
s appuyaient les unes
sur
les
autres,
exactement comme toutes les tudes
postrieures cet ge d or de la
sociologie
de
Chicago
dpendaient
un peu
de The Jack-Roller. Une grande
partie de
cet
arrire-fond qu une tude particulire
quelconque
aurait
eu
fournir elle-mme, ou pire,
propos duquel elle
aurait
d faire des hypothses
non vrifies, tait
dj
la
porte du lecteur
de
The Jack-Roller. Quand Stanley, son hros, parle
des
jeux
de
gamins
consistant,
pour
lui
et
ses
copains,
voler, nous savons
que
nous
pouvons
trouver
une
bonne description de ce phnomne dans
The
Gang
de Frederic M. Trasher. Et quand
il parle
du temps
qu il passait dans
West
Madison Street, nous savons
que nous pouvons
nous rfrer
au
livre
The Hobo
(7)
de Neis
Anderson
pour une
comprhension du
milieu dans lequel Stanley voluait alors. Si on
s'interroge
sur
la reprsentativit
du cas
de Stanley,
il suffit de
se
tourner
vers
les tudes
cologiques
menes par Clifford R.
Shaw
et Henry
D.
MacKay
(8)
pour voir le mme phnomne dcrit
sur
une grande
chelle
dans
les
statistiques.
D un
autre ct, si on
voulait
comprendre
les cartes
et
les
corrlations
prsente:,
dans
les
tudes
cologiques
de
la
dlinquance on pourrait lire The
Jack-Roller
et des
documents semblables.
Je ne connais pas avec certitude
les critres
pour juger de l apport d un travail
scientifique,
en
particulier par
rapport
son contexte global,
mais
je sais que ce
ne
sont pas ceux, actuellement
en
vogue,
qui
sont
tirs
du
modle de l exprimentation
contrle. Nous n escomptons pas, dans un programme
de recherche ample et diversifi, qu une partie
quelconque
du travail
nous donnera
toutes
les
rponses
ou mme la totalit d une rponse. Ce qui
doit
tre
jug,
c est l entreprise de recherche avec tous ses
lments
(on
peut, bien
sr,
valuer
les
biographies
avec
des
critres
tels
que
ceux proposs par Clyde
Kluckhohn,
Robert
Angell et John Dollard) (9). Les
5
Publi
en plusieurs
volumes par W. Lloyd Warner et ses
collaborateurs.
6 St Clair Drake
et
H. Cayton, Black Metropolis New York,
Harcourt, Brace
and co.,
1945.
7
N. Anderson, The Hobo,
Chicago, The University
of
Chicago
Press, 1923.
8-C. R.
Shaw et H. D. MacKay,
Juvenile Delinquency
and
Urban
Areas,
Chicago, The University
of
Chicago Press, 1942.
9
C.
Kluckhohn,
The
Personal
Document
in
Anthropological
Science in
:
L. Gottschalk et
al.,
The
Use
of Personal
Documents in History, Anthropology, and Sociology,
New
York,
Social Science Research Council, 1945, pp.
79-173 ;
R. Angel, A Critical
Review of
the Development
of
the
Personal
Document
Method
in Sociology 1920-1940, in :
L. Gottschalk, op. cit., pp. 177-232
;
J. Dollard, Criteria for
the Life History, New Haven,
Yale
University
Press,
1932.
critres permettant de dterminer dans
quelle
mesure
une
pice
de la mosaque contribue aux conclusions
autorises par la considration de
l ensemble, restent
encore
tablir,
et
on
a pourtant besoin de
ces
critres. A
dfaut,
on peut provisoirement apprcier
favorablement,
en
prenant The
Jack-Roller
comme
un
cas reprsentatif,
quelques-unes
des fonctions
remplies par
les documents biographiques.
Quelles
sont
ces
fonctions
?
D abord,
The
Jack-
Roller
peut
servir
de
pierre
de touche
pour juger
de
la
valeur de thories qui prtendent traiter de
phnomnes tels que la
carrire
dlinquante de Stanley.
Que
ce soit
une thorie
des origines psychologiques
du comportement dlinquant, une thorie de la
gense
de la dlinquance dans les bandes de jeunes,
ou bien une tentative
pour
expliquer la rpartition
de
la
dlinquance dans
la ville,
toute
thorie
sur
la
dlinquance doit, pour tre considre comme
valable,
expliquer
ou au moins tre compatible avec l histoire
de Stanley
telle
qu elle est rapporte.
Ainsi,
mme si
la biographie ne fournit pas, par elle-mme, de
preuve
dcisive
en
faveur
d une hypothse,
elle peut
tre
un
cas
ngatif
qui
nous
oblige
dclarer
inadquate
la thorie propose.
Dire
cela,
c est avoir un point de vue
sur
la
gnralisation scientifique qui mrite quelques
commentaires. Nous pouvons dcider d accepter une
thorie si elle
explique,
disons, 95 des cas
qui
sont
de
son
ressort. Beaucoup d minents
savants
le font.
A l'inverse, on peut dire qu une thorie
qui
n explique
pas tous les cas est
inadquate
et
que
des facteurs
autres que
ceux proposs
par la thorie sont
l uvre
pour produire le rsultat
que
nous voulons expliquer.
C est essentiellement
une
question
de stratgie. Si
nous admettons
comme normale l existence
d exceptions
toutes
les
rgles,
nous
ne
rechercherons
peut-
tre pas
d autres
facteurs explicatifs avec autant
d obstination
que dans
le
cas inverse.
Mais si nous
considrons ces exceptions comme des rfutations
potentielles de notre thorie,
nous
serons incits
les
examiner de
prs
(10).
Plus
fondamentalement, le
cas ngatif
aidera
une analyse
scrupuleuse
en
suggrant
la direction
que doit prendre la recherche (11).
L examen
du cas
ngatif
rvlera
des
proprits diffrentes de celles
de cas par
ailleurs
similaires, ou bien rvlera des
processus
dont les aspects n ont
pas t entirement
compris. Si
nous connaissons
le cas
assez
en dtail,
comme
nous
le permet un
document biographique,
notre
recherche
a
plus
de
chances
de
russir
:
c est
dans ce sens
que
la biographie est une utile
pierre
de
touche
pour la
thorie.
La biographie nous permet galement d aborder
des domaines contigus
celui de notre recherche.
Chaque
recherche dborde sur de nouveaux terrains
qu elle n explore
pas
fond,
sur
des domaines
importants
pour
ses
objectifs
principaux,
mais
dans lesquels
10 Voir,
par
exemple,
G.
H. Mead,
Scientific
Method and
Individual Thinker,
in
: J. Dewey
et
al. Creative Intelligence
New York,H. Holt and
co.,
19
17, pp. 176-227 et A. Lindesmith,
Opiate
Addiction, Bloomington, Ind., Principia Press, 1947,
pp. 5-20
;
Lindesmith
transforme
cette
stratgie
en une vritable
mthode
d'enqute
dsigne habituellement
comme induction
analytique.
11
Voir
pour une conception
identique, issue
de la
tradition
de l'enqute par
questionnaire,
P. L.
Kendall et
K. M. Wolf,
The Analysis
of Deviant
Cases in Communications
Research,
in
:
P. F. Lazarsfeld
and
F. Stanton
(eds),
Communications
Research 1948-1949, New York, Harper,
1949,
pp. 152-179.
-
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
5/7
108 Howard
S.
Becker
elle procde plus par
supposition
que par
investigation (12). L tude d une
universit,
par exemple, peut
et mme doit suggrer des hypothses sur
les
caractristiques de la ville, de l Etat et de la rgion, sur
l origine sociale,
l exprience de classe
des
tudiants
et
sur
une foule
d autres
choses susceptibles
d influencer le
fonctionnement
de l tablissement et
la manire dont celui-ci affecte les tudiants. L tude
d un hpital
psychiatrique
ou d une
prison
fera
surgir
galement
des
hypothses non
vrifies
sur
les
caractristiques des familles dont les membres chouent
dans
ces
institutions. La biographie
comme
ventuellement
d autres
types d information fournit
une base
pour
fonder ces hypothses dans la ralit
et une indication approximative de la direction dans
laquelle
se
trouve la
vrit.
En plus de ces raisons de voisinage, si l on peut
dire, la
biographie
peut
tre
particulirement utile
pour
clairer
le ct subjectif de
processus
institutionn ls
qui
ont fait l objet de nombreuses
tudes
et de
beaucoup d hypothses
non
contrles. Les
sociologues
ont
tard s'intresser aux
processus
de
socialisation
des
adultes
et,
pour
prendre
un
exemple
directement
li
l histoire
de Stanley, aux
processus
d avilissement et de
dpouillement
lis la
socialisation dans des institutions de redressement telles que
prisons
ou hpitaux psychiatriques (13). Quoique
les
thories s intressent plus l action
institutionnelle
qu
l exprience individuelle, elles supposent
un certain nombre de choses
propos de la faon
dont les individus subissent ces
processus
ou, au
moins, elles soulvent la question de la nature de
cette exprience.
Bien que
les expriences carcrales
de
Stanley
ne nous apportent videmment pas une
connaissance sre
de ces
problmes,
elles
nous
donnent
quelques
lments
pour
en
juger.
La
biographie, toujours
par sa richesse en
dtails,
peut tre
importante quand
et l o la
recherche stagne, ayant puis l analyse de quelques
variables
avec une
prcision toujours
accrue, mais
avec
un rendement dcroissant de la connaissance.
Dans ce cas,
les
chercheurs auraient intrt
continuer
par
la
collecte de
documents personnels qui
suggrent
de
nouvelles
variables, de
nouvelles
questions, de
nouveaux
processus ; les
donnes
riches, quoique
peu
systmatiques, de la mthode biographique leur
serviraient ainsi
oprer
la ncessaire rorientation
de leur champ d investigation.
Au-del de ces
contributions spcifiques
que la
biographie
est
susceptible
d apporter,
il
en
est
une
encore plus
fondamentale.
Plus
que
toute
autre
technique,
excepte peut-tre
l observation
participante la biographie peut donner un
sens
la notion
tellement utilise de droulement de processus.
Les sociologues aiment
parler
de
fonctionnement
de
processus, etc., mais leurs mthodes les empchent,
en gnral, de saisir concrtement
les processus
dont
ils
parlent si abondamment.
George Herbert
Mead,
si nous le prenons au
srieux, nous
apprend que
la ralit de la vie sociale
est un change de symboles significatifs au
cours
duquel les gens esquissent
des
actions et, ensuite,
12
Voir M. Gluckman (d.) Closed Systems
and Open Minds,
Chicago, 1964.
13
H. Garfinkel,
Conditions of
Successful Degradation
Ceremonies,
American
Journal
of
Sociology,
61, 1956,
pp. 420-424
;
et E. Goffman, Asylums, New York, Garden
City, 1961, pp. 127-169.
ajustent et rorientent leur activit
en fonction
des
rponses
(relles
ou imaginaires)
que
les
autres ont
faites
ces actions. La formation
d un acte individuel
est un processus dans lequel la conduite est
continuellement remodele
pour
tenir compte des attentes
des autres, exprimes dans la situation immdiate,
ou anticipes
par
l acteur. L activit collective dsigne
par
des concepts tels que organisation ou
structure
sociale
se
construit
partir
d un processus
continuel
d ajustement
mutuel
des
actions
de tous
les
acteurs impliqus. Le
processus social
n'est
donc
pas
un jeu imaginaire de forces
invisibles
ou une rsultante
de l interaction de multiples facteurs sociaux, mais un
processus observable
d interaction
symboliquement
mdiatise (14).
Observable
oui,
mais
pas facilement, du moins
dans
une
perspective
scientifique.
Observer
un
processus
social, comme Mead le
dcrivait, prend
beaucoup
de temps.
Cela pose
de
difficiles
problmes de
comparabilit et d objectivit
dans
le recueil
des
donnes.
Cela requiert une comprhension intime de
la
vie
des autres. C est
pourquoi les
sociologues
se
sont, en
gnral,
contents
de
techniques moins
exigeantes, tels
l'interview
et le questionnaire.
Je
pense
que ces
techniques
peuvent
beaucoup
nous
apporter,
mais seulement si nous sommes
capables de les relier
une reprsentation
du
processus
social
sous-jacent voqu par
Mead
et que
nous
connatrions si nous avions
des donnes
plus
adquates.
Nous pouvons, par exemple, donner aux gens un
questionnaire
deux priodes
de
leur
vie et, des
diffrences de leurs rponses, dduire un
processus
de changement sous-jacent. Mais notre interprtation
n'est
juste
que
si
notre conception du
processus
sous-
jacent est exacte. Et l exactitude de cette image
c'est--dire
la
conformit
du
processus
thorique
ce que
nous pourrions
observer si
nous
nous en
donnions le
temps
et la peine ncessaires peut tre
en partie atteinte par l usage des documents
biographiques. Une
biographie
bien faite
nous
donnera,
en
effet,
les dtails de ce processus,
sur
la
nature
duquel nous ne
pouvons, par
ailleurs, que spculer
;
or, c est ce
processus
que
nos donnes doivent, en
fin de
compte,
tre rfres
pour
avoir une
signification
thorique, et non
pas
seulement opratoire et
prdictive. La biographie dcrira ces squences
cruciales
d interactions
dans lesquelles de
nouvelles
voies
de
l action
collective
et individuelle
sont
forges,
dans lesquelles de nouveaux
aspects
de la personnalit
surgissent.
C est donc
en
donnant
une
base
concrte
notre image du
processus
sous-jacent
que
la
biographie permet de
vrifier
des
hypothses,
d clairer une
organisation et de
rorienter des
recherches qui
pitinent.
Mais
le
plus
grand
service rendu
la sociologie
par
un document
tel
que The
Jack-Roller
est peut-
tre celui qu il
rend
aussi tous
ceux qui
ne sont pas
sociologues. David Riesman a dcrit la science
sociale
comme
tant,
pour une
part,
un
dialogue
entre
des
classes
sociales (15).
Elle montre aux gens les modes
14-Voir
G. H.
Mead,
Mind,
Self
and
Society, Chicago,
The
University
of
Chicago
Press,
1934
;
H.
Blumer,
Society
as
Symbolic Interaction, in
: A. Rose
(ed.), Human Behavior and
Social Processes,
Boston,
Houghton, 1962, pp. 179-192
;
et
A.
L. Strauss et
al.,
Psychiatric
Ideologies
and
Institutions
New
York,
Free
Press, 1964,
pp.
292-315.
15D. Riesman,
Abundance
for What
?
New York, Garden
City, 1965, pp. 493-494.
-
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
6/7
Biographie
et mosaque scientifique 109
de vie de fractions de la socit avec lesquelles ils
n auraient jamais eu de contact autrement. La
biographie en tant qu histoire de la personne
par elle-
mme, est un message vivant et
chaleureux,
nous
racontant
ce que
cela
implique d tre
un
type de
personnage
que
nous n avons jamais rellement
rencontr. Par rapport la
plupart
des autres
socits,
les
USA ont
la
chance
d avoir
moins de barrires
sociales
sous forme de groupes cloisonns et de rgles
contre
toute interaction
externe.
Nanmoins,
les
distances entre classes sociales, entre groupes
ethniques, et
entre classes
d ge
sont
telles qu il
est difficile,
pour
la
plupart
des sociologues (laissons
de ct ceux dont le travail n incite
pas
cette
connaissance), de comprendre ce que signifie vivre la
vie d un
drogu noir
ou d un dlinquant
polonais.
Discutant des
causes
de l abstraction et du
formalisme
excessif
de la
sociologie latino-amricaine,
Johan Galtung suggre
la
fonction
de cette
connaissance dans la dmarche scientifique. Il affirme
que
la
socit latino-amricaine est
stratifie
de faon plus
rigide, la
fois
horizontalement et verticalement,
que
les
socits
de
l Europe
du
Nord
et
de
l Amrique
du Nord.
Cela
signifie que le Latino-amricain, quand
il fera de la sociologie,
n aura
jamais
eu
l interaction
informelle
avec
les membres d autres classes ou des
parties de la socit
que,
dans
d autres pays, les
jeunes gens ralisent, grce
aux
voyages,
aux emplois
d t ou d autres choses de ce genre. Il en rsulte,
selon
Galtung,
que
les prjugs
sur
les caractristiques
des autres
membres de la socit ne
sont
jamais
directement confronts
avec
la
ralit
sociale. Les
sociologues
qui n accepteraient
jamais l ide que la
seule
chose
qui les
fait agir
est
simplement
le
dsir de
gagner
de l'argent, peroivent
sans difficult
les
capitalistes comme
intresss
seulement
par
le
maximum
de
profit
pour
le
minimum de
travail,
et
pareillement
pour les motivations
des travailleurs. Une
connaissance plus intime des individus
rvlerait
pourtant
des nuances dans
les conduites
ainsi qu une
plus grande
varit des mobiles, mais
la raret
des
expriences sociales
des sociologues empche ceux-ci
de
les
apprhender.
De l
vient
l engouement pour
l ide de l alination
des
classes populaires :
sans
nier
la
ralit de
cette
dernire,
la raison qui maintient
l image de l alination des travailleurs est l alination
de l intellectuel lui-mme au regard de sa propre
socit et
certainement
au
regard
de la classe
ouvrire (16).
En
offrant
cette
ouverture
sur
une
culture
et
une
situation gnralement inconnues
des intellectuels,
et
des sociologues
en particulier, The Jack-Roller
nous permet d approfondir notre thorie
:
en nous
mettant
la place
de Stanley,
nous
pouvons
ressentir
et prendre conscience des biais au travers desquels
nous apprhendons d ordinaire
cette population et
qui
dterminent
les
types
de
problmes que
nous
tudions.
En entrant vraiment dans
la vie de
Stanley,
nous pouvons commencer prendre conscience de ce
que nous tenons, et que
nous ne
devrions pas
tenir
pour acquis, lorsque nous laborons notre
problmatique
: les
prjugs
sur
les
dlinquants,
les
quartiers
pauvres
et
les
Polonais,
prjugs
qui
sont lis la
manire
dont nous posons
les
problmes.
Si nous
voulons
en tirer
profit,
l'histoire de
Stanley nous
16
J. Galtung,
Los
factores socioculturales y
el
desarrollo del
Sociologa en America latina, Revista Latinoamericana de
Sociologa, 1 mars 1965,
p.
87.
permet de commencer
questionner la dlinquance
du point de vue du
dlinquant.
Si
nous prenions
Stanley au
srieux,
comme
son histoire
nous
incite
le faire,
nous pourrions soulever
une
srie
de
questions qui
ont t
relativement peu tudies :
questions sur
les
gens
qui
s occupent des
dlinquants,
les tactiques
qu ils
emploient, leurs ides
sur
le
monde, les contraintes et les pressions auxquelles
ils sont exposs.
De
telles
tudes commencent
seulement
maintenant
tre
faites.
Une
analyse
approfondie du livre The Jack-Roller et de
documents
semblables
pourrait
nous fournir un large ventail
de questions poser quand nous considrons les
rapports
entre les policiers, juges,
gardiens de prison
et les dlinquants.
Etant donn la diversit des utilisations
scientifiques possibles
de
la mthode biographique,
on doit
s tonner de son relatif dclin. Les sociologues, il est
vrai,
n'y ont
jamais
renonc
tout
fait. Mais, ils n en
ont pas fait
non
plus un de
leurs
instruments
usuels
de
recherche. Ils
lisent les documents disponibles et
exigent de leurs tudiants qu ils les lisent. Mais
habituellement,
il
ne
leur
vient
pas
l ide
de
collecter
eux-mmes
des
documents biographiques ou de
faire
de cette technique une composante de leur dmarche.
Un certain nombre de
changements simultans
ont
probablement
acclr
le
dclin de
la mthode
biographique.
Les sociologues, proccups de plus
en plus par le
dveloppement
de la thorie
abstraite,
furent
donc de
moins
en moins
intresss par des
comptes
rendus dtaills sur des
organisations
et des
communauts
particulires. Ils
recherchrent
des
donnes formules dans
les
catgories abstraites de
leurs
propres thories, plutt que dans
les
catgories
qui
paraissaient les plus pertinentes aux gens qu ils
tudiaient.
La
mthode biographique
convenait
bien
ce
dernier
objectif
mais tait
d une
faible
utilit
pour
le premier.
Au
mme moment,
les
sociologues
commencrent
sparer le champ de la psychologie
sociale
de
celui de la sociologie proprement dite, crant
deux
spcialits au
lieu
de deux orientations
dans
un
mme
domaine
et ils insistrent plus sur
les variables
structurelles
et
les
analyses synchroniques
fonctionnelles
que
sur
les
facteurs
qui se
manifestaient dans la
vie et l exprience de l individu. Ici aussi, la
biographie
apporte une contribution
notable au
second
objectif,
mais semble
inadapte dans le cadre d tudes
insistant sur
les
proprits de groupes sociaux et
leurs
connexions.
Mais
la raison majeure
du faible
usage
de
cette
technique est peut-tre qu elle ne produit pas le type
de rsultats que
les
sociologues
attendent
d une
recherche
aujourd hui. A
mesure que
la
sociologie
s'est institutionnalise et professionnalise, l accent
s'est
port
de plus
en
plus sur ce que
nous pouvons
appeler, pour simplifier,
l tude
isole {single study).
J'utilise ce terme
pour
dsigner des recherches
qui,
conues
comme
autonomes et indpendantes,
fournissent tous
les lments
de preuve
ncessaires
pour
accepter ou
rejeter
les conclusions
avances et dont
les rsultats
doivent
tre vus comme une nouvelle
brique
qui
s ajoute
au
mur
de
la
science
en
construction (cette mtaphore
est
tout
fait
diffrente
de
celle
de la
mosaque).
L tude isole est intgre
au corps principal des
connaissances de la manire
suivante
:
elle tire d abord ses hypothses
d un
examen de ce
qui
est
dj
connu
; puis,
quand la
recherche est ralise, si
ces
hypothses
ont t
-
7/26/2019 Howard Becker Biographie Et Mosaique Sc
7/7
110 Howard
S.
Becker
confirmes, elles sont
ajoutes
au
mur
de ce
qui est
scientifiquement
connu et
utilises
comme base
de recherches ultrieures. L important est ici
que
les hypothses
sont
confirmes ou
infirmes
partir
de ce
qui
a
t
dcouvert au cours de cette parcelle
de recherche.
Toutes les habitudes, les
traditions
et les
pratiques institutionnelles
de la
sociologie
contemporaine
concourent
nous
faire
adopter
ce
point
de
vue.
L article
de
revue
de
longueur
constante,
moyen
le plus ordinaire de la communication
scientifique,
est conu
pour
la prsentation de rsultats
qui
confirment ou rfutent
des hypothses. En ce
qui
concerne la
thse, on exige que son auteur
obtienne
des rsultats fonds
sur
ses propres
travaux,
qui
produisent
des conclusions susceptibles d tre
dfendues
devant
un jury. Une
autre
forme
frquente
de littrature sociologique, la demande de
subvention,
conduit son auteur
formuler ce que son
projet
aura
dmontr quand l argent aura
t
dpens.
Quand
nous
faisons
un projet de recherche ou
quand
nous
jugeons
une recherche acheve, si nous
prenons
l tude isole comme modle
du
travail
scientifique,
nous
utiliserons des
critres destins
s assurer que
les rsultats de cette recherche
constituent
bien une base solide
pour accepter
ou
rejeter
les hypothses.
Les normes de
raisonnement
et de
preuve actuellement la
mode
expriment cette
tendance.
Des mthodologues
tels que
Samuel A.
Stouffer et ceux
qui
l ont suivi,
ont
dvelopp des
techniques pour
tester des hypothses
qui
sont
fondes sur le
modle
de l exprimentation
contrle (17)
:
on compare
deux
groupes avant et
aprs une
exprience,
l un
ayant t expos
l influence d une variable et l autre pas. Les
multiples
comparaisons
rendues
possibles
par
cette
technique
permettent
de
tester
non
seulement l hypothse
initiale,
mais
aussi d autres explications plausibles
des mmes rsultats, si ces
derniers
correspondent
ce qu on
avait
pronostiqu. Tel est le modle
consacr. Si nous ne le ralisons pas, notre tude
est mauvaise, moins
d imaginer
une solution de
remplacement accessible.
Si
nous le
ralisons,
nous
affirmons
avec
certitude
que
nous avons produit
des rsultats
scientifiques assez solides pour
supporter la
charge d tudes
ultrieures.
Quelle que
soit
leur utilit
ventuelle
dans
divers contextes, les
critres
tirs du
modle
exprimental
et utiliss
pour valuer sparment
les tudes
isoles ont eu au moins une consquence
nfaste. Ils ont amen
les
sociologues ngliger
les
autres fonctions
de la recherche
et,
en
particulier,
ne
pas reconnatre la
contribution d une tude
un projet de recherche global, mme quand cette
tude,
considre
part, ne produit pas, par elle-
mme, des rsultats dcisifs. La
mthode
biographique ne donnant pas, au regard de ces critres,
de rsultats dfinitifs,
les
chercheurs
n ont su
comment
l'utiliser
et bon nombre
d'entre
eux
ont
refus
d'investir le temps et l'effort ncessaires
pour
recueillir des
documents biographiques.
Nous pouvons
esprer
peut-tre qu une
meilleure comprhension de la complexit de la
dmarche scientifique
redonnera aux sociologues le
sens de la valeur et des avantages multiples de la
mthode biographique.
Une
nouvelle srie
de
documents personnels comme ceux
produits par
l cole
de Chicago, il
y
a plus d une gnration,
pourrait
nous aider
dans toutes
les
directions que
j ai dj
suggres
et aussi dans de nouvelles directions
qui
restent
dfinir.
17
Voir l'article
de S. A. Stouffer, Some Observations
on
Study Design, American Journal
of
Sociology, 55, janvier
1950,
pp.
355-361,
qui
a
eu
une
grande
influence
;
voir
aussi
n'importe
lequel
des nombreux
livres et
articles sur
la
mthode
qui ont la mme position.