HISTOIRE

DU CHÂTEAU DE DORTAN

© HISTORIC'ONE 1999. ISBN : 2-912994-06-3

Reproduction interdite des archives privées sans autorisation du propriétaire et des Amis du Château.

HISTOIRE

DU CHÂTEAU DE DORTAN

Paul CATTIN Catherine BISCHOFF

Ferdinand de LACOMBE K. ROUX

Marius ROLLET Patrice LANDRY

Christian LOCATELLI

P R É F A C E

Paul CATTIN - Directeur des Archives

départementales de l'Ain

Restaurer un château, c'est lui restituer son corps, en écrire l'histoi- re, c'est lui rendre son âme. Accomplir cette double tâche, c'est le res- susciter dans toute sa personnalité.

Le château de Dortan qui revient peu à peu à la vie, passait pour avoir été « bâti sous l'influence d'une mauvaise étoile » pour reprendre l'expression du baron Raverat. Plusieurs fois en effet il faillit dispa- raître : au XIII siècle, il fut violemment contesté entre l'abbaye de Saint-Claude et les seigneurs de Thoire-Villars. Au XIV une querelle opposa Renaud de Dortan à son suzerain qui voulait détruire son nou- veau donjon. Au XVII on fut de même sur le point de le raser entiè- rement et de semer du sel sur son emplacement après la «trahison » du seigneur, partisan des Comtois contre le roi de France. Puis vint la Révolution qui le malmena durement en détruisant une partie des tours. Enfin, après une période faste, sous le Second Empire, grâce au riche soyeux lyonnais Noël Lemire, il tomba peu à peu dans l'abandon et fut en partie dépecé de ses richesses. La végétation commençait même à le prendre d'assaut et il semblait répéter tristement, au gré des vents qui s'engouffraient dans ses vieilles toitures, l'antique devise des seigneurs de Dortan : « Mieux j'attends ».

Cet appel au secours fut entendu en 1973 par un homme passionné, Marius Rollet, qui, sans prêter l'oreille aux propos décourageants de gens trop sages, entreprit la restauration du vieux manoir avec la foi et l'opiniâtreté des chevaliers du Moyen Âge, épaulé par de fidèles amis qui se constituèrent en association.

Alors, tel un morceau informe de buis qui se transforme peu à peu en une belle pièce d'échec sous la main habile du tourneur, le château délabré devint, au fil des ans, l'une des pièces maîtresses du patrimoi- ne bugiste, sertie dans l'écrin de son magnifique parc. Maintenant la restauration se poursuit encore, inlassablement, et proche est le temps

où les vers de Tancrède résonneront à nouveau dans la grande salle des chevaliers, et les chants religieux dans la magnifique chapelle de Sainte-Marie Perrin.

Cependant il manquait encore un supplément d'âme à cet antique manoir, car son histoire riche et mouvementée restait mal connue. Nous saluons donc ce nouvel ouvrage avec joie. Il reprend les études antérieures, les corrige, les complète et poursuit le récit jusqu'à nos jours. Il devrait contenter le lecteur le plus curieux.

Pourtant tout ne figure pas dans ce livre, et nous ne saurions trop inciter les amoureux du château et de son histoire à rejoindre sur place les milliers de visiteurs qui viennent écouter le maître des lieux. Car Marius Rollet, restaurateur passionné, est aussi un conteur pas- sionnant. Il est aussi intarissable que les eaux limpides qui surgissent des profondeurs mystérieuses de sa magnifique source d'azur où je le soupçonne de puiser en secret la plus belle part de son inspiration !

L E S A M I S D E D O R T A N

Catherine BISCHOFF - Présidente de l'Association

Lassociation des Amis du Château de Dortan fut créée en 1975.

Monsieur Charley VAUCHIER en fut le premier président. Madame Vicent DOUCET-BON lui succéda. À son décès, Madame Solange SALVY prit la relève et fit un travail

considérable pour l'animation culturelle de l'Association.

La nouvelle équipe est heureuse de partager avec vous cet événe- ment important et attendu qu'est la parution de cet ouvrage. Toute la passion et tout l'amour de Monsieur ROLLET pour l'histoire de ce lieu ont enthousiasmé l'Association des Amis du Château qui aura à cœur d'y multiplier les animations culturelles afin de faire revivre l'âme de ces vieilles pierres, et de partager, avec le plus grand nombre, la cha- leur de son accueil et l'émotion de son histoire. Et si Homère nous conseille « laissons le passé être le passé », l'Association des Amis du Château de Dortan vous invite à l'aider à transmettre, au troisième millénaire, ce patrimoine culturel attachant.

Bonne lecture à tous.

H I S T O I R E D U C H Â T E A U D E D O R T A N

vue par Ferdinand de LACOMBE - 1868

I

Le Christianisme, en répandant la civilisation dans les Gaules, repeupla ses déserts et les rendit à l'agriculture et à la vie. C'est ainsi qu'un pieux anachorète fondait l'abbaye de Saint-Claude, au sein des sauvages solitudes du Jura et attirait autour de ce centre fécond une émigration de montagnards qui jetèrent sur un sol naguère stérile les éléments d'une ville industrieuse et prospère.

Labbaye de Saint-Claude acquit ses premières richesses au prix d'un labeur patient, le défrichement d'une terre rocailleuse et couverte d'épaisses forêts. Quand elle fut devenue célèbre, les princes bur- gondes et les rois carlovingiens contribuèrent par d'immenses libéra- lités à l'éclat de sa haute fortune. Au XIV siècle, son patrimoine s'étendait sur une région d'une ampleur princière.

Maître de tels domaines, l'aristocratique et opulent monastère dut assumer toutes les charges de la souveraineté, et répondre par les armes aux agressions de ses voisins. Il édifia des châteaux forts pour sa défense et les peupla de gens de guerre. Après avoir fortifié les pas- sages qui conduisaient à son territoire du côté de la Suisse, d'où par- taient surtout les hostilités, il songea à se protéger du côté opposé et hérissa de forteresses les crêtes des montagnes : alors surgirent les châ- teaux de la Roche-Jean, Dortan, Oliferne, Châtel-Blanc, Arbent, Châtillon-Michaille et Moisant.

Vers le commencement du XVII siècle, ces citadelles s'écroulèrent dans les flammes ou sous le fer des armées royales, dont la mission était d'assurer la libre domination du Bugey à la couronne de France ; à peine en subsista-t-il quelques pierres pour attester à la contrée leur ancienne et éphémère puissance.

Un seul de ces châteaux survécut à tant de ruines : ce fut celui de Dortan. On suppose qu'il dut sa conservation au peu de crainte qu'il inspirait à l'artillerie ; elle peut, en effet, prendre facilement position

GÉNÉALOGIE DES DE DORTAN

GÉNÉALOGIE DES PROPRIÉTAIRES

Déclaration du comte de Bussolin, Maistre de camp pour sa majesté le roi d'Espagne

(début de l'année 1637)

Comme nos armes sont fondées sur les justes devoirs que nous avons au service du roy et à sa justice d'une cause qui vise à la conservation d'une province, laquel- le possède fidélité héré- ditaire et professe la gloire des divins autels en son armement et qu'ensuite nous sou- haitons conformer tous nos desseins à ce but et

les y terminer comme les lignes en leur centre, nous avons reconnu estre obligez de faire naïve déclara-

tion du juste suject que nous avons eu d'expo- ser à l'outrage des sol- dats et aux rigueurs des armes le bourg de Alban (Arbent).

Il est donc vray qu'ayant jugé le chas- teau de Dortans un poste advantageux' à notre armée tant pour le passage que pour la conservation des places frontières, nous l'avons attaqué à vive force et emporté et, sur l'advis que l'ennemy avoit rallié toutes ses troupes et prenoit la campagne pour se camper dans le dict bourg de Alban, distant à demy lieue du dict Dortans, et en faire sa place d'armes pour blocquer et battre la place,

nous avons creu que nous devions prévenir leur dessein en nous empa- rant les premiers.

A cet effect nous l'avons faict sonner par deux trompettes et trois tam- bourgs successivement, leur offrant favorable traictement en conservant l'honneur des femmes et, à tous ensemble la vie, sans embrasement ny pillage. Mais les assiegez, violants tous droicts de guerre ont combattu hostilement les tambourgs et trompettes à grands coups de mousquets perçant à jour les premiers, et enflez du nombre de quatre cents soldats de recrue qui leur estoient fraischement arrivéz, ils ont vomy toutes les plus atroces injures contre le roy et noz choses de guerre qu'oncques la rage permit jamais à l'insolence. De quoy justement irritez et nos senti- ments liés à la martiale résolution de noz soldats, nous les avons choc- qué à teste baissée et à main forte, donné un assaut général avec si heu- reux succès qu'en peu de temps nous avons enfoncé leurs barrières, gai- gné leurs retranchements, emporté la place et par suitte de soldats estin- celans de fureur tout a esté mis en feug et ensevely dans ses propres ruynes. Ainsy les assiégés se sont attirez ce rude traittement et eux mesmes ont attisé la flamme qui les a embrasé au contrepoix de notre inclination comme on peut vérifier par nos déportements es lieux de passage sur les ennemys que nous avons traitté humainement, sans désordre ny oultrage et notamment en la prinse de Dortans où le seul honneur de nos armes a esté l'object de ceste conqueste, évoquant la preuve au mesme seigneur de la place que nous avons avec sa femme mis en liberté, sans exiger d'eux aucune rançon ny moins proffité de leur moyen, jusques à soigner la conservation de tous leurs papiers et pour les filles et femmes, nous y avons procédé hors de reproche, de honte, ayant faict capital de protéger leur honneur. En somme, comme notre guerre est en justice, nos actions prendront tousjours la mesme trempe et porteront le caractère de l'honneur et du corage pour pousser noz armes chez nos annemys comme dans une moisson de gloire.

Déclaration des habitants de Bonaz et Chatonaz sur leurs pertes pendant la Guerre de Dix Ans (19 mai 1642)

Durant la Guerre de Dix Ans, les populations riveraines de la Franche-Comté ont à subir les exactions des belligérants. Ce document se rapporte à une piquorée éxécutée par des Comtois sous les ordres d'un lieutenant de Lacuson dans Bonaz et Chatonaz tenus par les Français. Ils viennent deux heures avant le jour et saccagent tout. Dans ces deux villages, les Comtois volent le bétail (28 bœufs, 23 vaches, 12 taureaux, 9 génisses), 31 écus dans les poches des paysans et tous les meubles ; ils trucident un récalcitrant, en blessent plusieurs autres et emmènent deux prisonniers avec eux. Les sinistrés déclarent les dommages le 23 mai 1642 au notaire Goyffon, instrumentant dans le château de Dortan.

P r o c è s d e F r a n ç o i s , d e r n i e r s e i g n e u r d e D o r t a n

Plus brigand que gentilhomme, François de Dortan lance une opération de commando contre la demeure d'un paisible habitant d'Oyonnax, Jean-Louis Brunet, pour la piller et faire subir quelques sévices à son épouse en l'absence du maître de céans. Brunet avait servi comme cavalier dans la compagnie du seigneur de Dortan puis avait sollici- té son congés et était rentré dans son foyer espérant goûter le bonheur familial auprès de son épouse. Dans la nuit du 14 au 15 février 1696, trois hommes, armés de pistolets et de fusils, font irruption dans la maison et y mènent grand tapage, déclarant à la maîtresse de mai- son qu'ils sont envoyés par le seigneur de Dortan. Un inconnu pénètre à son tour dans la demeure, attiré par le bruit, et ordonne aux agresseurs de quitter les lieux. Au lieu d'obéir, les occupants entrent dans la cuisine. Un coup de pistolet part soudain et Balthasar Allégret, valet de chambre de Dortan, s'écroule touché à mort. François de Dortan qu'on est allé prévenir arrive dans les meilleurs délais pour diriger les opéra- tions de pillage. On sort de l'écurie, six bœufs et sept vaches dont quatre sont attelées à un chariot et l'on charge deux coffres bahuts fermés à clé. Pendant ce temps-là, la femme de Brunet tente de s'éclipser mais quatre soldats l'entourent et l'un lui ayant appliqué un fusil sur l'estomac lui dit : « bougresse de chienne, bougresse de putain, il faut que nous te lions et t'emmenions à Dortan ». Seule l'intervention du curé, appelé pour administrer les derniers sacrements au valet, empêche les hommes de guerre de mettre leur menace à exécution. La pauvre femme parvient à rentrer chez elle, mais François de Dortan et six hommes pénètrent à nouveau dans la maison, ligotent la malheureuse et menacent de la pendre. Au bout de deux heures d'angoisse, elle est libérée par une passante qui obtient qu'on la délie et la permission de la reconduire chez elle. L'expédition se termine finalement avec le pillage en règle du mobilier et des effets de la famille Brunet.

Cette tragique affaire trouve sa conclusion devant « la table de marbre de Dijon ». François de Dortan est condamné à raser son château mais échappe à la sentence en le vendant à Pierre Gauthier, en 1703.

(ci-dessous) Sentence contre François de Dortan

Inventaire des pièces du procès entre les Gauthier, seigneurs de Dortan et les Budé, seigneurs de Montréal

1721-1767

Pièces du procès entre Léonard Gauthier, seigneur de Dortan contre Claude Robin, marchand de Dortan

1770-1773

REMERCIEMENTS

Le livre que nous avons réalisé n'a pu s'écrire sans l'aide d'amis.

Merci à Madame Gouby, fille de Monsieur et Madame Roux qui nous a donné l'autorisation de rééditer le livre de sa maman ;

Merci à Monsieur Lucien Guepe qui nous a offert le livre « La vie à la cam- pagne » ;

Merci à Monsieur Paul Cattin, directeur des Archives départementales de l'Ain ;

Merci aux Amis du Château des Allymes ; Madame Ulmann ; Monsieur Pierre Dupont et Madame F Malbran Labat qui nous ont décrypté les signes cunéiformes ;

Merci à notre neveu Albert Poirot, inspecteur principal des Bibliothèques de France ;

Merci à Monsieur Pierre Brunet de Mongneniens qui nous a traduit les actes et pièces écrites en vieux français ;

Merci aux Amis du Vieux Saint-Claude qui nous ont envoyé la Picorée faite à Bonaz par un lieutenant de Lacuson ;

Merci aux Amis du Château, à sa présidente Catherine Bischoff pour l'aide précieuse qu'ils nous apportent ;

A sa dissolution l'Association créée lors de la construction de l'A.40, a versé un don aux Amis du Château de Dortan. Un grand merci à Monsieur Gaillard, directeur des travaux et père de notre éditeur et à Madame Rothenmacher.

Merci à vous tous qui avez souscrit et qui nous avez permis de réaliser ce rêve « Écrire et faire connaître l'histoire du château de Dortan ».