HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE || A la recherche du héros espagnol

13
Presses Universitaires du Mirail A la recherche du héros espagnol Author(s): Carlos SERRANO Source: Caravelle (1988-), No. 72, HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE (Juin 1999), pp. 45-56 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40853632 . Accessed: 15/06/2014 08:29 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Transcript of HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE || A la recherche du héros espagnol

Presses Universitaires du Mirail

A la recherche du héros espagnolAuthor(s): Carlos SERRANOSource: Caravelle (1988-), No. 72, HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE (Juin 1999), pp.45-56Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40853632 .

Accessed: 15/06/2014 08:29

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCaravelle (1988-).

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

C.M.H.LB. Caravelle n° 72, pp. 45-56, Toulouse, 1999

A la recherche du héros espagnol PAR

Carlos SERRANO

Université de Paris W-Sorbonne

L'Espagne a peu célébré ses héros par des monuments ; ou, du moins, l'a-t-elle fait tard. Pour ce qui est de la capitale, Angel Fernández de los Ríos, au chapitre sur les « Monumentos, arcos, obeliscos, estatuas, lápidas murales, puentes » de sa Guía de Madrid. Manual del madrileño y del forastero^, pouvait ainsi écrire :

Entrado estaba el siglo XIX, treinta y cuatro años hacía, y aún no se veía en las plazas y calles de la capital de España un solo monumento, una sola estatua, un solo busto consagrado a los grandes hombres de patria tan fecunda en ellos.

Et, un peu plus loin, soulignant l'inexistence d'une politique monu- mentale des rois de la Maison d'Autriche, il ajoutait :

levantaron los que les sustituyeron estatuas a los dioses antiguos Apolo, Neptuno y Cibeles, pero tampoco se cuidaron de que el mármol o el bronce glorificara siquiera a Pelayo, el que fundó la monarquía; al Cid, el caudillo que realizó la reconquista; a Colón, el descubridor de un nuevo mundo: cuando Felipe III gastaba el dinero en una estatua ecuestre de su persona, se moría Cervantes de miseria; cuando Felipe IV se hacía levantar otra, arrastraba Quevedo grillos en San Marcos de León [...].

Ce qui était vrai de Madrid l'était aussi le plus souvent en province : « Je n'ai pu trouver dans Cordoue une vie du Grand Capitaine ni un seul monument élevé à sa mémoire », s'étonnait ainsi le Marquis de Custine, en mai 1831, lors de la visite qu'il fit à la ville andalouse durant son voya- ge en Espagne2. Mais il y a, toutefois, quelques exceptions à ce désintérêt

1 Angel Fernández de los Ríos, Guía de Madrid. Manual del madrileño y del forastero, Madrid, oficinas de la Ilustración Española y Americana, 1876; reed. facsímil., Madrid, Abaco ed., 1976, p. 187. 2 Marquis de Custine, L 'Espagne sous Ferdinand VII, rééd. Paris, Ed. François Bourin, 1991, p. 191.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

46 CM.H.LB. Caravelle

ancien pour le culte du Souverain ou du Grand Homme. Ainsi, le petite ville basque de Getaria (orthographe actuelle de l'ancienne Guetaria) a élevé, dès 1 800, semble-t-il, une statue à son héros local, Juan Sebastian Elcano, le second de Magellan qui paracheva la première circumnaviga- tion terrestre. Détruit pendant les guerres carlistes, le monument fut défi- nitivement réinstallé (mais est-ce à l'identique ? On en doute) dès 1860. Le fait, pourtant, demeure isolé et paraît exceptionnel, et c'est générale- ment bien plus avant dans le XIXème siècle que le monument commé- moratif commence à s'imposer dans le paysage urbain espagnol. De fait, l'urbanisme d'Ancien Régime, adepte des architectures éphémères ou des décors religieux, n'avait, dans les lacis de ruelles étroites des villes, guère laissé d'autre que des fontaines ou des crucifix en héritage aux siècles ul- térieurs. Tout au plus le XVIIIème finissant, qui dotait Barcelone de quelques Neptunes et autres Hercules 3, léguait-il à la capitale aussi deux ou trois statues mythologiques (les Cibeles, Apollon et Neptune de la promenade du Prado, qu'évoquait Fernández de los Ríos) et lançait une certaine mode de la porte-arc de triomphe, avec celle d'Alcalá, construite pour accueillir Charles III : peu de chose en somme. Les images royales, même anciennes, n'avaient jamais été conçues pour un public plébéien comme Fernández de los Ríos, citant cette fois Mesonero Romanos, le rappelait :

Los reyes de la dinastía austriaca [...] tuvieron la precaución de erigirse estatuas a sí propios, pero como mandadas y costeadas por ellos, las levantaron y encerraron en sus posesiones de recreo.

Il avait raison, puisque les deux célèbres statues équestres de Philippe III et Philippe IV, coulées par Tacca à Florence et arrivées à Madrid en 1616 et 1641 respectivement, demeurèrent dans les jardins royaux jus- qu'aux années 1840, lorsqu'elles acquirent un nouveau droit de cité, allant alors dominer de leur splendeur ce que l'on connaît aujourd'hui comme la Plaza Mayor et la Plaza de Oriente respectivement. On com- prend que dans ces conditions ce même Mesonero Romanos, dans les pages qu'il consacre aux monuments publics madrilènes dans sa Ràpida ojeada sobre el estado de la capital y los medios de mejorarla de 1836, puisse s'indigner :

¿quién diría que la capital de España, la capital del dilatado imperio que llevó por todo el mundo su gloria y sus conquistas, no presenta a los ex- tranjeros ninguno de los recuerdos que remueven la memoria de sus haza- ñas y del importante papel que en los cuatro últimos siglos ha represen- tado en ellas nuestro Madrid? La prisión de Francisco 1 , Rey de Francia, y su convenio con Carlos V; la unión de tan diversas naciones bajo el cetro de Felipe II, formando el imperio más dilatado del orbe; la elegante Corte de Felipe IV; la lealtad manifestada por esta villa al primer Borbón,

3 Stéphane Michonneau, "Les politiques de mémoire à Barcelone, 1860-1930", thèse soutenue à l'EHESS, 1998, 1, 73.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Recherche du Héros espagnol 47

¿nos han dejado algún monumento, algún nombre siquiera de recuerdo y de orgullo? Y sin salir del siglo en que estamos, la famosa guerra de la independencia española, admiración de la Europa, ¿no presenta objetos magníficos dignos de ser inmortalizados en mármoles y bronces?

Désabusé, l'auteur ajoutait même :

nosotros nos hemos contentado con levantar arcos y pirámides de cartón, si bien estos reproducidos tan prodigiosamente que acaso con su coste hubieran podido erigirse de mármol 4.

Ce refus de l'image royale avait pourtant souffert quelques exceptions. Ainsi, Barcelone avait célébré la venue de Charles IV et de son épouse Marie-Louise de Parme, en 1802, par un médaillon présentant le double profil royal, imposé sur le piédestal d'un monument à thème mytholo- gique préexistant ; fait plus paradoxal encore, la capitale catalane avait été une des rares villes, peut-être même la seule, à avoir également élevé une statue au plus absolutiste des princes espagnols : il est vrai toutefois qu'érigée en 1830, cette statue de Ferdinand VII dura bien peu puis- qu'elle fut abattue dès 1835 5. Reste que pour l'essentiel, les remarques de Mesonero Romanos visaient juste. Au demeurant, il ne s'agissait pas pour lui de propos en l'air ou de simples lamentations. Bien au contraire, de la part de ce modéré européanisé - c'est au retour d'un voyage à Paris et Londres qu'il édite son opuscule -, il s'agit d'une véritable mise en garde adressée aux gouvernants. De fait, Mesonero était l'un des premiers à comprendre et à manifester que le libéralisme triomphant devait soumet- tre l'espace public aux exigences de cette nouvelle forme de culte profane qui naissait avec lui et avait pour objet la Nation sous l'espèce de l'État. La Nation libérale, pour modérée qu'elle puisse être dans les vœux de Mesonero Romanos et sous les gouvernements de la Régente ou d'Isa- belle, ne pouvait plus se satisfaire, en effet, de la seule présence tutélaire des façades d'églises ou de fontaines publiques plus ou moins insalubres pour orner places et rues. Si Madrid voulait cesser d'être seulement la tra- ditionnelle « villa y corte » et devait renoncer à se vouloir « tête » d'un empire englouti pour se transformer en « capitale » d'un État moderne6, alors il fallait qu'elle manifeste et donne à voir ce nouveau rôle, qu'elle tienne son rang, d'une certaine manière ; en somme, elle devait organiser et mettre en scène un nouvel ordre symbolique qui se substituerait à celui des anciennes divinités et offrirait pour l'édification des citoyens l'image exemplaire des ancêtres, des « grands hommes », des « pères de la patrie »

4 Ramón de Mesonero Romanos, Rápida ojeada sobre el estado de la capital y los medios de mejorarla de 1836 (Madrid, Tomás Jordá imp. 1836; reed, con una introducción de Edward Baker, Cidur/Revista Alfoz [Communidad de Madrid, Consejería de Cultura], 1989, p. 31. 5 Stéphane Michonneau, op. cit., I, p. 75-78 et 111,10-1 1. " Santos Julia-David, Ringrose-Cristina Segura, Madrid, historia de una capital^ Madrid, Alianza ed., 1994, p.253 sq.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

48 CM.H.LB. Caravelle

qui avaient fait son histoire : l'heure des Héros était venue. C'est tout le sens de cette sorte d'admonestation que, dans le même texte, lançait Mesonero aux gouvernants et en particulier aux autorités municipales :

La misma razón política y de conveniencia pública debería hacer erigir en las plazas [...], monumentos públicos en obsequio de los grandes hombres o recuerdo de los acontecimientos célebres.

Mesonero Romanos sera entendu et c'est à partir du milieu des an- nées 1830 que le monument public commence à se développer à Madrid, de sorte que l'on peut affirmer, sans grand risque d'erreur, que le monu- ment public est à Madrid l'œuvre du libéralisme dans les diverses phases de son histoire. La « raison politique » qu'évoquait Mesonero comman- dait en effet de s'approprier un espace public dorénavant laïcisé, alors que jusqu'à la desamortización il avait été largement monopolisé par l'Église et ses nombreux bâtiments, notamment les hauts murs de ses couvents si souvent pris pour cibles de l'hostilité de l'anticléricalisme naissant. Leur démolition progressive, au demeurant, permettra d'ouvrir des places dans une ville au maillage architectural très serré, et créera en conséquence l'espace qui appelle le décor et suggère la statue. Monument public, culte du Héros national et désamortissement sont ainsi consubstantiels à cette révolution libérale que, dans sa version conservatrice, préconisait Meso- nero Romanos et qui finirait en effet par doter la capitale de bon nombre de ses nouveaux repères. L'auteur de la Rápida ojeada. . . contribuait ainsi à l'élaboration d'un code urbain, d'un nouveau discours de l'espace social pour de tout nouveaux citoyens. Il les conviait, de fait, à se reconnaître dans une grandiose histoire commune dont ils seraient les héritiers et, partant, les garants. Désireux d'entreprendre, il devait donc d'abord signaler les manques et fustiger les insuffisances et les retards :

[...] No han dejado es verdad, de formarse bellos proyectos; más ni el principiado en el paseo del Prado a la memoria del 2 de mayo, ni el de la guerra de la independencia en la Plaza de Oriente, ni el de la amnistía, ni otros varios decretados y modelados han llegado a cubrir la desnudez de esta villa. Nuestros reyes, tan adulados en vida, tampoco han obtenido aquel privilegio; y es cosa de ver que la capital de una nación eminente- mente monárquica no ofrezca el menor testimonio público de reconoci- miento y amor a sus reyes [,..]7

L'idée, pourtant, de cette politique monumentale n'était pas totale- ment nouvelle lorsque Mesonero la préconisait dans son œuvre : elle avait eu déjà un précédent. Dès 1808, en effet, un membre de l'Académie des Beaux Arts avait proposé au Conseil Municipal madrilène de commé- morer par un monument le soulèvement populaire contre les troupes napoléoniennes. Le projet, à partir de 1811, sera relayé par les Cortes qui décideront elles aussi d'honorer les insurgés madrilènes, non sans avoir

^ Mesonero Romanos, Rápida ojeada, op. cit., p. 31-32.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Recherche du Héros espagnol 49

hésité d'ailleurs sur l'événement qu'ils allaient retenir comme le plus sym- bolique de ce qui, avec le temps, deviendrait la « guerre d'Indépendan- ce »8. Mais l'obélisque qu'ils avaient imaginé et qui finirait par être dressé sur le Paseo del Prado prit tout le retard que l'on pouvait attendre de la mauvaise volonté et de l'esprit réactionnaire de Ferdinand VII, puis des péripéties de la politique espagnole, de sorte qu'il n'était toujours pas dressé lorsque Mesonero Romanos publiait sa Breve ojeada. . . et ne le sera, en fin de compte, qu'en 1840 9. Suivraient, plus tard, les statues à Daoiz et Velarde à la place de l'ancienne caserne de l'Artillerie et, plus tard encore, celle du lieutenant Ruiz. . . Une autre image, toutefois, s'était imposée chronologiquement : conçue, dit-on, par Joseph 1 ** lui-même dès 1810, la statue de Cervantes fut effectivement entreprise en 1833 à l'instigation déjà de Mesonero Romanos, et définitivement installée en 1835 : très symboliquement, elle fera dorénavant face au Palais des Cor- tes, donnant ainsi à entendre que le Parlement dialoguait avec l'his- toire10. Quoi qu'il en soit, s'initiait ainsi une galerie au grand air des pères tutélaires de la nouvelle Patrie, dans laquelle on retrouvait sans peine un équilibre très classique entre la plume et l'épée. Ce panthéon se peuplera progressivement de nouvelles figures, qui acquièrent non sans mal leur droit à l'immortalité : Velazquez devra attendre ainsi 1899 pour obtenir son image devant le musée du Prado.

Progressivement surgissait tout un petit monde de pierre et de bronze, au sein duquel s'entrecroisaient héros guerriers et illustres artistes, parmi lesquels parvenait parfois à se glisser quelque figure remarquable du libé- ralisme contemporain. Juan Alvarez Mendizábal est l'exemple le plus connu, sans doute, mais aussi le plus conflictuel, de ce dernier type. Sa statue, élevée en 1857, était l'œuvre du sculpteur José Gragera et était le fruit d'une souscription nationale. Mais, relate Fernández de los Ríos,

habiéndose opuesto el Gobierno a que se colocara en la vía pública, dando con esto lugar a acalorados debates en el parlamento, la estatua fue depositada en el Casón del Retiro, donde permaneció hasta que la revo- lución del 68 la sacó de su encierro y la colocó en la Plaza del Progreso, a los 14 años de haber perdido España al mas activo, más resuelto y más fecundo de sus reformadores. No hay en el pedestal inscripción alguna, ni siquiera la palabra Mendizábal.

L'histoire ne s'arrête pas là et les tribulations de cette statue se sont prolongées jusqu'à aujourd'hui. En effet, en 1939, l'entrée des troupes franquistes dans Madrid signa son arrêt de mort ou, tout du moins, de sa

8 (José Alvarez Junco, "La invención de la Guerra de la Independencia", Claves de la razón práctica, [Madrid], n°67, 1996. 9 A. Fernández de los Ríos, op. cit., p. 191 ; Christian Démange, "Le Dos de Mayo : Mythe et fête nationale. Contribution à l'étude de la symbolique nationale en Espagne (1808-1936)", thèse soutenue à l'Université Paris-Sorbonne, 1997, II, 407-422. 10 A. Fernández de los Ríos, op. cit., p. 196- 197.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

50 CM.H.LB. Caravelle

disparition. Retirée de l'ancienne Place du Progrès (rebaptisée posté- rieurement Place Tirso de Molina) où elle se trouvait, on ignore quel a été son destin et si même elle a été détruite.

Sans doute, une étude systématique du monument public en Espagne et dans sa capitale montrerait une tendance à l'augmentation numérique, qui s'accélère dans les dernières années du XIXe siècle. C'est toutefois en 1902, avec la proclamation de la majorité d'Alphonse XIII et sa montée effective sur le trône, qu'un réel tournant semble avoir été pris. A partir de cet instant, les monuments commencent à proliférer un peu partout dans le pays, avec un caractère le plus souvent nationaliste et patriotique. Un groupe d'artistes, d'inspiration plutôt académique et généralement éloignée des recherches esthétiques du modernisme et plus encore de pos- sibles avant-gardes, obtient à Madrid une sorte de monopole de fait de l'offre publique et multiplie les réalisations : c'est l'heure de gloire des Mariano Benlliure, Aniceto Marinas, Agustín Querol, González Pola et cinq ou six autres dont les noms se répètent d'un bout à l'autre du terri- toire national, à l'exception de la Catalogne, qui connaît une dynamique différente. Mais c'est, bien sûr, à Madrid même qu'ils triomphent, contribuant à refaçonner son image publique. De ce point de vue, l'œuvre sans doute la plus représentative de cette exaltation monumentale de la Patrie au moyen de la figure héroïque est sans nul doute le Monument à Alphonse XII, édifié dans les jardins du Retiro et auquel contribuèrent presque tous les noms qui comptaient alors dans le petit cercle des artistes officiels. L'idée était relativement ancienne, puisqu'elle avait été formulée par la reine Marie Christine en 1887, peu après la mort de son époux. Cependant, des raisons matérielles avaient retardé l'affaire jusqu'à ce que en février 1901 un décret royal constitue une commission («Junta») destinée à le mener à son terme. Comme c'était alors la règle, il y eut concours, sélection d'un projet parmi les dix-huit présentés. Son auteur, l'architecte José Grases i Riera, exposa sa vision du monument dans une Memoria^ dans laquelle il expliquait que tous les peuples cultivés cherchaient à

honrarse dedicando monumentos a la Patria, personificándola general- mente en sus eximios jefes de Estado.

L 'Espagne, observait-il toutefois, venía siendo una vergonzosa excepción en esta clase de manifestaciones culturales, patrióticas y artísticas en que se hacen tan noble competencia las naciones civilizadas.

L'heure était donc venue, selon lui, de combler ce vide, ce qu'il se proposait de faire avec son monument qu'il reconnaissait lui-même

11 S.n. (José Grases i Riera], Memoria del monumento que se erige en Madrid a la Patria

española personificada en el Rey Don Alfonso XII, Madrid, M. Romero imp., 1902 (BNM, BA. 13 914-8).

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Recherche du Héros espagnol 5 1

inspiré de ce qu'il avait vu dans d'autres pays, et notamment à Rome avec le Monument à Victor-Emmanuel II, ce qui, d'ailleurs, saute aux yeux.

Avec son hémicycle de colonnes, l'édifice qu'il imaginait devait symboliser la Nation et ses 49 provinces, qui entoureraient le

monumento a la Patria, personificada en el egregio Rey D. Alfonso XII, El Pacificador.

Comme manquait à Madrid une proéminence adéquate - qui aurait été l'égale du Capitole, du Parthenon ou de Montmartre -, le jardin du Retiro lui parut offrir le cadre adéquat, suffisamment majestueux pour son monument12, dont la première pierre fut posée précisément le 18 mai 1902, dans le contexte des festivités en l'honneur de l'accession au trône du jeune Alphonse XIII. Mais, bien entendu, la réalisation effective d'une telle entreprise ne fut pas une mince affaire : après avoir mobilisé 42 artistes, connu quelques difficultés financières et avoir coûté en défi- nitive près de 3 millions de pesetas, il fut inauguré officiellement en 1922.

Il est clair qu'une telle mobilisation de moyens, autant artistiques que pécuniaires, répondait à une volonté politique délibérée, soulignée par le surnom de Pacificateur que le monument, dans ses inscriptions, attribuait au roi dont il exaltait la figure. Profitant de la fin de la Régence, on cher- chait clairement, du côté du pouvoir, de la Cour et de ses conseillers, à redorer le blason d'une Couronne ébranlée par les événements qui avaient marqué la fin de siècle espagnol. Glorifiant l'image d'un souve- rain en qui avait été restaurée la monarchie mais pour ne retenir en lui que son action pacificatrice, le monument à Alphonse XII paraissait tenir un double langage : d'un côté, par le geste altier de son épée, du haut de son piédestal il rejetait dans le passé les récents désastres militaires endu- rés par le pays et en fermait ainsi d'une certaine façon le cycle ; de l'autre, par son port et son regard, il désignait l'avenir et traçait ainsi la voie, monarchiste et pacifique, au nouveau jeune monarque.

D'une certaine façon, ce monument est particulièrement représentatif de cet instant particulier dans l'histoire de l'Espagne contemporaine où il s'agit de reconstruire une image nationale que les événements ont écor- née. Mais cette ambition se retrouve un peu partout dans le pays, où Mairies, Diputaciones y notables en tous genres lancent des souscriptions « populaires » qui rencontrent généralement peu d'échos mais servent néanmoins à édifier, avec l'appui fréquent de la Couronne elle-même, toute une série de monuments aux gloires locales et aux divers héros pos- sibles de l'histoire : de cette période datent ainsi les Monuments « Aux martyrs de la Religion et de la Patrie » (Saragosse, 1904), à la mémoire de la résistance de Numance (1905), au siège de Saragosse et à Agustina de Aragón (1908)... Le résultat est cependant parfois paradoxal, comme le

12 S.n. Qosé Grases i Riera], Memoria del monumento que se erige en Madrid a la Patria española personificada en el Rey Don Alfonso XII, Madrid, M. Romero imp., 1902 (BNM, BA. 13 914-8).

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

52 CM.H.LB. Caravelle

montre la statue de Martínez Campos, œuvre du sculpteur Benlliure et qui s'élève derrière le Monument à Alphonse XII dans le même Retiro de Madrid. Commencée en 1904 et inaugurée en 1907, elle montre un gé- néral vieilli sur un cheval fatigué arrivant à grand peine au sommet d'une colline battue, semble-t-il, par des vents qu'on pressent mauvais, d'où il domine un trophée d'armes qui paraissent plus le symbole d'une défaite que le signe d'une victoire. L'étrange vérité de cette statue l'a faite quali- fier, à juste titre, d'« anti-héroïque » par l'historienne de l'art Ma Elena Gómez Moreno 13 ; en tout cas, elle tranche dans la production monu- mentale du moment, comme si Mariano Benlliure avait voulu, à travers l'image du héros militaire par antonomase de la Restauration, en montrer l'épuisement bien plus que la « régénération ».

A cette quête progressive et confuse des Héros espagnols, à travers laquelle le pouvoir tentait d'imposer l'image d'une identité historico- sociale du pays à une population peu enthousiaste, les guerres coloniales, pour désastreux qu'en aient été les résultats, vont contribuer, en fournis- sant leur contingent parfois contradictoire et mouvant d'exemples admi- rables et de combattants glorieux. Dans cet ensemble, qu'il serait trop long de décliner ici, un cas retient particulièrement l'attention par son origine et par la signification qu'on chercha à lui donner : celui de Eloy Gonzalo García.

Les faits qui le rendirent célèbre sont bien connus. Au cours d'une de ces multiples escarmouches qui opposaient continuellement troupes espa- gnoles et rebelles cubains au cours de l'année 1896, un groupe de soldats espagnols se retrouva encerclé au lieu-dit Cascorro, dans la province de Camagüey, par des adversaires qui le prirent sous leur feu notamment de- puis un fortin en bois. N'écoutant la voix, sembla-t-il, que de son seul courage, le soldat Eloy Gonzalo s'empara d'un bidon de pétrole et, atta- chant une corde autour de sa ceinture pour que ses camarades puissent récupérer son corps au cas il tomberait dans son entreprise, s'élança vers le fortin, parvint à y mettre le feu et à obliger les Cubains à battre en re- traite. Dès que la nouvelle fut connue, la presse espagnole voulut voir dans ce simple soldat le modèle de l'héroïsme populaire dont l'esprit était supposé animer le corps expéditionnaire à Cuba et se mit à en faire un héros. Celui-ci, qui avait survécu à sa prouesse, eut pourtant la malchan- ce de succomber, quelques mois plus tard, aux fièvres qui décimaient les troupes espagnoles dans la Grande Antille : courageux et mort - au com- bat, suggéra-t-on par erreur, mais sans trop insister -, Eloy Gonzalo de- venait un cas exemplaire ; de plus, il était de Madrid, où il avait été re- cueilli à l'orphelinat municipal (la Inclusa), ce qui parachevait son por- trait idéal de patriote populaire, au point que, dès la fin de l'année 1897, un groupe de conseillers municipaux de la capitale proposa de lui élever

13 M* Elena Gómez Moreno, Pintura y escultura españolas del siglo XIX, Madrid, Espasa Calpe [Summa artis, vol. XXXV], 1992, p. 1 1.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Recherche du Héros espagnol 53

un monument. On lança une souscription populaire - sans grand succès, comme à l'habitude - et, pour obtenir le bronze nécessaire à la confec- tion de la statue, on sollicita l'arme de l'Artillerie, qui se montra réticente mais dut, en fin de compte, se plier aux ordres que finit par lui donner le Gouvernement. L'affaire était lancée et pour la mener à bien on eut recours une fois de plus au principe de l'appel d'offre en direction des artistes ; une commission, enfin, retint un parmi tous les projets déposés à la Mairie.

Dans l'exposé de leurs motifs, les différents artistes avaient générale- ment insisté sur la dimension allégorique qu'ils entendaient donner au monument ; et leurs projets étaient pleins de matrones symbolisant sans doute la Patrie, Madrid, si ce n'est l'Espagne tout entière. Pourtant, celui qui retint en fin de compte l'attention de la Commission municipale fut celui qu'avait présenté Aniceto Marinas, sculpteur connu, d'inspiration assez académique sans être dépourvu de talent, et qui se caractérisait par ce qui pouvait apparaître comme une volonté délibérée de réalisme. La statue à Eloy Gonzalo qu'il réalisa donc, montre celui-ci en pied, solitai- re, tête nue, marchant d'un pas décidé en avant. Rien ne manque : il por- te en bandoulière son fusil - inutile dans l'opération qu'il entreprenait -, il a sa corde autour de la ceinture, on voit les boutons de ses guêtres et, surtout, le célèbre bidon de pétrole avec lequel il avait incendié le fortin ennemi : un parallélépipède assez volumineux sous le bras gauche, alors que la main droite est lancée en avant et se prolonge d'une torche. Cu- rieusement, c'est précisément ce fameux bidon qui avait arrêté certains des autres postulants : ils le trouvaient disgracieux, malcommode à repré- senter, pour tout dire anti-esthétique ; or c'est sans doute ce qui fit la dif- férence en faveur de Marinas. Il est clair que les membres de la Commis- sion optèrent pour le projet qui donnait à voir, le plus explicitement pos- sible, les détails que la presse avait rendus fameux et qui faisaient déjà partie de la légende du soldat Eloy Gonzalo : comment pouvait-on ima- giner de le représenter sans ce qui constituait déjà en quelque sorte ses attributs essentiels, et dont tout un chacun avait eu connaissance à travers les multiples articles de journaux qui lui avaient été consacrés ou bien même par les romances populaires qui chantaient son fait d'armes dans les rues. Il fallait le bidon de pétrole, il fallait la corde, bien plus qu'un visa- ge : on peut douter que Marinas se soit inspiré, sur ce point, de l'unique photographie qu'on connaisse d'Eloy Gonzalo, qui le montre en unifor- me et tête nue mais ne permet guère de distinguer ses traits, que publia La Ilustración española y americana. Mais, dans le fond, peu importait le visage, la silhouette même ; ce qui comptait, c'était les symboles, ostensi- blement exhibés par la statue de Marinas, par lequel cet homme du peuple accédait à la catégorie du Héros.

Mais justement : il y a quelque chose de suspect dans cette subite et exceptionnelle dévotion au culte de l'homme du peuple transformé en modèle de vaillant soldat et dans cette insistance mise à souligner ces

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

54 C.M.H.LB. Caravelle

details que, dans un premier temps, on aurait cru n'être que le fruit d'un irrépressible besoin réaliste. Il n'en est rien. Toute la construction de la statue de Marinas tend, si on s'attache à en regarder la cohérence, à bâtir l'image du soldat à partir de ces ingrédients, de telle sorte qu'il apparaît comme une sorte d'incarnation de ce qui en principe n'était qu'acces- soire, se transformant en réalité en une nouvelle allégorie : il est le Peuple dans sa version héroïque, que le rappel de éléments matériels de son ac- tion avalise. Ainsi considéré, tout s'éclaire, et notamment le goût surpre- nant du détail et cette attention portée au fameux bidon de pétrole, qu'on identifie mieux à présent pour ce qu'il est, c'est-à-dire une pièce centrale d'un discours fondamentalement idéologique. En effet, à la fin du XIXe siècle, un syntagme parcourt l'Europe et a pris racine en Espa- gne aussi bien qu'en France : depuis les pétroleuses de la Commune de Pa- ris, le pétrole, le bidon de pétrole justement, sont les signes univoques de la vocation destructrice, voire apocalyptique, des révolutionnaires et de la révolution elle-même. Au demeurant, lorsqu'en 1893 encore, Carlos Ar- niches, l'auteur de centaines de saynètes satiriques, veut montrer dans Los Descamisados des révolutionnaires qu'il tourne en dérision, il les affuble d'un journal qui s'intitule... Le Bidon de pétrole {La Lata de petróleo) . Il en va de même avec la torche que Eloy Gonzalo tient de l'autre main : dressée vers le haut, elle est le symbole de la Lumière, voire de la Liberté (et la Statue du même nom, à New York, le montre bien) ; mais baissée, elle illustre plutôt le geste de l'incendiaire qui met le feu et elle devient le complément du bidon de pétrole dans la constitution forte de la repré- sentation mythique qu'on se faisait alors, du moins dans les milieux bien pensants, de ce que pouvait être donc l'incendiaire, l'anarchiste, l'ennemi de la société. La statue de Marinas joue donc, on le voit, sur des stéréo- types fortement présents dans le discours social du moment : mais là où d'habitude ces derniers disqualifient, par une opération d'inversion radi- cale, ils viennent ici qualifier : le dangereux Révolutionnaire devient un Héros de légende. Mais c'est aussi qu'il s'agit, dans les deux cas, de l'Homme du peuple. Egaré lorsqu'il s'insurge et empoigne les armes de la révolte, ces mêmes armes servent à désigner en lui la spécificité populaire, la continuité de son appartenance de classe pour mieux exprimer ce qu'on cherche à dire : que, contre toute évidence, la guerre de Cuba est la guerre du « peuple espagnol », que là-bas c'est encore une fois le peuple qui se bat pour la Nation et s'exalte de patriotisme. Le monument à Eloy Gonzalo fonctionne ainsi presque comme un exorcisme par lequel on tente de repousser les dangers (révolutionnaires) et d'imposer les vraies valeurs (patriotiques). Cette ambiguïté du monument, dans lequel on exalte le héros à travers les signes habituels par lesquels on marquait la ré- probation du rebelle, n'avait pas échappé au regard avisé de ce témoin que fut Corpus Barga. Dans ses mémoires, celui-ci relate son enfance ma- drilène, contemporaine de la guerre de Cuba justement, et il commente alors :

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Recherche du Héros espagnol 5 5

La guerra no hacía más que producir héroes. Nuestro preferido era el más popular, el que todos conocíamos no por su nombre, por su denomina- ción de romance, el héroe de Cascorro, un precursor del soldado desco- nocido, un inclusero madrileño de quien no sabíamos y yo no sé todavía exactamente lo que había hecho, desde luego un incendio, porque se le representaba siempre con una lata de petróleo, y a quien esto de ser incendiario y petrolero le aumentaba todavía la popularidad y daba un aspecto más exaltador [. . .] 14.

L'histoire serait pourtant incomplète si on n'y ajoutait deux touches de paradoxe. Les dossiers militaires ont montré, depuis lors, que Eloy Gonzalo, le Héros de Cascorro, le glorieux fils de la Inclusa de Madrid parti comme volontaire défendre la Nation en danger, était loin d'incar- ner le parfait patriote qu'on avait voulu dire : en fait, il était à Cuba parce qu'il échappait ainsi à la peine de quinze ans de prison militaire à laquelle il avait été condamné en Espagne pour insubordination contre un offi- cier. Par ailleurs, élevé momentanément à la catégorie de Héros parce qu'issu du rang et du peuple, il s'en est distingué et a accédé à la gloire mais, une fois mort, il est rapidement revenu à son anonymat ou du moins a-t-il vite perdu son identité. Eloy Gonzalo est un nom qui ne dit plus rien aux Madrilènes, qui ne connaissent que ce qu'ils désignent, sans trop savoir ce que cela signifie, comme le « Monument à Cascorro » : le toponyme s'est transformé en patronyme et Eloy Gonzalo, l'humble sol- dat des bas quartiers de la capitale, a disparu des mémoires, enfoui sous le monument même qui prétendait l'honorer. Il aura eu pourtant une nouvelle et très fugitive heure de gloire.

En effet, pour des raisons matérielles diverses, ce fameux monument tarda, là encore, à être achevé et il ne fut installé Plaza del Rastro , aujour- d'hui Plaza de Cascorro justement, que dans les derniers jours de 1901. On estima alors, dans quelques hautes sphères, qu'après avoir tant atten- du, l'inauguration pouvait encore attendre un peu : on l'inclut alors par- mi les cérémonies officielles de la majorité d'Alphonse XIII de 1902. Et, de fait, ce fut en effet le jeune monarque qui, en grand uniforme mili- taire, accompagné de son épouse, des Infants et de toute la Cour, l'inau- gura, en juin 1902. Pour cette occasion la presse releva que c'était la pre- mière fois qu'un Roi d'Espagne visitait ce quartier populaire de La Inclu- sa et on y organisa une cérémonie à la mesure de cet événement : les jeu- nes filles du quartier revêtirent des splendides mantones, il y eut des chan- sons et des fleurs : bref, ce fut l'occasion des retrouvailles du bon roi et de son bon peuple, comme si l'on cherchait, en fait, à relégitimer la monar- chie, après la crise qu'elle venait de subir, par une sorte de réactivation d'un pacte entre le souverain et le peuple. Mais de celui-ci, on n'offrait que l'image de la manóla piquante et gracieuse dans son habit typique et

14 Corpus Barga, Los pasos contados. Una vida española a caballo en dos siglos (1887-1957) -2- Puerilidades burguesas, Barcelona, Bruguera [Libro amigo], 1985, p. 33-34.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

56 CM.H.LB. Caravelle

du vaillant soldat qui, en bronze, présidait la cérémonie. Au même mo- ment, les révoltes agraires menaçaient les campagnes andalouses et les grandes grèves frappaient Barcelone ou Bilbao : la statue d'Eloy Gonzalo Cascorro, figé dans son uniforme de Héros, ne suffirait pas longtemps à masquer cette réalité sociale qui démentait la vision idyllique qu'offrit, un instant encore, comme dans une volonté de suspendre le cours de l'histoire, cette fugitive et futile fête princière.

RÉSUMÉ- L'histoire du monument public en Espagne, et singulièrement à Ma- drid, est étroitement liée à celle du libéralisme : il faut attendre la fin de l'Ancien Régime pour que des statues commencent à orner les places que la politique de désamortissement, notamment religieux, ouvre dans la ville. Progressivement, se met alors en place une sorte de panthéon de pierre ou de bronze, par lequel on cherche à glorifier les Héros de la patrie et les Grands Homme de l'histoire. Cervantes ouvrira la liste d'une longue série qui s'enrichit au début du XXème siècle de quelques pièces notables. A l'occasion de l'arrivée sur le trône d'Alphonse XIII, en 1902, est notamment inauguré ainsi le monument à Eloy Gonzalo García, héros populaire de la récente guerre de Cuba, dont le sculpteur offre une image contradictoire de révolutionnaire reconverti en patriote.

RESUMEN-La historia del monumento público en España, sobre todo en Ma- drid, queda estrechamente vinculada con la del liberalismo: hay que esperar hasta el final del Antiguo Régimen para que las estatuas empiecen a adornar las plazas que la política de desamortización, la religiosa en especial, abre en el medio urbano. Va entonces ocupando el espacio un panteón de piedra y bronce por medio del cual se intenta glorificar a los Héroes de la Patria y a los Proceres de la Historia. Cervantes abre la lista de una larga serie que, en los albores del s. XX, se enriquece con unas cuantas piezas notables. Con motivo de la entronización de Alfonso XIII, en 1902, se inaugura entre otros el monumento a Eloy Gonzalo García, héroe popular de la reciente Guerra de Cuba, del que el escultor propone una imagen contradictoria de revolucionario metido a patriota.

ABSTRACT- The history of public monuments in Spain, and especially in Madrid, is closely linked with that of liberalism: not till the end of the Ancient Regime did statues start to be used to adorn squares. Little by little, a sort of bronze or stone pantheon was erected in Spanish cities, through which Spanish heroes and great men of history were meant to be glorified. Cervantes came first in a long list to which some new important pieces were added at the beginning of the 20th century. To celebrate the coronation of Alphonse XIII, in 1902, a monument to Eloy Gonzalo García, the popular hero of the recent Cuban War, was erected. The contradictory image conveyed by the sculptor is one of a Revolutionary who became a patriot.

MOTS-CLÉS : Espagne, XDCe siècle, nation, libéralisme, héros.

This content downloaded from 195.34.79.214 on Sun, 15 Jun 2014 08:29:31 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions