Gagnebin. Mort de La Mémoire, Mémoire de La Mort. de l'Écriture Chez Platon

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MORT DE LA MÉMOIRE, MÉMOIRE DE LA MORT: DE L'ÉCRITURE CHEZ PLATON: A Celso Favaretto Author(s): Jeanne-Marie Gagnebin Source: Les Études philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE ANCIENNE (JUILLET-SEPTEMBRE 1997), pp. 289-304 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20849101 . Accessed: 02/01/2015 17:46 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques. http://www.jstor.org This content downloaded from 128.122.149.145 on Fri, 2 Jan 2015 17:46:02 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Gagnebin. MORT DE LA MÉMOIRE, MÉMOIRE DE LA MORT. DE L'ÉCRITURE CHEZ PLATON

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  • MORT DE LA MMOIRE, MMOIRE DE LA MORT: DE L'CRITURE CHEZ PLATON: A CelsoFavarettoAuthor(s): Jeanne-Marie GagnebinSource: Les tudes philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE ANCIENNE (JUILLET-SEPTEMBRE 1997),pp. 289-304Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/20849101 .Accessed: 02/01/2015 17:46

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  • MORT DE LA MEMOIRE, MEMOIRE DE LA MORT:

    DE L'ECRITURE CHEZ PLATON

    A Celso Favaretto

    L'un des plus beaux dialogues de Platon, le Phedre, traite ensemble de la justesse des amours et de celle des discours. Conjonction necessaire,

    puisque Pamour, chez Platon, se dit et se redit certes davantage qu'il ne se fait, puisqu'il inspire aux amants le desir des discours vrais; conjonc tion necessaire, surtout parce que le discours vrai ne saurait etre la

    replique de la verite dans l'insuffisance de nos mots mais parce qu'il ren voie beaucoup plus a cet elan du langage vers ce qui le depasse et, en meme temps, le fonde. Elan done essentiellement erotique selon la belle definition du Banquet qui fait d'Eros ce demon a la fois perpetuellement malheureux et plein d'entrain, cet intermediate toujours en manque et

    jamais a court. Ainsi Logos et Eros sont-ils, chez Platon, indissociable ment lies par un meme mouvement de quete, par un meme cheminement

    inquiet, et, cependant, heureux comme la promenade, hors des murs

    d'Athenes, de Socrate et de son bel et jeune ami Phedre, nu-pieds, sui vant un ruisseau, dans la lumiere d'un matin d'ete.

    Savamment, Platon fait intervenir ce decor champetre dans le fil du

    dialogue: un tournant de l'llissus rappelle les jeux des nymphes, notam ment de Pharmacee et d'Orythie, et permet d'introduire une discussion sur les merites de la mythologie; la douceur du gazon en pente invite a

    la lecture et a la conversation; les cigales stridentes de midi empechent les amis de ceder au sommeil; enfin, la chaleur ayant passe alors que le

    dialogue parvenait, non sans peine et sans detours, a sa conclusion, les deux compagnons peuvent traverser le ruisseau et revenir sur leurs pas, ce que son demon avait precedemment interdit a Socrate. Ainsi, la nature

    elle-meme, dont Socrate disait pourtant qu'elle ne lui apprenait rien

    (230 d), collabore avec grace a la recherche de la sagesse. Meme maitrise de Platon a entremeler les divers genres litteraires: au pastiche de rheto

    rique succedent un discours sophistique inspire puis un autre, mytholo gique, qui nous fait penetrer dans le territoire de la dialectique. Brisant la

    Les Etudes philosophiques, n? 3/1997

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  • 290 Jeanne-Marie Gagnebin

    monotonie de ces longs recits, les apartes fusent, une anecdote, une

    blague donnent un repit a Phedre et lui permettent de reprendre souffle sur cette longue route pleine d'embuches et de circuits (274 a), la route de la verite ou Socrate l'a entraine alors qu'il pretendait le suivre, lui, Phedre, et le discours cache sous son manteau, comme un chien affame suit l'appat que Ton agite devant son museau (230 d/e). Enfin, bien sur, habilete voulue ou non, qu'importe, de Platon a introduire des le debut de la promenade le theme du pharmakon\ que cela soit dans revocation de la nymphe Pharmacee (229 c) ou, justement, dans cette soudaine assi milation du discours ecrit de Lysias a une drogue toute-puissante qui ferait traverser a Socrate l'Attique entiere; interviennent egalement, des les premieres lignes du dialogue, les references medicales, comme si les bons conseils d'Acoumene sur la marche en plein air (227 a) pouvaient servir d'antidote aux raffinements de la rhetorique, de pharmakon naturel contre la seduction des pharmaka artificiels, annon$ant ainsi la compari son, si frequente chez Platon, entre le vrai medecin, oppose aux charla tans et aux cuisiniers qui flattent le corps, et le philosophe, dans sa lutte contre la rhetorique et la sophistique qui flattent Tame {Phedre, 268 a-c;

    GorgiaSy 464 as.)2. Reussite hautement litteraire, done, que ce dialogue enchanteur qui

    decrit, justement, les charmes meles de la parole et de l'amour. Or, il ne se termine par aucune glorification de l'activite litteraire, comme nous

    pourrions nous y attendre, habitues que nous sommes au culte roman

    tique du genie et aux variations metatextuelles contemporaines. Au contraire, la conclusion du Phedre contient Tune des versions les plus connues de ce qui a ete appele la condamnation platonicienne de Pecri ture. Paradoxe eclatant entre ce long dialogue, ou Platon, pendant tout un jour d'ete, nous ravit et nous instruit par l'enchevetrement savam ment construit d'images, d'arguments, de recits, de sophismes, bref, de

    logoi, et cette declaration finale ou il nous affirme que tout cela ne fut que jeu (paidia, Phedre, 276 d, 277 e entre autres), puisque cela fut ecrit. La

    meme opposition entre les jeux de l'ecriture et le serieux de la veritable

    philosophic guide, on le sait, un autre passage celebre, la fameuse ? dis

    gression philosophique?, de la Lettre VII3. Cette contradiction entre l'intense activite philosophico-litteraire de Platon et son refus, tout aussi

    categorique, de lui conceder un poids decisif, reste, jusqu'a aujourd'hui, Tenigme majeure de cette oeuvre a laquelle s'achoppent toutes les tenta tives d'interpretation. Comme l'affirmait recemment Mario Vergetti dans un excellent article, ?la premiere et la plus grande ambigui'te du

    1. A ce sujet, bien sur, voir le texte de Jacques Derrida, La pharmacie de Platon, qui a largement inspire cet article (in La dissemination, Seuil, 1972).

    2. A ce sujet, cf. Henri Joly, Le renversementplatonicien. Logos, Episteme, Polis, Vrin, 1974, 3e partie, chap. III.

    3. Platon, Z,*//r* VII, 342*-344

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  • Mort de la memoirey memoire de la mort 291

    corpus philosophique de Platon reside en ce qu'il existed. Lue frequem ment, du neoplatonisme a l'ecole de Tubingen (H. J. Kramer et K. Gai

    ser), comme l'indice d'une doctrine non ecrite, esoterique, voire secrete

    que Platon ne voulut pas transmettre par ecrit, cette contradiction a ete

    interpretee recemment par Wolfgang Wieland comme la manifestation de la conscience aigue, de la part de Platon et en contraste avec la ? posi tion comparativement naive ?2 de bien des auteurs philosophiques, des limites (Grent^en) que le texte, ecrit ou parle, offre a l'expression philoso phique. La critique platonicienne de l'ecriture n'indiquerait done pas tant l'existence de doctrines que Platon se serait refuse a communiquer dans son ceuvre ? mais attirerait davantage l'attention sur le fait qu'il existe des limites internes de la communicabilite ?3. Selon Wieland, done, il n'y a

    pas de veritable contradiction a attirer ?l'attention dans un texte sur tout ce que, en tant que tel, un texte ne peut produire?4. L'argumentation neo-kantienne5 de Wieland est hautement fidele a la reflexion platoni cienne sur les limites du langage

    - reflexion dont on a souvent conclu, sans doute trop vite, que Platon postulait l'existence d'un etre ineffable, uniquement saisissable par une contemplation de type mystique6. La lec ture de Wieland evite ce piege et pose la question de la limitation et, cependant, de la competence du logos chez Platon, question ou plusieurs commentateurs avaient deja situe l'origine de la theorie des Idees, ces etres extralinguistiques qui garantissent la possibilite d'une comprehen sion linguistique7. S'il n'y a done pas de contradiction, au sens fort du terme, entre la mefiance de Platon par rapport a l'ecrit et ses nombreux

    dialogues (forme litteraire dont Wieland et Vergetti soulignent tous deux

    l'importance), il n'empeche que le paradoxe demeure entre l'habilete, la

    maitrise, ou la beaute litteraire de l'ecriture chez Platon et sa denegation de l'importance de l'ecrit, l'affirmation de son caractere illusoire et trom

    peur qui devrait conduire un auteur si averti sinon a s'abstenir de cette

    dangereuse activite, du moins a la restreindre considerablement - de

    maniere fort semblable a la pratique de la sexualite telle que la dicte la

    1. Mario Vergetti, Dans l'ombre de Thot. Dynamiques de l'ecriture chez Platon, p. 387, in Les savoirs de l'ecriture en Grece ancienne, sous la direction de Marcel Detienne, Presses Universitaires de Lille, ?Cahiers de philologie >>, n? 14, 1988.

    2. Wolfgang Wieland, Platon und die Formen des Wissens, Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1982, p. 11: ?Die meisten Autoren zeigen namlich zum philosophischen Text als solchem eine vergleichsweise naive Einstellung.?

    3. Ibid., p. 27: ?Insofern verweist sie (die Schriftkritik Platons) nicht auf Lehren oder Theorien, auf deren schriftliche Mitteilung Platon verzichtet hatte, sondern sie macht darauf aufmerksam, dass es innere Grenzen der Mitteilbarkeit gibt.?

    4. Ibid., p. 38: ?Man verwickelt sich jedenfalls in keinem Widerspruch, wenn man in einem Text auf das aufmerksam macht, was alles ein Text nicht leisten kann.?

    5. Mario Vergetti, op. cit., p. 408. 6. Ce qui fait a la fois la faiblesse et la grandeur du livre classique de A. J. Festu

    giere, Contemplation et vie contemplative selon Platon, 1935. 7. Cf. entre autres Paul Ricoeur, ?tre, essence et substance che% Platon et Aristote, 1982,

    SEDES.

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  • 292 Jeanne-Marie Gagnebin

    morale sexuelle des Lois. Je me propose ici non de resoudre ce paradoxe mais de laisser resonner cette enigme une fois de plus, d'ecouter ce

    qu'elle nous revele de l'ecriture philosophique, de la realisation de cette ecriture certes mais aussi de ses desks et de ses hantises. Deux figures

    mythologiques pourront nous y aider, figures qui traversent le texte du Phedre pour mieux etre bannies de la scene philosophique authentique, telle que la definit Platon: Helene et Adonis.

    II faut d'abord rappeler, avec Marcel Detienne, Henri Joly et Mario

    Vergetti1, que si l'ecrit a deja droit de cite et, particulierement, force de loi dans l'Athenes du IVC siecle, il n'en reste pas moins que le vrai logos politique est toujours la parole orale, cultivee avec soin dans les ecoles de

    rhetorique et aprement disputee dans l'assemblee des citoyens. Peu a

    peu, cependant, l'importance du texte ecrit grandit grace a une diffusion

    toujours plus ample du livre. Face a cette ?veritable revolution cultu

    relle?2, a cette ?inflation de l'ecriture ?3, Platon reagit par la mefiance. Cette mefiance ne s'exerce pas tant a l'egard de l'ecriture comme tech

    nique a laquelle, au contraire, il emprunte de nombreuses comparisons, s'appuyant sur ?le paradigme grammatical ?4 des combinaisons entre les lettres et les mots pour mieux decrire la tache analytique de la methode

    dialectique. Les resistances de Platon sont d'un autre ordre: elles ren voient aux deplacements socioculturels que la diffusion de l'ecrit pro voque par rapport a la tradition et a la memoire collectives5. Alors que le

    poete etait, a l'epoque archaique, le detenteur d'une memoire qui per mettait a tout un peuple, a travers cette parole sacree, don des Muses au service d'Apollon6, de se construire et de s'assurer une identite, la trans ference toujours plus grande de cette ? fonction de thesaurisation mne

    mique?7 a Tecrit entraine a la fois sa democratisation et sa desacralisa tion8, c'est-a-dire, selon Platon, la banalisation, voire la perversion de l'activite du souvenir. Mnemosyne se retire et cede la place a la fidelite

    exsangue de la trace ecrite, accessible a tous mais ? ou selon Platon peut

    etre davantage pour cela meme ?

    depourvue du secret qui garantissait la

    1. Marcel Detienne, L'invention de la mythologie, Gallimard, 1981, notamment le

    chap. II: ?Par la bouche et par Foreille?. Du meme auteur, L'ecriture et ses nouveaux objets intellectuels en Grece, introduction a Touvrage collectif cite en note 1, p. 291. Cf. egalement

    Henri Joly, op. cit., p. 112 s. et Mario Vergetti, op. cit., p. 402 s. 2. Mario Vergetti, op. cit., p. 402. 3. Henri Joly, op. cit., p. 112. 4. Ibid., p. 112. Mario Vergetti, op. cit., p. 392 s. 5. Ibid, p. 112-113. 6. Sur ce role essentiel du poete, cf., entre autres, J.-P. Vernant, Mythe etpensee che%

    les Grecs, Maspero, 1974, en particulier le chap. II: ?Aspects mythiques de la memoire et du temps ?. Egalement, Marcel Detienne, Les mattres de verite dans la Grece archaique, Mas pero, 1984, chap. II: ?La memoire du poete?.

    7. Selon les mots de H. Joly, op. cit., p. 113. 8. Sur les liens essentiels entre ecriture et democratic en Grece, voir Vernant, Les

    origines de la pensee grecque, PUF, 1962, p. 46-49 et M. Detienne, L'invention de la mythologie, op. cit, chap. II, du meme auteur, voir aussi l'introduction citee en note 1.

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  • Mort de la memoire, memoire de la mort 293

    plenitude de la parole rememoratrice. Nous aurions deja ici un premier phenomene de ? desauratisation ?1, pour utiliser cette categorie de Walter

    Benjamin qui decrit les transformations historiques que la ? reproductibi lite technique des ceuvres d'art? fait subir a l'art contemporain; catego rie que Ton peut reprendre de maniere plus large pour designer ce phe nomene recurrent ou la democratisation ou plutot

    - car Ton pourrait discuter sur la realite et l'ampleur de cette democratic

    - la fin de l'exclu sivite d'un produit culturel, privilege d'une classe ou d'une elite, semble

    entrainer, par une sorte de necessite malheureuse, l'appauvrissement, l'affadissement, ou la vulgarisation de la signification: inversion efficace et perverse de la promesse esthetique. Dans ce contexte, la mefiance de Platon prefigure le pessimisme d'un Adorno; leurs critiques a l'avilisse ment et a l'abetissement ambiants nous etonnent par leur amere lucidite; et leurs tentatives de restauration esoterique sont d'autant plus dignes d'interet qu'elles echouent.

    Mais revenons a la decadence de la memoire dans l'ecriture selon le Phedre. La demarche de Platon/Socrate est bien connue: a la fin de ce

    long dialogue sur le veritable Eros et, inseparablement, sur le veritable

    Logos, il faut determiner la valeur reelle des discours ecrits, c'est-a-dire etablir une fois pour toutes la difference entre les produits brillants et

    trompeurs de la sophistique et la parole vivante et vraie de la philoso phic ; ou encore, sauver le beau Phedre de la seduction de la sophistique et le convertir a l'austere discipline de la philosophic Socrate conte alors une histoire legendaire, qui semble un mythe mais qu'il a certainement inventee pour les besoins de la cause, sur l'origine de l'ecriture: il y a bien longtemps, en Egypte

    - done dans le pays qui sert aux Grecs, en

    particulier a Platon, de paradigme d'anciennete et de sagesse2 - le jeune

    dieu Theuth, l'inventeur des nombres et du jeu de des, presenta sa nou velle invention, l'ecriture, au dieu souverain et solaire Thamous, modele du roi-juge archaique dont la parole a force de loi. L'ecriture devrait resoudre les problemes d'enregistrement et d'accumulation du savoir; Theuth la definit comme une ? drogue pour la memoire et la sagesse? (mnemes te gar kai sophias pharmakon, 21A e). Thamous, le roi solaire qui n'a pas besoin d'ecrire pour garantir la duree de sa parole, contredit cette definition: l'ecriture ne fera qu'augmenter l'oubli des hommes puisqu'ils mettront leur confiance en des signes exterieurs et etrangers (exothen hyp'allotrion typon) au lieu de s'exercer eux-memes a la seule memoire

    veritable, la memoire interieure a l'ame (ouk endothen autous hyp'auton ana

    mimneskomenous, 275 a). Vient ensuite le jugement fameux: ? Ce n'est pas pour la memoire, e'est pour la rememoration que tu as decouvert un

    1. Cf. les accointances entre Paural et l'oral chez Detienne, L*invention de la mythologie, op. cit., p. 51 et 61.

    2. Cf. H. Joly, op. cit, lte partie, chap. II, p. 37-40. Du meme auteur, Platon egyp tologue dans La question des etrangers, Vrin, 1992, p. 97-109.

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  • 294 Jeanne-Marie Gagnebin

    remedo)1. Distinction celebre qui reprend les categories de la philoso phic platonicienne de la connaissance, specifiquement ?l'anamnese et

    l'hypomnese, la reminiscence de l'essence et le souvenir d'ecriture ?2. Distinction qui correspond egalement a l'opposition tranchee entre le discours ecrit par Lysias et lu par Phedre au debut du dialogue, discours aussi subtil que vide, et le deuxieme discours de Socrate, consacre juste

    ment a la nature de Tame, a sa vie anterieure qui lui permet, une fois

    incarnee, de se souvenir (anamimneskein) des Idees, discours prononce oralement dans l'envolee de l'inspiration divine. Comme l'observe fine ment Joly, Platon se sert de la citation d'autorite egyptienne pour mieux corroborer sa propre theorie de la connaissance, en grande part exposee dans les pages (!) precedentes3. C'est l'exteriorite de l'ecriture, opposee a la vision interieure de Tame, qui en fait un pharmakon artificiel, d'autant

    plus dangereux qu'il est si seduisant. Ainsi, suivant la parole royale, l'ecriture - Rousseau dira les livres - produira d'insupportables faux

    sages, pleins d'un savoir artificiel et artificieux. L'opposition interieur exterieur recoupe, dans le texte platonicien, celle de la nature et de l'arti fice et est au cceur de l'ambiguite essentielle du pharmakon, a la fois remede guerisseur et poison mortifere, ambigui'te que Derrida a si bien

    soulignee4. C'est pourquoi, comme Font releve Derrida et Joly5, Platon ne condamne pas toute ecriture, mais ne juge veritablement digne de la philosophic que l'ecriture interieure a l'ame, celle qui est ? ensemen cee ? et ? plantee? par ?l'art dialectique ? ? dans les ames des disciples ?

    (276 e/ 277 a). Cette idee d'une inscription interieure sera reprise par toute la tradition philosophique, d'Augustin a Rousseau, voire par Chomsky. Comme souvent chez Platon, le phenomene materiel et sen sible - ici, l'ecriture; dans le Banquet par exemple, l'engendrement

    - qui

    permet de decrire metaphoriquement un processus spirituel -

    inscription dans l'ame, engendrement dans la beaute

    - est rabaisse, voire rejete et condamne au terme du raisonnement: comme si Fimage, necessaire au

    deploiement de la pensee, devait etre ensuite soigneusement ecartee de cette pensee meme qui dyelle, cependant, avait tire son origine etpuise son elan. Ce n'est d'ail leurs pas par hasard si Platon reproche justement a l'ecriture, au sens lit

    teral, son caractere d'image: elle est trop proche de la peinture, de cette ? zoo-graphie? qui pretend (d)ecrire le vivant mais n'est que copie morte

    1. Phedre, 275 a: ?Oukoun mnemes, alia hypomneseos, pharmakon heures.? Je cite

    d'apres la traduction et Pedition de Leon Robin, Ed. Belles Lettres, 1978. 2. H. Joly, Platon egyptologue, op. cit., p. 100. 3. H. Joly, ibid., qui remarque que les Grammata de Theuth sont bien davantage des

    caracteres de Falphabet grec que des hieroglyphes; Mario Vergetti observe egalement que Platon a substitue, pour les besoins de la cause, Thoth a Palamede ou a Promethee, les inventeurs de l'ecriture dans la tradition grecque (Vergetti, op. cit., p. 390).

    4. Cf. J. Derrida, op. cit. 5. Cf. H. Joly, Le renversementplatonicien..., op. cit., p. 118; J. Derrida, op. cit., p. 74

    75, M. Vergetti, op. cit., p. 418, qui rappelle la metaphore de Tame comme un ?livre ecrit

    par le scribe interieur que sont la memoire et les sensations ? {Philebe, 38^-19*).

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  • Mort de la memoire, memoire de la mort 295

    sous Pillusion de la vie, simulacre (274 d-e). L'ecriture n'est done pas seu lement une drogue qui promet la guerison et apporte la mort; elle com

    plete, pour ainsi dire, sa nature d'artifice par son appartenance au domaine de la mimesis artistique (et non philosophique!) qui, sous Pappa rence de vie, ne fait qu'engendrer la mort.

    Nous sommes ici, selon l'expression deleuzienne, en pleine ? selection des pretendants ?\ Selection qui est bien Tun des enjeux majeurs du Phedre; elle caracterise la division dialectique qui doit separer Fauthentique amour de ses faux-semblants, Fauthentique rhetorique (philosophique) des autres

    qui passent pour des rhetoriques mais ne sont que des routines. Or ce par tage n'est pas arbitraire meme s'il est souvent ironique ou parodistique, comme le souligne Deleuze2. II pretend suivre la dynamique du vivant, dynamique qui est celle du bon discours justement (264 c)> il doit decorti

    quer le reel comme ? un bon depeceur ?, en obeissant aux ? articulations naturelles ? (265 e)

    - singuliere metaphore ou Forganisation du vivant per

    met de mieux decouper Fanimal mort, destine a etre mange. En fin de

    compte, la dialectique devrait assurer le triomphe de Fordre naturel et

    vivant, celui de Finteriorite psychique, sur Fordre, ou plutot, selon Platon, sur le des-ordre artistique et artificiel, porteur de mort, celui de Fexteriorite seductrice. Le proces de l'ecriture est done davantage que la condamnation d'un savoir livresque, artificiel et exterieur; il ne s'agit pas simplement de defendre Fesprit contre la lettre3, la parole vivante contre la repetition morte. II faut lutter de toutes ses forces contre Femprise seductrice de

    Fecrit, de la sophistique et de la rhetorique qui menacent, par leur etrange proliferation infinie, Fordonnance meme du vivant. Sous les jeux appa remment innocents de l'ecriture, la mort saisit le vif

    - d'ailleurs Theuth est

    egalement le dieu de la mort chez les Egyptiens. Puissance occulte duphar makon, sterilite des jardins d'Adonis, fils indigne et batard qui abandonne la maison paternelle, toutes ces comparaisons opposent a la plenitude rayonnante de la parole vivante non certes le neant (la mort dans sa simpli cite radicale), mais quelque chose de plus inquietant justement que le

    neant, quelque chose comme la mort a Fceuvre dans le vivant: les charmes du faux-semblant, l'image illusoire qui rend present Fabsent et, du meme

    coup, mine la plenitude de la presence, cette espece de corrosion efficace du non-etre4 bien plus perilleuse que la negativite pure: ce que Derrida a decrit comme Feffet de supplementarite de l'ecriture5 et que Deleuze appelle

    1. Gilles Deleuze, Difference et repetition, PUF, 1968, p. 82-95; Logique du sens, Minuit, ? 10/18 ?, p. 347-361, en part. p. 355; Remarques in Nos Grecs et leurs modernes, textes reu nis par Barbara Cassin, Seuil, 1992, p. 249.

    2. Surtout dans Difference et repetition, op. cit., passage cite. 3. Comme l'interprete Rene Schaerer (La question platonicienne, Vrin, 1969, critique

    par H. Joly, Le renversementplatonicien..., op. cit, p. 123, n. 123. 4. Ou meilleur selon Deleuze, Difference et repetition, op. cit, p. 89: ?(non)-etre?. 5. J. Derrida, op. cit, p. 124-125, repris par M. Vergetti, op. cit, p. 416 s., au sujet

    de l'ecriture comme ?systeme vicariant?.

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  • 296 Jeanne-Marie Gagnebin

    le ? detournement essentiel ?\ ?le point de vue differentiel?, egalement le ? devenir-fou ?, le ? devenir-illimite ? du simulacre1.

    Ce ?devenir-fou? caracterise, en effet, l'errance du discours ecrit selon Platon qui, une fois livre au public, ? s'en va rouler de droite et de gauche? (275

  • Mort de la memoire, memoire de la mort 297

    Cet effet de derealisation que la puissance des mots oppose a Pevidence des faits, nul mieux que le grand sophiste Gorgias ne Favait celebree. L'on

    peut a bon droit se demander si le Phedre, avec son eloge conjoint de Famour veritable et du discours vrai, ne doit pas etre lu et entendu comme une sorte de reponse a un autre eloge celebre, Y Eloge d'Helene, ou Gorgias vante les pouvoirs similaires d'Eros et de Logos. Derrida souligne la proxi mite du contexte et du vocabulaire: si Fecriture, chez Platon, est definie comme un dangereux pharmakon, c'est au logos lui-meme, dans sa toute

    puissance sur Fame, que Gorgias attribue ce nom1. Cette proximite sou

    ligne d'autant plus Fopposition des intentions: alors que Platon rejette les charmes de Fecriture pour affirmer avec vehemence la primaute d'une

    parole transparente, qui s'ecoule de Forigine divine jusque dans Fame

    eprise de verite, pour Gorgias, au contraire, le logos subvertit les evidences, renverse les hierarchies etablies, brouille, tel un joueur accompli, les cartes

    que Fon croyait claires. Gorgias declare Helene innocente car die fut ou ravie par la violence physique, ou par la violence de Famour, ou alors par celle du discours aussi fort que la violence physique, aussi irresistible que Famour. Ce faisant, Gorgias tourne en derision et la culpabilite de Padul tere et Findignation morale a l'egard de Pinfidele, puisque Fhistoire se resout en un jeu de forces dont le logos est le maitre inconteste; puissance dont son propre texte, par son extraordinaire virtuosite, est la preuve vivante: YEloge d'Helene est aussi, et inseparablement, Feloge du discours.

    Je n'entrerai pas davantage ici dans ce debat qui oppose Platon et

    Gorgias et qui, jusqu'a aujourd'hui, et avec une ressemblance surpre nante, regne sur nombre de discussions philosophiques, comme si, au

    plus tard a partir de Nietzsche, la tradition philosophique occidentale etait obligee de se confronter toujours davantage a ce refoule mena$ant qui, grace a la condamnation platonicienne puis aristotelicienne, a pris le nom de sophistique2. Pour mieux cerner les risques que le langage, en

    particulier Fecriture, semblent fake courir a la philosophic, je voudrais m'attacher ici a decrire le chemin quasi invisible que la figure d'Helene,

    toujours elle, creuse dans le texte du Phedre. Comme Fa bien souligne Nicole Loraux, ? Helene hante le second

    discours de Socrate ?3, peut-etre meme le Phedre tout entier. Comme elle

    1. J. Derrida, op. cit, p. 131-133. Cf. aussi Barbara Cassin, Du faux ou du mensonge a la fiction (de pseudosi. plasma), in Le plaisir de parler, textes reunis par le meme auteur,

    Colloque de Cerisy, Ed. de Minuit, 1986. 2. La-dessus, cf. Barbara Cassin, ibid., et, du meme auteur, le recueil d'articles en bresi

    lien, Ensaios sofisticos, Siciliano, 1990, en particulier Pintroduction, la 3e et la 4e parties. 3. Nicole Loraux, Le fantome de la sexualite, chap. XI du livre du meme auteur, Les

    experiences de Tiresias. Le feminin et I'homme grec, Gallimard, 1989; voir n. 3 de ce chapitre, p. 360: ? Helene hante le second discours de Socrate: 248 c-d (allusion a Adrasteia, epi thete de sa mere Nemesis); 251 a (le beau visage du jeune garcon est, comme celui d'He

    lene, d'aspect divin et, comme lui, fait frissonner); 252 a (tout quitter pour le bel objet, comme Helene chez Sappho, fr. 16, Campbell); 252 d (faire de Paime un agalma), etc.

    ?

    L'article de Nicole Loraux a oriente de maniere decisive mon essai de lecture du Phedre.

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  • 298 Jeanne-Marie Gagnebin

    traverse, invisible en son manteau blanc, la ville de Troie pour obeir a

    Aphrodite et, contre sa propre volonte, rejoindre le beau Paris1, ainsi Helene parcourt-elle souterrainement, a la fois presente et absente, le texte platonicien. Elle est evoquee une premiere fois avant le grand dis cours de Socrate, pour justifier la necessite d'une retractation, suivant le

    modele de la palinodie de Stesichore (243 a-b); sa trace resurgit a la fin du dialogue, dans le mythe socratico-egyptien de l'invention de l'ecri ture. En effet, pour les contemporains de Platon, cette drogue egyp tienne ne pouvait manquer d'en evoquer une autre, celle qu'Helene jette dans le vin de Menelas et de ses hotes au chant IV de YOdyssee1. Ce ? charme ruse ?, qu'elle avait re^u de la reine Polydamna, vient, lui aussi, d'Egypte ?ou la terre aux bles produit en abondance/toute espece de

    simples, salutaires ou funestes?. Tout comme l'ecriture, le pharmakon egyptien d'Helene fait oublier; il endort ?toute colere et toute peine? a tel point, ajoute Homere, que celui qui en a goute ne pleure plus pendant tout un jour, meme s'il voit mourir devant lui ses parents, son frere ou son fils: drogue bienfaisante, puisqu'elle permet aux hotes de Menelas de

    banqueter, puis de dormir a loisir; mais drogue inquietante egalement puisqu'elle peut provoquer une telle beatitude que les liens familiaux se dissolvent dans l'indifference. Helene, l'epouse ramenee au logis et qui semble assagie, n'en continue pas moins, chez Homere, a etre la mai tresse de cette force dont YOdyssee ne cesse de parler: ce pouvoir de consolation et d'oubli qui, au plus profond d'elle-meme, sous-tend la

    parole poetdque dans sa tache de rememoration et, en particulier, YOdys see en tant que poeme. Ce don precieux que Taede a re^u d'Apollon, le dieu de la lumiere et de la mesure, est, cependant, inseparable de son revers mena$ant, cette puissance d'oubli, de disintegration, de regression et de mort contre laquelle Ulysse doit lutter sans treve pour retrouver

    Ithaque3. Puissance que decrivent nombre d'episodes de YOdyssee, ceux des Lotophages, de Circe ou de Calypso et, tout specialement, celui des Sirenes dont le chant sublime et mortifere a souvent ete interprete comme l'image meme du chant poetique4. Or, il est tout a fait frappant que la voix des Sirenes exerce sur les navigateurs la meme dangereuse attirance que celle d'Helene sur les guerriers acheens, enfermes dans le cheval de bois. Menelas, le mari, ne semble pas hesiter une seconde a

    rappeler cette ruse, pourtant peu a son honneur, de sa traitre femme

    1. Made, chant III, vers 380-450. 2. Oayssee, chant IV, vers 219-233. Je cite la belle traduction de Philippe Jaccottet,

    Maspero, 1982. A ce sujet, cf. aussi Barbara Cassin, Ensaios sofisticos, op. cit, p. 299 s.: ? Ainda Helena: uma sofistica do gozo ?. 3. Cf. la fameuse interpretation d'Adorno et de Horkheimer de V Oayssee comme la

    description de Pindividu bourgeois, a la fois raisonnable et mutile, qui renonce aux ten

    tations et aux delices du mytne {Dialektik der Aufklarung, 1944, reed. Fischer Verlag, 1969).

    4. Maurice Blanchot, Le livre a venir, Gallimard, 1959, lre partie, ?Le chant des Sirenes?. Cf. egalement Tzvetan Todorov, Poetique de la prose, Seuil, 1971, p. 70-71.

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  • Mort de la memoire, memoire de la mort 299

    tournant autour du cheval de Troie et, contrefaisant la voix de chacune des epouses restees au foyer, appelant chaque guerrier grec par son nom

    pour qu'il sorte de sa cachette et se fasse tuer par son troisieme mari, Deiphobe1. Pour resister aux voix d'Helene et des Sirenes, qui, toutes

    deux, eveillent ce desk effrene de ? bondir au-dehors? et de ? repondre sans attendre?2, Ulysse, par deux fois, use de violence a l'egard de ses

    compagnons et de lui-meme pour que tous se tiennent immobiles et comme sourds. Certes, cet etonnant reck doit d'abord, a cet instant pre cis du chant IV, illustrer la valeur de son pere aux oreilles de Telemaque attentif. Mais il souligne en meme temps l'extraordinake ambiguite d'Helene qui, quelques lignes auparavant, avait pour sa part raconte comment elle protegea Ulysse contre les Troyens, alors qu'elle l'avait

    parfaitement reconnu sous ses loques de mendiant, puis ? baigne et frotte d'huile fine?3: ainsi Helene reunit-elle, a quelques vers d'intervalle, la tendre prevenance d'Euryclee et la mortelle perfidie des Sirenes.

    Cette ambiguite essentielle qui, comme le souligne Ylliade, dresse ega lement Helene contre elle-meme, la fait s'injurier et se hair4, c'est celle du

    pharmakon, certes, et aussi, conjointement, celle de l'image. Car Helene est d'abord et avant tout l'image de l'image, la personnification de tout ce que Y eidolon comporte de charmes et de perils. D'abord parce qu'elle possede cette beaute resplendissante qui fait que, des qu'elle apparait, Helene desarme jusqu'au cceur des sages vieillards troyens5. Helene aux voiles blancs eblouissants est l'eclat meme de l'apparaitre sensible, elle a la grace et la gloire ineffables de la beaute. Elle ressemble aux deesses6

    parce que cette splendeur, pour les Grecs, ne peut etre que d'origine divine; mais cette ressemblance meme est fatale et la voue a etre un fleau7 qui menace les mortels dans leur integrite. La splendeur de la beaute s'est, sur Helene, a tel point divinement ramassee qu'elle fink, paradoxalement, par masquer la femme reelle de chair et d'os qu'etait la

    jeune reine de Lacedemone. Ce surplus de beaute, don d'Aphrodite, rend le corps d'Helene etrangement absent, absent a lui-meme d'abord8, mais aussi aux autres pour qui il semble bien davantage l'incarnation meme du desir que la figure d'une femme reelle, mortelle, souffrante ou gaie. Comme l'image, d'abord liee a son modele, fink, dans la reussite esthe

    tique, par gagner son independance et se passe fort bien du modele ori

    ginaire pour instaurer une autre realite qui risque de menacer la realite du reel dans son exclusivite premiere, ainsi la beaute rayonnante d'He

    1. Cf. Barbara Cassin, Ainda Helena..., in Ensaios softsticos, op. cit 2. Odyssee, IV, v. 283. 3. Ibid, IV, v. 252. 4. Nicole Loraux, op. cit, p. 234-236. 5. Wade, III, v. 156-160. 6. Ibid. 7. ?Pema?, ibid.; cf. Nicole Loraux, op. cit, p. 234-235. 8. Comme Fa souligne avec force N. Loraux, op. cit, p. 236.

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  • 300 Jeanne-Marie Gagnebin

    lene finit-elle par deposseder la femme concrete de sa realite charnelle. L'on ne s'etonnera pas, dans ces conditions, que purent fleurir chez les Grecs d'autres versions de la meme legende, selon lesquelles la veritable Helene ne serait jamais allee a Troie mais serait restee... en Egypte, alors

    que les Acheens et les Troyens s'entretuaient pour un fantome, pour une nuee aussi radieuse qu'irreelle, ou encore pour un nom separe du corps qui devait le porter1. L'on s'etonnera davantage que Platon, a deux reprises selon Nicole Loraux2, ait resolument endosse cette derniere version de la

    legende due, selon la tradition, au poete Stesichore: dans la Republique* et surtout dans notre dialogue Phedre, ou la palinodie de Stesichore est citee en exemple par Socrate pour justifier la necessite d'un second discours sur le veritable amour (243 a-b).

    Pourquoi cette decision sans ambages, alors que Platon, en matiere de

    mythologie et notamment dans le Phedre (229 c- 230 d), est d'habitude fort

    prudent ? Sous cette question de detail, l'on peut deviner d'autres choix

    premiers que la philosophie de Platon s'est donne pour tache de defendre, au double sens du terme: de fonder par la raison et de proteger contre les

    perils, voire les ennemis qui pourraient les menacer. D'abord, peut-etre Platon ne resiste-t-il pas, dans le Phedre surtout, a l'envie de donner un

    coup d'epingle a Homere, l'educateur de la Grece qu'il faut lui-meme

    redresser, comme s'y emploie le livre III de la Republique. Par ricochet, c'est aussi Gorgias qui est atteint, lui qui a ingenument cru Homere alors qu'il se

    croyait si malin. Mais la version de Stesichore doit avoir, aux yeux de Pla

    ton, un autre merite, plus decisif encore: celui d'etablir une distinction claire, ou geographique, entre le domaine des images, des simulacres, des faux-semblants - Troie - et celui de la realite, de la verite et de la Constance - comme par hasard en Egypte! Que l'on massacre sous les murs de Troie ne prouve alors que la misere de ces hommes ?insenses ? ? qui se battent

    pour les (id est les ombres et esquisses du vrai plaisir) posseder, comme on se battit a Troie pour l'ombre d'Helene, au dire de Stesichore, faute de connaitre la verite ?4. ? Faute de connaitre la verite ? : en effet, si la verite avait ete (re)connue, il n'y aurait pas eu de guerre, de mort et de sang, ni, du

    meme coup, de poesie, d'Hiade et d' Odyssee. Ainsi la tache de la droite philo sophie sera-t-elle de nous delivrer des passions, de la guerre et de la mort

    qu'elles entrainent, mais aussi de nous debarrasser de ces beaux recks trom

    peurs qui nous enchantent.

    Que signifierait Helene, en revanche, si la fiction d'Homere s'averait vraie ? Non pas tant que certaines femmes valent une guerre, supposition absurde que le male Herodote s'empresse de condamner ironiquement

    1. Cf. Euripide, Helene, ou l'alternative onoma-soma est le fll conducteur de la

    tragedie. 2. N. Loraux, op. cit., p. 240. 3. Republique, IX, 586 b-c. 4. ?Agnoiai tou alethous?, ibid, (c'est moi qui souligne).

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  • Mort de la memoire, memoire de la mort 301

    au debut de ses Histoires pour mieux tracer la ligne de partage entre le discours du mythos et celui du logos1. Helene peut etre la plus belle des

    femmes; son etrange pouvoir ne nait pas tant, cependant, de la plenitude de la perfection mais, au contraire, de ce qui, a travers la princesse etran

    gere, toujours douloureusement se derobe. C'est qu'Helene, comme le dit excellemment Nicole Loraux, ? est elle-meme et plus qu'elle-meme ?2, comme, notons-le au passage, l'image, le simulacre, l'ecriture. Si elle incarne bien la ? chose sexuelle ?3, ce n'est pas parce qu'elle serait une sorte de femme fatale irresistible sur laquelle les hommes ne pourraient s'empecher de se precipiter. C'est beaucoup plus parce que sa divine beaute leur rappelle qu'au-dela de toute precipitation et de toute posses sion, le jeu de l'apparaitre et de la semblance continue inaltere, dans sa

    gratuite et sa belle indifference, sans qu'aucun homme ne puisse s'en rendre maitre, fusse-t-il le mari le plus accompli ou l'amant le plus fou

    gueux. Ainsi, comme le souligne si bien Nicole Loraux, la seduction exercee par Helene est profondement sexuelle, certes, mais justement par ce que la sexualite comporte de ? fantomatique ? et, inseparablement, de ? vrai ?4, par la distance qu'elle creuse en nous par rapport a nous-memes et aux autres, par l'eloignement qu'elle provoque au plus intime de notre

    corps. Sans cette dimension phantamastique, il ne saurait y avoir d'Eros; c'est bien ce qui fait la realite du phantasme dont Platon s'emploie a combattre l'inquietante puissance. II est, dans ce contexte, remarquable qu'Helene, chez Homere, ne soit jamais decrite avec tous ses attributs

    physiques qu'une petite annonce de revue specialisee ne manquerait pas d'enumerer. On park d'Helene et de l'emprise qu'elle exerce

    - et cela

    suffit, en effet, a nous persuader de combien elle est desirable. Cette dynamique n'est pas sans rappeler une autre description d'Eros,

    celle de Platon justement. Le veritable amant platonicien decouvre, lui

    aussi, combien toute tentative de possession de Faime est vaine puisque le veritable ? objet? de l'amour transcende toute appropriation. Si le Banquet et le Phedre soulignent ce caractere inepuisable de la vraie quete amoureuse, c'est pour mieux demontrer non pas tant que la sexualite serait mauvaise

    mais que le veritable but de l'amour est l'immortalite. Cette demonstration se trouve au centre du discours de Diotime dans la deduction, bien rapide et, en tout cas, pas mal ? sophistique ?, du desir d'immortalite a partir de celui d'etre toujours en presence du bien5. Ce desir d'immortalite justifie

    1. Herodote, Histoires, liv. I, ? 4; le meme Herodote est egalement partisan de la version antihomerique (et moralisatrice) selon laquelle Helene serait vertueusement

    res

    tee en Egypte {ibid., liv. II, ? 112-120). 2. N. Loraux, op. cit, p. 234. 3. Ibid, p. 233. 4. Ibid., cf. les conclusions au sujet de Menelas dans VHelene d'Euripide, p. 250-251. 5. Banquet, 206 a -207 a. Notamment la definition en 207

    a : ?Athanasias de anan kaion epithumein meta agathou ek ton homologemenon, eiper tou tagathon heautoi einai aei eros estin; anakaion de ek toutou tou logou kai tes athanasias ton erota einai.?

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  • 302 Jeanne-Marie Gagnebin

    egalement (puisqu'une justification se fait necessaire) que seul l'amour

    heterosexuel, producteur d'enfants legitimes, reconnaissables par leur

    pere, soit admis dans la cite des Lois. Si Platon a done bien reconnu le caractere en quelque sorte insatiable d'Eros, e'est pour mieux affirmer le lien entre immortalite et amour. Or, si Helene affirme, elle aussi, la pro fonde relation de la sexualite a la poursuite de l'insaisissable dans ce que cette derniere comporte de ravissements et d'extases, elle devoile, egale

    ment, que cette quete est necessairement liee a la cruaute de l'epuisement, a la vanite du combat, a la perte et a la mort. Comme Petymologie, juste ou

    fausse, qu'importe, de son nom le disait deja pour les Tragiques grecs puis pour Ronsard, Helene renvoie au verbe helein, ? enlever?, e'est-a dire aux ? verbes "oter", "ravir", "piller", "emporter", au milieu desquels se glisse, comme un sinistre denominateur commun, le verbe "tuer" ?1. L'enlevement d'Helene ne signifie pas seulement les joies du ? ravisse ment? amoureux; il entraine aussi et surtout sa funeste inversion: le

    depart de tant de heros et le rapt de leurs vies sous les murs de Troie puis dans les tempetes du retour.

    Peut-etre pouvons-nous mieux preciser maintenant pourquoi Platon, contre Homere, a choisi Stesichore, contre Helene a Troie, Helene en

    Egypte. Helene a Troie dechaine les pouvoirs conjoints de la belle apparence et de la mort. S'ils sont aussi forts que le chantent Ylliade et YOdyssee, alors on

    peut a bon droit douter que le logos philosophique reussisse, malgre toute sa volonte de verite et de lumiere, a les dompter. L'on se souviendra ici

    que le Phedre racontait un autre episode de domptage: celui du mauvais cheval noir par Faction conjuguee du cheval blanc et du cocher, thumos et nous, dans le combat que l'ame livre avec elle-meme a la vue du beau

    jeune homme desirable. Ce qui permet sans doute la victoire (frequente) sur le cheval noir, e'est aussi le fait que celui-ci soit ? de travers, massif?, ? bati on ne sait comment?, qu'il ait ? Tencolure epaisse, la nuque courte, le masque camard?, que ?ses oreilles, pleines de poil? soient ? sourdes...? (253 e); enfin, il est tellement laid que personne ne peut s'y tromper. II n'a rien des charmes de la belle Helene ou de la belle image qui semblent autrement difficiles a maitriser. II vaut done mieux laisser la vraie Helene aux soins d'un roi egyptien et rendre seul son fantome

    responsable de tant de malheurs, que les hommes subissent ? faute de connaitre la verite?; alors peut-etre, a force de patience et d'effort, la

    philosophie parviendra-t-elle a leur faire reconnaitre la verite et a les rendre plus heureux.

    Parce qu'elle incarne le lien profond de la sexualite a la mort, Helene est comme la sceur d'Adonis, ce trop beau jeune homme aime d'Aphrodite et de Persephone. Issu de l'union incestueuse de sa mere avec son grand-pere, mort avant d'avoir atteint Tage de se marier et de procreer des enfants legi

    1. Nicole Loraux, op. cit, p. 247; Loraux cite ici Ronsard.

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  • Mort de la memoire, memoire de la mort 303

    times, Adonis incarne une sexualite ? foisonnante ?1, anarchique et trans

    gressive qui menace l'ordre, durement conquis, de la famille et de la Cite2. Contre les interpretations de type frazerien qui faisaient de lui une divinite de la vegetation, dont la mort precoce annoncerait la renaissance printa niere, Marcel Detienne insiste de maniere convaincante sur l'unite structu red entre seduction et corruption* qui fonde cette figure. Cette articulation se

    manifeste clairement dans le rituel des jardins d'Adonis dont la plus ancienne description4 se trouve, justement, dans la conclusion du Phedre

    (276 b). Ces jardinets artificiels etaient plantes et arroses avec de l'eau chaude par les femmes, le plus souvent les femmes libres accompagnees de leurs amants, en opposition aux epouses legitimes vouees a la garde des families. Ils fleurissaient rapidement et mourraient apres huit jours, a

    l'image de la floraison et de la mort precoces du bel Adonis. Cette existence

    artificielle, meme contre nature, se caracterise done a la fois par sa splen deur et sa sterilite; Platon l'oppose au rythme naturel et patient de la veri table semaison que le bon agriculteur a pour tache de connaitre et de res

    pecter s'il desire que sa semence (sperma)5 porte des fruits. Dans cette

    longue comparaison qui clot la digression du dialogue au sujet des merites et des dangers de l'ecriture, ces jardinets artificiels, brillants, feminins et steriles sont l'image des discours ecrits que ?l'homme qui possede la science du juste, celle du beau, celle du bien? (276 a) ne prendra pas au

    serieux; tout au plus les gardera-t-il pour ?l'oublieuse vieillesse? comme de plaisantes mais futiles occasions de rememoration (276 d). Comme le bon

    agriculteur, le vrai philosophe veut cultiver dans la duree pour cueillir des fruits substantiels; ainsi, l'un travaille la terre, tandis que l'autre ? plante et seme des discours ? dans les ames (275 e). Dans cette derniere metaphore, Platon renoue ensemble les themes de l'amour et du discours que le dia

    logue avait traitees successivement. Les discours de la dialectique sont a la fois la semence appropriee et le fruit desire, arrive a maturation, le moyen privilegie de l'engendrement et Fenfant amoureusement produit (27 e, 211 df. A l'oppose du discours ecrit voue a une existence ephemere et ste

    1. Pour reprendre Tune des frequentes traductions du ?pollou spermatos mestos?,

    qui designe le jeune homme rebelle aux regies sexuelles de la Cite (Platon, Lois, 839 b). 2. Sur Adonis, cf. le livre de Marcel Detienne, Les jardins d'Adonis. La mythologie des

    aromates en Grece, Gallimard, 1972-1984. 3. Ibid., entre autres, p. 236: ?En consequence, si la mythologie grecque des aro

    mates centrees sur Adonis a un sens, si ces differents recits mythiques articules les uns aux autres veulent vraiment transmettre a travers leurs codes communs un message unique, c'est peut-etre celui-ci: que toute forme de seduction porte en soi le principe d'une menace de corruption.?

    4. Toujours selon M. Detienne, ibid., p. 194 s. 5. Sur ?le double registre du mot "semence" (sperma) dans la langue et la pensee

    grecques? - et notamment chez Platon - cf. Detienne, ibid., p. 215 s. et Derrida, op. cit,

    p. 177 s. La citation est de Detienne, ibid., p. 215. 6. De meme dans le Banquet, 210 a (?... kai entautha gennan logous?) et 210 d

    (... pollous kai kalous logous kai megalprepeis tiktei?). A ce sujet, cf. Yvon Bres, Lapsy chologie de Platon, PUF, 1973, en part, les p. 250-276.

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  • 304 Jeanne-Marie Gagnebin

    rile, le discours philosophique engendre et enfante, au-dela de la difference sexuelle et au-dela de la vie humaine, dans une duree ?imperissable ? : ? en

    mesure de procurer toujours, imperissablement, ce meme effet...?, conclut Socrate (277 a) en echo au ?desir d'immortalite? de Diotime1. La meta

    phore organique de l'agriculture qui ne parlait que de la continuite du

    vivant, done du cycle de la vie et de la mort, a subrepticement cede la place a une autre figure: celle d'un discours humain, certes, mais cependant deli vre de la sexualite, du temps et de la mort, un discours qui aurait pour nom ? philosophic ?.

    La resistance, la mefiance, voire la condamnation de Platon a l'egard de l'ecriture nous sont devenues plus claires: mort de la memoire peut etre, l'ecriture est aussi et certainement memoire de la mort. Sur l'espace restreint des pages ou des murs, elle inscrit des caracteres passagers qui blanchiront et s'effaceront comme les os des humains dans leurs tombes.

    Aujourd'hui que meme les dieux sont devenus mortels et que Ton peut calculer l'age ou la terre devra finir, l'ideal platonicien d'un discours lumineux et imperissable semble une belle et seductrice illusion, plus dangereuse qu'Helene, qui empeche le langage philosophique de se confronter a sa finitude et a son immanence radicales. C'est aussi une

    splendide image de la verite que fa^onna un philosophe-ecrivain qui, par un etonnant tour d'ecriture, ne se nomma jamais en tant qu'auteur mais choisit comme porte-parole privilegie un homme mort depuis long temps, un maitre qui refusa de l'etre2, Socrate, celui qui n'ecrit pas.

    Jeanne-Marie Gagnebin.

    1. ?Tout'aei athanaton parechein hikanoi?, cf. Banquet, 207 a: ?Athanasias de anankaion epithumein... ?, cf. n. 5, p. 301.

    2. Cf. Yvon Bres, op. cit, chap. Ill: ? Le maitre introuvable ?.

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    Article Contentsp. [289]p. 290p. 291p. 292p. 293p. 294p. 295p. 296p. 297p. 298p. 299p. 300p. 301p. 302p. 303p. 304

    Issue Table of ContentsLes tudes philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE ANCIENNE (JUILLET-SEPTEMBRE 1997), pp. 289-432Front MatterMORT DE LA MMOIRE, MMOIRE DE LA MORT: DE L'CRITURE CHEZ PLATON: A Celso Favaretto [pp. 289-304]CERCLE, NUD, RSEAU: RHTORIQUE ET MATHMATIQUES DANS LE TIME [pp. 305-316]ARISTOTE ET LES COMMENCEMENTS DE LA MTAPHYSIQUE ("MTAPHYSIQUE" A2): MTHODE DIALECTIQUE ET PARADIGME MTHODOLOGIQUE [pp. 317-339]L' PEUT-IL TRE UNE CHOSE SENSIBLE? SENSIBLE ET SENTI DANS LE DE ANIMA D'ARISTOTE [pp. 341-362]TUDE CRITIQUEWHITEHEAD ET LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE [pp. 363-375]

    NOTES ET DOCUMENTSARISTOTE, PHYSIQUE , IV, 2 [pp. 377-387]

    RSUMS [pp. 389-390]ANALYSES ET COMPTES RENDUSReview: untitled [pp. 391-392]Review: untitled [pp. 392-393]Review: untitled [pp. 393-394]Review: untitled [pp. 394-397]Review: untitled [pp. 397-398]Review: untitled [pp. 398-400]Review: untitled [pp. 400-401]Review: untitled [pp. 402-403]Review: untitled [pp. 403-406]Review: untitled [pp. 407-408]Review: untitled [pp. 408-409]Review: untitled [pp. 409-410]Review: untitled [pp. 410-411]Review: untitled [pp. 411-413]Review: untitled [pp. 413-415]Review: untitled [pp. 415-417]Review: untitled [pp. 417-418]Review: untitled [pp. 419-421]Review: untitled [pp. 421-422]Review: untitled [pp. 422-423]Review: untitled [pp. 424-424]Review: untitled [pp. 424-426]

    OUVRAGES REUS A LA RDACTION [pp. 427-432]Back Matter