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L’ordre public et les « groupes d’autodéfense » au Nigeria – Kofi Akosah-Sarpong Au Nigeria, la démocratie fédérale fraîchement ravivée doit encore trouver un moyen de maintenir l’ordre public qui convienne à toutes les régions. Les « groupes d’autodéfense » se sont employés à combler un vide et, ce faisant, ils causent des dégâts importants. Des changements majeurs à la Constitution de l’Inde? – Prasenjit Maiti En Inde, il suffit des deux-tiers des voix au Parlement pour amender la Constitution. Une commission a proposé un certain nombre de profonds changements, mais beaucoup doutent que le parti BJP au pouvoir puisse trouver les voix nécessaires à leur adoption. L’augmentation du coût des médicaments au Canada – Louise Gagnon Au Canada, le système de santé est de juridiction provinciale, mais le fédéral finance et supervise un programme universel d’assurance maladie. Ce programme ne couvre pas les médicaments, et les provinces ont leur propre programme d’assurance médicaments, qui varie en fonction de la présence ou non d’industries pharmaceutiques locales. Argentine : une crise de confiance – Maria José Lubertino Les Argentins constatent avec découragement que leurs chefs politiques n’ont pas la vision ou les compétences nécessaires pour maîtriser la crise actuelle. Beaucoup fondent leur espoir sur les organismes internationaux, et imaginent une forme quelconque de fédéralisme supra-national dans lequel les considérations humaines pourraient modérer les effets les plus pénibles de la mondialisation. En Yougoslavie, le système fédéral s’accroche – Mihailo Crnobrnja Le petit état du Monténégro et son grand voisin la Serbie n’ont même pas une monnaie unique – et pourtant, ils sont encore partenaires dans un État fédéral. L’Union européenne, qui refuse de les voir se séparer, est intervenue activement en proposant une solution fédérale. Mais cela fonctionnera-t-il? La page du praticien Ludwig Adamovich, président du Tribunal constitutionnel de l’Autriche « Les droits des minorités dans un système fédéral » En tant que juge au Tribunal constitutionnel de l’Autriche, Ludwig Adamovich a eu à traiter de plusieurs sujets controversés voire fractionnels. David MacDonald, du Forum des fédérations, s’entretient avec lui de son rôle. Fédérations Le fédéralisme de par le monde, quoi de neuf volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002 Nos collaborateurs Journaliste, Kofi Akosah-Sarpong se spécialise dans les affaires africaines, et collabore souvent à la revue West Africa. Économiste, Mihailo Crnobrnja a occupé divers postes dans l’ancienne Yougoslavie, y compris ceux de ministre de la Planification économique dans la république de Serbie et d’ambassadeur auprès de l’Union européenne; il réside maintenant au Canada, où il est professeur, auteur et conseiller. Journaliste à Ottawa, Louise Gagnon a abondamment écrit sur le monde médical. Professeure à la Faculté de droit de l’université de Buenos Aires, Maria José Lubertino est également présidente de l’Association des droits de la personne pour les citoyens et de l’Institut politique et social des femmes à Buenos Aires. Prasenjit Maiti est conférencier principal en science politique à l’université Burdwan, au Bengale de l’Ouest, en Inde. Sommaire

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L’ordre public et les « groupes d’autodéfense » au Nigeria – Kofi Akosah-Sarpong

Au Nigeria, la démocratie fédérale fraîchement ravivée doit encore trouver un moyen de maintenir l’ordre public quiconvienne à toutes les régions. Les « groupes d’autodéfense » se sont employés à combler un vide et, ce faisant, ilscausent des dégâts importants.

Des changements majeurs à la Constitution de l’Inde? – Prasenjit Maiti

En Inde, il suffit des deux-tiers des voix au Parlement pour amender la Constitution. Une commission a proposé uncertain nombre de profonds changements, mais beaucoup doutent que le parti BJP au pouvoir puisse trouver les voixnécessaires à leur adoption.

L’augmentation du coût des médicaments au Canada – Louise Gagnon

Au Canada, le système de santé est de juridiction provinciale, mais le fédéral finance et supervise un programmeuniversel d’assurance maladie. Ce programme ne couvre pas les médicaments, et les provinces ont leur propreprogramme d’assurance médicaments, qui varie en fonction de la présence ou non d’industries pharmaceutiqueslocales.

Argentine : une crise de confiance – Maria José Lubertino

Les Argentins constatent avec découragement que leurs chefs politiques n’ont pas la vision ou les compétencesnécessaires pour maîtriser la crise actuelle. Beaucoup fondent leur espoir sur les organismes internationaux, etimaginent une forme quelconque de fédéralisme supra-national dans lequel les considérations humaines pourraientmodérer les effets les plus pénibles de la mondialisation.

En Yougoslavie, le système fédéral s’accroche – Mihailo Crnobrnja

Le petit état du Monténégro et son grand voisin la Serbie n’ont même pas une monnaie unique – et pourtant, ils sontencore partenaires dans un État fédéral. L’Union européenne, qui refuse de les voir se séparer, est intervenueactivement en proposant une solution fédérale. Mais cela fonctionnera-t-il?

La page du praticienLudwig Adamovich, président du Tribunal constitutionnel de l’Autriche« Les droits des minorités dans un système fédéral »

En tant que juge au Tribunal constitutionnel de l’Autriche, Ludwig Adamovich a eu à traiter de plusieurs sujetscontroversés voire fractionnels. David MacDonald, du Forum des fédérations, s’entretient avec lui de son rôle.

FédérationsLe fédéralisme de par le monde, quoi de neuf

volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

Nos collaborateursJournaliste, Kofi Akosah-Sarpong se spécialise dans les affaires africaines, et collabore souvent à la revue West Africa.Économiste, Mihailo Crnobrnja a occupé divers postes dans l’ancienne Yougoslavie, y compris ceux de ministre de laPlanification économique dans la république de Serbie et d’ambassadeur auprès de l’Union européenne; il résidemaintenant au Canada, où il est professeur, auteur et conseiller. Journaliste à Ottawa, Louise Gagnon a abondammentécrit sur le monde médical. Professeure à la Faculté de droit de l’université de Buenos Aires, Maria José Lubertino estégalement présidente de l’Association des droits de la personne pour les citoyens et de l’Institut politique et social desfemmes à Buenos Aires. Prasenjit Maiti est conférencier principal en science politique à l’université Burdwan, auBengale de l’Ouest, en Inde.

Sommaire

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Selon les historiens de la science, Newton et Leibniz ont indépendamment« découvert » cette discipline mathématique que nous appelons calculdifférentiel. Découverte ou invention? C’est matière à débat. Certains sontd’avis que les concepts mathématiques sont inhérents à la structurefondamentale de l’univers; par conséquent, ils ont toujours existé, et lesêtres humains n’avaient qu’à développer les moyens de prendreconscience de leur existence et de les étudier. D’autres croient que lelangage développé pour décrire les phénomènes mathématiques tientd’une construction ou d’une invention purement humaine.

Nous n’avons pas l’intention de résoudre la question ici. Mais il pourraits’avérer intéressant de considérer les notions politiques sous cet angle.

Newton et Leibniz ont découvert, chacun à sa façon, la même disciplinemathématique. De manière comparable, divers pays ont, chacun de soncôté, « découvert » ou « inventé » le fédéralisme. En fait, dans plusieursparties du monde « fédéral », les gens tendent à voir leur système fédéralcomme tout à fait unique, propre à l’histoire et aux conditions de leurpays.

Quand il est question de démocratie, nous tendons à adopter uneapproche plus globale. Nous croyons, peut-être instinctivement, qu’il existedes principes démocratiques universels, et à moins de respecter cesprincipes, toute prétention à la démocratie est illusoire. Certains régimesparlent démocratie mais s’ils ne la pratiquent pas, nous n’avons aucunehésitation à dire qu’ils ne sont pas à la hauteur.

Par contre, quand il est question de structures fédérales, nous tendons àles voir comme des modes très spécifiques de compromis, conçus pourtenir compte, dans chaque cas, des caractéristiques ethniques, régionales,linguistiques ou autres qui nous sont propres.

Un peu comme Leibniz et Newton, les pays fédérés aboutissent, de façonindépendante, à la même découverte. Bien sûr, il ne s’agit pas ici deconcepts mathématiques objectifs, mais plutôt de concepts plus difficiles àcalculer ou à mesurer, ceux de l’organisation humaine. Ainsi, la découverte– ou « invention » – du fédéralisme prend toujours une forme et descaractéristiques très spécifiques. Et une fois découverte ou inventée,chaque fédération grandit et évolue à sa façon.

Cette publication existe parce qu’elle nous permet, entre autres, de suivrece processus de croissance et d’évolution.

Sur notre site web, nous affichons des articles tirés de la presse mondiale,qui traitent d’événements liés au fédéralisme. Dans certains pays, commele Canada, la presse publie une multitude d’articles qui mettentexplicitement l’accent sur le système fédéral, par exemple, les différendsfédéraux-provinciaux quant au financement du système de santé, etl’accord de Kyoto, qui sont les dissensions du jour au Canada. Dansd’autres pays, nous devons fouiller davantage pour trouver des articles quitraitent un tant soit peu de la pratique du fédéralisme. Car le fédéralismen’est pas partout une préoccupation majeure.

Dans Fédérations, nous braquons les projecteurs sur les systèmesfédéraux : crises et défis auxquels ils sont confrontés, et solutionsproposées par divers groupes.

Dans ce numéro, nous vous proposons des articles sur le Nigeria, l’Inde, leCanada, l’Argentine, la Yougoslavie et l’Autriche.

Les Nigérians sont aux prises avec de graves problèmes de sécurité. LeNigeria possède une force policière nationale centralisée. Cet arrangement

Une publication du Forum des fédérations700-325, rue Dalhousie, Ottawa (Ontario) K1N 7G2 CanadaTéléphone : (613) 244-3360 • Télécopieur : (613) 244-3372 • www.forumfed.org • [email protected]édacteur : Karl Nerenberg Rédacteur adjoint : Carl Thomas Stieren Adjointe à l’administration et à la rédaction : Rita ChampagneTraduction : Marylise Chauvette, François Chevalier, Mahalya Havard, Pierre Joncas, Marc Nakache et Les Traducteurs réunisCorrection des textes : Mahalya HavardNous publions Fédérations cinq fois par année. L’abonnement annuel est de 20 $CAN au Canada et 20 $US partout ailleurs dans le monde. Nous accueillons avec plaisir les articles que vous noussoumettez. Veuillez communiquer avec la rédaction. Nous nous réservons le droit de conserver les textes non sollicités qui nous parviennent.

Un mot de la rédaction …

Le Forum des fédérations, un réseau international sur le fédéralisme, s'emploie àrenforcer la démocratie par le biais du dialogue sur le fédéralisme et la mise enlumière de ses valeurs, ses pratiques, ses principes et ses possibilités.

est-il approprié – et, de façon plus pertinente, est-il viable – pour unegrande fédération diversifiée?

L’Inde a amorcé un processus de changement constitutionnel qui pourraits’avérer potentiellement majeur. Mais les amendements proposésapportent-ils des solutions aux conflits de la plus grande démocratie dumonde? Nombreux sont ceux qui en doutent.

Les Canadiens considèrent leur système de santé publique comme unemblème de leur identité nationale et de leur droit fondamental decitoyen. Les médicaments vendus sous ordonnance ne font pasintégralement partie de ce système, et pourtant ils occupent une placetoujours plus importante en ce XXIe siècle. Les provinces et legouvernement fédéral peuvent-ils s’entendre sur un moyen d’intégrercomplètement les médicaments au système?

Vue de l’extérieur, la crise argentine semble correspondre à uneffondrement de l’administration financière, aggravé par l’instabilitépolitique. Mais à l’intérieur du pays, on sait que la crise perturbeprofondément le fonctionnement de la structure fédérale et qu’elle affectele sentiment d’appartenance des Argentins à la collectivité mondiale.

L’article sur la Yougoslavie fait suite à un précédent article sur la solutionproposée par l’Union européenne pour combler la faille grandissante entrele Monténégro et la Serbie. Cette fois, nous abordons les perspectivesd’une solution négociée par l’Union européenne.

Dans tous les cas, il s’agit de développements, de changements et depropositions de changements susceptibles d’exercer un effet considérablesur la façon dont se pratique le fédéralisme. Vous ne trouverez pas ailleursce genre d’information regroupée dans une même publication.

Fédérations n’est qu’un des moyens dont dispose le Forum desfédérations pour vous informer sur les questions de nature fédérale. Notresite web, www.forumfed.org, constitue une véritable source derenseignements utiles tant sur les activités et les services de notreorganisme, que sur le fédéralisme en général. C’est aussi là que nousafficherons les lettres à la rédaction. Votre opinion nous intéresse; aussi,nous efforcerons-nous de publier le plus de commentaires possible. Vousn’avez qu’à faire parvenir votre lettre à [email protected].

Vous pouvez également nous la transmettre par télécopieur ou par voiepostale, aux coordonnées qui se trouvent ci-dessous.

Le Forum des fédérations vient de connaître une période très riche enactivités, qui se sont déroulées au Mexique, en Inde, au Nigeria, au Brésilet au Canada. Vous trouverez de plus amples renseignements sur notresite web. Cet été, il y aura une conférence internationale à Saint-Gall, enSuisse. Nous allons publier trois numéros spéciaux de Fédérationsconsacrés aux thèmes de la conférence. Entre-temps, nous lanceronségalement un Guide des pays fédérés, 2002, un ouvrage de référencesur le fédéralisme, utile et unique en son genre, que vous voudrezsûrement commander. En août, vous trouverez sur notre site web lesrenseignements à ce sujet, et vous serez avisés par voie électronique aumoment opportun. Si nous n’avons pas votre adresse électronique, veuilleznous la communiquer au [email protected].

Enfin, vous trouverez dans ce numéro une carte d’abonnement. Si vousn’êtes toujours pas abonnés et que vous voulez continuer de recevoir uneversion imprimée de cette publication, faites vite, et abonnez-vous!

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PAR KOFI AKOSAH- SARPONG

F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

L’ordre public et les « groupesd’autodéfense » au NigeriaUn pouvoir fédéral unique peut-il assurer la sécurité dansl’ensemble d’une fédération vaste et diversifiée?

Le 6 mars 2002, le président du Nigerialimogeait l’inspecteur général de la policedu pays, Musliu Smith. Le nouvelinspecteur général, Tafa Adebayo Balogun,est un vétéran de la Police nationale, avec25 ans d’ancienneté. Sa tâche consiste àcorriger des problèmes de sécurité de plusen plus graves, et notamment unevéritable épidémie de vols à main arméeet la violence ethnique et sectaire. L’undes incidents violents les plus révoltants aété l’assassinat du ministre fédéral de laJustice, Bola Ige, il y a quatre mois, danssa chambre à coucher.

Beaucoup de Nigérians considèrent quecette situation exige davantage qu’unchangement de leadership. Il faudraiteffectuer des changements structurauxfondamentaux. Tunde Olokun, membre duComité des affaires policières de laChambre des représentants nigériane, aréclamé des amendements de la Loi surla police, pour répondre à « nos besoinsactuels au XXIe siècle. La police nigérianeest toujours régie par la vieille loi de1958, héritée de l’ancienne puissancecoloniale. »

Comme des élections sont prévues l’anprochain, l’un des grands défis despoliticiens consiste à dresser des planspour maintenir l’ordre dans un vaste paysdiversifié de plus de 100 millionsd’habitants.

Une question de compétence

Au Nigeria, le gouvernement fédéraldétient pratiquement tous les pouvoirs enmatière de police, contrairement auxfédérations comme le Canada et les États-Unis, où il existe des services policiersfédéraux, provinciaux/d’état etmunicipaux. Ce système de police adonné lieu à des débats sur la structuredu fédéralisme nigérian et ses liens avecla sécurité intérieure. Le 6 septembre 2000,lors d’une réunion des gouverneurs d’étatet des chefs traditionnels de la zone sud-ouest, le président Obasanjo a déclaréque, malgré un certain contrôle fédéral,les gouvernements d’état pouvaient

exercer une influence sur les forcespolicières dans leurs secteurs. Il a affirméaux chefs que les commissaires de policedes états ne pouvaient aucunementrefuser les ordres licites des gouverneursd’état.

« Il n’y a absolument aucune raison pourqu’un commissaire de police refused’obéir à vos ordres », a déclaré Obasanjo.

Le président a même ajouté qu’ungouverneur est, en fait, le « principalresponsable de la sécurité de l’état ».Obasanjo voulait écarter une fois pourtoutes l’argument invoqué par certainsgouverneurs, qui soutiennent que laConstitution les empêche de protégeradéquatement la vie et les biens deshabitants de leurs territoires.

Tant que les questions de compétence nesont pas résolues, la situation en matièrede sécurité ne cesse d’empirer. Lesstatistiques policières montrent qu’entreaoût 2001 et mai 2002, des criminels onttué 273 civils et 84 policiers, et qu’ils ontblessé 133 autres personnes. Depuis leretour du Nigeria à la démocratie le29 mai 1999, après presque seize annéesde dictature militaire ininterrompue, plusde 10 000 personnes ont perdu la viedans des affrontements communaux oureligieux.

Pour tenter de réduire les morts et lesblessés au sein de leur effectif, lesautorités policières ont donné auxpoliciers l’autorisation de tirer à vue surles cambrioleurs. Comme l’explique leporte-parole de la police de Lagos,Victor Chilaka :

« Les cambrioleurs se multiplient commedes fourmis et considèrent l’assassinat depoliciers comme un sport. La Policenationale a donc décidé d’adopter cettemesure non seulement pour réduireradicalement les rangs des voleurs, maisaussi pour protéger la vie des policiers. »

La montée des « groupesd’autodéfense »

La situation économique s’est détérioréeen même temps que la sécurité, etnombre d’organisations ethniques ontvu le jour pour « protéger » leursgroupes. Parfois appelées « groupesd’autodéfense », ces organisationscomprennent les Bakassi Boys, lesEgbesu Boys, l’Oduua Peoples Congress,l’Arewa Consultative Forum etl’Ohanaeze. Elles sont présentes danstoutes les régions du pays et font souventoffice de forces de sécurité officieusespour les gouvernements d’état.

Le Post Express de Lagos(6 septembre 2000) expliquait ainsil’origine de ces groupes :

« Le groupe des Bakassi Boys a été formépar l’Association des cordonniers d’Aba(dans le sud-ouest du Nigeria), incapablede tolérer plus longtemps l’oppressiondes criminels qui régnaient sur la ville.Ses membres se sont « endurcis » et ontcommencé de leur propre chef à captureret à tuer autant de criminels que possibleà Aba. Depuis, Aba a la réputation d’êtreparticulièrement calme et pacifique. Cequi a été fait à Aba a également été fait àNnewi, une ville commerciale de l’étatd’Anambra qui était considérée, entreautres, comme la capitale des vols à mainarmée. Aujourd’hui, Nnewi est si calme, ily règne une telle paix jamais troublée par

« La plupart des

Nigérians semblent

disposés à accorder

davantage de pouvoirs

et de responsabilités aux

policiers pour lutter

contre la criminalité. »

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F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

la crainte injustifiée des voleurs, que l’onpourrait en toute sécurité laisser sonargent à la vue de tous et ne jamaisverrouiller sa porte la nuit.»

Le père Hassan Kukah, un commentateursocial en vue du Nigeria, est d’avis que lesassociations ethniques protègent diversescollectivités qui se sentent abandonnéespar l’État fédéral.

« Ce sont les gouvernements du centre etdes états, avec leurs politiquesd’aliénation, qui ont mené à larenaissance des identités communaleslatentes comme outil de négociation avecun État hostile et étranger. C’est là que setrouve la source des crises qui affectentles collectivités dans tout notre pays »,affirme Kukah.

La Constitution du Nigeria interditspécifiquement la création de corpspoliciers d’état ou de région. Riendans la structure fédérale neprécise le mode decommandement de la police dansles états. L’expression d’Obasanjo,« ordres licites », alors qu’ils’adressait aux dirigeants d’états,est ambiguë – en particulierquand les lois des états peuvententrer en conflit avec les loisfédérales. Tel pourrait être le casdans les états, surtoutseptentrionaux, qui ont adopté lecode musulman de la Charia.

Tensions religieuses

La popularité croissante dusystème juridique de la Charia estvenue aggraver les tensions entreMusulmans et non-Musulmans au Nigeria.Les groupes d’autodéfense musulmanspatrouillent les rues des états qui ontadopté la Charia (neuf sur 36) pourréprimer toute infraction aux règles de laCharia. Le 1er mai dernier, les dirigeantsmusulmans ont imposé pour la premièrefois la Charia dans un état méridional.Malgré la décision des pouvoirs publics del’état d’Oyo, le Conseil suprême de laCharia a instauré un tribunal chargé de seprononcer sur les questions civiles dans larégion. Les groupes de défense deslibertés civiles ont protesté, affirmant queles lois de la Charia étaient archaïques etinéquitables. Le Community Developmentand Welfare Agenda, un grouped’intérêts, a soutenu que les décisions dutribunal de la Charia constituaient une« attaque fondamentale contre lasouveraineté et la légitimité de l’Étatnigérian », car elles minent le systèmejuridique national, à caractère séculier.

Dans leurs activités, les groupesd’autodéfense qui s’attaquent au crime etles groupes religieux qui poursuivent leurpropres objectifs entrent aussi en conflit.C’est pourquoi de nombreux Nigérians ontexercé des pressions sur le gouvernementfédéral pour interdire ces groupes. Enréponse à ces pressions, le gouvernementnigérian a déposé un projet de loi auParlement le 10 avril dernier, poursolliciter des pouvoirs extraordinaires afinde « proscrire toute association depersonnes ou groupes quasi militaires quise formeraient, où que ce soit au pays,dans le but de faire valoir les intérêtspolitiques, religieux, ethniques, tribaux ouculturels d’une partie quelconque dupays. » De plus, le gouvernement atotalement interdit un certain nombre degroupes d’autodéfense, dont les BakassiBoys.

Pourtant, nombreux sont ceux quicraignent que la solution proposée netouche pas au fond du problème. Commele fait remarquer Bola Oyeneye, analystepolitique :

« Le président a peut-être raison, mais enproposant d’interdire ces groupes, il traiteseulement les symptômes, sans s’attaquerà la maladie. Le problème, c’est que leNigeria est une création coloniale desBritanniques et qu’après plus de 40 ansd’indépendance, nombre de ses groupesconstituants remettent en question sonfondement même. »

La Police nationale du Nigeria n’est pas leseul instrument de la sécurité intérieure. Ily a aussi l’armée nigériane, forte de94 500 membres, qui est appelée detemps en temps à mater l’agitation civile.Ce recours à la force militaire a suscité unvif débat car l’armée ne doit pas se

substituer à la police. Le nouveau chef dela police, Tafa Balogun, soutient pourtantque l’armée nigériane est habilitée par laConstitution à combattre la criminalitédans le pays et que la police n’a d’autrechoix que de continuer à recourir àl’armée en temps de crise.

« Cela tient à l’article 217 de laConstitution », a-t-il affirmé, « qui prévoitque les forces armées peuvent prêtermain-forte à la police pour mettre fin àune crise sur le plan de la sécuritéintérieure si cette crise menace la stabilitéde la nation. »

Dans l’attente d’un débat national

La police nigériane est effectivementdépassée par les problèmes de sécuritéintérieure, qui vont de mal en pis, etaffaiblie par ses propres problèmesinternes – dont l’indiscipline, les carencesde formation, l’absence de compétencesspécialisées, la rémunération insuffisanteet les débrayages fréquents. La corruptionet la malhonnêteté sont endémiques. Ellesminent un niveau de confiance publiquedéjà faible, si bien que beaucoup decrimes ne sont même pas signalés. Parailleurs, les critiques font remarquer que laforce policière est plus férue d’opérationsparamilitaires et d’usage de la force quede service communautaire, de lutte contrela criminalité, de recherche et d’enquête.Le mois dernier, l’effectif policier est passéde 120 000 à 450 000, et une nouvelleescouade de lutte anti-voleurs, baptisée« Fire-for-Fire », a été créée. Le payscompte maintenant plus de 1 300 postesde police.

Il y aura un débat politique national sur laquestion de la sécurité à l’occasion desprochaines élections présidentielles. Pourl’instant, les observateurs affirment que laplupart des Nigérians semblent disposés àaccorder davantage de pouvoirs et deresponsabilités aux policiers pour luttercontre la criminalité. Cette façon deprocéder pourrait toutefois créer desproblèmes à terme si l’un ou l’autre desnombreux groupes du pays finit par seconvaincre que les policiers lui réserventleurs mesures les plus radicales. C’estpeut-être inévitable dans un pays aussivaste et diversifié que le Nigeria. L’un desbuts du système fédéral est de concilierdans le calme ce genre de diversité. AuNigeria, le système fédéral cherche encoredes méthodes pour y parvenir.

« La Constitution du Nigeriainterdit spécifiquement lacréation de corps policiersd’état ou de région. Riendans la structure fédérale

ne précise le mode decommandement de la police

dans les états. »

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PAR PRASENJ IT MAIT I

F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

Des changements majeurs àla Constitution de l’Inde?Une commission d’enquête sur la Constitution a mis plus de deuxans pour faire des recommandations, que les critiques estimentsuperficielles.

En Inde, une commission présente despropositions radicales visant à amender laConstitution. Ces changements pourraientavoir des conséquences majeures sur leParlement de l’Union, les assembléeslégislatives d’état, le système électoral etl’appareil judiciaire. Le chef de laCommission d’enquête sur laConstitution, M.N. Venkatachaliah, ancienjuge en chef, a remis le 31 mars sonrapport final au gouvernement fédéral.Mais l’encre n’était pas encore sèche queles critiques estimaient déjà inadéquatesles propositions de la Commission.

Au niveau du parlement, la Commissionrecommande d’élire le premier ministredu pays et celui de chaque état au seinde leur corps législatif, et d’interdire auxreprésentants d’un parti ou d’unecoalition de changer de camp,individuellement ou en masse. Pourrésoudre le problème de la corruption auParlement, le rapport propose de changerl’immunité parlementaire de façon à enexclure l’acceptation de pots-de-vin pourvoter ou prendre la parole au Parlement,et d’interdire aux représentants de seporter candidat à une charge publiquependant une année, s’ils sont accusésd’une infraction passible d’une peined’emprisonnement de cinq ans.

Sur la question des divisions sectaires, lerapport recommande de proscrire lescampagnes électorales fondées sur lescastes ou la religion, de traiter sikhisme,bouddhisme et jaïnisme comme desreligions différentes de l’hindouisme dansla Constitution, et de créer des tribunauxqui renforceraient le contingentement desemplois destinés aux castes défavorisées(qui comptent 270 millions d’âmes), dansles secteurs public et bancaire.

En matière de pouvoirs économiques, laCommission propose de limiter lesexpropriations légales par l’État auxprojets d’intérêt public, d’établir uneCommission interétatique sur lecommerce, et de définir les compétencesfiscales de l’Union et des états.

En tout, la Commission propose 249amendements, ce qui serait inimaginable

dans nombre d’autres pays fédérés, car ilfaudrait organiser des référendums ouobtenir le consentement des unitésconstituantes. Mais en Inde, un vote dedeux tiers des membres des deuxassemblées législatives suffit, à conditionqu’une majorité des membres de chaqueassemblée soient présents.

La Commission a débuté ses travaux enjanvier 2000; elle devait remettre sonrapport un an plus tard, mais on lui aaccordé un délai de huit mois pour lecompléter [cf. Fédérations, vol. 1, n° 4,mai 2001]. En fait, il aura fallu sept moisde plus.

Les médias ont aussitôt pris à partie cerapport, accusant ses auteurs de choisirdes modifications superficielles plutôt quede tracer une nouvelle voie pour laculture politique fédérale de l’Inde etd’intégrer les réseaux de gouvernancedécentralisée.

Comment représenter les masses

Aujourd’hui, l’Inde connaît unedémocratie pluriculturelle, multipartite etfracturée. L’une des grandes questions estde savoir s’il faut remplacer le systèmeuninominal majoritaire à un tour auniveau fédéral. Les critiques soutiennent

que ce système convient mieux auxrégimes à deux partis, comme aux États-Unis ou en Angleterre, et qu’une formede représentation proportionnelle seraitpréférable.

Ces derniers temps, on comptetellement de nouveaux acteurs qu’il neserait pas équitable de les empêcherd’entrer dans l’arène politique sans avoirà gagner au préalable les élections dansdes scrutins uninominaux. Ainsi, desmouvements pour les droits de lapersonne et des mouvements populairesont fait leur apparition, commeNarmada Bachao Andolan, ou Sauvonsla rivière Narmada, qui s’oppose àl’aménagement d’un barrage sur cetterivière. Ces mouvements déplacent del’état vers la société civile la résolutiondes problèmes de développement et dedémocratie. Mais le rapport de laCommission n’aborde pas la question dela représentation.

Pouvoirs du président etpouvoirs d’urgence

La Commission recommande de revoir lapratique controversée des « Pouvoirs duprésident ». Il s’agit de l’un des neufarticles d’un paragraphe de laConstitution autorisant le gouvernementde l’Union (ou central) à assumer unecertaine forme de « pouvoirs d’urgence »en cas de « guerre ou agression externeou de rébellion armée » ou de « dangerimminent d’un tel événement ». LesPouvoirs du président permettent auprésident de l’Inde de s’arroger tous lespouvoirs d’un gouvernement d’état, oude placer les pouvoirs de cet état sous latutelle du Parlement si « la gouvernancede l’état ne peut être accomplieconformément aux dispositions de laConstitution ».

La Commission prend pour cible lapratique des Pouvoirs du président ences termes :

« Les Pouvoirs du président ont étéimposés dans 13 cas, alors même que leministère [de l’état] jouissait de l’appui

« La Commission propose249 amendements, ce

qui serait inimaginabledans nombre d’autres

pays fédérés, car ilfaudrait organiser des

référendums ou obtenirle consentement des

unités constituantes. »

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de la majorité de l’Assemblée législative.Cela englobe des exemples où… [lerèglement]… a été invoqué pourrésoudre des problèmes internes au partiou pour des considérations n’ayant rien àvoir avec le but visé par cet article. »

La Commission recommande que laConstitution soit révisée de façon àpermettre au Parlement de convoquerune séance spéciale au cours de laquelleil pourrait abroger les Pouvoirs duprésident dans toute situation, etqu’aucune assemblée législative d’état nepuisse être dissoute par les Pouvoirs duprésident sans que cette mesure soitd’abord approuvée par le Parlement.

D’une société religieuse à unesociété séculaire

Le rapport offre peu de solutions auxproblèmes indiens de transition d’unesociété religieuse à une société séculaire.Pour constater l’ampleur des problèmes,on n’a qu’à penser à l’état du Gujarat quia été le théâtre des pires flambées deviolence intercommunautaire depuisl’accès à l’indépendance en 1947. Enfévrier, après que des émeutiersmusulmans ait brûlé un train transportantdes activistes hindous, tuant 60passagers, une campagne de « nettoyagereligieux » a été lancée par des pseudo-militants hindous, faisant plus de 800morts, en majorité musulmans. Lepremier ministre et le ministre del’Intérieur de l’Union n’ont pas fait grand-chose pour révoquer le premier ministremilitant du Gujarat, malgré desdemandes en ce sens à l’échelle du pays.

Le rapport passe sous silence d’autressecteurs importants tels que l’ampleurdes pouvoirs fédéraux, la citoyenneté, laresponsabilité dans les affaires publiqueset la transparence de l’administration.Beaucoup estiment que ces lacunesfavorisent les intérêts du gouvernementcentral, aux dépens des gouvernementsd’état, d’autant plus que le parti BharatiyaJanata (BJP) au pouvoir ne dirige qu’unepoignée d’états politiquementnégligeables au pays. Dans le vaste étatd’Uttar Pradesh, le BJP ne parvient àmaintenir le pouvoir qu’en s’alliant avecson opposant idéologique, le partiBahujan Samaj, qui cherche à promouvoirles intérêts des classes « défavorisées ».

Politique et corruption

Avant de soumettre son rapport final, laCommission était acerbe au sujet de lacorruption. Publié en janvier 2001, ledocument de consultation de la

Commission sur les « Lois, processus etoptions de réforme en matièreélectorale » n’avait pas mâché ses mots :

« … Il y a des références constantes aux3 P – pouvoir de l’argent, pouvoir de laforce et pouvoir de la mafia, et aux4 C – criminalisation, corruption,communautarisme et castisme. »

« Par ailleurs, la plupart de nosreprésentants sont élus par une minoritéde voix, ce qui met en doute leurscompétences. Résultat, la légitimité denotre processus politique estsérieusement compromise. »

Les recommandations finales de laCommission ne donnent pas suite à cesbelles paroles. Bien que la punition desparlementaires acceptant des pots-de-vinsoit une étape dans la bonne direction,elle ne remédie qu’en partie à unproblème plus grave.

La Commission a même révisé sesrecommandations originales visant àrestreindre les « privilèges » des juges destribunaux de première instance et de laCour suprême. Son rapport reste muet àpropos des nominations à la magistraturede juges à la retraite. Il préconise mêmeque le Parlement modifie les lois actuellespour permettre aux juges de la Coursuprême de prendre leur retraite à 65 anset aux juges des tribunaux de premièreinstance de la prendre à 68 ans. Mais legouvernement pourrait exploiter cettemodification pour employer des jugesretraités dans des rôles de politiquepartisane. En Inde, les commissionsd’enquête sont le plus souvent présidéespar des juges des tribunaux de premièreinstance et de la Cour suprême, en posteou retraités. La Commission elle-mêmeen est un bon exemple. Le gouvernementmet habituellement les rapports auxoubliettes, et, même si ces rapports sontdéposés devant le Parlement de l’Union,des mesures concrètes sont rarementprises.

Quatre employés de la Commission ontallégué que quelqu’un au sein de laCommission avait modifié le rapportaprès approbation par l’équipe d’uneversion théoriquement définitive. Une deces modifications portait sur lanomination des juges à la Cour suprême.Subhash Kashyap, président du comité derédaction attaché à la Commissiond’enquête sur la Constitution, et anciensecrétaire général de la Lok Sabha(Chambre du peuple ou Chambre bassedu Parlement), est l’un des contestataires.

Sumitra Gandhi Kulkarni est une autrecontestataire. Elle soutient que laCommission n’a engagé aucun dialoguepublic au cours de ses délibérations. Parexemple, la Commission n’a parrainé que13 séminaires. Sur une population deplus d’un milliard d’âmes, on n’a comptéque 67 personnes ayant répondu auxquestionnaires de la Commission, et670 représentations par des individus oudes organismes.

Questions non résolues

Le rapport de la Commission esquive parailleurs la question litigieuse surl’empêchement des personnesd’ascendance étrangère (en particulier,Sonia Gandhi du Congrès national indien,chef de l’opposition à la Chambre bassedu Parlement de l’Union), d’accéder àdes postes constitutionnels importants.Le rapport recommande que cettequestion soit réglée uniquement dans lecadre d’un dialogue à l’échelle nationale.Cette proposition a été critiquée parVinod Kanth, avocat expérimenté dutribunal de première instance de Patna auBihar. D’aucuns soupçonnent que le BJPpréférerait en fait voir cette question serégler dans la rue, même si cela risque dedéclencher un conflit d’une ampleurcomparable à celle des manifestations deGujarat.

Même ces modestes réformesconstitutionnelles selon les critiques de laCommission risquent de ne jamais voir lejour. Dans tout le pays, le BJP continuede perdre les élections d’État, ce qui leplace en position de faiblesse auParlement. Aura-t-il la volonté oul’influence politique nécessaire pourobtenir la majorité des deux tiers qu’exigel’amendement de la Constitution?

Le rapport de commission est disponibleen ligne au http://lawmin.nic.in/ncrwc/finalreport.htm

« La Commission

recommande de revoir

la pratique

controversée des

Pouvoirs du président. »

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PAR LOUISE GAGNON

F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

L’augmentation du coût desmédicaments au CanadaLe gouvernement fédéral et les provinces sont déchirés entre lesconsidérations économiques et la santé.

De 1997 à 2001 au Canada, lesdépenses consacrées aux médicamentsvendus sous ordonnance ont augmentéannuellement de plus de 10 pour cent enmoyenne et dépassent aujourd’hui12 milliards de dollars à l’échelonnational. Ces chiffres sont tirés d’unrécent rapport diffusé par l’Institutcanadien d’information sur la santé,organisme qui enregistre les donnéesportant sur la prestation des soins desanté.

Ce constat provoque au Canada unereprise des demandes visant à modifier lapolitique pharmaceutique et à trouver desmoyens de freiner la hausse vertigineusedes dépenses pour lesmédicaments.

À la rubrique des dépenses desanté, les médicamentsoccupent aujourd’hui ladeuxième place, après lesservices hospitaliers.

Selon le rapport de l’Institut,l’augmentation des dépensestotales pour les produitspharmaceutiques au cours descinq dernières années estprincipalement due à la haussedes dépenses de médicamentsvendus sous ordonnance :depuis 1997, celles-ci sont eneffet passées de 8,4 à12,3 milliards de dollars, soitune augmentation de 46 pourcent. Les prescriptions prises encharge par l’État comptent pour49 pour cent, au lieu de 44 pour cent en1999. Les assureurs privés et les ménagesprennent à leur charge 51 pour cent ducoût total, indiquant une baisse de leurparticipation. Avec le vieillissement de lapopulation, les Canadiens compteront deplus en plus sur le trésor public pourdéfrayer le coût de leurs médicaments.

Divers facteurs contribuent à la hausseincroyable des coûts pharmaceutiques,notamment l’augmentation des sommesremises aux sociétés pharmaceutiquesdétentrices des brevets. Cette croissancerésulte de lois fédérales conçues pourmieux protéger les brevets sur lesmédicaments. Depuis 1987, le Canada a

prolongé la période de validité desbrevets, d’abord à sept ans, puis à 10, etmaintenant à 20. De plus, pour prolongerla protection assurée par un brevet au-delà de l’échéance de 20 ans, leslaboratoires producteurs de médicamentsde marque ont recours au procédécontesté de « rajeunissement constant »,qui consiste à diffuser une formulation àpeine modifiée d’un médicament brevetésous la même marque de commerce.

De surcroît, de plus en plus demédicaments sont diffusés sur le marché.Les dossiers en attente s’accumulent àSanté Canada, le ministère chargéd’étudier les demandes d’homologation

de médicaments de marque et deproduits génériques. Le prix desmédicaments dits « de percée » estsouvent élevé parce que l’industriepharmaceutique soutient qu’il a falluconsacrer énormément de recherche àleur développement.

Dans le cadre de leurs programmesd’assurance médicaments, les provincescanadiennes établissent des listes,appelées formulaires, auxquelles ellesinscrivent périodiquement de nouveauxmédicaments. À l’inscription d’unmédicament, la province prend à sacharge le coût de distribution aux aînés etaux bénéficiaires d’aide sociale. Certaines

provinces, comme la Colombie-Britannique, ont farouchement tenté decontenir le coût des médicamentsinscrits. D’autres favorisent la prescriptionde médicaments de marque par leurformulaire; tel est le cas du Québec, foyerd’une industrie de médicaments demarque à la fois de grande taille et degrande importance économique.

Dédoublement inutile ?

On pourrait améliorer le processusd’examen en deux étapes d’un nouveauproduit : avant son inscription auformulaire provincial, le produit estd’abord approuvé par Santé Canada, puispar la province.

« Un examen commun pourrait faciliter ladécision eu égard à ce qui est inscrit auformulaire et à ce qui ne l’est pas »,soutient Ron Corvari, fonctionnairefédéral au Conseil d’examen du prix desmédicaments brevetés, l’organisme quiapprouve le prix des nouveaux produitsde marque.

Le Canada n’est pas le seul à s’efforcerde plafonner les dépenses pour lesmédicaments. De par le monde, lesresponsables de la réglementation ont àl’œil la consolidation de l’industriepharmaceutique, veillant à ce qu’il ne secrée aucun monopole pour une classethérapeutique particulière demédicaments.

Pour le Canada, cependant, toutenouvelle mesure restrictive des dépensesconsacrées à l’achat des médicamentspourrait exiger que les gouvernementsfédéral et provinciaux se concertent pourrégler leurs différends. Ces différendsémanent, en partie, du conflit entre lapolitique de santé, conçue pour modérerles prix, et la politique industrielle,conçue pour créer des emplois etfavoriser la croissance économique.

Comme l’affirme, dans sa communicationsur la politique pharmaceutiquecanadienne, Donald Willison, professeuradjoint à l’université McMaster enOntario, les multinationalespharmaceutiques recherchent desconcessions comme :

« Toute nouvelle mesure restrictivedes dépenses consacrées à l’achatdes médicaments pourrait exigerque les gouvernements fédéral et

provinciaux se concertent pourrégler leurs différends. Ces

différends émanent, en partie, duconflit entre la politique de santé,conçue pour modérer les prix, et lapolitique industrielle, conçue pourcréer des emplois et favoriser la

croissance économique. »

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F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

• des lois de brevets vigoureuses,• l’inscription rapide des produits

comme bénéfices assurables,• moins de restrictions à l’octroi de

subventions aux nouveauxmédicaments par la voie del’assurance publique,

• plus de liberté pour établir le prixdes nouveaux produitspharmaceutiques.

Le Canada, les États-Unis et l’Unioneuropéenne ont créé des incitatifs pourencourager les investissementspharmaceutiques.

« Il nous faut accepter de porter lefardeau du coût de la recherche dansnotre budget de la santé », dit Willison,membre du département d’épidémiologieclinique et de biostatistique del’université McMaster. « Si nous voulonsnous définir comme économie du savoir,nous devons accepter d’en subir lesconséquences. »

En effet, en tant qu’« animal mondial »,l’industrie pharmaceutique est présenteaux quatre coins du monde. Elle est vuecomme secteur robuste de la nouvelleéconomie du savoir, tant vantée ces dixdernières années comme locomotive decroissance économique et de fierté.

Malentendu interprovincial?

Certaines provinces canadiennes, commela Colombie-Britannique, ont mis enœuvre des politiques pour contenir lecoût des médicaments. La politiqued’établissement des prix d’après unevaleur de référence encourage laprescription de médicaments génériquesen remboursant aux aînés leursmédicaments, selon le prix du moinscoûteux de leur catégorie thérapeutiqueparticulière si celui-ci est jugé aussiefficace que les produits de marquevendus à un prix supérieur.

Le Québec encourage plutôt laprescription de produits de marque parune politique selon laquelle ce n’estqu’après 15 ans d’inscription auformulaire provincial qu’un médicamentest remboursé au prix du produit le moinscoûteux ou du produit générique.

« Le gouvernement du Québec choisit desubventionner l’industrie pharmaceutiquede produits de marque », affirme JimKeon, président de l’Associationcanadienne des fabricants de produitspharmaceutiques, qui représente lesfabricants de produits génériques. « Ilexiste des versions génériques moinscoûteuses qu’on peut prescrire. »

En effet, une étude de Malcolm Andersonde l’université Queen’s a constaté desretards significatifs dans l’homologationde 34 médicaments génériques entre

1995 et 1999, de même que desdivergences dans l’inscription auxformulaires provinciaux des produitsgénériques moins coûteux.

Pour sa part, le Québec a établi en 1997un programme universel d’assurancemédicaments pour près d’un million deQuébécois qui n’étaient pas couverts parun programme privé parrainé par leuremployeur ou par un programme publicpour les aînés ou les bénéficiaires dubien-être social. Le programme est endéficit depuis son lancement et on aaugmenté la co-assurance payée par lesbénéficiaires, y compris les prestataires dubien-être social.

On critique ce programme parce quel’augmentation de la co-assurance, que lesparticuliers assurés individuellementdoivent payer, désavantage les plusvulnérables de la société alors que lesmultinationales pharmaceutiques récoltentde plantureux profits.

Le Québec se retirera-t-il?

En Ontario, la province la plus peuplée duCanada, le ministre de la Santé a réagi àla hausse vertigineuse des coûts definancement du programme demédicaments gratuits de l’Ontario(Ontario Drug Benefit Plan) en laissantentendre que la couverture universelle desaînés pour les médicaments pourrait nepas être nécessaire.

Dr Panos Kanavos, professeur de politiqueinternationale à la London School ofEconomics croit qu’il faut se rendre àl’évidence : la politique de la santé et lapolitique industrielle sont parfois enconflit. Après avoir étudié diversesjuridictions, Kanavos a conclu que laprésence d’une industrie pharmaceutiqueinfluence la politique de la santé.

« Cette industrie est fortement imprégnéepar la politique », affirme Kanavos.« Certains pays, comme l’Australie, onteffectivement freiné les prix par la mise enœuvre de politiques commel’établissement des prix d’après une valeurde référence. L’Australie n’a cependant pasd’industrie pharmaceutique. Une provincecomme le Québec pourrait réagir si l’onimposait le même principe par le biaisd’un système national. Les Québécoispourraient l’évoquer comme une raisonde plus de se retirer de la fédération. »

On a proposé comme solution de réduirele pouvoir provincial d’inscription et dedésinscription des médicaments pour leconfier à un organisme fédéralresponsable d’un formulaire national. Leformulaire national supplanterait lesprogrammes provinciaux et constitueraitun pas dans la direction d’un programmenational d’assurance médicaments.

« S’il y avait un système national, ce seraitun pas important dans la démarche decontrôle des coûts car il n’y aurait qu’unseul acheteur », dit Kanavos. « Sur le planpolitique, on ne peut probablement pascentraliser le remboursement des frais demédicaments et révoquer le pouvoir desprovinces d’administrer les soinspharmaceutiques. »

Mais pourrait-on politiquement faireaccepter cette proposition aux provincesjalouses de leurs pouvoirs? Willisonpropose une solution de mouturecanadienne : les provinces mettraient leursprogrammes d’assurance médicaments aumême diapason tout en restantindépendantes les unes des autres. Lesadministrateurs des programmes seconsulteraient au sujet des produits àinscrire et à ne pas inscrire au formulaire,ce qui ressemblerait davantage à unconsensus.

Les sociétés pharmaceutiqueset la publicité

Les sociétés pharmaceutiques consacrentune forte proportion de leurs dépenses àla commercialisation de nouveauxproduits. Elles lient souvent leur budget decommercialisation à celui de la rechercheet du développement.

Au Canada, Roy Romanow, directeur de lacommission qui étudie l’avenir du systèmede santé du pays, s’est maintes fois adresséau grand patron de la société pharmaceu-tique Aventis Pasteur pour savoir quellesomme la société consacrait à la rechercheet au développement de ses produitsrelativement à la commercialisation : il n’apas obtenu de réponse directe.

Au Canada, les produits pharmaceutiquesne peuvent légalement pas faire l’objetd’une publicité directe aux consommateurs.Mais les consommateurs canadiens demédias américains, les téléspectateurs enparticulier, sont exposés à une publicité quidésigne les médicaments par leur nom. Parson omniprésence, le marketing pousseimplicitement les gouvernementsprovinciaux à rendre disponibles lesnouveaux médicaments.

« La publicité attribue des vertusmiraculeuses à de nombreuxmédicaments », affirme Kanavos, faisantallusion aux médicaments contre l’arthritequi apparaissent depuis trois ans et quel’on vante pour éviter les ulcèreshémorragiques. « C’est une affirmationinexacte. Mais quand les consommateursvoient la réclame, ils s’attendent à avoiraccès au produit. On veut limiter l’effet quepeut avoir un médicament coûteux sur sonbudget, alors on pourrait peut-êtrerestreindre le nombre de produits offertsdans une classe donnée demédicaments. »

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PAR MARIA JOSE LUBERTINO

F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

Argentine : une crisede confianceL’imposition de mesures d’austérité et l’instabilité politique ontminé le système fédéral argentin, tout en alimentant l’espoir d’un« fédéralisme mondial ».

La crise en Argentine a profondémentminé la confiance des Argentins dansleurs institutions politiques et lesinstitutions financières mondiales commele Fonds monétaire international (FMI).Elle a affaibli la capacité dugouvernement central d’agir de façonautonome, et pratiquement asphyxiéplusieurs gouvernements provinciaux.

Aujourd’hui, 18 des quelque 40 millionsd’Argentins vivent sous le seuil de lapauvreté. Trois millions de personnes setrouvent sans emploi, et trois millionsde plus sont sous-employées. Larépartition inéquitable des richessestouche 80 pour cent de la population.L’appareil de production a été démantelé,des entreprises ont fermé leurs portes etles faillites ont atteint un taux record. Lesrecettes fiscales ont chuté de façondramatique, et la dette extérieure se situeactuellement au-delà des 150 milliardsde dollars US. Comble de tout, la librecirculation des biens et services étrangersau cours des onze dernières années aentraîné une substitution de laproduction locale.

Cinq années de récession et de déflation,l’effondrement du système de sécuritésociale et une société en pleinbouleversement sont le résultat del’application d’une politique économiquequi a provoqué une « crise dereprésentation » au niveau del’administration des affaires publiques etde la prise de décision politique.

En conformité avec lesprescriptions internationales

Depuis 1983, les gouvernementsdémocratiques poursuivent des politiquesqui se sont soldées par une detteinsoutenable. Ils ont ensuite imposé desmesures correctives dictées par desinstitutions financières internationales,avec pour objectif déclaré de réintégrerl’Argentine dans l’économie mondiale.

À son corps défendant, le présidentAlfonsin a adopté cette politique à la findes années 1980. Avec son

gouvernement, il avait d’abord poursuiviune politique différente, mais l’économieétait devenue ingérable et il avait perdule soutien populaire pour ne pas avoirtenu ses promesses. Il a dû affronter desgroupes de pression de l’intérieur et del’extérieur du pays, lesquels voyaientdans la privatisation de larges secteurs del’économie (dont certains passeraientsous contrôle étranger) la panacée auxmaux économiques de l’Argentine.

Le successeur d’Alfonsin, le présidentMenem, a poursuivi dans cette voie defaçon plus enthousiaste, le menant à desconséquences ultimes – même si celacontredisait toutes ses promessesélectorales. Le processus s’est confirmédans les années 1990, entraînant la plusgrande concentration de pouvoiréconomique de toute l’histoire del’Argentine.

Les principales caractéristiques de cettepolitique étaient :

• la vente des avoirs nationaux, par lebiais de la privatisation des servicespublics et sociaux,

• la restructuration du systèmebancaire, devenu progressivementextraterritorial,

• une importante augmentation de ladette extérieure, et

• la parité avec le dollar américain.

Cela a suffit pour que Menem soit réélupour dix années, alors que le FMI, laBanque mondiale et le secrétaire autrésor américain saluaient les réformesde Domingo Cavallo, son ministre desFinances.

Espoir déçu d’une « troisièmevoie »

Au terme du régime Menem, beaucoupd’Argentins se retrouvaient appauvris etdésenchantés de la politique actuelle.Après les complications associées à cerégime, la victoire de De la Rua et duParti Alliance aux élections de 1999apparaissait – même si De la Rua étaitun conservateur notoire – comme la

« troisième voie » souhaitée, celle d’ungouvernement honnête et progressif.

On connaît la suite. La bulle engendréepar le régime Menem a éclaté, donnantlieu à une concurrence féroce entre lessecteurs qui avaient profité de laconcentration économique des années1990. Le gouvernement appliqua lamême médecine qu’auparavant, toujourssans faire d’inventaire préalable. Mêmeles éléments soi-disant progressifssoutenaient cette politique comme étant« la seule possible » dans lescirconstances.

La coalition gouvernementale s’estensuite effondrée et le vice-président aquitté son poste, de même que denombreux représentants en poste duparti présidentiel.

Le public a alors perdu confiance dans legouvernement. Les questionséconomiques et financières ont pris desproportions rocambolesques et le paysest devenu pratiquement ingouvernable.Il y eut un soulèvement populaire et denombreux groupes politiques etéconomiques ont cherché à renverser legouvernement, ce qui a entraîné unerépression, des morts, puis la démissiondu président.

L’impossibilité d’en arriver à unconsensus au sein de la coalition aupouvoir a obligé à de nombreuxchangements et renversements depouvoir à l’exécutif, jusqu’à ce que leprésident Duhalde soit élu parl’Assemblée législative pour terminer lemandat présidentiel. Celui-là même quiavait concédé la victoire à De la Rua en1999 allait le remplacer.

Avec son premier discours commeprésident, Duhalde a laissé planer unespoir de changement… qui dura à peineune semaine. Talonné de toutes parts, ilcéda aux divers groupes d’intérêtengagés dans des luttes intestines audétriment du peuple argentin.

Toutefois, il continuait à avoir le soutiende la majorité au parlement, lequel

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F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

approuva ses projets de loi presque sansdébat. Ce soutien lui venait des membresde son parti, le Parti Justicialiste, maiségalement, avec quelque réserve, de lamajorité des membres du Parti Radical etde plusieurs membres du Frepaso, parti àtendance gauchiste.

À la pauvreté, au chômage et au manquede confiance dans le système bancaire etdans la monnaie nationale, il fautdésormais ajouter l’augmentation effrénéedu prix des biens et services, le gel ou laréduction des salaires, et une pénurie demédicaments de base.

Des conditions contraignantes,surtout pour les provinces

En réponse à la demande de capitauxfrais, le FMI impose une série de mesureslégislatives et économiques, notammentles conditions sine qua non suivantes :

• abrogation de la loi sur la faillite etde celle portant sur la « subversionéconomique »,

• ajustement des budgets national etprovinciaux, et

• retrait de la circulation des bonsprovinciaux, lesquels ont fini parreprésenter, depuis qu’ils ont étéémis par les provinces, à peu près50 pour cent des devises encirculation.

Il est vrai que la plupart desgouvernements provinciaux, dans lesannées 1990, avaient majoré leur budgetde dépenses, alors même que les recettesfiscales étaient à la baisse. L’augmentationdes dépenses publiques était due à unebaisse des activités de production :certaines provinces, aux prises avec desusines désertes, avaient cherché àréemployer la main-d’œuvre en chômagedans le secteur public. Les provinces ontégalement souffert d’une baissesubstantielle des recettes fiscales locales,ce qui a entraîné d’importants déficits,ainsi qu’une expectative et unedépendance accrues par rapport auxtransferts du gouvernement fédéral –lequel perçoit, de toute manière, quelque70 pour cent des impôts du pays.

Le fédéral est le seul ordre degouvernement autorisé à traiter avec lesorganismes internationaux de crédit. Defait, il travaille à convaincre lesgouverneurs provinciaux de consentir auxréformes et aux ajustements exigés par leFMI.

Le gouverneur de San Luis est la seuleautorité provinciale qui ait refuséd’entériner l’entente fédérale sur laréforme politique destinée à modifier le

système électoral et à réduire le coût« politique ». De plus, seulement six des24 gouverneurs ont conclu une ententebilatérale nation-province sur lesajustements fiscaux : quatre du PartiJusticialiste et deux du Parti Radical.

Mis à part l’opposition de gauche, seulsquelques législateurs nationaux issus dedeux ou trois provinces faisant partie de lacoalition gouvernementale ont amené laquestion sur la table, sans effet notable,toutefois, sur la position de l’équipe enplace.

Confiance populaire et« fédéralisme mondial »

La tâche qui incombe en priorité à toutgouvernement en Argentine est de rétablirla confiance populaire dans la capacitédes gouvernements de résoudre les criseséconomiques. Cela risque de prendreplusieurs années et ne se fera passimplement en organisant de nouvellesélections, en révisant le système électoral,en établissant de nouvelles règles du jeupour le financement des activitéspolitiques, ou en assurant l’indépendancedu système judiciaire. Il s’agit là deconditions nécessaires mais nonsuffisantes.

La confiance dans l’appareil politique nepourra être rétablie que par des résultatsconcrets, qui doivent changer la vie desgens au quotidien, se traduire par unerelance de l’économie et la créationd’emplois, et restituer les services de baseau chapitre de l’éducation, de la santé etde la sécurité sociale.

Plusieurs font valoir que cela n’estpossible que par une redistribution desrichesses. Ainsi, la lutte à la pauvretédevrait être le principal objectif. Assurer lasécurité d’emploi et le financement de laformation de tous ceux qui sontprésentement en chômage, et garantir unrevenu minimal pour tout enfant ou aînéà charge permettraient, en plus desatisfaire à un idéal de justice sociale, destimuler la demande et de relancerl’économie.

Mais il en est qui posent le problème entermes plus complexes, parlant de lasouveraineté et de l’indépendance dontdevrait faire montre la nation dans sesrelations extérieures.

L’économie mondiale est régie par la loidu marché. Toutefois, si le marché dansson ensemble obéit à peu de règles, il estclair que les pays avantagés ne manquentjamais d’imposer leurs règles du jeu àleurs propres marchés.

D’autres pays ont vécu une expériencecomparable à celle de l’Argentine et y ontremédié de diverses façons. Conscientsdu monde qui les entourent, nombreuxsont les Argentins qui souhaitent uneforme de coalition internationale quiviendrait contrebalancer l’influencedisproportionnée de l’« économie » surl’ordre international.

L’établissement de règles de base pourl’économie mondiale exige un modèle deprise de décision plus démocratique auniveau mondial. Les Argentins se tournentvers des organismes comme les NationsUnies, en souhaitant que ceux-ciparticipent plus activement au dossier.Pourquoi pas des Nations Unies de typefédéral, qui adopteraient un mode degouvernance à la majorité tout enprotégeant le droit des minorités, aprèsavoir retiré aux grandes puissances leurdroit de veto? Il ne reviendrait certes plusà une élite de contrôler la plupart desdécisions.

Peut-être la crise actuelle motivera-t-ellel’Argentine et d’autres pays d’Amériquelatine à initier un mouvement en faveurd’une réforme mondiale des institutions.L’expérience amère qu’ils ont eue de lamondialisation a conduit les Argentins àchercher des institutions qui favorisentl’équilibre et l’harmonie entre les intérêtslocaux, nationaux et internationaux.

Les mouvements anti-mondialisationprennent tout leur sens dans ce contexte.Ils révèlent un réel besoin dechangement – comme le font lesmouvements de citoyens, lesprotestations « de la casserole » et lescomités de voisins en Argentine. Cesformes de protestation sociale ontégalement le potentiel d’aboutir à dessolutions viables.

Mais, que ce soit en Argentine ou ailleurs,cette mouvance n’est pas suffisante. Il luimanque, en Argentine notamment,l’émergence d’un leadership novateur,lequel, dans la foulée de cetteprotestation, saurait combiner honnêtetéet imagination pour ouvrir la voie à dessolutions politiques et économiques.

Sur la scène internationale, nombreuxsont les Latino-Américains qui souhaitentun leadership capable d’articuler cesréformes. Beaucoup d’Argentins espèrent,quant à eux, que leurs souffrances aurontau moins contribué à l’établissement d’unnouvel ordre social, plus juste, et àl’émergence d’un leadership orienté versla création d’une forme de mondialisationplus démocratique et fédéraliste.

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PAR MIHAILO CRNOBRNJA

F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

En Yougoslavie, le régimefédéral s’accroche L’Union européenne est satisfaite de l’accord qu’elle a aidé ànégocier pour sauvegarder la fédération. Mais qu’en pensent laSerbie et le Monténégro?

Le 15 mars 2002, un jour seulementavant le sommet de l’Union européenne(UE) à Barcelone, la Serbie et leMonténégro signaient un accord deprincipe portant sur leurs relationsfutures [cf. l’encadré]. Ce geste mettaitfin à quatre mois de pourparlersdiplomatiques tumultueux exacerbés pard’intenses pressions de la part de l’UE enfaveur d’un règlement quelconque quiempêcherait l’effritement d’un autre Étatdes Balkans.

Lors du sommet de l’UE à Barcelone, onqualifiait la signature de l’Accord deBelgrade d’importante victoire pour lapolitique étrangère et les politiques desécurité de l’UE. L’attention et la gloiregénérées par l’événement rejaillissaientsur les présidents de la Yougoslavie et duMonténégro.

Mais la jubilation des chefs degouvernement de l’UE contrastaitvivement avec la froide réception que laSerbie et le Monténégro réservaient àl’Accord de Belgrade. Au lieu de redonnerde l’élan et un certain soulagement auxefforts pour repenser et redéfinir lesrelations avec la Serbie, la signature del’Accord de Belgrade a engendré unecrise qui a ébranlé le gouvernementmonténégrin. Au moment de rédiger leprésent article, cette crise perduraitdepuis sept semaines déjà et rien nelaissait entrevoir de solution. On semblecroire que la meilleure façon de calmercette crise consiste à organiser desélections générales, à moins que les troispartis au pouvoir arrivent à conclure uneentente quelconque. Deux petits partissouverainistes irréductibles ont quitté lesrangs du gouvernement en clamant bienhaut que le président Djukanovic, qui estégalement le chef du troisième et plusgrand parti de la coalition, avait trahicette coalition.

Un nationalisme qui grandit

En Serbie, l’Accord de Belgrade a ravivé lenationalisme serbe et attisé les ardeursen faveur d’un État indépendant. Le petit

état du Monténégro fait l’objet d’uneimpatience grandissante. La plupart desSerbes ordinaires ont l’impression d’avoirété pris en otage par une clique duminuscule état. Les sondages actuelsrévèlent que près de 60 pour cent de lapopulation s’oppose à l’Accord deBelgrade, alors que 30 pour cent semblel’appuyer.

Un important parti parmi les 18 quiforment la coalition au pouvoir en Serbie

s’affaire à recueillir les 100 000signatures nécessaires pour tenir unréférendum sur l’indépendance de laSerbie. Même les politiciens serbes lesplus libéraux et les plus ouverts n’ontrien trouvé de mieux à dire au sujet del’Accord de Belgrade que : « C’est ce qu’ily avait de mieux à faire, compte tenu descirconstances » et « l’Accord pourraitpotentiellement servir à renforcer lesliens entre la Serbie et le Monténégro ».

Accord du 15 mars 2002• Le nouvel État s’appellerait Serbie et Monténégro. Il posséderait un

parlement, un président, un conseil de ministres et un tribunal.

• La plus importante loi du nouvel État sera sa charte constitutionnelle qui seraconçue par une commission constitutionnelle tripartite (formée de membresdu parlement fédéral et des parlements serbe et monténégrin) et qui devraêtre adoptée initialement par les parlements des deux entités avant depouvoir être adoptée par le parlement fédéral. La charte sera soumise àl’attention des parlements pour qu’ils en débattent d’ici la fin de juin.

• Le parlement serait constitué d’une seule chambre et accorderait un certaintraitement préférentiel aux députés du Monténégro.

• Le président serait choisi par le parlement; il proposerait les membres duconseil des ministres et surveillerait leurs travaux.

• Le conseil des ministres serait actif dans cinq secteurs : les affaires étrangères,la défense, les affaires économiques internationales, les affaires économiquesintérieures, la protection des droits de la personne et des droits des minorités.

• Le tribunal aurait pour responsabilité le maintien des liens harmonieux entreles systèmes judiciaires et la surveillance des actes judiciaires des ministères.Elle n’exercerait aucune autorité au niveau des procès.

• Les niveaux de réforme économique actuels des états membres servent defondement en vue de réglementer les relations économiques mutuelles.

• Les élections pour élire le parlement auront lieu suivant l’adoption de lacharte constitutionnelle; le président et le conseil des ministres serontnommés. Les états membres devront modifier leur Constitution en fonctionde la charte d’ici la fin de 2002.

• Après une période de trois ans, les états membres auront le droit d’engagerdes mesures pour quitter l’État commun. Si le Monténégro quitte, la Serbiedeviendra le seul successeur des documents internationaux relatifs àl’ancienne Yougoslavie, en particulier la résolution 1244 du Conseil desécurité des Nations Unies sur le Kosovo.

• L’UE offrira de l’aide à la concrétisation de l’Accord; il donne des garanties àl’effet que la lenteur que l’un des états membres met à respecter le critèred’association n’aura pas d’incidences négatives sur l’autre état.

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F é d é r a t i o n s volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

Par conséquent, le seul acteur quisemble vraiment satisfait de l’état actueldes choses est l’UE. Après dix ans detergiversations dans la péninsulebalkanique et de rôles de second plandans des scénarios américains, l’UEdevait démontrer sa capacité de réglerau moins une crise à l’échelle desBalkans. Jusqu’à la signature de laprésente entente, les États-Unissemblaient toujours prendre les devantslors des conflits armés dans la région, ycompris ceux qui ont secoué la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et finalement,la Macédoine.

La crise qui menaçait les relations ausein de ce qu’il reste de la Yougoslaviesemblait moins urgente, car on n’ajamais cru que la Serbie et leMonténégro finiraient par recourir à laviolence pour redéfinir leurs liens futurs.En outre, les deux partis affirmaient queleur objectif stratégique ultime étaitl’association et, en bout de ligne, le statutde membre de l’UE. C’est surtout cetargument que l’UE a repris à la table denégociations et qui a rendu possible lasignature de l’Accord. Le fait que lesÉtats-Unis endossaient fortementl’initiative de l’UE revêtait égalementune grande importance.

La volonté de demeurerensemble?

Nul doute que l’Accord de Belgradeconstitue un appui clair en faveur dustatu quo. Il s’agit d’une ententepragmatique conclue entre deux partis,sous la forte influence d’un troisièmeparti, entente dont certaines dispositionsmajeures laissent les deux partis fortinsatisfaits.

L’objectif immédiat de l’UE, qui consiste àempêcher le Monténégro de se séparer,n’a pas été réalisé, seulement retardé detrois ans. Pour y parvenir, l’Accord deBelgrade a dû accepter un plus grandnombre d’éléments négociés par lesintervenants monténégrins, ce qui adéplu à beaucoup de Serbes. L’UE espèrequ’au cours de ces trois ans, l’humeurpolitique du Monténégro s’améliorera,que l’état délaissera ses viséesséparatistes et se montrera plus intéresséà former un État commun avec la Serbie.

L’UE a cependant tenu pour acquis quela Serbie serait toujours intéressée àconstituer un État commun avec leMonténégro, une hypothèse qui pourraitbien s’avérer fausse.

La bonne nouvelle, c’est que pour lemoment du moins, la vie des citoyensordinaires n’a pas vraiment changé dans

une république comme dans l’autre. Ilscontinuent de voyager sans problèmes àtravers l’UE et de se déplacer à l’extérieurde la Serbie et du Monténégro avec unseul passeport. Les propriétés détenuespar les Serbes au Monténégro, et viceversa, sont toujours protégées. En outre,beaucoup de Monténégrins fréquententencore l’université de Belgrade, alors quebeaucoup de Serbes prennent encoreleurs vacances au Monténégro.

La mauvaise nouvelle, c’est que l’UE agrandement gonflé l’importance del’Accord de Belgrade et que les partis ontencore énormément de travail à abattre.

Les fédéralistes et les séparatistess’affrontent

Pour l’instant, l’Accord demeure unénoncé d’intentions politiques. Il n’a pasété concrétisé, c’est-à-dire qu’il n’a pasdonné lieu à une nouvelle structureétatique. Il est déjà acquis quel’échéancier prévu ne sera pas respecté.C’est là le moindre des deux problèmesauxquels seront confrontées les instanceschargées de rédiger la charteconstitutionnelle. La grande difficultéconsistera à concilier les aspirationscontradictoires des fédéralistes et desséparatistes qu’on avait cachées sous letapis pour signer l’accord politique maisqui referont surface une fois la charteélaborée.

Les fédéralistes réclamaient un modèled’État défini par les deux républiques etcapable de fonctionner en touteautonomie, tant au niveau desresponsabilités internes qu’externes. Lessouverainistes monténégrins exigeaientune union sous le contrôle absolu desétats souverains constituants. L’Accord faitmention des deux mais une questiondemeure : La charte constitutionnellearrivera-t-elle à créer un État fonctionnel?

Pour qu’un État soit pleinementfonctionnel, il doit jouir d’une autonomiejuridique, organisationnelle et financière.Le futur État ne peut être le seul fruit derèglements négociés entre deuxrépubliques. Il s’agit d’un principe clédont la charte constitutionnelle devratenir compte et articuler clairement.

On note une série de questions fortcomplexes qui ont été abordées entermes vagues dans l’accord politiquemais qu’il faudra convertir et définirclairement dans la charte d’Étatexécutoire.

Les élections pour élire le parlementconjoint seront-elles directes (point devue serbe) ou indirectes (point de vuemonténégrin)?

• De quelle façon la charte définira-t-elle la répartition des pouvoirs, lesrelations mutuelles et lesresponsabilités des autorités légaleset du pouvoir exécutif dugouvernement?

• La charte pourra-t-elle déterminerquelles ententes politiquespermettront d’établir ce quiconstitue une majoritéparlementaire et comment formerun gouvernement?

• L’Accord de Belgrade ne fait aucuneallusion à l’autonomie financière del’État conjoint. Sera-t-il financé parles états membres – la faiblesolution proposée par leMonténégro – ou sera-t-il financépar le biais d’une source financièreindépendante comme une taxe àvaleur ajoutée, par exemple?

Un pays, deux monnaies?

De plus, puisque le nouvel Étatcontinuera de fonctionner avec deuxmonnaies, le dinar en Serbie et l’euro auMonténégro, il y aura deux banquescentrales. Des ententes aussi bizarresn’existent que dans deux autres pays àtravers le monde, soit en Chine et àHong Kong. En outre, au momentd’établir le nouvel État, le système detarifs douaniers actuel demeureraopérationnel, même si les tarifs envigueur au Monténégro sont nettementinférieurs à ceux en vigueur dans lesautres pays de l’UE. Par contre, les tarifsdouaniers de la Serbie resterontsupérieurs de 50 pour cent environ àceux des autres pays de l’UE. Une tellesituation nuira probablement à la librecirculation des biens, du moins au début.

L’UE se propose de régler éventuellementla question d’un marché commun ennégociant une « entente de stabilisationet d’association » entre l’UE et le nouvelÉtat. Dans le meilleur des cas, ce systèmedualiste perdurera pendant plusieursannées. Au pire, il faudra songer àprolonger le processus d’accession à l’UE.

Dans le cadre de l’Accord, l’UE a promisde l’aide et des garanties aux Serbes etaux Monténégrins. À long terme, lesefforts iront surtout à combler l’imposantécart économique entre les deuxrépubliques. Mais à court et moyenterme, les émissaires de l’UE aurontbeaucoup de travail politique à abattrepour produire une charte constitution-nelle capable d’incarner leur vision.

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Ludwig Adamovich, président du Tribunal constitutionnel de l’Autriche

Les droits des minorités dans un système fédéralLudwig Adamovich, Jr. estprésident du Tribunal constitutionnelautrichien, poste qu’il occupe depuis1984. Le Tribunal constitutionnelautrichien est, en Autriche, le dernierrecours pour les cas touchant à laConstitution. Il a rendu en décembre 2001une décision très controversée permettantque les panneaux de signalisation soienten slovène et en allemanddans la province dela Carinthie, où10 pour cent de lapopulation est slovène.Jörg Haider,gouverneur de laCarinthie, s’est opposéà cette décision.

Au mois de mars,David MacDonald, duForum des fédérations,s’entretenait avecM. Adamovich, àVienne, pourFédérations. L’entretienportait sur le rôle duTribunal constitutionnelde l’Autriche et l’expériencede M. Adamovich en tant que juge.

Fédérations : Le Tribunalconstitutionnel autrichien est un desplus anciens tribunaux au monde. LeTribunal constitue-t-il le noyau dufédéralisme autrichien?

Adamovich : Oui, le Tribunal statue surdes questions touchant au fédéralisme.La Constitution permet à chaque Land(province autrichienne) de contester laconstitutionnalité d’une loi fédérale devantle Tribunal constitutionnel. De la mêmemanière, le gouvernement fédéral peutcontester le statut parlementaire dechaque Land. Le Tribunal statue aussi surles questions de répartition des pouvoirsentre la Fédération et les Länder.

Pouvez-vous en donner un exemple ànos lecteurs?

Le cas d’intérêt général le plus récentportait sur la construction d’un tunnel surla ligne de chemin de fer Vienne – Basse-Autriche – Semmering – Styrie – Carinthie(qui continue vers l’Italie, la Slovénie et laCroatie). Une dispute constitutionnelle a

éclaté entre la Fédération et la Basse-Autriche à savoir si le statut légal du Landsur la protection de la nature pouvaitinterdire à la Fédération de construire untunnel qui améliorerait l’efficacité d’uneimportante voie ferrée. Le Tribunalconstitutionnel a étudié la question, et astatué qu’une loi sur la nature et laprotection environnementale d’un Landdevait tenir compte des différents intérêts,notamment celui de la Fédération àplanifier, construire et administrer leschemins de fer. La dispute n’est toujourspas réglée : même si le parlementprovincial de la Basse-Autriche a amendéla loi, l’autorisation de construire ce tunnela encore été rejetée. Je crois que leTribunal aura bientôt à se prononcer denouveau sur la question.

Ce n’est que récemment, le 1er janvier1995, que l’Autriche s’est officiellementjointe à l’Union européenne. En quoicet événement a-t-il influencé lefédéralisme autrichien et votreTribunal?

Nous n’avions qu’à déterminer qui estresponsable de prendre les décisions enmatière de droit européen. Si la questionrelève des tribunaux ordinaires, il ne faitaucun doute que la Cour suprême doitstatuer, surtout dans les cas concernant larelation entre les lois de l’Unioneuropéenne et les lois intérieures. Mais onpouvait se demander s’il revenait auTribunal administratif ou au Tribunalconstitutionnel de statuer sur une questionqui relève des organes administratifs et quitouche à la relation entre les lois del’Union européenne et les lois intérieures.Il y a quatre ou cinq ans, le Tribunalconstitutionnel a jugé que c’était auTribunal administratif de statuer sur cesquestions. Le Tribunal constitutionnel nestatue que sur quelques cas spéciaux.

En règle générale, le Tribunalconstitutionnel n’a pas à statuer sur laplupart des questions parce que, en vertude notre système légal, le droit européenn’occupe pas le même rang que le droitconstitutionnel. L’entrée de l’Autriche dansl’Union européenne en 1994 a donné lieuà une refonte totale de la Constitutionparce que le droit européen touchait à laplupart des principes fondamentaux de laConstitution, notamment la démocratie, lefédéralisme, la répartition (partage) despouvoirs et la suprématie du droit. Ladélégation des pouvoirs législatifs àl’Union européenne touchait à la fois auprincipe démocratique (les actes législatifssont émis par le Conseil européen où lesorganes exécutifs des États membres sontreprésentés) et au principe fédéral(réduisant la souveraineté des Länder,leurs pouvoirs législatif et exécutif).

« Le statut des étrangers constituera un autre sujet difficile et délicat : même s’il est tout à fait

impossible d’accorder aux étrangersle même statut que les citoyens,

on ne peut pas leur imposer toutesles restrictions. Voilà une autrequestion sur la protection des

droits de la personne. »

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Votre Tribunal a statué sur desquestions touchant aux droitsindividuels, aux droits de la personneet aux droits des minorités. Pouvez-vous nous donner un exemple d’unjugement sur les droits des minorités?

Oui, une bonne partie des jugementsrendus par le Tribunal touchent aux droitsde la personne. La Conventioneuropéenne des droits de l’homme a lestatut de loi constitutionnelle en Autricheet elle est directement applicable. Parconséquent, elle sert de base à bonnombre de jugements. LeTribunal a récemment statuésur les droits des minorités,une décision qui agrandement retenul’attention, car elle affecte lestatut de la minorité slovèneen Carinthie. Selon unedisposition(constitutionnelle) du Traitéd’État autrichien de 1955,les minorités ont droit à despanneaux de signalisation(ville et route) bilingues.Mais dans quelle mesuredoit-on accorder ce droit? C’estune question controversée, que leTribunal a tranché en faveur de laminorité. Le jugement a été mal reçu,surtout en Carinthie, à cause de l’histoireparticulière de la majorité germanophoneet de la minorité slovène. Cette question aprovoqué quelques disputes après laPremière Guerre mondiale, et l’Étatnouvellement constitué de la Yougoslavievoulait annexer la région méridionale dela Carinthie. Un référendum a étéorganisé, et le résultat a favorisé l’Autriche.Après la Deuxième Guerre mondiale, laYougoslavie a de nouveau réclamé unepartie de la Carinthie méridionale. LaYougoslavie a bénéficié quelque temps del’appui de l’Union soviétique jusqu’à larupture entre Staline et Tito. En 1955, lorsdes débats entourant la rédaction duTraité d’État, les Soviétiques voulaientqu’on adopte une clause spéciale pourprotéger la minorité slovène en Carinthie.Aujourd’hui encore, Vienne et la Carinthiene s’entendent pas sur un point : dansquelle mesure doit-on accorder ce droitaux minorités? Nous verrons bien ce quiadviendra. C’est un sujet très délicat.

Sentez-vous un certain danger quanddes politiciens s’attaquentbrutalement au Tribunal?

Les attaques contre le Tribunal ne sontpas nouvelles, c’est la manière d’attaquerqui l’est.

Croyez-vous que cette situation serépétera souvent?

Non, je ne crois pas parce que leproblème en est un spécial, propre à laCarinthie. On ne rencontre pas ailleurs enAutriche ce genre de problème. Presquetoutes les familles de la Carinthie ont été,d’une manière ou d’une autre, impliquéesdans le conflit opposant les personnes delangue allemande et celles de langueslovène. Tant que la République deYougoslavie existait, un problèmeidéologique subsistait parce qu’il s’agissait

d’un étatcommuniste.Il faut tenircompte dufait que laSlovénieactuelle estun Étatvéritabled’environdeuxmillionsd’habitants,qui aspire àentrer dans

l’Unioneuropéenne. Je crois qu’il faut trouver unesolution. Je vous disais tout à l’heure qu’ils’agit d’un problème propre à la Carinthie,mais certains Slovènes ont aussi unementalité nationale et nationaliste.

Comme je le disais, le Tribunal a rendu unjugement très en faveur de la minorité, etla plupart des Carinthiens n’ont pascompris pourquoi la décision était prise silongtemps après la ratification du Traitéd’État et au cours d’une période de co-existence pacifique, comme ils disent. Deplus, le cas était lié à certains problèmesparticuliers concernant la juridiction duTribunal et la manière de déclencher laprocédure de révision des statutsparlementaires. Dans ce cas, un homme,membre bien connu de la minoritéslovène, a traversé un village de Carinthieau-dessus de la limite de vitesse. Il aécopé d’une contravention, et a déposéune plainte au Tribunal constitutionnelalléguant que le fondement légal de cettecontravention n’était pas correct étantdonné que le nom du village aurait dûêtre inscrit dans les deux langues.

Ainsi, le Tribunal se trouve au cœur dela gestion de la diversité, du respect detoutes les différences humaines?

Oui, et c’est pourquoi nous statuonssouvent sur des cas qui se rapportent auxdroits de la personne. Je crois que plus de

la moitié de nos cas traitent des droits dela personne.

Au Canada, il arrive fréquemment quele corps législatif ne se penche pas surdes questions controversées commel’avortement ou l’euthanasie. Il attendque ces cas passent par les tribunaux.Mais les tribunaux canadiensrenvoient maintenant la balle auxpoliticiens, en leur disant que ce sontdes questions politiques sur lesquellesils doivent légiférer. Cette situations’est-elle produite en Autriche?

Non, nous ne renvoyons pas la balle parceque, dans certains cas, ce n’est paspossible. Je vous donne un exemple :l’homosexualité. Les relationshomosexuelles entre une personnemineure (moins de 18 ans) et unepersonne majeure (plus de 19 ans)constituent encore un acte criminel –mais seulement pour les personnes desexe masculin. La constitutionnalité dustatut de cette loi a déjà été contestéeune fois, sans succès, parce que leTribunal a jugé raisonnables et noninconstitutionnels les arguments dulégislateur. Le Tribunal a également rejetéune autre demande (res judicata). Untribunal de seconde instance se penchemaintenant sur une troisième demande,et, dans ce cas, le Tribunal devra étudier laquestion d’égalité proprement dite.

Pour conclure, quels défis attendent leTribunal, à votre avis?

Les cas qui aboutissent au Tribunalreflètent toujours la situation politiquegénérale. La protection des droits sociauxsera une question très importante. Suiteau 11 septembre 2001, de nouveauxdéveloppements légaux ont eu lieu; ils nejouent pas un très grand rôle en Autriche,mais dans une certaine mesure, oui. Et laquestion de la protection des droits de lapersonne se pose étant donné que lesforces policières peuvent maintenantrecourir à de nouvelles techniques. Ils’agit d’une importante questionconstitutionnelle, qui, tôt ou tard, aboutiraau Tribunal. Le statut desétrangers constituera un autre sujetdifficile et délicat : même s’il est tout àfait impossible d’accorder aux étrangers lemême statut que les citoyens, on ne peutpas leur imposer toutes les restrictions.Voilà une autre question sur la protectiondes droits de la personne.

« La Conventioneuropéenne des

droits de l’homme ale statut de loi

constitutionnelle enAutriche. »