Fiscalité régionale et locale : actualités en droit public© régionale et... · Le droit public...

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Fiscalité régionale et locale : actualités en droit public par Bruno Lombaert avocat au barreau de Bruxelles et chargé d’enseignement à l’USL-B Mathieu Thomas avocat au barreau de Bruxelles et Martin Vrancken avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l’ULiège 1 L’exercice par les collectivités fédérées et locales de leur pouvoir fiscal se fait dans le respect de nombreuses règles de droit constitutionnel et administratif. Il s’agit de savoir dans quelles limites (législatives) et sous quels contrôles (notamment de tutelle administrative) peut s’exercer leur autonomie, quelles procédures administratives elles doivent respecter, quels principes généraux s’appliquent à leurs normes fiscales (« Non bis in idem », territorialité, annualité, non-rétroactivité, proportionnalité, etc.) et en particulier quelle est la portée des règles d’égalité et de non-discrimination en la matière. Le droit public « habite » réellement le droit fiscal, singulièrement s’agissant de ces niveaux de pouvoir. Même si l’on ne saurait aujourd’hui présenter la fiscalité régionale et la fiscalité locale sur un strict pied d’égalité parce que ces deux types de fiscalité relèvent de deux niveaux de pouvoir différents et qu’à ce titre, les normes fiscales qu’ils édictent respectivement ne relèvent pas des mêmes juridictions, il existe néanmoins bien des similitudes entre eux. Nous avons donc choisi de leur consacrer un exposé unique, commun, qui met en exergue sous chaque point ce qui relève de la fiscalité régionale et ce qui a trait au pouvoir de taxation local. Nous nous sommes livrés, dans une première partie (Titre Ier), à une revue de jurisprudence sur ces différents aspects de droit public, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, tant les sources sont abondantes, en particulier en ce qui concerne la fiscalité locale. Nous y épinglons les décisions dont nous avons connaissance, en privilégiant les plus récentes (essentiellement de 2016 et de 2017) et en privilégiant les questions que nous jugeons particulièrement intéressantes. Dans une seconde partie de la contribution (Titre II), nous examinons la question particulière de l’application des impositions directes fédérales sur les revenus (ISOC ou IPM) aux intercommunales, laquelle a suscité de nombreux débats, parfois passionnés, tant devant le Parlement que devant la Cour constitutionnelle. 1 Les auteurs tiennent ici à remercier les personnes qui ont bien voulu leur communiquer plusieurs arrêts et décisions inédits.

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  • Fiscalité régionale et locale : actualités en droit public

    par Bruno Lombaert

    avocat au barreau de Bruxelles et chargé d’enseignement à l’USL-B

    Mathieu Thomas

    avocat au barreau de Bruxelles

    et Martin Vrancken

    avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l’ULiège1

    L’exercice par les collectivités fédérées et locales de leur pouvoir fiscal se fait dans le respect de

    nombreuses règles de droit constitutionnel et administratif. Il s’agit de savoir dans quelles limites

    (législatives) et sous quels contrôles (notamment de tutelle administrative) peut s’exercer leur

    autonomie, quelles procédures administratives elles doivent respecter, quels principes généraux

    s’appliquent à leurs normes fiscales (« Non bis in idem », territorialité, annualité, non-rétroactivité,

    proportionnalité, etc.) et en particulier quelle est la portée des règles d’égalité et de non-discrimination

    en la matière. Le droit public « habite » réellement le droit fiscal, singulièrement s’agissant de ces

    niveaux de pouvoir.

    Même si l’on ne saurait aujourd’hui présenter la fiscalité régionale et la fiscalité locale sur un strict

    pied d’égalité parce que ces deux types de fiscalité relèvent de deux niveaux de pouvoir différents et

    qu’à ce titre, les normes fiscales qu’ils édictent respectivement ne relèvent pas des mêmes juridictions,

    il existe néanmoins bien des similitudes entre eux. Nous avons donc choisi de leur consacrer un

    exposé unique, commun, qui met en exergue sous chaque point ce qui relève de la fiscalité régionale et

    ce qui a trait au pouvoir de taxation local.

    Nous nous sommes livrés, dans une première partie (Titre Ier), à une revue de jurisprudence sur ces

    différents aspects de droit public, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, tant les sources sont abondantes,

    en particulier en ce qui concerne la fiscalité locale. Nous y épinglons les décisions dont nous avons

    connaissance, en privilégiant les plus récentes (essentiellement de 2016 et de 2017) et en privilégiant

    les questions que nous jugeons particulièrement intéressantes.

    Dans une seconde partie de la contribution (Titre II), nous examinons la question particulière de

    l’application des impositions directes fédérales sur les revenus (ISOC ou IPM) aux intercommunales,

    laquelle a suscité de nombreux débats, parfois passionnés, tant devant le Parlement que devant la Cour

    constitutionnelle.

    1 Les auteurs tiennent ici à remercier les personnes qui ont bien voulu leur communiquer plusieurs arrêts et décisions

    inédits.

  • 2

    TITRE 1er LES IMPOTS REGIONAUX ET LOCAUX ................................................................... 4

    A. La compétence fiscale .......................................................................................................... 4

    A.1 L’autonomie fiscale (des communes) .................... Error! Bookmark not defined.

    (a) Le principe................................................................................................. 4

    (b) Les limitations par le législateur ............................................................... 4

    (c) Les contrôles de tutelle ............................................................................ 14

    (d) Le principe de territorialité ...................................................................... 15

    B. La mise en œuvre du pouvoir fiscal ................................................................................... 16

    B.1 La procédure d’établissement de l’impôt ............................................................. 16

    B.2 La distinction entre taxe et redevance................................................................... 17

    B.3 L’absence d’exigence de motivation formelle ...................................................... 18

    B.4 Les motifs de taxation ........................................................................................... 18

    B.5 La définition des éléments constitutifs de l’impôt ................................................ 19

    (a) Les redevables ......................................................................................... 19

    (b) Les exonérations ...................................................................................... 22

    (c) Le taux ..................................................................................................... 27

    B.6 Le principe « Non bis in idem » en matière fiscale .............................................. 28

    B.7 L’application de l’impôt dans le temps ................................................................ 29

    B.8 Les sanctions ......................................................................................................... 31

    B.9 La réglementation fiscale par référence ................................................................ 31

    B.10 Les règles de publication ...................................................................................... 32

    B.11 La procédure fiscale .............................................................................................. 33

    (a) La taxation d’office ................................................................................. 33

    (b) Les voies de recours ................................................................................ 35

    C. Les règles d’égalité et de non-discrimination .................................................................... 37

    TITRE 2 La soumission des intercommunales à l’impôt fédéral sur les revenus : IPM ou ISOC ? 49

    A. L’évolution du cadre organique des intercommunales ...................................................... 49

    A.1 Le premier temps : le temps des intercommunales dont l’objet social était limité

    par le législateur .................................................................................................... 50

    A.2 Le second temps : le temps des intercommunales dont l’objet social n’est plus

    limité par le législateur ......................................................................................... 52

    B. L’évolution de la fiscalité directe des intercommunales .................................................... 54

    B.1 Le premier temps : le temps de l’alignement de principe du régime fiscal des

    intercommunales sur celui des communes et de la coexistence de deux régimes

    différents ............................................................................................................... 55

    B.2 Le deuxième temps : le temps de la suppression des deux régimes distincts de

    taxation à l’impôt direct et de la soumission des intercommunales à un impôt des

    sociétés largement atténué .................................................................................... 57

    B.3 Le troisième temps : le temps de la soumission automatique des intercommunales

    à l’impôt des personnes morales ........................................................................... 59

    B.4 Le quatrième temps : le temps de la soumission de principe à l’impôt des sociétés

    .............................................................................................................................. 62

  • 3

    C. La loi-programme du 19 décembre 2014 s’inscrit dans la logique des régimes fiscaux

    antérieurs ............................................................................................................................ 65

  • 4

    TITRE 1ER

    LES IMPOTS REGIONAUX ET LOCAUX

    A. LA COMPÉTENCE FISCALE : UNE AUTONOMIE ENCADRÉE

    A.1 Le principe

    1. Autonomie fiscale des pouvoirs locaux. En vertu de l’article 170 de la Constitution, les provinces et les communes sont compétentes pour établir des impôts, tout comme les collectivités

    supracommunales, les agglomérations et les fédérations de communes. Cette autonomie fiscale,

    consacrée par la Constitution, permet à ces entités de définir les éléments constitutifs des impôts

    qu’elles établissent. En particulier, le choix de la matière imposable relève de leur pouvoir politique

    d’opportunité ; sans que le juge puisse substituer son appréciation à la leur, elles peuvent donc choisir

    une matière imposable qui ne se retrouve que chez certains contribuables2. Partant, il leur est en

    principe loisible d’instaurer une taxe dans des matières déjà imposées par un niveau de pouvoir

    supérieur3 – sauf dans l’hypothèse où la loi l’interdit expressément

    4 –, voire même, comme l’a

    récemment admis le Conseil d’Etat, de percevoir une taxe sur des activités qui sont encouragées à des

    niveaux de pouvoirs supérieurs5. De même, il a été jugé qu’en vertu de ce même principe, une

    commune n’est pas tenue de se conformer à ce que font les autres communes, le cas échéant

    avoisinantes, ni même de s’en inspirer6.

    A.2 Les limitations par le législateur

    2. Faculté pour le législateur (fédéral) d’interdire certaines impositions locales. L’autonomie fiscale des collectivités locales n’est pas absolue. La possibilité d’édicter des limites à cette autonomie

    a été expressément prévue par le constituant. L’article 170, §§ 3 et 4, alinéas 2, attribue ainsi au

    législateur la compétence de déterminer, à propos des impositions locales, les exceptions dont la

    nécessité est démontrée.

    L’article 170 de la Constitution provient essentiellement de la deuxième réforme de l’Etat, intervenue

    en 19807. Aussi, sous l’angle de la répartition des compétences entre autorité fédérale et entités

    fédérées, la loi dont il est question dans cette disposition est la loi fédérale8. Chaque fois qu’elle est

    invitée à connaître d’un recours qui dénonce une violation des règles répartitrices de compétences en

    matière fiscale, la Cour se réfère aux travaux préparatoires de l’article 170 de la Constitution pour

    2 Voy. B. LOMBAERT, « L’autonomie fiscale des communes : entre l’Etat, la Région et l’Union européenne », Rev. dr.

    comm., 2006/1-2, pp. 2 et s., ici pp. 4-5 et l’abondante jurisprudence citée. 3 Civ. Flandre occidentale (sect. Bruges), 2 février 2016, R.G. n° 15/1238/A, L.R.B., 2016, p. 73. 4 Voy. infra. 5 C.E., 13 octobre 2016, n° 236.108, SA Green Wind, à propos d’un règlement-taxe sur les mâts d’éoliennes. Le Conseil

    d’Etat a assorti cette faculté d’une réserve : celle que sa mise en œuvre ne peut avoir pour résultat de priver de tout effet

    les mesures d’encouragement arrêtées par les niveaux de pouvoirs supérieurs (en l’occurrence l’Union européenne et la

    Région). 6 Civ. Flandre occidentale (div. Bruges) (civ.) (4e ch.) n° 15/3740/A, 12 décembre 2016. Voy. également C.E., 11

    septembre 2009, n° 195.978, Ville de Hotton, dont il est question infra, n° 8. 7 Révision de l’article 110 de la Constitution du 29 juillet 1980, Moniteur belge, 30 juillet 1980. 8 Voy. récemment D. DÉOM, « L’autonomie fiscale des communes, le législateur régional et les pouvoirs implicites »,

    Rev. dr. comm., 2017/3, pp. 28-31.

  • 5

    rappeler l’objectif de la règle de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution :

    « L’on peut déduire des travaux préparatoires de l’article 170 de la Constitution que le

    Constituant entendait, en adoptant la règle contenue à l’alinéa 2 de l’article 170, § 4, prévoir une

    "sorte de mécanisme de défense" de l’Etat "à l’égard des autres niveaux de pouvoir, de manière à

    se réserver une matière fiscale propre" (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 10-8/4°, p. 4).

    Cette règle a également été décrite par le Premier ministre comme un "mécanisme régulateur" :

    "La loi doit être ce mécanisme régulateur et doit pouvoir déterminer quelle matière imposable est

    réservée à l’Etat. Si on ne le faisait pas, ce serait le chaos et cet imbroglio n’aurait plus aucun

    rapport avec un Etat fédéral bien organisé ou avec un Etat bien organisé tout court" (Ann.,

    Chambre, 22 juillet 1980, p. 2707. Voy. également : ibid., p. 2708; Ann., Sénat, 28 juillet 1980, pp.

    2650-2651).

    "Je tiens à souligner […] que, dans ce nouveau système de répartition des compétences fiscales

    entre l’Etat, les communautés et les régions et institutions du même niveau, les provinces et les

    communes, c’est l’Etat qui a le dernier mot. C’est ce que j’appelle le mécanisme régulateur" (Ann.,

    Sénat, 28 juillet 1980, p. 2661) »9.

    Lorsque la Région wallonne a remplacé les taxes précédemment communales par des taxes régionales

    sur les mâts, pylônes ou antennes GSM dans le but de garantir aux communes des recettes stables que

    ne garantissaient pas les règlements-taxes communaux, la Cour a jugé, à trois reprises, qu’une telle

    limitation par une Région de la compétence fiscale des communes était contraire aux règles

    répartitrices de compétences en matière fiscale entre le législateur fédéral et le législateur régional10

    .

    La règle de principe n’exclut toutefois pas la mise en œuvre par une Région de ses pouvoirs implicites

    en vue de brider le pouvoir taxateur des communes qui en relèvent – dans le respect bien entendu des

    conditions fixées par la Cour constitutionnelle et le Conseil d’Etat, section de législation11

    . Ainsi, une

    Région peut adopter une réglementation qui aurait pour effet de restreindre la compétence des

    communes d’instaurer une taxe uniquement si la réglementation adoptée peut être considérée comme

    nécessaire à l’exercice des compétences de la région, que la matière se prête à un régime différencié et

    que l’incidence des dispositions de la réglementation en cause sur cette matière ne soit que

    marginale12

    .

    3. Fiscalité régionale. Faculté pour le législateur (fédéral) d’interdire certaines impositions fédérées. Le pouvoir fiscal des entités fédérées peut également faire l’objet de limitations. L’article

    170, § 2, de la Constitution permet ainsi au législateur fédéral, à la majorité ordinaire, de déterminer,

    relativement aux impositions des régions et des communautés, les exceptions dont la nécessité est

    démontrée. Ainsi, la loi du 23 janvier 1989 relative à la compétence fiscale visée à l’article 110, §§ 1er

    9 Voy. notamment C. const., arrêt n° 105/2015 du 16 juillet 2015. Voy. également J.-C. LAES, « La taxation des mâts,

    pylônes et antennes en Région wallonne », R.F.R.L., 2014/2, p. 93 et s. 10 C. const., arrêt n° 105/2015 du 16 juillet 2015, C. const., arrêt n° 78/2016 du 25 mai 2016 et C. const., arrêt

    n° 146/2016 du 17 novembre 2016. 11 C.E. (sect. lég.), avis n° 53.565 du 17 juillet 2013, Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2013-14, n° 3384/1. 12 Voy. notamment C. const., arrêt n° 89/2010 du 29 juillet 2010. où la Cour constitutionnelle a admis un tel usage de ses

    pouvoirs implicites en matière fiscale (plus précisément, concernant l’instauration d’une redevance de stationnement)

    par la Région de Bruxelles-Capitale.

  • 6

    et 2 de la Constitution rend impossible la taxation par les entités fédérées de la matière imposable qui

    est déjà imposée par l’autorité fédérale13

    . Dans un avis du 2 décembre 2015, la section de législation

    du Conseil d’Etat a ainsi jugé que le projet de taxe présenté par la Région flamande consistait en un

    impôt sur la consommation d’électricité, qui fait déjà l’objet d’un impôt fédéral, et a conclu à

    l’incompétence de la Région14

    .

    4. Article 464, 1°, du CIR 1992. Il existe une kyrielle de dispositions légales limitant la compétence fiscale des pouvoirs subordonnés

    15. Celle que les plaideurs invoquent le plus fréquemment

    en vue de contester la légalité d’un impôt local est sans doute l’article 464, 1°, du Code des impôts sur

    les revenus (ci-après CIR 1992). Sur pied de cette disposition, « [l]es provinces, les agglomérations et

    les communes ne sont pas autorisées à établir (…) des centimes additionnels à l'impôt des personnes

    physiques, à l'impôt des sociétés, à l'impôt des personnes morales et à l'impôt des non-résidents ou des

    taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts ».

    Selon la Cour de cassation, une taxe locale qui frapperait l’une des composantes essentielles qui

    déterminent directement l’assiette des impôts sur les revenus, constitue une taxe similaire interdite au

    sens de l’article 464, 1°, du CIR 1992. Tout le débat consiste à déterminer ce qui constitue un tel

    élément, impliquant ainsi la qualification de taxe similaire interdite.

    Dans un arrêt du 28 avril 2017, la cour d’appel de Liège a jugé que des taxes industrielles

    compensatoires portant sur la valeur vénale des immeubles et sur la valeur d’usage du matériel et de

    l’outillage, et non sur leur revenu, ne constituent pas des taxes similaires prohibées, établies sur la base

    ou sur le montant des impôts énumérés à l’article 464,1°, du CIR 199216

    .

    S’agissant d’une taxe instaurée par la province de Hainaut sur les débits de tabac, d’un montant de

    0,05 euro par paquet de tabac vendu au-delà d’un seuil de 100.000 paquets, la cour d’appel de Mons a

    observé, dans un arrêt du 28 février 2017, qu’elle est indépendante du prix de vente des paquets de

    tabac, qu’elle n’est pas calculée sur la base du chiffre d’affaires réalisé ni sur le montant des revenus

    taxables à l’impôt des sociétés auquel elle n’est pas proportionnelle. Il ne s’agit donc pas d’une taxe

    similaire prohibée par l’article 464,1°, du CIR 199217

    .

    Dans un jugement du 19 décembre 2016, le tribunal de première instance de Flandre occidentale

    (division Bruges) a jugé que l’article 464, 1°, du CIR 1992 ne comporte aucune interdiction de taxes

    locales sur les résidences secondaires si celles-ci ne sont pas calculées sur le revenu cadastral ou toute

    autre base imposable de l’impôt sur le revenu cité dans l’article 464, 1°, du CIR 199218

    .

    5. Article 464, 1°, du CIR 1992. Cas des taxes communales sur les spectacles et divertissements. Concernant les taxes communales sur les spectacles et les divertissements, la mise en

    œuvre de l’article 464, 1°, du CIR 1992 fait aujourd’hui encore l’objet d’une divergence d’approche

    13 C.A., arrêt n° 86/2000 du 5 juillet 2000. 14 C.E. (sect. lég.), avis n° 58.417/3 du 2 décembre 2015 sur « een amendement bij het voorontwerp decreet houdende

    bepalingen tot begeleiding van de begroting 2016 », Doc., Parl. fl., 2015-16, n° 544/5, pp. 33-36. 15 Voy. par exemple A. TIBERGHIEN, Manuel de droit fiscal 2016-2017, 35e éd., Kluwer, Waterloo, 2016, pp. 1919 et s. 16 Liège, 28 avril 2017, 2015/RG/403, www.juridat.be. 17 Mons, 28 février 2017, 2016/RG/130, inédit. 18 Civ. Flandre occidentale (div. Bruges) (civ.) (4e ch.) n° 15/3752/A, 19 décembre 2016, L.R.B., 2017, p. 48. Voy. déjà

    Cass., 24 mai 2012, F.11.0057.N. Voy. sur cette question Th. LAUWERS, « Taxes sur les secondes résidences »,

    R.F.R.L., 2016/3, pp. 215-216.

    http://www.juridat.be/

  • 7

    profonde entre la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et la Cour constitutionnelle. Il peut être utile de

    retracer ici brièvement la généalogie de cette controverse.

    La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 décembre 2009 (que l’on a qualifié par la suite de

    jurisprudence ville de Leuven), a jugé que :

    « 1. En vertu de l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, les provinces, les

    agglomérations et les communes ne sont pas autorisées à établir des centimes additionnels à l'impôt

    des personnes physiques, à l'impôt des sociétés, à l'impôt des personnes morales et à l'impôt des non-

    résidents ou des taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts, sauf toutefois en ce qui

    concerne le précompte immobilier.

    2. Une taxe locale qui est fondée sur une des composantes essentielles qui déterminent directement

    l'assiette des impôts sur les revenus, constitue une taxe similaire interdite.

    3. Une taxe communale sur les spectacles et divertissements, calculée sur le chiffre d’affaire réalisé,

    diminué de la taxe sur la valeur ajoutée appliquée sur celui-ci, constitue une taxe similaire interdite

    dans la mesure où le chiffre d’affaire constitue un élément essentiel qui est pris en considération pour

    fixer l'assiette de l’impôt sur les revenus à charge du débiteur de cette taxe »19

    .

    Dans des arrêts du 12 janvier 2010, n° 199.455, SPRL Kunstraum Bruxelles, et n° 199.454, SPRL Arts

    & Sciences, le Conseil d’Etat, siégeant en assemblée générale de la section du contentieux

    administratif, a pris le contrepied de cette jurisprudence, au terme d’une analyse fouillée, en se fondant

    notamment sur les travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 1948 qui a supprimé, pour l’exercice

    1949, la taxe perçue par l’Etat sur les spectacles et divertissements :

    « Considérant que l'article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus, dispose comme suit :

    " Les provinces, les agglomérations et les communes ne sont pas autorisées à établir : 1° des centimes

    additionnels à l'impôt des personnes physiques, à l'impôt des sociétés, à l'impôt des personnes morales

    et à l'impôt des non-résidents ou des taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts, sauf

    toutefois en ce qui concerne le précompte immobilier";

    que cet article est issu de l'article 83 de la loi du 29 octobre 1919 établissant des impôts cédulaires

    sur les revenus, article qui entendait interdire aux communes d'établir tant un impôt communal par

    application d'un pourcentage sur le montant de l'impôt sur les revenus, que des taxes similaires

    calculées en fonction des éléments visés par l'impôt sur les revenus ou en fonction du montant de cet

    impôt; que la disposition de l'article 83 précitée a été ensuite reprise à l'article 34 de la loi du 24

    décembre 1948 concernant les finances provinciales et communales, laquelle entendait également

    interdire toute superposition d'un prélèvement communal sur le prélèvement de l'État sur les revenus;

    Considérant par ailleurs qu'il y a lieu de tenir compte de l'article 36 de la même loi du 24 décembre

    19 Cass., 10 décembre 2009, F.08.0041.N. Cet arrêt de la Cour de cassation confirme une tendance que l’on trouve dans la

    jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat (arrêt n° 183.202 du 22 mai 2008) et des juridictions judiciaires. Voyez à ce

    sujet l’exposé critique de V. SEPULCHRE, note sous C.E. (ass. gén.), arrêts n° 199.454 et 1999.455 du 12 janvier

    2010, « Taxes locales sur les spectacles », Rev. dr. comm., 2010/3, pp. 92 et s.

  • 8

    1948, qui a aboli, à partir de l'exercice 1949, notamment :

    " 2° les taxes établies au profit de l'Etat sur :

    a) les spectacles ou divertissements",

    mais en ajoutant :

    " Les taxes provinciales et communales sur les spectacles et divertissements ne peuvent s'appliquer

    aux représentations données dans une salle de théâtre et à ranger dans l'une des catégories

    suivantes : tragédie, opéra, opéra-comique, opérette, comédie, vaudeville, farce folklorique, drame,

    revue de début et de fin de saison ou de fin d'année par des troupes à caractère sédentaire";

    que les travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 1948 font clairement ressortir que par la

    disposition de l'article 36, 2/, précité, le législateur entendait de manière expresse abandonner aux

    communes (et aux provinces) la taxe précédemment établie par l'État, "les autorités locales voyant

    ainsi leur potentiel fiscal accru à due concurrence" (Doc. parl. Chambre, s. 1947-1948, n/ 492, pp. 11

    et 42; Doc. parl. Sénat, s. 1947-1948, n/ 492, pp. 10-11); que cet article 36 doit être interprété comme

    signifiant que les communes ont succédé à l'État pour la taxation concernée et peuvent dès lors,

    comme c'était le cas auparavant dans le chef de l'État, taxer les spectacles en fonction des recettes de

    l'exploitant; qu'en effet, la taxe originellement établie au profit de l'État sur les spectacles ou

    divertissements, en vertu de la loi du 28 février 1920, et abandonnée aux communes et aux provinces

    en 1948, consistait précisément en une taxe sur le montant brut des recettes quelconques, à un taux

    allant de 15% à 30%; qu'en outre, jusqu'à l'intervention de la loi du 24 décembre 1948, les communes

    et les provinces recevaient une fraction ou une quote-part fixe de l'impôt national sur les spectacles ou

    divertissements publics (ainsi, la loi du 7 juin 1926 attribuait une quote-part de 3/12e de cet impôt au

    profit des communes, tandis que la loi du 22 janvier 1931 attribuait 4/10e du même impôt aux

    communes); que si la loi du 24 décembre 1948 a ensuite entendu séparer la fiscalité de l'État et celle

    des communes, rien n'indique toutefois qu'en abolissant à l'article 36 de cette loi les taxes établies au

    profit de l'État sur les spectacles et divertissements, le législateur aurait entendu interdire que le

    montant des taxes communales sur les spectacles et divertissements ne pourrait être fixé à un

    pourcentage du prix des places, des droits d'entrée ou des recettes perçus par l'organisateur des

    spectacles ou divertissements; que le "règlement modèle" qui a été recommandé aux communes à

    l'époque par une circulaire du 31 octobre 1949 du ministre de l'Intérieur vient confirmer cette

    interprétation, puisque dans ce règlement type, fondé sur l'ancien impôt prélevé par l'État, le montant

    de la taxe sur les spectacles et divertissements était déterminé en fonction des recettes brutes; que la

    seule exception que le législateur a prévue est que les taxes communales sur les spectacles et

    divertissements ne peuvent s'appliquer aux représentations données dans une salle de théâtre et à

    ranger dans l'une des catégories expressément visées par l'article 36 de la loi du 24 décembre 1948;

    qu'il s'en déduit par ailleurs que l'article 464, 1°, actuel du Code des impôts sur les revenus trouve son

    origine dans une loi qui a reconnu explicitement aux communes le droit d'établir des taxes sur les

    spectacles et divertissements; qu'il a été souligné lors des débats parlementaires ayant précédé le vote

    de cette loi que l'objectif était, à l'article 34, de réduire l'article 83 des lois coordonnées relatives aux

    impôts sur les revenus "à quelques dispositions portant interdiction, pour les provinces et les

    communes, d'établir des additionnels ou taxes similaires aux impôts cédulaires sur les revenus, sauf

    en matière de contribution foncière, et de taxer le bétail" (Doc. parl. Sénat, s. 1947- 1948, n/ 492, pp.

    10 et s.); que cet article 34, devenu dans la coordination fiscale actuelle l'article 464, 1°, du C.I.R. 92,

    constitue une exception à l'autonomie des communes en matière fiscale, consacrée par la

  • 9

    Constitution;

    Considérant qu'il y a lieu de conclure de ces développements, et de la lecture combinée des articles 34

    (devenu l'article 464, 1°, du C.I.R. 92) et 36 de la loi du 24 décembre 1948, qu'une taxe communale

    établie sur les recettes brutes des spectacles ne saurait être regardée comme méconnaissant

    l'interdiction édictée à l'article 464, 1°, du C.I.R. 1992; qu'il s'ensuit qu'en l'espèce, le deuxième

    moyen, en tant qu'il soutient que le règlement, adopté le 26 mars 2007 par le conseil communal de

    Charleroi et établissant une taxe communale sur les salles de spectacles cinématographiques calculée

    sur le montant brut des recettes, violerait l’article 464 du C.I.R. 1992, n'est pas fondé ».

    Un an plus tard, la compatibilité de cette interprétation de l’article 464, 1°, du CIR 1992 avec les

    articles 10 et 11 de la Constitution fut posée, également devant le Conseil d’Etat, qui interpella

    préjudiciellement la Cour constitutionnelle en ce sens.

    Celle-ci y a répondu dans l’arrêt n° 19/2012 du 16 février 2012.

    La question préjudicielle, légèrement reformulée par la Cour constitutionnelle, se lit comme suit :

    « L’article 464, 1°, du CIR 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s’il est interprété en

    ce sens qu’en conséquence de l’article 36 de la loi du 24 décembre 1948, il n’est pas réputé interdire

    aux communes de lever une taxe sur les spectacles et divertissements calculée sur la base de l’impôt

    des personnes physiques ou de l’impôt des sociétés, alors que l’article 464, 1°, du CIR 1992 interdit

    effectivement aux communes de le faire pour toutes les autres activités qui se déroulent sur le

    territoire de la commune ? »

    Après avoir rappelé le contexte d’adoption des dispositions en cause ainsi que les jurisprudences

    divergentes de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat en la matière, la Cour constitutionnelle a

    indiqué dans un premier temps que :

    « le transfert de la taxe sur les spectacles et divertissements par le législateur aux communes dans les

    circonstances décrites en B.5.2 ne peut pas être considéré comme une justification suffisante pour

    pouvoir déroger, dans le chef des communes, à l’interdiction générale contenue dans l’article 464, 1°,

    du CIR 1992, tel qu’interprété en B.1 ».

    Autrement dit, la Cour constitutionnelle a jugé que l’article 464, 1°, du CIR 1992 violait les articles 10

    et 11 de la Constitution s’il était interprété comme permettant aux communes de lever une taxe sur les

    spectacles et divertissements calculée sur la base de l’impôt des personnes physiques ou de l’impôt des

    sociétés, alors qu’une interdiction vaut pour les activités autres que les spectacles et les

    divertissements.

    Néanmoins, la Cour a constaté dans un second temps que l’article 464, 1°, du CIR 1992 pouvait faire

    l’objet d’une autre interprétation, conforme, elle, aux articles 10 et 11 de la Constitution. Les

    considérants pertinents de l’arrêt se lisent comme suit :

    « B.6.2. L’article 464, 1°, du CIR 1992 interdit aux communes d’établir notamment des taxes

    similaires à l’impôt des personnes physiques et à l’impôt des sociétés "sur la base de ces impôts".

  • 10

    Comme il a été indiqué en B.3.2, cette disposition doit être interprétée restrictivement en raison de la

    limitation de l’autonomie fiscale des communes qui en découle.

    La base de l’impôt des personnes physiques est constituée du revenu imposable tel qu’il est défini à

    l’article 6 du CIR 1992. La base de l’impôt des sociétés est constituée des bénéfices définis à l’article

    185 du CIR 1992.

    L’article 464, 1°, du CIR 1992 n’interdit pas de lever une taxe communale sur les recettes brutes dès

    lors que cette base diffère fondamentalement de la base de l’impôt des personnes physiques comme de

    celle de l’impôt des sociétés, et par ailleurs également de celle de l’impôt des personnes morales visé

    par cette même disposition (dont la base est définie à l’article 221 du CIR 1992) et de celle de l’impôt

    des non-résidents (dont la base est définie à l’article 228 du CIR 1992).

    En effet, bien que les recettes brutes générées par une activité et, plus généralement, les revenus bruts

    du contribuable constituent le point de départ pour la détermination du revenu imposable à l’impôt

    des personnes physiques ou du bénéfice imposable à l’impôt des sociétés, il existe une différence

    essentielle entre, d’une part, les recettes brutes générées par les droits d’entrée ou les revenus bruts

    en général et, d’autre part, les bases imposables précitées. Par la base de l’impôt, la disposition en

    cause ne vise pas tout élément qui est pris en compte pour le calcul de l’impôt, mais exclusivement le

    montant sur lequel l’impôt est calculé en définitive (voir les arrêts n° 119/2007, B.6; n° 44/2008, B.6;

    n° 50/2011, B.57.5). De manière générale, il n’existe pas non plus de rapport proportionnel entre les

    recettes brutes ou revenus bruts et les différentes bases des impôts mentionnés à l’article 464, 1°, du

    CIR 1992.

    B.6.3. L’article 464, 1°, du CIR 1992, combiné avec l’article 36 de la loi du 24 décembre 1948,

    interdit certes aux communes de lever une taxe sur les spectacles et divertissements calculée sur la

    base de l’impôt des personnes physiques ou de l’impôt des sociétés, tout comme l’article 464, 1°, du

    CIR 1992 interdit aux communes de le faire pour toutes les autres activités qui se déroulent sur leur

    territoire, mais ne leur interdit ni à l’égard de spectacles et divertissements ni à l’égard d’autres

    activités de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les droits d’entrée ou sur les revenus

    bruts ».

    Relevons qu’en estimant que les recettes brutes diffèrent fondamentalement de la base de l’impôt des

    personnes physiques comme de celle de l’impôt des sociétés, la Cour constitutionnelle allait

    clairement à l’encontre de ce qu’avait encore affirmé le Conseil d’Etat, une année auparavant, certes à

    propos d’une taxe sur les hôtels20

    .

    20 Le Conseil d’Etat s’était exprimé de la manière suivante : « Considérant que s'il est admis que les communes peuvent

    lever des taxes qui soit sont calculées à partir d'éléments qui ne sont ni représentatifs, ni proportionnés au montant des

    revenus, soit frappent des entreprises indépendamment de leurs résultats et bénéfices, par contre, le règlement de la

    ville de Liège du 17 décembre 2001 relatif à la taxe sur les hôtels, en ce qu'il prend pour base d'imposition les revenus

    bruts issus de la location de logements meublés dans les hôtels et assimilés, établit une taxe similaire aux impôts sur les

    revenus, taxe similaire que l'article 464, 1°, du CIR 1992 prohibe; qu'en effet, en prévoyant que «la taxe est fixée à 8

    pour cent du montant global perçu, hors taxe sur la valeur ajoutée, à raison de l'occupation, de l'utilisation des

    accessoires de service, de l'éclairage et du chauffage», l'article 9 du règlement précité fait porter la taxe sur le chiffre

    d'affaires brut réalisé et incorpore dans l'assiette de la taxe communale sur les hôtels des éléments de revenus dont il

    n'est pas contestable qu'ils entrent en compte de manière essentielle dans la détermination de la base imposable à

    l'impôt des sociétés et à l'impôt des personnes physiques; que la considération que certains des éléments de revenus qui

    font partie du montant global soumis à la taxe communale concernée sont déduits et ne font donc pas partie du revenu

  • 11

    En conséquence, la Cour constitutionnelle a jugé dans le dispositif de l’arrêt :

    « - L’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, combiné avec l’article 36 de la loi du

    24 décembre 1948 concernant les finances provinciales et communales, viole les articles 10 et 11 de

    la Constitution s’il est interprété en ce sens qu’il n’est pas réputé interdire aux communes de lever une

    taxe sur les spectacles et divertissements calculée sur la base de l’impôt des personnes physiques ou

    de l’impôt des sociétés.

    - L’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, combiné avec l’article 36 de la loi du 24

    décembre 1948 concernant les finances provinciales et communales, ne viole pas les articles 10 et 11

    de la Constitution s’il est interprété en ce sens qu’il n’est pas réputé interdire aux communes de lever

    une taxe, notamment à l’égard des spectacles et divertissements, sur les recettes brutes générées par

    les droits d’entrée ou sur les revenus bruts ».

    Notons que la nouvelle interprétation de l’article 464, 1°, du CIR 1992 proposée par la Cour

    constitutionnelle, et qui est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, a vocation à s’appliquer

    non seulement aux taxes communales sur les spectacles et divertissements, mais sur les autres taxes

    locales également.

    Malgré ces décisions, la Cour de cassation n’a pas rendu les armes.

    Dans un arrêt du 13 février 2014, la Cour a affirmé, en écho à ce que le Conseil d’Etat avait

    précédemment jugé, que « [l]a circonstance qu’il ressort des travaux parlementaires de la loi du 24

    décembre 1948 concernant les finances provinciales et communales que le législateur entendait

    laisser la taxe sur les spectacles et divertissements, établie auparavant au profit du royaume, aux

    communes et provinces, ne peut pas avoir pour conséquence que la limitation de la compétence fiscale

    des autorités locales contenue à l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus soit considérée

    comme non-écrite, dès lors que le législateur n’a pas expressément dérogé à [la] limitation de la

    compétence d’imposition communale contenue à l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus

    net imposable aux impôts sur les revenus ne modifie pas ce constat; qu'il en va de même pour la considération selon

    laquelle «le montant global» sur lequel est appliqué le taux de la taxe communale ne serait pas simplement perçu en

    contrepartie de l'occupation des logements loués meublés dans des hôtels mais également en contrepartie de

    l'utilisation des accessoires de service, de l'éclairage et du chauffage des locaux loués; qu'en effet, l'article 464, 1°, du

    CIR 1992 est violé dès que les autorités locales font porter l'assiette des taxes qu'elles établissent sur des éléments de

    revenus qui contribuent de manière essentielle à déterminer la base imposable aux impôts sur les revenus; qu'en toute

    hypothèse, le terme «base» utilisé par l'article 464, 1°, du CIR 1992 doit être interprété comme visant aussi bien les

    revenus nets que les revenus bruts, les premiers étant nécessairement inclus dans les seconds et n'en étant qu'une

    partie, de sorte qu'en frappant un revenu brut, la taxe frappe nécessairement le revenu net compris dans celui-ci et elle

    constitue dès lors un prélèvement supplémentaire à l'impôt sur les revenus et une taxe similaire que l'article 464, 1°,

    prohibe. Considérant que la seconde partie adverse ne peut être suivie lorsqu'elle soutient qu'«on a peine à imaginer

    une quelconque taxe communale qui ne constituerait pas une taxe similaire à l'impôt sur les revenus, du fait que toute

    taxe ne peut être acquittée que sur base des revenus perçus par une personne physique ou une société»; que la question

    n'est en réalité pas de savoir au moyen de quelles ressources la taxe levée par la partie adverse est acquittée par ses

    redevables, mais d'examiner si cette taxe est conçue de manière que sa base imposable empiète sur celle que la loi

    définit pour l'impôt sur les revenus; que tel est le cas d'une taxe calculée «sur le montant global perçu, hors taxe à la

    valeur ajoutée», en tant qu'elle est perçue sur un élément essentiel dans la détermination du bénéfice imposable à

    l'impôt des sociétés, à savoir le chiffre d'affaires réalisé; qu'une telle taxe méconnaît l'interdiction édictée à l'article

    464, 1°, du C.I.R. 1992 » (C.E., 13 janvier 2011, n° 210.391, SA Dimotel et crts, publié dans la Rev. dr. comm., 2011/3,

    pp. 44 et s., avec des extraits du rapport de l’auditeur P. RONVAUX).

  • 12

    précité et aux dispositions qui le précédaient »21

    .

    Et sans dire mot de l’arrêt de la Cour constitutionnelle – ce qui n’était pas nécessaire dès lors que la

    Cour de cassation tenait pour inexacte l’interprétation de l’article 464, 1°, du CIR 1992 proposée par

    l’assemblée générale du contentieux administratif du Conseil d’Etat –, elle a ajouté :

    « Une taxe communale frappant les concerts, représentations cinématographiques, vidéo et érotiques

    qui est calculée sur le montant brut de toutes les recettes, déduction faite de la taxe sur la valeur

    ajoutée qui y est appliquée, constitue une taxe similaire interdite visée à l’article 464, 1°, du Code des

    impôts sur les revenus pour les organisateurs de concerts et de représentations qui sont soumis à

    l’impôt des personnes physiques et des sociétés, dès lors que ces revenus sont un élément essentiel

    pour déterminer l’assiette de ces impôts sur les revenus ».

    Elle a ainsi validé le constat fait par les juges d’appel selon lequel le règlement-taxe communal

    litigieux, qui a pour assiette imposable les recettes brutes des concerts et représentations, est pour cette

    raison contraire à l’article 464, 1°, du CIR 1992.

    Dans un arrêt du 16 juin 2016, la Cour de cassation a confirmé et affiné sa jurisprudence.

    Selon la Cour, une taxe locale sur les spectacles et les divertissements qui impose un impôt forfaitaire

    par spectateur, à charge des organisateurs, si l’un des prix d’entrée ou perception analogue est égal ou

    supérieur à un montant déterminé, n’est pas fondée sur une des composantes essentielles qui

    déterminent directement l’assiette des impôts sur les revenus, tels les recettes brutes ou le chiffre

    d’affaires, et n’est par conséquent pas une taxe similaire interdite par l’article 464, 1°, du CIR 199222

    .

    À ce stade de l’exposé, un autre argument en faveur de l’interprétation stricte de l’article 464, 1°, du

    CIR 1992, mérite d’être relevé. Plusieurs auteurs se prévalent de la nature indirecte de la taxe sur les

    spectacles et divertissements pour en déduire qu’elle n’est pas visée par l’article 464, 1°. La

    jurisprudence leur a parfois emboîté le pas23

    .

    Cette thèse a été réfutée par le parquet général près la Cour de cassation, notamment dans les

    conclusions précédant l’arrêt du 24 mai 2012. Selon l’avocat général Thijs, lorsque les taxes sont

    établies sur le montant brut des entrées, il est clairement question d’un impôt direct. Il a d’autre part

    allégué que l’article 464, 1°, du CIR 1992 ne fait pas de distinction entre taxes communales directes

    ou indirectes24

    . La Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur la question, qu’elle a sans doute

    tenue pour superflue dans son raisonnement.

    Force est de constater qu’une telle insécurité juridique assombrit les prévisions budgétaires de

    nombreuses communes. Face à tant de décisions contradictoires, les juges du fond ne savent

    manifestement pas davantage sur quel pied danser. C’est pourquoi, dans la circulaire du 24 août 2017

    21 Cass., 13 février 2014, F.13.0059.N. 22 Cass., 16 juin 2016, F.15.0089.N. 23 Liège, 27 avril 2012, Rev. dr. comm., 2013/1, pp. 14 et s. 24 Sur cette question, voy. not. B. de CLIPPEL, « Etudes – I. Les taxes sur les spectacles, calculées sur les recettes brutes, et

    l’interdiction faite aux communes par cles 464, 1° du C.I.R./92 d’établir certaines taxes ; II. L’appréciation du respect

    des principes d’égalité et de non-discrimination, lorsque la différenciation des opérations imposables n’est pas motivée

    par le règlement-taxe », J.D.F., 2012, p. 282.

  • 13

    relative à l'élaboration des budgets des communes de la Région wallonne à l'exception des communes

    de la Communauté germanophone pour l'année 2017, la Ministre des Pouvoirs locaux s’est montrée

    prudente. Après avoir retracé l’évolution de la controverse et des joutes jurisprudentielles, elle a

    observé ceci :

    « Cependant, la Cour de cassation (dans ses arrêts des 13 février 2014 et 16 juin 2016) estime

    toujours que l’article 464,1° du Code des impôts sur les revenus ’92 s’oppose à ce que les autorités

    locales lèvent "un impôt sur un élément essentiel qui détermine directement la base de l’impôt sur les

    revenus".

    Dès lors, contrairement à ce que l’on a pu croire avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle, la

    controverse existe toujours. Il est donc prudent d’adopter un taux forfaitaire, le cas échéant couplé à

    un montant maximum fixé à un pourcentage du prix du billet (par exemple, x S par billet avec un taux

    maximum de x % du prix du billet) »25

    .

    6. Article 464, 1°, du CIR 1992. Taxes forfaitaires. Un relatif consensus existe quant à la faculté pour les communes d’instaurer des taxes forfaitaires, tant en ce qui concerne les taxes sur les

    spectacles et divertissements que les autres taxes.

    Dans un arrêt du 29 avril 2014, la cour d’appel d’Anvers a estimé qu’une taxe de séjour, à charge des

    personnes qui louent des chambres, concerne une taxe forfaitaire qui touche l'utilisation d'un

    immeuble, à savoir la location d'une chambre à des non-résidents de la ville. La Cour observe

    notamment que la taxe n'a aucun rapport avec le revenu net du bien, et qu’elle n'utilise donc pas la

    base ou le montant d'un impôt sur le revenu comme fait taxable et ne se fonde pas sur des éléments

    intrinsèques qui déterminent directement la base de l'impôt sur le revenu, de sorte que le règlement

    n'est pas contraire à l'article 464, 1°, du CIR 199226

    .

    Notons également que dans un arrêt du 25 septembre 2014, la cour d’appel de Bruxelles, se référant à

    l’arrêt n° 19/2012 de la Cour constitutionnelle, a estimé qu’une taxe sur les spectacles forfaitaire de

    1,85 euro par spectateur assistant (payant ou non), à charge de l’organisateur, n’était pas une taxe

    prohibée par l’article 464, 1°, du CIR 1992. Selon la cour, la taxe litigieuse n’a aucun rapport avec le

    chiffre d’affaires, dès lors que le prix d’entrée n’a aucune importance ni aucun effet sur le calcul de la

    taxe27

    . S’agissant d’une taxe forfaitaire, la référence à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’était en

    réalité pas nécessaire, nous semble-t-il.

    Cela étant, dans un arrêt du 28 octobre de la même année, la cour d’appel de Gand a en revanche

    considéré que la taxe sur la location de chambres d’hôtel établie par le règlement attaqué revenait à

    taxer une partie du chiffre d'affaires forfaitairement établie. Elle en a conclu que le règlement était

    contraire à l’article 464, 1°, du CIR 199228

    .

    S’agissant des taxes portant sur les recettes brutes ou sur les droits d’entrée, la situation est plus floue,

    compte tenu des disparités qu’on observe entre les jurisprudences respectives de la Cour de cassation,

    du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle.

    25 Moniteur belge, 13 septembre 2017. 26 Anvers n° 2013/AR/2242, 29 avril 2014, F.J.F., 2015 (sommaire), liv. 3, 93. 27 Bruxelles (6e ch.), 25 septembre 2014, 2011/AR/1128, inédit. 28 Gand n° 2013/AR/223, 28 octobre 2014, L.R.B., 2014 (sommaire DE JONCKHEERE, M.), liv. 3, 38.

  • 14

    Dans un arrêt du 25 février 2015, la cour d’appel de Liège a admis la conformité de deux taxes sur les

    spectacles, établies respectivement par la ville de Malmedy et par la ville de Stavelot, calculées à partir

    des recettes liées aux spectacles – et donc non forfaitaires29

    . Pour justifier sa décision, la Cour a

    souligné l’importance d’interpréter strictement l’article 464, 1°, du CIR 1992 en raison de l’autonomie

    fiscale des communes. Elle a ensuite remarqué que la taxe n’est pas perçue sur la base ni sur le

    montant des impôts énumérés à cette disposition, qu’elle est due indépendamment d’un bénéfice

    quelconque, qu’elle est perçue sur une des composantes du chiffre d’affaires. La cour d’appel a

    également observé que la taxe sur les spectacles et divertissements ne constitue pas une taxe directe en

    ce qu’elle ne vise pas une situation stable mais qu’elle est fonction du nombre d’entrées des

    spectateurs. Or, l’interdiction portée par l’article 464, 1°, du CIR 1992 a trait à un impôt direct30

    . Dans

    la suite de l’arrêt, la cour d’appel de Liège s’est expressément référée à la jurisprudence du Conseil

    d’Etat et à celle de la Cour constitutionnelle.

    Compte tenu de l’insécurité juridique qui règne en la matière, la prudence recommande à tout le moins

    d’instaurer des taxes forfaitaires, de manière à ce que celles-ci soient calculées indépendamment des

    recettes mêmes de l’organisateur de spectacles ou de divertissements. Si, pour ce qui concerne les

    recettes brutes engendrées par les droits d’entrée, la Cour de cassation ne s’est à notre connaissance

    pas explicitement prononcée (les pourvois qui lui ont été déférés portaient chaque fois sur des taxes

    calculées sur les recettes brutes de l’exploitant des spectacles et divertissements), on conseillera aux

    communes concernées de ne pas jouer avec le feu.

    A.3 Les contrôles de tutelle

    7. Types de tutelle. Les règlements-taxes des communes sont soumis à une tutelle spéciale d’approbation en Région wallonne, conformément à l’article L3131-1 du Code de la démocratie locale

    et de la décentralisation (ci-après CDLD). C’est au gouvernement qu’il appartient d’approuver ou non

    le règlement-taxe qui lui est soumis, suivant la procédure prévue aux articles L3132-1 et -2 du CDLD.

    En Région de Bruxelles-Capitale en revanche, les règlements-taxes communaux sont soumis à la

    tutelle générale d’annulation, sur pied de l’ordonnance du 14 mai 1998 relative à la tutelle

    administrative sur les communes de la Région de Bruxelles-Capitale. Dans les deux cas, la censure

    d’un règlement-taxe peut être prononcée pour violation de la loi et/ou pour lésion de l’intérêt général.

    8. Tutelle et autonomie fiscale des communes. La conciliation entre l’autonomie fiscale des communes et la défense de l’intérêt général par l’autorité de tutelle n’est pas toujours évidente.

    Récemment, le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours en annulation dirigé contre la décision du

    Ministre wallon des Pouvoirs locaux de ne pas approuver le règlement-taxe de la commune de

    Montigny-le-Tilleul sur les écrits publicitaires au motif que ledit règlement fixerait un taux identique

    pour les écrits et échantillons publicitaires et pour les autres écrits publicitaires, et qu’il instaurerait

    une rupture de l’uniformité relative des taux pratiqués par les autres communes, spécialement en ce

    qu’il ne module pas le taux en fonction du poids des écrits publicitaires, contrairement à « l’ensemble

    des communes de Wallonie », ainsi qu’en fonction du contenu selon que s’y trouve ou non du « texte

    rédactionnel d’information générale ». Le Ministre avait donc refusé d’approuver le règlement-taxe en

    alléguant une contrariété à l’article 172 de la Constitution et une lésion de l’intérêt général.

    29 Liège, 25 février 2015, 2012/RG/1712, disponible sur www.juridat.be. Voy. aussi, Liège, 25 juin 2014, 2013/50 et

    2011/383, cité dans l’arrêt. Voy. aussi Liège, 27 avril 2012, J.D.F., 2012, p. 299. 30 Voy. supra.

    http://www.juridat.be/

  • 15

    Dans son arrêt, le Conseil d’Etat a observé que le règlement-taxe mentionne en son préambule un

    objectif de dissuasion de la distribution systématique et non sollicité d’écrits ou d’échantillons

    publicitaires et que cet objectif permet de justifier la différence de traitement entre les écrits et

    échantillons qui sont adressés personnellement, à la demande, et qui bénéficient d’une exonération, et

    les autres, qui sont taxés31

    . Le Conseil d’Etat a ajouté que le taux plus élevé applicable aux écrits et

    échantillons sous blister plastique est également justifié par le coût supplémentaire qu’ils engendrent

    pour la collectivité. Enfin, le Conseil d’Etat a affirmé que « la circonstance que la différenciation

    opérée par le règlement-taxe n’est pas identique à celle qui est retenue par les autres communes

    n’implique pas en soi qu’elle méconnaîtrait les exigences du principe d’égalité devant l’impôt », et

    « qu’eu égard à l’autonomie communale, consacrée par les articles 41, 162, 2°, et 170, § 4, de la

    Constitution, il n’incombe pas à l’autorité communale qui adopte un règlement-taxe de faire

    apparaître les motifs pour lesquels elle s’écarte des taux pratiqués par les autres communes; que

    l’autorité de tutelle ne peut se limiter à invoquer une "rupture de l’uniformité relative" de ces taux,

    pour en déduire que le règlement en cause méconnaît l’intérêt général; qu’il ne suffit pas, à cet égard,

    de constater que, dans l’ensemble des communes de Wallonie, le taux est modulé en fonction du poids

    des écrits publicitaires, ce qui n’est pas le cas du règlement adopté par la requérante ». Le Conseil

    d’Etat a donc accueilli le moyen et prononcé l’annulation de la décision du Ministre des Pouvoirs

    locaux.

    Il convient de déduire de cet arrêt que l’autorité de tutelle, pour censurer un règlement-taxe, doit

    pouvoir faire état de motifs spécifiques. Se référer à ce que font les autres communes et notamment

    constater une rupture de l’uniformité relative des taux ne sauraient suffire à établir une lésion de

    l’intérêt général. Si une comparaison avec la situation des autres communes ne nous paraît pas exclue

    en tant que telle, et pourrait donc utilement nourrir l’analyse de la légalité et de la conformité à

    l’intérêt général d’un règlement-taxe, cette comparaison doit être adventice. Notons que cet arrêt se

    situe dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière32

    .

    A.4 Le principe de territorialité

    9. Portée du principe. En vertu du principe de territorialité, les communes et les provinces ne sont autorisées à instaurer des impôts qu’à charge des personnes, physiques ou morales, qui ont des

    intérêts dans le territoire communal ou provincial.

    10. Fiscalité régionale et répartition des compétences. Il est intéressant de relever, de ce point de vue, que dans un arrêt n° 30/2017 du 23 février 2017, la Cour constitutionnelle a rejeté un recours

    en annulation introduit contre le décret flamand du 3 juillet 2015 introduisant le prélèvement

    kilométrique. Devant la Cour, les requérants avaient prétendu que l’autorisation donnée par le décret

    attaqué aux agents des deux autres Régions de recouvrer des amendes administratives en dehors du

    territoire de la Région flamande violait le principe de territorialité. La Cour a observé qu’il ne

    s’agissait nullement d’une obligation, mais d’une autorisation, prise conformément à l’accord de

    coopération du 31 janvier 2014 conclu entre les trois Régions.

    31 C.E., 16 mars 2017, n° 237.677, commune de Montigny-le-Tilleul. 32 Voy. par exemple C.E., 11 septembre 2009, n° 195.978, Ville de Hotton. Voyez encore, à ce sujet, B. LOMBAERT,

    « L’autonomie fiscale des communes : entre l’Etat, la Région et l’Union européenne », op. cit., pp. 12-14 et la

    jurisprudence citée.

  • 16

    En revanche, dans un arrêt n° 58/2017 du 18 mai 2017, la Cour constitutionnelle a annulé deux

    dispositions du décret du Parlement flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures

    d’accompagnement de l’ajustement du budget 2015, en fiscalité environnementale, au motif que,

    précisément, celles-ci ne relevaient pas de la compétence territoriale de la Région. Les dispositions

    critiquées instauraient une redevance à la charge de certains organismes chargés de la collecte

    d’équipements électriques et électroniques mis au rebut ou de piles et accumulateurs usagés. La Cour a

    rappelé que :

    « En ce qui concerne les régions, il résulte de l’article 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de

    réformes institutionnelles et de l’article 7, alinéa 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative

    aux institutions bruxelloises que leurs décrets ou ordonnances ne sont d’application que dans leur

    propre région. Toute norme adoptée par un législateur doit pouvoir être localisée dans le territoire

    de sa compétence, de sorte que toute relation et toute situation concrètes soient réglées par un seul

    législateur » (B.5).

    Constatant ensuite que le point de rattachement de la redevance ne pouvait pas être localisé en Région

    flamande, puisque la redevance visait tous les organismes de gestion, quel que soit leur lieu

    d’établissement, et frappait l’ensemble de leur patrimoine, la Cour a conclu à l’incompétence de la

    Région flamande en l’espèce.

    B. LA MISE EN ŒUVRE DU POUVOIR FISCAL

    11. Réglementation applicable. L’établissement et le recouvrement des taxes communales et provinciales sont réglés, en Région wallonne, par les articles L3321-1 et suivants du Code de la

    démocratie locale et de la décentralisation. En Région de Bruxelles-Capitale, la matière fait l’objet de

    l’ordonnance du 3 avril 2014 relative à l’établissement, au recouvrement et au contentieux en matière

    de taxes communales.

    B.1 La procédure d’établissement de l’impôt

    12. Compétence du conseil communal ou provincial. Au niveau local, en vertu de l’article 170, § 4, de la Constitution, toute charge ou imposition ne peut être valablement établie par une commune

    ou une province que par une décision de son conseil.

    S’agissant de la procédure à suivre et des formalités qui doivent être respectées en vue de l’adoption

    d’un règlement-taxe, on épinglera un jugement du tribunal de première instance du Hainaut (division

    Mons) dans lequel, au demandeur qui soutenait que la commune n’établissait pas que les formalités

    relatives à l’organisation des réunions et délibérations du conseil communal (délais applicables, ordre

    du jour, mise à disposition des pièces, etc.) avaient été respectées lors de l’élaboration du règlement

    instaurant une taxe sur les panneaux publicitaires, le tribunal a rétorqué que le demandeur était

    étranger aux délibérations des conseils communaux et n’était donc pas concerné par les dispositions

    invoquées (à savoir, les articles L1122-12 du CDLD). Il en a conclu, confirmant une jurisprudence

    largement partagée jusqu’ici33

    , que le demandeur n’avait pas intérêt à soulever une quelconque

    33 Liège (9e ch.), 27 avril 2012, Rev. dr. comm., 2013/1, p. 14.

  • 17

    violation de ces dispositions34

    .

    13. Principe de légalité et fiscalité régionale. Conformément à l’adage ‘no taxation without representation’, l’article 170, § 2, de la Constitution pose le principe selon lequel un impôt régional

    doit être établi par une norme de rang législatif, soit un décret ou une ordonnance. Il revient au

    législateur d’arrêter les éléments essentiels permettant de déterminer la dette d’impôt du contribuable :

    il s’agit des catégories de contribuables, de l’assiette de l’impôt, du taux d’imposition ou du tarif, et

    des exemptions ou modérations éventuelles. Dans un arrêt n° 30/2017 du 23 février 2017, la Cour

    constitutionnelle a validé la délégation qui avait été faite par le législateur flamand au gouvernement

    d’ajuster la liste des routes visées par le prélèvement kilométrique. La Cour a considéré que cette

    faculté d’ajustement octroyée au gouvernement était suffisamment balisée, notamment dans la mesure

    où elle n’offrait pas à ce dernier la possibilité d’ajouter de nouvelles routes à la liste ou d’en

    supprimer, de sorte qu’il ne peut pas étendre ou limiter la base d’imposition, mais simplement

    reclasser les routes figurant déjà dans la liste, en cas de modification de leur statut de droit

    administratif (ce qui a, certes, une incidence sur le montant de la redevance). Selon la Cour, il peut être

    raisonnablement admis que le classement administratif des routes soit modifié pour des motifs de

    mobilité et de gestion des routes, et non pour des raisons fiscales.

    B.2 La distinction entre taxe et redevance

    14. Notions. La distinction entre taxe et redevance est bien connue en théorie. Ainsi, il est admis que la rétribution qu’une autorité perçoit à titre de rémunération (ou contrepartie) d’un service rendu

    ne peut être qualifiée de redevance que si la rétribution apparaît comme celle d’un service rendu

    prioritairement au redevable et si le montant réclamé est en relation avec le coût du service35

    .

    Toutefois, cette distinction classique, reposant sur les termes comparés des articles 170 et 173 de la

    Constitution, demeure souvent malaisée à tracer dans la pratique.

    Récemment, le Conseil d’Etat a précisé que la redevance pouvait poursuivre un but dissuasif et qu’à

    cet égard, les autorités administratives disposaient d’une relative marge d’appréciation au regard de la

    détermination du montant de la redevance. Ainsi, selon les magistrats de la rue de la Science, une

    commune peut instaurer une redevance plus ou moins élevée en contrepartie d’une prestation donnée

    si elle poursuit ou non un objectif de dissuasion. Néanmoins, elle reste tenue de respecter un rapport

    de juste proportionnalité entre le coût de la prestation et le montant de la redevance réclamée. En

    l’occurrence, il était question d’une redevance établie par le conseil communal de Schaerbeek pour la

    délivrance, par le bourgmestre, d’une attestation nécessaire en vue de l’exploitation d’un établissement

    de jeux de hasard. Considérant qu’aucune pièce du dossier administratif ne permettait de vérifier

    l’existence d’une proportion raisonnable entre le montant de la redevance établie et l'importance des

    prestations que la commune effectue pour pouvoir délivrer l'attestation en cause, que le montant

    demandé était nettement plus élevé que celui demandé pour la délivrance d’autres documents

    administratifs exigeant autant – sinon plus – de démarches de la part de la commune, et compte tenu

    de propos tenus par le bourgmestre lui-même devant le conseil communal, et qui accréditeraient l’idée

    de la volonté de la commune de pénaliser les établissements qui solliciteraient l'attestation en cause en

    l'assortissant d'un coût prohibitif, le Conseil d’Etat a accueilli le moyen pris notamment de l’article

    34 Civ. Hainaut (div. Mons) (36e ch.), 16 mars 2017, 15/1539/A, inédit. 35 Voyez notamment à ce sujet l’étude fouillée de V. SEPULCHRE, « Fiscalité et parafiscalité : impôts, taxes,

    rétributions, amendes pénales et amendes administratives », Rev. dr. comm., 2006/1-2, pp. 31 et s.

  • 18

    173 de la Constitution et de la notion de redevance, et a annulé l’extrait litigieux du règlement

    attaqué36

    .

    B.3 L’absence d’exigence de motivation formelle

    15. Absence d’obligation de motivation formelle. Il est généralement admis que l’adoption d’un règlement-taxe par une commune ne doit pas être formellement motivée. Il s’agit en effet d’un acte

    réglementaire, non soumis à ce titre à la loi du 14 juillet 1991 relative à la motivation formelle des

    actes administratifs. La jurisprudence est concordante sur ce point37

    . Il n’en demeure pas moins que

    l’adoption d’un règlement-taxe doit reposer sur des motifs exacts, pertinents et admissibles,

    conformément au principe de motivation matérielle des actes administratifs.

    B.4 Les motifs de taxation

    16. Motifs admissibles. Les motifs pour lesquels une collectivité locale établit un impôt peuvent être de différents ordres.

    En instaurant une taxe, le but premier poursuivi par l’autorité qui en perçoit le produit est de se

    procurer des ressources financières, ceci en vue de lui permettre de mener les politiques qu’elle

    souhaite mettre en œuvre. Les règlements-taxes communaux font ainsi souvent état, dans leur

    préambule, de la nécessité de disposer de revenus. À cet égard, le Conseil d’Etat a récemment souligné

    qu’il ne peut pas être raisonnablement exigé que tout règlement-taxe soit étayé d’un exposé de la

    situation financière de la commune concernée38

    . À l’évidence, même une commune florissante et

    prospère ne saurait être privée du droit de lever des impôts, qu’elle tire directement de la Constitution.

    La motivation pécuniaire n’est toutefois pas la seule possible : les pouvoirs locaux peuvent également

    établir des taxes en vue d’encourager certains comportements, ou d’en dissuader d’autres39

    – pourvu

    toutefois qu’ils n’empiètent pas, ce faisant, sur les compétences matérielles d’autres autorités40

    .

    Epinglons à cet égard un arrêt n° 236.108 du 13 octobre 2016 dans lequel le Conseil d’Etat a jugé que

    la poursuite d’objectifs secondaires lors de l’adoption d’un règlement-taxe déterminé ne contraint pas

    la commune à affecter les sommes ainsi perçues aux éventuels désagréments causés par l’activité visée

    par le règlement.

    36 C.E., 18 avril 2016, n° 234.415, SPRL Murat-Ekrem 37 Voy. récemment Liège, 23 mai 2017, 2016/RG/123, www.juridat.be ; Mons, 28 février 2017, 2016/RG/130, inédit ;

    Civ. Bruxelles fr. (36e ch.), 9 octobre 2017, 2016/255/A, inédit. 38 C.E., 22 novembre 2016, n° 236.487, ASBL Fédération belge des Exportateurs de Véhicules Neufs et d’Occasion. 39 Gand (fisc.) (5e ch.), 2015/AR/2692, 6 décembre 2016, L.R.B. 2016, p. 149. 40 Voy. la nuance exprimée infra, n° 17.

    http://www.juridat.be/

  • 19

    B.5 La définition des éléments constitutifs de l’impôt

    17. Principe. Les communes disposent d’une très large autonomie fiscale. Les collectivités locales sont libres de définir les éléments essentiels de l’impôt qu’elles souhaitent instaurer, dans les

    limites exposées plus haut. Ainsi, comme le Conseil d’Etat l’a récemment rappelé dans un arrêt du 22

    novembre 2016, évoqué au numéro précédent, il n’est pas requis qu’un lien particulier existe entre la

    taxe et les compétences matérielles des communes41

    . En l’espèce, la Haute juridiction administrative a

    admis la validité d’une taxe portant sur certaines activités nuisibles à l’environnement, alors que la

    protection de l’environnement relève, au niveau législatif, de la Région. Ce pouvoir des communes est

    cependant borné par l’interdiction de régler des matières qui relèvent d'autres collectivités politiques.

    Dans un arrêt de 2012, le Conseil d’Etat a ainsi censuré un règlement-taxe de la commune de

    Schaerbeek portant sur les immeubles subdivisés en logements multiples non conformes à la

    législation urbanistique au motif que la taxe litigieuse frappait exclusivement des infractions qui

    ressortissent déjà à la matière de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, alors que cette matière

    relève des Régions et, particulièrement à Bruxelles, était déjà appréhendée, d'une manière détaillée et

    complète par le Code bruxellois de l'aménagement du territoire, qui prévoit notamment des dispositifs

    de sanction42

    .

    (a) Les redevables

    18. Liberté dans la désignation des redevables. Les communes peuvent librement désigner les redevables des taxes qu’elles instituent. Le règlement doit présenter un degré suffisant de précision

    pour identifier les personnes tenues au paiement de la taxe, étant précisé qu’en cas de doute, il

    appartient aux autorités communales et au juge judiciaire de trancher43

    .

    Dans un arrêt du 16 septembre 2016, le Conseil d’Etat a jugé que les communes sont libres de

    désigner non seulement des personnes physiques comme redevables d’une taxe, indépendamment du

    fait qu’elles agissent en tant qu’organe d’une personne morale ou non44

    . En l’espèce, était attaqué un

    règlement-taxe de la commune de Schaerbeek sur les lieux de prostitution en vitrine. Un moyen était

    pris de la violation de l’article 61, § 1er, du Code des sociétés, en ce que le règlement-taxe litigieux met

    la taxe à charge de la personne physique qui représente la personne morale exploitant le salon de

    prostitution. Dans l’arrêt, le Conseil d’Etat a observé que les communes sont compétentes pour

    désigner les redevables des taxes qu’elles instituent. Il a ajouté que l’article 61, § 1er, du Code des

    sociétés ne trouvait pas à s’appliquer, puisqu’il fait référence aux engagements de la société, plus

    précisément ses engagements contractuels, étrangers à l’objet du règlement45

    . S’il est exact que

    41 C.E., 22 novembre 2016, n° 236.487, ASBL Fédération belge des Exportateurs de Véhicules Neufs et d’Occasion. 42 C.E., 12 juin 2012, n° 219.721, ASBL Syndicat national des propriétaires et copropriétaires. Dans le même sens, voy.

    les arrêts Halleux, n° 44.939 du 18 novembre 1993, Rev. dr. comm., 1994/2, pp. 128 et s., avec les extraits du rapport de

    l’auditeur Benoît Jadot (annulation d’une taxe communale qui frappait les seuls véhicules en infraction au Code de la

    route dès lors que la police de la circulation routière est expressément soustraite aux compétences des communes par

    l’article 10 de la loi du 16 mars 1968) ; Gillion et crts, n° 85.916 du 14 mars 2000, A.P.T., 1999/4, pp. 298 et s., avec

    les extraits du rapport de l’auditeur Bruno Lombaert, intitulé « Autonomie fiscale des communes et politique

    urbanistique » (les requérants n’ont pas intérêt à critiquer le taux beaucoup plus élevé de la taxe attaquée applicable aux

    immeubles affectés irrégulièrement – sans permis d’urbanisme – à l’usage de bureaux, qui s’apparente à une sanction

    pour infraction d’urbanisme, dès lors qu’ils n’établissent pas avoir fait l’objet d’une imposition à ce taux). 43 C.E., 22 novembre 2016, n° 236.487, ASBL Fédération belge des Exportateurs de Véhicules Neufs et d’Occasion. 44 C.E., 16 septembre 2016, n° 235.780, Berthet et crts. 45 En l’occurrence, il est utile de souligner que le moyen était uniquement pris de la violation de l’article 61, § 1er, du

  • 20

    l’article 61, § 1er, du Code des sociétés n’était pas pertinent et n’aurait pas pu conduire à l’annulation

    de l’acte attaqué, il n’en demeure pas moins que le fait pour la commune de taxer la personne

    physique, au lieu de la personne morale, pose problème, au regard notamment de l’article 2 du Code

    des sociétés. Ce faisant, la commune nie en effet la personnalité juridique de la personne morale. Une

    discrimination pourrait en outre être alléguée, le cas échéant, entre la personne physique soumise à cet

    impôt, et les personnes physiques qui gèrent d’autres commerces, et qui ne sont pas personnellement

    soumis à la taxe en question. À ce sujet, il nous faut bien avouer que l’argument avancé par le Conseil

    d’Etat selon lequel le règlement-taxe n’empêche nullement que la question de la contribution à la dette

    fiscale soit convenue entre la personne physique et la personne morale n’est guère convaincant. Il

    s’agit là d’un palliatif conventionnel purement facultatif.

    Cette réserve étant faite, il serait cependant loisible à la commune, pour éviter des écueils juridiques,

    de mettre en place un mécanisme de solidarité à charge du gérant, personne physique46

    . Par le biais

    d’un tel mécanisme, la commune pourrait s’adresser tant à la personne morale qu’au gérant, personne

    physique, pour obtenir le paiement de la taxe, tout en sauvegardant les droits du gérant, qui pourrait se

    retourner contre la personne morale qui exploite le salon – et sans devoir compter sur la bonne volonté

    de celle-ci.

    Dans un jugement du 14 décembre 2016, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a

    été amené à statuer sur la compatibilité avec les articles 10, 11, 19 et 25 de la Constitution notamment

    d’un règlement-taxe sur les incivilités en matière de propreté publique. Ce règlement assujettissait à

    ladite taxe tant la personne qui avait apposé une affiche ou un autocollant que l’éditeur responsable47

    .

    Le juge a estimé que l’éditeur était a priori étranger au collage de l’affiche ou de l’autocollant et que,

    partant, sa soumission à la taxe n’était pas justifiée. Selon le tribunal, il s’agirait d’une restriction

    injustifiée de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, puisque de nature à dissuader tout

    éditeur d’éditer des écrits dont il serait responsable de la diffusion, le cas échéant illégale, future48

    .

    19. Mise en place d’un mécanisme de solidarité pour le paiement de la taxe. Comme nous venons de l’évoquer, la possibilité de désigner le redevable de la taxe va de pair avec la possibilité de

    mettre en place un mécanisme de solidarité, en vue de garantir le paiement de la taxe. Dans l’arrêt

    précédemment cité, le Conseil d’Etat l’a admis concernant la désignation du bailleur de l’immeuble en

    tant que personne solidaire pour le paiement de la taxe. Il a précisé qu’il s’agissait d’une compétence

    que les communes tiraient directement de l’article 170, § 4, de la Constitution, et dont l’article 1202 du

    Code civil, qui concerne uniquement la solidarité en matière d’obligations résultant d’une convention,

    ne pourrait restreindre la portée49

    .

    Ceci étant, le mécanisme de solidarité doit rester dans certaines limites. Ainsi, la jurisprudence du

    Conseil d’Etat est fixée en ce sens qu’il faut que le mécanisme de solidarité soit raisonnablement

    justifié, ce qui est le cas lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre les personnes tenues

    Code des sociétés.

    46 Voy. le point suivant. 47 Etrangement, le règlement-taxe disposait que « [l]a taxe est due solidairement, dans l’ordre cité et pour autant qu’ils

    soient identifiés (…) en cas d’apposition d’affiches et d’autocollants sur le mobilier urbain ou sur un immeuble ou un

    ouvrage public ou privé (…), par la personne qui a collé l’affiche ou l’autocollant, l’éditeur responsable de l’affiche, le

    propriétaire de l’affiche ou de l’autocollant (…) ». Le tribunal n’a pas manqué de relever la contradiction entre

    l’indication d’un mécanisme de solidarité et la mention d’une obligation à la taxe « en cascade » (« dans l’ordre cité »). 48 Civ. Bruxelles (fr.) (34e ch.), 14 décembre 2016, J.L.M.B., 2017/5, p. 230. 49 C.E., 16 septembre 2016, n° 235.780, Berthet et crts.

  • 21

    solidairement au paiement d’une taxe50

    . Dans l’arrêt précité du 16 septembre 2016 concernant les lieux

    de prostitution en vitrine, la Haute juridiction administrative a jugé que tel était bien le cas : le

    propriétaire perçoit à charge de son locataire un loyer dont il est de notoriété publique, précise-t-il,

    qu’il est substantiellement plus élevé que si le bien recevait une autre affectation ; il faut donc en

    déduire qu’il existe bien une communauté d’intérêts51

    .

    Notons que, dans un jugement du 10 janvier 2017, le tribunal de première instance francophone de

    Bruxelles a également admis la validité d’un mécanisme de solidarité prévu dans un règlement de la

    commune d’Anderlecht portant une taxe sur le nettoyage de l’espace public ou d’un endroit visible de

    celui-ci. En l’occurrence, le règlement-taxe prévoyait que la taxe était due solidairement par la

    personne qui a posé l’affiche ou l’autocollant et, si cette personne ne pouvait pas être identifiée, par la

    personne physique ou morale dont l’affiche ou l’autocollant fait la promotion. Le règlement précisait

    qu’en cas de propagande électorale et lorsque ne figure sur l’affiche ou l’autocollant que le sigle ou le

    numéro attribué à la liste, la taxe serait dans ce cas due par le premier candidat de la liste visée. En

    l’espèce, la commune d’Anderlecht avait enrôlé la taxe à charge d’un candidat représenté de manière

    prépondérante sur plusieurs dizaines d’affiches électorales (un certain L.L., du parti Debout les

    Belges). Le tribunal a admis l’existence d’une communauté d’intérêts entre la personne ayant posé

    l’affiche (sans autorisation) et celle dont l’affiche fait la promotion au motif que la décision d’éditer

    des affiches avait été manifestement prise par le parti politique auquel le candidat appartenait, et que

    celui-ci avait accepté que ces affiches soient utilisées en vue de faire la promotion de son parti et de

    ses candidats52

    .

    20. Imposition des intercommunales. Récemment, la question s’est posée de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure il est loisible à une commune d’instaurer un impôt à charge d’une

    intercommunale, surtout dans le tumulte des réformes législatives récentes en la matière.

    Comme exposé plus loin (infra, nos

    80 et s.), le législateur fédéral a récemment mis un terme à

    l’exemption des intercommunales de l’impôt des sociétés prévue par l’article 180 du Code des impôts

    sur les revenus par une loi-programme du 19 décembre 2014 (qui a été modifiée ensuite par la loi-

    programme du 10 août 2015). Lors de cette réforme, il n’a toutefois pas touché à l’article 26 de la loi

    du 22 décembre 1986 relative aux intercommunales, qui prévoit que « [s]ans préjudice des

    dispositions légales existantes, les intercommunales sont exemptes de toutes contributions au profit de

    l’Etat ainsi que de toutes impositions établies par les provinces, les communes ou toute autre personne

    de droit public ». La commune de Perwez s’est réclamée de cette modification dans le cadre de

    l’application d’un règlement-taxe sur les mâts d’éolienne à l’intercommunale Provinciale Brabançonne

    d’Energie (PBE) devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, qui a donc décidé de

    poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle libellée comme suit :

    « S’il devait être lu comme excluant toute forme d’imposition des intercommunales, même portant sur

    des activités commerciales en concurrence directe avec le secteur privé, l’article 26 de la loi du 22

    décembre 1986 ‘relative aux intercommunales’ est-il compatible avec les articles 10, 11, 170 et 172

    de la Constitution, lus, ou non, en combinaison avec l’article 101, § 1, d) du TFUE ? »

    50 Voy. C.E., 14 mars 2000, n° 85.916, Gillion et crts ; 17 mars 2003, n° 117.110, SPRL Outdoor Immobilière ; 23 juin

    2003, n° 120.792, ASBL Syndicat national des propriétaires. 51 C.E., 16 septembre 2016, n° 235.780, Berthet et crts. 52 Civ. Bruxelles (fr.) (36e ch.), 10 janvier 2017, R.F.R.L., 2017/1, p. 75. Comp. Civ. Bruxelles (fr.) (34e ch.), 14

    décembre 2016, J.L.M.B., 2017/5, p. 230, cité plus haut, concernant la mise en place d’un mécanisme de solidarité entre

    l’éditeur d’une affiche ou d’un autocollant et la personne qui a apposé celui-ci.

  • 22

    Selon la commune de Perwez, le législateur aurait considéré que, pour bénéficier d’un régime fiscal

    différent de celui des opérateurs privés, une intercommunale doit démontrer qu’elle a pour but

    principal de pourvoir à des besoins d’intérêt général et qu’elle n’opère, dès lors, pas en concurrence

    avec le secteur privé.

    La question est donc de savoir, a dit la Cour constitutionnelle, si l’article 26 de la loi du 22 décembre

    1986 est compatible avec les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution s’il est interprété en ce sens

    que l’exemption qu’il vise vaut aussi pour les activités commerciales en concurrence directe avec le

    secteur privé53

    . Ce faisant, a ajouté la Cour, il s’agit également de déterminer les limites de la

    compétence fiscale du législateur fédéral au regard de l’autonomie fiscale des communes consacrée

    par la Constitution.

    La Cour, d’emblée, a rappelé la raison d’être de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution : en

    érigeant un tel mécanisme, le constituant a voulu mettre à disposition de l’Etat un mécanisme de

    défense vis-à-vis des autres niveaux de pouvoir, un mécanisme régulateur. La nécessité de la limitation

    de la compétence fiscale des communes devant être démontrée, aux termes du prescrit constitutionnel,

    la Cour en a déduit qu’une loi ayant un tel objet doit recevoir une interprétation stricte.

    Après avoir souligné que l’adoption de la loi soumise à sa censure avait été initialement motivée par la

    volonté du législateur d’exempter les associations de communes de contributions auxquelles n’étaient

    pas soumises les communes, dans le cadre d’activités portant également sur la réalisation d’objectifs

    d’intérêt communal, la Cour s’est référée à l’évolution de la situation, à l’instar du législateur. Elle a

    souligné que désormais, le législateur réserve aux seules structures intercommunales qui ne se livrent

    pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif le bénéfice d’un régime fiscal plus

    favorable. Elle en a déduit que la nécessité d’une exception générale à la compétence fiscale des

    communes en ce qui concerne les intercommunales qui se livrent à des activités commerciales en

    concurrence directe avec le secteur privé n’est plus démontrée.

    La Cour constitutionnelle a donc répondu au tribunal de première instance du Brabant wallon que

    l’article 26 de la loi du 22 décembre 1986, s’il est interprété comme excluant toute forme d’imposition

    des intercommunales, lorsqu’elle porte sur des activités commerciales en concurrence directe avec le

    secteur privé, viole les articles 10, 11 et 170 de la Constitution54

    . Ce faisant, la Cour s’est en réalité

    appuyée sur une modification du Code des impôts sur les revenus et lui a donné une amplitude que le

    législateur n’avait pas prévue. Pourvu de cette réponse, il appartient au juge a quo de déterminer, in

    concreto, si l’intercommunale concernée exerce des activités commerciales en concurrence avec le

    secteur privé ou non.

    (b) Les exonérations

    21. Nécessité d’un texte prévoyant l’exonération. Conformément au principe d’égalité, tous les contribuables visés par un règlement-taxe communal sont soumis à celui-ci et ne peuvent en principe

    53 C. const., arrêt n° 66/2017 du 1er juin 2017. Voy. S. KEUNEN et K. WAUTERS, « Commerciële activiteiten

    intercommunales zijn onverenigbaar met fiscale vrijstelling », note sous C. const., arrêt n° 66/2017, T. Gem., 2017/3,

    pp. 163-165. 54 Etonnamment, la Cour ne fait pa