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BONADE BOTTINO Michel
Faculté de Médecine Paris Descartes
Mémoire pour le MasterClass
d’Histoire de la Médecine 2017
Titre du mémoire :
Jean Pitart et la Confrérie de Saint Côme et Saint Damien
Responsables d’enseignement :
Pr Patrick Berche et Pr Jean-Noël Fabiani
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Jean Pitart et la Confrérie de Saint Côme et Saint Damien
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Jean Pitart et la Confrérie de Saint Côme et Saint Damien
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Résumé
Le nom de Jean Pitart est communément associé à la Confrérie de Saint Côme et Saint
Damien. Sa fondation en 1311, sous Philippe IV le Bel, apparait comme une conséquence de
la laïcisation de la pratique médicale et chirurgicale, précipitée par la réforme grégorienne de
l'Eglise. La logique de sa formation est directement liée aux conditions et idées nées de la
Renaissance du XIIème siècle. Pitart n'est pas seulement l'initiateur de cette confrérie. C'est
aussi un chirurgien praticien attaché à la cour. Il est profondément marqué par la position de
la nouvelle école de chirurgie italienne ce dont on peut juger à travers les écrits de son élève,
protégé et ami, Henri de Mondeville.
Mots clé :.
Confrérie de Saint Côme et Saint Damien, chirurgie médiévale, Henri de Mondeville,
Lanfranc de Milan
Michel Bonadé Bottino – [email protected]
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Jean Pitart et la Confrérie de Saint Côme et Saint Damien
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Abstract
The name Jean Pitart is usually associated with the brotherhood of Saint Come and Saint
Damian (Confrérie de Saint Côme et Saint Damien). It's founding in 1311, under the reign of
the french king Philippe IV "le Bel" (the handsome), appears to be a consequence of the
secularization of the medical and surgical practice, due to the Gregorian reformation of the
Church. The logic behind its creation is directly linked with the conditions and ideas born
from the XIIth century Renaissance. Pitart is not only the initiator of this brotherhood. He is
also a skilled surgeon attached to the royal court. He is deeply attached to the views of the
new italian surgery school, which one can consider through the works of his pupil, protégé
and friend, Henri de Mondeville.
Keywords :
Confrérie de Saint Côme et Saint Damien, medieval surgery, Henri de Mondeville, Lanfranc
de Milan
Michel Bonadé Bottino – [email protected]
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"Pitard est une de ces renommées fantastiques qui,
comme ces héros de la cour de Charlemagne, tiennent
bien plus de place dans la fable que dans l'histoire. […]
Qu'y a-t-il donc de vrai dans cette légende ?"
J.B. Malgaigne, 1840
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Notes sur la présentation
Dans ce document, je me suis efforcé de ne pas surcharger le texte avec des informations
annexes. Ces dernières ont été renvoyées en notes de bas de page. Le texte est à mon sens
lisible sans les notes, mais ces dernières ajoutent des données qui peuvent permettre de
préciser le contexte, certains termes… J’encourage le lecteur à parcourir ces notes de bas de
page mais comme dit ci-dessus, le texte est accessible sans elles.
La bibliographie a été rapportée en fin de document et présentée dans la mesure du possible
dans le style Vancouver.
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Remerciements
J'adresse ici mes remerciements à Jocelyne Warnesson pour son aide à la rédaction de ce
mémoire ; ses suggestions de sources documentaires m'ont orienté sur des pistes que je n'avais
parfois pas envisagées et nos discussions m'ont permis de préciser et de mettre en lumière
certains points qui ont facilité l'analyse globale de la vie et de l'œuvre de Jean Pitart. Je n'oublie
pas sa relecture attentive du texte qui l'a rendu, je l'espère, plus "digeste".
Merci également à tous ceux de mon entourage qui ont supporté mes disparitions prolongées
en bibliothèque et ont évité les jets de gommes, crayons, et autres … lors des incursions
intempestive dans mon bureau pendant la rédaction de ce rapport.
Mes remerciements enfin aux professeurs Philippe Berche et Jean-Noël Fabiani pour avoir
conçu cet enseignement de Master Class d'histoire de la Médecine, sans oublier Claude Harel
pour la coordination de ce bel ouvrage de passage de connaissances.
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Table des matières
1. Introduction ................................................................................................................................... 2
2. Le monde de Jean Pitart ................................................................................................................ 4
2.1 Le royaume de France ........................................................................................................... 4
2.1.1 Frise chronologique ....................................................................................................... 4
2.1.2 Le monde de la fin du Moyen Age ................................................................................. 6
2.1.3 L'évolution du Royaume ................................................................................................ 9
2.1.4 L'entourage du roi ....................................................................................................... 14
2.2 Le monde scientifique parisien ........................................................................................... 15
2.2.1 Grands courants d'évolution ....................................................................................... 15
2.2.2 La faculté parisienne : le cas de la Médecine .............................................................. 29
3. Jean Pitart .................................................................................................................................... 35
3.1 Les sources .......................................................................................................................... 35
3.2 Sa vie.................................................................................................................................... 36
3.2.1 Les origines de Jean Pitart ........................................................................................... 36
3.2.2 La formation ................................................................................................................ 37
3.2.3 Chirurgien royal ........................................................................................................... 38
3.2.4 Pitart et Mondeville ..................................................................................................... 43
3.2.5 Disparition ................................................................................................................... 44
3.3 Son œuvre ........................................................................................................................... 44
3.3.1 Pratiques chirurgicales ................................................................................................ 45
3.3.2 La confrérie de Saint Côme et Saint Damien ............................................................... 49
3.4 La postérité de Jean Pitart ................................................................................................... 52
4. Conclusion ................................................................................................................................... 53
Bibliographie ....................................................................................................................................... 55
Annexe A : canon 18 du concile Latran IV ........................................................................................... 59
Annexe B : Statuts des chirurgiens de Paris ........................................................................................ 60
Annexe C : Domiciles présumés de Pitart ........................................................................................... 62
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1. Introduction
Evoquer la vie de Jean Pitart, que l'on trouve également orthographié, suivant les sources1
(magister) Johannes Pitardi, Mestre Jehan Pitard, Maistre Jehan Pierart (ou Precart) ou encore
Picard,… est un curieux exercice.
A la condition d'avoir un peu de curiosité pour ce qui concerne l'histoire de l'art chirurgical,
son nom fait vite surface au fil des lectures. Pourtant, là où d'autres sont connus et reconnus
pour leurs innovations dans la pratique ou dans l'instrumentation, leur audace ou leur intuition
en tant que praticien, leurs écrits passés à la postérité, à l'instar par exemple de Guy de
Chauliac (v.1298-1368), d'Ambroise Paré (1510-1590), de Dominique-Jean Larrey (1766-
1842) voire, plus près de Pitart, de son propre élève, Henri de Mondeville (1260-1320), le
nom de Pitart est en général associé exclusivement à la Confrérie de Saint-Côme et Saint-
Damien. On a, somme toute, une sorte d'image d'Epinal suivant laquelle Maître Jean fait naître
ex nihilo une institution destinée à fédérer les chirurgiens, au moins sur Paris et ses environs,
afin de leur assurer reconnaissance – en s'assurant de leurs connaissances – et aussi, en quelque
sorte protection, contre une envahissante Faculté de Médecine. En d'autres termes, "hors la
Confrérie, point de Pitart" !
Cette vision réductrice et quelque peu faussée semble naître peut-être dès la Renaissance et
est remise sur le devant de la scène au Grand Siècle. Sous Louis XV lorsque l'Ecole de
Chirurgie est construite, le portrait de Pitart (orthographié Pitard) est choisi pour figurer en
médaillon sur la frise de la cour d'honneur aux côtés2 d'Ambroise Paré, de Georges Louis
1 Voir le paragraphe 3.1. 2 A. Paré est reçu maître barbier chirurgien en 1536. Accompagnant les armées il se fait remarquer par ses
innovations dans le domaine du traitement des blessés, notamment pour les problématiques d'amputation et
de soins aux blessés par arme à feu. En 1557, il rejoint la confrérie de Saint-Côme en tant que maitre à la
demande du roi ("in favorem regis") Henri II (1519-1559), puis devient premier chirurgien de Charles IX (1550-
1574) à la demande de Catherine de Médicis (1519-1589), poste qu'il conserve à l'avènement d'Henri III (1551-
1589). Il est souvent considéré comme le fondateur de la chirurgie moderne. C'est probablement la raison pour
laquelle le portrait de Paré est situé au centre de la frise du Collège de Chirurgie.
G. Mareschal est nommé premier chirurgien du roi Louis XIV le 14 juin 1703, succédant à Charles François Félix
(1635-1703). Il conserve sa charge sous Louis XV mais s'efface au profit de son fils ainé, Louis, en 1719 tout en
restant auprès du roi. Avec François Gigot de la Peyronnie (1678-1747) il obtient de fonder en 1731 l'Académie
Royale de Chirurgie.
J.L. Petit, dit Petit le chirurgien, obtient sa maitrise en chirurgie en 1700. Il rejoint l'Académie royale des sciences
en 1715 et est nommé directeur de l'Académie royale de Chirurgie à sa création en 1731.Il est le promoteur de
la méthode anatomo-clinique dans la dite Académie.
F.G. de Lapeyronie est formé initialement à Montpellier où il est associé de la Société Royale des Sciences (de
Montpellier) de 1706 à 1711. Il rejoint ensuite Paris où il a déjà fait un séjour d'un an auprès de G. Mareschal
et qu'il retrouve pour travailler à la cour. En 1717 il est nommé "chirurgien survivancier" de G. Mareschal et il
deviendra premier chirurgien du roi en 1737 à la mort de ce dernier. Avec Mareschal, il forme le projet de la
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Mareschal (1658-1736), de Jean Louis Petit (1674-1750), et François Gigot de Lapeyronie
(1678-1747), de parce qu'il est le fondateur de la Confrérie de Saint-Côme. Même constatation
dans le musée d'Histoire de la Médecine, sis dans le bâtiment de l'Ecole de Chirurgie, à présent
devenue Faculté de Médecine : le portrait de Pitard figure en insert au-dessus des coursives
de part et d'autre de la grande verrière, aux côtés d'autres médecins et chirurgiens illustres.
Figure 1 : Jean Pitart à la Faculté de Médecine
En haut la cour d'honneur de l'Ecole de Chirurgie, œuvre de Jacques Gondoin de Folleville
(1737-1818). Le portrait de Pitart est en médaillon complètement à gauche dans la frise au-
dessus de l'entrée de l'amphithéâtre. En bas, portrait à l'huile actuellement visible dans le
Musée d'Histoire de la Médecine de la Faculté de Médecine de Paris.
constitution d'une Académie Royale de Chirurgie dont il assurera la présidence de 1736 à 1747 après sa création
en 1731 (année où lui-même devient associé de l'Académie Royale des Sciences). Toute sa vie il se bat pour
que les chirurgiens soient considérés à l'égal des médecins (voir partie 3.4).
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Que l'on consulte des dictionnaires historiques de médecine, ou plus prosaïquement internet,
wikipedia en tête, Pitart n'est en général défini que par rapport à son travail fédérateur pour
la corporation des chirurgiens. Pourtant, même s'il n'a pas légué de grand traité de chirurgie,
et si son rôle fut incontestable dans l'organisation de la profession de chirurgien, Jean Pitart
nous apparait également être un praticien, dont on peut estimer les idées notamment à travers
la production de son élève Henri de Mondeville. On perçoit un maître dans son art, ne
manquant certes pas d'idées et pratiquant parfois une chirurgie à contre-courant de ce qui se
faisait traditionnellement. L'homme n'hésitait semble-t-il pas à mettre en pratique du neuf,
pour autant que la pratique démontre le bienfondé de ces idées atypiques.
Enfin, il y a sa position de chirurgien royal. On peut légitimement spéculer qu'il était un
praticien reconnu et apprécié puisque nous verrons plus avant qu'il a été reconduit dans ses
fonctions à la cour, servant ainsi plusieurs rois de France. De même nous verrons qu'il a été
spécifiquement mandé au chevet de puissants du royaume hors la cour.
On pressent de fait qu'il y a plus de profondeur dans ce personnage que ne le présente l'image
d'Epinal que nous avons décrite plus haut. L'objectif de ce mémoire, toute proportion gardée,
sera de faire un point sur le praticien Jean Pitart telle que nous pouvons le percevoir. Il
s'appuiera pour ce faire sur les sources historiques disponibles, traduites dans le cas des
ouvrages latinisant, ainsi que sur le travail de compilation déjà effectué par des historiens de
la Médecine et des Sciences.
2. Le monde de Jean Pitart
Avant que de parler de Maistre Jean, et dans l'esprit du Master Class d'histoire de la Médecine,
il convient de présenter le monde dans lequel ce praticien a vécu.
Du fait de sa position privilégiée à la cour du roi de France, nous nous attarderons un instant
sur l'évolution du Royaume, ainsi que sur les fonctions que Jean Pitart remplit à la cour même.
D'autre part, nous envisagerons le cadre scientifique, en particulier celui des professions de
santé, dans le microcosme parisien, resitué dans le macrocosme occidental de l'époque.
Cette mise en situation permettra ensuite d'aborder plus efficacement l'homme et le praticien
Jean Pitart.
2.1 Le royaume de France
2.1.1 Frise chronologique
Une frise chronologique permet de resituer les règnes des différents souverains et les
évènements importants du temps de Jean Pitart.
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1200 1250 1300
Philippe II "Auguste"
Louis VIII "Le Lion"
Louis IX "Saint Louis"
Philippe III "Le Hardi"
Philippe IV "Le Bel"
Louis X "Le Hutin"
Jean Ier "Le Posthume"
Bouvines 1214
1210 1220 1230 1240 1260 1270 1280 1290 1310 1320 1330
Régence Blanche de
Castille
Traité de Paris (paix franco anglaise)
1259 Conflit Saint-Empire / Papauté
Innocent IV à Lyon en 1244
Le roi à la 7° croisade (1248-1254)
Mort du roi à la 8° croisade
(1270)
Jean Pitart Incertitude sur l'année de naissance
1228 1248
Mort probable après
septembre 1328
Concile de Latran IV
1215
Bulle d'Innocent III
1215
Grève
Bulle de Grégoire IV
1231
Corporation des "épiciers et apothicaires"
Université de Paris
Confrérie de St Côme et St Damien
Incertitude sur l'année de création
Philippe VI
Philippe V "Le Long"
Charles IV "Le Bel"
Conflit du décime (1296-1303)
Entrée à la cour 1298
Dépendance liée à la légitimation de la création de la Confrérie par
Saint Louis
Affaire de l'ordre du temple
(1307-1314) Guerre de Flandre
(1297-1305)
Ordonnance royale 1311
Statuts barbiers 1301
Charte de Philippe Auguste
1200 .
Décès de Lanfranc 1306
Chirurgie de G. de Saliceto 1276
Chirurgies de Bruno et Théodoric 1250-1260
Date probable
Rolandine 1225
Décès de Mondeville 1320
Lanfranc à Paris 1295
Rédaction chirurgie Mondeville 1306-1320
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2.1.2 Le monde de la fin du Moyen Age
Le monde occidental du XIIIème siècle poursuit les réorganisations héritées de ce qu'on appelle
fréquemment la "Renaissance du XIIème siècle" (1). Cette période est marquée par de profondes
mutations dans la société occidentale qui s'opèrent dans un contexte de prospérité retrouvée.
Les causes de la prospérité
Cette renaissance est intellectuelle et culturelle, mais aussi spirituelle, politique et sociétale. Tout à
la fois elle résulte et elle fait intervenir différents facteurs, à travers un système d'interdépendance
complexe (ce qu'on pourrait présenter comme une sorte de cercle vertueux procédant de multiples
intervenants). On peut citer en particulier :
- Un essor du monde rural lié à la mise en culture de nouvelles terres (défrichement et
assèchement) et à l'amélioration des techniques agricoles (innovations dans la réalisation du
travail de la terre et le matériel associé ; techniques d'assolement…). Cet essor est facilité
par des conditions climatiques favorables qui permettent de bons rendements des
productions agricoles, assurant par la même des conditions favorables d'accroissement
démographique par l'absence de disettes. Un autre impact est l'augmentation des revenus
propriétaires terriens dont une part est constituée de particuliers bourgeois. Ces revenus
participeront notamment à l'essor du commerce décrit plus bas ;
- Un développement de la population, alimentant et alimentée par les autres facteurs. Cette
augmentation va déboucher sur une véritable explosion démographique très marquée
courant XIIIème3 ;
- Une stabilisation politique qui consacre le retour d'un pouvoir, certes "régional"4, mais
garant de l'ordre (2). Le XIème siècle correspond en France à un état d'émiettement maximal
du pouvoir, suite à la décomposition totale du pouvoir de l'empire carolingien. La cellule
politique prédominante devient la seigneurie banale. Au contraire le XIIème siècle voit la
3 Dans le cas particulier de la France, le pays comptait 12 millions d'habitants à la fin de l'Empire Romain et a subi un
déclin progressif jusqu'à un point minimum atteint sous Charles II dit "Le Chauve" (823-877) au IXème siècle avec 8
millions d'habitants. La population reprend son accroissement avec une inflexion au XIème siècle jusqu'à reconstituer,
vers 1200, l'effectif de la population de l'Empire. L'explosion démographique du XIIIème siècle porte ensuite la
population française entre 18 et 20 millions d'habitants au premier tiers du 14ème siècle (première population
européenne ; en comparaison l'Angleterre ne compte à cette époque qu'entre 5 et 7 millions d'habitants). La grande
famine qui sévit en Europe entre 1315 et 1317 freine néanmoins cette croissance explosive (3). 4 Au sens où il s'oppose à la conception d'un pouvoir impérial. On place l'apparition d'un sentiment national plutôt au
XIIIème siècle pour la France avec la bataille de Bouvines (cf. infra). Nous reviendrons au § 2.1.3 sur les conséquences
de cette opposition face à la volonté de reconstitution de l'empire (renovatio imperii) de Frédéric Ier Hohenstaufen
"Barberousse" (1122-1190) et de ses successeurs.
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logique d'éparpillement et de cloisonnement du pouvoir remplacée par une hiérarchisation,
à travers le lien féodo-vassalique. Sous l'impulsion des représentants de la nouvelle dynastie
capétienne5, en particulier sous les règnes de Louis VI "Le Gros" (1108-1136 ; roi en 1108),
Louis VII "Le Jeune" (1120-1181 ; roi en 1136) et Philippe II "Auguste" (1165-1223 ; roi
en 1181), l'âge féodal se met en place et permet, à travers la hiérarchie des "emboitements"
de pouvoir, de constituer une vision claire et fonctionnelle de la pyramide du pouvoir en
haut de laquelle se tient le roi. C'est un facteur de cohésion politique crucial ;
- Un développement des villes qui s'inscrit dans la continuité de la maturation lente d'un
nouveau modèle d'urbanisation débutée autour de l'an 1000. Ce nouveau modèle est axé sur
la primauté des fonctions économiques : c'est une ville de marchands et de fabricants, un
lieu d'échange (avec notamment l'essor des grandes foires) dont l'apogée se situe entre 1150
et 1330. Elle correspond à la grande phase d'urbanisation proprement médiévale du 10ème au
13ème siècle6 ;
- Une explosion des échanges par route et par voie fluviale et maritime (développement des
comptoirs). Ces échanges sont sécurisés par une stabilisation du pouvoir temporel et par les
investissements dans les infrastructures (routes, ponts, matériel de transport terrestre et
maritime) rendus possibles par l'essor économique (avec notamment une mise en place de
fiscalité type octrois qui alimente les investissements). Ils concernent tout à la fois des biens
commerciaux que des contenus intellectuels qui peuvent transiter aisément. Ce point est
crucial dans le domaine des sciences puisque suite à l'expansion territoriale de l'Occident
dans le monde méditerranéen et le proche orient, de nombreuses marchandises et aussi des
écrits scientifiques peuvent être ramenés vers l'Occident (cf. infra) ;
5 Pour rappel, la dynastie se met en place avec Hugues Capet (v.940-996), duc des Francs et élu roi des Francs en 987
au détriment de Charles de Basse-Lotharingie (dit aussi de Lorraine) qui était pourtant un carolingien. L'élection
d'Hugues Capet apparait avoir été favorisée par des tractations politiques menées par Hugues Capet lui-même
(rapprochement notamment avec des membres du clergé proches de la maison impériale Ottonienne). Pourtant le
fait qui parait avoir la motivation capitale de son élection était qu'Hugues Capet ne semblait pas disposer d'une
position ni de moyens susceptibles de menacer ni les grandes familles, ni la couronne impériale. On peut illustrer
l'attitude des grandes familles par le dialogue fameux du roi avec Adalbert, comte de Périgord. Alors que le roi enjoint
au comte de lever le siège de Tours : Le roi : Qui t'a fait comte ? Adalbert : Qui t'a fait roi ? 6Les cités concentrent des populations sur une échelle encore inédite. Le tableau, début 14 ième pour la France serait :
Paris avec environ 220 000 habitants ; Rouen et Montpellier à environ 40 000 âmes ; Avignon entre 30 et 40 000 (flux
de population constant avec l'installation des papes), et une dizaine d'autres cités dans cette fourchette dont Douai,
Lille, Orléans, Saint Omer et Ypres ; quelques cités autour de 20 000 habitants dont Arras, Metz, Reims et Strasbourg
; une vingtaine de villes entre 10 000 et 15 000 habitants dont Bourges, Calais, Rennes ou Nantes. L'essentiel des villes
restent en dessous de 10 000 âmes qui marquent la limite basse d'une grosse agglomération. La moyenne serait plutôt
de l'ordre de 1 000 à 2 000 habitants par ville. La population reste cependant majoritairement rurale – 95% de la
population française demeurait dans les campagnes au sortir du Moyen Age (4).
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- Une réorganisation de l'Eglise qui se remet en question notamment sur son rôle temporel
dans la société. Ce mouvement de réforme est traité au § 2.2.1 car il a des conséquences
majeures sur le développement du monde des praticiens de santé laïcs au temps de Jean
Pitart.
L'ouverture au monde arabo-musulman
Comme évoqué ci-dessus, l'Occident s'est lancé dans de grands mouvements d'expansion territoriale
qui le mettent au contact de la société arabo-musulmane, des spéculations intellectuelles et des
travaux scientifiques rédigés en arabe. Ces mouvements débutent essentiellement au XIème siècle,
pour se poursuivre aux siècles suivants. Ils se concentrent sur 3 théâtres d'opération :
- Croisades d'Orient, démarrées en 1095 sous l'instigation papale et qui aboutissent à la
création des royaumes latins d'Orient dont celui de Jérusalem. Le mouvement est suivi par
deux croisades au XIIème siècle et pas moins de 7 autres au XIIIème siècle. A noter la chute
de Constantinople, prise par les croisés en 1204 lors de la quatrième croisade, qui du point
de vue culturel et scientifique donne accès à de nombreux textes en grec et en arabe ;
- Reconquista de la péninsule arabo-ibérique, précédemment conquise par les arabes au terme
d'une campagne éclair de 711 à 715. Cet élan de reconquête est cautionné par l'Eglise
(attribution d'une indulgence en 1063 par le pape Alexandre II (v.1010-1073 ; pape en
1061)). La reconquête d'Al-Andalus progresse durant le XIème siècle, avec notamment la
prise en 1085 de Tolède, centre intellectuel et scientifique brillant où s'est réalisé un brassage
des cultures arabe, chrétienne et juive. Le rigorisme religieux qui se met en place dans la
péninsule encore arabisante suite à l'arrivée des almoravides fin XIème, met un terme à ce
brassage culturel. Pour la péninsule, la Reconquista est pratiquement achevée pendant la
première moitié du XIIIème siècle, ne laissant sous domination arabe que le royaume de
Grenade, au sud de la péninsule ibérique ;
- Conquêtes normandes italiennes et fondation du royaume de Sicile. Il s'agit d'une opération
qui se met en place progressivement, essentiellement au cours du XIème siècle, initialement
à partir de troupes normandes mercenaires puis sous la direction des membres de la famille
Hauteville : Robert Guiscard (v.1020-1085) et son frère Roger Bosso (v.1031-1101). Elle
aboutit à la constitution du royaume de Sicile au détriment des byzantins (Italie du sud) et
des sarrasins (Sicile). Le royaume lui-même est organisé par le fils de Robert Guiscard,
Roger II (1095-1154) couronné en 1130 "roi de Sicile" par l'antipape Anaclet II (?-1138 ;
antipape en 1130). La cour du roi de Sicile est extrêmement ouverte à la culture arabo-
musulmane (Roger II parle lui-même parfaitement l'arabe et le grec). Elle constitue un point
d'entrée privilégié de la connaissance scientifique de langue arabe vers l'Occident, les
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traductions de textes étant réalisées essentiellement sous les règnes de Guillaume Ier
(v.1125-1166) et de Guillaume II (1154-1189), entre 1154 et 1189. Le célèbre Tacuinum
sanitatis fait partie de ces traductions.
2.1.3 L'évolution du Royaume
Comme nous venons de le voir, le monde du XIIIème siècle dans lequel Jean Pitart voit le jour est
un espace en pleine recomposition. Mais qu'en est-il du royaume de France ?
La France, à l'instar de ses voisins en Occident, cherche à exister en tant qu'état indépendant sur la
scène occidentale. Nous avons vu précédemment, qu'à travers la mise en place d'une société féodale,
à la tête de laquelle se trouve le roi, une unité politique se forme au cours du XIIème siècle. Le
même mouvement se produit en Angleterre ou en Espagne de sorte qu'aux alentours de 1200, il
existe de facto des entités étatiques viables, qui existent hors de toute appartenance à l'empire romain
germanique. Reste encore pour ces regna à saisir et à affirmer cette indépendance.
Les deux pouvoirs : le Saint Empire Romain et l'Eglise
L'empire se défini comme la continuité de l'empire romain, et le renouveau de l'empire carolingien.
Il cultive l'idée, initialement partagée en Europe, que le monde occidental est un espace latin unifié
sous la loi justinienne et placé sous la direction d'un empereur élu, premier prince de tous les princes
d'Occident. Dans les faits, la création du Saint Empire s'effectue à la toute fin du Xème siècle sous
l'impulsion des Ottoniens sur la base de l'ancienne Francie orientale carolingienne. Son émergence
est facilitée par le contexte d'émiettement du pouvoir qui a déjà été présenté. Le Saint Empire est
étroitement associé à l'Eglise : la nomination des papes est réalisée par l'empereur, de même que
l'investiture des prélats dans les territoires appartenant directement au Saint Empire. Le pape de son
côté sacre l'empereur. Ce système aboutit pourtant à une confrontation Eglise Saint Empire à
partir du début de la réforme grégorienne (voir note de bas de page n°7) qui va durablement
perturber ces deux institutions : excommunications de l'empereur, élection d'antipape destiné à
contre balancer le pouvoir papal… Dans ces conditions les canonistes (spécialistes du droit de
l'Eglise ou droit canon), soucieux d'affaiblir le pouvoir impérial, se prononcent pour une légitimation
des pouvoirs locaux. Ainsi Huguccio de Pise (v.1140-1210), célèbre canoniste, qui reconnait le
pouvoir absolu à l'empereur ("plena et absoluta potestas") mais insiste sur la nécessité, dans chaque
royaume, de l'existence d'un pouvoir suprême local ("suprema potestas principalis et major")
dévolu à un roi autonome. Cette position légitime les aspirations, notamment de la royauté française,
qui dès lors fait en sorte d'affirmer sa souveraineté sur plusieurs fronts, et en premier lieux celui du
contrôle de son territoire.
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Le Royaume de France sur la scène Occidentale : stabilité et rayonnement
Au début du XIIIème siècle, en 1214, c'est Philippe II Auguste qui marque les esprits et consacre
une politique de reconquête du territoire, au cours d'une bataille qui s'inscrit dans le conflit
l'opposant au roi anglais Jean sans terre (v.1166-1216). Lorsque le souverain français arrive sur le
trône, en 1180, la moitié ouest du territoire français est sous contrôle de la couronne d'Angleterre.
Par le biais de campagnes militaires et d'actions relevant du cadre féodal (confiscation de fiefs en
1202 et 1204), Philippe Auguste parvient à repasser la quasi-totalité du territoire sous son contrôle.
Les frontières établies au terme du règne de Philippe Auguste restent dès lors à peu près stables
durant tout le XIIIème siècle et le début du XIVème.
Figure 2 : Evolution du royaume de France sous Philippe II Auguste
La bataille de Bouvines, en 1214 est symbolique et marque les esprits ; l'armée du roi de France (ost
royal et milices communales) y affronte et y défait une armée coalisée rassemblant des troupes
anglaises, celles de deux grands vassaux parjures à la couronne de France, Renaud de Dammartin
(1165-1227) et Ferrand de Flandre (1188-1233), et enfin les troupes de l'empereur de Saint Empire
Otton IV (v.1175-1218). Plus qu'une victoire militaire, c'est une victoire symbolique pour le
royaume, qui affirme en même temps sa capacité à exister en autonomie hors du Saint Empire, celle
de se défendre contre ses ennemis extérieurs et celle de châtier les félons à l'ordre féodal du pays.
Une illustration de cette "montée en puissance" d'un royaume de France indépendant se situe
pendant le règne de Louis IX dit "Saint Louis" (1214-1270) (5). Seulement trois décennies après la
bataille de Bouvines, le roi de France est suffisamment affirmé, dans son rôle de monarque menant
un royaume temporellement détaché du Saint-Empire et du pape, pour tenir sa neutralité pendant le
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conflit opposant Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) à la papauté7. Louis IX affirme sa position
de roi très chrétien et respecte le pape comme chef de l'Eglise. De même il ne conteste pas à Frédéric
II sa situation, dans les faits symbolique, de premier prince d'Occident. Mais dans le même temps,
il refuse de plier aux injonctions de l'un ou l'autre parti.
Ainsi en 1240 lorsque le pape Grégoire IX excommunie Frédéric II et engage la chrétienté à le
combattre, il propose le trône impérial à Robert Ier d'Artois (1216-1250) frère du roi. Louis IX laisse
publier l'excommunication par les évêques, mais il empêche son frère d'accepter ce rôle de sorte que
le pape se voit contraint de réunir un concile. Des navires génois acheminant des prélats, dont
plusieurs évêques français, sont arraisonnés par des navires pisans au service de Frédéric II. Ce
dernier retient en captivité les occupants des navires. Louis IX lui adresse alors, par l'intermédiaire
de l'abbé de Cluny, une missive statuant : "nous avons toujours cru que l'empire et notre royaume
ne faisaient qu'un et nous avons entretenu avec vous les relations amicales établies par nos
prédécesseurs. Nous ne vous avons nullement provoqué et nous avons même refusé aux légats le
secours matériel qu'ils nous demandaient contre vous. Aussi, que votre puissance impériale pèse
bien ce que nous allons lui dire : qu'elle nous satisfasse, car le royaume de France n'est point
affaibli au point qu'il se laisse mener par vous à coups d'éperon". A la réception de la missive, les
prélats sont relâchés.
De même, après la mort de Grégoire IX et le très bref pontificat (15 jours) de Célestin IV (?-1241 ;
pape en 1241), Frédéric II manœuvre pour faire élire "son" candidat, le cardinal Sénébald de Fiesque
qui prend le nom d'Innocent IV (v.1180-1254 ; pape en 1243). Ce dernier, une fois élu, se retourne
contre son protecteur et refuse de lever l'excommunication frappant l'empereur. Craignant la colère
de ce dernier, le pape s'enfuit à Lyon, ville libre à la frontière du royaume de France. Cependant il
n'obtient pas de Louis IX l'autorisation de se réfugier à Reims, le conseil du roi ayant jugé que cet
7 La confrontation papauté – saint-empire se manifeste par crises depuis le début de la réforme de l'Eglise portée par
Léon IX (1002-1054 ; pape en 1049), Grégoire VII (v.1051-1085 ; pape en 1073) et Urbain II (1042-1099 ; pape en 1088).
Celle-ci vise notamment à recentrer l'Eglise sur sa mission spirituelle. Dans cette mouvance, la sortie de la papauté du
giron du saint empire est naturelle puisque la nomination des prélats par l'empereur constitue un lien inacceptable
avec le temporel. Ainsi Etienne IX (v.1020-1058 ; pape en 1057) est nommé par le clergé et le peuple de Rome sans
l'aval du futur empereur Henri IV. Citons aussi l'épisode de la pénitence de Canossa, en 1077 : le pape Grégoire VII
ayant refusé que les évêques soient nommés par des laïcs, le futur empereur Henri IV (1050-1106), alors roi des
romains, fait prononcer la destitution du pape au concile de Worms en 1076. Le pape réplique en le faisant
excommunier. Devant la pression des princes du royaume, Henri IV cède et vient demander le pardon du pape à
Canossa… avant de faire élire l'antipape Clément III en 1080. La crise à laquelle est confronté Louis IX débute sous le
pontificat de Grégoire IX (1145-1241 ; pape en 1227).
Plus généralement, cette confrontation papauté – saint-empire est à l'origine du conflit entre gibelins (cités de
Lombardie soutenant l'empereur) et guelfes (cités alliées au pape) dont nous verrons plus avant qu'il décida du départ
de Guido Lafranchi (v.1250-1306), dit Lanfranc de Milan de la dite cité, en 1290. Il rejoint Paris où il intègre la Confrérie
de Saint-Côme et Saint-Damien.
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acte ne permettait pas de garantir la neutralité du royaume. Lors du concile de Lyon, Innocent IV
confirme l'excommunication de Frédéric II et appelle les princes de l'empire à élire un nouvel
empereur. Il propose alors à Louis IX d'arbitrer le différend qui l'oppose à l'empereur, mais il
n'obtient qu'une entrevue de plusieurs jours avec le roi qui se déroule à l'abbaye de Cluny mais ne
débouche sur aucune avancée. Pourtant, lorsqu'en 1247, Frédéric II, décidé à en finir avec le pontife
récalcitrant, fait marcher une armée vers Lyon en appelant les barons français qui le soutiennent à
le rejoindre, la réponse de Louis IX est rapide et sans équivoque : il prend immédiatement la route
de la cité pontificale avec son armée. Frédéric II renonce à nouveau devant la menace d'affronter le
roi de France.
Ainsi en quelques décennies, le royaume de France est devenu un acteur reconnu et influant sur la
scène politique occidentale. Mieux encore : Louis IX est par la suite, régulièrement sollicité pour
arbitrer des querelles ou différents entre rois, princes ou barons. Ainsi par exemple il intervient dans
la répartition des terres de la comtesse de Flandres morte en 1244, et encore en 1258 dans le conflit
entre le roi Henri III d'Angleterre (1207-1272) et les barons, menés par le comte de Leicester, Simon
V de Montfort (1208-1265).
L'apogée du royaume de France médiéval se situe néanmoins quelques décennies plus tard, sous le
règne de Philippe IV "le Bel" (1268-1314). Le roi mène une politique de stabilisation du royaume,
efficace à travers la consolidation des structures de pouvoir (grand conseil, parlement, chambre des
comptes – cf. infra), mais plus incertaine du point de vue monétaire. Son règne est marqué par
d'importantes confiscations de biens (procès des templiers, expulsion des juifs) qui contribuent à
renflouer les caisses de l'état. Au titre de la politique extérieure, le roi conquiert le Flandre (Lille et
partie wallonne de la Belgique actuelle) malgré le désastre de Courtrai en 1302. Il s'oppose
également brièvement à la papauté de 1296 à 1303, sans qu'il en découle des conséquences aussi
marquées que le conflit Saint Empire Papauté (cf. infra).
Les réorganisations internes
En complément de cette affirmation sur la scène politique "internationale", le royaume se met
intérieurement en état d'indépendance tant vis-à-vis de la papauté que du Saint Empire.
Par rapport à la papauté, une réflexion se fait jour à compter des années 1250. Elle est portée d'une
part par un regain d'intérêt pour la pensée Aristotélicienne. Celle-ci professe que la cité (i.e. la
société civile organisée en un état politique) existe par elle-même, par le simple fait que les citoyens
la définissent en y participant, sans qu'il soit nécessaire de la légitimer par un pouvoir supérieur,
même spirituel. D'autre part, cette réflexion est nourrie par la philosophie d'un franciscain, (saint)
Thomas d'Aquin (1225-1274), qui démontre l'existence d'un ordre social et politique autonome,
totalement indépendant de l'ordre religieux. L'ensemble aboutit à la conception d'un état dans lequel
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la puissance royale et étatique est "seul maître à bord" pour les affaires temporelles. Elle est la cause
d'une crise entre Boniface VIII (1235-1303 ; pape en 1294) et Philippe le Bel à propos de la décime8
qui aboutit à une reconnaissance du bienfondé de l'action du roi de France par Clément V9 (v.1264-
1314 ; pape en 1305). Ce jugement porte un coup sévère à l'hégémonie pontificale, reconnaissant la
supériorité du roi dans le domaine temporel (soumission de l'Eglise du royaume au pape pour le
spirituel mais au roi, son protecteur, pour le temporel). Il annonce les prémices du gallicisme qui
s'épanouira au courant du XIVème.
Le royaume se lance également dans des réformes de ses institutions destinées à le doter d'une
machine étatique indépendante (1). L'effort se porte en premier sur le droit et se traduit par plusieurs
actions. Il s'agit en premier lieu de recenser et de consigner par écrit les lois régionales. La rédaction
des coutumiers débute fin XIIème siècle en Normandie, s'étend courant XIIIème mais s'essouffle
dès le début du XIVème, la coutume étant concurrencée par le droit romain et surtout la
jurisprudence qui émerge des tribunaux royaux. Le second axe est, comme nous venons de le noter,
le travail sur le droit romain Justinien. Il vise à unifier le droit du royaume et également à s'armer
contre les légistes impériaux. Cet axe bénéficie du renouveau universitaire du XIIIème siècle (cf. §
2.2), notamment à Paris où l'Université enseigne le droit. Le troisième axe de renouveau de la
législation est la jurisprudence issue des tribunaux qui se mettent en place dès la fin du XIIème
siècle avec la généralisation de l'institution des baillis10. La mise par écrit des décisions de justice
par des clercs spécialisés et leur conservation sur parchemin (rotulus ou rôle, mis en registres) se
généralise peu à peu. Un nouvel instrument de pouvoir, le parlement, évolue à partir de l'entourage
royal et produit également des recueils de décisions (les plus anciens connus datent de 1254). Tandis
qu'un appareil judiciaire rénové se met en place se met en place, affirmant le principe que "toute
justice émane du roi", le pouvoir royale commence à envisager l'affaiblissement des tribunaux
d'Eglise. Ces derniers se sont considérablement développés depuis la fin du XIème siècle, l'Eglise
mettant en place des tribunaux spéciaux, compétents par diocèse et chargés de rendre justice en nom
de l'évêque : les officialités. Ce sont des structures spécialisées, dont le personnel, qualifié et savant,
8 La décime est un impôt d'un dixième des bénéfices, après déduction des frais, levé sur le clergé. Initialement il est
destiné à financer la croisade et sa levée est soumise à l'autorisation du pape. Dans les faits, le roi avait également son
mot à dire et le revenu de certaines décimes ont été partagées entre le siège pontifical et le pouvoir royal. La crise de
la décime nait précisément du fait que Philippe le Bel obtient de l'Eglise du royaume une décime sans autorisation du
pape. 9 Clément V était ancien archevêque de Bordeaux et tout dévoué à Philippe le Bel. Il est le premier pape à siéger à
Avignon. 10 Les baillis et les sénéchaux sont des acteurs centraux de l'administration territoriale dès la fin du XIIème siècle. Ils
sont chargés de "faire justice tant au povre qu'au riche sans acceptation de personne". Leurs tribunaux supplantent
progressivement les justices seigneuriales, jugées archaïques et lentes.
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est soumis à une procédure stricte et où l'écriture joue un rôle central. A compter du conflit de la
décime, le pouvoir royal s'efforcera de réduire la compétence des juges d'Eglise et de les
subordonner aux juges du roi.
2.1.4 L'entourage du roi
L'hôtel et la cour
Les évolutions du royaume se reflètent dans les structures centrales du gouvernement royal, à
proximité directe du roi. Deux organes supportent personnellement le souverain :
- La cour. Désignée curia regis, c'est initialement une assemblée de vassaux que le roi
convoque suivant ses besoins pour prendre conseil. Il n'y a aucune régularité de réunion, ni
composition, ni attribution particulière. La complexité et le nombre d'affaires à traiter
augmentant à mesure que la souveraineté du roi sur le pays progresse, la curia regis se voit
contrainte d'évoluer durant le XIIIème siècle vers des structures dotées d'un savoir et d'une
technicité dédiée et renforcée. C'est ainsi que naissent les Etats généraux, organe de
concertation entre le souverain et son peuple, le Parlement, pivot de la vie judiciaire du
royaume, le Conseil du roi11, qui l'accompagne au jour le jour dans ses prises de décisions
sur les affaires courantes et enfin la Chambre des Comptes, chargée d'une mission de
contrôle et de justice sur la comptabilité royale. Les deux dernières institutions travaillent
véritablement au jour le jour avec le souverain ;
- L'hôtel du roi. Aussi désignée sous le vocable de Maison du roi, il s'agit de l'entourage direct
du souverain. Il regroupe, outre la famille du roi, tous les métiers dont le souverain peut
avoir besoin pour son service quotidien. Il comprend des grands officiers (connétable,
chancelier…) et des officiers ordinaires (notaires, juges de la porte…), le rôle des premiers
s'estompant progressivement au cours du XIIIème tandis que dans le même temps, de façon
cohérente avec l'effort sur la législation que nous avons mentionné plus haut, les légistes
prennent de plus en plus d'importance et d'influence. La maison du roi rassemble des emplois
très variés, notamment liés à la santé et au soin du corps : médecin/physicien bien sûr, ainsi
que chirurgien, mais aussi apothicaire12, berceresse, nourrice ou encore barbier (6). C'est
dans cet entourage proche du roi que Pitart évolue à partir vraisemblablement du début du
XIVème siècle (cf. § 3.2.3). Le roi étant fréquemment en voyage, une partie au moins de la
Maison royale l'accompagne dans ses déplacements. C'est à ce titre que Jean Pitart est censé
avoir accompagné Saint Louis en Palestine (cf. § 3.2.1).
11 Ses dénominations varient suivant l'époque et l'auteur : grand conseil, conseil secret, conseil privé, conseil étroit… 12 La première mention à la cour de France concerne un apothicaire servant la reine Jeanne de Bourgogne en 1316 (7).
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Le Chatelet
Lors de la mise en place des baillis dans le royaume par Philippe Auguste, Paris en tant que ville
royale reçoit un traitement particulier en cela que le prévôt y est maintenu. Il se voit confier dans
les faits les mêmes prérogatives de justice qu'un bailli sur paris, les villes de sa banlieue et sur des
possessions royales en actuelle Ile de France ("prévoté et vicomté de Paris"). Le prévôt et son
administration sont installés au Chatelet. Par privilège, l'Université et certains corps de métier sont
directement jugés par le prévôt, le roi plaçant fréquemment les nouvelles institutions sous sa
responsabilité13. A noter que certains membres de la maison du roi sont réputés jurés au Chatelet.
Le premier chirurgien est ainsi nommé "chirurgien juré au Chatelet". C'est un titre qui sera attribué
à Pitart.
2.2 Le monde scientifique parisien Nous venons devoir que Jean Pitart évolue dans un royaume prospère, stable et dont la puissance et
l'indépendance sont reconnues en Occident. Mais que savons-nous du monde des sciences à Paris,
dans lequel évolue notre praticien ?
2.2.1 Grands courants d'évolution
Afin de mieux comprendre l'état du monde scientifique contemporain de Jean Pitart, il nous faut
présenter son cheminement en Occident et plus précisément en France depuis le début du Moyen
Age, les acteurs et les évènements qui ont influencé son développement.
L'Eglise conservatoire des sciences antiques et acteur temporel de santé
La chute14 de l'Empire Romain d'Occident en 476 est à l'origine d'une période durable d'instabilité.
La mutation est profonde entre l'organisation impériale romaine et celle des tribus des Goths,
nouveaux maîtres de l'espace occidental. Pouvoirs et institutions changent brutalement. La loi, pierre
angulaire du monde latin romanisé, subit une transition sans précédent. En l'absence d'un pouvoir
centralisé et fort, doté de moyens financiers et militaires conséquents, le monde occidental ne
bénéficie plus de la Pax romana. L'insécurité s'installe. Les préoccupations de conservation et de
transmission de l'héritage scientifique antique s'effacent devant l'impérieuse nécessité de survivre
dans une ère conflictuelle. Les centres urbains se resserrent à l'intérieur d'enceintes fortifiées.
Face à un pouvoir temporel morcelé et quelque peu imprévisible, l'Eglise chrétienne apparait comme
un guide spirituel garant de paix et de stabilité. Rappelons que la religion chrétienne s'est développée
13 Il le fera pour la Confrérie de Saint Côme et Saint Damien en 1311. 14 Pour rappel, l'Empire est scindé en une partie occidentale, gouvernée depuis Rome, et une partie orientale, ayant
sa capitale à Byzance, à l'occasion de la mort de l'empereur Théodose Ier (379-395). Les deux parties sont attribuées
à l'un et l'autre fils de Théodose.
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librement au sein de l'empire Romain depuis la conversion de l'empereur Constantin Ier (272-337)
qui se situe vers l'an 310. Elle possède donc à la chute de l'empire une aura incontestable. Au plus
haut de la hiérarchie cléricale s'engage alors une politique de "rapprochement" en vue d'obtenir la
reconnaissance de l'Eglise chrétienne par le pouvoir temporel (2). Ainsi, en France, en à peine 20
ans, l'Eglise approche puis s'associe à la lignée montante des mérovingiens à travers le baptême du
roi Clovis (v.466-511) qui se déroule entre 496 et 498. Qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit bien d'un
échange de service : l'Eglise chrétienne reconnaît et apporte sa caution morale au nouveau roi (il a
été couronné en 481) tandis que ce dernier étend sa protection sur les représentants temporels de
cette religion. Mais à travers le lien qui vient de se tisser, les églises bien sûr, mais aussi tous les
biens, bâtiments et terres qu'elle possède, sont à présent sous la protection du pouvoir temporel
suprême. S'attaquer à l'Eglise, à ses représentants ou à ses biens devient doublement iconoclaste :
c'est commettre une offense contre le divin, mais c'est aussi se dresser contre le pouvoir du roi, avec
un risque immédiat et tout à fait concret de sanction.
Sans entrer dans les détails du renforcement du lien Eglise pouvoir royal qui se poursuit ensuite
en France, signalons deux dates importantes :
- le concile d'Orléans en 511, qui reconnait le principe d'un ordre ecclésiastique doté d'une
organisation, d'une juridiction et d'une législation propre. Ce point est crucial car il consacre
un acteur présent dans le temps mais représentant l'ordre spirituel, un des trois piliers de la
société médiévale15 ;
- le couronnement de Pépin le Bref (714-768) en 754 par le pape Etienne II (?-757 ; pape en
752) qui place durablement le royaume de France dans le rôle de protecteur de l'Eglise
Romaine.
Les conséquences de cette politique de rapprochement sont multiples, mais on peut noter deux
points qui nous intéressent au premier plan :
- les représentants de l'Eglise, jouent un rôle d'acteur social tout à fait temporel. Ils œuvrent
dans le sens des enseignements du culte catholique, en particulier dans l'application de
principes d'entraide et de charité. Leur action a un impact direct (accueil et ou soins) ou
indirect (amélioration de l'hygiène de la communauté) sur la santé. A de nombreuses
reprises, ils suppléent au pouvoir temporel dans le domaine des équipements collectifs, par
15 La tripartition de la société médiévale est une réalité au XIII siècle avec d'une part ceux qui prient (oratores), ceux
qui combattent (bellatores ou pugnatores) et ceux qui travaillent de leurs mains (laboratores). Les coutumiers que
nous avons évoqués au § 2.1.3) font parfois une scission supplémentaire parmi les labores : "c'est assavoir des gentius
hommes et des frans hommes de poosté, et li tiers estats si est des sers" mais cette scission est un archaïsme qui
disparait courant XIIIème.
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exemple en mettant en place des adductions d'eau en ville pour alimenter des locaux de
congrégations, tout en laissant accès au surplus d'eau aux habitants au travers de fontaines
publiques (4). De même ils mettent parfois en place une évacuation hors de l'enceinte urbaine
des boues et des déchets ;
- les bibliothèques des représentants de l'Eglise, étant de fait dans des lieux protégés,
deviennent des lieux de préservation (mise à l'abri) et de perpétuation (production de copies)
des connaissances scientifiques antiques. Les savoirs sont également acquis (étude,
enseignement), compris et mis en pratique, notamment dans le domaine de la santé au sens
large (médecine, chirurgie, préparation de remèdes).
Importance du monachisme dans la pratique médicale
Au sein de l'Eglise, le monachisme tient une place prédominante dans le relai de la pensée
scientifique antique en général et dans la préservation et la mise en pratique des connaissances
médicales en particulier. Ce mouvement né en Egypte autour du IIIème siècle et importé en Occident
dès le IVème siècle, prend pleinement son essor au cours du Vième siècle avec une multiplication
de nouvelles communautés. En particulier, on peut citer, car ce lieu aura un rôle prépondérant dans
l'histoire de la médecine et le mouvement monachisme, la fondation du monastère du mont Cassin
en Italie par Benoît de Nursie (v.480-v.547) vers 530. La règle de saint Benoît est importante car
elle scinde le temps des moines en 3 tiers : prières, travaux intellectuels, travaux manuels. Elle incite
implicitement à l'acquisition du savoir et à sa transmission. Les congrégations accueillant
fréquemment des membres de familles nobles ou princières, constituent également une sorte de relai
ou d'antichambre du pouvoir. Idées et connaissances peuvent ainsi remonter vers le pouvoir, qui
dote également les monastères de moyens à la mesure de leurs besoins à travers diverses donations.
Notons que les communautés de moines sont fréquemment implantées à l'écart des centres urbains
et constituent donc des pôles d'attraction dans les campagnes, directement au contact des paysans
qui constituent la part de la population la plus importante numériquement. Du point de vue de la
santé, les populations locales peuvent bénéficier des connaissances des moines. Petit à petit
d'ailleurs, les moines "sachants" dans les différents aspects de la santé, vont avoir tendance à
s'éloigner fréquemment et durablement de l'enceinte de leur communauté pour aller porter les soins
dans le siècle, parfois de façon assez éloignée. Ceci va poser question vis-à-vis de l'engagement
spirituel de ces moines, d'autant que dans certains cas, des rétributions seront acceptées.
Un point qu'il convient de souligner est que dans l'esprit des religieux formés dans les connaissances
antiques de maintien de la santé, il n'apparaît pas de distinction ni de scission entre les différentes
pratiques médicale, chirurgicale et préparatrice (i.e. pharmaceutique). D'ailleurs le terme qui émerge
au VIème siècle, pour désigner le moine en charge de la santé des membres d'une communauté
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religieuse, est "apothecarius". Ce terme dérive du grec αποθηκη c’est-à-dire le lieu de stockage ou
le magasin, qui donnera ensuite leur nom aux apothicaires. Somme toute la conception de la science
de la santé des sachants de l'Eglise se rapproche fortement de celle des médecins "polyvalents"
antiques ; la médecine est un tout qui embrasse plusieurs aspects ayant chacun son champ
d'application : prévention et maintien du bon équilibre des humeurs, emploi de remèdes (simples
ou composés, pouvant aller jusqu'aux assemblages relevant de polypharmacie comme la thériaque),
de saigné ou de purgations (sudatoire, émétique, laxatif…) ou de régime alimentaire pour corriger
ce que le diagnostic aura révélé (auscultation, uroscopie), enfin emploi de la chirurgie lorsque
l'intégrité du corps est atteinte. Citons à tire d'illustration, Etienne Pasquier dans ses recherches de
la France (8) : "Anciennement la profession de Medecin gisoit en l'exercice de trois points. Au
Conseil selon les préceptes de l'Art pour les maladies intérieures du corps humain ; au razoüer &
oignements pour les extérieures : & finalement, en la confection des potions & medicamens. Je veux
dire qu'il estoit Medecin, Chirurgien, & Apoticaire tout ensemble. Ainsi en va le grand Hippocrat,
& long entreject de temps apres, Galien."
Désengagement de l'Eglise des sciences médicales
Le désengagement de l'Eglise de la médecine et de la chirurgie découle d'un mouvement progressif
qui traduit la prise de conscience d'une nécessité de se recentrer sur son rôle spirituel et sur ses
valeurs propres. Ceci se traduit par la réforme entreprise à partir du XIème siècle sur l'impulsion
Clunisienne (cf. note pas de page n°7). Au fil des différents conciles, à partir de celui de Clermont
(1130), les restrictions sont signifiées, d'abord dans le sens d'une interdiction d'apprentissage de
savoirs permettant de gagner de l'argent (dans les domaines de la législation séculière et de la
médecine), puis dans celui de l'interdiction pure et simple de cet apprentissage, tant pour les
membres du clergé régulier (vivant en communauté à l'écart du siècle comme les moines, chanoines)
que pour ceux du clergé séculier (la majorité du clergé, vivant dans le siècle). Les premiers sont
cependant particulièrement visés puisque par exemple le concile de Paris (1213) prévoit une
sanction d'excommunication s'ils s'absentent de leur congrégation plus de deux mois d'affilée pour
pratiquer la loi ou la médecine (9).
Le quatrième concile œcuménique du Latran (1215), tenu sur l'initiative du pape Innocent III (1160-
1216 ; pape en 1198), met pour sa part un terme à la pratique de la chirurgie par les membres du
clergé séculier16 : dans le 18ème des 71 canons parvenus jusqu'à nous ("De iudicio sanguinis et duelli
16 On trouve fréquemment mention d'une célèbre formule "ecclesia abhorret a sanguine" (l’Eglise abhorre le sang),
supposément rattachée au concile de Tours (1163), comme imposant cette interdiction de pratiquer la chirurgie aux
membres de l'Eglise. Cette affirmation apparait être le fruit d'une interprétation de François Quesnay (1694-1774)
(10). Elle est extraite de son livre "recherches critiques et historiques sur l’origine, sur les divers états et sur les progrès
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clericis interdicto" – annexe A) il est stipulé que nul clerc ne doit faire couler le sang. En particulier
il est précisé que l'art de la chirurgie, susceptible de répandre le sang à travers incisions et
cautérisations, ne doit pas être pratiqué par ses membres ("subdiaconus diaconus vel sacerdos" sous
diacre, diacre ou prêtres – ce point est important car on cite nommément les 3 ordres majeurs de
l'organisation de l'Eglise à l'époque, affirmant par la même l'étendue de l'interdiction) (11).
Ce canon du Latran IV soulève deux points intéressants :
- d'une part, il affirme une distinction entre médecine et chirurgie. Les textes des canons des
précédents conciles parlaient de médecine, l'ars medicine au sens d'apprentissage d'un savoir
étendu. On pouvait y percevoir une vue analogue à celle qu'on trouvait chez les praticiens
antiques, pour lesquels la chirurgie n'était qu'une des multiples facettes du savoir du praticien
dépositaire de l'art de maintenir la santé. Au contraire, le texte qui nous occupe mentionne
"chirurgiae artem". Il affirme une particularité de la chirurgie par rapport à la médecine.
Pour autant, il n'en précise pas le degré de proximité, ni ne fixe une filiation : le chirurgien
est-il un médecin avec un savoir "chirurgical" supplémentaire/renforcé ou au contraire n'est-
il instruit que dans une partie spécifique de la médecine ? On aurait tendance à trancher dans
le sens de la seconde affirmation, tant les canons précédents interdisent l'acquisition d'un
savoir, alors que le texte du Latran IV sanctionne une pratique, un geste, qui fait verser le
sang ;
- d'autre part, ce canon ne constitue pas un désaveu de l'Eglise face à la pratique chirurgicale
per se. La chirurgie n'est pas à rejeter totalement, mais on comprend qu'il faut passer le
flambeau aux laïcs. Il est significatif d'ailleurs que le texte du même canon mentionne,
quelques lignes avant l'interdiction de pratique de la chirurgie par les séculiers, que les
condamnations aux peines de sang (peines de mort) doivent être prononcées par les laïcs
("ce souci doit être confié à des laïcs et non à des clercs" – voir annexe A). Par analogie, la
chirurgie aussi doit passer au monde laïc.
de la chirurgie en France" page 27 édition Charles Osmont, Paris 1744. Il fait référence à un texte d’Estienne Pasquier
(1529-1615) ("recherches de la France" livre 9 page 873, paru en 1560). Dans ce texte, écrit en français, l’auteur
explique que "l’Eglise n’abhorre rien tant que le sang" dans un chapitre portant sur la querelle entre médecins et
chirurgiens et la reconnaissance de ces derniers par l’université. Il n'y fait pas mention du concile de Tours. Le texte
du dit concile précise seulement que les clercs doivent éviter d'étudier des matières du siècle et fait interdiction aux
membres du clergé régulier d'apprendre la médecine et les lois du siècle (9). Quesnay semble avoir simplement latinisé
la réflexion de Pasquier et la cite probablement de bonne foi, pensant que Pasquier avait lui-même traduit du latin
une partie du texte du concile de Tours.
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Les structures d'enseignement : des écoles aux universités
On peut se poser la question, devant la série de publications d'interdits que nous venons d'évoquer,
de la nature des structures d'enseignement existant à l'époque. En d'autres termes, comment et où
devient-on sachant dans un art, notamment l'art médical ? Dans l'étude très documentée qu'il a
consacré aux Universités au Moyen Age (12), Jacques Favier montre un espace scholastique
occidental largement dominé, au début du XIIème siècle, par l'Eglise. Nous verrons plus bas qu'il
existe à ce sujet une exception italienne, où écoles laïques et cléricales coexistent.
Les écoles sont attachées à une organisation ecclésiastique : cathédrale, collégiale ou monastère.
Elles accueillent à la fois des personnes liées à l'Eglise ou externes. Les monastères par exemple
distinguent souvent un enseignement en les murs, pour les oblats, et un autre hors les murs, pouvant
être réalisé par des laïcs, pour les élèves non attachés à l'Eglise. Ces écoles sont de niveau très inégal
et seules certaines sortent du lot par la qualité de leur enseignement. Il s'agit souvent dans ce cas
d'écoles attachées à une cathédrale dans des villes importantes (Paris, Laon, Orléans, Chartres,
Reims…). Leur répartition géographique n'est pas uniforme, la France et l'Italie, en particulier
l'Italie du nord, sont particulièrement bien pourvues. Le programme d'enseignement reste classique,
calé sur celui des écoles palatines17 que la renaissance carolingienne avait mises en place sous
l'impulsion de Charlemagne (742-814). Les sept arts libéraux (trivium – grammaire, dialectique,
rhétorique – et quadrivium – mathématique, géométrie, musique et astronomie – ) sont les piliers
sur lesquels sont bâtis les enseignements. Théologie et dialectique sont largement enseignées, mais
on trouve notamment aussi, suivant l'école, le droit, la médecine…
La renaissance du XIIème siècle apporte un nouveau cadre de développement de ces écoles :
- Elargissement de la base documentaire disponible à travers une activité de traduction de
textes grecs et arabes18. Ces traductions concernent principalement philosophie et sciences
et conduisent à une redécouverte des sources grecques antiques (cf. infra pour la médecine).
De même, on note un regain d'intérêt et une redécouverte/approfondissement du droit romain
et plus précisément du code assemblé sur ordre de Justinien au VIème siècle (digeste
notamment) ;
17 Nous les connaissons notamment par le cartulaire de Thionville (805) et le capitulaire de Villis dont au moins une
partie serait l'œuvre du moine Alcuin (v.730-804), lui-même ayant dirigé l'école palatine d'Aix-la-Chapelle. A noter que
le cartulaire fait déjà mention d'n enseignement dans l'art de guérir. La médecine fait donc déjà parti des
enseignements dispensés. 18 Assez curieusement, il n'y a pas de concordance spatiale entre centre de traduction et centre scholastique en ce
sens que des lieux ayant une activité de traduction important n'ont pas systématiquement donné lieu au
développement d'une école.
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- Développement des villes dont nous avons vu qu'elles sont sur un nouveau modèle faisant
la part belle aux échanges commerciaux. Ce point a plusieurs impacts : d'abord le commerce
favorise les échanges et facilite l'acquisition de nouveaux textes par le biais de supports type
codex pouvant transiter par les routes commerciales. Ensuite, l'opulence née du commerce
permet aux villes de développer une certaine puissance qui se traduit de fait par une certaine
indépendance. On n'en est pas encore aux "bonnes villes", alliées et agents du pouvoir royal,
mais le contexte urbain amène les habitants à cultiver un état d'esprit de liberté qui explique
en partie la naissance des universités. La ville est aussi un centre d'attraction, notamment
pour les lettrés. La multiplication des écoles au XIIème siècle en est une conséquence.
Figure 3 : Ecoles en Occident au XIIème siècle
Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/15/Ecoles_XIIe_s_-_2.png
Verger évoque une "révolution scolaire" et le terme parait à la hauteur du phénomène. La
qualité et le nombre des enseignants augmentent. Notons d'ailleurs qu'une certaine laïcisation
des mêmes enseignants s'opère localement, contre laquelle l'Eglise tentera vainement de
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/15/Ecoles_XIIe_s_-_2.png
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lutter. Les populations d'élèves grossissent jusqu'à poser problème (prise en charge pour
l'enseignement, logement, chahuts voire violences).
Enfin, notons un point qui se révèlera crucial pour comprendre la création des Universités,
mais aussi la problématique du conflit médecins chirurgiens, que la création de la
Confrérie de Saint Côme et Saint Damien tentera sinon de régler, du moins de normer : un
esprit corporatiste se fait jour. Les métiers tendent à se doter d'un cadre représentatif et
normatif. La corporation, dont la définition juridique se précise au cours des XII et XIIIème
siècles, a de nombreux avantages ; elle permet de réglementer l'exercice de la profession
(création de statuts), de regrouper les citadins exerçant le même métier au sein d'une
collectivité offrant une certaine forme de protection et invitant à l'entraide, de devenir un
interlocuteur moral reconnu par le pouvoir auprès duquel elle peut assurer la promotion des
activités de ses membres. Surtout, elle traduit le sentiment d'appartenance à un groupe.
L'apparition des Universités intervient dès le XIIème siècle (Bologne, Modène…) mais est surtout
le fait du XIIIème siècle (Paris, Oxford, Padoue, Montpellier…). Ces institutions paraissent comme
l'aboutissement de trois types de processus :
- Le plus fréquemment, il s'agit d'une évolution d'écoles préexistantes, dans un mode
corporatiste. C'est le cas typiquement de Bologne et de Paris. L'apparition de ces Universités
en tant qu'entités non affiliée à l'Eglise peut être facilitée lorsque les maîtres sont
majoritairement laïcs (cas de Bologne) ce qui leur assure une certaine indépendance19.
Paradoxalement, puisque le mouvement de création universitaire est plutôt corporatiste, par-
là même indépendant, le Saint Siège, souhaitant garder une forme de contrôle sur
l'enseignement attribue fréquemment des bulles pour aider à la création des Université en
consacrant leur reconnaissance. Elle montre ainsi son soutien à l'Université et lui assure une
relative impunité aux maîtres et étudiants vis-à-vis du pouvoir temporel. C'est précisément
ce qui se passe pour Paris pour laquelle dès 1200, Philippe Auguste octroie une charte aux
"maîtres et écoliers de Paris" pour ce qui n'est encore qu'une Université en devenir. C'est la
bulle papale d'Innocent III en 1215 qui reconnait l'Université. Par la suite, la bulle Parens
scientiarum de Grégoire IX de 1231 consacre son indépendance intellectuelle et juridique.
Dans le cas précis, la bulle du pape renforce l'autonomie parisienne mais elle met fin à 2 ans
de grève causées par une répression par le pouvoir temporel de violences estudiantines (alors
que les mêmes étudiants étaient en principe justiciables par les tribunaux ecclésiastiques). A
19 Dans le cas de Bologne, rappelons que dans le conflit papauté Saint Empire, la ville se range du côté de
l'Empereur. L'Eglise n'a donc que peu d'influence sur l'Université.
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noter que pendant la grève, les étudiants se déportent sur d'autres universités : Reims,
Oxford, Cambridge…
- L'essaimage d'étudiants, accompagnés parfois de maîtres, est un second mode de création
d'université : suite à un mécontentement, une proportion de membres quitte les lieux et
fondent une autre Université ailleurs. C'est ce qui aurait pu arriver lors de l'émeute de 1229
à Paris. C'est l'origine par exemple de l'Université de Padoue, créée en 1222 à partir
d'éléments transfuges de l'Université de Bologne ;
- Enfin, la création de novo est un dernier mode d'apparition. Dans ce cas l'autorité papale ou
impériale crée de toutes pièces une institution et la dote d'un règlement. Ce type d'Université
ne rencontre pas un succès notable au XIIIème siècle. C'est par exemple le cas de l'Université
de Naples créée par l'Empereur pour former ses légistes et ses administrateurs.
Evolution de la science médicale et émergence de l'art chirurgical
Le savoir médical qui est assimilé et développé au sein des écoles puis des Universités procède de
la redécouverte des sources antiques augmentées des travaux des praticiens de langue arabe20. Ces
derniers avaient initialement bénéficié des textes des auteurs scientifiques classiques à travers un
travail de traduction, initié par les médecins nestoriens21 du grec vers le syriaque puis vers l'arabe
(13), enrichi ensuite, notamment par des commandes de traduction, vers l'arabe, par les califes
abbassides de Bagdad Harôun al Rachid (765-786) puis Al Mamûn (786-833). Les textes de langue
arabe diffusent vers l'Occident à la faveur des nombreux contacts avec le monde arabo-musulman
qui adviennent à partir du XIème siècle et que nous avons évoqués précédemment (cf. §2.1.2).
Au gré du mouvement de traduction de l'arabe vers le latin que nous avons déjà décrit, le contenu
de la science médicale antique, enrichie des commentaires et idées des auteurs de langue arabe
ressurgit en Occident. Ces travaux de traduction sont le fait de plusieurs personnages et lieux,
essentiellement en Italie et en Espagne :
- Constantin l'Africain (v.1020-1087), originaire de Carthage et formé à la médecine
probablement à Kairouan, s'établit en 1077 au monastère du mont Cassin, recommandé à
l'abbé Desiderius par l'archevêque de Salerne Alphanus. Constantin entame une activité de
20 L'arabe jouant le rôle fédérateur de langue de partage scientifique, à l'instar du latin en Occident, pour des auteurs
qui n'étaient pas tous arabes mais aussi souvent perses (Rhazès (865-925) auteur du continens ou encore Avicenne
(980-1037) auteur du canon) et pas tous musulmans mais aussi chrétiens (Mésué (v.777-857) administrateur du
premier bimaristan de Bagdad ou Johannitius (v.808-873) surnommé le prince des traducteurs) ou encore juifs
(Maïmonide (1138-1204) médecin exilé de Codoue à l'arrivée des almoravides (cf. § 2.1.2)). 21 Ils s'établissent en Perse dès le IIIème siècle.
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traduction des auteurs de langue arabe22. Parmi les grands textes qu'il transcrit en latin, citons
l'Isagoge de Johannitius (une introduction au Galénisme), le Pantegni d'Haly Abbas (?-
v.994), travail encyclopédique sur la médecine ou encore de De gradibus d'Ibn Al Jazzar23
(878-v.980), qui exprime une gradation en 4 degrés des propriétés aristotéliciennes
(chaud/froid, sec/humide) ;
- L'école de Tolède, avec Gérard de Crémone (1114-1187) qui traduit le Canon d'Avicenne
ainsi que la Pratique (Al-Tasrif) du chirurgien Cordouan Albucasis (v.940-1013) ou Marc
de Tolède (?-v.1240) qui donne une traduction, depuis les versions arabe de Johannitius,
d'un traité d'Hippocrate et de plusieurs textes de Galien24 ;
- La cour de Sicile, dont nous avons souligné l'ouverture sur la culture arabo-musulmane.
Ne négligeons pas de mentionner, non plus, les textes redécouverts et rapportés de Byzance après
sa prise par les croisés en 1204. L'ensemble de ces textes forment un corpus qui devient la base de
l'enseignement de la médecine dans les écoles puis dans les universités.
L'Ecole de Salerne, située une centaine de kilomètres au sud du Mont Cassin, devient, notamment
sur la base de la production de Constantin l'Africain, une institution phare du savoir et de
l'enseignement médical. Elle est fondée au Xème siècle, d'après la légende par 4 médecins, latin,
grec, arabe et juif, ce qui marque d'emblée son caractère cosmopolite. Soutenue par les souverains
normands (cf. § 2.1.2) et notamment Roger II de Sicile, l'école qui est laïque, se développe
particulièrement au XIème siècle. Sa production est variée et étalée dans le temps, mais on peut citer
notamment l'Articella (collection de textes médicaux anciens), le Regimen sanitatis salernitum (un
régime de santé qui sera complété et utilisé jusqu'au XIXème siècle), le Circa instans (ou livre des
simples médecines, un herbier attribué à Matthaeus Platearius) et l'Antidotarius Magnus qui parait
avoir été la base de l'Antidotarius Nicolaï, livre de référence des apothicaires (cf. infra). La
réputation de l'Ecole marque le pas cependant, courant XIIème et surtout à partir du XIIIème siècle
face aux nouvelles institutions prodiguant un enseignement de l'art médical, écoles puis Universités.
Citons notamment Montpellier (école de médecine dès 1137), Paris (traité plus bas) et aussi, plus
près de Salerne, Bologne avec un enseignement médical attesté depuis 1219.
22 Il ne cite pas les auteurs arabes dans ses traductions mais plutôt les auteurs antiques, voire il s'attribue la paternité
de certains textes. Il est possible qu'il ait ainsi souhaité faciliter l'adoption de ces textes en Occident. 23 Médecin de Kairouan. 24 Danielle Jacquart mentionne que ces traductions seront généralement plus prisées par les universitaires que les
textes originaux, notamment parce que les auteurs de langue arabes les avaient augmentés de commentaires et
qu'elles étaient plus largement diffusées (14).
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La chirurgie "savante" se développe dans le même mouvement de redécouverte des anciens. Elle
est, jusqu'à l'époque de Jean Pitart, exclusivement l'œuvre de maîtres Italiens25. C'est d'abord Roger
Frugardi, dit Roger de Parme ou Roger de Salerne (av.1140-v.1195), maître effectivement attaché
à l'école de Salerne, qui produit vers 1180 une cyrurgia que l'on désigne souvent sous son nom
(Rogerina). Son œuvre est complétée vers 1225 par Roland de Parme (v.1200-v.1250), un autre
Salernitain, qui publie une cyrurgia nommée la Rolandina.
L'œuvre des maîtres suivants est marquée de l'influence du maître arabe Albucasis. Son ouvrage, la
Pratique, est une compilation médicale en trois partie, la dernière étant exclusivement dédiée à la
chirurgie, ce qui est parfaitement atypique des traités médicaux livrés par les autres auteurs de
langue arabe. De plus les trois livres qui composent la partie sur la chirurgie sont illustrés de
représentations d'instruments, ce qui est là encore original. Elle est traduite à Tolède (cf. supra).
Figure 4 : Instrumentation d'après Albucasis
A gauche, texte original, à droite traduction XIVème. Les flèches indiquent les correspondances
d'instruments.
25 On peut donc à juste titre parler de renaissance chirurgicale italienne.
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Les membres de ce qu'on appelle communément la "nouvelle école chirurgicale d'Italie du Nord" se
caractérisent par une volonté de lier médecine savante et chirurgie et de faire reconnaître la pratique
chirurgicale comme une matière académique.
Les deux premiers représentants de ce mouvement sont Bruno de Longoburgo (v.1200-v.1286) et
Théodoric Borgognoni (1205-1298). Ces deux chirurgiens, instruits à Padoue et Bologne, publient
chacun une cyrurgia26 qui font référence, outre à la Pratique d'Albucasis, également au Continens
de Rhazes, au Canon d'Avicenne27 et au Megategni de Constantin (lui-même une forme de la
Méthode thérapeutique de Galien). Sur cette référence aux écrits des auteurs antiques, même
commentée, l'analogie est forte avec la conception de l'art médical. Cependant au contraire de la
position des médecins, axés sur le principe d'un savoir médical immuable et dogmatique (théories
des humeurs, des miasmes…), les écrits chirurgicaux se posent aussi comme le fruit de l'expérience.
Ainsi, on relève dans ces deux cyrurgiae mention des erreurs des auteurs précédents et également
des exemples présentés issus de la propre expérience des auteurs, ou en particulier pour Théodoric,
de celle de son maître à Bologne (et possible père) Hugues de Lucques (?-1250). McVaugh y voit
une possible recherche de notoriété professionnelle (15), mais quoi qu'il en soit, la position des deux
auteurs affirme leur volonté d'adapter l'exercice chirurgical à la réalité sans l'encombrer plus que de
raison de spéculations.
L'illustration de l'alliance médico chirurgicale est apportée par l'acteur suivant de ce mouvement, à
savoir Guillaume de Saliceto (v.1210-v.1280). Guillaume est en effet un praticien dans ces deux
branches qu'il exerce notamment à Bologne. Il écrit à la fois un traité de médecine (Summa
conservationis et curantis corporis) et un traité de chirurgie (cirurgia) achevé en 1276. Deux points
sont à souligner dans cette cyrurgia :
- D'une part l'organisation du traité. Guillaume ne présente pas ses enseignements en suivant
classiquement le corps, de la tête vers les pieds (Roger de Salerne) ou, de façon plus
novatrice, en regroupant les enseignements suivant des critères pathologiques i.e. par type
d'altération corporelle, comme Bruno et Théodoric. Guillaume de Saliceto au contraire se
base sur la cause du dysfonctionnement28, montrant une approche où la médecine générale
gouverne la pratique chirurgicale (15) ;
26 La Cyrurgia magna de Bruno est achevée à Padoue en 1251. La Cyrurgia de Théodoric a une première version en
1248 mais sa version la plus achevée date de 1267. La grande ressemblance entre ces deux traités font que dès le
XIVème siècle, on a accusé Théodoric d'avoir "emprunté" beaucoup de matériel à la Cyrurgia magna. 27 Ces auteurs parlent de chirurgie dans leur œuvres, mais à la différence d'Albucasis, ils n'isolent pas la pratique
chirurgicale dans un livre dédié mais l'abordent au gré des exposés médicaux. 28 Causes internes dans le livre 1, externes dans le livre 2 (plaies) et 3 (fractures et luxations). Les deux autres livres
sont spécialisés : sur l'anatomie (livre 4) et la cautérisation (livre 5).
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- L'enseignement de Guillaume souligne l'importance de la connaissance de l'anatomie pour
la pratique de la chirurgie. Dans un esprit pragm