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Evaluation participative des actions de
l’animation socioculturelle : le défi de la qualité
Rapport de recherche
Armbruster Elatifi Ulrike, Libois Joëlle, Perret Basile,
Warynski Danièle
Genève, août 2014
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Remerciements
Nos remerciements vont en premier lieu au « cedic HES-SO » qui, par son subventionnement, a
permis la réalisation de cette recherche.
Nous tenons également à remercier nos partenaires terrain qui ont participé à cette recherche : la
direction de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) qui a donné son accord
de principe de collaboration à la recherche, puis les comités et les professionnels de la Maison de
quartier de Carouge et de la Centre de loisirs de Meyrin qui ont formé notre terrain d’investigation.
Nous remercions aussi le groupe d’experts qui a accompagné cette recherche et nous a enrichis de
ses remarques avisées, de ses suggestions, de ses questionnements : M. Yann Boggio, secrétaire
général de la FASe, M. Mehdi Aouda, secrétaire général adjoint en charge de la politique de la ville,
M. Jean-Marc Goy, membre du comité de la Fédération des centres de loisirs et de rencontres et M.
Laurent Wicht, professeur à la HETS Genève.
Enfin, il ne faut pas oublier Basile Perret, assistant de recherche, qui a accompagné nos travaux tout
au long de cette recherche ainsi que Robin et Massimo Antonelli qui se sont occupés de la relecture
et de la mise en page du rapport.
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Table des matières
Introduction ............................................................................................................................................. 3
Chapitre 1 : Référentiels .......................................................................................................................... 5
1.1. Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public. De la nouvelle gestion
publique à la gouvernance publique ..................................................................................... 5
1.2. L’animation socioculturelle, comme champ d’activités interactives et participatives ....... 10
1.3. Les valeurs ........................................................................................................................... 14
1.4. Epistémologie de l’activité participative ............................................................................. 21
1.5. L’évaluation : cadres théoriques ......................................................................................... 26
1.6. L’évaluation interactive ....................................................................................................... 29
Chapitre 2 : Méthodologie .................................................................................................................... 31
2.1. Recherche appliquée ........................................................................................................... 31
2.2. Groupe de terrains, groupe de chercheurs, groupe de référence ...................................... 32
2.3. Etapes ou déroulement sur le terrain ................................................................................. 33
2.4. Enregistrement sonore et vidéo, entretiens, analyse de contenu, travail de groupe, journal
de terrain ............................................................................................................................. 36
2.5. Présentation des terrains .................................................................................................... 40
Chapitre 3 : Etapes, processus et émergence d’un modèle ................................................................. 44
3.1. Première étape : la construction de la recherche (nov12-janv13)...................................... 44
3.2. Deuxième étape : étude de l’existant (janv13-fév13) ......................................................... 47
3.3. Troisième étape : retour sur l’étude de l’existant et co-construction d’une démarche
participative d’évaluation (mars 13) ................................................................................... 51
3.4. Quatrième étape : l’action, l’expérimentation et la mise en œuvre de l’outil d’évaluation
participative (avril-mai13) ................................................................................................... 55
3.5. Cinquième étape : l’analyse des données empiriques (mai-sept 13) ................................. 57
3.6. Sixième étape : l’évaluation du processus de recherche .................................................... 66
Chapitre 4: Synthèse ............................................................................................................................. 71
4.1 Présupposés de départs ...................................................................................................... 71
4.2. Modélisation........................................................................................................................ 77
Chapitre 5 : Pistes et perspectives ........................................................................................................ 93
Bibliographie.......................................................................................................................................... 98
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Introduction
La thématique de la présente recherche porte sur l’évaluation participative d’actions en animation
socioculturelle.
L’évolution politique et économique impose une présence de plus en plus forte des modalités
d’évaluation dans le champ du travail social. Si l’évaluation fait aujourd’hui partie du quotidien des
professionnels du social, elle interroge sur sa faisabilité. Les modèles classiques d’évaluation ne
répondent pas aux critères participatifs tels que définis dans les valeurs fondamentales du travail
social.
Du côté politique, la mise en place de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) vise à rendre les
institutions étatiques plus autonomes en contrepartie de mesures de performance. Par ailleurs, la
volonté de renforcer la « cohésion sociale » en partenariat avec la société civile s’inscrit aujourd’hui
dans les priorités des politiques publiques. Dans ce contexte, la création d’un outil d’évaluation
partagé par les différents acteurs concernés qui permette de rendre compte des réalités et
problématiques du terrain répond à la définition des priorités des politiques sociales et permet de
rendre compte des réalités d’une forme du travail social participative et démocratique.
En ce qui concerne le milieu de l’animation socioculturelle, nous remarquons un accroissement
d’intérêt au niveau national pour élaborer des instruments qui garantissent et développent la qualité
de l’animation socioculturelle. Cet intérêt est notamment partagé par l’Association faîtière suisse
pour l’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ) qui a entamé une première recherche avec la
Haute Ecole de Lucerne (HSLU). Différents développements dans le paysage de l’animation
socioculturelle en Suisse et à Genève ont appuyé notre choix d'engager la présente recherche,
comme la volonté de la faîtière suisse de l’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ) de se doter
d’un outil de vérification de la qualité des prestations ou encore la réflexion en cours au niveau de la
Fondation pour l’animation socioculturelle (FASe) à Genève pour développer un outil qui rende
compte des actions des terrains.
L’animation socioculturelle, en évolution et développement constants, a continuellement à faire
connaître ses champs de pratique et l’activité réelle que ceux-ci engendrent. Pour ces raisons, notre
recherche questionne les possibilités et les conditions d’un processus d’évaluation participatif
reconnu par les décideurs institutionnels et politiques qui rende compte de l'action de terrain. Un
processus d’évaluation participatif permet non seulement d’affirmer une volonté de rendre compte
de son action, mais aussi d’intégrer l’évaluation dans la méthodologie de projets participatifs.
La conjoncture de ces différents développements nous a offert un champ de recherche ancré dans
des problématiques très actualisées. Cette recherche a débuté en janvier 2013 et a duré une année.
L’équipe de chercheurs était composée de formateurs de la Haute école de travail social Genève
(HETS Genève). L’étude a été réalisée en partenariat avec la Fondation genevoise pour l’animation
socioculturelle (FASe). L’intervention s’est faite en collaboration avec deux maisons de quartier du
canton de Genève faisant toutes deux parties de la FASe. La démarche expérimentée ouvre un
nouveau paradigme en matière d’évaluation participative de projets collectifs.
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Ce rapport comprend cinq chapitres qui retracent l’ensemble de la démarche de recherche. Le
premier chapitre pose le cadre théorique et conceptuel. Ainsi, nous détaillons le contexte
d’apparition de l’évaluation dans le domaine public et son évolution au cours des dernières
décennies. Nous rappelons les fondements de l’animation socioculturelle comme champ d’activités
interactives et participatives ainsi que les valeurs qui sous-tendent le travail social et plus
particulièrement l’animation socioculturelle. Nous exposons par la suite la notion d’évaluation
participative à travers une approche épistémologique. En effet, dans ce travail nous nous sommes
basés sur le concept d’action ou plutôt d’acte développé par Mendel en 1998 qui différencie le
discours d’action et la pratique de l’acte en trois temps différents : le pré-acte, l’acte et le post-acte.
Enfin, nous terminons ce chapitre par une définition de l’évaluation participative à proprement parler
et faisons un parallèle avec une recherche menée en 1992 à Genève par le sociologue Michel Vuille
sur l’évaluation interactive dans les maisons de quartier et jardins robinson genevois.
Dans le deuxième chapitre, nous présentons notre méthodologie de la recherche. Il s’agit d’une
recherche appliquée. Nous avons donc évolué dans cette étude conjointement avec nos partenaires
de terrain. Les différentes étapes de la recherche sont explicitées tout comme nos références
méthodologiques. Nous décrivons également les outils méthodologiques employés durant la
recherche. Nous concluons par la présentation de nos partenaires de terrain.
Le troisième chapitre est consacré au processus de la recherche. Nous reprenons chacune des
différentes étapes. Nous les décrivons telles qu’elles se sont déroulées sur le terrain. Nous spécifions
aussi les écarts que nous avons pu constater entre le développement projeté initialement par
l’équipe de recherche et la réalité du vécu sur le terrain, les ajustements nécessaires, les impasses et
les découvertes. Nous complétons ce descriptif par nos réflexions faites tout au long du processus de
recherche.
Après un bref rappel des objectifs et des présupposés de départ, nous revenons dans le quatrième
chapitre sur nos préconçus théoriques pour les mettre en regard avec les résultats de notre
recherche. Dans une deuxième partie de ce chapitre nous tentons de modéliser notre processus
d’évaluation participative. Notre but étant de proposer un outil de travail aux acteurs de terrain afin
de pouvoir s’emparer de l’outil et mener une démarche d’évaluation participative.
Nous terminons ce rapport par une mise en perspective de cette recherche et quelques pistes
d’évolution future.
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Chapitre 1 : Référentiels
1.1. Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public.De la nouvelle
gestion publique à la gouvernance publique
Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public développés ici s’appuient
principalement sur l’ouvrage Repenser la gestion publique, de D. Giauque et Y. Emery (2008).
La nouvelle gestion publique (NGP ou new public management NPM) s’est répandue en Suisse, dans
les administrations, à partir des années 90. La Suisse est un pays où le goût de la perfection règne
(manufacture horlogère, mécanique de précision, système démocratique aux instances diverses et
nombreuses) et où le coût de l’administration représente un des thèmes les plus débattus (Giauque
& Emery, 2008). La conjoncture économique difficile pour la plupart des collectivités publiques
amène l’idéologie libérale à prôner moins d’Etat, tout du moins un Etat différent où l’obsolescence
du modèle « bureaucratique » devient un leitmotiv au changement. L’appréciation du public envers
les fonctionnaires se transforme peu à peu. Alors que le public adhérait à l’idéologie de travailleurs
utiles à la communauté, il considère davantage aujourd’hui ces travailleurs comme des nantis,
bénéficiant de conditions de travail favorables, voire trop favorables, non soumis à la dure réalité de
concurrence qui sévit au sein des entreprises privées. De nombreux citoyens adoptent des discours
malveillants à l’encontre de ceux qui seraient privilégiés tout en étant financés par leurs propres
contributions, et sont dès lors largement séduits par les modèles théoriques du libéralisme élaboré
par des scientifiques économistes. Le contexte économique difficile est indéniablement un terreau
fertile à un modèle de pensée téléologique porté par la dimension pragmatique et mesurable que
propose la NPG. Notons encore que l’avènement des techniques d’information et leur implantation
dans tous les champs d’activité a largement favorisé le déploiement d’un nouveau modèle de gestion
et de contrôle tel que le permet l’application de la NGP.
Rappelons que dans la période d’entre-deux-guerres, le taylorisme est à son apogée dans l’industrie
sidérurgique aux Etats-Unis. Cette nouvelle organisation du travail séduit l’organisation scientifique
du travail (OST) en Suisse qui propage ces idées auprès des entreprises et instituts universitaires. Ce
mouvement de pensée ouvre des perspectives novatrices et ainsi apparaissent des spécialistes en
organisations et en psychologie du travail. Nouvelles professions qui visent à transformer les logiques
organisationnelles, tout en cherchant à intégrer les besoins et motivations du personnel.
Les aspects financiers sont devenus peu à peu incontournables au sein des champs disciplinaires des
sciences du travail, tout comme la redéfinition de l’appellation des chefs ou patrons dans les secteurs
de l’industrie, ou encore directeurs au sein des administrations, qui deviendront dirigeants, puis
managers, quels que soient les secteurs d’activité. Dans le cadre des organisations publiques, «
dominées par des doubles hiérarchies – politique et administrative – les questions touchant au
« leadership », à l’autonomie de décision et à la responsabilité deviendront essentielles » (Giauque &
Emery, 2008, p.15).
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Les années 1960 – 1990 sont marquées dans ce domaine par l’arrivée d’un nouveau type d’acteurs,
soit les consultants. Ces experts, indispensables dans un effort soutenu de modernisation, sont
largement sollicités par les administrations publiques et milieux politiques en quête d’un nouveau
paradigme, soit celui de l‘efficience, qui se caractérise dans la gestion publique par la rationalisation
et la rentabilité à tout prix. C’est ainsi que l’esprit d’entreprise entre dans la sphère publique et que
le courant du new public management fait son apparition dans l’administration suisse (années 1995 –
2000). L’organisation étatique passe donc d’une conception du service public à une éthique fondée
sur l’entreprise privée. Les valeurs traditionnelles de la fonction publique telle que le sens de l’intérêt
général, l’intégrité, l’altruisme et le sens du bien commun sont remplacées par des valeurs issues du
monde marchand porté par la culture du résultat ou de la performance.
Ce courant naissant a séduit autant les tenants de la gauche que de la droite politique, un exemple
devenu mythique fut l’expérience menée par la mairie de Saint-Denis, à la périphérie de Paris,
d’obédience communiste à ce moment-là ou encore la Suède et la Nouvelle-Zélande. Plus proche de
nous, le canton de Neuchâtel s’est lancé rapidement dans une restructuration ambitieuse à l’aune de
cette nouvelle orientation. Certains acteurs de la gauche ont vu dans la NGP une occasion
d’améliorer certaines tares bureaucratiques désuètes, permettant aux autorités d’améliorer et ainsi
de renforcer l’action publique.
La difficulté à diriger des systèmes bureaucratiques, à exercer une réelle direction politique, la
lourdeur et la lenteur des décisions par le cloisonnement des entités administratives, ont amené les
dirigeants politiques à entrer de plein front dans un nouveau mode d’organisation qui laissait
préjuger de réponses possibles à des problèmes récurrents.
La nouvelle gestion publique vise en premier la qualité des services fournis aux citoyens que l’on
nomme « clients ». Le passage obligé pour atteindre l’efficacité est la pose d’objectifs et d’indicateurs
de réussite pour atteindre des mesures de performance. « L’efficience », elle, concerne l’utilisation
rationnelle des moyens alloués, le fonctionnement au moindre coût (op.cit., p. 18). Ces changements
entraînent un renversement de la conception même de la gestion des fonds publics. D’une gestion
organisée à partir des ressources internes (inputs) on transforme l’activité vers une gestion avant
tout centrée sur les prestations à fournir (outputs). Ces orientations amènent à des restructurations
internes avec pour objectifs une flexibilité permettant une meilleure rapidité des prises de décisions,
de favoriser un développement vers la qualité des prestations en impliquant davantage les différents
acteurs (clients – professionnels) dans la redéfinition des produits fournis, de stimuler l’initiative et le
goût de l’innovation et enfin de rendre l’administration plus transparente dans son fonctionnement
et ses dépenses (op. cit., p.44).
La nouvelle gestion publique issue des Etats-Unis entraîne avec elle une terminologie américaine
telle que « new public management » accompagnée de tout un vocabulaire qui donnera un certain
pouvoir aux tenants de ce vocable spécialisé. C’est ainsi tout un nouveau langage qui s’inscrit petit à
petit dans le quotidien des lieux de travail.
Son efficacité s’appuie sur une autonomie donnée aux managers ou responsables d’entités publiques
qui doivent alors répondre à des contrats ou mandats de prestation qui fixent les objectifs à
atteindre en lien avec une enveloppe financière allouée. Le mode de gouvernance vise à simplifier les
structures, à développer une transparence des processus et des décisions prises, au risque
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d’individualiser l’activité tout en prônant la nécessité d’un travail d’équipe. Les managers des
services publics adoptent un nouvel esprit, qui est celui de l’entreprise, qui portera atteinte à
l’historique et immuable vision de service à la collectivité. C’est alors l’entrée de l’économie de
marché au sein des administrations publiques qui cherche à atteindre une certaine excellence par la
mise en concurrence, favorisant la privatisation partielle de certains biens communs. Si la NGP
ambitionne à rendre efficient le fonctionnement quotidien de l’administration cela implique de fait
une redéfinition des contours de celle-ci. L’exemple de la péréquation fédérale qui a mené à un
redéploiement des sources d’allocations financières dans le système des organisations sociales, s’il
déplace les sources de revenus au niveau cantonal, n’agit pas directement sur les attentes politiques
fédérales en matière d’efficacité. Ainsi le désengagement financier n’atténue aucunement les
attentes politiques. Situation représentative également dans les systèmes de formations
universitaires suisses, à l’exemple des hautes écoles spécialisées. Les logiques et mécanismes de
marché entrent de plain-pied dans les champs d’activité, gérés historiquement selon une éthique de
la gestion publique où les principes de libération du marché ne s’appliquaient pas, tels que la culture,
l’enseignement, la sécurité, le social et la santé. C’est donc à un changement de culture au sens des
valeurs, des attitudes et des comportements que nous renvoie la mise en application de la NGP. Ce
sont bien de nouveaux repères culturels qu’il s’agit d’inventer, relevant d’un plus grand souci
d’efficacité et de qualité des prestations fournies aux bénéficiaires tout en gardant le bien-fondé des
valeurs classiques de l’administration telles que le respect des personnes, l’égalité de traitement, la
légalité de l’action publique qui donne sens à la spécificité des services publics.
Aujourd’hui la dénomination même « nouvelle gestion publique » est quasiment abandonnée dans
les discours des spécialistes en la matière, tant l’application de celle-ci s’est réalisée sous de
nombreuses formes, adaptées aux réalités et contextes dans lesquels elle s’est implantée. Nous
pourrions même dire avec Giauque & Emery (op. cit., p.82), que « la nouvelle gestion publique,
comme concept uniformément reconnu, n’existe pas. Il s’agit plutôt d’un catalogue d’éléments plus
ou moins admis, approches et méthodes utilisées pour réformer l’administration ». Sous une forme
moins ambitieuse, on parle actuellement plus couramment de « gestion par objectifs » et de
« pilotage stratégique ». Toutefois, paradoxalement, c’est à ce moment-là que la nouvelle gestion
publique apparaît fortement dans les discours communs, retenue pour exprimer tous les maux que
connaissent les entités publiques et leur gouvernance. Les évolutions récentes s’orientent vers « une
nouvelle gouvernance publique » (Osborne, 2006). La notion de gouvernance en lieu et place de
gestion élargit la perspective à un réseau d’acteurs impliqué dans les processus issus tant du privé
que du public engagés dans un domaine d’action publique. Aujourd’hui l’adjectif « nouvelle » est
largement périmé. Suite à certaines exagérations du « managérialisme », les adaptations du système
s’organisent à partir de l’expérientiel. Pour exemple, le concept de gouvernance participative
cherche à s’établir dans de nombreuses collectivités publiques, partant du principe que les
connaissances métiers sont issues des professionnels au front de l’activité. Ainsi le souci du buttom –
up est devenu légion dans de nombreuses entreprises privées, parapubliques ou étatiques. Les
conceptions d’une bonne administration varient selon les régions et gouvernements, mais on peut
relever une certaine tendance à remettre le citoyen au centre en lieu et place du client ; la
valorisation des compétences avant la mesure de la productivité. Si la NGP a indéniablement fait
changer les mentalités et a inscrit la nécessité d’une meilleure gestion en s’appuyant sur des outils
plus efficaces, les notions de créativité et d’innovation tout comme l’éthos du service public
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reviennent au centre des préoccupations. Certains parlent aujourd’hui du New Public Service, modèle
de pensée post NGP, qui place le citoyen et l’intérêt général au cœur de la mission en lieu et place du
client consommateur et de l’esprit d’entreprise. Le slogan Penser stratégiquement, agir
démocratiquement devient le fer de lance de cette nouvelle approche qui se veut également plus
durable et éthique du point de vue de l’utilisation des ressources matérielles comme humaines. Si la
NGP était centrée sur la performance à court terme, la qualité durable des prestations devient un
critère d’excellence. De plus, le respect de la légalité et des procédures centrales à l’éthique de la
fonction publique place la transparence et la communication au cœur des processus institutionnels.
Les procédures qualité, qui placent la lisibilité des processus de travail et les boucles de rétroaction
au centre de leur logique d’accréditation cherchent à atteindre des objectifs durables en terme de
management de la qualité. Si cette nouvelle conception de la qualité, définie comme buttom-up,
engendre en réalité des problématiques d’application, la conception des outils est pensée comme
dynamique et horizontale. L’évaluation et l’auto-évaluation sont inscrites dans la grande majorité des
services publics, portant sur de nombreux critères principalement orientés bénéficiaires, comme
l’accessibilité des prestations et la clarté des procédures. Les plaintes sont consignées et des
réponses concrètes doivent être proposées. Le personnel est également questionné sur les liens avec
la hiérarchie, l’appréciation de l’encadrement, la consultation ou les processus de participation,
l’environnement de travail et la satisfaction engendrée par l’activité professionnelle.
L’enjeu de taille pour le management public est d’articuler deux axes jusque-là fortement clivés, soit
l’insistance sur les prestations de l’administration et celle de la politique publique qui s’occupe des
problèmes de société à résoudre. L’administration doit alors non seulement être au service de la
collectivité, mais également au service des prestations à fournir comme les soins, l’enseignement, les
prestations sociales ou encore les prestations de sécurité, thématiques au centre des préoccupations
des citoyens. Quant aux dirigeants, ils se voient garants de ces deux dimensions en y ajoutant celle
de la dynamique institutionnelle et de l’appréciation positive ou non du personnel sur l’activité elle-
même.
Le souci de la qualité s’est imposé dans les domaines de l’humain, comme ceux de la santé, du social
ou de l’enseignement supérieur. « Les objectifs sont d’alléger les étapes de l’exécution, de raccourcir
les délais, de préciser les responsabilités et d’utiliser des dossiers uniques, le tout en exploitant les
nouvelles technologies de l’information » (Giauque & Emery, 2008, p.94). Si le souci de la qualité
passe également par l’évaluation des services publics par les bénéficiaires, l’orientation « client »
pose des problèmes d’indicateurs représentatifs de la diversité des prestations. Prendre au sérieux la
parole des usagers demande à travailler sur des enquêtes systématiques ou peut-être plus propices
au champ d’action, à travailler l’évaluation de manière qualitative prenant en compte la subjectivité
des bénéficiaires, la manière dont ils ont ressenti les prestations étant étroitement corrélée aux
résultats mesurables de celles-ci. On retrouve cette difficulté autant dans l’enseignement en fonction
des différents types de pédagogie utilisés que dans les soins et le social en lien avec les dimensions
empathiques de l’activité. La nécessité de trouver des critères spécifiques et le choix d’indicateurs
pertinents posent des questions méthodologiques et éthiques à ne pas négliger. L’approche
qualitative portée par une volonté de gouvernance publique transparente et efficace pourrait être
définie selon les termes de Deming, 1986, cité par Giauque & Emery (2008, p.96) : « la qualité, c’est
avant tout un système voué à l’amélioration de la connaissance mise au service des utilisateurs ».
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Le modèle gouvernemental suisse est fortement tourné vers une démocratie participative, offrant
aux citoyens plusieurs voies de participation politiques, que ce soit à travers les référendums ou
pétitions. De plus, le mouvement associatif, largement répandu et encore très actif, permet une
externalisation ou une délégation à des tiers constitués des réponses à donner aux problématiques
sociales. C’est également une façon de reconnaître et de bénéficier d’un savoir-faire construit à partir
de connaissances internes et spécifiques directement liées aux prestations à fournir. Aujourd’hui, de
nombreuses associations, subventionnées par l’Etat sur la base de contrats de prestations,
produisent des offres sociales d’importance telles que la garde d’enfants, les programmes d’activités
citoyennes par le biais des maisons de quartiers et centres de loisirs, l’intervention de bas seuil en
faveur des plus démunis, des personnes toxicodépendantes ou encore la défense sociopolitique des
minorités... Giauque & Emery opèrent une césure significative entre partenariat et sous-traitance
dans la collaboration entre secteur public et privé ou semi-privé. A leur sens, « l’action
« partenariale » implique une codétermination des objectifs et une responsabilisation partagée dans
l’obtention des résultats. Ce n’est pas le cas de la sous-traitance » (op. cit., p.101).
Un véritable pilotage de l’action publique demande à articuler l’axe des prestations indispensables à
une qualité du vivre ensemble appuyé sur une rigueur administrative garante du droit et des
procédures. Elle ne peut s’appuyer que sur les savoirs des collaborateurs, impliquant une dimension
participative nécessaire au développement des compétences collectives et ainsi de l’institution ou
des services. L’évaluation de prestations publiques comme l’enseignement ou l’action sociale peut se
réaliser à la condition du respect des procédures de droit et en associant des critères qualitatifs et
quantitatifs. Nous l’avons montré, la gouvernance d’un service public ou para étatique ne peut se
calquer sur le modèle de l’entreprise privée, toutefois l’action « bureaucratique » d’antan ne peut
perdurer. Le souci de la qualité du service offert au citoyen est au centre des préoccupations des
prestataires et les outils de la NGP, adaptés à la réalité des contextes, ont participé à l’évolution des
mentalités et du regard porté au système public. Si la NGP a indéniablement été appliquée de
manière trop stricte dans les années 2000, le revirement sur une approche plus citoyenne
aujourd’hui, plaçant le défi de la bonne gouvernance en amont de la bonne gestion, devra être
intégré dans les systèmes de mandats de prestation. Ceci afin que les objectifs et les processus
d’application et d’évaluation soient au cœur de l’attention plus que la conformité des rendus aux
modèles gestionnaires appliqués stricto sensu. Lorsque le modèle à suivre est devenu tellement
fermé qu’il ne laisse plus de place à la créativité nécessaire à la contextualisation des situations,
lorsque l’extrême complexité des procédures est devenue plus paralysante que facilitante, alors il
faut accepter que le système lui-même soit devenu abscons et que ce soit bien la NGP elle-même, en
tant que modèle de gestion publique, qu’il est devenu urgent d’évaluer. Giauque & Emery résume de
manière très succincte trois temps de la gestion publique, « celle traditionnelle de l’administration
publique qui se référait au monde civique, celle de la NGP au monde marchand alors que la nouvelle
gouvernance publique se rapproche du monde des connexions et des réseaux » (op. cit., p.114). Le
modèle du marché est apparenté à la logique des contrats alors que le modèle des réseaux se
construit sur le partenariat.
La nouvelle gouvernance publique doit et peut s’appuyer sur une volonté politique et citoyenne afin
de réaliser des prestations efficientes pour parer au défi du tout sécuritaire, tout en relevant celui du
bien vivre ensemble, ceci par une gestion participative et solidaire du bien commun, de ce qui « fait
société ». C’est à partir de ce positionnement politique que nous avons cherché à construire le
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problème spécifique de l’évaluation dans les pratiques participatives en animation socioculturelle,
secteur d’activité du parapublic.
1.2. L’animation socioculturelle, comme champ d’activités interactives et
participatives
L’animation socioculturelle est un des métiers du travail social qui s’exerce dans des domaines de
pratiques multiples tout en maintenant des spécificités en termes de valeurs, de méthodologies
d’intervention et de mise en œuvre participative de l’action professionnelle.
Ce métier, très contemporain, est en constante évolution dans le sens où il participe à une
redéfinition de ses champs d’action en fonction de l’actualité sociale, culturelle et économique.
Toutefois il repose sur un socle solide inscrit sur la promotion de valeurs participatives et collectives
en s’appuyant sur la prise en compte des ressources et potentialités de chacun. L’animation
socioculturelle dans ses champs d’application se diversifie, évolue en lien avec les problématiques
qu’elle rencontre, auxquelles elle se confronte. Dans ses pratiques dynamiques, elle s’appuie sur des
méthodologies adaptées aux situations et structures actuelles.
Toutefois, s’appuyer sur ses origines, sur ses assises est la condition sine qua non pour garder et
développer son caractère spécifique. Que ce soit du côté de l’éducation populaire, du
développement communautaire ou encore de l’éducation informelle, l’axe central se positionne sur
l’émancipation citoyenne dans le sens d’instaurer une place et des espaces de décision participatifs
au sein de la société civile. L’animation socioculturelle possède en son champ des dimensions
politiques et critiques nécessaires à son développement. Elle ne s’attache pas à trouver des solutions
toutes faites, mais à mettre en œuvre des espaces de réflexion et d’action en faveur ou, mieux
encore, en présence de son public. Elle garde en son centre les dimensions culturelles et sociales et
développe des outils d’intervention riches et efficaces, en interdisciplinarité, favorisant le travail en
réseau interdisciplinaire.
L’animation socioculturelle trouve ses racines historiques françaises dans le mouvement
sociopolitique de l'éducation populaire; nord-américaines dans le mouvement d'organisation
communautaire ; sud-américaines dans le mouvement lié aux théories de la libération de Paolo
Freire1 notamment. En Suisse romande, ce sont principalement les racines de l’éducation populaire
française qui ont influencé l’histoire de l’animation socioculturelle, c’est pourquoi nous développons
plus particulièrement les fondements de ce mouvement.
L’éducation populaire a été profondément façonnée par les histoires nationales, régionales ainsi que
par des résonances culturelles, idéologiques, voire politiques. Les grands traumatismes nationaux
(immigrations, révolutions, émeutes, coups d’Etat, ingérences étrangères) sont fortement présents
1 Paolo Freire, né au Brésil en 1921 et mort en 1997, était un pédagogue connu essentiellement pour
son travail de conscientisation, d’émancipation et d’alphabétisation de personnes adultes issues de
milieux très précaires.
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dans l’histoire et le développement de l’éducation populaire. Elle se définit en complément de
l'enseignement scolaire formel en rapport aux notions voisines d'éducation permanente et
d'animation socioculturelle. Elle se réclame de tous les projets qui visent à la démocratisation de
l'accès aux savoirs, de la diffusion de la connaissance au plus grand nombre. L’objectif est de former
des citoyens actifs et responsables par une pédagogie adaptée favorisant la créativité. L'éducation
populaire est un moyen et une méthode d'éducation à la citoyenneté. Elle reconnaît et associe une
dimension humaniste du développement de l'individu, selon son parcours de vie, son environnement
et une visée politique d'émancipation, désireuse d’instaurer une place et un espace de décision à
chaque individu dans la société. En France, ce mouvement reprend de la force au moment de la
Libération. Il s'agit de « former le peuple à une culture « militante » pour renforcer une république
progressiste en lutte contre les forces réactionnaires et les puissances d'argent » et de « créer des
loisirs dans l’idée d’une révolution culturelle du temps libre, loisirs qui modifient l’expression de soi,
les rapports avec autrui et le rapport à la nature » (Dumazedier, 1962).
Les premières tentatives de définition de l’animation socioculturelle apparaissent dans les années
soixante-dix. Besnard (1986) nous livre un constat très parlant en affirmant que la plupart des études
menées sur ce champ professionnel en France s’accordent sur le fait qu’il est plus pertinent de
produire des caractéristiques, souvent déclinées en fonctions, que de tenter de délimiter une
définition générale.
Il délimite le champ d’activité comme un ensemble de pratiques, d’activités et de relations qui
concernent les intérêts manifestés par les individus dans leur vie culturelle et plus particulièrement
dans leur temps libre. Ces intérêts peuvent être artistiques, intellectuels, sociaux, pratiques ou
physiques. Les pratiques répondent à des besoins d’initiation, de formation, d’action, non satisfaits
par les institutions existantes. Elles satisfont aux fonctions de délassement, divertissement,
développement et sont volontaires, ouvertes à toutes les catégories d’individus, quel que soit leur
âge, sexe, origine, profession. Ces pratiques sont désintéressées, elles ne visent pas, en principe, à
l’obtention d’un diplôme ou d’une qualification. « Elles s’exercent généralement en groupe, dans des
institutions et des équipements socioculturels multiples. En général, elles se déroulent avec un
animateur, professionnel ou bénévole, ayant en principe reçu une formation particulière et utilisant,
en dominante, des méthodes pédagogiques actives » (Besnard, 1986, p.59).
Nous voyons ici la difficulté pour l’auteur de poser un cadre référent, utilisant nombre de fois des
termes comme en principe ou encore en général montrant par là les limites de l’exercice de
définition auquel il s’adonne. En 1973, le Conseil de coopération culturelle du Conseil de l’Europe
qualifie « d’activités animatoires », celles qui aident l’individu à prendre conscience de ses propres
besoins, talents et aptitudes ; à communiquer avec d’autres pour prendre une part plus active à la vie
de la communauté ; à s’adapter aux mutations de son environnement social, urbain et technique ; à
explorer sa propre culture, à développer en particulier ses aptitudes intellectuelles et physiques, ses
forces d’expression et sa créativité.
On le voit, les pratiques et objectifs de l’animation socioculturelle sont non seulement multiples,
mais aussi multiformes et en ce sens, l’application de mesures d’évaluations standardisées parait
difficile à appliquer. Les dimensions participatives sont largement relevées comme étant au cœur de
12
l’activité et nous pensons dès lors qu’il est nécessaire, en matière d’évaluation, de s’appuyer sur des
évaluations non seulement qualitatives mais aussi participatives.
Nous constatons que l’animation socioculturelle est issue de diverses références, toutes liées au
développement et à l’émancipation des individus. Elle est traversée de courants multiples et
contrastés. Loin d’être une entité abstraite, elle est en prise avec les réalités sociales et culturelles,
elles-mêmes riches en complexité, intégrant l’individu, le collectif et la dimension sociopolitique. Si la
notion de temps libre a fait référence dans les années soixante-dix, la mise en œuvre et la
valorisation de celle-ci s’est adossée et affermie dans la construction du métier autour de référentiels
comme la gestion de projets, l’éducation informelle, la conscientisation, la valorisation des cultures
minoritaires, la médiation culturelle, le développement communautaire (Libois & Heimgartner,
2008)2
Si les frontières restent ouvertes, les spécificités des trois métiers du travail social que sont
l’animation socioculturelle, l’éducation sociale et le service social s’appuient sur les finalités de
l’action sociale. Mais celle-ci ne fait pas l’impasse d’une position épistémologique assumée qui
permet d’être en capacité de nommer quel type d’action sociale est exercée. Etre professionnel dans
ces métiers demande bien souvent à adopter une pensée qui intègre les dimensions paradoxales de
l’activité. Il n’y a pas nécessairement paradoxe entre « contrôle social » et « acteur de changement »,
pour autant que les professionnels soient conscients de leur positionnement. Les deux dimensions
précitées ont toujours existé et continueront à coexister dans la tension inhérente à ces métiers.
C’est précisément un des dilemmes de l’action sociale qui cherche son propre dépassement dans
l’approche collective.
Au plan sociopolitique, la politique d’animation n’est souvent plus jugée en elle-même, mais en
fonction de la réussite des projets d’intervention. La notion de réseau, intra- ou interinstitutionnel,
interprofessionnel et intersectoriel devient une des clés essentielles pour l’instauration et le maintien
d’espaces, situés entre les structures étatiques et la société civile. L’évolution de la demande sociale,
l’émergence de nouveaux besoins liés à de nouvelles problématiques ou en constante mutation, ont
pour effet l’amplification des pratiques d’animation, définies en tant que modèle d’intervention
socioculturel. L’éventail de ses possibilités d’actions s’oriente vers le concept de restauration du lien
social, mais elles restent aussi singulières par leurs fonctions de critique sociale, de mobilisation
collective, de participation citoyenne.
L’identité de l’animation socioculturelle, très jeune d’un point de vue de la sociologie des professions
est encore peu stabilisée. « Pour cela, les animateurs socioculturels se trouvent encore bien souvent
en position de justifier leurs pratiques, les expliciter, les rendre visibles, car celles-ci n’ont pas été
suffisamment décrites et peu d’ouvrages les relatent. Elles sont multiples, éparses, et restent, la
plupart du temps, propriété de chaque lieu ou de chaque professionnel. Selon Chopart (2000), dans
le champ de l’intervention sociale, les frontières restent ouvertes. Si ce métier demande à être mieux
défini et mieux visible, il ne saurait s’enfermer dans des frontières trop étroites, son sens même
étant constitué par l’ouverture et l’adaptation aux changements et aux demandes du projet
2http://www.anim.ch/pxo3_02/pxo_content/medias/article_accueil_libre.pdf
13
socioculturel global, incluant toutes les dimensions de la vie en société » (Della Croce, Libois &
Mawad, 2011, p.13).
Les animateurs ont pour atout la polyvalence, tant dans leurs fonctions que dans leurs activités très
diversifiées, ce qui a pour effet que leurs domaines d’intervention éclatés rendent leur identité
professionnelle plus instable. Historiquement, ils ont aussi été moins bien promus par les politiques
et les administrations que les autres travailleurs sociaux. Leur manque d’organisation collective
durant plusieurs décennies a également prétérité leur visibilité, l’organisation collective étant un
élément fort du processus de reconnaissance professionnelle. Toutefois, en Suisse, depuis le début
des années deux mille, les animateurs socioculturels s’imposent comme corps professionnel
constitué, par la reconnaissance de leur formation en Haute école spécialisée de niveau tertiaire ainsi
que par sa structuration en organisation professionnelle. De la vision de l’animation en tant que
fonction professionnelle, nous sommes passés à la définition d’un métier. L’analyse de plus en plus
fournie des pratiques significatives de l’animation socioculturelle a permis aux terrains de mieux
expliciter leurs actions et leur spécificité en regard de l’ensemble des pratiques du travail social. Pour
ce faire, en 2001, les professionnels de la Suisse romande ont élaboré un référentiel métier très
détaillé (www.anim.ch), suivi d’un rapport relevant la nécessité de renforcer l’identité et la visibilité
des pratiques de l’animation socioculturelle sur le plan romand. Ce processus a permis la création
d’une plateforme romande de l’animation socioculturelle en mars 2004.
En résumé, nous relevons que l’animation socioculturelle a historiquement porté les dimensions
collectives et communautaires du travail social et qu’en ce sens, celle-ci se prête particulièrement à
des modes d’évaluation participatifs. Son action vise à organiser et à mobiliser des groupes et des
collectivités en vue d'un changement social. L’éducation populaire est une des sources de son
développement, tout comme les programmes de conscientisation en Amérique du Sud portés par
Paolo Freire, sans oublier l’approche communautaire portée par Saul Alinsky. L’intervention vise à
permettre une participation volontaire et démocratique faisant appel à la notion de citoyenneté.
Depuis l’apparition des sociétés modernes, le rôle de l’associatif et ainsi de la participation
deviennent toujours plus importants. L’association intervient souvent là où l’intégration sociale de la
personne est la plus compromise au vu de l’éclatement des relations sociales et de la montée de
l’individualisme. L’association est souvent un relais entre les personnes et les institutions, un pont
entre les citoyens et l’Etat. Elle permet à la population de formuler des besoins et des demandes qui
pourront contribuer au renforcement de l’identité sociale des personnes et a souvent le rôle de
négociatrice entre les différents acteurs concernés. Les intérêts individuels ont alors l’occasion de se
transformer en intérêts collectifs. L’animateur a pour fonction de rendre les groupes sociaux plus
aptes à communiquer, décider et agir en évaluant les besoins, les attentes et les aspirations des
personnes concernées. Son rôle est également de motiver les personnes, afin qu’elles puissent
participer aux processus de décision et concrétiser les buts recherchés. Il est un agent de
changement et a des activités dans les multiples domaines de la vie en société.
Ainsi, la mission démocratique est au fondement des pratiques des animateurs dans les différents
domaines dans lesquels ils exercent. Celle-ci implique « de partir de la situation concrète des gens. Ce
n’est que lorsque les gens perçoivent l’intérêt que peut avoir le projet pour l’amélioration de leur
situation et l’accroissement de leurs ressources qu’ils se mettent en route et que la participation
14
peut être suscitée. Il s’agit ici d’initier une démarche partant des usagers et de les associer
véritablement au projet » (Della Croce, Libois & Mawad, 2011, p.170).
Un des buts de l’intervention des animateurs dans les quartiers est d’améliorer les conditions de vie
des citoyens, d’une communauté, d’une population en tenant compte de l’environnement et du
cadre local des personnes. Pour ce faire, ils peuvent se baser sur une méthodologie d’intervention
avec les populations telle que le développement communautaire. Ce domaine est avant tout défini
par des programmes d’action ou des projets élaborés avec les groupes concernés, en lien avec les
problématiques auxquelles ils doivent faire face. Le professionnel a donc pour visée fondamentale la
participation citoyenne des individus et des collectivités en vue de favoriser une prise en charge
solidaire et collective de leurs conditions de vie. C’est à cette condition que l’animation
socioculturelle peut devenir un outil essentiel au développement d’une réelle politique de cohésion
sociale. Comme le dit Gillet (1995, p.256) : « Il reste aux professionnels de l’animation à agir sur un
autre volet qui les concerne au premier chef. En effet, de gauche à droite, cette politique de la ville
s’est toujours accompagnée d’un discours, affirmé avec plus ou moins de force, vantant les mérites
de la participation. En réalité, les dispositifs prévus à cet effet ont toujours été réduits à leur plus
simple expression, sans réelle délibération collective, sans action pédagogique adaptée, sans
concertation probante, parfois réduite à des effets d’annonce (tels que le financement direct par
l’Etat des projets Jeunes) ». L’animation socioculturelle, de notre point de vue, peut largement
contribuer à la congruence d’une politique de cohésion sociale dans la mise en œuvre de sa
dimension participative, car les animateurs et animatrices sont des professionnels du travail social
plus particulièrement formés aux méthodologies de l’action collective et du développement
communautaire local. Elle y est même nécessaire, car rappelons que la participation n’est de loin pas
toujours présente au démarrage d’un projet. Il reste nécessaire, dès le début, de travailler aux
conditions qui permettent son émergence. C’est là l’expertise même des professionnels de
l’animation socioculturelle.
1.3. Les valeurs
Dès lors que l’on interroge l’ « action » dans le travail social, la notion des valeurs apparaît au centre
du questionnement.
Le terme « valeur » trouve ses racines étymologiques dans le mot indo-européen wal qui signifie «
force et puissance ». Par la suite, il devient synonyme de « vaillance » et « bravoure » pour enfin
s'identifier à « conduite d'excellence ». En sociologie, « les valeurs sont des idéaux collectifs qui
définissent dans une société les critères du désirable : ce qui est beau et laid, juste et injuste,
acceptable ou inacceptable. Ces valeurs sont interdépendantes. Elles forment ce que l'on appelle des
systèmes de valeurs, elles s'organisent pour former une certaine vision du monde » (Etienne et al.,
1995, p.226).
Dans le travail social, les valeurs fondent, comme le dit Bouquet (2012, p.38), les orientations de
l’action. « Toutes les interventions sociales sont sous-tendues – implicitement ou explicitement – par
des valeurs. Les valeurs donnent sens à ce qui est dit ou fait ; elles ont un sens social ». L’ensemble
15
de ces valeurs, souvent subjectives, forme la conscience professionnelle du travailleur social. Pour
Melchior (2011, p.124) « quelle que soit la profession, la représentation du travail bien fait est au
cœur de cette conscience professionnelle. (…) L’éthique des travailleurs sociaux est constituée de
valeurs essentielles qui forment le socle de leur identité, et dans le respect desquelles ils entendent
effectuer la plupart de leurs activités ».
Le regain d’intérêt que vit, ces dernières années, la question de l’éthique professionnelle des
travailleurs sociaux s’explique certainement aussi par l’évolution des sociétés contemporaines et par
la prise de conscience des nouveaux défis qui l’accompagne. « C’est en période de doute que la
question éthique se pose avec le plus d’acuité » affirme Bouquet (2006). En effet, les profils des
usagers et leurs problématiques sont de plus en plus diversifiés et complexes. Le nombre de dossiers
suivis augmente tout comme les tâches administratives, pourtant les moyens à disposition du
travailleur social diminuent accroissant d'autant la charge de travail des professionnels.
Parallèlement, un nouveau mode de management dans les établissements du champ du travail social
apparaît provoquant « malaise des salariés pour qui les contraintes imposées par ce système sont
contradictoires avec leur mission » (Melchior, 2011, p.123). Ces pratiques de management s'inspirent
du secteur privé et introduisent « démarches qualité », recherche de l'efficacité, performance
personnelle et professionnelle, logique de service focalisée sur le court terme. Comment dès lors que
les logiques institutionnelles et organisationnelles prennent le pas sur des logiques professionnelles
parvenir à « concilier le temps long du travail éducatif avec les exigences d’efficacité imposées par la
culture du résultat ? » s'interroge Melchior (2011, p.126).
C'est dans ce contexte que la réflexion sur l'éthique, la déontologie, les valeurs du travail social prend
tout son sens. Ainsi, nous partons du postulat que les valeurs forment « des références pour tous les
travailleurs sociaux quels que soient le type de travail ou la modalité de l'activité exercée, et qu'elles
sont propres au travail social » (Bouquet, 2012, p.30).
Dans le cadre de notre recherche, au sein du travail social et plus particulièrement dans le champ de
l'animation socioculturelle, il nous importait de nous accorder sur une conception de l’éthique et de
la valeur.
L’éthique normative qui prévaut à parler de morale voudrait que nos actes soient pleinement
attribuables à notre volonté. Nous pourrions alors parler d’idéalité, d’orientation et de conduites
idéales de l’agir qui guident nos choix en fonction d’une idéalité portée par des valeurs.
Deleuze, à la suite de Spinoza, propose de s’intéresser à l’éthique en tant que formes que prennent
les actions des humains. C’est donc les actions telles qu’elles sont posées, en situation, dans leur
contexte qui sont prises en compte. Comprendre comment les sujets construisent les problèmes
qu’ils rencontrent et chercher ainsi à apporter des pistes de réflexion à partir des représentations ou
modalités de qui amène à penser et sentir les choses de telle ou telle manière. Il s’agit en premier
lieu de transformer les questions en problèmes sur lesquels il est possible d’entrer en matière, de
pouvoir les penser et peut-être influer, voire déplacer l’axe de signification préalablement établi.
L’éthique prend alors la forme d’une pensée sur la question posée, d’une mise en problème sur
laquelle il doit être possible d’influer le cours, d’opérer des ouvertures en transformant le problème
initial. On parle ici d’éthique immanente en lieu et place d’éthique normative (de Jonckheere, 2010).
16
Si l’éthique normative pose des lignes d’action préétablies, sur lesquelles les définitions du juste et
du faux sont organisées, l’éthique immanente part de la réalité pour la questionner et travailler sur
ce qui pose problème.
Cette conception de l’agir permet de travailler avec une pluralité de points de vue qui demandent à
être explicités ou compris selon les problèmes que cela pose à chaque acteur. Pour l’animation
socioculturelle, cette manière d’envisager la réalité permet de penser la diversité entre pairs, mais
aussi entre représentants du monde pluriel comme l’associatif, les élus locaux et surtout les publics
auxquels les animateurs s’adressent. La pluralité d’acteurs qui émanent des actions collectives et
participatives demande aux professionnels de travailler avec un modèle de pensée ouvert à la
pluralité des opinions, problèmes et attentes de chacun. C’est ainsi comprendre que les contextes
sociopolitiques, économiques et culturels agissent fortement sur les conceptions des uns et des
autres et que les situations rencontrées sont fortement agissantes, forme des manières de concevoir
le monde diverses, voire divergentes, sur un même objet. L’objectif n’est pas de mettre les différents
protagonistes d’accord, mais bien d’accorder une même reconnaissance d’avis pluriels.
Une éthique immanente ne réfute pas les valeurs, car celles-ci font pleinement partie du contexte
socioculturel dans lequel nous évoluons. Les valeurs permettent de construire de la cohésion dans les
modes d’agir et de sentir la réalité. Elles construisent de l’expérience commune qui permet une ligne
d’action. Les valeurs peuvent être comprises comme des forces agissantes sur le cours de l’agir, non
pas à comprendre comme justes ou fausses, mais à savoir toujours agissantes. Travailler de manière
collective demande à construire une hiérarchie des valeurs, qui permette, dans des dilemmes
éthiques, de travailler sur les conflits de valeurs. Il s’agira pour nous de repérer les systèmes de
valeurs accrochés à la profession et aux institutions, pour comprendre les manières dont elles
s’activent dans le fil de l’activité. Plus précisément, il s'agira que la communauté d’acteurs concernés
saisisse comment celles-ci s’immiscent et agissent dans les projets collectifs. La valeur s’enracine
dans les faits et les faits se définissent et se construisent à partir de valeurs. Valeurs et activité
apparaissent comme indissociables. Elles se réalisent dans des faits sans lesquels elles ne pourraient
exister. Les valeurs apportent une continuité de sens qui se fait et se défait en fonction de la manière
dont elles seront éprouvées par la réalité. Donner sens à l’activité, demande non pas de s’accrocher à
une direction à emprunter, mais bien de penser et sentir le sens à donner au cheminement qui
s’opère. Lorsque cela fait sens, c’est l’inclusion entre valeur et fait qui constitue un tout porteur de
sens. Si des valeurs sont portées par le métier, valeurs communes à partager, celles-ci ne font
réellement sens que lorsqu’elles font événement, qu’elles fusionnent avec des faits réels. Dans les
projets collectifs, l’expérience commune portée par une éthique non normative ouvre à une
construction de valeurs qui peut faire référence pour le groupe à un moment donné. Valeurs et
éthique sont donc à comprendre comme articulées à une pratique professionnelle, à des faits réels
qui demandent à être pensés dans leur pluralité de sens. Ce serait peut-être là la condition à une
réelle démarche participative et, par extension, à un processus d’évaluation participatif.
Si les valeurs et l’éthique sont parties prenantes de l’activité, nous pensons qu’il en est de même
pour l’évaluation. Rappelons que dans le mot évaluation, se retrouve le terme de valeur. L’évaluation
est toujours pensée et construite à partir d’un prescrit hexogène mais aussi endogène. Dans les
métiers de l’humain, les professionnels sont régulièrement en proie à des conflits de valeurs. Lors de
ces dilemmes rencontrés en plein cœur de l’activité, l’éthique, telle nous la concevons, permet de
17
problématiser et ainsi de construire une ligne de sens portée par le collectif. Ici, nous pourrions
parler de genre professionnel au sens de Clot (2000), genre professionnel qui produit un prescrit
endogène dont il s’agit de se déprendre dans un processus de regard critique sur ce qui a été produit.
Le genre renvoie à la dimension collective de l’agir qui peut être compris comme une forme d’habitus
au sens de Bourdieu. Ces manières de faire qui font consensus sont difficilement repérables
puisqu’elles fondent le quotidien de l’activité professionnelle. Elles fondent une norme collective
produite par le contexte institutionnel et les manières de s’y prendre au jour le jour, qu'il ne parait
plus nécessaire de nommer, ni de discuter. C’est ici que les pratiques portent le risque d’une
cristallisation de certaines valeurs intrinsèques au métier. Remettre en mouvement les présupposés
de l’action passe par l’exercice rigoureux de reprendre les dilemmes de l’action, de les confronter aux
valeurs porteuses du genre professionnel, et de parvenir à redéfinir une ligne éthique porteuse d’un
regard pluriel sur ce qui fonde tel ou tel acte. Ce processus est le point de départ obligé de tout
processus d’évaluation participative. On le voit, l’évaluation est intrinsèquement rattachée aux
valeurs qui fondent l’activité et faire acte d’évaluation, c’est parvenir à porter un regard nouveau ou
circonstancié sur ce qui fonde l’agir. Les valeurs fondatrices du travail social s'ancrent « dans
l'héritage moral et judéo-chrétien de la société ». Elles s'appuient également « dans celles de la
société et de ses institutions » (Bouquet, 2012, p.38).
Premièrement, elles sont humanistes, porteuses d’une vision globale, positive et émancipatrice de
l’homme, au sens où « la finalité du travail social étant l'émergence d'un sujet libre, capable
d'effectuer le plus lucidement possible ses propres choix, de décider en toute indépendance de ses
propres valeurs, son éthique, est mise au service de la valeur de l'homme, de sa spécificité, de son
unicité. L'intérêt pour autrui dans sa globalité, la foi en l'homme et en ses potentialités fondent
l'action sociale. Les valeurs humanistes sont les valeurs mères du travail social » (Bouquet, 2012,
p.38). Nous y trouvons comme principes éthiques, les notions de respect et de dignité de la personne
humaine et ceci indépendamment de la race, du genre, du statut, de la conscience, de la religion, de
l'opinion et de l'expression de la personne. La reconnaissance, la responsabilité, la tolérance, la
compassion, le partage, l'autonomie, l'autodétermination, la croyance dans les capacités et les
potentialités d’autrui ainsi que l'empathie sont également nommés comme valeur humaniste.
Deuxièmement, elles sont démocratiques, fondées sur les valeurs démocratiques de liberté, d’égalité
et de fraternité. Liberté de choix et d’opinion de chaque être humain. Egalité qui garantit les mêmes
droits humains devant la loi pour tout citoyen. Fraternité dans « l'appartenance inaliénable à la
famille humaine, en amont de toute société institutionnellement organisée » (Bouquet, 2012, p.40).
Dignité, citoyenneté, cohésion sociale, participation, promotion, solidarité, empowerment,
intégration, autodétermination, etc. sont aussi associés à cette catégorie.
L’animateur joue en faveur de la démocratie un rôle d’intermédiation, « intermédiation entre les
différents acteurs : les acteurs politiques et l’administration, les institutions d’action sociale et de
formation, la société civile et la vie associative, les habitants. Ce rôle d’intermédiation, constitutif de
la fonction sociale qu’exercent les acteurs de l’animation, exigent d’eux une grande clarté dans la
complexité et un sens démocratique qui demande à être développé et reconnu par tous »
L’animateur développe « de nouvelles formes de démocratisation de la culture « consacrée ». Il
défend « une démocratie culturelle qui ne se contente pas d’un accès facilité à la culture des élites
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ou à la culture de masse, mais vise l’encouragement à la création culturelle dans les milieux
populaires, sous des formes sans cesse renouvelées ».
L’animateur tente d’encourager « l’expression des populations et l’émergence de projets
participatifs, en partant de leur actualité, de leurs identités culturelles, de leur quotidien, de leurs
conditions de vie et de leurs aspirations ». Il poursuit un projet d’éducation permanente, à savoir le
renforcement du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population à
travers des activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne. » Il
privilégie « le quartier, le village ou la ville qui constituent le premier échelon pertinent d’exercice de
la citoyenneté. A cet échelon, tous les habitants sont considérés comme des citoyens et des
partenaires potentiels de l’action, quels que soient leurs statuts sociaux, leurs âges ou leurs
origines » (Libois et al, 2011).
Troisièmement, elles sont fondées sur le droit à travers un ensemble de normes et de règles qui
déterminent la condition et les rapports sociaux entre les individus faisant partie d’une société
donnée. Cela concerne aussi bien l’action des personnes que celle des organisations. C’est l’autorité
publique, l’Etat, qui sanctionne et contrôle l’application du droit dans la société. Nous pouvons y
rattacher le respect des droits individuels et collectifs ainsi que les droits des usagers. S’y ajoutent
aussi la protection des personnes et des biens, la notion de responsabilité, de discrétion, de
confidentialité et de secret.
Quatrièmement, les valeurs fondatrices du travail social sont enfin politiquement engagées, au sens
de « l'engagement fort des travailleurs sociaux à oeuvrer pour le changement social. Cette valeur
reflète un engagement particulier du travail social non seulement à accroître le bien-être et les droits
des individus et des groupes défavorisés, mais aussi à travailler en direction d'un changement des
attitudes et des politiques maintenant les désavantages et les inégalités » (Bouquet, 2010, p.40). Ils
mobilisent les responsabilités collectives et les solidarités de proximité.
Dans l’animation socioculturelle, cette dimension sociopolitique occupe une place prépondérante. La
dimension politique exige du professionnel de l’animation, une posture particulière, celle
« d’intermédiation entre les différents acteurs : les acteurs politiques et l’administration, les
institutions d’action sociale et de formation, la société civile et la vie associative, les habitants. Ce
rôle d’intermédiation, constitutif de la fonction sociale qu’exercent les acteurs de l’animation,
exigent d’eux une grande clarté dans la complexité et un sens démocratique qui demande à être
développé et reconnu par tous » (Libois et al., 2011).
Cinquièmement, les valeurs liées à la position professionnelle, que nous pourrions rattacher à la
posture professionnelle. Les métiers du travail social se construisent sur la relation humaine. Ils « ont
la spécificité d'allier une pratique professionnelle (…) à une certaine conception de l'homme »
(Bouquet, 2012, pp.43-44) et de la société humaine qui se rapportent aux valeurs humanistes et
démocratiques telles qu’énoncées plus haut. Ainsi, les valeurs professionnelles prennent une place
importante pour le travailleur social. Certaines de ces valeurs sont directement liées aux
compétences professionnelles fondamentales du travailleur social comme la connaissance, la
rigueur, l’efficacité, la cohérence, la responsabilité, la créativité, l’organisation, l’honnêteté, etc. Une
seconde série de valeurs porte plutôt sur l’individu et son environnement social. Il est attendu du
travailleur social qu’il respecte la dignité et l’unicité de toute personne, ses droits et ses possibilités,
19
qu’il dynamise le tissu social de la personne dans ses interventions sur l’environnement social de la
personne (famille, entourage, institutions, etc.). Enfin, un troisième groupe de valeurs
professionnelles se situe au niveau sociétal. Le travailleur social, à travers son action, vise le
changement social dans un but d’une amélioration de la qualité de vie de l’individu et/ou des
collectivités. Pour ce faire, il lui faut « d'une part assurer un rôle de veille sociale et d'innovation
sociale (…) ; d'autre part, assurer l'utilité sociale et l'intérêt général qui sont reconnus légalement à
l'action sociale et qui rejoignent le souci du « Bien commun » (Bouquet, 2012, p.44).
Concernant le champ de l’animation socioculturelle, nous sommes tentés de compléter ces valeurs
fondamentales par des valeurs plus spécifiques à ce métier.
Il s’agit tout d’abord des valeurs culturelles et sociales. L’action socioculturelle est inséparablement
sociale et culturelle. Il s’agit ici de valoriser la culture « comme mode d’appartenance, pouvoir
d’expression et d’action » dans les milieux populaires. Le professionnel de l’animation tente
premièrement d’encourager « l’expression des populations et l’émergence de projets participatifs,
en partant de leur actualité, de leurs identités culturelles, de leur quotidien, de leurs conditions de
vie et de leurs aspirations ». Deuxièmement, il poursuit un projet d’éducation permanente, à savoir
le renforcement du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population
à travers des activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne. »
Troisièmement, il développe « de nouvelles formes de démocratisation de la culture « consacrée » :
d’une part, des formes prenant en compte les obstacles économiques à l’accès aux biens culturels,
mais également les obstacles psychologiques, symboliques et cognitifs à cet accès ; d’autre part, des
formes pensant la médiation de cette culture de manière critique – histoire d’en faire non pas l’outil
d’une acculturation mystifiante, mais bien celui d’une émancipation des esprits et des sens ». Enfin, il
défend « une démocratie culturelle qui ne se contente pas d’un accès facilité à la culture des élites
ou à la culture de masse, mais vise l’encouragement à la création culturelle dans les milieux
populaires, sous des formes sans cesse renouvelées » (Libois et al., 2011).
Viennent ensuite les valeurs liées à la dimension locale. Les professionnels actifs dans le champ de
l’animation socioculturelle développent prioritairement des actions caractérisées par un ancrage
local, souvent informelles ou expérimentales. Dans ce sens, ils mobilisent les responsabilités
collectives et les solidarités de proximité. Ils vont ainsi « à contre-courant de la tendance générale à
rendre chaque individu seul responsable de son destin social ». Ils privilégient « l’espace local (tout
en pensant global)… : le quartier, le village ou la ville, qui constituent le premier échelon pertinent
d’exercice de la citoyenneté. A cet échelon, tous les habitants sont considérés comme des citoyens et
des partenaires potentiels de l’action, quels que soient leurs statuts sociaux, leurs âges ou leurs
origines » (Libois et al, 2011). Aujourd’hui les enjeux du vivre ensemble passent en priorité par une
approche territoriale où se joue, à la fois, le besoin d’appartenance et l’ouverture au monde, à la
pluriculturalité. Les politiques de la ville cherchent à donner la parole aux acteurs locaux, à fonder
l’idée de citoyenneté dans les espaces d’habitat au-delà des enjeux de nationalités et de droits
civiques. Toutefois, les projets se heurtent aux résistances ou incompréhensions des acteurs de
terrain qui ne se sentent pas entendus ou peu compris dans leurs revendications. La dimension
collective et participative du vivre ensemble et du partage du bien commun ne peut se suffire d’une
politique top-down et c’est un réel travail de proximité et de construction d'un langage commun qu’il
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s’agit d’initier. Ici, les animateurs socioculturels sont porteurs de compétences métier très utiles aux
nouveaux enjeux participatifs.
Notre recherche porte sur le champ de l’animation socioculturelle. A travers nos lectures, nous avons
pu constater que les valeurs prennent une place importante pour les professionnels de l’animation.
Ils y font régulièrement référence. Certaines de ces valeurs apparaissent plus souvent que d’autres
telles que les valeurs démocratiques et tout particulièrement la notion de participation et de
citoyenneté active. La valeur participative comprend la facilitation « d’une place et des espaces de
décision participatifs au sein de la société civile, spécifiquement pour les personnes ou les collectifs
minorisés ou en situation de vulnérabilité » par l’animateur socioculturel. Tandis qu’il faut entendre
sous la terminologie de citoyenneté, la démocratisation de l’accès aux savoirs, de la diffusion de la
connaissance au plus grand nombre et la capacité à exprimer et faire valoir son avis sur des questions
qui les concerne. L’objectif est de former des citoyens actifs et responsables.
L’association faîtière suisse d’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ-DOJ) y fait également
allusion. Ainsi, elle propose dans ses Bases de réflexion trois principes fondamentaux de l’animateur
jeunesse qui fondent historiquement les pratiques quotidiennes : l’ouverture à tous les jeunes, la
non-contrainte (qui correspond au principe de libre adhésion développé en Romandie) et la
participation qui vise à renforcer l’implication et la codécision.
Ensuite, la Fondation pour l’animation genevoise (FASe) dispose avec la Charte cantonale3 d’un
« texte de référence » qui « fixe des points de repère pour les divers acteurs engagés dans les actions
d'animation ». Issue d’un large processus partenarial, en 1993, la Charte précise le rôle des Maisons
de quartier comme lieux de rencontre qui, par un cadre préventif et d’entraide, agissent sur le lien
social et ses dimensions culturelles, à la fois au niveau collectif et sur le plan individuel, pour éviter la
rupture de ce lien et prévenir la dégradation des situations personnelles ou sociales, lutter contre
l'exclusion et la marginalisation. Dans leur action associative et socioculturelle, les Maisons de
quartier « permettent aux personnes qui se rencontrent de mieux se comprendre, s'apprécier,
quelles que soient leurs différences. En redonnant à chaque individu le sentiment d'appartenance à
la communauté, ils suscitent le développement des solidarités, contribuant à prévenir l'isolement.
(…) Les maisons de quartier incitent et aident les individus à devenir des acteurs sociaux responsables
de leurs choix, à s'exprimer, à participer à la vie de la cité par la réalisation de projets collectifs et
parfois individuels, mais également en favorisant une ouverture d'esprit aux projets émanant
d'autres citoyens. »
Enfin, le contrat de prestations 2013-2016 entre l’Etat de Genève et la FASe4 fixe pour objectifs
stratégiques, à travers l’action éducative, associative et socioculturelle de favoriser l’intégration
sociale, une citoyenneté active et une réponse aux demandes locales. Plus spécifiquement, pour la
période 2013-2016, de renforcer les actions en faveur des enfants et des jeunes de milieux précaires,
de renforcer les actions en faveur de la diversité, de renforcer la démocratie participative, de
3http://www.fase-web.ch/site/fondation/Lachartecantonale/index.htm
4http://www.ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11223A.pdf
21
participer activement à l’évolution des politiques publiques recouvrant les champs d’activités de la
FASe, à la cohérence et à la complémentarité des dispositifs en découlant.
1.4. Epistémologie de l’activité participative
La part risquée de l’acte développée chez Mendel nous a paru digne d’intérêt afin de rendre compte
des particularités de l’agir professionnel en animation socioculturelle. La lecture de Mendel (1998)
nous a permis de revisiter le concept d’action tout comme celui d’acte. Le concept d’acte présenté
comme une aventure enrichit notre compréhension de l’agir. La conception de l’auteur différenciant
le discours d’action et la pratique de l’acte, nous permet de sortir d’un certain amalgame entre
intentionnalité et activité réelle. La découpe très pragmatique, consent à illustrer différents temps
dans l’agir : pré-acte, acte et post-acte5. Penser l’activité en trois temps, permet de mieux saisir la
part d’intentionnalité du sujet engagée dans l’agir et la part de réalité immanente issue de données
naturelles et sociales. Mendel réfère cette préhension en trois temps à la pensée rationnelle
occidentale. Le découpage séquentiel de l’acte nous paraît illustrer avec finesse les attentes posées
en matière d’évaluation de l’activité. Cette articulation affine notre regard sur les situations
empiriques récoltées. La pensée rationnelle occidentale n’obtient d’autorité que par les capacités de
mesure, de maîtrise et de généralisation qu’elle exige. Les impératifs de performance poussent à un
surdimensionnement du travail par objectifs et à la prévision par l’élaboration d’indicateurs du
devenir de l’acte. Dans ce cadre, parler d’efficience est évalué à l’aune de la mise en œuvre et de la
réalisation du projet en oubliant la force de ce qui se construit dans le processus participatif. «Bien
moins étudiée demeure la forme de pensée spécifique au sujet engagé de manière interactive dans
la pratique proprement dite de l’acte» (Mendel, 1998, p.297). Le refus de la réalité, dans sa part de
risque, de contingence, biaise les processus de mise en visibilité de la part sensible de l’acte,
positionnement au cœur des métiers du social (Libois, 2013). L’impulsion émane d’une volonté du
sujet avec une part de responsabilité portée sur ce qui est à advenir. Advenir, car dans l’acte, qui est
le prolongement de l’action, rien n’est écrit à l’avance.
Nous retenons le pré-acte comme conceptualisation d’une réalité à venir, comme méthodologie de
projet, comme intentionnalité relevant d’objectifs prédéfinis. C’est dans le pré-acte que se
construisent un projet, un programme, une vision qui permettent une prise de décision pour
commencer quelque chose. Puis en essayant de maintenir le cap du projet, on rencontre l’acte et son
risque. « On décide une action et c’est à l’acte qu’on a affaire » (Mendel, 1998, p.49). L’animateur
socioculturel se positionne autant dans la pensée de l’acte que dans le réel de l’activité. Il assoit son
activité sur des valeurs et se confronte à la réalité des situations.
5Chez Mendel, l’action est présentée comme pré-acte, articulée à la volonté du sujet, à l’idée de création de
projets, d’événements. Dans cette conceptualisation de l’agir, l’auteur opère une distinction de
positionnement entre action et acte. Pour des raisons de prise en compte du langage commun avec les acteurs
concernés par la recherche, nous avons décidé de garder uniquement la terminologie de pré-acte. Nous
utiliserons le mot action dans la même acceptation large, comme le pratique régulièrement les professionnels
de l’action sociale.
22
L’acte est dévolu au registre du savoir-faire, de l’intelligence pratique, de la pensée en acte. Si l’acte
est une aventure, il ne se situe pas dans le domaine de l’aventurisme. L’acte est ce qui est à venir
devant (ad-venturus) ; il ouvre sur l’inconnu, sur l’imprévisible.
L’acte est bien davantage qu’une gestuelle corporelle décidée par la volonté et qui se termine une
fois l’objectif ponctuel atteint. L’acte se constitue dans un indéterminisme partiel, qu’il s’avère de
penser en incluant une part de contingence à laquelle le sujet va se confronter. C’est en cela que les
métiers de l’humain imposent une double exposition à l’inattendu. Le risque inhérent à tout acte
doublé de l’inattendu dû à la confrontation à autrui. Autrui investi comme objet d’intervention qui
pose de fait une résistance à ce qui lui est assigné. Autrui étant pris lui-même par une part
incontrôlable de ce qui lui arrive et une part de résistance propre à sa réalité.
Une fois engagé dans l’acte, tout retour vers une position initiale d’intentionnalité est impossible.
L’interactivité entre déterminismes sociaux et projet du sujet s’entremêle dans l’acte. L’acte est
pensé comme l’avènement d’un parmi les possibles. Entre le pré-acte et l’acte qui se déroule, s’ouvre
toute la distance qui sépare l’idée de la réalité, l’absolu du contingent, l’action de l’acte. Dans l’acte,
le sujet rencontre une réalité « hors soi » à laquelle il se confronte. Il développe la compétence d’être
là, à la fois engagé dans les situations et porteur d’une distance cognitive et émotionnelle qui ouvre
un espace d’investissement du sujet ou du collectif avec lequel il travaille.
Garder une part de soi hors de l’acte reste essentiel au processus. La nécessité d’une prise de
distance par rapport à ce qui se déroule est indispensable à la capacité de voir l’acte en extériorité
pour y intervenir à bon escient. Une part de professionnalité s’engage, pleinement présente dans
l’acte en devenir, et une part de soi s’oblige à rester en extériorité.
Cette acception de l’acte nous place loin de la position occidentale aristotélicienne, conception
élaborée en chaînes de causes à effets. Avec Mendel, nous pensons que le monde des idées ne
commande pas les dimensions sensibles de l’acte. Le phénomène d’interactivité se développe en
entremêlant le sensible et l’explicatif. L’acte est marqué par des temps d’équilibre et de déséquilibre
mus par cette tension créative. C’est le rapport entre pré-acte et acte qui se joue, qui demande à
être engagé et à laisser advenir. A l’intérieur d’une chaîne de causalité, des bifurcations surgissent,
des créneaux s’entrouvrent, d’autres possibles se développent. Celui qui sur l’instant, sait exploiter
cette situation, fera preuve de style au sens de la psychodynamique du travail. Il sera auteur d’un
savoir-faire issu de la prise en compte de la bifurcation, nécessaire au développement de la situation
au sein de laquelle sont engagés les sujets.
Le post-acte est la part réflexive succédant à l’acte. Le rendre compte, nommé communément
évaluation est partie intégrante du post-acte. Le retour sur expérience est également compris dans
ce temps spécifique de l’activité.
Les pratiques professionnelles aujourd’hui ont largement affaire au pré-acte et au post-acte dans un
découpage finalisé. Pré-acte au sens de l’accent porté sur les méthodologies, sur la clarification
d’objectifs à déterminer et à atteindre. Post-acte au sens de la nécessité du rendre compte de
l’activité, de la remise de rapports et d’évaluations de tous ordres. Les financements par projets vont
littéralement dans ce sens comme les contrats de prestation auxquels sont assujetties les
associations pour l’attribution des renouvellements financiers. Les professionnels du travail social se
23
trouvent fortement engagés dans la préparation de l’acte ainsi que dans l’élaboration de rapports ou
délivrables, laissant la part de l’acte dans un impensé, dans une expectative de deuxième ordre en
termes de priorités.
Dans le cadre de l’épistémologie de l’évaluation que nous avons retenue pour l’analyse des activités
collectives et participatives, nous comprenons l’évaluation comme un processus itératif aux trois
temps de l’activité. Dès le pré-acte, l’intention et la pose d’objectifs sont inhérentes au processus
évaluatif. L’acte est porté par une dimension indéterminée : espace ouvert aux ajustements
nécessaires porteurs d’une dimension évaluative, dans les choix portés par les déplacements
inhérents à l’activité. Pour le post-acte, c’est le temps du retour plus réflexif sur l’activité, porté
essentiellement par un regard rétrospectif sur le déroulement du processus.
PRE-ACTE ACTE POST-ACTE
Dit autrement, nous pouvons résumer l’activité en trois axes interconnectés.
• Téléologique : par la nécessité d’un projet d’action construit sur des objectifs prédéfinis. On
est ici dans le pré-acte avec une pensée consciente et verbalisable.
• Expérientiel : par l’acquisition préalable d’une technique dont une part reste de l’ordre de
l’implicite, du non verbalisable. L’expérience est définie comme une forme accomplie de la pensée
du savoir-faire, comme une aptitude à faire face aux événements.
• Evaluatif : l’expérience s’adosse au post-acte dans le sens que celle-ci se construit à la faveur
d’actes anciens qui ont été digérés, analysés, intégrés. C’est au travers de la continuité de ces
processus que l’expérience se renforce et se transmet.
A C T I V I T E
PRE-ACTE ACTE POST-ACTE
ORIENTATION EXPERIENCE RETOUR SUR EXPERIENCE (REX)
L’indéterminisme partiel exposé par Mendel dans la dimension risquée de l’acte, pose un problème
paradoxal lorsqu’il insiste sur un engagement nécessaire dans l’acte et l’absence de maîtrise de celui-
ci. Mendel nous invite à interroger la notion d’engagement, très porteuse dans le champ du travail
social issu de l’humanisme et de la militance. S’il insiste sur la dimension risquée de l’acte, celle-ci se
surinvestit de la notion d’engagement. « On ne pose pas un acte, on ne l’exécute pas, on ne le réalise
pas. On s’engage dans un acte » (op. cit., p.57). L’homme s’engage dans un processus en prenant un
risque, car l’imprévisibilité sera indéniablement de la partie. Parallèlement l’objet de l’intervention
24
n’est autre qu’un humain ou un groupe de personnes, qui pose de fait une résistance à ce qui lui est
assigné, lui-même étant pris dans l’incontrôlable de ce qui lui arrive. C’est en cela que le
professionnel de l’action sociale s’engage dans l’acte. Il ne s’agit pas d’une militance au sens
politique du terme, mais d’un engagement de soi avec la part de risque que comprend la
confrontation à autrui. Engagement de soi qui devient périlleux dès lors que l’organisation du travail
attend des résultats tangibles et mesurables de l’activité.
Nous insistons sur le fait que l’activité est un processus interactif. Le découpage en trois temps, s’il
est éclairant théoriquement, ne peut être défini de manière désarticulée.
C’est ici que l’évaluation prend tout son sens, dans son obligation à revenir sur ce qui s’est joué et
positionné dans l’activité.
Le sujet est pris dans un processus complexe fait d’un enchaînement d’actes qui s’émancipent d’une
méthodologie préconstruite. Le praticien peut penser le problème de manière abstraite, mais l’acte
l’engage à plonger corporellement dans la situation qui mobilise ses sens, sa motricité. L’intelligence
pratique – tacit skills pour les Anglo-saxons – est une habileté tacite qui engage la subjectivité et le
corps dans le travail. L’intelligence pratique, l’expérience informelle, la pensée concrète, la pensée
associative, le savoir-faire, la culture pratique, le sens technique, l’expérience sensible, le sens de la
matière : autant de mots proches dont il est difficile d’appréhender la réalité concrète. Revenir au
concept de La Métis, l’intelligence rusée décrite par Destienne et Vernand (1989) nous permet
d’approfondir l’intelligence du corps engagée dans l’activité.
La pensée créative engage le corps, les affects, les sens, au-delà de la dimension cognitive
prépondérante au niveau du pré-acte. L’acte se déroule en intériorité corporelle ; souvent le
praticien marmonne, parle tout seul face à la résistance du réel. Il imagine des scénarii possibles, des
rencontres avec la réalité tout en sachant qu’une part d’aléatoire est constitutive de l’acte. Il travaille
bien souvent par essais – erreurs, par images qui se réfèrent à son expérience, mais qui vont devoir
se modifier encore une fois en fonction de l’interaction avec la réalité. L’issue du résultat n’est pas
acquise. Celui-ci est une aventure qui procure une stimulation quant au dépassement d’une
répétition, d’un geste à reproduire. Nous pourrions dire, pour paraphraser Mendel, que l’acte se
développe de manière intuitive et analogique. La pensée elle-même est en acte, dans le sens qu’elle
se construit dans ces temps de contingence sans élaboration consciente et verbalisable. Nous
pouvons distinguer les pensées qui anticipent l’acte, des pensées en situation d’actes, mais toutes
restent indéniablement en mouvement.
Si nous nous référons à la différenciation entre le prescrit et le réel au sens de l’ergonomie en pays
francophones, le savoir-faire chez Mendel se glisse dans l’écart des ergonomes. Le savoir-faire n’est
pas objet uniquement de l’acte, dans le sens où il se nourrit de l’observation des règles de l’art, des
connaissances théoriques de base, de l’expérience des gestes facilitateurs, des « ficelles du métier ».
Tout comme le savoir-faire n’annule pas la dimension de risque intrinsèque à l’acte. Ce qui reste à
inventer est justement ce qui n’a pu être mécanisé, ou dans les relations de service, ce qui n’a pu
être anticipé, ce qui ne peut être transférable. Ici se déploient les notions de métis, de ruse,
d’astuces, comme capacités à oser sortir des sentiers battus. Cette pensée est également tirée de
l’expérience, mais dépasse la simple reproduction de l’acte. L’expérience se renouvelle au travers de
25
l’inventivité nécessaire au dépassement du déjà connu, par la singularité des situations qui toujours
interpelle le professionnel.
Faire preuve de professionnalisme passe par la pose d’objectifs partagés. Toutefois, nous l’avons dit,
les métiers de l’humain ne se déterminent pas par une activité préconstruite.
« L’étude de tous phénomènes humains nécessite la prise en compte d’une double dimension ;
subjective et objective » (Mendel, 1998, p.70). Ainsi, les sciences sociales et humaines ne peuvent
échapper à une interactivité entre subjectivité et objectivité. Nous pouvons alors parler de
construction contextualisée.
Conception contextualisée de l’agir :
Cheminement d’un professionnel dans un contexte en mouvement, dans un système de contraintes
diverses, de forces agissantes endogènes et hétérogènes souvent contradictoires.
Forces agissantes
EFFETS
OBJECTIFS INTENTIONS
L’agir du professionnel est traversé par un champ de forces agissantes sur l’activité en cours.
Rappelons que la pratique participative demande de la co-construction de l’agir en vue d’une
autonomisation des personnes ou des collectifs. Dès lors l’animateur n’est pas une force de décision
ou plus précisément ne peut avoir le plein pouvoir sur le déroulement de l’activité.
Nous avons insisté sur les dimensions contextuelles et organisationnelles omniprésentes dans l’agir.
Le travail, selon Clot (2006) se décline au sein des quatre dimensions qui recoupent les forces
agissantes endogènes et exogènes de l’agir professionnel. Articulation du personnel et de
l’interpersonnel, notions complétées du transpersonnel – la culture du lieu - et de la dimension
impersonnelle liée au prescriptif. L’organisation du travail est un fait objectif qui peut être traité
comme une composante explicative et causale, mais aussi tenue par des sujets, agissant et pensant.
Nous sommes en présence d’un modèle complexe explicatif et compréhensif au sein duquel
organisation du travail et sujets au travail se trouvent en interactivité constante. Tenir compte du
social et du psychologique permet un double regard et ouvre l’intervention sur un mouvement
26
d’appropriation de l’acte par engagement et résistance à ce qui s’impose à soi. L’organisation du
travail est un fait social qui agit de manière déterminante sur les processus psychologiques et les
représentations de l’homme au travail. Mais l’acte ne se réduit pas au sujet qui y prend part. Là,
peut-être plus qu’ailleurs, le soin porté à l’interaction dans le déroulement de l’acte est constitutif de
l’agir. Notre épistémologie de la pratique rejoint la définition de l’acte en trois temps définie par
Mendel constituée d’une intention dans le pré-acte, de la part risquée de l’acte et de réflexivité
instituée comme post-acte. Penser l’évaluation de l’activité collective demande à tenir compte de ces
trois temps en insistant sur l’interactivité et la fécondation réciproque que cela produit. L’évaluation
est portée par ce processus en mouvement.
C’est à partir de cette conception de l’agir collectif et de l’évaluation participative que nous
conduirons notre projet de recherche.
1.5. L’évaluation : cadres théoriques
L’évaluation de programme est un champ vaste avec des pratiques variées, qui diffèrent selon les
approches évaluatives, ou stratégies opérationnelles retenues (Daigneault 2011, p.2). Les chercheurs
s’accordent à distinguer plusieurs générations d’évaluations qui se sont développées au fil du temps.
Valéry Ridde, dans l’introduction générale à son ouvrage « Approches et pratiques en évaluation de
programme », décrit succinctement quatre générations d’évaluation (Ridde & Dagenais 2009, p.14):
- la première est celle de la mesure, dont l’évaluateur est un spécialiste ;
- la deuxième est plus de l’ordre de la description, dans laquelle l’évaluateur s’attache
principalement aux processus qui permettent la survenue des effets constatés ;
- la troisième, dans laquelle le défi de l’évaluateur est de porter un jugement sur les résultats
obtenus en regard des objectifs initialement fixés ;
- la quatrième, qui se veut plus interactive et dans laquelle il s’agit non seulement de
reconnaître le point de vue et les valeurs de l’ensemble des acteurs concernés, mais aussi de
faire en sorte qu’ils fassent partie intégrante de ce processus.
Certains auteurs estiment qu’une cinquième génération s’est récemment développée, sans que la
pratique soit encore très répandue. Cette nouvelle façon d’appréhender l’évaluation propose que la
société civile « prenne le pouvoir ». En d’autres termes, les bénéficiaires des programmes à évoluer
sont intégrés aux processus évaluatifs (Baron & Monnier, 2003).
Les trois premières générations d’évaluation sont dites « managériales ». En effet, elles sont faites
principalement pour et par l’administration, et les acteurs concernés ne sont pas impliqués dans la
démarche. Les deux dernières générations d’évaluation introduisent deux dimensions de la
participation, la « largeur » et la « profondeur ». La largeur relève de la diversité des groupes
d’intérêts impliqués dans le processus (des commanditaires aux bénéficiaires directs et indirects). La
profondeur mesure le degré d’implication des groupes d’intérêts.
27
Le choix d’un type d’évaluation est lourd de sens. Comme le dit Ridde (Ridde & Dagenais, 2009, p.17),
« l’évaluation, en tant qu’activité humaine, est source de tensions et de relations de pouvoir ». Dans
le contexte de cette présente recherche, pour être en adéquation face aux spécificités de l’animation
socioculturelle et ses valeurs, la démarche se doit d’être participative. Le but est de participer à la
construction d’un processus d’évaluation permettant de rendre compte des réalités du travail social
et ainsi de répondre à une demande étatique de visibilité de l’activité.
La stratégie évaluative participative repose sur une approche pluraliste fondée sur la négociation. Les
acteurs participent aux différentes étapes de l’évaluation, ce qui leur permet d’acquérir de nouvelles
compétences propres à l’évaluation de programme, aidés par les évaluateurs externes ou internes
avec un rôle déterminé à cette tâche qui offrent une expertise et un accompagnement tout au long
du processus. Cette vision sous-entend l’idée que « pour qu’une évaluation soit utile, et donc utilisée,
il est nécessaire qu’elle soit construite à partir des enjeux, des intérêts et des valeurs des
protagonistes de l’action publique, et qu’elle permette à ces agents de s’approprier ses résultats en
les associant à son processus » (Baron 2001, p.12).
Dans le domaine de l’évaluation participative, deux courants existent, selon Cousins et Whitemore
(1998), l’approche dite « pratique » et l’approche « transformative ». L’approche pratique permet
aux parties prenantes d’améliorer leur vision de l’évaluation, leur appropriation et finalement
l’utilisation en elle-même de l’évaluation (Cousins & Whitemore, 1998, p.6). Dans cette même
dynamique, l’approche transformative va plus loin, en supposant un changement social dans la
mesure où les connaissances et les pouvoirs sont transférés des mains des experts externes à celles
des principaux protagonistes. Un but important de cette approche est le développement du pouvoir
d’agir des personnes chargées de la mise en place des programmes visés par l’évaluation à travers
leur participation au processus évaluatif en respectant leur propre savoir. Dans le cadre de notre
recherche évaluative dans le champ de l’animation socioculturelle, ces notions prennent tout leur
sens en sachant que cet axe de travail est inspiré de la notion de « conscientisation » de Paulo Freire
(Cousins & Whitemore, 1998, p.8). Les « évalués » sont amenés à saisir les connections entre la
connaissance, le pouvoir et le contrôle en participant au processus d’évaluation. La distance entre les
chercheurs et l’ « objet » de leurs recherches est comblée par leur travail collectif.
28
Une approche participative de type « empowerment », de 5ème génération ou d’émancipation,
permet en outre de promouvoir les bénéficiaires en tant qu’architectes des processus les concernant
et non comme des bénéficiaires passifs des mesures mise en place et évaluées.
Qu’est-ce que l’empowerment ? Comment traduire cette notion en français? Jean-François Bélanger
propose une étude de l’« empowerment évaluation » dans un numéro des Cahiers de la performance
et de l’évaluation consacré aux approches théoriques en évaluation (Daigneault, 2011, pp.7-16). A ce
propos, il revient sur les différentes traductions du terme anglais « empowerment » proposées en
français. Il s’appuie sur les travaux de Le Bossé (2003, pp.45-47) pour proposer de remplacer la
définition du concept d’empowerment par l’expression « pouvoir d’agir ». Pourtant, la traduction
diffère dans le contexte de l’évaluation. Selon Bélanger, en référence aux travaux du fondateur de l’«
empowerment évaluation » David M. Fetterman, docteur en anthropologie, la traduction la plus
correcte est « évaluation habilitative » en lieu et place d’« évaluation émancipatrice ». Pour notre
recherche, nous retenons la terminologie de l’évaluation participative.
Au niveau scientifique, la question de l’évaluation participative favorisant l’« empowerment » est en
développement dans les sciences humaines et sociales, et notamment dans le travail social. La
création, ou l’accompagnement d’évaluations dans des cadres situés, mobilisant la participation des
différents acteurs concernés, complétant sur le plan qualitatif les évaluations de type quantitatif est
en plein essor. Un intérêt existe de la part de décideurs politiques pour le développement d’outils
d’évaluation qualitatifs, respectueux des processus participatifs. Nous pourrons alors parler
d’évaluation participative.
L’aboutissement de la recherche, d’un point de vue pragmatique et appliqué, serait la création d’un
processus d’évaluation participatif qui permettra non seulement aux acteurs du terrain,
professionnels et bénéficiaires, de réfléchir sur les problèmes rencontrés, mais aussi d’en rendre
compte aux instances externes. La dimension participative telle que nous la développons devrait
également permettre de dépasser les a priori actuels et méfiances souvent fondées des
professionnels face aux démarches classiques d’évaluation.
Dans ce sens, il importe de pouvoir incorporer au processus d’évaluation les personnes auxquelles les
actions sont destinées. A ce propos, un article relatant l’expérience d’impliquer directement les
bénéficiaires d’un programme montre les difficultés et les coûts inhérents à une telle volonté
(Whitmore & Mckee, 2001). En effet, cette collaboration nécessite de mettre à disposition un espace
de rencontres et de discussions qui est en général réservé aux pairs. Elle nécessite un temps
d’adaptation qui permet de trouver un langage commun. Ces efforts permettent ensuite au
processus d’évaluation d’être plus constructif, en ne négligeant aucune partie prenante.
Face à ces problèmes d’ordre organisationnel, tout en restant dans une dynamique participative
forte, nous avons adopté une évaluation que l’on pourrait qualifier de 5ème génération tout en
sachant les écueils organisationnels et philosophiques auxquels nous serons confrontés. Les
bénéficiaires seront intégrés dans le processus de recherche, mais cela ne sera pas suffisant pour
parvenir à développer une conscience des processus participatifs entre les différents acteurs :
professionnels, membres bénévoles du comité et participants. La part active des professionnels
engagés dans le processus d’évaluation sera à analyser au terme du processus pour opérer une
distinction plus claire entre 4ème génération et 5ème génération.
29
1.6. L’évaluation interactive
Michel Vuille, sociologue à Genève, a publié en 1992 un livre intitulé « L’évaluation interactive, entre
idéalités et réalités : recherche sur les pratiques d’évaluation en animation socioculturelle ». Cet
ouvrage montre combien l’activité des animateurs socioculturels est diversifiée et complexe tenant
au fait que l’action est par essence collective et que les partenaires y sont nombreux. « Sur le plan
sociopolitique, l’animateur discute et négocie la finalité de ses projets avec des partenaires proches
et lointains (association, comité, fédération, autorité cantonale). Au niveau psychorelationnel, il
négocie la mise en œuvre de ses projets, d’une part avec ses collègues (préparation), d’autre part
avec les usagers eux-mêmes (réalisation) » (Vuille, 1992, 4ème de couverture). Cette recherche-
interaction place en exergue le processus lié à la mise en place de projets d’intervention, processus
identifié en trois temps principaux : organisation – logique d’action – réalisation (OGALARA). Dès lors
l’évaluation interactive n’est pas un simple bilan, elle se construit à partir des trois temps de
l’activité, lorsque les animateurs posent des orientations, lorsqu’ils construisent leur logique d’action
et en troisième lieu lorsqu’ils prennent le temps de poser un bilan qui devra permettre une nouvelle
construction des orientations selon les indications fournies. L’auteur montre combien il est essentiel
de travailler ces trois temps de l’activité avec les partenaires, mais aussi combien il est difficile de
poser les critères d’évaluation qui doivent reposer sur les valeurs défendues et l’expérience acquise.
Ainsi, l’évaluation ne peut pas se résumer à la production d’un bilan, c’est-à-dire mesurer « après
coup » la conformité des résultats obtenus dans l’animation par rapport aux objectifs fixés. C’est
l’ensemble du processus que l’on retiendra comme définition de l’évaluation interactive.
Plus précisément, dans cette présente recherche, l’évaluation est perçue comme un processus
participatif, qui à partir des valeurs, missions et objectifs qui structurent l’animation socioculturelle,
cherche à produire du matériel permettant de rendre compte des activités d’un centre de quartier.
Le processus évaluatif va donc conduire à un travail d’investigation, d’interrogation et d’analyse,
globale et pluraliste, à travers un questionnement propre à l’animation socioculturelle. Ainsi,
l’évaluation permet, à travers un ou plusieurs regards critiques, de comprendre ce qu’une maison de
quartier, à travers ses activités, réalise.
Toujours dans l’optique d’aller plus loin que le bilan, le processus évaluatif souhaité ne vise pas à
déterminer un degré de conformité à telle ou telle norme, mais à permettre aux acteurs d’établir le
niveau de qualité des activités atteint et à porter une appréciation documentée et étayée à ce
propos. Comme nous l’avons décrit, l’évaluation c’est aussi donner une valeur à un ensemble d’actes
et une possibilité de reconnaissance du bien-fondé de l’activité. Ce dernier point est très important,
car la présente recherche souhaite répondre au défi de la qualité, cette dernière étant vue comme
une notion qui concentre à la fois les exigences de la commande publique et les finalités de toute
organisation à mission sociale. L’ensemble du processus participe à faire connaître et reconnaitre les
spécificités de l’approche socioculturelle dans sa dimension complexe.
Si ce processus d’évaluation doit fournir aux responsables des Maisons de quartier et aux bailleurs de
fonds des informations sur la façon dont les ressources sont utilisées et sur la mesure dans laquelle
30
les objectifs et les activités prévues ont été réalisés, il doit aussi amener à l’élaboration de réflexions
qui aideront les professionnels à améliorer la réalisation des activités à l’avenir.
Cette approche nous permettra de dépasser les écueils découlant d’une logique gestionnaire, qui est
souvent utilisée dans les évaluations de programmes. Cette logique ne perçoit l’action que dans une
perspective instrumentale, c’est-à-dire comme un ensemble de moyens agencés pour atteindre un
objectif défini d’avance. Ainsi, Terzi et son texte « La valorisation sociale et politique de l’animation
face à l’esprit gestionnaire », rejoignent notre vision de l’activité située qui permet de mieux rendre
compte du fait qu’agir n’est pas seulement poursuivre un but par l’application d’une procédure
prédéterminée. Au contraire, c’est « ajuster en permanence ce que l’on fait à des conditions
changeantes et dans une large mesure imprévisibles » (Terzi, p.9).
Les outils nécessaires à une telle production sont à élaborer en commun avec les terrains. Ces
derniers recourent en effet, à divers niveaux et divers moments, à des pratiques d’ajustements,
d’adaptations de leurs pratiques dans les activités proposées. Pour reprendre Vuille, il est possible de
dégager un invariant sans doute observable dans tous les centres : « (…) les partenaires régulent leur
action à travers de multiples « micro-examens » effectués à chaud, à travers des points de situation
informels qui ne laissent pas de trace écrite… » (Vuille, 1992, p.59). Ainsi, l’un des objectifs de cette
recherche est la construction d’outils permettant de rendre visibles ces ajustements que les
professionnels réalisent de façon quasi automatique pour améliorer leurs activités. Et ceux-ci passent
indéniablement par le crible de la co-construction dans les projets participatifs. C’est à ce type de
projet que nous nous intéressons et pour lesquels nous cherchons à construire un outil
méthodologique d’évaluation qui rende compte de l’engagement des différents acteurs. Car c’est
bien le processus participatif d’engagement dans les projets et les problèmes que cela suscite dont il
s’agit de rendre compte aux décideurs plus que des résultats prédéterminés l’action sociale.
31
Chapitre 2 : Méthodologie
2.1. Recherche appliquée
Dans le cadre de cette étude, nous avons mené une recherche appliquée. Une telle recherche a pour
caractéristique d’être conduite conjointement avec des partenaires du monde de la pratique, la
plupart du temps à une échelle régionale et locale6. Elle vise l’analyse et la visibilité des pratiques
professionnelles. Dans notre contexte, nous nous sommes intéressés à la pratique de l’évaluation
participative des actions destinées aux jeunes en milieu ouvert en animation socioculturelle.
Afin de pouvoir explorer finement les pratiques de l’évaluation participative d’une action, il nous
paraissait prioritaire de travailler en interaction forte avec les professionnels. Toutefois et comme le
relèvent très justement Libois et Wicht (2004) dans leur ouvrage sur le travail social hors murs,
« tenter de dévoiler ce qui se joue au cœur du métier reste une démarche particulièrement délicate
impliquant fortement les sujets de part et d’autre. (…) La démarche participative nécessite que
« chercheurs et professionnels du terrain exploré s’engagent, s’exposent et se confrontent » (Libois
& Wicht, 2004, p.18-19). Libois et Wicht (2004, p.17) soulignent également qu’il importe qu’un «
rapport de confiance indéniable entre toutes les parties engagées dans le processus » doive être
établi au préalable. « L’établissement d’un rapport de confiance réciproque peut se construire à
partir de différents socles ou éléments constitutifs, comme la notoriété des chercheurs, leur statut
professionnel, leur connaissance préalable des domaines étudiés » ou encore la connaissance
antécédente des acteurs en jeu. Dans notre situation, l’équipe de recherche comprend des anciens
animateurs socioculturels, nous pouvions donc nous situer dans un rapport de connaissance
préalable entre pairs. Le sujet travaillé dans cette recherche interpelle également fortement les
professionnels. Les équipes s’étant engagées dans le processus de recherche étaient déjà dans une
démarche réflexive sur leurs pratiques en la matière. La recherche devait leur permettre de mettre
en forme, de développer leur réflexion et si possible apporter des réponses. Ainsi, résument Libois et
Wicht (2004, p.19), pour mener une recherche appliquée, il faut « une nécessité de rencontre entre
intérêts réciproques identifiés à des niveaux distincts. Intérêt pour les professionnels à mieux
comprendre l’objet de leur investissement dans l’action et intérêt pour les chercheurs à construire
un objet de recherche adapté et évolutif, les questionnant autant sur l’activité de recherche que sur
l’agir professionnel. »
L’évaluation pose question sur les terrains, mais aussi aux employeurs et aux décideurs politiques. Ce
constat est apparu lors d’une journée organisée conjointement entre la Plateforme romande de
l’animation socioculturelle et la HETS Genève, le 22 septembre 2009. Elle avait réuni professionnels,
politiques et employeurs de la Suisse romande dans le but de « dialoguer sur les enjeux de
l’animation socioculturelle ». Cette journée a clairement montré qu’il y avait un manque au niveau de
l’évaluation des activités en animation socioculturelle. Les indicateurs suscitent des craintes chez les
professionnels, s'ils privilégient le quantitatif sur le qualitatif, et détournent de l'action de terrain
6 tiré du site de la HES-SO, http://www.hes-so.ch/fr/activites-recherche-183.html, lu le 09.10.2013
32
avec les usagers des forces accaparées par leur logique gestionnaire . L’ensemble des acteurs
présents à cette journée a laissé entendre qu’il y a nécessité à ce que l’évaluation soit à la fois
quantitative, qualitative et partagée.
2.2. Groupe de terrains, groupe de chercheurs, groupe de référence
Pour mener à bien cette recherche appliquée, nous avons travaillé sur trois niveaux distincts: terrain,
recherche, expertise. Dans ce but, nous avons formé trois groupes de travail distincts: le groupe de
terrain rassemblant les partenaires terrain, le groupe de chercheurs réunissant l’équipe de recherche
et enfin le groupe de référence formé de personnes extérieures à la recherche apportant un regard
expert à nos travaux.
Le premier groupe est composé des partenaires terrain. Pour construire ce partenariat terrain, les
chercheurs se sont adressés à la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) qui
regroupe l’ensemble des centres de loisirs, maisons de quartier, terrains d'aventures, jardins
Robinson établis sur le canton de Genève. Leur mission consiste à offrir « des espaces de rencontres
conviviaux ouverts sur le quartier et la commune. Dans un objectif de prévention, ils organisent des
activités pour les enfants, les jeunes et toute la population. »7 Etant donné qu’une démarche de
recherche similaire avait été menée en Suisse allemande dans le champ de la jeunesse en milieu
ouvert, et afin de garantir une comparabilité entre les deux recherches, les chercheurs genevois ont
décidé de situer leurs observations dans le secteur des adolescents. Une fois l’accord de la direction
de la FASe obtenu, les chercheurs se sont adressés à deux maisons de quartier susceptibles d’être
intéressées par la démarche. Par la suite, il fallait constituer les groupes terrain (GTerrain) à
proprement parler. Idéalement, les chercheurs imaginaient que chacun des groupes terrain soit
formé de 6 à 8 personnes: des membres associatifs, des jeunes et des professionnels. Il est vite
apparu qu’il était impossible pour les comités associatifs et les professionnels de libérer autant de
personnes, et pour l’employeur institutionnel de les subventionner. Chacun des groupes terrain est
alors réduit à trois ou quatre personnes (deux professionnels, un/deux membres associatifs, des
jeunes). Par ailleurs, les chercheurs estimaient au départ que seuls les professionnels du secteur
adolescents participent à la recherche. Cependant, les coordinateurs d’équipe expriment leur souhait
de faire partie de la démarche de recherche, même s’ils ne sont pas directement sur le terrain avec
les adolescents. En effet, institutionnellement, ils sont confrontés à la question de l’évaluation des
actions. Il est alors décidé que les groupes terrains se composent d’au moins 4 personnes:
- 2 professionnels: le ou la coordinateur/trice et 1 animateur/trice du secteur adolescents
- 2 membres associatifs: 1 ou 2 membres du comité et si possible 1 ou plusieurs jeunes.
7 Tiré du site de la FASe, le 09.10.2013, http://www.fase-web.ch/site/fondation/index.htm
33
Au niveau des deux partenaires terrain, la composition des groupes est la suivante:
Le deuxième groupe, le groupe de chercheurs (GChercheur), comprend l’équipe de recherche: la
requérante principale, Joëlle Libois, professeure et directrice de la HETS Genève, deux co-
requérantes, Ulrike Armbruster Elatifi et Danièle Warynski respectivement chargée d’enseignement
et chargée de cours à la HETS Genève, ainsi qu’un assistant de recherche, Basile Perret. Au niveau
des rôles et des fonctions, Joëlle Libois est garante du volet méthodologique de la recherche, Ulrike
Armbruster Elatifi assume la coordination de la recherche et Danièle Warynski assure le lien avec les
terrains. L’adjoint scientifique, Basile Perret, est présent sur le terrain et s’occupe de la mise en
commun du rapport final du projet de recherche.
Quant au troisième groupe, le groupe de référence (GRéférence), il a pour finalité de conseiller le
processus de recherche. Il apporte également une expertise scientifique sur l’objet de recherche, soit
l’évaluation participative dans le contexte de l’animation socioculturelle. Il est composé, outre les
chercheurs, de membres représentant l’institution partenaire (FASe), le milieu associatif (FCLR)8,
l’Etat de Genève (DIP)9 et la recherche (HETS).
2.3. Etapes ou déroulement sur le terrain
Dans les lignes qui suivent, nous détaillons le processus de recherche. Notre recherche comporte six
étapes distinctes qui s’étendent sur une année. Pour élaborer cette démarche d’évaluation, nous
nous sommes basés sur différents auteurs tels que Smits et Champagne (2008), l’Institut Renaudot
(2012, p.22) et Merchel (2010, pp.60-61). Ces auteurs définissent et décrivent un certain nombre de
phases que devrait comporter une évaluation. Leur nombre est variable d’un auteur à l'autre, mais
nous pouvons distinguer des convergences entre eux. Dans le tableau comparatif qui suit, nous
présentons la démarche d’évaluation défendue par chacun de ces trois auteurs.
8FCLR: Fédération des centres de loisirs et de rencontres.
9 DIP: Département de l’instruction publique
Centre de loisirs de Vaudagne:
Professionnels: le coordinateur et la
professionnelle du secteur
adolescents
Membres associatifs: la présidente
et une membre du comité
Maison de quartier de Carouge:
Professionnels: la coordinatrice et
le professionnel du secteur
adolescents
Membres associatifs: un membre
du comité et trois jeunes du
secteur adolescents
34
Sur cette base théorique, nous avons élaboré nos étapes méthodologiques. Il existe une grande
similitude entre notre méthodologie et celle des trois auteurs de référence. Dans le tableau ci-après,
nous présentons de manière schématique les étapes d’évaluation prévues pour notre recherche.
Nous spécifierons par la suite pour chacune de ces six étapes les buts visés, les apports
méthodologiques et les acteurs engagés.
35
1. La première étape comprend la recherche des partenaires terrain et des experts
scientifiques, l’affinement théorique et méthodologique de la recherche, la planification du
processus de recherche ainsi que l’organisation d’une première rencontre entre chercheurs
et partenaires terrain. Concernant la poursuite des lectures scientifiques en lien avec la
thématique de l’évaluation participative, la difficulté réside dans le fait que cette démarche
se situe à contre-courant de ce qui se pratique en termes d’évaluation. Il n’existe donc que
peu de littérature sur le sujet.
La première étape comprend un deuxième volet, le démarrage de la recherche avec les deux
partenaires terrain choisis. Il s’agit d’organiser une première séance de travail réunissant
chacun des groupes terrain (GTerrain). Chaque GTerrain est composé de quatre personnes au
moins: deux membres associatifs (membre du comité et/ou usager) et deux professionnels
de la maison de quartier (coordinateur et professionnel du secteur ados). Lors de cette
réunion qui se déroule au courant du mois de janvier 2013, l’équipe de recherche explicite la
démarche d’évaluation participative, ainsi que les étapes de recherche. Elle précise les
objectifs de la recherche et valide avec les GTerrain le processus de la recherche. Elle
détermine avec les GTerrain les activités à évaluer et procède à un recensement de l’existant
en matière d’évaluation pratiquée en lien avec les activités choisies. Les activités retenues
émanent du secteur ados.
2. La deuxième étape comporte la définition du cadre théorique de l’évaluation (cf. Smits,
Renaudot, Merchel) ainsi que l’analyse de l’existant. Elle se caractérise également par deux
volets.
Un premier volet réunit le groupe de référence (GRéférence) du projet. Il s’agit pour les
chercheurs de présenter la démarche de la recherche et d’entendre les retours des experts.
Le deuxième volet consiste pour le GChercheur à proposer des valeurs fondamentales de
l’animation socioculturelle pour interroger les valeurs qui fondent les projets retenus par la
maison de quartier. Par ailleurs, les chercheurs recueillent et analysent l’existant en matière
d’évaluation pratiquée. L’étude de l’existant porte sur le matériel écrit mis à disposition par
les deux maisons de quartier partenaires (ex. les rapports d’activités, les rapports de projet,
etc.). Elle sera complétée par du matériel oral tel que récits et entretiens avec les membres
du GTerrain. Cette étape est menée par le GChercheur au courant du mois de janvier et
février 2013.
3. La troisième étape prévoit que les GTerrain co-construisent de manière participative le
problème qui est à la base de l’activité, ainsi que des outils qui vont permettre le recueil de
données en vue d’évaluer l’activité. Les GTerrain comparent également les valeurs
fondamentales de l’animation avec les valeurs sur lesquelles se basent leurs actions.
36
4. L’expérimentation de l’outil de recueil de données et la récolte de données forment la
quatrième étape. Il s’agit d’expérimenter et de mettre en œuvre les outils participatifs
décidés par le GTerrain lors de la précédente étape. Si la construction des outils est investie
par le GTerrain, la mise en œuvre de ces outils est assurée par les professionnels. Là aussi les
chercheurs constituent une ressource pour le suivi des travaux.
A la fin de cette quatrième étape, vers la mi-mai, une deuxième séance de travail avec le
GRéférence est prévue afin d’effectuer un bilan de mi-parcours de la recherche. Une séance
de bilan de mi-parcours est également organisée avec les GTerrain. Il s’agit d’une rencontre
réunissant les deux partenaires terrain. Il faut spécifier que nous avons mené les deux
recherches distinctement et en parallèle dans chacune des deux maisons de quartier et ceci
pour faciliter et optimiser la participation des usagers et des membres associatifs bénévoles.
Deux moments d’échanges et de rencontres entre les deux GTerrain ont été fixés afin de
permettre de croiser les regards et les expériences.
5. La cinquième étape porte sur la co-construction des outils d’analyse du matériel empirique
collecté lors de la précédente étape. Pour ce faire, le GTerrain se réunit pour la quatrième
fois début juin 2013.
Suite à cette séance de travail, l’analyse et l’interprétation du matériel empirique peuvent
être entreprises par les professionnels. Il s’agit d’une démarche formative. Dans cette
perspective, plusieurs séances de travail pour former les professionnels à l’analyse des
données empiriques sont prévues par les chercheurs. Cette étape devrait s’étendre de début
juillet à fin octobre 2013.
6. La sixième et dernière étape consiste à évaluer le processus d’évaluation participative et
éventuellement procéder à une modélisation de la démarche et de ses outils. Cette
évaluation se fait avec le GTerrain élargi à d’autres bénéficiaires, membres de comité et
professionnels.
Pour clôturer la recherche, une séance de travail avec le GRéférence au début du mois de
décembre 2013 a pour objectif de valider la démarche et de mettre en perspective la suite de
la recherche.
2.4. Enregistrement sonore et vidéo, entretiens, analyse de contenu, travail
de groupe, journal de terrain
Maintenant que nous avons présenté le déroulement de la recherche, nous nous attacherons à
expliciter les différents outils méthodologiques employés tout au long de cette étude sur le terrain.
37
Tout d’abord, dans le cadre de notre recherche, nous avons réalisé des enregistrements audio des
rencontres de travail avec les groupes de terrain ainsi qu’avec le groupe de référence. Certaines de
ces bandes sonores ont été retranscrites dans leur intégralité, d’autres partiellement en fonction de
la pertinence pour notre recherche.
Puis, nous avons utilisé différents outils pour la récolte des données empiriques (étape 2 du
processus de la recherche). La co-construction des outils de récolte des données constitue un
moment important dans le processus d’évaluation participative. Les outils sont multiples. Ainsi,
l’Institut Renaudot (2012) propose le questionnaire, la vidéo ou le carnet de bord pour cette étape.
Ridde (2003, p.272) utilise les portraits d’intervention et l’entretien semi-directif avec des
bénéficiaires. Soulet et Châtel (2001) quant à eux explorent les grilles de statistiques portant sur des
dimensions conceptuelles telles que la pertinence, la cohérence interne, la cohérence externe,
l'efficacité, l'effectuation, l'ethnicité, la rentabilité, la légitimité et la reproductibilité. Dans notre
recherche, le groupe de terrain de la Maison de quartier de Carouge a décidé d’expérimenter l’outil
de médiation vidéo pour la récolte du matériel empirique. Les professionnels ont filmé un certain
nombre de séquences tout comme l’équipe de recherche. Concernant la Centre de loisirs de
Vaudagne, le matériel empirique est constitué des bandes sonores réalisées par les chercheurs.
Par ailleurs, des entretiens semi-directifs ont été menés par les chercheurs au début de la recherche
pour étudier l’existant en matière d’évaluation. Ainsi, un entretien d’environ une heure a été mené
avec chacun des coordinateurs d’équipe des deux maisons de quartier. L’entretien semi-directif est
une méthode compréhensive. Elle permet la récolte d’informations qualitatives permettant de
rassembler des faits et opinions des personnes interrogées sur un sujet donné. Il offre la possibilité
de centrer le discours des personnes autour de thèmes définis préalablement et consignés par les
enquêteurs dans un guide d’entretien. Sa richesse réside dans le fait qu’il laisse libre « cours aux
choix de réponse des enquêtés, avec leurs mots et des détails faisant sens selon eux. Cette méthode
permet l’étonnement, ouvre le questionnement sur la complexité des objets étudiés »10. De plus,
« l’entretien semi-directif n’enferme pas le discours de l’interviewé dans des questions prédéfinies,
ou dans un cadre fermé »11. Il importe également de mener ces entretiens en face à face et de
préférence dans l’univers quotidien des interviewés, leur lieu de travail dans notre cas. Ce type
d’entretien est utilisé pour compléter les résultats obtenus par un sondage quantitatif, par l’étude du
prescrit, l’observation de terrain, etc.
Pour exploiter le matériel récolté (entretiens et prescrit), nous avons procédé à une analyse
thématique ou de contenu. Pour Blanchet et Gotman (1992), l’analyse de contenu n’est jamais
neutre. Concernant la démarche méthodologique, il faut dans un premier temps retranscrire
intégralement les entretiens. Ensuite, il s’agit de lire de manière critique les différents textes ainsi
obtenus afin de les décortiquer, désosser, désarticuler. Il est important de chercher à mettre en
relation, recouper, confronter les données, de tenter de comprendre les liens logiques entre les
textes. « L’analyse thématique défait en quelque sorte la singularité du discours et découpe
transversalement ce qui, d’un entretien à l’autre, se réfère au même thème ». Il faut tout
10
http://gers-sociologie.fr/methodes/l-entretien-semi-directif
11http://www.eureval.fr/IMG/File/FT_Entretien.pdf
38
particulièrement faire attention aux « thèmes auxquels le chercheur n’avait pas pensé ou à certains
éléments qui, sans être quantitativement importants, ni répétés régulièrement, laissent entrevoir en
filigrane des pistes nouvelles, qui peuvent constituer de véritables ouvertures pour l’analyse
thématique ». Une fois cette lecture effectuée, il importe de classer ou de coder « les données en des
thèmes et ensembles plus larges » Vient enfin l’analyse des catégories, soit l’identification des liens
entre catégories et thèmes ou, comme le nomme Kaufmann (1996), « l’étape de catégorisation-
conceptualisation (…). Elle s’appuie sur les catégories explicatives relevées précédemment et vise à
faire une présentation cohérente des éléments-clés de l’entretien en les associant à des catégories
explicatives (notions, concepts, etc.) ». Cette étape est essentielle pour un retour sur la question de
départ et l’élaboration d’hypothèses plus fines susceptibles d’alimenter la problématique. La théorie
fondée ou grounded theorie explicite le processus d’analyse de contenu de la manière suivante:
l’analyse de contenu « fournit une procédure qui permet de développer des catégories d’information
(codage ouvert), d’interconnecter ces catégories (codage axial), pour construire un ‘récit’ qui relie les
catégories (codage sélectif) et qui permet d’aboutir à un ensemble discursif de propositions
théoriques ». Dans le cadre de cette recherche, ce travail d’analyse de contenu a été effectué durant
la deuxième étape au moment d’établir un état des lieux de l’existant en matière d’évaluation
pratiquée dans les lieux partenaires.
Comme déjà évoqué plus haut, nous avons, dès le début de la recherche, constitué trois groupes de
travail distincts: le groupe de chercheurs, les groupes terrains et le groupe de référence. Nous avons
donc tout au long de notre démarche géré, modéré et animé ces groupes selon la méthodologie de la
dynamique de groupe restreint (Anzieu & Martin, 1994). Le nombre de participants pouvait varier de
5 à 11 personnes au maximum. En termes méthodologiques, l’animation de groupe vise à faire
avancer les protagonistes en direction des buts, des objectifs de travail préalablement définis et
annoncés. Dans le cadre de cette recherche, notre rôle consistait avant tout à aider les groupes à
échanger leurs points de vue sur différents sujets en lien avec l’étude. Le travail de l’animateur de
groupe est « d'écouter, d'observer et d'utiliser son intuition afin de discerner les besoins et les désirs
des différents participants. Pendant que le groupe porte toute son attention sur la tâche à accomplir,
l'animateur concentre ses efforts sur le processus de la réunion, et sur les personnes composant le
groupe ». Dans notre situation, nous avons également questionné, invité à approfondir, pointé et
relevé les contradictions dans les propos des participants. L’attention de l’intervenant doit se centrer
sur trois niveaux:
- le niveau de contenu: les idées et les opinions échangées entre les participants autour de
l’objectif poursuivi intéressent prioritairement le chercheur. De ce fait, il est primordial
que la parole circule librement, que chaque membre comprenne la pensée de l’autre, se
sente écouté lorsqu’il parle et puisse s’exprimer. L’animateur de groupe peut s’aider de
la technique de la reformulation pour vérifier la bonne compréhension du discours. Il
peut aussi interroger, faire des liens, inviter à expliciter ou encore synthétiser la parole
des participants. Ce niveau vise la production ;
- le niveau de la procédure: pour la bonne dynamique du groupe, il importe de décider en
amont du processus le fonctionnement du groupe, en abordant le déroulement des
séances, l’horaire, la prise de décision, la prise de parole, les règles que se donne le
groupe, etc. Ce niveau porte sur la gestion, le fonctionnement du groupe ;
39
- le niveau socio-émotif ou la régulation: dans tout groupe, des tensions ou des conflits
mineurs peuvent survenir au cours de la discussion. Une charge émotive peut être
causée par des différences de points de vue, la délicatesse du sujet, la protection de
collaborateurs, etc. Le rôle de l’animateur consiste à maintenir un climat favorable au
débat. « Il y parviendra dans la mesure où il fera circuler l’information sur ce que
ressentent les participants concernant le fonctionnement même du groupe et
concernant les différents types de participation qu’il rencontre dans le groupe ». De fait,
il doit savoir accueillir l’émotion, reformuler le propos, relativiser, voire détendre la
situation par une note d’humour, etc. 12
Les ouvrages sur le sujet13 distinguent également différents styles d’animateur allant de l’animateur
autoritaire au débonnaire. Nous avons privilégié le style démocratique, participatif et coopératif. Les
personnes ont le même statut dans le groupe. Elles agissent ensemble, sont interdépendantes et
sont toutes « porteuses du sens » du travail effectué14.
L’animateur de groupe incarne également certaines valeurs et attitudes telles que le respect et la
coopération, l’honnêteté et la franchise, la responsabilité et enfin la souplesse. Il fait valoir que
toutes les idées sont importantes, aucune idée n'a plus de poids qu’une autre.15
Une séance de groupe de travail doit être préparée méticuleusement. Dans cette phase de
préparation, l’animateur doit définir l’ordre du jour de la réunion, son déroulement, le qui fait quoi. Il
doit également convoquer les participants et s’assurer de la bonne organisation et de la logistique de
la séance. Vient ensuite le déroulement de la réunion qui se fait généralement en trois temps:
l’ouverture de la séance, l’échange et la clôture des débats. Enfin, après la rencontre, l’animateur
doit rédiger un compte rendu le plus rapidement possible pour éviter de perdre des informations. De
plus, l’équipe de chercheurs a procédé à un débriefing au sein du GChercheur après chacune de ces
séances de travail.16
Le journal de bord est un instrument très fréquemment utilisé dans la recherche appliquée. Selon
Mucchielli (1996, p.116), il « aide le chercheur à produire une recherche qui satisfait aux critères de
validation de cohérence interne (...). Le journal de bord constitue un document accessoire important
aux données recueillies sur le site ». Il contient les traces écrites, laissées par les chercheurs, lesquels
y narrent les événements (idées, émotions, pensées, décisions, faits, extraits de lecture, etc.)
contextualisés en termes de temps, de personnes, de lieux, de concepts théoriques, etc. Le journal
de terrain doit permettre au chercheur de découvrir, de comprendre et d’expliquer ce qu’il observe
12
http://www.fqli.org/admin/custom/datas/tiny/Documents_de_references_et_chroniques/Animation_de_groupe_F.Q.L.I.
_2008.pdf
13http://www.capsante-outaouais.org/animation-de-groupe/theorie
14http://www.animer.ch Marc ThiébaudRue du Collège 8 Tél.: 032 8 412 111 E‐mail: [email protected] 2013
Colombier Fax: 032 8 412 787 Site internet: www.formaction.ch
15http://www.sfm.mb.ca/uploads/14%20%20Animation%20de%20groupe%20et%20la%20resolution%20de%20problemes.
16http://www.animer.ch
40
et vit sur le terrain. A travers le journal de terrain, le chercheur peut rapporter certaines informations
recueillies au cours de la recherche. Enfin, il sert à témoigner, à ne pas oublier et à partager les
données, dans leurs aspects plus intimes et singuliers. Baribeau (2004) note à ce sujet que le but du
journal de terrain « est de se souvenir des événements, d’établir un dialogue entre les données et le
chercheur à la fois comme observateur et comme analyste et qui permettent au chercheur de se
regarder soi-même comme un autre. Cette instrumentation est essentielle pour assurer à la fois la
validité interne et la validité externe du processus de recherche ». Un journal de terrain peut
contenir différents types d’écriture: les notes de terrain par exemple qui regroupent les données
recueillies. Elles doivent être claires, simples et traitées avec toutes les réserves habituelles de
confidentialité. Le chercheur peut également y faire figurer les notes descriptives (Deslauriers, 1991)
portant sur les observations, la description de faits, d’événements, la consignation de conversations,
etc. Le chercheur peut y ajouter ses réactions personnelles et ses questionnements. Il y a également
les notes méthodologiques qui concernent directement le processus de la recherche et son
argumentation. Terminons avec les notes théoriques « qui pourraient être, s’il y a lieu, réécrites et
rendues accessibles pour illustrer l’élaboration des idées, des modèles (aspect de conceptualisation),
etc. » (Baribeau, 2004). Toutes ces notes sont datées, accessibles, documentées.
Maintenant que nous avons décrit les instruments utilisés dans notre recherche, nous pouvons
passer à la présentation des partenaires de terrain.
2.5. Présentation des terrains
Durant cette recherche, l’équipe de chercheurs a pu compter sur la participation de deux maisons de
quartier du canton de Genève, la Maison de quartier de Carouge et la Centre de loisirs de Vaudagne.
Nous allons brièvement décrire ces institutions dans ce chapitre.
La Maison de quartier de Carouge
L’Association du Centre de loisirs de
Carouge a été créée en 1963. La
Maison de quartier, par contre, a vu
le jour en 1969. Il s’agit d’une des
plus anciennes maisons de quartier
du canton de Genève. A ses débuts,
elle a fait partie de la « mouvance
militante contestataire proche de la
contre-culture typique des années
70 » (tiré du site de la FASe, lu le
14.10.2013). Ensuite dans les années
80, elle se tourne vers le quartier, ce
qui « aboutit à une collaboration étroite avec les autorités communales de Carouge » et à une
intégration dans la vie locale. La commune de Carouge vit actuellement une importante densification
avec différents projets de construction d’envergure. Dans le cadre de ces nouveaux aménagements,
41
la Maison de quartier déménage, en été 2009, au 3 rue de la Tambourine à Carouge. Elle continue à
gérer deux autres locaux: l’espace Grosselin (espace pour les jeunes) et « les Moraines » qui
accueillent les activités enfants.
La Maison de quartier de Carouge est une association à but non lucratif, affiliée à la Fédération des
Centres de Loisirs et de Rencontres (FCLR) et à la Fondation genevoise pour l’animation
socioculturelle (FASe). La Maison de quartier de Carouge est gérée par un comité composé de
personnes bénévoles habitant ou travaillant à Carouge. Il compte huit personnes. L’association est
forte de 69 membres en 2012.
Au niveau de l’équipe de professionnels permanents, la Maison de quartier de Carouge dispose d’un
taux global d’activités de 550% réparti entre huit animateurs et animatrices17. Cette équipe est
complétée sur le terrain par des animateurs auxiliaires ou remplaçants, des moniteurs qui travaillent
auprès des enfants et des adolescents, des civilistes, apprentis et stagiaires et enfin les intervenants
des cours. Pour le fonctionnement administratif et technique, l’équipe peut compter sur six
personnes : deux secrétaires, une comptable et trois personnes pour la technique et le nettoyage.
S’agissant de ses activités, « la Maison de quartier de Carouge travaille dans et hors les murs,
mettant en avant les collaborations et un travail de réseau avec différents partenaires. Son objectif
principal est d'amener les différents acteurs de la commune à une participation active dans différents
projets communautaires et de proximité. La volonté est de partager une réflexion commune afin de
contribuer ensemble à une meilleure qualité de vie.Afin d'enrayer les réflexes de consommation
passive, l'association vise à travers toutes ses activités, une plus grande responsabilisation
individuelle et collective. La notion de citoyenneté est omniprésente dans chacune des actions
menées. »18
La Maison de quartier de Carouge propose ainsi des activités aussi bien pour les enfants telles que
centres aérés durant les vacances, spectacles, fête du Bonhomme Hiver, sorties de ski, accueil libre,
atelier récréatif, etc. que pour les jeunes comme l’accueil libre, des sorties, des discos, des ateliers
créatifs, des repas, des petits jobs, un local de musique, etc. Le quartier n’est pas non plus oublié
avec des prestations du type: accueil quartier, location de salle pour des anniversaires d'enfants,
repas de quartier (raclette, barbecue à thème), fêtes solidaires, stages créatifs, expositions,
spectacles, etc.
17
tiré du site de la MQCarouge, lu le 14.10.2013
18tiré du site de la MQCarouge, lu le 14.10.2013
42
La Centre de loisirs de Vaudagne
La Centre de loisirs de Vaudagne se
situe sur la commune de Meyrin, à
l’avenue Vaudagne 16. Il s’agit d’un
lieu associatif d’accueil et de
rencontre ayant pour vocation de
« soutenir et développer des
réseaux de contact et de solidarité,
lutter contre la marginalité et
l'exclusion, inciter les habitants à
prendre part à la vie active de la
commune, mettre sur pied un
programme régulier d'activités à
l'intention des enfants et des
jeunes.Son équipement
comprend: des espaces de rencontre et de cours, une salle polyvalente, une cuisine, des ateliers
d'expression, ainsi que le secrétariat »19.
La Centre de loisirs de Vaudagne voit le jour le 8 décembre 1964. « Prévue au départ comme lieu
d’accueil et de rencontres pour les enfants, les adolescents et leurs parents, la Maison Vaudagne a
rapidement élargi son offre à la population adulte: des moments de débats, des semaines
d’information et d’animation ainsi que des soirées ciné-club touchant tour à tour les réalités locales
et mondiales. »20
« L'association Maison Vaudagne est une maison, une équipe de professionnels et de bénévoles au
service de la communauté meyrinoise (…). L’association est rattachée à la Fondation genevoise pour
l’Animation Socioculturelle (FASe) (…).Elle est membre de la Fédération des Centres de Loisirs et de
Rencontres (FCLR) ».21 Son comité, l’organe exécutif, compte neuf membres, huit membres de
l’association et un délégué du conseil municipal de la Ville de Meyrin. L’équipe de professionnels se
compose de cinq animateurs et animatrices. Elle est aidée dans ses tâches par une équipe de
moniteurs et du personnel administratif et technique. Ce dernier comprend quatre personnes.
La Centre de loisirs se divise en quatre secteurs: le secteur enfants s’adresse aux enfants entre 4 et
10 ans. Des activités sur inscription sont proposées comme les mercredis aérés, les centres aérés
pendant les vacances scolaires ainsi que des camps. « Elles ont une fonction de socialisation des
enfants et s’articulent autour des valeurs telles que la solidarité, l’intégration, la prévention, le
respect, l’apprentissage de l’autonomie et des responsabilités ».22 Le secteur « big kids » accueille
19
tiré du site de la FASe, lu le 14.10.2013
20tiré du site de la CLVaudagne, lu le 14.10.2013
21tiré du site de la FASe, lu le 14.10.2013
22tiré du site de la CLVaudagne, lu le 14.10.2013
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des enfants de 10 à 13 ans sur inscription, pour des mercredis et des semaines découvertes. Il y a
également le secteur ados pour les 13 à 18 ans. Ce secteur offre des ateliers comme le foot en salle
ou encore la boxe, l’accueil libre du mardi au vendredi, des repas, des discos, des camps, des petits
jobs et une formation DJ. Le dernier secteur s’intitule secteur « tout public ». Les activités
développées par son équipe s’adressent aux personnes tous âges confondus.
44
Chapitre 3 : Etapes, processus et émergence d’un
modèle
Nous allons dans ce chapitre reprendre les six étapes du processus de recherche tel qu’il s’est
effectivement déroulé. Nous rappellerons pour chaque étape son énoncé initial, formulé lors de la
demande de financement du projet de recherche. Puis, nous analyserons l’écart entre le
déroulement projeté et le déroulement réalisé23. Nous décrirons ensuite le déroulement du
processus de la recherche sur le terrain et exposerons les réflexions successives qui en ont résulté.
3.1. Première étape : la construction de la recherche (nov12-janv13)
Cette étape comporte deux volets.
Etape 3.1.1.
trouver des partenaires terrains
planifier la recherche
former le groupe de référence
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
Ce premier volet initialement prévu durant le mois de septembre à fin octobre a duré plus
longtemps. En effet, la formation des GTerrains et du GRéférence a pris plus de temps qu’estimé au
départ, avec un décalage de trois mois.
Pourtant, le processus va rattraper ce retard et suivre le calendrier prévu, car les temps de rencontre
entre chercheurs et GTerrain produiront souvent, comme nous le verrons, des accélérations
fécondes dans l’avancée du processus. Ce constat montre que la dimension participative du
processus d'évaluation, en réunissant les acteurs lors de moments charnières, en produisant de
l'intelligence collective, démontre une efficacité telle que le retard initial a été rattrapé.
Ce qui tarde le processus est souvent la difficile recherche de dates communes entre usagers,
militants associatifs et professionnels. Anticiper le calendrier de ces rencontres peut même rendre la
démarche d'évaluation participative performante du point de vue et de l'efficience et de l'efficacité.
23
En annexe se trouvent des tableaux synoptiques donnant à voir l’ensemble des acteurs impliqués et le déroulement
chronologique effectif de la recherche.
45
Etape 3.1.2.
expliciter la démarche d’évaluation participative et les étapes de la recherche ; préciser les
objectifs de recherche et déterminer les activités à évaluer avec le GTerrain
valider le processus de recherche avec le GRéférence
Calendrier :
17.1.2013 : GTerrain à Carouge
24.1.2013 : GTerrain à Meyrin
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
Alors que deux réunions de chaque GTerrain étaient prévues, une seule a eu lieu. Elle a condensé la
présentation des objectifs et de la démarche par les chercheurs, le choix de l’activité retenue pour la
recherche par les acteurs de terrain, et le recensement des pratiques existantes en matière
d’évaluation dans la maison de quartier.
Le processus sera soumis à la validation du GRéférence après cette première rencontre des GTerrain
dans l’étape suivante, en sollicitant leur expertise sur différents outils possibles de récolte durant
l’activité.
Déroulement du processus :
Une première séance de travail réunit avec les chercheurs chacun des GTerrain. Lors de cette
première réunion, l’équipe de recherche explicite la démarche d’évaluation participative, ainsi que
les étapes de recherche. Elle précise les objectifs de la recherche et soumet pour validation à chaque
GTerrain le processus de la recherche.
Le GTerrain présente l’activité, dans le secteur adolescents, qui a été choisie pour la recherche.
A la MQCarouge, le GTerrain est composé de trois personnes : la coordinatrice, l’animateur
du secteur ados et un membre du comité de la Maison de quartier, qui assume la fonction de
trésorier au sein de l’association. L’activité retenue pour la recherche est une action
solidaire : « spring session ». Il s’agit d’une action qui a vu le jour deux années auparavant.
Des jeunes de la maison de quartier organisent une journée de solidarité pour soutenir une
association du canton. Le thème de cette année est l’Afrique. Il s’agit d’une activité
ponctuelle qui s’inscrit dans le cadre plus large de l’accueil libre. L’événement, « spring
session », a été fixé au 27 avril 2013. Les jeunes sont invités à coordonner les manifestations
de la journée : hip-hop, rap, beat box, parcours et concert. Ils promeuvent la journée dans
leurs réseaux, s’impliquent dans son organisation, participent le jour-même aux ateliers,
effectuent des démonstrations devant le public en fin d’après-midi, et se produisent en
concert. Les bénéfices de cette journée vont à une action de solidarité Nord Sud choisie par
les jeunes.
A la CLVaudagne, à Meyrin, le GTerrain est composé de 4 personnes : le coordinateur et une
animatrice du secteur ados, et deux femmes membres du comité de la maison de quartier,
dont la présidente. Ils choisissent pour la recherche l’activité « atelier DJ et disco » : les
46
jeunes se forment à tous les aspects de la pratique de DJ pour être engagés lors des discos de
la maison de quartier.
Les actions faisaient partie intégrante du programme d’activités des deux maisons de quartier. Il ne
s’agissait donc pas d’actions créées pour la recherche.
Les chercheurs animent un recensement de l’existant en matière d’évaluation pratiquée dans la
maison de quartier. Au moyen d’un flip chart, chaque GTerrain est invité à lister toutes les pratiques
d’évaluation qui leur viennent à l’esprit, ce qui génère spontanément des discussions sur les points
positifs ou plus problématiques.
Réflexions émergeant des échanges spontanés sur l’évaluation
L’évaluation se révèle être une pratique constante et abondante.
Elle se réalise avec une diversité d’acteurs :
avec les usagers, les jeunes, les parents, les habitants ;
avec les moniteurs et l’équipe, le comité et l’association ;
avec les réseaux du quartier, associations, travailleurs sociaux hors murs;
avec la commune, l'administration communale, les décideurs politiques ;
avec les différents niveaux hiérarchiques de la Fondation pour l’animation : responsables de
secteurs, responsables de région, secrétariat général.
L’évaluation est multiforme : informelle et formelle, orale et écrite, visant à garder trace, ajuster,
développer ou rendre compte d'une activité.
L’évaluation présente un certain nombre de défis :
- Rendre visibles le travail réel et ses effets
- Evaluer l’activité de manière quantitative et qualitative
- Savoir rendre compte de l’action aux décideurs politiques, associatifs, communaux et
cantonaux.
- Formaliser l’évaluation, de manière lisible, significative, non réductrice, sans que l’évaluation
soit chronophage
L'évaluation présente un certain nombre de difficultés :
- L’évaluation prend un temps qui parle de l’action sans forcément servir à l’action.
- Dans la fonction de coordination d’équipe, l'évaluation est redondante: une même
information est donnée à une succession d’interlocuteurs différents, ce qui, à chaque fois,
mobilise du temps.
47
3.2. Deuxième étape : étude de l’existant (janv13-fév13)
La deuxième étape comporte également deux volets.
Etape 3.2.1.
Co-construire un état des lieux de l’existant en matière d’évaluation
Calendrier :
21.2.13 : Entretien avec le coordinateur de Meyrin
22.2.13 : Entretien avec la coordinatrice de Carouge
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
Alors que deux réunions du GTerrain étaient prévues pour cette étape, seuls les coordinateurs ont
été sollicités pour un entretien semi-directif et pour la transmission de documents relatifs à
l’évaluation de la maison de quartier.
L'échange mené lors de la séance qui réunissait professionnels et militants associatifs avait déjà
apporté visions, expériences et réflexions quant à l'évaluation pratiquée dans la maison de quartier.
Les chercheurs ont effectué une analyse des entretiens et documents fournis pour la soumettre aux
GTerrain dans la prochaine et troisième étape de la recherche.
Déroulement du processus :
Premièrement, les chercheurs ont travaillé à identifier les valeurs fondamentales de l’animation
socioculturelle pour vérifier la conformité entre les valeurs du métier et les valeurs auxquelles les
acteurs se réfèrent pour évaluer les activités des maisons de quartier.
Pour établir les valeurs du métier, les chercheurs ont considéré quatre sources de référence :
les valeurs qui fondent le travail social ;
les valeurs des approches communautaires participatives ;
les valeurs de l’action jeunesse en milieu ouvert, champ choisi pour cette recherche ;
les valeurs de la Fondation pour l’animation, institution à laquelle sont rattachées les deux
maisons de quartier partenaires de cette recherche.
Le résultat de ce travail est présenté dans le premier chapitre.
Les valeurs du métier convergent avec les finalités qui se trouvent dans les textes de référence qui
forment le prescrit des maisons de quartier, dans les lignes de sens que les maisons de quartier se
donnent pour objectifs, qui orientent les activités, et que les maisons de quartier rappellent dans les
rapports d’activités.
Deuxièmement, les chercheurs ont dressé un état des lieux des pratiques d’évaluation sur la base de
trois sources d’information.
1. Le recensement des pratiques d’évaluation effectué de manière interactive avec
professionnels et membres de comité lors de la première réunion du GTerrain a fourni une
base quasi exhaustive de cet état des lieux.
48
2. L’étude des documents fournis par les coordinateurs a mis en correspondance cette vision
d’ensemble avec les documents effectifs, et permis d’apprécier la bonne facture des
documents destinés au comité, à la commune ou à la Fondation, d'une part et, d'autre part,
le pragmatisme des notes à usage interne de l’équipe, visant à garder en mémoire les
informations utiles à la poursuite ou l’amélioration des activités..
3. L’entretien avec chaque coordinateur a aidé à situer dans leur contexte ces différents
documents, et à illustrer par des exemples concrets les nombreuses pratiques d’évaluation
des maisons de quartier.
Les chercheurs ont dégagé de l’étude de la documentation fournie et de la retranscription des
entretiens avec les coordinateurs quatre catégories de pratiques d’évaluation qui se retrouvent dans
les deux Maisons de quartier.
1. La première catégorie découle des contrats qui lient la maison de quartier à la FASe et à la
commune : mandat de prestation, contrat tripartite ou projet institutionnel fixent des
missions dans lesquelles s’inscrivent les prestations. Rapport d’activités, bilan comptable
sont produits au moyen d’outils fournis par la Fondation, comme la grille GIAC, ou que les
maisons de quartier créent comme les bilans d’activités. Ces écrits sont produits par les
maisons de quartier avec beaucoup de soin, de rigueur et d’attention. Nous relevons la
grande qualité de ces documents.
L’analyse des textes prescriptifs révèle que les critères d’évaluation ne sont ni nombreux, ni
explicites. Le contrat de prestations entre l’Etat et la FASe invite les maisons de quartier à
« définir leur action en fonction du contexte local en l’inscrivant dans le cadre de la cohésion
sociale ». La convention tripartite FASe - commune - maison de quartier définit les
documents à lui annexer : rapport d’activité, programme annuel d’actions et de réseaux,
budgets et comptes, projet institutionnel. Les documents relatant les attentes communales
ainsi que le projet institutionnel contiennent peu d’indications au sujet de l’évaluation elle-
même.
2. La seconde catégorie relève des objets que l’équipe entend soumettre au comité afin de
pouvoir débattre d’orientations à prendre. Des dossiers sont alors remarquablement
constitués, présentant tenants et aboutissants, raisons d’être du projet et effets attendus,
veillant à informer exhaustivement les membres du comité afin qu’ils puissent se faire un
avis éclairé, tout en respectant la neutralité qui convient, et en distinguant clairement ce qui
tient des préconisations.
3. La troisième catégorie comprend les nombreuses notes d’organisation interne qui servent
au bon fonctionnement de la maison de quartier. Les professionnels ont construit au fil du
temps des outils (grilles, etc.) et des manières de faire (cahier de colloques d’équipe, etc.).
Ces documents sont fonctionnels. Ils sont investis en proportion de leur usage. Des notes
manuscrites dans un classeur opérationnel et bien ordré suffisent pour actualiser les mémos
d’organisation d’activités que la maison de quartier reconduit (commandes et achats de
matériel pour une fête, par exemple).
49
4. La dernière catégorie des pratiques d’évaluation, ce sont ces nombreuses observations et
commentaires qui sont échangés oralement, sur le moment. Ils ont pour fonction de
permettre un ajustement de l’intervention pendant son déroulement, de réguler d’éventuels
désaccords, ou de décharger un trop-plein de tensions pour se rendre à nouveau disponible à
l’agir et à la relation. L’évaluation orale de l’activité est un échange sur le vif à partir d’indices
identifiés par les professionnels: les signes verbaux et non verbaux des jeunes, le taux de
participation, le respect du matériel et des lieux, l’implication des jeunes, etc. Les
professionnels observent, et sondent les participants pour affiner leur interprétation des
faits, en sollicitant les avis, en questionnant, en dialoguant.
Faire remonter ces innombrables petits constats et faits, qui sont chacun pourtant hautement
signifiants tient à l’impossible. Ce n’est sans doute pas à souhaiter, car il faudrait pour transmettre
toute la teneur du travail l’équivalent du même temps de travail.
Comment, néanmoins, en traduire l’essence ? Cette question va continuer de traverser la suite de la
recherche.
Etape 3.2.1. avec le GRéférence :
Réagir sur la recherche en l’état
Élargir les apports proposés pour la suite
Calendrier :
18.2.13 : réunion du GRéférence
Déroulement du processus :
Les chercheurs accueillent les experts pour cette première séance sur les trois séances prévues dans
le dispositif de recherche avec le GRéférence.
Dans cette première séance, les chercheurs soumettent à discussion le processus de recherche afin
de l’ajuster, présentent l’état des lieux des pratiques existantes d’évaluation et sollicitent l’avis des
experts sur le choix d’outils de récolte de données empiriques.
La parole est donnée aux experts :
Le délégué du milieu associatif pense que les membres de comité se préoccupent peu de l’évaluation
des actions et délèguent ces aspects aux professionnels, lesquels rencontrent des difficultés à
expliciter leur pratique d’évaluation.
Le secrétaire général de la Fondation pour l’animation affirme que ce sont les professionnels et non
l’institution qui construisent leur prescrit en tenant compte des référentiels existants (Charte, loi,
statuts, contrat de prestations, etc.). A partir de ce prescrit, ils développent une théorie d’action du
changement social, un a priori sur le sens de l’action. A la base de toute logique évaluative, la théorie
d’action doit être posée avant de définir des intentions d’action. Le professionnel, partie prenante de
l’activité, ne peut garantir l’intersubjectivité. Il peut garantir que toutes les subjectivités s’expriment
et soient pondérées.
Le professeur de la HETS rend attentif au danger de l’auto-évaluation et rappelle l’importance du
tiers neutre que constituent les chercheurs dans cette expérimentation. Il rappelle que le propre de
50
l’évaluation est de mesurer un écart, ce qui implique de préciser une situation initiale à laquelle on
va comparer une situation ultérieure. L’évaluation conduit à expliciter ce qui est fait et le sens donné
à l’activité. Les indicateurs permettent de mesurer l’écart entre ce qui avait été prévu et ce qui a été
produit. L’écart n’est pas forcément source d’un problème à résoudre, il peut aussi être révélateur
d’un nouveau chemin emprunté en fonction de la réalité rencontrée.
Le GRéférence propose des outils pour la collecte de données empiriques :
Journal graphique : un jeune qui ne fréquente pas un groupe note et relève tout ce qu’il
voit.
Journal ethnographique que les jeunes tiendraient sous forme de calepin ou
d’enregistrements sur un iPad.
Grille de capture de l’observation participante, dont les items sont à construire au
préalable.
Journal de bord qui peut consigner simplement les faits, l’analyse et les interrogations.
La richesse et la portée de l’observation participante des professionnels sont méconnues
et trop peu exploitées.
Proximus, un puissant outil de croisement de données
Et les outils existants, à valoriser, tels que les réunions d’équipe et de comité, les flash
débriefing, tous les moments riches en analyse de par l’interlocution, l’intersubjectivité,
l'expression d'une pluralité de points de vue.
L’évaluation nécessite de recueillir des données avec méthode. Dans le cadre d’une évaluation participative, impliquant les acteurs concernés, l’outil de récolte
gagne à être pratique et ludique, tout en fournissant des données qui puissent susciter la réflexivité
collective.
Les chercheurs relèvent qu’intégrer militants associatifs et usagers dans toute activité de manière
participative fait partie des contenus dispensés dans la formation des professionnels.
51
3.3. Troisième étape : retour sur l’étude de l’existant et co-construction
d’une démarche participative d’évaluation (mars 13)
Cette étape avait pour but annoncé :
Co-construire à partir des problèmes et valeurs identifiés une démarche participative
d’évaluation
Calendrier :
7.3.13 : GTerrain à Meyrin.
13.3.13 : GTerrain à Carouge.
16.4.13 et 23.4.13 : réunions de préparation entre jeunes, association Bupp Junior et animateurs à
Carouge.
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
Alors que deux réunions du GTerrain étaient prévues, une seule a suffi, pour la présentation de l’état
des lieux des pratiques d’évaluation existantes et la co-construction participative du problème qui est
à la base de l’activité.
Déroulement du processus :
Les chercheurs commencent par présenter l’état des lieux des pratiques d’évaluation existantes et
similaires dans les deux Maisons de quartier.
Ensuite, les chercheurs suscitent l’échange entre les acteurs présents sur le problème, la
problématique sociale, la raison ou la motivation qui, pour chacun est à la base de l’activité choisie
pour la recherche.
A Meyrin, les chercheurs lancent la discussion avec les acteurs présents, professionnels et membres
du comité, sur le problème à l’origine de l’action « Atelier DJ et disco ».
La question suscite d’abord un retour sur l’histoire et l’origine de l’activité. Un groupe d’ados plus
âgés occupait le centre de loisirs, éloignant les plus jeunes. La fermeture du lieu a permis à une
nouvelle vague de jeunes d’occuper les lieux à la réouverture du centre de loisirs : des jeunes
amateurs de Rapp qui ont évolué vers la pratique de DJ.
La vision du problème que cet atelier pose aujourd’hui révèle différents points de vue au fil de la
discussion.
Les professionnels pensent que la baisse de fréquentation des discos est problématique, car
elle démotive les jeunes qui se forment à la pratique de DJ.
Les membres du comité se questionnent alors sur la manière d’accrocher les jeunes,
cherchant des solutions du côté de la promotion des discos.
La suite de l’échange montre que le projet de disco rassure en partie ces mères de famille,
membres du comité de gestion, qui préfèrent voir les jeunes au centre de loisirs que dans la
rue. L’activité « disco » est pour elles un moyen de prévention.
Les professionnels parlent alors plus particulièrement du jeune adulte qui forme les plus
jeunes à la pratique de DJ, et qui s’est formé lui-même au centre de loisirs. L’enjeu pour les
52
professionnels est de contribuer, avec cet atelier DJ, à socialiser et ancrer ce jeune adulte en
risque de rupture, en renforçant sa construction identitaire.
Puis les professionnels partagent leur préoccupation de trouver comment responsabiliser
davantage les jeunes dans l’organisation des discos. Comité et professionnels réfléchissent
alors à la manière de rendre les jeunes plus acteurs, pour qu’ils soient plus preneurs. Ils
finissent par se demander comment poser la question aux jeunes eux-mêmes.
En termes d’outil de récolte de données, aucun choix n’a été explicitement fait durant la séance.
A Carouge, trois jeunes faisant partie de l’organisation de l’événement participent à la séance du
GTerrain. Les chercheurs questionnent à nouveau les problèmes, les intentions, les intérêts qui sous-
tendent l’événement pour chacun.
A l’adresse des jeunes, plutôt silencieux, les questions sont précises, directes et factuelles :
« Qui choisit les horaires ?... Qu’est-ce que vous en pensez ?… Est-ce que vous sentez avoir une place
dans l’organisation ? »
L'échange révèle que les différents acteurs présents ont pour l'activité des motivations et des visées
différentes.
Les professionnels mettent en avant l’importance de sensibiliser les jeunes à la valeur de la
solidarité dans le but de conscientiser les jeunes par le soutien à une association solidaire.
Leur but est aussi de mobiliser et de valoriser les compétences, les aptitudes et les talents
des jeunes pour tenter de modifier les représentations parfois négatives à leur égard ; de
favoriser leur apprentissage dans la mise sur pied d’un événement et de les responsabiliser
dans l’organisation de la journée.
Les jeunes sont intéressés par la rencontre avec le public. Pour l’un, il s’agit de promouvoir la
musique de son groupe, se produire devant un public qu’il espère nombreux, apprendre à
programmer un concert, et programmer des groupes de musique de son réseau à charge de
revanche. Pour un autre, l’objectif est de réunir ses amis pour saisir l’occasion de pratiquer
une journée de parcours. D’autres veulent montrer ce qu’ils savent faire à l’occasion des
démonstrations qui suivront en fin de journée. Un jeune évoque son intérêt à soutenir une
association intervenant dans un pays en voie de développement.
Le membre de comité s’attache à clarifier les rôles respectifs, entre comité et professionnels,
entre professionnels et jeunes. Il trouve important que les jeunes co-organisent les activités
de la maison de quartier afin qu’ils deviennent acteurs et pas consommateurs de prestations
et de services. Il insiste pour que l’information circule entre l’ensemble des acteurs impliqués
et surtout entre le professionnel et les jeunes. Il défend l’autonomie et la marge de décision
laissée par les animateurs aux jeunes.
Cette fois, les chercheurs questionnent le moyen de garder une trace de l’activité. Les
participants décident d’utiliser la vidéo pour garder des traces et de l’événement et du
processus. A partir de ce moment, l’équipe commence, en l’absence des chercheurs, à filmer
toutes les fois où il est question de la « spring session », lors des accueils et discussions avec les
jeunes, lors des colloques d'équipe ou lors des séances de comité.
53
Les animateurs du secteur ados organisent deux rencontres de préparation de l’événement,
réunissant les jeunes, les intervenants des ateliers beat box et hip hop, l’association Bupp Junior qui
sera soutenue par la « spring session » cette année, et les chercheurs. En fin de séance, les
chercheurs invitent les participants à partager leur intérêt pour l’événement.
Pour les jeunes adultes qui vont animer les ateliers de beat box et de hip-hop, le but est de
vivre de leur art, et d'élargir leur clientèle.
Pour les membres de l’association Bupp Junior, le but est de réunir des fonds qui alimentent
leur projet solidaire.
Réflexion sur la co-construction des problèmes ou des intérêts à la base de l’activité
Plus variés sont les acteurs présents, plus nombreux sont les problèmes ou les intérêts pour lesquels
les acteurs s’intéressent à l’action. Les problèmes ou les intérêts sont différents pour chaque acteur,
mais complémentaires dans une volonté commune de mener l’activité à bien.
La plus-value qualitative apportée par la présence d’acteurs différents (professionnels, membres du
comité, jeunes, intervenants des ateliers, association partenaire) tient à la diversité des points de vue
et à la manière dont cette diversité relativise le point de vue de chacun tout en augmentant ses
dispositions à porter mutuellement attention aux intérêts et aspirations exprimées par d’autres.
En voici quelques exemples à Carouge…
Les jeunes découvrant la pratique artistique des uns et des autres proposent de se
programmer mutuellement et de se produire ensemble.
Un intervenant écoutant la présentation des jeunes militants de l’association Bupp Junior
raconte son propre engagement dans une association solidaire, partage quelques ficelles et
propose de relayer la promotion de leur action.
Tous les jeunes qui ont participé à la réunion de préparation où les membres de l’association
Bupp Junior ont partagé leur motivation sont restés présents le jour de la spring session
durant leur exposé, alors que les autres ont rangé leur matériel et quitté les lieux.
Un autre constat intéressant est de voir que des acteurs, professionnels et militants associatifs, sont
prêts à dégager du temps pour l'intérêt qu'ils découvrent dans les séances interactives qui réunissent
des acteurs différents.
Une membre de comité à Meyrin partage une réflexion allant dans le même sens concernant les
décideurs institutionnels, politiques et même associatifs. Elle évoque que ces acteurs ne s’informent
vraiment que lorsqu’ils sont sollicités pour apporter leur réflexion à un problème posé.
Ces considérations confortent l'hypothèse que l'évaluation gagne à être participative pour au moins
trois raisons. Premièrement, l'implication active des usagers, des militants associatifs, des décideurs
politiques comme des professionnels rend la démarche pour chacun intéressante. Il en découle que
ces différents acteurs se révèlent prêts à dégager du temps pour ces échanges. Deuxièmement, ces
échanges de points de vue différents sont féconds d'intelligence collective, d'entraide mutuelle et
54
d'implication. Troisièmement, il apparait que les acteurs sont plus enclins à mobiliser du temps pour
investir un processus participatif d'évaluation fait de questions posées et d'échanges que pour
investir la lecture solitaire de rapports qui auront mobilisé un temps conséquent de la part des
professionnels de terrain.
55
3.4. Quatrième étape : l’action, l’expérimentation et la mise en œuvre de
l’outil d’évaluation participative (avril-mai13)
Cette étape a initialement pour objectif :
expérimenter, mettre en œuvre les outils participatifs
Calendrier :
Meyrin :
21.3.13 : atelier DJ
22.3.13 : disco
10.5.13 : bilan des ateliers DJ et de la disco entre jeunes et animateurs ados.
Carouge :
27.4.13 : journée Spring Session
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
La recherche va conduire à préciser ce que sont les « outils », en distinguant les outils de récolte de
données pour constituer une trace de l’activité ; et les outils d’analyse de ces données.
Alors que 40 heures étaient comptées pour que les professionnels mettent en œuvre des outils
participatifs de récolte de données, aucune heure n’a été spécifiquement requise des
professionnels pour les besoins de la recherche, sinon le temps qu’a pu prendre, à Carouge, de
filmer la préparation de la « Spring Session », et la coordination des agendas pour permettre aux
chercheurs d’assister à l’action.
Déroulement du processus :
A Carouge, les chercheurs filment le déroulement de la journée : mise en place, ateliers, buvette,
démonstrations publiques, exposé sur l’action de Bupp Junior en Afrique, concert et rangement.
A Meyrin, les chercheurs participent à un atelier DJ, puis à la soirée disco. Ni l’atelier DJ, ni la disco
font l'objet d'un enregistrement, ni en vidéo, ni en son. Les chercheurs participent et consignent
souvenirs et impressions dans le journal de bord de la recherche.
Durant l’atelier DJ et durant l’installation de la disco, les chercheurs questionnent les jeunes
sur ce que leur apporte l’activité. A chaque fois, un jeune prend la parole pour exprimer sa
reconnaissance et son admiration envers le jeune adulte qui les forme. Des jeunes expriment
aussi de la reconnaissance pour la maison de quartier, le matériel de qualité qui est mis à
leur disposition et la confiance qui leur est faite de pouvoir l’utiliser et d’en avoir la
responsabilité.
Un tel échange, durant l'activité, constitue un exemple d'évaluation partagée avec les usagers.
L'échange y étant consigné, le journal de bord en restitue la trace. On peut se demander comment
outiller davantage cette forme d'évaluation participative directe de l'activité.
56
Les chercheurs sont invités à participer à un bilan de l’activité « atelier DJ et disco » qui réunit les
jeunes et les animateurs du secteur ados. Cette fois, ils font un enregistrement sonore de la réunion.
Six jeunes (5 garçons une fille), l’intervenant de l’atelier DJ, les deux animateurs du secteur
ados participent à une séance de bilan de l’atelier DJ. L’animateur du secteur ados,
commence la réunion par rappeler aux jeunes l’importance de la ponctualité. Puis, il leur
annonce que les responsables du secteur ados ont pris la décision de reconduire les cours de
DJ l’année à venir. Par ailleurs, les animateurs du secteur ados ont retravaillé le règlement en
vigueur concernant l’équipe DJ, renforçant les directives. Le nouveau règlement est lu par le
professionnel. Les jeunes et l’intervenant écoutent. Ensuite, l’animatrice présente les
nouveaux tarifs horaires pour l’équipe DJ, tarifs qui, à partir de l’année suivante, sont basés
sur les compétences et les connaissances des techniciens. Pour terminer, les jeunes sont
invités à signer le règlement de l’équipe technique. L’ensemble des jeunes s’engage et signe.
Il est 19 h. La première partie de la réunion est levée.
Tout le monde se donne rendez-vous au rez-de-chaussée pour le bilan des « discos ». Neuf
jeunes (dont une fille), deux moniteurs, les deux animateurs du secteur et le jeune « videur »
participent à cette partie de bilan. L’animateur mène le débat. Il veut savoir ce que les
jeunes pensent des discos et les invite à faire des propositions pour les améliorer. Il sollicite
la parole des jeunes. Ces derniers font plusieurs propositions que l’animateur note. Il spécifie
qu’aucune décision ne sera prise ce même soir.
L'enregistrement de ce bilan constitue une récolte de données qui seront analysées dans la
prochaine étape entre les différents acteurs.
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3.5. Cinquième étape : l’analyse des données empiriques (mai-sept 13)
Cette étape comporte deux temps distincts.
Etape 3.5.1.
Réaliser un bilan à mi-parcours du processus, avec les deux GTerrain réunis, d’une part, et le
GRéférence, d’autre part
Calendrier :
22.5.13 : réunion des GTerrain de Carouge et Meyrin
29.5.13 : bilan à mi-parcours et apports d’outils d’analyse par le GRéférence
Réunion commune des GTerrain le 22 mai
Déroulement du processus :
Les deux GTerrain ont partagé un bilan du processus à mi-parcours de la recherche. C’est la première
fois que les deux GTerrain se rencontraient avec l’équipe de recherche.
Les acteurs font état de retombées positives de ce processus participatif : un DJ ayant fait défaut à la
dernière minute à Carouge, les professionnels de Carouge ont engagé un jeune formé à l’atelier DJ de
Vaudagne.
Les chercheurs, ensuite, pour illustrer des moments clés de la recherche, présentent un extrait
d’enregistrement où l’on entend le membre du comité de Carouge témoigner de la richesse de
l’échange vécu avec les jeunes, ce qui représentait pour lui une première expérience de ce type
depuis qu’il est membre du comité, soit plus d'une dizaine d'années.
Un échange s'ouvre alors sur la présence de membres de comité dans les activités. A nouveau, les
visions sont diverses, voire contradictoires.
Un membre de comité évoque le manque de temps pour des militants bénévoles, et voit leur rôle
dans la définition d'axes stratégiques que les professionnels mettent en oeuvre sur le terrain et dans
la vérification que les activités concrétisent bien ces axes.
Une autre membre de comité relève au contraire le paradoxe entre un grand investissement
demandé des comités sur le plan administratif et leur éloignement du terrain et des usagers. Elle
trouverait intéressant de pouvoir rencontrer les jeunes quand les professionnels les réunissent
autour d’une table pour co-réfléchir à une activité. L'expérience de cette co-réflexion démystifierait
le comité et serait formatrice pour les jeunes.
Une professionnelle évoque en écho les contradictions des professionnels envers le comité : « s’ils ne
sont pas là, ce n’est pas bien, et s’ils sont trop présents, ce n’est pas bien non plus. »
Un professionnel constate que le processus de l’action se construit le plus souvent entre les
professionnels sans les usagers, avec une tendance à penser à l’action terminée, et pas au chemin à
parcourir, au processus de co-construction.
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Tous s'accordent à penser que tous les habitants n'ont pas les mêmes envies, ni le même niveau
d’implication. Certains aiment venir aux fêtes, tenir le bar, d’autres s'engager dans un processus tel
que l'évaluation participative des activités.
Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :
Membres de comité et professionnels constatent à la fois la richesse et la rareté de l’expérience de
co-construction participative et co-évaluation de l’activité.
Comme le relèvent les chercheurs, être présent dès le départ de l’action, permet de donner un sens
collectif ; se poser des questions ensemble rend le processus intéressant. Etre un bon professionnel
serait être attentif à ce que l’autre trouve sa place et soit porteur de projets.
L’activité « Spring session » à Carouge a permis d’expérimenter une variété plus grande encore
d’acteurs, puisqu’aux professionnels et au membre de comité se sont ajoutés différents jeunes :
jeunes impliqués dans la préparation de l’événement, jeunes adultes engagés pour animer les
ateliers, jeunes volontaires impliqués dans le projet Bupp Junior. Le questionnement par les
chercheurs des motivations de ces différents acteurs donne à voir qu’autant il y a d’acteurs, autant il
y a d’intérêts, de visions et d’objectifs différents pour la même activité, tout en gardant un sens
commun à l’activité.
L’échange suscite un intérêt des uns pour les autres. Comme le dit un membre du comité : « les
jeunes sont arrivés avec des objectifs personnels, ils sont partis avec des objectifs collectifs ».
La diversité de points de vue est intéressante pour les acteurs eux-mêmes. En témoigne le fait que
les deux GTerrain, soulignant la richesse de cette rencontre, décident d’organiser la dernière séance
de décembre en commun, prêts à trouver pour cette rencontre un temps en marge des séances
ordinaires de leur comité respectif. L’expérimentation d’un processus participatif ouvre une
disponibilité inattendue et même enthousiaste.
C'est un constat intéressant dans un contexte où un moindre engagement est souvent évoqué parmi
les tendances actuelles. L'expérimentation de la participation donne à constater au contraire un
regain d'implication d'acteurs qui ont pourtant fait part au départ de leurs réserves quant au temps
qu'ils pouvaient investir dans le processus.
Réunion du GRéférence le 29 mai
Déroulement du processus :
Les chercheurs rappellent les étapes depuis la première réunion du GRéférence qui avait suivi la
première rencontre des GTerrain : le recensement des pratiques existantes d’évaluation, la
vérification de la conformité des valeurs sous-jacentes aux activités avec les valeurs du métier, la co-
construction du problème.
Les chercheurs soumettent quelques questions au GRéférence :
Comment articuler un processus participatif d’évaluation et l’exigence de rendre compte de
l’usage des moyens alloués aux décideurs associatifs, institutionnels, politiques, et aux
contribuables ?
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Un tel processus est-il possible pour toutes les activités ?
Peut-on imaginer réduire le nombre d’objectifs et de prestations attendues par les
Communes pour développer davantage la participation ?
Comment éviter d’augmenter la part déjà croissante de travail administratif ?
La parole est ensuite donnée aux experts.
Le secrétaire général de la Fondation pour l’animation genevoise confirme que les objectifs
fixés par les maisons de quartier sont trop nombreux pour investir la participation et le
travail collectif. Il précise que la FASe est en pourparlers avec les communes pour convenir
de ne fixer que 2 ou 3 meta-objectifs par quartier ou commune. Pour rendre compte dans un
devoir de redevabilité envers les politiques, il faudrait démontrer en quoi les actions de la
maison de quartier favorisent l’atteinte de l’objectif fixé collectivement.
Il pense qu’il suffirait que les animateurs réalisent des bilans et/ou évaluations de trois ou
quatre activités par année, avec des éléments qualitatifs concrets sur le quartier. Les
communes elles-mêmes, par manque de temps, ne peuvent pas absorber beaucoup
d’informations. Il ne s’agit donc pas d’être exhaustif dans ce que l’on veut montrer et
communiquer des activités.
Il précise que des outils du rendre compte existent déjà pour les maisons de quartier : la
grille GIAC, quantitative, comporte des espaces plus qualitatifs, et le rapport d’activités ouvre
un espace descriptif qui permet de valoriser les activités et les processus participatifs qui les
éalueraient.
Le professeur de la HETS met en garde face au risque de réifier le quartier et l’Habitant,
décrivant un monotype d’habitant, alors qu’il faut surtout être à l’écoute des besoins lorsque
les gens viennent, à l’occasion des prêts de salles ou des activités enfants, propices pour
entendre ce qui concerne les gens.
Réflexions sur la part de diagnostic préalable dans le processus d’évaluation:
A ce stade, les chercheurs se questionnent sur la formation à donner aux professionnels pour qu’ils
puissent élaborer un diagnostic partagé qui investigue l'environnement.
La question du diagnostic est centrale pour « préciser une situation initiale à laquelle on va comparer
une situation ultérieure » (GRéférence, du 18 février 2014) et informer en quoi l'activité a atteint les
objectifs fixés. En gardant à l'esprit que l'écart entre ce qui avait été prévu et ce qui a été produit
peut révéler un nouveau chemin emprunté en fonction de la réalité rencontrée (GRéfrence, 18
février 2014)
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Etape 3.5.2.
L’analyse des données empiriques avec les terrains. Les objectifs initiaux sont les suivants :
Former à l’analyse et co-construire les outils d’analyse.
Analyser et interpréter les données empiriques récoltées.
Ecart entre le déroulement projeté et constaté concernant les GTerrain :
Il était initialement prévu de réunir trois fois les professionnels pour co-construire des outils
d’analyse avec lesquels ils auraient, disposant de 40 heures, analysé les données constituées dans la
précédente étape.
Ce temps s’est transformé ainsi :
Pour commencer, une séance a réuni les deux GTerrain et l’ensemble des chercheurs pour
faire le point en croisant les regards à mi-parcours de la recherche, entre récolte de données
et analyse de ces données.
Cette séance commune a été suivie d’une séance dans chaque Maison de quartier avec le
GTerrain durant laquelle les chercheurs ont expérimenté avec chaque GTerrain l’analyse
clinique de deux extraits : extraits vidéo, le 12 juin à Carouge sur la journée « spring
session », et extraits sonores le 19 septembre à Meyrin sur le bilan Atelier DJ-disco. Les
chercheurs induisent une analyse inspirée de l’analyse de l’activité, en procédant par
questionnement et invitation à prendre parole sur l’activité qui se donne à voir.
Chaque Maison de quartier était ensuite invitée à visionner ou écouter avec les jeunes l’intégralité du
matériau vidéo ou sonore, qui correspond à environ une heure de film tourné le jour de la spring
session pour Carouge, et une heure d’enregistrement du bilan de l’atelier DJ et des discos avec les
jeunes pour Meyrin. La proposition est de sélectionner des séquences significatives qui seraient
ensuite analysées en réunissant le GTerrain, les jeunes et les chercheurs.
La démarche va suivre un cours différent à Carouge et à Meyrin. Nous allons suivre l’un et l’autre.
Carouge :
12.6.13 : En présence des chercheurs : analyse de 2 séquences filmées de la journée spring session
avec le GTerrain
Sans les chercheurs : visionnement de l’intégrale du film par le GTerrain
Sans les chercheurs : visionnement de l’intégrale du film par les jeunes et interview filmé de
10 minutes par l'animateur qui recueille leurs commentaires à chaud
19.6.13 : En présence des chercheurs : co-construction d’une analyse par le GTerrain en visionnant
les commentaires des jeunes interviewés après qu’ils aient regardé l’intégrale du film.
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A Carouge, en juin 2013 :
Déroulement du processus :
Membre du comité et professionnels ont visionné ensemble l'intégrale de la vidéo, et les jeunes l’ont
visionnée séparément, pour une raison d'agenda. L’animateur a interviewé les jeunes après leur
visionnement de la vidéo, recueillant leurs réactions à chaud et filmant, caméra sur l’épaule, cette
interview. On entend ses questions en voyant les jeunes lui répondre.
GTerrain et chercheurs se réunissent pour visionner cette interview où les jeunes réagissent au film
qu’ils ont regardé séparément.
Le propos des jeunes semble banal. Et pourtant, les professionnels vont en tirer une analyse
pénétrante. Ils comparent ce qu’ont été leurs points de vue sur la vidéo avec le point de vue
des jeunes. Ils réalisent qu’entre adultes, le film leur a donné à réfléchir sur les questions de
genre, de cultures, d’implication, alors que les jeunes attendent de se voir à l’écran dans leur
prouesse sportive, et trouvent la mise en place fastidieuse. Les commentaires des jeunes
révèlent la diversité de leur intérêt, l’un pour son image, l’autre pour les perspectives de
programmation de concerts à venir, le troisième dans le souci que la fête soit une réussite
pour chacun.
Visionner les réactions des jeunes conduit le GTerrain à peréfléchir aux bénéfices du
processus participatif. Tous s'accordent à dire que du lien s’est créé avec ces jeunes, en
particulier avec le comité, de par les séances partagées. Les jeunes connaissent aujourd’hui
l’existence du comité et son rôle. La glace est brisée. Par ailleurs, cette recherche donne à
l’équipe des professionnels l’impression d’un secteur ados plus intégré. Les animateurs
sentent les jeunes plus à l’aise en voyant qu’ils restent plus volontiers à la Maison de
quartier. Ils songent au fait que si la collaboration s’est ainsi intensifiée avec les jeunes, à
travers ce processus participatif, la même approche pourrait réussir avec d'autres usagers et
associations qui utilisent les locaux.
Le membre du comité constate que si l’on veut mieux fonctionner, il faut se rencontrer et se
rapprocher, mais il précise que ça ne peut être tout le temps, à moins d’être animateur. Il
suggère que le processus participatif soit mené pour 3 activités par année. Ce qui rejoint
l’avis du groupe d’experts.
Les chercheurs invitent alors membre du comité et animateurs à imaginer ce qu’aurait pu
être le contenu de la discussion si jeunes et adultes avaient été présents ensemble pour
visionner les traces de l’activité. Les adultes sont persuadés que les jeunes se seraient
ennuyés.
Les chercheurs leur demandent alors quelles questions ils auraient posées aux jeunes s’ils
avaient participé à la même séance. Les questions fusent. Les adultes auraient creusé le
thème de la coresponsabilité pour savoir comment les jeunes l’avaient vécue. Ils auraient
demandé aux jeunes s’ils étaient prêts à recommencer l’année suivante et ce qu’ils auraient
changé. Ils auraient invité un jeune à expliciter ce qui lui avait manqué en termes
d’information pour assurer la programmation du concert. Ils auraient demandé aux jeunes ce
qu’ils avaient appris quant au fait de mener un projet de bout à bout.
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Les chercheurs demandent alors au GTerrain quel outil permettrait de rendre compte de
l’impact de l’activité du point de vue des différents acteurs concernés : usagers,
professionnels, comité, association de la maison de quartier, habitants, quartier, commune…
Un échange créatif s'engage alors qui va lier l'image d'un mât au diagramme de Kiviat et
produire la modélisation du processus d'évaluation participative que voici.
Au moment de co-construire le problème, dans l'étape du pré-acte, tous ne tirent pas à la même
corde, ni dans le même sens. C’est par cette diversité de points de vue et d’intérêts, chacun tirant sur
sa corde, que s’élève le premier mat sur lequel va s'appuyer l'activité. L’acte se déroule, de ce temps
de co-construction du problème, jusqu’au temps du post-acte, où les mêmes acteurs se retrouvent
pour faire le bilan de ce que l’activité leur a apporté.
C’est au membre du comité présent que nous devons la traduction de la métaphore des mâts en un
outil d’analyse, inspiré du diagramme de Kiviat. En s’élevant au-dessus du mât, comme par une vue
d’avion, on pourrait voir les différents sens donnés à l’action par les différents acteurs de cette façon
ACTE
PRE-ACTE POST-ACTE
ACTIVITE
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En veillant à formuler précisément les attentes des uns et des autres au départ, en les assortissant
d’indicateurs, on dispose, au moment du post-acte, d’énoncés précis pour évaluer à quel point, sur
une échelle à définir, l’activité a comblé ces attentes, ou apporté des réponses aux problèmes posés.
Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :
Même si les adultes visionnent un film où les jeunes évaluent l'activité, l'expérience vécue à Carouge
révèle combien la rencontre (même différée) d'une diversité d'acteurs et le croisement de points de
vue différents enrichit l'évaluation de l'activité et la réflexion qui peut en découler.
Un échange direct entre adultes et jeunes, nourri par les questions qui sont venues aux adultes,
aurait pu être plus riche encore, par les réponses des jeunes à ces questions, et l'intelligence
commune qui aurait résulté de l'échange.
Ainsi que le montre la psychodynamique du travail, la confrontation des acteurs au visionnement de
l'activité filmée ouvre à penser, à partir même de cours fragments, les valeurs qui la fondent, les
compétences qu'elle requiert, le sens qu'elle prend, les effets qu'elle produit, etc.
Les outils d'analyse, tout comme les outils de récolte, peuvent se co-construire, dans une
compréhension partagée du processus et des exigences de l'évaluation, avec les acteurs, en
cohérence avec le modèle de l’évaluation participative de 4ème ou 5ème génération.
Meyrin :
10.9.13 : En présence des chercheurs : analyse de 2 extraits sonores du bilan DJ-discos avec le
GTerrain
23.9.13 : le coordinateur écrit aux chercheurs que le centre de loisirs suspend l’analyse de
l’intégralité de l’enregistrement prévue avec les jeunes
8.11.13 : En présence des chercheurs : régulation avec les professionnels
25.11.13 : En présence des chercheurs : des jeunes viennent soumettre un projet de disco pour les
18-25 ans lors d’une séance du comité de la maison de quartier.
A Meyrin, de septembre à novembre 2013.
Déroulement du processus
L’outil de récolte de données n’avait été explicitement ni discuté, ni convenu.
Les chercheurs ont participé à l’atelier DJ et à la disco avec pour seule trace le journal de terrain.
Comme chaque réunion, à Meyrin et Carouge, avait fait l’objet d’un enregistrement audio pour la
recherche, les chercheurs ont pensé qu’il serait intéressant d’utiliser comme matériau récolté sur
l’activité l’enregistrement audio de la réunion de bilan sur l’atelier DJ et les discos qui a réuni les
animateurs du secteur ados et les jeunes.
Les chercheurs ont choisi deux extraits de cet enregistrement pour initier une analyse de l’activité
avec le GTerrain. Cinq minutes d’extrait vont ouvrir à 2h10 d’échanges nourris sur une diversité de
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thématiques : l’assiduité la persévérance et la ponctualité chez les jeunes, l’écoute, l’esprit de
groupe, la dynamique de groupe qui manque à faire cohésion, la nécessité par moments d'être plus
directifs que participatifs quand il faut recadrer une activité, et la difficulté des jeunes à prendre
parole.
Au bilan, le GTravail s’accorde sur l’intérêt de la discussion partagée entre différents acteurs, comité
et professionnels, où l’on se confronte sur les intentions et les façons de faire.
Le GTravail s’étonne de la profondeur de réflexion que l’écoute de 5 minutes d’extrait sonore d’une
réunion génère. L’animatrice partage comment, au fil de l’analyse, lui est apparue l'importance de
consulter les jeunes. Une membre de comité évoque l’utilité d’un modérateur pour un tel échange.
Cependant, cette analyse s’est déroulée en l’absence d’un animateur du secteur adolescents,
présent au bilan avec les jeunes, mais absent du GTerrain.
Alors qu’il était proposé que comité, professionnels et jeunes écoutent ensemble l’enregistrement
intégral de ce bilan pour choisir des passages significatifs, équipe et comité ont écrit aux chercheurs
pour exprimer leur malaise suite à cette analyse d'un bilan avec les jeunes en l’absence de
l'animateur du secteur ados qui l'a co-animé avec sa collègue. .
Une rencontre a lieu avec les chercheurs, ce professionnel, sa collègue et le coordinateur. Cette
rencontre va mettre en lumière l’importance de définir, avec tous les acteurs concernés, dans la
phase du pré-acte, le ou les outil(s) de récolte de données. En effet, l’enregistrement sonore du bilan
a été utilisé par les chercheurs pour servir de base à la réflexion du comité et de l’équipe sans
consultation préalable ni du GTerrain, ni des jeunes et des animateurs impliqués dans le bilan.
Craignant de ne pas motiver les jeunes à venir analyser l'enregistrement de ce bilan avec les
chercheurs et les membres du comité, les animateurs proposent d’intégrer dans la recherche une
séance de comité où des jeunes adultes viendront présenter et défendre un nouveau projet de disco
pour les 16-25 ans.
Les chercheurs acceptent de participer à ce pré-acte d'une nouvelle activité - une disco pour des plus
âgés - et sont invités pour ce point à l'ordre du jour d'une séance de comité. En voici le récit, extrait
du journal de bord des chercheurs :
Quatre jeunes se sont préparés, avec l’aide des animateurs du secteur ados, pour venir
présenter un projet de disco ouverte aux 16-25 ans. Tous ont en mémoire une disco
précédente, pour les 16-25 ans, avec débit d’alcool, qui avait été un succès du point de vue
de l’affluence, rigoureusement cadrée par un personnel de sécurité à l’entrée, mais qui
s’était terminée sur un bilan mitigé, en raison d’une vitre brisée.
D’entrée, l’animatrice propose d’entendre d’abord les jeunes sur leur vision de ce que la
soirée peut apporter avant d’aborder les détails techniques, tels qu’horaire, sécurité, débit
ou non d’alcool. La présidente accepte.
Les jeunes ont le projet de relancer les soirées discos en mobilisant les anciens pour
transmettre aux plus jeunes l'esprit des discos légendaires qui ont fait les heures de gloire de
la Maison Vaudagne. Ils veulent redonner un souffle à ce lieu où ils ont « tout appris de la
vie : le respect avec les autres, mixer, la maturité, savoir que la vie c’est pas comme tu veux,
qu’il faut avoir un bon niveau scolaire à l’école ».
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Les membres du comité aident par leurs questions et leurs reformulations les jeunes à
expliciter leur motivation, les besoins qu’ils identifient auprès des plus jeunes, les attentes
des plus anciens.
Ils les aident ensuite à préciser l’organisation, l’ouverture ou non aux personnes en situation
de handicap, le prix d’entrée, le staff de sécurité, une communication préventive au
voisinage pour annoncer le bruit, …
La présidente conclut sur le projet de faire un bilan de l’activité en réunissant comité et
jeunes.
Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :
Ce moment donne à voir une boucle de qualité, où l’expérience intègre l’apprentissage du premier
processus qui l’améliore. Ainsi, on voit les différents acteurs convenir de commencer plutôt à co-
construire le problème, en abordant les lignes de sens, les intentions de l’activité, et de poursuivre
par les questions de mise en œuvre pratique.
On voit les professionnels et membres du comité déployer du soutien aux jeunes pour faciliter
l’énoncé des intentions et l’explicitation de ce qui motive le projet à l’origine.
On voit enfin se projeter, au moment du pré-acte, un temps de post-acte qui réunira les mêmes
acteurs pour effectuer un bilan de l’activité.
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3.6. Sixième étape : l’évaluation du processus de recherche
La sixième et dernière étape a pour objectif initial de :
évaluer le processus d’évaluation participative et ses résultats avec le GTerrain
procéder à une modélisation de la démarche et de ses outils.
valider la démarche et mettre en perspective la suite de la recherche avec le GRéférence
Calendrier :
3.12.13 : bilan du processus avec les GTerrain de Carouge et Meyrin
17.12.13 : bilan du processus avec le GRéférence
Ecart entre le déroulement projeté et constaté :
Alors que deux réunions de chaque GTerrain étaient prévues pour évaluer le processus d’évaluation
et les résultats, une seule a suffi, qui a réuni, selon leur demande, les deux GTerrain.
Bilan avec les GTerrain
Déroulement du processus
Les membres des deux GTerrain réunis avec l’équipe de recherche font d’abord un retour sur
l’expérience de co-construction participative du problème. Ils valorisent l’expérience d’une vision
plurielle où «on ne cherche pas à avoir le même avis, mais où la diversité des intérêts peut faire
évoluer la vision de chacun ». Découvrir les raisons de l’autre peut relativiser l’ordre des priorités. Co-
construire est formateur. C’est à la fois une école de l’écoute et de la prise de parole, car pour que
chacun se retrouve dans l’orientation donnée au projet, il faut questionner les raisons de l’autre pour
les comprendre, et au besoin oser les confronter, avec bienveillance, sans complaisance.
La question se pose de savoir qui peut garantir ce processus de co-construction.
Les chercheurs avancent que les professionnels ont cette compétence dans leur bagage.
La réflexion des GTerrain se porte alors vers le rendre compte.
L’activité, dans les pratiques de l’animation, évolue par nature, parce qu’elle est réalisée par des
personnes humaines, créatives et ingénieuses, parce qu’elle est ouverte à l’apport des uns et des
autres qui vont l’enrichir et l’ajuster.
Comment, au moment de co-construire le problème, énoncer des objectifs tout en permettant à
l’activité d’évoluer, sans que cette évolution porte à conclure au moment de l’évaluation que
l’activité n’a pas atteint les objectifs de départ, ou que ces objectifs ont été mal planifiés ?
On pourrait imaginer, dans la modélisation de la démarche, des questions simples à poser lors de la
co-construction du problème. Par exemple :
Pourquoi et pour quoi veut-on réaliser l’activité ?
Qu’est-ce qui fait que l’activité serait réussie pour chacun des acteurs présents ?
Le GTerrain se demande comment documenter le retour sur l’expérience, qui réunit les mêmes
acteurs lors du post-acte, de sorte à rencontrer les exigences de l’évaluation et de la qualité.
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L’évaluation, pour être rigoureuse, doit comparer deux points de situation, afin de mesurer l’impact
de l’activité. La qualité, pour être reconnue, doit pouvoir documenter les améliorations apportées.
Les GTerrain conviennent du fait que réunir des gens après une activité pour qu’ils se prononcent sur
l’activité n’est pas une pratique courante. Rendre les gens parties prenantes pourrait être un résultat
en soi, valorisé dans les rapports d’activité. Certes, ce ne serait pas possible de le réaliser pour toutes
les activités, mais un focus pourrait être donné sur quelques activités chaque année.
L’expérience de Meyrin, où des jeunes ont présenté un projet de disco pour les 18-25 ans au comité,
permet de développer l’idée de profondeur dans la démarche, qui précise le niveau auquel chacun
peut déterminer le contenu de l’analyse de ce qui a été produit et prendre part aux décisions qui
vont orienter l'activité à venir. Une membre de comité revient sur cette expérience en partageant un
certain malaise avec l’asymétrie de la situation. S’il y a eu co-construction dans l’échange de points
de vue, il n’y a pas eu co-décision. Les adultes demandaient aux jeunes des informations pour donner
par après leur accord ou pas. Dans l’asymétrie, les questions posées peuvent être vécues comme un
interrogatoire.
Le retour sur cette expérience permet d’éclairer l’importance de clarifier les rôles et de préciser qui
décide de quoi.
Il apparaît ainsi que la dimension participative du processus renforce la citoyenneté au moins de
deux manières.
En visant la codécision de l’activité, ou, à défaut, la co-construction du problème et des
intentions.
En clarifiant les rôles respectifs, le degré de participation, tout en exposant le cadre et les
contraintes inhérentes aux fonctions assumées par les uns et les autres.
En l’occurrence à Meyrin, comité et Centre de loisirs ont à charge le respect des lois concernant la
vente d’alcool, les nuisances nocturnes, etc. Le rôle du comité prend tout son sens dans la
transmission aux jeunes du projet institutionnel, du cadre, des règles, à l’occasion d’un projet auquel
les adolescents sont intéressés, et pour lequel ils sont sans doute prêts à apprendre et intégrer les
règles du jeu social. Le rôle des animateurs est de préparer les jeunes à présenter leur projet, en
intégrant la compréhension plus large des contraintes de l’institution à laquelle ils l’adressent.
Pouvoir montrer qu’un adolescent a évolué dans sa vision et sa compréhension du vivre ensemble
peut constituer une part essentielle de l’évaluation dont les maisons de quartier rendent compte aux
décideurs politiques.
Les GTerrain songent encore aux espaces à créer ou aménager pour co-construire certaines activités.
Un membre de comité envisage d’aller, par exemple, vers les jeunes, dans leurs temps et lieux
d’accueil, pour être en position basse dans l’échange, afin d’équilibrer la position haute qui lui
confère sa fonction au sein du comité. Si co-construire implique du temps à investir, il est clair pour
tous que c’est ainsi que se crée du lien.
A la question posée par les chercheurs de savoir ce que leur participation à la recherche leur a
apporté, les membres des GTerrain ont des réponses diverses. Le processus a été l’occasion de se
réapproprier des fondamentaux de l'animation, tels que la participation. La recherche a permis de
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s’arrêter pour réfléchir, et dépasser des non-dits où l’on reste par habitude, ou par manque de temps
pour les aborder de manière constructive. La recherche a été aussi une occasion d’apprentissage,
avec la fière satisfaction d’avoir co-construit ses résultats. Ce fut aussi « une très belle rencontre ».
Avec cette dernière séance réunissant les deux GTerrain, le processus de la recherche touche à sa fin.
GTerrain et chercheurs saluent leur collaboration qui a permis de co-construire et progressivement
modéliser un processus d'évaluation qui parait à la fois novateur, simple d'application, à contre-
courant des tendances existantes en matière de définition d'objectifs et d'évaluation, et propre à
ramener au coeur de la pratique les fondements de l'animation que sont la participation, la prise en
compte des minorités et des diversités, le débat citoyen, la rencontre, le vivre ensemble et le lien
social.
Les GTerrain suggèrent aux chercheurs la création d’outils pratiques, assortis d'un mode d'emploi,
pour accompagner la conduite de ce processus d'évaluation pour qu'il soit rigoureusement
participatif, dès l'amont de l'activité.
L’envie survient de partager les découvertes de la recherche et les ressources qui en résulteront
avec d’autres Maisons de quartier au sein de la FASe, par une co-présentation entre GTerrain et
chercheurs !
Réflexion sur le bilan
Comme dans le processus d'évaluation participative d'une activité, le temps du post-acte devient
pré-acte. Les acteurs sont prêts à se lancer dans une nouvelle aventure, un nouvel acte, de co-
transmission, cette fois.
La rigueur voudrait que l’on co-construise ce que chaque acteur en attend. Cela prendrait une
séance, certes, mais la question du temps se pose bien différemment pour les acteurs quand le
processus, lorsqu’il est participatif, rejoint l’intérêt que chacun peut y trouver, et crée du lien social.
Bilan avec le GRéférence
Déroulement du processus
Les chercheurs présentent les résultats dégagés par la recherche et l' essai de modélisation de la
démarche qui prend forme.
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1. Dans la phase de pré-acte et de co-construction du problème, on réunit des acteurs différents,
partenaires de l’activité, et on liste pour chaque acteur le problème ou l’aspiration qui le motive pour
l’activité. En s’aidant mutuellement, problème ou aspiration sont traduits en objectifs simples et
précis.
2. Collectivement ou séparément, les acteurs ou groupes d’acteurs priorisent les objectifs qui vont
orienter l’activité. On peut leur attribuer des indicateurs. Peuvent apparaître des objectifs communs
sur lesquels tous les acteurs se mettent d’accord, ou une diversité d’objectifs pour l’atteinte desquels
les acteurs se lancent solidairement dans l'action.
3. Dans la phase de post-acte et de bilan de l’activité, on réunit les mêmes acteurs, pour reprendre
les objectifs co-construits à l'étape du pré-acte, afin d’évaluer le degré auquel ils ont été atteints.
4. Sur un diagramme de Kiviat, les acteurs peuvent jauger à quel degré leurs objectifs leur paraissent
atteints.
Dans cette démarche participative, la diversité est stimulante. Le professionnel n’est pas celui qui sait
pour tout le monde. Il expose comme les autres sa vision des problèmes, ses contraintes, qu’il traduit
en objectifs.
Les chercheurs soumettent aux experts du GRéférence ces différentes questions :
1. Quelle place veulent prendre les acteurs politiques ? Au niveau de l’énoncé des valeurs, du
sens de l’action, d’une convention ? Au niveau de la co-construction du problème ? Aux deux
niveaux ?
2. Comment analyser les données pour rendre compte de l’activité ?
3. Comment peuvent se mélanger ou se teinter les projets des uns et des autres ? Comment
ouvrir la possibilité que puissent évoluer les objectifs des acteurs en cours de projet ?
3
4
70
4. Quels sont leurs retours par rapport à la recherche? Leur évaluation du processus
d’évaluation et des résultats ?
Les experts apportent des réponses à ces questions.
Les élus politiques investiront le niveau de la co-construction du problème si l’activité comporte un
enjeu politique, s’ils sont disponibles pour un processus qui prend du temps.
L’outil présente l’intérêt d’inviter à entrer dans la dimension participative, il en accompagne et en
garantit les conditions-cadre.
Cependant, quelle est la définition d’une activité participative ? Et d’une évaluation participative ?
Est-ce de la participation que d’être dans un collectif d’acteurs ayant des intérêts différents pour co-
construire un ensemble d’objectifs ?
Dans la phase de co-construction du projet, de l’évaluation et des objectifs, il est intéressant
de mettre en évidence, voire de dévoiler, les intentionnalités au plus près de l’exhaustivité,
d’expliciter sa théorie d’action et ses hypothèses causales sur le changement social
de traduire ses objectifs en mots clés
de les décliner en indicateurs précisant ce qui est attendu de l’activité
de vérifier ce qui unit ou sépare les acteurs
de tirer des lignes consensuelles, des axes co-construits et partagés, et de vérifier
l’acceptation du projet commun d’activité par les différents acteurs
de préciser ce qui est mis en œuvre pour atteindre les objectifs définis
Parmi les critères d’évaluation, en plus de présenter les produits et les effets de l’action et du
processus d’évaluation, il serait particulièrement intéressant de montrer si et comment les acteurs se
déplacent dans leur conception des choses, si et comment le dialogue avec d’autres acteurs produit
un déplacement de leurs représentations. L’hypothèse est que plus le collectif avance, plus les
déplacements s’opèrent. Alors l’évaluation participative serait aussi un moyen d’éducation populaire,
de formation permanente et d’accès à une certaine forme de citoyenneté.
71
Chapitre 4 : Synthèse
4.1 Présupposés de départs
Nous sommes partis d’un préconçu qui plaçait la Nouvelle gestion publique (NPG) comme source
des difficultés des professionnels, principalement sur la question de l’obligation de rendre des
comptes sur leur activité. Ce n’est pas réellement le rendre des comptes qui pose un problème de
fond, mais bien les outils ou modalités qui privilégient les indicateurs quantitatifs alors que
l’animation socioculturelle, comme les autres métiers du travail social, relève de dimensions
qualitatives inhérentes aux valeurs de la profession. Toutefois, après une exploration théorique et
empirique, notre positionnement se veut beaucoup plus nuancé. Les valeurs de l’administration
publique relèvent d’un souci d’efficacité et de qualité des prestations fournies aux bénéficiaires tout
en assurant le respect des personnes, l’égalité de traitement, la légalité de l’action publique qui
donne sens à la spécificité des services publics. Après exploration de la littérature, nous sommes
partis du principe que « la nouvelle gestion publique, comme concept uniformément reconnu,
n’existe pas. Il s’agit plutôt d’un catalogue d’éléments plus ou moins admis, approches et méthodes
utilisées pour réformer l’administration ». Sous une forme moins ambitieuse, on emploie
actuellement plus couramment les termes de « gestion par objectifs » et de « pilotage stratégique »
Giauque et Emery (op. cit., p.82).
Nous parlerons plus volontiers de nouvelle gouvernance publique, là où les adaptations du système
s’organisent à partir de l’expérientiel. Pour exemple, le concept de gouvernance participative
cherche à s’établir dans de nombreuses collectivités publiques, partant du principe que les
connaissances métiers sont issues des professionnels au front de l’activité. Ainsi le souci du bottom –
up est devenu légion. Aujourd’hui, nous pouvons relever une certaine tendance au sein de la gestion
publique à remettre le citoyen au centre en lieu et place du client ; les notions de créativité et
d’innovation tout comme l’éthos du service public reviennent au centre des préoccupations. Certains
parlent aujourd’hui du New Public Service, modèle de pensée post NGP, qui place le citoyen et
l’intérêt général au cœur de la mission en lieu et place du client consommateur et de l’esprit
d’entreprise. Le slogan Penser stratégiquement, agir démocratiquement devient le fer de lance de
cette nouvelle approche. La nouvelle gouvernance publique se rapproche du monde des connexions
et des réseaux » (op. cit., p.114). Le modèle du marché est apparenté à la logique des contrats alors
que le modèle des réseaux se construit sur le partenariat. La nouvelle gouvernance publique doit et
peut s’appuyer sur une volonté politique et citoyenne afin de réaliser des prestations efficientes pour
parer au défi du tout sécuritaire, tout en relevant celui du bien vivre ensemble, ceci par une gestion
participative et solidaire du bien commun, de ce qui « fait société ». C’est à partir de ce
positionnement politique que nous avons cherché à construire le problème spécifique de l’évaluation
dans les pratiques participatives en animation socioculturelle, secteur d’activité du parapublic.
Il est important de noter que le modèle gouvernemental suisse est fortement tourné vers une
démocratie participative, offrant aux citoyens plusieurs voies de participation politique, que ce soit à
travers les référendums ou pétitions. Une autre forme de participation passe par le mouvement
associatif, largement répandu et encore très actif, qui permet une externalisation ou une délégation
72
à des tiers constitués des réponses à donner aux problématiques sociales. C’est également une façon
de reconnaître et de bénéficier d’un savoir-faire construit à partir de connaissances internes et
spécifiques directement liées aux prestations à fournir.
Dans ce sens, travailler l’évaluation de manière qualitative demande à prendre en compte la
subjectivité des bénéficiaires. Dans ce sens, l’action menée en partenariat implique une
codétermination des objectifs et une responsabilisation partagée dans l’obtention des résultats; mais
surtout de tenir compte des effets portés par le processus, ceci afin que les objectifs et les modes
d’application et d’évaluation soient au cœur de l’attention plus que la conformité des rendus aux
modèles gestionnaires appliqués stricto sensu. Ce sont les notions de réseau, intra- ou
interinstitutionnels, interprofessionnels et intersectoriels qui se révèlent comme clés essentielles à
l’instauration et au maintien d’espaces situés entre les structures étatiques et la société civile.
C’est à partir de ces présupposés que nous avons construit notre modèle d’évaluation participative
ou d’ « évaluation en partenariat ». Pour Delesalle (2001), une démarche d’évaluation doit être aussi
bien participative (c’est-à-dire faisant participer les « usagers ») que pluraliste (c’est-à-dire portée
par une pluralité d’acteurs). Mais encore faut-il poser les bases de ce que nous avons retenu comme
dimension participative, dimension chère au métier d’animateur socioculturel.
Tout projet participatif implique « de partir de la situation concrète des gens. Ce n’est que lorsque
les gens perçoivent l’intérêt que peut avoir le projet pour l’amélioration de leur situation et
l’accroissement de leurs ressources qu’ils se mettent en route et que la participation peut être
suscitée. Il s’agit ici d’initier une démarche partant des usagers et de les associer véritablement au
projet » (Della Croce, Libois &Mawad, 2011,p.170).
La dimension participative demande une méthodologie d’intervention avec les populations telle que
le développement communautaire l’a produite. Ce domaine est avant tout défini par des
programmes d’action ou des projets élaborés avec les groupes concernés, en lien avec les
problématiques auxquelles ils doivent faire face. Le professionnel a donc pour visée fondamentale la
participation citoyenne des individus et des collectivités en vue de favoriser une prise en charge
solidaire et collective de leurs conditions de vie.
En réalité, au-delà des déclarations d’intention, les dispositifs prévus à cet effet sont parfois réduits à
leur plus simple expression, sans réelle délibération collective, sans action pédagogique adaptée,
sans concertation probante, parfois réduite à de simples effets d’annonce. Ici, on pourrait discuter la
difficulté pour les professionnels à vraiment laisser place aux personnes impliquées et aux collectifs
engagés dans les projets. La participation demande du temps, des allers-retours, des temps morts,
des incompréhensions qui nécessitent à revenir sur les bases du projet, sur ce qui avait été pensé par
les professionnels comme acquis. En termes d’efficacité et même d’efficience, si on regarde l’activité
uniquement du côté des résultats du projet, alors la dimension participative peut ne pas être
regardée comme un outil efficient. Si le focus est porté non pas sur l’objectif initial du projet, mais
bien sur la capacité des acteurs à aboutir à un projet commun, sur la capacité à prendre en compte
plusieurs points de vue et de travailler avec, de regarder le potentiel citoyen qui émerge du
processus, alors la pédagogie participative est largement efficiente. Il faut donc être au clair sur ce
73
qui est évalué, et c’est même aux collectifs d’intégrer la dimension évaluative dans tout projet
participatif.
Ce qui est à retenir derrière n’importe quel projet, ce sont les valeurs de bases de l’animation
socioculturelle qui touchent l’accès au savoir, l’émancipation et la possibilité d’agir sur son
environnement faisant preuve de citoyenneté au sens le plus large d’accès aux conditions du vivre
ensemble. L’objectif est de former des citoyens actifs et responsables par une pédagogie adaptée
favorisant la créativité participative. Associer une dimension humaniste du développement de
l'humain, selon les parcours de vie et l’environnement, dans une visée politique d'émancipation
désireuse d’instaurer une place et un espace de décision à chacun dans la société, c’est cela que
recouvre le concept de participation citoyenne.
Dans la cadre de l’animation socioculturelle, ce mouvement citoyen se construit principalement au
travers de l’associatif. L’association intervient souvent là où l’intégration sociale de la personne est
la plus compromise au vu de l’éclatement des relations sociales et de la montée de l’individualisme.
L’association est souvent un relais entre les personnes et les institutions, un pont entre les citoyens
et l’Etat. Elle permet à la population de formuler des besoins et des demandes qui pourront
contribuer au renforcement de l’identité sociale des personnes et a souvent le rôle de négociatrice
entre les différents acteurs concernés. Les intérêts individuels ont alors l’occasion de se transformer
en intérêts collectifs. L’animateur a pour fonction de rendre les groupes sociaux plus aptes à
communiquer, à décider et à agir en évaluant les besoins, les attentes et les aspirations des
personnes concernées, mais, en premier lieu, en leur donnant la parole sur les questions qui les
concernent.
Si l’éthique normative pose des lignes d’action préétablies, sur lesquelles les définitions du juste et
du faux sont organisées, l’éthique immanente part de la réalité pour la questionner et travailler sur
ce qui pose problème. Cette conception de l’agir permet de travailler avec une pluralité de points de
vue qui demandent à être explicités ou compris selon les problèmes que cela pose à chaque acteur.
Pour l’animation socioculturelle, cette manière d’envisager la réalité permet de penser la diversité
entre pairs, mais aussi entre représentants du monde pluriel comme l’associatif, les élus locaux et
surtout les publics auxquels les animateurs s’adressent. La pluralité d’acteurs qui émanent des
actions collectives et participatives demande aux professionnels de travailler avec un modèle de
pensée ouvert à la pluralité des opinions, problèmes et attentes de chacun. C’est ainsi comprendre
que les contextes sociopolitiques, économiques et culturels agissent fortement sur les conceptions
des uns et des autres et que les situations rencontrées sont fortement agissantes, et forment des
manières de concevoir le monde diverses, voire divergentes, sur un même objet. L’objectif n’est pas
de mettre les différents protagonistes d’accord, mais bien d’accorder une même reconnaissance aux
avis pluriels. C’est certainement là la clé de la participation, mais aussi la difficulté majeure du
positionnement professionnel. Le professionnel est à la fois expert de ces questions, mais se doit de
se tenir au positionnement de garant des processus participatifs tout en laissant aux protagonistes
l’espace libre au cheminement expérientiel d’agir à partir d’une pluralité de points de vue. Eric
Monnier voit le professionnel comme « maïeuticien, médiateur et méthodologue ». Il précise que
« le chargé d’évaluation tente en quelque sorte d’engager les protagonistes dans une démarche
collective pour comprendre les événements sociaux : le point de vue de l’évaluateur doit refléter
74
celui de la collectivité si l’on souhaite que ce point de vue transforme la représentation que les
acteurs sociaux ont de leur propre pratique » (Monnier, 1992, p.132).
Une manière de poser un cadre suffisamment porteur pour que les personnes puissent se sentir
reconnues dans leurs différences et suffisamment proches pour penser un projet commun se
détermine à partir de l’élucidation de valeurs communes à partager. Les valeurs permettent de
construire de la cohésion dans les modes d’agir et de sentir la réalité. Elles construisent de
l’expérience commune qui permet une ligne d’action. Les valeurs peuvent être comprises comme des
forces agissantes sur le cours de l’agir, non pas à comprendre comme justes ou fausses, mais pour
tenir un cadre suffisamment normé pour avancer ensemble. Etre professionnel de l’action collective
demande à construire une hiérarchie des valeurs, qui permettent dans des dilemmes éthiques de
travailler sur les conflits de valeurs. L’animateur socioculturel s’appuie sur des valeurs humanistes,
des valeurs démocratiques, des valeurs de droits humains et des valeurs professionnelles.
Certaines de ces valeurs apparaissent plus souvent que d’autres telles que les valeurs démocratiques
et tout particulièrement la notion de participation et de citoyenneté active. La valeur participative
comprend la facilitation « d’une place et des espaces de décision participatifs au sein de la société
civile, spécifiquement pour les personnes ou les collectifs minorisés ou en situation de vulnérabilité »
par l’animateur socioculturel. Tandis qu’il faut entendre sous la terminologie de citoyenneté la
démocratisation de l’accès aux savoirs, la diffusion de la connaissance au plus grand nombre et la
capacité à exprimer et faire valoir son avis sur des questions qui les concernent. Les valeurs
politiques et critiques sont à travailler « en direction d'un changement des attitudes et des politiques
maintenant les désavantages et les inégalités ». Si nous adhérons parfaitement à la définition de
Bouquet, dans l’animation socioculturelle, cette dimension sociopolitique occupe une place
prépondérante. La dimension politique exige du professionnel de l’animation une posture
particulière, celle « d’intermédiation entre les différents acteurs : les acteurs politiques et
l’administration, les institutions d’action sociale et de formation, la société civile et la vie associative,
les habitants. » Les valeurs culturelles et sociales tentent d’encourager « l’expression des
populations et l’émergence de projets participatifs, en partant de leur actualité, de leurs identités
culturelles, de leur quotidien, de leurs conditions de vie et de leurs aspirations » et le renforcement
du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population à travers des
activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne ». Les valeurs liées
à la dimension locale développent prioritairement des actions caractérisées par un ancrage local, et
sont souvent informelles ou expérimentales.
Dans le cadre de la dimension participative de l’activité, la part et le rôle que joue le professionnel
demandent à être pensés et éclaircis afin de mieux saisir jusqu’où peut intervenir l’animateur
socioculturel. C’est aussi une vraie question épistémologique qui se pose à nous lorsqu’on s’intéresse
à l’évaluation de l’activité. Pour avancer dans la compréhension de cette problématique qui relève de
la posture professionnelle, nous nous étions basés sur les écrits de Mendel. Celui-ci découpe
l’activité en trois temps, soit le pré-acte, l’acte et le post-acte. Du côté du pré-acte, c’est toute la
part d’intentionnalité qui est mise en exergue, permettant de définir un projet commun. C’est ici que
se travaillent les valeurs sous-jacentes à l’activité, et la conformité du projet aux textes prescrits, tels
le projet pédagogique, les objectifs annuels, ou encore les textes relevant des attentes des autorités
75
politiques. L’animateur tente d’asseoir son activité sur des valeurs qu’il s’agira de prioriser en
fonctions des horizons d’attente des différents protagonistes, mais de façon inhérenteà cela, il se
confrontera à la réalité des situations. C’est ici qu’il rencontrera la part inattendue de l’acte.
Rappelons que les métiers de l’humain imposent une double exposition à l’inattendu : le risque
inhérent à tout acte doublé de l’inattendu dû à la confrontation à autrui et à la pensée plurielle des
collectifs.
L’intérêt et la difficulté du métier résident principalement dans cette capacité à penser un projet en
fonction d’un diagnostic posé collectivement, à l’initier tout en restant attentif au processus de la
co-construction. C’est le rapport entre pré-acte et acte qui se joue, qui demande à être engagé et à
la fois à laisser advenir. A l’intérieur d’une chaîne de causalité, des bifurcations surgissent, des
créneaux s’entrouvrent, d’autres possibles se développent. Savoir exploiter cet enchaînement
d’allers et retours tout en restant ouvert à de nouvelles orientations demande un savoir-faire
toujours ajusté. La manière de conduire cette expérimentation implique une présence toute en
finesse, un certain style au sens de la psychodynamique du travail. Nous avions parlé de Métis, de
l’intelligence pratique – tacit skills pour les anglo-saxons – qui est une habileté tacite qui engage la
subjectivité et le corps dans le travail. Revenir au concept de La Métis, l’intelligence rusée décrite par
Destienne et Vernand (1989) doit permettre aux professionnels de sentir un espace de liberté
suffisant pour s’engager aux côtés des partenaires dans l’aventure de l’acte.
Du côté du post acte, ou du retour sur expérience (REX ) se joue la capacité réflexive succédant à
l’acte. Post-acte qui devrait permettre de donner de nouvelles impulsions et lignes d’action en
fonction de l’expérience menée et analysée. C’est ici le déplacement de la pensée qui permet de
montrer la force du développement de la pensée collective issue d’un processus d’évaluation
participative. Le rendre compte, nommé communément et certainement à tort « évaluation » est
partie intégrante du post-acte, dans sa capacité à monter et nommer le chemin parcouru, la
dimension éducative au sens large du processus mené, ce que nous avons développé sous le terme
de citoyenneté, de capacité à participer à un débat, à des controverses, tout en menant de front un
projet collectif établi comme utile à la collectivité.
Nous avions posé comme présupposé que les pratiques professionnelles, aujourd’hui, ont largement
affaire au pré-acte et au post-acte dans un découpage finalisé. Pré-acte au sens de l’accent porté sur
les méthodologies, sur la clarification d’objectifs à déterminer et à atteindre. Post-acte au sens de la
nécessité du rendre compte de l’activité, de la remise de rapports et d’évaluations de tous ordres.
Les financements par projets vont littéralement dans ce sens comme les contrats de prestation
auxquels sont assujetties les associations pour l’attribution des renouvellements financiers. Les
professionnels du travail social se trouvent fortement engagés dans la préparation de l’acte ainsi que
dans l’élaboration de rapports ou délivrables, laissant la part de l’acte dans un impensé, dans une
expectative de deuxième ordre en termes de priorités, comme si le déroulement du projet tenait
dans le fait que les objectifs préalablement posés suffisaient à tenir le projet. Or c’est justement dans
ce déroulement-là que peut ou non s’activer la part créative et citoyenne, dans l’ouverture
nécessaire à la complexité de l’expérimentation. Nous comprenons l’évaluation comme un processus
itératif aux trois temps de l’activité.
76
Nous avions défini l’évaluation participative comme appartenant à ce qui est nommé de 4ème
génération, dans laquelle il s’agit non seulement de reconnaître le point de vue et les valeurs de
l’ensemble des acteurs concernés, mais aussi de faire en sorte qu’ils fassent partie intégrante de ce
processus. La 5ème génération qui s’est récemment développée propose que la société civile « prenne
le pouvoir ». En d’autres termes, les bénéficiaires des programmes à évaluer sont intégrés aux
processus évaluatifs (Baron & Monnier 2003). Comme outils d’analyse concernant ce type
d’évaluation, nous avions retenu les dimensions de « largeur » et « profondeur » qui recoupent
tant la pluralité des acteurs engagés dans l’évaluation que la capacité de chacun à déterminer le
contenu de l’analyse de ce qui a été produit. Comme le souligne Delesalle (2001), il importe de
« s’assurer de la faisabilité et de la légitimité de ce partenariat d’évaluation, ce qui suppose de
préciser qui doit participer (largeur) et comment (profondeur). » Nous pouvons affirmer que la
stratégie évaluative participative repose sur une approche pluraliste fondée sur la négociation et
qu’elle permet à ces agents de s’approprier ses résultats en les associant à son processus tel que
défini par Baron (2001, p.12). Une approche participative de type « empowerment », de 5ème
génération ou d’émancipation, permet de promouvoir les bénéficiaires en tant qu’architectes des
processus les concernant et non comme des bénéficiaires passifs des mesures mises en place et
évaluées. Parvenir à de tels résultats demande une clarification dès le début du processus, afin que
tous les acteurs soient conscients, chacun à sa manière, du projet dans lequel ils s’engagent. Cette
phase d’éclaircissement est bien souvent ajournée, car bien difficile à faire comprendre aux
différents protagonistes qui ne sont pas forcément venus dans cet état d’esprit. C’est là toute la
difficulté de l’évaluation participative qui recoupe en son sein une part d’éducation citoyenne, portée
par des valeurs démocratiques. C’est sur ce point essentiel que se construit ce que les Anglo-saxons
ont nommé « empowerment évaluation », pour laquelle nous avons retenu comme traduction
« évaluation émancipatrice », qui nous relie ainsi au projet de l’éducation populaire ou encore de
l’éducation permanente. Mais notre recherche montre toutes les difficultés et les coûts inhérents à
une telle volonté. En effet, cette collaboration nécessite de mettre à disposition un espace de
rencontres et de discussions qui est en général réservé aux pairs. Elle nécessite un temps
d’adaptation long et parfois fastidieux qui permet de trouver un langage commun. Ces efforts
nécessaires au processus d’évaluation participatif devraient permettre d’être plus constructifs, en ne
négligeant aucune des parties prenantes.
Nous pourrions au terme de cette recherche, reprendre le défi de la qualité, cette dernière étant
vue comme une notion qui concentre à la fois les exigences de la commande publique et les finalités
de toute organisation à mission sociale. Nous définissons la qualité dans un tel processus comme la
capacité à faire émerger une conscientisation collective des enjeux sociaux, qui passe par le rendre
compte du processus participatif élaboré. Nous sortons là clairement de l’évaluation classique
uniformisée qui ne tient pas compte des enjeux multiples des métiers de l’humain au sein desquels
on peut souscrire à une vision unilatérale. Pour cela, il nous reste à construire un outil
méthodologique permettant de rendre visibles les ajustements que les professionnels réalisent pour
améliorer les dimensions participatives de l’activité. Ceux-ci passent indéniablement par le crible de
la co-construction, qui rend compte de l’engagement des différents acteurs.
77
4.2. Modélisation
L'intention de la recherche exploratoire était de co-construire et d’expérimenter avec les acteurs de
terrain un processus d’évaluation participative dans l'objectif d'arriver à une modélisation.
Comme nous le disions plus haut, le défi de la qualité concentre les exigences de la commande
publique et les finalités de toute organisation à mission sociale. Définir la qualité comme un
processus capable de faire émerger une conscientisation collective des enjeux sociaux et de rendre
compte de ce processus participatif, c'est viser les finalités sociales.
La question se pose de savoir comment répondre aux exigences de la commande publique. Nous
avançons deux réponses.
La première s'appuie sur la notion de boucle de la qualité comme développé dans le certificat suisse
de qualité pour les institutions de formation continue Eduqua24 : chaque institution devrait réaliser
cette boucle en 4 phases : analyser les besoins, élaborer et piloter les offres, les évaluer et les
améliorer. C'est l'apport du retour sur expérience (REX) où, au temps du post-acte, analysant
ensemble l'expérience menée, le processus d'évaluation participative, ouvrant au débat, produisant
de la pensée collective, améliore l'activité, précise les lignes d'action, donne de nouvelles impulsions.
La seconde se réfère aux apports de Pernelle Smits, dans le séminaire qu’elle a donné à la Haute
Ecole fribourgeoise de travail social les 6 et 7 novembre 2012 : « L’évaluation dans le travail social et
la santé : des modèles aux évaluations menées, le modèle de l’Université de Montréal ». Cette
chercheuse de l’Ecole Nationale d’Administration Publique (ENAP) et de l’Université de Montréal,
montre que l’évaluation qualitative ou quantitative souscrit aux exigences scientifiques de la qualité
en se conformant à ces critères déterminants :
Un regard est porté sur l’effectué
Le résultat final est comparé avec des objectifs annoncés et explicités
Un commentaire est produit sur ce qui est mesuré
La démarche est transparente
Une méthodologie documentée est consignée dans un protocole
Les conclusions sont strictement fondées sur les données récoltées
Nous reprendrons ces critères dans le modèle exposé ci-dessous.
Notre intention est de présenter ici un outil de travail le plus pratique et opérationnel possible, qui
servira aux professionnels pour mener à bien une évaluation participative de qualité. Le schéma ci-
dessous résume le processus d’évaluation participative d’une activité, dont nous détaillons chaque
étape par la suite.
24
Manuel Eduqua 2012 / www.eduqua.ch
78
Pré
-act
e
1. Choix de l’activité à évaluer pour en rendre compte et l’améliorer
3. Mobilisation des acteurs
4. Clarification du processus de décision
5. Problématisation collective
6. Pose des indicateurs
7. Choix de l’outil de récolte de données
Act
e
8. Récolte des données empiriques
Po
st-a
cte
9. Analyse des données recueillies
10. Co-évaluation de l’atteinte des objectifs ainsi que du
processus en matière de développement pour les acteurs
11. Co-construction de la présentation des résultats pour
rendre compte de l’activité
12. Amélioration du processus d’évaluation et son organisation
Pré
alab
les
Co
-co
nst
ruct
ion
2. Prendre en compte les données existantes en matière d’évaluation de l’activité, du prescrit et du territoire
Schéma : étapes du processus d’évaluation participative
79
Choix de l’activité
L'activité choisie pour être évaluée de manière participative peut être pérenne ou ponctuelle,
comme une manifestation ou un centre aéré, ou s'inscrire sur la durée, comme un atelier ouvert
pendant l’année, ou un accueil permanent. L’initiative d’une évaluation participative peut venir des
usagers, de l’association, du comité, des professionnels, de la commune, de la Fondation, …
Le choix de l'activité sera mûrement réfléchi, devant servir à rendre compte auprès des employeurs,
ou des décideurs publics ou privés qui subventionnent ou financent le lieu d’animation, et faire
l’adhésion des différents partenaires appelés à s’impliquer dans le processus. Toutes les activités
n’ont pas à faire l’objet d’une évaluation participative, dont le processus implique de l’anticipation et
du temps. L’évaluation participative requiert une planification à l’échelle d’un lieu d’animation, car
elle mobilise des ressources. Elle peut être considérée comme une activité en soi, de par sa
dimension participative et citoyenne.
Le rôle d’Animateur du processus d'évaluation participative
Nous nommerons « Animateur » dans la suite du texte la personne, le duo ou le groupe en charge de
cette fonction pour une activité donnée.
Un processus d’évaluation participative demande à être accompagné, comme on anime une
réunion, par une personne dont la fonction et la compétence sont d’aider le groupe à atteindre ses
objectifs, en suivant un processus réellement participatif.
Il est bien sûr requis que l’Animateur soit formé à la conduite d’une démarche d’évaluation
participative. Il joue un rôle clé dans le processus. Il est garant de la démarche et veille à maintenir le
focus. Il doit savoir animer des séances de groupe, ce qui implique des capacités d’écoute, de
distribution de la parole à tous les acteurs, de reformulation, de questionnement, de synthèse, de
régulation, etc. Il doit posséder des compétences organisationnelles et de gestion, pour convoquer
les séances, tenir l’agenda, faire circuler l’information, veiller à la constitution de traces tout au long
du processus, sous forme de prises de notes, enregistrements, etc.
La conduite du processus a été, dans ce volet de recherche, assumée par les chercheurs.
Le prochain volet de la recherche mettra en œuvre le processus en son entier, tel qu’il a pu être
modélisé à l’issue de cette première expérimentation, et servira à construire un dispositif de
formation à la conduite de processus d’évaluations participatives, proposé en formation de base et
continue, et à penser la mise en place d'espaces réflexifs, permettant d'être questionné sur sa
pratique, de pouvoir réfléchir au sein de groupes de référence ou d'intervision.
Echéancier
Une fois l’activité choisie, l’Animateur élabore un calendrier de la démarche d’évaluation
participative. Sur cet échéancier, il note les étapes du processus, un bref rappel des travaux à mener
pour chacune de ces étapes, les acteurs concernés, les dates, le nombre de séances prévues,….
1. Choix de l’activité à évaluer pour en rendre compte et l’améliorer
80
Etap
es
Travaux Acteurs Nombre de séances sur un calendrier à fixer
1 Choisir l’activité Comité et équipe
1 séance
2 Documenter prescrit, étude du territoire et évaluations existantes
Animateur Temps à prévoir
3 Mobiliser les acteurs Animateur
4 Clarifier le processus de décision et le pouvoir de décision laissé aux acteurs impliqués dans le processus à venir.
Comité et équipe
En séance de l’étape 1 ou 5
5 Problématisation collective - partage des besoins, aspirations pour l’activité et le processus - traduction en objectifs. Priorisation éventuelle. - synthèse en mots clés sur les axes d’un diagramme de Kiviat
Animateur et acteurs réunis
1 à 3 séances
6 Définir des indicateurs - en tenant compte des intentions des acteurs, du prescrit et du territoire - pour l’évaluation de l’activité et du processus d’évaluation en soi
7 Choisir un ou des outils pour récolter des données durant l’action
8 Récolter des données Equipe et acteurs
Durant l’action
9 Prendre connaissanceensemble des données recueillies et échanger
Animateur et acteurs réunis
1 à 4 séances 10 Co-évaluer l’atteinte des objectifs définis dans l’étape 6
Evaluer ce que le processus d’évaluation a développé pour les acteurs
11 Co-construire la présentation des résultats pour en rendre compte - Les résultats de l’activité en regard des objectifs, du prescrit et de l'étude préalable du territoire. - Ce que le processus a développé pour les acteurs
12 Améliorer le processus d’évaluation
81
Toute évaluation comporte implicitement un point de comparaison, l’enjeu est de l’expliciter (Smits,
2012).
L’évaluation participative proposée ici va confronter l’activité à trois points de comparaison.
Le premier point de comparaison, ce sont les objectifs des acteurs concernés, qui seront co-
construits dès la 4ème étape.
Le second point de comparaison, c'est le prescrit déjà existant. L’Animateur va réunir des
références en lien avec l’activité choisie : les valeurs du métier de l’animation ; la mission de
l’institution (inscrite dans la loi, la Charte, les conventions passées avec l’Etat, les communes,
la FASe et les centres, le projet institutionnel du lieu ; les objectifs annuels désignés par la
Commune, les objectifs annuels validés par l’assemblée générale, …)
Le troisième point de comparaison est le territoire, pour appuyer et/ou adapter l’activité en
fonction d'une réalité contextualisée. L’Animateur va réunir ou constituer des données sur le
territoire, statistiques, sociologiques, ...
Pour préparer l’évaluation du processus d’évaluation, l’Animateur va documenter l’existant en
matière d'évaluation de l'activité : rapport d’activités, cahiers de colloque d’équipe, notes de
secteurs, flyers précédents, critères d’évaluation que se donnent l’équipe et le comité, etc.
Variété d’acteurs
La largeur de l’évaluation s'établit en fonction de la variété des acteurs impliqués.
L’évaluation participative gagne à réunir une diversité d’acteurs concernés :
- Usagers ou bénéficiaires - Membres du comité et de l’association qui gère le lieu d’animation - Partenaires, intervenants, autres associations du quartier, artistes, … - Professionnels - Décideurs institutionnels et politiques25 - …
25
Les décideurs institutionnels et politiques peuvent préférer être présents en amont du processus
d’évaluation participative, au niveau des conventions de partenariat, mandats de prestation, projet
institutionnel, objectifs annuels, ou autres textes prescriptifs, ce qui les dégage des processus participatifs et
les positionne dans le rôle de mandataire.
2. Prendre en compte les données existantes en matière d’évaluation de l’activité, du prescrit et du territoire
3. Mobilisation des acteurs
82
La grandeur du groupe est à considérer en lien avec sa dynamique et son animation. Un groupe
d’une dizaine de personnes travaille efficacement. Au-delà d’un certain nombre, d’autres modes
d’animation sont à imaginer, en sous-groupes, avec des modalités inspirées des ateliers de l’avenir,
world café, etc.
Organisation
Pour l’animateur, la recherche de dates peut se révéler ardue et chronophage, dès lors qu’il faut
concilier les agendas de plusieurs personnes. Il est conseillé de fixer les dates pour l’ensemble du
processus au début de la démarche.
Minimalement, le processus requiert 2 rencontres regroupant tous les acteurs engagés dans le
processus : une rencontre de co-construction avant l’action et une rencontre d’analyse après l’action.
Ces deux temps peuvent être plus ou moins approfondis, comme nous le verrons, et demander soit
des temps plus longs (comme une journée au vert), soit plus de séances.
Il importe de prévoir un lieu pour les réunions de travail. L’accueil gagne à être convivial, car une
dimension importante du processus est la rencontre.
Il faut enfin définir les moyens mis à disposition, en temps, en budget (pour la convivialité, la récolte
de données si l’on prévoit, par exemple, de la vidéo et les frais courants.)
Cette étape peut faire l’objet d’une réunion préalable, ou d’une introduction avant de démarrer la
co-construction.
On appelle profondeur le degré de participation (information, consultation, concertation, co-
décision) attribué aux acteurs ou groupes d'acteurs.
Les processus de décision doivent être clarifiés avant d’engager les acteurs ou groupes d'acteurs dans
la démarche.
Compréhension de la démarche par les acteurs
Il est important de s’assurer que le sens et la dynamique d'une évaluation participative soient
compris par les personnes qui vont s’y engager :
- le sens d’une démarche d’évaluation participative et d’empowerment est partagé.
- l’implication est claire et librement choisie. Elle sera prépondérante au moment de la co-
construction et de l’analyse. Le positionnement de chacun quant à ses besoins et ses
aspirations se fait dans l’écoute et la considération de l’ensemble des acteurs.
4. Clarification du processus de décision
83
- Les besoins de formation et d’information sont verbalisés, en faisant « le point sur les
disponibilités et les moyens de chacun : tout le monde n’est pas à égalité devant une
situation d‘évaluation et des besoins de formation à cette pratique peuvent apparaitre »
(Delesalle, 2001).
Représentativité
On peut imaginer travailler ou non par groupes d'acteurs qui définissent ensemble des objectifs
communs pour l'activité : groupe des usagers, des membres du comité, des professionnels, des
représentants de la commune, etc.
Il s’agit ici de débattre, le cas échéant, sur « les questions de délégation et de représentativité de
chaque catégorie de partenaires de l’évaluation » (Delesalle, 2001).Quelle est la marge d’autonomie
et de décision attribuée aux différents acteurs représentatifs (comité, professionnels, délégation
d’usagers,…) ?
A ce stade, on aura :
choisi l’activité qui fera l’objet d’un processus d’évaluation participative
attribué la fonction d’animer le processus
réuni des acteurs prêts à s’impliquer dans le processus (largeur)
défini le pouvoir décisionnel de chacun des acteurs ou groupes d'acteurs pour chacune des étapes (profondeur)
produit un échéancier de travail
Emergence et partage des motivations
Il s’agit de la première séance de travail du groupe d’évaluation. L’Animateur peut rappeler les
fondements de l’approche participative, le sens et la signification de la démarche, présenter le
calendrier de travail et ses étapes.
Dans l’esprit de l’éducation populaire, la parole est horizontale : chacun parle de son point de vue et
de son vécu, depuis sa place ou sa fonction, en faisant part de son cadre et de ses contraintes.
Chacun expose ce qui fait sa motivation pour l’activité : problèmes, besoins, attentes, aspirations,
valeurs, intérêts, motivations, …
Cette prise de parole est formatrice. On constate qu’elle mobilise des solidarités, dès lors que les uns
découvrent les problèmes, besoins et aspirations des autres.
5. Problématisation collective
84
Ce moment sert également de première prise de contact entre les acteurs et lance la dynamique
collective.
L’Animateur peut également inviter chacun à partager son intérêt à s’investir dans un processus
d’évaluation participative.
L’Animateur veille à ce que chaque personne puisse s’exprimer.
Différentes modalités d’animation sont possibles pour ces partages :
- Prise de parole directe, ou via des post it, ou sur des flip-charts, etc. - Tour de table - Travail en sous-groupes selon les groupes d’acteurs ou en groupes mixtes - Travail par brainstorming, regroupements et priorisation - Etc.
Enoncés des intentions et intérêts
L’objectif est d’aboutir à la formulation par écrit d'objectifs qui expriment la motivation et l'intention
des acteurs. .
Dans ce processus participatif, les acteurs sont les auteurs de leurs énoncés. A ce propos, Paolo
Freire écrit (2001, p.82) que l’« objet de la recherche, en réalité, ce ne sont pas les hommes que l’on
étudierait comme des pièces anatomiques, mais leur pensée-langage en liaison avec la réalité, leurs
niveaux de perception de cette réalité, leur vision du monde où se trouvent insérés leurs « thèmes-
générateurs ».
Animateur et membres du groupe mettent leurs ressources au service de chaque acteur ou groupe
d’acteurs pour énoncer en objectifs les intentions et les motivations qui les concernent, dans leurs
propres termes.
Concrètement, chaque participant est invité à noter ses intentions (pour lui-même, ou sur des post
it).
Ces idées sont ensuite collectivisées dans le groupe, par acteur ou par groupe d’acteurs.
L’ensemble du groupe va s’employer à comprendre besoins et aspirations exprimés par chacun pour
l’aider à traduire ces idées en objectifs pour l’activité, clairs, succincts et précis.
Ce faisant, l’ensemble du groupe devient collectivement porteur des aspirations de chacun.
Le groupe peut décider de se mettre d’accord sur une série limitée d’objectifs en les priorisant, de
manière équitable entre les acteurs et groupes d’acteurs.
Le groupe, enfin, synthétise les objectifs retenus en mots clés, pour les inscrire sur les axes du
diagramme de Kiviat, en prévision de l’évaluation de leur atteinte après l’activité.
Il est crucial pour l’évaluation que l’Animateur prévoie les moyens de garder une trace objective de
l’étape de problématisation collective. Les échanges feront l’objet d’un enregistrement ou d’un
procès-verbal. Les objectifs finalisés seront précieusement conservés, de même que leur traduction
en mots clés sur les axes du diagramme de Kiviat.
85
Illustration de l’énoncé d’intentions pour une activité:
Diagramme de Kiviat
On inscrit alors au moyen de mots clés les objectifs priorisés par les acteurs pour l’activité sur un ou
plusieurs diagrammes de Kiviat (soit chaque acteur ou chaque groupe d’acteur remplit un
diagramme, soit les acteurs ou groupes d’acteurs apparaissent sur le même diagramme avec des
couleurs distinctes)
Jeunes : -Programmer un concert-Montrer une performance-Communiquer un événement-Tenir une buvette-Mettre sur pied des ateliers
Comité-favoriser la participation-Donner une autonomie de compétences-Rendre les jeunes acteurs et non consommateurs-Sensibiliser à la vie associative-Favoriser la prise de conscience du cadre-Croiser des regards
Professionnels-Donner une image positive des jeunes-valoriser leurs aptitudes et talents-Mobiliser des compétences organisationnelles-Sensibiliser à des actions solidaires
Co-construire le problème
Co-construire les objectifs
86
Dans la perspective de rendre compte de l’activité aux employeurs ou décideurs politiques et
financiers, on s’attachera à associer des indicateurs aux objectifs.
Dans le processus d’évaluation participative, les objectifs ont été co-construits avec les acteurs
concernés sur la base de leurs motivations d’habitants, de militants associatifs, de professionnels, …
En travaillant toujours dans l’esprit de l’éducation populaire, la tâche est d'associer maintenant avec
les acteurs concernés des indicateurs à ces objectifs, avec la rigueur de la démarche qualité afin de
disposer d’éléments évaluables en fin de processus.
La rigueur de l'évaluation est présente (Smits, 2012) si :
- le résultat final est comparé avec des objectifs annoncés et explicités
- une méthodologie documentée est consignée
- la démarche est transparente
Les indicateurs vont déterminer si un objectif est réaliste et à partir de quelle mesure il sera défini
comme étant réalisé.
Ils sont mesurables ou observables pour déterminer l’atteinte, voire le degré d’atteinte des objectifs.
Les indicateurs vont mesurer l'adéquation au prescrit, le degré d'atteinte des objectifs, l'impact
éventuel sur le territoire, le développement de la connaissance du territoire par l'activité.
Un exemple tiré de l’ouvrage de Merchel (2010) illustre la démarche.
L’objectif de l’activité évaluée est le suivant : « les enfants doivent résoudre des situations
conflictuelles sans violence ».
Les indicateurs peuvent être, par exemple, que « … les enfants abordent une question conflictuelle
lors d’une discussion sans intervention physique», ou que « …les enfants travaillent un conflit sans
insulte verbale et sans intervention physique».
Il existe toujours plusieurs possibilités d’indicateurs. La discussion permet de prioriser et faire des
choix.
Comme dans la 4ème étape, différentes modalités d’animation sont possibles pour ces partages :
- Prise de parole directe, ou via des post it, ou sur des flipcharts, etc.
- Tour de table
- Travail en sous-groupes par groupes d’acteurs ou groupes mixtes
- Travail par brainstorming, regroupements et priorisation
- Etc.
Pour « documenter la méthodologie » et « mener une démarche transparente », on gardera une
trace écrite de la discussion du groupe, des liens effectués entre les objectifs et les indicateurs
retenus, ainsi que des arguments qui ont présidé à leur priorisation et leur choix.
6. Pose des indicateurs
87
La récolte de données empiriques durant l’action dépend des objectifs et des indicateurs définis en
amont.
Les acteurs vont définir ensemble
l’outil ou les outils de récolte de données, adéquat-s en regard du temps, des compétences
et des moyens qu’il-s requiert ou requièrent, et propre-s à informer les indicateurs retenus.
Qui va réaliser cette récolte : les professionnels ou d’autres acteurs ?
Où, quand et comment sera effectuée la récolte de données ?
Il existe un grand nombre d’outils d’évaluation participative, dont peut s’inspirer la créativité qui est
vivement encouragée, puisque l’exigence ne porte pas sur l’usage de supports définis, mais sur la
rigueur avec laquelle la méthodologie est documentée quel que soit le support.
Voici quelques outils pour nourrir la créativité du groupe :
- enregistrement vidéo ou audio de l’action
- tenue de statistiques
- collecte de récits
- journal de bord
- grille d’observation participante
- questionnaire, interviews
- etc.
A ce stade, on aura :
Enoncé en objectifs les motivations et intentions de chaque acteur ou groupe d’acteurs pour
l’activité
Etudié l’évaluation existante
Formulé les questions d’évaluation (à quel questionnement, quelle demande, quelle
commande l’évaluation doit-elle apporter une réponse ?)
Identifié les valeurs qui sous-tendent l’activité pour chaque acteur ou groupe d’acteurs
Vérifié l’inscription des objectifs et des valeurs dans le prescrit
Traduit les objectifs en indicateurs
Vérifié que les indicateurs sont bien en lien avec les objectifs des acteurs, le prescrit, et le
territoire
Choisi l’outil de récolte de données
7. Choix de l’outil de récolte de données
88
La récolte de données s’opère selon les choix effectués dans l’étape précédente, durant le
déroulement de l’action.
L'action se déroule rarement comme on l'a prévue. La récolte de données va s'ajuster.
Mener un bilan de mi-parcours (facultatif)
Si l’action s’étend sur la durée, on peut envisager un bilan de mi-parcours avec l’ensemble des
acteurs afin de faire un bilan sur l’avancement du projet. Les personnes chargées de la récolte de
données livrent un aperçu du travail effectué. Sur cette base, et en regard des objectifs visés, le
mode de récolte de données peut être ajusté.
Opérer un choix dans le matériau recueilli
En fonction du temps dont dispose le groupe, les personnes qui ont récolté des données feront un tri
dans le matériau à analyser (séquences vidéo ou sonore, extraits d’entretiens, ….).
Ce matériau servira à l’analyse critique de la part des différents acteurs. Pour cette raison, le choix
des séquences doit être mûrement réfléchi. Elles devraient représenter des situations connues par
les acteurs, être directement reliées aux aspects concrets de leurs besoins, et donc reconnaissables
par eux. En outre, il est important que les séquences forment une sorte d’éventail de thématiques
possibles. Pour résumer, nous pouvons citer Paolo Freire (2001) pour qui les séquences « doivent
être des objets de connaissance, des défis sur lesquels doit se porter la réflexion critique des
acteurs ».
Réunir les acteurs
L’Animateur réunit l'ensemble des acteurs qui ont participé à la co-construction de l’activité,
afin de procéder à l’analyse des données recueillies avec l’outil ou les outils choisis. Il est à
noter que le post-acte d’une activité peut constituer un matériel ouvrant à un nouveau
projet, soit le pré-acte d’une nouvelle activité ou d’une nouvelle édition de la même activité.
Horizontalité
Il s’agit d’analyser ensemble l’activité sur la base de ces traces objectives, prise à partir de la réalité.
Les différents acteurs vont découvrir en même temps et réagir aux mêmes traces de l’activité. Le
professionnel n’est pas plus expert que les militants associatifs ou les habitants sur l’évaluation.
Chacun exprime et expose sa lecture des données recueillies, ses impressions, ses interprétations.
L’analyse se co-construit dans l’écoute, l’échange, le débat.
8. Récolte des données empiriques
9. Analyse des données recueillies
89
Ce travail d’analyse peut se faire selon différentes modalités :
- En plénière : tour de table, débat
- En sous-groupes : world café, focus groupe,…
La phase de co-évaluation comprend trois parties :
- Co-évaluation des énoncés,
- Co-évaluation de l’atteinte des objectifs
- Co-évaluation du processus
L’Animateur veille à ce que les données empiriques soient examinées en regard des objectifs de
départ. Il demande à chacun en quoi ses problèmes, ses attentes, ses aspirations, ses intentions et au
final ses objectifs de départ ont trouvé réponse, dans quelle mesure ils ont été atteints, ou déplacés.
Il se peut que le problème de départ se soit déplacé pour les acteurs, montrant un développement
de la pensée des acteurs, une prise de conscience de l'évolution de leur point de vue, un changement
dans leur situation,...
Il s’agit pour l’Animateur de questionner « comment les différents acteurs conçoivent la situation ».
Cette multiplication de récits, cette confrontation de différents niveaux de perception, ce dialogue
permet aux acteurs de décoder la réalité, de mener une analyse en profondeur.
Les objectifs résumés en mots clés, dans l'étape 5, dans les diagrammes de Kiviat, peuvent être
évalués au moyen d’une échelle de 1 (pas du tout atteint) à 10 (totalement atteint) par les acteurs ou
les groupes d’acteurs ou l’ensemble des acteurs débattant jusqu’à trouver une position commune.
Pour documenter le processus, on veillera à conserver (par un enregistrement et/ou un procès-
verbal fidèle) les explications données par les acteurs ou les groupes d’acteurs à leur évaluation de
l'atteinte des objectifs.
La prise de notes précises est de grande importance lors de cette séance de travail, car elle servira de
base pour rendre compte de l’activité.
10. Co-évaluation de l’atteinte des objectifs ainsi que du processus en
matière de développement pour les acteurs
90
Dans la perspective de rendre compte de l’activité aux employeurs ou décideurs politiques et
financiers, on co-évaluera l’activité en référence aux objectifs et aux indicateurs co-construits dans la
phase du pré-acte, sur la base des intentions des acteurs concernés, relativement au prescrit de
l’activité, et dans la prise en compte des données du territoire.
Un processus d’évaluation participative peut rendre compte de l’atteinte d’objectifs sur deux plans :
- celui de l’activité, en mesurant via les indicateurs l’atteinte des objectifs, l’impact sur le
territoire, l’accomplissement du prescrit
- celui de l'évolution des représentations, dont peuvent témoigner les acteurs impliqués dans
un processus participatif d’évaluation
On recueille aussi les apprentissages, prises de conscience, connaissances acquises,
compétences gagnées, réseau élargi, évolution et élargissement des points de vue, … dont
les acteurs témoignent. Il importe ici de rendre compte du déplacement de la posture des
acteurs, mais aussi, et surtout de la conscience qu'ils ont de ce déplacement. Il s’agit
d’amener les personnes à « analyser leur propre réalité, découvrir les déformations de leur
optique antérieure et parvenir à une perception nouvelle de la réalité. (…) En incitant à une
perception antérieure et à une connaissance de la connaissance antérieure, le décodage
provoque ainsi le jaillissement d’une perception nouvelle et le développement d’une
connaissance nouvelle. » (Freire, 2001, p.104-105).
91
De tels développements ou déplacements des points de vue sont des résultats à valoriser
auprès des employeurs et des décideurs politiques, en ce qu’ils réalisent les missions
assignées à l’animation socioculturelle en matière de lien social, de citoyenneté, de
conscientisation, de solidarité et de cohésion sociale.
Pour que l’évaluation soit rigoureusement de qualité (Smits, 2012) :
- Un regard est porté sur l'effectué
- Le résultat final est comparé avec les objectifs annoncés et explicités
- Un commentaire est produit sur ce qui est mesuré
- Les conclusions sont ainsi strictement fondées sur les données récoltées
Il s’agit ici de co-construire le compte rendu des résultats de l’évaluation de l’activité. Pour cela, on
discutera de :
- l’atteinte des objectifs pour les acteurs concernés en regard des indicateurs définis
dans la 6ème étape,
- la mise en œuvre du prescrit,
- l’impact sur le territoire,
- les développements résultant du processus participatif
Le rapport pourra se référer aux documents produits tout au long du processus d’évaluation
participative, tels que les objectifs issus de la co-construction, reportés sur les diagrammes de Kiviat,
les procès-verbaux des discussions,...
La démarche est transparente pour que l’évaluation soit rigoureusement de qualité (Smits, 2012).
Les acteurs travaillent à rendre compte de l’activité de manière compréhensible, significative,
efficace et concise, sachant que le temps des destinataires est souvent compté.
Des formes créatives peuvent être investies, telles que film, images, invitation à débattre,…
On voit l’importance de le prévoir au moment de penser la récolte de données à la 7ème étape.
Dans cette étape, les acteurs formulent ce qui pourra ajuster, améliorer ou développer l’activité, si
elle est reconduite ou si elle prendra une forme nouvelle. Le rendre compte reflète le cheminement
vers une perception nouvelle, le développement d’une connaissance nouvelle.
11. Co-construction de la présentation des résultats pour
rendre compte de l’activité
92
L'Animateur procédera enfin, avec les acteurs, au bilan final du processus d’évaluation participative
en vue de l’améliorer :
- analyser et évaluer les différentes étapes du processus d’évaluation
- traduire dans l’organisation des idées d’amélioration
- traduire en compétences à développer des idées d’amélioration
La réflexion participative sur le processus d’évaluation mérite de faire l'objet d'écrits afin de
contribuer activement à la promotion d’une culture et d’une pratique de l’évaluation participative.
12. Amélioration du processus d’évaluation participatif et son
organisation
93
Chapitre 5 : Pistes et perspectives
Dans ce rapport, nous avons mis un accent particulier sur la description du processus de notre
recherche exploratoire. En effet, nous voulions développer avec les terrains professionnels une
démarche d’évaluation participative. Nous ne disposions donc pas d’un outil d’évaluation élaboré en
amont et qu’il s’agissait de tester lors de l’intervention sur le terrain. Intentionnellement, nous
n’avions élaboré au préalable qu’une ligne méthodologique sur la base de nos lectures théoriques.
Nous voulions que notre recherche reste flexible, évolutive en fonction de ce qui sera vécu,
découvert, expérimenté sur et avec le terrain. Afin de rendre compte de ce cheminement, des
opportunités, mais aussi des difficultés qui résultent d’une démarche participative, nous avons laissé
une large place au descriptif du processus.
Ce choix méthodologique nous a permis d’explorer pleinement le participatif sur et avec le terrain.
Nos points d'ancrage concernant l’évaluation participative durant cette recherche ont été les
suivants :
En premier lieu, comme nous l’avons défini, l’évaluation de l’activité est plus large que le seul
bilan. Elle traverse toute l’activité, du pré-acte au post-acte.
En deuxième lieu, l’évaluation participative s’inscrit dans la sphère de l’activité citoyenne, de
l’action collective, de la rencontre, du débat et du lien social, valeurs essentielles à tout
projet d’animation socioculturelle. La dimension participative ajoute une qualité à l’activité
en mettant en œuvre les fondements propres à l’animation, tels que nous les avons définis
au premier chapitre.
En troisième lieu, l’évaluation participative vise à outiller les acteurs concernés (habitants,
usagers, militants associatifs, professionnels, partenaires) à communiquer sur le sens de
l’action, ses effets, et rendre compte aux employeurs et aux financeurs de l’usage des
moyens alloués.
Une démarche d’évaluation se doit d’être rigoureuse. Cependant, la rigueur dans une démarche
participative est autant accrochée à la rigueur méthodologique qu’à la capacité à garder une certaine
souplesse, garante d’une co-construction de la démarche. Nous l’avons expérimenté dans cette
recherche. L’évaluation participative est réalisée par et avec une multiplicité d’acteurs,
professionnels, usagers, intervenants, etc. qui ne sont experts ni de l’évaluation, ni de la recherche.
Ils collaborent à partir de leurs savoirs propres, de leurs expériences de vie, de leur imaginaire, de
leurs besoins et envies. Quant au chercheur, il est porteur de ses attentes, sa pratique, ses exigences
en matière de recherche. En voulant collaborer de manière participative avec les différents acteurs
impliqués dans le projet, le chercheur relève un défi d’importance, en ce que la recherche, comme
l'activité peut ne pas se dérouler comme prévu, et va demander un ajustement permanent, en
tentant de ne pas perdre en rigueur dans cet ajustement. En effet, la pratique de chercheur inclut le
risque d’être bousculée. Ainsi, le processus de récolte des données (étape 3.4) n’a pas toujours
répondu à nos attentes. La récolte n’a pas été réalisée selon les critères classiques d’une recherche.
94
La démarche participative demande une grande adaptabilité tout en maintenant une rigueur
scientifique nécessaire aux processus d’évaluation et de recherche.
Une autre difficulté résidait dans la communication avec nos partenaires. En tant que chercheurs,
nous sommes immergés dans notre objet. Nous l’avons étudié et documenté à travers des apports
théoriques et scientifiques. Nous l’avons débattu créant ainsi notre propre langage. Dans cette co-
construction du processus d'évaluation et de recherche, nous n’étions par moments ni explicites, ni
clairs dans nos discours, nos attentes, nos besoins face aux terrains.
Nous étions en tant que chercheurs pris dans une certaine ambiguïté entre le « laisser faire »
et« imposer » notre pratique et notre vision. Etant dans une démarche participative, nous avons
privilégié le premier axe au détriment d’une certaine scientificité. Dans la recherche participative, le
chercheur doit apprendre à lâcher le contrôle sur le processus pour le laisser vivre à son propre
rythme, avec ses propres avancées et empêchements. Les partenaires terrain s’adaptent en
permanence. Du coup, le matériel récolté est parfois moins pertinent, ne répond pas tout à fait aux
critères du protocole de recherche. Les acteurs comprennent les consignes à leur manière, les
traduisent dans leur contexte ce qui ne correspond pas toujours au projet d’une recherche.
Nous avons aussi parfois relâché notre attention. Nous n’avons pas toujours assez insisté pour que le
groupe terrain remplisse une exigence formalisée issue du processus de recherche (ex. choix de
l’outil de récolte de données), ce qui pose un problème de rigueur au moment de la phase d’analyse
des données.
Reste encore la question de l’accompagnement du processus. Qui peut animer l’échange pour que
les acteurs mettent à jour leurs intentions et confrontent les intentionnalités, pour qu’ils repèrent et
qualifient leur déplacement ou évolution de pensée, pour que soient mis à jour une pluralité d’avis,
des positions asymétriques et des non-dits ? Nous pensons que les coordinateurs des maisons de
quartier, avec la légitimité et les compétences qui sont les leurs, moyennant une formation
introductive et des espaces d'appui, pourront mener ces processus d'évaluation participative. La
question reste ouverte et sera reprise dans le deuxième volet envisagé suite à cette présente
recherche, dans lequel l'outil co-construit sera expérimenté en son entier.
Dans cette recherche, nous avons exploré et mis en avant le qualitatif alors que dans les démarches
évaluatives, le quantitatif domine. L’outil présenté ici propose néanmoins une forme de codification
du qualitatif, par une représentation graphique et quantitative du qualitatif et ceci pour différentes
raisons :
Il faut une donnée initiale. Si l’on veut rendre compte de l’évolution des représentations des
acteurs, il faut pouvoir les saisir à un temps zéro.
Il faut également se mettre d’accord sur l’échelle de manière non équivoque.
La démarche prévoit une saisie fidèle (prise de notes ou enregistrement) des commentaires
qualitatifs que font les acteurs au moment d'évaluer le degré d’atteinte des objectifs au
moyen d’une échelle de mesure.
95
La question reste ouverte de savoir si nous avons vraiment usé d’une dimension quantitative ou si
nous avons cherché à visualiser un processus d’éducation informel. L'idée du diagramme de Kiviat a
émané d’un membre d'un groupe terrain. Cet outil devra être testé dans la prochaine recherche.
Avant de passer au développement des pistes et perspectives futures, rappelons que le processus
d’une recherche exploratoire qui met l’accent sur le participatif se déroule rarement comme les
chercheurs l’ont prévu au départ. A notre avis, c’est dans cette imprévisibilité du processus que se
cache la richesse du participatif. Nous avons fait des découvertes, observé sur le terrain des manières
de procéder novatrices, créatives, surprenantes, dont le chercheur peut s’inspirer, plutôt que
d'imposer une méthodologie pré-construite. Nous avons pu discerner la portée d’une telle démarche
participative sur le terrain. Dans une maison de quartier, les membres du comité ayant participé à la
recherche ont questionné leur manière de faire, ainsi que leur posture et voulu intégrer la notion de
participatif au niveau de leurs séances de travail afin de laisser à l’usager une réelle place dans la
prise de décision des actions qui le concernent. Nous avons pu vérifier que lorsque les usagers sont
partie prenante de l’activité dès sa co-construction, ils font valoir leurs besoins qui sont ainsi pris en
compte, discutés et introduits dans la dynamique de gestion participative du projet.
L’évaluation des activités dans le domaine du travail social pose question. La mise en œuvre des
démarches évaluatives demeure assez spécifique en travail social. En effet, le travail social est
« parcouru par de multiples incertitudes non structurées qui rendent très relatives les « théories de
l’action » pré-établies (Duran, Thoeing, 1996). La complexité inhérente à la fabrication du lien social,
la singularité des trajectoires familiales et des destins personnels, la subjectivité des interactions
entre intervenants et usagers, l’enchevêtrement des déterminations socioéconomiques et des
logiques d’action font partie des éléments qui résistent à une application pure et simple des
standards structurant habituellement les méthodologies évaluatives » (Rouzeau, 2012, p.210). La
force de notre démarche réside dans le fait qu’elle a été construite de manière participative avec un
panel significatif d’acteurs du travail social comprenant les professionnels, les usagers et les
membres associatifs. Elle s’inscrit donc au plus près des besoins du terrain, tout en veillant à
observer la rigueur d'une démarche qualité.
Nos résultats de recherche répondent à une attente des milieux employeurs, politiques et financiers
du social. L’outil contient un fort potentiel d’innovation. Il pourrait également détenir un certain
impact économique, même si l’efficience de l’action n’est pas le principal critère d’une évaluation
participative. Il ne faut pas oublier que le déploiement des processus d’évaluation dans le secteur de
l’action sociale s’est inscrit dans « le prolongement des démarches de rationalisation et de pilotage »
(Rouzeau, 2012, p.209). Il accompagne une « transformation généralisée des modes de
gouvernance : responsabilisation des acteurs et remise en cause des positions acquises, raréfaction
des ressources et optimisation dans leur affectation, démarche qualité et enquête de satisfaction,
modernisation des services par le regroupement et la territorialisation » (Rouzeau, 2012, p.210).
L’évaluation a aussi permis d’objectiver « les faits sociaux et d’apprécier les impacts des actions
menées. » Comme le fait remarquer très justement Rouzeau (2012, p.209), « les finalités de cette
expertise sont multiples : repérer les problématiques les plus fragiles, orienter les interventions,
apprécier la qualité des services rendus, réfléchir le positionnement des institutions socio-éducative,
ajuster le fonctionnement organisationnel ou encore faire évoluer les compétences des
intervenants. »
96
L’évaluation des politiques publiques a débuté en Suisse vers la fin des années 1980 et son principe
figure dans la Constitution fédérale (art. 170) depuis le 1er janvier 2000. La République et canton de
Genève a instauré en 1995 la Commission externe d’évaluation des politiques publiques (CEPP). Elle
s’est engagée par là dans un processus d’institutionnalisation de l’évaluation. D’ailleurs, la
Constitution genevoise du 14 octobre 2012 confirme l’importance d’évaluer les politiques publiques.
« Il n’en demeure pas moins que l’évaluation des politiques publiques reste une discipline récente
encore peu balisée sur les plans institutionnel et professionnel » (Commission externe d’évaluation
des politiques publiques, 2013, p.2). Cette recherche a répondu en premier lieu à une problématique
locale, afin de développer une démarche d’évaluation qui réponde aux besoins et aux attentes des
institutions d’un champ spécifique, celui de l’action collective.
Il s’agit par la suite d’ouvrir une collaboration au niveau national, d’investiguer d’autres champs de
l’animation socioculturelle afin de pouvoir expérimenter l’outil, la méthodologie développée lors de
notre recherche exploratoire.
Il sera également important de mener une étude comparative sur les pratiques d’évaluation entre la
Suisse alémanique et la Suisse romande. Nous nous proposons de faire un point d’étape dans ces
deux parties linguistiques de la Suisse au sujet de l’implantation « des démarches d’observation et du
déploiement des opérations d’évaluation qui leur sont liées » (Rouzeau, 2012, p.210). Il s’agit de
rendre compte des « modes de production des connaissances visant à rendre compte des
problématiques socio-éducative » (Rouzeau, 2012, p.211) relatifs aux caractéristiques de chacune de
ces deux régions. En animation socioculturelle, les références historiques sont forts différentes. Si, en
Romandie, nous nous inspirons de la France et de l’Amérique latine avec l’éducation populaire et
Paolo Freire, dans la région linguistique allemande, les professionnels se réfèrent d’avantage à Horst
W. Opaschowski et, sa notion de la pédagogie des loisirs et les sciences récréatives (Moser, H.,
Müller, E., Wettstein, H., Willener, A., 2004, p.16).Cette comparaison entre le mode de production
des connaissances et l’opération d’évaluation prévalant en Suisse romande et en Suisse alémanique
permettra de bâtir des ponts entre nos deux cultures et donnera une dimension nationale à notre
outil d’évaluation.
Durant cette recherche qui se voulait exploratoire, nous avons développé avec les professionnels, les
membres associatifs et les usagers les bases d’un outil d’évaluation qui favorise la participation des
acteurs tout au long du processus évaluatif. Cet outil doit maintenant être testé sur le terrain. Dans
cette perspective, nous envisageons de déposer un projet de recherche auprès de la Commission
pour la technologie et l'innovation (CTI)26. Nous avons l’intention de mener un tel projet en
collaboration avec la Haute Ecole de travail social de Lucerne. La CTI encourage la recherche
appliquée et le développement (Ra&D) pour des projets qui se fondent sur une collaboration entre
l'économie et la science. De cette façon, les entreprises peuvent« profiter des ressources Ra&D des
hautes écoles pour leurs innovations ». En contrepartie, les chercheurs des hautes écoles ont
l’occasion de « transformer leurs résultats de recherche en produits et prestations compétitifs, et à
les mettre sur le marché en collaboration avec les entreprises ».
26
www.kti.admin.ch. Commission pour la technologie et l'innovation CTI, consulté le 11.12.2013.
97
Comme déjà annoncé précédemment, à travers notre recherche exploratoire, nous avons pu, en
collaboration avec des terrains, développer une méthodologie, un outil d’évaluation participative
qu’il s’agit aujourd’hui d'expérimenter à une plus large échelle dans le champ du travail social. Nos
résultats de recherche permettent maintenant de tester concrètement le processus entier
d'évaluation participative de l'activité dans les lieux d’animation socioculturelle. Notre étude a porté
spécifiquement sur les activités destinées aux jeunes en milieu ouvert. Il s’agit dès lors d'élargir
l'expérience à d’autres champs de l’animation socioculturelle tels que la gérontologie, le secteur
enfants, la culture, etc. De cette manière seulement, notre outil deviendra pleinement opérationnel
pour les professionnels comme pour les employeurs de l’ensemble du champ de l’animation
socioculturelle.
Une piste d’exploration complémentaire d’avenir réside dans la vérification de la boucle de qualité :
comment assurer la qualité dans le domaine de l’animation socioculturelle ? Sur cette question, il
sera particulièrement intéressant de comparer les compréhensions et les expertises entre la Suisse
alémanique et la Suisse romande.
Enfin, au cours de notre recherche exploratoire et afin d’asseoir l’évaluation participative dans la
culture professionnelle du travailleur social, il nous semble essentiel de transcrire notre expertise en
termes de formation professionnelle, dans la formation de base, et en développant notamment un
cycle plus pointu d’enseignement autour de cette thématique. De cette manière, la démarche
évaluative pourra s'implanter dans les institutions et contribuer au développement d’une culture de
l’évaluation participative auprès des professionnels.
98
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