Émotion et design d’interface

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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: http://www.researchgate.net/publication/278963577 Emotion et Design d'Interface CONFERENCE PAPER · OCTOBER 2014 READS 90 4 AUTHORS, INCLUDING: Damien Lockner Aix-Marseille Université 6 PUBLICATIONS 0 CITATIONS SEE PROFILE Nathalie Bonnardel Aix-Marseille Université 59 PUBLICATIONS 392 CITATIONS SEE PROFILE Carole Bouchard MINES ParisTech 73 PUBLICATIONS 147 CITATIONS SEE PROFILE Available from: Damien Lockner Retrieved on: 02 November 2015

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EmotionetDesignd'Interface

CONFERENCEPAPER·OCTOBER2014

READS

90

4AUTHORS,INCLUDING:

DamienLockner

Aix-MarseilleUniversité

6PUBLICATIONS0CITATIONS

SEEPROFILE

NathalieBonnardel

Aix-MarseilleUniversité

59PUBLICATIONS392CITATIONS

SEEPROFILE

CaroleBouchard

MINESParisTech

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Emotion et Design d’Interface Damien Lockner

Aix Marseille Université PsyCLE (EA 3273)

29, avenue Robert Schuman 13621 Aix-en-Provence Cedex 1 FRANCE

[email protected]

Nathalie Bonnardel Aix Marseille Université

PsyCLE (EA 3273) 29, avenue Robert Schuman

13621 Aix-en-Provence Cedex 1 FRANCE [email protected]

Carole Bouchard

Product Design and Innovation Laboratory Art et Métiers PARISTECH 151, Boulevard de l’Hôpital

75013 Paris, France [email protected]

Vincent Rieuf Product Design and Innovation Laboratory

Art et Metiers PARISTECH 151, Boulevard de l’Hôpital

75013 Paris, France [email protected]

RESUME La notion d’utilisabilité est peu à peu devenue une référence incontournable pour la conception et l’évaluation des interactions homme-machine. Cette approche a effectivement contribué à une amélioration de la facilité d’utilisation des interfaces. Pour les équipes de conception souhaitant se différencier par la qualité d’utilisation, de nouveaux domaines de recherche sont à explorer, et la question du ressenti émotionnel des utilisateurs est devenue peu à peu prépondérante. La recherche présentée dans cet article se situe dans ce cadre. Notre hypothèse générale est que certaines stratégies de design peuvent susciter un ressenti positif de l’utilisateur et améliorer ainsi l’attractivité de l’interface. Notre travail vise à contribuer aux « bonnes pratiques » de design d’interfaces sur la base de mesures de l’impact émotionnel de certaines stratégies de design. Dans ce but, nous considérons tout d’abord les méthodes de mesure de l’émotion présentées dans de précédents travaux relatifs au design-produit. Certaines de ces méthodes sont ensuite testées afin de répondre plus particulièrement aux caractéristiques spécifiques d’une expérience d’utilisation d’une interface. Une méthode associant différentes mesures complémentaires de l’émotion, synchrones/asynchrones, objectives/subjectives, sera ainsi envisagée.

Mots Clés Design émotionnel ; design d’interface ; mesure des émotions.

ABSTRACT Usability has become a major notion for the conception and the evaluation of human-computer interactions. In order to push forward the quality of use, new areas of research are to be explored, and the question of end-users’ emotions has become preponderant. Our view is to contribute to better ways to design and evaluate interfaces, by measuring the emotional impact of specific design strategies. In this paper, we discuss of emotional

measurement methods which would fit the requirements of an interface use experience. Thus, we combine synchronous./asynchronous, objective/subjective complementary measures.

ACM Classification Keywords HCI design and evaluation methods, User models, Interaction design process and methods.

INTRODUCTION Depuis plusieurs années, les équipes de conception ont adopté une approche centrée utilisateurs selon des recommandations ou des critères ergonomiques [23, 36]. Ces recommandations visent à minimiser l’effort cognitif nécessaire à l’utilisation de certains produits ou dispositifs. Ainsi, l’interaction homme-machine est souvent considérée en fonction de l’utilisabilité, plutôt qu’en fonction de l’expérience de l’utilisateur [4, 17]. Bien que les interfaces soient de ce fait devenues plus faciles à utiliser, d’autres approches sont aujourd’hui proposées. Don Norman, par exemple, suggère l’analyse de trois niveaux d’interaction : « la prise d’information, l’interaction effective, et le ressenti émotionnel » [24]. Les équipes de conception prennent de plus en plus souvent en compte des considérations autres que la stricte utilisabilité. Les nouveaux systèmes devraient ajouter un peu de bien-être, de fun et de plaisir dans la vie [22]. Ainsi, au-delà des fonctionnalités proposées, les IHM pourraient être considérées comme susceptibles de communiquer une émotion positive via certaines stratégies de design. Ce nouveau champ de recherche sous-tend deux problématiques importantes : d’une part la compréhension des processus émotionnels des utilisateurs, et d’autre part, la compréhension des moyens pour amener une émotion via une interface.

L’objectif de cet article est donc de présenter et discuter une méthodologie de mesure de l’émotion utilisateur durant une expérience d’utilisation d’une interface. Dans cette perspective, nous commençons par définir la notion

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d’émotion et ses caractéristiques dans le contexte spécifique d’une expérience d’utilisation d’interface. Nous prenons en compte et testons ensuite certains outils de mesure, susceptibles de répondre à ces caractéristiques.

Notre étude contribue à la définition d’un protocole de référence visant à identifier les interactions et les caractéristiques de design suscitant une émotion de la part de l’utilisateur. Ces résultats seront ensuite exploités dans le contexte du projet applicatif SKIPPI [37], un logiciel de soutien à la créativité des designers. Notre rôle dans ce projet est d’identifier les besoins et représentations des utilisateurs, et de proposer des recommandations pour le design de l’application. Ces études ont interrogé l’impact émotionnel de l’interface, notamment au regard de la valeur émotionnelle des contenus affichés. Un protocole d’évaluation devait ainsi pouvoir être mis en place afin de distinguer la valeur émotionnelle du design d’interface.

DEFINIR L’EMOTION De nombreuses approches de l’émotion ont été proposées par des courants variés de la psychologie : phénoménologique, comportemental, physiologique, cognitif [36]. Bien qu’aucun consensus ne se dégage, plusieurs modèles s’appuient sur la notion d’évaluation (appraisal) [2, 32] : un stimulus est appréhendé et évalué sur la base de processus cognitifs pour générer l’émotion. Dans cette optique, on peut dégager deux composantes, l’une interne et l’autre externe [11, 19, 34]. La composante externe correspond aux caractéristiques du stimulus, tandis que la composante interne correspond aux expériences passées et aux attentes de l’utilisateur. Une séquence d’évaluations rapides et complexes sous-tend l’analyse du stimulus [15, 33] et prépare l’utilisateur à réagir. Cette réaction peut être exprimée par des changements physiologiques, comportementaux et cognitifs [16].

Pour illustrer ces aspects, nous nous référons à une installation temporaire mise en place à Auckland [39], qui nous permet de souligner l’importance de l’émotion dans un contexte de design d’interface. Cette installation a été implantée dans une gare, au niveau d’un escalier jouxtant un escalator. Habituellement, la plupart des usagers empruntent l’escalator, plus rapide et plus facile. L’escalator est plus efficient, donc plus utilisable, et ce jugement est constamment renforcé par notre expérience. L’installation consistait en une transformation de

l’escalier en piano. Les touches blanches et noires étaient reproduites sur les marches. Un usager confronté à l’installation évalue cette situation qui lui rappelle à la fois l’expérience d’un escalier et d’un piano. Cette incongruité peut susciter une émotion, la surprise, puis le désir d’en découvrir davantage et donc la curiosité. Le rythme cardiaque s’accélère un peu (réaction physiologique), et, souriant, l’usager s’approche de l’escalier (réactions comportementales). En montant les marches, l’usager découvre qu’elles s’enfoncent légèrement et que la note correspondante retentit. Les artistes avaient développé davantage la métaphore, suscitant ainsi l’effet d’incongruité, et le plaisir des usagers. Certains usagers jouèrent avec l’escalier piano, courant de haut en bas et de bas en haut. Finalement, bien que l’escalier fût moins utilisable, davantage d’usagers le choisirent plutôt que l’escalator, le temps de cette installation. Bien que cet exemple soit une extrapolation du design d’interface homme-machine, il illustre comment une expérience positive est susceptible d’influencer le comportement des utilisateurs, au-delà de l’utilisabilité effective de l’interface. Les préférences et les prises de décision étant guidées par l’émotion [30], la notion d’évaluation apparaît particulièrement importante pour notre étude.

Scherer [34] définit l’émotion comme une expérience affective relativement intense, dont la cause est clairement identifiée, et qui ne dure pas très longtemps. Scherer distingue les émotions “utilitaires” qui mènent à l’action (colère, peur, joie, dégoût), des émotions “esthétique” qui ne mènent pas à l’action (admiration, extase, harmonie, solennité).

Deux perspectives générales peuvent être distinguées pour définir l’émotion : une perspective catégorielle et une perspective dimensionnelle. La perspective catégorielle considère les émotions comme catégorisables, ces catégories pouvant être croisées, ou divisées, pour définir des sous-catégories plus précises. Plutchick [26] s’appuie ainsi sur huit émotions primaires définies selon leur capacité à induire un comportement de fuite ou d’attirance : la joie/tristesse, la confiance/dégout, la peur/colère, et la surprise/anticipation. Ces modèles catégoriels sont très populaires, notamment chez les designers, parce qu’ils sont faciles à manipuler : les termes désignant les différentes émotions se placent dans des catégories bien déterminées. Cependant, ces modèles présentent certains inconvénients. Une catégorisation fondée sur la terminologie implique de partager une même culture linguistique. Il faudrait ainsi pouvoir faire abstraction de toutes différences interindividuelles dans l’interprétation des termes. Par ailleurs, par définition, un modèle catégoriel limite le nombre potentiel d’émotions, et la finesse de l’identification de l’émotion dépend du niveau de granularité du modèle, induisant des biais de

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catégorisation potentiels. D’autres modèles coexistent donc, basés cette fois-ci sur une perspective dimensionnelle. Deux dimensions se distinguent particulièrement des nombreux modèles publiés : la valence et l’activation [27, 28]. La valence correspond à une échelle de plaisir/déplaisir, tandis que l’activation correspond à un niveau d’endormissement/excitation. Ces deux échelles définissent un espace bidimensionnel dans lequel on peut placer et localiser les différents termes émotionnels. D’autres échelles peuvent se superposer à ce modèle, notamment celle de dominance [20], correspondant à la capacité de contrôler le stimulus.

UN MODELE EMOTIONNEL DE L’IHM L’analyse de Russel [29] portant sur les effets de l’émotion confirme l’importance d’une émotion positive dans le contexte de l’utilisation d’une interface. Une émotion positive améliore en effet les capacités d’attention et favorise les jugements positifs [25, 31, 35], tandis que l’activation améliore la performance cognitive [18]. Une combinaison de valence et d’activation fortes favorise l’optimisme dans le choix d’objectifs et de stratégies. D’autres travaux ont également montré qu’une émotion positive pouvait améliorer l’apprentissage et la réalisation de différentes tâches [5, 6, 10, 12]. De telles conclusions justifient l’intérêt de développer des interfaces suscitant une émotion positive.

Comme nous l’avons évoqué plus haut, le ressenti des utilisateurs dépend de facteurs individuels tels que les expériences passés, la culture, l’intérêt et l’investissement envers la tâche. Le design de l’interface, dont les designers sont responsables, ne constitue donc que l’une des nombreuses variables influençant le ressenti de l’utilisateur final. Desmet [11] propose ainsi un modèle selon lequel l’émotion constitue le résultat d’un processus d’évaluation basé d’une part sur les

caractéristiques individuelles de l’utilisateur, et d’autre part sur les caractéristiques du produit. Desmet ajoute que le produit n’est pas toujours le stimulus direct ; les pensées suscitées par le produit peuvent parfois en être le stimulus effectif. Ce point de vue rejoint celui de Norman [24] qui distingue plusieurs niveaux émotionnels d’interaction avec un produit : un premier niveau « viscéral » correspondant au ressenti immédiat et instinctif, et deux autres niveaux davantage liés à la perception de l’interaction par l’utilisateur (« comportemental ») ou à une évaluation sociale/intellectuelle (niveau « réflectif »).

Notre étude prenant en compte les spécificités du design d’interface, il est nécessaire de préciser davantage les composantes de ce type de « produit » particulier. Le diagramme ci-dessous est ainsi proposé (cf. figure 1). Dans ce diagramme, l’expérience d’utilisation de l’interface influence le ressenti émotionnel de l’utilisateur. L’expérience d’utilisation (stimulus externe), se confronte à des stimuli internes de l’utilisateur (intérêt, attentes, expériences passées). Ce mécanisme d’évaluation suscite l’émotion de l’utilisateur. Ce schéma est compatible avec le modèle présenté plus haut qui considère le traitement évaluatif des composantes internes et externes pour générer l’émotion. Le diagramme correspond également au modèle émotionnel de Desmet fondé sur les caractéristiques utilisateurs et les caractéristiques produit. Ici cependant, nous avons substitué le terme de « produit » par celui « d’expérience utilisateur de l’interface ». La notion d’expérience renvoie en effet à une interaction continue avec le produit, impliquant par nature des modifications constantes de ses caractéristiques. Les spécificités d’une IHM nous amènent à distinguer trois composantes spécifiques susceptibles d’influencer le ressenti de l’utilisateur :

Pictogrammes : thenounproject.c

om

Contenus Tâche Design d’Interface (Information Design, Interaction Design)

Designer Expérience d’utilisation

Utilisateur

Figure 1 : un modèle du design émotionnel d’interface

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• Le « contenu » correspond aux informations et aux données communiquées à l’utilisateur. Il rassemble des éléments textuels (textes, articles), pictoriaux (photos, pictogrammes, illustrations, diagrammes), vidéos, ou sonores. Le contenu est typiquement alimenté par des rédacteurs tandis que l’interface est conçue par des designers.

• Le « design d’interface » correspond à la mise en forme et à la stratégie de présentation du contenu et des fonctionnalités. Nous distinguons le « design d’information » pour les stratégies de structuration et de présentation des contenus, et le « design d’interaction » pour les modes d’interaction de l’utilisateur avec l’interface.

• La « tâche » correspond à l’objectif recherché lors de l’utilisation de l’interface (lire, comparer, rechercher, calculer, organiser, concevoir…). Réaliser ces tâches peut induire une émotion chez l’utilisateur.

Ces trois composantes sont très liées, et constituent les caractéristiques-produit de l’interface supportant « l’expérience d’utilisation ». Deux autres composantes devraient, en outre, être prises en considération :

• Les spécificités de l’utilisateur au moment de l’interaction. Cet élément pourrait potentiellement rassembler de nombreuses variables interindividuelles, telles que le profil culturel, les connaissances antérieures en lien avec le contenu (marque, images, articles afférents…) et avec les modes d’interaction, l’expertise de l’utilisateur, éventuellement affectée par le contexte d’utilisation, la personnalité de l’utilisateur, son humeur, son intérêt pour la tâche, etc. L’expérience utilisateur de l’interface, considérée comme le stimulus externe global, est ainsi évaluée selon les caractéristiques internes propres à l’utilisateur, et contribue à susciter l’émotion. Ce processus devrait être considéré comme continu et itératif : les émotions suscitées par l’interface s’additionnent aux expériences passées, et influencent le ressenti pour la suite de l’expérience d’utilisation. Ces changements constituent en fait l’objectif des designers qui souhaitent influencer le comportement et les actions des utilisateurs.

• Le designer, qui dispose de stratégies de design émotionnel, pour les designs d’information et d’interaction. Ses pratiques sont cependant souvent empiriques. A terme, nous aimerions pouvoir mieux comprendre comment les pratiques de design influencent le ressenti des utilisateurs. Pour ce faire, une première étape est de disposer d’une méthodologie solide

capable de distinguer « l’effet émotionnel » de différentes stratégies de design d’interface.

MESURER LES EMOTIONS DES UTILISATEURS Dans la perspective de disposer d’un protocole de mesure de l’émotion adapté aux interfaces, une expérimentation a été mise en place, en s’appuyant notamment sur les travaux de Rieuf [30].

Le principe retenu pour cette expérimentation se structure selon deux parties. Dans un premier temps, des stimuli contrôle, dont on connaît la valeur émotionnelle, ont été soumis à des utilisateurs au travers d’une interface, afin de vérifier la capacité des outils sélectionnés à fournir des résultats significatifs. Dans un second temps, les méthodes retenues sont employées pour comparer l’impact émotionnel de deux interfaces différentes. Huit utilisateurs ont été recrutés. Leur niveau de stress, d’humeur et de bien-être ont été mesurés dans un premier temps afin d’écarter d’éventuels biais individuels.

Objectif #1 : tester la fiabilité de la méthode de mesure Pour atteindre cet objectif, nous avons présenté douze images issues de la base de Genève (GAPED) [9]. Cette base contient 730 images dont les valeurs de valence et d’activation ont été validées dans le monde entier. Nous avons sélectionné trois groupes de quatre images en fonction de leur score de valence : les images obtenant le score le plus élevé, le plus faible, et le plus proche de la valeur nulle correspondant à une valence neutre. Des travaux antérieurs font état de trois types de composantes permettant de mesurer le ressenti émotionnel d’un utilisateur : les composantes physiologiques, comportementales, et cognitives. Ces travaux soulignent notamment les limites de chacune de ces composantes. Aussi, des mesures complémentaires associant les trois composantes simultanément sont conseillées [18,19,21].

Composante physiologique La composante physiologique permet d’obtenir une mesure synchrone à l’expérience d’utilisation. Parmi les différentes mesures physiologiques disponibles, la mesure de la conductance électrodermale est une mesure objective (non contrôlable par l’utilisateur), et est exploitée pour traduire les variations d’activation selon le's recommandations issues de travaux antérieurs [8]. Cette mesure souffre cependant d’une latence importante, le pic correspondant à un stimulus ponctuel n’apparaissant qu’après un délai d’une à trois secondes, et nécessitant plusieurs secondes, voire dizaines de secondes, pour revenir à un niveau normal. Dans le contexte d’une expérience continue d’utilisation d’interface, cette latence peut poser des difficultés de lecture, plusieurs stimuli rapprochés pouvant déclencher la superposition de plusieurs pics. Nous avons donc mesuré la conductance moyenne, le nombre de pics et leur amplitude, sans écarter les pics de faible intensité.

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Nous avons également inséré une période d’attente de quinze secondes entre chaque image du GAPED. Nos résultats n’ont pas rejoint nos attentes. En effet, il apparaît que l’essentiel de l’activité électrodermale se déroule durant les phases de repos. Paradoxalement, les phases de repos apparaissent donc comme étant plus actives. Plusieurs hypothèses explicatives peuvent être formulées. D’une part, les phases de repos sont parfois exploitées par les utilisateurs pour se détendre et s’étirer ; ils sont donc plus actifs que lorsqu’ils observent passivement une image. D’autre part, une barre de progression indique l’avancement du temps d’attente. Il s’agit d’une animation susceptible de générer plus d’éveil que la présentation d’une image fixe. Des tâches de réponse à des questionnaires, que nous présenterons plus loin, génèrent ainsi bien davantage d’activation. Nous n’écarterons donc pas la composante physiologique de nos prochaines études, mais nous gardons à l’esprit qu’un niveau minimum d’interaction est nécessaire pour rendre cette mesure exploitable. Composante comportementale La composante comportementale est principalement mesurée en exploitant les modifications des traits du visage, sur la base des travaux d’Ekman [13]. Pour cette expérimentation, nous avons exploité le logiciel FaceReader [21], qui permet d’observer 500 points clefs du visage de l’utilisateur sur la base d’un enregistrement video. Un score de valence est calculé à partir d’un rapprochement de probabilité en fonction de sept émotions de références (neutre, joie, tristesse, colère, surprise, peur, dégoût). L’analyse du visage a le bénéfice de fournir une mesure continue et synchrone, et objective dès lors que l’utilisateur ne contrôle pas consciemment les traits de son visage. Les résultats de cette analyse présentent une très large dispersion des résultats selon les participants, et aucun motif cohérent n’a pu être dégagé. Les moyennes des scores de valence mesurés sont très proches de la neutralité, alors que le GAPED indique des valeurs importantes pour les deux groupes d’images extrêmes. Ces difficultés devraient néanmoins être confirmées par d’autres études, et par un échantillon de participants plus important. Le protocole pourrait en outre nécessiter une analyse plus fine, permettant d’écarter les erreurs de détection du visage par le logiciel sur la base d’un contrôle manuel, image par image. Composante cognitive

Cette composante correspond à la perception par l’utilisateur de son ressenti émotionnel. Il s’agit d’une mesure subjective et asynchrone, tout type de questionnaire nécessitant d’interrompre l’expérience d’utilisation. Dans le cas de cette expérimentation, les questionnaires ont été proposés après la présentation de chaque image, et avant une phase de repos de quinze secondes. Nous avons sélectionné deux types de questionnaires graphiques. La Geneva Emotion Wheel

(GEW) [34, 36] se présente sous la forme d’un cercle représentant un espace circomplexe structuré selon les axes de valence et d’activation. Afin de faciliter la compréhension de ce cercle par les utilisateurs, une vingtaine de labels d’émotions ont été placés en périphérie. Les utilisateurs peuvent indiquer une ou plusieurs émotions ressenties, ainsi que l’intensité de ces émotions selon la distance au centre du cercle. Un inconvénient des questionnaires présentant une terminologie est de limiter le choix aux termes proposés. Dans la GEW, il est de ce fait également possible d’inscrire un terme librement choisi par l’utilisateur au centre du cercle, ou d’indiquer qu’aucune émotion n’a été ressentie. Un autre inconvénient est souvent lié au biais d’interprétation du sens des termes proposés. Nous avons donc également mis en place un second questionnaire graphique présentant trois échelles (valence, activation, dominance). Ces trois échelles du Self Assesment Manikin (SAM) [7] font usage de pictogrammes pour présenter les valeurs émotionnelles. Ce questionnaire est donc compatible avec un segment de population plus large (enfants, participants de culture ou de langage différents). Les résultats sont cohérents avec les valeurs de référence du GAPED (voir Figure 2).

Figure 2. Réponses aux questionnaires

En haut : GEW ; en bas : SAM Rouge : images négatives

Bleu : images neutres Vert : images positives

Les résultats reposant sur la GEW montrent clairement une distinction entre les images positives et celles

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négatives. Les images neutres tendent vers des émotions de tristesse et de compassion, une explication étant que ces images induisent une faible activation, comme le suggère la réponse au SAM. Les deux questionnaires apparaissent donc complémentaires et fiables. Il faut cependant garder à l’esprit que les stimuli employés étaient de valence particulièrement importante pour les deux groupes d’images positives et négatives.

Objectif #2 : tester la sensibilité du système de mesure envers différentes variations de design Pour cet objectif, nous souhaitions mesurer l’effet émotionnel du seul design émotionnel, en excluant les effets causés par le contenu et la tâche qui ne dépendent pas du travail du designer (voir Figure 1). Pour ce faire, nous avons considéré que la différence entre le ressenti causé par l’ensemble de l’expérience d’utilisation, et le ressenti causé par le seul contenu, déterminait l’impact émotionnel l’interface :

[Emot° globale UX] x [Caractéristiques utilisateur] =

([Emot° contenu] + [Emot° interface] + [Emot° tâche]) x [Caractérisitiques. utilisateur]

[Emot° interface] = [Emot° globale UX] - [Emot° contenu]

En ne faisant varier que le design de l’interface, nous avons considéré que la différence de ressenti émotionnel lié à la tâche pouvait être négligeable.

Dans cette seconde phase, nous avons donc comparé le ressenti émotionnel d’un contenu texte/image sans interface, au ressenti émotionnel du même contenu placé au sein d’une interface. Afin de neutraliser les différences interindividuelles, et d’éviter de présenter successivement deux contenus identiques dans une forme différente, nous avons constitué deux contenus différents contrebalancés selon deux groupes de mise en forme : UX type A et UX type B. Le design de type B se distingue par des proportions s’appuyant sur le nombre d’or, un arrière-plan coloré, qui s’accorde aux tons des images, une image sans marge, un titre centré aux caractères un peu plus grands, une transition de page animée, et un effet de fondu coloré au survol des éléments du menu (voir Figure 3). Plusieurs travaux présentent en effet ces variables comme susceptibles d’affecter le ressenti des utilisateurs [5].

Figure 3. A gauche : UX Type A ; à droite : UX Type B

Les photos sont floutées pour respecter le copyright.

Notre objectif est alors de déterminer si le système de mesure proposé est capable de distinguer des émotions différentes selon deux typologies de design. Selon notre

hypothèse, l’effet du design peut être estimé en comparant l’effet de l’expérience d’utilisation globale à l’effet des contenus seuls.

En exploitant les questionnaires GEW et SAM dont nous avons vérifié la fiabilité dans la première partie de cette expérimentation, nous avons pu évaluer l’impact émotionnel des images seules, des textes seuls, et de l’ensemble de l’expérience d’utilisation pour les deux typologies d’interface. Ces résultats ne sont pas détaillés ici dans un souci de brièveté.

Nous avons ensuite soustrait la valeur émotionnelle des contenus seuls à la valeur émotionnelle de l’expérience globale d’utilisation. Selon notre hypothèse, cette résultante correspond à la valeur émotionnelle du seul design d’interface. L’impact des deux stratégies de design devient ainsi comparable (voir Figure 4). Ces résultats présentent l’interface de type B comme étant plus amusante, et générant un peu plus de plaisir que l’interface de type A. Les deux interfaces suscitent un niveau de contentement similaire, et l’interface de type B présente un niveau de dominance plus important.

Figure 4. Comparaison des émotions suscitées par deux

designs différents En haut : GEW ; en bas : SAM

Les méthodes que nous avons employées afin de mesurer l’impact émotionnel d’une interface ne répondent donc pas toutes de manière satisfaisante à nos attentes.

• L’utilisation de FaceReader pour mesurer la composante comportementale au travers d’une analyse automatisée des traits du visage des utilisateurs n’a pas permis d’obtenir des résultats significatifs. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces résultats : l’analyse globale des videos inclut

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des images pour lesquelles les visages sont mal reconnus ; les stimuli visuels peuvent ne pas susciter une intensité émotionnelle suffisante pour observer des changements du visage.

• La mesure électrodermale a abouti à des résultats paradoxaux, présentant une activité plus importante durant les phases de repos et de questionnaires, que pendant les phases de présentation de stimuli textes et images. Il semble donc que les interfaces proposées n’impliquent pas suffisamment les utilisateurs en termes d’activation. Nous conserverons donc cette mesure pour nos prochaines expérimentations, qui mettront notamment en œuvre des interfaces plus « interactives ».

• Les questionnaires GEW et SAM ont permis de mettre en évidence des différences de ressenti dans le cadre de deux designs différents. De ce point de vue, ces résultats apparaissent très encourageants. En revanche, par nature, ces questionnaires n’offrent qu’une mesure ponctuelle, asynchrone. Dans le contexte de notre expérimentation, présentant une interface relativement homogène, nos résultats peuvent apparaître valides. Cependant, dans le contexte d’une prochaine expérimentation proposant des interactions plus riches susceptibles de susciter des variations de l’émotion ressentie au cours de l’expérience d’utilisation, la validité de ces questionnaires asynchrones risque d’être plus problématique.

CONCLUSION Le design émotionnel est devenu une problématique cruciale pour les designers d’interface. Cependant, leurs pratiques demeurent aujourd’hui empiriques. Des méthodes spécifiques sont nécessaires afin de pouvoir évaluer de manière fiable l’impact émotionnel des stratégies de design. Nous avons cherché à établir une méthode de mesure de l’impact émotionnel spécifique au design d’interface. Nos premiers résultats ont montré que les méthodes conventionnelles de mesure de l’émotion n’étaient pas toutes adaptées à ce contexte spécifique. Cependant, les questionnaires SAM et GEW, bien que subjectifs et asynchrones, ont permis de faire état de différences de ressenti entre deux interfaces différentes. Nous espérons que ces résultats contribueront à alimenter la définition d’un protocole de mesure de l’émotion adapté aux spécificités du design d’interface, et, in fine, à établir l’effet de différentes stratégies de design émotionnel.

REMERCIEMENTS Ce travail est financé par l’ANR dans le cadre du projet SKIPPI (ANR-2010-COSI-016-01).

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