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Patrice HILT

Droit processuel : IntroductionLe droit processuel est prsent dans tous les domaines. La question de la suppression du juge dinstruction est une question de droit processuel. Le cours de droit processuel est la recherche des points de procdure communs diffrentes procdures franaises. Lintroduction sera construite en trois volets : le procs, la procdure dans sa notion et le droit processuel dans sa dfinition.

I Le procsLhistoire de notre pays est marque par de grands procs, comme le procs de Jeanne dArc en 1431, le procs de Ravaillac en 1610, celui du capitaine Dreyfus en 1894, le procs dOutreau en 2004. Ces procs font tous partie de la mmoire collective franaise. Le premier procs en faire partie est trs certainement le procs de Jsus, dont on tirera des lments de droit processuel. Tenu en lan 30, ce procs prsente un intrt capital sur le terrain de la thologie. Au-del de cet aspect, le procs prsente un intrt juridique, car il a longtemps t associ la notion derreur judiciaire : la loi, jusquen 1905, imposait ce que, dans chaque juridiction franaise, soit plac un crucifix au dessus de la tte des magistrats, pour leur rappeler la plus grande erreur judiciaire de lhistoire du monde. Jsus a t crucifi en lan 30, 36 ans, sur le mont Golgotha. Le procs tait premirement religieux : Jsus prtendait tre fils de Dieu, et soctroyait une autorit suprieure Mose, et dfiait donc les autorits juives de lpoque, qui le qualifiaient de blasphme. Le procs tait aussi politique : Jsus se prtendait roi des Juifs et portait ainsi atteinte lempereur romain, Hrode, ici reprsent par le prfet Ponce Pilate, ce qui tait un sacrilge. Ds lorigine, de nombreuses personnes ont prtendu que ce procs tait irrgulier dans sa forme, de nombreuses rgles de procdure ayant t violes. Par exemple, le procs de Jsus sest tenu en pleine nuit, alors que le droit romain imposait que ceux-ci se tiennent sur le forum, en journe. Jsus na eu aucune possibilit de se dfendre, alors que le droit un dfenseur tait dj en vigueur. Plusieurs tmoins auraient t suborns ; or, la subornation de tmoin tait dj interdite par le droit romain. Jsus naurait commis aucune faute, de telle sorte mal fonder le jugement rendu son gard de surcrot. La thse de lirrgularit du procs de Jsus continue encore tre soutenue : en 1948, un collectif de scientifiques amricains dposa un recours en rvision devant la Cour suprme dIsral. Les rgles les plus fondamentales du droit de la procdure auraient t bafoues. La Cour a dclar, contre toute attente, la requte recevable : cette Cour suprme sest considre comme le successeur direct du tribunal qui avait condamn Jsus. De plus, elle a cart le grief de la prescription car il ntait pas possible dintroduire un recours en rvision avant 1948, lEtat dIsral nexistant que depuis cette date : il a exist un obstacle objectif au dpt du recours pendant 2000 ans . La Cour a nomm un groupe denquteurs chargs de vrifier si, oui ou non, le procs de Jsus a t rendu de faon irrgulire. Les experts, dans le doute, conclurent la rgularit de la procdure mene par Ponce Pilate, dfaut de preuve.

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De toutes ces considrations se dgage une interrogation : quest-ce quun procs ? Le mot procs voque lide dun combat entre deux parties, qui saffrontent devant le juge, avec, dun ct, un demandeur qui a pris linitiative de saisir le juge en formulant une prtention lencontre de lautre partie, et de lautre ct, un dfendeur qui tente dy rsister. Lobjet de ce combat est dobtenir du juge quil tranche la contestation au moyen dun acte solennel : le jugement. Pour parvenir ce jugement, une dmarche trs rglemente doit tre observe : pour permettre au juge de trancher la contestation au moyen dun jugement, chaque partie au procs doit accomplir une succession dactes, tout au long de linstance. Lensemble de ces actes qui doivent tre excuts par les parties est appel procdure .

II La procdureUn procs ne se droule pas nimporte comment : il appartient chaque partie de respecter une procdure. La procdure na dautre objectif que de permettre au juge de rendre la meilleure des dcisions de justice. La procdure constitue donc un mode demploi dun procs. Ce mode demploi indique au plaideur la marche suivre depuis le dclenchement des hostilits (assignation, requte ou rquisitoire introductif dinstance), jusquau jugement. La procdure dsigne donc la faon de faire avancer le procs afin que celui-ci puisse obtenir une solution. Ltymologie du mot renvoie au latin procedere : avancer vers [le jugement] . La procdure sentend dun ensemble dactes ou de formalits dont laccomplissement permet une juridiction de trancher un problme de droit. La procdure prsente donc indniablement un caractre formaliste. Ce formalisme, prvu par la procdure, est indispensable pour que le juge puisse rendre la meilleure des dcisions de justice. En effet, lexigence dune procdure rpond plusieurs soucis. Le premier dentre eux est quon ne saurait laisser la justice la seule volont des parties. Nul ne doit pouvoir se rendre justice soi-mme. La procdure fixe un cadre commun toutes les dcisions. Il existe cependant quelques hypothses de rglement de justice exclusivement entre les parties. En droit des obligations, par exemple, il existe une exception selon laquelle quelquun est en droit de ne pas excuter des engagements face celui qui nexcute pas les siens au pralable. Deuximement, grce la procdure, chaque plaideur sait, par avance, ce quil peut et ce quil doit attendre de lautre. Cela permet davoir une certaine visibilit : le juge pourra rendre la meilleure dcision de justice. Troisimement, la procdure permet que les prtentions et les dfenses de chaque partie soient prsentes de manire claire et prcise, de sorte que le juge sache exactement ce qui lui est demand. Enfin, et surtout, la procdure est une trs bonne garantie contre larbitraire du juge : les parties et le juge sont tous rgis par les rgles de procdure. La procdure prsente un caractre formaliste. Quelle quelle soit, la procdure a souvent une mauvaise rputation au sein des juristes. Elle a t longtemps considre comme facilitant la chicane et la fourberie des avocats . Depuis quelques annes, la procdure a un peu chang : on est pass dun droit formaliste vers une vritable science de la procdure. On parle parfois dart procdural. Il est bien que lenseignement de la procdure soit revaloris : la procdure est le seul moyen de garantir une justice de qualit. Cette procdure garantit la loyaut des dbats, permet de contrer larbitraire des personnels de justice et permet la ralisation des droits subjectifs reconnus aux personnes juridiques. Il convient de parler de la

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procdure au pluriel : bien y regarder, il nexiste pas une seule procdure mais plusieurs procdures. Le mot procdure semploie donc toujours au pluriel.

A. La pluralit de procduresLes rgles de procdure sont directement fonction de la nature du litige, varient dun contentieux lautre. Il existe autant de procdures que de contentieux. Par exemple, la procdure applicable au procs civil est appele procdure civile ou droit judiciaire priv. Cette procdure civile, qui ne sapplique quaux procs civils, est consigne dans un code particulier, le code de procdure civile. Le code de procdure civile a t labor en 1806 par Napolon Bonaparte ; en 1971, il a t rform pour finalement sappeler le nouveau code de procdure civile. Finalement, par une loi de dcembre 2007, la loi de simplification et de clarification du droit, on ne parle plus que de code de procdure civile. La loi de 2007 na fait que changer lintitul du code et non plus ses rgles. Autre exemple, la procdure applicable au procs pnal est la procdure pnale. Ses rgles sont consignes dans le code de procdure pnale, labor en 1808. Initialement, il sappelait le code dinstruction criminelle. Ce nest quen 1959 quil a revtu son nom actuel. Ce code change pratiquement tous les ans, tant ses rformes sont nombreuses. Troisimement, la procdure applicable aux procs administratifs est appele le contentieux administratif. Initialement, les rgles procdurales applicables ce litige ntaient pas codifies, mais rsultaient dun ensemble complexe de lois et de dcrets. La matire tait trop complexe et trop peu accessible. Cest dsormais une ordonnance du 4 mai 2000 qui a dcid de regrouper dans un nouveau code toutes ces rgles de contentieux administratif : il sagit du code de justice administrative. Ce code de justice administrative est entr en vigueur le 1er janvier 2001. Pourquoi ne pas avoir adopt la mme procdure dun contentieux lautre ? Les contentieux civils, pnaux, administratifs, constitutionnels, etc. sont trs diffrents les uns des autres dans leur esprit. Dun contentieux lautre, les rgles de procdure ne poursuivent pas le mme objectif. Dans le procs civil, la procdure vise apaiser le conflit , aboutir une paix sociale. Dans la procdure pnale, elle vise sanctionner la personne. Dans la procdure administrative, on ne veut ni apaiser ni sanctionner, mais complter laction administrative. Les diffrentes procdures sont aussi diffrentes dans leur contenu. Pour mesurer la diffrence de contenu, il faut, au pralable, savoir quune procdure peut tre accusatoire ou inquisitoire, mais aussi crite ou orale. La procdure est dite accusatoire lorsque la loi abandonne le dclenchement ainsi que le droulement du procs, la diligence des parties. Dans ce systme accusatoire, le juge va jouer un rle trs effac et sapparente plus un arbitre. Ce sont les plaideurs qui, chacun de leur ct, vont procder linstruction de leur propre cause, rassembler les preuves, justifier leurs prtentions et demander au juge, le moment venu, de les dpartager. Dans la procdure accusatoire, le juge ne prend aucune initiative, est passif mais tranche. La procdure accusatoire est donc la chose des parties . Tout repose sur elles. La procdure est inquisitoire ou inquisitoriale lorsquil appartient au juge lui-mme de procder linstruction en vue de dcouvrir la vrit. En dautres termes, il lui appartient dordonner toutes les mesures dinstruction ncessaires, de prendre toutes les initiatives qui simposent et dapprcier, le moment venu, si laffaire est suffisamment instruite pour tre en tat dtre juge. Ce type de procdure sinspire de lide que la justice est un service public et que le juge, partir du moment o il est saisi, na plus se soucier de ce que veulent ou souhaitent les parties.

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La procdure peut-tre crite. On parle de procdure crite lorsque le juge ne peut tre saisi des demandes et moyens des parties autrement que par des actes crits, portant des noms diffrents en fonction du contentieux envisag : des conclusions lorsque la procdure est civile, des mmoires lorsquelle est administrative, des rquisitions lorsque celle-ci est pnale. La procdure crite a le mrite de la prcision ; on sait plus facilement ce dont le tribunal a t saisi. De plus, elle ralise un gain de temps, car le tribunal chappera aux longues explications verbales, souvent rptitives. Enfin, la procdure crite vite les effets de surprise, puisque les crits sont communiqus entre les parties, de faon ce que celles-ci aient le temps dy rpondre. Elle comporte pourtant un inconvnient, car elle prsente un caractre bureaucratique et impersonnel ; la procdure crite serait une justice froide qui dshumaniserait le litige. On dit quune procdure est orale lorsque les crits sont superflus et inutiles et que le juge statue en fonction des dclarations verbales des parties, faites la barre du tribunal. Cette procdure est malheureusement imprcise : on ne sait pas toujours trs bien quels sont les moyens et conclusions des parties. Pourtant, cette procdure est simple. En effet, puisque lcrit nest pas indispensable, lavocat lui-mme devient superflu. Cette procdure facilite donc laccs au juge, car le plaideur peut y accder directement sans passer par lintermdiaire dun avocat. Cette justice est peu onreuse puisquaucun auxiliaire de justice nintervient. De toute vidence, la procdure civile est une procdure accusatoire et crite. Elle est accusatoire, premirement, car le juge ne joue, dans le droulement du procs, quun rle darbitre qui reste neutre : ce sont les parties, et elles seules, qui dclenchent le litige, dirigent le procs, instruisent celui-ci et peuvent dcider de son extinction. Cette conception ne va cependant pas sans quelques inconvnients. On peut observer que lindiffrence du juge peut favoriser des manuvres dilatoires ou abusives, dans le seul but de ralentir le cours de la justice. Cet inconvnient a t pris au srieux par le lgislateur qui, sans mettre en cause le caractre accusatoire du procs, a dict une nouvelle rgle. Il la fait par un dcret-loi de 1935 qui a institu, au sein de chaque juridiction civile, un juge charg de suivre la procdure . Ce juge est le juge de la mise en tat. Le juge de la mise en tat doit faire en sorte que laffaire civile puisse tre juge rapidement. Il va simplement impartir aux parties des dlais pour conclure ou des dlais de communication des pices, afin que lune des parties ne dcide pas de faon discrtionnaire. Ainsi, ce juge na pour seule fonction que de fixer le calendrier de laffaire. Malgr linstitution de ce juge, la procdure nest pas plus inquisitoire : celle-ci demeure profondment accusatoire. Larticle 1er du code de procdure civile dispose que ce sont les parties elles-mmes qui dclenchent le procs. Son article 4 dispose expressment que ce sont elles qui dlimitent ltendue de leur litige. La procdure civile est galement crite. Devant les juridictions de droit commun, les parties doivent faire connatre leur argumentation dans des actes crits que lon appelle des conclusions. A contrario, une demande prsente verbalement devant le juge est irrecevable. Pour autant, toute oralit nest pas exclue : lissue de laudience, les parties, par lintermdiaire de leur avocat, sont en droit de plaider leur cause. Devant les juridictions dexception, la procdure est orale. Non seulement les conclusions ny sont pas obligatoires, mais en plus, la juridiction peut toujours tre saisie par une simple dclaration faite la barre. Devant la Cour de cassation, la procdure retombe dans le caractre crit. La Cour de cassation statue sur des mmoires, dposs par chacune des parties. Dans la ralit des choses, la Cour de cassation ne voit jamais les parties : elle juge sur pice. La procdure pnale est la fois inquisitoriale et orale. Elle est tout dabord inquisitoriale ; dans les socits antiques, elle prsentait les traits de la procdure accusatoire. Ce nest quau XIIIe sicle, avec lInquisition, que cette procdure deviendra inquisitoriale.

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Encore aujourdhui, le procs est conduit seulement par le juge, que cela soit pendant la phase dinstruction ou la phase de jugement. Il appartient au juge lui-mme de rechercher toute la vrit en ordonnant diffrentes mesures. Les parties nont aucune initiative ; par exemple, le dsistement dune affaire nappartient pas la partie mais au juge. La procdure pnale est galement orale : devant les juridictions pnales de jugement, le principe est celui de loralit des dbats. Le prvenu, ou accus, est interrog laudience, les tmoins sont oralement entendus sans quils ne puissent saider daucune note. Les experts exposent oralement leurs conclusions sans saider daucune note. Devant la cour d'assises, le principe de loralit atteint son apoge puisque larticle 347 du code de procdure pnale dispose expressment que mme le jury populaire, lorsquil dlibre, ne peut saider daucune note. Il est interdit la cour demporter dans la salle des dlibrations le dossier de laffaire. Il existe une petite place pour lcrit, notamment durant la phase dinstruction : la fonction du juge dinstruction est prcisment de runir tous les lments dun dossier pour ensuite le transmettre la formation de jugement. Par exception, les juridictions dinstruction pnale sont de caractre crit. Les tmoignages recueillis par le juge dinstruction sont consigns dans un procs verbal, tout comme les dclarations des personnes mises en examen, etc. La procdure administrative est plutt inquisitoriale et crite. Cest une procdure inquisitoriale : la direction du procs nappartient pas aux parties mais au juge. Cest galement le juge qui, le moment venu, apprciera souverainement si laffaire est suffisamment instruite pour tre juge. De plus, cest galement lui qui est charg de la recherche de la vrit. Ce caractre inquisitorial peut se comprendre certains gards : un certain tat desprit tient ce que le juge administratif tienne de ladministration. Pour cette raison, la mentalit de ladministrateur subsiste souvent au sein des juridictions administratives. La procdure est crite car le juge statue sur pices, ici des mmoires. A contrario, aucun moyen ne peut tre prsent oralement devant un juge administratif, sauf des plaidoiries, puisque le code de justice administrative prcise que si le caractre oral est cart, les parties peuvent cependant plaider la fin de laudience. Il est cependant possible dobserver que malgr les diffrences de rgles procdurales, certaines se retrouvent dune procdure lautre. Il est vrai que chaque contentieux est rgi par des rgles spcifiques, mais certaines sont communes. Ces rgles procdurales communes forment ce que lon appelle le fond commun procdural.

B. Lexistence dun fond commun procduralLes procdures, bien que trs diffrentes dans leur esprit, affichent plusieurs rgles communes. Elles constituent donc des standards communs. Ensemble, ces rgles forment le fond commun procdural. Elles sont le principe du contradictoire, lgalit des armes, le droit daccs un tribunal, le droit un juge impartial, le droit un juge indpendant. Le droit processuel est donc ltude des rgles procdurales communes tous les contentieux. On peut stonner que certaines rgles soient communes ; pour autant, il faut reconnatre que mme si les procdures se sont dveloppes dans des directions diffrentes, elles nont pas t sans exercer des influences sur les autres. Il existe des relations entre les diffrentes procdures, expliquant lexistence de standards communs. Par exemple, en France, la justice civile et pnale est rendue par un corps unique de magistrats. Un magistrat au civil peut tre mut sur un poste de magistrat au pnal

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et inversement. De plus, pendant trs longtemps, le procs administratif ntait gouvern par aucune rgle de procdure : on administrait le procs administratif en appliquant purement la procdure civile. Lorsquon a commenc imaginer des rgles procdurales spcifiques, on sest inspir de la procdure civile.

III Le droit processuelLe droit processuel est extrmement jeune. Il est n dans les annes 1970. Il connat un essor et une promotion considrables. Initialement, le droit processuel ne se dfinissait pas comme ltude des principes procduraux communs tous les contentieux. En 1970, on entendait par droit processuel une simple comparaison des diffrentes procdures. A lorigine, on tudiait simplement les diffrences entre procdures. On parlait alors dune approche purement comparatiste. Cette approche a rapidement rencontr ses limites, et ce pour deux raisons : premirement, la comparaison des diffrents contentieux pouvait apparatre trs dlicate raliser. Ces contentieux taient lpoque, par culture et par esprit, extrmement diffrents. Deuximement, au fil des annes, ont t cres de nouvelles juridictions et de nouvelles procdures : ainsi, le champ des procdures comparer est rapidement devenu trs large. Cest au dbut des annes 1990 que lon a modifi lobjet du droit processuel. Dsormais, les spcialistes estiment que le droit processuel doit consister en ltude des rgles procdurales communes et carter toute tude comparatiste. La notion doit tre carte de celle dinstitutions judiciaires. Lobjet du cours dinstitutions judiciaires est dtudier les diffrences de comptences entre juridictions. Le droit processuel nest pas non plus un cours de procdure, civile, pnale ou administrative. Dans ces cours, on tudiera tous les actes et formalits quil faut accomplir devant un tribunal. Enfin, le droit processuel nest pas un cours de droit compar. Depuis quelques annes, le droit processuel est marqu par une volution trs particulire. Cest son europanisation. Par l, ce fond commun procdural est aliment par des rgles procdurales franaises, mais galement par le droit europen des droits de lhomme, par le biais de la Convention europenne des Droits de l'Homme. Cette Convention comprend un article 61er qui rglemente le droit un procs quitable. Ce droit vient alimenter le fond commun procdural. Ces standards dorigine europenne rsultent de larticle 6 mais aussi de linterprtation donne par la Cour europenne des Droits de l'Homme. Les rgles procdurales communes sont nombreuses : le respect du contradictoire, le droit la dfense, le droit dtre prsum innocent, la publicit des dbats, le droit daccs un tribunal, le droit un juge indpendant, le droit la loyaut de la preuve, le droit ce quune dcision de justice soit motive. On peut classer ces rgles en deux catgories : certains standards sont tourns vers le juge, il sagit des principes institutionnels du droit processuel. Dautres standards de ce fond commun sont tourns quant eux vers la procdure elle-mme.

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Plan du coursDroit processuel : Introduction.......................................................................................1 I Le procs....................................................................................................................1 II La procdure.............................................................................................................2 A. La pluralit de procdures......................................................................3 B. Lexistence dun fond commun procdural............................................5 III Le droit processuel..................................................................................................6 Plan du cours...................................................................................................................7 Partie premire : Les principes institutionnels du droit processuel..........................................10 Titre 1er : Le droit daccs un juge....................................................................................11 Chapitre I : Le contenu du droit daccs un juge.......................................................12 Section premire : Laccs un juge du premier degr........................................12 1er Linexistence dun recours juridictionnel........................................12 2nd Labsence dun vritable juge...........................................................14 A : Les recours examins par un membre du gouvernement....................14 B : Les recours examins par une autorit administrative indpendante. .15 C : Les recours examins par un magistrat du parquet.............................15 Section seconde : Laccs un juge dappel.........................................................17 1er Linexistence dun droit un juge dappel en matire civile, administrative................................................................................................17 2nd La conscration dun droit un juge dappel en matire pnale.......18 Section troisime : Laccs un juge de cassation...............................................19 1er Un accs fragilis au juge de cassation en matire civile et administrative................................................................................................20 A : Le filtrage du pourvoi devant la Cour de cassation.............................20 B : Le filtrage du pourvoi devant le Conseil d'Etat...................................20 2nd Un accs renforc au juge de cassation en matire pnale................21 A : La personne condamne, mais provisoirement libre...........................21 B : La personne en fuite............................................................................21 C : La personne juge par contumace.......................................................22 Section quatrime : Laccs un juge constitutionnel..........................................22 Chapitre II : Les caractres du droit daccs un juge.................................................23 Section premire : Le principe : laccs un juge doit tre effectif.....................24 1er La suppression des obstacles juridiques............................................24 A : La radiation du rle.............................................................................24 B : Le refus dune indemnisation complmentaire...................................26 C : La remise en cause dune dcision de justice devenue dfinitive.......27 D : Les incidences dune faute commise par un auxiliaire de justice.......28 2nd La suppression des obstacles financiers............................................28 A : Lexigence europenne dun systme juridictionnelle........................29 B : Le systme franais daide juridictionnelle.........................................29 Section seconde : Lexception : laccs un juge peut tre limit.......................30 1er Lintrt gnral : Eviter ou remdier lencombrement des juridictions....................................................................................................31 A : Les conditions de recevabilit de laction en justice...........................31 B : Les dlais dexercice de laction en justice.........................................32

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C : Lobligation de consigner une somme dargent..................................33 D : La sanction de labus du droit dagir..................................................34 2nd Lintrt priv : assurer la dfense des justiciables...........................34 A : Lobligation de constituer avocat........................................................35 B : Les immunits.....................................................................................35 Titre 2me : Le droit un bon juge.......................................................................................37 Chapitre I : Les incertitudes relatives certaines qualits que doit prsenter le bon juge .......................................................................................................................................37 Section premire : Le bon juge est-il ncessairement un juge professionnel ?.....37 Section seconde : Un bon juge est-il ncessairement un juge spcialis ?...........38 1er Juge judiciaire et juge administratif...................................................38 A : Les avantages du dualisme juridictionnel...........................................39 B : Les inconvnients du dualisme juridictionnel.....................................39 2nd Juge civil et juge pnal......................................................................40 A : Les mrites de la distinction entre juge civil et juge pnal.................40 B : Le principe franais de lunit des juridictions civiles et pnales.......40 3me Magistrats du sige et magistrats du parquet..................................41 A : Lutilit du ministre public................................................................41 B : Les critiques formules lencontre du ministre public....................42 Section troisime : Un juge unique peut-il tre un bon juge ?..............................43 1er La controverse doctrinale...................................................................43 2nd Les solutions franaises....................................................................44 A : Le dclin de la collgialit dans le contentieux civil..........................44 B : Le dclin de la collgialit dans le contentieux pnal.........................45 C : Le dclin de la collgialit dans le contentieux administratif.............45 Section quatrime : Un bon juge est-il ncessairement un juge responsable de ses dcisions ?.............................................................................................................46 1er La responsabilit de lEtat.................................................................47 A : En cas de fonctionnement dfectueux dune juridiction de lordre judiciaire....................................................................................................47 B : En cas de disfonctionnement dune juridiction de lordre administratif ...................................................................................................................49 2nd La responsabilit du juge..................................................................50 A : La faute personnelle commise par le juge...........................................50 B : La faute disciplinaire commise par le juge..........................................51 Chapitre II : Les qualits que le bon juge doit ncessairement prsenter.....................53 Section premire : Le droit un juge indpendant...............................................53 1er Lindpendance du juge lgard de lEtat.......................................53 A : Lindpendance du juge lgard du parlement.................................53 B : Lindpendance du juge lgard du gouvernement..........................55 2nd Lindpendance du juge lgard de ses collgues..........................60 A : La solution impose par un autre juge de la mme juridiction...........60 B : La solution impose par une autre juridiction.....................................61 3me Lindpendance du juge lgard des parties au litige..................63 A : Les rgles qui tentent de prserver lindpendance du juge lgard des parties..................................................................................................64 B : La problmatique du juge lu..............................................................65 4me Lindpendance des juges lgard des tiers.................................66 Section seconde : Un juge impartial.....................................................................66 1er Les exigences de limpartialit..........................................................66

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A. Limpartialit personnelle, ou subjective, du juge...............................67 B. Limpartialit fonctionnelle du juge.....................................................69 2nd Les sanctions de la partialit.............................................................77 A. Les sanctions a priori...........................................................................77 B. Les sanctions a posteriori.....................................................................79 Partie seconde : Les principes fonctionnels du droit processuel...............................................81 Titre 1er : Les principes fonctionnels traditionnels..............................................................82 Sous-titre 1er : Les principes fonctionnels relatifs au droulement du procs.................82 Chapitre II : La clrit de la procdure........................................................................82 Section premire : La notion de dlai raisonnable................................................83 1er Le calcul de la dure dune procdure...............................................83 A. Le dies a quo........................................................................................83 B. Le dies a quen.......................................................................................83 2nd Lapprciation du caractre raisonnable...........................................84 A. La complexit de laffaire....................................................................84 B. Le comportement du requrant.............................................................84 C. Le comportement des autorits comptentes........................................84 D. Lenjeu du litige...................................................................................85 Section seconde : Les remdes pour acclrer les procdures..............................85 1er La mise en place de procdures acclres........................................86 2nd Ladoption de nouvelles rgles procdurales....................................87 3me La sanction de linertie du juge et des parties................................88 Sous-titre 2nd : Les principes relatifs aux acteurs du procs............................................89 Chapitre I : Les principes fonctionnels relatifs aux parties...........................................89 Sous-chapitre I : Les droits qui profitent aux parties pendant le procs...................89 Section premire : Le droit la prsomption dinnocence...................................90 1er Le rle du juge en matire de preuve.................................................90 2nd Les prsomptions de culpabilit........................................................91 Section seconde : Le droit un procs quitable..................................................91 Sous-section premire : Le droit dexposer sa cause........................................92 1er Le droit dtre inform de la procdure.............................................92 A. Recevoir linformation.........................................................................92 B. Comprendre linformation....................................................................97 2nd Le droit de se dfendre......................................................................99 A. Le droit de se dfendre personnellement.............................................99 B. Le droit dtre dfendu par un avocat................................................100 Sous-section seconde : Le droit de prsenter ses preuves...............................101 1er La discussion des preuves................................................................101 2nd La loyaut des preuves....................................................................102 A. La preuve qui a t constitue par la partie qui linvoque.................102 B. La preuve qui a t obtenue par violence, fraude ou ruse..................102 C. La preuve obtenue de faon illgale...................................................103 Sous-chapitre II : Les droits qui profitent aux parties lissue du procs..............104 Section premire : Un droit une lecture publique des dcisions de justice......104 1er En procdure civile..........................................................................104 2nd En procdure pnale........................................................................105 3me En procdure administrative.........................................................106

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Partie premire : Les principes institutionnels du droit processuel10

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Ces principes institutionnels sont essentiellement deux : dune part, chaque personne doit avoir le droit de saisir un juge. Cest le droit daccs un juge. Dautre part, chaque personne doit non seulement avoir accs un juge, mais aussi un bon juge. Cest le droit un bon juge.

Titre 1 : Le droit daccs un jugeCe droit peut se dfinir comme le droit pour toute personne de sadresser un juge afin de faire trancher une contestation juridique. Ce droit daccs nest pas nimporte quel droit processuel. En ralit, tous les auteurs et spcialistes estiment quil sagit du droit processuel par excellence, le plus important. Tout dabord, en effet, le droit daccs un juge permet toute personne de faire valoir ses droits devant une juridiction afin que justice soit rendue. En ce sens, le droit daccs un juge vite le recours la vengeance prive. Nul ne peut se faire justice soi-mme. Ce principe semble garantir lui seul la paix sociale. Par ailleurs, le droit daccs un juge constitue un moyen privilgi daccs au droit lui-mme. En effet, il faut pouvoir saisir pralablement le juge pour accder au droit. Quelques observations simposent : lexpression de droit daccs un juge peut trouver diffrents synonymes. On parlera parfois du droit daccs un tribunal, un recours juridictionnel ou du droit un juge. Ces expressions sont tout fait synonymes. De plus, le droit daccs un juge a fait lobjet dune conscration unanime, en droit national par exemple, mais galement sur un plan supranational, par la Dclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en son article 16 notamment. Est consacr le droit daccs un juge dans la Dclaration universelle des Droits de lHomme de 1948 en son article 8, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment en son article 141er, en lan 2000, dans la Charte des Droits fondamentaux de lUnion europenne en son article 47, et enfin dans la Convention europenne des Droits de l'Homme de 1950, en son article 61er. Quel juge la personne doit-elle pouvoir saisir ? Comment la personne doit-elle pouvoir saisir ce juge ?

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Chapitre I : Le contenu du droit daccs un jugeLe droit daccs un juge induit le droit de saisir un juge en premier instance. Comporte-t-il galement le droit de saisir un juge dappel, de cassation, ou un juge constitutionnel ?

Section premire : Laccs un juge du premier degrLe droit de saisir un juge implique le droit de saisir un juge du premier degr. Toute contestation, quelle quelle soit, doit pouvoir signifier le droit de saisir un vritable juge, au premier degr. Doit tre condamne la lgislation nationale qui ne permettrait pas un justiciable de saisir un juge du premier degr, mais aussi la lgislation dans laquelle la personne qui examine le recours au premier degr nest pas un vritable juge.

1er Linexistence dun recours juridictionnelLe droit daccs un juge est viol lorsque pour une contestation dtermine, aucun recours juridictionnel nest ouvert. Tel sera le cas lorsque lon souhaite contester une dcision que son auteur a rendue discrtionnairement. Ces dcisions discrtionnaires doivent tre rputes contraires au droit processuel ; de telles dcisions existent encore en droit franais. En matire civile, on peut songer la dcision prise par le prsident de la Rpublique dautoriser ou non le mariage entre collatraux. Cette dcision est discrtionnaire et nouvre aucun recours un juge du premier degr. Rcemment, la cour d'appel de Paris, dans un arrt du 3 avril 2008, a expressment dcid que larticle 164 du code civil, qui prvoit une dispense discrtionnaire lempchement mariage entre collatraux, dispense non soumise recours juridictionnel, est contraire aux dispositions de la Convention europenne des Droits de l'Homme et plus prcisment du droit daccs un tribunal . Larticle 164 doit donc tre abrog, ou susciter un recours contre le prsident de la Rpublique. Toujours en matire de droit de la famille, larticle 171 du code civil autorise le mariage posthume sous couvert dautorisation du prsident de la Rpublique. Par analogie, cette dcision est contraire au droit daccs un tribunal, et cest ce qua dcid expressment la premire chambre civile de la Cour de cassation dans un arrt du 28 fvrier 2006. En substance, celui qui se voit refuser lautorisation par le prsident doit obligatoirement pouvoir contester cette dcision devant un juge du premier degr. On peut aussi sintresser larticle 148 du code civil qui soumet le mariage dun mineur lautorisation des pre et mre, autorisation discrtionnaire. En matire administrative, existe une catgorie dactes administratifs, les actes de gouvernement. Par dfinition, un tel acte est un acte pris par le pouvoir excutif qui ne peut

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faire lobjet daucun recours juridictionnel . Constituent des actes de gouvernement le dcret prsidentiel qui promulgue une loi, la dcision prise par le prsident de la Rpublique de mettre en uvre larticle 16 de la Constitution, la dcision prise par ce dernier par laquelle il nomme un membre du Conseil constitutionnel, la dcision du prsident de la Rpublique de soumettre un texte rfrendum. Aujourdhui, il nexiste plus que quinze actes de gouvernement. En matire pnale, on relvera lexemple de lamende forfaitaire. Lamende forfaitaire sanctionne certaines contraventions numres par le code de la route. Dans une telle hypothse, le contrevenant dispose dune option deux branches : soit il paie lamende forfaitaire, soit il refuse de la payer et peut alors adresser une requte en exonration au ministre public. Cependant, cette requte, selon le code de procdure pnale, doit imprativement tre accompagne de lavis de contravention. Si une telle requte est prsente, le ministre public dispose dune option trois branches. Soit le ministre public dclare la rclamation bien fonde, soit il dclare la rclamation mal fonde et exerce des poursuites en saisissant le tribunal de police ou le juge de proximit, soit il dclare la rclamation irrecevable parce que non accompagne de lavis de contravention. Sil dclare la rclamation irrecevable, lamende sera due et il sera alors impossible au contrevenant de saisir le juge afin que celui-ci statue sur la ralit de linfraction. Le droit daccs un juge du premier degr est alors refus ce contrevenant. Cette impossibilit de saisir le juge vient dtre considre par la Cour europenne des Droits de l'Homme comme une violation du droit daccs un tribunal. Dans larrt Peltier du 21 mai 2002, la Cour a considr que les rgles franaises permettant au ministre public de rejeter la demande dexonration en la dclarant irrecevable est contraire au droit daccs un tribunal tel que prvu larticle 61 er de la Convention europenne des Droits de l'Homme . Un dernier exemple concerne la grce prsidentielle, pouvant tre octroye discrtionnairement. Il nexiste aucun moyen de saisir un juge du premier degr. Cette technique peut tre considre comme contraire au droit daccs un tribunal pour ce seul fait. Il existe parfois des hypothses o le recours au juge du premier degr existe, mais diffr dans le temps. Ainsi, ce recours diffr est-il contraire au droit daccs un tribunal ? Autrement dit, est-ce que le droit daccs au juge suppose-t-il un droit daccs immdiat un juge du premier degr ? La question a t pose la Cour europenne des Droits de l'Homme qui a dcid quun Etat peut diffrer, dans le temps, le droit de recours un juge du premier degr, sans contrevenir larticle 61er de la Convention , dans la dcision Le Compte c. Belgique du 23 juin 1981. La personne qui souhaite contester les honoraires dun avocat ne peut saisir immdiatement le juge, selon une loi de 1871. La loi fait obligation de saisir le btonnier de lordre des avocats dont fait partie lavocat aux honoraires contests. Ce nest que si le btonnier rend une dcision dfavorable que le prsident de la cour d'appel pourra tre saisi. En France, une personne qui souhaite contester une dcision administrative ne peut pas toujours saisir immdiatement un juge administratif, car la loi fait parfois obligation de saisir lauteur dune dcision administrative avant de saisir le juge. Il sagit du recours gracieux (fait devant lauteur mme) qui existe notamment en matire fiscale ou douanire. Soit lauteur accepte la contestation est on obtient gain de cause si il refuse la contestation on peut saisir le juge administratif et le recourt est donc diffr dans le temps. La personne qui souhaite contester une dcision administrative ne peut pas toujours saisir un juge, car la loi fait parfois obligation de saisir dabord le suprieur hirarchique de lauteur de la dcision ; on parle de recours hirarchique. Il en est notamment ainsi lorsque le justiciable souhaite contester une dcision prise par un maire, car il doit dabord sadresser au prfet.

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2nd Labsence dun vritable jugeQue faut-il entendre par juge , au sens du droit processuel ? En droit processuel, le vritable juge est celui qui prsente trois traits caractristiques : tout dabord, la personne qui examine le recours doit avoir t tablie par la loi. Seule une loi, en effet, peut crer une juridiction. Cest ce que lon appelle le critre organique. De plus, la personne qui examine le recours doit galement tre dote de pouvoirs dcisionnels. Cette personne doit avoir le pouvoir de trancher un litige. Cest ce que lon appelle le critre substantiel. Nest pas considre comme un juge la personne qui se contente de donner un avis ou de concilier les parties. Troisimement, la personne qui examine le recours doit encore respecter les principes fondamentaux de la procdure, que sont lindpendance et limpartialit. Il sagit du critre institutionnel. Ces trois lments, organique, substantiel, institutionnel, sont exigs cumulativement et exclusivement. A un mme moment, cette personne doit runir les trois critres. De plus, une personne est juge ds lors que ces trois critres sont runis et que lon ne peut exiger de lui aucun autre critre complmentaire. Dans larrt Taxquet c. Belgique, rendu par la Cour europenne des Droits de l'Homme le 13 janvier 2009, cette rgle a t confirme. La problmatique de lexistence du vritable juge peut se poser dans trois hypothses. On peut se poser la question dans lhypothse o le recours nest pas examin en premire instance par un juge, mais par un membre du gouvernement ; dans lhypothse o le recours est examin en premire instance par une autorit administrative indpendante ; dans lhypothse dans laquelle le recours est examin par un magistrat du parquet. Dans un arrt Medvedyev c. France, la Cour europenne des Droits de l'Homme a considr que le procureur de la Rpublique ntait pas un juge.

A : Les recours examins par un membre du gouvernementUn membre du gouvernement ne remplit pas les trois critres du juge. Autrefois, les recours dirigs contre les actes de ladministration taient examins par un membre du gouvernement, et plus prcisment par un ministre. Le droit daccs un juge ntait alors pas respect. On pouvait alors douter tant de lindpendance que de limpartialit du ministrejuge . Le critre institutionnel faisait assurment dfaut. Aux suites la loi des 17 au 24 aot 1790, une personne morale de droit public ne pouvait jamais tre soumise aux juridictions judiciaires. Ainsi, cette loi faisait chapper ladministration tout contrle judiciaire. Il en a dcoul comme consquence que ladministration, en 1790, pouvait enfreindre la loi, impunment, puisque ladministr navait aucun recours. Quelques annes plus tard, on a finalement dcid de crer un recours et de confier lexamen de ce recours, non pas un vritable juge, mais au ministre duquel appartenait lautorit qui a donn la dcision conteste. Le critre institutionnel du droit processuel faisait dfaut. En 1872 fut cr le Conseil d'Etat, par la loi, garantissant le respect du droit daccs un tribunal. Actuellement, beaucoup de projets de loi viseraient confier lexamen des recours des membres du gouvernement.

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B : Les recours examins par une autorit administrative indpendanteCes autorits sont de formation collgiale. Ce sont de vritables institutions de lEtat, qui agissent en son nom. Elles ont t cres en vue dassurer, dans leur domaine de comptence, un certain nombre de garanties telles que la protection des droits et liberts, la protection de certaines catgories de personnes, le bon fonctionnement de certains secteurs de lconomie. Aujourdhui, il existe 35 autorits administratives indpendantes : figurent parmi elles le conseil suprieur de laudiovisuel (CSA), le dfenseur des enfants, la commission nationale de linformatique et des liberts (CNIL), le mdiateur de la Rpublique, lautorit de la concurrence, lautorit des marchs financiers, le conseil de prvention et de lutte contre le dopage. Ces autorits administratives constituent-elles de vritables juges au sens du droit processuel ? Il convient dappliquer les critres retenus par la Cour europenne des Droits de l'Homme : le critre organique, le critre substantiel, le critre institutionnel. Le critre organique est runi par toutes les autorits, dans la mesure o celles-ci ont t cres par la loi. Au sens du droit processuel, la loi est tout acte comprenant une rgle de droit. Il a t conclu que les autorits administratives indpendantes sont impartiales et indpendantes, respectant le critre institutionnel, notamment puisquelles chappent au contrle de lEtat. Les autorits respectent-elles le critre substantiel ? Il existe, parmi elles, certaines autorits qui nont pas le pouvoir de trancher une contestation. Celles-ci ne peuvent formuler quun avis ou une recommandation, linstar des autorits de protection des liberts publiques. Pour cette raison, le critre substantiel faisant dfaut, ces autorits ne sont pas des juges au sens du droit processuel. Font partie de ces autorits le mdiateur de la Rpublique, la CADA, le dfenseur des enfants, la CNIL. Pourtant, une autre catgorie comprend les autorits administratives indpendantes qui disposent, au sens du droit processuel, du statut de juge. Ce sont surtout les autorits administratives indpendantes de rgulation de lconomie. A leur gard, la qualification de juge peut-tre retenue, puisque les trois critres sont runis. Il en est ainsi de lautorit de la concurrence qui, depuis novembre 2008, remplace le conseil de la concurrence. Cest dans ce sens que la cour d'appel de Paris sest prononce le 16 mars 1988 ; elle dit expressment que le Conseil de la Concurrence doit tre analys en une vritable juridiction au sens de larticle 61er de la Convention europenne des Droits de l'Homme . LAutorit des Marchs financiers a, elle aussi, un pouvoir de dcision et de sanction et est un vritable juge, ce qua confirm le Conseil d'Etat le 4 fvrier 2005.

C : Les recours examins par un magistrat du parquetEn droit europen, franais et outre-Atlantique, le justiciable peut ne pouvoir saisir en premire instance quun magistrat du parquet et non pas un juge du sige. De telles hypothses se rencontrent en procdure pnale. Par exemple, larticle 77, alina 2, du code de procdure pnale affirme que le procureur de la Rpublique peut, avant lexpiration du dlai de 24 heures et aprs prsentation pralable de la personne concerne, prendre la dcision de prolonger une garde vue dun dlai de 24 heures ou plus. Toute contestation nest possible quauprs du magistrat du parquet. Ainsi, le magistrat du parquet est-il un juge au sens du droit processuel ? Cette question fut pose auprs de la Cour europenne des Droits de l'Homme. Selon la Cour de cassation, il ne fait aucun doute que les magistrats du parquet sont de vritables juges (Cass. Crim., 10 mars 1992). La Cour europenne des Droits de l'Homme, dans larrt Medvedyev c. France, le 10 juillet 2008, a provoqu un sisme juridique ,

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puisquelle a affirm que les magistrats du parquet ne sont pas de vritables juges au sens du droit processuel. Etait en cause larticle 77, alina 2, du code de procdure pnale. Le procureur de la Rpublique nest pas une autorit judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne cette notion, car il lui manque, en particulier, lindpendance lgard du pouvoir excutif . Le ministre public, car plac sous lautorit directe du ministre de la Justice, ne peut tre considr comme un vritable juge (Dalloz 2009, p.600). Cette dcision devrait, en principe, entraner labrogation de toutes les dispositions du droit national qui accordent un pouvoir de dcision aux magistrats du parquet. Cette dcision met un obstacle srieux la volont actuelle du gouvernement de remplacer le juge dinstruction par le juge de lenqute et des liberts. Dans son projet de loi, des pouvoirs importants passeraient du magistrat du sige vers un magistrat du parquet. Comme autre consquence, cette dcision remet en cause la question de lunit du corps judiciaire, et notamment la question du statut du parquet. Les rformes quelle semble imposer la France sont de nature remettre en cause lquilibre du systme procdural. La dcision de la Cour europenne des Droits de l'Homme fut critique par la doctrine : la Cour chercherait imposer au modle franais le modle anglo-saxon de justice accusatoire, o le magistrat du parquet na aucun pouvoir de dcision.

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Section seconde : Laccs un juge dappelLes Etats ont-il lobligation de permettre au justiciable, en vertu du droit daccs un juge, de faire rejuger leur affaire en fait et en droit ? Sur ce point, la rponse apporte par la Cour europenne des Droits de l'Homme fut la suivante : il nexiste aucun droit un juge dappel en matire civile et administrative. En revanche, le droit daccs un tribunal comprend ncessairement le droit un juge dappel en matire pnale.

1er Linexistence dun droit un juge dappel en matire civile, administrativeDans ces droits, aucune norme de droit processuel ne consacre expressment le droit daccs un juge dappel. Dans un arrt du 26 octobre 1984, De Cubber c. Belgique, la Cour europenne des Droits de l'Homme a considr que larticle 61er de la Convention europenne des Droits de l'Homme ne protge pas le droit un double degr de juridiction en matire civile et administrative. Dans ces contentieux, un Etat peut lgitimement refuser douvrir au justiciable un appel contre les dcisions rendues par un juge civil ou administratif. Quatre observations simposent. Tout dabord, la Cour europenne des Droits de l'Homme a toujours rendu la mme dcision dans ces cas. Sa position nest pas toujours partage, et notamment au sein du Conseil de lEurope. On observe, depuis quelques annes, une volution favorable un second examen de laffaire en matire civile et administrative. Par une recommandation R5-95 du 7 fvrier 1995, le Conseil de lEurope recommande aux Etats membres que toute dcision rendue par un tribunal infrieur doit pouvoir tre soumise au contrle dun tribunal suprieur . La dcision de la Cour ne fait pas non plus lunanimit au sein de la doctrine europenne ; le droit de faire rejuger une affaire ferait partie du droit daccs un tribunal. Par ailleurs, dans un arrt Barbier c. France, rendu le 17 janvier 2006, on observe, mme au sein de la Cour europenne des Droits de l'Homme, un dbut dvolution vers la potentielle reconnaissance du droit daccs un juge dappel. Dans cet arrt, la Cour semblerait avoir reconnu, implicitement, lexistence dun droit un juge dappel, sans le confirmer par la suite. Deuximement, sur la question de lexistence dun droit un juge dappel, en matire civile, la Cour de cassation franaise semble, contre toute attente, approuver la Cour europenne des Droits de l'Homme. Elle a eu loccasion de souligner, plusieurs reprises, que, selon elle, labsence dun droit dappel ntait pas contraire aux exigences de la Cour europenne des Droits de l'Homme, comme lors dun avis du 25 septembre 2008. Troisimement, en matire administrative, le Conseil d'Etat vient doprer un revirement. Pendant longtemps, il avait accord la rgle du double degr de juridiction la valeur dun principe gnral du droit (PGD). Il a alors considr que le droit daccs un tribunal comportait ncessairement, le droit daccs un juge administratif dappel. Pourtant, par un arrt rendu le 17 dcembre 2003, le Conseil d'Etat affirme expressment que la rgle du double degr de juridiction ne constituait plus un principe gnral du droit. A fortiori, il sest rapproch de la position de la Cour europenne des Droits de l'Homme. Quatrimement, malgr linexistence du droit daccs un juge dappel, le

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Parlement a dcid de le reconnatre, largement, dans son systme juridique. En matire civile, larticle 543 du code de procdure civile pose, en des termes gnraux, la formule suivante : la voix de lappel est ouverte, en tout matire, mme gracieuse, contre les jugements de premire instance . Cependant, par exemple, aucun appel ne peut tre rendu contre un jugement rendu par un juge de proximit ou contre un jugement rendu par une juridiction dexception lorsque le montant du litige est infrieur ou gal 4 000, sans que le droit daccs un tribunal ne soit viol. En matire administrative, galement, un appel peut tre interjet contre tous les jugements rendus par les tribunaux administratifs, mais au terme dun dcret du 24 juillet 2003, aucun appel ne peut tre interjet dans le cas de litige relevant, en premire instance, dun juge administratif unique, comme en en matire fiscale ou en matire de redevance audiovisuelle.

2nd La conscration dun droit un juge dappel en matire pnaleCe droit a t expressment consacr par une norme processuelle : larticle 2-1 du protocole additionnel n7 la Convention europenne des Droits de l'Homme, qui dispose : toute personne dclare coupable dune infraction pnale par un tribunal a le droit de faire examiner, par une juridiction suprieure, la dclaration de culpabilit ou la condamnation . La mme formule a t reprise dans un autre texte, le pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui comprend, larticle 145, la mme formule. On ne peut plus douter quau sens du droit processuel, le droit daccs un tribunal comporte, en matire pnale, le droit de saisir un juge dappel. Quatre observations simposent. Selon la Cour europenne des Droits de l'Homme, le droit un juge dappel consacr par larticle 2-1 du protocole n7 est un droit qui doit se garder dtre discriminatoire. Sur le fondement de cette exigence, a t condamn lancien article 346 du code de procdure pnale. Cet article rservait au seul procureur gnral un droit dappel contre certains jugements rendus en matire de police. Ce texte affirmait que lorsque le jugement prononait une peine damende infrieure 150, le procureur gnral pouvait seul interjeter appel. Ce droit nappartenait pas au prvenu. La chambre criminelle de la Cour de cassation a condamn cette dcision au regard de larticle 6 et de larticle 2-1 du protocole additionnel de la Convention europenne des Droits de l'Homme (Cass. Crim. 6 mai 1997). Ces condamnations, purement franaises, ont t entendues par le lgislateur qui a abrog larticle 346 du code. Deuximement, le droit un juge dappel en matire pnale ne simpose quaux juridictions de jugement. A contrario, il nexiste aucun droit un juge dappel devant les juridictions dinstruction. Un Etat est en droit de refuser au justiciable la possibilit dinterjeter appel contre une ordonnance prise par un juge dinstruction. En France, pourtant, toutes les dcisions peuvent tre frappes dappel. Cet appel est examin par la chambre dinstruction prs la cour d'appel. En France, le droit un juge dappel est effectivement prvu par les textes, notamment en matire contraventionnelle o lappel est prvu par larticle 346 nouveau du code de procdure pnale, ou en matire criminelle. Jusqu la loi du 15 juin 2000, il ntait pas possible dinterjeter appel contre les arrts rendus par une cour d'assises. Cette impossibilit, manifestement contraire larticle 2-1 du protocole n7 la Convention europenne des Droits de l'Homme, a t supprime par la loi du 15 juin 2000, introduisant dans le code de procdure pnale le droit dinterjeter appel devant les cours d'assises (arts. 380-1 et suivants du code). Il est pourtant une seule hypothse dans laquelle tout appel est impossible. Larticle

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379-5 du code de procdure pnale affirme que lappel nest pas ouvert la personne condamne par un arrt rendu par la cour d'assises dfaut. Si la cour d'assises donne un verdict en labsence de laccus, celui-ci ne peut interjeter appel. Le maintien de cette disposition va lencontre du droit un juge dappel en matire pnale. Troisimement, larticle 2-1 impose que le recours puisse tre port devant une juridiction suprieure. A cet gard, il nest pas non plus certain que la loi du 15 juin 2000, qui a introduit lappel contre les arrts dassises, soit conforme cette exigence. La loi du 15 juin 2000 met en place un appel circulaire. Ainsi, un appel interjet dune dcision dune cour d'assises fait intervenir une mme juridiction, qui nest donc pas suprieure la premire cour d'assises. Pour cette seule raison, certains auteurs estiment que sur ce point, le systme mis en place contre les appels de cours d'assises est un systme circulaire qui ne remplit pas les exigences de la Convention europenne des Droits de l'Homme et de ses protocoles additionnels. Pourtant, cet argument peut-tre rfut : en exigeant que lappel soit soumis une juridiction suprieure , les rdacteurs de la Convention europenne des Droits de l'Homme ont certainement souhait que lappel soit examin par des juges plus expriments. Or, mme dans le systme de lappel circulaire, la cour d'assises est pratiquement toujours compose de juges plus expriments que ceux qui ont rendu la premire dcision. De plus, la cour d'assises dappel a une composition plus solennelle, passant de neuf douze jurs. Largument peut aussi tre rfut pour une raison organique : la cour d'assises dappel, proprement parler, mane trs largement de la cour d'appel. En effet, les trois magistrats de la cour d'assises d'appel sont des magistrats professionnels, dsigns par le premier prsident de la cour d'appel. En outre, le prsident dune cour d'assises est toujours, selon la loi, un magistrat de la cour d'appel. Ses assesseurs sont souvent choisis par les autres conseillers de la cour d'appel. En quatrime observation, il existe une hypothse dans laquelle il nest pas possible dinterjeter appel contre une dcision rendue en premire instance par une juridiction pnale. Il existe une juridiction pnale de jugement appele la Haute Cour. Cette Cour est charge de juger exclusivement le prsident de la Rpublique pour certaines infractions limitativement numres. Or, les dcisions rendues par cette Haute Cour ne sont pas susceptibles dappel.

Section troisime : Laccs un juge de cassationLe droit daccs un juge comprend-il galement le droit de saisir un juge de cassation ? Ce droit nest inscrit nulle part de faon expresse. Une nouvelle fois, il faut en revenir la jurisprudence de la Cour europenne des Droits de l'Homme. Celle-ci, une nouvelle fois, a dcid que le droit daccs un juge devait, ncessairement, comprendre le droit daccs un juge de cassation. Cette conscration du droit un juge de cassation peut se comprendre facilement : la nature mme du pourvoi est dassurer lgalit des justiciables devant la loi. Le juge de cassation serait donc un gardien de lapplication correcte et uniforme de la loi. On peut donc comprendre que le droit daccs un juge comprenne le droit daccs un juge de cassation. La Cour europenne des Droits de l'Homme affirme que le droit daccs un juge de cassation est assez fragile en matire civile et administrative dans la mesure o les autorits nationales peuvent facilement y apporter des restrictions . Par ailleurs, pourtant, ce droit un juge de cassation est particulirement renforc en matire pnale, puisque les autorits nationales ne peuvent que trs difficilement y apporter des restrictions.

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1er Un accs fragilis au juge de cassation en matire civile et administrativeLe droit de saisir un juge de cassation a t consacr par la Cour europenne des Droits de l'Homme le 19 fvrier 1998 dans larrt Higgins c. France. Dans cette espce, la Cour ajoute que le droit daccs un juge de cassation pourrait facilement faire lobjet de restrictions. Les autorits nationales peuvent limiter laccs au juge de cassation en matire civile et administrative en invoquant simplement des considrations dintrt gnral, telles que la volont dviter lencombrement du juge de cassation. La loi peut donc interdire laccs un juge de cassation, simplement pour que celui-ci ne soit pas encombr. Pour cette seule raison, les procdures de filtrage des pourvois en cassation doivent tre dclares compatibles aux exigences processuelles. De telles procdures de filtrage existent en France, tant devant la Cour de cassation que le Conseil d'Etat. Le pourvoi doit dabord tre filtr avant daccder au juge de cassation.

A : Le filtrage du pourvoi devant la Cour de cassationUn pourvoi, devant la Cour de cassation, ne peut tre examin devant la chambre comptente que si son admission a t reconnue par une formation de trois juges, appartenant la chambre laquelle le pourvoi a t distribu. Cette procdure pralable dadmission a t introduite dans le code de procdure civile par une loi du 25 juin 2001, le but tant de dsencombrer la Cour de cassation. Ce filtrage, introduit en 2001, concerne tous les pourvois relatifs aux cinq premires chambres de la Cour de cassation. Les pourvois en matire pnale, eux, ne sont pas concerns par cette procdure. Lorsquun pourvoi parvient lune des cinq premires chambres de la Cour de cassation, celle-ci ne pourra lexaminer au fond que si le pourvoi est dclar admis par une formation de trois juges. Le rle de cette formation est dcarter les pourvois dilatoires ou abusifs. Il peut arriver que le premier prsident de la Cour de cassation ou celui de la chambre concerne dcident de contourner le filtrage. La commission dadmission refusera le pourvoi, si celui-ci napparat pas fond sur un moyen srieux de cassation (art. L131-6 du code de lorganisation judiciaire). Si le pourvoi est rejet, le justiciable ne pourra pas accder au juge civil de cassation.

B : Le filtrage du pourvoi devant le Conseil d'EtatL encore, devant le Conseil d'Etat existe une commission dadmission des pourvois en cassation. Cette commission est compose de trois membres du Conseil d'Etat, et vise carter les pourvois non fonds sur un moyen srieux de cassation. Soit cette commission dclare le pourvoi irrecevable, elle prend une dcision de refus dadmission et le justiciable naccdera pas au juge administratif de cassation. Si le pourvoi leur apparat recevable donc fond sur des moyens srieux, il sera transmis la sous-section comptence du Conseil d'Etat qui procdera linstruction puis au jugement.

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2nd Un accs renforc au juge de cassation en matire pnaleLe principe veut quen matire pnale, le droit daccs un juge comprenne le droit daccs un juge de cassation. Contrairement aux matires civile et administrative, il nest possible aux autorits nationales de restreindre laccs un juge de cassation que pour des raisons imprieuses. Cette exigence de raisons imprieuses a t pose par quatre arrts rendus par la Cour europenne des Droits de l'Homme contre la France : Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, Khalfaoui c. France, 14 dcembre 1999, Krombach c. France, 13 fvrier 2001, Papon c. France, 25 juillet 2002. Dans ces quatre affaires, la France fut condamne car les restrictions apportes en matire pnale au droit un juge de cassation ne correspondaient pas des raisons imprieuses. Ces rgles franaises ont t condamnes lors dempchements dune personne de se pourvoir en cassation en labsence de mise en tat en matire pnale, lorsquelle stait drobe, ou lorsquelle tait juge par contumace.

A : La personne condamne, mais provisoirement libreLancien article 583 ancien du code de procdure pnale affirmait que le fait pour une personne condamne une peine demprisonnement dau moins un an mais qui restait provisoirement libre de ne pas se constituer prisonnire au plus tard la veille de laudience au cours de laquelle le pourvoi allait tre examin entranait, daprs ce texte, la dchance de ce pourvoi en cassation. En effet, les personnes condamnes par une juridiction pnale une peine demprisonnement ne sont pas toutes conduites en prison lissue de ce procs ; il faut que la juridiction pnale ayant prononc la condamnation ait dcern un mandat de dpt. 70% des dcisions de condamnation pnale sans mandat de dpt ne sont jamais excutes. Une personne condamne sans mandat de dpt restera donc libre. Lorsquune telle personne voulait se pourvoir, elle devait se constituer prisonnire au plus tard la veille de laudience examinant le pourvoi. Elle devait donc se mettre en tat. La mise en tat est donc ici le fait de se constituer prisonnier. Labsence de mise en tat tait sanctionne par la dchance du pourvoi form. Cette rgle a t condamne par la Cour europenne des Droits de l'Homme dans la mesure o la dchance du pourvoi prononc par larticle 583 ne reposait sur aucune considration imprieuse (arrts Khalfaoui et Papon). Le lgislateur franais, toujours par la loi du 15 juin 2000, a dcid dabroger cette disposition.

B : La personne en fuitePendant longtemps, le fait de se drober lexcution dun mandat darrt constituait, pendant longtemps, une cause dirrecevabilit dun pourvoi en cassation. Cette rgle a t condamne par la Cour europenne des Droits de l'Homme lors de larrt Poitrimol c. France. Dans un premier temps, la France na pas tenu compte de cet arrt. Par diffrents arrts rendus en 1994, la chambre criminelle a continu maintenir cette rgle. Lors de larrt Omar et Gurin c. France, le 29 juillet 1998, la Cour europenne des Droits de l'Homme a rappel le principe de son premier arrt. Depuis ce second arrt, la loi franaise a t modifie pour dcider que la personne en fuite peut, elle aussi, saisir le juge pnal de cassation.

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C : La personne juge par contumaceSelon lancien article 636 du code de procdure pnale, le contumax ntait pas en droit de se pourvoir en cassation contre larrt de condamnation rendu par la cour d'assises. En droit pnal, la contumace correspondait autrefois la procdure criminelle qui permettait une cour d'assises de juger une personne en labsence de celle-ci. La personne ainsi condamne, le contumax, ne pouvait former aucun pourvoi en cassation. A nouveau, cette interdiction faite a t condamne par la Cour europenne des Droits de l'Homme au motif que la restriction quelle instituait en matire pnale ne reposait sur aucune considration imprieuse, dans larrt Krombach c. France. Suite cette condamnation, le lgislateur franais est intervenu par la loi du 9 mars 2004. Par cette loi, il a dcid dabroger larticle 636 du code de procdure pnale. Il est all plus loin que ce qui avait t exig par la Cour europenne en abrogeant la procdure de la contumace. Cependant, la loi de 2004 a remplac la contumace par une nouvelle procdure : la procdure du dfaut criminel. Cette procdure est rglemente aux articles 379-2 et suivants du code de procdure pnale. Cette procdure permet la cour d'assises de juger une personne qui nest pas prsente laudience, dans des conditions particulires. Lexamen de laffaire, dans ce dfaut criminel, se fera en labsence de laccus. Le code de procdure pnale prcise aussi que lexamen de laffaire se fera sans la prsence des jurs. La question sest pose de savoir si la procdure du dfaut criminel respecte le droit de saisir un juge de cassation en matire pnale. Cela nest pas certain, car dans cette nouvelle procdure, la personne condamne par dfaut ne peut toujours pas se pourvoir en cassation, mais pourra le faire plus tard. En effet, lorsquune personne est juge par dfaut criminel, la loi lui interdit de se pourvoir en cassation : il faudra que cette personne se constitue prisonnier : larrt rendu par dfaut sera non avenu et un nouveau procs sera fait (art.379-4). Ce nest que contre larrt rendu par cette nouvelle cour d'assises que la personne initialement absente pourra se pourvoir en cassation. La Cour europenne des Droits de l'Homme na pas encore t saisie de cette question, mais des auteurs estiment quen droit pnal, le droit de saisir un juge de cassation doit pouvoir sexcuter immdiatement. La nouvelle procdure de dfaut criminel violerait nouveau le droit daccs un juge.

Section quatrime : Laccs un juge constitutionnelLe droit daccs un juge comprend-il le droit de saisir un juge constitutionnel ? Un justiciable aurait-il, conformment au droit daccs un juge, le droit de provoquer un contrle de constitutionnalit des lois ? La Cour europenne des Droits de l'Homme ne stant pas encore prononce, la doctrine a estim que le droit de saisir un juge ne comprend pas le droit de saisir un juge constitutionnel. Le Conseil constitutionnel ne peut pas tre considr comme un juge au sens du droit processuel : le critre organique est rempli car le Conseil constitutionnel est cr par la Constitution, loi suprme. Pourtant, le doute est permis pour les deux autres critres. Le critre substantiel impose que pour tre un juge au sens du droit processuel, le Conseil constitutionnel devrait pouvoir rendre des dcisions de justice ; or, il ne tranche pas de litige. Le critre institutionnel, selon la doctrine, nest pas runi : les membres du Conseil constitutionnel ne sont ni totalement indpendants, ni totalement impartiaux.

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Deux observations simposent : premirement, la position doctrinale visant refuser au Conseil constitutionnel la qualification de juge peut tre conteste. En effet, le critre substantiel au sens de la Cour europenne des Droits de l'Homme doit tre entendu au sens large : le droit de dclarer une loi conforme ou non la Constitution peut-tre considr comme un droit de trancher des litiges. De plus, on pourrait considrer les membres du Conseil constitutionnel comme indpendants et impartiaux. La Constitution a prvu que le mandat de ces membres ntait pas renouvelable, justement pour garantir leur indpendance. De plus, la Constitution elle-mme a prvu plusieurs interdictions. Ainsi, les membres du Conseil ne peuvent jamais occuper un emploi public pendant leur mandat. De plus, elle pose certaines incompatibilits. Un membre du Conseil ne peut pas tre ministre, parlementaire, responsable dun parti politique, etc. Il existe notamment plusieurs obligations lgales, notamment de prter serment, de juger en toute indpendance et en toute impartialit , etc. Deuximement, puisque le Conseil constitutionnel ne peut recevoir la qualification de juridiction, il est parfaitement possible pour les autorits dun pays de limiter son accs des personnes limitativement numres. Telle tait la position de la France jusqu la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, jusqu cette loi, la saisine du Conseil constitutionnel tait rserve certaines personnes : le prsident de lAssemble nationale, celui du Snat, celui de la Rpublique, soixante dputs, soixante snateurs et le Premier ministre. Cela ne posa aucun problme processuel. Avec la loi constitutionnelle de 2008, la possibilit de saisir le Conseil constitutionnel a galement t accorde au citoyen. Cette possibilit a t inscrite dans le nouvel article 61-1 de la Constitution franaise : lorsque, loccasion dune instance en cours devant une juridiction, il est soutenu quune disposition lgislative porte atteinte aux droits et liberts que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut tre saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation . A lheure actuelle, le droit daccs un tribunal est toujours considr comme ne comprenant pas le droit daccs un juge constitutionnel.

Chapitre II : Les caractres du droit daccs un jugeCes caractres sont au nombre de trois : laccs un juge doit tre un accs clair. Autrement dit, les modalits dexercice de laction doivent tre exprimes dans la loi, de faon suffisamment claire et intelligible . Ainsi, lorsquune loi nationale prvoit des rgles complexes de saisine dun juge, cette loi nationale sera condamnable au regard du droit daccs un tribunal : arrt Bellet c. France, 4 dcembre 1995. Cette exigence processuelle a t reprise en droit interne par le Conseil constitutionnel qui a affirm, lors dune rcente dcision, que le droit de saisir un juge incluait un objectif de valeur constitutionnelle, daccessibilit et dintelligibilit de la loi . Deuximement, laccs un juge doit galement tre galitaire, et non discriminatoire. Ainsi, tous les justiciables qui se trouvent dans la mme situation doivent tre jugs par les mmes tribunaux, selon les mmes rgles de fond et de forme. Troisimement, laccs un juge doit tre effectif. La Cour europenne des Droits de l'Homme ne cesse de le rappeler. On dnombre une trentaine darrts, depuis son existence,

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qui rappellent ce principe, qui connat cependant quelques exceptions, dans certaines conditions.

Section premire : Le principe : laccs un juge doit tre effectifLaccs un juge est effectif lorsque, sur le territoire donn, les justiciables ont une relle possibilit de saisir le juge, et une relle possibilit de faire trancher leur contestation. Ainsi, pour que cette relle possibilit existe, il appartient aux autorits nationales de supprimer, dans leur ordonnancement juridique, tous les obstacles qui auraient pour consquence, soit dempcher laccs un juge, soit de rendre cette accs excessivement difficile. Cette obligation, mise la charge des Etats, a une porte gnrale puisque la Cour europenne des Droits de l'Homme affirme que tout obstacle doit tre supprim, quil soit purement juridique ou simplement financier.

1er La suppression des obstacles juridiquesTrs souvent, laccs un juge nest pas effectif en raison dune rgle de droit. Si tel est le cas, lobstacle juridique laccs un juge doit tre abrog par le lgislateur. Sur ce fondement, plusieurs rgles juridiques internes ont t condamnes par la Cour europenne des Droits de l'Homme, car elles constituaient autant dobstacles juridiques au droit daccs un juge. Quatre rgles principales ont t condamnes : la radiation du rle, le refus dune indemnisation complmentaire, la remise en cause dune dcision de justice devenue effective, et les incidences dune faute commise par un auxiliaire de justice.

A : La radiation du rleDans une juridiction, le rle correspond un registre sur lequel le secrtariat inscrit, par ordre chronologique, les affaires dont la juridiction est saisie. Lorsquun justiciable saisit le juge, son affaire est inscrite au rle. Il est des hypothses dans lesquelles laffaire est radie du rle pour diverses raisons, et notamment pour sanctionner linertie des parties. Juridiquement, la radiation du rle sanalyse en une dcision du juge de retirer une affaire au rang des affaires en cours. Elle ne sera donc pas juge. Une telle hypothse est prvue larticle 1009-1 du code de procdure civile : le premier prsident de la Cour de cassation peut radier une affaire du rle de la Cour de cassation, aussi longtemps que le demandeur au pourvoi ne justifie pas avoir excut la dcision frappe par le pourvoi . Ce pouvoir de radiation, reconnu au premier prsident de la Cour de cassation, a t, plusieurs reprises, condamne par la Cour europenne des Droits de l'Homme sur le fondement de leffectivit de laccs un juge. La porte de ces condamnations doit alors tre tudie ; en condamnant larticle 1009-1, la Cour a fragilis un certain nombre dautres rgles procdurales franaises.

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1. La condamnation europenne de larticle 1009-1 du code de procdure civileLarticle 1009-1 du code de procdure civile permet au premier prsident de la Cour de cassation de radier une affaire du rle de sa juridiction, lorsque le demandeur au pourvoi ne justifie pas avoir excut la dcision frappe par le pourvoi . La dcision de radier laffaire est prise la demande du dfendeur, aprs avoir recueilli lavis du procureur gnral et les observations des parties. Bien videmment, ce pouvoir de radiation vise viter les manuvres dilatoires ou les pourvois abusifs. Pour ce fait, il peut tre considr comme conforme au droit daccs un juge. Pourtant, ce pouvoir de radiation empche le justiciable, lorsquil est exerc, daccder au juge de cassation. Trs tt, la doctrine a considr que pour cette seule raison, le droit daccs un tribunal nest pas effectif. Cette partie majoritaire de la doctrine a t suivie par la Cour europenne des Droits de l'Homme qui, plusieurs reprises, a condamn larticle 1009-1 du code de procdure civile, en estimant que ce texte ne permet pas dassurer un accs effectif au juge, et en particulier au juge de cassation. La dernire condamnation date du 14 novembre 2006, dans larrt ONG c. France. Les juges europens, par cette dcision, on conclu lunanimit que le jeu de larticle 1009-1 du code de procdure civile franais pouvait porter atteinte au droit du requrant un accs effectif la Cour de cassation . Cette condamnation et les six prcdentes appellent plusieurs observations. Tout dabord, selon les juges europens, la seule radiation du rle ne suffit pas pour emporter une violation de larticle 61er, dans la mesure o cette seule radiation participe une bonne administration de la justice. Ils poursuivent en affirmant que pour que cette radiation puisse sanalyser en une violation du droit un accs effectif au juge de cassation, une condition est ncessaire. Selon les juges, une radiation ne peut emporter une violation de larticle que si le justiciable dont laffaire a t radie sest trouv dans limpossibilit absolue dexcuter la dcision frappe par le pourvoi . Ainsi, si le justiciable tait en mesure dexcuter la dcision quil veut frapper par le pourvoi, la radiation de son affaire nest pas condamnable au regard du droit processuel. Par ailleurs, la condamnation europenne de larticle 1009-1 du code de procdure civile peut apparatre svre, voire incomprhensible. En effet, en France, le pouvoir de radiation du premier prsident de la Cour de cassation nest pas absolu, puisque lon lit larticle 1009-1 que dans deux hypothses, le premier prsident de la Cour de cassation perd son pouvoir de radiation. Il en est ainsi lorsque, selon lalina 2, il lui apparat que lexcution de la dcision frappe par le pourvoi serait de nature entraner des consquences manifestement excessives. La seconde hypothse est celle o il apparat au premier prsident de la Cour de cassation que le demandeur au pourvoi est dans limpossibilit dexcuter la dcision frappe par le pourvoi . Lexistence de ces deux exceptions aurait donc d suffire pour empcher une condamnation de la France. Celle-ci fut condamne, non pas en raison de la formulation de larticle 1009-1 du code de procdure civile, mais parce que les juges franais feraient une application trop restrictive des deux exceptions nonces. En effet, trs souvent, le premier prsident de la Cour de cassation considre quaucune de ces deux exceptions ne se trouve dans les faits, passe outre et radie laffaire. Deuximement, la dcision parat aussi svre car les effets de la radiation sont limits en France. On voit donc mal en quoi cette radiation participe rendre laccs au juge de cassation moins effectif. Puisque linstance demeure, le justiciable sanctionn par la radiation peut mettre fin la suspension de linstance tout moment, ds lors quil justifie

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laccomplissement des diligences dont labsence avait entran la radiation. Troisimement, larrt ONG c. France ne fait que rappeler une jurisprudence constante de la Cour europenne des Droits de l'Homme. Dans cette jurisprudence, il est un arrt o la cour avait considr que larticle 1009-1 ne contrevenait pas au droit daccs un juge : il sagit de larrt du 14 novembre 2000 : Annoni di Gussola c. France. Ce nest quen 2001, une anne plus tard, que la Cour europenne effectua un revirement. Enfin, malgr les condamnations rptitives de larticle du code de procdure civile, le lgislateur franais a toujours considr quil ntait pas ncessaire dintervenir.

2. La fragilisation de plusieurs autres rgles procdurales franaisesLarrt ONG c. France est de nature fragiliser dautres rgles procdurales franaises, et notamment celles qui, linstar de larticle 1009-1, reconnaissent un juge un pouvoir de radiation. En effet, le premier prsident de la Cour de cassation nest pas le seul juge franais tre dot dun tel pouvoir. Des textes reconnaissent certains juges le pouvoir de radiation. Si lEurope condamne larticle 1009-1 du code de procdure civile, il faudrait, par analogie, notamment condamner larticle 410 du code de procdure civile qui prvoit que le juge civil peut radier une affaire du rle si les parties sabstiennent daccomplir les actes de procdure dans des dlais impartis. Larticle 90 du code de procdure civile prvoit que la cour d'appel qui est saisie dun contredit peut radier laffaire du rle si aucune partie ne se constitue avoue dans le dlai imparti. Une autre hypothse de radiation est prvue larticle 526 du code de procdure civile. La situation envisage dans ce texte ressemble de faon troite celle envisage larticle 1009-1 du mme code. En effet, comme ce dernier, larticle 526 pose galement une obligation pour lappelant dexcuter la dcision de premire instance frappe dappel, au risque de voir son affaire radie du rle de la cour d'appel . Cette disposition reprend presque exactement les termes de larticle 1009-1 pour les tendre au premier prsident de la cour d'appel. On retrouve aussi les deux exceptions dans lesquelles il ne peut radier. Ainsi, puisque la mme formulation est pose, on peut lgitimement estimer que la condamnation ONG c. France vaut galement. Une nouvelle fois, toutes les critiques formules lgard de cet arrt pourraient tre tendues larticle 526. Toujours est-il que le 30 avril 2007, la cour d'appel de Colmar a dcid que la condamnation europenne de larticle 1009-1 vaut galement pour larticle 526 du code de procdure civile. Les dispositions de [cet article] contreviennent larticle 61er de la Convention europenne des Droits de l'Homme .

B : Le refus dune indemnisation complmentaireLaccs effectif un juge soppose galement ce que lexistence dune procdure dindemnisation forfaitaire interdise la victime de saisir le juge afin dobtenir une rparation complmentaire de son prjudice. Cette rgle a t pose par les juges europens lors de larrt Bellet c. France du 4 dcembre 1995. Pour comprendre cette interdiction, il faut savoir quune loi franaise du 31 dcembre 1991 a prvu, en faveur des personnes affectes par le virus du SIDA, la suite dune transfusion sanguine, un systme dindemnisation forfaitaire. Cette loi a t adopte suite laffaire du sang contamin. La question sest pose de savoir si une personne indemnise sur le fondement de cette loi pouvait, par la suite, saisir un juge, afin dobtenir plus que ce qui lui avait t accord forfaitairement, par le biais dune indemnisation complmentaire. Par un arrt du 26 janvier 1994, la premire chambre civile a rpondu cette question par la ngative : une personne dj indemnise forfaitairement ne peut plus saisir le juge afin dobtenir une rparation complmentaire . Cest prcisment par cette interdiction

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jurisprudentielle que la Cour europenne des Droits de l'Homme a condamn, dans larrt Bellet c. France, une mconnaissance du droit laccs effectif un juge. Suite cette condamnation europenne, dans un premier temps, la Cour de cassation sest oppose la dcision de la Cour europenne, en saisissant lassemble plnire. Par un arrt rendu le 6 juillet 1997, lassemble plnire a expressment refus une personne dj indemnise de saisir le moindre juge pour obtenir la moindre indemnisation complmentaire. De nouvelles condamnations europennes ont alors t prononces, notamment dans larrt F.E. c. France du 30 octobre 1998. Finalement, aprs ces nouvelles condamnations, la Cour de cassation a cd en modifiant sa jurisprudence pour laligner sur celle de la Cour europenne des Droits de l'Homme. Aujourdhui, le systme dindemnisation forfaitaire nempche plus la personne indemnise de saisir un juge. Par extension, la rgle pose par les arrts Bellet et F.E. c. France devrait tre tendue tous les systmes dindemnisation forfaitaire mis en place. Ainsi, la solution europenne donne pour les personnes affectes par le SIDA doit, sans nul doute, tre tendue aux personnes contamines par lamiante. Aujourdhui, les personnes contamines par lamiante ayant obtenu une indemnisation forfaitaire ne peut pas saisir un juge pour une indemnisation complmentaire.

C : La remise en cause dune dcision de justice devenue dfinitiveSelon la Cour europenne des Droits de l'Homme, le droit daccs effectif un juge soppose ce quune dcision de justice devenue dfinitive puisse tre remise en cause par la suite. Pourtant, dans certains systmes juridiques dont la France, le procureur gnral de la Cour de cassation dtient le pouvoir de saisir cette Cour afin dobtenir lannulation dune dcision de justice devenue dfinitive. Cest prcisment ce pouvoir que dtient le procureur gnral qui a t dclar contraire leffectivit du droit accs un tribunal : Brumarescu c. Roumanie, le 28 octobre 1999 notamment : lannulation, la demande du procureur gnral, dune dcision judiciaire irrvocable et excute a mconnu le droit du requrant un procs quitable et donc son droit daccs effectif un juge. Ici, une cour d'appel roumaine avait donn une solution effective et excute, sept ans plus tt, avant dtre annule par un procureur gnral roumain. En France, le procureur gnral prs la Cour de cassation dispose dun tel pouvoir. Depuis la loi du 3 juillet 1967, le procureur gnral prs la Cour de cassation dispose, lui aussi, comme dans le systme roumain, du droit de saisir la Cour de cassation afin dobtenir lannulation dune dcision de justice devenue dfinitive . Le fait que le procureur gnral dispose de ce pouvoir est le pourvoi pour excs de pouvoir. Ce pourvoi pour excs de pouvoir ne doit pas tre confondu avec le droit de pourvoi en cassation pour excs de pouvoir, form par les parties. Le pouvoir de pourvoi du procureur gnral est qualifi de soupape de scurit permettant au ministre public de faire sanctionner une normit juridique ignore par les juges du fond, comme un arrt dappel contrevenant au principe de sparation des pouvoirs. Ce pouvoir est strictement encadr par la loi : le procureur de la Rpublique ne peut former ce pourvoi quaprs avoir obtenu pralablement lautorisation du ministre de la Justice. Il faut nanmoins considrer que le pouvoir d