Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans
Transcript of Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans
Laboratoire d’Économie d’Orléans Collegium DEG
Rue de Blois - BP 26739 45067 Orléans Cedex 2
Tél. : (33) (0)2 38 41 70 37 e-mail : [email protected]
www.leo-univ-orleans.fr/
Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans Working Paper Series, Economic Research Department of the University of Orléans (LEO), France
DR LEO 2018-04
Lorenzo Tonti, inventeur de la tontine
Georges GALLAIS-HAMONNO Christian RIETSCH
Mise en ligne / Online : XX/XX/XXXX
Mise en ligne / Online : 06/10/2020 Remplace une version précédente du même numéro / Replaces a previous version of the same
DR LEO number Cette version remplace celle du / This replaces the previous version dated : 22/09/2019
1
Lorenzo Tonti, inventeur de la tontine Georges GALLAIS-HAMONNO 1
Christian RIETSCH**
Tonti est mort ; je dois même dire que je n’ai jamais vu personne pour le regretter.
Stevenson et Osbourne, Le mort vivant, p. 2
1 Professeur émérite, , Université d’Orléans, CNRS, LEO.
** Maître de conférences émérite, Univ. d’Orléans, CNRS, LEO, FRE 2014, rue de Blois - BP 26739, 45 067
Orléans Cedex 02.
christian.rietsch@univ-orléans.fr
Version de juillet 2020
2
Diverses sources sur Internet indiquent que Lorenzo Tonti 1 nait en 1602 (mais
d’autres sources indiquent 1603, 1620 et 1630 2), qu’il est ensuite est gouverneur de Gaète
(Gayette, comme l’écrivent les Français à l’époque, à mi-chemin entre Naples et Rome), qu’il
s’agit d’un banquier napolitain en vue et qu’il épouse Isabela di Lieto (Isabelle de Liette) avec
qui il a trois enfants : Henri de Tonti, Alphonse de Tonti, Enrico de Tonti.
De l’avis général, le premier enfant, Henri, nait probablement à Gaète, entre 16473 ou
1650 ; son deuxième fils, Alphonse, voit le jour à Paris en 16594 ; le dernier fils ne semble pas
avoir laissé de traces si ce ne sont un projet d’exploitation de mines qu’il propose à
Pontchartrain (Louis II Phélyppeaux, comte de Pontchartrain, 1643-1727) pour le compte de
son frère 5 ainsi, peut-être, que quelques poèmes 6. Lorenzo Tonti meurt en 1684 (ou en 1685,
1695 et même en 1715 d’après les biographies italiennes 1).
1 Son nom est parfois écorché en Tontin, Tontino ou Tontini dans les commentaires de deuxième ou troisième
main. (par ex. Tontin dans Richelet P., Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne, Volume 2,
p. 744, Chez Jean-Marie Bruyset Imprimeur-Libraire, 1759, article Tontine : « ce mot est nouveau ; il vient de
son inventeur, Laurent Tontin, Italien… » ; idem dans la note de bas de page par Chéruel dans les Mémoires du
duc de Saint-Simon (p.24) qui évoque une autorisation de Louis XIII ; Tontino dans Voltaire, Dictionnaire
philosophique, article Âge, « les tontines, invention d’un usurier nommé Tontino… » ; Tontini dans Antoine et
Préfort Sabatier de Castres (l’abbé Bassin de), Moutard, 1777, article Tontine, p. 567 : « Ce mot est venu de
Laurent Tontini, Napolitain, qui inventa une espece de rentes viageres sur le Roi, avec droit d’accroissement
pour les survivans ». Un ouvrage contemporain, italien, qui évoque la révolte de Naples parle de Tontoli :
« Lieto, Capitano della sua guadia, e cugnato del Tontoli… » (Lieto, capitaine de sa garde et beau frère de
Tontoli) (Santis, p. 345). Un Anglais le prénomme Antonio (Pocock, p. 15), Thivaud (p. 182) parle de Nicolas et
Hassoun (p. 108) de Florent ; le Dictionnaire français le prénomme Leonardo.
(https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition-tontine/).
Sans plus de raison, Duplomb le qualifie de Sicilien (p. 93) ; il est Florentin dans un ouvrage sur l’histoire des
loteries (Corblet, p. 22). Dans l’article « Loterie » du Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts
il est Florentin et redevient Napolitain dans l’article « Tontine » du même dictionnaire ; il est Vénitien dans le
Lexicon allemand de 1755…
2 Il est tout à fait possible qu’il s’agisse de fautes de frappe ou d’inversion des chiffres indiquant les dizaines et
les unités. Le duc de Guise, en 1647, parle comme d’un homme fait qui a une certaine expérience. Il est
impossible qu’il soit né en 1630, car il n’aurait que 7 ans lorsqu’il travaille chez le comte de Monterey qui quitte
Naples en 1637, et peu vraisemblable qu’il soit né en 1620, ce qui lui donnerait seulement 17 ans lors de ce
départ. Donc, sa naissance se situe quelque part vers 1602 et 1610. 3 Le titre d’un livre récent indique cette date, même si l’auteur avoue ne rien en savoir. Vitelli, p. 16. 4 Né le mercredi saint, il est baptisé le 7 juillet 1659 à l’église Saint-Sulpice à Paris. Fils de Laurent Tonty et
d’Angélique de Lieto ; avec pour parrain Alphonse de Carafa, duc de Castelno et pour marraine Catherine de
Morel, fille du seigneur d’Aubigny. Registre des baptêmes Saint-Sulpice 1537-1748.
(https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9057364t/f3.image.r=.langFR#) 5 Mémoire au sujet d’une mine près de Témiscamingue qu’Alphonse Tonti était en mesure d’exploiter. Selon le
mémoire, il faut six hommes et deux canots pour transporter chaque année les munitions et les marchandises
qu’on offrirait aux Indiens qui traitent avec les Anglais de la baie d’Hudson. On utiliserait les embarcations pour
ramener dans la colonie le métal, que le mémoire n’identifie pas. Les intendants Jacques et Antoine-Denis
Raudot considèrent que le projet est bon, mais s’opposent fermement aux privilèges de traite que sollicitent
Tonty. Il semble que Pontchartrain endosse ces restrictions, car les Tonty abandonnent bientôt l’affaire. Or deux
cents ans plus tard, on exploite effectivement différents minerais dans cette région et on y a créé la ville de
Cobalt. http://www.biographi.ca/fr/bio.php?BioId=35251 6 Comme l’écrit le Mercure Galant, 1690/11, p. 259 : Monsieur Tonti « dont un de ses ancêtres a été le premier
qui ait proposé l’établissement de la tontine » écrit le poème à la gloire de la tontine, dont nous extrayons les
deux vers suivants : « Toi qui de mes ayeux tire son origine/A tous ces grands desseins tu vas servir, Tontine ».
Ce descendant de Tonti versifie et, à plusieurs occasions le Mercure Galant, qui évoque un « gentilhomme
italien », (Mercure galant : 1688/08, p. 259 ; 1689/09, p. 26 ; 1690/03, p. 246 ; 1690/11, p. 288 ; 1698/11,
3
Nous allons voir que la plupart de ces informations sont à prendre avec beaucoup de
doutes, tant la vie de Tonti contient de mystère et de rebondissements. Nous allons en
éclaircir un grand nombre et en même temps redresser un certain nombre d’erreurs et
d’approximations contenues dans les éléments de biographie disponibles.
Devenir Tonti
Lorenzo Baroncini 2 nait dans un milieu très modeste de Simon Baroncini, jardinier
(ortolano) près des jardins du Monte Cavallo à Rome et d’Alessandra, blanchisseuse
(lavannara). Il est baptisé (sans date indiquée) à la paroisse de S. Marcello à Rome. Sa
jeunesse est dissipée et il va de taverne (hostaria) en maison de tolérance (prostriboli). Un
moment, il travaille à la cuisine de l’abbé Montaldo ; puis il passe au service de Giuscaro
Gentile, agent de Paolo Giordano II Orsini, duc de Bracciano à Rome. Enfin, il devient
brodeur (ricamatore) auprès du duc de Bracciano (1591-1656) et en profite pour espionner
toute la maisonnée 3. Puis il refait les chaises du grand Inquisiteur Salgado et, ce faisant, passe
au service du vice-roi espagnol (en fonction de 1631 à 1637), Manuel de Acevedo y Zúñiga,
comte de Monterey (1586-1653), puis au rappel de ce dernier et pendant qu’il prépare son
départ, l’espionne pour le compte de son successeur Ramiro Núñez de Guzmán, duc de
Medina de Las Torres (1600-1668) (en fonction de 1637 à 1643), arrivé incognito. Il trouve
ainsi le moyen de gagner sa vie : il donne des avis (notamment en matière financière), ce qui
lui en rapporte toujours quelque récompense (sans doute, l’origine de la légende de Tonti,
banquier). Il passe ensuite à Rome et s’attache au duc Ludovisi (Niccolò, 1613-1664), neveu
du pape. Il change de nom, il devient celui que nous connaissons, Lorenzo Tonti, et laisse
entendre une parenté avec feu le Cardinal de Nazareth, Michelangelo Tonti (1566-1622),
archiprêtre de Cesena 4, en profitant de la présence de l’abbé Tonti (Arnauld, p. 387), lui-
même neveu du Cardinal 5. A ce moment, il devient espion salarié de Ludovisi pour 100 écus
p. 114 ; 1701/01, p. 80) publie un de ses poèmes sans jamais indiquer son prénom. En 1679, un gentilhomme
italien qui vient d’être amené en France, Michel Angelo Tonti, rime un éloge (en italien) pour Louis XIV
(Mercure galant, 1679/6, p. 62-65). On peut se demander si ce gentilhomme italien ne serait pas le même que le
gentilhomme qui donne les autres vers et, dans ce cas, ne serait pas un fils du premier lit de Lorenzo Tonti (voir
plus loin). 1 « Tónti, Lorenzo. — Banchiere (n. Napoli 1630 - m. 1685), ideatore di un’ operazione finanziaria diretta a
facilitare la contrazione di prestiti pubblici, ... » Umberto Bosco, Lessico universale italiano, Volume 23, p.166,
Istituto della Enciclopedia italiana, 1968 ; « Nacque verso il 1630 a Napoli ; morì a Parigi verso il 1695 »
Dizionario generale di scienze, lettere, arti, storia, geografia ; dalla Società l’Unione Tipografico-Editrice,
1866 ; « T0NTI Lorenzo. E l’inventore delle celebri tontine. Nacque verso il 1620 a Napoli e morì a Parigi
verso il 1715 ». Vallardi F, Enciclopedia universale illustrata - Volume 10 – p. 782, Milano, 1899. 2 Nous suivons ici Camillo Tutini (1594-1667/70) (p. 271-280) qui semble posséder une connaissance
personnelle du personnage et d’Agostino di Lieto durant les années italiennes, qui les déteste tous les deux, ayant
souffert des exactions du dernier. Il existe une autre version : Tonti serait le fils de Simonazzo Tontoli, charretier
(Coniglio, p. 285 et Capecelatro, T.2, p. 116) et se ferait parfois appeler Zonti (jeu de mot sur la lettre Z,
Semprini, p. 13 and p. 28). Vitelli (p. 55) le prétend fils de Cassandra, une sœur du Cardinal Michel Ange Tonti.
Il existe enfin l’hypothèse que Tonti soit né le 2 août 1602 à Rimini (Torriani, p. 16), mais il est possible qu’il
s’agisse d’une confusion avec un autre Lorenzo Tonti, capitaine d’infanterie que nous retrouverons plus loin. 3 « servire il duca di Bracciano nel mestier di racamare… s’ingeri nella casa di detto signore spiando » (servir
le duc de Bracciano dans le métier de brodeur… s’ingère dans la maison du dit seigneur à espionner) (Tutini,
p. 272) 4 « E con gran sfacciataggine si spaccie esser nipote del Cardinal Tonti, lasciando il cognome di Baroncino, e si
pose quello del Tonti » Tutini p. 273 (Et avec une grande impudence il prétend être neveu du Cardinal Tonti,
abandonnant le nom de Baroncino, et il a pris celui de Tonti). Il lui est d’autant plus facile de se prétendre en
parenté avec Michelangelo Tonti que le père du Cardinal se prénomme Lorenzo… 5 Il doit s’agir de Francesco Tonti dont parle Belmonti Rimenese, p. 56.
4
par an (Tutini, p. 272) et ne manque pas de faire donner à son beau-frère Agostino di Lieto,
(qui vient de se réfugier à Rome après avoir dérobé des plats d’argent au duc d’Arcos à
Naples - Tutini, p. 276), une compagnie dans le bataillon Calabre (Mémoires du duc de Guise,
p. 36). Il se marie avec Angela di Lieto, prostituée qui pratique son activité avec toutes sortes
de personnes, comme d’ailleurs une autre de ses sœurs 1 (Tutini, p. 273 et 331), même si un
site parle de Loretta 2, et que la plupart des références indiquent Isabella. Les relations avec
son beau-frère, Agostino di Lieto, (fils d’un repriseur de chausses - figliuolo d’un rapezzatore
di calzette, Tutini, p. 420), lui-même attrapé avec un jeune homme dans une affaire de mœurs
(et qui trouvera partout des jeunes gens aux mœurs dissolues, p. 331), seront de confiance
réciproque durant toute sa vie 3.
Par le truchement du prince Ludovisi, Tonti obtient de gérer la principauté de Rossano
et de gouverner la ville de Rossano 4 ; mais ses vols le font haïr de la noblesse locale, il doit
se résigner à fuir et se retrouve à Rome au moment où éclate l’affaire de Naples, ayant de
grands besoins et de petits moyens 5.
D’autre part, dans la Gazette de 1646, n°132, p. 986, on lit « De Venise le 3 octobre
1646… les sieurs… Agostino…Tonti … ont été déclaré Nobles par notre grand Conseil,
moyennant 100 000 ducats chacun » ; nous ne pensons pas qu’il s’agit de nos deux individus,
mais nous pouvons être sûr qu’ils se servent de ce genre d’entrefilet pour se donner des titres
qu’ils n’ont pas, ceci d’autant plus qu’il existe, à ce moment, en Italie, au moins deux familles
nobles de Tonti (l’une de Pistoia, l’autre de Rimini - voir Spreti). Lorenzo Tonti profite de la
confusion qui existe pour prendre un nom et se prévaloir de titres qu’il n’a pas, d’autant qu’en
dehors de l’abbé Tonti, il existe dans l’entourage du duc de Guise un comte Antonio Tonti 6
1 « Angela di Lieto, publico meretrice e moglie di Lorenzo Baroncini che cambiatosi il cognome, si fe chiamare
di casa Tonti… bene addottrinato in ogni vitio et enormità » (Angela di Lieto, prostituée publique et épouse de
Lorenzo Baroncini change son nom, se fait appeler de la maison Tonti … bien endoctriné dans chaque vice et
énormité) (Tutini, p. 331), ce qui semble confirmé par Fuidoro (p. 245) : « Agostino cognato di Lorenzo Tonti
(che teneva per moglie (Angela) di Lieto, sua sorella » (Agostino est le beau-frère de Lorenzo Tonti (qui tenait
pour femme (Angela) de Lieto, sa sœur). Dans ces conditions, Angela (appelée Angélique de Lieto en France)
serait la première épouse de Lorenzo Tonti. 2 https://www.findagrave.com/cgi-bin/fg.cgi?page=gr&GRid=128400498 3 Il n’est d’ailleurs pas exclu que la famille Lieto ait été en rapport avec celle d’Aniello (Giovanna de Lieto
marraine ?), ce qui pourrait expliquer l’ascension prodigieuse d’Agostino Lieto en quelques jours, qui de petit
voleur devient chef d’un bataillon de gardes. En effet, dans le livre de baptême, nous trouvons la mention :
« Libro dei battezzati, al foglio 44 verso scrisse : A 29 Giugno 1620. Thomaso Aniello figlio di Cicco d’Amalfi et
Antonia Gargano è stato battezzato da me D. Giovanni Matteo Peta, e levate del sacro fonte da Agostino
Monaco et Giovanna de Lieto al vico Rotto. » Capasso, p. 83. (Livre des baptisés, dans le feuillet 44, il est écrit :
Le 29 juin 1620, Thomaso Aniello, fils de Cicco d’Amalfi et Antonia Gargano, a été baptisé par moi, père
Giovanni Matteo Peta et élevé des fonds baptismaux par Agostino Monaco et Giovanna de Lieto). 4 La princesse de Rossano, Olimpia Aldobrandini (1623-1681) vient d’épouser en 1647 le neveu du Pape
Camilio Pamphili (1622-1666) qui vient de quitter sa fonction de Cardinal dans ce but. Donc, diriger Rossano,
petite bourgade, n’est pas quelque chose de négligeable. La mère de Camilio, Olimpia Maidalcini (1594-1657), a
une grande influence sur le Pape Innocent X et en tire d’innombrables bénéfices en vendant au plus offrant les
dignités civiles et ecclésiastiques. A partir de 1651, Olimpia Aldobrandini la remplace dans l’affection du Pape
et dans les bénéfices qu’elle en retire. 5 Tutini écrit p. 474 : « ove si porto infamissimamente per li forti e latrocini che egli commise in quel governo;
perloché fu dalla nobiltà grandemente odiato » (il se porte de manière infâme par les vols qu’il commet dans ce
gouvernement ; c’est pourquoi il a été fortement détesté par la noblesse). Il est possible que cet épisode, dans
lequel Tonti dirige une petite principauté, constitue l’origine de la légende de Tonti commandant la forteresse de
Gaète. 6 Le duc de Guise en parle dans ses Mémoires, p. 324 et la Généalogie de Belmonti Riminese confirme
qu’Antonio Tonti obtient un brevet de colonel de la part du duc de Guise et précise qu’il existe un Lorenzo
5
(Mémoires du duc de Guise, p. 324). De façon certaine, à partir de 1647, Tonti se donne le
titre de Gentilhomme Romain, de Chevalier de Paludi, etc., titres que prendront ses fils 1. Plus
tard, à Paris, il francise son prénom (il passe de Lorenzo à Laurent ou Laurens) et met un y à
son nom : il devient Laurent Tonty.
Tonti, activiste napolitain, du parti Français
En 1647, Naples est sous la domination espagnole, représentée sur place par le vice-
roi, Rodrigo Ponce de León, duc d’Arcos (1602-1658). Une hausse des taxes sur les fruits
provoque une émeute, dont Masaniello (1620-1647, diminutif de Tommaso Aniello) prend la
tête, alors que le vice-roi se retire dans une forteresse. Quelques jours plus tard, Masaniello
est assassiné par ordre du vice-roi 2. Un autre vice-roi est nommé, ce qui calme un moment les
Napolitains. La révolution reprend sous la direction d’un armurier, Gennaro Annese (1604-
1648), qui proclame une étrange République Royale, sous la protection du duc Henri II de
Lorraine, 5e duc de Guise (1614-1664), et au travers de cet homme, de la France – cette
dernière est d’ailleurs assez circonspecte concernant les chances du duc de Guise 3 . La
République prend fin le 5 avril 1648, date de l’entrée dans la ville des troupes espagnoles.
Quand la Révolution de Naples éclate, cela n’étonne pas Tonti, car son beau-frère
l’avait averti de l’agitation régnant à Naples au moment de sa fuite, et il en profite pour
s’insinuer parmi les proches du duc de Guise, et le pousse à vouloir se mettre à la tête de la
révolution napolitaine : « Tonti innesca il cervello del duca di Ghisa di venir in Napoli », dit
Tutini (p. 275). Il gagne sa confiance à force de renseignements obtenus par son beau-frère et
d’autres qu’il glane dans les tavernes du port. Le duc de Guise décrit assez longuement Tonti
et son beau-frère, « ces deux hommes… ayant joué un rôle assez considérable l’un et l’autre
dans le cours de toutes les affaires. » Tonti, « cherchant avec soin les moyens de se faire
valoir et quelques nouveautés pour les lui faire naître, était l’un de ces débiteurs de nouvelles
qui écrivent à toutes sortes de gens pour se procurer des réponses, montrent leurs lettres à
beaucoup de personnes, et bien souvent les font eux-mêmes, les remplissant de tout ce qu’ils
ont appris de beaucoup de différentes sortes de gens, qu’ils réduisent et mettent en ordre, et
par-là sont bien reçus de tous les curieux et des ministres de tous les princes, dont ils tirent
parfois quelques gratifications. » (Mémoire du duc de Guise, p. 106).
Tonti, capitaine d’infanterie, conseiller, de Cesena, Forlimpopoli et Rimini (p. 56). Il sera aisé plus tard, pour
notre Lorenzo Tonti, de jouer de la confusion des noms et des fonctions. 1 Armes : D’argent à la bande engraillée de sable. Cimier : un oiseau au naturel affronté de trois plumes
d’autruche de gueules comme descendant des comtes Dondi à Venise. Couronne de baron et de seigneur. (La
Revue franco-américaine, p. 212). 2 Sulte affirme qu’au moment de la révolution de Masaniello, Salvatore Rosa, peintre et Lorenzo Tonti, banquier
sont ses principaux officiers et que Tonti s’empare ensuite de la forteresse de Gaète qu’il commande durant tous
les événements (Roy, Le père du chevalier Tonty, Bulletin des recherches historiques janvier 1900, vol. 6 ; n°1,
p. 31) ; au témoignage de l’Ambassadeur de France et du duc de Guise, et contrairement à cette affirmation, nous
l’apercevons à Rome et à Naples et, à l’époque, personne parmi ceux qui le connaissent (Tutini, Capecelatro)
n’évoque un commandement du fort de Gaète durant la révolte de Naples. Une autre preuve en est donnée par les
instructions aux forces françaises de prendre Gaète, alors aux mains des forces espagnoles, si cela est possible : « Il faudra voir aussy s’il y auroit moyen de venir à bout de Gaiète avec les forces du peuple et l’assistance de
nostre armée ». (Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, p. 201). Ce commandement par Tonti
nous semble donc une pure invention. 3 Une lettre de Mazarin du 7 octobre loue son zèle, mais l’engage, au nom du Roi, « à modérer cette généreuse
ardeur … il ne lui semblait pas que le fruit fut encore mûr … on le suppliait donc de bien examiner toutes choses
avec l’ambassadeur de France … avant de se hasarder en un dessein si périlleux. » Bazin, p. 361.
6
Il devient l’homme qui peut faire passer un message au Pape, à l’Ambassadeur de
France à Rome, François du Val Fontenay-Mareuil (1594 ?-1665) (et à travers lui, à Mazarin
et à la Cour de France), et au duc de Guise. En même temps, il est nommé représentant de la
République à Rome auprès du Pape et des ministres de France (Residente in Roma per lo
Regno di Napoli) avec une provision de 500 écus par mois (Arnauld, p. 370). Il est donc au
centre d’un écheveau d’intrigues, d’autant plus compliquées à démêler que les instructions
mettent du temps à arriver (21 jours entre Naples et Paris, sauf courrier exprès qui prend une
quinzaine de jours) et que la situation évolue très vite, au milieu des ambitions qui se
déchainent et des trahisons qui se multiplient.
Cette position centrale lui vaut du pouvoir et donc de l’argent. Du pouvoir, il en a le
titre, puisqu’il est qualifié de « Signor Capitano » dans la lettre patente que lui fait le duc de
Guise (Siri, p. 519) et qu’il fait nommer Agostino di Lieto, qui se vante d’obtenir le soutien
des Capes Noires - la petite bourgeoisie - capitaine des gardes du duc de Guise. Comme les
fois précédentes, ses protecteurs louent son savoir faire, son entregent, ses renseignements (le
détail de toutes les forces militaires, les réserves d’or et de blé, etc. qu’il communique en les
gonflant), mais aussi sa prudence et ses conseils avisés. Ainsi, le duc de Guise décrit ainsi un
homme « de peu de naissance, mais un esprit adroit »1, comme une personne « diligente et
fidèle » (lettre patente, Siri p. 519). Donzelli évoque l’excellence de ses vertus et sa noble
naissance (que con l’excellenza del virtuoso operare crescere maggiormento lo splendore de
nobili suoi natali, p. 212). L’abbé Arnauld (1597-1692, frère d’Arnauld d’Andilly, qui a pour
mission le chapeau cardinalice pour Michel Mazarin), représentant de la France à Rome,
esprit exalté par l’aventure napolitaine (Tutini, p. 275-276), dit que « Lorenzo Tonti, dont la
femme est Napolitaine… est toutpuissant auprès de lui [le duc de Guise] … Lorenzo est très
habile. Il a été autrefois parfaitement bien auprès du Comte de Monterey, viceroi de Naples »
(lettre du 8 février 1648, p. 387). Même Tutini loue l’extrême intelligence de Tonti, au milieu
d’une situation délicate à gérer. Agostino di Lieto (15 octobre 1647, écrivant « à Monsieur le
duc de Guise, mon maître ») et Tonti donnent des conseils à Guise sur son comportement à
Naples (10 nov. 1647 - Pastoret, p. 150), et qu’il convient en particulier que les Français
n’importunassent pas les femmes de Naples. Leurs conseils sont judicieux, la clairvoyance et
la prudence de Tonti sont prisées : le 21 décembre 1647, Mazarin écrit à l’Ambassadeur et
évoque les projets de Tonti qui aident à éloigner le péril espagnol2.
1 Mémoire du duc de Guise, p. 106 2« J’ay veu aussy, par la lettre du sieur Lorenzo Tonti, les projects qu’il avoit faits pour les premieres fonctions
de son generalat, qui estoient d’aller nettoyer les environs de Naples » Chéruel, p. 557 (noté p. 1058).
7
Illustration 1 – Cardinal Jules Mazarin
Source : atelier de Pierre Mignard, 1658-1660, Chantilly, musée Condé.
https://www.histoire-image.org/fr/etudes/portrait-cardinal-mazarin?i=1272
Bien sûr, Tonti n’hésite pas à solliciter de l’argent pour ses services 1 . Diverses
pensions sont accordées à Tonti et à Lieto durant ce temps ; mais ils les complètent (surtout
Lieto qui est sur place) par de vastes détournements d’argent 2, des prélèvements sur des
sommes qui leur sont confiées, un trafic d’armes (Tutini, p. 332, confirmé par les Mémoires
du duc de Modène, p. 226), des ventes de pain dans Naples affamé, des vols auprès des
bourgeois 3 et des institutions financières de Naples 4, de trafics de passeport (Tutini, p. 346)
ou ont des exigences 5 accompagnées de menaces de chantage et de dénonciations 1.
1 « Il me pria, en écrivant à la cour, de faire valoir les services de son beau-frère, et les siens, et leur ménager
des pensions et quelques sommes considérables, pour récompenser ses correspondants, et amis, et attirerait par
des bienfaits beaucoup de Napolitains dans les intérêts de la France, lui acquérir des créatures, et lui former
une puissante cabale, pour disposer en temps et en lieu les esprits à la servir utilement, et contribuer à ses
avantages ». Mémoires du duc de Guise, p. 62. 2 « si spesero 18 mila scudi, il tutto passè per le mani di Agostino, …, et rubó con quello molte migliara di
scudi. » (vous avez dépensé 18 mille écus, tous passé par les mains d’Agostino…, et voler ainsi beaucoup de
milliers d’écus). Tutini, p. 331. Le duc de Modène raconte aussi comment Lieto récupère la somme de 1000 écus
de la part de Guise (Mémoires, p. 226). 3 « Presero dalle case di molti nobili napolitani gran quantità di mobili… » (saisi dans les maisons de beaucoup
de nobles napolitains de grande quantité de meubles). Tutini, p. 332. Idem dans les Mémoires du duc de
Modène : « Le Liéto ne s’appliquait qu’à la recherche des maisons où il y avait quelque chose à prendre »
p. 455). Quand le duc de Modène se fait arrêter par Guise, Lieto lui vole le maximum et le dépouille de ses
écuries (p. 460). 4 « Furono da’ Banchi di Napoli presi i danari… pervennero nelle mani di Agostino » (dans les banques de
Naples a pris l’argent… … a atteint les mains d’Agostino). Tutini, p. 332. « danaro tolto dal Banco della Casa
del Annunziata , da quello del Monte della Pietà e da alcuni altre » (de l’argent pris dans la Banque de la Caisse
de l’Annonciation, dans celle du Mont-de-Piété et quelques autres). Capecelatro, T.2, p. 317. 5 Un jour, Lieto exige de l’Ambassadeur de France 100 000 écus, dont 50 000 à titre de remboursement de ses
frais et 50 000 devant servir pour des projets à Naples, à verser dans ses mains (« ma pur in sua mano doveano
pervenire ». Tonti lui demande la même somme, pour le duc de Guise. (Tutini, p. 333 et 592).
8
Durant tout le temps où les forces françaises opèrent en Italie, Tonti sert d’agent à
Mazarin et obéit à ses ordres. Tonti intercepte des lettres et les lui communique 2. Il espionne
Clerisantes (l’envoyé du roi de France) pour l’Ambassadeur de France et Mazarin. De
Loménie, pour tenter de faire avancer la cause de la France, fait différentes promesses de
sureté 3 et prévoit des engagements financiers, sous la forme d’un fond spécial, doté de 50 000
livres et de chaines d’or, pour « gratifier les personnes » qui ont aidé la France : « On a
pourveu à un fondz de cinquante mil livres pour estre employé à ces affaires, et notamment à
faire des gratifications à diverses personnes qui ont bien servi et qui peuvent le faire encore
utilement », dont Annese et Tonti : « Quant au Sr Laurenso Tonti, on pourra luy donner
quelque bon présent, soit en argent et en une chaisne, ou tout en argent s’il l’ayme mieux, et
avec cela un brevet de pension des meilleurs » 4.
Or, tous se méfient de Tonti, trop avide et peu digne de confiance. Mazarin, mis en
garde par son jeune frère Michele Mazzarino, Cardinal de Sainte-Cécile (1605-1648), le
soupçonne d’être prêt à le trahir à tout moment et de n’agir que pour de l’argent. Le 7 février
1648, à Fontenay-Mareuil, il évoque Tonti : « tout n’a été que pure invention pour tirer de
nous quelque argent » (Pastoret, p. 160-164)5. De mêmee, Mazarin écrit au Cardinal Grimaldi
(Girolamo Grimaldi-Cavalleroni, 1595-1685), le 22 février 1648 : « J’ai toujours douté que
Lorenzo Tonti n’est pas de la farine nette, et l’ambassadeur a mal fait de se jeter avec toute
sa confiance dans la main de cet homme. Je ne dois pas montrer de la méfiance à son égard,
il suffit de le regarder et de ne pas communiquer quoi que ce soit d’important… Je
dissimule » 6 . Un peu plus tard, le 24 avril 1648 (alors que l’aventure napolitaine s’est
écroulée, mais sans qu’il le sache encore), Mazarin écrit à Fontenay-Mareuil de se débarrasser
des deux acolytes : « Lorenzo Tonti et son beau-frère ne valent rien à ce que je puis juger de
toutes les relations qui me viennent, et sont capables de toutte meschancetez…il faudra
tascher de faire en sorte que M. de Guise en soit délivré ». Toujours le 24 avril, Mazarin écrit
au Cardinal Grimaldi, une phrase prémonitoire : « …cette sorte des gens sont d’une telle
1 « Agostino, unito col Tonti suo cognato, scrissero alla corte che il marchese di Fontané era del partito
spagnolo e che haveva soldo da Spagna… » (Agostino, avec Tonti son beau-frère, a écrit à la Cour que le
marquis de Fontenay était du parti espagnol et recevait de l’argent de l’Espagne). (Tutini, p. 592). 2 Tonti a appris de Don Gioseppe Francischino, archiprêtre de Cerignola, à intercepter des lettres, à les ouvrir, à
en fabriquer de fausses, à faire se répandre des bruits et des rumeurs, à imiter les signatures, à utiliser des codes
(Tutini, p. 275 et Mémoires du duc de Guise, p. 35). 3 « On peut encores faire toucher au doigt à ceux qui ont le plus offensé les Espagnolz, comme le capitaine
Gennaro et Luigi del Ferro et autres, que ce seroit leur entière seureté et qu’ilz n’auront jamais rien à craindre
si nous pouvons nous bien establir, au lieu qu’il sera fort périlleux pour eux de demeurer toujours sans appuy ni
retraite asseurée, exposez d’un costé aux insultes et à la vengeance des Espagnolz et de leurs adhérens, et de
l’autre à la discrétion d’un peuple volage qui peut changer d’inclination et de maxime du soir au matin. »
(Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, p. 217). Ce mémoire d’instructions à Fontenay-Mareuil,
« ambassadeur extraordinaire prez du Pape » compte 45 pages et est signé Louis (qui a alors 11 ans), et
contresigné de Loménie, le véritable auteur du texte. 4 Idem, p. 221. 5 « Je me remets à vous de donner ce que vous estimez à propos au sieur Lorenzo Tonti… je continuerai à lui
donner de bonnes paroles et des espérances d’être récompensé. » Chéruel, T. 3, p. 32. Et c’est ce qu’il fait par
une lettre à Tonti du 19 février 1648, évoquant l’arrivée de la marine à Naples (p. 38). 6 « Ho sempre dubitato che Lorenzo Tonti non sia farina netta, e l’ambasciatore fece male à gettarsi con tutta la
confidenza in mano di quest’ huomo ; non bisogna mostrar diffidenza di lui, bastando di guardarsene e non
communicar seco cosa d’importanza… Io però dissimulo seco… ». Chéruel, T. 3, p. 44.
9
condition et profession, que si un jour vient, ils vont vendre aux Espagnols et leur personne
et la France »1.
Tout le monde joue un jeu compliqué, fait d’arrière-pensées, de trahisons, de chausse-
trappes… et la maladresse de certains du parti français n’arrange rien, alors que les Espagnols
sont présents en force et avec beaucoup d’argent.
Conclusion : Il apparaît aussi que Tonti ment sur tout l’épisode italien quand il arrive à
Paris : d’abord sur son identité (Baroncini et non Tonti), ensuite sur son activité passée (il est
de pauvre extraction et n’a pas été un banquier en vue à Naples 2) et enfin il n’a jamais
commandé la forteresse de Gaète 3.
Tonti, agent de Mazarin
Lorsque la Révolution échoue, l’Ambassadeur Fontenay-Mareuil trouve deux boucs
émissaires - Tonti et l’abbé Arnauld - et le fait savoir (Arnauld, p. 445). Mazarin reprochera,
dans une lettre du 15 mai 1648, à Tonti de n’avoir commencé à critiquer le duc de Guise
qu’après sa chute. Toutefois, par deux dépêches à Fontenay-Mareuil (30 juin et 3 août 1648),
il annonce que le roi donne une pension de 600 écus à Tonti et une gratification (d’un montant
non précisé) à son beau-frère (Pastoret, p. 309). Cela agace prodigieusement le Cardinal
Barberini, qui s’en plaint dans une lettre à Lionne du 18 septembre 1648 : « ils voient Tonti
récompensé … alors qu’il n’avait servi ni son pays, ni Sa Majesté et que son beau-frère a
contribué à ruiner le duc de Guise et à s’enrichir dans le désordre » 4
Lorsque l’Espagne reprend Naples, à l’exception d’un ou deux pardons (Hugon
p. 241), la répression s’abat sur tous ceux qui ont pris fait et cause pour la révolution
napolitaine et le parti français. Des milliers d’individus sont traqués, jugés, exécutés (Annese)
ou assassinés. Plus de dix mille partent se réfugier à Rome où leur situation est difficile
(Serradileo). Tonti et Lieto partent d’abord en Toscane, puis au Piémont (Boni, p. 176) et
enfin quittent l’Italie pour Paris en 1650 afin d’échapper aux poursuites. La famille de Tonti
semble rester à Rome un certain temps, puisque Gueffier, second de l’Ambassade, « résident
perpétuel » (dit Arnauld), la trouve dans la misère en juillet 1651, quand il va la voir sur
instruction de Loménie de Brienne (Ravaisson, p. 294).
1 « che simil sorte di gente sono di tal conditione e professione, che se un giorno verrà loro ben fatto,
venderanno a i Spagnuoli e la persona sua e la Francia ». Chéruel, T. 3, p. 93. 2 Dans le monde germanique, Tonti est souvent qualifié de médecin (Arzt). Par exemple : « Sie erhielten ihren
Namen nach dem italienischen Arzt Lorenzo Tonti » (Elles [les tontines] ont pris leur nom du médecin italien
Lorenzo Tonti) Meyers Konversations Lexikon, vol. 16, p. 941) et des détails sont donnés par Grosse p. 19,
repris par O’Donnell p. 160 et par Milevsky p. 42. Nous pensons qu’il s’agit d’une confusion avec un autre
Tonti, indiqué sous le nom « Tonti Medico Napoletano », qui fait des expériences de chimie dans les années
1790 avec le professeur Anton Rup(p)recht von Eggenberg (1750-1808) à Schemnitz. 3 Le seul élément en faveur du commandement du port ( ? habituellement, on lit du fort) de Gaète est indiqué par
Boni p. 176. Or tout son récit apologétique concernant Tonti à Gaète est douteux, comme le montre l’épisode de
la femme de Tonti relaté ci-après. Un article sur Internet prétend que Tonti a été gouverneur de la région de
Gaète (https://bmirgain.skyrock.com/3272739472-L-ANTONOMASE-A-LA-DEROBADE.html), mais comme
ce même article prétend aussi que Tonti est le parrain que Louis XIII donne au futur Louis XIV – on se demande
comment Tonti aurait été en relation avec la Cour de France en 1638, date de la naissance du futur Louis XIV, et
qu’il est de connaissance publique que le parrain de Louis XIV est Mazarin - il y a lieu d’écarter purement et
simplement l’ensemble de ces prétentions hautement fantaisistes. 4 « vedono rimunerato il Tonti … in poi non ha servito né alla Patria, né a S. M., et il suo cognato ha aiutato a
rovinare il Duca di Guisa et con il rubbare si sia arricchito. » (cité par Miceli, p. 183).
10
Après l’échec de sa première tentative à Naples, Henri de Guise est fait prisonnier ; de
1648 à 1652, il est détenu en Espagne. À peine libéré, grâce au grand Condé (Louis II de
Bourbon-Condé, 1621-1686) qui l’échange contre quelques services que lui doit l’Espagne, il
songe une fois de plus à s’emparer de Naples, en dépit de ses engagements formels envers le
roi d’Espagne. Il s’en ouvre à Mazarin, qui le soutient cette fois de façon officielle et le
nomme lieutenant-général « représentant de la personne du Roy » (23 mai 1653) et choisit
Colbert (Charles de Croissy, 1629-1696, frère cadet de Jean-Baptiste - Roergas de Serviez,
p. 54) comme délégué aux finances, chargé du ravitaillement de l’expédition et le marquis de
Plessis-Bellière (Jacques de Rougé, 1602-1654) en tant que lieutenant-général des troupes,
second de l’expédition. Guise vend la baronnie et le château de Meudon à Servien (Abel,
1593-1659, surintendant des finances), hypothèque son château d’Eu au profit de son jeune
frère, vend des tapisseries et des tentures pour financer son expédition. Une escadre est réunie
à Toulon, dont le lieutenant-général est le chevalier Paul (Jean-Paul de Semeur, 1597-1667),
mais on se rend compte assez vite qu’elle est faite de bric et de broc (une galère coule avec le
pain et les munitions, une autre avec 400 soldats d’un régiment, on manque de cordage, etc.).
Mazarin cherche les soutiens du côté de Rome auprès de son agent le Cardinal Barberini 1 et
du Cardinal d’Este (Rinaldo, 1618-1672, frère du duc de Modène) et leur fait passer des
sommes destinées au recrutement ainsi qu’à l’achat de chevaux et d’armes. Il y renvoie aussi
l’ensemble de ses anciens protégés italiens, qui ont l’espoir de retrouver leur patrie et une
situation, pour intriguer et semer la discorde chez les ennemis. C’est ainsi que Lorenzo Tonti,
repart en direction de l’Italie 2 (Mumms & Richards, p. 150).
Cette seconde campagne du duc de Guise à Naples a lieu à la fin de l’année 1654 (la
flotte quitte très tardivement Toulon le 6 octobre 1654). Guise arrive à débarquer et prend le
contrôle d’un point fortifié non loin de Naples, Casellamare (13 novembre 1654), d’où il
cherche à bloquer le ravitaillement en farine de Naples, mais se heurte à une résistance plus
forte que prévu lors de l’attaque de la ligne des moulins. Les soldats levés par la France, qui
doivent jeter le trouble dans différentes provinces contrôlées par les Espagnols, ne font pas
grand chose ; la cavalerie manque chez les Français ; dans une escarmouche, Plessis-Bellière
est tué ; les vivres et les munitions s’épuisent d’autant plus vite qu’il n’y avait de provisions
que pour deux mois et qu’une partie a été perdue ; les Espagnols envoient une armée sous les
ordres de Don Carlo de la Gatta, alors que le bruit court que l’Espagne a réussi à rallier 4000
bandits qui menacent d’attaquer ; la population de Naples ne se soulève pas pour le duc de
Guise et la noblesse locale, au lieu de l’accueillir, le combat. La situation se complique encore
pour les Français, car une flotte anglaise dirigée par Robert Blake (1598-1657) arrive en
Méditerranée, alors que la flotte française du Ponant, sous les ordres de Nuchèze (François de,
v.1600-1667) tarde. Finalement, manquant de munitions et de pain, après un conseil de
guerre, Guise rembarque, le 23 novembre, en direction de Toulon (Guise, Suite…, p. 117).
Et une fois encore, Tonti se réfugie en France à partir de l’Italie (Mumms & Richards,
p. 166) tout en continuant à servir d’agent à Mazarin.
1 Antonio, 1607-1671, dit le Cardinal Antoine, frère du précédent Pape. Antonio Barberini est en même temps
grand aumônier de France et évêque de Poitiers. 2 Si l’expédition du duc de Guise de 1654 est bien connue, que l’on voit bien Mazarin réactiver ses réseaux pour
la préparer (les réfugiés italiens en France, les factions françaises de Rome et les mécontents de Naples), les
seules références à Tonti sont celles de Charles Gregory dans son article « Parthenope’s Call: The Duke of
Guise’s Return to Naples in 1654 » dans Mumms & Richards. Cet aller-retour est donc à prendre sous les plus
grandes réserves — d’autant que Tonti est à ce moment préoccupé par l’avancement de sa première tentative de
tontine qu’il croit encore fermement réussir — même si on ne saurait l’exclure.
11
De 1649 à 1660, Mazarin fait verser à Tonti une pension annuelle de 6000 livres, et,
par l’intermédiaire de l’archevêque de Reims, 400 pistoles (Coudy, p. 128)1. En même temps,
il fait surveiller Tonti et Lieto et un autre Italien, Gioanni, arracheur de dents, qu’il soupçonne
de sédition. Dans une lettre du 18 septembre 1650 de Mazarin à Michel Le Tellier (1603-
1685), il écrit : « La Reyne désire absolument qu’aprez en avoir parlé à S. A. R. et qu’elle
l’aura approuvé, on fasse arrester Lorenzo Tonti et Agostino Lieti, Napolitains, qui sont à
Paris et qu’on devroit desja en avoir chassez il y a longtemps… de meschants esprits, qui
donnent des advis en Flandres, qui sèment des bruits pour allumer des séditions dans Paris,
et qui, en dernier lieu, n’ont rien oublié, au Palais, pour aigrir les esprits ». Mais, après tout
ce que Mazarin a comme raisons de se méfier de Tonti, il continue à lui verser sa pension, ce
qui ne laisse pas de surprendre quelque peu…
En 1651, Tonti se vante d’avoir sauvé la famille royale, grâce à un avis qu’il aurait
donné à Louis I de Bourbon (1612-1669), Cardinal de Vendôme, qui l’aurait communiqué à
la reine-mère (Laloy, p. 406). Il a ses entrées à la cour, il correspond avec Mazarin, Jean-
Baptiste Colbert (1619-1683), Pierre Louis Reich de Pennautier (1614-1711) 2, Charles de la
Porte, maréchal de la Meilleraye (1602-1664) 3 ; Gian Lorenzo Bernini (le Cavalier Bernin,
1598-1680) 4 vient lui rendre visite lors de son voyage en France durant l’été 1665 et le soir il
signe une liste de tableau en affirmant qu’ils sont beaux - ce qui leur assure une immédiate
plus-value- (Fréart de Chantelou, p. 229), il connaît la reine-mère, etc.
Clairement, c’est un homme en vue, comme veulent le faire accroire les deux gravures
ci-après.
1 Ces sommes correspondent grossièrement à ce que proposait le comte de Brienne au marquis de Fontenay (28
nov. 1647). 2 Personnage considérable, financier, protégé par le Cardinal de Bonzi, il est à la fois trésorier de la bourse de la
province de Languedoc (région riche) et receveur général du Clergé de France (chargé de collecter les impôts
pour l’Eglise de France) ; il est mêlé à l’affaire des poisons. 3 Lieutenant-général de Bretagne en 1632, surintendant des finances en 1648-1649, personnage intègre dans des
temps troubles et propices à la corruption la plus effrénée ; on l’a critiqué pour son manque de compétence en
matière de finances publiques. 4 Le Cardinal Chighi (Chigi), neveu du Pape, vient très humblement à Paris (de mai à août 1664) pour régler le
contentieux entre la France et le Vatican, suite à l’incident du 20 août 1661 au cours duquel le duc Charles de
Créquy (1623-1687), ambassadeur de France à Rome, a été insulté par la garde corse du pape qui a tiré sur son
carrosse et tué un de ses pages. Paul Fréart de Chantelou, maître d’hôtel de Louis XIV, accompagne (surveille)
le Cardinal Chigi durant son voyage en France et en fait rapport.
12
Illustration 2 - Louis XIV et Tonti ?
Tonti vers 1653
O’Donnell, History of Life Insurance,
1936, p. 160. Auteur et références
inconnus.
Le Conservateur explique que Tonti est l’homme à grande perruque à gauche
et que Mazarin est en habit noir à côté du roi Louis XIV. Ces explications
doivent rassurer l’investisseur sur le sérieux de Tonti, proche des grands de la
Cour et sur l’importance reconnue de la tontine depuis trois cents ans.
Le médaillon est clairement
utilisé dans la gravure ci-contre.
Sur la grande gravure, en provenance du site du Conservateur 1 nous sommes censés
être vers 1653. Dans le commentaire oral du petit film de présentation du Conservateur, qui
expose le concept de tontine et propose de participer au montage annuel que cette entreprise
organise, l’homme en noir portant une grande croix est dit être Mazarin et l’homme à la
grande perruque qui fait face sur la gauche, Tonti, un ingénieux banquier napolitain sollicité
pour remplir les caisses de l’Etat au moyen d’un nouveau type d’emprunt. Tonti est montré
comme un proche de ces personnages ; il apparaît comme un homme mûr, d’une cinquantaine
d’années, ce qui pourrait conforter l’hypothèse d’une naissance vers 1603. Sauf que tout cela
est faux.
En effet, cette gravure trouve son point de départ dans une œuvre célèbre
d’Henri Testelin (1616-1695) « Colbert présente à Louis XIV les membres de
l’Académie Royale des Sciences », commandé par Louis XIV pour réaliser une
tapisserie par la manufacture des Gobelins. Il s’agit d’un grand tableau de
348 x 590 cm exposé à Versailles 2 (voir Annexe). Le sujet traité est une visite
du roi Louis XIV qui a lieu le 22 décembre 1666 (et non vers 1653), que le
1 Le groupe Le Conservateur s’enorgueillit de réaliser des montages tontiniers depuis 1844. A l’occasion de ses
170 ans, pour l’édification de ses clients, la compagnie fait réaliser un petit film qui retrace son histoire et de son
produit phare, les tontines.
https://www.conservateur.fr ou https://www.youtube.com/watch?v=x-IRypeoP1o&t=61s&frags=pl%2Cwn
https://vimeo.com/84223787 ou http://rodama1789.blogspot.fr/2017/05/winning-lottery-of-life-tontines.html
Cette gravure est reprise par l’entreprise Tontinetrust qui assure que l’homme au centre est l’Evêque de France
qui informe le roi Louis XIV qu’il ne peut se lancer dans une nouvelle guerre. Lorenzo Tonti, à gauche, dispose
d’une solution : “The Bishop of France (centre) informs his King that they cannot afford to go to war, Lorenzo
Tonti (left) “I got this”. https://blog.tontinetrust.com/the-history-of-the-tontine-c7511e04a2f5 2 https://www.histoire-image.org/fr/etudes/colbert-presente-louis-xiv-membres-academie-royale-sciences
https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/en/museum/mne/fondation-de-l-observatoire-1669-colbert-
presente-au-roi-les-membres-de-l-academie-des-sciences/55eb920a-8cf7-4a7e-9b87-62210112cac9
13
peintre met en scène, avec une sphère céleste, un quadrant, des plans, des
squelettes d’animaux,… et un ensemble de personnages bien connus qui sont
les membres initiaux de l’Académie : l’homme en noir qui porte la croix,
insigne de l’ordre du Saint-Esprit, est Jean-Baptiste Colbert 1, qui en a promu
l’idée aidé de Charles Perrault (l’individu portant des documents) ; Monsieur,
le frère du Roi, assis, est habillé en rouge ; le religieux qui fait face au roi,
devant lequel il s’incline respectueusement, est l’abbé Jean-Baptiste du Hamel,
premier secrétaire de l’Académie ; les personnages sur la gauche sont les
savants qui sont les premiers membres de l’Académie des Sciences (La Hire,
Du Clos, Roberval, Mariotte…). C’est donc Colbert, et non Mazarin, qui figure
sur le tableau. Au moment où Testelin peint son tableau (vers 1667-1668),
Tonti n’est plus dans l’environnement de Colbert et de la Cour (il va être
emprisonné à la Bastille quelques mois plus tard). Tonti n’apparaît pas sur le
tableau de Testelin et n’a d’ailleurs aucune raison d’être représenté au milieu
des membres initiaux de l’Académie Royale des Sciences qui sont autant de
savants dans différentes branches des sciences.
Dans un deuxième temps, plus d’un siècle et demi après l’événement (vers
1840), une gravure est réalisée, d’après ce tableau, par Louis Gustave Thibault 2 (voir Annexe) par eau-forte et burin et, d’après les indications à différents
endroits de cette gravure, selon un dessin de Léopold Massard reproduisant le
tableau de Charles Lebrun (en réalité l’idée du précédent tableau est de Lebrun,
l’œuvre étant réalisée par Testelin) par diagraphe et pantographe de Gavard ; le
nom de l’œuvre devient « Fondation de l’Observatoire (1669) » avec pour
sous-titre « Colbert présente au roi les membres de l’Académie des Sciences ».
Très logiquement, la tête de celui qui est censé être Tonti n’apparait pas et
Tonti n’est pas présent dans la gravure de Thibault effectuée d’après le tableau
de Testelin.
Dans un troisième temps, la gravure ci-dessus apparaît, et seulement dans un
petit film de présentation de la société Le Conservateur – film historique 2014
– 170 ans (sans que la société Le Conservateur, sollicitée, ait donné des
informations sur son origine). Et c’est dans cette gravure que nous trouvons un
homme qui fait face au spectateur et qui est dit être Tonti (de fait, le portrait de
Tonti semble avoir été mis à la place d’un des académiciens). Nous
soupçonnons donc la société Le Conservateur, qui naît en 1844, quasiment au
moment où Thibault réalise sa gravure, d’avoir fait réaliser un montage, en
incrustant le portrait de Tonti (dont nous n’avons pas pu retrouver les
références) dans la gravure de Thibault, pour se donner de la respectabilité et
une référence historique. Il est au demeurant possible que ce travail soit aussi
l’œuvre de Thibault.
Tonti, projeteur
Tonti est un réfugié Italien, en cheville avec le Cardinal Mazarin. C’est un « grand
donneur d’avis » d’après Savary des Bruslons (1657-1716), en particulier financiers : son
affaire, son invention, ce sont des rentes viagères avec le droit d’accroissement (reditus ad
1 Colbert vient d’être nommé Grand-Trésorier de l’Ordre du Saint-Esprit en 1665. Mazarin, décédé en 1661,
n’est pas titulaire de cet ordre, ce qui disqualifie encore, s’il en était besoin, le commentaire du Conservateur. 2 http://www.astrolabium.be/mesurercieletterre/Colbert-presente-les-membres-de-l
14
vitam cum augmento 1) pour les survivants, que l’on nommera plus tard, d’après son nom, les
tontines.
La grande affaire : les tontines
On a toujours argué que les tontines trouvaient leur origine dans une institution
italienne appelée Monte delle Doti, ou mont-de-dot, pratiquée notamment à Florence depuis
1425, dont un résumé se trouve dans le livre VI de la République de Jean Bodin2. Le montage
évoqué est le suivant : « celui qui a une fille, au jour de sa naissance, met cent écus au mont
de piété à charge d’en recevoir mille pour la marier quand elle aura 18 ans ». Le mont-de-
dot (la division du mont-de-piété qui s’occupe de cette affaire) capitalise à raison de 5 % l’an.
L’idée est simple : si la jeune fille meurt, il n’y a nul besoin de dot et la mise initiale des 100
écus revient au mont-de-dot 3 (les parents ont perdu leur fille et l’argent déposé) ; si la jeune
fille est toujours vivante, elle pourra se marier honorablement sans que ses parents eussent à
se priver durant toute la jeunesse de la jeune fille.
Rendons justice à Tonti : s’il a pu trouver l’idée dans le montage italien, dans lequel
la mortalité de certaines accroît aux survivantes, il est indéniable que l’opération telle qu’elle
est décrite est à la fois incomplète et défectueuse.
Incomplète, car le contrat de dot que le Monte met en œuvre est constitué d’un
faisceau de contrats entre chacun des parents et le Monte. Il ne s’agit pas d’un
emprunt auprès d’un ensemble de souscripteurs, dont l’accroissement des
arrérages passe par le décès des nominés et dont le terme est la mort de la
dernière tête choisie.
Défectueuse, car les trois quarts des filles doivent mourir avant leurs 18 ans
pour que le quart des survivantes puisse se marier avec une dot de 1000 écus.
Or la mortalité du genre humain est considérablement inférieure 4. Et si le père
1 Dictionnaire universel François et Latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux : Contenant la
Signification et la Définition des mots de l’une et de l’autre Langue ; ... Avec des remarques d’érudition et de
critique, Volume 8, p. 59, [Anonymus AC09811611], Par la Compagnie des Libraires Associés, 1771. 2 Tonti connaît le livre et en parle dans sa Relation…, p. 37 (voir plus loin). En réalité, l’idée de capitaliser
pendant un certain temps, en profitant de l’aléa de mortalité d’un certain nombre de déposants, est dans l’air : en
1401, à Berlin, le conseil vend une annuité à trois individus, sachant que ce sont les survivants qui se partagent
chaque année les arrérages (Jack, p. 174). Un peu plus tard, Ammirato indique que si le prince doit donner une
pension à des soldats, la mort de certains d’entre eux au bout de 20 ans de carrière militaire, rendra la dépense
plus légère (Ammirato, p. 59). Mais on a aussi l’exemple, dès 1629, de la Compagnie Commerciale du
Morbihan qui cherche à trouver des actionnaires en promettant de rendre au bout de 16 ans un capital sextuple
de la mise initiale et rien en cas de décès ; toutefois l’opération reste au stade du projet. Enfin, au Portugal,
Nicolas Bourey propose au Senado de Lisboa en 1641 un emprunt d’Etat, avec aléa de mortalité, une tontine, à
laquelle aucune suite n’est donnée. L’original du texte de cette proposition est dans Colleccao Pombalina à la
Biblioteca Nacional de Lisboa (#650, fol 133-134) et est réimprimé par A. H. de Oliveira Marques, Para a
historia dos seguros em Portugal, notas e documentos (1977). Enfin, sans qu’une date soit indiquée, le même
type d’opération est supposé en Angleterre : « Il y a en Angleterre une espèce de Mont-de-piété, ou de Banque,
où le public peut mettre une somme de cent pistoles, pour un enfant naissant, c’est-à-dire, quelques mois après
sa naissance en portant son extrait baptistaire ; à l’effet que si l’enfant vient à mourir avant douze ans
accomplis, la somme se trouve en pure perte pour ceux qui l’ont donnée, et demeure au profit du Mont-de-piété
ou Banque ; et que s’il survit passé les douze ans, l’enfant a cent pistoles de rente par an sa vie durant, à
commencer depuis les douze ans accomplis jusqu’à sa mort. C’est un excellent moyen pour assurer la
subsistance honnête d’un enfant, qui n’auraient pas d’autres sûretez. » Charpentier, p. 372. 3 « Et morendo avanti detto tempo, il tutto restasse al Monte », Sc. Ammirato, Istoria fiorentine, Liv. XIX. 4 La démonstration se déduit des travaux de Deparcieux (qui évoque la Banque de Venise, p. 128, 1746 et p. 6,
1760).
15
dépose l’argent au Monte seulement lorsque la petite fille atteint l’âge de 5 ans,
le temps de capitalisation se réduit alors même qu’est écartée la mortalité
élevée des premières années qui, en fauchant les enfants, permet les gros
accroissements. Inversement, lorsque l’on évoque un taux de capitalisation de
11 ou 12 %, l’opération devient financièrement possible pour les parents, mais
très difficile à tenir par le Monte qui risque d’avoir promis aux ayants droit
plus que ce qu’il est en mesure de récupérer sur le marché.
Enfin, ce montage n’est pas une tontine, pour trois raisons : le décès d’une jeune fille
n’accroit pas aux survivantes ; le chiffre de l’augmentation est déterminé par avance et par
contrat ; le Monte fait face à l’obligation de payer une fois, alors que, dans la tontine, le roi a
l’obligation de payer souvent et durant très longtemps. En réalité, le montage dotal proposé
est un contrat d’assurance en cas de survie 1.
Revenons à l’origine de la tontine de 1653 2. La situation financière et politique de la
France est difficile, puisque nous sommes à la fin de la Fronde 3. On se rend compte que la
dette publique est très importante et risque de grever le budget pendant de longues années. On
pense à transformer les rentes perpétuelles en rentes à terme, notamment viagères4, ce qui
conduirait, espère-t-on, au miracle financier de l’extinction de la dette au bout d’un certain
temps.
Durant les années 1651-1653, plusieurs surintendants des finances se succèdent très
rapidement : Mesme (décès le 16 novembre 1650), Longueuil (relevé de ses fonctions le 5
septembre 1651), Vieuville (décès le 2 janvier 1653), Servien et Fouquet en parallèle
(nommés le 8 février 1653).
La tontine de 1653
En février 1652, le roi est à Saumur ; Tonti est dans l’environnement de la Cour,
puisque, dans un Avis présenté au Roi par Laurens Tonti où il expose son invention, daté du 6
février 1652 5, de Saumur, il expose une proposition assez étrange dans laquelle « un parti,
nommé la tontine royale », représenté par Tonti et ses associés, disposant d’un fonds annuel
de 4 millions de livres, verra cette somme employée à une affaire mystérieuse nommée
Tontine royale (dont aucun détail n’est évoqué, si ce n’est le montant du fonds annuel).
1 L’idée d’un montage dotal est durable, témoignant d’un problème non réglé de financement de la dot
nécessaire au mariage d’une jeune fille de bonne famille : en 1802 (an X), une Tontine commerciale ou mont-de-
piété établi en tontine avec l’approbation et sous la surveillance du gouvernement est projetée par le général
Desperrières (Archives du Mont-de-piété, 2e série, n°413) qui demande à en être le Directeur général,
inamovible. Durant tout le XIXe siècle, il existe des montages appelés tontines dotales qui sont parfois des
tontines, mais plus souvent des montages assurantiels. Enfin, la prégnance de la question de la dot pour marier
une jeune fille transparaît au travers d’une boutade de Balzac, en 1840 dans la pièce de théâtre Le Faiseur :
« Une fille, pour sa dot, ne s’adresse plus à sa famille, mais à une tontine ». 2 D’après le Nouveau dictionnaire universel (Le Châtre) à l’article Tontine, l’idée de Tonti lui serait venue en
1640. C’est un peu rapide, Tonti est encore jeune à ce moment… 3 Le préambule de l’acte de création de la tontine de 1653 énonce : « les guerres, tant domestiques qu’étrangères
de ce royaume, nous ayant obligé de si grandes et si excessives dépenses, que non seulement nous avons été
contraints, pour les soutenir, outre la recette de nos revenus ordinaires, d’avoir recours à des moyens
extraordinaires… ». 4 «… contre l’intention que nous avons de faire payer ponctuellement les dits arrérages de rente, même d’en
racheter le principal, si l’état de nos affaires le pouvait permettre pour décharger nos revenus dudit
paiement… » Préambule de l’acte de création de la tontine de 1653. 5 Manuscrits Godefroy 130 / folio 135 ; copie dans l’Annexe de Hébrard.
16
Ce qui est prévu et énoncé, ce sont les frais et commissions, au total 100 000 livres à
moitié pour l’administration de la tontine et à moitié pour rémunérer l’apporteur de l’affaire,
Tonti. Celui-ci a droit à un droit du dixième sur les montants levés, un office héréditaire (la
survivance) et un dixième de ces droits qui s’appliqueraient aussi à d’éventuels futurs
montages de tontine, lui et ses héritiers bénéficiant des privilèges héréditaires dont jouissent
les anciens nobles du royaume ; enfin Tonti obtiendrait des lettres de naturalisation. On peut
noter que si ces 4 millions annuels constituent les arrérages, il faudrait lever (au taux auquel
rêvent les autorités) 80 millions, chose absolument hors de portée dans la France exsangue
d’alors !
Dans cette lettre, deux éléments sont à noter :
D’abord, le mot « parti », qui, en langage financier, signifie « un traité que l’on fait
pour des affaires de finances » (Dictionnaire de l’Académie, 1694, p. 188), « un
marché que les particuliers font avec le Roi » ; les individus qui prennent des affaires
en parti s’appellent des partisans ou des traitants (Encyclopédie des finances, vol.3,
p. 297) 1 . Tonti propose donc qu’un groupe d’individus, apporteurs d’argent,
regroupés en tant que tel, font un accord financier avec le roi.
Ensuite, le mot « tontine », qui constitue le coup de génie de Tonti qui donne son nom
au produit financier qu’il essaie de « vendre » au roi, et par-delà à l’ensemble des
souscripteurs potentiels. Très simplement, il ajoute un suffixe à son patronyme de
façon à créer un nouveau nom pour une nouvelle classe d’affaires financières 2. Le
mot « tontine » se répand durablement 3.
1 On a connu, bien avant, un tel groupement de personnes ayant avancé de grosses sommes au roi, le « Grand
parti de Lyon », qui est le nom d’un emprunt lancé par Henri II en 1555 (Gallais-Hamonno, 2006). Tonti se
glisse donc dans la continuité de cette organisation des emprunts royaux. 2 Dans le cas de la tontine, le nom commun a pour origine le nom propre de son inventeur, Tonti. Il s’agit donc
d’un anthroponyme. Le terme de la linguistique qui qualifie cette création de nom est appelé antonomase. Dans
une antonomase, le nom commun peut être soit identique à l’anthroponyme, soit présenter une modification
orthographique, soit en être une forme francisée ou modifiée par l’adjonction d’un suffixe, comme c’est le cas
ici. 3 Le mot « tontine » connaît une fortune immédiate, d’abord dans un jeu aujourd’hui quasi oublié, ensuite dans
un montage financier que les notaires utilisent encore, et enfin dans une pratique financière qui n’a rien à voir
avec l’invention de Tonti, mais qui en porte le nom.
La tontine est un jeu « dont il n’a jamais paru de règles », qui se joue avec 52 cartes, et qui est d’autant plus
amusant que le nombre de joueurs est important et que chaque joueur dispose au début d’un nombre conséquent
de jetons. Théodore Legras en indique les modalités en 1725 (p. 50 et s.) : chaque joueur dépose un certain
nombre de jetons dans un corbillon, appelé tontine, qui joue le rôle de poule, et, selon la distribution des cartes, il
doit remettre des jetons à ses voisins ou récupérer des jetons dans le corbillon. Un joueur qui ne dispose plus de
jetons est considéré comme mort, mais il peut ressusciter s’il reçoit à nouveau des jetons d’un de ses voisins.
Lorsqu’un seul joueur est en possession de tous les jetons, la partie est terminée et ce joueur est le gagnant de
tous les jetons du corbillon. https://academiedesjeux.jeuxsoc.fr/tontine.htm
Bien connu des notaires, le pacte tontinier, ou tontine ou clause d’accroissement est une convention conclue
entre plusieurs personnes qui achètent un même bien en commun ; insérée dans un contrat d’achat, celle-ci
prévoit que le bien reviendra en pleine propriété au dernier des survivants, après le décès de tous les autres co-
acquéreurs. Cet arrangement financier peut présenter des avantages intéressants, notamment en matière fiscale et
lors d’une succession.
Dans de nombreux pays, il existe une pratique d’Association rotative d’épargne et de crédit (Arec ; en anglais
Rosca, Rotating Savings and Credit Association). Il s’agit d’une pratique informelle consistant à collecter dans
un groupe restreint de participants (10, 15 personnes), à intervalles réguliers (tous les mois, toutes les semaines),
une somme donnée et à remettre l’ensemble, à tour de rôle, à l’une des personnes du groupe (voir Bouman).
17
Tonti remet à Mazarin plusieurs mémoires, dans lesquels il expose son invention de la
tontine 1 , auxquels fait allusion le préambule de l’édit de 1653. D’autres propositions
concurrentes sont aussi faites.
Le roi entre à Paris le 21 octobre 1652 et Mazarin le 3 février 1653. Suite à l’agitation
des rentiers, appuyés par différentes délégations de grands commerçants, le roi est contraint
de promettre d’assurer dorénavant le paiement des rentes sur l’Hôtel-de-Ville, arrérages et
principal. Il faut donc trouver les moyens de le faire sans altérer les finances de l’État, c’est-à-
dire solder les armées et financer les ralliements, et pour cela lever des fonds rapidement.
Depuis le 18 octobre, le roi est à Châlons-en-Champagne pour surveiller le siège de
Sainte-Menehould, distante d’une cinquantaine de kilomètres, et Mazarin est près de lui
(Priorato, vol. 2, p. 86). La ville tombe le 24 novembre. Quelques jours plus tard, le roi
revient à Paris. C’est donc dans cet intervalle que l’« Édict du Roy, portant création de la
tontine royale » est « donné à Châlons, au mois de novembre, l’an de grâce 1653 ». Après
examen et délibération dans le Conseil du roi où siègent « la Reine, notre très honorée dame
et mère et plusieurs princes, ducs, etc. », sa conclusion est que, de tous les projets, « celui de
Laurent Tonti fut trouvé le plus avantageux à l’État et aux propriétaires des rentes ; ce qui le
fit préférer à tous les autres » 2 : en conséquence, « nous avons par ce présent édit perpétuel
et irrévocable créé, érigé et établi… une société qui sera nommée tontine royale ». Tonti a
dès lors fait passer officiellement son nom en terme générique. Le texte est signé
« LOUIS, et plus bas, par le Roi : de GUENEGAUD3, et scellé du grand sceau de cire verte »,
indiquant un acte à valeur perpétuelle. L’édit est imprimé à Paris par J. Bouillerot en 1654.
Illustration 3 - Edict du roy pour la création de la société de la tontine royale
Considérons maintenant le montage de cette tontine.
Par rapport au projet de l’Avis de Saumur, les choses se sont bien réduites : la tontine
royale de 1653 est composée de 10 classes, chaque classe versant 2 050 000 livres en espèces,
la part ou action étant de 300 livres. Par ce montage, Tonti prétend donc procurer à l’État un
fonds de 20 millions, c’est-à-dire un quart de l’objectif précédent. En contrepartie de ce prêt,
le roi s’engage à payer annuellement 102 500 livres pour chacune des 10 classes (soit au total
1 Hennequin (p. 201) affirme qu’il a vu cette requête revêtue de l’autorisation donnée par le chancelier d’Aligre
le 16 février 1652 (le factum fait référence à cette signature — voir Hébrard, Annexes, p. 112) avec renvoi au
Conseil du roi. Il affirme aussi avoir tenu en ses mains l’ordonnance de novembre 1653 qui propose la tontine
royale. 2 Le préambule de l’acte de création de 1653 évoque Tonty (avec y) et lui-même signe de ce nom ses différentes
lettres. 3 Henri Duplessis-Guénégaud, 1609-1676, secrétaire d’Etat à la Maison du roi.
18
1 025 000 livres de rente). Compte tenu du prix de l’action, et comme chaque action rapporte
initialement 15 livres, le taux d’arrérage est le denier 20 (c’est-à-dire de 5 %) pour un capital
versé à fonds perdus. Mais cette somme (et le taux d’arrérages correspondant) doit augmenter
par le décès des membres de la classe : « les places pour chacune des dix classes dont notre
société se trouvera remplie, demeureront éteintes par la mort des acquéreurs, et les intérêts
d’icelles appartiendront aux cointéressés survivants en même classe par droit
d’accroissement, et seront divisés à leur profit d’année en année ». Ainsi, si la classe est
remplie, pour un versement initial de 300 livres, on peut espérer toucher la somme de 100 000
livres par an, si l’on est le dernier survivant d’une classe. Cette promesse d’enrichissement
constitue le moyen de faire sortir l’argent conservé dans ces circonstances difficiles.
Les dix classes d’âge sont réparties selon une progression de 7 ans : la première classe
du jour de la naissance à l’âge de sept ans, la deuxième classe de 7 à 14 ans, …, la dixième
classe de 63 ans et au-delà 1.
L’Édit exhorte chacun à souscrire : « convier un chacun d’entrer d’autant plus
volontiers dans ladite société », que la souscription est ouverte à tous, hommes, femmes,
nationaux, étrangers (sans que les droits particuliers de ceux-ci soient évoqués : renonciation
au droit d’aubaine, à la confiscation en temps de guerre…), laïcs et religieux (sans évoquer la
permission de leur supérieur dans les communautés) et ceci en trois temps (Hébrard, Annexe,
p. 99) :
Dans le résumé de l’Édit, l’appel s’adresse à tous les sujets : « En laquelle
société tous nos dits sujets de quelque qualité, sexe et condition qu’ils soient,
tant ecclésiastiques que séculiers, pourront s’y intéresser et acheter tel nombre
de places qu’ils voudront ».
Dans le détail du texte : tous les sujets (et les catégories sont précisées), mais
aussi les étrangers sont appelés à souscrire : « Permettons à cette fin à tous nos
sujets de l’un et de l’autre sexe, tant ecclésiastiques que séculiers, de la
noblesse et du Tiers État, religieux, religieuses et toutes sortes de
communautés et autres généralement quelconques, d’acheter des places en
ladite société, en baillant par lesdites communautés homme vivant et mourant,
comme pareillement à toutes personnes, tant originaires du royaume
qu’étrangers de l’un et de l’autre sexe, de quelque âge, condition et profession
qu’elles soient, même femmes séparées de biens d’avec leurs maris d’entrer en
ladite société, sans qu’elles puissent en être empêchées pour quelque cause ou
prétexte que ce soit. ».
Enfin, dans le traitement particulier réservé pour ceux qui auraient quelques
difficultés à souscrire, notamment les provinciaux et les étrangers. « Et
d’autant qu’il pourrait arriver que plusieurs étrangers, et même de nos sujets
éloignés de notre bonne ville de Paris, ayant l’intention de s’intéresser en
ladite société, en pourraient être divertis par la crainte de s’exposer aux périls
et dépenses d’un long voyage. Pour y remédier nous avons ordonné et
ordonnons qu’il suffira pour jouir des avantages de ladite société, d’envoyer à
un particulier tel que bon semblera un acte passé devant notaire en la forme
ci- dessus déclarée, avec les circonstances prescrites par ces dites présentes, et
1 Il n’existe aucune explication rationnelle à ces 7 ans. Nous pensons qu’il s’agit d’une réminiscence des
nombres sacrés qui conduira plus tard à la théorie climatérique de Leibnitz : selon ce dernier, le renouvellement
des cellules du corps humain se faisant tous les 7 ans, cette année est particulièrement néfaste et conduit à un pic
de mortalité, la pire année étant la 63e, la grande climatérique.
19
que les intéressés absents seront payés de leurs intérêts, en vertu de leurs
procurations expédiées en la même forme que dessus. »
Diverses garanties sont données aux souscripteurs :
Les revenus de la tontine sont insaisissables : « sans que les deniers en
provenant puissent jamais etre saisis ni arretés pour les dettes qu’ils auront
contractées, ni meme pour nos propres deniers et affaires, ni pour quelque
autre occasion ou prétexte que ce puisse etre ».
La gouvernance de la tontine est mise dans la main des souscripteurs, les
souscripteurs de chaque classe se gouvernant eux-mêmes. Cela ne pose pas de
problèmes pour les 7 classes des majeurs, les membres de chaque classe
désignant 12 d’entre eux pour les représenter et parmi ces derniers, celui qui
sera choisi pour calculer les recettes affectées au paiement des arrérages ;
parmi les 84 représentants des classes de majeurs, ceux-ci en choisissent 36
pour veiller aux intérêts des trois classes des mineurs, c’est-à-dire pour les
enfants de moins de sept ans, pour ceux entre 7 et 14 ans, et pour ceux de 14 à
21 ans, et dans un deuxième temps un administrateur est choisi dans chaque
classe parmi les précédents pour enregistrer les décès et réaliser le calcul des
accroissements. Ces administrateurs doivent rendre compte chaque année aux
douze qui les ont élus, et tous les deux ans, ils font un compte-rendu général
aux cent plus importants souscripteurs de chaque classe. Ces dix
administrateurs qui font le travail de suivi et de collecte des extraits de vie
perçoivent une rémunération de 1250 livres par an (il s’agit de la fonction du
syndic onéraire dans les futures tontines).
« Et pour ôter tout soupcon que lesdits deniers soient surement et utilement
employés au profit de ceux qui y seront entrés », les sommes collectées sont
mises hors de la main royale pour ce qui concerne la perception et la
distribution des revenus : « dix bons et notables bourgeois de notre bonne ville
de Paris, seront par nous commis et préposés pour les deniers qui
proviendront de ladite société » (sans d’ailleurs prévoir de rémunération pour
cette activité).
La souscription est ouverte quinze jours après l’enregistrement de l’édit et
restera ouverte durant 3 mois. Les intérêts commenceront à courir à partir du
jour de la souscription. Un décompte précis sera effectué au 31 décembre
1654.
Le contrôle de la vie et de la mort des souscripteurs est prévu : d’abord au
moment de la souscription, l’identité est soigneusement contrôlée ; ensuite,
chaque année, un acte officiel certifie que l’individu est encore en vie : « à
chaque paiement qui sera fait au registre du contrôle général, un acte passé
par devant notaire, ou autre personne publique, faisant foi de sa vie et de sa
connaissance ».
Des peines sont prévues pour les fraudeurs, sous forme d’une amende de 6000
livres et, en cas d’impossibilité de la payer, des peines corporelles (dont la
nature n’est pas précisée) : « nous voulons que les coupables de ladite
supposition soient condamnés à six mille livres d’amende, applicable, savoir
un tiers à l’Hôtel de Ville de notre bonne ville de Paris, un tiers aux intéressés
en la classe, entre lesquels il sera partagé à proportion de leur part, et un tiers
20
au dénonciateur, ou qu’ils soient punis corporellement, s’ils n’ont de quoi
payer ladite amende ».
Une administration de la tontine est prévue, aux ordres de Tonty, nommé
contrôleur-général de la tontine royale. Celui-ci est chargé de « de contrôler
toutes quittances de finances, certificats et autres actes concernant ledit
contrôle » et pour cela emploie des « receveurs, payeurs, commis ».
L’objet de la tontine, comme dans le projet de Saumur, est de racheter des titres de la
dette publique, qui se vendent à bas prix sur le marché secondaire. Pour ce faire, dix
bourgeois sont nommés et procèdent à ces achats, sans qu’il soit indiqué de rémunération
pour eux. C’est donc par le biais de ces achats de titres qui rapportent intérêt que les revenus
de la tontine seront obtenus. « Pour faire la recette des deniers provenant de ladite société,
nous avons ordonné et ordonnons que dix bons et notables bourgeois de notre bonne ville de
Paris, seront par nous commis et préposés pour les deniers qui proviendront de ladite société,
être employés au rachat des rentes par nous dues, selon les états qui en seront pour ce
dressés et arretés dans notre conseil, suivant le prix courant, et ainsi qu’elles sont en
commerce présentement, et les fonds des rentes ainsi amorties, affectés aussi au paiement des
revenus desdits intéressés en ladite société. »
En même temps, un deuxième moyen est indiqué pour que les souscripteurs soient
sûrs d’obtenir leurs arrérages : « Tous lesquels fonds seront pris des plus clairs et assurés
revenus de nos finances ordinaires, et dont nous recevons les deniers toutes les années, et
distraits des recettes générales et particulières de nos finances et de fermes, pour être
spécialement affectés et hypothéqués au paiement des intéressés en ladite société, sans qu’il
en puisse être fait aucun divertissement ni reculement pour quelque cause, considération ou
prétexte que ce soit, meme des nécessités les plus pressantes de nos affaires, pour occasion de
guerre, ni autre généralement quelconque ». Et dans la suite, il est précisé que l’on prendra
les fonds sur les recettes des entrées dans Paris : « nous avons dès à présent affecté sur les
deniers des entrées de notre dite bonne ville de Paris… par préférence à la partie de
l’Epargne sur les deniers de ladite ferme des entrées de Paris » : il s’agit donc d’une
diversion de fonds, qui assèche le budget général.
Tonti n’est pas oublié dans l’édit : son nom est cité à trois reprises, comme apporteur
de projet et de contrôleur général.
Tonti est nommé contrôleur général de la tontine : « nous avons par icelui
commis et commettons ledit sieur Tonty contrôleur général de ladite société,
pour en jouir sa vie durant irrévocablement ».
Il a le privilège lié à l’invention : « Faisons très expresses inhibitions et
défenses à tous et chacun nos sujets de quelque qualité et condition qu’ils
soient, de faire établir aucune société pareille. »
Tonti est rémunéré pour l’administration de la tontine et pour son travail par
une somme de 12 500 livres et cela est précisé quatre fois dans l’édit :
o « les autres douze mille cinq cents livres tant pour le contrôleur général
que pour ceux par lui employés pour le contrôle. »
o « auquel contrôleur général nous avons attribué et attribuons par ces
dites présentes, la somme de douze mille cinq cent livres par chacun an
et qui sera augmentée à l’avenir à proportion du revenu que nous
augmenterons en ladite tontine royale, pour tous gages, appointements,
taxations frais, droits et émoluments qu’il pourrait prétendre pour raison
21
de son dit office et entretien de ses commis, aux charges et conditions de
faire expédier tous les enregistrements et contrôles nécessaires aux dits
intéressés, ainsi qu’il a été dit ci-dessus. »
o « laquelle somme de douze mille cinq cent livres, ou outre à proportion
du fonds total de ladite société, il prendra sur ses simples quittances. »
o « pareille somme de douze mille cinq cents livres, tant pour le contrôleur
général d’icelle, que ceux qui seront par lui employés pour ledit
contrôle. »
Le 1er décembre 1653, et sans attendre l’enregistrement du Parlement de Paris, Tonti
obtient le privilège du roi pour en faire imprimer le texte par Pierre Le Petit, Imprimeur &
libraire ordinaire du Roy, ainsi qu’un monopole de la vente de l’opuscule au public, sous
peine d’une amende de 3000 livres pour tout imprimeur ou libraire contrevenant. La brochure
de 31 pages, datée de 1654, est intitulée Edict du roy pour la création de la société de la
tontine royalle (avec deux « l »), avec un Advis touchant l’establissement d’icelle et les
advantages généraux et particuliers qu’elle produira et comporte comme sous-titre, Avec les
raisons qui doivent oster aux interessés en icelle toute crainte de voir jamais divertir les fonds
destinés au payement de leurs revenus (Coudy, p. 130).
La substance de la brochure est la suivante : il s’agit d’abord de la reproduction de
l’Edit, puis d’une présentation des avantages du montage tontinier, destinée à appâter le
chaland : pour la modique somme de 300 livres, le souscripteur peut « avoir des espérances si
disproportionnées au fonds qui les produit… qu’elles ne sont pas quasi concevables » ; « avec
cent écus on peut avoir un jour cent mille livres de rente et en jouir sa vie durant » et,
réminiscence du système italien des Monte delle doti, « les filles auront par ce même moyen
assez de bien pour être mariées avantageusement ». Il explique aussi que les cadets des
maisons nobles, à qui la coutume ne laisse qu’une fort petite part, y « trouveraient un moyen
infaillible de soutenir la splendeur de leur naissance ». La vieillesse, qui était jusque-là une
calamité, conduira dorénavant l’entourage à choyer le vieillard qui « se trouvera avec assez
de bien pour obliger au respect et aux soins les personnes qui auront intérêt d’en souhaiter la
durée », en somme la tontine est un produit financier destiné à couvrir la retraite. Enfin, un
maître pourra témoigner de sa reconnaissance à un domestique en lui léguant une part dans
une tontine.
Grâce aux sommes collectées, « Sa Majesté ne pouvait trouver un plus assuré moyen
pour rétablir la foi publique », le roi pourra employer les fonds au rachat des rentes sur
l’Hôtel-de-Ville, rentes qui étaient financées par un grand nombre de recettes (on y rajoutait
« un million vingt-cinq mille livres sur les deniers des entrées de Paris, par préférence … à la
partie de l’Epargne sur les deniers de ferme des entrées de Paris ») : la dette publique
seraient progressivement éteinte : « il lui sera aisé, non seulement d’éteindre toutes les
rentes » - ce qui constitue un des objectifs du plan initial - mais aussi de « soulager le peuple
des levées extraordinaires » et de « retirer tous les domaines engagés ». Tonti en déduit
qu’avec des finances restaurées, la France « se rendrait redoutable à toutes celles [les
puissances] de l’Europe, et mettrait le nom François en la même vénération, parmi toutes les
nations, qu’il l’était au temps de l’empereur Charlemagne ». Comparer Louis XIV au grand
empereur, quelle perspective enthousiasmante ! Quel doux bruit aux oreilles de ceux qui sont
dans les embarras financiers et guerriers !
Le 7 septembre 1652, le roi fait délivrer un brevet à Tonti pour lui accorder un
dixième de toutes les sommes qui proviendraient de la souscription à la tontine ; ce brevet est
signé de MM. Phélypeaux (Louis Phélypeaux de la Vrillière, 1599-1681), Loménie (Henri-
Auguste de Loménie-Brienne, 1594-1666), Le Tellier et de Guénegaud (Henri Duplessis-
22
Guénégaud, 1609-1676), tous quatre secrétaires d’État. Le 23 novembre 1652, le roi confirme
ce brevet par un arrêt de son conseil d’État, en exécution duquel un édit est expédié au mois
de novembre 1653.
Tonti sent que l’affaire est en bonne voie et, avant même que celle-ci soit terminée,
commence par remercier celui qui l’a aidé dans ses démarches. Pour les peines qu’il « a prises
et employées pour parvenir à l’obtention du brevet de don que sa Majesté a accordé audit
sieur Tonti », « chevalier, baron de Paloudy, demeurant à Paris, rue des Charités Saint-
Denis, paroisse Saint-André des Arts, à l’enseigne de l’Hôtel-de-Lyon » celui-ci fait
donation le 30 mars 1652 à Henri de Codony, conseiller et maître d’hôtel ordinaire du roi et
de la reine, demeurant à Saint-Germain des Prés, rue du Bac, des « dixiesme des deniers qui
pourront provenir des advis qu’il propose ou proposera à sa dite Majesté, pour le bien et
adventage de ses affaires, soulagement de ses subjectz et augmentation de ses finances » ainsi
que « de la vingtième partie des deux tiers dudit dixième des deniers à lui accordés par ledit
brevet » ; le 30 septembre, il lui fait une autre donation d’une part équivalente à prendre sur le
profit que lui procurera, dans l’avenir, un autre brevet de même nature qu’il vient d’obtenir du
roi ; à ce moment, il habite rue Dauphine, paroisse Saint-André des Arts, à l’hôtel de
Mouy (Insinuations, fol. 243 V°).
Mais tout le monde va tomber de haut, Tonti, le ministre et le roi. En effet, le texte est
communiqué aux Corps de la Ville, au Châtelet et au Parlement, et renvoyé par la Cour aux
Six Corps de Marchands ; les Lettres du roi ne sont pas vérifiées, c’est-à-dire qu’elles ne
peuvent pas être enregistrées ; en conséquence, cette tontine n’est pas émise 1. Comme le dit
Honorat de Racan (1589-1670), elle n’eut « point de lieu qu’en la bouche des colporteurs »
(Racan, p. 59). Ce refus trouve son origine dans deux grandes raisons officielles : d’abord
l’impossibilité pour l’État de calculer le prix de l’emprunt (ce qui est faux, et il le calcule bien
pour les rentes viagères) ; ensuite, parce que le taux de rente versé aux souscripteurs est le
même quel que soit leur âge à la souscription, ce qui parait inéquitable pour les souscripteurs
âgés - argument totalement exact dont l’observation constituera précisément l’innovation de
la tontine de 1689. Il existe aussi deux raisons officieuses, qui n’émergeront que plus tard :
d’un côté, aucun gage n’est prévu pour les notables bourgeois entre les mains desquels tout
l’argent doit être consigné (des gages sont prévus pour la gestion courante) ; de l’autre, le taux
d’arrérage (denier 20) semble trop bas aux membres du Parlement, potentiels participants à
cette tontine, car à la même époque, les rentes perpétuelles sont émises au denier 18 (taux
légal depuis 1634), et les rentes viagères sur l’Hôtel-de-Ville (Béguin 2012, Béguin et Pradier
2011) ou sur l’Hôtel-Dieu ou l’Hôpital général (Fosseyeux, p. 189) sont tarifées de façon
assez subtile, tenant compte de l’âge 2.D’autre part, il n’est pas exclu qu’une courte période de
1 L’article Tontine de l’Encyclopédie rédigé par le chevalier Louis de Jaucourt (T. XVI, 1766) laisse entendre
que l’émission de cette tontine a été un succès, et que ce succès a été coûteux, alors qu’elle n’a jamais été
réalisée : « Le privilège qu’ont les acquéreurs d’hériter de la portion de ceux qui décèdent, était très propre à
engager les particuliers à y employer quelque somme, et à procurer très promptement au gouvernement les
fonds dont il avait besoin. C’est en effet ce qu’on vit arriver : la tontine dont nous parlons, fut d’un million 25
mille livres de rente, et coûta fort cher à Louis XIV. » De même, pour la Biographie universelle (Tome 46,
p. 231, article Tonti), cette première tontine a été réalisée : « Le Ministère établit, pour la première fois, une
tontine en 1653 ; et le Trésor se trouva surchargé d’une dette annuelle d’un million 25 000 livres ». L’article
conclut de façon sentencieuse : « La science des finances a fait de tels progrès, qu’on peut croire qu’un pareil
moyen ne sera plus employé. » 2 Par exemple, les rentes viagères sur l’Hôtel-Dieu rapportent le denier 20 (soit 5 %) pour un souscripteur de 30
ans, le denier 17 (soit 5,67 %) à 35 ans, … le denier 11 (soit 9,09 %) à 55 ans et le denier 10 (soit 10 %) à 60
ans. L’Hôpital général est plus généreux : denier 16 (6,25 %) à 30 ans … denier 9 (11,11 %) à 65 ans et denier 8
(12,5 %) à 70 ans. On comprend bien qu’un arrérage de 5 % pour tout le monde (même si par le biais du
23
légère abondance monétaire se soit produite à ce moment-là, rendant moins nécessaire le
recours à cette tontine 1.
Le refus d’enregistrement du Parlement de Paris porte un rude coup à Tonti. On le sent
intervenir de tous côtés ; il est sûr que cette tontine se fera bientôt et il l’écrit à son beau-
frère : « mon affaire s’achemine icy si lentement que je ne puis pas me promettre de toucher
aucune somme considérable jusqu’à la fin du moyt prochain… les apparances me font
espérer un heureuz succès » (13 décembre 1653) et, au même, « mon affaire est en très bon
état » (19 décembre 1653). Contrairement aux espoirs de Tonti, ses affaires n’avancent pas et,
pour certains, après avoir récupéré à son profit l’argent des premières souscriptions de la part
de riches investisseurs, il s’enfuit en Pologne et y consomme sa petite fortune 2. Mais ses
intérêts sont liés à la France où on le retrouve un peu plus tard.
Ce qui est certain, c’est qu’au début de 1657 notre homme se trouve à Paris. Suite à
une déclaration du 30 décembre 1656, confirmée le 10 janvier 1657, « Laurent Tonty,
escuyer, » obtient « la permission de s’establir en cette ville de Paris » et que cette
déclaration sera enregistrée au registre des bannières au Parlement de Paris (Registres des
tutelles, Paris 01/01/1657 - 31/03/1657 | AN Y3939A).
Tonti n’abandonne pas son invention : durant 10 ans il y revient, il l’améliore, il en
change certains éléments très importants.
Une lettre à Fouquet (Nicolas Fouquet, 1615-1680), en voyage en Bretagne, donne des
nouvelles de Paris, le 3 septembre 1661, précise quelque peu le déroulé des faits : « … je ne
vois pas autre chose que les enregistrements qui furent hier faits au Parlement des
déclarations concernant les rentes à vie, de la tontine… Car pour la tontine, qui [à ce qu’il]
semble, produirait quelque chose, si elle avait lieu, encore qu’elle soit vérifiée, ç’a été à la
charge de modification qui seront arrêtées par six commissaires de la cour, qui
s’assembleront pour les dresser et en feront rapport à la compagnie. Ainsi c’est encore bien
tirer de longue. … » (Chéruel, p. 499). Visiblement il y a des problèmes : rien n’est acté et
tout peut se compliquer. Cela se produit d’autant plus que Nicolas Fouquet, surintendant des
finances, est arrêté deux jours plus tard, le 5 septembre 1661. Enfin, le brevet est enregistré
au Parlement de Paris le 7 septembre 1661, soit 9 ans plus tard (!) (Le Marié d’Aubigny) et
ensuite à la Chambre des Comptes à la Cour des Aydes après avoir été communiqué à l’Hôtel-
de-Ville, aux Six Corps de Marchands et au Châtelet de Paris où il est dûment enregistré,
d’après Tonti dans un grand élan de succès (factum de 1684) 3.
Mais l’affaire n’est pas finie : le 4 avril 1662, Tonti envoie à Colbert un placet destiné
au roi lui demandant de le communiquer au premier président et au procureur du roi au
Châtelet, en rappelant à ce dernier que le souverain lui avait demandé « de revoir l’affaire de
la tontine ». En particulier, le revenu des participants « n’était pas assez considérable au
revenant-de-bon ce taux doit augmenter pour un souscripteur) ne saurait attirer un souscripteur âgé, qui a besoin
de 20 ans pour récupérer son capital, c’est-à-dire obtenir un simple pay-back ! 1 « Ces deux années 1653 et 1654, pour la plus grande partie, on ne manqua pas d’argent, les gens d’affaires
payaient ponctuellement et faisaient volontiers des prêts et avances… la raison de cette facilité provenait du
rabais des monnaies que je proposais. » Fouquet, VI, p. 269. 2 Jennings et Trout (p. 669) indiquent que Tonti se réfugie alors durant quelque temps en Pologne après avoir
« récupéré » de l’argent en provenance d’investisseurs avides (he had collected a lot of money from gullible
investors… sought temporary refuge in Poland). Ces auteurs indiquent trois références, mais après consultation
de celles-ci, rien ne permet de soutenir cette assertion. Nous pensons qu’il s’est éventuellement rendu en Italie
où se prépare le second débarquement de Naples (voir plus haut). 3 Les références sont indiquées dans diverses publications : « 8. Vol. ordonnances de Louis XIV cotté (sic) 3. Q,
fol. 560 ». Nous n’avons pas pu retrouver ce texte.
24
denier 20 », qu’en conséquence il fallait passer au denier 14 1, « parce que chacun sait que
dans tous les états où il se paye des rentes viagères, ils sont du moins au denier 10 ou 8 » ;
d’autre part, le premier président et les parlementaires, réunis en commission, sont d’avis
d’exclure les étrangers pour éviter la fraude. Enfin, pour la sûreté des paiements, une autre
procédure devait être organisée.
Illustration 4 – Jean-Baptiste Colbert, gestionnaire de la fortune de Mazarin, contrôleur
général des finances de 1665 à 1683, « protecteur » de Tonti
Source : Portrait de Colbert en tenue de l’ordre du Saint-Esprit, par Claude Lefèbvre, 1666, musée du
château de Versailles.
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Colbert-5.jpg&oldid=363723308
En janvier 1663, rien n’est encore acté et, dans un nouveau placet, Tonti se plaint des
retards et des frais engagés, le projet de tontine ayant « été retardé à cause de la chambre de
justice » 2. De nouvelles lettres patentes sont expédiées au cours du mois de février 1663, qui
modifient substantiellement les premières en ce sens que ceux qui auraient acheté des places
de la tontine au denier 20 obtiendraient une réévaluation des revenus sur le pied du denier 14.
Le 1er mars 1663, Tonti remercie Colbert très vivement pour un second édit concernant une
tontine : « Je vous rends un million de grâces de la bonté que vous avoiz eu de faire sceller un
1 « Pour ce qui est du revenu des places de cette société, Votre Majesté ayant trouvé bon à Fontainebleau qu’il
fut payé au denier quatorze au lieu du denier vingt porté par l’édit de création, Messieurs du Parlement, en suite
des conclusions de Monsieur le Procureur général, ont ordonné que Votre Majesté serait très humblement
suppliée de le confirmer par sa nouvelle déclaration… » alors même que Tonti affirme dans sa lettre que « Il
n’est pas possible de la réduire au denier seize sans ruiner l’affaire ». 2 Cette Chambre de justice instituée en novembre 1661 (registrée le 3 décembre) permet, via des menaces et des
emprisonnements, de récupérer auprès de financiers et de grands bourgeois de fortes sommes. De ce fait, elle sert
de substitut à l’émission d’un emprunt et rend la tontine projetée moins nécessaire. Le premier accusé est
Fouquet ; mais globalement, jusqu’à sa dissolution en 1669, cette Chambre de justice permet de récupérer
environ 110 millions sur plus de 250 individus à Paris et dans les provinces, d’autant plus facilement que les
condamnation à des peines pécuniaires (amendes, restitutions, confiscations) se combinent avec des peines
corporelles – 12 condamnations à mort, 3 aux galères, 5 bannissements.
25
segund édit de tontine » et il espère que « par votre ministère le Roi voira bientôt cette affaire
établie… »1. Encore une fois, rien ne se passe…
Tonti n’est pas rebuté par le premier insuccès. Il se lance dans un deuxième montage
qu’il qualifie de tontine particulière.
La seconde « tontine » : une loterie ou Blanque royale
En 1656, un ancien pont de bois, dit pont des Thuilleries, pont Sainte-Anne (en
référence à Anne d’Autriche), pont Rouge (à cause de sa couleur) ou pont Le Barbier
(financier, promoteur de ce pont), entre le Louvre et le faubourg Saint-Germain, brûle, « le
feu s’étant pris par accident à un grand bateau rempli de foin, qui était attaché au pont des
Thuilleries, plus de la moitié de ce pont a été réduit en cendres » 2.
Illustration 5 - Veue de la Galerie du Louvre et du Pont des Tuilleries comme il estoit en
l'annee 1657
Source : Israel Silvestre, cum privil. Regis, 1657 Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment
l'oeuvre d'Israël Silvestre / par L. E. Faucheux, 1857, n° 65.5. Babelon note : « Depuis la rive gauche, Silvestre
nous montre la galerie du Bord-de-l'eau, la tour de Bois et la porte Neuve. la passerelle du pont Rouge est, à
cette date, en fâcheux état, depuis qu'elle a été emportée par les eaux en 1656 »
https://israel.silvestre.fr/israel-silvestre/gravure-65-5-/veue-de-la-galerie-du-louure-et-du-pont-des-tuilleries-
comme-il-estoit-en-l-annee-1657
Pour financer le pont en pierre « entre les Galleries du Chasteau du Louvre et le Faux-
bourg sainct-Germain » et la pompe détruite, Tonti compte sur « l’establissement d’une
Blanque » (lettre patente du roi). Cette loterie (le mot blanque signifie loterie) est parfois, et à
tort, qualifiée de tontine, « parce qu’on avait encore la mémoire fraîche de la première
1 Malgré des recherches approfondies, personne n’a retrouvé cet édit (voir Hébrard, p. 202). Il nous semble
possible que cet édit ainsi que différents autres documents liés à la tontine aient disparu dans la procédure
intentée à Fouquet. 2 Gazette, 1656, n°118, p 1028. A cause d’une machine que l’ingénieur Jolly avait dressé à côté pour l’élévation
des eaux de la Seine affirme Félibien (p. 1462) ; il est certain que la pompe a brûlé et qu’il faut la reconstruire
(lettre patente).
26
tontine que Monsieur Tonti avait inventée ». (Racan, p. 60) et ceci est confirmé par le
Mercure galant du mois d’octobre 1705 : « Il y a environ cinquante ans, que l’usage des
loteries fut introduit en France par Monsieur Tonti, Italien ; ce qui fut cause que plusieurs
donnèrent en ce tems là, le nom de Tontine aux Lotteries » (p. 189). En réalité, cette
confusion dure puisque le dictionnaire de Trévoux (1740) affirme que la tontine « est une
espèce de loterie » ; Paganucci (1762, p. 486) plus de cent ans après parle encore d’une
seconde tontine à propos de cette loterie et Bujon (1887, p. 200) poursuit la même erreur deux
cents trente ans plus tard en évoquant « des loteries à Paris appelées tontines ». Cette
confusion s’étend d’ailleurs au mont-de-piété : « The mont-de-piété, or tontine, established in
Rio de Janeiro in June 1835… » (Sturz p. 108). Différents auteurs écrivent « banque » au lieu
de « blanque » pour loterie, ce qui engendre un autre type de méprise. Ainsi, dans les papiers
de Colbert, il est fait mention en 1656 d’un Édit pour l’établissement d’une banque inventée
par Tonti (Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Chronologie, p. CXXIII) ou un
document collecté par Delamare fait la publicité d’une loterie tirée par le Roi et la Cour, le 30
novembre 1660, définie comme une Banque Royale 1(Delamare, f°253). On peut glisser
jusqu’à une double confusion, lorsque le 30 décembre 1656, un bourgeois de Caen note dans
son journal que « le Parlement de Paris a registré … l’établissement d’une banque inventée
par Laurent Tonti, ce qui fait l’appeler la Tontine » (Journal d’un bourgeois de Caen, p. 11).
Idem dans Blanchard (1715, p. 2065-2066). La confusion la plus importante associe le projet
de Tonti, en 1797, à une Banque royale, 2 une Koninglijke Bank (Nieuwe vaderlandsche
bibliotheek…, p. 252), erreur reprise par Grosse (1888, p. 23), « eine Königliche Bank », ce
qui finit par l’attribution au « fameux Tonty » de l’invention « de la banque d’Etat appelée de
son nom tontine » (Gravier, p. 91). Aujourd’hui, sur Internet, les articles sur le pont Royal
évoquent un financement par une « banque de spéculation », sans que l’on puisse
comprendre de quoi il s’agit.
Pour l’établissement de cette entreprise, au mois de décembre 1656, le roi accorde 3
des lettres patentes qui sont vérifiées par le Parlement le 30 décembre 1656 et enregistrées au
Châtelet et à l’Hôtel-de-Ville le 10 janvier 1657. Le Lieutenant Civil autorise l’ouverture la
blanque le 8 janvier 1657 4. Tout semble avancer à merveille.
Voyons les détails du montage. Cette loterie comporte 50 000 billets au prix de 2 louis
d’or chacun (22 livres), donnant un capital de 1 100 000 livres. Sur cette somme, 540 000
livres sont prévues pour la construction du pont et d’une nouvelle pompe ; 60 000 livres sont
destinées à l’organisateur, Tonti, tant pour son droit d’avis que pour les frais d’établissement
1 La Banque Royale faite au Louvre par leurs Majestez, Avec l’Inventaire des Lots & des noms de ceux auxquels
ils sont arrivez par le sort (f°253). 2 https://www.wikiwand.com/fr/Pont_Royal_(Paris)
http://wikimonde.com/article/Pont_Royal_%28Paris%29 3 « Comme nous n’en pouvons faire présentement la dépense, sans avoir recours à des moyens extraordinaires…
nous avons fait examiner plusieurs propositions qui nous ont été faites, entre lesquels nous n’en avons trouvé
aucune plus innocente et moins à la foule de nosdits sujets que celle du sieur Laurent Tonty… ». Lettres patentes
de décembre 1656 pour l’établissement d’une Blanque (copie complète dans Delamare, p. 472). 4 « L’usage de la loterie fut apporté d’Italie sous le titre de blanque, di bianca, c’est ainsi que les Italiens le
nommaient, en sous-entendant charta, à cause des billets blancs qui y sont en plus grand nombre que les noirs ;
et encore parce qu’en la tirant, l’usage est en Italie, lorsque c’est un billet blanc, de dire à haute voix bianca ;
ainsi ce mot souvent réitéré a donné originairement ce nom à ce jeu. » (Delamare, p. 502). On peut aussi y
trouver le refus de Vaugelas – directeur de la toute première loterie en France – d’utiliser le mot loterie (dont il
déplorait la provenance génoise lotteria ou lottaria) et de lui préférer le mot blanque.
27
et de la direction de la loterie 1. Il reste donc 500 000 livres partagées en 1215 lots, dont un de
30 000 livres, quatre de 10 000 livres, 10 de 3000, 200 de 500 et 1000 de 300 livres. À ces
1215 billets contenant les lots, on ajoute 48 785 billets perdants, paraphés par Tonti en
présence du maréchal de L’Hôpital, du prévôt des marchands, des échevins, du procureur du
roi, du comte de Brienne, secrétaire des commandements du roi et des avocats et des
procureurs du roi au Châtelet.
Tableau 1 - Eléments du coût de l’opération de construction du pont et de la loterie
Eléments du coût de l’opération Coût Billets Gain unitaire Coût loterie
Construction du pont et de la pompe 540 000 1 30 000 30 000
Loterie (détail à droite) 500 000 4 10 000 40 000
Frais 60 000 10 3 000 30 000 (administration, Tonti pour son droit d’avis) 200 500 100 000
Coût total 1 100 000 1 000 300 300 000
48 785 0 0
50 000 Total 500 000
L’ensemble des billets doit être mis dans un coffre fermé par quatre clés remises, l’une
au maréchal de L’Hôpital, la deuxième au prévôt des marchands, la troisième au comte de
Brienne, la dernière aux officiers du roi du Châtelet. Le coffre fermé est déposé à l’Hôtel-de-
Ville. Il ne sera ouvert que pour le tirage au Grand Bureau des Pauvres de la Place de la
Grève. La loterie serait tirée quand le nombre des soumissions serait parvenu à 50 000. Un
enfant de 12 à 14 ans doit alors tirer un à un les billets à mesure qu’on fait la lecture des
soumissions selon la date des enregistrements et les gagnants doivent être payés sur le champ,
« au fur et à mesure qu’ils seront tirez, sans qu’il puisse y avoir aucun empeschement ny les
dits deniers divertis, pour quelque prétexte ou occasion que ce soit, non pas même pour nos
propres deniers et affaires ».
Tout le monde est favorable à ce plan « tellement nécessaire pour le commerce de l’un
& de l’autre côté de ladite ville » (lettre patente), et tout à coup les choses pressent. Une
ordonnance de police pour l’établissement de cette loterie est publiée le 6 février 1657,
affirmant qu’il est « nécessaire d’accélérer au plutôt » et que la blanque sera ouverte à
compter du 8 février. Les individus désirant prendre les billets doivent en faire la déclaration
au Lieutenant général qui enregistre leur soumission, puis partir les acquitter au bureau de
l’Hôtel-de-Ville.
Après toute cette agitation, puis le coup d’accélérateur donné par l’ordonnance de
police, on découvre que la blanque n’est ni remplie, ni tirée. Diverses explications sont
avancées, techniques d’abord, plus politiques ensuite :
La misère est partout (Feillet), et l’argent manque, car le pays sort d’une guerre
étrangère et d’une guerre civile (la Fronde), à l’issue desquelles les besoins du
Trésor sont immenses, que l’on saisit l’argent où il se trouve.
Personne, à Paris, ne veut faire confiance à une loterie établie par un Italien,
cette origine étant stigmatisée comme rapace et voleuse (voir les Mazarinades,
le renom du Contrôleur Particelli, etc.).
1 « …les soixante mille livres restants, sa Majesté les a accordées au dit Sieur Tonty, tant pour son droit d’avis
que pour les frais qu’il lui conviendra faire pour l’établissement et la direction de ladite Blanque… ».
(Delamarre, p. 474).
28
Le prix du billet est élevé (on a pu l’estimer à environ 77 fois le prix d’une
journée de manœuvre), avec des probabilités de gains faibles 1 , ce qui est
rédhibitoire pour les loteries.
La crainte d’un manquement à la foi publique paralyse les souscripteurs2 ,
crainte d’autant plus justifiée que les quartiers de rentes sont supprimés année
après année (en dépit des promesses les plus solennelles), les arrérages des
emprunts anciens ne sont pas payés ou alors de façon aléatoire et partielle3. De
plus, on sort d’une banqueroute partielle de l’Etat français, ce qui ne rassure
pas l’investisseur potentiel.
Un procès antérieur concerne une loterie de marchandises et d’effets pour
laquelle la marquise de Rambouillet avait obtenu des lettres patentes ; les Six
Corps de Marchands s’opposaient à son enregistrement depuis des années en
arguant du préjudice que cette loterie causerait au commerce. Le procès était
resté indécis. L’entreprise de Tonti réveillent l’attention des parties intéressées
qui font une nouvelle requête ; les Six Corps de Marchands persistent dans leur
opposition, d’autant qu’ils voient dans le pont une concurrence (Delamare,
p. 430).
On peut ajouter que l’idée de financer des travaux publics au moyen d’une loterie
constitue une innovation financière majeure pour la France 4 qui n’est jamais mise au crédit
de Tonti. En effet, jusque-là les loteries permettent de gagner des objets (bijoux en or ou en
argent, mêlés à des invendus ou à des objets d’occasion, et un peu plus tard des objets
religieux) ou à gagner de l’argent (loterie de type vénitien ou génois). Ce n’est qu’au XVIIIe
siècle que les loteries serviront au financement de grands ensembles, tels les travaux des
églises de Saint-Louis-en-l’Ile (1701), de Saint-Roch (1709), de Saint-Sulpice (1721), la
réalisation de la coupole du Panthéon (1754) et la construction de l’Ecole militaire (1757) …
Curieusement, personne ne songe que c’est Tonti qui, le premier en France, a proposé ce
genre de montage financier.
Le 16 janvier 1658, un Arrêt du Parlement prononce une interdiction de la loterie de
Madame de Rambouillet (fait défenses d’exercer la loterie). L’Arrêt ne fait aucune référence
à la loterie de Tonti, mais à partir de ce moment, plus personne n’évoque son projet. Comme
le note Guy Patin : « Ce 16e de janvier. Aujourd’hui au matin a été rendu au Parlement un
arrêt de la Cour fort solennel, parties ouïes, à la requête des Six corps des marchands, par
lequel la loterie a été abattue et renversée. » Le 11 mai 1661, un Arrêt du Parlement interdit à
l’avenir toutes les loteries (privées).
La conclusion de cette affaire est la suivante : comme le montre la gravure d’Israël
Silvestre, les gens qui désirent traverser sont obligés de cheminer sur des réparations de
1 Le coût du billet est de 22 livres ; l’espérance mathématique de gain de 10 livres ; la probabilité d’être parmi
les gagnants de 2,43 %. 2 « …Le public n’y ayant aucune confiance » (Beausobre, p. 103) au point que « rien ne pût dissiper la peur
qu’on eut qu’avec le tems on n’en prît les fonds pour les besoins de l’Etat » (Racan, p. 60). 3 Par exemple, l’emprunt sur les tailles de 1634, normalement rémunéré au denier 18, ne l’est plus qu’au denier
36 ; sur ce résidu, un seul quartier est payé en 1649, 1650, et 1651, rien en 1652, et un seul quartier en 1653,
1654 et 1655 (Hébrard, p. 187). Le préambule servant de justification à l’Edit de 1653 confirme que le roi a été
obligé de « reculer le paiement des arrérages des rentes constituées en divers temps sur l’Hôtel de notre bonne
ville de Paris… ».
4 Dans le monde anglo-saxon, le financement par loterie (et par tontine) de nombreuses constructions, publiques
et privées, est beaucoup plus commun.
29
fortune, puis pont est rebâti en bois en 1660, consolidé en 1673 et finalement emporté par la
débâcle des glaces dans la nuit du 28 au 29 février 1684. Il est enfin rebâti en pierre, entre
1685 et 1689, sur fonds personnels de Louis XIV, d’où son nom : « Pont Royal » (et il existe
encore aujourd’hui) 1.
Après de si grands espoirs, c’est l’échec du deuxième projet. Après avoir entrevu la
fortune, Tonti ne se décourage pas, monte d’autres plans, se lance dans d’autres
combinaisons, mais finit par reprendre l’idée d’une véritable tontine. L’affaire concerne cette
fois une population très particulière, le clergé.
L’affaire des tontines ecclésiastiques
Trois ans plus tard après avoir échoué à lancer la loterie, Lorenzo Tonti revient à des
projets de tontine qu’il soumet au clergé de France.
La proposition de tontine de 1660
En 1660, Tonti se propose de lancer un établissement sous le nom de « tontine
ecclésiastique pour fournir des fonds à l’effet d’éteindre la dette du clergé ».
Pour réussir, Tonti se donne tous les éléments de la respectabilité et se fait appeler
désormais du nom de messire, de chevalier et de baron de Paludi 2 : c’est que l’affaire est
d’importance pour lui qui espère être le véritable Contrôleur général de la future tontine aux
gages de 25 000 livres.
Le 25 septembre 1660, pour présenter l’argumentation devant l’assemblée ordinaire du
clergé réunie dans le couvent des Grands-Augustins à Paris, il utilise un homme de paille, M.
de Bragelone, Maître de la Chambre aux deniers. Celui-ci, qualifié de Monsieur le Promoteur,
prévient la compagnie qu’il va proposer une affaire qui, au premier abord, pourrait paraitre
extraordinaire par sa nouveauté, mais qui dans sa suite, pourra être très facile d’exécution. De
plus, le plan développé, est, assure-t-il, « si conforme à la justice qu’une assemblée aussi
sainte que le clergé doit rendre à son prochain, qu’elle en pourrait profiter sans créer de
nouveaux fonds, sans faire de nouvelles impositions, et sans même manquer de foi à ses
contrats. » Ayant créé l’attente, ayant montré que la proposition peut rentrer dans les vues de
l’Eglise, il s’agit maintenant de rassurer et de développer le plan.
D’abord, rassurer : Il s’agit d’une proposition venant d’une « personne de
probité de mérite, et qui a de grands biens » (Procès-verbal, p. 511) : c’est de
Tonti que Bragelone parle !
Ensuite indiquer le but, acquitter les dettes du clergé. L’argent collecté servira
au remboursement des rentes, des droits et des gages dus par le clergé :
« demande que la compagnie le subroge dans le pouvoir qu’elle a de
rembourser les receveurs et contrôleurs provinciaux diocésains des décimes
pour disposer de ce même revenu après le remboursement » (Procès-verbal, p.
511).
1 Le Magasin pittoresque, t. II, p. 117 écrit, bien à tort, que le Pont Royal a été bâti avec les deniers levés par
Tonti. 2 Paludi en italien signifie marais. Il existe, à ce moment, une petite ville de Paludi, non loin de Naples
(aujourd’hui un quartier pauvre de la ville) ; des marais non loin de Rome, que Tonti connaît ; et une petite ville
de Paludi en Calabre. Etre baron de Paludi n’est peut-être pas aussi prestigieux que ce que l’on peut en penser en
France ou au Canada…
30
Enfin, préciser le moyen proposé : une tontine, copie de celle de 1653. Il s’agit
de « créer des rentes à vie pour les particuliers, dont le fonds de chacun ne
pouvait excéder 300 livres, et qu’on diviserait le revenu en dix classes, dont la
première seraient des enfants de moins de sept ans, et ainsi que sept ans en
sept ans jusqu’à 63 ans inclusivement ; que chacun pourrait alors profiter de
la rente de ceux qui viendront à mourir, en sorte que chaque classe étant
composé de six à 7000 places, à raison de 100 000 livres par classe. »
(Procès-verbal, p. 511).
M. de Bragelone devait en être le receveur général et, par ce montage, assurait au
clergé, disait-il, un présent d’une somme considérable : lorsque « tous ceux qui composent la
classe venant à décéder, la rente reviendra au profit du Clergé, et qu’ainsi de temps en temps
le Clergé héritera de 100 000 livres, et par succession de temps d’un million de rentes sans
rien débourser. Il est facile de juger par là de l’avantage qu’elle peut tirer de cette sorte
d’affaire » (Procès-verbal, p. 512). Cerise sur le gâteau, le receveur général ferait dire à ses
dépens en l’église des grands Augustins, le 15 mars de chaque année, une grand-messe et un
service solennel pour le repos des âmes des associés morts ; les prélats les députés, les
directeurs, les officiers, les associés de la tontine qui seraient alors à Paris devraient y assister.
Les propositions sont très bien accueillies par l’assemblée ; de plus, le roi y est
favorable. Une commission, destinée à étudier la proposition, est nommée, comprenant les
évêques d’Auxerre, de Chartres et de Laon avec l’aide des archidiacres de Narbonne, de
Vannes et de Toulon et Monsieur l’abbé de Groslières. Le 20 novembre 1660, « après que
Monseigneur l’Evêque d’Auxerre a eu rapporté fort exactement l’affaire, délibération prise
par Provinces », le projet de tontine est écarté de manière quelque peu jésuitique :
l’assemblée juge « qu’elle n’est pas en état de pouvoir accepter la proposition », tout en
louant le projet : « l’invention lui en paraissait belle et ingénieuse » mais qu’elle « n’a pas
voulu la condamner ou l’approuver, mais seulement la rejeter » (Procès-verbal, p. 512). À
l’arrière-plan, on devine l’idée que le clergé ne peut s’engager dans une spéculation sur la vie
des hommes, dans une espèce de loterie macabre (« les conséquences en parurent équivoques
à l’assemblée du clergé » dit Savary, p. 453), entre des personnes inconnues qui ne
s’associent que pour désirer la mort de leur prochain et s’enrichir aux dépens de leur vie ; que
des chrétiens ne doivent pas fomenter de désir si dénaturé, ni profiter de la mort de leurs
frères (Racan, p. 61).
La proposition de tontine de 1665/66
L’Assemblée générale du clergé se réunit à nouveau à Pontoise à partir du 6 juin 1665,
puis se déplace à Paris aux Augustins, à partir du 22 août. Louis XIV a un urgent besoin de
fonds. Il attend que l’église de France viennent à son aide au moyen du don du roi ou don
gratuit ; le 26 août, le montant attendu est précisé : « Sa majesté la restreignait à la somme de
quatre millions » (Procès-verbal, p. 893). Sur le principe, la question ne se pose pas, mais sur
le montant et sur les moyens, l’Assemblée tergiverse en dépit de plusieurs demandes du roi,
puis, le 19 mars 1666, est fermement rappelée à l’ordre par le chancelier d’Aligre : « Sa
Majesté s’étonne, qu’après tant de mois écoulés il n’y a rien d’avancé pour son regard… Sa
Majesté nous a commandé expressément de vous dire qu’elle désire que vous délibérez et
incessamment, et au premier jour, sur le secours qu’elle vous demande… elle ne peut plus
souffrir de formalités retardantes, ni aucune remise » (Procès-verbal, p. 896). Le 23 mars
1665, les commissaires, sous la direction de l’archevêque de Bordeaux, établissent qu’il y a
quatre moyens pour financer ce don gratuit : le premier est de taxer les menses des religieux
qui ne paient pas de décimes, mais les commissaires trouvent qu’il y a de grandes difficultés à
le faire ; le deuxième consiste en taxes sur les abbés qui ne sont pas prêtres, mais la
31
commission considère ne pas devoir se servir de ce moyen ; le troisième moyen est
l’aliénation des baux emphytéotiques, et la commission n’y est pas favorable. Le dernier
moyen est « proposé par le sieur Tontin (sic), duquel les conditions ayant été lues, ce moyen
a été quelque temps discuté ; et sur ce qu’il a été dit, que les traitants faisaient offre de payer,
argent comptant, dans 18 mois, une somme considérable dont ils donneraient bonne et
suffisante caution » (Procès-verbal, p. 896). En fait, un cinquième moyen apparaitra dans les
discussions : une taxe sur les Officiers des décimes. Si nous revenons à l’offre de Tonti, nous
voyons que celle-ci est tout aussi peu claire que la proposition initiale de la tontine de
1652/53. Dans ces conditions, l’un des commissaires, l’abbé de Valbelle demande de
retrouver Tonti et les traitants, le 24 mars, aux Augustins, pour les entendre plus précisément
sur leurs offres ; on comprend un peu plus tard qu’il s’agit d’un montage de tontine, sans que
l’on en connaisse les détails, le procès-verbal étant muet là-dessus.
Le 24 mars, les commissaires font leur rapport sur les moyens pour payer ce don
gratuit et finissent par conclure qu’il n’en restait qu’un seul : « faire une taxe sur les Officiers
des décimes, tant Provinciaux que Diocésains ».
« Ensuite de quoi, l’affaire de la Tontine a été agitée, et les avis des Provinces
recueillis, il a été résolu de nommer des commissaires pour l’examiner, et en faire rapport
sans retarder les affaires du Roi ». Une commission comprenant les évêques de Chartres, de
Séez (en Savoie) et de Castres avec les abbés de Fontaines, de Piancourt et de Valbelle, est
nommée pour examiner la proposition.
Le 29 mars 1666, après en avoir délibéré, et aux instances pressantes de Colbert, une
députation d’évêques offre, à titre de don gratuit, la somme de 2,4 millions de livres, ce que le
roi accepte « très gracieusement ». Encore faut-il financer cette somme. Les Officiers des
décimes obtiennent de verser 500 000 livres. Le reste (en fait bien plus, car ce qui reste est
évalué à 2,15 millions) consiste en une taxe sur les pensions du clergé « sur le pied de
Mantes, rectifié en 1646 » : à quel taux ? Le 12 avril, celui-ci propose un taux de 20 % ou de
16,6 % (la 5e ou 6e partie) ; la contre-proposition du 14 avril est de 25 % (le quart à la
décharge des titulaires). On finit par transiger le 16 avril pour le taux de 20 % : « La
Compagnie consentit qu’ils ne fussent imposés qu’au cinquième » (Procès-verbal, p. 598).
L’ensemble du don gratuit doit être payé en quatre termes ; au dernier moment, avant de
signer, le roi exige une taxation à 25 % et un paiement en trois termes ; très poliment, la
Compagnie refuse et finit par signer aux termes initiaux. Et la tontine, alors ? On n’en parle
plus ; visiblement, suite à l’entrevue du 24 mars, la Commission écarte le recours à cet
instrument novateur en faveur de quelque chose de plus habituel et aucun détail n’émerge du
procès-verbal.
Il s’agit du dernier grand plan public de tontine de notre projeteur.
Les autres tentatives de tontines
La tontine du Danemark
En fin 1653, pendant qu’il monte son premier projet de tontine en France, Tonti
envoie son beau-frère Agostino di Lieto pour négocier l’établissement d’une tontine au
Danemark, avec Poul Klingenberg (1615-1690), pendant que lui-même fait avancer son
affaire en France. Là-dessus, Klingenberg part à Copenhague pour discuter avec les autorités
sans disposer encore de l’ensemble du projet ; il y est surveillé par un correspondant de Tonti,
Honoré II de Coriolis, baron de Limay (1600-1668). Lorsque les affaires sont plus avancées,
Tonti expédie à Klingenberg les détails de la tontine, en partie par code (technique apprise
32
dans sa jeunesse en Italie 1), en lui permettant d’en dévoiler la teneur au roi, à condition que
celui-ci s’engage par lettre à ne pas en divulguer le détail. Les négociations sont interrompues
par une offre concurrente en provenance de Hambourg faite par le marchand Duarte de Lima ;
les deux propositions sont soumises au Conseil du roi les 4 et 6 avril 1653. Finalement,
Klingenberg obtient un brevet du roi et commence à mettre en place la tontine qui porte le
nom de Compagnie Fruitière Générale (Die Frugtbringende Selskab) ou en allemand, Société
Bénéficiaire (Nutzbringende Gesellschaft). La tontine danoise constitue donc le premier
début de réalisation des idées de Tonti à l’échelle mondiale.
Illustration 6 - Première page de la publication
danoise
Illustration 7 - Poul Klingenberg
Daté de mai 1653, sous le nom de Frederik III qui annonce
la tontine de Poffvel (Poul) Klingenberg. Les décrets
royaux n’avaient généralement pas de page de titre.
Portrait de Poul Klingenberg, attribué au peintre
de Cour Karel van Mander.
(Source: Radio-Post & Tele Museum, Danmark)
Klingenberg organise la publicité de la tontine au moyen d’un opuscule de 49 pages,
dont 23 pages qui décrivent la société et 22 pages d’annexes qui détaillent les calculs
techniques sur la base des deux classes extrêmes, et il indique les garanties offertes,
notamment en matière de revenus fiscaux. Le document est édité en allemand - 125
exemplaires sur du bon papier et 175 exemplaires sur du papier commun -, et en danois - 100
exemplaires sur du bon papier et 350 exemplaires sur du papier commun -, dont quelques
exemplaires reliés avec de la soie (Wagenvoort).
1 Le code est très simple et n’aurait pas posé de problème à un cryptologue de l’époque : 8=a, 7=b, 6=c, 5=d,
4=e, 2=g, 9=h, … tout en conservant certaines lettres.
33
Par des lettres envoyées dans tout le royaume, Klingenberg invite toute la haute
société danoise à souscrire en promettant à tout souscripteur de 10 actions les libertés
municipales et, pour les étrangers qui en achètent 20, les mêmes libertés que celle des
citoyens de Copenhague. Cette tontine est composée de huit classes d’âge, de huit ans
d’amplitude (de la naissance à 8 ans, … jusqu’à la classe de 56 à 64 ans) et comprend 2000
actions de 100 couronnes par classe ; la tontine rapporte initialement 5 % et ceci quelle que
soit la classe, comme dans le projet de tontine français de la même époque. Dans la première
mouture du projet, les organisateurs doivent toucher 20 % du montant émis, pourcentage
finalement réduit à 10 %, et Tonti est à moitié dans l’affaire, l’autre moitié étant pour
Klingenberg et ses associés (Heusch, un marchand hollandais établi en France et le baron de
Limay).
Malheureusement, à cause du manque d’argent et des menaces de guerre, le projet, qui
avait suscité une énorme émotion dans le pays, n’est pas un succès, puisqu’il n’engrange que
qu’environ 5 % du montant attendu (Hald, p. 120). Parmi les souscriptions, on note celle du
chancelier Christian Thomesen Sehested (1590-1657), avec lequel Klingenberg avait négocié,
qui prend 20 actions (mais demande à Klingenberg de lui en racheter 15…). L’affaire étant
mal engagée, Klingenberg envoie un agent dans le pays pour solliciter les souscriptions de
personnages importants, mais se heurte encore aux mêmes difficultés. L’affaire s’arrête là
pour la tontine, mais constitue la première marche de la fortune de Klingenberg, dont chacun,
à la cour danoise, a pu observer l’énergie et l’intelligence. L’année suivante, il sera nommé
Grand Maître de la Poste ; plus tard, il sera membre du conseil de l’amirauté, des affaires
étrangères, avant de terminer ruiné et s’occupant des jardins dont il est un grand spécialiste.
Le projet de tontine municipale
Tonti évoque, dans une lettre du 19 décembre 1653 à Lieto, une autre tontine privée
que son correspondant Klingenberg pense pouvoir établir à Hambourg, sa ville d’origine,
entre bourgeois et marchands. Dans l’immédiat, rien ne se passe. Mais l’idée d’une tontine
finit par avoir des applications, puisque les villes de Kampen et de Groningue en 1670, puis
de Mittelburg et Goes en 1671 et 1673 organisent des tontines à l’échelle municipale.
Amsterdam en crée une en 1671 pour financer la guerre. Tonti sait désormais que ses idées
sont réalisables.
Le projet de tontine des Etats de Bretagne
Dans une lettre du 19 octobre 1663 à Colbert, il apparaît que Tonti a proposé une
tontine en Bretagne, par l’intermédiaire du maréchal de La Meilleraye qui « avait jugé
l’affaire de la tontine fort bonne, et très avantageuse pour la province de Bretagne ». Là
encore, le projet échoue, cette fois parce que les Etats n’ont aucun revenu disponible pour
garantir les versements annuels aux souscripteurs, « se trouvant les fonds tout aliénés pour
quatre ou cinq ans ». Enfin, Tonti assure que le roi lui a fait donner l’ordre « de ne point
envoyer cette affaire à Rome où elle se serait réussie infailliblement au préjudice de Sa
Majesté ».
34
Le projet de tontine des Etats du Languedoc
Tonti revient encore à son invention en proposant une tontine aux Etats du Languedoc
en 1667, ce qui se réalise d’autant moins que Colbert tente d’établir une tontine particulière
pour la province du Languedoc, à son initiative et selon ses idées 1.
L’année suivante, il est en prison (voir plus loin). Quand il en sort, affaibli (« mon
père se trouvant indisposé » écrit le fils le 9 novembre 1677), il revient à son idée de tontine
dans les Etats du Languedoc. Il propose au président des Etats de Languedoc, par
l’intermédiaire de son fils, une « tontine royalle » d’un modèle plus élaboré, qui sur certains
points, ressemble aux propositions défendues en son nom par La Salle (voir plus loin) 2. En
effet, dans sa proposition, il y a 14 classes d’âge, allant de cinq ans en cinq ans, la dernière
« commencera à la soixante-cinquième année pour finir à la soixante-dixième, avec pouvoir
néanmoins à ceux qui auront un âge plus avancé de se faire inscrire, sy bon leur semble ».
Ces classes d’âge sont tarifées, « affin d’éviter le préjudice que causeroit la disparité des
âges », avec une gradation tous les quinze ans, sauf en ce qui concerne la première classe qui
va de la naissance à 25 ans : « à la 14e, 13e et 12e classe, l’intérêt au denier 10 ; à la 11e, 10e
et 9e classe, l’intérêt au denier 11 ; à la 8e, 7e et 6e classe, l’intérêt au denier 12 ; et à la 5e,
4e, 3e, 2e et 1ère classe, l’intérêt au denier 13. » Ensuite, il introduit des dispositions rendant
cette tontine extraordinairement attractive pour ceux qui voudraient bien y souscrire de forts
montants (un peu à l’image de ce qui était proposé à la tontine du Danemark), propositions
qui ne seront jamais reprises : « Que tous les estrangers qui y achepteront dix places ou au-
dessus, seront naturalisés françois et jouïront des privilèges de la nation. Que tous ceux qui
achepteront cent place, tant françois qu’estrangers, seront déclarés nobles… ». Il ne s’oublie
pas dans la distribution en reprenant à peu près les termes de la lettre de Saumur : « pour
avoir esté l’autheur de la tontine royalle », il lui sera accordé un brevet « signé par les quatre
secrétaires d’estat », et il sera « en titre d’office héréditaire et à perpétuité », lui et ses
héritiers, le « controoleur général » de cette tontine ainsi que « de toutes celles qui
s’établiront dans le royaume ». A titre de rémunération, il dit avoir droit à la « dixième partie
de toutes les sommes qui proviendront par l’establissement de la tontine ». Mais il est « prest
à se désister de ce droit » et à se contenter de la « dixième partie des augmentations qui se
feront par la mort des associés », ainsi que d’un « louis d’or seulement » pour chaque titre
placé. Si l’affaire marche, c’est la fortune ! Mais sa position est délicate, sa santé fragile, et on
se méfie de lui. Il le sent bien : il sollicite son correspondant pour qu’il intervienne auprès de
Colbert afin d’être appelé à préparer ce projet sur place : ainsi il supplie « très humblement
votre Eminence de vouloir agréer afin que l’on m’envoie aux estats travailler à cette belle
affaire, et y ménager mes intérêts » et pour cela il convient de « de m’y rendre nécessaire, et
me demander à Mgr Colbert ». Cela rétablirait sa position officielle : « cela me remettrait en
commerce avec ce ministre » (ce qui signifie qu’il ne l’est plus). En même temps, cela
restaurerait ses finances : « ayderoit infiniment à faire réussir quelques desseins qui regardent
le restablissement de notre famille après tant de disgrâces ». Il renouvelle ces demandes
quelques semaines plus tard. Les demandes sont transmises à Colbert (20 décembre 1677),
puis plus rien ne se passe, ce qui signifie que l’affaire est enterrée pour ce qui concerne
1 C’est du moins ce que prétend plus tard La Salle dans le factum de 1684 « Monseigneur Colbert, qui préférait
les inventions qui venaient de son génie à toutes les autres, et qui trouva d’autres moyens de rétablir les affaires
du Roi, balança longtemps s’il accepterait celui-ci quoiqu’il l’eut plusieurs fois approuvé comme il paraît par
l’édit du mois de février 1663 qui fut expédié de son temps, par quelques écrits que l’on a qui sont apostillés de
sa main, et par la tentative qu’il fit d’établir une tontine particulière pour la province du Languedoc… » (cité
par Hébrard, p. 201, qui pense qu’il s’agit d’une réécriture de l’histoire). 2 Les Chroniques de Languedoc, p. 58-66. Tous les extraits qui suivent en proviennent. Voir aussi Fonds
Gaignères, fol. 398, Le Cabinet historique, Revue, p. 211, H. Menu, Paris, 1862.
35
Tonti : ses projets sont décidément « démonétisés » auprès du ministre qui ne veut plus
entendre parler du personnage et de ses propositions.
Pourtant, sept ans plus tard, en 1684, au moment où Tonti est en train de mourir, une
nouvelle proposition en direction du président des Etats de Languedoc est réalisée, avec dix
classes seulement, tarifées sur le pied du denier 14 de la naissance à quarante ans et du denier
12 au-delà. Vraisemblablement, ce projet émane des syndics généraux et constitue une pâle
copie du projet porté par Tonti 1.
Nous pourrions dire avec Racan (p. 58) « Laurent Tonti … a publié trois tontines qui
ont fait grand bruit et peu d’effet… » ; outre qu’il en a proposé bien plus, la remarque est sans
doute péjorative à l’égard de quelqu’un qui a créé un montage, dont il a pu apercevoir des
débuts de réalisation à l’étranger, qui existe encore aujourd’hui sous une forme assez
différente. Mais son activité ne s’est pas cantonnée à ce domaine, il a aussi multiplié les
propositions.
Les projets de Tonti dans des domaines variés
Tonti est un donneur d’avis, un faiseur de projet, un projeteur, un aventurier 2, comme
on les aime à cette époque ; ses idées embrassent la finance et l’économie, et plus
généralement d’autres projets utiles à la France.
De Fontainebleau, le 11 juillet 1664, Tonti propose à Colbert d’autoriser le réemploi
dans la tontine des arrérages que l’Hôtel-de-Ville verse aux rentiers, quitte à créer un quart de
capital en plus dans la tontine (dans laquelle il n’a visiblement pas perdu espoir) : « la plupart
de ceux qui auront reçu leurs deniers seront en peine de trouver occasion de les employer
sûrement et utilement… et seraient ravis de les pouvoir loger avec advantage.…
L’établissement de la tontine serait le plus propre, en donnant… un quart de plus en places
dans la tontine… ».
Le 22 mai 1666, dans une grande lettre Tonti soumet à Colbert3 de multiples projets :
d’abord une affaire de manufacture sur laquelle sur laquelle il ne s’étend pas ; ensuite, s’il en
était besoin pour l’inventeur de la préférence nationale via le mercantilisme, il lui
recommande de se méfier de la contrebande et du trafic de bas en provenance d’Angleterre
qui risque d’amener la peste ; dans un autre registre, il lui suggère d’établir des pépinières de
mûriers blancs dans tout le royaume, d’en planter le long des chemins, pour dispenser la
population d’avoir recours à des soies étrangères (ce qui doit sonner agréablement à l’oreille
de Colbert) et « sera un Pérou pour la France » : il oublie seulement la diversité des climats
de plaine, de montagne… du pays ; il lui offre aussi un projet de loi qui empêchera « toutes
oppressions et violences des grands seigneurs envers les faibles, toutes rapines, voleries et
pillages des officiers de justice » (vaste programme qui est toujours d’actualité) ; enfin, il a
une idée « pour rendre la société des Indes en moins d’un an la plus puissante de l’Europe » :
1 Par une lettre du 13 décembre 1689, de Lamoignon de Basville, on apprend que les États de Languedoc
souhaitent que le roi autorise une tontine à concurrence de trois millions de livres, pour fournir l'argent qu'il
faudrait emprunter et pour payer les dettes. Il apparaît toutefois que le projet pourrait nuire à la satisfaction des
demandes du roi, mais les États allèguent que peu de personnes enverront 100 écus à Paris, alors que beaucoup
verseront cette somme si l'intérêt est reçu dans la province. On pourrait commencer la tontine en Languedoc,
après la fermeture de celle de l’hôtel de ville de Paris. Il appartient au roi de prendre une décision et d'informer
la province. Archives nationales, 1689 (G/7/299) 2 Au sens du Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « celui qui n’a aucune fortune et qui cherche à s’établir par
des aventures ». 3 Mélanges Colbert, 137, f°844. Un extrait de cette lettre est publié dans Depping, Correspondance…, p. 21
36
il s’agit d’organiser une grande compagnie des Indes grâce à laquelle « on trouvera un
nouveau fonds de 40 à 50 millions ». Il s’agit d’un projet extraordinairement mystérieux dans
lequel toutes les personnes du royaume, les nobles, les officiers et d’autres voudraient rentrer
avec joie, même s’ils étaient sûrs d’y perdre ce qu’ils y mettaient, car cette combinaison
présente d’incroyables avantages : les sommes levées pourraient être telles que l’abondance
financière régnerait. « Si tout ce grand fonds ne peut pas être employé dans le commerce, le
Roi seul pourra se servir d’une partie pour rembourser son domaine et exécuter d’autres
desseins… ». On pourra même offrir à ceux qui voudraient en sortir le remboursement de leur
mise : « pour fermer la bouche aux mécontents… on pourra faire offre à tous ceux qui sont
entrés ci-devant, si quelqu’un y a regret, qu’il ait à retirer son argent ». Mais cette offre est
tellement favorable que personne n’en sortira : « personne ne le fera, à cause des grands
avantages qu’il rencontrera par mon expédient ». Le mystère est encore épaissi par la
proposition de Tonti d’organiser cette combinaison de façon secrète : « cela pourra se faire
sans qu’on le sache », mais, si par hasard la combinaison venait à être divulguée, cela ne
poserait aucun problème : « quand on le saurait, on n’y trouvera pas en redire, puisque l’on
paiera les intérêts de la société ». Cette offre est mirifique et la proposition doit susciter une
demande d’éclaircissement de la part du ministre : « Si la proposition agréée à Votre
Excellence, je donnerai aussi les moyens pour faire voir la facilité de l’exécution. » On n’en
saura pas plus : le prestidigitateur a appâté le chaland. Par malheur pour Tonti, Colbert ne
réagit pas.
Parfois, notre homme se pique aussi de politique, et en particulier de celle de son pays
d’origine. Et il n’hésite pas à avancer des propositions. Et quelles propositions !
Tout d’abord, vers 1663, au plus fort de la querelle entre Louis XIV et le pape
Alexandre VII, Tonti, « gentilhomme romain », essaye de se faire donner de l’argent (il cite
son beau frère, le capitaine « Carlo di Lieto » comme homme de confiance pour les
opérations – observons le prénom) en offrant de se servir de 2000 à 3000 brigands à sa
dévotion dans les Abruzzes, pour enlever le Pape et sa famille à Castel Gandolfo, de faire
brûler dans la même nuit tous les palais et meubles des parents du Pape dans la campagne
romaine, de les amener à la côte et les mettre dans des bateaux pour les conduire vers un
navire de guerre français qui attendrait vers l’île de Ponce et les emmènerait en France. A
l’époque, on enlevait bien des diplomates (par exemple, le comte Ercole Mattioli), mais un
Pape ! Toujours est-il que le plan rocambolesque ne paraît pas avoir été pris en considération
(Laloy, p. 406), d’autant que le Pape ne tarde pas à avoir la bonne idée d’envoyer le Cardinal
Chigi et le cavalier Bernin en France pour apaiser la tension, ce qui nous vaut un nouveau
problème pour notre aventurier.
37
Illustration 8 - Proposition d’enlever le Pape, destinée au roi Louis XIV
Source : Archives Naples, vol. 11, f°57, Ministère des Affaires étrangères.
Après le voyage du Cardinal Chigi (été 1664) en France, paraît un ouvrage intitulé
« Relation de la conduite présente de la cour de France »1 afin de satisfaire la curiosité des
lecteurs italiens sur ce qui se passe en France à cette époque. Le thème du livre est une
description de la conduite des affaires du Royaume de France, censément adressée à un
Cardinal à Rome, par un religieux, de la suite de son Eminence le Cardinal Chigi, neveu du
Souverain pontife Alexandre VII, à l’occasion du déplacement de ce dernier en France, afin
de retisser les relations entre le Vatican et le roi Louis XIV, mises à mal par l’affaire de
l’Ambassadeur Créquy (voir plus haut). L’ouvrage est composé en deux parties : d’abord la
description du roi et de la Cour de France (92 pages), censément traduites de l’italien, et
ensuite d’une réponse qui explique la raison d’être de l’écrit et dans quelles conditions
l’ouvrage est rédigé en français (14 pages). Le rapport et la réponse forment un genre littéraire
assez classique, donnant un parfum de véracité, via le double éclairage, et l’ensemble est
généralement du même auteur, rédigé en même temps. Dans la première partie, ce religieux,
qui se prétend Seigneur Romain, éclaire de ses lumières les événements récents, à l’attention
d’un autre Cardinal (non nommé). Forcément, les passages sur le roi et ses ministres ne
tarissent pas d’éloge ; mais au milieu de l’ouvrage, nous trouvons une critique des financiers
trop avides à qui la Chambre de Justice fait rendre gorge ; l’auteur montre la foule des
quémandeurs qui transmettent des placets au roi ou à un de ses ministres, les manœuvres des
traitants et des financiers et quelques allusions à des fortunes obtenues sont assez
transparentes…
L’auteur de cette première partie signe « L.T. De Paris ce 11 aoust 1664 » et se dit
« Seigneur Romain » et l’on peut penser que cette partie, qui constitue le gros de l’ouvrage,
est bien réalisée à la signature de Lorenzo Tonti. Cela est d’autant plus vraisemblable que
dans le placet au roi, Tonti admet que « que j’avois composé l’année dernière » la Relation.
1 Le titre complet est Relation de la conduite présente de la cour de France, adressée à un Cardinal à Rome, par
un seigneur romain de la suite de Son Éminence monseigneur le Cardinal Flavio Chigi, légat du Saint-Siège vers
le Roi très-chrétien. Le livre de l’édition de Fribourg date de 1665, mais une autre édition (« plus correcte »)
paraît en 1666 ; nous avons vu aussi un opuscule sans lieu ou date d’édition et celui de l’édition de Leyde de
1665. Une seconde édition, précédée d’une note du traducteur au lecteur, « corrigée et purgée de fautes de la
première édition furtivement faite à Leyde », est publiée à Cologne, chez Jacques Neelson en 1665 : le livre
constitue donc un succès d’édition que l’on s’arrache en Europe.
38
Une deuxième partie, sous le nom de Lettre d’un gentilhomme français à un prélat romain
sur la relation italienne de la conduite présente de la Cour de France, explique dans quelles
conditions la Relation a été traduite en français et précise, en contrepoint, quelques
événements récents (notamment le débarquement à l’Est d’Alger, puis le rembarquement des
troupes françaises – l’affaire de Gigery – Djidjelli aujourd’hui). Cette réponse, censément
dater du 25 novembre 1664, est signée SVNV et cette signature est attribuée à l’époque à
Giovanni Battista Gasparo Nani (1616-1678), ambassadeur de Venise en France. Toutefois,
dans le genre littéraire dont il est question ici, le texte est vraisemblablement de la même
plume que le premier, donc de Tonti.
Dans un mot du 30 août 1665 qu’il envoie à Colbert, on apprend que Tonti a rédigé la
Relation en 1664 ; que le chancelier Le Tellier, au nom du roi, lui a défendu de publier ce
volume ; et c’est, malgré lui, à ce qu’il écrit, qu’un « libraire a eu l’effronterie de [le] faire
imprimer » : il en appelle, au travers de Colbert, à la justice du roi.
On peut penser qu’à la suite de l’ordre reçu, Tonti prend peur par la suite, obéissant
ainsi aux instructions qu’il a eues et qu’il cherche à se dégager par toutes les manières. Dans
les éditions ultérieures apparaît une « préface du traducteur au lecteur » de quatre pages, qui
explique que cette Relation devait rester privée, mais qu’il est « néanmoins arrivé, contre
mon espérance et à mon insu, elle s’est trouvée imprimée à Leyde chez François du Val, sur
une copie furtivement prise et fort remplie d’erreurs grossières » ; il en dénombre quatorze,
« d’avantage (sic) que cette édition de Leyde compte de pages » et il en donne deux exemples 1. Plus tard, quand Tonti sera en prison, la vraie raison n’en sera jamais évoquée et les
biographes soit n’en comprendront pas la cause, soit penseront à l’impression de ce livre.
1 L’éditeur de l’édition de Leyde, que cite Tonti, François du Val, est en réalité François Foppens de Bruxelles,
qui est bien connu pour ses imitations et contrefaçons de publications. Cet élément constitue le point fort de la
défense de Tonti, lui donnant avec raison un supplément de véracité et de bonne foi concernant l’impression
indue.
39
Illustration 9 - Lettre du 31 août 1665 de Tonti à Colbert demandant justice pour le livre
imprimé à son insu
Source : Correspondance de Colbert d’août-septembre 1665, vol 131 bis, Mélanges Colbert.
Pour conclure et évaluer l’activité de conseiller et de projeteur de notre homme,
revenons à Racan (p. 58) qui a décidément la dent dure pour ce pauvre Tonti qui va d’échec
en échec : « Laurent Tonti… s’est érigé en donneur d’avis, où il a été fort fertile et peu
heureux, et n’a rien oublié pour faire accroire qu’il savait une infinité de moyens d’enrichir
ceux qui le voudraient écouter, en peu de temps, à peu de frais et sans être à charge à qui que
ce soit ; mais n’ayant su prendre pour soi-même les trésors qu’il promettait aux autres, il
mène une vie obscure et se repaît encore ou d’espérances ou de fumée. »
Les problèmes financiers de Tonti
Lorsque la révolution populaire de Naples s’effondre, tout ceux qui y ont participé
fuient dans les autres principautés italiennes et, pour un grand nombre, se réfugient en France.
Pour ces derniers, le Cardinal Mazarin, leur compatriote, fait toujours ce qu’il peut et les
emploie le plus possible, en se réservant la possibilité de les utiliser, à l’avantage de la France,
pour le cas où les choses prendraient une autre tournure en Italie. Après sa mort (1661), la
situation des réfugiés italiens change. Louis XIV n’ayant plus que des ambitions réduites en
Italie, le sentiment en France à cette époque est qu’il faut s’abstenir de toute intervention dans
ce pays pour réaliser dans le Nord et dans l’Est de la France des conquêtes plus utiles et plus
faciles à garder. D’un autre côté, Colbert cherche à diminuer les dépenses qui ne cadrent ni
avec les plans du roi, ni avec les siens. Les réfugiés napolitains sont les victimes directes de
ce changement de politique : les jours de misère commencent pour eux.
Dans ses lettres à Colbert, Tonti dit qu’il a touché la pension depuis 1648 (parfois
1649) jusqu’en 1660. Dans les années suivantes, il ne reçoit plus que de la moitié (« depuis
40
trois ans je n'ai reçu que 3000 livres de la pension de 6000 livres par an que Sa Majesté m'a
fait payer depuis l'année 1649 jusqu'à 1660 » Depping, p. 19), et encore celle-ci n’est payée
que de temps en temps. Dès lors, Tonti multiplie les courriers à Colbert et au roi avec
l’argumentaire suivant :
D’un côté, il montre ce qu’il apporte à la France, et se prévaut toujours du
jugement de Mazarin, qui estimait que « l’affaire de la Tontine était un trésor
caché dans ce royaume » (1er mars 1663), « une minière d’or pour le Roi, et
d’en tirer tous les ans plusieurs millions qui ne seront jamais sujets à
remboursement » (19 janvier 1663).
De l’autre côté, il ne manque jamais de rappeler des services anciens qu’il a
rendu à la France à l’époque où il était en Italie et tout ce que cela lui a coûté :
« en considération des grands services qu’il a rendu à Vostre Majesté tant
dedans, que dehors le royaume » (placet au roi) et « pour m’être sacrifié pour
son service, les grandes pertes que j’ai fait pour la même cause » (à Colbert,
19 janvier 1663) ; « en considération des services que j’ai rendus à l’État et
des pertes de biens que j’ai souffert pour m’être sacrifié pour cette couronne »
(1er mars 1663).
Ses lettres sont remplies de doléances sur la gêne dans laquelle il vit avec une famille
de dix-sept (et même de dix-neuf personnes). Il avoue sa misère (« il luy est du tout
impossible de pouvoir plus subsister »), il dit avoir mendié, il exprime la crainte d’être
incarcéré (« comme je suis pourseui par mes créanciers »), et implore la pitié du roi et du
ministre, conjurant celui-ci, au nom de Mazarin, leur ancien protecteur commun, « de
glorieuse mémoire », de venir à son secours. Par le truchement de Colbert, le 19 janvier 1663,
Tonti envoie un placet au roi de lui payer la pension qui est déjà bien en retard : il n’a rien
reçu pendant les « années 1661 et 1662 de la pension de six mille livres par an que feu
Monsieur le Cardinal Mazarini lui faisait donner par ordre de Sa Majesté », à la fois en
considération des services rendus en dehors du royaume et pour les frais encourus pour
l’avancement et l’établissement de la tontine, « retardée à cause de la chambre de justice ». Il
évoque une grande famille de dix neuf personnes, « et entre autres cinq grandes filles bien
faites » (espérant peut-être aguicher le jeune roi de 25 ans) 1.
1 La lettre de Tonti à Colbert (folio 393) et le placet au roi (folio 394) figurent parmi les pièces de la
Correspondance de Colbert de janvier-février 1663, volume 114. Comme ces pièces sont conservées dans les
documents de Colbert, nous soupçonnons ce dernier d’avoir gardé par-devers lui ce placet au roi et de ne pas le
lui avoir transmis. Dans ces conditions, on comprend que Tonti attendra longtemps la pension de 6000 livres
qu’il espérait toucher…
41
Illustration 10 - Placet au roi, annexé à la lettre à Colbert du 19 janvier 1663
Source : Mélanges Colbert 114, p. 394. Noter la calligraphie professionnelle du document, d’une
écriture très différente de celle des lettres de Tonti.
Le 27 novembre 1664, il sollicite encore Colbert et, par lui, le roi, de lui procurer un
prompt secours sur ce qui lui est « dû du passé, et le rétablissement de la pension qui m’a été
payée depuis l’année 1648 jusqu’à 1660 ».
Le 19 octobre 1668, alors qu’il est en prison, Tonti, par l’entremise de Colbert,
sollicite la femme de ce dernier de contribuer « par ses soins et par ses diligences » au
trousseau d’entrée de ses filles dans un couvent, car il veut donner deux de ses filles « pour
épouse à Jésus-Christ, qui prieront toute leur vie pour la santé et la prospérité de toute votre
famille » (Depping, p. 19)1. Dans une note annexée à la lettre, Tonti désire que la Reine
veuille bien s’intéresser au placement de ses filles dans un couvent. Une demande précédente
avait été couronnée de succès, car dans les Nouvelles ordinaires de la Gazette (de feu
Théophraste Renaudot) du 12 janvier 1664, (p. 48) on lit que, le 7 janvier 1664, la reine-mère
était allée au couvent des Filles de la Miséricorde dans le Faubourg Saint-Germain, où « sa
Majesté donna le voile à la fille du Sieur Tonty, gentilhomme romain, la cérémonie ayant été
faite par le Cardinal Antoine et la prédication par l’évêque d’Amiens, qui contenta
grandement son auditoire ».
Tonti en prison
Tonti, grâce à ses projets, espère bien récupérer 25 000 livres de rente dans la première
tontine, puis 60 000 livres de sa seconde tontine ou loterie. Encore une fois avec la troisième
tontine, il compte recevoir 25 000 livres de rente. A chaque fois, le projet échoue, et c’est la
déception.
Pourtant, il lui faut de l’argent pour vivre, pour entretenir sa famille et ses dépendants,
17 (parfois 19) personnes. La France semble sourde à ses appels ; sans le sou, pressé par le
1 Proposer de mettre ses filles sous la protection et aux soins de Madame Colbert pour entrer au couvent est sans
doute un choix habile : Louis XIV avait confié à Madame Colbert la petite Marie-Anne qu’il a eue avec
Mademoiselle de La Vallière en 1666 (qui sera connue sous le nom de Mlle de Blois).
42
besoin, délaissé par le roi, déçu, donc à la fois pour des raisons financières et pour des raisons
morales, « piqué au plus haut point du peu de cas que l’on faisait à la cour de ses services
considérables », Tonti a recours à une autre solution, qui vient du plus profond de l’histoire
pour les Napolitains, dont toute la politique consiste à profiter de la rivalité de la France et de
l’Espagne : comme les espoirs qu’il avait mis dans la cause française ont été déçus, il va
tenter de jouer la carte espagnole.
C’est ainsi que, dans une longue lettre en italien du 5 août 1667, qui témoigne de
relations épistolaires plus anciennes, Tonti décide d’offrir ses services à l’ambassadeur
d’Espagne pour le compte de son roi. Il est « résolu de se sacrifier désormais pour le service
du Roi d’Espagne » (extrait 1). Il se déclare prêt à susciter des troubles en France, ce qui sera
aisé, étant donné le mécontentement existant « dans toutes les classes et conditions à cause
des poursuites faites par le trésor royal pour leur extorquer le dernier sous ». Il offre de
l’informer de tout ce que ferait le roi de France et des intelligences qu’il aurait avec les
souverains étrangers. Il fait observer qu’il a accès à la Cour en raison de sa tontine et qu’il a
« l’amitié des grands de la cour et particulièrement de M. de Turenne et de ses fils servant
auprès du Roi », ce qui lui permettrait de servir tous les plans de l’ambassadeur (extrait 2).
Ce changement d’allégeance doit être rémunéré à la juste valeur de ce que Tonti
estime nécessaire pour être assuré de rétablir sa fortune. Ses demandes sont conséquentes : il
lui faut au moins cinq chevaux pour quatre personnes et des serviteurs (extrait 3).
Malheureusement pour lui, ce document édifiant, « cette belle lettre » dit Laloy, son
découvreur (p. 407), tombe entre les mains du gouvernement français 1, mais personne ne le
lui dit ou ne l’écrit officiellement. Décidément, Mazarin avait bien jugé le personnage en
l’estimant capable de trahir la France au profit de ses ennemis espagnols !
1 Affaires Etrangères, Naples, vol. 11, f°57 et 85. Le document est découvert par Laloy, pp. 406-408. Pour de
nombreux auteurs, les raisons de l’emprisonnement de Lorenzo Tonti demeurent mystérieuses. La plupart des
textes laissent entendre que c’est la publication de la « Relation… » qui explique son envoi à la Bastille – mais
trois ans plus tard, quel serait l’intérêt de l’envoyer alors en prison ? Tonti lui-même n’évoque jamais les raisons
de son séjour en prison.
43
Illustration 11 – Extraits de la lettre de Tonti à l’Ambassadeur d’Espagne, se proposant
de trahir la France
Source : Min. Aff. Etrangères. Fonds Naples, vol. 11, f°85.
Les conséquences de la découverte de cette offre de trahison ne tardent pas :
brutalement, sans qu’on lui en indique la raison, Laurent Tonty est incarcéré à la Bastille en
vertu d’une lettre de cachet du 30 janvier 1668 contresignée par Le Tellier (secrétaire d’État
de la Guerre) (Hébrard, Annexes, p. 93). Ses deux fils le suivent : le « fils ainé de celui que
vous détenez par mon ordre dans mon château de la Bastille » le 15 février (contresignée par
Lionne - secrétaire d’État aux Affaires étrangères, 1611-1671) et le second, « l’un des
mousquetaires de ma seconde compagnie de mousquetaires à cheval », un « mousquetaire
noir » (c’est la robe des chevaux de cette compagnie qui est noire), le 3 mars (par Le Tellier),
avec stricte interdiction qu’ils puissent communiquer entre eux et particulièrement avec leur
père (« sans souffrir qu’il ait communication avec personne de vive voix ou par écrit et
particulièrement son père »). Quelques semaines plus tard, les prisonniers sont autorisés à se
promener sur la terrasse (1er juin 1668, par Le Tellier), puis les deux fils peuvent partager la
même chambre (8 septembre 1668, par Le Tellier) ; enfin le père aussi partagera cette
chambre (22 avril 1669, par Le Tellier). En mars 1669, la femme de Tonti meurt, sans doute
de misère. Le roi, « ayant écouté avec sa bénignité ordinaire la supplication de la famille »
que celle-ci puisse lui apprendre cette mauvaise nouvelle, l’autorise à lui annoncer le décès
par le truchement d’un « jésuite ou telle autre personne que le gouverneur de la Bastille
désignerait » (Ravaisson, p. 294) 1.
1 Schiavo G., Four Centuries of Italian-American History, Center for Migration Studies, New York, 1992 avec
ce qui est dit être un fac-similé (p. 86) de différents courriers de et à Tonti à la Bastille, en réalité les relevés de
Ravaisson.
http://www.italic.org/books/fourcenturiesofitalianamericanhistory.pdf
44
Tonti est un prisonnier à ses frais, c’est-à-dire qu’il doit se nourrir et se vêtir à son
propre compte ; naturellement, n’ayant plus d’argent, il est obligé d’emprunter à ses geôliers.
Il cherche aussi de l’argent ailleurs : ainsi le Cardinal de Retz (Jean-François Paul de Gondi,
1613-1679), le 17 juin 1669, explique à son correspondant que Tonti qui est à la Bastille « lui
demande effrontément de l’argent » et qu’il ne va pas lui en verser (Retz, p. 270). Quelques
années plus tard, la situation commence à s’améliorer : le 4 mars 1675, il remercie très
poliment Colbert de lui avoir fait obtenir par le roi un secours de 600 livres, « lesquels ont été
employés à m’habiller et à me donner du linge comme aussi pour donner les mêmes choses à
mes deux fils qui sont détenus en ce lieu avec moi ». Mais une fois de plus, il ne peut
s’empêcher de solliciter de l’argent : « J’espère aussi que Son Excellence me procurera de Sa
Majesté, lorsque le bon Dieu le lui inspirera, les 1600 livres que je dois à ceux de ce château
qui m’ont fourni depuis sept ans les choses qui m’ont été nécessaires et à mes fils aussi ;
cependant je vous conjure, … de continuer vos bontés pour la subsistance de ma fille, qui est
chargée du reste de la famille, et laquelle est réduite dans la dernière nécessité ». (Ravaisson,
p. 296).
Les choses s’accélèrent : le 20 octobre 1675, le directeur de la Bastille, François de
Montlezun de Besmaus libère Tonti, pour « se faire tailler » (opérer) de la pierre dit une note,
sous la garde du sieur de la Salle, ordre contresigné Seignelay (Jean-Baptiste Antoine Colbert,
Marquis de Seignelay, 1651-1690 – fils de Colbert, déjà associé aux affaires de l’Etat et qui
prendra sa suite) ; les deux fils Tonti sont libérés le 29 novembre 1675 sous la garde et la
responsabilité du même de la Salle contre sa promesse écrite de les représenter à chaque fois
que besoin (ordre contresigné de Colbert).
Le problème est que les fils emprisonnés ne sont pas ceux que l’on croit et qui sont
communément cités, Henri et Alphonse.
On considère que « le fils ainé » désigne Henri, ce qui est impossible, car durant tout
ce temps, il sert dans la Marine royale : en 1668, il s’enrôle comme cadet dans la Marine. Il
est garde-marine 4 ans à Marseille et à Toulon ; il fait 7 campagnes, dont 4 sur des vaisseaux
et 3 sur des galères. A Messine, il est nommé capitaine-lieutenant du maistre de camp « où il y
avait vingt-mille hommes » écrit-il dans un mémoire, en exagérant le chiffre (l’équivalent
aujourd’hui de colonel de la première compagnie du régiment). Au siège de Messine, lors de
l’attaque de la porte de Libisso, en 1677, il a la main emportée par une grenade1, puis est fait
prisonnier durant six mois à Métasse, pour être finalement échangé contre le fils du
gouverneur. Rentré en France, il sollicite quelque bienfait du roi Louis XIV et reçoit 300
livres, puis repart pour la Sicile où il sert comme volontaire sur une galère jusqu’à la fin des
hostilités ; la paix de Nimègue (1678) le laisse sans emploi et c’est dans ces conditions qu’il
revient à Paris (Sulte, p. 4 ; Pétition du chevalier Tonty au comte Pontchartrain, ministre de
la marine, publiée dans Gravier, Découvertes et établissements de Cavelier de la Salle …,
p. 366).
De même, il est impossible que le deuxième fils emprisonné soit Alphonse car, né en
1659, il n’a que 9 ans en 1668, ce qui ferait à la fois un bien jeune « Mousquetaire » comme il
est expressément précisé dans l’ordre d’arrestation et de détention et un singulier espion à la
solde des Espagnols !
Qui est alors emprisonné avec Lorenzo Tonti ? Nous ne le savons pas, mais Tonti
parle de 17 ou de 19 personnes à sa charge, dont 5 filles. Comme il n’y a pas de plainte pour
1 C’est Henri qui parle d’une grenade : « j'eus la main droite emportée par une grenade ». Bacqueville (p. 144)
donne des précisions : « Ce gentilhomme dans une sortie qui se fit à Messine eut un coup de sabre au poing, et
pris prisonnier, il se le coupa lui-même avec un couteau, sans attendre qu’un chirurgien lui en fit l’opération. »
45
erreur sur l’identité des fils Tonti et qu’il parle de ses fils emprisonnés avec lui dans sa lettre à
Colbert, nous pouvons penser qu’il s’agit bien de la famille directe de Tonti. Qui alors ? Nous
pouvons émettre l’hypothèse suivante, susceptible de concilier les différentes informations
disponibles et non contradictoire avec ce que nous savons : les deux fils emprisonnés sont
ceux de Tonti avec Angela di Lieto (dont parle Tutini, p. 273 et à laquelle fait référence l’acte
de baptême d’Alphonse en 1659), en plus des trois garçons évoqués dans l’introduction (dont
peut-être, le poète versificateur vu en note au début), dont Henri et Alphonse qui partiront au
Canada ; après le décès d’Angela, il épouse Isabella di Lieto, sa sœur (l’épouse qui décède
pendant qu’il est en prison), et a d’autres enfants, dont peut-être Nicolas et Louis dont nous
parlerons plus loin, et une fille prénommée Anne-Marie. Quant aux quatre autres filles, nous
ne savons pas quelle était leur mère.
Qui est ce Sieur de la Salle qui prend sous sa garde Tonti et ses fils et que vient-il faire
dans cette histoire ? Habituellement (par exemple, Ravaisson, p. 296), on affirme qu’il s’agit
de René Robert Cavelier (1643-1687) qui est précisément en France en 1674-75 et qui vient
d’obtenir ses lettres de noblesse le 13 mai 1675 ainsi que le droit d’ajouter « de la Salle » à
son nom ; il serait donc le sieur de La Salle sous la garde duquel le père, puis les fils, sont
libérés. Or la réalité, très différente, est découverte par Hébrard (p. 200) : il s’agit de François
de La Salle, seigneur d’Amaranthe et de Chastelus, un donneur d’avis, gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi qui a environ 63 ans à ce moment, comme il résulte de Hozier de
Sérigny (Armorial…, p. 304 1).
La confusion provient de ce que, quelques années plus tard, en 1678, Cavelier de la
Salle 2 recrute, pour l’accompagner au Canada, d’abord Henri en 1678, puis après quelques
années, en 1685, Alphonse de Tonty (les vrais) 3. Le recrutement de Henri se réalise de la
manière suivante, d’après ses écrits : un jour qu’il était à Versailles à la recherche d’une
1 François de la Salle sert de témoin quant à la noblesse de Vital Chappuis en mars 1676. Il est donc né en 1613. 2 Il s’agit bien cette fois de Cavelier de la Salle, l’explorateur du Canada, protégé de Conti. Il emmène les deux
fils de Tonti au Canada et, plus loin, à la découverte du Mississippi ; ils s’y distingueront au service de la France. 3 L’aîné, Henri, bien connu pour sa main de fer qui remplace celle qu’un éclat de grenade avait emportée lors de
la campagne de Sicile, organise avec une énergie peu commune, l’exploration du Canada et du bassin du
Mississipi - nommé par lui fleuve Colbert dont il baptise les rives de grande et de petite tontine (« e i cantoni ch’
e’ popolò in riva al gran fiume, furono detti Piccole e Grandi Tontine » (Cantù, p. 335). Une île avait été
baptisée du nom de Tonti en son honneur sur le lac Ontario (aujourd’hui île Amherst), et il subsiste encore
aujourd’hui Tontitown en Arkansas, petite ville fondée par un prêtre italien en 1898. Tous les enfants nord-
américains connaissent l’épopée de l’homme à la main de fer, The Man with the Iron Hand, compagnon fidèle de
Cavelier de La Salle, dont l’épopée est notamment évoquée par Catherwood, McNeil, Parish…
http://www.biographi.ca/en/bio/tonty_henri_2E.html
Le cadet, Pierre-Alphonse de Tonty, baron de Paludy (avec un y – le nom s’est conservé Revue nobiliaire,
héraldique et biographique, 1872, T7), fonde un poste français à Détroit, Fort Pontchartrain du Détroit
(Pontchartrain émet la première tontine : remerciement implicite ? ironie de l’histoire ?). Alphonse est connu
pour son caractère irascible (querelle avec Cavelier de la Salle, avec les Hurons, avec les Européens de
passage …) et pour ses problèmes d’argent qu’il essaie de résoudre de toutes les manières possibles, d’où
d’innombrables trafics, pas toujours très propres. Il a, comme aide de camp, son cousin Liette/de Liette/Deliette
(Pierre-Charles de Lieto), dont le dernier descendant, Charles Henri Joseph de Tonty de Liette meurt à Montréal
le 9 juillet 1749 (Il Veltro, vol. 29, Il veltro editrice, 1985, p. 151).
http://www.biographi.ca/en/bio/tonty_alphonse_2E.html
Enfin, il ne faut pas confondre ces deux fils Tonty avec un soldat du régiment de Carignan, Boissard Alexandre,
surnommé pour une raison inconnue « le prince de Tonty », arrivé au Québec 19 aout 1665 sur le navire La Paix.
https://www.naviresnouvellefrance.net/html/vaisseaux2/soldats/soldatsBizBom.html#boissardalexandre
46
nouvelle affectation, et patronné par le prince de Conti, il est recommandé à Cavelier de la
Salle 1.
Revenons à François de la Salle. Le document de sa main (daté d’un temps où Robert
Cavelier de La Salle est au Canada – ce qui rend impossible toute implication de sa part et
valide la solution découverte par Hébrard) commence par rappeler la genèse de l’invention de
la tontine et les démêlés de Tonti pour faire reconnaître son invention : un brevet du 7
septembre 1652 signé des quatre secrétaires d’État pour son invention, brevet confirmé le 23
novembre 1652 par un arrêt du Conseil d’État, en exécution duquel l’édit du mois de
novembre de création de la tontine est pris, mais qui n’est enregistré au Parlement que le 7
septembre 1661 et ensuite à la « chambre des comptes et à la cour des aides, après avoir été
communiqué à l’Hôtel de Ville, aux corps des marchands et au Chatelet de Paris, où il fut
reçu avec un applaudissement universel ». Mais, après ce triomphe (certes tardif), il lui faut
bien expliquer pourquoi l’invention de Tonti n’est toujours pas mise en œuvre : « comme dans
un temps de guerres et de minorité la foi des édits et des déclarations n’était pas aussi
parfaitement établie qu’elle l’est présentement, et que d’ailleurs le revenu de l’argent que les
particuliers apporteront pour acheter des places dans la tontine n’était que sur le pieds du
denier vingt, et qu’il faut un revenu plus avantageux pour obliger grande quantité de gens à y
entrer, il fut expédié un autre édit du mois de février 1663. … Mais la conduite des finances
ayant passé de la main de M Fouquet à celle de M Colbert, et la chambre de justice ayant été
établie, on ne crut pas que cette affaire put être regardée favorablement par les peuples en un
temps de recherches comme celles qui se faisaient alors. » Par le truchement de son associé
La Salle, et maintenant que Colbert est décédé, Tonti, qui jusque-là faisait partie de ses
courtisans, charge son ancien protecteur. Il laisse entendre que Colbert ne faisait les choses
que si elles étaient à son avantage, qu’il voulait s’attribuer les mérites de ses protégés, dont
l’innovation financière de Tonti : « Ensuite, Monseigneur Colbert, qui préférait les inventions
qui venaient de son génie à toutes les autres, et qui trouva d’autres moyens de rétablir les
affaires du Roi, balança longtemps s’il accepterait celui-ci quoiqu’il l’eut plusieurs fois
approuvé comme il paraît par l’édit du mois de février 1663 qui fut expédié de son temps, par
quelques écrits que l’on a qui sont apostillés de sa main, et par la tentative qu’il fit d’établir
une tontine particulière pour la province du Languedoc » (Hébrard, Annexes, p. 112).
Enfin, La Salle montre dans quelles conditions a pris la succession de Tonti dans la
promotion de l’affaire : « M. de la Salle … a travaillé à cette affaire dès son commencement
et … est chargé de toutes les propositions de la famille du dit Tonti » avec mission de le
représenter et d’organiser la promotion de l’ensemble de ses projets. C’est dans ces conditions
qu’il se propose d’exposer son plan : « si M le chancelier et M le Contrôleur Général ont
agréable d’entendre là-dessus M. de la Salle … il se promet de faire voir qu’il en reviendra
de très grands avantages, non seulement au public mais encore aux finances de Sa Majesté »
(factum de 1684, par Hébrard, Annexes, p. 112). Il propose de créer une nouvelle tontine
1 « Après huit années de service, tant sur terre que sur mer, ayant eu en Sicile une main emportée par un éclat
de grenade, j’étais à la cour dans le dessein de solliciter un emploi… Le prince de Conti qui m’honorait de sa
protection, eu la bonté de me proposer à lui pour l’accompagner dans ses voyages… » (Dernières découvertes
dans l’Amérique septentrionale de M. de la Sale (sic), mises au jour par M le chevalier Tonti, gouverneur du
fort Saint Louis aux Illinois, Paris 1697), Préface, 2-3 – Le livre a été désavoué par Henry de Tonti (dans une
mémoire de d’Iberville, qui le mentionne comme venant de la bouche même de Henri de Tonty. « M. de Tonty
désavoue fort, écrit-il, d’avoir jamais fait de relation de ce pays-là et dit que c’est un aventurier de Paris qui l’a
faite sur de faux mémoires, le tout pour gagner de l’argent. » (D’Iberville, Lettre datée des Bayagoulas, du 26
fév. 1700), mais le texte du livre repose largement sur des pétitions et mémoires envoyés par lui à Paris, dont
presque mot-à-mot celle qu’il a envoyé au comte Pontchartrain (dans Gravier, p. 366) et un mémoire publié dans
Magry, p. 7 ; le rédacteur de l’ouvrage est donc quelqu’un de l’environnement immédiat du comte de
Pontchartrain, bénéficiant de la lecture des rapports et des notes et brodant quelque peu là-dessus.
47
royale « sans y changer ni ajouter que fort peu de choses », alors qu’il en modifie
complètement l’architecture : les classes passent de 10 de 15, leur amplitude chute de 7 à 5
ans, les seuls régnicoles habitant en France peuvent souscrire, le revenu initial est compté sur
le pied du denier 14 (ce qui fait 21 l 8 s 5 d de revenus pour une « place » de 300 livres), sur
lequel une retenue d’une livre est opérée pour les frais d’administration. La durée de la
souscription est de quatre mois. On observe que la proposition est celle d’un taux d’arrérages
uniforme à travers toutes les classes, une absurdité qui avait été soulignée trente ans plus tôt.
Un projet d’édit suit, qui bouleverse une nouvelle fois et radicalement le montage que
nous venons de décrire, tout en actant le décès de Lorenzo Tonti :
D’abord, l’affaire dépassant les forces des enfants de Tonti, l’administration de
la tontine passerait dans les mains royales qui s’occuperaient de tout (« la faire
régir sous nos ordres et sous notre autorité immédiate ») : d’une gestion sous
la coupe de l’inventeur, on passe à une gestion par la puissance publique. Mais
pour cela, il convient de dédommager les enfants de toutes les pertes qu’ils ont
subies ainsi que des frais engagés par leur père (« leur conserver … telle part
que nous estimerons à propos, eu égard à la perte qu’ils ont faite et … et même
aux dépenses extraordinaires que leur père et eux ont fait depuis tant
d’années »). Ce dédommagement est immédiatement précisé : il leur sera
accordé la finance des trésoriers de chaque classe (« le prix qui proviendra de
la vente desdits offices tienne lieu aux enfants dudit Tonty du don que nous lui
avions fait »).
Ensuite, le projet d’édit se propose de tenir compte des âges des souscripteurs :
« les premiers mourants n’auraient pas été suffisamment récompensés de la
perte de leur capital, si leur revenu n’avait été payé qu’au denier vingt » ; de
ce fait, la rémunération devient progressive, selon des classes de 5 ans en 5
ans, allant du denier 18 pour les plus jeunes au denier 10 pour les vieillards, les
hausses s’échelonnant de deux classes en deux classes.
Enfin, c’est La Salle qui en serait le contrôleur général et, à sa mort, les enfants
Tonti hériteraient de ses droits, en auraient la survivance, et en attendant
bénéficieraient de la finance des trésoriers de chaque classe (art. 20 : « nous
avons accordé et fait don … aux enfants dudit défunt Sr Tonty de la finance qui
proviendra de la vente desdits offices, pour en disposer comme chose à eux
appartenante ».
Ce projet d’édit n’est pas concrétisé en tant que tel.
Une grande ressemblance dans les montages existe entre le projet le projet de tontine
proposé aux États du Languedoc 1 en 1677 et le projet de tontine de 1684 : dans le premier, il
existe déjà une gradation des taux d’arrérages selon des groupes d’âges de cinq ans en cinq
ans (mais la gradation ne commence qu’après l’âge de 25 ans et la structure hiérarchique du
taux des arrérages est particulièrement tassée et débute avec un premier taux très élevé). Le
projet de tontine de 1684 ressemble à la tontine de 1689 par trois caractères : des groupes
d’âges de 5 ans ; une gradation de taux d’arrérages de deux groupes d’âges en deux groupes
d’âges ; une tarification du même type (sans être identique). Mais ce projet diffère de la
première réalisation de 1689 par trois grands traits : une classe de plus dans le projet de 1684 ;
des sommes à collecter par classe et des taux d’arrérages proposés différents ; la souscription
possible pour les étrangers dans le projet de 1684 et non dans la première tontine de 1689. On
1 La Salle laisse entendre que Colbert voulait y mettre en œuvre une tontine à sa manière (voir note plus haut).
48
peut ajouter que la hiérarchie des taux, qui commence avec le denier 20 dans la création de la
tontine de 1689, met la première classe sous le taux du marché comme le démontre Hébrard
(p. 197) et participe certainement à l’échec relatif de cette tontine (en dépit des avis élogieux
du Mercure galant ou des encensements des intendants 1 qui sont assez rapidement plus
mesurés 2).
On peut donc dire que le dernier projet de Tonti, tel qu’il est présenté par de La Salle,
constitue l’original de la première tontine créée en France par Pontchartrain. Nous en voulons
pour preuve que certaines phrases dans les justifications de hiérarchie de taux sont presque les
mêmes dans le projet de 1684 et dans l’acte de création de 1689 3.
1 « On y court en foule et cela ne doit point surprendre puisqu’il est impossible de placer jamais de l’argent de
manière plus avantageuse. » (Mercure galant, 1689/12, p. 263). Monsieur de Séraucourt, intendant en Berry
écrit au Contrôleur général, le 17 décembre 1689 : « J’aurais peine à vous expliquer l’applaudissement qu’on lui
donne dans cette province. Tant pour l’intention (chacun présumant qu’il vivra plus que les autres et espérant
par-là parvenir à une grande fortune) que par la sagesse avec laquelle tous les cas qui peuvent tomber dans
l’imagination ont été prévus. L’empressement avec lequel tout le monde y portera ce qu’il a d’argent vous le
persuadera bien mieux que tout ce que je pourrais vous dire. » (Correspondance des contrôleurs généraux…,
lettre 820, p. 211). Le 28 novembre 1689, le Contrôleur général interdit aux Etats de Languedoc qui voulaient
lancer une tontine de le faire, « de peur que cette émission nuise à celle des rentes qui ont été créées à Paris »
(Correspondance des contrôleurs généraux…, lettre 835, p. 215). 2 M. Lebret, intendant en Provence, note que l’enthousiasme pour ce nouveau produit financier se calme assez
vite : « Il m’avait paru d’abord quelque chaleur pour cette nouvelle manière de se faire avec une bonne santé un
revenu considérable pour peu d’argent ;…des nouvelles … portent … que cette affaire n’a pas un si grand cours
à Paris qu’on s’était imaginé » (Correspondance des contrôleurs généraux…, lettre 839, p. 216). 3 En témoignent les deux citations suivantes : « Il ne serait pas juste que les jeunes gens, qui selon le cours de
nature doivent vivre plus longtemps et par conséquent jouir plus longuement de leur revenu en aient d’abord
autant que les vieux … » (Projet de 1684) à comparer avec « Il ne serait pas juste que les enfants et autres
personnes d’un âge robuste, qui selon le cours de nature doivent plus longtemps jouir desdites rentes… » (Arrêt
de création 1689). Comme le dit le Mercure galant (1689/12, p. 263) avec un délicat euphémisme : « Les
Ministres … la mirent par leurs lumières en état de perfection. »
49
Tableau 2 - Comparaison des montages du projet tontine du Languedoc (Tonti), du projet
de tontine de 1684 (Tonti et Chastelus) et de la tontine effective de 1689 (Pontchartrain)
Âges Projet tontine du
Languedoc 1677 Projet tontine 1684 Tontine effective 1689
Denier
Taux
d’intérêt Denier
Taux
d’intérêt Denier
Taux
d’intérêt
0 — 5 13 7,69 18 5,56 20 5,00
5 — 10 13 7,69 18 5,56 20 5,00
10 — 15 13 7,69 17 5,88 18 5,56
15 — 20 13 7,69 17 5,88 18 5,56
20 — 25 13 7,69 16 6,25 16 6,25
25 — 30 12 8,33 16 6,25 16 6,25
30 — 35 12 8,33 15 6,67 14 7,14
35 — 40 12 8,33 15 6,67 14 7,14
40 — 45 11 9,09 14 7,14 12 8,33
45 — 50 11 9,09 14 7,14 12 8,33
50 — 55 11 9,09 13 7,69 10 10,00
55 — 60 10 10,00 13 7,69 10 10,00
60 — 65 10 10,00 12 8,33 8 12,50
65 — 70/et plus 10 10,00 12 8,33 8 12,50
70 et plus 10 10,00
Sources : Le cabinet historique ; Hébrard p. 203 ; Édit de création 1689.
Il n’est pas exclu que ce soit la mort successive des deux promoteurs (en 1684, Tonti
est déjà décédé et La Salle a 71 ans) qui ait fini par enterrer l’affaire. Ce ne serait donc pas la
longue mémoire des services du Contrôle général qui aurait conduit à la redécouverte de la
proposition, mais l’activisme de Tonti et de son associé, puis successeur, durant toutes ces
années qui auraient porté l’affaire. Notons aussi que le Contrôle général des finances vient de
changer de titulaire avec l’arrivée, le 29 septembre 1689, de Louis Phélypeaux, comte de
Pontchartrain, à la place de Claude Le Peletier de Morfontaine qui vient de démissionner le 20
septembre. Enfin, après ce que nous soupçonnons du décès de La Salle, un certain « M. du
Perier 1 la présenta d’une nouvelle manière et quoy que ce fut toujours sur l’idée de Mr
Tonty, elle paru avoir entièrement changé de face et être beaucoup plus facile et plus
avantageuse ». (Mercure galant, 1689/12, p. 262). Le 22 novembre, Dangeau (Philippe de
Courcillon, 1638-1720, marquis de) note dans son Journal (p. 28) que le montage de la
1 Le prénom n’est pas cité. Mais nous observons parmi les premiers souscripteurs à la tontine deux patronymes
Perier (Mercure galant, 1690/3 p. 240 et 245) : ce ne peut être Charles du Perier (1632-1692, poète) qui prend
pour 1200 Livres (donc 4 parts), mais c’est M. du Perier (sans indication de prénom), qui prend pour lui et sa
famille, pour 3000 Livres (donc 10 parts), ce que le journal explicite : « C’est celuy dont je vous ay déjà parlé,
qui a travaillé à l’établissement de la Tontine ». Nous aurions tendance à penser à l’ancien laquais de Molière,
François du Mouriez du Perier (v.1650-1723), à ce moment-là (assez mauvais) comédien, sans doute déjà dans
diverses affaires ; un peu plus tard, il y révélera un vrai don, introduisant les pompes à incendie en France vers
1705, prenant des parts dans les fermes (Monval). On trouve aussi dans cette tontine le poète Boileau (1636-
1711, sous le nom de Boilleau-Despréaux pour 1200 Livres ; p. 240), le lieutenant-général des armées Catinat
(Nicolas Catinat de La Fauconnerie, 1637-1712) pour 1500 Livres, Vauban (Sébastien Le Prestre de Vauban,
1633-1707) pour 2100 Livres…
50
tontine est entièrement résolu et que le roi espère en tirer 12 à 15 millions (en réalité l’édit
vise 19,6 millions, dont seuls 3,6 millions seront levés, signifiant son échec financier -
Berthon & Gallais-Hamonno, p. 48) ; le 1er décembre, Dangeau note encore (p. 32) que l’édit
de création est publié et imprimé 1. Le titre de l’Edit est lui-même révélateur : Edit portant
création de 1 400 000 livres de Rentes Viagères sur l’Hôtel de Ville de Paris, qui seront
acquises suivant les différens âges portés par le présent Edit.
Illustration 12 - Louis II Phélypeaux de Pontchartrain, contrôleur des finances du 29
septembre 1689 au 5 septembre 1699, qui met en place la première tontine en France
Source : Robert Le Vrac de Tournières, Versailles, musée national du château et des Trianons
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Louis_pontchartrain.JPG
Sans doute choix délibéré de son auteur, Pontchartrain, de ne pas soulever la question
de la paternité de l’invention (ni de payer les finances associées au projet), la tontine de 1689
n’est jamais qualifiée ainsi et Tonti n’est mentionné nulle part 2 : l’Édit de création n’évoque
que des rentes viagères, insaisissables, et précise dans le sous-titre qu’il y aura
« accroissement de l’interest des mourans, au profit des survivans » ; l’Édit de création est
registré au Parlement le 1er décembre (Gazette du 10 décembre 1689), « en la Chambre des
Comptes et en la Cour des Aydes à Paris, au mois de décembre 1689 ». Les actes subséquents
(déclaration du 19 avril 1690, arrêt du 15 mars 1695) n’évoqueront pas plus Tonti et la
tontine.
1 Officiellement, l’Edit de création est « donné à Versailles au mois de novembre 1689 » sans plus de précision ;
l’Edit est « registré en Parlement, en la Chambre des Comptes & à la Cour des Aydes ». Certaines compilations
de textes juridiques datent l’acte du 2 décembre. 2 L’article Tontinen du Meyers Konversations Lexikon crédite Tonti, non d’avoir inventé la tontine, mais d’en
avoir lancé la première en France : « …Lorenzo Tonti, welcher zwar nicht ihr Erfinder war, aber 1689 die erste
Tontine in Frankreich einführte » (Lorenzo Tonti, qui n’était d’ailleurs pas son inventeur, mais celui qui a
introduit la première tontine en France en 1689).
51
Illustration 13 - Édit de création de la tontine de 1689, ne mentionnant pas le mot tontine
Le fait que ces textes officiels ne citent pas Tonti et n’évoquent pas son invention ne
trompe personne. Ainsi, le Mercure galant (1689/12 p. 260) rappelle que « ces rentes
viagères connues sous le nom de Tontine » constituent l’innovation de Tonti et note que l’on
« parle de cette affaire depuis vingt-sept ans, sans que jusques à présent on ait trouvé les
moyens de la mettre au point où elle est. » Ou bien, un grand commis de l’État, l’intendant en
Berry, de Séraucourt écrit à Pontchartrain en parlant du montage tontinier : « J’ai reçu l’édit
que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer, pour la création des rentes viagères sur l’Hôtel
de Ville que l’on appelle la Tontine royale… » (Correspondance des contrôleurs généraux…,
lettre 820, p. 211). De même, dans sa correspondance avec le Contrôle général, l’archevêque
de Lyon indique que l’édit de la tontine vient d’être publié, que le sieur Clémencet en sera le
receveur et il conclut que « beaucoup de personnes achèteront » (Archives Nat. 1689,
Généralité de Lyon (G7/355). Dès l’année suivante, une collection de textes juridiques,
imprimée par Frédéric Léonard, Premier Imprimeur ordinaire du Roi, et seul pour les
Finances, avec Privilège de Sa Majesté, 1690, reprend le mot Tontine dans sa page de titre :
« La Tontine ou Recueil de tout ce qui s’est fait pour les Rentes Viagères, créés sur l’Hostel
de Ville de Paris, par Édit du Roy du mois de Novembre 1689 » et, dans sa dernière page,
termine par un tableau synthétique intitulé « Calcul pour l’intelligence des rentes viagères,
sous le nom de la Tontine ». Visiblement, nul n’est dupe…
Pourtant ce n’est que lors du lancement de la seconde tontine, en 1696, que l’édit
de création fera mention de la forme tontinière et réparera « l’oubli » de l’édit de 1689 :
d’abord dans le titre Édit du Roy portant création de nouvelles rentes viagères, dites la
Tontine et immédiatement après, le texte fait référence à la première tontine : « rentes
viagères, dites rentes de la Tontine créées par notre Édit du mois de novembre 1689 ». Une
fois l’habitude prise, les textes officiels y font référence sans difficulté comme dans
l’Arrêt du Conseil d’État du Roi qui porte règlement pour le mode de paiement des rentes
viagères, dite Tontines, dans les provinces et généralités du royaume du 10 octobre 1702,
dans lequel non seulement, le mot tontine apparaît dans le titre, mais encore un peu plus
loin, puisque le texte parle de « rentes viagères, dites tontines, constituées … en vertu de
l’édit de novembre 1689 ». La messe est dite…
52
Illustration 14 - Édit de création de la tontine de 1696, mentionnant la tontine de
novembre 1689
Épilogue
Le factum de 1684 s’ouvre sur les mots : « La tontine royale est une affaire qui fut
inventée en l’année 1652 par le défunt Laurens Tonti » (Hébrard, p. 181), laissant entendre
que Tonti est décédé cette année-là ou avant. Or ce n’est que quatre ans plus tard que trois des
enfants qu’il a eu avec Isabelle de Liette, Nicolas et Louis de Tonty, écuyers, et leur sœur non
mariée Anne-Marie de Tonty, fille majeure en pleine possession de ses droits, habitant
ensemble rue de Verneuil, paroisse Saint-Sulpice, à Paris et comparaissant le 5 janvier 1688
devant le notaire Pierre de Clersin et Nicolas Lefranc, déclarent renoncer à la succession de
leur père Laurent de Tonty, gentilhomme romain, baron de Paludy, la succession étant « plus
onéreuse que profitable ». Ils jurent n’avoir pas touché aux biens de la succession.
(http://www.fichierorigine.com/dossiers/243958.pdf). Un peu plus tard, lorsque la première
tontine royale est lancée à l’instigation de M. du Perier, un développement du Mercure
galant, de décembre 1689, p. 261, confirme sa mort en évoquant « feu Mr Tonty qui proposa
la création de rentes viagères sous le nom de Tontine ».
A l’époque, Laurent Tonty n’est pas oublié – ce qui dément quelque peu la citation
initiale de notre article - , puisque le luthiste Robert de Visée (1660-1732), musicien de
chambre de Louis XIV (1680), maître de guitare du Dauphin (1682), puis du Roi (1695), lui
dédie un hommage funèbre (ce que l’on appelle un tombeau), le tombeau de Tonty, une pièce
de guitare transposée au luth, non datée (Rollin, p. 75). Une autre pièce de luth des Gallot
53
(sans doute de Jacques Gallot, mais il existe aussi Alexandre Gallot dit Vieux Gallot d’Angers
et Pierre Gallot dit Gallot le jeune), s’intitule La tontine, « une courante, dixième
inemployée », en fa mineur (Rollin).
Illustration 15 - Tombeau de Tonty par Robert de Visée ; pièce pour luth en A mi la
tierce mineure, transposée de la guitare
Source : Rebours
La vie de Tonti est tout à fait extraordinaire, mais en même temps assez typique de
celle des projecteurs de son temps 1. Qu’on y songe ! Sorti des classes les plus pauvres,
humble mais hâbleur, il prend le nom d’un autre, il utilise son intelligence pour s’immiscer
dans des querelles qui lui sont étrangères, il y fait son argent, sa puissance, son pouvoir.
Quand sa première expérience s’écroule, il arrive par son entregent à se faire accepter à
l’étranger, et il profite de ce qu’il a vu dans sa patrie, pour en proposer un schéma d’une tout
autre ampleur, sur lequel lui et ses protecteurs se font quelques illusions. Les idées lui
viennent facilement et les projets se multiplient. Pourtant aucun de ces projets ne sera mené à
son terme et ce ne sera pas de sa faute. Quand Tonti meurt « inconnu, plus malheureux, plus
1 Dans ce portrait du donneur d’avis, on croit voir Tonti à l’œuvre. « Ils se glissent dans les antichambres, usent
les seuils des administrations publiques et tiennent des conversations mystérieuses avec des femmes galantes.
Leur aujourd’hui est misérable ; mais leur demain est plein de promesses et de lumière. Ils sont intelligents,
mais ont plus d’imagination que de jugement.… L’avis qu’ils donnent résume leur idée d’aujourd’hui : pour la
communication de leur avis, pour la vente de leur idée ils obtiennent une rémunération qui s’appelle droit
d’avis. … On nous les décrit comme des gens inquiets, toujours aux aguets, toujours en éruption, comme des
gens au regard perçant, aux doigts crochus, faisant toujours la chasse aux thalers. On trouve dans leurs rangs
des inventeurs méconnus, des romantiques de l’action, des banqueroutiers coiffés de chapeaux aux larges bords,
des bohèmes qui se sont évadés du milieu bourgeois et qui voudraient bien y rentrer, des gens audacieux et
pleins de ressources qui grignotent leur croûte de pain dans le coin d’une rôtisserie, dans l’attente de la dupe à
écorcher, des aventuriers malpropres qui finissent leurs jours sur le fumier de la rue ou dans la peau d’un grand
financier. » Sombart, p. 46.
54
pauvre que quand il vint en France » (Merger, p. 19), tout dans sa vie semble un échec, à
l’image des projeteurs de haute fantaisie de l’époque : sa révolution napolitaine a fait long
feu ; ses multiples projets se sont révélés des chimères ; il a acclimaté en France l’idée d’une
loterie, mais celle-ci n’a pas eu l’occasion de fonctionner ; enfin, sa grande idée, la tontine,
connaît de multiples expériences, à petite échelle, dans les pays étrangers, et sans qu’il y soit
intéressé, mais non dans le pays dans lequel il habite, l’a proposée pour un grand montage et
où il espérait faire fortune.
Tonti apporte en France deux choses qui, si elles existent déjà sous une forme ou une
autre en Italie, constituent des innovations dans ce pays : la loterie et la tontine. Dans le cas de
la loterie, déjà expérimentée en France, mais jamais envisagée pour la réalisation d’un édifice
public, l’aléa est celui du tirage ; dans la tontine, l’aléa est celui de la mortalité, et ceci
doublement : la mortalité des autres, sa propre mortalité. La tontine est une loterie sur la vie,
un jeu de la mort et du hasard, une sorte de loterie funèbre. Mais tant dans la loterie que dans
la tontine, l’aléa peut conduire à la fortune 1. Or ce lien est déjà observé dans l’Encyclopédie
méthodique, Finances, à l’article « Tontine » (p. 705) qui énonce qu’il s’agit d’une « espèce
de rente, qui a pris son nom de Laurent Tonti, Napolitain, qui, le premier, proposa cette sorte
de loterie en France, en 1653 ».
A sa mort, Tonti a un seul succès à son actif – et il n’est pas mince -, celui d’avoir fait
passer son nom à la postérité 2 dans l’arrangement financier qu’il a exposé, un montage qui
aujourd’hui encore porte son nom et qui a fait rêver des milliers de gens à la fortune dans
leurs vieux jours.
1 « On dit d’une personne qui a mis sur un vaisseau ou à la Tontine, qu’elle est riche en espérance ». Mercure
de France, février 1725, p. 255. 2 Encore que cette postérité tarde à enregistrer ce mot. On comprend bien que le Nouveau dictionnaire de
Richelet (1694) prétende que « ce mot est nouveau », car la première tontine n’a que cinq ans ; il est toutefois
surprenant que, plus de cinquante ans après la première réalisation, et après avoir donné l’historique des tontines
qui se sont multipliées depuis, tant le Dictionnaire de Trévoux en 1740 que le Dictionnaire Oeconomique de N.
Chomel, dans son édition lorraine de 1741, reprennent la même affirmation…
55
Bibliographie
Ammirato Sc., Des finances militaires. Discours onzième, in Discours politiques et
militaires sur Corneille Tacite, J. Cailloué, 1642 [original à Florence en 1594].
Arnauld H., Négociations à la cour de Rome, et en différentes cours d’Italie, T. V,
S.l., 1748.
Babelon J-P. Israël Silvestre, Vues de Paris n°94, Berger-Levrault. Paris. 1977.
Bacqueville Cl-Ch. (de la Potherie), Histoire de l’Amérique septentrionale, T. 2,
Brocas, Paris, 1753.
Bazin A., Histoire de France sous Louis XIII et sous le ministère Mazarin, volume 3,
Chamerot, Paris, 1846
Beausobre L., Introduction générale à l’étude de la politique, des finances et du
commerce, Tome 3, B. Le Francq, Bruxelles, 1791.
Béguin K., Financer la guerre au XVIIe siècle, Champ Vallon, 2012.
Béguin K. et Pradier L-Ch., Emprunt souverain et vulnérabilité financière de la
monarchie d’ancien régime. Tout s’est-il joué sous Louis XIV ?. 2011. hal-00623931
Belmonti Riminese P., Genealogia dell’antica famiglia detta delle Caminate, de’
Belmonti, e de’ Ricciardelli, nella stamperia del Simbeni, Rimino, 1671.
Blanchard G., Compilation chronologique contenant un recueil en abrégé des
ordonnances, edits declarations et lettres patentes des Rois de France, qui concernent la
justice, la police, & les finances, avec la datte de leur enregistrement dans les greffes des
compagnies superieures, depuis l’année 987 jusqu’à present. Tome 2, Vve Moreau, Paris,
1715, p. 2065-2066.
Bouillet M.-N., Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts. T 2,
Hachette, Paris, 1854 (article « Loterie » p. 960 et article « Tontine », p. 1646).
Boni S., Gaeta nello splendore della sua nobiltà e i suoi governatori, Istituto
poligrafico e Zecca dello Stato, Libreria dello Stato, 2008.
Bouman F.J.A., The Rosca: Financial Technology of an Informal Savings and Credit
Institution in Developing Economies. Saving and Development, 3, 1979.
Bujon P., Petite histoire de Paris, C. Marpon et E. Flammarion, Paris, 1887.
Cantù C., Storia degli italiani, Unione tipografico-editrice, Torino, 1874.
Capasso B., La casa e la famiglia di Masaniello, Giannini, 1919.
Capecelatro F., Diario di Francesco Capecelatro contenente la storia delle cose
avvenute nel reame di Napoli… G. Noblile, Napoli, 1853.
Catherwood M., The Story of Tonty, Mc Clurgh and Co, Chicago, 1889.
Charpentier F., Carpentariana ou Recueil de pensées historiques, critique, morale, et
de bons mots par Monsieur Charpentier de l’Académie françoise, A Amsterdam, 1741.
Chéruel A., Mémoire sur la vie publique et privée de Fouquet, Charpentier, Paris,
1862.
Chéruel M.A., Lettres du Cardinal Mazarin pendant son ministère, T. 2, Imprimerie
Nationale, Paris, 1877.
56
Chomel N. Dictionnaire oeconomique, contenant divers moyens d’augmenter son bien
et de conserver sa santé. Chez Henry Thomas. Commercy. 1741.
Coniglio G., Il viceregno di Napoli nel sec. XVII : notizie sulla vita commerciale e
finanziaria secondo nuove ricerche negli archivi italiani e spagnoli, Ed. di Storia e
Letteratura, 1955.
Corblet abbé J., Étude historique sur les loteries, Librairie archéologique de Charles
Blériot, Paris, 1861. ark:/12148/bpt6k937557d
Coudy J., La « tontine royalle » sous le règne de Louis XIV, Revue historique de droit
français et étranger, 1957, p. 127-47.
Coudy J., La « tontine royalle » sous le règne de Louis XV, Revue historique de droit
français et étranger, 1959, p. 326-340.
Dangeau P. de Courcillon, Journal du maquis de Dangeau, Tome 3, Firmin Didot
fères, Paris, 1854.
Delamare (de la Mare) N., Traité de police, vol. 1, L.III, Titre IV, Chap. VII. Jean et
Pierre Cot, Paris, 1707.
Deparcieux A. Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine (1746) ;
Addition à l’Essai (1760) ; INED, Paris, 2003.
Depping G.-B., Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, entre le
cabinet du Roi, les secrétaires d’État, le chancelier de France et les intendants et
gouverneurs de province.... T. 3, Affaires de finances-Commerce-Industrie / recueillie et mise
en ordre par G. B. Depping, p. 17-22, Imprimerie nationale, Paris, 1850-1855.
Donzelli G., Partenope liberata o vero Racconto dell’heroica risolutione fatta dal
popoplo di Napoli…, Beltrame, 1647.
Duplomb C., La rue du Bac : monographie parisienne, J. Mersch, Paris, 1894.
Edict du Roy pour la création de la Société de la Tontine Royale. Bouilleret, Jermie,
Imprimeur. Novembre 1653.
Encyclopédie méthodique, Finances, Tome Troisième, Panckouke, Paris, 1787, p.705-
708.
Faucheux L. Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment l'oeuvre d'Israel
Silvestre : précédé d'une notice sur sa vie. Renouard, Paris. 1857.
Feillet Alph., La misère au temps de la Fronde et Saint Vincent de Paul, Didier et Cie,
Paris, 1862.
Félibien M., Histoire de la ville de Paris, Vol. 1, Guillaume Desprez et Jean
Desessartz, Paris, 1725.
Fonds Gaignères, fol. 398, Le Cabinet historique, Revue, p. 211, H. Menu, Paris, 1862.
Fosseyeux M., L’Hôtel-Dieu de Paris au XVIIe et au XVIIIe siècle. Paris et Nancy,
Berger-Levrault, 1912.
Fouquet N., Défenses. 14 volumes in-12, 1665-166
Fréart de Chantelou P., Journal du voyage du cavalier Bernin en France ; ms. inédit
publ. et annoté par Ludovic Lalanne, Gazette des beaux-arts, Paris, 1885.
Fuidoro I. Cammarota M.R., Successi historici raccolti dalla sollevatione di Napoli
dell’anno 1647, F. Angeli, 1994.
57
Gallais-Hamonno G., L’extraordinaire modernité technique du « Grand Parti de
Lyon » de 1555, Colloque AFFI, Poitiers, 15 mars 2006.
Gazette, Recueil des gazettes ; nouvelles ordinaires et extraordinaires. Relations et
récits des choses advenues tant en ce royaume qu’ailleurs, pendant l’année mil six cent
soixante quatre, Paris, 1665. (12 janvier 1664, p. 48).
Gravier G., Découvertes et établissements de Cavelier de la Salle de Rouen dans
l’Amérique du Nord, Maisonneuve & Ce., 1870.
Grosse H., Assekuranz Jahrbuch, vol. 9, Verlag für Recht und Gesellschaft, Vienne
1888.
Hald A., A History of Probability and Statistics and their Applications before 1750,
Wiley, New York, 1990.
Hassoun J-P., Des patrons « chinois » à Paris. Ressources linguistiques, sociales et
symboliques, Revue française de sociologie, Année 1993 34-1 pp. 97-123
Hébrard P., Les tontines et rentes viagères de la monarchie française, de leur création
sous Louis XIV à leur liquidation par la convention nationale, Thèse, Paris, 2017.
Hennequin ALM. et Emmery H-N., Choix de plaidoyers de MM. Hennequin et
Emmery. impr. de Rignoux, Paris, 1824.
Hozier de Sérigny L-P., Armorial général de France, vol. 1 ; vol. 5 ; Collombat, Paris,
1764.
Hübner J., Curiöses und reales Natur-Kunst-Berg-Gewerck- und Handlungs Lexicon,
J. F. Gleditsch, Leipzig, 1755. Hugon A. Naples insurgée. 1647-1648. De l’événement à la mémoire. Presses
universitaires de Rennes. Rennes. 2011.
Insinuations (3 mars 1651 - 10 mars 1654). Chatelet de Paris. Y//188-Y//190.
Inventaire analytique. Par E. Campardon, Ch. Samaran, M.-A. Fleury et G. Vilar. Archives
nationales (France). Pierrefitte-sur-Seine XIXe siècle.
Jack A.F. An Introduction to the History of Life Insurance. E.P. Dutton. New-York.
1912.
Jennings A. et Trout R., The Tontine: Fact and Fiction, The Journal of European
Economic History, pp. 663-670, 3-1976.
La Revue franco-américaine, T. VIII, n°1, Montréal, 1911.
Laloy E., La Révolte de Messine — L’Expédition de Sicile et la Politique Française en
Italie, 3 vols., Paris, 1929-1931, Vol. I, pp. 406-408.
Lauvray M., Histoire des tontines, [S. l.], 2000.
Le Cabinet historique : revue... / sous la direction de Louis Paris, H. Menu (Paris),
T8, part. 2, 1862.
Lachâtre M., Nouveau dictionnaire universel. Tome second, Docks de la librairie,
Paris, 1865-70.
Le Marié d’Aubigny J., Inventaire chronologique des ordonnances et règlements
concernant les émissions de rentes 1722-1755, A.N. KK939. 1755.
58
Les Chroniques de Languedoc, Revue du midi historique, archéologique, littéraire et
bibliographique, Volume 5, Aux Bureaux d’Abonnement des Chroniques de Languedoc,
1879.
Legras Th., Académie universelle des jeux, Paris, 1725.
Lorraine H. de, (duc de Guise), Mémoires du duc de Guise, Collection des mémoires
relatifs à l’histoire de France. 55, t. I, Foucault, Paris, 1826.
Lorraine H. de, (duc de Guise), Suite des mémoires d’Henry de Lorraine duc de Guise,
M. David et G. Crevier, Paris, 1687.
Magry P., Mémoires inédits pour servir à l’histoire de la France dans les pays
d’outre-mer…, Challamel, Paris, 1867.
Miceli di Serradileo A., Ribelli e fuggitivi napoleatani a Roma nel 1648 nei dispacci
diplomatici francesi. https://idocslide.org/document/ribelli-e-fuggitivi-napoletani-a-roma-nel-
1648-nei-dispacci-diplomatici-francesi.
Mumms J. & Richards P., Aspiration, Representation and Memory: The Guise in
Europe, 1506-1688, Routledge, 2016
McNeil E., Tonty of the Iron Hand. A Tale of the Adventures of Tonty and La Salle,
written for Boys and Girls, Dutton and Cy, New York, 1925.
Mélanges Colbert 108, Correspondance de Colbert d’avril-mai 1662. Fol 44.
Mélanges Colbert 114, Correspondance de Colbert de janvier-février 1663. Fol 353,
354, 19 janvier 1663.
Mélanges de Colbert 115, Correspondance de Colbert de janvier-février 1663. Fol 39.
Mélanges de Colbert 117 bis, Correspondance de Colbert d’octobre 1663. Fol 750.
Mélanges de Colbert 122, Correspondance de Colbert de juillet 1664. Fol 374, 375.
Mélanges de Colbert 125 bis, Correspondance de Colbert de novembre 1664. Fol 727,
27 novembre 1664.
Mélanges de Colbert 130, Correspondance de Colbert de juin 1665. Fol 446, 27 juin
1665.
Mélanges de Colbert 131 bis, Correspondance de Colbert de août-septembre 1665.
Fol 827, 31 août 1665.
Mélanges de Colbert 137 bis, Correspondance de Colbert de mai 1666. Fol 884, 885,
22 mai 1666.
Mélanges de Colbert 171, Correspondance de Colbert de mars-mai 1675. Fol 29.
Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais. L’expédition du Duc de Guise à
Naples. Lettres et instructions diplomatiques de la Cour de France (1647-1648), T.13,
Gatineau libraire (Orléans) et Dumoulin libraire, Paris, 1875.
Mercure Galant, Paris, 1679/6, p. 62-65, 1689/09, p. 26 ; 1690/03, p. 246 et 1690/11,
p. 259 ; 1690/11, p. 288 ; 1698/11, p. 114 ; 1701/01, p. 80.
Merger C.B., Des assurances terrestres ; traité théorique et pratique, T1, Cotillon,
Paris 1858.
Milevsky M., King William’s Tontine: Why the Retirement Annuity of the Future
Should Resemble its Past, Cambridge University Press, 2015.
59
Modène E. R. (de Mormoiron), Mémoires du comte de Modène, sur la Révolution de
Naples de 1647. Tome 2 / 3e édition publiée par J.-B. Mielle, Pélicier et Chatel, Paris, 1827.
Monval G., Le laquais de Molière, Tresse & Stock, Paris, 1887.
O’Donnell T., History of Life Insurance in Its Formative Years, American
Conservation Company, 1936.
Paganucci J., Manuel historique, géographique et politique des négocians, ou
Encyclopédie portative de la théorie et de la pratique du commerce..., J.-M. Bruyset, Lyon,
1762.
Par une société de gens de lettres et de savants, Biographie universelle, ancienne et
moderne, Tome 46, chez L.G. Michaud, Paris, 1826.
Parish J.C., The Man with the Iron Hand, Houghton Mifflin Cy, New-York, 1913.
Pastoret A. (comte de), Le duc de Guise à Naples ou mémoires sur les révolutions de
ce royaume en 1647-48, Ladvocat, 1825.
Patin G., Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc
Capron. Bibliothèque interuniversitaire de santé, Paris, 2018. – Lettre de Guy Patin à Charles
Spon, le 18 janvier 1658. http://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=imprn&let=0513
Pocock L., A Familiar Explanation of the Nature, Advantages and Importance of Life
Insurance, Smith, Elder and Company, 1842.
Priorato G.G., Histoire du Ministère du Cardinal Mazarin, vol. 2, chez Sébastien
Mabre-Cramoisy, Paris, 1672.
Racan H. de, Histoire des tontines, lotteries et blanque royale, 58-87 in Sauval H.,
Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, T. 3, Paris, 1724.
Ravaisson F., Archives de la Bastille, documents inédits, vol. 7, A. Durand et Pedone-
Lauriel, Paris, 1874.
Rebours G., Robert de Visée, Index thématique et tableau de concordances. Éditions
Symétrie, Lyon 2001.
Retz (Gondi, P. de), Œuvres du Cardinal de Retz, T. 8, Hachette, Paris, 1887.
Richelet P., Nouveau dictionaire francois: contenant generalement tous les mots, les
matieres, et plusieurs remarques sur la langue françoise ..., chez Jean François Gaillard,
Cologne, 1694.
Revue nobiliaire, héraldique et biographique, publiée par M. Bonneserre de St-Denis,
T.7, Dumoulin, Paris, 1872.
Roergas de Serviez A-E., Histoire de Colbert, Debécourt, Paris, 1842.
Rollin M., Les tombeaux de Robert de Visée, Bulletin de la Société d’étude du XVIIe
siècle, Société d’étude du XVIIe siècle, Paris, 1953, (3).
Rollin M.( rédacteur), Gallot J., Œuvres des Gallot, (Partitions musicales), Éditions du
Centre National de la Recherche Scientifique, 1987.
s.n., Collection des procès-verbaux des Assemblées-générales du Clergé de France
depuis l’année 1560 jusqu’à présent, Tome quatrième, Guillaume Desprez, Paris, 1770.
s.n., Nieuwe vaderlandsche bibliotheek, van wetenschap, kunst en smaak, Bruyn,
Amsterdam, 1797.
60
s.n., Meyers Konversations Lexikon, Fünfte Anlage, Sechzehnter Band,
Bibliographisches Institut, Leipzig und Wien, 1897.
Saint-Simon L., (1675-1755) ; de Rouvroy, duc de), Mémoires complets et
authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence. T. 10 / Hachette,
Paris, 1857.
Santis T. de, Historia del tumulto di Napoli, T. 1, Leyden, 1652.
Savary des Bruslons J., Dictionnaire universel de commerce, T. 3, article « Tontine »,
Vve Estienne, Paris, 1741.
Schiavo G., Four Centuries of Italian-American History, Center for Migration Studies,
New York, 1992.
Semprini G., La politica del Mazzarino durante i moti napolitani, Genova, 1934.
Siri V., Il Mercurio: overo historia de’ correnti tempi, vol. 10, per Christoforo della
Casa, 1668.
Serradileo A di. Ribelli i figgitivi ribelli e fuggitivi napoletani a roma nel 1648 nei
dispacci diplomatici francesi.
https://www.academia.edu/37204417/RIBELLI_E_FUGGITIVI_NAPOLETANI_A_ROMA
_NEL_1648_NEI_DISPACCI_DIPLOMATICI_FRANCESI
Sombart W., Le bourgeois, Payot, Paris, [1913], 1966.
Spreti V., Enciclopedia Storico Nobiliare Italiana, vol. VI, p. 192 et 198 et vol. VIII p.
627 et 730, Forni, 1928.
Stevenson R.L. and Osbourne L., The Wrong Box, Longmans, Green & Co, London,
1889 [Le mort vivant, Perrin, Paris, 1905].
Sturz J.J., A review, financial, statistical and commercial, of the empire of Brazil and
its resources…, Londres, 1837.
Sulte B., Les Tonty, Canada, s.n., 1893.
Thiveaud J-M., Aux origines de la notion d’épargne en France : ou du Peuple-
prévoyance à l’État-providence (1750- 1850), Revue d'économie financière. Année 1997. 42.
pp. 179-213
Tonti L., Avis présenté au Roi par Laurent Tonti, où il expose son invention de la
tontine ; 1652, Ms Godefroy 130 / Fol. 135.
Tonti L., Edict du roy pour la création de la société de la tontine royalle, avec un
Advis touchant l’establissement d’icelle et les advantages généraux et particuliers qu’elle
produira. Avec les raisons qui doivent oster aux interessés en icelle toute crainte de voir
jamais divertir les fonds destinés au payement de leurs revenus. A Paris : chez Pierre Le Petit,
Imprimeur & libraire ordinaire du Roy, rüe S. Iacques, à la Croix d’Or. M.DC.LIV. Avec
privilege du roy, 1654, 31 p.
Relation de la conduite présente de la cour de France : adressée à un Cardinal à
Rome par un Seigneur Romain de la suite de son éminence Monseigneur le Cardinal Flavio
Chigi, légat du saint siège vers le roy très chrestien; traduite d’Italien en François, Leyde :
chez Antoine du Val, 1665 ; Seconde Edition. Reveuë, & corrigée par le Traducteur, &
purgée de plus de fautes, & erreurs grossieres, & obmissions considerables, qu’il n’y avoit de
pages, en la premiere edition furtivement faite à Leyde Cologne : Neelson, 1665.
61
Tonti H., Dernières découvertes dans l’Amérique septentrionale de M. de la Salle ;
mise au jour par le chevalier de Tonti, J. Guignard, Paris, 1697.
Tutini C. & Verde M., Racconto della sollevatione di Napoli accaduta nell’anno
MDCXLVII, (a cura di Pietro Messina). Istituto storico italiano per l’età moderna e
contemporanea, Roma, 1997.
Vitelli P., Enrico Tonti (Gaeta, Italia, 1647-Mobile, Alabama, USA, 1704) padre
dell’Illinois, dell’Arkansas e della Louisiana signore per venti anni della valle del
Mississippi, La città del sole, Napoli, 2004.
Wagenvoort H., Tontines. Een onderzoek naar de geschiedenis van de lijfrenten bij
wijze vall tontine en de contracten van overleving in the Republiek der Verenigde
Nederlanden, Thèse, Utrecht, 1961.
Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les intendants des
Provinces. Tome premier, 1683 à 1699. Publ. par ordre du Ministre des finances, d’après les
documents conservés aux Archives nationales, par A. M. de Boislisle, Imprimerie nationale,
Paris, 1874.
Dictionnaire universel françois et latin contenant la signification et la définition tant
des mots de l’une et l’autre langue, avec leurs différents usages, que des termes propres de
chaque état et de chaque profession, communément appelé « Dictionnaire de Trévoux », chez
Pierre Antoine, Nancy, 1740 (vol. 6)
Journal d’un bourgeois de Caen : 1652-1733, Woinez, Caen, 1848.
Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés d’après les ordres de l’Empereur,
sur la proposition de Son Excellence M. Magne, Ministre secrétaire d’état des finances, T.1,
Imprimerie impériale, Paris, 1861.
Meyers Konversations Lexikon, Fünfte Anlage, Sechzehnter Band, Bibliographisches
Institut, Leipzig und Wien, 1897.
62
Annexes Illustration 14 – Tableau de Testelin : Colbert présente à Louis XIV les membres de
l’Académie royale des sciences en 1667
https://www.histoire-image.org/fr/etudes/colbert-presente-louis-xiv-membres-academie-royale-sciences
Illustration 15 - Gravure de Thibault, d’après le tableau de Testelin
https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/en/museum/mne/fondation-de-l-observatoire-1669-colbert-presente-au-roi-les-membres-de-
l-academie-des-sciences/55eb920a-8cf7-4a7e-9b87-62210112cac9