Dieu en Question- Antoine Giacometti
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Antoine giacomettidimanche 23 octobre 2011
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Connaissance exprimentale et connaissance
rationnelle. Ltre ne va pas de soi.
Lchec des preuves mtaphysiques de Dieu
napporte pas la preuve contraire.On ne voit quune incertitude qui ne tienne pas celle dun fait:
cest lincertitude o nous sommes quant lexistence de Dieu. L rside
la diffrence, que je qualifiais dessentielle. entre cette incertitude, dun
type absolument unique, et les autres types de conjectures auxquels nous
avons faire. Tout autre type concerne une ventualit dont nous pensons
quelle est plus ou moins probable, ou, si nous ne pouvons apprcier son
degr de probabilit, comme cest le cas dans des jeux de hasard, quelle
a des chances de se produire, que sa ralisation est possible. Mais Dieu
nest pas possible, ou ventuel ou probable, non plus que vraisemblableou plausible. Dieu est ou bien il nest pas, dit Pascal, et quil soit ou
ne sait pas. cela ne dpend pas dune relation causale ou dune conjonc
ure de hasard. Sil esi, il est de toute ternit, prexistant tout; et sil
nest pas, il ne sera produit par rien, il ne sera jamais. Quand Pascal
dclare quil faudrait parier pour Dieu alors quil y aurait une foule de
hasards de perte et un de gain, il a en vue limmense intrt du joueur, il
pense lexceptionnel enjeu du pari. Mais il ny a pas plus de hasards
dun ct que de lautre et il ne peut y en avoir plus; il y a pareil hasard
de gain et de perte, ajoute Pascal. Cest seulement notre esprit qui se
partage sur la seule question dont la rponse doive tre donne sans que
lon ait attendre du monde aucune lumire dcisive. On ne parie paspour ou contre lexistence de Dieu, comme le veut un commentateur du
pari, en jugeant de sa possibilit relle daprs des conditions objec
tives qui nous la feraient dabord admettre ou refuser de ladmettre.
Lexistence de Dieu nest pas lie un principe dterministe. Elle nest
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pas tributaire dune incertitude. Lincertitude nest quen nous, et cest en
nous uniquement que nous trouverons nous dcider pour lun ou lautre
parti. En nous, mais non dans notre raisonnement.
24 !RtIIt PARTIE
De quel ct pencherez-vous? demande Pascal. Il est difficile de
vaincre la rpugnance quon prouve reconnatre que la raison ne sau
rait nous faire pencher dun ct ou de lautre. Pascal Liii plus que le
reconnatre: il en convient. il y consent avec une humilite qui craselhomme. Le fini sanantit en prsence de linfini, et devient un pur
nant. Ainsi notre esprit devant Dieu... Sil y a un Dieu, il est infiniment
incomprhensible, il na nul rapport nous... Et. sans doute, Pascal ne
sen tient pas l. Ce quil veut, avec tant dautres, cest nous mener a la
rencontre dun mdiateur qui ouvre vers Dieu la seule voie possible.
celle de la prire, de lamour. Ne considrons que son refus dentrer
dans les raisons des philosophes, refus qui se fonde sur ce quelles
demeureraient inutiles et striles niine si elles pouvaient atteindre
leur but, qui est de prouver et dexpliquer. Quand un homme serait per.
suad que les proportions des nombres sont des vrits ternelles, et
dpendantes dune premire vrit en qui elles subsistent, et quonappelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avanc pour son salut.
Mais ce nest pas seulement pour le salut que les raisons des philosophes
sont inutiles; elles le sont aussi en ce quelles sadressent lintelli
gence. car elles ne persuadent pas tout le monde, et ceux quelles per.
.suadent ne sont gure assurs dans leur conviction. Les preuves de
Dieu mtaphysiques, crit Pascal, sont si loignes du raisonnement des
hommes, et si impliques, quelles frappent peu: et quand cela servirait
quelques-uns, ce ne serait que pendant linstant o ils voient cette
dmonstration, mais une heure aprs ils craignent de stre tromps.
Inutiles et striles: en qualifiant ainsi les preuves de Dieu nita
physiques, Pascal songeait moins aux preuves mmes qu la prtentionde leurs inventeurs, quand ils assurent quelles sont assez claires pour
entraner la foi: carde l assurer que la foi ne peut natre si Dieu nest pas
dabord dmontr, il ny a quun pas, qui est franchi par le plus grand des
contemporains de Pascal, le philosophe du doute mthodique, et cela dans
la ddicace quil fait de ses Mditations aux docteurs et thologiens de
Sorbonne: Jai toujours estim, crit-il, que les deux questions de Dieu et
de lme taient les principales de celles qui doivent plutt tre dmontres
par les raisons de la philosophie que de la thologie: car bien quil nous
suffise, nous autres qui sommes fidles, de croire par la foi quil y a un
Dieu et que lme humaine ne meurt point avec Ie corps, certainement il ne
semble pas possible de persuader aux infidles aucune religion... si premirement on ne leur prouve ces deux choses par raison naturelle2.
Il y a videmment des relations entre la raison et la foi. Sil ny en
avait pas. cc serait parce que la foi apparatrait comme draisonnable, et
alors elle ne se soutiendrait plus, on naurait pas de question poser sur
Dieu ni sur lme. Il y a entre elles des relations mme si le croyaru se
refuse discuter sa foi, car il ne la considre pas pour autant comme
draisonnable, il estime seulement que la raison nc peut en rendre
compte: opinion encore errone si on la pousse trop bm, la raison tant
du moins capable dtayer la foi l o elle existe. Lerreur est dc penser
quil lui appartient de convaincre premirement et quelle y suffit,quelle vient donc avant la foi comme ce qui la dtermine, alors que la
raison ne peut fournir quun certain appui intellectuel la foi quand
celle-ci est dj ne de son popre mouvement, de sa libre initiative. En
fait, des millions dhommes ont choisi dc croire un Dieu qui vivifie et
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qui sauve, mais je ne sache pas que personne se soit persuad de lexis
tence de Dieu par les raisons de la philosophie. Dire que la foi est
raisonnable. Cest dire que la raison peut saccorder avec elle: que lacte
de foi, qui est tout irrationnel, tant accompli, on trouve aussi des rai
sons de croire. Mais on ne peut dire plus. Un croyant retrouvera Dieu
dans les preuves quon lui propose: tre ncessaire, parfait, etc. Celui
qui ne croit pas dabord en lui, ny verra rien qui le persuade.
. . *
On ne sassure pas de lexistence de Dieu par les seuls moyens delintelligence, et cela ne devrait pas scandaliser ni tonner. Combien y
a-t-il peu de choses dmontres! scrie Pascal. Pour lui, on ne connat
bien une chose que si on en connat la nature, mais il ajoute quon peut
bien connatre lexistence dune chose sans connatre sa nature. Quest
ce donc que connatre la nature dune chose? Il ne me sert rien, par
exemple, de me mettre en titmoire les raisonnements et les figures dun
thorme si je ne les comprends pas. La nature dun thorme est dire
une signification: la mmoire ne retient que des signes. el jaurais beau
avoir appris ceux-ci trs exactement, je resterais hors de la ralit intel
ligible quils signifient.
Il nest pas dc la nature de Dieu dtre dmontrable, explicable oucomprhensible. Dieu na pas tre dmontr, expliqu ou compris
parce quil est autre chose quune ralit intelligible, ou une ide. Sil
est, je ne le connatrai que dans une participation personnelle et par
union de mon tre au sien. Par la gloire nous connatrons sa nature,
dit Pascal. Notre condition dhomme dans le monde nous en empche, et
tant que nous y sommes soumis, nous ne saurions ni atteindre la pleine
connaissance de Dieu, qui nest possde que par intuition dans une vi
dence immdiate, ni parler de lui en termes qui puissent mme le sugg
rer si une foi pralable ne leur donne du moins valeur dinterprtation.
Cest une folle entreprise que de vouloir connatre Dieu selon les
lumires naturelles applicables aux ralits physiques ou idales dunmonde accord nos perceptions et notre intelligence pour que nous
puissions y vivre, mais qui par cela mme nous fixe dans une condition
dont nous ne pouvons sortir. Il y a dautres connaissances, exprimen
tales ou mme purement spculatives, auxquelles lhomme natteint
quimparfaitement parce quil nest pas adapt au monde nouveau o il
sengage: ainsi le physicien explorant lunivers subatomique ne dispose
que dinstruments qui restent inclus dans lunivers nos dimensions et
nos mesures; ainsi le philosophe phnomnologue qui cherche oprer
ce quil nomme la conversion transcendantale ne dispose, comme il
lavoue, que de modes de langage qui ne sont pas faits pour dcrire cette
opration parce quils appartiennent la condition naturelle3. Seconfier, pour connatre Dieu, la seule intelligence, cest vouloir
prendre vue sur lui avec des moyens qui demeurent infiniment en de.
Avant de dire que par la gloire nous connatrons sa nature, Pas
cal dclare que par Ja foi nous connaissons son existence. Jincline
penser que ce nest point l simple lieu commun: Pascal voudrait dire
non pas qutant incapable de connatre Dieu dune autre manire, nous
en sommes rduits le connatre par la foi; mais que nous navons pas
connatre Dieu autrement que par la foi, parce quil ne nous est
connaissable que de cette manire. Dans ce cas, le penseur a tort daccu
ser linfirmit de notre condition: telle quelle est, celle-ci est suffisante
pour que puisse tre acquise toute connaissance propose lhomme.Mais toute connaissance correspondent ses voies et moyens. et la seule
voie, le seul moyen appropri celle de Dieu consistent dans la foi,
quand mme lhomme parviendrait la connaissance empirique ou
rationnelle de tout lunivers.
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il y a, pour ce qui est du monde, deux moyens principaux de
connaissance. Lun deux suppose (et ne peut pas ne pas supposer)
lexistence dune ralit objective quoi la conscience sapplique: cest
la science exprimentale. Lautre moyen fait de la conscience a ralit
ultime et n&essaire par qui toute forme dtre est constitue4 et par
dabord accepter de la reconnaitre, et nous pouvons nous y refuser aussi
bien. Un doute persiste. quil appartient la foi de dpasser. On voudrait
non pas dpasser, mais claircir ce doute, el navoir qu se soumettre
une certitude objective au lieu de recommencer sans cesse un effort personnel dacquiescement. On demande donc la raison dc fournir cette
certitude, et on en revient par l chercher dans luniversel thorique
une rponse qui doit tre donne singulirement par chaque personne. La
raison ne fournit dobjectif quune question et dindubitable que le doute
qui sensuit: ce nest pas clic dc rpondre.
Pascal parlait pour les philosophes qui cherchent prouver quil y
a un Dieu. Il ne considrait dans lincertitude que ce qui nous fait hsi
ter croire et que nous voudrions rsoudre de manire y tre obligs.
alors quil ny a qu prendre sur soi et parier. Mais lincertitude peut
aussi nous porter ne pas croire: cest lautre terme du pari, auquel on
flC se dcide pas plus aisment. Comme le croyant cherche tablir saposition sur des preuves qui la fondent en principe, lincroyant tente de
montrer que la sienne est assez assure dans ses motifs pour emporter
ladhsion de tout homme raisonnable. Il allguera que lide de Dieu
enferme en soi une contradiction, do il conclut non plus seulement que
la raison ne saurait justifier la foi, liais que la foi est contraire la rai
son et que Dieu est donc impossible. Il soutiendra que Dieu est inutile,
le monde nayant dc sens que par lhommc, et cc sens exigeant quil ny
ait ni prescience dc ce qui va tre, ni perfection dj ralise en de
du monde6, pour que lhomme dans le monde sinvente lui-mme sans
cesse au cours dune histoire.
Le vice de toute pense incroyante est une partialit qui la metdentre en porte--faux. Non que le croyant soit impartial: au contraire,
il nest croyant quen prenant parti, et il prend parti en dfinitive sans
preuve dterminante, par prfrence. Mais la partialit avec laquelle il
dcide nintervient quau niveau dc lindividu, quand celui-ci savise
que du point de vue transcendantal ou par raison, comme dit plus
simplement Pascal, au plan de la raison universelle on ne peut dfendre
nul des deux, et quil doit dcider par un acte qui ne dpend que de lui.
Pour lincroyant. cest toujours dans luniversalit quil se place pour
dfendre une ngation explicite ou implicite, et il est forc de sy tenir.
il ne peut nier que par raison, je veux dire du point dc vue dc lhomme
en gnral. Cette partialit-l est toute diffrente de lautre, el cest leraisonnenicnt qui risque fort den tre fauss. Je nai jamais rencontr
encore, dans les crits ou daiis les conversations, une dialectique de la
non-existence de Dieu o le ngateur ne se ft octroy davance, par
quelque manire spcieuse dnoncer le problme, les conditions qui lui
permettaient de trancher sa guise.
Il faut regarder cela de plus prs. Javais cru, en commenant, pou
voir me borner une vue densemble touchant lgale impossibilit de
prouver que Dieu existe ou quil nexiste pas. Il apparat quon ne peut
se passer de rappeler quelques-unes des preuves mises pour ou
contre, et nous aurons examiner aussi une opinion daprs laquelle le
mieux est de ne rien affirmer et rien nier, non que lon estime devoirmaintenir le douic, mais parce quon nie quil y ait un problme, ce qui
est la manire la plus radicale de nier, bien que la plus insidieuse.
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Confrontation entre la pense croyante et
lincroyante. Lincroyance est autre chose
que le contraire de la foi. Lathisme
philosophique contemporain.
II y a dans toute pense athe un parti pris, que le croyant ne sau
rait critiquer comme tel: lui-mme, tant incapable de rendre compte
de sa crance, doit prendre parti, choisir de croirc que Dieu existe et
passer de lincertitude laffirmation sans autre pont que son choix et la
foi qui srige sur ce choix. Cest l ce que Pascal nomme un pari, quirecommence tout moment. Pas plus quon arrive la foi comme au
terme dun raisonnement bien men, on ne continue dans la foi aprs une
premire option qui nous y installerait dune manire stable et dfinitive.
La foi est une incertitude toujours surmonte, elle est volont de croire
quand bien mme on ne serait plus sr que lon croit.
Lincroyance se prsente dabord comme le choix et le parti pris
oppos, et lon naurait rien y redire si lincroyant, aprs avoir lui aussi
conclu, avec Pascal. que par raison on ne peut faire ni lun ni lautre
se dcidait en sachant quil le prend sur lui et assume de son ct une
position qui rsulte dun choix individuel, puisque la raison ne limpose
pas plus gnralement quelle nimpose la croyance.Mais cette position, lincroyant ne pourrait la soutenir: elle consis
terait affirmer que Dieu nexiste pas et reconnatre en mme temps
quon nest pas certain de ce quon affirme. Celui qui croit lexistence
de Dieu, bien que la preuve nen puisse tre donne, se rsout affirmer
que Dieu est, alors quil considre comme possible que Dieu soit, et sil
vient douter encore de son existence, il ne fait que retrouver une incer
titude quil doit surmonter de nouveau. Etant incertain si Dieu est, et
dans les moments o il est le plus incertain, il peut sefforcer de penser
et aussi dagir et de vivre comme si Dieu tait. Le croyant peut
douter sans contredire sa croyance, je dirai mme quil ne peut pas ne
point douter. Entendons-nous: la foi ne consiste videmment pas douter, ce nest pas le doute qui la constitue. Mais elle ne se constituerait
pas sans lui, en ce sens que sil ny avait point de doute, il ny aurait pas
non plus une foi; il y aurait une certitude arrte, dtermine dans son
objet comme pour le sujet. sans alternative alors que la foi est libert
et perptuelle option. Et parce quelle est libert, parce quelle est option
cest--dire aussi que lon sy choisit soi-mme tel quon veut tre
parce quil nengage que lui dans lacte de foi, le croyant est l seule-
nient o il se veut, et il peut se regarder comme ntant pas dans une
ngation ou vellit de ngation laquelle il se refuserait. Quand vien
nent la scheresse du coeur et la nuit dc lesprit, lhomme qui garde lavolont de croire est bien plus dans cette volont o il se recueille que
dans la scheresse et la nuit quil lui faut subir; aussi ny a-t-il pas
contradiction entre labsence de foi laquelle il pense tre rduit et la
fidlit quil maintient cependarn. Il ny a pas non plus. et il y a encore
moins contradiction si cest la raison qui choue. Le croyant peut affir
mer sans certitude rationnelle. Si on lui montre (lue SCS raisons ne sont
pas dcisives, il peut en convenir et passer outre, ds lors quon ne lui
montre pas que les raisons contraires le sont davantage.
Plus encore que par son objet, la pense incroyante se distiligue de
la croyante par son attitude, par son comportement. On naffirme pas la
non-existence dc Dieu de la mme manire quon affirme son existence,dans un acte qui, parce quil saccomplit dans lincertitude, nexclut
jamais compltement un doute contre lequel il sexerce et qui laide
sprouver lui-mme. Disons quil y a dans lacte (le foi un lment
ngatif ncessaire son affirmation. Dans laffirmation de lincroyant, il
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ne peut y avoir rien dc semblable. Lincroyant ne peut pas douter, Il ne
peut penser et agir et vivre comme si Dieu ntait pas, avec larrire-pen
se que Dieu est peut-tre, car il naurait ds lors qu penser et vivre et
agir comme si Dieu tait. JI ne peut dire quil est possible que Dieu soit:
cest prcisment Ja position de Pascal, celle qui doit faire parier pour
Dieu. Il ne peut dire quil est possible que Dieu ne soit pas: sil le disait,
il verrait aussitt que cest l ce que dit le croyant dans les moments o
il doute le plus, que l est llment ngatif auquel lacte de foi doit
rpondre avec le plus de force. Lincroyant est tenu de dire quil estimpossible que Dieu soit, que lexistence dc Dieu est impossible. La
volont de ne pas croire, alors quil ne serait pas sr dtre daits le vrai
en ne croyant pas, ne peut lui suffire, car elle ne serait volont que
daveuglement. Il lui faut des raisons dc ne pas croire, et non pas seule-
nient acceptables (comme au croyant quand il cherche tayer sa foi sur
des raisons), mais dienninantcs. des raisons de nier qui le persuadent
pleinement par elles-nimes. Lincroyance est catgorique, compacte.
totale, elle est affirmation ngatrice sans la moindre faille dincertitude,
et cela sous peine de se contredire. Tandis quil y a dans ltre de la foi
une pail indispensable de nant, et plus intimement est ressentie cettepart, plus intense est lacte par lequel la foi se parfait.
Observons encore que lincroyance totale est presque aussi rare que
la foi parfaite. Lincroyant, disais-je. nc peut penser et agir comme si
Dieu nexistait pas. avec larrire-pense que Dieu existe peut-tre. Cest
le croyant qui peut se comporter comme si Dieu nexistait pas, ou beau
coup qui se disent croyants et se figurent quils le sont, quand ils ne sont
que tideur et simagres. Quant aux incroyants, je nassurerai pas que
beaucoup sont des croyants qui signorent, suivant une formule fort
rpandue et aussi frivole que rassurante. Mais il ne faudrait pas attendre
de la plupart quils aicnt pris parti lucidement, lis sont incroyants sans
raison, comme dautres sont croyants sans amour.Jessaie de dgager les deux attitudes extrmes, ou plutt les deux
manires dtre foncires en fait dc croyance et dincroyance. La com
munaut de croyance nenlve rien au caractre rigoureusement person
nel et singulier dc lacte de foi, qui nest command par aucun impratif
logique. Ce nest pas la foi qui est indivise entre les croyants: ce sont les
raisons sur lesquelles ils saccordent. Mais chacun ny acquiesce que si
la foi les anime en lui, et la foi est un choix quil fait en particulier et
librement: cest dire que ce choix ne rsulte pas dun conunun accord, et
que les raisons sur lesquelles saccordent ceux qui lont fait laissent
intacte la libert de chacun, qui est davoir le recommencer toujours
sans tre li par les raisons communes.Lincroyant, au contraire, na pas le choix. Entre lexistence et la
non-existence de Dieu, il ne peut dire, avec Pascal quail y a pareil
hasard, et prendre personnellement parti. Loption individuelle nest
pas possible dans son cas, ni pensable: quelle signification cohrente y
aurait-il dans un acte qui consisterait nier Dieu sans tre sr quil
nexiste pas? Lincroyant doit tenir la non-existence pour indubitable, dc
sorte quaucune libert doption ne soit laisse lindividu. H nest point
forc jouer.. tant tenu de penser comme il le fait, conduit par une
certitude qui nest pas proprement la sienne, comme lest lacte de foi du
croyant, mais qui est formule en gnral, qui se pose comme acquise
lgard de tous. Quelle soit profre ouvertement ou sous-jacente au propos, quelle intervienne discrtement ou avec clat, la ngation de Dieu
ne peut comporter la moindre hsitation, la moindre rserve particulire.
Un homme qui parie pour Dieu affirmera quil existe si tout le monde le
nie, lincertitude tant pareille pour lui et tous les autres et sa chance
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gale la leur. Celui qui pense quil ny a pas de Dieu, ft-il le seul, doit
encore entendu dire que Dieu est mort! sexclame Zarathoustra. Mais
non, il ne la pas entendu dire, sa solitude la gard dans lignorance
de la grande nouvelle que Zarathoustra el plusieurs autres entreprennent
de divulguer: Dieu est mort, lide de Dieu sefface de la conscience
humaine o elle dominait depuis des dizaines de sicles. Lhomme se
rend compte enfin quil tait dupe dun fantme cr par lui et au proFit
duquel il stait lui-mme dpouill de ses plus hauts attributs, la ftwce,la sagesse, le libre vouloir, la hardiesse inventive. Le voil qui saffran
chit de son illusion, qui ressaisil ce qui lui appartient.
Tel est le commun point de dpart des doctrines de ngation.
quelques divergences quelles offrent ensuite. Laffirmation que Dieu
est mort doit restituer pleinement la libert des hommes suprieurs
que la croyance un Dieu, avec son respect pour les dbiles et son culte
des pettes vertus, assujettit au grand nombre, soumet aux valeurs du
troupeau. Ou ce sont les masses populaires quempche de sman
ciper une alination religieuse2 adapte aux rapports conomiques et
politiques propres chaque poque. Dautres tiennent la soumission un
absolu divin pour un stade psychique infantile, auquel doit succder lanotion scientifique dune relativit conforme lesprit humain et rgle
par des lois positives bien contrles. Entre les divers aspects de
lincroyance, lentente se fait sur cette ide que Dieu est la projection par
lhomme dc sa propre essence dans un sujet fantastique quil exalte en se
rabaissant lui-mme, ou grce qui il tente doublier sa condition mis
rable au lieu de la changer. Il ne suffit pas la pense incroyante de dire
quil ny a point de Dieu. Le Non-Credo, sil se bornait affirmer un
nant, serait une parole stagnanw el une action avorte, qui nentraiile
rait personne. qui retomberait aussitt. Cest lhomme quil faut croire
dsormais, lhomme seul, quon lenvisage sous laspect aristocratique
du surhumain, dans la ralisation proltarienne du socialisme, en tantque vou un progrs indfini dans tous les domaines. connaissance.
action, conqute matrielle, domination et possession du monde, mai-
trise de lhistoire, etc.
Tout cela a souvent t expos et comment. Une remarque nou
velle quoi aboutit la confrontation entre la foi et lincroyance, est que
celle-ci tient pour illusoire non seulement le Dieu que celle-l choisit
daffirmer, mais la libert quon a de sinterroger sur lexistence de Dieu
pour rpondre mme ngativement. Reconnatre quon peut sinterroger,
ft-ce pour rpondre quil ny a point de Dieu. serait admettre quon
peut aussi rpondre quil y a un Dieu, et lincroyance ne ladmettrait passans se mettre avec elle-mme en opposition. Au fond, ceux qui pensent
que Dieu nexiste pas estiment quon nest pas plus libre intellectuelle
ment cet gard quon ne lest de (rancher des proprits du triangle ou
de conclure que deux et deux font quatre. L se rvle cette attitude en
porte--faux qui caractrise la pense incroyante: on ne peut prouver et
on ne peut non plus conserver un doute. Il faut donc refuser la question.
mais dans un tout autre esprit que lagnosticisme qui nc veut pas se pro
noncer sur ce quil dclare inconnaissable. Lathisme nessaie pas de
fournir lintelligence des lments raisonnables de conviction, il veut
la dtromper comme la recherche scientifique par ltude du fait, du ph
nomne. Plutt quune argumentation, il met un diagnostic: auto-mystification et ddoublement, alination, inauthenticit, etc. On na pas
poursuivre de spculation mtaphysique sur ce qui est objet dexprience
psychologique et sociologique. La mme assurance se retrouve chez les
thoriciens du matrialisme dialectique et chez le prophte du surhu
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main. Quand celui-ci engage lhomme saffranchir de lide de Dieu
par un acte de volont, par une libre dcision, il le fait en se payant de
mots et dans une transe lyrique o le souci de discernement entre peu.
La question dexistence nest pas supprime, ni le doute qui sensuit dis
sous par un acte volontaire. On ny parvient quen proclamant quaucune
question ne se pose rellement sur Dieu et lexistence de Dieu, que le
doute lui-mme est irrecevable. On dcide dc ne plus raisonner dc ce que
lon sait dsormais tre un faux problme. Ce nest pas une dcision
libre que lon recommande chacun de prendre et de maintenir sil en ala courage; cest un enseignement que lon dispense la communaut en
connaissance de cause et dont on invite chacun faire son profit.
* * *
Lathisme philosophique sest exprim dc nos jours en termes
moins catgoriques, quelques esprits minents stant aviss quune
ngation trop formelle tmoigne encore pour Dieu, puisquelle se pose
relativement laffirmation, comme son contraire, comme lantithse
par rapport la thse. Jai tent de montrer que ces deux actes affir
mation et ngation napparaissent dans un tel rapport que si on se
borne opposer ce quils attestent manifestement, sans voir la nature
intrinsque et secrte de chacun deux; et il est clair quaucune synthse
ne sort de leur opposition, moins quon ne veuille nommer ainsi
lincertitude o lon retombe alors aussitt. Mais on ne fait quy retom
ber. et lincertitude nest pas la synthse dune affirmation et dune
ngation: cest delle que nat lune ou lautre, avec cette diffrence
quaffirmer lexistence de Dieu cest surmonter tout moment lincerti
tude que lon continue dprouver comme un nageur prend appui sur
llment quil combat alors quon ne peut nier lexistence quen
niant aussi lincertitude. Celle-ci est un tat psychologique qui rsulte dc
limpossibilit o nous sommes de rpondre logiquement dans
quelque sens que ce soit la question de lexistence de Dieu. Cest laquestion que lon niera donc, e la seule manire non quivoque de la
nier consiste non pas dire quelle ne se pose pas en tchant de montrer
pourquoi, mais nen rien dire du tout: car le seul fait dc lnoncer,
mme pour montrer quelle ne se pose pas vraiment car il ny aurait de
question vritable qunonce en terme de savoir, revient nier que
Dieu existe et par consquent poser encore implicitement la question
de son existence. Le refus de la question de Dieu doit demeurer tacite, il
ne sera mme pas voqu. Dans une formule assez saisissante, le com
mentateur dun des matres de la pense contemporaine dclare que ce
philosophe veut tre celui dont le non ne portera pas tmoignage pour
le oui, et quil se propose linstauration dune pense sans la moindrerfrence lide de Dieu4. La question sera donc omise plutt que
refuse formellement, son omission tan obtenue, sans quil y ait besoin
de sen expliquer, partir dune notion de lexistence en gnral incluant
ncessairement la temporalit, donc la finitude notion obtenue elle-
mme partir dune analyse descriptive de lexistence de lhomme dans
Ic monde prise comme critre ontologique limitatif ou mode dtre ind
passable, et excluant de ce fait toute autre notion. Eendue lexistence
comme telle et quelque subjectivit que lon suppose, lanalyse ainsi
gnralise ne sera probante que si elle constitue une description littrale
et un compte rendu exhaustif, non une thse interprtative et un systme
de propositions plus ou moins plausibles labores partir de.... Ilfaut pour cela que lexistence intra-mondaine du sujet humain apparaisse
lvidence comme la seule manire pensable dexister subjectivement,
de sorte que toute existence subjective soit rellement impossible en
dehors dune temporalit qui laffecte radicalement de finitude.
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En tout cas, la tendance est nette. Plutt que dattaquer de front et
ostensiblement lide dc Dieu, comme Font fait les grand ngateurs du
XIXe, on cherche vider lesprit du doute quon ne peut claircir ni
dun ct, ni de lautre: ne pas affirmer, cela va de soi, mais ne pas nier
non plus parce que la ngation rappellerait que laffirmation est gale
ment possible, et penser comme sil ny avait rien affirmer ou nier.
Cest cette consigne dabstention que donne lun des reprsentants les
plus remarquable de lathisme philosophique moderne, qui ne se dfenddignorer le problme que pour le mettre au-dessus des solutions qui
ltouffent5: ce qui veut dire, non pas que le problme simpose au-des
sus ou indpendamment des solutions quon voudrait lui trouver, mais
quil nest traiter que du point de vue de la contingence de ltre
humain et du monde, la recherche mme dune solution par quoi
reparatrait lide dun Etre ncessaire tant carter comme dpourvue
dintrt philosophique. De l, le phnomnologue est amen carter
aussi lide dune progression inluctable de lhumanit vers son accom
plissement: pas plus qu une Volont transcendante qui terait au
monde toute nouveaut et la recherche toute invention, on ne doit
recourir un Destin dans lhomme et les choses qui donnerait lhistoire une direction dtermine vers un tat dj connu o elle sachve
rait. Comprendre les rapports de lhonune avec la nature, et ceux des
hommes entre eux, comme organiss en vue dune fin humaine, cest
encore penser en thologien, et substituer la croyance Dieu un
anthropothisme qui nest pas philosophiquement plus recommandable.
Je ny contredirai pas. Si on refuse lexplication de lhomme et du
monde par un Etre ncessaire dont ils descendent et qui ils remonte
raient, on peut bien refuser galement de reporter en lhomme lui-mme
le principe explicatif et la ncessit souveraine.
Quelques raisons quil se donne, le ngateur considre lide de
Dieu comme une gne pour lhomme, sok quelle contrarie laccomplissement de son destin, soit quelle fasse obstacle sa libert. Quil voie
dans lhistoire un dterminisme ou une perptuelle invention, il pense
comme si lhomme avait dcider entre deux disciplines dont lune
seraiL plus apte que lautre raliser un type dhumanit authentique:
cela indpendamment de la question de savoir si Dieu existe, qui ne doit
plus se poser dornavant. Mais cest encore une question que de savoir
si lide de Dieu nest pas indispensable lhomme pour se maintenir,
pour garder figure humaine. Que Dieu existe ou non, si lide que nous
avons de lui exprime une part mtaphysique inhrente notre nature,
que rsultera-t-il, mme du point de vue de la Terre. mme dans le
monde, de lamputation de cette part? Lide de Dieu. rpliquez-vous (eL
peut-tre aussi lhomme mtaphysique), est une construction superfta
loire. une excroissance inutile, puisque beaucoup dhommes se passent
fort bien de Dieu et de lide quon en a. Ils sen passent, mais dans un
monde o beaucoup continuent den vivre, o la pense dans son his
toire et ses thmes fondamentaux sest compose jusquici pour ou
contre Dieu, o lincroyance ne reprsente encore que lautre parti
auquel une incertitude commune peut conduire, le second terme dune
alternative. Lexprience na pas l faite dun monde o lide de Dieu
aurait t limine radicalement et totalement. Il est extrmement impro
bable, mais non tout fait impossible quelle se fasse, et lon peut enimaginer leffet. Ce quapporterait cette exprience, ce ne serait pas seu
lement lassurance universelle quil ny a point de Dieu, ce serait la fin
de toute rflexion ce sujet; ce quelle aurait universellement supprim.
ce serait non pas seulement la croyance lexistence de Dieu, mais
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laptitude dcider entre y croire et ne pas y croire. Et il ny aurail plus
ni alternative ni option, ni mme incroyance caractrise, mais un tat
indiffrenci de non croyance qui irait de soi sans avoir se fournir de
raisons, et en quoi se serait perdue peu peu toute disposition, je ne dis
pas religieuse, qui tend lacte de foi en Dieu par lindividu. mais mta
physique, qui suscite pour la conscience gnrale une ide de Dieu et
une interrogation propos dc cette ide. Oui, mais lide de Dieu nest
pas de celles que la conscience localise; de celles dont lviction gn
ralise laisserait a conscience telle quelle est. Que lout le monde dansle monde entier en vienne non pas penser quil ny a point (le Dieu.
mais ne penser rien dsormais dune question abolie en tant que telle,
les philosophes, sil en restait alors quelques-uns comme les survivants
bizarres dun temps et dune mentalit si parfaitement rvolus quils en
seraient devenus incomprhensibles, sapercevraient quil ny a rien
dans cet accord qui ressemble une libert, quil ny a pas mme l de
pense mais un automatisme, quil ny a de libert et de pense que sil
est possible en effet de refuser comme fausse lide de Dieu, mais aussi
de laccepter pour vraie; et quen dfinitive, soit quon laccepte. soil
quon la refuse, I ide de Dieu lait lun des criteres et lun des supports
de ce que nous appelons libert de conscience, libert de pense.
qu telle autre: cest par son insertion dans une quantit humaine
innombrable, dans un tre en commun dont la dure se poursuit et o
lui-mme ne dure l o il est que comme un passage de cette dure, que
comme un instant de cet tre. La condition & lhomme dans le monde.
son malheur, le signe du pch originel dirons-nous si nous sommes
croyants, est quil ne peut accder ni lentire autonomie existentielle
ou pure individualit subjective, auquel cas il ne dpendrait en son tre
de personne dautre selon le temps et ne serait pas soumis au destin qui
nous veut mortels ni lintersubjectivit vraie ou unit parfaite avec
les autres, auquel cas chacun communierait en son tre ltre dc touspar une continuelle victoire sur la temporalit et la mort. Si Dieu existe,
la vie de lhomme en Dieu se ralise de telle sorte que tous existent et
vivent unanimement comme un seul, et que chacun reoit de la prsence
de tous un tel surcrot personnel dexistence et de vitalit quil est lui
seul comme tous et autant que tous ensemble. Nous avons dcouvrir
que lindividualit pure et lintersubjectivit vraie concident dans le
mme tat. Mais, nous, hommes dans le monde, ne pouvons que rver
cet tat, sachant quil ne viendra pas au monde, quil ne saccomplira
jamais pour les hommes la manire dun vnement historique et
lesprer nanmoins, et y tendre dun homme lautre et de lune
lautre gnration humaine en perptuelle instance de mort, sachant quelhomme total que visent ce rve, cet espoir et cette tension, si relle
ment il doit saccomplir, cest par la mort mme envisage en chacun
des hommes et dans lhomme en gnral comme le seul moyen de faire
chec linsigne absurdit de la finitude.
* * *
Ainsi, mtant propos de reconnatre ce qui en lhomme est certai
nement prissable et ce qui ne lest pas certainement, jai distingu entre
le on, qui nest ds aujourdhui que nant, et le nous dont il mest
permis de croire que sa rsurrection est possible pour une existence o
lunit avec les autres saccorderait une plnitude de vie personnelle.
Jen reviens par l cette part de mon tre dont jai dit quelle demeureau moment o je mprouve comme spar dautrui pour un choix quil
mc faut faire seul: do langoisse dune drliction absolue. et per
sistant en moi-mme pour faire ce choix dans labsolu de ma libert:
do lintuition que je puis exister dune certaine manire sans participa
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tion personne dautre, que joccupe en un point extrme de ltre une
place quaucune autre prsence ne remplirait. Cette part dtre en moi
nest pas prissable el elle na pas mourir pour ressusciter. Elle est ds
aujourdhui immortelle, et cest par elle que vivra ce qui en moi Lient au
monde, ce qui se situe avec autrui dans une continuit de temps. ce qui
est vou mourir selon un destin commun et que mon corps nie repr
sente. Je ne penx massurer dc lexistence dc cette pan imprissable: sil
y a en moi, comme en tout homme, un principe dternit, ce principe
nest pas plus susceptible de dfinition conceptuelle que de perceptionou dimagination, car il nest en aucune manire dpendant du monde et
nexiste que par rapport Dieu. Je lai nomm te je autonome, lindi
vidu ltat pur, la personne dans sa stricte identit. Cest ce que les
croyants appellent lme. Ntant ni donne lexprience sensible ni
saisie par linvestigation psychologique ou connue par la dmarche sp
culative, qui napprhendent que des rapports intra-mondains, lme nc
saurait apparatre la conscience gnrale comme une ralit objective
ment indubitable, de sorte que nous en pouvons dire ce que Pascal disait
de Dieu nime: elle est ou bien elle nest pas. elle existe ds prsent en
chacun des hommes ou nexistera jamais en aucun det.,Cest dire que
lexistence de lme, comme celte de Dieu, est prouve dans lincertitude, et que cette incertitude ne tient pas non plus un fait ou une
ventualit mais se trouve seulement dans notre esprit. Le pari sur Dieu,
le seul pleinement significatif. crivais-je, car cest Ic seul que nous
ayons faire en labsence de tout donn rationnel ou empirique sur quoi
fonder une supputation de chances et une prvision objective, concerne
lme galement, qui nexiste que si Dieu existe. Lme est affirme ou
ni& par le mme acte qui affinne Dieu ou le ilie, mais je laffirme en nie
posant dj dans le monde comme sujet purement individuel, alors que
je ne nierai Dieu et lme quau plan et du point dc vue dc lhomme
considr en gnral.
La ngation de lindividu, ngation implicite, bien sr sinoninconsciente habite toute pense athe. Nous lavons dit prcdem
ment et il serait inutile de revenir sur ce point (comme ventuellement
sur tout autre point que nous aurions dj examin). si la rptition
napportait un complment ce qui a t dit ou ne k montrait sous un
jour nouveau, Cest bien lhomme en gnral que lon considre
lorsquon nie lexistence de Dieu en tablant sur lvolution historique de
la conscience humaine, do ressortirait la justification de lathisme,
fonde sur son intelligibilit historique. Je remarquais ce propos que
lhistorien-philosophe non croyant. plutt que dargumenter pour lintel
ligence spculative, sapplique lanalyse du fait ou du phnomne quil
achve par un diagnostic: alination, ddoublement, etc. Mais cette
remarque nest juste quen partie, des Lmems de certitude thorique et
mtaphysique sont sous-jacents une analyse o lon suppose que Ia
non-ralit de Dieu, bien quelle ne soit pas non plus dmontre la
faon dun thorme, est du moins suffisamment tablie par linterprta
tion rationnelle de donnes de conscience que lon tient pour sres. La
position athiste se fonde dabord sur Le rejet, motiv notamment par la
Critique de la Raison pure. des preuves ou voies enseignes tradition
nellement pour obtenir la conviction Intellectuelle de lexistence de
Dieu. Lathisme (ou le ct athiste) kantien nest cependant pas li
la critique de ces voies ou de ces preuves, qui sont critiquables en effet;il apparat quand le philosophe, allant au del dune critique qui se serait
limite largument empirique ou raisonnement objectif par lequel la
doctrine traditionnelle cherche soutenir la foi, se fait juge de a notion
mme de Dieu en dclarant quil est une ide transcendantale de la pure
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raison, issue de son exigence dune unit synthtique de tout le divers et
convertie par elle fictivement en la reprsentation dun tre qui existerait
en ralit. Cest dailleurs dc ce jugement que le philosophe, qui est au
fond un thiste et nime un pitiste, se trouvera prisonnier quand il
essaiera en raison pratique de restituer au concept de Dieu une valeur
dtre, cest--dire une fome dexistence propre que lanalyse de la rai
son spculative cartait comme illusoire. Je note que le rationalisme
athe abolit toute possibilit individuelle doption, en quelque sens
quon envisage celle-ci: lindividu na pas opter parce quil est lui-mme ni comme tel, tant tenu par une raison universelle ou transcen
dantale qui fait dc lui quelquun didentique rigoureusement tous et
interchangeable avec nimporte quel autre.
Lathisme existentialiste, par des moyens diffrents, en arrive au
mme rsultat. Entre le rationalisme et lexistentialisme, la diffrence de
pense porte sur cc que doit tre la vrit ontologique et aussi sur les
moyens dont dispose lhomme pour y accder. Le problme de la
connaissance se pose donc en premier lieu au philosophe existentialiste
comme au rationaliste. La vrit est conue par la philosophie rationaliste
classique comme un accord entre la connaissance et son objet, accord qui
est ralis ds lors que lobjet idal du concept est thoriquement explicit et dfini ou se retrouve concrtement dans lexprience. Les philoso
phies de lexistence ont renonc cene notion du rel et du vrai pour
sattacher la recherche de lessence originelle de lhomme, existant pri
vilgi, par qui se dvoile tout ce qui est au inonde el qui nest lui-mme
que dans un perptuel dvoilement de soi, au long dun projet qui jamais
naboutit car lhomme est par essence celui qui a toujours tre et a iou-
jours de ltre dvoiler, qui devient donc sans cesse ce quil est sans
jamais ltre intgralement. La dcouverte maitresse de lexistentialisme
phnomnologique est le temps, ou, pour parler le langage moderne, la
temporalit, laquelle est accorde une exceptionnelle importance dansla conqute dune connaissance ontologiquenient valable. Limportance
donne la temporalit par le philosophe existentialiste rsulte de sa
prise de conscience nouvelle dc la vrit dc lhomme et du monde, et lon
pourrait dire aussi bien que cette vrit est apparue ds lors que le philo
sophe a pris conscience de ce quest b temporalit: elle nest pas seule
ment lexpression de ce quil y a en lhomme de fini, le signe du nant
dont se compose aussi son existence; elle signifie que lhomme nadvient
ltre et au monde que par ce nant qui entre dans sa composition, que
la vrit de son essence se trouve dans cette finitude sans laquelle il
naurait rien rvler et ne se rvlerait pas lui-mme. Le sujet humain
nest ce quil est, comme existence el comme conscience, que parce quilest un tre originellement fmi, qui a la comprhension de soi et du inonde
non pas malgr ou contre une finitude qui lempche de saccomplir plei
nement, mais cause mme de cette finitude grace quoi et en quoi il se
constitue. Cest en vain que je veux me dfinir par cet appel inventif un
futur, ce pouvoir de projection en avant dc moi qui anticipe sur la rali
sation de ce qui va tre. Je nanticipe sur toute situation tout nioinent
que dans un futur dj antrieur, non pour prouver maintenant que je
serai, mais pour reconnatre ds maintenant que jaurai t.
* * *
Dire de la finitude quelle est lessence originelle de lhomme, ou le
sens de son tre, cest dire que la mort ne doit pas apparatre lhommeseulement comme le terme fatal de son existence, et quil doit dabord la
comprendre comme cette constante possibilit qui lui reprsente
chaque instant le nant en fonction duquel il existe. Croire lexistence
de Dieu, tre infini, tre ternel, linfinit et lternit de qui jaurais
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part serait donc une tentative pour ne point me voir dans nia vrit, pour
ne point assumer une insuftsance moi-mme indispensable, une voca
tion au nant qui fait prcisment que je puis tre, Et cette condition
nest mienne que parce quelle est celte fondamentalement de tous:
comme jtais renvoy par le rationalisme athe une raison gnrale
qui me soumet une vrit intellectuelle commune, je suis renvoy par
lexistentialisme athe une manire dtre commune o rside toute ma
prvrit existentielle.
De mme que le rationalisme, lexistentialisme athe comporte
ngation implicite de lindividu. Ce quon nomme ltre-l, ou le
pour-soi, ou lexistant dsigne la dimension temporelle humaine
en tant quelle est ncessaire globablement la manifestation du monde
et laccueil de ce qui apparat comme actuel et comme venir, comme
loign et comme voisin, ni un ici ni un ailleurs particularis et
dlimit mais un champ linfmi de suscitations et de rapports, le lieu
aux milliards dhorizons dune poursuite qui se multiplie et reprend sans
cesse, tout ce qui exprime la rencontre de lhomme avec ltre tout,
except un tre individuel. Et certes, aucune ide nest moins nette ou
plus quivoque que celle de ltre individuel. Je regarde le paysageouvert devant moi, les lointaines collines, laiguille dun clocher entre
des toits, plus prs un tang gris-bleu bord de roseaux, puis la prairie
qui ondule au soleil jusqu mes pieds, et au-dessus de ma tte cette
longue branche recourbe dont les petites feuilles claires miroitent. Ces
impressions ne sont qu moi, personne na les mmes au mme moment
et personne ne les aura jamais de la mme manire, le monde sy montre
sous certains aspects qui nmergent que de mon regard et seraient
demeurs dans lombre si je ne mtais trouv l prsent cette minute.
Dans la perception que jen ai, je mc saisis naturellement et immdiate
ment comme un moi, comme un sujet distinct, comme un individu.
Mais au mme instant, et sans que jaie besoin dy penser, je sais que maperception nest pas celle dune ralit totale et acheve, que la vision
qui mest donne ainsi du monde et de quelque objet que ce soit dans le
monde est toujours partielle et relative. La branche qui se balance au-
dessus de moi soffre mon regard sous un certain angle, dans une cer
taine perspective qui me fournit delle une image queje tiens pour vraie:
mais une foule dimages diffrentes et tout aussi vraies de cette mme
branche apparatraient. en mme temps que celle que jen reois,
autant de regards qui lobserveraient sous dautres angles et dans des
perspectives variables linfini. Contemplant les collines au loin, le clo
cher et les toits et toute ltendue environnante, je me croirais au point
exact autour duquel le monde se dploie, ou plutt me croirais-je moi-mme le point de rflexion vers qui un monde lentour encore obscur
afflue de tous cts pour sy reconnatre et refluer aussitt vers lhorizon
extrme; mais je sais, sans avoir le formuler, quune multitude
daspects divers du mme d&or sont impliqus dans la vision que jen
ai. ou que celle-ci ne fait que raliser pour moi lune des multiples pos
sibilits de spectacle qui se raliseraient aussi naturellement pour autant
de spectateurs distribus selon dautres axes ou sur dautres plans. Et l-
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PREMIERE PARTIE
comme prformes, comme prexistantes (on dirait quelles attendent l
constamment quune perception les suscite), et cest aussi vrai du brin
dherbe sous mes yeux qui brille en ce moment pour moi seul que destoiles o des milliers dc regards se recontreront cette nuit. La distinc
tion qutablit le philosophe entre notre connaissance, qui est une intui
lion non cratrice, et ce que doit tre la connaissance de Dieu qui cre
originellement dans lintuition lobjet de celle-ci, explique ce dj
l des choses et du monde aux yeux de lhomme. Lintuition humaine
nest pas capable de se fournir elle-mme son objet, aussi ne peut-
elle tre que rceptive, doit-elle tre affecte par quelque chose qui
sannonce elle du dehors comme un donn quoi elle est sensible. El
il est juste de rapporter une existence infinie lintuition originclic et la
connaissance totale que Dieu a des choses. Si quoi que ce ft pouvait
tre quil net pas originellement dans son intuition et nc connt pasdemble totalement, Dieu serait comme lhomme un tre fini clans un
monde et au milieu dobjets qui le prcderaient. Il ne serait pas Dieu. Il
ne serait pas. Cest dire quil faut rapporter la finitude de ltre humain
le fait que lobjet nous apparat toujours comme antrieur notre intui
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tion. Cest parce que notre existence est finie, jete dans un monde
qui est dj l et auquel elle est abandonne que notre connaissance est
ncessairement rceptive. dii encore le philosophe2. Et cest parce
quelle est rceptive, la diffrence de celle de Dieu qui se donne dans
lacte crateur toute chose en soi et comme telle2, cest--dire tout
entire adquate son intention, que notre connaissance nest capable de
saisir ni la totalit des choses, ni le tout de Ja chose quelle considre,
quelle ne peut procder quempiriquement et transitivement dans un
monde de phnomnes qui soffre et la fois soppose elles de toutesparts et en chaque objet.
La distinction entre la connaissance divine et lhumaine distinc
tion qui nintervient que pour rendre compte de celle-ci, car ce philo
sophe ne croit nullement en Dieu montre que notre manire de
connatre appartient une existence voue finir. Mais la question que
je tiens pour la plus importante ne sen trouve pas claircie: la finitude
de lhomme est-elle lorigine et au fondement de son existence? en
est-elle llment constitutif essentiel, la condition ontologique nces
saire et exclusive pour que ltre humain se ralise et dabord pour quil
soit possible. dc sorte que nous devons renoncer croire et esprer que
nous puissions tre autrement que selon une existence finie? Je nai pas
besoin dexplication pour savoir que je ne suis pas Dieu, que je ne cre
pas ce qui soffre ma perception, que le monde tait l avant que je
fusse et que ma vie prendra fin. Une question demeure, qui est de savoir
si la finitude est certainement ncessaire tout autre existence que celle
qui appartiendrait Dieu ce qui revient faire de lexistence suppo
se de Dieu un terme idal dopposition qui permette au philosophe de
mieux comprendre le sens de notre tre ou bien si cette finitude
nest ncessairement inhrente qu une condition humaine laisse
elle-mme et au monde seul: dc sorte que. par laffirmation possible du
Dieu vivant et dun rapport concret de moi lui, il nie soit permis depenser que le sens de mon tre est dans sa vocation une infinit de vie
au del du monde, ou, plus exactement, dans le monde ramen Dieu et
renouvel en lui selon une manire de durer qui ne comporte plus de fm
pour moi ni aucun de nous.
* * *
Nous ne pouvons pas ne point constater que notre existence dans le
monde est finie, et que ce caractre fini se marque dans la rceptivit de
notre intuition et la forme empirique de notre connaissance. La finitude
tant comprise comme le fondement ou le sens de ltre humain, il reste
se demander sur quoi se fonde la finitude elle-mme ou quel en est le
sens, et ainsi comprendre pourquoi et comment notre intuition, appartenant une existence finie, ne peut tre que rceptive, et notre connais
sance quempirique. La rponse cette demande, je la trouverai, une fois
de plus, dans la rfrence que je fais Dieu, non pas Dieu suppos par
le penseur et pris comme terme de comparaison avec lhomme pour une
intelligence plus prcise du mode dtre et de connatre de celui-ci; non
pas Dieu pos et dfini par nous et en contraste avec nous comme
intuition cratrice ou existence infinie: mais au Dieu vivant tel que lui-
mme affirme quil est, et tel quil me faut, si je veux accder lui,
laffirmer dans un acte qui imite le sien dabord par labsence de dfini
tion et de qualification. Jobservais plus haut que Dieu, parlant de soi, ne
dit point quil est la premire cause, ou ltre ncessaire, ou luniqueprincipe, qui sont des concepts humains. Remarquons prsent que Dieu
ne dit pas non plus que son intuition est cratrice ou quil possde la
connaissance originelle de toutes choses. Dieu ne sexplique pas sur ce
quil est. Il ne snonce pas par opposition ce que nous sommes. II
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annonce dans une affirmation absolue, et nous avons vu quune telle
affirmation, dont nous penserions quelle voque ce que Pascal appelle
linfini chaos qui nous spare. a pour effet dabolir si nous la repre
nons personnellement. cette sparation et ce chaos. Iaflirniation: Dieu
est, parce que toute de volont individuelle, tant une initiative qui
emporte le passage de notre tre propre labsolu, cest--dire au
contact du Dieu qui nous nous configurons en laffirmant. La parole
par quoi Dieu se rvle ne dcrit ni ne dfinit pour nous ce quest Dieu.elle nous communique tout ce que nous avons connatre de son nom
entendu comme adquat ltre mme: nous comprenons que cette
parole signifie et dnonce llndividllalit pure. la Personnalit intgrale.
le Je sans altrit Subjective interfrente ni limitation objective
aucune, Aussi le Je suis divin nest-il prcd daucun donc. ne
dcoule-t-il pas dune pralable exprience de peiise qui assurerait Dieu
de son tre. Si lexprience de sa propre pense rflexive tait ncessaire
Dieu pour lui faire reconnatre quil est. il se nierait comme Je suf
fisant soi et par consquent comme Dieu: car celui don; la certitude
dtre se dduit du fait de penser est ncessairement un tre particip et
contingent. incapable de se connatre indpendamment de quelque chosedautre que lui-mme qui est donn sa rflexion et quil a en commu
nion avec autrui. Cest la condition dc lexistence humaine dans le
monde, Etant lEgo absolu. Dieu nexiste fondamentalement pas tIans
le monde et il ne coexiste fondamentalement avec personne. Cest pour
quoi tout ce qui existe est fond en lui, Cest pourquoi aussi son exis
tence a linfinit.
Nous comprenons du mme coup pourquoi lexistence humaine est
une existence finie: cest que lexistant humain nest pas purement un
individu et un je. Il est, nous lavons dit (mais ne craignons pas de le
rpter si la rptition apporte quelque chose dc plus). un moi inter-
subjectif ou un nous qui se constitue comme je pour accder lexistence et ny accde au moyen de cette constitution quen se locali
sant et en se temporalisant, cest--dire en sordonnant une limitation
et une finitude au sein dun monde donn. Quest-ce que le moi inter-
subjectif ou le nous? Dans laffirmation du Dieu vivant et dans la
foi, il ressortit une activit ascendante et amplificatrice, il apparat au
croyant comme lunit humaine retrouver intgralement en Dieu par le
rejointement et remembrement du corps mystique auquel lexistant par
ticulier, loin de sy perdre dans une passivit dissolvante. coopre pour
grandir ternellement dans son tre propre. Du point de vue du inonde et
dc lhomme dans le monde, le nous est prouv comme un mouve
ment descendant et restrictif, il ne vient lexistence quen se particula
risant tout moment et partout en chacun des existants qui reoivent de
lui leur tre propre et leur moi individuel. Je ne cherche pas ici dis
tinguer, suivant les philosophies rationalistes, entre lessence et lexis
tence, ni contester lassertion des philosophies existentielles qui veut
que lexistence prcde lessence. El est vrai quil faut que lhomme
commence par exister pour quil puisse tre question dune essence de
lhomme, quil ny aurait pas dessence humaine supposable sil ny
avait pas dexistants humains qui la fassent supposer. Mais il est vrai
galement quun homme dans le monde, de mme quil vient un
monde dj l. surgit dune humanit dj prsente. Je nentends pasdsigner ainsi les hommes existant avec lui actuellement ni ceux des
gnrations passes. qui sont ou qui taient comme lui des existants indi
viduels, venus au monde chacun en un lieu et pour un temps. Plutt que
dune humanit dj prsente, il faut parler dune prsence humaine
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encore plus vident pour lespce ou le genre, dont la notion transpose
dans le domaine biologique et exprimental lide dessence ou dc
nature. Lessence ne prcde pas lexistence et nen est pas prcde,
mais se confond avec elle indissolublement, comme lespce se confond
avec les individus qui en font partie. Si donc il y a dans le monde une
prsence humaine qui le recouvre et qui est antrieure toujours lexis
..
loeuvre, comme chaos antrieurement au cosmos et comme possibilitde cosmos qui se ralise avec et par lavnement de la conscience
humaine? Mais un chaos est aussi quelque chose de rvl la
conscience humaine quand clic advient en effet: et quil se rvle alors
pour elle comme quelque chose qui nest pas susceptible de dfinition
ou de description, nayant ni contour ni sens ni aucune structure interne
ou externe, cela montre seulement la contradiction quil y a pour nous
poser quoi que ce soit qui existerait ou aurait exist sans cette
conscience qui est ntre: le chaos nest rien, ou il nest quelque chose et
ne se justifie pour nous que si Dieu est, comme passage dc ce rien au
monde dans labsolue gratuit dune pense cratrice.
Nous voyons que le monde, tel quil se manifeste pour lhomme, semanifeste comme lei bien que lhomme ne Soit pas encore, quil est et
apparat ainsi, sous cette forme et avec cette structure, bien avant
quapparaisse dans le monde lexistant humain. Jvite, pour le moment,
dexprimer cela au pass, de placer cet avant et ce pas encore en
un temps qui scoulerait de son propre flux alors que lhomme, sans qui
il ny a de dure sensible ni mesurable, nexiste pas: ces termes consta
tent dune part le rapport ncessaire du monde une conscience qui est
celle de lhomme, dautre part lantriorit certaine du monde cette
conscience. Sil y a l une contradiction, il faut bien quelle se rsolve
en quelque manire, car lexistence du monde antrieurement lhomme
nest pas moins sre et moins vidente que ne lest le rapport du monde la conscience humaine. Avant que lhomme soit, le monde existe, et
non pas comme simplement virtuel, non pas comme chaos: il existe dans
toute sa ralit perceptible et intelligible, physique et mathmatique.
comme ide et comme fait, dans sa profusion, dans son ordre, avec sa
configuration et son poids. Je ne dbats pas ici le point de savoir si le
monde a une consistance vraie ou une forme illusoire, si Cest Ufl monde
rel ou bien, comme on dit, un rve bien li. Lillusion, si le monde
en est une, a tout juste autant de force persuasive quen aurait un monde
qui existerait positivement, et je ne vois gure de diffrence pratique
entre un rve bien li et une ralit cohrente. Ce qui importe nest pas
quon puisse mettre en doute ltre rel du monde, cest quon ne peutpas ne point reconnatre que le monde, tel quil nous apparat, est ins
parable de a conscience humaine qui lappelle se manifester par le
mme acte o elle se constitue en lui. Mais alors, je le rpte. quen est-
il du monde tant que b conscience humaine ny est pas prsente, cest-
-dire en lui prsente elle-mme tant que lhomme nest pas venu?
On dit volontiers quil ny a pas plus de pense vide que de perception
sans objet, que b conscience nest pas si elle nest conscience de
quelque chose, quelle nexiste comme conscience quen tant au monde
peru et pens par elle. Mais comment y aurait-il quelque chose de seni
blable ce que nous percevons et pensons qui ne soil pas peru etpens? Comment le monde peut-il prcder sa manifestation par lexis
tant humain prsent et conscient, peut-il prexister Ioule intuition rv
lante ou suscitatrice? Etre l, des milliards dannes avant lillumina
tion dun regard? L dj sous celte apparence el ntre cependant pour
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personne? 11 faut supposer une modalit de ltre o ni le monde nest
effectivement donn ni lhomme radicalement absent; admettre une
existence occulte du monde coextensive une prsence humaine non
explicite; concevoir, pralablement ltre l par qui a lieu le dvoi
lement du monde et son actualisation selon une existence el une
conscience advenues et prsentes, un tre-en de par qui ce dvoile
ment se,-ait sans cesse possible ci en qui il saccomplirait avec un
immense recul, dans une rtrospective illimite de la conscience en de
de lexistence, indfiniment en de ou en arrire de lavnement delhomme au monde et de la prise de conscience du monde par lhomme
au fur et mesure de son avnement
La question dc savoir si Ic monde possde une ralit intrinsque.
une existence positive hors de la conscience ou sans elle; sil constitue
originairement un fait, un tat de choses indpendant de sa saisie ult
rieure par les sens et par la pense; sil y a un dj l objectif du
monde non seulement pour le sujet particulier, comme chacun lprouve,
mais pour lexistence subjective considre en gnral cette question
semble navoir pas de valeur significative, pas de porte intelligible. Et
elle nen a pas en effet pour les philosophes idalistes, qui contestentquil y ait un monde objectif extrieur au sujet et intgrent tout le rel
lesprit qui lui donne ses formes propres. Mais le ralisme instinctive
ment ou dlibrment dualiste, celui du sens commun comme celui du
savant, qui croit lun spontanment, lautre par ncessit scientifique
lexistence dun monde matriel extra-mental, croit aussi quil y a com
munication entre la conscience et le monde, accord de lesprit avec la
matire: ce qui est faire de lobjet matriel lorigine des modifications
de la conscience, mais aussi attribuer lobjet quelque essence spiri
tuelle implicite qui permet la conscience davoir elle-mme prise sur
lui, ce qui est admettre que nous recevons dune ralit extrieure nous
les impressions sensorielles qui composent notre univers, mais aussiquil faut que nous soyons l pour les recevoir et pour que cet univers se
compose prcisment sous laspect o nous le percevrons. Il semble
dabord que les philosophies de lexistence et la phnomnologie aient
peu prs mis au point, sinon tout fait clairci, cette question du rapport
entre lhomme et le monde. Le ralisme que les thoriciens idalistes
qualifiaient de naf na crdit que pour le sens commun. Les philo
sophes nadmettent plus gure que le monde existe intrinsquement te!
quil apparat la conscience, celle-ci se comportant alors comme le
rflecteur purement passif dune ralit toute faite et qui persisterait
extrinsquement. Lidalisme subjectif, qui pari de la mme opinion
pour la rejeter et conclure de purs tats de conscience, est plus difficile surmonter. On ny parvient que dans lentre-deux, si je puis dire, qui
nest pas une combinaison intellectuelle des deux thses raliste et ida
liste, qui est cette intuition et cette exprience concrte que le monde et
lhomme surgissent ensemble lun par lautre, quils sont, quils existent
dans lacte par lequel un monde est suscit pour lhomme et non pas
dispos objectivement autour et hors de lui tandis que lhomme est
constitu en tant qulornme dans Ic inonde et non pas install dans
un monde qui lui serait objectivement extrieur. Evoquer lhomme dans
le monde, cest comprendre que ni le monde nest amen la lumire
sans la conscience humaine qui le dvoile, ni la conscience rvle elle-mme sans le inonde qui la pourvoit. Ainsi parait se rsoudre
lopposition classique entre la pense et la chose, entre un sujet et un
objet dont on se demande comment, tant de nature diffrente et mme
antinomique, ils entrent lun avec lautre en contact: demande toute
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rationnelle, quoi le ralisme ne peut rpondre et que lidalisme esca
mote en niant la ralit de lobjet, en ramenant le monde un flux men
tal, une suite de corrlats subjectifs, un systme dc reprsentations
concordantes.
La russite de ce quon nomme lexistentialisme, comme de ce
quon appelle la phnomnologie, serait, si je ne mabuse, de restituer
un monde de phnomnes, dont on peut penser quil nest quapparence,
une ralit que lidalisme lui dnie, sans pourtant tomber dans lerreur
propre au ralisme du sens commun qui suppose un monde objectif subsistant sous cette mme forme indpendamment de toute subjectivit. Le
monde nest pas ce tout existant en soi, suivant lcNpression kan
tienne. qui se prsenterait nous tous sous le mme aspect dj ralis.
Mais il nest pas non plus cette trame de fictions, droules en chacun de
nous et dont on ne sail quelle loi de correspondance ou harmonie pr
tablie assurerait la connexion entre nous tous. Je puis douter quil y ait
quelque chose de rel hors de moi; je ne puis douter que je sois, puisque
je pense. Mais peine me suis-je ainsi convaincu que je suis, Ic doute
que jprouvais quant la ralit des choses svanouit galement, je
reconnais que la certitude dexister moi-mme ne fait quune avec celle
de lexistence du monde. Ce qui mest donn comme certain, avec niapense et mon tre, cest dabord la non-autonomie essentielle de cette
pense qui est mienne, cest lexistence non foncirement particulire de
cet tre que je suis. Ma pense, cest en moi que je lprouve et cest
mon existence que jprouve immdiatement par elle, mais une rflexion
plus attentive me montre que ce nest pas de moi exclusivement que nat
ma pense. je nen suis pas lorigine unique, la source absolue. Je pense
et je ne pense pas seul, cc qui veut dire non pas que dautres pensent de
leur ct et que ma pense communique avec la leur, que les penses
individuelles correspondent pour constituer un ensemble et raliser des
changes, mais que toute pense se forme dune commune nergie men
tale dont elle est, dirai-je, lun des noeuds de vibration innombrables.
Ainsi les myriades de lampes que je vois maintenant, de ma fentre,
briller dans la nuit sur la ville... Mais non, je ne suis pas dupe dune
fausse analogie. Ces milliers de lumires peuvent sajouter et cumuler
pour produire une luminosit plus intense, elles ne correspondent pas
entre elles, elles nont rien se communiquer lune lautre puisquelles
sont objets et que lobjet est quelques chose de radicalement inapte une
participation, un change, quelque chose qui na de ralit quexterne.
Chacune des lampes produit sa lumire l o elle est, el rien que l,
sparment, ponctuellement, sans recevoir rien des autres et rien donner
aucune. Cest par autrui que je prends aussi conscience dexister. Cesten moi que je prends dabord conscience de lexistence dautrui. Mtant
assur que je suis par la conscience que jai de penser. je vois que ma
pense souvre sans cesse un apport en mme temps quelle vise se
transmettre, que ma conscience est appel et rponse, le lieu dun
&hange, cet change mme quelle respire, dont elle vit. Personne ne
forme isolment sa propre pense individuelle: personne. donc, ne vit
part sa seule existence. Je songe au mot de Pascal sur lle dserte et
effroyable o se tient lhomnc abandonn lui-mme dans ce recoin
de lunivers: mais Pascal parle de lhumanit en gnral, de la condi
tion indiffrencie de ltre humain. Pour lexistant particulier, il ny a
pas dauthentique le dserte, de solitude qui se suffise. Il ny a pas enmoi de part si retire que je ne my retrouve ml aux autres. Lpreuve
que je fais, tous moments, dun mode dexpression collectif hors
duquel je naurais pas le moyen de reconnatre que je pense et que je
suis, est lpreuve aussi dune prsence humaine qui me prcde et
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laquelle je puise constamment. La conscience que chacun prend de soi
au moyen de la pense et du langage est aussi conscience des hommes
parmi lesquels il se situe el entre qui le mme tre circule.
Avec lexistence dautrui, celle du monde est prouve comme cer
taine dans lacte mme o un homme, qui na pas besoin pour cela dtre
spcialiste (il lui suffit de rfl&hir un peu), constate quil pense, et donc
quil est, ou quil ne pense que parce quil est: certitude obtenue
constamment par une dmarche trs simple, ds lors quon renonce
ratiociner pour suivre limmdiate exprience essentielle. Je pense, maisma pense nest pas un pur mouvement interne, elle est pense de
quelque chose quelle vise et qui se distingue delle, pense dun tat de
choses qui soffre elle comme dj l. Je suis, mais je ne suis pas
enclos dans on ne sait quelle subjectivit insoutenable. Je suis au monde
un monde sans qui la conscience resterait absente elle-mme, per
due dans sa propre transparence, et qui sans la conscience ne sortirait pas
.
encore intrieures la transcendance, toutes lies ltre en soi. La
fonction, la mission assigne par Dieu Adam est damener le monde
lexistence phnomnale, de le faire natre lapparence ou ralitexterne, surgir cette immanence et sous cet aspect qui exigent linter
venhion de lhomme. En se rvlant la conscicncc adamiquc, le monde
cr sort de lintuition transcendante tandis que lui. Adam, vient au
monde manifestement dans lintelligence quil a de ce qui saccomplit
par son intervention et qui fait de lui lauxiliaire du Crateur. Nous com
prenons sans peine quil ny a point dobjets en face de Dieu, quil ne
peut y avoir pour lintuition divine un monde objectif quelle peroive
comme lui tant oppos. Ces ce qua toujours voulu dire la mtaphy
sique thiste traditionnelle en affirmant que la ralit objective intra
mondaine ne coexiste pas fondamentalement avec Dieu cl ne lui est pas
juxtaposable ou ne fait pas addition avec lui. II ny a dobjets que pourune intuition qui les choses se prsentent de lextrieur comme dj
constitues dans leur tre et y persistant en dehors delle. Or, Dieu veut
quil y ait un monde dobjets (cest ce que nous constatons du fait que le
monde existe) et il cre lhomme pour que celui-ci rponde dabord
cette premire volont, il le cre sa ressemblance pour que soit consti
tue par la conscience humaine lobjectivit du monde, Et il cre la
fois le monde pour que lhomme, lui aussi li ltre en soi, intrieur
la transcendance, se rende immanent lui-mme et se reconnaisse, au
sein dun non moi objectif quil rvle et qui le cerne; comme sub
jectivit autonome.
Gardons-nous de croire cependant quil y ait dans le rapport deDieu la cration un avant el un aprs selon nos rapports, une
dure antrieure la cration et une dure postrieure elle, ou encore,
dans la cration mme, une dure qui aurait prcd lhomme et une
dure partir de lhomme et avec lhomme. La pense. ou le verbe, ou
le geste qui cre nc ressortit pas notre chronologie. En tant que gense,
la cration est intemporelle, et cest seulement en ce sells que nous
disons aussi quelle continue, entendant par l que la puissance gnra
trice ne cesse pas denvelopper actuellement tout son effet, de sorte quil
ny a pour elle ni pass ni avenir, que rien ne saurait tre son gard
comme ntant plus ou comme ntant pas encore, que tout lui est donn
comme prsent au mme plan dexistence. Ce que jessaie dexprimer endisant que, jusqu lavnement de lhomme, le monde est encore dans
lintuition divine, et quil sen dgage ds lors que lhomme advient,
cest en dehors de tout rapport de temps lide que la cration nest
paracheve et parfaite quen passant du mystre dc lintuition cratrice
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lvidence de ce qui est reu comme cr. quand le monde s&laire pour
une conscience que Dieu met en lui afin que toutes choses montrent ce
quelles sont et tmoignent concrtement de leur vrit. Cette conscience
nest pas une conscience cosmique, lesprit du monde, si par l on veut
dire quil y a une conscience ou possibilit de conscience dans la
matire, une virtualit subjective inhrente lnergie physique univer
selle. Lunivers ne se connat point, il se rvle en devenant un monde,
chaque instant depuis un commencement immmorial jusqu une finimprvisible: et de ce commencement, de cette fin, nous pouvons croire
que celui-l a lout concid, que celle-ci concidera toute ( moins que
nexistent dans le cosmos dautres tres pensants et parlants) avec le
commencement et la fin de lhomme. Car toute lnergie dc lunivers est
incapable de susciter elle seule quelque figure que ce soit dans
un espace ou quelque conduite que ce soit dans une dure. Il faut pour
cela quune conscience la ntre opre, et dabord directement par
un acte perceptif spontan dont nous disons justement quil nest pas
rception passive de ralits dj construites. Que le rel, le fin fond du
rel, radiations et matire, consiste en corpuscules dont la quantit de
mouvement et de force est lie des trains dondes propages linfiniou stabilises suivant certains tats dquilibre cette structure, nulle
structure simplement physique ne donnera jamais delle-mme ce cou
cher dc soleil attendu dans le haut ramage de la mer, cette rose inopine
dans la fracheur bleue dune alle laube. Il faut quelquun qui regarde
et coute, et parle. qui dit je et nous, et connat quil existe comme
je avec des milliards dautres je pareils lui et prsents comme lui
transitivement un nous perptuellement prsent: avec des milliards
dautres je qui ont pass avant lui ou viendront aprs que lui-mme
aura pass, et de qui lexistence a un terme au sein dun nous qui ne
cesse pas.
* 4 4Quest-cc donc que lacte perceptif? Devons-nous y voir la mise en
oeuvre dun donn fondamental avec quoi la conscience entrerait en
socit et dont nous ne connatrons jamais la nature intime? Le recours
au noumne, une ralit inconnaissable, une chose en soi trans
cendante lintuition et lintelligence, quil faut supposer derrire les
phnomnes comme leur support ontologique, constitue une tentative
assez illusoire pour chapper lidalisme: nous ne sommes pas au
contact dune ralit objective toute faite qui se rflchirait dans la
conscience comme en un miroir, mais nous navons pa.s faire non plus
une fiction, un pur contenu de conscience; nous avons faire quelque chose de rel qui est par nawre impossible connatre, car cene
chose, cc rel, au contact de la conscience, se rfracte comme dans un
prisme en phnomnes drivs au del desquels il nest mme pas
concevable que nous allions jamais. puisque lexprience, si profond
ment quelle puisse aller. nc nous livre jamais que des phnomnes.
Mais lide dun en-soi ontologique ne rsiste pas lexamen, nous
disons du noumne ce que nous disons du chaos, quil nest rien, ou
nest quelque chose que comme passage de ce rien au monde dans la
gratuit dune pense cratrice: il ny a den-soi que sil y a un Dieu, et
cest le monde en tant quil se cre, en tant quil vient ltre non cx
nihilo, dun nant en quelque sorte extrieur et prexistant, mais (lunepense hors de laquelle et avant laquelle il ny a pas plus de nant quil
ny a dtre; quant au monde tel quil soffre la perception et lintel
ligence humaine, je peux et je dois admettre que son exploration par
lhomme ne sera jamais acheve, quil y aura toujours et tout moment
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pour lhomme des possibilits de perspective sur le inonde non encore
effectivement accomplies, des ralits dans le domaine empirique et des
vrits de lordre thorique dont lexprience restera faire ou qui reste
ront trouver; et cest, justenient, cc qui les diffrencie du noumne
ou en-soi incommunicable, Ces possibilits, nulle interdiction de prin
cipe ne soppose leur accomplissement; ces ralits, ces vrits, aucun
empchement constitutionnel ne rend vaine ds lorigine une recherche
qui tendrait les connatre: aussi considrons-nous quelles existent,
quelles sont, avant que lhomme les connaisse effectivement eL mmesil devait ne jamais connatre de certaines quelles elles sont, en quoi
elles consistent ou ce quelles signifient. Tout cc qui est, quelque titre
que ce soit, tout ce qui a quelque ralit que ce soit, est connu ou peut
tre connu. Cela veut dire dabord que ce qui est susceptible de connais
sance a ncessairement ltre ou la possibilit dtre. Comment ce qui
nest pas pourrait-il tre connu? 2 demande le philosophe antique. Mais
renversons les termes de la question: comment ce qui ne peut tre connu
pourrait-il tre? Dire dune chose que la connaissance en est foncire
ment impossible, que sa nature est dtre inconnaissable, revient la nier
alors quon laffirme, dire quelle est tout en ntant pas, ou que son
essence est de ne pas tre: ce nest une ralit aucun titre, ni physiqueni idale, ni concrte ni abstraite, ni actuelle ni potentielle, ce nest abso
lumen rien, en le supposant derrire tout ce qui apparat, en le d&larant
ncessaire pour fonder et relier entre eux les phnomnes ou donner un
objet la conscience. Pour se rvler elle-mme, la conscience na
besoin dautre objet que le monde tel quil lui est rvl, sans quil faille
supposer par dessous on ne sait quel principe de sustentation ou de liai.
son si indtermin et amorphe quon nen peut rien savoir. Quant aux
phnomnes, que ce soient ceux qui tombent sous le sens commun ou
ceux qui relvent de lobservation scientifique. leur support ncessaire et
suffisant est le monde qui les contient tous et qui dborde chaque instant et linfini toute exprience particulire.
Lexpdient intellectuel o en vient parfois le philosophe incite le
chercheur scientifique penser quil est seul capable darriver une
vrit sur le monde aussi proche que possible de ce que le philosophe
nomme len-soi. Le concept du noumne, ralit qui chappe
notre prise, rsulte non pas de ce quil y aurait dans la ralit un lment
irrductible lesprit, mais de ce que la ralit objective, pour tre
prouve et connue, passe par les formes que lesprit lui impose, de sorte
que lexprience quen fait lesprit ne sexerce que sur des apparences
fournies par lui-mme, el que la connaissance quil en a se confond avec
celle de sa propre activit subjective. Tout objet. el le monde des objetstout enlier, est peru par nous au moyen et travers de si intimes modi
fications que le fondement nous en reste jamais mystrieux3, telle
est la conclusion laquelle nous sommes forcs daboutir tant que nous
ne voyons pas ce quil en est au juste de la relation entre lobjet et la
conscience: parce que rien en lui nest subjectif, lobjet na de ralit
quexterne, il nexiste que pour tre manifest et sil peut ltre en
quelque manire. Il ny a donc pas de sens supposer que quelque chose
serait en lui sans aucune manifestation possible; et il ny a pas de sens
non plus penser que la conscience, qui nest ce quelle elle quen tant
conscience de quelque chose dautre quelle-mme et qui se manifeste
par elle, namnerait se manifester quune apparence inluctablementdiffrente de ce que lobjet est rellement.
Lhomme qui croit en Dieu croit ncessairement que Dieu sest
rvl aux hommes. On dit que la rvlation est dc foi, cc qui vise lout
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ensemble la ralit dun vnement survenu un inonient de lhistoire
humaine, et un contenu spirituel qui nest daucun temps diermin
parce quil emplit et enveloppe tous les temps. Je ne me place pas du
point de vue de la foi, dont lacte, disais-je avec Pascal, est un pari. Je
naffirme pas dune manire certaine la ralit historique de lvne
mciii. Je ne suis pas sr quune parole effectivement prononce soit la
source de ce contenu spirituel. Au plan des notions o je me tiens, sans
prendre ni lun ni lautre parti, sans prjuger de lexistence ou de la non
existence de Dieu, je commence par reconnatre que le concept de Dieuimplique, de toute ncessit, lide de rvlation, que lide de rvlation
est constitutive dune exacte notion de Dieu. Ici se manifestent simulta
nment linsuffisance et la valeur de la preuve dite ontologique. Conce
vant ltre parfait, ou Dieu, je suis tenu dc lui attribuer lexistence,
condition premire de la perfection de ltre, et de ce que lide dexis
tence est insparable de lide de Dieu je ne puis dduire, tout slabo
rant dans mon esprit, que Dieu existe en ralit mais je dois conclure
quun concept qui ne pose pas ltre parfait ou Dieu comme existant est
incorrectement labor et fondamentalement faux. Cest ce qui apparat
chez les anciens Grecs, qui, faute davoir li lide dexistence celle de
Dieu conu comme lUn ou comme lEire parfaiteiucnt vrai, en tirentdes dductions tellement quivoques et douteuses quelles annihilent ce
quil y a de juste dans la conception initiale. Le philosophe qui voit dans
les choses du monde les reflets dune ralit vritable laquelle on
accde par lintuition des Ides, qui considre les Ides comme partici
pant lintelligibilit de lUn, et par qui lUn est pressenti OU
retrouv dans une intuition dernire au terme dune dialectique ascen
dante ce philosophe en arrive dire que lUn na pas ltre, que
lUn nest pas. Et quant au Dieu aristotlicien qui se prsente au haut
dont le comportement est dtemiin. sans ouverture possible, par les lois
dc lespce. el qui na pas dexistence originale, qui nest, qui nexisteque selon et par lespce laquelle il appartient. La notion de personne
ne sapplique qu lhomme et dsigne la possibilit ouverte lindividu
dun dpassement de lespce qui llve la condition dexistant parti
culier. Ajoutons, ce qui est vident, que lexistence particulire dsigne
elle-mme la facult qua lindividu humain de se connatre comme
moi el comme je. Mais voici une remarque nouvelle: une inter
version de valeur se produit alors entre les deux notions. Une fois la per
sonne pose et comprise comme impliquant une suprmrii par rapport
lindividu, nous voyons lindividu se hausser, pour ainsi dire, au-dessus
de la personne. Il faut oser tre un individu3, dclare lexgte
dAbraham. Dire quil faut oser tre une personne ne signifierait rien.Lexistant humain est naturellement une personne, mais il nest un indi
vidu que sil le veut, entendons par l quil lui faut sortir, grand effort,
des lieux communs de lexistence collective et objective o il est perdu
et se retrouver lui-mme dans loriginalit de son tre propre, de sa pure
subjectivit individuelle. Sil en est capable, il ne passe videmment pas
dun tat donn un tat diffrent, cest au contrai re ce qui existe de per
sonnel en lui qui saffirme avec rigueur La notion dindividu confre
celle de personne lout son sens.
En disant de Dieu quil faut, pour avoir de lui une ide juste, poser
dabord un Ego et un Je, nous navanons rien que ne puisse
admettre le thologien aussi bien que le philosophe. Jai rappel lopinion du docteur de lEglise sur linanit dc toute dfinition ou qualifica
tion humaine de Dieu. Mais je ne le dfinis et ne le qualifie pas en le
nommant un Je et un Ego pas plus que je ne me dfinis ou ne me
qualifie moi-mme en massurant que je suis par la conscience que jen
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ai. Je dis seulement que la conscience dtre, qui est lie lexistence de
lhomme. ne lest pas moins lexistence de Dieu, et je nmets, ce
disant, aucune proposition anthropomorphique, je constate sans plus
cette vrit que la seule existence certaine, et la seule digne du nom
dexistence, est celle qui sprouve