Les pronoms rélatifs QUI, QUE Preposition + QUI CE QUI, CE QUE DONT, CE DONT OÙ
Denis Villeneuve, scénariste et réalisateur d’Incendies · Gaudette, qui incarne le fils de...
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Ciné-Bulles
Denis Villeneuve, scénariste et réalisateur d’IncendiesStéphane Defoy
Volume 28, Number 4, Fall 2010
URI: https://id.erudit.org/iderudit/61023ac
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Publisher(s)Association des cinémas parallèles du Québec
ISSN0820-8921 (print)1923-3221 (digital)
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Cite this articleDefoy, S. (2010). Denis Villeneuve, scénariste et réalisateur d’Incendies.Ciné-Bulles, 28 (4), 42–47.
42 Volume 28 numéro 4
EN
TR
ET
IEN
« J’ai un vrai deuil à faire pour me séparer de cette œuvre, riche et dense. »
Denis Villeneuve — Photo : Éric Perron
STÉPHANE DEFOY
Reconnu comme l’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération, Denis Villeneuve a
fait sa marque dans le paysage cinématographique québécois depuis près de 15 années. Il y a
d’abord eu Cosmos (1996), un film collectif composé de six courts métrages, Un 32 août sur terre
(1997) et Maelström (2000). C’est avec ce film que le réalisateur acquiert une renommée inter-
nationale. Après une pause de plusieurs années, il revient au cinéma, d’abord avec le court mé-
trage Next Floor (2008), souvent primé, puis Polytechnique (2009) qui, malgré les réticences de
certains quant à la pertinence de traiter ce sujet délicat, a connu une belle carrière. L’actualité
cinématographique du cinéaste est la sortie d’Incendies, d’après la pièce de théâtre de Wajdi
Mouawad, qui raconte la quête de Jeanne et Simon Marwan afin de découvrir le passé de leur
mère récemment décédée. Quelques jours avant son départ au Festival de Venise où aura lieu
la première mondiale du film, Denis Villeneuve a accordé une entrevue à Ciné-Bulles. Une ren-
contre sous le signe de l’honnêteté.
Denis VilleneuveScénariste et réalisateur d’Incendies
Volume 28 numéro 4 43
Ciné-Bulles : Dans Incendies, les lieux de l’ac-
tion ne sont jamais explicitement identifiés.
Pourquoi?
Denis Villeneuve : Tout comme dans la pièce de
Wajdi, j’ai souhaité créer un espace apolitique. Ce
qui ne signifie pas que le récit est dénué de toute
dimension politique, au contraire. L’intention était
de ne pas associer le film à un conflit spécifique.
Malgré cela, à l’étape de la postproduction, plu-
sieurs personnes avec qui j’ai travaillé étaient
convaincues que les villes auxquelles le film fait ré-
férence existaient vraiment.
Incendies s’inspire tout de même des conflits qui
ont sévi dans la région du Moyen-Orient.
Il s’agit en fait d’une transposition de la réalité dans
un lieu imaginaire, comme Mouawad l’a faite au
théâtre. Plusieurs scènes du film ont réellement eu
lieu. Par exemple, au Liban où nous sommes allés à
l’étape de la préproduction, il existe une multitude
de points de vue politique sur chaque situation don-
née. La seule manière d’aborder les cycles de violen-
ce ayant eu cours dans cette région, sans se perdre
dans les dédales de la reconstitution historique, était
de les situer dans un espace fictif qui, cependant,
demeure très près de la réalité du nord de la Jordanie
et du sud du Liban.
Est-ce que Mouawad a participé de près ou de
loin au processus d’écriture du scénario?
Dans un premier temps, Wajdi se sentait honoré
qu’un Québécois s’intéresse à Incendies dont l’inspi-
ration est directement liée au Moyen-Orient. À par-
tir du moment où il a accepté de libérer les droits de
sa pièce, il m’a laissé carte blanche. Pour lui, la pièce
de théâtre est une œuvre qui lui appartient. En re-
vanche, il m’a laissé une liberté complète dans sa
transposition cinématographique. Avec le recul, je
crois que le succès de la transposition d’une œuvre,
d’un médium à un autre, réside dans la latitude
qu’on a pour la modifier à sa guise.
C’est la première fois que vous travaillez à une
adaptation cinématographique. Comment cela
s’est-il passé?
Ce fut un réel privilège de travailler à partir d’un
texte de Wajdi, un dramaturge pour qui j’ai une très
grande admiration. Pour ce qui est du processus qui
a mené à la version finale du scénario, je dois ad-
mettre que ce fut un réel bonheur de travailler à
Incendies et d’être habité par l’univers d’un créateur
et des réflexions qu’il porte sur le monde. J’ai un vrai
deuil à faire pour me séparer de cette œuvre, riche
et dense.
La sortie en salle du film devrait vous permettre
de passer à autre chose, non?
Pas nécessairement. Maintenant, j’ai l’impression
que faire un film, c’est un peu comme interpréter
une partition d’un célèbre compositeur de musique.
Je suis fier du résultat obte-
nu et j’assume totalement
le long métrage, mais mon
fantasme profond serait un
jour de refaire Incendies.
Le reprendre à zéro, réécrire
un scénario avec une autre
approche, un angle nou-
veau. Revisiter les thèmes
du texte avec un traitement
différent. Il y a tellement
d’avenues que j’aurais pu
explorer! Mais faute de
moyens, de temps et pour
bien d’autres raisons, je ne
l’ai pas fait. Je le dis comme
ça, sans fausse pudeur, car
c’est pour moi une manière
de me consoler, de me dire qu’un jour peut-être, je
pourrais, par exemple, approfondir tel personnage
et développer une tout autre histoire.
La plupart des personnages secondaires sont
arabes. Comment avez-vous abordé le casting du film?
Le bassin de comédiens professionnels est assez res-
treint en Jordanie, où nous avons tourné. En plus, il
fallait dénicher pour plusieurs des rôles des acteurs
qui parlent arabe et français. Nous avons finalement
travaillé avec quelques comédiens connus là-bas.
Pour le reste, il s’agit de non-professionnels. C’était
la première fois que je travaillais avec des amateurs
et je dois admettre que malgré mes appréhensions,
j’ai adoré les diriger. D’entrée de jeu, la directrice de
casting, d’origine jordanienne, insistait pour embau-
cher des Irakiens, qui ont besoin de boulot, pour les
Je suis fier du résultat
obtenu et j’assume totale-
ment le long métrage,
mais mon fantasme profond
serait un jour de refaire
Incendies. Le reprendre à
zéro, réécrire un scénario
avec une autre approche,
un angle nouveau.
44 Volume 28 numéro 4
différents rôles et tâches. Le matin, des membres de
l’équipe partaient en autobus vers des camps de ré-
fugiés irakiens en bordure de la Jordanie. Ils reve-
naient avec le véhicule bondé de personnes prêtes à
nous aider. J’ai vécu une expérience inoubliable.
Parfois, nous demandions à ces gens de participer à
des scènes intenses et dramatiques sans savoir qu’ils
avaient vécu des situations similaires. Certains ont
eu l’extrême générosité d’intégrer à l’écran des évé-
nements dont ils avaient été témoins et qui les
avaient marqués.
Outre Rémy Girard dans le rôle d’un notaire
québécois, les personnages principaux ont
des racines moyen-orientales. Mais Maxim
Gaudette, qui incarne le fils de Nawal, est le seul
comédien qui n’a pas les traits moyen-orientaux.
Pourquoi ce choix?
Pour être honnête, mon objectif premier était de
travailler avec de jeunes acteurs d’origine arabe, en
particulier pour les rôles des deux enfants de Nawal.
Le casting a duré plusieurs mois et j’ai insisté pour
trouver ces comédiens au Québec, car leurs person-
nages sont enracinés en terre québécoise puisqu’ils
ont grandi ici. Je tiens à souligner que chez nous, il
existe des acteurs d’origine arabe talentueux. Cela
dit, au terme des auditions, je n’ai pas trouvé les
personnages que j’avais en tête. Ce fut un long pro-
cessus qui a demandé beaucoup de temps et d’éner-
gie. Finalement, nous avons arrêté notre choix sur
Mélissa Désormeaux-Poulin qui, malgré son nom
très québécois, a des traits et une silhouette qui res-
semblent beaucoup à ceux de Lubna Azabal, l’actri-
ce qui incarne sa mère. Pour le personnage de
Simon, j’ai pris le pari que le comédien choisi serait
suffisamment crédible et talentueux pour que le
spectateur n’accroche pas sur ce détail. D’ailleurs,
lorsque j’étais au Liban, j’ai vu des jeunes hommes
ressemblant à Maxim. Ils avaient des yeux très bleus
et le teint pâle, la preuve qu’il ne faut pas unique-
ment reproduire les stéréotypes auxquels nous som-
mes habitués.
Votre film comporte des scènes d’une grande vio-
lence. Comment avez-vous préparé l’équipe à ces
séquences charnières?
Je ne connais rien à la guerre, ni à la violence de
celle-ci. Je n’ai jamais eu à la subir, ni à en être té-
moin. Ma connaissance de la violence vient unique-
ment du cinéma et de la télévision. Le principal défi
a été de rendre ces scènes aussi réalistes que possi-
ble afin de ne jamais sombrer dans le spectacle. Sur
le tournage, j’avais la chance d’être entouré de gens
qui avaient été témoins de ce genre de situations
lors de conflits armés. Je me souviens particulière-
ment du matin où nous sommes arrivés sur le pla-
teau alors qu’une rue avait été transformée en zone
de guerre pour une séquence avec un sniper.
Certains techniciens libanais avaient les larmes aux
yeux et disaient que c’était très semblable à ce qu’ils
avaient vécu à Beyrouth en 1985. Dès lors, j’étais
convaincu que nous n’étions pas à côté de nos pom-
pes, mais bien collés au réel.
Vos deux derniers longs métrages comportent des
séquences où des gens se font abattre de sang-
Jeanne (Mélissa Désormeaux-Poulin) et son frère, Simon (Maxim Gaudette)
Denis VilleneuveScénariste et réalisateur d’Incendies
Volume 28 numéro 4 45
froid. J’ai l’impression que dans Polytechnique,
la tension dramatique est à son comble. Les
coups de feu ne cessent de résonner, alors que
dans Incendies, l’approche semble plus clinique,
plus distanciée par rapport aux actes de violence
qui sont commis.
Dans Polytechnique, j’ai insisté pour qu’on enten-
de de vrais coups de feu dans chaque scène afin de
créer cette tension dramatique. Le bruit résonnait
de manière infernale dans les corridors où nous
tournions et cela occasionnait un grand stress chez
les comédiens et chez les figurants. Dans Incendies,
le traitement est complètement différent. Certains
personnages doivent, par exemple, participer à une
exécution comme si c’était quelque chose de banal.
Ils sont habités par une énergie qui désincarne com-
plètement leurs actes. Lorsque des individus bai-
gnent dans la guerre depuis des d’années, ils finis-
sent par être coupés d’une partie d’eux-mêmes. À
mon avis, cette façon d’être donne aux actes com-
mis une dimension encore plus effrayante.
Valérie Beaugrand-Champagne, une conseillère
à la scénarisation souvent présente dans les pro-
ductions de micro_scope, a collaboré au scénario
du film. Était-ce une exigence de votre producteur?
Pas du tout. Je connais Valérie depuis plus de
20 ans. Nous avons eu des parcours parallèles, mais
bizarrement nous n’avions jamais travaillé ensemble
auparavant. J’étais vraiment emballé que nous puis-
sions enfin approfondir un scénario et travailler aux
relations entre les personnages. C’est quelqu’un qui
a de grandes qualités pour épauler un scénariste.
C’est une lectrice redoutable qui n’a pas d’égal pour
décortiquer une scène. Son soutien a été indis-
pensable à la réécriture du scénario d’Incendies.
Parfois, j’avais besoin de quatre scènes pour expri-
mer une idée et grâce à Valérie, je suis parvenu à le
faire dans une seule.
Vous avez dit, après la sortie de Polytechnique,
dont le scénario a été coécrit avec Jacques
Davidts, qu’il était désormais indispensable
pour vous d’être accompagné dans votre démar-
che d’écriture.
Si vous regardez les génériques des films des années
1960 et 1970, règle générale, plusieurs personnes
ont contribué à l’écriture du scénario. Une forme de
collège de pensée de trois ou quatre individus qui
réfléchissent ensemble à un long métrage. À l’épo-
que où j’écrivais Maelström tout seul, je me souve-
nais de Tonino Guerra qui a travaillé avec les plus
grands cinéastes, comme Antonioni, Fellini ou les
frères Taviani, et j’avais le goût de partager ma créa-
tion avec d’autres.
Pour vous, l’écriture en solo, c’est terminé?
Mes prochains projets seront développés avec
Valérie ou avec d’autres collaborateurs.
Nawal Marwan (Lubna Azabal)
46 Volume 28 numéro 4
Pour la production, vous avez débuté avec Roger
Frappier (Max Films). Vous avez réalisé Poly-technique avec Maxime Rémillard et Karine
Vanasse (Remstar) et maintenant Incendies avec Luc Déry (micro_scope). Si Roger Frappier
vous appelait pour vous proposer un nouveau
projet, accepteriez-vous?
Sûrement! J’ai beaucoup appris avec lui. Il possède
une ferveur et une passion du cinéma, ce qui est
une grande source de motivation pour un réalisa-
teur. À l’époque, c’était la première fois que je ren-
contrais un producteur qui me disait : « Écris quel-
que chose et on va le tourner ». Avant, j’entendais
plutôt : « Écris-moi une proposition et on va peut-
être la déposer aux institutions afin d’obtenir du fi-
nancement pour l’écriture du scénario ». Ma colla-
boration avec Roger m’a permis de briser la glace
rapidement et ce fut un grand privilège d’être asso-
cié à lui d’entrée de jeu. Ça me ferait assurément
plaisir un jour de travailler à nouveau avec lui,
d’autant plus que c’est un homme qui a une volonté
de continuité qui me rejoint. Mais à l’époque de no-
tre collaboration, j’étais tout à fait incapable de
m’inscrire dans cette continuité...
Parlant de continuité, comment expliquez-vous
votre absence de huit ans entre Maelström et
Next Floor?
Après Maelström, je n’avais plus le même plaisir à
faire du cinéma, j’avais perdu cette espèce de spon-
tanéité originelle et je prenais conscience du regard
des autres. La liste des festivals présentant le film
s’allongeait et les prix s’accumulaient. Je me suis
égaré là-dedans. C’était trop. J’avais le sentiment
d’avoir perdu une liberté de création que je ne par-
venais pas à retrouver. Je recevais de nombreuses
offres, parfois alléchantes, mais je ne sentais pas cet-
te pulsion qui m’aurait incité à me lancer corps et
âme dans un nouveau projet. J’ai un rapport sacré
au cinéma. Je n’ai pas le goût de faire des images
pour faire des images, ça doit venir me chercher aux
tripes.
Vous étiez blasé?
Ce n’est pas ça. Après le deuxième long métrage, j’ai
décidé que j’allais réaliser un film lorsque je serais
capable de briser certains schémas sur le plan de la
mise en scène, du jeu des comédiens, etc. Je crois
que je n’avais pas une maîtrise suffisante du médium
pour traduire une idée en termes de mise en scène
ou d’écriture. J’ai pris conscience qu’être réalisateur,
ce n’est pas faire des films à tout prix, mais plutôt
s’inscrire dans un processus. J’ai réalisé que je ne
possédais pas les outils me permettant d’orchestrer
un discours cohérent sur le plan narratif. Dès que
j’ai accepté cette réalité, j’ai tout arrêté. J’ai commen-
cé à lire, puis à réfléchir à la structure dramatique
d’une œuvre cinématographique. Dès cet instant,
j’ai senti un poids énorme se dégager de mes épau-
les. Je me donnais du temps. Un temps de res-
sourcement.
Une si longue absence a pu laisser croire que
vous aviez décidé d’abandonner le métier de
réalisateur.
Cela aurait pu être le cas. Durant cette pause salu-
taire, j’ai aussi pris conscience de la pression média-
tique liée à mon métier qui crée l’illusion que pour
exister, tu dois être constamment présent dans les
médias. Cette urgence d’enfiler les projets, d’être
omniprésent me tape sur les nerfs. Terrence Malik
réalise un film à tous les 10 ans, mais entre-temps,
il continue d’exister, d’évoluer, de réfléchir sur
le monde. Un temps d’arrêt ne représente pas la
mort d’un cinéaste. C’est seulement une pause
salutaire.
Denis VilleneuveScénariste et réalisateur d’Incendies
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Denis Villeneuve semble avoir retrouvé le chemin de la réali-sation, car moins d’un an après la sortie de Polytechnique, il présente Incendies. Pour la première fois, il s’inspire d’une pièce de théâtre qui relate le parcours hors du commun d’une femme qui a su garder secret un passé terriblement doulou-reux. Le thème de la double identité est habilement exploité et l’immigration du personnage central en terre canadienne conserve son mystère intact jusqu’à la toute fin.
Villeneuve parvient, grâce à la transposition cinématographi-que, à camper l’intrigue de cette histoire sur deux continents distincts. Le présent diégétique du film s’attache aux deux enfants de Nawal Marwan (le personnage principal) qui vivent au Québec, tandis que le passé tumultueux et engagé de la mère se déroule au Moyen-Orient (cette seconde portion du film a nécessité 25 jours de tournage dans le nord de la Jordanie). Le cinéaste est habilement parvenu à agencer les nombreux allers-retours entre ces deux époques et ces deux lieux afin de créer une unité narrative qui porte l’histoire tout entière. À cet égard, il faut souligner la remarquable maîtrise de l’ellipse dont il fait preuve. Les nombreux passa-ges dévoilant, bribe par bribe, l’incroyable cheminement de cette femme qui, à force d’être souillée, apprendra à haïr in-tensément, forment le cœur de ce long métrage d’une rare intensité.
Le propos d’Incendies demeure d’une actualité brûlante puis-que le conflit évoqué ici se nourrit des tensions entre deux factions religieuses. Musulmans et chrétiens se livrent un combat sans merci dans lequel les hostilités se transforment rapidement en répulsion fielleuse donnant lieu à des scènes qui, par moments, glacent le sang. Ces séquences ne sont ja-mais amplifiées par des effets sonores factices; au contraire, elles sont exposées froidement, ce qui souligne l’horreur liée à ces gestes d’une barbarie effroyable. Il se dégage du film une tension palpable qui magnifie l’intrigue. Par une mise en scène soigneusement étudiée, Villeneuve transmue cette his-toire intimiste en un propos universel : celui de l’intolérance à la différence. À cet effet, le personnage de Nawal est celui d’une femme isolée, incomprise autant dans sa communauté (chrétienne) que par ses enfants, incapables de percer la mu-raille de son mutisme. Au plus près du texte de Mouawad, le cinéaste se colle à l’intensité de cette histoire faite de trahi-
sons et de révoltes où la dimension tragique est servie par une remarquable prestation de Lubna Azabal (24 Mesures, Exils) en femme au destin marqué au fer rouge. La dimension multiculturelle de ce récit ajoute à l’attrait d’Incendies et porte un regard autrement nuancé sur la communauté arabe que celui de l’ornière habituelle de l’im-migration.
Par ailleurs, on pourra être surpris de constater que Villeneuve, peut-être le meilleur cinéaste de sa génération en matière d’esthétique, fait preuve d’une (trop?) grande sages-se sur le plan visuel. Les alternances champs/contrechamps se multiplient et les mouvements de caméra sont assez tradi-tionnels. Dans ce domaine, Maelström (2000), Next Floor (2008) et surtout le sublime Polytechnique sont des films net-tement supérieurs à Incendies, qui a pourtant bénéficié de l’apport d’André Turpin, complice de longue date du réalisa-teur, à la direction photo. On peut présumer que le cinéaste a plutôt voulu privilégier un récit narratif truffé de séquences dramatiques d’une grande intensité en limitant les prouesses visuelles. Sur le plan de la narration, le film est habilement construit et l’intérêt demeure jusqu’à la conclusion dont l’in-vraisemblance déçoit. Dommage.
Le feu de la haineSTÉPHANE DEFOY
Canada–France / 2010 / 127 min
RÉAL. ET SCÉN. Denis Villeneuve IMAGE André Turpin SON Jean Umansky MONT. Monique Dartonne PROD. Luc Déry et Kim McCraw INT. Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Rémy Girard, Maxim Gaudette DIST. Les Films Séville