CyBER / ESPACE / PuBLIC...tous genres, instruments de géo-localisation) ou ancrés dans les cyber-...

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  • The transition to the digital image regime entails a series of permutations that noticeably modify our relations with a common public space and how art is produced. Our experience of concrete spaces and temporality, as well as the distinctions between private sphere and public exhibition, between amateur and professional productions, are totally metamorphosed.

    Suzanne Paquet Élène TremblayChristelle Proulx Daniel Fiset Christine Ross Janine Marchessault—

    Dominic GagnonJon RafmanKaren Elaine Spencer Janet Cardiff & George Bures Miller Land/Slide: Possible Futures

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    le passage au régime numérique de l’image entraîne une série de télescopages qui transforment sensiblement notre rapport à l’espace public commun et la nature de l’art qui se fait aujourd’hui. Notre relation aux espaces concrets et à la temporalité, de même que les distinctions entre domaine privé et exhibition publique, entre productions amateurs et professionnelles, s’en trouvent bouleversées.

  • Un espace public élargi

    Ce dossier thématique cyber / espace / public examine un certain nombre d e̓njeux liés au régime numérique des images et à leur circulation sur les réseaux. Il explore les multiples correspondances et réciprocités qui se tissent entre des espaces concrets et différents dispositifs technologiques, portables (téléphones « intelligents », applications en tous genres, instruments de géo-localisation) ou ancrés dans les cyber- réseaux (médias sociaux, moteurs de recherche, codes QR, etc.), tout en étant parfaitement intégrés à la vie quotidienne. Diverses temporalités s’y entremêlent, d’évidentes interpénétrations entre les domaines privé et public, entre productions amateures et professionnelles entraînent une transformation sensible des pratiques artistiques et culturelles.

    Réalisé sous la direction de Suzanne Paquet, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Montréal et spécialiste de la photographie, ce dossier rassemble les essais de six auteurs qui abordent ces questions à partir de travaux d’artistes qui explorent les nouvelles zones ouvertes par cette prolifération et cette circulation accélérée des images et par les nouveaux appareils de la mobilité.

    On y traite des possibilités de relecture et de recontextualisation des images contenues dans les immenses banques de données visuelles que sont devenus des sites tels YouTube et Google Street View, ou le Web tout entier. Des stratégies d’appropriation se mettent en œuvre qui remettent en question le statut de l’auteur et revalorisent les pratiques amateurs. On y examine aussi l’utilisation de plateformes de type blog comme relais à des interventions dans la ville, comme moyen de rassembler des communautés élargies autour d’enjeux d’intérêt commun, ou plus simplement, pour leur potentiel de diffusion et l’établissement de communautés de goût. On y analyse l’usage des appareils mobiles pour accroître l’expérience d’un lieu en temps réel en y superposant des éléments mémoriels et historiques. On y explore enfin des pratiques artistiques qui interprètent les archives d’une ville et utilisent les outils numériques pour projeter les orientations de son futur développement...

    L’agora publique trouve ainsi une extension dans le réseau numérique. En dépit des forces visant à policer et contrôler l’accès au réseau et à y faire prévaloir les valeurs de consommation et l’atomisation individuelle, le réseau se charge de nouvelles utopies et démultiplie les communautés possibles. Il se fait ainsi le vecteur de pratiques qui ont le potentiel de transformer radicalement la nature de l’art et le statut de l’artiste dans la société... Jacques Doyon

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    Ce numéro paraît au moment où la revue clôt sa 25e année d’existence. Nous travaillons depuis un moment à nous adapter à la transformation numérique du monde de l’édition. Déjà, nous avons mis en ligne les archives complètes de nos vingt premières années de publication, nous offrons l’abonnement numérique institutionnel par le biais d’Érudit et nous avons établi une présence active sur Facebook. Nous sommes heureux d’annoncer que les sites de la revue Ciel variable sont maintenant adaptés aux écrans mobiles et que l’on peut dorénavant se pro-curer l’abonnement individuel et des articles en format numérique directement sur notre site. La version numérique du magazine est également offerte gratuitement à tous nos abonnés qui en feront la demande. Enfin, de nouvelles initiatives reliées au contenu et à une présence accrue sur les réseaux sociaux sont actuellement en préparation. C’est à suivre...

    This issue is being published as the magazine completes its twenty-fifth year in existence. We have been working for some time to adapt to the digital transformation of the publishing sector. Already, we have put online the complete archives of our first twenty years of publication, developed a digital subscription option for institutions via Érudit, and have an active presence on Facebook. We are pleased to announce that the Ciel variable Web sites are now adapted for mobile screens and that you can now purchase individual subscriptions and articles in digital format directly from our site. The digital version of the magazine is also available free of charge to all our subscribers who make the request. New initiatives related to our content and to an increased presence on social networks are currently being developed. There’s more to come!

    Broadening the Public Space

    The thematic section cyber / espace / public examines some of the issues related to the digital regime of images and their circulation on networks. It explores the many correspondences and reciprocities that are being woven between concrete spaces and various technological devices, whether portable (smart phones, applications of all types, geolocation instruments) or anchored in cyber-networks (such as social media, search engines, and QR codes), that are seamlessly integrated with daily life. In the portfolios, various intermingled temporalities and obvious interpenetrations between the private and public domains and between amateur and professional productions lead to a noticeable transforma-tion of artistic and cultural practices.

    This section has been directed by guest editor Suzanne Paquet, professor of art history at the Université de Montréal and photography expert. Paquet has brought together essays by six authors who address these questions based on the work of artists who investigate the new zones opened up by the proliferation and accelerated circulation of images and new mobile devices.

    The artists and authors highlight the possibilities of rereading and recontextualization of images contained in huge banks of visual data that sites such as YouTube and Google Street View – in fact, the Web as a whole – have become. Appropriation strategies are used to throw into question the status of creator and bring amateur practices to the forefront. Also examined is the use of blog platforms to transmit interventions in the city, as a means of bringing broader communities together around issues of common interest or, more simply, for their potential for dissemination and the establishment of communities of taste. The use of mobile devices to enhance the experience of a site in real time by superimposing memorial and historical elements on it is analyzed. Finally, artistic practices that interpret the archives of a city and use digital tools to project orientations for its future development are explored.

    Thus, the public agora is extended into the digital network. Despite the forces that aim to police and control access to the network and promote consumerism and the breaking down of community into individuals, the network is full of new utopias and multiplies possible communities. It thus becomes the vector of practices that have the potential to radically transform the nature of art and the status of the artist in society. Translated by Käthe Roth

  • CyBER / ESPACE / PuBLICCiel variable n ° 95, septembre 2013 – janvier 2014 / September 2013 – January 2014

    dOssier

    Sous la direction de / Guest editor: Suzanne Paquet

    08 Réciprocités. Quelques réflexions sur des conjonctions pas si illogiques Reciprocities: Some Reflections on Not-so-illogical Conjunctions Suzanne Paquet

    18 Dominic Gagnon La trilogie du Web

    Les documentaires sans caméra et à distance Cameraless Remote Documentaries Élène Tremblay

    25 Jon Rafman 9-eyes

    The Nine Eyes of Google Street View Christelle Proulx

    33 Karen Elaine Spencer Hey! Mike

    Textualiser l’espace, spatialiser le discours Textualizing Space, Spatializing Discourse daniel Fiset

    40 Janet Cardiff et George Bures Miller Alter Bahnhof Video Walk

    L’historicisation affective des espaces publics The Affective Historicization of Public Spaces christine ross

    44 Land/Slide An exhibition on possible futures

    Activating the Archives Activer les archives Janine Marchessault

    FOcus

    62 John Gossage

    Le livre photographique : considérations sur quelques projets récents The Photobook: Reflections on Several Recent Projects Alexis Desgagnés

    67 Donald McCullin, Collision, Helen Doyle

    Représenter la guerre et les conflits sociaux ? Representing War and Social Conflicts? pierre dessureault

    74 Lynne Cohen

    False Clues: Space Within Place Faux indices : des espaces au sein des lieux philippe Guillaume

    ÉdiTOrial 

    03 un espace public élargi Broadening the Public Space Jacques Doyon

    acTualiTÉ

    expOsiTiONs / exhibiTiONs

    87 Collection Black Star et Alfredo Jaar Laurent Vernet

    88 Sébastien Cliche Charles Guilbert

    89 Alain Pratte Zoë Tousignant

    90 Isabelle Hayeur Christian Roy

    91 Chih-Chien Wang Sonia Pelletier

    92 Nicolas Lévesque et Stéphan Pichard Emmanuel Simard

    93 Jessica Auer Anne Pilorget

    lecTures / readiNG

    109 Civil Imagination A Political Ontology of Photography Érika Wicky

    110 Picturing Atrocity Photography in Crisis Jean-François Thibault

    111 Ouvrages à souligner / New and Worthy Sonia Pelletier

    parOles / vOices

    114 Paul Wombell

    Drone: The Automated Image Drone : L’image automatisée Jacques doyon

  • ciel variable N ° 95 7

    Ce dossier thématique trace et examine un certain nombre de correspondances, ou de télescopages, rendus inévitables par le passage à un régime autre de l’image – le dirait-on post-analogique ? –, celui du numérique, dans lequel la circulation des images est devenue primordiale. Il s’agit là d’une mobilité qui autorise bien des glissements, de l’espace concret au cyberespace, entraînant de multiples réciprocités entre des espaces physiques et situés, et différents dispositifs technologiques, parfois portables (téléphones « intelligents », applications en tout genre, instruments de géolocalisation), parfois ancrés dans les cyber-réseaux mais tout à fait intégrés à la vie quotidienne (médias sociaux, moteurs de recherche, codes QR, etc.).

    De plus, à un moment où, selon bien des auteurs, il semble que nous ne vivions plus que dans l’instant, diverses temporalités s’entre mêlent et se réfléchissent les unes les autres, grâce aux images et à leurs véhicules, alors que d’évidentes interpénétrations entre domaine privé et exhibition publique, entre productions amateurs et professionnelles, sont vraisemblablement significatives d’un changement dans les attitudes artistiques ou culturelles.

    Un indéniable caractère participatif, doublé d’une position d’auteur qui serait plus que jamais indécise ou indéfinie, relie toutes les pratiques, tous les types de rapports à l’image dont il sera question dans ce dossier. De tous ces croisements, eux-mêmes démultipliés par leur amalgame, devraient se dégager deux questions qui sont à la fois symétriques et tout à fait d’actualité : celle de la nature de l’art qui se fait aujourd’hui et celle de l’ouverture possible de mondes communs dans un domaine public élargi où l’incessante propagation des images permet de saisir les motifs de la production de l’espace contemporain.

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    In this special section, we trace and examine some correspondences, or clashes, made inevitable by the transition to an other image system, the digital one – should we say post-analog? – in which circulation of images has become an essential component. This system involves mobility, making it possible to shift from concrete space to cyberspace, leading to multiple reciprocities between physical and situated spaces, on the one hand, and different technological devices, on the other hand. Some of these devices are portable (smart phones, applications of all types, geolocation instruments), and some are anchored in cyber-networks but completely integrated with daily life (social media, search engines, (QR codes, and so on).

    Even though, in the view of many authors, it seems that we are now living only in the moment, various temporalities in fact intermingle with and are mirrored in each other, thanks to images and how they are conveyed. At the same time, there are obvious interpenetrations between private domain and public exhibition, between amateur and professional productions – no doubt indicative of a change in artistic or cultural attitudes.

    All of the practices’– and types of relationships with the image – presented in this section are linked by an undeniable participatory character, reinforced by an author’s position that is apparently more inconclusive or undefined than ever. Out of all these cross-fertilizations, which are augmented by their intermingling, two issues should emerge that are both symmetrical and quite current: that of the nature of art being made today, and that of the possible opening of common spheres in a broadened public domain in which the incessant propagation of images allows us to grasp the reasons for production of the contemporary space.

    CyBER / ESPACE / PuBLIC

    un dossier sous la direction de / Guest editor: Suzanne Paquet

    avec des essais de / with essays by Suzanne Paquet, Élène Tremblay, Christelle Proulx, Daniel Fiset, Christine Ross, Janine Marchessault

    et les travaux de / and works by Dominic Gagnon, Jon Rafman, Karen Elaine Spencer, Janet Cardiff et George Bures Miller et l’exposition / and the exhibition Land/Slide: Possible Futures

    Remerciements / Thanks to Julia Roberge van der Donkt

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    8 ciel variable N ° 95

    Tentant jadis de définir la nature de la photographie, Roland Barthes vit en elle « une catégorie nouvelle de l’espace-temps : locale immédiate et temporelle antérieure ». Dans la photographie, disait-il, « il se produit une conjonction illogique entre l’ici et l’autrefois »1. Quelque trente années plus tard, Francis Jauréguiberry faisait remarquer qu’il y a toujours beaucoup d’ailleurs dans notre ici, et ce, à propos… du téléphone portable2. Ces deux réflexions nous indiquent que des spatio temporalités inédites émergent à certains moments, par la mise au point de certains dispositifs techniques. Évidemment, à l’heure actuelle, on ne peut qu’être captivé par les « catégories de l’espace-temps » qu’installent la culture numé-rique et les réseaux médiati ques. Je souhaite ici, et c’est là le dessein qui a motivé le choix thématique de ce numéro cyber / espace / public, mettre à l’épreuve quelques conjonctions, croisements ou cooccurrences, peut-être pas illogiques mais certes dignes d’attention : des correspondances – des réciprocités – entre des ici et des ailleurs géographiques et histo-riques, entre l’espace public urbain et le cyberespace, entre les sphères privée et publique, entre les pratiques artistiques de l’image et les pra-tiques d’amateurs.

    Roland Barthes once attempted to define the nature of photography as “a new category of space-time: spatial immediacy and temporal anteriority.” In the photograph, he wrote, was produced “an illogical conjunction between the here-now and the there-then.”1 Some thirty years later, Francis Jauréguiberry remarked that there is always a great deal of elsewhere in our here; he was talking about the portable telephone.2 These two reflec-tions indicate that totally new space-times emerge at certain moments as certain technological devices are developed. Obviously, at the present time, we cannot help but be fascinated by the “categories of space-time” established by digital culture and media networks. I hope here, and this is the intention behind the theme chosen for this issue, cyber / espace / public,

    RéciprocitésQuelques réflexions sur des conjonctions pas si illogiques SUZANNE PAQUET

    reciprocities: some reflections on Not-so-illogical conjunctions

    ◂ SUZANNE PAQUET ▸

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    ◂ SUZANNE PAQUET ▸

    La photographie me guidera dans cet exercice, car en plus d’avoir dégagé des potentialités temporelles ignorées avant son avènement, elle est ce médium technique qui a grandement contribué et contribue encore à la possibilité, ou à la chimère, d’une connaissance exacte du monde par son image. Cela, en corrélation avec divers modes de transport et moda-lités de communication, les premiers issus, comme elle, de la révolution industrielle. La photographie n’est pas le premier type de représentation mobile, la gravure voyageait déjà bien avant elle, mais elle a une éton-nante capacité à emporter la croyance tout en s’immisçant partout.

    Formant désormais une sorte de recueil mondialisé, une collection d’images innombrables toujours grandissante, les photographies se font largement publiques, selon une logique inverse de celle qui avait conduit à l’invention de l’album photographique, alors que la fonction de ce dernier était d’abord celle du visionnement en famille, d’un partage dans l’intimité. Dans le Web on le sait, les domaines public et privé s’interpé-nètrent et se confondent de plus en plus. De même, les dynamiques de l’art d’élite et celles de la culture de masse tendent à évoluer de façon analogue, se faisant écho les unes aux autres, en une relation étonnam-ment réflexive : l’image fixe et l’activité photographique sont partout, l’art s’en est emparé en imitant leurs usages populaires et, par la photo-graphie, l’art est à son tour repris par les amateurs, et ainsi de suite. De même, l’espace urbain et le cyberespace se considèrent de plus en plus en résonance l’un à l’autre, les actions entreprises d’une part se trouvant prolongées ou rendues publiques d’autre part, souvent par le biais d’images photographiques.

    to put to the test several conjunctions, hybridizations, or co-occurrences, perhaps not illogical but certainly worthy of attention: correspondences – reciprocities – between geographic and historical here-nows and there-thens, between urban public space and cyberspace, between private and public spheres, between image-based art practices and amateur practices.

    Photography will guide me in this exercise. In addition to having brought to light temporal potentialities that were unknown before its advent, this technical medium has greatly contributed, and is still contributing, to the possibility, or the chimera, of exact knowledge of the world through images, in correlation with various modes of transportation and methods of communication – the former having emerged, like photography, from the industrial revolution. Photography is not the first method of mobile rep-resentation (printmaking preceded it), but it has a surprising capacity to win belief while intruding everywhere.

    Forming a sort of globalized anthology, an innumerable and evergrowing collection of images, photographs are now largely public, following a logic inverse to that which led to the invention of the photo album, the function of which was first for family viewing – sharing in privacy. On the Web, as we know, the public and private spheres are increasingly interpenetrating and merging. The dynamics of elite art and those of mass culture are tend-ing to evolve analogously, each mirroring the other, in a stunningly reflexive relationship: fixed images and photographic activity are everywhere; art has appropriated them by imitating their most common uses; through photography, art is in its turn taken back by amateurs; and so on and so

    PHOTOS 1, 2 ET 4 : Les Ville-Laines, Home Sweet Home, 2011, square viger, Montréal, photo  : eli larin ; PHOTO 3 : Osheaga, s.d., Montréal 

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    ◂ ÉLèNE TREmBLAy ▸

    PAGES 18-19 : RiP in Pieces America, 2009 ; PAGE 20 : Pieces and Love All to Hell, 2011 ; PAGE 21 : Big Kiss Goodnight, 2013, vidéogrammes / video stills, 61 min, production Film 900

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    ◂ ÉLèNE TREmBLAy ▸

    Dans sa trilogie du Web – réunissant trois films RIP in Pieces America, Pieces and Love All to Hell et Big Kiss Goodnight (2009-2013) –, Dominic Gagnon trouve dans Internet, un territoire qu’il décrit comme une grande « cinémathèque », des extraits vidéo qu’il recombine dans des films de montage afin de réaliser comme il le dit lui-même « des films sur des gens qui se filment ». Par cette appropriation, il redéfinit ce que peut devenir le found footage film à l’ère du Web, tout en problématisant la question de l’auteur et celle de l’exposition de soi sur Internet.

    Sans caméra et à distance, Dominic Gagnon adopte la posture de l’ob-servateur caché, du témoin inquiet et du nomade amusé, visiteur étran-ger aux mondes qu’il parcourt. Dans une approche qui est tout à la fois postmoderne et ethnographique et qui porte les traces de l’influence situationniste, il réussit à saisir le caractère paradoxal de la mise en spec-tacle de soi-même par des sujets qui utilisent YouTube pour décrier avec véhémence le contrôle de la société où ils évoluent.

    La pratique du détournement qui traverse l’œuvre de Gagnon, définie pour la première fois par Debord en 1959, est une démarche de réappro-priation critique des discours existants dans un contexte d’exhibition et de spectacle généralisé. « Le détournement comme négation et comme prélude 1» chez Debord visait, par un effet miroir, à montrer l’instauration en mythe du système capitaliste soutenu par les puissantes machines à images que sont la publicité, le cinéma et la télévision. Dominic Gagnon, quant à lui, dans sa trilogie du Web, rend compte du passage récent de la

    In his Web trilogy – the films RIP in Pieces America, Pieces and Love All to Hell, and Big Kiss Goodnight (2009–13) – Dominic Gagnon finds video excerpts on the Internet, which he describes as a cinémathèque or film archive, and recombines them to produce what he calls “films about people who film themselves.” With this appropriation, he redefines what the found-footage film might become in the Web era, while raising the questions of the artist and of self-exhibition on the Internet.

    Without a camera and from a distance, Gagnon adopts the position of hidden observer, anxious witness, and amused nomad – a foreign traveller to the worlds he visits. In an approach that is both postmodern and ethno-graphic and that bears traces of situationist influence, he captures the para-doxical character of subjects who make spectacles of themselves as they use YouTube to vehemently decry control by the society in which they live.

    The diversionary practice that runs through Gagnon’s work, defined for the first time by Guy Debord in 1959, is an approach of critical appropria-tion of existing discourses in a context of exhibition and generalized spec-tacle. In Debord’s view, “détournement as negation and prelude”1 aims, through a mirror effect, to show the establishment of the capitalist system

    DomiNic GAGNoN

    Les documentaires sans caméra et à distance ÉLèNE TREmBLAy

    cameraless remote documentaries

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    ◂ chRiSTELLE PRoULx ▸

    Les neuf yeux du projet de Jon Rafman renvoient au dispositif photogra-phique qui surmonte les voitures de Google. Celles-ci sillonnent les routes du monde depuis 2007 équipés d’un appareil à neuf objectifs afin de capter, de la rue, des images de façon automatique en street view, dans le but d’ajouter une fonction à l’outil Google Maps. Cet outil propose aux internautes d’« explore[r] le monde, au niveau de la rue »1 en permettant de voir des lieux que représentent les cartes de façon abstraite. Les œuvres de la série Nine Eyes proviennent des captations d’écran prélevées au cours des longues heures de déambulation dans les rues qui pro-duisent les images de Google Street View. Rafman a parcouru ainsi l’es-pace mis en ligne afin de découvrir et de s’approprier des images qui « mériteraient » une photographie. Depuis 2009, il extrait des morceaux de ce continuum Web pour en faire des photographies individuelles qui ont saisi des situations amusantes, parfois troublantes, ou encore des paysages grandioses et insoupçonnés. Présentées sur une plate-forme blogue Tumblr (9-eyes.com) et exposées en galerie une fois imprimées en grand format, les images surprenantes de cet artiste ont attiré l’attention de plusieurs galeries et revues re nom mées.

    Avec Nine Eyes, Rafman s’intéresse à la transposition de l’espace public phy-sique dans le Web après s’être attardé à celui d’un monde virtuel en ligne dans son projet Kool Aid Man in Second Life (2008)2. Street View est à la fois un vaste territoire en ligne et un dispositif qui donne l’impression de visiter différents lieux par le biais de l’image photographique. Les sites géographiques semblent s’actualiser sur un site du Web, produisant ainsi un parallèle entre les deux types de sites. Rafman profite de cette incroyable documentation du monde pour déga-ger ce qui, selon lui, parmi tout ce qui a été capté automatiquement, fait de la photographie, redonnant un peu d’importance à l’individu dans la prise de photo. En se déplaçant en profondeur dans l’image fixe et malgré les contraintes des images sources préalablement captées, il peut choisir le cadre de ses photographies tel un photographe avec son appareil. La captation d’écran est le mode de sélection du cyberphotographe et il choisit de laisser les traces de l’interface intactes, comme par exemple le compas directionnel qui orne le coin de chaque image. À l’aide d’une commande de clavier, il enregistre ce qui apparaît à l’écran. C’est tout un travail de collection qu’il nous livre en échantillonnant ce gigantesque assemblage d’images destiné à un public qui ne les consulte que pour leur valeur utilitaire.

    En isolant ces images, Rafman produit une archive parallèle qui rend visible et prolonge la vie des instantanés enfouis sous l’immensité du matériel visuel de Street View. En effet, Nine Eyes saisit souvent des frag-ments éphémères puisque les images de Street View sont susceptibles de disparaître au profit d’une nouvelle image plus représentative du lieu. La

    The “nine eyes” in Jon Rafman’s project refer to the photographic device mounted on the roofs of Google cars. These cars have been travelling the world’s roads since 2007, equipped with cameras with nine lenses, taking pictures of streets – images automatically in street view – for use with the Google Maps tool. This tool offers Web surfers an opportunity to “explore the world at street level,”1 by enabling them to see the places that maps represent abstractly. The works in the Nine Eyes series come from screen captures taken as Rafman spent long hours “wandering” on streets pro-duced by the Google Street View images in order to find and appropriate images that “deserved” a photograph. Since 2009, he has ex tracted pieces

    of this Web continuum to make individual photographs that have captured amusing and, some-times, disturbing situations, or grandiose and unsuspected land-scapes. Presented on a Tumblr blog platform (9-eyes.com) and exhibited in a gallery once printed in large format, Rafman’s surpris-ing images have drawn the atten-tion of a number of well-known galleries and magazines.

    After exploring a virtual online world in his project Kool Aid Man in Second Life (2008),2 in Nine Eyes Rafman examines the transposition of physical public space to the Web. Street View is both a vast online territory and a device that gives the impression of visiting different places through photo-graphic images. The geographic sites seem to come to life on a Web site, thus producing a parallel between the two types of sites. Rafman takes advantage of Google’s incredible documentation of the world to uncover what, in his view, among everything that has been captured automatically, makes a photograph, returns a bit of importance to the individual in the taking of the picture. By moving deep into the fixed image and despite the constraints of previously captured source images, he can choose the frame of his photographs as he would with his camera. Screen capture is the cyberphotographer’s method of selection, and he chooses to leave the traces of the interface intact, such as, for example, the directional compass that adorns the corner of each image. Using a keystroke command, he re- cords what appears on the screen. It is a task of collection that he delivers to us by sampling this gigantic assemblage of images addressed to a public who consults them only for their utilitarian value.

    By isolating these images, Rafman produces a parallel archive that makes visible and extends the life of snapshots buried under the immense mass of Street View’s visual materials. In effect, Nine Eyes often captures

    La série témoigne de l’espace public et de ce qu’il a d’incontrôlable. Nine Eyes dévoile parfois des images d’activités qui n’auraient pas

    dû être photographiées et illustre ainsi comment le fait d’agir dans l’espace public ou sur la « voie publique » porte déjà la possibilité

    d’être inapproprié, voire illégal.

    JoN RAfmAN

    The Nine Eyes of Google Street View CHRISTELLE PROULX

    The Nine eyes of Google street view

  • ciel variable N ° 95 33

    ◂ DANiEL fiSET ▸

    À l’automne 2012, une grande enveloppe brune m’étant adressée arrive à mon appartement. À l’intérieur se trouve une épreuve au jet d’encre signée, laissant voir un exercice typographique coloré annonçant par une phrase énigmatique – hey mike please wipe up any spills that may occur1– , la genèse du dernier projet de Karen Elaine Spencer, artiste établie à Montréal.

    Monté dans le cadre d’une résidence de six mois à New York menée en 2012 et 2013, offerte par le Conseil des arts du Canada en collaboration avec l’International Studio and Curatorial Program (ISCP), le projet hey! mike de Spencer se construit autour d’une série d’actions similaires à celles mises en place dans ses interventions précédentes, présentées en

    In the autumn of 2012, a large brown envelope addressed to me arrived at my apartment. Inside it was a signed inkjet print of a colourful typographic exercise, announcing via an enigmatic sentence – hey mike please wipe up any spills that may occur1 – the genesis of the latest project by Montreal artist Karen Elaine Spencer.

    Created in New York in 2012–13, during a six-month residency offered by the Canada Council of the Arts in collaboration with the International

    hEy! mikE DE KAREN ELAiNE SPENcER

    Textualiser l’espace, spatialiser le discoursDANIEL FISET

    Textualizing space, spatializing discourse

    Postcard posted, 2013, New york, document photographique / photographic document

  • 40 ciel variable N ° 95

    Since the 1990s, spatial art – a category that has broadened to include installation, architectural environments, relational interventions, aes-thetic exploration of automated real-time location technologies (GPS, an extension of smartphones), and augmented reality technologies – has led to a major redefinition of the relationship between art and the public space. Whereas aesthetic strategies of the 1970s and 1980s privileged a critical demythologization of the public space – using various tactics, such as site-specificity, institutional critique, and neo Marxist forms of analysis of the social conflicts underlying public sites – recent art tends, rather, to privilege an affective activation of space. In Rafael Lozano-Hemmer’s rela-tional urban environments, for instance, passersby are invited to use their smartphones to send a personal online message, which they hear a few minutes later broadcast in a public space, modulating (by the voice’s inton-ations) the light beams projected in the space (Open Air, 2012). This type of

    ◂ chRiSTiNE RoSS ▸

    Depuis les années 1990, les pratiques artistiques spatiales – une catégo-rie qui s’est élargie pour inclure l’installation, les environnements archi-tecturaux, les interventions relationnelles, l’exploration esthétique des technologies de localisation automatisée et en temps réel (GPS, extension des téléphones intelligents), et des technologies de réalité augmentée – ont élaboré une redéfinition importante du rapport art/espace public. Alors que les stratégies esthétiques des années 1970 et 1980 privilé-giaient la démythologisation critique de l’espace public – une pratique qui a pris diverses formes telles que la site-specificity, la critique institu-tionnelle et l’analyse néomarxiste des conflits sociaux sous-jacents aux lieux publics –, l’art récent tend plutôt à privilégier l’acti vation affective de l’espace. Pensons aux environnements urbains relationnels de Rafael Lozano-Hemmer dans lesquels le passant est invité à utiliser son télé-phone intelligent pour transmettre un message personnel en ligne et l’entendre quelques minutes plus tard diffusé dans un espace public, modulant (par les intonations de la voix) les faisceaux de lumière projetés dans l’espace (Open Air, 2012). Ce type d’activation affective s’amorce souvent à même des pratiques participatives dans lesquelles le specta-teur contribue (de façon plus ou moins réussie, selon le cas) à la création

    AltEr BAhNhof VidEo WAlk DE JANET cARDiff ET GEoRGE BURES miLLER

    L’historicisation affective des espaces publics CHRISTINE ROSS

    The affective historicization of public spaces

    Alter Bahnhof Video Walk, 2012, extrait vidéo de la représentation d’une marche / still frame from representational video of the walk, 28 min, produit pour / produced for dOcuMeNTa (13), cassel, allemagne / Germany, permission des / courtesy of the artist(e)s

  • 44 ciel variable N ° 95

    Les images sont plus que jamais reliées à notre environnement physique, ouvrant littéralement de nouveaux espaces d’interactivité et des liens de connexion qui transforment notre expérience de la ville, ses formes sémio-tiques, ses modes de rassemblement, de navigation virtuelle et de mouve-ments publics. Selon Valérie November, Eduardo Camacho-Hübner et Bruno Latour, « l’utilisation généralisée des cartes virtuelles sur écran, au lieu des cartes imprimées, a largement étendu la signification du mot navi-gation. »1 Ces auteurs définissent les nouveaux environnements cartogra-phiques en temps réel reposant sur la technologie GPS et identifient une nouvelle expérience de la territorialité dans les espaces urbains. En parti-culier, ils différencient les systèmes mimétiques et de navigation, expli-quant l’importance de la notion de cartographie pour la construction du sens dans la cité. Ils soulignent la flexibilité des formes de navigation qui permettent aux usagers d’aller et de venir aisément entre les interfaces 2D et 3D, entre le détail local et la vue d’ensemble du territoire ou de la planète que nous offre Google Earth. Les écrans urbains, les appareils mobiles, la cartographie numérique, les médias ambiants et omniprésents de toutes

    ◂ JANiNE mARchESSAULT ▸

    Images are connected to our physical environments more dramatically than ever before – literally opening up new spaces of interactivity and connection that transform the experience of being in the city, its semiotic forms, and its modes of public gathering, navigation, and movement. Valérie November, Eduardo Camacho-Hübner, and Bruno Latour have argued, “The common experience of using digital maps on the screen, and no longer on paper, has vastly extended the meaning of the word navigation.”1 Indeed, these authors provide us with a definition of the new GPS-enabled real-time cartographic environments that describe a new experience of territoriality in urban spaces. Importantly, they differ-entiate between mimetic and navigational systems, offering an explana-tion for why the cartographic is such an important term for sense making in the city. They emphasize the new flexibility of forms of navigation that enable users to shift seamlessly between 2D and 3D interfaces, between the local detail and the macro view of the territory and the planet found in Google Earth. Urban screens, mobile media, digital mappings – ambi-ent and pervasive media of all kinds – create ecologies in which entire communities dwell or in which singular entities take refuge. They also create layers of simultaneous temporalities and networks of histories that coexist in one place.

    lANd/SlidE, AN ExhiBiTioN oN PoSSiBLE fUTURES

    Activating the Archives JANINE MARCHESSAULT

    activer les archives 

    Philip Hoffman, digital film still / image numérique tirée de All Fall Down, southern Ontario barn, 2009, 94 min

  • S’il est un secteur de l’édition qui semble échapper à la crise de l’imprimé engendrée par l’essor de l’édition numérique, c’est bien celui du livre photographique. La multiplication actuelle des publi-cations de ce type est telle qu’il paraît légitime de croire qu’elles supplanteront éventuellement l’exposition comme principal moyen de diffusion et, surtout, de création de la photographie. Démocratique et protéiforme, le livre photographique a en effet permis l’ouverture d’une brèche au sein des instances traditionnelles de consécration du médium. En marge des galeries, des musées et des magazines, le livre apparaît désormais pour un nombre croissant de créateurs et d’adeptes comme étant un champ distinct de la discipline, une « forme d’art autonome1 », comportant ses propres institutions, ses publics et ses communautés d’intérêts.

    Amorcée au tournant du XXIe siècle avec la publication des pre-miers ouvrages de référence portant sur le sujet2, l’autonomisation du champ du livre photographique est grandement imputable à la parution, en 2004 et en 2006, des deux volumes de The Photobook: A History3. Fort de l’expertise indéniable des auteurs – le photo-graphe Martin Parr et le critique Gerry Badger –, l’ouvrage recense les livres photographiques qui constituent, selon ces spécialistes, des contributions marquantes de cette histoire parallèle de la pho-tographie : du Pencil of Nature de Talbot au fauna de Fontcuberta, en passant par les livres d’artistes d’Ed Ruscha ou encore d’Hans- Peter Feldmann. Fournissant au champ du livre photographique des assises histori ques suffisamment solides pour fonder un nouveau territoire d’investigation, le panorama international proposé par Parr et Badger a ouvert la voie à d’autres publications abordant la question du point de vue national ou stylistique4. Si la publication de ces ouvrages, témoigne de l’existence d’un lectorat suffisamment considérable pour la justifier, leur efflorescence atteste principale-ment de la nécessité éprouvée par les acteurs de ce champ de puiser dans l’histoire les ressources pour légitimer la contemporanéité du livre photographique en tant que forme d’art.

    Cette entreprise de légitimation, qui n’est d’ailleurs pas étrangère à l’inflation phénoménale connue, sur les sites d’enchères en ligne, par la valeur des ouvrages sanctionnés par l’histoire, a permis l’institution d’un marché organisé, comme celui des tirages photo-graphiques5, en fonction de la rareté. Et celui-ci autorise l’exercice agressif de la spéculation6. Alors qu’il y a quelques années à peine, le livre photographique n’était prisé que par un cénacle de collec-tionneurs avertis, de nouvelles institutions spécialisées en la matière jouent aujourd’hui un rôle capital au sein de ce nouveau marché7 :

    If there is one category that seems to have escaped the crisis in the book-publishing sector engendered by the rise of digital publishing, it is photobooks, which are currently appearing at such a rate that it is legitimate to think they will eventually supplant exhibitions as the main means of dissemination of photography and, especially, photo-graphic creativity. Easily accessible and available in a variety of forms, photobooks have opened a breach through which photography has escaped its traditional exhibition venues. Existing beyond the margins of galleries, museums, and magazines, photobooks are seen by a growing number of artists and devotees as a distinct field in the disci-pline, an “autonomous art form,”1 with its own institutions, publics, and communities of interest.

    The photobook began its journey to autonomy at the turn of the twenty-first century, when the first reference books on the subject came out,2 and it was greatly helped along by the publication, in 2004 and 2006, of the two-volume The Photobook: A History.3 Drawing on the undeniable expertise of the books’ editors – photographer Martin Parr and critic Gerry Badger – this work inventories photo-books that have made remarkable contributions to this parallel his-tory of photography, from William Henry Fox Talbot’s Pencil of Nature to Joan Fontcuberta’s Fauna and books by Ed Ruscha and Hans-Peter Feldmann. Providing the subject of the photobook with a solid enough historical basis to found a new field of research, the international panorama offered by Parr and Badger has opened the way to other authors who address the question of national or stylistic point of view.4 Although such studies are justified by the inherent interest in the subject, their proliferation attests mainly to the need felt by researchers to draw on history to legitimize the photobook as a contemporary art form.

    This enterprise of legitimization, which is not unrelated to the phenomenal inflation in the prices on online auction sites of works with a historical stamp of approval, has resulted in the institution of an organized market, like that for photographic prints,5 based on rarity, and this has led to aggressive speculation.6 Just a few years ago, photobooks were valued only by an inner circle of knowledgeable collectors; now, specialized institutions play an essential role in this

    FOCuS

    JohN GoSSAGE

    Le livre photographique : considérations sur quelques projets récents ALEXIS DESGAGNÉS

    The Photobook: Reflections on Several Recent Projects

    62 ciel variable N ° 95

  • Martin Parr et Gerry Badger, éd., The Photobook: A History, vol. 1 et 2, londres, phaidon, 2004 et 2006

    The Actor, loosestrife editions, 2012

    ciel variable N ° 95 63

  • EXPOSITIONS / EXHIBITIONS

    87 Collection Black Star et Alfredo Jaar88 Sébastien Cliche89 Alain Pratte90 Isabelle Hayeur91 Chih-Chien Wang92 Nicolas Lévesque et Stéphan Pichard93 Jessica Auer

    LECTuRES / READINGS

    109 Civil Imagination: A Political Ontology of Photograph110 Picturing Atrocity Photography in Crisis111 Ouvrages à souligner / New and Worthy

    PAROLES / VOICES

    114 Paul Wombell

    EXPOSITIONSEXHIBITIONS

    Si le mécénat inspire parfois craintes et méfiances, le Ryerson Image Centre de Toronto fait la démonstration éloquente que des intérêts privés peuvent contribuer à la création de lieux de discours. Ouvert en septembre 2012, cet espace universitaire consacré à l’image, entendue dans sa forme plurielle, est né d’une contribution d’un donateur anonyme. En 2005, celui-ci a offert à l’Université Ryerson, qui compte une importante école de photographie, une collection de près de 300 000 clichés de l’agence new-yorkaise Black Star, accompagnée d’une somme de 7 millions de dollars pour sa conservation, son étude et son exposition. Black Star est une en-treprise fondée en 1935 par trois réfugiés juifs alle mands, qui a alimenté des publi-cations ayant marqué le développement du

    photojournalisme, dont le magazine LIFE. Il est donc dans l’ordre des choses que ce fonds photographique serve aujourd’hui, au Ryerson Image Centre, de matière première à une réflexion nécessaire et rigoureuse sur la place et le rôle de l’image dans la société, tout en étant accessible.

    Deux expositions présentées à l’hiver 2013 ont investi la question des droits humains en misant sur des images aux statuts différents. Alors que Human Rights Human Wrongs regroupait plus de 300 pho-tos de la collection Black Star, The Politics of Images montrait trois œuvres de l’artiste new-yorkais d’origine chilienne Alfredo Jaar. En revisitant l’histoire récente de manière singulière, ces expositions se sont démarquées par la dureté de leurs propos et n’ont pu laisser aucun visiteur insensible.

    Le parcours chronologique imaginé par le commissaire Mark Sealy dans Human Rights Human Wrongs explore la période allant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 au génocide rwandais de 1994. Directeur de l’organisme londonien Autograph ABP (qui se nommait autrefois Association of Black Photographers), qui recourt au médium photographique pour conscientiser le public à des questions d’identité culturelle et de droits de la personne, Sealy justifie ainsi le choix des images et leur mise en espace dans le catalogue de l’exposition : The curatorial objective was to build a mosaic of political struggle across the latter half of the twentieth century, a visual mosaic that would allow us to read through the image and into the interconnected aspects of social and ideological

    Collection Black Star et Alfredo JaarHuman Rights Human Wrongs / The Politics of ImagesRyerson Image Centre, TorontoDu 23 janvier au 14 avril 2013

    Alfredo Jaar, We Wish to inform You That We Didn’t Know, 2010, permission de l’artiste

    ciel variable N ° 95 87

  • Pierre & Barbara

    CYCLE 2O12-2O16

    artistes en résidenceGUILLAUME BOUDRIAS-PLOUFFE

    LALIE DOUGLAS ROMEO GONGORA

    STEPHANIE LAGUEUX & JONATHAN L’ECUYERPIERRE & BARBARA

    SYLVIE TOURANGEAUCAMILA VASQUEZ

    auteurs/chercheurs en résidence

    DANIEL CANTYPATRICE LOUBIER

    explorer d’autres manières d’habiter le réel

    3e-imperial.org

    Paiement à l’ordre de/ Make your payment to: SODEP (Ciel variable)En devises canadiennes uniquement/ in Canadian funds only

    SODEP (Ciel variable)Service d’abonnement / Subscription DepartmentC. P. 160, succ. place d’Armes, Montréal QC H2Y 3E9T : (514) 397-8670 F : (514) 397-6887 [email protected]

    ou / or www.cielvariable.ca

    Rédacteur en chef et directeur Editor and PublisherJacques Doyon

    Coordonnatrice à l’éditionEditorial Coordinatorsonia Pelletier

    Publicité et promotionAdvertising and Promotionéric [email protected]

    Administration Cécile Martin

    Conception graphique Graphic design diane héroux

    Conception de la maquetteLayout DesignMATHIEU COURNOYERATELIER LOUIS-CHARLES LASNIER

    Traduction / TranslationKäthe Roth Emmanuelle Bouet Francine Delorme

    Correction et révision Editing and proofreadingMicheline DussaultKäthe Roth

    Prépresse / Pre-PressPhotoSynthèse

    Impression / PrinterImprimerie HLN

    DistributionLes Messageries de la presse internationale (LMPI) Dépôts légaux / Legal depositsBibliothèque et archives nationales du Québec, Bibliothèque et archives du Canada / Library and Archives Canada ISSN 1711-7682 3e trimestre 2013 — 3nd trimester 2013© PRODUCTIONS CIEL VARIABLE, 2013

    la revue Ciel variable est publiée trois fois l’an, en janvier, mai et septembre, par les productions ciel variable, un organisme culturel sans but lucratif reconnu comme organisme de bienfaisance, qui se consacre à la présentation et l’analyse des pratiques artistiques contemporaines de la photographie et de l’image. Ciel variable est membre de la société de développement des périodiques culturels québécois (sodep) et de Magazines canada et reçoit un appui financier du conseil des arts et des lettres du Québec, du conseil des arts du canada et du conseil es arts de Montréal. Nous reconnaissons l’aide financière accordée par le gouvernement du canada par l’entremise du Fonds pour les périodiques de patrimoine canadien, volet innovation commerciale.

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    /

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