CUMONT, - Lux Perpetua

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  • Franz CUMONTMembre de l'Institut

    LVX PERPETVA

    PARISLIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER

    12, RUE VAVIN, VI'

    949

  • LVX PERPETVA

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    FRANZ CUMONTMembre de l'Institut

    1868-1947

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    AVERTISSEMENT DE L'DITEUR

    Fran! Cumont s'est teint prs de Bruxelles, Woluwe-Saint-Pierre, ,d^ns la nuit du19 au 20 aot 1947.En conformit de ses dernires volonts la publication du prsent ouvrage a t

    acheve grce l'inlassable dvouement de la Librairie Paul Geuthner et de l'Impri-merie La Haute -Loire par les soins de la Marquise de Maill, et deLouis Canet.

    Il avait revu en placards l'ensemble du livre, l'exception du chapitre VIII et desNotes com-plmentaires ; en premire mise en pages, les cinq premiers chapitres ; enseconde mise en pages, l'Introduction et le chapitre premier jusqu' la page 96. Il n'aconnu ni les dernires Noies complmentaires (XIX XXXV), ni l'index, ni la tabledes matires

    ;mais il avait dress lui-mme la liste des abrviations.

    28S3S1

  • FRANZ CUMONT1868-I947

    Ce serait manquer la grande mmoire de Franz Cumont que d'enflerla voix, que de hausser le ton, pour parler de lui. Il suffit de dire, avec la

    simplicit qu'il aimait, comment on l'a vu vivre, toujours au travail sans enavoir jamais l'air, toujours affable, accueillant, discret, les yeux bleus, labarbe blonde peine blanchissante, la voix douce, un peu voile, presqueconfidentielle.

    Il tait belge ( i ) et trs attach sa patrie, son empire car la

    Belgique est un empire, ses traditions, sa dynastie ; heureux d'tre.membre de l'Acadmie royale, fier d'avoir reu le prix Francqui, qui estla plus haute rcompense que piisse, en ce pays, se voir dcerner un savant ;la plus haute aprs celle, qui ne lui manqua pas, d'tre distingu par leroi Albert et la reine Elizaheth. Ses obsques furent clbres petit bruit,sans vaines pompes, comme lui-mme l'avait voulu : mais elles eurent pourtantcet clat que la reine-mre et dlgu, pour l'y reprsenter, le grand matrede sa Maison, attestant ainsi le souci qu'elle avait de rendre hommage l'un des plus grands rudits que la Belgique ait donns au monde.

    (1) Il tait n Alost le 3 janvier 1868, d'une famille de grande bourgeoisie de tradition librale

    ,en France, nous dirions radicale . Il fit ses tudes secondaires l'athne

    (nous dirions : au lyce) de Bruxelles, de 1878 1884, et ses tudes suprieures l'Universitde Gand Charles Michel y fut son matre oi il obtint en 1887 le doctorat en philosophie-lettres. Il frquenta ensuite les Universits de Bonn, o ilfut l'lve d'Usener, de Berlinet de Vienne. Il suivit aussi les cours de Mommsen, probablement ceux de Wilamowitz. Et ilconnut Erwin Rohde. Aprs des sjours Athnes (hiver de 1890) et Rome (1891), il passa Paris une partie de l'anne scolaire 1891-1892 et se fit inscrire l'Ecole des Hautes-Etudes.Il revint enfin l'Universit de Gand o il avait t nomm charg de cours le 10 janvier 1892.Il y en-seigna jusqu'en 1910, o il se retira. Il se dmit aussi en 1912 de la charge de conser-vateur du Muse au Cinquantenaire qu'il occupait depuis 1898. Et il quitta la Belgique pouraller s'installer Rome.

  • VIII

    A quel point il tait belge, nul ne l'ignorait de ceux qui avaient entendula confrence qu'il fit, dans les dernires semaines de l'anne I14, au palaisRusticucci ( I ) . La Belgique tait sous le joug parce que le gouvernement deson roi, somm le 2 aot de livrer passage aux troupes allemandes, avaitrpondu ouvrant ainsi une re nouvelle dans l'histoire de la morale inter-nationale qu'il ne croyait pas qu'im peuple, quelque faible qu'il ft, pt mconnatre son devoir et sacrifier son honneur en s'inclinant devant laforce (2). Franz Cumont comprenait cela. Et comme il n'tait ni d'ge nikle force porter les armes, il voulut au moins, en racontant comment la

    Belgique, au temps de Csar, tait devenue romaine, faire le procs desmthodes de colonisation qui venaient d'veiller la guerre.

    Aprs la conqute de la Gaule, dit-il, et c'est tout le sens de son intervention, Rome n'a pas introduit par la force ses usages, sa langue (3) et ses croyances chezles peuples soumis sa domination. Elle ne leur a pas impos une hirarchie d'innom-brables fonctionnaires, inflig une administration tracassire et ime troite surveil;lance policire. Elle gouvernait de haut et de loin, et la tyrannie du pouvoir central,le despotisme de l'Etat, l'interventionnisme des bureaux ont t moindres durant lespremiers sicles de l'Empire que chez la plupart des nations modernes...

    La romanisation n'a donc pas t le rsultat d'un programme politique nettementarrt, dont la monarchie aurait confi l'excution ses agents. Elle n'a pas t ra-lise par les moyens que l'Allemagne employait pour germaniser l'Alsace et le duchde Posen, ou le gouvernement de Saint-Ptersbourg pour russifier la Pologne et laFinlande. Lgats et procurateurs agirent plutt par la persuasion que par la contrainte.Nanmoins l'action de l'Etat fut trs puissante et trs efficace grce l'adoption decertaines mesures d'ordre gnral qui furent prises ds l'annexion (p. 11).

    Cette sage et habile politique hti inspirait aprs tant de sicles une

    profonde reconnaissance. Il esprait que les effets n'en taient point perduspour toujours : l'me d'un peuple et ses facults natives, la fcondit

    (1) A l'Institut historique belge de Rome. La substance, et peut-tre le texte mme, s'enretrouvent dans un discours prononc l'Institut le 25 octobre 1915 au nom de l'Acadmie des

    Inscriptions. De cette confrence et d'une autre qui l'avait prcde en 1913 la Socit royaled'Archologie de Bruxelles est sorti le volume. Comment la Belgique fut romanise, 123 pp. in-4,dont nous citons ici la seconde dition, Bruxelles, 1919.

    (2) Rponse la dclaration de guerre du gouvernement austro-hongrois, 29 aot 1914, Livregris, pice 78.

    (3) Sur la diffusion de la langue latine, le. p. 89 ; sur la marque laisse par le latin surle flamand, mots relatifs l'architecture, p. 40, note 5; la cuisine et la table, p. 56, note 1 ;aux fruits et plantes potagres, aux animaux domestiques, aux instruments aratoires, aux pro-duits du midi, p. 63, note 6. Sur l'ampleur de ce phnomne et son importance dans laconstitution de l'ancienne Europe, celle qu'on appelait chrtient, Meillet, Les langues dans l'Eu-

    rope nouvelle, Paris, 1928, p. 264, et Esquisse d'une histoire de la langue latine, Paris, 1928,pp. 279 ss. Cf. aussi Fr. Cumont, Pourquoi le latin fut la seule langue liturgique de l'Occi-dent, dans Mlanges Paul Predericq, Bruxelles, 1904.

  • IX

    inpuisable de son sol, la puissance tenace de ses traditions survivent tousles dsastres matriels. Les semences fcondes que Rome avait jetes sur uneterre presque vierge n'y devaient pas prir quand elle l'abandonna. Elles ygermrent obscurment pour produire quelques sicles plus tard des fleursimmortelles {jp. lo). Et c'est pourquoi il se plaisait voir dans le groupequi couronne les colonnes au gant ( i ) un monstre cras par un hrosromain, la barbarie germanique vaincue par l'empereur (;). 104).

    Le nombre de ces monuments votifs, expression de la reconnaissance des popula-tions pour la scurit que leur assuraient les empereurs, est une manifestation cla-tante de leur esprit de loyalisme et de leurs sentiments de dvotion, envers les sou-verains qui incarnaient pour elles l'ide de patrie. Rome leur avait donn la paix,le premier des biens. EUe avait mis fin leurs luttes intestines et aux ravages deshordes germaniques... Elles taient devenues les cellules vivantes d'un grand orga-nisme qui se renouvelait par des changes perptuels. En mme temps elles avaientconnu des lois plus parfaites, obtenu une justice plus sre, acquis des murs pluspolices, et particip une haute culture littraire et artistique. Il n'est pas surpre-nant que, grce tant de bienfaits reus, nos anctres se soient attachs l'Empireet aux princes, et qu'ils aient multipli les preuves de leur dvouement envers eux.Aucune violence ne les avait contraints d'abandonner leurs coutumes, leurs croyancesou leurs langues. Rome avait compt uniquement, pour les transformer, sur le rayon-nement de sa civilisation la conscience de sa supriorit lui permettait un telorgueil,

    et le consentement des peuples lui accorda cette conqute morale, cette sou-mission des volonts et cette conciliation des coeurs que n'aurait obtenues aucun asser-vissement (2). |.; ! : : j :

    Cet loge de l'ancienne Rome tait, sans qu aucune comparaison ft seule-ment esquisse, une sanglante leon pour VAllemagne et ses sides, une

    Allemagne qu'il avait pourtant aime de l'amour mme qu'il nourrissait l'gard de la science, dont il avait frquent les Universits, o il tait traitde pair compagnon par les plus illustres matres.

    Ma's avant mme cette cruelle exprience, s'il avait aprs la Belgique uneautre patrie, ce n'tait pas VAllemagne : c'tait la France, et presque autant

    que la France, Rome, 7nre du monde occidental (3). C'est Rome qu'il

    (1) Fragments de colonnes au gant dcouverts en Belgique, dans Compte-rendu du Con-grs de la Fdration archologique et historique de Belgique, XXIe session, Lige, 1909 ; Frag-ment d'une colonne au gant trouv Pirton dans Annales de la Socit d'Archologie deBruxelles, t. XXIV, 1910, Bruxelles, 1911.

    (2) A rapprocher de ce que dit Kipling dans Puck, lutin de la colline, Paris, 1933, p. 150,Un centurion de la trentime, et p. 180, Sur la Grande Muraille.

    (3) Cf. infra, p. XXIX, et encore, Message VAcademia Belgica de Rome (mai 1947) : SiI nous jetons les regards autour de nous dans cette valle Giulia, nous ne pouvons qu'tre frap-ps de la floraison d'Ecoles appartenant des nations d'autres gards si disparates, maisvoues une tche commune, celle de scruter le pass de cette Rome o tous reconnaissent unemre

    spirituelle >,

  • X

    avait, en ii2, aprs avoir rsign toutes ses charges, transfr son "doviicile,entre l'Institut historique belge, future Academia Belgica, qu'il couvait de sasollicitude, et l'Ecole franaise de Rome qui le considrait la fois commeun membre d'honneur, et, si grande que ft la gloire de Duchesne, commele plus qualifi des guides en matire d'archologie et de science de l'antiquit,"Alors, libre de tout enseignement, de toute obligation, de toute contrainte,il se trouva en situation de s'adonner ses travaux de prdilection, et dedevenir, canme autrefois Juste Lipse, un prince de la Science.

    Pourtant, s'il avait fix son domicile Rome, il n'y tait point captif.Il passait chaque anne plusieurs mois Paris o l'attiraient la fois dechres amitis, de riches bibliothques , et les sances de VAcadmie des Ins-criptions dont il tait, depuis Z13, en tant qu'associ tranger, l'un desmem.bres les plus assidus.

    lit encore n'tait-ce point assez : ni la Belgique, ni la France, ni Romene pouvaient suffire l'enclore ( i ) . Ses voyages l'avaient conduit dans

    presque toute l'Europe, au Pont-Euxin, en Orient (2), aux Etats-Unis. Iltait en relations amicales avec tout le monde savant (3). A vrai dire, plusil tait attach ses trois patries, plus il se sentait, plus il tait citoyen du

    (1) Il aimait les voyages, et attachait du prix aux premires impressions. L'esprit, disait-il,est comme une plaque photographique : il se voile quand il est surexpos ; c'est lorsquetout ce qui l'entoure est encore neuf que le voyageur est sensible tout, et que les ides clo-sent . (e-9 grandes Universits amricaines zxis Rev. de l'instruction "publique en Belgique, 1912,p. 196). Ces voyages eurent souvent pour objet des sries de confrences : Paris (1905) tOxford (1906), d'o, en 1907, Les Religions orientales dans le -paganisme romain ; Upsal (1911);Etats-Unis (1911-1912), d'o Astrology and Religion among the Greeks and Romans, ,XXVII-208 pp.in-12 : New-York et Londres (1912) ; Etats-Unis (1922), d'o en 1923 Afterlife in Roman Paga-nism, qui deviendra Lux perptua. Ils pouvaient n'tre aussi que des voyages d'information :

    Tripoli d'Afrique, en mai 192S (Z,es fouilles de Tripolitaine dans Bull, de la classe des Lettresetc. de l'Acadmie royale de Belgique, 8 juin 192S, pp. 285-300).

    (2) Voyage d'exploration dans le Pont et la petite Armnie, du 4 avril au 21 juin 1900, avecson frre Eugne. De ce voyage sortirent les Studia Pontica, tomes II et III, Bruxelles 1906 et1910. Voyage dans la Syrie du nord, au printemps de 1907, d'o les Etudes Syriennes (1917).Missions archologiques Salihyeh en octobre-novembre 1922 et 1923, origine de l'ouvrageFouilles de Doura Europos^ 2 vol. in-", Paris 1926. Il y fit une nouvelle visite en 1928, et unedernire en 1934 ; d'o, en collaboration avec son ami Rostovtzeff, une tude intitule TheMithraeum (celui de Doura-Europos) dans Excavations at Dura-Europos, Report of seventh andeighth Seasons, Yale University Press, 1939.

    (3) La correspondance de Fr. Cumont est considrable et mrite d'tre conserve. Dj leslettres qu'il avait crites Alfred Loisy et celles qu'il avait reues de lui ont t dposes au

    dpartement des manuscrits de la Bibliothque nationale, o elles seront accessibles au public partir du 1" janvier 1961. Il est souhaiter que ce cas ne demeure pas isol.

  • XI

    monde. Et maintenant qu'il n'est plus, l'on ne voit personne qui s'appliqueplus naturellement la sentence fameuse nonce par Thucydide dans sonoraison funbre pour les morts de la guerre du Ploponnse : vSpcuv y^puiaviv Ttacra yy] Tocipo" xai oO crT;-/]a)v ^^.o-^iu^ v ':?] otxEicf. cry]p.avi

    ittYpaipiQ, XX Tjxal iv ty] [rrj Ttpoo-rixouCT-o ccypao H-'^"^[^'^ '^'^p xuiq,TV]? YVa)[jiV) fJt,a);Xov V] toO epyou vStaiTai;ai. Car ^'^7 repose au cimetire

    'd\Ixellec, selon sa volont, entre son pre et sa mre, c'\est partout o il a

    pass, o il a t lu, o son souvenir est conserv^ n'en subsistt-il aucunetrace matrielle, que sa mmoire demeure.

    Citoyen du monde avons-nous dit, entendez : membre de la Rpubliquedes lettres on disait autrefois, et l'on peut, aprs Pguy, redire : laChrtient expression de ce qui, en dehors et au-dessus des Etats, tend se constituer en socit des esprits, non par une organisation extrieure,administrative et policire, qui serait ncessairement vaine parce qu'elle ne

    pourrait que chercher brider, rprim,er et contraindre la souveraine libertde l'esprit, mais grce aux liens d'amiti qui se nouent spontanment entreceux qui, anims d'un mme dsintressement , participent la mme culture,et collaborent librement difier par leurs libres initiatives et leurs communs

    efforts, le grand uvre du progrs spirituel de l'humanit, que les intrts,les comptitions , les idologies politiques , conomiques et sociales travaillent refouler et dtruire. De cela il s'est expliqu trs clairement dans sondiscours inaugural (i6 septembre IQ35) au VI^ Congrs international del'histoire des religions, Bruxelles ( i ) .

    Il y en a qui s'rigent en pangyristes de la violence et vantent les bienfaits del'action brutale, seule cratrice de socits nouvelles ; ils cherchent dans la contraintephysique un remde immdiat au drglement dont nous souffrons. Mais quelles cra-tions furent plus puissantes et plus durables que celles de ces forces spirituelles quiont mtamorphos des peuples et renvers des empires, comme l'effort invisible du ventfait ployer et dracine les forts ? Aux Etats totalitaires qui prtendent soumettre leur domination non seulement les actes, mais les sentiments des individus, l'exp-rience religieuse enseigne comment les convictions intimes, poursuivies dans leurs mani-festations extrieures, trouvent dans notre for intrieur un asile inviolable.

    En ces temps o s'exasprent tous les nationalismes, l'volution religieuse nous montrecomment la communaut des croyances, aprs avoir t celles de tribus et de clans,devint celle de cits et de nations, et aspira enfin devenir universelle, crant entredes populations lointaines et htrognes des liens plus puissants que ceux du voisi-nage ou du sang. Si la science des religions a russi aujourd'hui mme grouper iciune runion harmonieuse de reprsentants de tant de nations, c'est que nous croyonstous cette universalit du royaume de l'esprit, c'est que nous sentons la valeur

    (1) Le Flambeau, septembre 1935, pp.. 293-294,

  • XII

    minente d'une histoire si fconde en enseignements, qui n'est point destine satis-faire une curiosit oiseuse, mais maintenir et fortifier la rectitude de notre jugementsur le pass de l'humanit et sa mission future .

    Telle tait la pense profonde qui guidait sa vie scientifique. Non qu'ilse crt une mission ni qu'il prt des airs de prophte. Personne ne fut jamaismoins dogmatique, moins entach de pdanterie, moins engonc dans sascience. Autant que savant, il tait gentilhomme, sans que ces deux

    qualits se nuisissent jamais l'une l'autre. Que ce ft Paris ou Rome,on le voyait chaque jour dans les milieux les plus divers, toujours prt converser, sans jamais le prendre sur le ton doctoral ni se jucher sur letrpied,

    La politique internationale lui inspirait un intrt passionn, proccup qu'iltait de l'avenir de la civilisation qu'il sentait branler sur sa base. Grce auno7nbre lev de ses relations en tous pays, il tait souvent, presque toujoursbien informJ. On pourrait dire : toujours, s'il n'avait eu tendance, en cetteseule matire, solliciter un peu les faits qui flattaient son optimisme. Il savaitaussi, en bon critique, interprter les signes : en iiS, trois semaines au moinsavant que l'Italie se dcidt entrer en guerre, il dit en confidence l'un deses amis : C'est fait. Ils partent. Qu'en savez-vous ? Le roi vient de secomm-ander une pelisse. C'est pour aller au front . Et il pensait par surcrot

    que la considration de l'histoire peut, mieux que les spculations idologiquesa priori, aider comprendre le prsent et prparer l'avenir. Il loue ce mritechez son ami Rostovtzeff, A history of the ancient world (i). Mais est-ce. bien la seule Grce qu'il songeait en crivant (le. p. 30c) : Ha su mettreen relief cette prminence intellectuelle qui fit la grandeur de ce peuple pri-vilgi, sans dissimuler ces dfauts moraux qui amenrent sa dcadence : sonincapacit maintenir la stabilit de l'Etat, son impuissance crer une formede gouvernemejtt qui pt concilier l'individualisme incoercible de la race avecla discipline civique, et subordonner les gos?nes particuliers l'intrt gn-ral. Athnes, qui nous offre le premier exemple d'un imprialisme dmocra-tique, s'est montre inapte le faire prvaloir ?

    A tout travailleur il tait accueillant et serviable. Il traitait le moindre tu-diant d'gal gal. Et lorsqu'il rendait service, il semblait tre l'oblig. Avait-

    on, grce ses bons offices, fait quelque menue dcouverte, il vous en laissait

    (1) Deux volumes, Oxford, 1926-1927. Compte-rendu dans le Journal des Savants, Une nou-velle histoire du monde antique aot-octobre 1928.

  • XII

    le mrite et s'ingniait le mettre en valeur. Commettait-on son gard une

    incorrection, co77i7ne de faire une communication sur un chantier de /ouilleso il avait eu la complaisance de vous conduire, il ne semblait pas s'en aper-cevoir et n'en tenait point rigueur. La science, en tant qu'elle tait sienne,devait tre la disposition de tous, et il n'avait souci que de la faire pro-gresser ( I ) . Mais il ne cherchait jamais imposer ni ses ides, ni ses mtho-des, encore moins ses directives. Il portait son tmoignage, et l'interlocuteurtait libre de s'en servir ou de le rejeter.

    C'est par cette voie librale que s'exerait son influence. Plus habile en

    cela que de plus dogmatiques, qui considrent qu'aprs qu'ils ont trouv, il nereste rien chercher que dans le cadre qu'ils ont trac, il savait, non pas en

    ?nots, mais pour de bon, que la vraie science est invention perptuelle, et qu-tes progrs s'en font par la dcouverte, qui rsulte le plus souvent de la ren-contre, parfois fortuite, de plusieurs disciplines qui s'taient exerces jusque-l l'cart les unes des autres.Un jour, au printemps de i^J, propos d'Alfred Foucher et de Paul

    (1) Ds le mois de mai 1917 il crivait dans la prface de ses Etudes syriennes, p. X : car dans la grande crise qui branle le monde, partout des hommes d'tude que leur ge ouleur infirmit retenaient loin des batailles, semblent avoir prouv le souci de ne pas laisser

    interrompre la continuit de la production scientifique, comme si redoutant l'atteinte profondeque le sacrifice des jeunes gnrations devait porter au savoir humain /peut-tre songe-t-il ici la perte immense que causa la 7nort de Robert GauthiotJ, ils cherchaient, dans la faible mesurede leurs forces, la rendre moins dsastreuse . Symbolisme funraire des Rotnains, prface (l'^raot 1941), p. I : sans doute les rudits ont-ils le devoir d'empcher, dans la mesure de leurs

    moyens, la vie intellectuelle de s'teindre, comme d'autres s'efforcent de ranimer l'activit co-

    nomique . Il ne se laissait point entraner par amour-propre se drober, par crainte del'erreur, devant une publication qui courait le risque d'tre imparfaite. Fouilles de Doura-Euro-pos, p. VII : Ceux-l seuls qui se renferment dans une troite spcialit peuvent se flatter dela connatre parfaitement. Si certaines pages de ce livre leur semblent dfectueuses, je suisrsign subir leurs critiques. Il vaut mieux s'y exposer que de ressembler au dragon de lafable dans l'antre o il garde jalousement un trsor strile. L'essentiel est de mettre la dis-position commune des travailleurs les matriaux qu'ils feront entrer dans leurs constructionsfutures . Et encore, Commmoration du Pre Scheil dans Rendiconti dlia Pont. Ace. rom. diArcheologia 1940-1941, p. I du tirage part : D'autres... se contentent de la joie intrieureque leur cause chaque jour la poursuite de la vrit ; p. 7 : Il prfrait offrir auxsavants ces primeurs plutt que de consacrer ses soins effacer les taches de son uvre. Ubiplura nitent, non ego paucis offendar maculis. Il laissait aux critiques, non sans quelque ddain,la tche de ratisser son jardin. Certains rudits gardent par devers eux durant des annes lesIndits sur lesquels ils croient avoir un droit de proprit, et ils finissent quelquefois par dispa-ratre sans les avoir communiqus personne. Le souci de la perfection dont ils se targuentn'est souvent que le voile d'une pusillanimit qui apprhende les bvues dont souffrirait une rpu-tation mal assise .

  • XIV

    Pelliot, quelqu'un lui dit comment il se reprsentait l'ensemble de son oeuvreet la place qu'elle tiendrait dans l'histoire des religions. Il en eut l'air surpriset dem-eura d'abord interloqi. Puis son visage se dtendit, comme en signed!acquiescement, et il prit l'air modeste et recueilli d'une chatte qui l'on

    fait compliment de sa niche. Mais il ne dit ni oui ni non. Et tout se passacomme si, devant la rvlation inattendue de son propre personftage, il s'appa-raissait lui-mme dans un jour nouveau auquel il n'avait pas song. Et ilse tut, comme s'il pensait que, s'agissant du fond de lui-mme et de la placequ'il aurait tenue en ce monde, ce n'tait pas lui qu'il appartenait d'en juger.

    Cela, aurait-il dit lui-mme aprs Homre (i)^ tait sur les genoux desdieux. Ce qu'il en adviendrait, c'tait affaire l'avenir. Car quelle que ftsa gloire, encore n'est-il pas certain qu'il ait toujours t apprci sa justevaleur. Il lui manquait aux yeux de certains mais c'est justement-l ce quifait son mrite d'appartenir une cole, de s'tre conform la scolas-tique d'une cole, de prtendre tout faire entrer dans la dogmatique d'unecole, bref de travailler moisis pour la vrit que pour l'intrt d'une cole.Or il tait, st il voulait trs dlibrment n'tre qu'un simple savant. Et il segardait coinme du feu de se laisser infoder aucun clan.

    Il s'efforait toujours de remonter aux sources, et il tait docile aux faitstels que les prsentent les documents, fondant sur eux des hypothses aux-

    quelles il renonait de bonne grce si la suite de l'enqute ne les confirmaitpas (2), mais qu'il tait plutt avien modifier et nuancer : parfaitexemple, dans l'ordre humain, de la mthode laquelle se rfrait, dansl'ordre mathmatique, La science et l'hypothse d'Henri Poincar.A cette discipline il fut obstinment fidle. Au point que, pour vaste que

    ft son information, et si libral son esprit, il n'invoque jamais les auteursdont, quand mme ce sont des rudits considrables , le tmoignage lui paratsuspect d'tre fauss par un prjug d'cole (3).

    (1) njra, p. XXVI.(2) Religions orientales dans le paganisme romain, prface (juillet 1906) de la premite d.,

    p. IX de la quatrime (Paris, 1929) : Les jugements prconus sont toujours l'obstacle leplus srieux qui s'oppose une connaissance exacte du pass ; Symbolisme, p. Il : Enappliquant, sans thories prconues ni imaginations arbitraires, une mthode qui se fonde surle tmoignage des Anciens eux-mmes... .

    (3) On ne saurait le mieux dpeindre qu'en lui empruntant, pour le lui appliquer, ce que lui-mme a dit de Joseph Bidez, dans l'Antiquit classique, t. XIII, 1944, p. 9 du tirage part : Il joignait l'rudition la plus consciencieuse, qui passait au crible tous les matriaux qu'elleutilisait et en vrifiait le poids et la gnuinit, un esprit de synthse qui, enchanant et combinant

    ingnieusement les faits particuliers, en dgageait les conclusions gnrales et les directions ma-

  • XV

    Il dirigeait la publication du catalogue des manuscrits astrologiques, dontil avait Itd-mftie tabli le tome VIII ^^ premire partie des Parisini (i). Et

    de cet indigeste fatras, o se rvle pourtant deci del quelque prcieuserelique, il avait tir en IQ37 la maiire d'un livre charmant sur la fin de

    l'Egypte ancienne : L'Egypte des Astrologues.Mais c'est moins de l'Egypte qu'il tait proccup, mme quand il traitait

    de l'Egypte, que des rapports entre le monde grco-romain et les civilisa-tions du proche et du moyen Orient. Ses recherches sur Mithra eurent vite

    fait de lui tracer sa direction et d'orienter sa course vers ce qui aura sansdoute t dans l'histoire des religions une dcouverte capitale : la civilisationchaldo-mazdenne des Magusens ou Mages occidentaux, syncrtisme irano-smitique qui devait faire sentir plusieurs reprises son action, d'abord dansle monde juif (2), puis dans le monde hellnique (3) et parmi les peuples

    tresses. A la probit scrupuleuse de la science rpondait la rectitude de son caractre et ladroiture de sa conduite. Ce mme amour passionn de la vrit, qui le gardait contre leshypothses aventureuses et les gnralisations htives, le rendait svre pour tous les char-latanismes. Il condamnait sans rmission les auteurs de systmes fantaisistes appuys par dessuggestions hasardeuses, alors que sa douceur et sa modestie naturelles lui inspiraient en gn-ral une bienveillance qui s'enveloppait des formes d'une courtoisie d'im autre ge. Son dta-chement de tout intrt personnel le rendait libral de son savoir, et il se montrait si ser-viable qu'on hsitait faire appel son obligeance, sachant qu'il n'pargnerait aucune peinepour clairer celui qui recourait lui... Dans un monde envahi par le mercantilisme et l'espritde lucre il se plaisait faire valoir la noblesse de la recherche dsintresse du vrai. Sil'Europe au point de vue matriel a t appauvrie et amoindrie par une guerre dvastatrice,elle garde une richesse spirituelle qui lui confre toujours une supriorit : c'est sa vieilleculture. En approfondissant' notre connaissance de l'hellnisme, source de notre civilisation occi-dentale, en dfendant un humanisme largi contre ceux qui prchent l'abandon d'une traditionqu'ils jugent prime, Bidez avait conscience de dfendre un des biens les plus prcieux denotre patrimoine intellectuel et moral . Restent trouver des oreilles qui denieurent ouvertes ces sortes de propos. Car il n'est pas exclu que la technique ait ralis son ambition,qui est de tuer l'humanisme afin de rgner en matresse dans un monde objectiv.

    (1) Catalogus codictim astrologorum graecorum, VIII \ Bruxelles, 1929. Il a aussi, aprsla mort de Boudreaux, achev la publication du tome VIII ^, suite des Parisini. Enfin il acollabor de prs aux tomes I, Plorentini ; II, Venetiani 5 IV, Italici ; V \ Romani. On veutesprer que l'uvre ne demeurera pas' inacheve.

    (2) A partir du milieu du vi^ s. rdaction de P (= Code sacerdotal), par ex. Gn. 1 ; d'/s.140-55

    ; de Job ; des cinq Megilloth ; du milieu du me s. la partie aramenne de Dan. (rd.dfinitive en 165-164). Relveraient de l'influence chaldo-iranienne ce qui a trait Satan, l'eschatologie et la rsurrection, la description du paradis terrestre, de la cour divine ; lesrcits relatifs au premier homme, Hnoch, la chute des anges, Ahikar, Tobie, Judith,Esther, au martyre d'Isae. Cf. Hlscher, Die Propheten (1914) et Gesch. der israelit. und jd.Religion (1922) dans Loisy. Rel. d'Isral^, pp. 40, 267, note 2, 268, 289. Voir aussi Mageshelln. I, pp. 41 ss.

    (3) Pythagore et le Pythagorisme : infra, pp. 145 et 410 ; Mages helln. I, p. 33 ; Sym-

  • XVl

    du prk OHmt{i) ; dans le monde fmain (2) o, tout ^n eomrcarfuntVvnement du ckfhiiHiime, il lui ouvtit pourtant la 'voie ; enfin dans l'Eu-rope mdivale par les PauUcienS et ls Cthares, lointains hritiers d Mni (3).Tui el tient dans e mot de Nnnos, qu'il a lui-mme relev dans sontude sur la Fin du monde selon les Mages occidentaux (4) : MiOpY], 'Affati-pib $aiOJV vl nEptfii (5) Mithra, Un Phaton assyrien en Perso, ^formule(fUi dans sa cnisiH, dit-il, exprime d'une manire frappante la, combinaisondes trois lments, le grec, le chalden et l'iranien, qu'offrait la lgendemithrique 1> (6). Tout Voeuvre de Cm^nt aura consist --^ mais ce n'est paspeu dire --^ comprendre i dcrire le dveloppement de cette triple combi-^naison, et l'nofme influence qu'elle devait exercer dans le monde europen.

    C'tait le temps o M. Alfred Foucher dcouvrait la civilisation grco-^bouddhique (7), o les trai)au(& de Paul PelUot, Sylvain Lvi et Robert Gau-thiot, aprs ceux de sir Aurel Stein et de von Le Coq, reconnaissaient et dfi-nissaient le systme ds relations entr l'Iran, l'Asie centrale et le monde chinois,phnomne trs voisin de celui que Cumont commenait de montrer qui s'taitproduit aux Confins de l PfSe et de la Mspotamie : le paralllisme est telqu'il y a lieu d'y insister (8).

    bolisme, pp. 276, 377, note 6. ' Platon : infra^ p. 312 ; Relig. or.*

    p. 138 ; Mages Ael"Un. I, pp. 12 ss.; J. Bidez, s.

    (1) Relig, or.S p' 136.

    (2) Mystres de Mithra^ (1913) ; Relig. or> *, p 138 ; Symbolisme, p. 374j note 5.(3) Sur les origines de la pense de Mni t Recherches sur le Manichisme, I (1908), p. 51,

    le bouddhisme except, dont l'action ne s'est exerce qi^e tardivement sur le taanichisme de laChine et du Turkestan (Mlleir, Bruchstcke aus Turfan, p. 63, corrig par -ce qui est dit iafra,p. XIX, n. 4). ^-^ Sur la relation des Pauliciens et des Cathares Mni, cf. A -propos des Ecri"tures manichennes [le. infra,^ p. XXI, n. 4] p. 11 du tirage part, qui renvoie Jean Gui^raud, Cartulaire de N. D. de Prouille, Paris, 1907, t. I, p. CCXXII; Cf. aussi Mni et lesorigines de la miniature persane dans Revue Archol.^ 1913.

    (4) Rev. d'Hist. des Rel. janvier-juin 1931, p. 36.(5) Nonnos de Panopolis, Dionysiac, 21, 247> d. Kchly dahs M.M.M. fasc. I, p. 25 ; et

    en outre Nonnos 40, 399 >. efts Spaitti; l'ipu, AtyuTrtio v^sTiO Zeii, / el Kpovo, e *6o)vTtoXutivufJLOi;, etE (j Mi'pT); / 'HXio; BaoXwvo v 'EXXoi AsXipoi; 'j^TtdXXwv.i,

    (6) Rajpprcher ce qu' propos de Bidex, Ic.^sUpra^ p. XIV, n. 3] Pr. Cumont dit des Mageshellniss : *.. ces Magusens d'Asie Mineure et de Msopotamie dont le synCftisme ctftbine le vieux mazdisme iranien d'abord avec l'astrlogi babylonienne, plus tard avec ls sp-culations ds thologien hellniques . Et dj sur Mni et les mystres de Mithra (Recherches

    j

    sur le manichisme^ I, p. 72) : ^ Comme ceux-ci, les Mages perses tablis en Babylnieavaient admis, ct des antiques ttaditions du zoroastrisme, des croyances indignes quiremontaient en partie jusqu'aux anciens Chaldens j et aussi sur la source magusenne duMithrasme, Rapport sur une mission Rome dans C. R. de l'Acad. des Inser., 1946, p. 418.

    (7) Alfird Pouchet, L'art grco-bttddhiqu du Gmdhara, Paris., 1905-1923(8) On a utilis pour ce qui suit, d'aprs le tirage part, l'expos fait par Pelliot lui-

  • XYII

    Im route commerciale gui unit l'Asie mineure l'extrme Orient passe parle Turkestan chinois. Mais les relations sont antrieures l'tablissement desTurcs dans le Turkestan. Elles sont l'uvre d'une population plus ancienne^Sogdiens et Bactriens qui, subjugus plus tard par les nomades Ta Yue-tche,conservrent assez 'd'ascendant pour iraniser leurs vainqueurs, Graecia captaferum... Ceux-ci finirent par crer une civilisation nouvelle {p. f) : Ils

    s'hellnisrent, ils s'iranisrent, enfin et surtout ils s'hindouisrent. A l'Iran ilsprirent quelque peu de son protocole et de sa mythologie ; la Grce sesformules artistiques ; l'Inde le bouddhisme. Peu peu, vers le dbut denotre re, religion bouddhique et art bouddhique hellnis, empruntant la

    grande voie commerciale du Turkestan, se rpandent vers la Chine... Ceschanges se faisaient grce une langue de culture qui tait gnralement ( i )iranienne, soit sogdien, soit iranien oriental ( = langue II de Leumann) . C'estpar l que les caractristiques d'Ahoura Mazda et de son Paradis se trans-mirent Amitbha, dieu bouddhique de la Lumire infinie ; par l que lesMongols lamastes reurent pour Brah?na et Indra les deux noms qu'ils leurdonnent encore aujourd'hui d'Azrua ( = Zervan) et d'Ormuzd ; par l enfinque s'introduisit jusqu'en Annam une religion du Vnrable de la Lumire que proscrit le code annamite sous des sanctions que devraient lui appliquersi elle existait encore, 7nais elle n'existe plus (2) les tribunaux franaisdu lieu.

    C'est un phnomne du mme ordre qui se produisit la frontire communedu smitisme babylonien et de l'aryanisme iranien. Franz Cumont, s'en estexpliqu plusieurs reprises, notamment, avec toute la clart souhaitable, dans

    mme dans sa leon d'ouverture au Collge de France, le 4 dcembre 1911 {Rev. d'Hist. etLitt. rel., 1912, pp. 97-119), et A. Meillet, Les nouvelles langues indo-europennes trouvesen Asie centrale, dans Revue du Mois, 10 aot 1912, pp. 135 152 ; A. Meiet et M. Cohen,Les langues du monde, Paris, 1924.

    (1) gnralement , parce qu'il y a une exception : Le tokharien (= langue I de Leu-mann), qui a t tudi aprs F. W. K. MUer par Sylvain Lvi et Antoine Meillet, n'estni iranien, ni indien : c'est ime langue indo-europenne qui pour le moment, comme rarm"nien, demeure isole. Cf. sur le tokharien iB, Journal Asiat. 1913, pp. 311 ss.

    (2) Survivances analogues dans ne formule d'abjuration impose aux manichens, cf. Uneformule grecque de renonciation au judasme (Bormannheft der Wiener Studien, XXIV, 2,p. 3 du tirage part. De langue iranienne taient aussi les Mazdens, cela va sans dire,et les Manichens, ainsi que, pour une part au moins, les chrtiens nestoriens qui ont laissdes souvenirs en Chine (stle de Si-ngan-fou, date de 781), les juifs dont les descendantsdemeurent encore K'ai-fong-fou du Honan, et enfin Is premiers musulmans qui importrentleur

    religion en Asie centrale et en Chine,

  • - XVII

    la prface aux Mages hellniss : 'des liens se sont nous ds une poqueancienne entre ces deux civilisations, d'o en est sortie une troisime, interm-diaire entre les deux premires, celle des Magusens (i), ou Mages occiden-taux, gui est peu prs tout ce que le monde grco-romain a connu duMoyen Orient.

    Ces relations se sont constitues avant la rforme zoroastrienne en un tempso il n'tait pas encore interdit de rendre un culte Ahriman et ses dvas :et c'est pourquoi Ahoura Mazda n'est pas pour les Magusens l'Etre suprme,en sorte qu'on ne lui manque pas, comme selon l'orthodoxie mazdenne, ens'adonnant mix pratiques magiques qui, avant l'intervention de Zoroastre, cons-tituaient le culte traditionnel d'Ahriman et de sa squelle.

    Les Mages que les Grecs ont le mieux connus n'taient pas des zoroastriens ortho-doxes. Ceux avec qui ils ont eu les relations les plus directes et les plus constantessont ces Magusens, prtres des colonies mazdennes qui s'tablirent ds l'ge desAchmnides l'ouest de l'Iran, depuis la Msopotamie jusqu' la mer Ege, et quis'y maintinrent jusqu' l'poque chrtienne (2). Ces migrs, spars des contres otriompha la rforme de Zoroastre qui, dans sa rigueur originelle, ne put jamais treque la loi d'une lite peu nombreuse, chapprent dans une large mesure son action;ils n'en adoptrent que partiellement les doctrines, et ils restrent ainsi plus fidlesque leurs congnres de la Perse aux vieilles croyances naturistes des tribus ira-niennes (3). Leur loignement de la pure thologie zoroastrienne fut favoris par lefait qu'ayant adopt une langue smitique, l'aramen, ils devinrent incapables, de lireles textes avestiques, et selon toute probabilit, ils ne possdrent aucun livre sacrcrit en zend ou en pehlvi (4).

    De plus ces Magusens, tablis au milieu de populations allognes, furent par lmme plus exposs subir des influences trangres. Le propre de cette caste sacer-dotale, la qualit dont elle se targuait avant tout, c'tait d'tre sage . Non seulementelle possdait la science des choses divines .et se flattait de pouvoir seule se faire exau-cer des dieux, mais elle raisonnait aussi sur l'origine et les lois de l'Univers, sur

    (1) Cf. M,M.M., t. I, p. 9, note S : Mt^omcc/ao^, transcription de syr. magusay = v. pers.magus, qu'on a, peut-tre tort, rapproch d'ass. majj^. Cf. Boisacq, s. v. JVlxyot; Gesenius,s.v.TQ.

    (2) Sur cette diaspora mazdenne, cf. M.M.M. t. I, pp. 9 ss.; 16 ss.; Mystres de Mithra^,Bruxelles, 1913, p. 12 ; et Religions orientales, 4e d., pp. 129, 133 ss.

    (3) Et ainsi pourraient s'expliquer, quand mme ils n'auraient eu aucunes relations directesavec l'Inde, certaines ressemblances de leur magie avec celle de l'Inde antique. Leur situa-tion l'gard de l'orthodoxie zoroastrienne est tout fait comparable celle des Juifs ta-blis en Egypte (cf. Albert Vincent, Les Judo-Aramens d'Elphantine, Paris 1937) l'gardde la nouvelle orthodoxie judaque et de l'unicit du Temple.

    (4) C'est dire que leur langue tait exclusivement smitique, tandis qu'il arrive en pehlvi,langue proprement iranienne, que poussant l'extrme le systme du qer-ketib, on crive unmot smitique, par exemple malk (roi), l on en ralit l'on prononce le mot iranien corres-pondant : shah ; ou li ( moi) l oi l'on prononce man ; min (de) l o l'on prononce , etc.

    (Cf. A. Meillet, le. [supra, p. XVI, n. 8]).

  • XIX

    les proptits de la nature et la constitution de l'homme (i). Lorsqu'aprs les con-

    qutes de Cyrus (2) ces prtres entrrent en contact avec les Chaldens de la Mso-potamie, ils subirent fatalement l'ascendant d'un clerg qui tait alors le plus instruitdu monde ancien. Dans ce grand centre scientifique qu'tait alors Babylone, ils appri-rent en particulier l'astronomie et ils adoptrent sa sur btarde l'astrologie. Puis,aprs Alexandre, quand l'hellnisme s'implanta en Asie, leur curiosit toujours en veils'intressa aux ides des philosophes, et ils subirent en particulier l'influence du sto-cisme, que des affinits profondes rapprochaient des religions de l'Orient.

    Entre ce ma5;disme de l'poque sleucide ou parthe et celui du clerg sassanideil y a toute la distance qui spare le judasme alexandrin de celui du Z^almud. Aulieu d'une dogmatique rigide et d'une morale de stricte observance, nous trouvonsdes doctrines d'une extrme souplesse et se prtant tous les syncrtismes. Aucuneautorit thologique ne pouvait imposer aux Mages occidentaux un conformisme queleur dispersion mme devait exclure, et si leur rituel, scrupuleusement observ, paratavoir eu une grande fixit, leurs thories ne devaient pas s accorder mieux entre ellesque celles des Chaldens qui, partags en plusieurs coles, se distinguaient, selon Sti-a-bon (16, I, i) par une grande diversit d'opinions (3).

    Tel est le rsultat propre des recherches de Cumont. C'est avec ce fil con-ducteur qu'il faut aborder, aprs les Monuments des Mystres de Mithra,Les Mj'^stres de Mithra, et les Recherches sur le Manichisme, 1908- 191 2 (4),

    (1) Cf. injra, pp. 343 ss.

    (2) Mais il est possible que des relations aient dj exist, que des influences rciproquesse soient dj exerces en des temps be^coup plus anciens. Le dieu babylonien Nergal, avantd'tre le dieu des morts, a t primitivement, comme Ahoura Mazda, un dieu de lumire, undieu solaire (cf. E. Dhorme, Les Religions de Babylonie et d'Assyrie, Paris 1945, pp. 40-41).Le mme auteur rapproche (p. 61) Ahoura Mazda, le dieu des Achmnides qui setransporte, lui aussi, dans le disque ail de l'accadien Shamash = Soleil, roue flamboyante quatre rais, miinie d'ailes et parfois d'une queue d'oiseau ; p. 62 : Shamash voyage le longdu Zodiaque avec un cheval pour monture, parfois aussi dans une nef (comme en Egypte) ;p. 63 : il donne la vie et fait revivre les morts, il est vainqueur de la nuit et de la mort ^p. 64, il est enfin juge suprme et dieu de la justice : c'est un trait qui se retrouvera chezMithra, lequel, avant d'tre un dieu solaire, a peut-tre d'abord t la saintet du contrat (Cf.A. Meillet, La Religion indo-europenne dans Linguistique historique et Linguistique gnrale, I,1926, p. 344).

    (3) Mages helln. I, p. VI ss.

    (4) Les Recherches sur le Manichisme sont probablement ce qui de tout l'uvre de Cumontaura vieilli le plus vite. La raison en est dans la dcouverte qui a t faite vers 1933 enHaute Egypte prs d'Assiout, un des berceaux du manichisme, et qu'il avait pressentie, A proposdes Ecritures manichennes \lc. infra, p. XXII note], d'une prodigieuse collection de documentssur lesquels il a t le premier attirer l'attention du public savant en France {Rev. d'Hist.des Rel.y mars-juin 1933). Alors en effet que les crits trouvs par sir Aurel Stein, par Grnwe-del et Von le Coq, et par Pelliot au Turkestan chinois sont pour la plupart postrieurs au villes,et ont subi l'influence du bouddhisme, la nouvelle collection est trs voisine des origines :elle contient les KscpXaia et les Epitres, le Livre des Hymnes, un commentaire de l'vangilevivant, un rcit du martyre de Mni, des mmoires sur la vie des premires communauts,enfin un recueil d'homlies des premiers disciples. Ces documents capitaux se trouvent en partien Angleterre dans \^ collection Chestr Beatty, en partie la bibliothque de Berlin. Les

  • XX

    un lime clbre aussi important, sans Houle, que la Cit antique de Fustel'de Coulanges Les Religions orientales dans le Paganisme romain (i) j etsurtout -deux volumes moins accessibles au grand public, mais capitaux, fruitd'une troite collaboration avec son ami losefh Bidez, Les Mages hellniss(1938). Bidez devait montrer plus tard dans Es, ouvrage posthume publi en194.5, ^^

  • " un

    publie iux JE!fats-Ums, qui n'cxwU gur t cannm &n Europe. En mmetemps qu'il remaniait l'ouvrage, il en changea le titre et voulut toute force,malgr les objections qui lui taient faites, l'appeler Lux perptua : 'deux motsemprunts l'introt de la messe de Requiem qui les tient d'un apocryphe juifchristianis, le Quatrime livre d'Esdras ; mais plus haut que le judas7ne de

    l'poque chrtienne, Vide en remonte au plus ancien rn^zdisme. Et il enten-dait par cette brve formule indiquer qu'une part revendait aux vieux cultesde l'Orient dans la constitution du christianisme.

    Son attention ne s'tait gure attache auparavant ni a^U judasme, ni auchristianisme, ni l'islam, les trois religions du Dieu viva;nt ( i ) qui tablitentre elles, nonobstant leurs divergences et leurs oppositions^ une indestruc-tible solidarit.

    Il n'avait pas beaucoup pratiqu la Bible : il en connaissait surtout les livres

    marqus de l'influence alexandrine^ not

  • XXII

    le christianisme. De la valeur intrinsque de la religion gui est ntrey>, devait-ilcrire dans son message /'Academia Belgica de Rome {mai I47), il neparlait jamais. Il en paraissait la fois dtach et soucieux de respecter l'ta-blissement extrieur et les positions officielles. C'est ainsi qu'il a toujours parld'Origne avec quelque animadversion, allant jusqu' rappeler sa condamnationpar les autorits ecclsiastiques (i), sans jamais repreridre par lui-mme l'exa-men d'mi problme sur lequel il reste sans doute autant dire que sur celuide saint Augustin.

    Il dut cependant dans ses dernires annes reconnatre que le ph?iomnechrtien ne pouvait tre isol du milieu o il s'tait produit, et que, lorsqu'onavait tudi les religions orientales dans le paganisme romain, on n'avait encorevu qu'un ct des choses.

    L'examen des inscriptions, des monuments figurs, des textes littraires, les

    fouilles de Doura-Europos qu'il eut deux reprises diriger pendant plusieurssemaines, et dont il fit un monumental compte-rendu, Vamenrent penser quele christianisme ne devait pas tre dtach de son contexte ; qu'il y avait un

    point de contact entre la tradition irano-chaldaque des Magusens et le chris-tianisme naissant, qui est de quelque faon figur par l'adoration des Mages L'pisode des Mages dans le premier vangile (2), a manifestement pourobjet de montrer le clerg de la plus puissante et de la plus sage des religionsde l'Orient s'inclinant devant l'Enfant qui doit fonder celle de l'avenir... (3)

    [11] : quand ces documents auront t dpouills, nous verrons plus clairement aussi dequelles croyances antrieures s'est inspir Mahomet, et comment le rformateur religieux de laBabylonie a prpar la fondation de l'Islam. La position de celui-ci l'gard du christianismequ'il prtend dpasser, mais dont il reconnat la valeur relative, n'est-elle pas analogue celle

    que Mni avait prise quatre sicles avant l'hgire . Elle est la fois analogue et inverse.Mni se croyait le Paraclet. Mahomet ne prtend tre rien de plus qu'un simple homme, sanssignes ni miracles, porteur d'un message clair, un hraut, rasoul ; alors qu'au contraire il consi-drait l'Oint Jsus (= Messie ou Christ) comme un tre surnaturel, simple crature, mais ned'une vierge fconde par le souffle divin Djibrel, bref un Esprit cr de Dieu et envoy parmiles hommes. Comparer aussi Qor. ^^^^ avec ce que Cumont dit de Bardesane et des mani-chens dans A profos des Ecritures manichennes, Rev. d'Uist. des Rel. 1920, p. 6 du tirage part.

    (1) Infra, pp. 188, 327.

    (2) L'adoration des mages et l'arc triomphal de Rome dans Memorie dlia pontificia AccademiAromana di Archeologia, srie III, vol. 3, 1932, p. 81 [1]. Cf. aussi Myst. de Mithra^, p. 205,note 4.

    (3) C'est ce thme qui se retrouvera dans l'exploitation chrtienne de l'Apocalypse du ps.-Hys-taspe, infra, N. C XXXV, p. 453, n. 3.

  • xxin

    Mais il lui apparut aussi et cela est marqu plusieurs reprises dans Luxperptua que tout en ayant subi l'influence de son milieu, le christianisme n'ytait pas entirement rductible, il y chappait par on ne sait quoi qui ne per-mettait de le confondre ni avec les cultes des mystres paens ni avec les spcu-lations de la philosophie noplatonicienne ( i ) . De l'avnement de celle-ci Cumontavait conclu, sans y insister ni approfondir car il n'tait pas enclin la mta-

    physique qu'il est des priodes o l'excs de rationalisme dessche la pense,extnue la science et, par le vide qu'il produit, fait, sans le vouloir, appel au

    mysticisme : Depuis le premier sicle avant notre re ( 2) , le progrs scienti-

    fique s'arrte dans le monde ancien, et cette stase est le prlude d'une rgres-sion qui se prcipite mesure que s'accentue la dcadence de l'Empire...{p. i36) : Ds lors les mes inquites, qui sont en qute d'une certitude, cher-chent l'obtenir non par une application patiente de l'esprit critique, mais parune inspiration surnaturelle ou une communication divine . Au moment o ilrdige ce passage, Franz Cumont pense encore qu'il s'agit l d'une rgres-sion qui aboutit une exaltation, ou pour mieux dire et, comme pourse couvrir, il emprunte l'expression A. J. Festugire (3) une perversionde la pit qu'il dplore. Mais un peu plus tard, quand il en vient Plotin,il constate, sans regret, semble-t-il, que la raison cesse d'tre comme pourAristote le seul guide dans' les recherches et que dsormais la conviction

    s'appuie aussi sur une exprience intime de l'me. Le scepticisme cda devantla mystique . Il avait t merveill ^de tout ce que l'me humaine devait d'en-richissement au gnie de Plotin : C'tait, disait-il au printemps de IQ4.7, untrs grand homme, un prodigieux gnie dont la marque ne s'effacera pas, auquelon ne saurait comparer Proclus, qui est, lui, un homme de grande culture et unsavant collectionneur d'ides, mais non pas un inventeur : l'humanit ne luidoit rien (4). D'autre part on ne pouvait que constater l'chec final du no-

    (1) Injr, pp. 360, 384 et N. C. XXVIII et XXIX.(2) Injra, p. 135.(3) A. J. Festugire, La Rvlation d'Hertns Trismgiste, I, p. 5.

    (4) Il semble au contraire avoir cru qu'elle devait quelque chose Mni. C'est du moins ceque donna penser le portrait qu'il faisait de lui ds 1908 {Recherches sur le manichisme, I,p. 52), qui n'est pas sans analogie avec ce qu'il dira de Plotin en 1947 : ... son activit nefut videmment pas celle d'un philosophe clectique rassemblant laborieusement et agenant froi-dement les lments d'une synthse doctrinale. La rflexion ne le guida pas seule dans la recher-che de la vrit. Quand l'inspiration qu'il croit divine jaillit en lui des profondeurs du subcons-cient, il laisse libre cours son imagination cratrice. Ds lors les figures qu'il remodle de samain puissante et qu'il anime de sa vie intrieure, mme quand elles offrent une ressemblanceapparente avec celles des thologies antrieures, sont pntres d'un autre esprit et obissent vuie autre volont ,

  • XXIV

    platonisme nonobstant les efforts de l'empereur Julien, qui n'tait point uneme basse ( i ) ; et c'tait un fait que les auteurs chrtiens, les Pres de l'Eglise,eji s'emparant des armes prpares contre le christianisme, et en les retournantcontre ses adversaires, avaient russi se substituer eux, et faire accepter'dans

    ^'or/tou[XVYi, et au del, chez les Barbares, les solutions que donnait la

    religion nouvelle aux problmes qui tourmentaient les adeptes des mystres etles cercles noplatoniciens (2).

    Cette double constatation semble avoir inclin Franz Cnmont penser qu'des questions poses depuis des millnaires s'il y avait une rponse, la rponsetait en effet donne par le christianisme tel qu'il s'tait constitu sous l'impul-sion de Jsus, mais aussi grce aux apports du milieu o il s'tait dvelopp ; Plotin, dit-il ce propos (3) premier dfenseur d'un spiritualisme intgral,rfutateur pntrant du matrialisme (4) exera sur l'laboration de la thologiechrtienne une influence dcisive qui devait se prolonger pendant des sicles.Aussi tous ceux qui ont t attirs par l'tude des Ennades ontAls reconnu dansl'\auteur de ces notes de cours, modeste directeur d'tudes qui crivait un grecfautif et ne se relisait pas, un des puissants mtaphysiciens dont l'uvre marqueun tournant dans la direction suivie par la pense humaine .

    Et voil, pour lui aussi, le tournant, le point o commence sa courbe. Ilparat alors s'tre rapproch, sans en parler aucun de ses amis (5), du cou-rant de la pense chrtienne, en y comprenant les apports trangerso elle s'tait reconnue. C'est ce qui apparat dans le message qu'il avaitsoigneusement, amoureusement rdig pour l'inauguration, laquelle il ne

    pouvait se rendre, de la bibliothque qu'il venait d'offrir /'Academia Belgicade Rome :

    (1) F. Cumont avait publi, en collaboration avec J. BideZj JuUani Imperatoris Epistulae, legs,poematia, fragmenta varia, Paris, 1922.

    (2) Infra, p. 382.

    (3) Iiifra, p. 346.

    (4) C'est l dans sa position un point important : sa raction est, on le verra plus loin(pp. 140-141), quelque sympathie que lui inspirt l'homme, trs vive contre le systme d'Epi-cure.

    (5) Il est... scabreux de vouloir fixer en peu de mots l'infinie varit des dispositions indi-viduelles, et rien n'chappe plus l'observation historique que ces convictions intimes que par-fois on drobe mme ses proches (Rflexion de 1910 releve par W. Lameere, Sur latombe de Pr. Cumont, dans Alumni, t. XVII (1947-1948), p. 154). A rapprocher de Newman,Parochal sermons, 4, 19, 291 : Hoiv difficult it is ta define things, how impracticable it is taconvey to another any complicated, or any deep or refined feeling, how inconsistent and selfcontradctory his own feelings seem, when put into words, how he subjects himself in cons-quence to misunderstanding, or ridicule, or triumphant criticism,..

  • XXV

    Le temps n'est pas loign, crivait-il, o l'histoire des religions tait regardeavec mfiance comme une machine de guerre imagine pour combattre l'Eglise (i).Mais la vritable question dpasse la porte des tudes que l'historien consacre aux

    phnomnes de la socit humaine. Il s'agit de savoir si les affaires du monde sontconduites par des forces aveugles, par ce que les Anciens nommaient le Fatum, ou sielles sont diriges par une Providence qui les mne vers un but qu'elle s'est assi-gn (2) : car si une volont divine prside cette volution (3), on verra nces-sairement dans l'invasion en Occident des cultes orientaux une transition qui devaitfinalement assurer l'expansion de la foi nouvelle dans une large portion de l'hu-manit (4O.

    (1) Cf. dans le discours inaugural du Vie Congrs international de l'Histoire des Religions Bruxelles (Le Flambeau, septembre 1935) : La science des religions, enfant encore dbile,qui devait devenir un gant, tait alors en Belgique, et peut-tre ailleurs encore, la fois sus-

    pecte aux croyants qui la souponnaient d'tre un cheval de Troie invent pour dtruire leur foi,et mprise des savants officiels qui n'y voyaient que spculations sans mthode et sans consis-tance .

    (2) Il se peut qu'il y ait ici rminiscence d'une page poignante de Loisy, Quelques lettres...1908, lettre XIX, 28 janvier 1906, p. 47 (cf. aussi Mmoires, t. II, p. 468) : Je suis commevous devant ce grand mur ternel. Je l'interroge et, dans la rponse que je me fais, je crois quec'est lui, si insensible en apparence, qui me parle ou qui parle en moi. Car aprs tout, je suisune pierre de ce mur, caelestis urbs Jrusalem ; il est d'une certaine manire tout en moi commeje suis tout en lui ; il doit tre vivant comme moi, et ce n'est pas un mur de pierre, mais uneconstruction anime : il souffre en moi, j'aurai la paix en lui , Et dans La Crise morale du tempsprsent et l'ducation humaine, Paris, 1937, p. 227 : Du reste il ne s'agit plus maintenant dela Providence conue comme antrieure et extrieure au monde, mais uniquement de l'ternelleet mystrieuse action de Dieu dans l'univers vivant .

    (3) Ibid. p. 242 : Dieu existe, c'est--dire un Etre au-dessus de tous les tres, une Puis-sance au-dessus de toutes les puissances, un Esprit au-dessus de tous les esprits, qui est le prin-cipe et la source de toute vie dans l'ordre sensible et dans l'ordre invisible, dans l'ordre terneldes mondes ; de lui l'on peut dire que tout le manifeste et que rien ne l'absorbe. On le blas-phme inconsciemment lorsqu'on ose le dfinir quelque chose qui, en plus grand, nous ressem-ble

    ; p. 2S0 : grand mystre d'amour, dans lequel rien de ce qui fut n'a cess d'tre, riende ce qui est ne disparatra, rien de ce qui doit tre ne prira, nulle activit vivante ne seraperdue , et en qui trouve sa justification le sacrifice de soi qui est requis des hommes, p. 342: Le sacrifice dont nous parlons est avant tout, il est essentiellement un acte d'amour dans unacte de foi ; or acte d'amour, il est la vrit, morale et transcendante, de la vie, le contentementsuprme; acte de foi, il est par l mme fond en Dieu, dans l'obscure et solide intuition dumystre ternel, de l'amour qui se donne, qui s'affirme en se donnant . Peut-tre Fr. Cumonttait-il dj sur le chemin de rflexions de ce genre lorsque, rendant compte dans \& Journal desSavants, aot-octobre 1928, de Rostovstzeff, A history of the ancient world, il crivait, p. 334,touchant le dclin du monde antique : il est remarquable qu'un historien aussi attentif aux con-cluions conomiques attribue cette dcadence surtout des raisons morales ; et dans le dis-cours inaugural de 1935 cit supra, note 1 : Certains ont voulu rduire l'histoire au jeu desforces conomiques ; ils ont conu le dveloppement de l'humanit comme soumis la fatalitd'un dterminisme matrialiste. Mais quelle dngation leur opposent ces mouvements religieuxsuscits par des mes intenses qu'illumine une flamme intrieure et qui, renonant ce bien-treque recherche le commun des mortels, chappent par l mme, eux et leurs sectateurs, aux loisconomiques qui rgiraient, dit-on, exclusivement les communauts humaines .

    (4) Quelque temps auparavant, probablement en mars, il avait, d'un air rflchi et grave, tenu

  • XXVI

    C'est dans ces sentiments qu'il acheva cette Lux perptua qu'il voulait tout prix qui part avant sa, mort, qui a t la seule passion des derniers m^isde sa vie, l'unique proccupation de ses dernires semaines, et qui lui a faittourmenter sans merci, diteur, imprimeur, correcteurs, tous ceux qui, de prsou de loin, directement ou indirectement, pouvaient l'aider procurer l'ditionde sa dernire uvre,

    La mort ne lui a pas laiss le rpit qu'il implorait. Dans les premiers joursd'aot il consentit enfin se laisser transporter en Belgique pour y prendredu repos et refaire ses forces. Car s'il ne pensait alors qu' Lux perptua, ilavait encore d'autres projets en tte. Il voulait donner une quatrime ditionde ses Mystres de Mithra, o il aurait utilis les rsultats des dernires fouillesnotamment celles de Rome et d'Ostie (i); assurer la publication d'un essaisur le culte du Trne vide dont la rdaction remontait IQ4.1 ; et prparerun recueil d'articles, analogue aux Etudes syriennes, qui aurait compris entreautres La fin du monde selon les Mages occidentaux. Les Anges du paga-nisme, et une nouvelle version, profondment remanie, de la Thologiesolaire (2).

    Il songeait tout cela, toujours allant, toujours alerte, l'esprit aussi vif quejamais, incertain pourtant de l'avenir : Je ne sais si, quatre-vingts ans, cette confidence est du 7 mai, je pourrai jamais me remettre ou neresterai pas un infirme. Oswv v youvacri xecTat, ceci repose sur les genouxdes dieux, comme disait Homre (3), mais les chrtiens ajoutent : fitVoluntas tua .

    Et de fait il ne lui tait plus temps de faire des projets. Son heure taitvenue, l'heure dont, propos du vieil empereur Marc Aurle, il avait, dansLux perptua, dcrit les affres {p. 118-ii) : Le prince vieillissant tait

    les mmes propos, peu prs dans les mmes termes, un ami qui tait venu le visiter pendantsa convalescence : sans doute en prparait-il l'expression pour le Message qu'il mditait. Djdans la prface de juillet 1906 [^supra, p. XX, note 1], p. XII : La prdication des prtresasiatiques prpara ainsi, malgr eux, le triomphe de l'Eglise, et celui-ci a marqu l'achve-ment de l'uvre dont ils ont t les ouvriers inconscients . Et plus prcisment, sur la pr-paration du milieu moral : En affirmant l'essence divine de l'homme, ils ont fortifi dansl'homme le sentiment de sa dignit minente ; en faisant de la purification intrieure l'objetprincipal de l'existence terrestre, ils ont affin et exalt la vie psychique, et lui ont donn uneintensit presque surnaturelle que, auparavant, le monde antique n'avait pas connue .

    (1) Cf. Rapport sur une mission Rome dans C. R. de l'Acad. des Inscr. 1946, pp. 386-420.(2) La Thologie solaire du paganisme romain dans Mm. prsents par divers savants

    l'Acad. des Inscr., XII, 1909, pp. 447-479.

    (3) //. 17, 514, etc.

  • xxvii

    obsd par la pense de la mort. Il invoque si souvent les raisons qui doiventnous empcher d'en prouver quelque effroi, que par l mme il trahit l'ap-prhension secrte que l'approche de sa fin inspire son me sensible : cettencessit, note-t-il, nous est impose par la ndture, dont le cours est rglpar la Raison divine, et il serait impie de ne pas s'y soumettre docilement.En nous y conformant nous atteindrons le terme de nos jours favorablementdisposs, comme si l'olive mre en tombant bnissait la terre qui l'a porteet rendait grces l'arbre qui l'a produite ( i ) . . . Au dclin de ses joursle vieillard multiplie ainsi les considrations propres faire accepter le trpassans rvolte et sans faiblesse. Mais sa morale purement terrestre ne lui repr-sente jamais la ncessit d'une rtribution posthume, de rcompenses et dechtiments d'outre-tombe . Il n'exprime nulle part, comme Platon ou comme

    Snque, l'espoir qu'il puisse retrouver dans l'au-del ceux qui ont vcu pieu-sement, et s'entretenir dans un monde lumineux avec les sages d'autrefois...D'o vient que les successeurs de Zenon aient t aussi hsitants sur un pointdont, aprs seize sicles de christianisme en Gaule, nous parat dpendre toutela conception de la vie humaine 1 Le problme, encore que Cumont n'enparlt jamais, se posait donc pour lui. Et il ne pensait pas qu'on pt s'ydrober : Sans doute tant qu'il y aura des hommes,.,, se proccuperont-ilsdu grand mystre de l'au-del , ainsi commence l'introduction IvUx per-ptua, ouvrage de pure rudition. Et il a beau se dire {p. 8) qu'aujourd'hui pour nous notre terre n'est plus dans l'immensit qu'un grain de sable

    emport dans un tourbillon ; que le pullulement de notre espce est lamultiplication d'animalcules infinitsimaux, la prolifration d'une poussirevivante, et son apparition sur notre plante un incident futile, comme le seraitsa disparition, dans l'volution totale du cosmos ; il a beau ajouter : Etnous ne pouvons plus croire sans draison que le don sublime de l'intelligencen'ait t dparti, par un privilge unique, qu' un tre aussi infime, ni mmeadmettre, sans une trange prsomption, que la vie ne se soit manifeste nullepart sous une forme plus parfaite et plus durable, dans des conditions moinsinstables que celles o notre organisme lutte pour une existence phmre (2) ;il n'en pensait pas moins que, nonobstant toutes ces circonstances nouvelles,

    (1) Marc Aurle, Penses, 4, 48, 4 : tb; av s! ata Tc-sipo; ^z.-^^)i.h-t\ EutTrcEv, (j>r)[Jto(Ta xtqvevEYXOffav, xa ;(ptv e'.Sua t;L cp'jtravct ovSptu.

    (2) Cf. encore Message in fine : car la fondation d'instituts scientifiques est un subter-fuge que les hommes ont imagin pour assurer leur action une continuit que ne permet pasd'atteindre pour l'individu la loi inluctable qui limite troitement sa vie. phmre .

  • XXVIII

    le vieux, l'temel problme continuait, continuerait toujours ^assiger nosmes inquites, et irrequietum est cor nostrum,.. (p. 12) ; Lorsque laterre cessa d'tre le centre de l'univers, seul point fixe entour par les cerclesmouvants des deux, pour devenir une pauvre plante tournant autour d'unaxe qui lui-mme se meut, dans l'immensit insondable, parmi une infinit'd^autres

    ^l'ide nave que les anciens avaient conue du voyage des mes dam

    un monde troitement born devint inacceptable, et le progrs de la science,en discrditant la solution errone que nous avait lgue l'antiquit, nous alaisss en prsence d'un mystre que ne souponnaient point les mystrespaens ( i ) .

    Les Jtouvelles perspectives de la science n'ont donc rien chang pourl'homme, j'entends, il va sans dire, non pas l'espce humaine objet d'obser-vation, l'homme objectiv, comme aurait dit Nicolas Berdiaff, mais le sujet,mais la personne, mais ce qui dit moi et se donne soi-mme un nom qui ne-s'applique ni dans le pass, ni dans le prsent, ni dans l'avenir, ni dans l'ter-nit aucun autre. Pour celui-l rien n'est chang, rien ne peut changer, quelleque soit la constitution que la science prte au cosmos, et dans le cosmos,la place de notre espce {p. i) : Peut-tre aussi en aucun temps ne s'estimpose davantage, mme aux incroyants, l'esprance ou la foi que ces mUti-tudes innombrables, pleines de force morale et de passion gnreuse, qui sonAentres dans l'ternit, n'ont point pri tout entires, que l'ardeur qui lesanimait ne s'est point teinte avec la chaleur de leurs membres, que l'espritqui les poussait au sacrifice d'eux-mmes ne s'est pas dissip avec les cellulesde leur corps . ,

    Telle est la question qui demeurait pose devant Franz Cumont. Cela aussi,autant et plus que l'ventuel rtablissement de s\a sant, tait sur les genouxdes dieux; et de cela aussi sans doute il en tait venu, dire, suivant la traditioncre en Gaule par seize sicles de christianisme (2) : fit Voluntas tua (3).Et maintenant il allait enfin connatre cette Volont devant laquelle il venaitde s'incliner.

    (1) C. Loisy, La crise morale du temps -prsent et l'Education humaine, p. 227 : Der-rire cette immensit et cette ternit de l'univers visible, il y a ce que nous, vermine de laterre, ne pouvons directement percevoir, que nous pressentons seulement, itiais qui est le prin-cipe vivant, la vrit intime et profonde de tout. Il y a, il reste, quoi qu'on puisse dire, le

    mystre .(2) Supra, p. XXVII.

    (3) Supra, p. XXVJ.

  • HtL

    // partie le 4 aot pour Wolu-we Sint^-Pirret emportant dans sa valise

    i'mitatioji de Jsus-Ghi'ist. Et peu de jours aprs, il demanda qu' sa dernireheure, son ami Mgr Vas tant lui donner Vextrme-onction. C'est ainsi qu'ilrvint au giron maternel, lion comme autrefois l'enfant prodigue avec larmeset sanglots, Ttiais de l'air le plus paisible d monde, comme s'il n'avait pas euconscience de l'avoir jamais dlaiss. C'est du moins ce qui parat ressortir dece Message de mai ^y l'Acadmie belge de Rome, o s'tant expliqusur les influences qui ont contribu former le corps du christianisme, il envient parler de cette Ville Eternelle qui, aprs avoir, paenne, transmis aumonde latin la civilisation hellnique, devenue chrtienne rpandit en Europel religion qui est ntre .

    Il ne dit rien davantage, sinon, plusieurs reprises durant ses derniers jours,qu'il tait bon chrtien, se confiant ainsi, smble^t-il, sans se plus tourmenterde terreurs ni s'embarrasser de scrupules, cette Volont qu'il sentait bonne :

    Aquella eterna fonte esta ascondida :Que bietx se yo do tiene su manida

    Aunque es de noche (i)

    Il n'avait pourtant pas encore perdu tout espoir de rtablissement. Il atten-dait beaucoup de l'air vivifiant de la fort de Soignes. Mais pour nergiqueque ft son. me douce, elle n'tait plus la matresse ; et son corps extnu serefusait servir. Alors se fermrent pour toujours ces yeux bleus au clairregard que nous avions tant aims. Ainsi mourut Franz Cumont. Et ce fut moins comme si l'olive mre rendait grces l'arbre qui l'a produite que commes'teint une lampe l'instant oi le jour va poindre.Comment songer lui dsormais, ses dernires annes, son paisible

    trpas dans la douce atmosphre de la Villa des Fleurs (2), sans se rappeleraussitt le Requiem de Faur? uvre paenne, a-t-on dit. Peut-tre.Mais encore qu'en sait-on ? Paen et chrtien ne sont plus des mots qui, sinonpar leurs dfinitions abstraites, s'affrontent aussi rsolument qu'autrefois. Cardans la ralit il apparat aujourd'hui, d'une part et Cumont l'avait entrevu que les religions paennes ont connu les aspirations auxquelles devait rpon-

    (1) S. Jean de la Croix, fohne VIl, Obras, d. Silverio, t. IV,p. 324.

    (2) Il aimait le jardin fleuri de cette demeure, et dans ses dernires heures il parlait,

    presque dans la mme phrase, de mourir et d'tre transport dans le jardin . Qui sait ,sidans la confusion de ses ultimes penses, ce n'tait pas prcisment la mort qui voquait enlui l'ide du jardin prorais, pari daeza, le Paradis ? {supra, p. XXVII, infra, pp. 43, 302).

  • XXX

    dre la religion chrtienne, et qu'elles en ont parfois pressenti la rponse (i) ;d'autre part que le christianisme , toutes les poques, a plus ou moins subiVinfluence du milieu ambiant (2), et par consquent des religions paennes qui,comme le phnix, renaissent de leurs cendres, et n'ont jamais fini, pas mmeaujourd'hui, aujourd'hui surtout, leur carrire. En sorte que, quels qu'aient tles sentiments de Faur, son Requiem est, dans le balancement de sa mlodielaticinante, o, par trois fois, l'angoisse, comme un jet de flamme, fait claterun cri (3) si pjitr de l'attente, ou plutt du regret de n'oser plus'attendre quelque chose que n'avait pas rv le paganism)e et quoi l'on neveut pas, l'on ne peut pas renoncer, que, si dsespr soit-il, le dsespoir yespre ; de l'impossibilit de prier nat la prire ; et ainsi, l'heure o, lesvieilles croyances semblent vaciller et tendre, devant de cruelles ngations, se dissiper co77ime songes, il se rattache en fin de compte aux plus jeunesferveurs des premires origines, s'il est vrai que rien n'voque davantage lecri arrach du milieu de la foule au pre douloureux de l'enfant lunatique : /e crois. Seigneur : subviens mon dfaut de foi 1 (4).Franz Cumont avait en IQ42, au seuil du Symbolisme funraire des Romains,

    inscrit cette grave et tendre ddicace :

    AMICAESAPIENTISSIMAEQVAE MECVM HIS STVDIISTEMPORVM INIQVORVMSOLATIVM QVAESIVIT

    Le temps de l'preuve est pass pour lui. Les mystrieuses portes de l'au-del^Afterlife, devant lui se sont ouvertes. Puisse, au sortir des ombres troubles dece monde et des temps iniques o il a vcu, son me douce et gnreuse, sirespectueusement sceptique, trouver ce qui fut l'objet de ses dernires recher-ches dans l'ordre historique, et aussi de ses dernires proccupations dansl'ordre spirituel, in Luce perptua sempiternam Requiem.

    (1) Cf. supra, p. XXIV, et en outre les travaux d'A. J. Eestugire qui a t pour Fr. Cumontun disciple de prdilection.

    (2) Cf. dans la prface de juillet 1906 \supra, p. XX, note 1], p. XIV : Maisj mme lors-que nous nous posons en adversaires de la tradition, nous ne pouvons rompre avec le passqui nous a forms, ni nous dgager du prsent dont nous vivons. A mesure qu'on tudiera deplus prs l'histoire religieuse de l'Empire, le triomphe de l'Eglise apparatra davantage, pen-sons-nous, comme l'aboutissement d'une longue volution des croyances .

    (3) A l'introt, Die exattdi ; au second Kyrie ; la premire reprise du Pie Jesu.(4) Me. 92*.

  • PRINCIPALES ABRVIATIONS EMPLOYES DANS LES NOTES

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  • XXXI I

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  • XXXtlI

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    prsents par divers savants l'Acadmie des Inscriptions, 1909, XII, pp. 447-470-

    V. U. V. = Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, Giessen.Van Gennep = Arnold Van Gennep, Manuel du Folklore franais contemporain, I, Du

    berceau la tombe, Paris, 1946, 830 pp. in 8.Westrup =' C. W. Westrup, Ancestor Worship, I, Copenhague, 1944.

  • INTRODUCTION

    Sans doute, tant qu'il y aura des hommes et que la mdecine ne pourra leurassurer le perptuel renouvellement d'une vigueur juvnile, se proccuperont-ilsdu grand mystre de l'au-del. Mais jamais peut-tre l'ide de la mort ne futaussi prsente l'humanit que durant les annes que nous avons vcues. Ellefut la compagne quotidienne de millions de combattants engags dans unelutte meurtrire, elle hantait l'esprit de ceux, plus nombreux encore, qui trem-blaient pour la vie de leurs proches ; elle est reste la pense constante deceux que poursuit le regret d'un tre aim. Peut-tre aussi, en aucun temps,ne s'est impose davantage, mme aux incroyants, l'esprance ou la foi queces multitudes innombrables, pleines de force morale et de passion gnreusequi soni" entres dans l'ternit, n'ont point pri tout entires, que l'ardeur quiles animait ne s'est point teinte avec la chaleur de leurs membres, que l'espritqui les poussait au sacrifice d'eux-mmes ne s'est pas dissip avec les cellulesde leur corps.

    Les anciens ont dj connu ces sentiments et donn cette mme convictionla forme que leur suggrait leur religion. Pricls dans son loge funbre desguerriers tombs au sige de Samos, affirmait que ceux^qui meurent pour leurpatrie deviennent immortels comme les dieux, et, comme eux invisibles, manifes-tent leur prsence par les bienfaits qu'ils rpandent i. Aussi bien, la foi desHellnes a souvent ador comme des hros, ceux qui avaient pri en dfendantleur cit. Ainsi, les ides que l'on conut, dans l'antiquit, de l'immortalit, sontsouvent la fois loignes et trs proches des ntres. Elles deviennent de plusen plus semblables aux conceptions qui nous sont familires, mesure qu'on

    I. Plut., Pericl., VIII, 9.

  • 2 LUX PERPETUA

    descend le cours du temps et celles qui taient gnralement admises la findu paganisme, sont analogues aux doctrines eschatologiques qui devaient treacceptes durant tout le moyen ge.

    J'ose donc me flatter de n'avoir pas choisi un sujet qui soit trs loin denous, capable d'intresser seulement les rudits et ans rapport aucun avec nos

    proccupations actuelles, en entretenant mes lecteurs des croyances sur la viefuture au temps des Romains. De cette vaste matire, je ne pourrai, enquelques chapitres, esquisser que les grands contours, ncessairement approxi-matifs. Il est toujours imprudent, j'en ai conscience, de hasarder des gnrali-sations morales : elles se trouvent toujours fausses par quelque endroit, maissurtout il est scabreux de vouloir dfinir en peu de mots l'infinie varit des

    dispositions individuelles et rien n'est plus soustrait l'observation historiqueque ces convictions intimes que parfois on drobe mme ses proches. Auxpoques de scepticisme des mes pieuses s'attardent aux vieilles croyances etune foule traditionaliste reste fidle ses dvotions ancestrales. Aux temps ola religion reprend son empire, des esprits rationalistes ou sceptiques rsistent la contagion de la foi. Il est particulirement difficile de constater jusqu'quel point les ides adoptes par les cercles intellectuels russirent pnti-erles masses profondes du peuple. Les pitaphes conserves nous fournissent cet gard des indications trop clairsemes et trop discordantes. Puis, dans le

    paganisme, un dogme n'exclut pas ncessairement un dogme oppos : l'un etl'autre persistent parfois dans le mme individu comme des possibilits diverses,galement autorises par une tradition respectable. L'on apportera donc mesaffirmations trop absolues les rserves qu'elles comportent. Je pourrai seule-ment indiquer ici les grands courants spirituels qui successivement ont introduit Rome des ides nouvelles sur l'au-del et esquisser l'volution qu'ont subiles doctrines sur le sort et le sjour des mep. Combien chacune de ces doc-trines comptait-elle de partisans aux diverses priodes, l'on n'attendra pas demoi que je le prcise. L'antiquit ne nous a pas laiss de statistiques cultuelles.Nous pourrons du moins distinguer les phases principales d'une volution intel-lectuelle qui fit, dans le monde romain, passer au moins la majorit des espritscultiv? d'abord de la foi l'incrdulit, et plus tard de l'incroyance unefoi nouvelle. Le nombre d'entre eux qui, au temps de Cicron, restaientfermement convaincus d'une survie consciente de l'me, tait aussi restreint

    que le devint, au crpuscule du paganisme, celui des sceptiques inclinant admettre que. cette me prissait au moment du dcs. Tel fut l'aboutissementsuprme d'une longue volution religieuse, que l'on peut suivre pendant les

  • INTRODUCTION 3

    quatre ou cinq sicles qui s'tendent depuis la fin de la Rpublique jusqu'audclin de l'Empire.

    Et ce fut l un changement capital qui transforma toute la conception antiquedes obligations sociales et du but de notre existence. L'individu ne sera plusdsormais un instrument mis au service de la communaut, pour qu'elle puisseraliser ses fins, mais le dpositaire sacr d'un principe indestructible de vie

    suprieure et cette valeur spirituelle confrera la personne humaine, mmedans la condition la plus humble, une dignit minente. La morale ne cher-chera plus, comme l'ancienne philosophie grecque, obtenir le souverain biensur cette terre, mais aprs la mort. On agira moins en vue de ralits tangi-bles, pour assurer la prosprit de la famille, de la cit, de l'Etat, mais pluttpour atteindre des esprances idales dans un monde surnaturel. Notre pas-sage ici-bas sera conu- comme une prparation une immortalit bienheureuse,comme une preuve transitoire, qui doit avoir pour rsultat mie flicit ou unesouffrance infinies. La table des valeurs thiques en fut bouleverse.

    Toutes nos actions et nos penses, a dit Pascal, doivent prendre des routessi diffrentes selon qu'il y a des biens ternels esprer ou non, qu'il est

    impossible de faire xme dmarche avec sens et jugement, qu'en la rglant parla vue de ce point, qui doit tre notre dernier objet i.

    Toutefois, si tudiant le problme capital de l'immortalit individuelle, l'ontentait d'tablir un parallle entre le temps prsent et l'antiquit, l'on s'aper-cevrait bientt qu'il se posait autrefois dans de tout autres conditions que denos jours. Nous ne faisons pas allusion ces thories sur la constitution de lamatire qui font voir sous un aspect nouveau l'union de l'esprit et du corps.Mais les spculations des anciens sur le sort des mes taient troitement unies une conception dtermine du monde, que nous ne partageons plus. Les Grecsont agit la question de savoir si ce monde tait ternel ou non^ et certainsont cru sa vie forme de longues, priodes, de grandes annes se repro-duisant l'infini. Ils ont imagin un enchanement perptuel des causes qui,de tout temps, aurait gouvern l'ensemble du cosmos et devait le diriger jamais 2. Mais ils n'ont eu aucune notion, mme approximative, de l'anciennetde l'homme sur la terre ; leur imagination n'a jamais song des millionsd'annes coules depuis l'apparition de la vie sur notre plante. C'est peines'ils accordaient quelques millnaires d'existence notre espce et les temps

    1. Prises, III, 194 (t. Il, p. 103, Brunschvigg).2. Dfinition de l'slfjiapjAvT) : Cicron, De divin,, 1, s, 125.

  • 4 LUX PERPETUA

    taient pour eux tout proches o les dieux se mlaient encore la socit desmortels. Si l'ide que se firent les anciens de notre condition humaine s'esttrouve fausse par l'insuffisance de cette valuation chronologique, elle l'at plus encore par la limitation exigiie de leur cosmologie, car leur eschatologies'est modele sur celle-ci et en a pous les contours. Or, l'aurdre des tempsmodernes, les dcouvertes de Copernic et de Galile en transformant notre

    conception de la structure de l'univers, ont dtruit les illusions que les ter-riens se faisaient de la grandeur de leur destine. De toutes les conqutesscientifiques qui ont largi l'horizon intellectuel de l'humanit, aucune, pasmme la thorie de la gravitation universelle, n'a apport dans ses croyancestraditionnelles une perturbation plus profonde, et sans doute et-elle provoqu,ds le XVF sicle, une grande crise morale, si l'on en avait aperu aussitttoutes les consquences. Ce moment marque la rupture dfinitive avec un

    pass plus que millnaire et l'interversion de la relation du soleil et de la terre,a dtruit les postulats sur lesquels reposaient toutes les localisations conues

    jusque l pour l'existence d'outre-tombe.Ni la religion, ni mme la philosophie des anciens avant Plotin, n'ont, en'

    dfinissant la condition posthume de l'me, regard celle-ci comme purementspirituelle : elle est un souffle diaphane analogue au vent, une ombre impal-pable mais visible aux yeux ou un mlange d'air et de feu. Mme les Plato,-niciens, qui proclament immatrielle cette essence, enseignent qu'elle revtune forme, ds qu'elle descend des hauteurs clestes pour pntrer dans notre

    monde, et croient qu'elle s'entoure d'enveloppes thres ou ariennes avant devenir s'enfermer dans un corps. Elle ne reste donc pas un pur esprit quichappe la limitation de l'espace ; on ne peut dire d'elle., comme de l'meuniverselle, qu'elle n'est nulle part et est partout i. Elle voyage dans le mondesensible et en habite successivement les diverses parties. Aprs la mort, ellese transporte dans une rgion dtermine de l'univers.

    Voyons donc comment est constitu cet univers^. Il est compos de quatrelments, dont le plus lourd, la terre, en vertu de sa densit mme, est tombvers son centre et s'y est agglomr en une sphre compacte, qui y restesuspendue en quilibre sans se mouvoir. L'eau s'est rpandue sur sa surface, y

    1. Porphyre, Sent, ad intell., 31 .OSatj.o /.%: %'j.''na:-fo~i . Cf. Plotin, III, 9, 3.2. Cf. Capelle, Die Schrift von der Welt {Neue Jahrb. f. d. Klass. Alterium, VIII),

    1905. P. Duhem, Le systme du monde. Histoire des thories cosmologiques, t. I

    (1913) et II (1914). Gilbert, Die meteorologischen 'Cheorien des Griechischen Alter-tums, Leipzig, 1907.

  • INTRODUCTION 5

    a donn naissance aux rivires, qui se dversent dans les mers ou dans l'Ocan,lequel entoure cette le qu'est Voikoumen, le continent habit par l'homme.Ou bien ce principe liquide s'lve en vapeurs dans la zone infrieure de

    l'atmosphre, qu'paisissent les brouillards humides et o s'amassent les nues.Les deux autres lments, moins pesants, ont pris place au-dessus des premiers.L'air enveloppe le globe terrestre d'une couche mobile, continuellement agite

    par les vents : par sa nature, il est sombre, quand la lumire des astres nel'clair pas. Troubl au voisinage de la terre par les exhalaisons des eaux, ilse purifie mesure qu'en ses hauteurs il y chappe davantage ; et il s'tend

    jusqu' la zone de la lune, o il confine l'ther. Ce quatrime lment,ardent et lger, a une tendance naturelle s'lever, et son feu subtil, quioccupe la partie suprieure du cosmos, brille dans l'clat des astres. La sphrede la lune est la limite entre le moide des dieux