Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de...

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Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de conséquence par Kristyna Karenova A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy Graduate Department of French University of Toronto © Copyright by Kristyna Karenova 2013

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Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la

construction intensive de conséquence

par

Kristyna Karenova

A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy

Graduate Department of French University of Toronto

© Copyright by Kristyna Karenova 2013

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Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification

implicite : un cas non standard de la construction intensive de

conséquence

Kristyna Karenova

Doctor of Philosophy

Graduate Department of French

University of Toronto

2013

Résumé

Cette thèse porte sur différents aspects syntaxiques et sémantiques de l’intensification implicite

dans une construction du français non standard du type Marie est belle qu’on en reste ébahi.

Cette construction se caractérise par la présence d’un modificateur propositionnel (la prop-que)

jouant le rôle d’un évaluateur de mesures extrêmes liées au prédicat de la proposition matrice

(belle). Ce modificateur opère sur des échelles de mesures et délimite la mesure réelle en la

mettant en rapport avec la conséquence qu’il exprime. Comme ce type d’évaluation corrélative

définit aussi la construction intensive de conséquence (CIC), où l’intensification est lexicalement

réalisée par les marqueurs d’intensité tellement, si, etc., nous proposons que la construction non

standard représente un type implicite de la CIC. La CIC-implicite constitue un nouvel objet

d’étude pour la description et la formalisation dans le cadre de la grammaire générative

(Chomsky 1993, 1995, 2000). L’objectif principal de cette thèse est de fournir une description

détaillée des comportements de la CIC-implicite, d’identifier les contraintes qui la régissent et de

proposer un lien dérivationnel entre cette dernière et la CIC-explicite. Une comparaison

systématique des propriétés des deux CIC montre que les réalisations de la CIC-implicite sont

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plus restreintes. Les restrictions incluent, entre autres, l’impossibilité de l’enchâssement par un

verbe factif et l’absence de la force interrogative. Une ligne directe peut être établie entre les

différentes restrictions en termes de la notion pragmatique d’assertion et de la présence du

locuteur. Notre dérivation de la CIC-implicite, basée sur l’analyse de la CIC-explicite par

association tardive proposée par Bhatt et Pancheva (2004, 2007), formalise la notion d’assertion

au niveau de la périphérie gauche avec une projection dédiée (Haegeman 2006 ; Speas et Tenny

2003). Cette projection, ainsi que l’association de la prop-que modificatrice, permettent

d’interpréter et de légitimer la catégorie vide qui réalise l’intensification dans la CIC-implicite.

Abstract

This thesis examines the syntactic and semantic aspects of implicit intensification in a

nonstandard French construction of the type Marie est belle qu’on en reste ébahi. This

construction is characterised by the presence of a phrasal modifier (the prop-que) whose role is

to evaluate extreme measures linked to a predicate in the main clause (belle). The modifier

operates on measure scales and delimits the real measure by relating it to the consequence which

it expresses. Given that this type of correlative evaluation also describes the intensive

consecutive construction (CIC), in which intensification is lexically expressed by the intensity

markers tellement, si, etc., we propose that the nonstandard construction is an implicit type of the

CIC. The implicit CIC has never before been studied within the framework of generative

grammar (Chomsky 1993, 1995, 2000). The main goal of this thesis is to provide a detailed

description of the properties of this construction, to identify the constraints to which it is subject,

and to propose a derivational link between the implicit and the explicit CIC. A systematic

comparison of the properties of the two types of the CIC shows that the implicit CIC is more

restricted. The restrictions include lack of embedding under a factive verb and incompatibility

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with interrogative clause type. A direct link can be established between the different restrictions

in terms of the pragmatic notion of assertion and speaker presence. The analysis we propose for

the implicit CIC, based on Bhatt and Pancheva’s (2004, 2007) late merge analysis of degree

constructions, instantiates this assertion link in the form of a functional projection at the level of

the left periphery (Haegeman 2006; Speas and Tenny 2003). This projection, as well as the

merge of the phrasal modifier, lead to the interpretation and the licensing of the empty category

which, as we argue, expresses the implicit intensification at a structural level.

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Remerciements

Aucun travail de thèse n’est possible sans des personnes pour nous soutenir, tant dans la

communauté académique qu’en dehors. Je tiens donc à exprimer ici ma plus profonde gratitude à

tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’aboutissement de cette thèse.

Tout d’abord, je tiens à exprimer ma reconnaissance à Yves Roberge, mon directeur de thèse.

Cette thèse n’aurait jamais vu le jour sans ses conseils avisés, son soutien continu, sa patience

illimitée et sa grande disponibilité. Mon travail a grandement profité de ses connaissances et de

nos échanges stimulants. J’adresse également mes plus sincères remerciements à Anne-Marie

Brousseau et Julie Auger, membres de mon comité, dont les relectures attentives, le regard

critique et les remarques encourageantes ont permis d’affiner mes idées et d’améliorer la clarté

de mes explications. Je tiens aussi à remercier Jacques Lamarche, évaluateur externe de mon

travail, et Emmanuel Nikiema d’avoir accepté de faire partie de mon jury.

Mes remerciements vont aussi à mes amies, linguistes et littéraires, doctorantes et professeures,

partenaires de pauses café : Mirela Cherciov, Geneviève De Viveiros et Ruth-Ellen St. Onge. Le

temps que je passe en leur compagnie m’apporte énormément dans mon cheminement personnel.

Merci de m’avoir accompagnée et soutenue tout au long de cette période. Je tiens aussi, et tout

particulièrement, à manifester ma profonde gratitude à mon amie Daria qui, par sa bienveillance,

son dévouement sans limites, ses encouragements répétés, ses commentaires judicieux, sa

générosité intellectuelle et, avant tout, sa confiance indéfectible a su me transmettre l’énergie

nécessaire à l’accomplissement de ce travail. Ses capacités de questionnement et de

raisonnement resteront pour moi un modèle à suivre. Ma dette envers elle est de celles qui durent

toute une vie.

Une pensée spéciale va aussi à Isra Al-Salem, Illa Carrillo Rodriguez, Johanna Danciu, Anna

Frolova, Margaret Loney, Chris Korte, Amy Lloyd, Sylvia Marcos, Martyna Mierzejewska,

Mary Richards et Anna Wesolinska qui, chacune à sa manière, m’ont encouragée dans l’avancée

de cette thèse dans les périodes de doute.

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L’amour inconditionnel de ma famille, toujours, mais avant tout pendant mes années de doctorat,

a été pour moi d’un très grand réconfort et soutien. Sans leur compréhension et appui moral, je

n’aurais jamais eu le courage d’accomplir un tel travail. Un énorme merci et mes excuses vont

surtout à ma sœur, à mon père et à ma belle-famille. Enfin, des remerciements ne suffiront pas

pour celui qui a affronté mes sautes d’humeur, mes moments d’absence et mes soirs et week-

ends studieux, avec une patience, un soutien et un amour sans faille. Notre rencontre continue à

être la plus enrichissante de ma vie. Tu as partagé les joies et les difficultés de ma vie de thésarde

en me faisant bénéficier de ta force de caractère. Je suis sûre que tu m’aideras aussi à retrouver

une vie normale.

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À ma mère.

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Table des matières

Résumé ............................................................................................................................................ ii

Remerciements ................................................................................................................................ v

Chapitre 1 INTRODUCTION ............................................................................................................... 1

1.1 Le phénomène : les données en considération ................................................................ 1

1.2 Les objectifs de la thèse et la structure de l’argumentation ............................................ 3

1.3 Le cadre théorique........................................................................................................... 4

1.4 Considérations méthodologiques .................................................................................. 11

1.5 L’organisation de la thèse ............................................................................................. 13

Chapitre 2 LES DONNÉES ............................................................................................................... 15

2.1 Introduction ................................................................................................................... 15

2.2 Contextualisation .......................................................................................................... 15

2.2.1 Dépendances de subordination ................................................................................. 21

2.2.2 Dépendances circonstancielles .................................................................................. 28

2.2.3 D’autres langues........................................................................................................ 35

2.3 Propriétés de base ......................................................................................................... 37

2.3.1 Sémantisme : les types de lectures ............................................................................ 37

2.3.2 Syntaxe : la complexité de l’événement ................................................................... 47

2.4 Travaux antérieurs ........................................................................................................ 50

2.4.1 Le Goffic (1993) ....................................................................................................... 51

2.4.2 Moline (1994a).......................................................................................................... 53

2.4.3 Deulofeu (1988, 1999a, 1999b) ................................................................................ 54

2.5 Les données et la construction intensive de conséquence (la CIC) .............................. 57

2.5.1 La CIC : une définition de travail ............................................................................. 58

2.5.1.1 Relation de causalité ......................................................................................... 60

2.5.1.2 Mesure extrême indéfinie ................................................................................. 61

2.5.1.3 Mesure de comparaison .................................................................................... 64

2.5.2 La CIC et les données : une comparaison empirique de base ................................... 67

2.5.2.1 Forme de surface ............................................................................................... 67

2.5.2.2 Prosodie............................................................................................................. 68

2.5.2.3 Interprétation ..................................................................................................... 69

2.5.2.4 Différences ........................................................................................................ 72

2.6 Conclusion .................................................................................................................... 74

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Chapitre 3 LA CONSTRUCTION INTENSIVE DE CONSÉQUENCE ........................................................ 76

3.1 Introduction ................................................................................................................... 76

3.2 Dérivation de la construction intensive de conséquence explicite ................................ 77

3.2.1 Les marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés ............................................ 79

3.2.2 Les marqueurs d’intensité et les prop-que ................................................................ 89

3.2.3 Propriétés empiriques de la CIC-explicite ................................................................ 96

3.2.4 Survol des traitements dérivationnels de la CIC-explicite ........................................ 99

3.2.4.1 Mouvement à droite ........................................................................................ 101

3.2.4.2 Adjonction à droite ......................................................................................... 121

3.2.4.3 Association tardive.......................................................................................... 130

3.3 La CIC-implicite : adoption initiale de Bhatt et Pancheva (2004, 2007).................... 142

3.4 Conclusion .................................................................................................................. 151

Chapitre 4 ANALYSE COMPARATIVE ............................................................................................ 153

4.1 Introduction ................................................................................................................. 153

4.2 Comportements de la CIC-explicite et la CIC-implicite : une étude comparative ..... 154

4.2.1 Corrélation entre le marqueur d’intensité et le complémenteur .............................. 154

4.2.2 Effets de linéarisation ............................................................................................. 158

4.2.2.1 Le marqueur d’intensité et la prop-que ........................................................... 158

4.2.2.2 Syntagmes adverbiaux spatio-temporels......................................................... 161

4.2.2.3 Propositions relatives ...................................................................................... 164

4.2.2.4 Propositions comparatives .............................................................................. 175

4.2.2.5 Antéposition de la prop-que ............................................................................ 183

4.2.3 Enchâssement complétif ......................................................................................... 186

4.2.4 Relativisation .......................................................................................................... 191

4.2.5 Ambiguïté interprétative ......................................................................................... 194

4.2.6 Obviation à la Condition C de liage ........................................................................ 198

4.2.7 Négation .................................................................................................................. 200

4.2.8 Type de phrase et force illocutoire .......................................................................... 207

4.3 Lien dérivationnel ....................................................................................................... 212

4.3.1 Comportements non partagés .................................................................................. 212

4.3.2 Points communs des réalisations impossibles de la CIC-implicite ......................... 215

4.3.3 L’assertion et la structure dérivationnelle ............................................................... 219

4.3.4 L’intensification implicite et la périphérie gauche ................................................. 223

4.3.5 Autres propriétés ..................................................................................................... 228

4.4 Conclusion .................................................................................................................. 233

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Chapitre 5 CONCLUSION .............................................................................................................. 234

5.1 L’approche retenue dans la thèse : récapitulatif ......................................................... 234

5.2 Principaux résultats ..................................................................................................... 236

5.3 Originalité et contribution de la thèse ......................................................................... 238

5.4 Questions soulevées .................................................................................................... 239

Bibliographie............................................................................................................................... 243

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Chapitre 1

Introduction

1

1.1 Le phénomène : les données en considération

Les langues naturelles attestent d’une richesse d’expressions linguistiques qui continuent à

fournir aux linguistes divers objets d’étude. Ces expressions constituent pour eux les bases

indispensables à l’élaboration de leurs connaissances sur le fonctionnement de la langue en

question. Lorsque les linguistes les étudient, ils cherchent à identifier des schémas de

ressemblances et de différences afin d’arriver à une meilleure compréhension des principes qui

les sous-tendent. Ces principes à leur tour incitent les linguistes à se poser des questions sur la

formalisation de ces expressions et à développer et à vérifier leurs théories du langage. Parfois

ces objets d’études sont clairement visibles ; d’autres fois, ils sont plus obscurs et, de ce fait,

souvent absents des investigations linguistiques. Les phrases du français auxquelles cette thèse

est consacrée représentent ce deuxième type d’objets d’étude. Il s’agit de phrases qu’on

remarque moins, principalement parce qu’elles n’appartiennent pas à une langue standard (Von

Wartburg et Zumthor 1947 ; Le Goffic 1993 ; Robert 1996) ; pourtant, les locuteurs les

emploient et les comprennent facilement. Les exemples suivants illustrent ces phrases :

(1) Il crie qu’on ne s’entend plus. (Von Wartburg et Zumthor 1947 : 64)

(2) Jean boit que c’en est une honte. (Muller 1996a : 144)

(3) Elle est bête que c’est à pas y croire ! (Frei 1971 : 154)

Ces phrases sont constituées de deux propositions finies reliées par que, dans une structure de la

forme p1 que p2 qu’on considère comme étant complexe. La proposition introduite par que

(dorénavant la prop-que) que ces phrases contiennent s’interprète en gros comme un

modificateur du prédicat au sein de la première proposition. De plus, cette modification

comprend une évaluation de mesures extrêmes. Plus spécifiquement, les exemples s’interprètent

avec un effet d’intensification au sein de la première proposition qui est mise en relation avec la

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situation de conséquence qu’exprime la prop-que. Les phrases en (1) à (3) peuvent être glosées

par ‘Il crie à un degré auquel on ne s’entend plus.’, ‘Jean boit à un degré auquel c’est une

honte.’, ‘Elle est bête à un degré auquel c’est à pas y croire.’. Les mesures de degré dans ces

phrases sont évaluées comme étant hautes (glosable par « tellement ») par la prop-que. On

ressent que cette proposition restreint la valeur de degré à laquelle le prédicat dans la première

proposition est interprétativement lié. Ces hautes mesures, ou intensifications, sont implicites,

étant donné qu’aucune expression d’intensification ne figure dans ces phrases.

Les exemples du type en (1) à (3) ont reçu une certaine attention dans les grammaires

descriptives traditionnelles (Gougenheim 1938 ; Von Wartburg et Zumthor 1947 ; Grevisse

1993 ; Robert 1996) et les travaux fonctionnels (Moline 1994a ; Deulofeu 1988, 1999a, 1999b ;

Le Goffic 1993), mais elles constituent des données nouvelles pour la description et la

formalisation dans le cadre de la grammaire générative. La principale préoccupation de ces

grammaires descriptives et travaux fonctionnels est la typologie de ces exemples qui

« remett[ent] en cause des certitudes grammaticales bien ancrées » dans l’ensemble des phrases

complexes du français qui s’articulent autour de l’élément que, ainsi que la nature catégorielle du

que qu’elles contiennent (Gadet 1989 : 165). Ces phrases ne se sont pas encore vu attribuer un

nom dans la littérature, on emploie souvent une terminologie non distinctive, comme « les

subordonnées en que ».

L’intérêt de ces données réside dans la modélisation des dépendances sémantiques et syntaxiques

qui s’instaurent entre les deux propositions qui les composent, ainsi que dans la caractérisation

de l’intensification implicite. Cette intensification, ou l’interprétation à mesures extrêmes, se

situe au sein des relations de dépendance sémantique qui sous-tendent ces constructions. Il s’agit

d’une composante de sens qui n’est pas représentée dans la phrase par un item lexical. On peut

donc constater que l’interprétation de ces données n’est pas une fonction des interprétations

contribuées individuellement par les items dont elles sont composées ; autrement dit, elle n’est

pas sémantiquement compositionnelle. La mesure extrême est en plus étroitement reliée à la

prop-que. Considérons l’exemple (1). La première proposition à elle seule, soit Il crie, ne

s’interprète pas avec un effet d’intensification. Son interprétation provient directement du sens

des mots qui la composent. Mais, dès que la prop-que, qu'on ne s'entend plus, s’y associe, une

interprétation à effet d’intensification survient. Cette intensification est liée à l’action exprimée

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par le prédicat verbal crier. La question qui se pose est de savoir d’où vient cet effet interprétatif

et quelles conditions permettent à l’interlocuteur de le récupérer. Dans l’ensemble, ces données

introduisent un cas inédit d’expression d’intensification.

Du point de vue des dépendances syntaxiques, l’élément que entre deux propositions finies

marque souvent un lien syntaxique étroit, que introduisant les propositions qui ne sont pas

autonomes (e.g. complétives, relatives). Dans ces cas, ce type de lien dépend aussi de la présence

(et des exigences) d’un élément lexical au sein de la première proposition. Est-ce le cas ici ?

Avec quelle composante de la première proposition la prop-que entretient-elle structuralement

une relation ? Puisqu’elle s’interprète intuitivement comme un modificateur de prédicats, est-elle

reliée au verbe ? Dans ce cas, vu que la prop-que entraîne une interprétation d’intensification

mais n’apporte pas en soi un tel sémantisme, cette composante de sens devrait alors provenir du

verbe. Les verbes lexicalisent-ils de telles composantes de sens ? Si non, cette composante de

sens a-t-elle un corrélat quelconque dans la structure, ou s’agit-il d’une interprétation au hasard

avec une simple association de la prop-que ? La représentation syntaxique des composantes de

sens dépend en partie du niveau d’isomorphisme, ou la correspondance entre le sens et la forme,

qu’on adopte. Si on suppose qu’il existe un niveau important d’isomorphisme entre la syntaxe et

la sémantique, ce type de composante de sens devrait être représenté structuralement. Vu que la

prop-que fonctionne interprétativement en tant qu’un restricteur de hautes mesures, on pourrait

s’attendre aussi à ce qu’elle soit reliée à ce corrélat structural d’intensification.

1.2 Les objectifs de la thèse et la structure de l’argumentation

Sur la base des questions soulevées dans la section précédente, nous énonçons ici les objectifs

que cette thèse se propose d’atteindre, suivis pas la structure de notre argumentation. Nous

visons à :

1) Fournir une description détaillée des comportements des données étudiées ;

2) Identifier les contraintes qui régissent ces constructions ;

3) Proposer une dérivation qui rend compte des comportements de ces constructions.

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Une première observation révélera que ces constructions peuvent s’interpréter avec plusieurs

différents effets sémantiques, comme les effets de qualité et de quantité liés aux événements, et

que leur structure événementielle favorise les activités. Sur la base des similarités sémantiques

principalement (les relations de dépendance sémantique), nous avancerons que les données sont

représentatives des réalisations d’une autre construction du français, soit la construction intensive

de conséquence (CIC), dans laquelle l’intensification est implicite (ainsi, ce sont des CIC-

implicites). Nous considérerons en plus que la CIC-implicite est dérivationnellement reliée à la

CIC-explicite.

Ces hypothèses nous permettrons de nous servir du modèle diagnostique que la CIC-explicite

représente pour continuer à décrire les comportements de la CIC-implicite. La démarche

comparative nous permettra, à son tour, de remarquer que la CIC-implicite se démarque de la

CIC-explicite en particulier au niveau des possibilités de réalisations : les réalisations de la CIC-

implicite sont plus restreintes (e.g. contraintes sur l’enchâssement factif et sur la force

interrogative). Nous attribuerons ces restrictions à l’intensification implicite. Un examen plus

approfondi des types de restrictions révèlera qu’elles peuvent toutes être reliées au concept

d’assertion.

L’analyse dérivationnelle de la CIC-explicite proposée par Bhatt et Pancheva (2004, 2007), en

termes d’association tardive, servira de base à notre dérivation de la CIC-implicite. Pour pouvoir

expliquer les restrictions sur l’intensification implicite en structure, nous modifierons l’analyse

adoptée en proposant un corrélat syntaxique pour l’assertion (adopté de Haegeman 2006). Pour

expliquer comment l’intensification implicite s’insère dans le lien dérivationnel entre la CIC-

implicite et la CIC-explicite, nous poserons qu’elle est représentée dans la syntaxe par un

élément nul. La structure d’assertion s’avèrera cruciale pour l’interprétation de cet élément nul,

de même que la prop-que qui y sera directement associée.

1.3 Le cadre théorique

Notre description initiale des données sera réalisée de manière informelle et adoptera une

terminologie héritée à la fois de la grammaire traditionnelle, de la linguistique générale et de la

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grammaire générative. Elle s’adresse ainsi à un public varié. Notre description diagnostique,

ainsi que nos formalisations des dépendances sémantiques et syntaxiques qui sous-tendent ces

constructions et des contraintes qui les régissent, adopterons sur le plan théorique le cadre de la

grammaire générative minimaliste. Nous proposons de passer en revue, dans ce qui suit,

quelques notions de base de ce cadre. Par souci d’efficacité, seulement les notions qui donnent

une vue d’ensemble de la grammaire générative minimaliste et qui font partie de notre discussion

formelle seront évoquées.

La présupposition fondamentale du cadre génératif est l’existence chez les êtres humains de ce

qu’on appelle la Grammaire Universelle (GU), ou la faculté langagière. La GU est un composant

inné qui permet aux locuteurs de produire des expressions linguistiques et de comprendre les

expressions linguistiques produites par les autres. C’est aussi un composant indispensable à

l’apprentissage des langues par les enfants ou les nouveaux apprenants d’une langue. On parle

d’une grammaire « universelle » parce qu’elle reflète ce qui est commun à toutes les langues

naturelles. Le terme « grammaire » désigne dans ce sens un ensemble de principes formels. La

grammaire générative (fondée par Chomsky 1957) se donne pour objectif de définir ces principes

formels afin de déterminer les propriétés de la GU. Comme la reconnaissance de ces propriétés

ne peut se réaliser qu’avec l’observation d’une langue telle qu’elle est utilisée par les sujets

parlants (on ne peut pas examiner le cerveau directement), la grammaire générative cherche

d’abord à décrire et à expliquer les faits linguistiques. Ces descriptions et explications mènent,

progressivement, à notre compréhension de la faculté langagière. Une des propriétés des langues

que la grammaire générative vise à expliquer est la productivité des langues naturelles, c’est-à-

dire, la génération d’un nombre infini d’expressions linguistiques à partir d’un nombre fini

d’unités lexicales. À cette fin, elle propose des mécanismes formels responsables pour leur

génération, qui ensemble constituent un système dérivationnel (ou un générateur syntaxique). Ce

système a évolué au cours des années. Nous adoptons ici la version minimaliste, soit un système

dérivationnel proposé dans le Programme minimaliste (Chomsky 1993, 1995, 2000).1

Le Programme minimaliste propose que le système dérivationnel fonctionne d’une manière

économique, pour être optimal du point de vue cognitif ou conceptuel. Tout ce qui interagit avec

1 Pour sa description, nous puisons non seulement des ouvrages de Chomsky, mais aussi de Hornstein, Nunes,

Grohmann (2005), entre autres.

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les deux systèmes de performance des êtres humains, le système conceptuel-intentionnel (C-I) et

le système articulatoire-perceptuel (A-P), est conceptuellement nécessaire. Le système

dérivationnel doit ainsi produire seulement deux types de représentations : une représentation

logique (ou « forme logique », FL) qui sert d’input au système A-I et une représentation

phonologique (ou « forme phonologique », FP) qui sert d’input au système A-P. Ces deux

représentations représentent les interfaces entre le système dérivationnel et les systèmes de

performance. Quant à l’input au système dérivationnel (ou la composante computationnelle),

celui-ci est constitué, optimalement (ou économiquement), des items nécessaires pour la

production des représentations FL et FP uniquement (sous forme d’une liste, soit la

Numération).2 La grammaire minimale peut ainsi être schématisée comme en (4), avec l’Épel (ou

« Spell-out ») représentant l’opération qui prépare la représentation dérivationnelle pour la

représentation logique et la représentation phonologique :

(4) Numération

Composante computationnelle

Épel V FL FP

L’économie existe aussi au niveau des opérations qui construisent les expressions linguistiques à

l’intérieur de la composante computationnelle et des structures que ces opérations produisent.

Ces expressions linguistiques sont assemblées premièrement par l’opération d’Associer, ou de

Fusionner (« Merge »). L’opération Fusionner combine, de façon récursive et dynamique, deux

objets syntaxiques à la fois pour former des objets syntaxiques plus larges.3 À chaque application

de Fusionner, un des objets syntaxiques projette pour créer un objet syntaxique plus large. Dans

ce sens, le système dérivationnel est endocentrique, c’est-à-dire, les propriétés de l’objet

syntaxique plus large sont déterminées par les propriétés d’un des objets syntaxiques combinés,

2 Tout processus de dérivation commence par la sélection, à partir de la Numération, d’unités lexicales. Ces unités

proviennent du lexique, lequel regroupe les unités lexicales d’un système linguistique (d’une langue, comme le

français). 3 La dérivation combine les objets syntaxiques de façon concaténationnelle, du bas vers le haut (« bottom-to-top »).

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7

soit la « tête ». La structure de base d’une projection maximale qu’une opération d’association

produit est la suivante :

(5) XP V

ZP X’ V Xº YP

Cette architecture (déjà en place dans une version antérieure de la grammaire générative, la

Théorie du Gouvernement et du Liage ; Chomsky 1981) illustre les deux principales relations

structurales que les objets syntaxiques peuvent entretenir : tête-complément ; spécificateur-tête.

À l’intérieur du XP (e.g. VP) dans la structure en (5), l’objet syntaxique YP (e.g. NP) s’associe à

l’objet syntaxique « tête » (Xº, e.g. V) en tant que son complément ; l’objet syntaxique ZP (e.g.

NP) s’associe à la tête en tant que son spécificateur.

Une fois dans la dérivation, les objets syntaxiques peuvent aussi se voir déplacés au moyen de

l’opération de déplacement, elle-même composée de deux opérations : Copier (« Copy »), qui

copie un objet syntaxique, et Fusionner, qui associe la copie de cet objet ailleurs dans la

dérivation.4 Cette opération peut être illustrée, de façon simplifiée, comme suit, où l’objet

syntaxique copié est représenté par YP (e.g. un NP à l’intérieur d’un VP) :

(6) XP V

YP2 X’ V Xº YP1

Le déplacement est une opération qui doit être justifiée, ou motivée, contrairement à l’opération

de fusion, qui est gratuite. La motivation prend la forme de traits formels portés par les unités

lexicales qui entrent dans la dérivation.5 Le déplacement peut seulement avoir lieu pour la

4 On parle ainsi d’un « déplacement par copies ».

5 Les unités lexicales sont composées de traits idiosyncratiques qui incluent les traits formels (Catégorie),

phonologiques et sémantiques, et de traits formels ajoutés juste avant la Numération (Nombre, Temps). Ces traits

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vérification de ces traits. La vérification est imposée par l’optimalité de l’interface FL, où

seulement les traits qui sont interprétables peuvent faire partie de la représentation

dérivationnelle qui sert d’input à FL.6 Ce type particulier d’optimalité est formulé en tant que le

Principe de Pleine Interprétation qui exige que seulement les traits qui sont lisibles aux interfaces

FL et FP soient présents à chacune de ces interfaces pour que la dérivation soit convergente. Les

traits non lisibles doivent être supprimés avant d’atteindre ces interfaces, c’est-à-dire avant

l’Épel. La vérification est un procédé qui permet d’éliminer les traits non lisibles. Ainsi,

l’opération de déplacement a lieu pour répondre aux besoins des interfaces.7 Dans la vérification

de traits sont aussi impliqués des éléments fonctionnels, ou grammaticaux (i.e. les têtes

fonctionnelles telles que T, C). Ces éléments font également partie du lexique et entrent dans la

dérivation avec les unités lexicales. La vérification a lieu entre une tête porteuse de traits

ininterprétables (e.g. V) et une tête qui possède l’information nécessaire pour éliminer ces traits

(e.g. T).8

La disponibilité de ces éléments fonctionnels (et de tout élément syntaxique) dans la structure est

aussi limitée par la nécessité conceptuelle, où seulement les éléments absolument nécessaires, et

suffisants, pour la dérivation et les interfaces sont présents.9 Ces éléments peuvent inclure des

éléments nuls qui ont des traits phonologiques avec une réalisation zéro et qui sont reliés à un

contenu interprétatif (e.g. la catégorie vide PRO). Tant qu’ils sont nécessaires pour formuler une

dérivation économique qui produit des représentations lisibles aux interfaces, ils satisfont la

nécessité conceptuelle.

Une structure globale de base qui donne une idée de l’ordre des associations des différents

éléments syntaxiques peut être résumée comme suit :

sont responsables du comportement des unités lexicales pendant la dérivation et ensemble, ils déterminent si la

dérivation réussit ou si elle échoue (« crash »). 6 Un trait ininterprétable est, par exemple, le trait de nombre sur un verbe.

7 L’Accord (Chomsky 2000, 2001, 2004, 2005) est une autre façon de vérifier les traits.

8 Le déplacement crée une chaîne de copies constituée de la copie d’origine (e.g. YP1 dans (6)) et des copies

subséquentes (e.g. YP2). Suivant le Principe de Pleine Interprétation, les deux copies doivent être interprétables aux

interfaces FL et FP. 9 La disponibilité des éléments fonctionnels dépend des langues ou grammaires individuelles.

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(7) CP V Domaine de la phrase C’ V Cº FP V F’ V Fº TP V T’ Domaine de l’événement V Tº FP V F’ V Fº VP V V’ V Vº …

Comme montre cette structure générale, au départ, la dérivation construit la structure verbale, en

associant les participants de type argumental au prédicat (e.g. V). À cette structure s’ajoutent les

projections fonctionnelles, telles que TP et d’autres projections fonctionnelles comme AspP ou

ModP, etc. (signalées dans la structure en (7) par FP), qui constituent le domaine étendu du verbe

et expriment des notions liées à l’événement (e.g. temporalité, aspect, modalité). À la fin

s’associent les projections étendues de la phrase qui spécifient les traits liés à l’acte de

l’énonciation, tels que la force illocutoire (e.g. CP).10

Nous nous penchons dans cette thèse sur ce cadre théorique génératif dans le but de décrire la

production et l’interprétation des données ici à l’étude. Le cadre génératif minimaliste est soumis

à un principe d’économie tout en gardant un pouvoir explicatif adéquat. L’économie est reflétée,

entre autres, dans la disponibilité d’un nombre limité : d’opérations au sein de la composante

computationnelle (Copier et Fusionner) ; de positions structurales (tête, complément,

spécificateur) ; d’items grammaticaux dans le lexique (têtes fonctionnelles, traits formels) ; et

10

Ce domaine peut être divisé en plusieurs projections, comme ForceP et FinP, tel que proposé par Rizzi (1997).

D’autres divisions ont aussi été proposées (Speas et Tenny 2003, entre autres).

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10

d’éléments syntaxiques présents dans la structure dérivée. L’économie définit aussi les

représentations pour les systèmes de performance, composées de traits lisibles uniquement.

Plusieurs conditions d’économie spécifiques ont été proposées que nous ne soulevons pas ici

pour la clarté de l’exposé et parce qu’elles ne s’avèrent pas utiles pour notre discussion

syntaxique à venir (e.g. Condition du lien minimal, Condition d’uniformité). Nous adopterons

aussi d’autres suppositions théoriques au fur et à mesure que nous présenterons nos discussions

formelles (dans les Chapitres 3 et 4). Elles seront expliquées alors.

Finalement, notre description diagnostique des données, ainsi que notre analyse dérivationnelle,

incorporeront des composantes pragmatiques, parmi lesquelles la présupposition et l’assertion

(ou le posé). Ces notions sont parmi les plus étudiées en pragmatique depuis leur introduction par

Frege (1892). Dans le cadre de cette thèse, nous adoptons les grandes lignes des définitions de la

présupposition et de l’assertion proposées par Stalnaker (1973, 1974, 1999, 2002) :

A proposition P is a pragmatic presupposition of a speaker in a given context just in

case the speaker assumes or believes that P, assumes or believes that his addressee

assumes or believes that P, and assumes or believes that his addressee recognizes that

he is making these assumptions, or has these beliefs (Stalnaker 1974 : 573).

[An] act of assertion is […] the expression of proposition – something that represents

the world as being a certain way. […] [A]ssertions are made in a context – a situation

that includes a speaker with certain beliefs and intentions, and some people with their

own beliefs and intentions to whom assertion is addressed. […] [A]cts of assertion

affect, and are intended to affect, the context, in particular the attitudes of the

participants in the situation: how the assertion affects the context will depend on its

content (Stalnaker 1999 : 78).

Selon ces définitions, une proposition est présupposée si le locuteur croit que son contenu fait

partie de la connaissance partagée de ses interlocuteurs et si ces derniers reconnaissent qu’elle

fait aussi partie de la connaissance du locuteur ; une proposition est assertée si elle exprime une

représentation d’un monde donné telle qu’elle est conçue par le locuteur et vise à changer

l’attitude ou la croyance des interlocuteurs. Nous adoptons ces définitions sans recourir à une

représentation pragmatique formelle.

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La présupposition selon Stalnaker est une notion pragmatique, mais on a aussi démontré que

c’est une relation sémantique entre deux propositions (voir le travail fondateur de Karttunen

1973), étant donné qu’elle peut être déclenchée au niveau de la proposition. Par exemple, la

présupposition peut être déclenchée dans un context factif. La phrase Martine sait que sa fille

fume. présuppose que la fille de Martine fume. Cette présupposition est déclenchée par le verbe

matrice savoir, un prédicat dit « factif », par opposition à un prédicat dit « non-factif » comme

dire, qui ne déclenche pas la présupposition : on ne présuppose pas que la fille de Martine fume

dans le cas de la phrase Martine dit que sa fille fume. Notre analyse va reposer sur les grandes

lignes de ces deux conceptualisations complémentaires et compatibles de la notion de

présupposition.

1.4 Considérations méthodologiques

Deux types de données sont examinés dans cette thèse : des données attestées et des données

inventées. Les données attestées proviennent principalement de sources secondaires. Elles ont été

repérées dans des livres de grammaire et de syntaxe générale de la langue française et des études

linguistiques sur l’usage et le comportement du que. Certains de ces travaux tirent leurs

exemples des corpus du français écrit ou oral ; d’autres présentent des exemples découverts au

hasard. Les données attestées sont indispensables pour toute étude linguistique puisqu’elles

témoignent de la vitalité et de la diversité des constructions à l’étude. Mais, comme nous l’avons

déjà soulevé dans la section §1.1, les données ici à l’étude ont un statut marginal et sont

empiriquement plus difficiles à repérer. Nous ne disposons donc que d’un nombre limité des

données attestées. Elles ne peuvent pas ainsi refléter toutes les possibilités d’usage, c’est-à-dire,

tout ce qui pourrait potentiellement être prononcé par les locuteurs natifs. Ce nombre limité n’est

pourtant pas un argument suffisant pour les écarter.

Une façon évidente de combler ces lacunes empiriques est d’inventer des exemples sur la base

des données attestées. Cette démarche, en plus d’élargir l’inventaire des données, permet aussi de

varier certains de leurs aspects pour pousser les limites du possible et reconnaître leur

fonctionnement (y compris les contraintes qui les régissent). Elle s’appuie pourtant sur des

manipulations (syntaxiques, morphologiques, sémantiques ou pragmatiques) qu’on doit faire

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juger par les locuteurs natifs. Autrement dit, on interroge l’intuition des locuteurs et on s’y fie.

Mais on peut s’attendre à ce que la marginalité des données rende ces jugements difficiles. Nous

avons trouvé en général que les locuteurs qui évaluaient l’acceptabilité de nos données inventées

avaient des intuitions assez solides. Les évaluations étaient bien uniformes même chez les

locuteurs qui disaient ne pas utiliser ce type de données. Cette uniformité mérite d’être notée

étant donné que les locuteurs ne reçoivent pas d’instructions formelles explicites sur ces phrases

lors du processus d’acquisition ou de formation scolaire.11

Dans le cas où le doute risquait de surgir, nous avons établi le contexte avant de présenter les

données aux locuteurs. Ce contexte précisait non seulement le moment d’énonciation (i.e.

discours qui précède), mais aussi le type de situation (i.e. informelle, parlée). Cette dernière

précision en particulier a aidé à réduire des jugements normatifs. Selon Tellier et Valois (2006),

« la distinction entre norme et grammaticalité est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de

juger des phrases appartenant à une variété de français régionale, informelle ou populaire »

(Tellier et Valois 2006 : 14). Ainsi le locuteur sait juger comme grammaticales les phrases Le

gars que je travaille pour… ou Le restaurant qu’on va le plus souvent, c’est La Sila. (Tellier

1995 : 136), bien qu’elles ne respectent pas la norme, selon laquelle on s’attend à avoir Le gars

pour qui je travaille… ou Le restaurant où on va le plus souvent, c’est La Sila. Nous avons

présenté le contraste entre l’intensification implicite et explicite exemplifié par les phrases Les

raisins sont rouges qu’on croit qu’ils vont éclater. et Les raisins sont tellement rouges qu’on

croit qu’ils vont éclater. en termes des variétés de français. De plus, puisqu’il existe des zones

grises en ce qui concerne les jugements de grammaticalité même à l’intérieur d’une variété, nous

avons présenté aux locuteurs un exemple évident d’agrammaticalité, comme la phrase Les

raisins on croit rouges qu’ils vont éclater sont., ce qui leur a permis de faire des jugements de

grammaticalité contrastifs.

Sur le plan du statut des locuteurs consultés, nous avons fait évaluer les constructions étudiées à

un groupe de dix personnes de langue maternelle française. Cet échantillon a consisté de six

personnes originaires de la France et quatre du Québec et a inclut les deux sexes et plusieurs

11

Dans le cadre génératif, on dit que ce type de connaissance intuitive ne se manifeste qu’avec l’existence d’une

grammaire, pour les données testées, que le locuteur intériorise. Entendre les locuteurs dire qu’ils n’utilisent pas ce

type de données n’est pas étonnant en soi. On ne se rend pas toujours compte des types de phrases qu’on prononce,

faute d’y porter attention. Qui plus est, plusieurs locuteurs ont dit avoir fréquemment entendu ces phrases

prononcées par les membres de leur famille.

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13

groupes d’âge (33 à 60 ans). Tous les locuteurs possédaient une formation universitaire (cette

non proportionnalité n’étant pas intentionnelle). Nous n’avons pas cherché à varier le statut de

nos locuteurs ou à constituer un échantillon de locuteurs appartenant à un groupe régional ou

social particulier. Ce n’était pas notre objectif d’examiner les constructions en fonction de

facteurs régionaux et sociaux et de faire des inférences statistiques. De plus, les études

antérieures n’ont pas soulevé de tels facteurs de façon significative, la seule classification

d’importance mentionnée étant le registre (familier) qu’on reliait à l’usage de ces constructions

dans la langue orale. Il n’était donc pas apparent qu’un échantillon plus varié ou plus ciblé allait

avoir une incidence importante sur les jugements de grammaticalités que nous vérifiions. Étant

donné le lien entre les constructions étudiées et la langue orale, nous avons présentées les

constructions aux locuteurs à l’oral d’abord. Pour des raisons pratiques, nous leurs avons ensuite

fourni les phrases à juger à l’écrit.

1.5 L’organisation de la thèse

Notre travail s’élabore en quatre parties. Nous allons effectuer, dans le Chapitre 2, une première

description sémantique et syntaxique des données hors d’un cadre formel au sens strict. Nous

allons ensuite passer en revue trois travaux antérieurs qui ont mis en évidence nos données. Dans

la dernière partie du Chapitre 2, nous allons défendre notre rapprochement des données à la

construction intensive de conséquence et adopterons notre première hypothèse de travail, à

savoir que les données sont représentatives des réalisations de la CIC avec une intensification

implicite. Nous commencerons le Chapitre 3 avec notre deuxième hypothèse selon laquelle la

CIC-implicite est dérivationnellement reliée à la CIC-explicite. Nous regarderons ensuite les

analyses dérivationnelles de la construction intensive de conséquence proposées dans la

littérature et, sur la base d’un survol critique, nous choisirons une analyse à adopter (Bhatt et

Pancheva 2004, 2007). Le Chapitre 3 se termine par une première adaptation de la dérivation

adoptée pour la CIC-implicite. Le Chapitre 4 est consacré, en premier lieu, à une étude

approfondie des comportements de la CIC-implicite au moyen d’une comparaison avec la CIC-

explicite, dans le but d’identifier les contraintes sur l’intensification implicite. En deuxième lieu,

nous y proposons un lien dérivationnel entre la CIC-explicite et la CIC-implicite qui prend en

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considération les contraintes sur l’implicite. Le dernier chapitre de cette thèse sert de conclusion

générale, qui soulève aussi des questions en suspens pour les recherches ultérieures.

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15

Chapitre 2

Les données

2

2.1 Introduction

Nous proposons dans ce chapitre une première description des données que cette thèse se

propose d’étudier. Notre description prend comme point de départ une contextualisation des

données dans l’ensemble des phrases complexes qui sont aussi constituées de deux propositions

tensées reliées par que. Nous comparerons les types de dépendances qui sous-tendent ces

structures et parlerons aussi brièvement de l’existence de ce type de données dans d’autres

langues. Après la contextualisation, nous présenterons quelques propriétés sémantiques et

syntaxiques de base de manière intuitive, hors d’un cadre formel strict. Nous montrerons que les

données représentent un phénomène complexe engendré par un nombre de facteurs qui se

recoupent. Nous tournerons ensuite notre attention à la façon dont les données ont été traitées

dans la littérature. On verra que, bien que notre étude soit la première à les décrire en détail et à

les analyser dans le cadre de la grammaire générative, elle n’est pas la seule à les considérer. Ces

données sont notées dans de nombreuses grammaires descriptives depuis le début du vingtième

siècle, parmi lesquelles des ouvrages qui font autorité, comme Le Bon Usage et Le Petit Robert.

Mais malgré l’attention qu’elles ont reçue, il existe très peu d’auteurs qui vont au-delà de la

simple mention et qui les étudient en détails. La majorité des grammairiens ne font qu’ajouter

aux exemples des remarques très générales. Sur la base de nos observations, nous rapprocherons

les données à une autre construction du français, soit la construction intensive de conséquence.

Nous terminerons le chapitre par avancer l’hypothèse que les données représentent un type

implicite de la construction intensive de conséquence.

2.2 Contextualisation

La langue française abonde des phrases complexes avec la forme p1 que p2, c’est-à-dire où une

proposition p1 est reliée à une proposition p2 par l’élément que. La principale préoccupation des

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16

études linguistiques qui examinent ces phrases complexes est de définir la nature exacte de la

relation qui s’instaure entre les deux propositions p1 et p2 et le rôle qui y joue le que. À cette fin,

on prend en considération les axes syntaxiques, sémantiques et discursifs, parfois aussi

phonologiques. Le traitement de la relation qu’entretiennent les deux propositions dont les

données ici à l’étude sont constituées et de la façon dont ces propositions s’articulent autour de

l’élément que n’a pas fait l’objet de beaucoup d’études systématiques, mises à part Moline

(1994a), Deulofeu (1988, 1999a, 1999b) et Le Goffic (1993). Dans cette section, nous proposons

de discuter d’abord de cette relation pour contextualiser les données dans l’ensemble des phrases

complexes de la forme p1 que p2 et de comprendre comment elles fonctionnent. S’agit-il d’une

simple association et interprétation au hasard ? Le lien est-il plus profond ? L’objectif n’est pas

de fournir une contextualisation formelle mais plutôt d’entamer une réflexion sur les enjeux

posés par ces données. Nous parlerons de ce que ces données pourraient être et ce qu’elles ne

sont pas. Pour ce faire, nous procéderons de manière intuitive, en nous basant principalement sur

des faits interprétatifs. Nous nous servirons aussi des mises en contextes proposées dans les

travaux antérieurs mentionnés plus haut et dans des grammaires traditionnelles, ainsi que des

outils descriptifs de base de la grammaire générative.

Une des premières questions qui se pose est de savoir si la relation entre les deux propositions est

celle de dépendance ou d’autonomie. Lorsqu’on sépare les deux propositions dans les phrases en

(1a), (2a) et (3a), seulement la première proposition (p1) constitue un énoncé autonome dans le

discours, un énoncé assertif, et une structure autonome dans la syntaxe (cf. (1b), (2b) et (3b)).

Par contre, la proposition introduite par que (p2, ou la prop-que) ne peut pas fonctionner de façon

autonome (cf. (1c), (2c) et (3c)) :

(1) a. Marie est belle, qu’on en reste ébahi. (Muller 1996a : 144)

b. Marie est belle.

c. *Qu’on en reste ébahi.

(2) a. Je suis dans une colère que je ne me sens pas. (Gougenheim 1938 : 335)

b. Je suis dans une colère.

c. *Que je ne me sens pas.

(3) a. Il tousse qu’il en secoue toute sa maison. (Robert 1996 : 1836)

b. Il tousse.

c. *Qu’il en secoue toute sa maison.

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L’inacceptabilité des exemples (c) par rapport à l’acceptabilité des exemples en (a) montre que la

prop-que doit s’enchaîner à une autre proposition.12

De plus, bien que les propositions (1b), (2b)

et (3b) soient autonomes, elles ne s’interprètent pas de la même manière que lorsqu’elles font

partie des phrases complexes en (1a), (2a) et (3a). Ces phrases-ci s’interprètent avec un effet de

haut degré (d’intensification à effet de « tellement ») d’une propriété d’un individu (cf. (1a),

(2a)) ou d’une action (cf. (3a)) exprimée au sein de la première proposition, un degré qui est non

spécifié, ou non référentiel, et qui entraîne la conséquence dénotée par la deuxième proposition.

Le locuteur, en prononçant ces phrases, affirme ce haut degré et la conséquence qu’il entraîne.

Autrement dit, le degré et la conséquence constituent le noyau de l’énoncé. Lorsque la première

proposition est prononcée toute seule, l’effet d’intensification est absent.

Pour illustrer davantage l’interprétation des données étudiées, considérons l’exemple (1a) : le

haut degré est lié à la propriété dénotée par l’adjectif belle que possède l’individu dénoté par le

nom Marie. La haute mesure de ce degré provoque la conséquence dénotée par la prop-que

qu’on en reste ébahi. On peut aussi dire que cette haute mesure est mise en relation directe avec

la situation de conséquence, une relation qui ressemble à une sorte d’équivalence, paraphrasable

par ‘Marie possède un degré d de beauté et devant ce degré d de beauté, on reste ébahi.’ Pour

ressentir l’ébahissement, il faut que Marie ait un degré de beauté qui se situe dans un ensemble

12

Les propositions introduites par que peuvent fonctionner de façon autonome dans d’autres contextes, comme par

exemple lorsqu’on exprime un ordre ou une demande, avec une construction impérative de type injonctif (Dominik

2001) :

i. Que je te voie jamais faire ça !

ii. Qu’ils reviennent me voir un autre jour !

Mais, à la différence des prop-que en (1c), (2c) et (3c), les phrases simples en que ci-dessus ont une force illocutoire

unique et ne peuvent pas être enchâssées.

D’autres phrases simples introduites par que incluent les interrogatives partielles directes (iii) et les exclamatives

(iv) :

iii. Que voulait dire le professeur ?

iv. Que c’est dangereux de boire autant !

Comme les phrases simples en que en (i) et (ii), les phrases en (iii) et (iv) ont une force illocutoire unique et ne

peuvent pas être enchâssées. De plus, le statut du que dans ces phrases diffère clairement du statut du que dans les

phrases en (1c), (2c), (3c), (i) et (ii), fonctionnant comme un élément-qu, « un pronom interrogatif objet », relié à

une position argumentale du verbe dire, en (iii), et une sorte d’intensificateur qui se rapporte à l’adjectif dangereux

en (iv), équivalent de comme (ou de combien, lorsque l’exclamation est liée à un nom quantifiable, e.g. Que de

bêtises il a faites !).

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de hauts degrés de beauté qui peuvent entraîner une telle conséquence. On ne ressentira pas

l’ébahissement si Marie possède un degré de beauté qui se situe à l’extérieur de cet ensemble de

degrés, un degré plus faible. Mais tout degré de beauté qui se situe dans cet ensemble, ou qui

égale au minimum à la mesure qui délimite la borne inférieure de l’ensemble, permet au locuteur

d’affirmer la conséquence exprimée par qu’on en reste ébahi. La prop-que a donc la fonction de

contextualiser la mesure réelle du degré en introduisant une mesure de seuil que le degré réel

peut avoir. On peut aussi dire que la mesure de degré est évaluée au moyen d’une restriction

qu’effectue la prop-que en introduisant la mesure minimale possible (non référentielle) que peut

avoir la mesure réelle. La prop-que délimite l’ensemble de hauts degrés, elle le restreint.13

Il

existe donc un lien interprétatif important entre l’intensification et la prop-que.

Revenons maintenant à la différence interprétative entre la p1 dans les exemples des phrases

complexes en (1a), (2a), (3a) et la p1 autonome en (1b), (2b), (3b). En isolation, la p1 ne

s’interprète pas avec un effet d’intensification. Le locuteur affirme tout simplement que ‘Marie

est belle.’, qu’‘il est dans une colère’ et que ‘quelqu’un tousse’ ; il n’affirme pas un degré élevé.

On peut donc constater que l’effet d’intensification et d’évaluation de mesure dépend de

l’association de la proposition p2 (la prop-que) à la proposition p1 : il peut seulement exister en

présence de la prop-que de conséquence. Autrement dit, un aspect fondamental de la dépendance

entre la prop-que et la proposition à laquelle elle s’enchaîne dans ce type de phrases complexes

est la notion d’intensification. On peut dire que la restriction qu’effectue la prop-que produit

l’effet d’intensification ou permet à l’interlocuteur (l’auditeur) de le récupérer. Cette causalité

sémantique démontre qu’il y a encore un autre niveau de dépendance importante entre les deux

propositions.

Cette dépendance peut être davantage démontrée par la différence interprétative des phrases en

(a) par rapport aux phrases en (b), (c) et (d) dans les exemples suivants :

13

On peut formaliser la propriété belle comme une suite progressive de mesures, ou degrés, de beauté ordonnées

hiérarchiquement, constituant une échelle. La prop-que opère ainsi sur cette échelle et délimite une région de degrés

qui s’oriente vers l’extrémité supérieure de l’échelle. Cette délimitation qui permet d’évaluer un degré réel en le

mettant en rapport avec une conséquence pourrait être appelée une délimitation « corrélative ».

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(4) a. Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Marie est fatiguée et elle en perd les pédales.

c. Marie est fatiguée. Elle en perd les pédales.

d. Marie est fatiguée, elle en perd les pédales.

(5) a. Luc ment que c’est une honte.

b. Luc ment et c’est une honte.

c. Luc ment. C’est une honte.

d. Luc ment, c’est une honte.

Dans les exemples (4b) et (5b), les deux propositions sont en relation de coordination ; dans les

exemples (4c) et (5c), elles sont en relation de juxtaposition. Avec ces relations, l’interprétation

de haut degré et d’évaluation de ce degré est absente. Il s’ensuit que ni la coordination ni la

juxtaposition ne peuvent accomplir ce qu’accomplit la relation au sein de laquelle se situe le que.

Pour ce qui est des exemples (4d) et (5d), ils pourraient représenter des cas de que non épelé,

similairement au que non épelé attesté de plus en plus dans certaines complétives assertives du

français spontané, e.g. Je pense (que) c’est ça. (Martineau 1988). On s’attendrait dans ce cas à

récupérer le même effet d’intensification que dans les exemples (4a) et (5a). Pourtant,

l’interprétation des phrases en (4d) et (5d) ne comprend pas l’effet d’intensification et ressemble

plutôt à l’interprétation des exemples juxtaposés (cf. (4c) et (5c)).

Une question que les exemples (4) et (5) soulèvent concerne les critères qui ont été utilisés pour

déterminer si une phrase s’interprète avec un effet d’intensification. En plus de demander aux

locuteurs natifs (nos juges de grammaticalité) de paraphraser les exemples qu’on leur a présentés

et de voir ainsi s’ils récupéraient un effet d’intensification, nous nous sommes aussi servi de

modificateurs, ou des phrases supplémentaires qu’on doit relier à l’intensification dans la

première proposition. Dans les exemples en (6), la proposition Il doit vraiment mentir moins.

représente ce type de modificateur. Puisque la forme en (6a) est interprétable, on peut en

conclure que la phrase Il ment que c’est une honte. doit s’interpréter avec un effet

d’intensification au sein de la première proposition. Les exemples (6b) à (6d) ont une

interprétation douteuse, ce qui suggère que le modificateur ne peut pas être relié à

l’intensification. Pour éliminer la possibilité qu’une phrase supplémentaire ne soit plus

généralement exclue des contextes en (b) à (d), il est important à considérer les exemples en (7b-

d). Ceux-ci contiennent le modificateur Il devrait dire la vérité., un modificateur qui ne doit pas

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s’associer à l’intensification, mais qui réfère plutôt à l’événement de mentir. Ces exemples sont

acceptables. Ainsi, on peut en conclure qu’en (6), c’est le contexte de coordination et de

juxtaposition de la première proposition à la prop-que et l’absence du que qui ne permettent pas

l’intensification, et non pas le simple ajout de la phrase supplémentaire.

(6) a. Luc ment que c’est une honte. Il doit vraiment mentir moins.

b. ??Luc ment et c’est une honte. Il doit vraiment mentir moins.

c. ??Luc ment. C’est une honte. Il doit vraiment mentir moins.

d. ??Luc ment, c’est une honte. Il doit vraiment mentir moins.

(7) a. Luc ment que c’est une honte. Il devrait dire la vérité.

b. Luc ment et c’est une honte. Il devrait dire la vérité.

c. Luc ment. C’est une honte. Il devrait dire la vérité.

d. Luc ment, c’est une honte. Il devrait dire la vérité.

Pour résumer, les données à l’étude s’interprètent avec un effet d’intensification lié à la première

proposition. Cet effet est, à son tour, étroitement lié à la présence de la prop-que de

conséquence ; celle-ci assure la « production » ou la perception de l’intensification. De plus, la

proposition de conséquence doit nécessairement s’associer à la première proposition au moyen

de que. En l’absence de que, en situation de coordination ou en situation de juxtaposition, la

première proposition n’exprime pas d’intensification. À cause du lien entre que et

l’intensification, on parle parfois, dans la littérature linguistique non générative, d’un que à effet

de degré, ou de quantification (Deulofeu 1999a), ou d’un que « adverbe indéfini de degré » (Le

Goffic 1993). Il se peut que ce que joue un rôle spécifique dans cette construction, mais nous ne

supposons pas pour le moment qu’il a un apport sémantique d’intensification. En gros, étant

donné le lien entre l’intensification et la deuxième proposition, l’importance de que et

l’exclusion avec ce qu’on pourrait appeler des formes autonomes (i.e. la coordination et la

juxtaposition), nous sommes amené à avancer qu’une interdépendance importante caractérise la

relation entre les deux propositions dont les données sont constituées.

Dans le but de comprendre ce type d’interdépendance, nous allons examiner les différents types

de relations de dépendance qui existent entre deux propositions finies reliées par que. Une

comparaison s’impose naturellement avec des phrases de la même forme superficielle p1 que p2

qui attestent d’une dépendance importante entre p1 et p2 assurée par que et qui sont largement

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étudiées, soit les phrases complétives et les phrases relatives (cf. §2.2.1). Mais nous allons aussi

considérer des phrases de cette même forme qui sont moins étudiées et où la nature de la relation

entre p1 et p2 est moins évidente, comme c’est le cas des données ici à l’étude. Les grammaires

traditionnelles appellent ces phrases « adverbiales » ou « circonstancielles » (cf. §2.2.2).

2.2.1 Dépendances de subordination

Les données à l’étude ressemblent superficiellement aux constructions complétives (cf. (8)) et

relatives (cf. (9) et (10)), constructions dans lesquelles l’élément que fait partie des relations de

dépendance particulières :

(8) a. Mugabe prétend que le choléra est terminé.

b. Je suis certaine que Jean viendra ce soir.

c. L’avocat a la preuve que son client est innocent.

(9) J’ai emprunté le film que ma mère adorait.

(10) J’ai vu Marie, que tu connais bien.

Cette ressemblance provient en particulier de la forme et de la catégorie lexicale à laquelle la

prop-que est liée dans chacun de ces exemples. Par exemple, la phrase Il tousse qu’il en secoue

toute la maison. (cf. (3)) ressemble superficiellement à la complétive de verbe en (8a) ; la phrase

Marie est belle qu’on en reste ébahi. (cf. (1)) ressemble à la complétive d’adjectif en (8b) ; la

phrase Je suis dans une colère que je ne me sens pas. (cf. (2)) ressemble à la complétive de nom

en (8c) et aux relatives en (9) et (10). Avant d’élaborer sur la comparaison, regardons brièvement

la nature des relations entre les deux propositions dans les complétives et les relatives. Notons

que notre discussion ici adopte une approche générale et ne s’inscrit pas à un cadre théorique

particulier.

Dans les constructions complétives ci-dessus (les complétives finies assertives en (8)), la

proposition introduite par que décrit un événement conceptuellement dépendant de l’événement

décrit par la proposition qui la précède. Plus spécifiquement, la proposition est un participant

dans une relation sémantique particulière avec l’élément qui la précède directement, ici le verbe

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prétend, l’adjectif certaine et le nom la preuve. Ces éléments exigent la présence de cette

proposition pour ‘compléter’ leur sens, pour être pleinement interprétés ; i.e. on ‘prétend x’, on

est ‘certain de y’, on a ‘la preuve de z’. (Ce type d’exigence est traditionnellement formulé au

moyen d’une propriété lexicale, vu que seulement un nombre limité d’éléments lexicaux

participent dans une telle relation). Ainsi, la proposition complétive qui fait en quelque sorte

partie du sens de ces éléments, en exprimant un concept que ces éléments incorporent, a

tendance à être exprimée de façon obligatoire. En général, lorsqu’on parle de cette exigence, on

fait allusion aux notions d’argument et de sélection. Quant au que, c’est un complémenteur

introduisant le complément fini, un marqueur de finitude et d’assertion déclarative.

Cette définition générale révèle plusieurs aspects importants de la relation entre les deux

propositions qui composent la construction complétive. Premièrement, il s’agit d’une relation

asymétrique, où une proposition reçoit sa fonction d’une autre proposition « sans réciprocité »

(Moline 1994a : 13).14

Le verbe, l’adjectif et le nom sélectionnent la prop-que, mais il n’existe

pas d’élément dans la prop-que qui sélectionne la première proposition

(i.e. [ …V/A/N → [que…]]). Ensuite, comme la prop-que complète l’interprétation des éléments

auxquels elle est reliée, elle représente un participant essentiel dans ce type de relation.

Finalement, le que ne sert pas à établir un lien entre les deux propositions, ce n’est pas un

relateur ou un connecteur, comme le sont les coordonnants et, ou, etc. La relation qui caractérise

les complétives relève donc d’un sémantisme et d’une configuration uniques.

Pour ce qui est des constructions relatives, plusieurs types ont été identifiés sur la base de

relations sémantiques unissant les deux propositions dont elles sont composées. Nous

regarderons ici les constructions relatives classiques qui partagent leur forme superficielle avec

les données à l’étude, soit une relative de type restrictif et une relative de type non-restrictif,

exemplifiées en (9) et (10), respectivement. La prop-que dans une construction relative

restrictive identifie le référent dénoté par l’élément nominal dans la proposition qui la précède (le

film en (9)), c’est-à-dire l’information qu’elle fournit sert à distinguer l’entité à laquelle réfère le

nom des autres référents potentiels. Dans une construction relative non-restrictive, elle contribue

une spécification de l’entité à laquelle l’élément nominal renvoie, Marie en (10), mais elle ne

14

Nous utilisons le terme « asymétrie » de façon générale et non syntactique (i.e. hors du cadre asymétrique

proposée par Kayne 1994).

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détermine pas sa valeur référentielle, puisque sa référence est déjà restreinte. La restriction

référentielle et la spécification ne sont pas exigées par l’élément nominal ; ainsi, la présence de la

prop-que n’est pas obligatoire dans les deux types de constructions relatives. Du point de vue

relationnel, la prop-que est un modificateur qui impose des conditions de validité

supplémentaires. La nature spéciale de la relation entre les deux propositions des constructions

relatives réside dans la coréférence qui existe entre l’élément nominal dans la première

proposition, soit la tête de la relative, et un constituant de la prop-que. En (9), l’objet le film dans

la première proposition coréfère avec l’objet sous-entendu dans la prop-que (J’ai emprunté le

film que ma mère adorait [le film].). Ainsi, le film joue une fonction dans les deux propositions.

Pour ce qui est du que, on parle traditionnellement d’un pronom relatif qui remplit une fonction

(d’objet) dans la prop-que, une fonction qui est représentée par une position vide. Dans les

grammaires génératives, le que est un simple ‘introducteur’ de la deuxième proposition finie, un

marqueur de finitude et d’assertion déclarative, et la position vide dans la prop-que comprend un

opérateur nul.15

Contrairement à la construction complétive, la relative représente une construction symétrique,

étant donné que les deux propositions dont elle est composée partagent sémantiquement un

constituant (et structuralement, selon la majorité des approches syntaxiques ;

i.e. [ …Ni que … [ _ ]i… ]). Ensuite, aussi à la différence de la construction complétive, la

proposition en que dans la construction relative n’est pas un participant dans une relation qui

dépend des exigences de l’élément qui la précède directement. La prop-que restreint la référence

de l’élément auquel elle est reliée, ou bien elle ajoute de l’information sur un référent déjà

dénoté ; elle représente ainsi un participant non essentiel dans ce type de relation. Finalement, à

l’instar de la construction complétive, le que ne fonctionne pas à établir un lien entre les deux

propositions, ce n’est pas un relateur ou un connecteur au sens propre.

Pour résumer, ce bref survol des constructions complétives et relatives révèle que la forme p1 que

p2 peut être représentative de relations très différentes : asymétriques, essentielles, sélectionnées

ou bien symétriques, non essentielles et coréférentielles, entre autres. Il montre aussi que dans le

cas de ces deux types de constructions, il est plus exact de parler d’un lien entre un élément

lexical et une prop-que, plutôt que d’un lien entre deux propositions tensées reliées pas que. De

15

Nous simplifions pour la clarté de l’exposé.

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24

plus, l’élément que, en tant que marqueur de finitude et d’assertion, n’établit pas exactement les

relations en question (bien que sa présence soit cruciale). La question qui se pose maintenant est

de savoir si les deux propositions dans les données entretiennent une relation équivalente à une

de ces relations classiques. La prop-que représente-t-elle un participant essentiel / sélectionné ou

non essentiel / non sélectionné ? Y a-t-il un élément lexical dans les données qui est impliqué

dans la relation entre les deux propositions finies ? Nous allons revenir à notre comparaison des

données avec les constructions complétives et relatives pour voir comment elle peut informer la

relation qui sous-tend les données à l’étude.

Considérons les données en (11) à (13) :

(11) Les raisins sont rouges qu’on croit qu’ils vont éclater.

(adapté16

; Moline 1994a : 356)

(12) Jean boit que c’en est une honte. (Muller 1996a : 144)

(13) Je suis dans une colère que je ne me sens pas. (Gougenheim 1938 : 335)

Dans les constructions complétives et relatives, la prop-que se trouve dans la dépendance de

l’élément de la première proposition sur lequel elle enchaîne directement. Dans cette optique, la

prop-que devrait, dans les exemples ci-dessus, dépendre des éléments lexicaux rouges, boit,

colère. Dans le rapport de type complétif, cette dépendance est caractérisée par une asymétrie qui

découle d’une exigence de la part d’un élément lexical de sélectionner une proposition (un

argument propositionnel) pour exprimer un concept sémantique que cet élément incorpore. Est-

ce que les éléments lexicaux dans les exemples (11) à (13) ont cette même exigence ? Ni

l’adjectif rouge, ni le verbe boire, ni le nom colère, ne sélectionnent un argument de type

propositionnel et la prop-que n’épelle pas un concept sémantique essentiel que ces éléments

incorporent.17

En fait, la prop-que dans les données est impliquée dans l’expression et la

restriction d’une intensification, tel que discuté plus haut ; i.e. elle délimite le haut degré de

16

Les modifications que nous apportons dans cette thèse aux exemples attestés touchent principalement aux sujets et

ne changent pas « l’essence » des données. Par exemple, dans la phrase en (11), nous avons remplacé le pronom

sujet ils dans l’exemple original Ils sont rouges qu’on croit qu’ils vont éclater. avec le groupe nominal les raisins.

Ce changement a été fait pour faciliter la discussion sémantique ; on peut ainsi faire référence à des objets concrets,

e.g. les raisins, au lieu des « objets auxquels réfère le pronom ils ». 17

Seulement un group limité d’adjectifs, de verbes et de noms sélectionnent ce type d’arguments propositionnels en

français, et rouge, boire et colère ne figurent pas dans ce groupe (Dominik 2001 ; Rochette 1988 ; Battye, Hintze et

Rowlett 2000).

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rougeur des raisins (11), la haute quantité des actions de boire effectuées par Jean (12) et la haute

mesure de la colère que possède le locuteur (13). On s’attend à ce que la prop-que se trouve en

relation de dépendance avec cette même intensification. Mais rouge, boire et colère

n’incorporent pas le concept d’intensification. Si on considère que la prop-que dans les données

dépend des éléments lexicaux rouges, boit, colère, la relation de dépendance ne ressemble pas à

une relation de type complétif, étant donné les différences sémantiques. Mais se peut-il que la

prop-que dans les exemples (11) à (13) exhibe une dépendance à un niveau différent, au niveau

de l’événement qu’exprime la première proposition ? Après tout, la portée de la prop-que semble

plus large dans ces exemples que l’élément lexical auquel elle s’associe. Nous reviendrons à la

question de la portée de la prop-que dans la section §2.3.

Dans les constructions relatives structuralement comparables aux données (cf. (9) et (10)), la

prop-que relative dépend d’un élément nominal. Or, dans les données en (11) et (12), la prop-que

n’est pas associée à un nom (on a un prédicat adjectival rouge et verbal boit), ce qui remet en

question une relation de type relatif. Pour soutenir un rapprochement entre les données et la

construction relative, il faudrait considérer qu’il s’agit d’un type de relative avec une tête non

nominale ou sans tête.18

Aussi, dans le rapport de type relatif, la dépendance est caractérisée par

une symétrie qui découle d’une coréférence qui existe entre un élément nominal dans la première

proposition auquel la prop-que relative touche et un constituant de la prop-que (en fonction

d’objet). Mais l’élément nominal colère dans l’exemple (13) ne coréfère pas avec l’objet du

prédicat verbal dans la prop-que. En fait, il n’existe pas de concept partagé par les deux

propositions. Ici encore, pour soutenir un rapprochement, il faudrait considérer qu’il s’agit d’un

type de relative sans coréférence ou sans une position vide dans la prop-que.19

Il est à noter

18

Les constructions relatives peuvent avoir un antécédent non nominal, comme par exemple un antécédent

propositionnel, e.g. Jean est arrivé en retard, ce qui est regrettable., ou adjectival, e.g. Marie est courageuse, ce que

je ne serai jamais. Mais on ne peut pas parler dans ce cas des « que-relatives », étant donné la présence du

‘relativiseur’ ce que (composé d’un déterminant et d’un complémenteur). Les relatives sans tête se servent de ce

même relativiseur, e.g. Marie fait toujours ce qu’elle veut. On peut considérer en fait que le déterminant

démonstratif ce réalise manifestement la tête de la proposition relative. 19

On parle dans la littérature de l’existence d’un type de construction relative sans vide (« gapless relative »), e.g.

How can we provide a service that the consumer goes, ‘Wow, you really made this easier for me’? (Liberman

2007) :

“There’s no gap in the relative clause corresponding to the head, nor is there any pronoun

performing that function. The head picks out a type of thing (in this case, a service), and the

relative clause gives us characterizing details about the particular instance of this type; the

example above is roughly paraphrasable as “the sort of service such that the consumer goes X””

(Zwicky 2007).

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pourtant que l’exemple (12) contient le pronom clitique en qui reprend l’action au sein de la

première proposition exprimée par le verbe boire. Il existe donc une certaine correspondance

conceptuelle entre les deux propositions, un certain lien en termes d’antécédence. Mais

l’antécédent dans ce cas n’est pas nominal. De plus, le pronom en reprend non seulement le

concept de boire mais aussi l’intensification implicite, i.e. « de boire tellement ». Cette

observation nous amène à un autre aspect important de la comparaison des données avec la

construction relative, soit l’interprétation.

En gros, on pourrait dire que les prop-que dans les données en (11) à (13) sont des modificateurs.

Dans les exemples (11) et (13), la prop-que est un modificateur des propriétés (belle et dans une

colère) qui caractérisent les entités exprimées par Marie et je ; dans l’exemple (12), la prop-que

est un modificateur de l’événement exprimé par boire. La modification est une relation qui

caractérise aussi les constructions relatives. Dans ce sens, les prop-que dans les données et dans

les constructions relatives sont toutes des éléments non essentiels.20

Mais la modification dans

laquelle la prop-que des données est impliquée en est une d’intensification. La prop-que …que je

ne me sens en (13) participe à l’identification de la valeur d’intensité de la propriété exprimée par

colère ; la prop-que …que ma mère adorait dans la construction relative en (9) participe dans la

dénotation d’une valeur référentielle. La restriction effectuée par la prop-que …que je ne me sens

porte ainsi sur une notion différente que la restriction effectuée par la prop-que …que ma mère

adorait (i.e. sur un degré et non pas sur un individu). La nature de la modification écarte aussi les

données de la construction relative non-restrictive (10), cette dernière ajoutant de l’information

sur le référent Marie (l’intensification n’y figure pas). En l’absence d’une symétrie claire, d’une

coréférence et d’une interprétation partagée, il est moins évident que la relation qui sous-tend les

données est de type relatif. Mais les constructions relatives constituent une classe hétérogène et

si la notion de modification phrastique constitue un critère important dans la définition d’une

construction relative, un rapprochement ne peut pas être exclu. Une poursuite approfondie de ce

rapprochement est hors de la portée de cette étude, mais voir par exemple Moline (1994a),

résumé ci-dessous en §2.4.2.

20

Elles ne sont pas exigées par un élément lexical dans la première proposition. Mais comme nous l’avons noté plus

haut, la prop-que dans les données est essentielle d’une autre façon, à savoir pour la récupérabilité de l’effet

d’intensification.

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La comparaison avec les constructions complétives et relatives souligne les deux types de

relations que les prop-que dans les phrases complexes peuvent traditionnellement avoir : une

relation de sélection et une relation de non-sélection. On ne peut pas clairement constater que la

relation qui sous-tend les données soit l’une ou l’autre. Parmi les facteurs qui rendent cette

classification difficile est l’interprétation à effet d’intensification. En fait, interprétativement, les

données se rapprochent le plus de la construction intensive de conséquence, exemplifiée ci-

dessous :

(14) Il neige tellement que Paul refuse de sortir.

(15) Il parle avec une telle clarté que tout le monde le comprend.

(16) Luc est si naïf qu’il croit tout ce qu’on lui dit.

L’exemple (14) s’interprète similairement à l’exemple (12), dans le sens où tous les deux

s’interprètent avec un effet de haut degré lié à l’action exprimée par le prédicat verbal de la

première proposition. Il est donc raisonnable de supposer qu’un type d’interdépendance similaire

caractérise la relation entre les deux propositions dont les deux exemples sont constitués.

Traditionnellement (Bresnan 1973 ; Baltin 1987), la dépendance concerne le marqueur

d’intensité (i.e. tellement, telle, si en (14) à (16)) et la prop-que. De plus, on avance qu’il s’agit

d’une relation de type complétif. Mais contrairement à la construction intensive de conséquence,

les données ne contiennent pas de marqueur d’intensité et donc de sélecteur de leurs prop-que.

Nous reviendrons à cette comparaison plus tard, dans la section §2.5.

L’examen des constructions complétive, relative et intensive de conséquence nous a permis

d’entamer une réflexion importante sur les différents types de relations que les deux propositions

dont les données sont composées peuvent entretenir. Mais nous aimerions maintenant introduire

un autre type de constructions avec la forme complexe p1 que p2 qui ressemblent aux données ici

à l’étude. Il s’agit de constructions de statut atypique qui, comme nos données, soulèvent des

questions au sujet de la relation de dépendance qui sous-tend les deux propositions dont elles

sont formées. Les grammaires traditionnelles regroupent souvent les données parmi ces

constructions, constructions qu’on appelle de type « adverbial » ou « circonstanciel » car elles

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s’interprètent avec un effet de causalité, de temporalité et d’opposition. Le regroupement se base

principalement sur l’effet de conséquence que nos données expriment.

2.2.2 Dépendances circonstancielles

La première classe de constructions avec laquelle on regroupe les données est celle des

constructions complexes adverbiales à interprétation de causalité, c’est-à-dire où on unit la cause

à l’effet qu’elle produit. L’une des propositions exprime une situation qui représente la cause,

l’autre une situation qui représente la conséquence. De plus, la cause dans ces constructions a

une valeur explicative (ou justificative). Plus spécifiquement, une des propositions exprime la

justification ou le motif soit de la situation exprimée par la proposition qui lui est associée (cf.

(17), (18), (21) à (24)), soit de l’acte de parole du locuteur (e.g. un ordre, une interrogation ; cf.

(19) et (20) ; Masullo 2005) :

(17) Je vais voir les enfants qu’ils font beaucoup de bruit.

(Gadet 1989 : 166)

(18) Je ferai des heures en plus que ça compensera.

(Deulofeu 1999a : 11)

(19) Enlève ton manteau que nous causions plus à l’aise.21

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 60)

(20) Donne-moi du tabac que je fume.

(Gadet 1989 : 162)

(21) Vous étiez donc parti, qu’on ne vous voyait plus.

(Wagner et Pinchon 1962 : 587)

(22) Vous êtes donc brouillés que vous ne vous saluez plus ?

(Deulofeu 1999a : 2)

(23) T’en reveux un deuxième que tu l’as laissé bouillir ?

(Gadet 1989 : 161)

21

Traditionnellement, ce type de phrase, ainsi que la phrase suivante en (20), sont classifiées comme « finales » ou

« de but », parce qu’elles contiennent l’idée qu’un certain but doit être atteint et parce que le verbe de la proposition

introduite par que est au subjonctif. Notre classification de ces deux exemples parmi les causales reflète celle de

Masullo (2005) qui traite de ce même type de phrases en espagnol.

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(24) Est-il malade, qu’on ne le voit plus depuis trois mois ?

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 58)

Plusieurs grammaires traditionnelles parlent dans ce cas-ci des constructions non standard avec

que générique ou « de toute occasion » (Bauche 1929 : 103 dans Gadet 1989 : 161), d’autres de

que qui « prend ici une valeur causale » (Von Wartburg et Zumthor 1947 : 58). Le Goffic (1993)

analyse le que comme un adverbe qui met en relation deux énoncés « d’une manière vague, sous

l’angle d’une identité de conditions d’existence indéterminées, le contexte se chargeant de

spécifier dans une certaine mesure » (Le Goffic 1993 : 399). Moline (1994a) parle d’une

structure relative. Selon Deulofeu (1999a), les deux propositions qui composent cette

construction à interprétation causale ont deux courbes intonatives distinctes, ce qui suggère

d’après lui une relation d’autonomie syntaxique. Quant au statut de ces constructions, on dit

qu’elles reflètent des tours de la langue parlée ou du registre populaire.

Quelques propriétés saillantes caractérisent ces constructions causales. D’abord, la proposition

introduite par que dans ces constructions ne suit pas toujours nécessairement une proposition

déclarative. Elle peut aussi être liée au mode impératif (cf. (19) et (20)) ou à une interrogation

(cf. (22) à (24)). Ensuite, l’explication que les constructions expriment peut être soit réelle (cf.

(17) à (20)), soit inférée (cf. (21) à (24)). Dans les phrases où l’explication est réelle, c’est la

proposition exprimant la justification qui est introduite par que, tandis que dans les constructions

où elle est inférée, que introduit la proposition qui exprime la situation qu’on justifie. Nous

avons dit plus haut que la justification dans ces constructions concerne soit la situation décrite

(cf. (17), (18), (21) à (24)), soit l’acte de parole du locuteur (cf. (19) et (20)). Or, cette distinction

n’est disponible que pour les constructions à l’explication réelle.22

22

Ce type de construction est aussi attesté en espagnol (cf. (i) à (iv)), en portugais (cf. (v) à (vi)) et en italien (cf.

(vii)) :

i. Me voy, que hace frío. (Etxepare 2008 : 36)

Me vais, que fait froid.

‘Je m’en vais, qu’il fait froid.’

ii. Vayan un poquito al patio, que tengo que hablar con la señora. (Masullo 2005 : 2)

Va un peu au patio, que dois que parler avec la madame.

‘Va sur le patio pour un instant, que je dois parler à la madame.’

iii. ¿Podés callarte, que estoy tratando de concentrarme? (Masullo 2005 : 2)

Peux taire-te, que suis essayant de concentrer-me ?

‘Tu peux te taire, que j’essaie de me concentrer ?’

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30

La deuxième classe de constructions avec laquelle on regroupe les données est celle des

constructions complexes adverbiales qui expriment un rapport de temporalité. Ce rapport

concerne l’organisation, dans le temps, des événements ou des états les uns par rapport aux

autres. Il s’agit des constructions les plus attestées parmi les constructions adverbiales complexes

atypiques de la forme p1 que p2 :

(25) Il me connut, que j’étais encore un gamin en culottes courtes.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 51)

(26) J’ai pris l’appartement que c’était tout neuf.

(Deulofeu et Debaisieux 2003 : 1)

(27) Je vous ai vu que vous n’étiez pas plus grand que cela.

(Gougenheim 1938 : 336)

(28) J’étais déjà loin qu’il hésitait encore.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 51)

(29) Il n’avait pas fait cent mètres qu’il s’aperçut de son oubli.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 51)

(30) Je l’ai laissé qu’il respirait à peine.

(Deulofeu 1999a : 29)

(31) Je n’avais pas fait vingt pas que la pluie se met à tomber.

(Dupré 1972 dans Deulofeu 1999a : 2)

iv. ¿A quién esperás, que estás tan ansioso? (Masullo 2005 : 2)

A qui attends, que es tant anxieux ?

‘Qui attends-tu, que tu es aussi anxieux ?’

v. Vamos comer, Açucena, que estou morrendo de fome. (Matos 2005 : 2)

Allons manger, Açucena, que suis mourant de faim.

‘Allons à table, Açucena, que je crève de faim.’

vi. Ela foi-se deitar, que estava muito cansada. (Matos 2005 : 2)

Elle est-allée-se coucher, que était beaucoup fatiguée.

‘Elle est allée se coucher, qu’elle était très fatiguée.’

vii. Scappo che il treno parte. (Hoeksema et Napoli 1993 : 311)

Fuis que le train part.

‘Je fuis, que le train part.’

Comme en français, l’interprétation causale de ces phrases a une valeur d’explication ou de justification.

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31

(32) Mozart n’avait pas cinq ans qu’il écrivait déjà des symphonies.

(Le Goffic 1993 : 400)

(33) Il est à peine arrivé que l’autre se met à l’injurier.

(Deulofeu 1999a : 10)

Les exemples de (28) à (33) représentent ce que les grammaires traditionnelles appellent la

« subordination inversée » ou « inverse ». Celle-ci est définie comme une situation où : « la

proposition introduite par que est ‘ressentie’ comme une principale, alors que la principale par la

forme est ressentie comme subordonnée » (Deulofeu 1999a : 2).23

L’interprétation de ce type de construction est souvent nuancée. L’effet temporel avec lequel

cette construction s’interprète est parfois accompagné d’un effet oppositif ; autrement dit, son

interprétation réunit un rapport d’ordre temporel et un rapport d’ordre logique du type contrastif

(Muller 1996b : 136). Cette interprétation est exemplifiée par les phrases suivantes :24

(34) La mort nous surprend que nous n’avons encore rien fait.

(Deulofeu 1999a : 29)

(35) Et la race humaine sera éteinte que du poisson il y en aura encore.

(Deulofeu 1999a : 2)

(36) La vie s’achève que l’on a à peine ébauché son ouvrage.

(Le Goffic 1993 : 399)

Mais il peut être difficile de désambiguïser dans les exemples ci-dessus l’interprétation

temporelle de l’interprétation oppositive.

Dans cette classe de constructions complexes adverbiales, la temporalité peut aussi se combiner

avec la condition. La proposition introduite par que présente alors une condition de réalisation de

l’événement exprimé par la proposition associée :

23

Ce type de construction a aussi été attesté en italien :

i. E arrivato che stavamo ancora mangiando. (Hoeksema et Napoli 1993 : 312)

Est arrivé que étions encore mangeant.

‘Il est arrivé que nous mangions encore.’

24

Deulofeu (1999a) et Le Goffic (1993) notent que ces exemples représentent aussi des cas de la subordination

inversée.

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(37) Tu ne partiras pas d’ici que tu ne nous aies répondu.

(Le Goffic 1993 : 400)

(38) Je ne partirai pas que tu ne m’aies donné raison.

(Moline 1994a : 45)

(39) Nous ne partirons pas en promenade que vous n’ayez fini votre travail.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 48)

(40) Je ne m’interromprai plus que je n’aie fini.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 115)

L’interprétation dans ces exemples a un effet à la fois temporel (d’antériorité) et conditionnel.

Une propriété à noter est l’emploi de la négation dans chacune des deux propositions dont elles

sont composées. Ce type de construction ne peut pas exister en l’absence de la négation dans la

première proposition (Von Wartburg et Zumthor 1947 ; Le Goffic 1993 ; entre autres).

Les opinions concernant le statut de ces constructions complexes adverbiales à effet de

temporalité varient considérablement. Le Goffic (1993) parle d’un emploi recherché ou soigné ;

mais Deulofeu parle de cas « attestés en français de conversation » (Deulofeu 1999a : 2). Selon

les grammairiens traditionnels, on a affaire à une variation stylistique, une « opposition

grammaticale » entre que conjonction de subordination introduisant une subordonnée

circonstancielle temporelle, ayant souvent un caractère d’opposition, et les conjonctions qui

introduisent d’habitude ces subordonnées, comme quand et alors que (Gougenheim 1938 : 336).

Le Goffic (1993) classifie le que dans ces exemples comme un adverbe. Moline (1994a), qui

qualifie ces exemples aussi de relatives, spécifie leurs propriétés phonologiques comme suit :

« Les phénomènes prosodiques manifestent à la fois l’autonomie relative (avec, en particulier, la

possibilité de pause, éventuellement transcrite à l’écrit par une virgule, et des courbes intonatives

propres à chacune des séquences) et l’interdépendance (intonation montante et suspensive pour

le premier membre, descendante et conclusive pour le second) » (Moline 1994a : 242).

La dernière classe de constructions avec laquelle on regroupe les données sont les constructions

complexes adverbiales qui s’interprètent avec un effet d’opposition. Cette opposition est d’ordre

logique ; la temporalité ne s’y ajoute pas, comme c’est le cas de phrases présentées ci-dessus. Le

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33

rapport d’opposition désigne une situation de contradiction (d’incompatibilité) entre deux faits

exprimés par les deux propositions qui constituent ce type de construction :

(41) Comment voudriez-vous qu’ils traînassent un carrosse, qu’ils ne peuvent pas se

traîner eux-mêmes ?

(Gougenheim 1938 : 336)

(42) Et la raison bien souvent les pardonne que l’honneur et l’amour ne les pardonne [sic]

pas.

(Deulofeu et Debaisieux 2003 : 2)

(43) Il a été habiter à côté de chez Rosalie que Rosalie elle le savait pas.

(Deulofeu et Debaisieux 2003 : 2)

(44) On croit parfois aimer qu’il n’en est rien.

(Deulofeu 1999a : 18)

L’interprétation oppositive qui sous-tend ces phrases est d’ordre logique uniquement. Deulofeu

(1999a) rapproche les exemples (42) à (44) à la coordination, en suggérant qu’il s’agit d’une

« simple équivalence avec un et ou un mais » et où que aurait donc une valeur de coordonnant

(Deulofeu 1999a : 2). Ces exemples sont représentatifs selon ce même auteur du français parlé

ou du registre familier.

On trouve aussi des exemples de ce type de construction dans lesquels les prédicats verbaux de

deux propositions sont au conditionnel et où l’opposition découle d’une confrontation entre deux

mondes possibles (Moline 1994a : 245). Cette opposition réfère à une éventualité dans le sens où

la proposition introduite par que exprime une réaction ou une conséquence éventuelle à une

situation potentielle exprimée par la proposition associée :

(45) On me paierait que je ne le ferais pas.

(Robert 1996 : 1836)

(46) Il me le demanderait à genoux que je ne cèderais pas.

(Deulofeu 1999a : 2)

(47) Vous me le diriez que je ne le croirais pas.

(Le Goffic 1993 : 400)

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34

(48) Il aurait bu que je n’en serais pas surpris.

(Le Goffic 1993 : 400)

(49) Il prendrait la parole que nous nous en irions.

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 73)

(50) Vous m’interrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la même réponse.

(Gougenheim 1938 : 338)

Ces constructions sont aussi groupées dans la littérature avec les subordonnées inversées (cf. (28)

à (33) ; Gougenheim 1938 ; Von Wartburg et Zumthor 1947 ; Deulofeu 1999a). Le Goffic (1993)

analyse le que qui y est employé comme un adverbe. Moline (1994a) estime qu’elles

représentent un type particulier de la construction relative. On parle ici aussi d’un emploi du

français parlé.

Les grammaires traditionnelles (Von Wartburg et Zumthor 1947 ; Gougenheim 1938 ; entre

autres) regroupent souvent les données que cette thèse examine avec les constructions

répertoriées ci-dessus. La prop-que y est vue comme une subordonnée circonstancielle de

conséquence introduite par un que connecteur universel d’un emploi familier ou populaire, le

même connecteur qui introduit les propositions à interprétation causale (à valeur explicative ou

justificative), à interprétation de temporalité et à interprétation d’opposition. On remarque aussi

qu’en plus de ce connecteur universel, la cohésion est assurée par l’inférence de rapports

sémantico-pragmatiques implicites.

Nous ajoutons ces constructions complexes adverbiales à notre contextualisation des données à

l’étude non seulement à cause des classifications antérieures des grammairiens, mais aussi parce

que le rapport de dépendance qui les sous-tend soulève les mêmes questions. De quoi dépendent

les prop-que dans ces constructions adverbiales ? Le rapport est-il de nature sélectionnelle ou

non sélectionnelle ? Sont-elles représentatives d’un autre type d’interdépendance ? Deulofeu

(1999a, 1999b) suggère que plusieurs différents types de relations sous-tendent ces

constructions. Certaines prop-que seraient régies par la proposition qu’elles suivent ; d’autres

seraient plus autonomes. Un survol plus exhaustif est hors de la portée de ce travail, mais il est

clair que la question du rapport est plus complexe qu’on ne le croit.

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35

Bien que nous rapprochions ici nos données aux constructions complexes à interprétations

causale, temporelle et oppositive, il est important de noter qu’elles se démarquent de manière

importante de ces dernières : en plus de s’interpréter avec un effet adverbial de conséquence, les

données s’interprètent avec un effet d’intensification. De plus, les données contiennent un

élément lexical dans la première proposition auquel la proposition introduite par que semble être

étroitement reliée, contrairement aux constructions causales, temporelles et oppositives

inventoriées ci-dessus. Reprenons l’exemple (1), ici (51), et l’exemple (34), ici (52) :

(51) Marie est belle, qu’on en reste ébahi.

(52) La mort nous surprend que nous n’avons encore rien fait.

Dans la phrase en (51), la prop-que est liée à l’adjectif belle dans le sens où elle joue un rôle

intégral dans la détermination de sa valeur précise, le degré de la qualité que cet adjectif exprime.

Cette valeur est particularisée par le résultat qu’elle entraîne, un résultat qui est exprimé par la

prop-que (i.e. il faut un certain degré de la qualité pour produire un résultat spécifique). Dans la

deuxième phrase, en (52), la prop-que n’est pas reliée à un élément lexical particulier dans la

proposition associée. Dans ce cas, elle particularise plutôt le repère temporel établi par la

première proposition. Cette distinction, c’est-à-dire la présence, par opposition à l’absence, d’un

« antécédent » lexical, est importante parce qu’elle nous permet d’avancer que les données à

l’étude devraient recevoir un traitement différent.

2.2.3 D’autres langues

Nous terminons notre contextualisation des données avec une comparaison interlinguistique. Ce

type de construction n’est pas unique au français. On en trouve des exemples aussi en espagnol

(cf. (53) à (55)), en anglais (56) et en tchèque (57), entre autres :

(53) Juan hablaba que no callaba. (Etxepare 2008 : 58)

Juan parlait que ne se taisait.

‘Jean parlait tellement qu’il semblait qu’il n’allait pas se taire.’

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(54) Juan canta que da gusto. (Etxepare 2008 : 59)

Juan chante que donne plaisir.

‘Jean chante si bien que ça fait plaisir.’

(55) El vino en cambio te entra que es un gusto. (Núñez-Lagos 2006 : 10)

Le vin par contre te entre que est un plaisir.

‘En revanche, le vin passe tellement bien que ça fait plaisir.’

(56) He is serious you wouldn’t believe (it).

‘Il est tellement sérieux que c’est à pas y croire.’

(57) Má prsty ztuhlé, že je nenarovná.

A doigts raides, que les NE-redressera.

‘Ces doigts sont si raides qu’il/elle n’arrive pas à les redresser.’

Pour conclure, les données suscitent de l’intérêt avant tout au niveau de la relation qui unit les

deux propositions dont elles sont composées. C’est pourquoi nous avons choisi d’aborder en

particulier cet aspect des données. Notre réflexion a été guidée par une comparaison avec des

phrases de la même forme de surface p1 que p2, soit les constructions complétives, relatives et

intensives de conséquence. Nous avons montré qu’au niveau relationnel, les données ne

s’insèrent pas facilement dans ces catégories conventionnelles des phrases complexes avec que et

que la nature de la relation entre les deux propositions n’est pas évidente. Mais nous avons tout

de même déterminé que les données se caractérisent par une interdépendance importante qui

relève du discours, du sémantisme et de la morphosyntaxe. Une relation de cause-conséquence

relie la première proposition et la prop-que ; l’effet d’intensification et de restriction de mesure

au sein de la première proposition dépend de la présence de la prop-que ; la prop-que doit

s’associer à la première proposition au moyen de l’élément que. Il y a donc plusieurs types de

rapports qui assurent l’interdépendance entre les deux propositions. La contextualisation

comparative nous a aussi permis de présenter d’autres constructions qui ne s’insèrent pas

facilement dans les catégories conventionnelles des constructions complexes de la forme p1 que

p2 et qui ressemblent de près à nos données. L’existence d’un bon nombre de ces constructions

non conventionnelles valide davantage notre étude. Dans la section qui suit, nous allons

poursuivre notre examen des données, cette fois en identifiant plusieurs de leurs propriétés

sémantiques et syntaxiques de base.

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37

2.3 Propriétés de base

Depuis le début, nous effectuons une décomposition des données à l’étude. Nous avons remarqué

que la première proposition est touchée par l’effet de haut degré et que la prop-que est

étroitement liée à cet effet, étant donné que le haut degré survient en présence de cette dernière et

que la première proposition, lorsqu’elle est indépendante, ne s’interprète pas avec un effet de

haut degré. Nous avons aussi noté que la prop-que est évaluative, ou déliminative, dans le sens

où elle restreint cette haute mesure. Nous allons continuer à décrire ce rapport entre la

proposition matrice et la prop-que en faisant ressortir les propriétés sémantiques et syntaxiques

de base des données.

2.3.1 Sémantisme : les types de lectures

Plus haut, nous avons suggéré que la prop-que est un modificateur syntaxiquement complexe.

Nous avons basé cette généralisation principalement sur une évidence négative, soit que la prop-

que ne représente pas un argument phrastique sélectionné et n’est pas exigée par un autre

élément pour réaliser une notion ou fixer une variable. Nous avons aussi indiqué que la prop-que

modifie en gros les propriétés des individus/objets et des événements exprimés par la première

proposition. C’est sur cette fonction de la prop-que que nous voulons nous attarder d’abord, dans

le but de mieux comprendre le domaine de modification et les participants qui y sont impliqués.

Pour identifier le domaine de modification de la prop-que, une des questions que nous nous

posons est de savoir de quoi dépend exactement la conséquence que la prop-que exprime, c’est-

à-dire quel est le poids de la conséquence. En gros, nous voulons décomposer la cause. Nous

avons déjà dit que la conséquence est reliée à l’effet d’intensification (la prop-que permet de le

percevoir). Nous voulons maintenant élaborer sur la façon dont l’effet de conséquence est

rattaché à l’effet d’intensification, en identifiant les concepts que l’intensification implique. En

précisant le domaine de modification, nous cherchons en fait à identifier le domaine

d’intensification.

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Considérons d’abord les exemples en (58) à (63) :

(58) Marie est belle, qu’on en reste ébahi.

(59) Les raisins sont rouges qu’on croit qu’ils vont éclater.

(60) Son chien est laid qu’on s’en ferme les yeux.

(61) Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

(62) Elle est bête que c’est à pas y croire !

(63) Pierre est charmant que je ne peux lui résister.

Ces exemples s’interprètent avec un effet de gradation de qualité. La prop-que y est impliquée

dans l’intensification des propriétés exprimées par les attributs prédicatifs (i.e. belle, rouges,

laid, etc.) qui caractérisent les individus ou objets auxquels renvoient les sujets (i.e. Marie, les

raisins, son chien, etc.). La modification de propriétés touche aux mesures de degrés, les

propriétés pouvant être conçues comme une suite progressive de degrés ordonnés

hiérarchiquement, constituant une échelle. L’exemple (58) s’interprète ainsi avec un effet de

haute mesure de la qualité exprimée par l’adjectif belle, c’est-à-dire un effet de haut degré de

beauté. Ces exemples montrent ainsi qu’un des domaines de modification de la prop-que peut

être une propriété d’un individu ou d’un objet.

L’effet de gradation de qualité n’est pas le seul effet qu’on décèle lorsque le domaine de

modification est une propriété d’un individu ou d’un objet. Considérons l’exemple suivant :

(64) C’est salé que c’est immangeable.

L’objet auquel réfère le démonstratif c’ (e.g. le plat) possède un haut degré de la propriété

exprimée par l’adjectif salé. Cet adjectif qualificatif renvoie à un concept concret mesurable, le

sel. On obtient donc aussi un effet secondaire de quantité, une haute quantité de sel. On peut

avancer que lorsque la propriété est abstraite ou réfère à un concept non comptable (e.g. belle,

rouge, etc.), l’effet interprétatif est celui de gradation de qualité ; lorsqu’elle est concrète ou

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39

réfère à un concept comptable (e.g. salé), on obtient aussi un effet de quantité.25

On peut ainsi

relier les nuances interprétatives dans les données à la nature lexico-sémantique des éléments

dans le domaine de modification de la prop-que (aux types de propriétés qu’expriment les

attributs prédicatifs des sujets dans les exemples (58) à (63)).

Les exemples suivants s’interprètent aussi avec un effet de qualité :

(65) Luc tousse qu’il en secoue toute sa maison. (adapté ; Robert 1996 : 1836)

(66) Paul danse qu’on pouvait pas mieux. (adapté ; Le Goffic 1993 : 399)

(67) Sylvie chante que c’en est gênant.

(68) Il crie qu’on ne s’entend plus.26

(Von Wartburg et Zumthor 1947 : 64)

Dans ces exemples, la prop-que est impliquée dans la qualification de l’action qu’expriment les

prédicats verbaux de la première proposition, soit tousser, danser, chanter, crier. La

qualification réfère à la manière dont l’action est effectuée. Le sémantisme de cette manière est

sous-spécifié. Dans plusieurs exemples ci-dessus, on peut le récupérer facilement ; dans d’autres,

il est ambigu. Par exemple, on récupère que l’action de danser (cf. (66)) est réalisée avec une

qualité positive, c’est-à-dire la série ordonnée de mouvements qui caractérisent l’action que le

verbe danser dénote est effectuée « tellement bien ». On récupère aussi que l’action de crier (cf.

(68)) est effectuée à volume élevé, c’est-à-dire que la manière réfère au volume de la voix (et

équivaut ainsi plus au moins à « tellement fort »). Le sémantisme de la propriété événementielle

est ambigu dans le cas de l’exemple (65), où on récupère « tellement fort » ou « tellement

25

Nous utilisons ici les termes « comptable » et « non comptable » tout en étant consciente de l’imprécision qu’ils

présentent et de leur usage plus approprié dans le contexte des noms. La distinction est conçue ici plutôt de façon

intuitive et fait référence à l’(im)mesurabilité référentielle, où les concepts de beauté et de rougeur auxquels

renvoient les adjectifs belle et rouge ne peuvent pas être dénombrés à l’aide d’unités de mesure (e.g. litres, etc.), ce

qui est possible pour le concept de salé (e.g. cuillère/grammes de sel, etc.). Une autre distinction possible pourrait

être l’opposition entre la subjectivité et l’objectivité, les propriétés abstraites étant subjectives et les propriétés

concrètes étant objectives ou percevables directement par les sens. (Merci à Jacques Lamarche d’avoir porté cette

opposition à mon attention.) Mais ici aussi, la catégorisation n’est pas définitive et montre ses limites, puisque belle

semble être plus subjectif que rouge. 26

Cet exemple peut aussi avoir une interprétation sans effet d’intensification. La prop-que pourrait être interprétée

comme le complément propositionnel du verbe crier (comme une proposition complétive). Cette ambiguïté survient

surtout à l’écrit parce qu’à l’oral, la prononciation de cette phrase est caractérisée par une suspension de la voix

après la proposition matrice (Von Wartburg et Zumthor 1947). Cette prononciation est parfois reflétée à l’écrit par

l’insertion d’une virgule entre les deux propositions, mais puisque cette ponctuation n’est pas systématique, elle

n’aide pas toujours à résoudre l’ambiguïté.

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40

violemment ». Il en est de même pour l’exemple (67), où l’action de chanter est réalisée

« tellement mal/faux » ou « tellement fort », entre autres. Dans l’ensemble, comme

l’intensification touche aux propriétés des événements dans les exemples (65) à (68), on peut

dire que la prop-que y fonctionne comme un modificateur qualitatif de l’événement. Ces

exemples montrent ainsi qu’un autre domaine de modification de la prop-que dans les données

est l’événement.

Revenons brièvement sur quelques aspects de notre description des exemples (65) à (68). Tout

d’abord, les propriétés événementielles auxquelles touche l’intensification sont sous-entendues,

les phrases ne contenant pas d’items lexicaux qui les dénoteraient. On peut dire que les

événements dans ces exemples s’interprètent avec un sens adverbial tacite. Comme ce sens est

parfois transparent (cf. (66) et (68)), parfois ambigu (cf. (65) et (67)), on peut parler d’un sens à

valeur sémantique déterminée ou indéterminée. Il est à noter qu’aucun sens ne s’ajoute à

l’interprétation des exemples (58) à (63), où le domaine d’intensification est une propriété d’un

individu ou d’un objet (exprimée par un adjectif). La question qui se pose donc est de savoir d’où

vient ce sens adverbial tacite. Ce sens n’est pas toujours le même (e.g. « bien », « mal », « fort »,

« violemment »). Provient-il du prédicat verbal ? Est-il orienté par la prop-que ? Il semble qu’il

s’agisse d’une combinaison des deux, et le poids relatif du prédicat et de la prop-que dans cette

combinaison dépend des cas.

Prenons l’exemple (67), qu’on peut paraphraser comme suit : « Sylvie chante si mal/faux/fort

que c’en est gênant. ». Le sens adverbial tacite ici (en plus de l’intensification implicite qui

caractérise toutes nos données) est « mal/faux » ou « fort », il a donc une valeur sémantique

indéterminée. Le prédicat chanter impose-t-il ce sens ? Les composantes du sens canonique du

verbe chanter incluent VOIX, SON, HARMONIE ou MUSICALITÉ (selon la définition donnée par

Robert (1996), où chanter veut dire « former avec la voix une suite de sons musicaux »). Le sens

« mal/faux » ne fait pas en soi partie du sens canonique du verbe chanter mais il s’obtient parce

que la prop-que peut orienter l’interprétation vers la composante HARMONIE/MUSICALITÉ qui est

présente dans le verbe. Le sens « fort » s’obtient grâce à la composante SON. La prop-que …que

c’en est gênant ne permet pas de vérifier le type de propriété (et par la suite le type de mesure).

Pour démontrer que les choix lexicaux dans la prop-que importent pour l’interprétation du sens

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adverbial, considérons l’exemple (67) avec une autre prop-que, comme …qu’on ne s’entend

plus :

(69) Sylvie chante qu’on ne s’entend plus.

La prop-que oriente le sens dans cette phrase vers l’idée du SON qui est présente dans le verbe.

La phrase n’a plus un sens tacite ambigu, elle s’interprète avec le sens de « fort », mais elle ne

s’interprète plus avec le sens de « mal/faux ». Comme le sens tacite n’a plus une valeur

indéterminée, on peut constater que cette prop-que impose un sens particulier. Mais lorsqu’elle

est trop vague (e.g. …que c’en est gênant, …que ça fait plaisir, etc.), elle ne donne pas une

façon de vérifier le type de mesure.27

Pour les besoins communicatifs, le concept mesurable doit

dans ce cas constituer un aspect actif dans le discours.

Pour souligner le rôle du prédicat verbal et ses composantes de sens canoniques, considérons

l’exemple (67) avec un autre prédicat verbal, comme crier :

(70) Sylvie crie que c’en est gênant.

Cet exemple ne s’interprète pas avec le sens de « mal/faux ». Vu qu’on peut très bien obtenir cet

effet avec la prop-que …c’en est gênant (cf. (67)), on peut attribuer l’absence de l’effet à la

nature du verbe crier. La composante de musicalité ne fait pas partie du sens noyau de ce verbe

(ou aucune autre composante qui peut avoir une qualification du type « mal/faux », i.e.

« supérieur à la norme », n’en fait partie, e.g. *Elle crie mal/bien.). La prop-que ne peut donc pas

sélectionner et rendre saillante une composante non existante. On peut ainsi postuler que le sens

tacite dépend crucialement du sens canonique du prédicat verbal impliqué et de la sélection

informationnelle, par la prop-que, d’une composante de ce sens. Pour conclure, le prédicat verbal

et la prop-que imposent chacun une interprétation et signalent à l’interlocuteur une direction

interprétative.

27

L’exemple (66), Paul danse qu’on pouvait pas mieux. montre davantage l’importance des choix lexicaux dans la

prop-que pour la récupérabilité du sens adverbial tacite, l’adverbe mieux orientant clairement l’interlocuteur vers la

propriété « bien ».

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Les exemples où l’effet d’intensification porte sur les événements peuvent aussi s’interpréter

avec un effet de qualité similaire à celui des exemples où l’intensification porte sur les adjectifs :

(71) Elle m’aime que c’en est effroyable. (Moline 1994a : 356)

On obtient avec cet exemple un effet de gradation. Bolinger (1972) appelle ce type de lecture lié

aux prédicats verbaux une gradation inhérente qui opère sur les degrés. Cette gradation s’obtient

avec les verbes d’état, tels que aimer, détester, admirer. Comme les verbes d’état expriment une

propriété gradable de leur sujet, l’interprétation de haute mesure ressemble à celle des adjectifs

(cf. (58) à (63)).

Lorsque la prop-que est un modificateur des événements, on peut aussi obtenir un effet de

quantité :

(72) Il pleut que les vaches ont les pattes palmées.

(73) Quand elle aime les choses, elle en mange que c’en est dégoûtant.

(74) Luc boit que c’en est une honte.

Dans ces exemples, on décèle un effet de haute mesure qui touche à la quantité des objets non

exprimés des événements pleuvoir, manger, boire, soit la pluie, les choses et les boissons

(alcooliques). La prop-que peut donc fonctionner comme un modificateur qualitatif et quantitatif

de l’événement exprimé dans la première proposition.

De plus, en fonction du contexte, on peut aussi obtenir avec l’effet de quantité une interprétation

de fréquence. Ainsi, l’exemple (72) peut s’interpréter soit avec un effet de haute quantité de

pluie, soit avec une haute quantité de récurrences de l’événement exprimé par le verbe pleuvoir

(i.e. un nombre de pluies sur une période de temps). Dans ce deuxième cas, on obtient toujours

l’effet de haute quantité de pluie, mais un effet de fréquence s’ajoute à cette interprétation.

L’effet de haute fréquence peut aussi s’obtenir seul :

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43

(75) Il danse que c’est merveilleux.

Dans un contexte bien précis, on récupère un effet de haute quantité de récurrences de

l’événement exprimé par le verbe danser. Un locuteur pourrait énoncer la phrase en (75) pour

exprimer ses sentiments à l’égard d’une personne âgée qui garde sa forme (ou sa vie active) en

pratiquant fréquemment la danse. Le locuteur trouverait donc merveilleux la quantité des actions

de danser que la personne effectue, étant donné son âge. Cette interprétation est plus forcée, mais

elle n’est pas impossible.

De plus, l’effet de haute quantité d’objets s’obtient aussi lorsque les événements sur lesquels

porte l’intensification contiennent des objets manifestes :

(76) Elle mange des carottes que les oreilles de lapin lui poussent.

L’effet de haute mesure porte dans cet exemple sur la quantité des carottes. Il est pourtant à noter

que les données où l’intensification porte sur un objet manifeste ou un individu/objet remplissant

d’autres fonctions (e.g. sujet), sont moins nombreuses que les données où l’intensification porte

sur les propriétés des individus/objets ou des événements. Nous reviendrons à cette propriété

dans la section suivante.

Pour résumer, cet exposé a montré que les données peuvent s’interpréter avec une intensification

de qualités ou de quantités : une haute mesure de qualité d’une entité (Marie est belle qu’on en

reste ébahi.), une haute mesure de qualité d’un événement (Paul danse qu’on pouvait pas mieux.

Elle m’aime que c’en est effroyable.) et une haute mesure de quantité d’événements ou d’objets

(Luc boit que c’en est une honte.).

Nous avons suggéré que les nuances avec lesquelles les données s’interprètent sont déterminées,

avec divers degrés d’influence, par le prédicat de la première proposition et la prop-que. Une

question qui se pose est de savoir quels sont les contextes où on n’obtient pas d’interprétation

d’intensification dans ce type de construction. Considérons les exemples suivants :

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(77) *Marie est belle, qu’on va au restaurant.

(78) ?#Elle mange des carottes, que je parle au téléphone.

L’effet d’intensification est absent des phrases en (77) et (78). Un interlocuteur pourrait

s’efforcer d’attribuer une interprétation à ces phrases au moyen de l’inférence des rapports

sémantico-pragmatiques implicites entre les deux propositions. Une interprétation de temporalité

pourrait à la limite caractériser la phrase en (78), i.e. ‘Elle mange des carottes tandis que moi, je

parle au téléphone.’, à l’instar des phrases ‘atypiques’ de forme p1 que p2 qu’on a vues dans la

section §2.2.2, mais une interprétation d’intensification ne s’obtient pas. Comme les premières

propositions de ces exemples sont identiques aux premières propositions des exemples

acceptables ci-dessus (cf. (58) et (76)), on sait qu’elles peuvent fonctionner comme des domaines

d’intensification. Il s’ensuit que c’est le contenu de la prop-que ici qui ne permet pas à

l’interlocuteur de les interpréter avec un effet d’intensification. On peut donc constater que la

prop-que doit au préalable être capable d’évaluer une mesure. Est-elle ‘marquée’ de manière

quelconque pour cette aptitude ?

Lorsqu’on considère la nature des prop-que dans les exemples présentés dans cette section, on

remarque que la majorité exprime un sentiment ressenti par le locuteur qui est dirigé vers la

mesure : e.g. Il chante que ça fait plaisir. Luc boit que c’en est une honte. Elle m’aime que c’en

est effroyable. Il transpire que c’en est écœurant.. D’autres prop-que sont plutôt idiomatiques :

e.g. Elle mange des carottes que les oreilles de lapin lui poussent. Il pleut que les vaches ont les

pattes palmées. Luc tousse qu’il en secoue toute sa maison.. Mais on trouve aussi des prop-que

qui expriment des conséquences « non subjectives » : e.g. Il crie qu’on ne s’entend plus. Plus

spécifiquement, dans ces exemples, la prop-que désigne un événement qui peut être considéré

comme étant directement entraîné par un autre événement et donc où la haute mesure est située

par rapport à un événement et non pas un jugement. On peut tout de même faire la généralisation

que l’expressivité et la présence du locuteur marquées dans la prop-que sont des propriétés

importantes des données à l’étude.

On remarque aussi que la prop-que de plusieurs exemples jusqu’à maintenant considérés contient

un élément anaphorique, soit le pronom en (cf. (58), (65), (67), (71), (73), (74)). Nous avançons

que ce pronom anaphorise la cause de la conséquence que la prop-que exprime. Cette cause

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inclut crucialement la haute mesure. Ainsi, dans Luc boit que c’en est une honte., le en a le sens

de « boire tellement » et la prop-que peut être paraphrasée par « que c’est une honte de boire

tellement ». Le en peut rendre plus clair le rapport de cause-conséquence entre la prop-que et la

proposition matrice, mais il n’est pas indispensable à l’acceptabilité des exemples ou à la

récupérabilité de l’effet de haute mesure :

(79) a. Luc tousse qu’il en secoue toute sa maison.

b. Luc tousse qu’il secoue toute sa maison.

(80) a. Sylvie chante que c’en est gênant.

b. Sylvie chante que c’est gênant.

(81) a. Elle m’aime que c’en est effroyable.

b. Elle m’aime que c’est effroyable.

(82) a. Quand elle aime les choses, elle en mange que c’en est dégoûtant.

b. Quand elle aime les choses, elle en mange que c’est dégoûtant.

(83) a. Luc boit que c’en est une honte.

b. Luc boit que c’est une honte.

(84) a. Marie est belle, qu’on en reste ébahi.

b. Marie est belle, qu’on reste ébahi.

Le en explicite la cause dans la prop-que et crée un lien entre les deux propositions qui peut dans

certains cas rendre les phrases plus naturelles. Par exemple, Marie est belle qu’on en reste ébahi.

s’interprète plus naturellement que Marie est belle qu’on reste ébahie.. Pourtant, les exemples

(b) s’interprètent toujours avec un effet d’intensification, tout comme les exemples (a). On ne

peut donc pas établir un lien direct entre en et la haute mesure dans ce type de phrases ni, par

conséquent, attribuer au en la capacité de la prop-que à évaluer une mesure. Pour ces raisons,

nous laissons le en de côté dans cette thèse.

Pour terminer notre examen des facteurs qui peuvent contribuer à l’existence de ces types de

données et à l’interprétation de haute mesure, nous revenons au concept de mesurabilité. Comme

nous l’avons mentionné ci-dessus (cf. (65) à (68)), il faut qu’il existe, du côté de la première

proposition, la possibilité de mesurabilité. Nous avons suggéré que cette possibilité réfère à la

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46

présence de certaines composantes de sens lexicales dans les prédicats. Considérons le contraste

suivant :

(85) Il crie qu’on ne s’entend pas.

(86) ?#Il parle qu’on ne s’entend pas.

(87) Elle chante qu’on ne s’entend pas.

On a des difficultés à interpréter l’exemple (86) avec un effet d’intensification (ou à lui attribuer

une interprétation en général). Dans l’exemple (85), le verbe crier intègre une composante de

sens saillante de mesurabilité, soit VOLUME ÉLEVÉ, contrairement à parler, crier étant une action

d’émission de son à volume élevé, plus élevé que lorsqu’on effectue l’action de parler. Ce sème

permet de récupérer l’effet d’intensification et l’effet adverbial tacite « fort ». La saillance de la

mesurabilité ne semble pas pourtant être nécessaire étant donné les exemples comme (65), où le

verbe tousser n’intègre pas une composante de sens proéminente et s’interprète tout de même

avec un effet d’intensification lié au volume. On peut ainsi constater que la saillance facilite

l’interprétation de la haute mesure, mais elle n’est pas indispensable. Le contraste entre (86) et

(87) indique en plus que parfois, la possibilité d’une mesurabilité en termes d’une composante de

sens n’aboutit pas nécessairement à un effet d’intensification lié à cette composante. Nous avons

dit plus haut (cf. (69)) que le verbe chanter intègre l’idée du SON et que la prop-que oriente

l’interprétation de haute mesure vers ce sème et entraîne le sens tacite « fort ». Le verbe parler,

étant une action d’émission de son intègre ce même sème. Mais le sens le plus saillant de parler

est de transmettre un message, communiquer. Le sème SON n’y joue probablement pas un rôle

aussi central. Pourquoi ne peut-il pas s’interpréter avec un effet d’intensification lié à ce sème ?28

Cette question demeure pour le moment sans réponse. Nous allons continuer à élaborer sur cette

question au cours de notre travail, mais comme on verra, nous ne pourrons pas offrir une réponse

définitive, en partie parce que la mesurabilité, ou la gradabilité, et son statut (lexical ou non

lexical) est une question complexe dont l’étude dépasse les objectifs de notre travail.

28

On peut obtenir un effet d’intensification lié au verbe parler, avec une autre prop-que, e.g. Jean parle que mon

cerveau bloque. (Merci à Jacques Lamarche d’avoir porté cet exemple à mon attention.) Mais dans ce cas,

l’intensification n’est pas liée au sème SON ; plutôt, elle porte sur tout l’événement et la phrase s’interprète avec un

effet de quantité (lié à la fréquence ou à la durée de l’événement). Cet exemple confirme que les choix lexicaux dans

la prop-que, c’est-à-dire le contexte qu’elle introduit, jouent un rôle important dans l’interprétation de ce type de

constructions, tel que discuté ci-dessus.

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47

2.3.2 Syntaxe : la complexité de l’événement

Nous venons d’examiner ci-dessus les propriétés sémantiques des données à l’étude. Dans cette

section, nous proposons d’étudier brièvement leurs propriétés syntaxiques, en considérant la

complexité de l’événement que les données expriment. Plus spécifiquement, nous nous

intéressons à décomposer la première proposition, au sein de laquelle se situe le domaine de

modification de la prop-que, afin de voir les types de participants événementiels qu’elle contient

(essentiels ou non essentiels). Cet examen découle de notre observation que les données

semblent préférer une proposition matrice peu complexe, avec des prédications simples, ou sans

objets. Un examen de la complexité structural des données nous permettra de mieux comprendre

leur fonctionnement et de discuter de leur structure syntaxique dans les chapitres suivants.

Au niveau de l’événement, la première proposition peut inclure plusieurs éléments non

essentiels, comme les syntagmes adverbiaux temporels (88) et locatifs (89) :

(88) Les raisins sont rouges cette année qu’on croit qu’ils vont éclater.

(89) Les commandes pleuvaient à l’abbaye que c’était une bénédiction.

(Grevisse 1993 : 1648)

Nous remarquons aussi que la majorité des données attestées contiennent des événements

‘intransitives’, c’est-à-dire leurs prédicats apparaissent sans objets :

(90) Luc ment que c’est une honte.

(91) Elle bosse qu’elle n’en peut plus.

(92) Il pleut que les vaches ont les pattes palmées.

(93) Elle chante que ça fait plaisir.

(94) Il rit qu’il en a des larmes aux yeux.

(95) Jean mange que c’en est dégoûtant.

(96) Jean boit que c’en est une honte.

(97) Il donne aux pauvres que plus on pourrait pas.

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Cette intransitivité est-elle due à la nature lexicale du verbe ou à une incompatibilité quelconque

que la prédication entraîne ? Les phrases dans les exemples sont composées de verbes qui ne

prennent jamais d’objet (cf. (90), (91)) et de verbes qui peuvent prendre un objet (cf. (92) à (97)).

Dans ce deuxième groupe, on trouve les verbes inergatifs comme pleuvoir, chanter, rire, qui

prennent des objets internes (i.e. pleuvoir une pluie29

, chanter une chanson, rire un rire) et les

verbes transitifs comme manger, boire, donner. On note l’absence des verbes inaccusatifs ou leur

acceptabilité réduite :

(98) #Elle arrive en retard que j’en ai marre.

(99) ?L’enfant tombe que c’est à pas y croire.

La phrase en (98) s’interprète plutôt avec un effet d’évaluation d’un fait : ‘J’en ai marre qu’elle

arrive toujours en retard.’. La phrase en (99) pourrait à la limite recevoir une interprétation selon

laquelle on considère incroyable le nombre élevé de fois que l’enfant tombe.

Vu que les données sont attestées avec les verbes transitifs, on peut constater que l’intransitivité

n’est pas une question lexicale. Il est pourtant intéressant à noter que les verbes transitifs

manger, boire, donner sont employés intransitivement dans les exemples (95) à (97). L’emploi

intransitif de ces verbes transitifs est-il signifiant ? On a vu plus haut l’exemple où le verbe

manger prend l’objet des carottes :

(100) Elle mange des carottes que les oreilles de lapin lui poussent.

L’usage intransitif des verbes transitifs ne reflète donc pas une restriction, ce que confirment les

exemples suivants :

(101) R. A. Dicky lance la balle qu’on peut pas mieux.

(102) Ça nous a fait des frais que là les sous ils sont encore partis.

(103) ?Il adore le chocolat qu’il ne peut pas s’en passer.

29

On atteste cet emploi dans les exemples Il pleut une pluie d’étoiles. Il pleut une pluie de sang..

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D’où vient donc cette tendance vers l’intransitivité que suggère la prédominance des prédications

simples, ou sans objets, dans les données attestées ? Nous croyons qu’elle découle d’une

combinaison complexe de divers facteurs qui incluent la fonction communicative des données et

l’aspect interne de l’action et sa compatibilité avec la mesurabilité.

Les événements ‘intransitifs’ avec les verbes inergatifs (pleuvoir, chanter, rire), qui sont

fréquemment attestés dans les données, mettent l’accent sur l’activité qu’effectue le sujet. Ceux

avec les verbes transitifs employés intransitivement (boire, manger, donner) fonctionnent de la

même façon. Leurs objets non exprimés s’interprètent non référentiellement et orientent

l’interprétation vers l’activité. Les événements ‘transitifs’ soulignent également l’activité. Les

objets qu’ils contiennent sont non référentiels : des carottes (100), la balle (101), des frais (102),

le chocolat (103). Ainsi, on interprète (100) comme une activité de « manger des carottes » et

l’exemple (101) comme une activité de « lancer la balle ». L’exemple (102) contient ce qu’on

considère être un verbe de forme composée, faire des frais, le verbe faire étant un verbe léger et

le nom frais étant un objet non existentiel. L’événement dans l’exemple (103) reçoit une

interprétation d’état d’adoration du chocolat. Les objets non référentiels dans ces exemples

orientent ainsi l’interprétation vers l’activité. De plus, les activités en (100), (101) et (103)

mettent l’accent sur le sujet. Le locuteur qui prononce ces énoncés a comme objectif

communicatif de caractériser l’individu auquel réfère le sujet (elle, R.A. Dicky, il).

Pour ce qui est de l’absence des verbes inaccusatifs, nous la relions en partie à l’aspect interne.

Les verbes en (98) et (99) sont des achèvements qui n’expriment pas un procès interne, comme

les activités. Le procès dans les activités se déroule dans le temps, contrairement à un

achèvement. Ce déroulement est compatible avec la notion de mesurabilité (au niveau de la

composante de sens de qualité-manière) ; la ponctualité ne l’est pas. La mesurabilité est

nécessaire pour obtenir une interprétation d’intensification. Mais comme on l’a vu dans la

section précédente, la modification des événements par la prop-que ne produit pas toujours

forcément un effet de qualité. Elle peut aussi produire un effet de quantité (d’actions) (cf. (75)).

Alors, si le contexte permet à ces verbes de recevoir une interprétation de quantité, c’est-à-dire

où on mesure la quantité d’achèvements, on devrait pouvoir obtenir un effet de haute mesure de

cette quantité. L’exemple (99) atteste de cette interprétation.

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Cet examen des propriétés syntaxiques et sémantiques des données permet de voir la complexité

du phénomène. Les données s’interprètent avec plusieurs différents effets sémantiques qui

varient en fonction du domaine de modification de la prop-que. On obtient des effets de qualité

avec les propriétés des individus/objets exprimées par des adjectifs et les propriétés des

événements, qui restent souvent inexprimées (ainsi, on parle des effets de sens adverbial tacites).

Les événements peuvent s’interpréter aussi avec des effets de quantité. Doetjes (1997), qui étudie

la quantification en français, relie la disponibilité de différents types de lectures à la nature du

domaine d’intensification, ce que nos données confirment. De plus, l’acceptabilité des données

repose sur des propriétés de la structure de l’événement, l’activité étant l’événement le plus

favorable. Afin de mieux comprendre comment les données fonctionnent sémantiquement et

syntaxiquement, nous allons maintenant tourner notre attention à la façon dont elles sont décrites

dans les travaux antérieurs. Le survol de ces travaux nous permettra aussi de montrer que notre

étude va apporter une compréhension des données qui n’est pour l’instant pas disponible.

2.4 Travaux antérieurs

Dans la littérature, ces données ont reçu peu d’attention en termes d’analyse syntaxique, leur

traitement se limitant principalement à des analyses descriptives. Les plus nombreux à

mentionner les données sont les grammaires de type fonctionnel dont la préoccupation centrale

est la description des données, en termes de leur diversité, leur typologie et leur usage en

contexte par les locuteurs, afin de comprendre leur structure (Gougenheim 1938 ; Von Wartburg

et Zumthor 1947 ; Wagner et Pinchon 1962 ; Frei 1971 ; Gadet 1989, entre autres).30

Dans ces

travaux, on met l’accent sur l’élément que, sa remarquable fréquence d’emploi et sa

polyfonctionnalité : celui-ci peut apparaître dans une très grande variété de contextes et y créer

des effets très différents. On parle souvent de différents « valeurs », « effets » et

« interprétations » de que. Dans le cas des données à l’étude, on fait référence à un que à valeur

expressive, à effet de degré ou à interprétation de conséquence. D’intérêt est aussi le statut

30

Ces grammaires « fonctionnelles » ne s’inscrivent pas dans les modèles formels spécifiques de la grammaire

fonctionnelle, comme la Grammaire fonctionnelle lexicale de Kaplan et Bresnan (1982) ou la Grammaire

fonctionnelle de Dik (1997ab). Elles adoptent une variété des stratégies générales de descriptions grammaticales

motivées par la fonction des structures linguistiques lorsqu’elles sont utilisées en contexte communicatif.

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catégoriel du que. Le que dans nos données est vu à la fois comme un que adverbe, un que

pronom et un que conjonction. Nous n’allons pas élaborer ici sur ces travaux, étant donné qu’ils

ne traitent pas des données en profondeur. Ils constituent tout de même pour nous une source

importante d’exemples attestés et nous avons incorporé leurs descriptions dans notre discussion

ci-dessus sur la contextualisation des données.

L’analyse syntaxique des données à l’étude est plus poussée dans les travaux de Le Goffic

(1993), Moline (1994a) et Deulofeu (1988, 1999ab). Nous allons ainsi les passer brièvement en

revue. Notre objectif est d’exposer les grandes lignes de ces recherches, sans les comparer ou

contraster, principalement en raison des cadres théoriques qu’elles adoptent. Ces travaux ne

s’inscrivent pas dans le cadre génératif. Ainsi, tout comme les grammaires descriptives, ces

travaux s’avèrent pertinents pour notre travail surtout à titre de sources d’observations et de

descriptions intéressantes, et non pas à titre d’objets de critique dans le but de soutenir notre

propre analyse. Comme on va le voir, ces travaux s’attardent au concept de dépendance que nous

avons soulevé lors de notre contextualisation des données au début de ce chapitre (§2.2).

2.4.1 Le Goffic (1993)

Le travail de Le Goffic a pour objectif une analyse des formes et des types de phrases françaises,

parmi lesquelles les données à l’étude. Il adopte l’approche générale des grammaires

fonctionnelles notées ci-dessus, mais pas un cadre formel spécifique. Le Goffic a recours à ce

qu’il appelle « les grandes cadres habituels de l’analyse en fonctions et catégories » (Le Goffic

1993 : 5). Nous avons pourtant choisi d’inclure ce travail dans notre revue, car il est parmi les

premiers à considérer les données à l’étude d’un point de vue analytique.

Les données représentent pour Le Goffic des phrases avec des propositions subordonnées. La

classification des prop-que dans les données en termes de subordination est significative dans le

sens où elle implique pour l’auteur une intégration de la prop-que dans l’architecture de la phrase

comparable aux éléments non propositionnels (e.g. groupes nominaux). L’illustration d’une telle

intégration ne fait pourtant pas partie de son exposé. Il classifie ensuite davantage les données

parmi les subordonnées intégratives. Il s’agit d’une classe de propositions subordonnées qui

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52

regroupe, outre nos données, les relatives sans antécédent (104) et certaines propositions

circonstancielles, comme les temporelles du type en (105) (Le Goffic 1993 : 11) :

(104) Qui veut voyager loin ménage sa monture. (Le Goffic 1993 : 45)

(105) Quand on veut, on peut. (Le Goffic 1993 : 45)

L’appartenance à cette classe dépend de la fonction du terme « connecteur » : celui-ci doit être

« le pivot organisateur des structures des phrases » qui est « en rapport avec le verbe de la

[subordonnée…] [m]ais il est aussi en rapport avec le verbe principal » (Le Goffic 1993 : 45). De

plus, elle réside dans le fait que la valeur associée au terme connecteur reste ouverte ou indéfinie.

Dans l’exemple (104), qui est relié, comme sujet, à la fois à vouloir voyager et à ménager ; de

plus, sa valeur est indéfinie, qui ne pouvant pas obtenir une interprétation référentielle. Dans

l’exemple (105), quand est relié à la fois à vouloir et à pouvoir, et sa valeur est aussi indéfinie, le

moment des événements étant non référentiel. Pour ce qui est des données (106), le connecteur

que marque « une identification de degré (indéfini) sur deux prédicats » (Le Goffic 1993 : 399) :

(106) Il ment que c’est une honte.

Que est relié aux prédicats mentir et être une honte. La valeur d’indéfinition dans ce cas

concerne les conditions d’existence des deux situations, ou l’identification des circonstances

dans lesquelles les situations sont mises en relation et qui implique une certaine mesure de degré

qui reste pourtant indéterminée. Les considérations catégorielles étant au sein de son cadre, Le

Goffic spécifie aussi que le que dans les données du type en (106) (et le connecteur dans les

propositions circonstancielles du type en (105)) est un adverbe et que ces phrases sont ainsi des

intégratives adverbiales.31

Il n’élabore pas pourtant sur l’importance de cette catégorisation du

que pour la structure syntaxique. Aussi toujours sans élaborer, il note que les propositions

subordonnées intégratives adverbiales s’analysent syntaxiquement comme des groupes

adverbiaux, GAdv.

31

Le connecteur dans les relatives sans antécédent est un pronom et ces phrases sont ainsi des intégratives

pronominales (Le Goffic 1993 : 45).

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53

L’analyse de Le Goffic (1993) présente des rapprochements intéressants entre nos données et des

constructions qui semblent bien différentes. Ces rapprochements se basent principalement sur

des analogies et leur démonstration n’est pas développée. De plus, le travail ne traite pas en

détail de la représentation syntaxique. Les données y sont pourtant mises sur le même pied que

les constructions standard du français, ce qui leur accorde pour la première fois dans la

communauté linguistique le statut d’un objet d’étude intéressant.

2.4.2 Moline (1994a)

Moline (1994a) examine les données ici à l’étude dans le cadre de sa thèse qui porte sur les

nombreuses occurrences du que en français. Elle vise à montrer que toutes les occurrences du

que ne peuvent pas être représentées par un seul morphème (que « conjonction ») qui occupe une

position unique dans la structure configurationnelle, la position de COMP, tel que proposé par

Kayne (1975). Elle avance qu’il doit s’agir de deux différents morphèmes homophones qui

occupent cette position : que « conjonction » et que « relatif ». Elle soutient son hypothèse au

moyen d’une description exhaustive des valeurs fonctionnelles que possède que. Cette

description lui permet de réanalyser sous l’angle de la relativisation de nombreux emplois du que

(e.g. comparatives) traditionnellement analysés comme la conjonction et d’avancer l’existence

du que « relatif » réalisant aussi COMP. Bien que l’étude de Moline mette en question une

hypothèse posée dans un ouvrage génératif, elle s’inscrit dans une perspective descriptive, hors

d’un cadre formel au sens strict.

Moline propose que le que dans les phrases en (107) à (109) doit être ré-analysé comme un que

« relatif », soit un subordonnant lié dans le sens où « l’objet P [proposition] en tête duquel il se

trouve est dépendant d’un autre objet P supérieur et il remplit une fonction interne dans P

enchâssé en tête duquel il se situe ». De ce fait, les données sont représentatives d’une

construction relative (Moline 1994a : 39) :

(107) Elle m’aime que c’en est effroyable. (Moline 1994a : 356)

(108) Ils sont rouges qu’on croit qu’ils vont éclater. (Moline 1994a : 356)

(109) Mais ils sont riches que c’en est dégoutant. (Moline 1994a : 355)

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54

La fonction interne à laquelle que est relié dans la deuxième proposition peut être paraphrasée

par « dans certaines conditions ». Ainsi, dans le cas de l’exemple (108), on obtient ‘on croit

qu’ils vont éclater dans les conditions x, soit lorsqu’ils sont rouges à un degré indéfini d’. La

fonction est dite circonstancielle et le que représente un inconnu, une variable libre (Moline

1994a : 42). De cette façon, l’analyse de Moline ressemble à celle de Le Goffic. Pour ce qui est

de sa dépendance avec la première proposition, la prop-que opère une restriction sur le prédicat

verbal de la matrice et « contribue à l’interprétation référentielle d’une variable de

« quantification » lexicalement associée au prédicat verbal de la première séquence » (Moline

1994a : 357). Étant donné que l’objet dans la première proposition auquel la prop-que

« relative » touche n’est pas exprimé, Moline classifie davantage ces données parmi les relatives

libres, ou sans tête. Le que dans les données remplit ainsi les exigences du que relatif selon la

définition donnée ci-dessus et les données en (107) à (109) peuvent être considérées comme des

constructions relatives. De plus, Moline avance aussi que ces phrases se caractérisent par une

subordination pragmatique qui relève d’une interdépendance pragmatique entre ces énoncés : le

premier est un énoncé suspensif, un topique qui initialise le discours et qui n’acquiert du sens

qu’avec le deuxième énoncé, soit l’énoncé conclusif. Le que, en plus d’opérer sur le prédicat,

« anaphorise » aussi l’assertion du premier énoncé (Moline 1994a : 357).

L’analyse des données par Moline en termes de la relative est unique. Pourtant, comme l’analyse

de Le Goffic, elle s’arrête au niveau de la description et son raisonnement se fonde sur des

rapprochements en termes de paraphrases.

2.4.3 Deulofeu (1988, 1999a, 1999b)

Deulofeu (1988, 1999a, 1999b), comme Moline (1994a), examine les données ici à l’étude dans

le cadre d’une description exhaustive du fonctionnement du que. Son étude adopte la démarche

formelle du cadre théorique de l’Approche Pronominale proposée par le « Groupe Aixois de

Recherches en Syntaxe », ou GARS (Blanche-Benveniste et al. 1990 ; Blanche-Benveniste

2002). Selon cette approche, que nous ne résumons ici que très superficiellement pour des

raisons d’espace, la grammaire est composée de deux sous-ensembles, la micro-syntaxe et la

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macro-syntaxe. Les relations micro-syntaxiques sont en gros celles de la prédication verbale.

C’est la micro-syntaxe qui permet de décrire les dépendances entre les groupes verbaux,

nominaux, etc., comme écrire, une lettre, ma mère dans la phrase J’écris une lettre à ma mère.

La macro-syntaxe est caractérisée par les relations entre les unités discursives et permet de

décrire certaines tournures que la micro-syntaxe (telle qu’elle est organisée dans ce cadre) ne

peut pas. Par exemple, on suppose que dans la phrase Ma mère, je lui ai écrit une lettre., le

rapport entre ma mère et le prédicat écrire ne peut pas recevoir un traitement grammatical parce

que le verbe sélectionne une phrase prépositionnelle, ce que ma mère n’est pas ; le verbe peut

sélectionner le clitique lui uniquement (Avanzi et Lacheret 2010). Ainsi, le groupe nominal ma

mère n’est pas sous la dépendance « interne » du verbe et doit être relié au verbe autrement. La

macro-syntaxe ré-analyse ma mère comme une unité de type « noyau » (principalement en

fonction de son statut de topique) et relie ainsi cette unité au reste de la phrase à un autre niveau

d’analyse, un niveau d’interdépendances où les unités ne sont pas des catégories grammaticales

(Deulofeu 1999a).

Deulofeu (1988, 1999a, 1999b) se sert de cette approche pour distinguer entre plusieurs

constructions différentes avec que, selon le type d’unité que représentent les prop-que dans ces

constructions : une composante micro-syntaxique ou une composante macro-syntaxique. Il met

en contraste les données examinées dans notre thèse, exemplifiées par (110), avec les phrases du

type en (111) (Deulofeu 1988 dans Gadet 1989 : 164-166) :

(110) Il danse qu’on peut pas mieux.

(111) Je vais voir les enfants qu’ils font beaucoup de bruit.

Dans la phrase en (110), la prop-que fonctionne comme une composante micro-syntaxique, une

prop-que « régie ». Ce raisonnement s’appuie, entre autres, sur : la possibilité d’un remplacement

de la prop-que par un syntagme qui entre dans la dépendance du verbe (e.g. Il dansait comme

ça.) ; un manque de liberté modale dans la prop-que (e.g. *Il dansait qu’on puisse pas mieux.) ;

l’exclusion de la prop-que avec les noms (e.g. *sa façon de danser qu’on peut pas mieux) ; la

possibilité d’un enchâssement (e.g. C’est parce qu’il dansait qu’on peut pas mieux qu’il a été

tué.). La prop-que dans l’exemple (111) est considérée comme un « suffixe » au « noyau » que

représente la première proposition et fonctionne ainsi comme une composante macro-syntaxique,

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une prop-que « associée ». La prop-que a une liberté modale (e.g. Je vais voir les enfants qu’ils

fassent pas trop de bruit.) et une liberté de la forme de la première proposition (e.g. Est-ce que tu

peux aller voir ? Qu’ils font beaucoup de bruit.).

Au fond, Deulofeu (1988, 1999a, 1999b) n’offre pas une nouvelle analyse syntaxique des

données, par rapport aux analyses de Le Goffic (1993) et Moline (1994a). Les trois approches

considèrent que la prop-que dans les phrases en (106) à (110) est étroitement liée à la prédication

au sein de la première proposition. Comme Le Goffic (1993) et Moline (1994a), il ne fournit pas

pourtant une représentation syntaxique de ce lien, à part de dire que le que est une conjonction, et

non pas un adverbe (Le Goffic 1993) ou un que relatif (Moline 1994a). Il se démarque aussi de

ces autres travaux par sa présentation approfondie des contrastes des données avec d’autres

constructions et par sa démarche formelle.

Les travaux que nous venons de résumer abordent l’étude des données d’une perspective qu’on

pourrait caractériser comme étant principalement descriptive. Ils offrent ainsi un recueil

important d’exemples pour notre propre étude. Du point de vue de l’analyse syntaxique, leurs

principales préoccupations sont le statut catégoriel du que et la façon dont cet élément s’insère

dans le lien de dépendance entre la prop-que et la première proposition. Tous considèrent que la

prop-que est reliée à la prédication dans la première proposition. Les détails de ce lien en termes

d’une configuration exacte ne sont pourtant pas fournis. Comme cette revue de la littérature le

montre, l’analyse détaillée des données à l’étude dans le cadre génératif, c’est-à-dire comment et

où les prop-que s’attachent dans la configuration et comment cela reflète l’interprétation des

données, reste encore à être effectuée. Nous proposons d’accomplir cet objectif avec notre

travail. Pour commencer à construire les bases de notre propre analyse des données, nous allons

adopter une supposition importante qui se fonde sur un rapprochement proposé dans les travaux

de Le Goffic (1993) et Moline (1994a), à savoir que les données appartiennent à la classe des

constructions « consécutives ». Dans la section qui suit, nous allons justifier davantage cette

supposition.

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2.5 Les données et la construction intensive de conséquence (la CIC)

Nous considérons que les données à l’étude, exemplifiées en (112) à (114), sont apparentées à ce

que nous appelons la construction intensive de conséquence, soit la CIC, exemplifiée en (115) à

(117) :

(112) Marie est belle qu’on en reste ébahi.

(113) Il ment que c’est une honte.

(114) Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

(115) Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

(116) Il travaille tellement qu’il n’a même pas le temps de voir sa famille.

(117) Ili a un tel charme que tu ne peux luii résister.

Nous justifierons ici cette supposition au moyen d’une comparaison empirique de propriétés de

base que les données et la CIC ont en commun : interprétation, forme, prosodie.32

Pour effectuer la comparaison qui nous permettra de justifier cette supposition, il nous faut bien

connaître les deux objets que nous posons sur un pied d’égalité. Nous avons examiné en détail le

premier de ces objets, soit les données à l’étude, et nous avons présenté leurs propriétés

interprétatives et structurales saillantes (§2.2 ; §2.3). Quelles sont les propriétés principales de la

32

Il est à noter que cette supposition fait également partie de plusieurs travaux sur les données similaires en

espagnol (Álvarez 1999 ; Núñez-Lagos 2006).

Supposition principale :

Les données (cf. (112) à (114)) sont représentatives de, ou apparentées à, la construction

intensive de conséquence (cf. (115) à (117)).

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construction intensive de conséquence ? Un bref examen de cette construction et une

présentation de ses propriétés principales constituent le premier objectif de la prochaine section.

2.5.1 La CIC : une définition de travail

Dans la littérature, la construction que nous appelons la construction intensive de conséquence

reçoit des appellations diverses : construction de proposition de degré (« degree clause

construction » ; Escribano 2002, Haumann 2004, Bhatt et Pancheva 2004), construction de

proposition de résultat (« result clause construction » ; Rijkhoek 1998, Meier 2001, Meier 2003),

phrase consécutive quantificationnelle (Leal, Cunha et Silvano 2008), construction de gradation

(« gradation construction » ; Burnett 2010), intensive consécutive (« intensive consecutive » ;

Ticio Quesada 1998), comparaison de haut degré (Boucher 1996) ou construction corrélative

(Allaire 1982), entre autres. Tous ces termes reflètent des propriétés qui caractérisent cette

construction, telles que la proposition de conséquence et l’effet de degré.33

Notre examen de la construction intensive de conséquence débutera par une définition de travail,

basée en particulier sur ses propriétés interprétatives. Nous avons développé cette définition,

présentée ci-dessous en (118), en nous inspirant d’un ensemble de travaux antérieurs portant sur

la construction (Heim 2000 ; Meier 2001 ; Meier 2003 ; Bhatt et Pancheva 2004 ; Lopez-Palma

2006 ; Núñez-Lagos 2006 ; Deulofeu 2007 ; Leal, Cunha et Silvano 2008 ; Molinier 2009, entre

autres). Nous avons visé à ce qu’elle exprime de manière plus ciblée les relations sémantiques à

l’œuvre, tout en tenant compte des différentes formes linguistiques qu’on désigne dans la

littérature du nom « construction intensive de conséquence » (CIC) :

33

Nous avons choisi le terme « construction intensive de conséquence » en particulier pour éviter l’emploi du terme

« résultative », car ce dernier pourrait prêter à confusion. Un grand nombre d’exemples linguistiques, souvent très

différents, sont décrits dans la littérature au moyen du terme « résultative », qui n’est donc pas assez distinctif. En

même temps, pour les syntacticiens, ce terme peut être d’usage particulier, employé notamment pour faire référence

à la construction résultative prédicative du type John hammered the metal flat. Il s’agit d’une forme linguistique

dans laquelle un état résultant fixe le point final de l’action antérieure et s’applique à une entité touchée par

l’événement antérieur. En français, les formes résultatives de ce type sont très limitées, ce qu’on explique souvent

par un nombre restreint de verbes qui permettent cette forme. On cite traditionnellement l’exemple Il lui a coupé les

cheveux court. (Legendre 1997 : 46) ou encore, du même auteur, les exemples Il a frappé son adversaire à mort.

Peux-tu couper le pain en tranches ? Pierre a peint les murs en blanc., où l’état résultant a la forme d’une phrase

prépositionnelle.

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(118) La construction intensive de conséquence est une construction qui exprime à la fois :

1. Une relation de causalité qui s’établit entre deux situations successives : la

première proposition dont la construction est composée dénote une situation qui

s’interprète comme la cause et la deuxième proposition dénote une situation qui

s’interprète comme la conséquence de la première situation ;

2. Une gamme de mesures d’un degré de propriété ou d’une quantité

d’individus/objets ou d’éventualités exprimés par la première proposition, qui est

extrême par rapport à celle qui est présupposée être normale et qui entraîne la

situation conséquente ;

3. Une mesure de comparaison non référentielle qui représente la valeur minimale

possible que peut avoir la mesure réelle (à l’intérieur de la gamme de mesures)

rattachée à une propriété, un individu/objet ou une éventualité exprimés par la

première proposition.

Notre définition de travail réunit ce que nous considérons être les principales composantes de

sens de la construction intensive de conséquence : la causalité, l’extrême et la comparaison. Les

deux premières composantes de sens se retrouvent plus ou moins dans d’autres définitions de

cette construction ; la troisième composante y figure moins souvent.

Cette dernière composante de sens est significative non seulement parce qu’elle passe souvent

inaperçue, mais aussi parce que son inclusion dans notre définition reflète la classification que

nous adoptons de la construction intensive de conséquence dans le cadre de notre analyse. Plus

spécifiquement, nous supposons que cette construction n’est pas une construction singulière,

mais qu’elle représente une des sous-classes de la construction comparative, conformément à ce

que supposent Heim (2000), Meier (2001, 2003), Bhatt et Pancheva (2004). Cette supposition a

des incidences importantes non seulement sur notre définition de travail de la construction

intensive de conséquence, mais aussi sur la dérivation que nous adopterons plus tard.

Nous allons maintenant élaborer sur les trois composantes de sens de notre définition de travail,

en offrant pour chacune des détails plus précis, illustrés au moyen d’exemples. Ceci nous

donnera l’occasion de parler des propriétés de la construction intensive de conséquence de

manière à ce qu’elles nous soient utiles pour des comparaisons empiriques avec les données à

l’étude, ainsi que pour des considérations syntaxiques éventuelles.

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2.5.1.1 Relation de causalité

La première composante de notre définition, soit la relation de cause-conséquence, est la

composante de sens à laquelle les noms attribués à cette construction réfèrent le plus souvent. On

remarque systématiquement dans la littérature que la première proposition de la CIC exprime

une situation qui s’interprète comme une cause et que la deuxième proposition exprime une

situation qui s’interprète comme la conséquence de cette cause.

Plusieurs précisions peuvent être apportées à cette composante. Par exemple, les deux situations

qui sont impliquées dans la relation de cause-conséquence peuvent être chacune davantage

caractérisées par type d’éventualité. Plus particulièrement, les situations peuvent exprimer soit

des événements, soit des états :

(119) Les cas sont tellement rares qu’ils sont très difficiles à étudier.

(120) L’appartement était si beau que nous l’avons pris.

(121) J’ai tellement mangé que j’en suis écœuré.

(122) Il court si vite qu’il dépasse le deuxième coureur.

Dans les exemples (119) et (120), les situations de cause expriment des états qui sont dénotés par

le verbe statif être ; dans les exemples (121) et (122), les mêmes types de situations expriment

des événements, dénotés par les verbes d’action manger et courir, respectivement. Pour ce qui

est de la deuxième situation, la situation de conséquence, elle exprime un état dans les structures

en (119) et (121), dénoté dans ces exemples aussi par le verbe statif être, mais un événement

dans les exemples (120) et (122), au moyen des verbes événementiels prendre et dépasser,

respectivement.

D’autres précisions sur la nature des situations qui composent la construction intensive de

conséquence peuvent être données, comme par exemple les restrictions sur leurs combinaisons

possibles, liées à la modalité, le temps et l’aspect de ces situations. Cependant, nous laissons de

côté ces précisions pour le moment, car nous n’en aurons pas besoin pour les comparaisons

empiriques.

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Finalement, la relation de causalité peut être considérée comme une composante de sens sous-

entendue. Il n’existe pas de marqueurs explicites dans la forme superficielle qui l’exprimerait.

On accepte ainsi largement que le statut de cause de la première situation et le statut de

conséquence de la deuxième situation proviennent de l’inférence discursive.

2.5.1.2 Mesure extrême indéfinie

Il est difficile de parler de la relation de causalité sans faire mention de la deuxième composante

de sens de notre définition de travail, soit la gamme de mesures extrêmes, car la situation

conséquente que la prop-que invoque se réalise à cause d’une mesure extrême. De ce fait, il ne

s’agit pas de n’importe quelle relation de causalité. Nous parlons de « gamme de mesures

extrêmes » là où d’autres parlent du haut degré, d’intensité ou de quantification.

Comme notre définition le mentionne, la gamme de mesures extrêmes peut s’appliquer ou aux

degrés ou aux quantités rattachés à une propriété, à un individu/objet ou à une éventualité, ce

qu’illustrent les exemples suivants :

(123) Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

(124) Elle chante si bien que les spectateurs applaudissent.

(125) Elle a tant de vertus que tout le monde l’admire.

(126) Il travaille tellement qu’il n’a même pas le temps de voir sa famille.

Dans les exemples (123) et (124), la gamme de mesures extrêmes est liée à un degré de propriété

qui qualifie un individu et une éventualité, respectivement, tandis que dans les exemples (125) et

(126), elle est liée à une quantité d’individus (d’objets) et d’éventualités. Plus concrètement, dans

l’exemple (123), la gamme porte sur le degré de la propriété exprimée par l’adjectif furieux

qualifiant l’individu décrit par le nom Jean ; dans l’exemple (124), elle porte sur le degré de la

propriété exprimée par l’adverbe bien qualifiant l’éventualité décrite par le verbe chanter. Dans

les exemples (125) et (126), la gamme de mesures s’applique à la quantité des objets décrits par

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le nom vertus et à la quantité des occurrences de l’éventualité décrite par le verbe travailler,

respectivement.34

Nous parlons de « gamme » puisque qu’aucune mesure exacte n’est exprimée. Il existe une

mesure réelle, dans le monde de référence, du degré ou de la quantité en question, mais on n’y

réfère pas dans ce type de construction. Par exemple, dans les phrases suivantes, l’appareil a bien

un âge particulier (cf. (126)), Pascal est d’une certaine taille (e.g. en mètres ; cf. (128)) et la ville

a un nombre défini de voitures (cf. (129)), mais cela n’est pas exprimé dans la construction :

(127) Cet appareil est tellement vieux que personne ne peut le réparer.

(128) Pascal est tellement grand qu’il dépasse ses parents.

(129) Il y a tant de voitures dans les villes qu’il devient éprouvant d’y vivre.

Dans les exemples ci-dessus, la mesure réelle est indiquée plutôt par rapport à d’autres objets

vieux, grands, etc. et par rapport à la situation que la mesure réelle entraîne. Ces indications ne

font qu’estimer la mesure réelle en la situant dans une gamme. La mesure réelle reste ainsi

indéfinie non référentielle.

La mesure extrême indéfinie est déclenchée par des éléments spécifiques que la construction

intensive de conséquence comprend. Nous appellerons ces éléments qui explicitent et

maximalisent le degré ou la quantité « les marqueurs d’intensité ».35

Ces marqueurs incluent en

français les expressions tellement, si, tant, entre autres (cf. (115) à (117), (119) à (129)).

34

La notion de quantité ne figure pas souvent dans les définitions de la construction intensive de conséquence car un

grand nombre des travaux portant sur cette construction considèrent presqu’exclusivement des exemples comme

celui en (123), où la gamme de mesures s’applique à un degré d’une propriété d’un individu/objet. Notre définition

inclut ainsi des précisions qui en augmentent la portée et qui parviennent à décrire les différentes formes

linguistiques et interprétations sémantiques attestées de la construction intensive de conséquence. Leal et al. (2008),

un des rares travaux qui lient la construction intensive de conséquence aux interprétations à effet de degré et à effet

de quantité, distingue entre ces deux interprétations de la manière suivante : lorsque la mesure s’applique à un degré,

il s’agit d’une « quantification intensive » ; lorsque la mesure s’applique à une quantité, il s’agit d’une

« quantification quantitative ». 35

Il s’avère difficile de trouver un terme générique pour les expressions qui explicitent l’extrême dans la

construction intensive de conséquence. Ce terme devrait refléter l’interprétation que ces expressions apportent ;

pourtant, elles sont associées à de nombreuses nuances interprétatives, comme les degrés et les quantités. Les termes

« intensité », « intensification », « intensificateur » se voient le plus souvent utilisés pour décrire ces expressions et

les effets dans lesquels elles sont impliquées. Parfois, leur usage est distinctif ; d’autres fois, il est non distinctif. Ces

termes connaissent un usage distinctif surtout dans les études sémantiques sur la scalarité. On s’en sert souvent pour

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Dans la littérature, les formes linguistiques comportant les expressions tellement, si, tant, etc.

sont souvent regroupées avec les formes linguistiques comprenant les expressions assez et trop,

exemplifiées ci-dessous :

(130) Jean est assez beau pour sortir avec Marie.

(131) Elle travaillait assez pour mériter une récompense.

(132) Il a trop marché pour se lever ce matin.

(133) Marie est trop honnête pour lui mentir.

Ce regroupement est principalement basé sur les propriétés communes des deux types

d’expressions : l’interprétation de gradation, ainsi que la présence d’une proposition à

interprétation de conséquence. En dépit de ces similarités, nous ne supposons pas que les formes

linguistiques avec assez…pour représentent la construction intensive de conséquence. Le

marqueur assez ne déclenche pas une interprétation de l’extrême, comme le font les marqueurs

tellement, si, tant, une interprétation que toute construction intensive de conséquence doit avoir,

selon notre définition de travail. L’interprétation déclenchée par assez est plutôt celle de

suffisance (« sufficiency » ; Meier 2003). Nous suivons ainsi Meier (2003) qui suppose aussi que

les formes linguistiques qui représentent une vraie construction intensive de conséquence (i.e.

« genuine », selon ses propres mots ; Meier 2003 : 97) sont les formes avec tellement, si,

tant…que uniquement. Avec cette supposition, nous excluons de la classe des constructions

intensives de conséquence les structures linguistiques avec assez…pour et trop…pour.36

faire référence uniquement à un phénomène qui implique une spécification du haut degré auquel un prédicat possède

une certaine propriété ou éprouve un certain état (e.g. si furieux) (Doetjes 1997 ; Gaatone 2007). Les termes s’y

utilisent ainsi uniquement en association avec des mesures de degré d’une qualité (propriété) et non pas de quantité.

Qui plus est, en sémantique formelle, leur usage peut être distinctif de façon différente. Par exemple, le terme

« intensificateur » s’y voit utilisé pour décrire des expressions spécifiques telles que très et beaucoup, qui se

distinguent par plusieurs aspects des expressions figurant dans la construction intensive de conséquence (Kennedy et

McNally 2005). Nous avons opté pour l’usage non distinctif de ces termes, dans le sens où nous nous en servons en

association avec des exemples de mesures extrêmes bien distinctes : mesures de degré extrêmes (e.g. si furieux) ou

mesures de quantité extrêmes (e.g. tant de vertus). 36

Il est aussi à noter que la proposition de conséquence dans la CIC est tensée, mais elle ne l’est pas dans les

constructions avec assez et trop. Une discussion plus détaillée sur les similarités et les différences entre les formes

linguistiques avec trop…pour et assez…pour et celles avec tellement, si, tant…que est hors de la portée de ce travail.

Voir par exemple Heim (2000), Meier (2003), Hacquard (2006).

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2.5.1.3 Mesure de comparaison

Tel que mentionné dans la section précédente, dans le cas de la construction intensive de

conséquence, la mesure réelle du degré ou de la quantité en question n’est jamais référentielle ou

définie ; elle est plutôt estimée (de ce fait, nous parlons de « gamme de mesures »). Mais cette

estimation est tout de même délimitée : d’une part, elle est précisée par le marqueur d’intensité,

dans le sens où celui-ci situe le degré réel ou la quantité réelle par rapport au degré ou à la

quantité présupposés être normaux ; d’autre part, elle est délimitée par la conséquence

qu’exprime la prop-que. C’est cette dernière délimitation qui implique la mesure de

comparaison, soit la troisième composante de sens de notre définition de travail. Autrement dit,

une comparaison de mesures restreint la gamme de mesures extrêmes et contextualise la mesure

réelle.

Une comparaison de mesures implique l’existence d’au moins deux mesures qu’on peut poser

sur un pied d’égalité. Dans la construction intensive de conséquence, une mesure de degré ou de

quantité se rapporte à une situation qu’exprime la prop-que. Considérons par exemple, la phrase

en (128), reprise ci-dessous en (134) :

(134) Pascal est tellement grand qu’il dépasse ses parents.

Cette phrase peut être paraphrasée de la manière suivante :

(135) ‘Pascal est d’une certaine taille et à cette taille, il dépasse ses parents’.

À première vue, puisqu’on compare une mesure (i.e. la taille de Pascal) et une éventualité (i.e. le

fait de dépasser ses parents), il semble que la comparaison n’est pas entre deux choses présentées

comme identiques. Cependant, il existe un moyen de considérer que la situation ou l’éventualité

introduit une mesure, c’est-à-dire, elle peut être reformulée en termes identiques. Plus

spécifiquement, pour dépasser les parents de Pascal, il faut être d’une certaine taille, d’une taille

qui est au-dessus de la taille de ses parents. Au minimum, cette taille doit se trouver juste au-

dessus de la taille de ses parents. Toute personne de cette taille minimale hypothétique ou d’une

taille supérieure à celle-ci, peut dépasser les parents de Pascal. Ainsi, Pascal doit être au moins

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aussi grand que la taille hypothétique qui lui permet de dépasser ses parents. Il s’ensuit donc

qu’il est possible de reformuler l’éventualité que la prop-que dans cette phrase exprime en termes

de mesure, en considérant qu’elle introduit une mesure minimale hypothétique.

En nous appuyant sur cette reformulation, nous supposons que, dans toute construction intensive

de conséquence, la prop-que détermine une gamme de mesures possibles, bornée par une mesure

minimale hypothétique à laquelle se rapporte la mesure réelle rattachée à une propriété, un

individu/objet ou une éventualité exprimés par la première proposition. Les deux mesures qu’on

compare dans ce type de construction sont donc la mesure réelle et la mesure hypothétique

minimale (Meier 2001, 2003).37

Dans cette optique, la prop-que fonctionne en tant qu’un

standard de comparaison, de la même façon que fonctionne la prop-que dans la construction

comparative. On peut aussi appeler la mesure minimale hypothétique « la mesure de seuil » car

c’est la mesure minimale et nécessaire pour entraîner la situation exprimée par la prop-que.

L’indétermination de la mesure réelle subsiste pourtant en présence de la mesure minimale

hypothétique, car cette dernière est non référentielle et ne représente qu’une des valeurs possibles

de la mesure réelle.

La reformulation de l’exemple (134) en termes sémantiques plus formels (basée sur Meier 2001 :

272-273) est la suivante :

(136) L’énoncé Pascal est tellement grand qu’il dépasse ses parents. est vrai si le degré

maximal38

qui satisfait la première proposition dans le contexte de l’énoncé – c’est-à-

dire le degré d, tel que Pascal est d-grand dans le monde réel – est supérieur ou égal

au degré minimal qui satisfait la proposition introduite par que – c’est-à-dire le degré

minimal d*, tel que : si Pascal est d*-grand, il peut dépasser ses parents.

Étant donné le rôle que joue la mesure de comparaison qu’introduit la prop-que dans l’estimation

de la mesure réelle, on peut s’attendre à ce que des modifications du contenu de la prop-que

conduisent à des différences dans l’interprétation de cette mesure. Les exemples suivants

confirment cette prédiction (Núñez-Lagos 2006) :

37

La prop-que n’indique pas de limite supérieure, c’est-à-dire une mesure maximale. 38

On considère le degré d « maximal » par rapport à sa classe de comparaison.

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(137) Cela l’a tellement impressionnée qu’elle est devenue toute jaune.

(138) Cela l’a tellement impressionnée qu’elle a failli mourir.

La commutation de la prop-que dans ces exemples permet de démontrer le lien étroit entre la

mesure réelle extrême et la prop-que. La situation que la prop-que exprime donne un ordre de

grandeur du niveau que peut atteindre le degré ou la quantité. Le contexte que présente la prop-

que dans l’exemple (138) suggère un niveau plus élevé du degré de la propriété qu’exprime

l’adjectif impressionnée par rapport au niveau dans l’exemple (137). Ces exemples illustrent que

la mesure de degré ou de quantité dans la construction intensive de conséquence est déterminée

par le contexte que présente la prop-que. Par conséquent, on peut dire de cette mesure qu’elle est

« contextuelle ».

Finalement, la question se pose de savoir d’où vient la notion de la comparaison. Nous venons

d’identifier la prop-que comme étant la source de la mesure de comparaison, mais pas la source

de la notion de comparaison elle-même. En gros, cette notion pourrait être contextuelle, tout

comme la notion de la causalité (cf. §2.5.1.1) ; elle pourrait être lexicale, tout comme la notion

de l’extrême (cf. §2.5.1.2) ; ou bien elle pourrait être un construit syntaxique et provenir de la

configuration. Comme on le verra plus bas, dans la littérature, on attribue généralement la notion

de la comparaison à une source lexicale, sous la forme des marqueurs d’intensité qui introduisent

aussi la notion de l’extrême (e.g. tellement, si, tant).

Nous venons d’élaborer dans les sections ci-dessus les propriétés sémantiques saillantes de la

construction intensive de conséquence qu’inclut notre définition de travail, soit la causalité,

l’extrême et la comparaison. Notre objectif était d’apporter des précisions permettant une

comparaison approfondie entre la construction intensive de conséquence et les données à l’étude

dans cette thèse. Cette comparaison nous permettra de justifier notre supposition que les données

appartiennent à la classe des constructions intensives de conséquence.

Dans la section qui suit, nous procéderons ainsi à la comparaison empirique entre les données et

la construction intensive de conséquence en nous servant de notre définition de travail et les

élaborations ci-dessus. Nous comparerons non seulement leurs propriétés interprétatives, mais

également leurs propriétés structurales et prosodiques.

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67

2.5.2 La CIC et les données : une comparaison empirique de base

Comme nous l’avons dit au début de la section §2.5, nous supposons que les exemples en (139) à

(141) représentent des réalisations de la construction intensive de conséquence et partagent ainsi

avec elle des propriétés saillantes :

(139) Marie est belle qu’on en reste ébahi.

(140) Il ment que c’est une honte.

(141) Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

Les comparaisons empiriques que nous effectuerons, à plusieurs niveaux, dans cette section

montrerons que les données peuvent être considérées comme réalisant la construction intensive

de conséquence sur la base des propriétés générales structurales, prosodiques et sémantiques

communes.

2.5.2.1 Forme de surface

Les données à l’étude et la construction intensive de conséquence partagent la même forme, soit

CP1-fini que-CP2-fini, comme l’illustrent les exemples suivants :

(142) [CP1 Il crie [CP2 qu’on s’arrache les oreilles.]]

(143) [CP1 Elle est belle [CP2 que j’en crois pas mes yeux.]]

(144) [CP1 Il neige tellement [CP2 que personne ne sort.]]

(145) [CP1 Elle est tellement fatiguée [CP2 qu’elle s’est endormie comme une masse.]]

Les données en (142) et (143), ainsi que les exemples de la construction intensive de

conséquence en (144) et (145) sont formés à partir de deux propositions tensées, dont la

deuxième est introduite par le terme que. Dans les deux cas, il s’agit donc des constructions

complexes qui sont reliées par le même terme.

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68

On considère typiquement que le que dans la construction intensive de conséquence est un

complémenteur (une « conjonction », en termes traditionnels) et non pas un élément-qu (un

« pronom »). Le terme que ne joue pas de rôle référentiel et ne lie pas un élément de catégorie

nominale dans la première proposition, comme c’est le cas de l’élément que dans la construction

relative de type objet. Il s’agit tout simplement d’un marqueur de finitude comme dans le cas de

la construction complétive. Le que dans les données en (142) et (143) partage ces mêmes

propriétés. Nous supposons ainsi qu’il lui est identique et que c’est donc aussi un complémenteur

de la catégorie C.

L’équivalence en termes de la forme de surface et de la nature du que est la première indication

que les données en (142) et (143) appartiennent à la classe des constructions intensives de

conséquence exemplifiées en (144) et (145).

2.5.2.2 Prosodie

Les données à l’étude et la construction intensive de conséquence ont une prosodie très

comparable. Les données (en (146) et (147)) et les constructions intensives de conséquence (en

(148) et (149)) sont toutes prononcées avec une intonation montante ou ouvrante à la fin de la

première proposition, suivie d’une « suspension de la voix » (selon Von Wartburg et Zumthor

1947) ou d’une « rupture intonative » séparant les deux propositions (selon Moline 1994a) et

d’une intonation descendante ou fermante à la fin de la prop-que :39

(146) Jean boit que c’en est une honte.

(147) Marie est belle qu’on en reste ébahi.

(148) Il neige tellement que personne ne sort.

39

La notion de prosodie englobe multiples phénomènes reliés à l’intonation et au rythme, comme les contours

mélodiques, le tempo, la sonorité et les pauses. Les descriptions de patrons prosodiques que nous faisons ici

n’abordent pas tous ces phénomènes. Nous nous contenterons de parler de façon générale des propriétés prosodiques

significatives.

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69

(149) Cet appareil est tellement vieux que personne ne peut le réparer.

Les similitudes qu’on observe entre l’intonation des données et l’intonation de la construction

intensive de conséquence constituent un argument convaincant en faveur de notre supposition,

surtout parce que cette intonation est distinctive. Elle est distinctive par rapport à la prosodie

d’une autre construction partageant le même patron CP1-fini que-CP2-fini, soit la construction

complétive, exemplifiée en (150) et (151) :

(150) Sophie pense qu’elle va avoir une fille.

(151) Natalie est certaine que Jean viendra ce soir.

Les constructions complétives, ici verbale (cf. (150)) et adjectivale (cf. (151)), se distinguent des

données à l’étude par les caractéristiques de la suspension de la voix et du contour mélodique à

la fin de la première proposition. Le degré de force de cette suspension et la hauteur de ce

contour sont plus prononcés dans le cas de nos données. La rupture intonative et le contour

mélodique constituent ainsi un marquage prosodique distinctif lorsqu’on compare nos données à

la construction complétive, ce qui permet de rapprocher davantage les données à la construction

intensive de conséquence.40

2.5.2.3 Interprétation

Les similarités interprétatives constituent l’argument le plus décisif en faveur de notre postulat

que les données à l’étude représentent la construction intensive de conséquence. Nous

illustrerons ces similarités au moyen d’une comparaison empirique se référant aux trois parties

constitutives de notre définition de travail de la construction intensive de conséquence présentée

en (118). Nous montrerons que cette définition s’applique aussi à l’interprétation de nos données.

Nous avons déjà discuté des détails de l’interprétation de nos données dans les sections §2.2 et

§2.3.1 ; nous en reprenons ici quelques aspects.

40

Il existe bien évidemment d’autres arguments sur la base desquels on pourrait exclure nos données de la classe des

constructions complétives, tels que la nature de l’interprétation et la sélection de la prop-que. Nous avons présenté

ces arguments au début de ce chapitre, dans la section §2.2.

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70

Considérons les données en (152) à (155) :

(152) Marie est belle qu’on en reste ébahi.

(153) Il était beau que cela faisait plaisir.

(154) Il ment que c’est une honte.

(155) Il tousse qu’il en secoue toute sa maison.

La première composante interprétative de notre définition de travail est la relation de causalité

entre les deux propositions. Cette même relation décrit le lien entre les deux propositions que les

structures en (152) à (155) contiennent. Les premières propositions y dénotent des situations de

cause et les prop-que des situations de conséquence. De même, comme c’est le cas de la

construction intensive de conséquence, les deux situations peuvent exprimer soit des

événements, soit des états. Dans les exemples (152) et (153), les situations de cause sont des

états dénotés par le verbe statif être ; dans les exemples (154) et (155), ce sont des événements

dénotés par les verbes d’activité mentir et tousser. Les situations de conséquence expriment aussi

soit des états (cf. (152) et (154)), soit des événements (cf. (153) et (155)). Il s’ensuit que la

relation de causalité et la nature stative ou événementielle des situations qui y sont impliquées

caractérisent aussi l’interprétation des données en (152) à (155).

La deuxième composante interprétative de notre définition en (118) est la mesure extrême non

référentielle qui peut s’appliquer aux degrés ou aux quantités rattachés à des propriétés, des

individus/objets ou des éventualités, et qui est mise en relation directe avec la situation de

conséquence. Ces mêmes relations sémantiques font partie de l’interprétation des données en

(152) à (155). Plus particulièrement, les phrases en (152) et (153) s’interprètent avec un effet de

degré extrême lié aux propriétés dénotées par les adjectifs belle et beau que possèdent les

individus dénotés par le nom Marie et par le pronom il, une mesure qui provoque les

conséquences dénotées par les prop-que de ces phrases. Le degré extrême dans la phrase en (155)

porte aussi sur une propriété, mais dans ce cas, la propriété est liée à une éventualité décrite par

le verbe tousser. Pour ce qui est de la phrase en (154), elle s’interprète avec un effet de mesure

extrême qui s’applique à la quantité des occurrences de l’éventualité décrite par le verbe mentir ;

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71

de plus, la prop-que invoque un fait qui se réalise en conséquence de la mesure de quantité

atteinte. La mesure extrême ainsi que la variation de son domaine de portée constituent

d’importantes similarités interprétatives entre nos données et la construction intensive de

conséquence.

Pour ce qui est de la troisième composante de sens de la construction intensive de conséquence,

soit la mesure de comparaison, considérons les paraphrases suivantes en (156) et (157) des

données en (152) et (154), respectivement :

(156) ‘Marie possède un certain degré de beauté et devant ce degré de beauté, on reste

ébahi.’

(157) ‘Il ment un certain nombre de fois et à ce nombre, on constate que c’est une honte.’

Ces paraphrases ressemblent de près à la paraphrase en (135) d’une construction intensive de

conséquence que nous avons présentée dans la section §2.5.1.3. Elles font allusion à une

comparaison entre une mesure de degré ou de quantité (i.e. degré de beauté et quantité

d’occurrences de l’action de mentir sur une période donnée) et une éventualité (i.e. le fait de

rester ébahi et le fait de constater que c’est une honte). De plus, comme on fait dans le cas de la

construction intensive de conséquence, on peut considérer ici aussi que les éventualités dans ces

données introduisent une mesure de comparaison. Plus concrètement, dans le cas de l’exemple

(152) paraphrasé en (156), pour ressentir l’ébahissement, il faut que Marie ait un certain degré de

beauté. On ne le ressentira pas si elle a un degré de beauté qui se situe juste au-dessous de ce

degré ; mais tout degré de beauté qui dépasse ce degré entraînera aussi la même conséquence

d’ébahissement. Dans le cas de l’exemple (154) paraphrasé en (157), pour porter un jugement

négatif sur le nombre de fois que quelqu’un ment, il faut que cette personne mente un certain

nombre de fois. On ne portera pas un tel jugement si cette personne ment moins fréquemment ;

mais si elle ment plus souvent que ce nombre de fois, ceci provoquera un jugement négatif. Il

s’ensuit que les prop-que dans ces exemples introduisent une mesure minimale nécessaire, ou

une mesure de seuil, que le degré réel et la quantité réelle peuvent avoir. La contextualisation

d’une mesure réelle d’un degré ou d’une quantité au moyen d’une introduction d’une mesure

minimale hypothétique est une fonction que jouent aussi les prop-que dans les constructions

intensives de conséquence.

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72

Notre comparaison empirique des deux types de constructions aux niveaux structural, prosodique

et sémantique présente d’importantes justifications en faveur de notre hypothèse principale, à

savoir que ces deux expressions linguistiques réalisent le même type de construction, soit la

construction intensive de conséquence. Elles partagent : 1) le même patron de surface, CP1-fini

que-CP2-fini ; 2) la même prosodie, caractérisée par une rupture intonative et un contour

mélodique marqués ; et 3) la même interprétation, avec les propriétés saillantes de causalité,

d’extrême et de comparaison. L’équivalence interprétative constitue l’argument le plus décisif en

faveur de notre hypothèse.

Une dernière comparaison empirique s’impose. Bien que les données à l’étude et la construction

intensive de conséquence se ressemblent dans les aspects les plus cruciaux, elles se distinguent

d’une certaine manière de la construction intensive de conséquence prototypique. En quoi

consiste donc cette différence et a-t-elle des conséquences sur notre supposition d’identité

catégorielle ?

2.5.2.4 Différences

La différence la plus marquante concerne l’élément lexical qui apporte l’interprétation à effet

d’extrême (et de comparaison) : cet élément est absent des données étudiées mais présent dans la

construction intensive de conséquence. Comme nous l’avons dit dans la section §2.5.1.3,

l’élément qui fait une telle contribution sémantique dans la construction intensive de

conséquence est le marqueur d’intensité tellement, si, etc. Vu que les deux constructions

s’interprètent de la même manière et qu’elles ont d’autres propriétés en commun, cette différence

ne réfute pas notre supposition. Comment pourrait-on alors comprendre cette différence ? De

manière générale, les données pourraient être indicatives d’une variabilité dans la construction

intensive de conséquence et représenter par exemple un type elliptique de cette dernière.41

Nous

reviendrons à cette question plus tard dans notre travail (cf. §3.3).

41

Nous utilisons ici le terme « ellipse » de manière générique et non pas formelle pour parler de l’existence du non-

dit dans les constructions.

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73

Mais on constate souvent dans la littérature que la construction intensive de conséquence ne peut

pas exister sans le marqueur d’intensité (cf. (158) vs. (159), (160) vs. (161)). On décrit ce dernier

comme le légitimateur lexical de la prop-que (Guéron et May 1984 ; Baltin 1987 ; Muller 1996a,

entre autres) :

(158) So many books have been published recently that I haven’t been able to read them

all.

(Guéron et May 1984 : 1)

(159) *Many books have been published recently that I haven’t been able to read them all.

(Guéron et May 1984 : 2)

(160) Sylvie a fait connaissance d’un chien si bien éduqué qu’il obéit à tous les ordres

qu’on lui donne.

(161) *Sylvie a fait connaissance d’un chien bien éduqué qu’il obéit à tous les ordres qu’on

lui donne.

Si nos données représentent la construction intensive de conséquence, il s’ensuit que cette

dernière peut exister en l’absence du marqueur d’intensité (et les données constituent ainsi des

contre-exemples) :

(162) Il pleut tellement que les vaches ont les pattes palmées. [explicite]

(163) Il pleut que les vaches ont les pattes palmées. [implicite]

Étant donné ce contraste, on devrait dire plutôt que le marqueur d’intensité ne peut pas être

implicite dans les phrases en (159) et (161), mais il peut l’être dans la phrase en (163).

Notre première intuition est qu’il doit exister des différences entre les phrases en (159) et (161)

et la phrase en (163), différences qu’on peut relier au type d’intensification, e.g. explicite versus

implicite. Autrement dit, on s’attend à trouver des environnements particuliers avec lesquels

l’intensification implicite est compatible. La question qui se pose est de savoir quelles sont les

différences qui démarquent les environnements dans lesquels apparaissent l’intensification

explicite et l’intensification implicite. La nature de ces différences est un des buts de notre

description comparative des comportements des données et de la CIC (cf. Chapitre 4). En gros,

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74

on peut dire que l’existence du contraste entre les phrases en (159) et (161) et la phrase en (163)

est indicative d’une variabilité dans la construction intensive de conséquence liée au marqueur

d’intensité, variabilité qui est liée à des environnements particuliers. Nous posons qu’il existe un

marqueur d’intensité nul dans les données et que ce marqueur est lié à des environnements

particuliers. Comme on verra dans le Chapitre 4, il est lié à des restrictions sur les réalisations

possibles des données.

2.6 Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de porter un premier regard sur les données à l’étude afin

d’entamer une réflexion sur les enjeux qu’elles posent et de commencer à réfléchir sur sa

structure syntaxique. Notre démarche a été descriptive et ne souscrivait à aucun cadre formel.

Nous avons commencé par contextualiser les données dans l’ensemble des constructions

complexes de la forme p1 que p2. Un survol des constructions complétive et relative en

particulier nous a permis de clarifier la dépendance entre les deux propositions p1 et p2. Nous

avons conclu que la relation entre la prop-que et la première proposition se caractérise par une

interdépendance importante qui ressemble plus à celle qui sous-tend les complétives. Nous avons

aussi introduit d’autres données du français qui, comme nos données, posent des défis en termes

de la relation de dépendance qui les sous-tend (e.g. Il me le demanderait à genoux que je ne

cèderais pas.).

Nous avons ensuite effectué une décomposition des données au niveau de leur sémantisme et de

leur syntaxe. La première décomposition nous a permis de diviser les données à l’étude selon la

nature et la portée de la modification qu’effectue la prop-que. Cette modification apporte avant

tout une intensification d’un prédicat au sein de la première proposition. Ce prédicat peut être

soit événementiel (e.g. Elle chante que c’en est une honte.), soit attributif (e.g. Elle est bête que

c’est à pas y croire !). Nous avons démontré que la prop-que peut entretenir avec la proposition à

laquelle elle est associée des relations sémantiques qui se caractérisent par une variété des

nuances interprétatives. Par exemple, l’association de la prop-que peut entraîner la qualification

d’une propriété d’un événement (e.g. Il tousse qu’il en secoue toute la maison.) ou la

quantification d’un événement (e.g. Il pleut que les vaches ont les pattes palmées.). On a aussi vu

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75

que la prop-que favorisée dans ces données est une prop-que orientée vers le locuteur (e.g. Luc

ment que c’en est une honte.) ou une prop-que idiomatique (e.g. Elle mange des carottes que les

oreilles de lapin lui poussent.) L’acceptabilité des données semble aussi être influencée par des

propriétés de la structure de l’événement, l’activité favorisant l’interprétation à effet

d’intensification (e.g. Il danse qu’il n’en peut plus. Jean mange que c’en est dégoûtant.).

Notre exposé de premiers comportements des données a été suivi par une revue de la littérature

(Le Goffic 1993 ; Moline 1994a ; Deulofeu 1988, 1999ab). La principale contribution de ces

travaux consiste de leur description et contextualisation des données dans l’ensemble des

constructions avec que. Suite aux rapprochements catégoriels que ces travaux proposent, nous

avons avancé que nos données sont représentatives de la construction intensive de conséquence.

Nous avons soutenu cette supposition avec des comparaisons de propriétés fondamentales des

données et de la CIC (e.g. structure de base, interprétation, prosodie). Nous considérons ainsi que

les données ne sont qu’un sous-type de la CIC dans lequel l’intensification est implicite. Nous les

appelons donc les réalisations de la CIC-implicite. Avec l’adoption de ce rapprochement, nous

sommes maintenant plus en mesure de procéder avec l’analyse dérivationnelle de la CIC-

implicite.

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76

Chapitre 3

La construction intensive de conséquence

3

3.1 Introduction

Un des principaux objectifs de cette thèse est de proposer une dérivation syntaxique pour les

données à l’étude, ce qui n’a jamais été fait dans la littérature. Dans le Chapitre 2, nous avons

avancé que les données représentent la construction intensive de conséquence, c’est-à-dire ce

sont des types implicites de la CIC (i.e. la CIC-implicite). Cette supposition reflète le point de

vue de base exprimé dans plusieurs travaux antérieurs sur les données, où on postule

typiquement une correspondance entre celles-ci et la construction intensive de conséquence

(Moline 1994a ; Muller 1996a), malgré plusieurs différences entre les deux. Nous avons justifié

cette supposition au moyen d’une comparaison de propriétés de base que les données et la CIC

ont en commun (e.g. interprétation, forme, prosodie ; cf. §2.5). Sur la base de cette supposition,

nous formulons ici l’hypothèse dérivationnelle suivante :

Nous avançons donc ici une hypothèse nulle. Il s’agit d’adopter le principe du rasoir d’Occam

selon lequel « une pluralité ne doit pas être posée sans nécessité ». Proposer une hypothèse nulle

nous semble judicieux non seulement pour des raisons empiriques mais aussi pour des raisons

théoriques. Le recours à une dérivation déjà proposée respecte le principe de minimalisme auquel

adhère notre cadre théorique.

Nous présenterons ainsi dans ce chapitre les principales analyses dérivationnelles proposées dans

la littérature pour la CIC (Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Culicover et Rochemont

1990 ; Rochemont et Culicover 1997 ; White 2004ab, 2005 ; Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Ces

Hypothèse dérivationnelle :

La CIC-implicite est reliée du point de vue dérivationnel à la construction intensive de

conséquence, la CIC-explicite.

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77

analyses se chargent de représenter dans la configuration les principales relations interprétatives

qui caractérisent la CIC et de rendre compte de ses propriétés saillantes ; elles se démarquent par

les mécanismes dérivationnels sur lesquels elles reposent : le mouvement (Guéron et May

1984) ; l’adjonction (Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et

Culicover 1997 ; White 2004ab, 2005) ; et l’association tardive (Bhatt et Pancheva 2004, 2007).

Ce survol critique nous amènera à adopter la dérivation proposée par Bhatt et Pancheva (2004,

2007). Leur mécanisme dérivationnel s’inscrit dans notre cadre théorique et parvient à décrire les

faits empiriques saillants qu’exhibe la construction intensive de conséquence. Nous l’adapterons

pour le français. Nous examinerons ensuite dans quelle mesure cette dérivation est capable de

rendre compte de la CIC-implicite. En particulier, nous examinerons si cette dérivation nous

permet de traiter des propriétés uniques qu’exhibent les réalisations de la CIC-implicite,

propriétés qui n’empêchent pas de postuler un lien dérivationnel avec la CIC-explicite mais qui

peuvent néanmoins présenter des défis à l’approche adoptée.

3.2 Dérivation de la construction intensive de conséquence explicite

Malgré l’intérêt que la construction intensive de conséquence soulève dans la littérature, il

n’existe pas d’analyses dérivationnelles, dans le cadre génératif ci-adopté, qui traitent de cette

construction dans son intégralité et qui rendent compte de la diversité de ses réalisations. Les

études sur la CIC en français sont pratiquement inexistantes (à l’exception de Rouveret 1977,

1978). De même, il n’existe pas un consensus clair sur sa dérivation. La CIC s’insère dans un

groupe de phénomènes empiriques avec des dérivations non triviales et controversées pour toute

approche générative et ce, en raison des multiples relations interprétatives que la CIC implique et

des comportements qu’elle exhibe. Rappelons que la construction intensive de conséquence

s’interprète, selon notre définition de travail (cf. §2.5.1), avec les composantes sémantiques

suivantes : la causalité, la mesure extrême et la mesure de comparaison. Les composantes

syntaxiques de la CIC qui sont impliquées dans ces interprétations incluent : les marqueurs

d’intensité (tellement, si, tant, etc.) qui explicitent la mesure extrême indéfinie ; les noms, les

adjectifs, les adverbes ou les verbes qui expriment les individus/objets, les propriétés et les

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78

événements sur lesquels la mesure extrême porte (i.e. les syntagmes intensifiés) ; et les prop-que

qui expriment les situations de conséquence et qui délimitent la mesure réelle extrême en

introduisant une mesure de comparaison. Ces trois composantes constituent deux paires de

constituants sémantiques : 1) le marqueur d’intensité et le syntagme intensifié (i.e. le nom,

l’adjectif, l’adverbe ou le verbe) ; et 2) le marqueur d’intensité et la prop-que. Il s’ensuit que le

marqueur d’intensité est impliqué dans deux relations de constituants, chacune avec ses propres

exigences.

En plus de ces relations interprétatives, la CIC atteste de plusieurs propriétés empiriques, ou

effets, obligatoires, comme les effets de linéarisation relatifs à la prop-que. C’est la structuration

des constituants et le traitement en même temps de ces propriétés qui soulèvent la controverse

dont témoignent les travaux antérieurs et qui rendent l’analyse dérivationnelle de la construction

intensive de conséquence non triviale. En particulier, il est difficile de saisir la relation de

constituants (« constituency ») entre le marqueur d’intensité et la prop-que, qui ressemble

structuralement à une relation entre une tête et son complément, et d’expliquer en même temps

ce qui détermine que les deux n’apparaissent que très rarement comme sœurs (i.e. le

comportement de non-adjacence).

Nous présenterons d’abord ici les composantes des principales analyses dérivationnelles

proposées dans la littérature pour la CIC : Bresnan (1973) ; Rouveret (1977, 1978) ; Guéron et

May (1984) ; Culicover et Rochemont (1990) ; Rochemont et Culicover (1997) ; Meier (2001,

2003) ; White (2004ab, 2005) ; Bhatt et Pancheva (2004, 2007). Ces travaux présentent des

mécanismes dérivationnels distincts mais se ressemblent pourtant à bien des égards, au niveau de

leurs suppositions théoriques de base notamment. Nous présenterons ces suppositions et

décrirons les étapes de leurs dérivations syntaxiques. Nous évaluerons ensuite leur adéquation

empirique ainsi que leur mécanisme structural. Nous soulignerons les similarités qui les

rapprochent, ainsi que les différences qui les démarquent. Au cours de notre exposé, nous

adapterons aussi ces analyses pour le français et pour un plus grand éventail d’exemples. Nous

apporterons une attention particulière à l’analyse dérivationnelle de Bhatt et Pancheva (2004,

2007), car c’est cette analyse que nous adopterons pour notre étude des données (i.e. de la CIC

implicite). Nous démontrerons que l’analyse que Bhatt et Pancheva proposent pour la dérivation

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79

de la construction intensive de conséquence est plus adéquate que les autres analyses en

concurrence.

3.2.1 Les marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés

Nous parlerons d’abord de la façon dont la première relation de constituants, soit la relation entre

le marqueur d’intensité (e.g. si, tellement) et le syntagme intensifié (i.e. le nom, l’adjectif,

l’adverbe ou le verbe) est traitée dans la littérature et des comportements qu’on présente comme

arguments en faveur des différents traitements.42

Aussi, nous présenterons les suppositions

sémantiques et syntaxiques principales que nous adoptons concernant chacun de ces constituants.

Dans le Chapitre 2 (cf. définition de travail §2.5.1), nous avons déjà décrit en détail la relation

sémantique entre le marqueur d’intensité et le syntagme intensifié. Nous y revenons ici

brièvement. En termes descriptifs plus généraux, le marqueur d’intensité dans la CIC semble

fonctionner en tant qu’un modificateur du prédicat auquel il est associé. Son rôle ressemble à

celui d’un modificateur restrictif, fournissant de l’information sémantique, en plus de celle déjà

fournie par le prédicat, qui aide avec la dénotation. Par exemple, le marqueur si dans la CIC ci-

dessous permet de spécifier la fureur que Jean ressent ; on pourrait aussi dire qu’il évalue

l’intensité de cette fureur :

(1) Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

42

Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre introduction, peu de travaux examinent la construction intensive

de conséquence directement (Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Rijkhoek 1998 ; Ticio Quesada 1998 ;

Meier 2001, 2003). Plutôt, l’objet principal des études qui la considèrent est la construction comparative (Bresnan

1973 ; Heim 2000 ; Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Mais dans ces travaux, comme dans beaucoup d’autres, on

suppose que la construction intensive de conséquence et la construction comparative partagent des propriétés

importantes et qu’elles appartiennent à la même famille de constructions, soit les « constructions de degré » –

constructions complexes qui comprennent une proposition matrice avec un mot de degré (e.g. –er/more/

less/as/too/enough/so) et une proposition « de degré » (e.g. proposition introduite par than…/as…/to…/that…)

(Grosu et Horvath 2006) :

i. John is taller than Bill (is).

ii. John has more houses than Bill (has).

iii. John is too tall to play with your kids.

iv. John has enough friends to get through any difficulties.

v. John is so crazy that he eats ants.

On suppose en plus que les dérivations de ces constructions se ressemblent et on spécifie souvent que l’analyse

dérivationnelle de la construction comparative s’étend à la construction intensive de conséquence.

Page 90: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

80

Le marqueur d’intensité si délimite une gamme de degrés extrêmes sur l’échelle de degrés de

« fureur » et divise ainsi l’échelle en deux parties. Les degrés dans cette gamme sont extrêmes

lorsque comparés aux degrés de fureur présupposés être normaux. Comme on le verra dans la

prochaine section (§3.2.2), la gamme est davantage délimitée par la proposition qu’il pouvait à

peine parler qui introduit le degré de seuil de la fureur de Jean.

Tel qu’illustré en (2), le marqueur d’intensité si est un élément qui n’est pas requis, au sens où le

sont les arguments :

(2) Jean était furieux.

Notons qu’on avance pourtant que furieux dans cette phrase comprend l’idée que quelque chose

a besoin d’être mesuré, même en l’absence du marqueur si et que son interprétation comprend

une évaluation en suspens. Les conditions de vérité de cette phrase dépendent de la fureur réelle

de Jean dans un monde donné ; elles dépendent aussi des suppositions concernant le niveau de

fureur qu’il faut pour être considéré furieux dans un monde donné. Autrement dit,

l’interprétation de furieux dépend (et provient) du contexte et la phrase est vraie si Jean est très

furieux, un peu furieux, extrêmement furieux. Ce qui contribue à cette interprétation est la nature

scalaire, ou gradable, de cet adjectif : il s’agit d’un prédicat qui exprime une propriété qui permet

la gradation.

La gradation est une propriété importante pour l’évaluation qu’effectuent les marqueurs

d’intensité dans la CIC. Les marqueurs si, tellement opèrent sur les échelles de degrés et ne

peuvent pas modifier un prédicat qui n’est pas associé à une telle échelle. Par exemple, les

adjectifs qui apparaissent dans la construction intensive de conséquence doivent dénoter des

relations entre les degrés et les propriétés des individus ; autrement dit, ils doivent exprimer une

série ordonnée de propriétés concernant un individu ou une entité. Par exemple, l’adjectif furieux

dénote des degrés divers de fureur qui vont de minimum au maximum ; on peut donc avoir si

furieux. Par contre, l’adjectif mort n’est pas lié à une échelle de degrés ; on ne trouve donc pas

*si mort – lorsque mort est employé dans son sens canonique. Selon une supposition standard

(Heim 2000 ; Meier 2001, 2003), ces adjectifs sont des prédicats qui possèdent deux arguments

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81

ou variables sémantiques : un argument de degré et un argument individuel. Dans cette optique,

la gradabilité est donc une propriété lexicale inhérente de certains prédicats. Dans la

représentation sémantique formelle, l’organisation de ces arguments (i.e. la structure

argumentale) peut varier. Par exemple, selon Heim (2000), le type sémantique des prédicats

gradables est d, e, t (fonctions des degrés (d) aux fonctions des individus (e) aux valeurs de

vérité (t)) ; selon Kennedy (1999), leur type sémantique est e, d, t (fonctions des individus (e)

aux fonctions des degrés (d) aux valeurs de vérité (t)). Nous adoptons ici le type sémantique des

prédicats gradables proposé par Heim (2000), où l’argument de degré est le premier argument.

Cette supposition répond aux exigences des opérations sémantiques qui combinent les adjectifs

gradables avec d’autres prédicats (e.g. NPs) (Heim et Kratzer 1998).43

Nous adoptons aussi la

proposition de Heim (2000) concernant le type sémantique des marqueurs d’intensité dans la

CIC, à savoir qu’il s’agit des opérateurs de degré du type d, d, t, t, c’est-à-dire qui dénotent

les relations entre les degrés en reliant le degré minimal ou maximal, selon le marqueur, que peut

avoir le prédicat, avec le degré de seuil, spécifié manifestement ou non spécifié (tellement relie

les propriétés de degrés avec les degrés de seuil). Nous reviendrons sur l’importance de cette

supposition plus bas, dans notre discussion de la relation entre les marqueurs et la prop-que (cf.

§3.2.2).

Dans la CIC, le marqueur d’intensité (si, tellement) renvoie explicitement à l’argument de degré

d’un prédicat gradable et précise sa référence. On suppose ainsi que ces marqueurs sont des

déterminants de degrés (Bresnan 1973 ; Rouveret 1978 ; Heim 2000 ; Meier 2001, 2003 ; Bhatt

et Pancheva 2004).44

Ainsi, bien que les marqueurs d’intensité fonctionnent intuitivement en tant

que modificateurs, on propose pourtant traditionnellement qu’ils se rapprochent en fait de plus

près des opérateurs qui lient une restriction dans le prédicat lexical. Il s’ensuit qu’ils doivent

avoir une relation syntaxique plus étroite avec les prédicats qu’ils intensifient.

Du point de vue structural, le marqueur d’intensité et le syntagme intensifié dans la CIC sont des

constituants. Ils se trouvent adjacents et ne peuvent pas être séparés même par la prop-que qui

participe dans l’évaluation de degré :

43

Pour une argumentation plus développée, voir par exemple Matushansky (2002 : 245-246). 44

En fait, le statut catégoriel des marqueurs d’intensité dans Bresnan (1973) est Det.

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(3) a. Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

b. *Jean était si [qu’il pouvait à peine parler] furieux.

(4) a. Max a tant de travail qu’il est débordé.

b. *Max a tant [qu’il est débordé] de travail.

(5) a. Luc a parlé si clairement que tout le monde a compris.

b. *Luc a parlé si [que tout le monde a compris] clairement.

(6) Il souffre tellement qu’il ne peut plus se lever.45

Pour représenter cette adjacence et la relation étroite des marqueurs d’intensité par rapport aux

syntagmes qu’ils intensifient, on propose dans les approches classiques (Chomsky 1965 ;

Bresnan 1973 ; Jackendoff 1977) que ces marqueurs sont des DegP ou QP (dorénavant DegP)46

,

générés à la base dans la position de spécificateur du syntagme qu’ils intensifient (e.g.

projections adjectivales et nominales) :47

(7) a. AP b. NP V V DegP A’ DegP N’ ! ! ! !

si A° tant N° ! !

furieux de travail

Cette approche, qui est adoptée dans la grande majorité des travaux sur la CIC (Rouveret 1977,

1978 ; Guéron et May 1984 ; Meier 2001, 2003 ; Bhatt et Pancheva 2004), est aussi connue sous

le nom de l’approche « spécificateur » (« specifier approach ») ou l’approche de « tête lexicale »

(« lexical head hypothesis »).

45

Dans le cas des CIC où le syntagme intensifié est un prédicat verbal, le marqueur est adjacent à ce syntagme et à

la prop-que. 46

Le statut catégoriel Deg des marqueurs d’intensité tels que si, tellement, tant a été presque unanimement adopté

dans la littérature à partir de la parution de Abney (1987). Avant cette étude, le statut catégoriel adopté pour ces

marqueurs était Q. Voir Corver (1997), Doetjes (1997) et Doetjes et al. (1998) qui répartissent ces types d’éléments

en QP et DegP, selon le syntagme qu’ils peuvent intensifier (Corver 1997) ou selon leur nature fonctionnelle ou

modificatrice (Doetjes 1997 ; Doetjes et al. 1998). 47

Il est à noter que les études au sujet de la CIC privilégient les réalisations dans lesquelles l’intensification porte

sur les propriétés des individus/objets et sur la quantité des individus/objets, c’est-à-dire où les marqueurs d’intensité

sont liés aux syntagmes AP et NP : e.g. John is so crazy that he eats ants. John has so many friends that he can’t

remember their names.. En fait, les analyses des données dans lesquelles l’intensification porte sur les événements

(i.e. syntagmes VP : e.g. It snowed so much that we couldn’t go outside.) et les propriétés des événements (i.e.

syntagmes AdvP : e.g. She ate so fast that she felt sick.) figurent rarement dans la littérature sur l’ensemble des

constructions de degré (e.g. CIC, comparative, superlative, etc.).

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83

De plus, on propose traditionnellement (Chomsky 1970 ; Higgins 1970 ; Selkirk 1970 ; Bresnan

1973, 1975 ; Liberman 1974 ; Carlson 1977) que le marqueur est la tête de la prop-que. Dans ces

travaux classiques, cette relation est réalisée en structure locale stricte, au moyen de la génération

de la tête Deg° et de son complément, la prop-que, comme sœurs :

(8) DegP V Deg° CP ! 4

si prop-que

L’évidence empirique en faveur d’une telle structure syntaxique prend la forme des corrélations

morphologiques attestées entre les différents marqueurs d’intensité et les valeurs de finitude du

complémenteur qui introduit les propositions de degré :

(9) a. Elle était si triste qu’elle a commencé à pleurer.

b. *Elle était si triste pour commencer à pleurer.

(10) a. Elle était trop triste pour parler.

b. *Elle était trop triste qu’elle parle.

Dans les approches classiques, ce type de restriction sélectionnelle est satisfait à génération.

Nous reviendrons à ces restrictions dans la section §3.2.2, lors de notre discussion de la relation

de constituants entre le marqueur d’intensité et la prop-que.

Pour résumer, la structure classique de base de la relation entre le marqueur d’intensité et le

syntagme intensifié est donc la suivante :

(11) AP V DegP A’ V !

Deg° CP A° ! 4 !

si prop-que furieux

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Bien évidemment, cette structure ne peut pas être la structure de surface, étant donné la

linéarisation indésirable des éléments qu’elle contient : elle ne rend pas compte des effets de

linéarisation (d’adjacence) entre les marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés (cf. (3) à

(6)). Nous laissons cet aspect de côté pour le moment, mais voir la section §3.2.2.

L’approche « spécificateur » est une des deux principales approches à la structure de la relation

entre les marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés proposées dans la littérature. La

deuxième approche est celle de « tête fonctionnelle » (« functional head hypothesis »), aussi

connue comme « l’Hypothèse de degré » (« Degree Phrase Hypothesis »), proposée au départ

dans Abney (1987) et développée par la suite dans Corver (1990, 1997). Elle est adoptée pour les

marqueurs d’intensité dans la CIC par Ticio Quesada (1998) et Rijkhoek (1998). Selon cette

approche, le marqueur d’intensité du type si, tellement est une tête fonctionnelle Degº qui prend

pour son complément le prédicat gradable (e.g. A) et qui projette la projection DegP, une

projection adjectivale étendue :

(12) DegP V Deg° AP ! !

si A° !

furieux

Dans le cadre de cette approche, la prop-que est le spécificateur (dans une structure de

branchement à droite) du DegP :

(13) DegP V Deg’ CP V 4

Deg° AP prop-que ! !

si A° !

furieux

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85

Cette approche permet de rendre compte de manière élégante des effets de linéarisation entre les

marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés dans les constructions de degré (e.g.

comparatives, CIC), ainsi qu’entre les syntagmes et la prop-que. Pourtant, elle ne s’étend pas

facilement aux autres catégories des syntagmes intensifiés (e.g. nominale, verbale) et ne rend pas

compte des réalisations plus complexes de ces constructions (discutées ci-dessous). De même, la

corrélation morphologique entre les marqueurs d’intensité et les complémenteurs qui introduisent

les propositions de degré (e.g. si…que, plus…que, assez…pour) est exprimée dans la structure en

(13) de façon indirecte. Finalement, elle ne peut pas expliquer les interprétations ambigües de

certaines réalisations des constructions de degré, interprétations qui surviennent de manière assez

régulière avec ces constructions.48

L’ambiguïté en question est attestée en contexte d’enchâssement49

:

(14) Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

(Rouveret 1977 : 197)

(15) Jean croit que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

(Rouveret 1978 : 162)

L’exemple (14) a les deux interprétations suivantes : 1) Marie dit que, parce qu’elle a des amis

influents à un degré x, elle va obtenir le poste ; et 2) Parce que Marie dit qu’elle a des amis

influents à un degré x, elle va obtenir le poste (Rouveret 1977 : 198). L’exemple (15) s’interprète

comme suit : 1) Jean croit que, parce que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment

jamais ; et 2) Parce que Jean croit que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment jamais. On

48

L’approche fonctionnelle a été davantage développée par White (1997) et Escribano (2002) pour rendre compte

des réalisations plus complexes des constructions de degré. Ils proposent que la projection fonctionnelle DegP ait

une structure larsonienne :

i. DegP1 V Deg1° DegP2 V AP Deg2' V Deg2° CP

L’évidence en faveur d’une telle structure (des positions syntaxiques qu’elle comprend) est pourtant assez lacunaire.

Nous la laissons de côté ici. 49

Rouveret (1978) remarque que ce type d’ambiguïté, bien que régulièrement attesté, n’apparaît qu’avec certains

verbes.

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86

peut dire que dans le cas des premières interprétations, les prop-que s’interprètent comme étant

sous la portée des verbes matrices (dire, croire) tandis que dans le cas des deuxièmes

interprétations, elles sont hors de leur portée (Rouveret 1978 : 160).

Dans plusieurs analyses (Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Meier 2001, 2003 ; Bhatt

et Pancheva 2004, 2007), cette ambiguïté est reformulée plutôt au moyen de la notion de portée

du marqueur d’intensité :

Interprétation 1 : le domaine de la portée du marqueur d’intensité est la CIC.

Interprétation 2 : le domaine de la portée du marqueur d’intensité est toute la phrase (la

proposition enchâssante et la CIC).

Autrement dit, les marqueurs d’intensité sont considérés comme éléments de portée (« scope-

bearing »). La première interprétation reflète une interprétation de portée étroite ; la seconde

reflète une interprétation de portée large.

Les éléments de portée peuvent être des éléments sémantiquement quantificationnels : des

quantificateurs logiques au niveau sémantique. Le statut quantificationnel est accordé aux

marqueurs d’intensité dans la CIC (Rouveret 1978 ; Guéron et May 1984 ; Heim 2000 ; Meier

2001, 2003 ; Bhatt et Pancheva 2004, 2007), parce que ces éléments y sont impliqués dans une

évaluation existentielle des degrés : ils quantifient les degrés, ou les mesures. Par exemple, dans

Marie est tellement belle qu’on en reste bouche bée., un degré spécifique minimal (de la

propriété « beauté »), ou un ensemble de degrés, doit être sélectionné de la série ordonnée de

degrés (qui diffèrent l’un de l’autre en termes de gradation ou de force) que l’adjectif belle

exprime et doit s’appliquer à Marie.

On considère qu’en tant qu’éléments quantificationnels de portée, les marqueurs sont opérateurs

dans une position A-barre dans la représentation sémantique :

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(16) (SI x) (Marie est x honnête) (qu’elle ne ment jamais)

(Liberman 1974 dans Rouveret 1978 : 176)50

Comme on l’a dit plus haut, dans la description sémantique traditionnelle du lien entre le

marqueur et l’élément intensifié, on rapproche le marqueur à un opérateur qui lie une restriction

dans le prédicat lexical qu’il intensifie. Puisque les marqueurs, en tant qu’opérateurs,

s’interprètent dans les positions A-barre mais n’y sont pas générés, ils doivent y monter dans la

représentation sémantique. De leur position A-barre, ces marqueurs lient la trace de leur

mouvement qui se trouve dans la position adjacente au syntagme intensifié (i.e. en position

Spec).51

La variable que ces opérateurs lient est la variable de degré (i.e. variable de type d)

(Heim 2000 ; Meier 2003). La montée des marqueurs est nécessaire à cause de leur type

sémantique, soit d, d, t, t (Heim 2000), leur mouvement étant donc provoqué par le type

sémantique de l’objet syntaxique, c’est-à-dire il s’agit d’un mouvement qui est « type-driven ».

La variable qu’ils laissent derrière (i.e. d) s’interprète comme étant de type approprié pour les

opérations combinatoires dans la composante sémantique avec le prédicat gradable. On propose

que les marqueurs dans la CIC se combinent avec les prédicats gradables en tant qu’arguments

(Heim 2000, Meier 2001, 2003 ; Bhatt et Pancheva 2004). Ils (ou leur variable) lient l’argument

de degré des éléments gradables pour que ces derniers puissent devenir des prédicats à

l’interprétation. L’approche « spécificateur » pour la structuration de la relation entre les

marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés dans la CIC (i.e. une localité syntaxique)

permet de représenter cette idée de légitimation.

Nous avons introduit notre discussion sur les propriétés sémantiques des marqueurs d’intensité

adoptées dans certains travaux en parlant du comportement d’ambiguïté avec lequel la CIC est

attestée : c’est la portée du marqueur quantificationnel qui y est employée pour expliquer

l’ambiguïté. Plus spécifiquement, le domaine de portée du marqueur est différent pour chaque

interprétation. Dans les représentations sémantiques des deux interprétations de l’exemple (15),

Jean croit que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais., les positionnements A-barre du

marqueur seraient en gros comme suit :

50

Lorsqu’on assigne une représentation logique à la structure de surface d’une CIC dans le cadre quantificationnel,

on extrait l’élément quantificationnel (le marqueur d’intensité) de la phrase et on le place dans une position qui

précède directement cette phrase (une position A-barre). De cette manière, le domaine de portée du marqueur

d’intensité est la CIC (Rouveret 1978 : 176). 51

Les opérateurs doivent lier une variable ; i.e. ils ne peuvent pas fonctionner à vide (être « vacuous »).

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(17) Jean croit (SI x) (que Marie est x honnête) (qu’elle ne lui ment jamais)

(18) (SI x) (Jean croit que Marie est x honnête) (qu’elle ne lui ment jamais)

Le domaine de portée du marqueur d’intensité dans la représentation sémantique en (17) est la

CIC ; l’interprétation est donc de portée étroite. Puisqu’en (18), le domaine de portée du

marqueur d’intensité est toute la phrase, on reçoit l’interprétation de portée large, similairement à

la structure superficielle « Tellement Jean croit que Marie est honnête qu’elle ne lui ment

jamais. ».

Nous évoquons ici les suppositions sémantiques concernant la relation entre les marqueurs

d’intensité et les syntagmes intensifiés dans la CIC pour plusieurs raisons : 1) elles sous-tendent

crucialement un grand nombre de mécanismes dérivationnels proposés dans la littérature, y

compris le mécanisme que nous adoptons dans le cadre de cette thèse, Bhatt et Pancheva (2004,

2007) ; et 2) elles soulignent la division qui existe dans la littérature par rapport aux

constructions de degré, à savoir la division entre les approches quantificationnelles et les

approches non quantificationnelles.

Dans les approches non quantificationnelles (Corver 1997 ; Kennedy 1999), exemplifiées par

l’approche de « tête fonctionnelle » (cf. les structures (12) et (13) ci-dessus), le DegP n’est pas

vu comme une expression quantificationnelle.52

Plus haut, nous avons dit que la structure en (13)

ne peut pas rendre compte du phénomène d’ambiguïté. C’est la nature non quantificationnelle du

DegP dans cette approche qui en est la raison : les éléments quantificationnels se déplacent pour

52

Grosu and Horvath (2006) font mention d’une troisième approche structurale envisageable qui représente une

approche non quantificationnelle, bien qu’elle ressemble de près à l’approche quantificationnelle. Selon cette

approche alternative, le marqueur d’intensité serait un adjoint, un vrai modificateur (et donc une expression non

quantificationnelle), adjoint à AP :

i. AP V DegP AP ! !

si furieux

Cette option non quantificationnelle figure aussi dans Doetjes et al. (1998) et Matushansky (2002). Nous n’allons

pas présenter ici en détail les avantages et les inconvénients de chacune de ces approches car elles ne sont pas

pertinentes pour cette analyse descriptive.

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89

recevoir leur interprétation ; ils sont donc mobiles. Par la suite, on s’attend à trouver différentes

relations de portée entre eux et les autres éléments dans la phrase. (Le mouvement est nécessaire

pour obtenir différentes interactions de portée.) La propriété quantificationnelle des marqueurs

d’intensité est ainsi ce qui permet de rendre compte de l’ambiguïté attestée avec la CIC. Avec un

DegP non quantificationnel et en l’absence de la notion de portée, une théorie non

quantificationnelle n’a pas le même pouvoir descriptif vis-à-vis le phénomène d’ambiguïté.

Dans cette thèse, nous adoptons le cadre quantificationnel pour la dérivation de la construction

intensive de conséquence. Pour résumer, ce cadre est caractérisé par le statut syntaxique du

marqueur d’intensité (e.g. si, tellement, etc.) en tant que la tête lexicale de la projection DegP,

générée à la base dans la position de spécificateur du syntagme intensifié (e.g. AP, NP, etc.) :

[AP [DegP Degº] Aº]. Le complément de cette tête est la prop-que : [DegP Degº CP]. La principale

hypothèse sémantique de ce cadre est le statut sémantique du marqueur d’intensité en tant qu’un

quantificateur existentiel, un opérateur qui lie une variable qui se trouve dans sa portée dans la

représentation sémantique. Cette variable est sa trace qui se combine avec le prédicat intensifié

gradable en tant que son argument. La supposition syntaxique cruciale qui va de pair avec cette

supposition sémantique est l’existence du mouvement « type-driven » qui est nécessaire pour le

déplacement du marqueur à FL à une position A-barre d’où il peut lier la variable. Comme on le

verra dans la prochaine section, la quantification est un ingrédient fondamental dans la dérivation

de la CIC que nous adoptons (i.e. Bhatt et Pancheva 2004), en particulier dans la dérivation de la

prop-que qu’elle contient et dans la relation de constituants que cette dernière entretient avec le

marqueur d’intensité.

3.2.2 Les marqueurs d’intensité et les prop-que

La dérivation de la prop-que est au cœur de toute analyse dérivationnelle de la CIC. Or, la

position syntaxique de la prop-que est hautement controversée. Sa dérivation revient à la relation

sémantique et morphosyntaxique que la prop-que entretient avec le marqueur d’intensité. Plus

spécifiquement, on s’intéresse à expliquer la position finale de la prop-que, un comportement

qu’on appelle souvent dans la littérature « un effet d’extraposition obligatoire » ou un

comportement de non-linéarité, puisqu’on suppose traditionnellement, comme on a vu dans la

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90

section précédente, que la tête de cette prop-que est le marqueur d’intensité, un élément auquel la

prop-que n’est pas adjacente. Avant d’élaborer sur la relation syntaxique, revenons d’abord

brièvement sur la nature sémantique de la relation entre le marqueur et la prop-que.

À première vue, on pourrait appeler la relation entre le marqueur et la prop-que un type de

relation de modification, avec la prop-que comme modificateur et le marqueur d’intensité

comme tête modifiée. Reprenons l’exemple Marie est tellement belle qu’on en reste bouche bée.

On peut le paraphraser comme suit : ‘Marie possède un certain degré extrême de beauté et devant

ce degré de beauté, on reste bouche bée’. Comme on l’a vu dans la section §2.5.1.3, la notion de

degré extrême est explicitée dans la structure au moyen du marqueur d’intensité tellement, si ; le

degré réel en soi n’est pas référentiel ou défini. Ce qu’on peut dire de ce degré est qu’il se situe à

l’intérieur d’un sous-ensemble de degrés, ce dernier étant délimité par un degré minimal (i.e.

degré de seuil). Plus spécifiquement, pour rester bouche bée, il faut être exposé à un certain

degré minimal de beauté. On ne restera pas bouche bée devant un degré de beauté qui est

inférieur à ce degré ; mais, on restera bouche bée devant tout degré de beauté qui est égal ou

supérieur à ce degré. Marie peut donc posséder ou le degré de beauté de seuil ou un degré de

beauté supérieur à ce degré minimal. La prop-que délimite ainsi le sous-ensemble de degrés

extrêmes en introduisant un degré minimal et permet ainsi d’évaluer plus précisément le degré

réel dans la série ordonnée de degrés de la propriété « beauté » qui s’applique à Marie. Elle est

donc impliquée dans l’évaluation de la mesure de beauté, dans la dénotation du degré d.

Comme la prop-que aide le marqueur à délimiter le sous-ensemble de degrés que ce dernier

identifie, on peut dire que la relation sémantique entre le marqueur et la prop-que ressemble à

une modification restrictive.53

Considérons le contraste avec Marie est tellement belle., où la

prop-que est absente. On peut avancer que cette phrase a l’interprétation ‘Marie est extrêmement

belle’ ; autrement dit, le degré réel de beauté de Marie se situe près du pôle extrême de l’échelle

de beauté et il est extrême par rapport à celui qui est présupposé être normal (par rapport au

standard de comparaison, qui peut varier selon le monde du discours). Mais un sous-ensemble de

degrés sur l’échelle de beauté n’est pas délimité. Dans ce sens, le marqueur tellement

s’interpréterait similairement au modificateur très.

53

Cette dénotation ressemble au rôle de la prop-que dans les relatives restrictives, mais dans ces dernières, la prop-

que dénote la référence d’un individu e.

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91

Pourtant, nous suivons la majorité de la littérature en avançant que cette phrase s’interprète avec

un sentiment d’attente, c’est-à-dire on s’attend à une évaluation plus spécifique de la mesure de

beauté. Le degré de beauté de Marie s’interprète donc selon nous non seulement comme étant

extrême par rapport à celui qui est présupposé être normal, mais aussi comme étant relié à une

évaluation « suspendue ». Burnett (2010) examine ce type de constructions en français québécois

et avance qu’elles comprennent soit une valeur de seuil de degré qui est récupérable du contexte,

soit une valeur de seuil qui est lexicalement spécifiée comme étant implicite.54

Rappelons qu’en termes sémantiques formels, dans la majorité des ouvrages sur ce type de

marqueurs (e.g. les CIC et les comparatives ; Heim 2000 ; Meier 2001, 2003 ; Kennedy 1999 ;

Kennedy et McNally 2005, entre autres), on considère que les marqueurs dénotent les relations

entre les degrés en reliant le degré minimal ou maximal (en fonction du marqueur) que peut avoir

le prédicat, avec le degré de seuil. On avance aussi que la délimitation effectuée par la prop-que

par l’introduction du degré de seuil est vue comme une restriction. Dans les approches

quantificationnelles, où le marqueur est un opérateur de degré à FL, la prop-que fonctionne

comme un restricteur sur le domaine de cet opérateur ; plus spécifiquement, on parle d’une

restriction d’une variable dans le type sémantique de l’opérateur de degré. On présuppose donc

que le type sémantique des marqueurs d’intensité dans la CIC comprend une variable à laquelle

la prop-que attribue une valeur, soit une variable d : d, d, t, t (Heim 2000) ; d, e, t, d, e,

t (Kennedy et McNally 2005). La prop-que est de type d dans la CIC, comme dans les

comparatives, puisqu’elle introduit une valeur de degré (de seuil) (Heim 2000). On suppose

traditionnellement que l’attribution de cette valeur a lieu en premier, c’est-à-dire que le marqueur

d’intensité se combine d’abord avec la prop-que (Bresnan 1973 ; Cresswell 1976 ; von Stechow

1984 ; Heim 2000 ; Bhatt et Pancheva 2004 ; Burnett 2010).55

La prop-que constitue donc un

54

Plus spécifiquement, Burnett (2010) examine les constructions avec les marqueurs assez, trop, tellement, où les

propositions avec lesquelles ces marqueurs se trouvent typiquement associés (i.e. assez-pour…, trop-pour…,

tellement-que…) sont absentes :

i. J’ai lu un livre ASSEZ difficile!

Elle avance que ces constructions représentent un nouveau type de constructions exclamatives. 55

Selon Kennedy et McNally (2005), rien n’empêche pourtant en principe l’association en premier du marqueur

d’intensité avec le prédicat, suivie par son association avec la prop-que.

Page 102: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

92

argument sémantique (i.e. d) de l’opérateur de degrés.56

L’ensemble constitué de l’opérateur de

degré (le marqueur d’intensité) et de la prop-que de degré qui le restreint est considéré comme un

quantificateur généralisé de degrés, une fonction d’une propriété gradable à une valeur de vérité

(« generalized quantifier », ou GQ ; ibid). Rappelons que dans la section §3.2.1, nous avons dit

que c’est le marqueur d’intensité qui est considéré comme un quantificateur existentiel de degrés

(dans les approches quantificationnelles sur la dérivation de la CIC). Lorsqu’il quantifie les

degrés, on affirme qu’il existe au moins un degré, ou un sous-ensemble de degrés, dans le

domaine de degrés (i.e. parmi les membres de l’ensemble de degrés) d’une propriété donnée. Il

s’agissait là d’une première approximation, pour faciliter la présentation. En fait, la prop-que fait

aussi partie de la quantification existentielle de degrés. Le marqueur d’intensité ne quantifie pas

les degrés tout seul ; il quantifie les degrés avec la prop-que. De ce fait, le marqueur et la prop-

que forment un constituant sémantique. Nous reparlerons davantage de cette relation sémantique

formelle ci-dessous, lorsque nous discutons des principales considérations pour la structure

syntaxique à FL.

Étant donné la relation sémantique étroite entre le marqueur d’intensité et la prop-que dans la

CIC, on s’attend à ce que cette relation soit déterminée dérivationnellement : à génération à la

base préférablement, à l’interface FL au plus tard. Dans la littérature, on considère que le

marqueur d’intensité est la tête de la prop-que de degré/conséquence. Dans les ouvrages

fondateurs (Chomsky 1970 ; Higgins 1970 ; Selkirk 1970 ; Bresnan 1973, 1975 ; Liberman

1974 ; Jackendoff 1977), la prop-que est générée à la base en tant que le complément CP de la

tête Deg°, soit la structure en (8) répétée ci-dessus :

(19) DegP V Deg° CP ! 4

si prop-que

Le marqueur et la prop-que se trouvent en structure locale stricte ; ils sont sœurs. La nature

syntaxique de la relation entre le marqueur d’intensité et la prop-que est déduite principalement

56

En l’absence de la prop-que, e.g. Marie est tellement belle., on considère que la variable d de l’opérateur

s’interprète comme une variable libre qui est déterminée par le contexte et la construction dénote alors une

proposition ouverte (Burnett 2010).

Page 103: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

93

des corrélations morphologiques entre les différents marqueurs de degré et les complémenteurs

qui introduisent les propositions enchâssées dans les constructions de degré. Nous reprenons ici

les exemples de ces corrélations données ci-dessus en (9) et (10) :

(20) a. Elle était si triste qu’elle a commencé à pleurer.

b. *Elle était si triste pour commencer à pleurer.

(21) a. Elle était trop triste pour parler.

b. *Elle était trop triste qu’elle parle.

Les marqueurs si, tellement, tant, etc. prennent comme leurs compléments seulement les

propositions introduites par le complémenteur fini que ; le marqueur trop doit prendre comme

son complément la proposition introduite par le complémenteur infini pour. Autrement dit, il

existe des restrictions sélectionnelles entre les marqueurs d’intensité et la finitude des

complémenteurs des propositions de degré. Si on suppose que les restrictions sélectionnelles

soient décrites le plus justement au moyen de la relation de tête-complément, alors ces

corrélations militent en faveur du statut de tête du marqueur d’intensité et du statut de

complément de la prop-que dans la CIC. Cette supposition est adoptée dans la grande majorité

des travaux sur la CIC.

La question peut se poser de savoir si ce n’est plutôt le prédicat intensifié qui est la tête de la

prop-que. Après tout, la prop-que est impliquée dans la spécification des degrés auxquels le

prédicat est associé. La coexistence de deux compléments finis dans la même phrase indique

pourtant que cela est peu probable :

(22) Sa mère fut tellement fâchée qu’il lui avait désobéit qu’elle le gifla.

Puisque le prédicat intensifié (l’adjectif fâchée) prend déjà un complément CP (i.e. qu’il lui avait

désobéit) et ne peut pas en prendre deux, en dehors d’une structure coordonnée, la deuxième

proposition finie (i.e. qu’elle le gifla) doit être liée au marqueur d’intensité. De plus, on trouve

des exemples qui s’interprètent de façon ambigüe en ce qui concerne la fonction de la prop-que

finie :

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94

(23) Sa mère fut tellement fâchée qu’elle l’avait giflé.

Cette phrase peut être paraphrasée de deux manières : ‘Sa mère fut fâchée de l’avoir giflé.’57

; et

‘Sa mère fut fâchée à un degré auquel cette fureur l’a amenée à le gifler’. Dans l’approche que

nous adoptons ici et qui avance un certain niveau d’isomorphisme entre la syntaxe et la

sémantique, une ambiguïté de ce type doit forcément être démarquée structuralement. Dans le

cas de la première interprétation, la proposition qu’elle l’avait giflé est donc le complément de

l’adjectif fâchée (un adjectif qui peut prendre un complément, fini ou non fini). Dans le cas de la

deuxième interprétation, la proposition qu’elle l’avait giflé est le complément du marqueur

tellement. Il est à noter que cette deuxième interprétation est préférable à la première, mais les

deux sont acceptables. Le statut de complément de la prop-que au marqueur d’intensité peut

donc être soutenu avec plusieurs arguments.

À considérer aussi est la signification de la position de complément et la fonction des éléments

qui s’y associent. Un item qui s’associe à une tête en tant que complément est un participant dans

une relation spéciale avec cette tête. Il est généré pour satisfaire à une de ses propriétés lexicales,

pour épeler quelque chose dans la tête et ‘compléter’ son sens : typiquement un argument

thématique de la tête lexicale, une composante de son cadre sémantique. En gros, un complément

est sélectionné par la tête. Peut-on dire que ce type de relation décrit la nature de la dépendance

qui existe entre le marqueur d’intensité et la prop-que dans la CIC ? La prop-que épelle-t-elle

quelque chose dans la tête Deg° ? On a vu que la prop-que est un restricteur sur le domaine du

marqueur et qu’elle délimite l’intensification que le marqueur effectue, en introduisant une

valeur de seuil. On a aussi vu qu’on suppose que cette délimitation est exigée par le marqueur et

que ce dernier s’interprète avec une délimitation contextuelle en l’absence de la prop-que.58

Autrement dit, la délimitation est inévitable pour la conceptualisation correcte du sens. On

pourrait donc dire que l’idée de mesure de seuil complète le sens du marqueur. De plus, la

délimitation ou la restriction n’est pas exigée par tout marqueur de degré, comme par exemple

très. Le besoin de délimitation est indiqué dans le cadre sémantique des marqueurs dans la CIC

au moyen d’une variable sémantique, un premier argument sémantique du marqueur que la prop-

57

Tellement n’y prend donc pas de complément ou de restricteur, et la valeur de seuil du degré doit être récupérée du

contexte. 58

On ne suppose pas typiquement que la tête Deg° projette une position de complément dans les exemples où le

marqueur d’intensité apparaît sans prop-que, e.g. Marie est tellement belle.

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95

que lie (Bresnan 1973 ; Cresswell 1976 ; von Stechow 1984 ; Heim 2000 ; Bhatt et Pancheva

2004, 2007 ; Burnett 2010). Étant donné que les marqueurs dans les constructions de degré

imposent des restrictions sélectionnelles sur les propositions de degré et que ces dernières

complètent le concept qu’apportent les marqueurs, on peut en conclure que la prop-que dans la

CIC est un bon candidat pour la position de complément de la tête Deg°. La structure en (19)

reflète ainsi convenablement la relation sémantique étroite entre le marqueur et la prop-que. Elle

permet aussi aux restrictions sélectionnelles d’être satisfaites en syntaxe, dans une structure

locale stricte.

Bien qu’il s’agisse d’une supposition motivée, la relation structurale tête-complément présente

un défi à la dérivation de la construction intensive de conséquence. Malgré leur lien sémantique

et syntaxique étroit, le marqueur d’intensité et la prop-que, dans la CIC, apparaissent non

adjacents :

(24) a. Jean était si furieux [qu’il pouvait à peine parler].

b. Max a tant de travail [qu’il est débordé].

c. Luc a parlé si clairement [que tout le monde a compris].

Les syntagmes intensifiés furieux, travail, clairement intervient entre les marqueurs si, tant et les

prop-que qu’il pouvait à peine parler, qu’il est débordé, que tout le monde a compris. En fait, les

dérivations où les prop-que apparaissent adjacentes aux marqueurs d’intensité (i.e. où elles se

trouvent dans leur position de base, cf. (19)), sont inacceptables :

(25) a. *Jean était si [qu’il pouvait à peine parler] furieux.

b. *Max a tant [qu’il est débordé] de travail.

c. *Luc a parlé si [que tout le monde a compris] clairement.

Il s’agit donc d’une relation sans adjacence. On pourrait aussi appeler cette non-adjacence dans

la CIC une discontinuité, le marqueur d’intensité et la prop-que formant donc un constituant

discontinu.

De plus, le syntagme intensifié n’est pas le seul élément qui sépare le marqueur d’intensité de la

prop-que ; d’autres éléments peuvent intervenir :

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96

(26) Jean était si furieux la semaine dernière à la fête d’anniversaire de Paul [qu’il pouvait

à peine parler].

Le marqueur si et la prop-que qu’il pouvait à peine parler sont séparés par les syntagmes

adverbiaux la semaine dernière et à la fête d’anniversaire de Paul. La question qui se pose est de

savoir ce qui conduit à cette discontinuité du point de vue dérivationnel.

Pour rendre compte de la discontinuité dans la relation entre le marqueur et la prop-que avec la

structure classique en (19), le mouvement à droite de la prop-que est le mécanisme

traditionnellement adopté dans le cadre génératif (Bresnan 1973 ; Guéron et May 1984 ; Heim

2000 ; Meier 2001, 2003). Mais comme la nature de ce mouvement se prête à controverse, on

propose aussi des analyses de la CIC qui contournent quelques problèmes posés par l’opération

de mouvement à droite en adoptant l’adjonction de la prop-que en position finale et en

reconceptualisant sa relation de complément à la tête Deg° (Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et

Rochemont 1990 ; White 2004a, White 2004b, White 2005). En plus de ces deux approches, on

propose aussi une analyse par association tardive de la prop-que (Bhatt et Pancheva 2004, 2007).

Nous allons discuter de ces analyses dans la section §3.2.4. Ce n’est pas notre objectif d’offrir

une image complète des approches dérivationnelles de la construction intensive de conséquence

proposées dans la littérature. Nous souhaitons introduire les concepts nécessaires à la description

détaillée des données à l’étude dans cette thèse. Les relations du marqueur d’intensité avec le

syntagme intensifié et avec la prop-que posent des défis à ces analyses, tout comme les

propriétés empiriques de la CIC. Nous en avons introduit les plus importantes. Comme ces

propriétés constituent les motivations principales des analyses proposées, nous les résumons dans

la prochaine section, avant notre survol des traitements dérivationnels de la CIC.

3.2.3 Propriétés empiriques de la CIC-explicite

La construction intensive de conséquence exhibe de nombreux comportements non triviaux.

Plusieurs de ces comportements sont à la base des analyses dérivationnelles de la CIC proposées

dans la littérature.

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97

Premièrement, il existe une corrélation morphologique entre les marqueurs d’intensité dans la

construction intensive de conséquence et le complémenteur qui introduit les propositions de

degré avec lesquelles ces marqueurs se combinent : les marqueurs si, tellement, tant ne sont liés

qu’au complémenteur fini que :

(27) a. Elle était si triste qu’elle a commencé à pleurer.

b. *Elle était si triste pour commencer à pleurer.

c. *Elle était si triste de commencer à pleurer.

Les marqueurs d’intensité dans la CIC appartiennent à un groupe de marqueurs qui apparaissent

dans les constructions de degré (e.g. comparatives) et qui sont en corrélation avec les valeurs

particulières de finitude du complémenteur :

(28) a. Elle était trop triste pour parler.

b. *Elle était trop triste qu’elle parle.

Malgré cette relation de sélection et l’interprétation de restriction qui caractérise la relation entre

les marqueurs dans la CIC et la proposition de degré, ces deux ne sont jamais adjacents (cf. (29a-

c)), sauf lorsque le marqueur modifie un verbe (cf. (29d)) :

(29) a. Jean était si furieux [qu’il pouvait à peine parler].

b. Max a tant de travail [qu’il est débordé].

c. Luc a parlé si clairement [que tout le monde a compris].

d. Il souffre tellement [qu’il ne peut plus se lever].

Cette non-adjacence est donc le deuxième comportement de la CIC et elle est obligatoire :

(30) a. *Jean était si [qu’il pouvait à peine parler] furieux.

b. *Max a tant [qu’il est débordé] de travail.

c. *Luc a parlé si [que tout le monde a compris] clairement.

Les réalisations où les prop-que apparaissent adjacentes aux marqueurs d’intensité sont

inacceptables. On pourrait aussi dire que c’est le marqueur d’intensité et le syntagme intensifié

dans la CIC qui doivent se trouver adjacents et ne peuvent pas être séparés par la prop-que qui

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98

participe dans l’évaluation de la haute mesure. La non-adjacence du marqueur et de la prop-que

peut être importante ; plusieurs éléments, comme les syntagmes adverbiaux, peuvent intervenir

entre les deux :

(31) Jean était si furieux la semaine dernière à la fête d’anniversaire de Paul qu’il pouvait

à peine parler.

Le troisième comportement que nous avons soulevé plus haut est l’ambiguïté interprétative

lorsque la CIC est enchâssée. Les phrases ci-dessous obtiennent deux interprétations : dans une

de ces interprétations (cf. (a)), les prop-que s’interprètent comme étant sous la portée des verbes

matrices (dire, croire) ; dans l’autre (cf. (b)), elles s’interprètent comme étant hors de leur

portée :

(32) Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

a. ‘Marie dit que, parce qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le

poste.’

b. Parce que Marie dit qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le

poste.

(33) Jean croit que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

a. ‘Jean croit que, parce que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment jamais.’

b. ‘Parce que Jean croit que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment jamais.’

Autrement dit, les prop-que dans ces exemples s’interprètent soit avec une portée étroite (cf.

(32a), (33a)), soit avec une portée large (cf. (32b), (33b)).

Un autre comportement qui caractérise la construction intensive de conséquence est l’obviation à

la Condition C de liage (anaphorique). Selon la Condition C, les pronoms ne peuvent pas c-

commander leurs antécédents. L’exemple suivant où la construction intensive de conséquence se

trouve enchâssée en tant que complément événementiel semble enfreindre cette condition :

(34) Je luii ai dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai

rendu Mariei inquiète.

(Guéron et May 1984 : 21)

Page 109: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

99

Comme le pronom lui précède son antécédent Marie, on s’attend à ce que cet exemple soit

inacceptable (la relation de précédence linéaire pouvant signaler une c-commande structurale).

L’acceptabilité de cet exemple indique pourtant qu’il n’enfreint pas la Condition C et qu’il a

ainsi une structure correctement gouvernée. Une telle structure inclut une position pour le

pronom qui ne c-command pas son antécédent. La pertinence dérivationnelle de ce

comportement de la CIC revient donc à l’information structurale hiérarchique que les exemples

du type en (34) fournissent. Il s’agit ainsi d’un comportement parmi les plus importants pour

toute analyse dérivationnelle de la CIC.

Pour résumer, la construction intensive de conséquence est caractérisée par plusieurs

comportements de base. Ces comportements sont de nature morphosyntaxique (corrélation

morphologique, non-adjacence obligatoire du marqueur d’intensité et de la prop-que) et de

nature sémantique (ambiguïté interprétative, obviation à la Condition C de liage). Dans le

Chapitre 4, nous allons comparer de près ces comportements aux comportements des données à

l’étude dans cette thèse, soit les réalisations implicites de la CIC. Pour le moment, nous nous en

servirons pour illustrer l’adéquation empirique des analyses proposées dans la littérature pour

dériver la CIC.

3.2.4 Survol des traitements dérivationnels de la CIC-explicite

Le principal objectif de toute analyse dérivationnelle de la construction intensive de conséquence

est de rendre compte du comportement de non-adjacence entre le marqueur d’intensité et la prop-

que (cf. (29)). Comment peut-on expliquer que la prop-que ne se trouve pas adjacente à

l’élément auquel elle est liée interprétativement et morphologiquement, à sa tête supposée, le

marqueur d’intensité ? Comme on l’a dit au début de la section §3.2.2, dans la littérature, on

regroupe ce type de non-adjacence parmi les effets qu’on appelle les effets d’extraposition.

Ainsi, on considère que la CIC est une construction d’extraposition. Par exemple, les

constructions relatives sont attestées avec cet effet :

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100

(35) A book appeared which was written by Chomsky. (Baltin 2006 : 237)

(36) Un livre est paru qui a été écrit par Chomsky.59

Dans ces exemples, les propositions relatives which was written by Chomsky, qui a été écrit par

Chomsky ne sont pas adjacentes à leur têtes, soit les phrases nominales a book, un livre. On

considère qu’elles se trouvent en position extraposée par rapport à leur position originale, soit la

position d’adjacence à la tête nominale :

(37) A book which was written by Chomsky appeared.

(38) Un livre qui a été écrit par Chomsky est paru.

Les exemples extraposés (cf. (35) et (36)) et non extraposés (cf. (37) et (38)) des relatives ci-

dessus illustrent une autre propriété qui préoccupe les recherches sur la CIC, à savoir la nature

non obligatoire de l’extraposition dans la majorité des constructions d’extraposition (comme les

relatives), contrairement à la nature obligatoire de l’effet d’extraposition dans la CIC (et dans les

constructions de degré en général). Les exemples de la CIC sans extraposition de la prop-que

sont clairement agrammaticaux (cf. (30)). Le comportement d’extraposition obligatoire de la

prop-que présente à lui seul un défi pour la dérivation de la CIC, sans parler des autres

comportements de cette construction. Un cadre théorique donné n’offre qu’un nombre limité de

mécanismes opérationnels possibles pour dériver les constructions avec des effets

d’extraposition. Notre survol des dérivations proposées pour la CIC sera donc divisé en fonction

de tels mécanismes dans le cadre génératif.

La première possibilité est le mouvement syntaxique de la prop-que (§3.2.4.1). On parle d’une

opération de mouvement à droite, où la prop-que se déplace, de sa position de base, pour

s’adjoindre à sa position d’épel à droite (Bresnan 1973 ; Guéron et May 1984 ; Meier 2001,

2003). Cette possibilité caractérise les premières analyses dérivationnelles des constructions

d’extraposition (Akmajian 1975 ; Baltin 1975 ; Guéron 1980 ; Reinhart 1980). La nature de ce

mouvement est une des préoccupations principales des analyses qui adoptent l’approche par

mouvement.

59

En général, l’extraposition dans les constructions relatives est plus attestée en anglais qu’en français.

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101

La deuxième possibilité est l’adjonction de la prop-que directement dans sa position d’épel

(Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ; White 2004a, White 2004b, White 2005 ;

§3.2.4.2). Les positions d’adjonction varient selon l’analyse, mais parmi les considérations les

plus importantes de ce type d’analyse est la représentation en syntaxe du lien entre le marqueur

d’intensité et la prop-que (c’est-à-dire comment éviter une adjonction sémantiquement

« vacuous »), étant donné la non-localité du marqueur et de la prop-que dans une approche par

adjonction.

La troisième possibilité proposée dans la littérature est l’association tardive de la prop-que dans

sa position d’épel (Bhatt et Pancheva 2004, 2007 ; §3.2.4.3). La nature obligatoire de

l’extraposition et la compositionnalité sémantique sont au centre de cette analyse.

Ces trois possibilités sont représentatives de trois principales approches à la dérivation de la CIC.

Il existe quelques autres approches, comme le mouvement latéral (« sideward movement ») du

marqueur d’intensité (Ticio Quesada 1998) et la coordination de la proposition principale avec la

prop-que de conséquence (Rijkhoek 1998). Nous ne discuterons pas de ces approches ici,

principalement pour des raisons d’espace et parce que nous ne croyons pas qu’elles offrent des

options dérivationnelles intéressantes pour notre travail.

À notre connaissance, il n’existe pas encore d’analyse capable d’expliquer la majorité des

comportements syntaxiques de la CIC. En fait, les adéquations empiriques des analyses actuelles

de la CIC sont très comparables.60

De plus, les preuves directes de la position exacte de la prop-

que extraposée sont difficiles à trouver. Finalement, toute analyse proposée inclut des

manipulations dérivationnelles controversées du point de vue théorique.

3.2.4.1 Mouvement à droite

L’extraposition de la prop-que par mouvement à droite suppose que la prop-que est générée à la

base dans une position autre que sa position d’épel, traditionnellement en complément du

60

Faute de place, nous ne pourrons pas pourtant dresser un état des lieux exhaustif de l’ensemble des

comportements de la CIC que chaque analyse explique.

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102

marqueur d’intensité (cf. (19) ci-dessus), une position qui réalise la relation de dépendance

interprétative entre le marqueur et la prop-que. Cette possibilité suppose aussi que la grammaire

comprend une opération de mouvement à droite. Les premières analyses dans le cadre de la

grammaire générative (la Grammaire Transformationnelle, dorénavant GT) des constructions de

degré (Bresnan 1973), comme les comparatives et les constructions intensives de conséquence,

proposaient que le mouvement A-barre déplace la proposition de degré (e.g. la prop-que de

conséquence) à droite en position adjointe au CP de la phrase entière. Considérons cette

possibilité dérivationnelle pour la phrase Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler :

(39) Génération à la base :

[CP1 Jean était [AP [DegP si [CP2 qu’il pouvait à peine parler]] furieux]]

(40) Mouvement A-barre :

[CP1 Jean était [AP [DegP si ti] furieux]] [CP2 qu’il pouvait à peine parler]i61

La prop-que de conséquence qu’il pouvait à peine parler est générée à la base dans la position de

complément de la tête Deg°, cette dernière étant réalisée par le marqueur d’intensité si (cf. (39)).

Ensuite, la prop-que se déplace pour s’adjoindre à droite, à la projection CP (cf. (40)). La prop-

que est donc reliée à une position vide à l’intérieur de son « antécédent », soit le DegP. Dans

cette dérivation, la restriction sélectionnelle entre le marqueur si et le complémenteur que est

satisfaite à la base.

Guéron et May (1984) proposent ce type d’analyse pour la dérivation de la CIC, dans le cadre de

la Théorie du Gouvernement et du Liage (dorénavant GL ; Chomsky 1981). Ils adoptent la

supposition classique selon laquelle le marqueur est la tête de la prop-que, cette dernière en étant

le complément. Mais dans leur analyse, la prop-que est générée à la base comme adjoint à droite

au syntagme intensifié et la relation tête-complément est plutôt réalisée à FL. Considérons la

phrase Tant de livres ont été récemment publiés qu’on ne parvenait pas à les lire tous., adapté de

Guéron et May (1984 : 3, ex. (8b)) pour le français :

61

Cette représentation ne contient pas toutes les traces du mouvement.

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103

(41) Structure-D :

[NP [NP [DegP tant] de livres] [CP qu’on ne parvenait pas à les lire tous]] ont été

récemment publiés

CP1 V C1 TP V NPi T’ V V NP CP2 T VP V 4 4

DegP NP prop-que …ti… ! 4

tant de livres

Au moment de sa génération à la base, la prop-que n’est pas le complément structural du

marqueur d’intensité ; c’est plutôt un adjoint à NP, au syntagme intensifié.62

La prop-que se

déplace ensuite, au moyen des applications successives de Déplacer-, et s’adjoint à droite au

nœud propositionnel CP :

(42) Structure-S :

[CP1 [CP1 [TP [NP [DegP tant] de livres tj]i ti ont été récemment publiés]] [CP2 qu’on ne

parvenait pas à les lire tous]j]

CP1 qp

CP1 CP2j-conséquence V 4

C1 TP prop-que V NPi T’ V V NP tj T VP V 4

DegP NP …ti… ! 4

tant de livres

62

Les auteurs avancent pourtant que la génération de la prop-que dans la position de complément de DegP

n’apporterait aucun changement à leur analyse.

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104

La prop-que atteint sa position finale d’adjonction au CP au moyen du mouvement à droite.

Cette dérivation permet de rendre compte de l’effet de non-adjacence entre le marqueur

d’intensité et la prop-que. Mais comment explique-t-elle les autres propriétés de la CIC

inventoriées dans la section §3.2.3, comme la restriction sélectionnelle entre le marqueur

d’intensité et la prop-que de conséquence, l’effet d’ambiguïté et l’obviation à la Condition C ?

De plus, comment soutient-on cette dérivation ?

Dans l’analyse dérivationnelle de Guéron et May (1984), c’est la structure FL qui rend compte

de la majorité de ces propriétés. Ils stipulent que la prop-que et sa tête, le marqueur d’intensité,

doivent se trouver dans une configuration particulière à FL. Il s’agit d’un principe sur la localité

à FL, une condition de bonne-formation, formulée comme suit :63

(43) Les têtes doivent gouverner leurs compléments.

(Guéron et May 1984 : 4, ex. (11) ; adapté)

Selon ce principe, la prop-que doit être gouvernée à FL par le marqueur d’intensité. La localité à

FL dans la CIC trouve son origine dans le travail de Williams (1974). Guéron et May (1984)

avancent que la prop-que doit indépendamment établir un lien de localité avec sa tête à FL pour

que la relation de constituants sémantiques entre les deux soit constituée. Ainsi, la relation entre

l’opérateur et son restricteur n’est légitimée que dans une configuration particulière. Cette

configuration locale s’accomplit par le mouvement de la tête à FL, après le mouvement de la

prop-que en structure-S. Le mouvement de la tête est crucial pour l’établissement de cette

localité.

Guéron et May (1984) notent en fait que c’est aux propriétés de la tête et de son mouvement à

FL que reviennent les propriétés de l’extraposition dans la CIC et des constructions

d’extraposition en général (Guéron et May 1984 : 8). Ils supposent que la tête Deg° a des

propriétés quantificationnelles et qu’elle a un statut d’opérateur. Elle doit donc se déplacer à FL

pour des raisons interprétatives : « …all structures containing phrases quantificationally

interpreted are subject to QR in deriving LF-representations » (Guéron et May 1984 : 5). La tête

63

Une localité à FL est aussi proposée pour d’autres constructions d’extraposition, comme par exemple les

constructions relatives. Dans le cas des relatives, la localité concerne la tête nominale et la prop-que relative.

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105

Deg° se déplace à FL au moyen du mouvement de montée de quantificateur (« Quantifier

Raising », proposé dans Liberman (1974)). De plus, puisqu’un opérateur se situe dans une

position A-barre à FL, selon Guéron et May (1984), le DegP entier monte pour s’adjoindre au

CP :

(44) Structure-FL :

[CP1 [DegP tant]k [CP1 [CP1 [TP [NP tk de livres tj]i ti ont été récemment publiés]] [CP2 qu’on

ne parvenait pas à les lire tous]j]]

(adapté ; Guéron et May 1984 : 7, ex. (18))

CP1 qp

DegPk CP1 ! qp

tant CP1 CP2j-conséquence V 4

C1 TP prop-que V NPi T’ V V NP CP2 T VP V ! 4

DegPk NP tj …ti… ! 4

tk de livres

Le marqueur d’intensité monte à FL au nœud propositionnel CP1, en fonction de ses propriétés

sémantiques. Pour être gouvernée à FL par le DegP monté, la prop-que extraposée doit donc se

trouver déjà adjointe au CP à FL : “[the DegP] movement […] affords an explanation of why the

result clause must be adjoined to S’ [CP] in the first place” (Guéron et May 1984 : 12).64

De cette

façon, le positionnement de la prop-que revient donc aux propriétés du mouvement de la tête

Deg°. L’établissement du gouvernement de la prop-que par la tête Deg° montée à FL assure la

bonne-formation de la CIC. Il assure donc aussi par extension le positionnement de la prop-que

de conséquence.65

64

Il est à souligner que la tête qui importe pour le gouvernement est le chaînon supérieur de la chaîne du mouvement

A-barre et non pas le chaînon inférieur. Si c’était ce dernier, la condition de bonne-formation ne serait pas satisfaite,

puisque le complément ne serait pas gouverné. 65

Culicover et Rochemont (1990) développent la condition de bonne-formation de Guéron et May (1984), mais dans

une approche par adjonction. Contrairement à Guéron et May (1984), ils proposent que cette condition, qu’ils

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106

Revenons maintenant à l’évaluation empirique de l’analyse dérivationnelle de Guéron et May

(1984) et sur la façon dont la structure FL qu’ils proposent rend compte des propriétés de la CIC.

Rappelons que traditionnellement, on suppose que les restrictions sélectionnelles sont satisfaites

en structure locale stricte, où le marqueur d’intensité (la tête) et la prop-que (son complément)

sont sœurs. Pour Guéron et May (1984), la relation tête-complément dans les constructions

d’extraposition est établie à FL au moyen de la relation de gouvernement. Autrement dit, la

relation tête-complément est une propriété de la représentation logique. Pour Guéron et May

(1984), il est donc important de supposer que les restrictions sélectionnelles entre les marqueurs

d’intensité dans la CIC et le complémenteur que qui introduit la proposition de

degré/conséquence peuvent être satisfaites à FL.

Pour ce qui est du comportement d’ambiguïté que la CIC exhibe régulièrement en contexte

d’enchâssement, reprenons l’exemple (32), soit Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle

va obtenir le poste. Rappelons que cet exemple s’interprète de deux façons : 1) Marie dit que,

parce qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le poste. ; et 2) Parce que Marie dit

qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le poste. Guéron et May (1984)

supposent traditionnellement que dans le cas de la première interprétation (de portée étroite), le

domaine de la portée du marqueur d’intensité est la CIC. Ainsi, à FL, le DegP se situe adjoint au

CP1 (le CP de la CIC enchâssée ; cf. (46)). Étant donné la condition de bonne-formation en (43),

la prop-que (CP2) est adjoint au CP1 aussi, en structure-S (cf. (45)) et à FL (cf. (46)) :

(45) Structure-S :

[CP3 Marie dit [CP1 [CP1 qu’elle a des amis si influents tj] [CP2 qu’elle va obtenir le

poste]j]]

appellent le Principe de complément (« Complement Principle »), doit être satisfaite en structure-S. Voir la section

§3.2.4.2).

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107

(46) Structure-FL :

[CP3 Marie dit [CP1 [DegP si]k [CP1 qu’elle a des amis tk influents tj] [CP2 qu’elle va obtenir

le poste]j]]

CP3-matrice V C3 TP V Mariei T’ V T VP V ti V’ V V CP1 ! V dit DegPk CP1 ! V si CP1 CP2j-conséquence

4 … tk… tj…

Dans le cas de la deuxième interprétation (de portée large), le domaine de la portée du marqueur

d’intensité est toute la phrase. On postule donc qu’à FL, le DegP et la prop-que sont tous les

deux adjoints au CP3 (le CP de la matrice enchâssante ; cf. (48)) :

(47) Structure-S :

[CP3 [CP3 Marie dit [CP1 qu’elle a des amis si influents tj]] [CP2 qu’elle va obtenir le

poste]j]

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108

(48) Structure-FL :

[CP3 [DegP si]k [CP3 Marie dit [CP1 qu’elle a des amis tk influents tj]] [CP2 qu’elle va

obtenir le poste]j]

CP3-matrice qp

DegPk CP3-matrice ! qp

si CP3-matrice CP2j-conséquence V 4

C3 TP prop-que V Mariei T’ V T VP V ti V’ V V CP1 ! 4

dit … tk… tj…

Dans les structures FL des deux interprétations, la prop-que est donc adjointe au CP sur lequel

porte le marqueur d’intensité. Avec l’adjonction de la prop-que à la projection à laquelle monte

le DegP, les structures obéissent aussi à la condition de bonne formation en (43). Dans l’analyse

de Guéron et May (1984), le comportement d’ambiguïté est donc lié aux déplacements variés de

la prop-que et du DegP. Comme nous l’avons dit dans la section §3.2.1, le déplacement du DegP

est une supposition standard des approches quantificationnelles sur la dérivation de la CIC. Que

la tête Deg° et la prop-que soient capables de se déplacer à des positions différentes dans la

structure est une opération peu problématique théoriquement, vu que le mouvement dans le cadre

GL était libre. De plus, Guéron et May (1984) supposent que les éléments qui se déplacent à FL

peuvent s’adjoindre à n’importe quel nœud (c’est-à-dire le mouvement QR est une adjonction

libre), tant que les structures qui en résultent obéissent aux conditions sur FL et sont

interprétables (Guéron et May 1984 : 13).66

Pour soutenir les positionnements de la prop-que,

66

La variabilité de positions de la tête Deg° (e.g. au CP enchâssé et au CP enchâssant) revient à son statut non

thématique : “If the head is nonthematic, it must be adjoined to S’ by LF-movement” (Guéron et May 1984 : 12). À

cause de la position d’adjoint au CP (enchâssant ou enchâssé) de la tête Deg°, sa trace n’est pas une variable logique

(selon la définition de variable de Guéron et May, p. 8, ex. (19)) et n’est pas donc sujette au Critère-thêta. Ce critère

n’est pas non plus enfreint par la position de la trace : la trace est dans une position où on n’assigne pas de rôles

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109

Guéron et May (1984) se servent d’un autre comportement caractéristique de la CIC que nous

avons soulevé dans la section §3.2.3 : l’obviation à la Condition C de liage. Nous avons

mentionné alors qu’il s’agit d’un comportement de grande utilité pour la dérivation de la CIC,

car il fournit des arguments en faveur des positions structurales de la prop-que. Considérons

encore l’exemple suivant :

(49) Je luii ai dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai

rendu Mariei inquiète.

(Guéron et May 1984 : 21)

En surface, il semble que cet exemple enfreint la Condition C de liage selon laquelle les pronoms

ne peuvent pas c-commander leurs antécédents. L’exemple est pourtant grammatical, ce qui

indique qu’il a une structure correctement gouvernée selon les exigences de cette condition ; plus

spécifiquement, le pronom lui ne c-commande pas son antécédent Marie dans la structure

hiérarchique. Il est important de noter que selon la Théorie GL (Chomsky 1981) et selon les

suppositions de Guéron et May (1984), la Théorie de liage, dont la Condition C fait partie,

s’applique aux représentations de la structure-S. Pour Guéron et May (1984), les exemples de ce

type démontrent donc que la prop-que se situe dans une position élevée dans la structure-S, où

l’expression Marie n’est pas liée par le pronom lui dont elle est l’antécédent :

(50) Structure-S :

[CP3 [CP3 Je luii ai dit [CP1 que tant de personnes tj ont assisté au concert l’année

dernière]] [CP2 que j’ai rendu Mariei inquiète]j]

Comme la structure ci-dessus le montre, le déplacement de la prop-que à la position d’adjonction

au CP de la matrice empêche la violation de la Condition C. Il est à noter que cet exemple a

l’interprétation de portée large : ‘Parce que je lui ai dit que tant de personnes ont assisté au

concert l’année dernière, j’ai rendu Marie inquiète’. Il s’ensuit que sa structure en (50) soutient

thématiques (i.e. Spec, AP). De la même manière, la tête Deg° ne peut pas monter à IP parce que dans cette

configuration, sa trace serait une variable et serait sujette au Critère-thêta. Mais la trace serait toujours dans une

position non thématique où on n’assigne pas de rôles thématique. Ainsi, le Critère-thêta serait enfreint. Le DegP

peut aussi monter plus haut parce qu’il ne contient pas la trace de la prop-que extraposée ; la trace reste dans la

position d’adjonction à droite au syntagme intensifié et continue à être gouvernée par la prop-que extraposée

(Guéron et May 1984 : 17). Les auteurs tirent une comparaison entre le mouvement de la tête dans la CIC et celui

dans les relatives extraposées. Dans ces dernières, le mouvement de la tête est plus contraint, en raison de son statut

thématique. On n’atteste donc pas les mêmes comportements.

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110

l’analyse de Guéron et May concernant le positionnement de la prop-que dans la représentation

de l’interprétation de portée large des CIC avec le comportement d’ambiguïté, i.e. la prop-que

s’adjoint à la proposition matrice dans le cas de la portée large.67

Ainsi, le comportement

d’obviation à la Condition C de liage soutient empiriquement l’existence d’une corrélation entre

une position élevée de la prop-que et la portée large dans une CIC enchâssée.68

Du point de vue

plus général, cet exemple démontre que la prop-que peut être extraposée plus loin que la

proposition dont elle est originaire (et donc peut être extérieure non seulement à la proposition

DegP). Nous reviendrons sur cette observation dans notre évaluation des approches

dérivationnelles par mouvement.

Le comportement d’obviation à la Condition C de liage démontre aussi la position de la prop-que

dans une CIC non enchâssée d’une portée étroite. Considérons les exemples suivants :

(51) Ellei a parlé à tant de gens du concert que Mariei a rendu Jean nerveux.

(traduit et adapté ; Guéron et May 1984 : 10)

(52) Ellei a rencontré si peu de gens à la fête que Mariei en a été déçue.

(traduit et adapté ; Rochemont et Culicover 1997 : 283)

Comme dans le cas de l’exemple (50), l’absence de l’agrammaticalité avec ces deux exemples

(qui semblent enfreindre la Condition C de liage) indique que leurs structures sont en fait

correctement gouvernées et le pronom elle ne c-commande pas son antécédent Marie. La prop-

que doit donc se situer dans une position élevée dans la structure en arbres. La violation de la

Condition C est empêchée par le déplacement et l’adjonction de la prop-que au CP de la CIC.

Ces exemples appuient donc l’analyse de Guéron et May, selon laquelle la prop-que dans une

CIC non enchâssée avec portée étroite se déplace au CP de la CIC, le même CP auquel se

déplace le marqueur à FL.

67

La structure FL de cet exemple est la suivante:

i. [CP3 [DegP tant]k [CP3 Je luii ai dit [CP1 que tk de personnes tj ont assisté au concert l’année dernière]]

[CP2 que j’ai rendu Mariei inquiète]j]

68

Il ne fournit pas pourtant un argument direct en faveur de la position du DegP. L’évidence explicite des positions

variées du marqueur d’intensité à FL n’est pas facile à trouver. Mais si on suppose, comme Guéron et May (1984),

que la tête Deg° gouverne la prop-que, on peut conclure indirectement que le DegP doit se trouver adjoint au même

CP que la prop-que.

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111

Pour résumer, Guéron et May (1984) proposent que la prop-que se déplace en syntaxe de sa

position de génération à la base, en tant qu’adjoint à droite au syntagme intensifié, à sa position

d’épel, en tant qu’adjoint à droite au nœud propositionnel CP. Dans le cas de la CIC non

enchâssée ou de la CIC enchâssée avec portée étroite, ce nœud est le CP qui contient le marqueur

d’intensité ; dans le cas de la CIC enchâssée avec portée large, ce nœud est le CP de la

proposition matrice. Ces positionnements sont assurés par un principe de localité à FL de la

prop-que avec le marqueur d’intensité et par la nature de la tête Deg°. L’analyse dérivationnelle

de Guéron et May (1984) peut être dite compositionnelle, dans le sens où plusieurs propriétés

sémantiques qui caractérisent la CIC ont un reflet syntaxique. Empiriquement, la dérivation

qu’ils proposent réussit à rendre compte de nombreux comportements de la CIC. L’analyse

dérivationnelle de la CIC proposée par Guéron et May (1984) est parmi les plus élaborées et les

plus citées. On adopte des aspects de cette analyse non seulement dans des études sémantiques

de la CIC (Meier 2001, 2003), mais aussi dans des analyses dérivationnelles de la CIC par

adjonction (Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et Culicover

1997 ; White 2004a, White 2004b, White 2005) et dans l’analyse de la CIC par association

tardive (Bhatt et Pancheva 2004, 2007).

Nous terminons notre survol des analyses dérivationnelles de la CIC par mouvement avec un

bref résumé de Meier (2001, 2003). La préoccupation principale de Meier (2001, 2003) est la

compositionnalité sémantique de la CIC et des constructions avec les marqueurs qui prennent des

compléments phrastiques en anglais, e.g. so…that, too…to, enough…to. Meier aborde, entre

autres, la question de l’interprétation de l’élément déplacé (i.e. la prop-que), un aspect important

dans toute analyse dérivationnelle des constructions qui subissent un déplacement, surtout dans

le cadre d’une théorie où tout élément syntaxique doit recevoir une interprétation FL, y compris

les traces des éléments déplacés, conformément au Principe de Pleine Interprétation. Meier

(2001, 2003) élabore peu sur la syntaxe de la CIC et sur la majorité des comportements de la CIC

évoqués ci-dessus. Elle adopte la structure locale stricte tête-complément pour la génération à la

base du marqueur et de la prop-que (Bresnan 1973), ainsi que le déplacement à droite de la prop-

que en syntaxe. Elle ne spécifie pas pourtant son lieu d’adjonction finale. Sa contribution

syntaxique concerne surtout la représentation logique de la CIC.

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112

Son travail s’inscrit dans l’approche quantificationnelle : elle suppose que le marqueur a des

propriétés quantificationnelles (c’est un opérateur) et se déplace à FL pour les besoins

interprétatifs. Elle suppose aussi que le marqueur fait partie d’un quantificateur généralisé de

degrés (GQ). Nous avons soulevé l’idée du quantificateur généralisé dans la section §3.2.2,

lorsque nous avons parlé de la relation sémantique entre le marqueur et la prop-que. Plus

spécifiquement, Meier soutient que la dérivation compositionnelle des conditions de vérité de la

CIC dépend de la convergence du marqueur et de la prop-que pour créer un quantificateur

généralisé. Autrement dit, la prop-que, bien que déplacée en syntaxe, s’interprète ensemble avec

le marqueur, une supposition standard avancée sur la base du sémantisme de restriction qui

caractérise la relation entre le marqueur et la prop-que : la prop-que fonctionne comme un

restricteur sur le domaine de l’opérateur de degré (i.e. le marqueur). Structuralement, un tel

sémantisme indique une structure locale stricte, comme la structure de génération à la base du

marqueur et de la prop-que en tant que sœurs. La prop-que s’interprète ainsi selon Meier dans sa

position de complément du marqueur d’intensité. Lorsqu’un élément déplacé s’interprète dans sa

position de génération à la base, comme si cet élément n’a jamais subi un déplacement, on parle

d’une « reconstruction ». La reconstruction permet de maintenir la relation de constituants

sémantiques pendant la dérivation malgré la non-adjacence. Meier croit que la reconstruction

doit jouer un rôle pendant la dérivation de la CIC.

Elle propose que la prop-que est reconstruite dans sa position originale, en tant que le

complément de la tête Deg° (cf. (54)) :

(53) Structure-S :

[CP1 Jean était [AP [DegP si ti] furieux]] [CP2 qu’il pouvait à peine parler]i

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113

(54) Forme logique – Reconstruction :69

[CP1 Jean était [AP [DegP si [CP2 qu’il pouvait à peine parler]] furieux]]

Cette reconstruction a lieu avant la montée du DegP pour quantifier sur les degrés de sa position

de portée d’adjonction au CP (Meier 2003 : 77). De cette façon, l’opérateur et son restricteur

peuvent quantifier sous forme d’un quantificateur généralisé :

(55) Forme logique – Montée du quantificateur généralisé :

[CP1 [DegP si [CP2 qu’il pouvait à peine parler]]j [CP1 Jean était [AP tj furieux]]]

Le DegP se déplace à la périphérie gauche de la phrase et laisse derrière une trace de type d.

Rappelons que la montée du quantificateur à sa position de portée offre une analyse de la

possibilité d’obtenir les interprétations ambigües avec certaines réalisations de la CIC. Avec la

portée étroite, la prop-que s’interprète comme étant sous la portée du verbe matrice, tandis

qu’avec la portée large, elle est hors de sa portée. Les représentations syntaxiques des

interprétations ambigües dans l’analyse de Meier (2001, 2003) sont donc en gros les suivantes :

(56) Portée étroite :

[CP3 Marie dit [CP1 [DegP si [CP2 qu’elle va obtenir le poste]]j [CP1 qu’elle a des amis tj

influents]]]

(57) Portée large :

[CP3 [DegP si [CP2 qu’elle va obtenir le poste]]j [CP3 Marie dit [CP1 qu’elle a des amis tj

influents]]]

La structure de la portée étroite comprend la montée du quantificateur généralisé DegP (le

marqueur avec la prop-que reconstruite), au CP de la CIC (cf. (56)). Le DegP monte au CP de la

69

Nous simplifions ici la dérivation FL de la CIC telle que proposée par Meier (2001, 2003). Meier avance que le

CIC a une interprétation de condition et de modalité. Par exemple, la CIC L’appartement était si beau qu’on l’a pris.

comprend selon Meier une phrase conditionnelle et le verbe modal devoir, comme illustre la paraphrase suivante :

Le degré d, tel que l’appartement était d-beau, est égal ou supérieur au degré minimal d* tel que, si l’appartement

était d*-beau, on devait le prendre. Comme Meier adopte une dérivation sémantiquement compositionnelle, la

condition et la modalité doivent faire partie de la représentation sémantique. Elle avance qu’avant sa reconstruction,

un élément modal est inséré dans la prop-que. La reconstruction de la prop-que et la montée du DegP sont suivies

par une duplication syntaxique de la proposition matrice qui ajoute une phrase conditionnelle à l’intérieur du DegP

montée :

i. [CP1 [DegP si [CP2 que [IP [CP3 (si) l’appartement était [AP ej beau]] [VP on devait le prendre]]]]j

[CP1 l’appartement était [AP tj beau]]]

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114

proposition enchâssante dans le cas de la portée large (cf. (57)). Ainsi, similairement à Guéron et

May (1984), la distinction entre la portée étroite et large est encodée par Meier en termes de la

longueur du déplacement de DegP. La localité structurale à FL des constituants sémantiques

(comme sœurs) est une supposition standard en ce qui concerne la composition sémantique des

constructions d’extraposition (Fox and Nissenbaum 1999). Selon Meier (2001, 2003), on

l’obtient au moyen de l’opération de reconstruction. Mais dans Guéron et May (1984), c’est le

principe de localité à FL qui établit la relation de constituant sémantique entre le marqueur

d’intensité et la prop-que. Puisque selon ce principe, la portée du marqueur d’intensité coïncide à

FL avec la position de la prop-que, nous supposons que pour Guéron et May, c’est dans cette

configuration aussi que la prop-que restreint l’opérateur de degré et que la prop-que est

interprétée. La reconstruction ne fait donc pas partie de leur analyse par mouvement.

De nombreuses critiques ont été énoncées à l’égard du mouvement de la prop-que par

extraposition à droite. Elles varient avec le courant linguistique et les théories sur le mouvement

correspondantes. Nous mentionnons ici brièvement deux principales critiques : 1) les limites du

mouvement de la prop-que ; 2) la motivation pour le mouvement de la prop-que. La nature de

l’opération dérivationnelle de mouvement dans le cadre de la grammaire générative (le modèle

des Principes et des Paramètres) a subi des changements avec les conceptualisations changeantes

de la syntaxe générative. Pourtant, une propriété du mouvement demeure constante : il doit s’agir

d’une opération restreinte, pour éviter les dérivations qui ne sont pas attestées, pour éviter la

surgénération.

L’approche classique de Bresnan (1973) et l’approche de Guéron et May (1984) s’inscrivent

dans les cadres de la Grammaire Transformationnelle et de la Théorie du Gouvernement et du

Liage, respectivement. En GT, la règle de mouvement (ou la règle de transformation)

s’appliquait librement ; il en était de même pour Déplacer- en GL. Avec la notion du

mouvement libre, il fallait ajouter des restrictions sur le mouvement. Celles-ci ont pris la forme

des principes et des conditions. Ces principes et conditions ont varié avec le temps : la GT

dépendait du principe de cycle et de diverses conditions indépendantes (e.g. contraintes d’îlots ;

Ross 1967) ; les versions ultérieures de la GT (EST) ainsi que la GL se servaient de la condition

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115

de sous-jacence (Chomsky 1973, 1981).70

En GL, la sous-jacence faisait partie de la Théorie des

bornes (« Bounding Theory »), un principe général sur les limites du mouvement. Pourtant, dans

plusieurs constructions (e.g. les constructions interrogatives, les constructions d’extraposition),

les déplacements (des éléments-qu, des éléments extraposés) échappent aux restrictions

proposées pour limiter l’opération de mouvement. On parle alors des mouvements « sans limite »

ou à longue distance. En GT (versions antérieures), on proposait des règles de mouvement

uniques (e.g. une règle de transformation-qu, une règle d’extraposition à droite) et on les limitait

au moyen des conditions indépendantes. Par exemple, l’extraposition à droite était contrainte par

la condition « Right Roof Constraint » (Ross 1967), une condition selon laquelle un élément ne

peut pas être extraposé de la proposition à l’intérieur de laquelle il est généré. En GT-EST et GL,

on avançait que les déplacements à longue distance résultaient des applications successives du

mouvement cyclique. Les mouvements obéissaient alors à la sous-jacence de manière locale. De

cette façon, on continuait à expliquer les limites sur le mouvement de façon cohérente, au moyen

de la Théorie des bornes et de la condition de sous-jacence.

Les conditions comme la « Right Roof Constraint » et la sous-jacence ne suffisaient pourtant pas

à expliquer toutes les réalisations empiriques d’extraposition de la CIC. La violation de la Right

Roof Constraint est exemplifiée par les exemples d’obviation à la Condition C de liage que nous

avons soulevés plus haut :

(58) Je luii ai dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai

rendu Mariei inquiète.

Avec l’adjonction de la prop-que dans cet exemple de la CIC au CP de la proposition

enchâssante (cf. structure en (50)), ce qui empêche la violation de la Condition C, l’extraposition

ne peut pas être dite restreinte syntaxiquement par la condition de Right Roof Constraint.

70

Cette condition limitait l’application du mouvement à deux positions dans le même cycle ou dans des cycles

adjacents :

i. In the configuration X… [α … [β … Y …] …] … X’, no element Y can be moved to position X or X’,

if α and β are both cyclic nodes.

(Chomsky 1973)

À l’époque, les nœuds cycliques pertinents pour la sous-jacence étaient NP, AP et CP.

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116

Dans le prochain exemple, le mouvement de la prop-que enfreint la sous-jacence :

(59) Un homme si furieux est entré dans la pièce, [CP que toutes les conversations se sont

tues].

(Rouveret 1978 : 170 ; ex. (39))

Dans cet exemple, la prop-que se déplace de la position de complément de DegP avec la tête si (à

l’intérieur du sujet de la CIC), traverse plus que deux nœuds cycliques, AP, NP, CP, et dépasse la

borne CP de la CIC. Ces exemples montrent que les effets des limites proposées sur le

mouvement ne sont pas toujours respectés dans la CIC.

De plus, l’extraposition dans la CIC est marquée par une absence de prédictibilité sur la base des

limites de mouvement. Considérons l’exemple suivant :

(60) *Un homme si furieux est entré dans la pièce, [CP qu’il pouvait à peine parler].

(Rouveret 1978 : 170 ; ex. (38b))

On pourrait essayer d’expliquer l’agrammaticalité de cet exemple en termes des conditions sur

les limites de mouvement ; l’extraposition de la proposition qu’il pouvait à peine parler semble y

obéir, car elle comprend le mouvement à travers plusieurs nœuds cycliques. Cet exemple

ressemble pourtant structuralement à l’exemple en (59), où l’extraposition à la même position est

grammaticale. Le mouvement par extraposition de la prop-que en (60) semble donc limité,

comme illustre la grammaticalité de (61), tandis qu’il semble illimité en (59) :

(61) Un homme si furieux [CP qu’il pouvait à peine parler], est entré dans la pièce.

(Rouveret 1978 : 170 ; ex. (38a))

Il serait donc nécessaire de postuler que la condition de sous-jacence est pertinente dans le cas de

l’exemple (60), mais elle ne l’est pas dans le cas de l’exemple (59). En plus, cette pertinence

devrait être liée à une différence dans la nature de la prop-que (que toutes les conversations se

sont tues vs. qu’il pouvait à peine parler). L’inadéquation explicative en termes des limites de

mouvement concernant l’effet d’extraposition dans la CIC (e.g. la non-applicabilité de la sous-

jacence et de Right Roof Constraint) indique que le mouvement A-barre n’est pas le mécanisme

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117

approprié pour la dérivation de cette construction (Rouveret 1978 ; Culicover et Rochemont

1990 ; de Vries 2002 ; Baltin 2010).

Guéron et May (1984) suggèrent que le mouvement peut en fait dériver la CIC. Ils avancent que

l’extraposition résulte des mouvements successivement cycliques qui obéissent à la Théorie de

bornes (Guéron et May 1984 : 3, 15). Mais ils avouent qu’en elles-mêmes, la sous-jacence et

l’itération de Déplacer- ne réussissent pas à rendre compte des propriétés du mouvement à

droite dans la CIC (Guéron et May 1984 : 15), étant donné par exemple la violation de Right

Roof Constraint de Ross (1967). Pour expliquer cette violation, ils exploitent leur condition de

localité à FL entre un élément extraposé et sa tête, ainsi que les théories indépendantes de la

Théorie de bornes qui ont été proposées dans le cadre de la GL, et considèrent que celles-ci

limitent indirectement le mouvement à droite. Il s’agit en particulier de la Théorie du

gouvernement sur le positionnement des NPs et les catégories vides (« Government Theory »),

selon laquelle les traces des mouvements doivent être correctement gouvernées et les opérateurs

non liés (« vacuous ») ne sont pas permis. Regardons encore la structure FL de la CIC Je luii ai

dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai rendu Mariei inquiète.

qui enfreint la contrainte Right Roof :

(62) [CP3 [DegP tant]k [CP3 Je luii ai dit [CP1 que tk de personnes tj ont assisté au concert

l’année dernière]] [CP2 que j’ai rendu Mariei inquiète]j]

Dans cette structure, la prop-que se déplace au CP de la proposition enchâssante (i.e. CP3), une

position dans laquelle elle est correctement gouvernée par sa tête, le marqueur d’intensité

(obéissant ainsi à la condition de bonne-formation). La tête monte à FL à une position c-

commandante en fonction de ses propriétés quantificationnelles (et son statut non thématique).

La trace du mouvement à droite de la prop-que, i.e. tj, est liée par son antécédent, la prop-que

extraposée. La trace du mouvement du DegP, e.g. tk, est aussi liée par son antécédent. Cette

structure ne contient donc pas d’opérateurs non liés et toutes les traces sont correctement liées.

Pour Guéron et May (1984), tant que le mouvement et ses traces obéissent à la Théorie du

gouvernement sur les catégories vides et la structure FL obéit au principe de localité entre la tête

Deg° et la prop-que extraposée, le mouvement à droite de la prop-que à une position auparavant

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118

interdite par la condition de la Right Roof Constraint est permis.71

En bref, c’est l’interprétation à

FL qui restreint le mouvement de la prop-que et offre selon Guéron et May (1984) une

explication à la violation attestée de la Right Roof Constraint.72

Le travail de Guéron et May (1984) offre une analyse élégante de la dérivation de la CIC en

termes du mouvement et arrive à rendre compte de plusieurs de ses propriétés empiriques (e.g.

effet d’extraposition, ambiguïté, Condition C). Son succès repose pourtant largement sur une

stipulation unique de localité à FL. De plus, il repose sur d’importantes suppositions internes à

leur approche théorique (Gouvernement et Liage) concernant le mouvement et sur des principes

(ou Théories) spécifiques qui « inspectent » la dérivation en préparation pour FP et FL (e.g.

Théorie des bornes, Théorie du gouvernement, Théorie des cas, etc.), suppositions et principes

qui ont subi d’importantes modifications avec l’évolution de la grammaire générative pour

aboutir au Programme minimaliste.

En ce qui concerne le mouvement en particulier, rappelons que l’analyse de déplacement

proposée pour la dérivation des constructions d’extraposition ne pose pas de problèmes en soi

pour la GL parce que le mouvement en GL est une opération qu’on considère gratuite ;

autrement dit, les éléments syntaxiques peuvent se déplacer « de leur propre volonté » et diverses

conditions et modules assurent que l’opération de mouvement est restreinte. De plus, les

relations sont légitimées en termes de configurations, dont la plus importante est le

gouvernement. Comme on a vu ci-dessus, le gouvernement est à la base de la condition

essentielle à la dérivation de la CIC proposée par Guéron et May (1984). Or, l’opération de

71

Il est à noter que Guéron et May (1984) ne soutiennent pas en fait fermement que l’extraposition résulte d’un

mouvement à droite. Ils remarquent que tant que la prop-que se situe à sa position d’épel, avant la prononciation et

l’interprétation, il n’est pas évident si elle s’y retrouve par le biais d’un mouvement ou d’une adjonction à la base

(Guéron et May 1984 : 12). 72

On a aussi essayé de proposer que l’extraposition pourrait être due à l’opération de mouvement malgré l’absence

des contraintes attestées sur le mouvement, si on suppose que le mouvement à droite diffère du mouvement à gauche

et que les deux types de mouvement ne sont pas contraints par les mêmes conditions sur les limites, ce qui

expliquerait les différents comportements de ces deux mouvements (Chomsky 1973 ; Akmajian 1975 ; Baltin 1981,

1983). Les changements opérationnels proposés concernaient la cyclicité et la sous-jacence. Par exemple, on

considérait que l’extraposition résulte d’une application singulière (non cyclique) à droite de Déplacer- (Chomsky

1973 ; Akmajian 1975). Ou bien on a formulé des conditions uniques pour l’extraposition, comme la Sous-jacence

généralisée (Baltin 1981, 1983). Une différence opérationnelle pose pourtant plusieurs problèmes : du point de vue

conceptuel, il n’est pas souhaitable de diviser le mouvement sur la base de son orientation et de proposer des

conditions uniques ; du point de vue empirique, on ne pourrait toujours pas expliquer les diverses extrapositions

attestées, y compris l’extraposition dans la CIC dont certaines extrapositions sont plus longues, tandis que d’autres

sont plus courtes. D’autres arguments contre ce type d’approches (des arguments plus concrets et uniques aux

différentes analyses proposées) se présentent mais leur discussion dépasse la portée de ce travail.

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119

mouvement n’est plus gratuite en Minimalisme et le nombre de principes ainsi que de niveaux de

représentation est réduit. Le mouvement en syntaxe minimaliste, comme le mouvement A-barre,

doit avoir lieu pour le besoin de vérification (et élimination) de traits ininterprétables (forts) ;

autrement dit, le mouvement doit être motivé (cf. §1.3). Ce n’est plus une opération avec des

contraintes formulées en termes de sous-jacence ou d’autres conditions. La motivation et la

réduction de contraintes sont indispensables si on imagine que le système dérivationnel est un

système efficace.

Ainsi, la principale critique minimaliste des analyses de la CIC qui incluent le déplacement de la

prop-que en syntaxe est l’absence de motivation pour ce type de déplacement. Une analyse par

mouvement du phénomène d’extraposition dans la CIC devrait optimalement être reliée à la

vérification de traits ininterprétables forts et non pas au besoin de dériver l’ordre linéaire correct.

Jusqu’à présent, on n’a pas encore réussi à démontrer quels traits pourraient motiver le

mouvement à droite de la prop-que dans la CIC. De plus, la vérification de traits peut seulement

avoir lieu dans certaines configurations. Or, un YP qui s’adjoint à un XP ne serait pas dans le

domaine de vérification de la tête X°, même si cette tête possédait un trait approprié à vérifier.73

Le mouvement pourrait aussi être déclenché pour des besoins pragmatiques ou sémantiques.

Dans ce cas, il faut que le mouvement de la prop-que de sa position de base, comme complément

au DegP, si on adopte la structure classique, soit associé à des effets sémantiques ou

pragmatiques. Par exemple, les éléments focalisés se voient déplacés à des positions structurales

dédiées dans la périphérie phrastique (CP) ou la périphérie verbale (vP). Mais l’extraposition

dans la CIC ne peut pas être saisie au moyen de ce type de mouvement, étant donné qu’elle ne

reçoit pas de focus. De plus, les positions de focus sont structuralement à gauche de la position

d’épel de la prop-que ; une position finale n’est pas traditionnellement une position de focus. Il

faudrait donc avancer un mouvement à gauche d’abord à une position de focus, suivi par un

mouvement additionnel du reste de la phrase dans une position encore plus à gauche. Une fois de

plus, les motivations pour ces types de mouvements ne sont pas évidentes. Finalement, les

analyses classiques d’extraposition par mouvement (Bresnan 1973 ; Heim 2000 ; Meier 2001,

73

Le manque de motivation des mouvements en syntaxe est aussi derrière l’inacceptabilité générale dans la

littérature du traitement syntaxique de la CIC par « remnant mouvement » ou « stranding », à la Kayne (1994), où le

marqueur d’intensité se déplacerait à gauche et laisserait derrière la prop-que, dans sa position de base (Rochemont

et Culicover 1997).

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120

2003) sont indésirables du point de vue de la reconstruction, une opération indispensable dans

ces analyses pour la dérivation compositionnelle des conditions de vérité de la CIC. La théorie

minimaliste de mouvement par copies élimine le besoin de reconstruction en tant qu’une

opération additionnelle. La reconstruction ne comprend plus le ‘retour’ de l’élément déplacé à sa

position de base, mais tout simplement l’interprétation de la copie dans la position de base

(Nunes 2001). Donc, si on suppose, comme on le fait généralement dans les approches

quantificationnelles, que le marqueur et la prop-que doivent s’interpréter ensemble dans la

position de portée, à FL, il s’ensuit que la copie de base doit monter. Or, comme Bhatt et

Pancheva (2004) le remarquent, cela ne peut pas être le cas, parce que le mouvement A-barre est

empiriquement lié au comportement de portée fixe (« frozen scope »), c’est-à-dire l’absence de

mouvements additionnels à FL (Aoun, Hornstein et Sportiche 1981). La disponibilité de la copie

de base contredit ce comportement : on s’attend à ce que la portée fixe ne soit pas attestée (Bhatt

et Pancheva 2004 : 9). L’approche par mouvement pour la dérivation de la CIC a donc une

conséquence empirique indésirable.

Les analyses proposées pour la dérivation de la CIC par mouvement A-barre à droite de la prop-

que révèlent un nombre de problèmes empiriques et théoriques. Le positionnement de la prop-

que n’obéit pas aux restrictions sur le mouvement. Il semble même difficile de définir les

restrictions précises sur son positionnement en termes de contraintes sur le mouvement. Elles

n’arrivent pas non plus à expliquer la nature obligatoire de l’extraposition dans la CIC, une

propriété que d’autres constructions d’extraposition ne partagent pas. De plus, dans la

perspective minimaliste, ce mouvement obligatoire et sans motivation syntaxique ou sémantique

est peu désirable. En fait, les analyses dérivationnelles de la CIC dans le cadre GL (e.g. Guéron

et May 1984) sont parmi les dernières qui incluent le déplacement de la prop-que en syntaxe,

largement sur la base de la nature gratuite du mouvement. Pour contourner les problèmes que

présentent les analyses par mouvement, plusieurs analyses ont été proposées pour expliquer la

dérivation de la CIC où on a recours à l’adjonction directe de la prop-que dans sa position d’épel.

Le survol de ces analyses est l’objet de la prochaine section.

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121

3.2.4.2 Adjonction à droite

L’adjonction directe de la prop-que à sa position d’épel est au centre de plusieurs analyses

dérivationnelles de la CIC (Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et

Culicover 1997 ; White 2004a, 2004b, 2005).74

Dans ces analyses, le marqueur d’intensité et la

prop-que ne sont pas sœurs lorsque le DegP s’adjoint dans la position de spécificateur du

syntagme intensifié.75

Ces analyses voient la prop-que comme une sorte d’adjoint, externe à la

structure syntaxique principale (la proposition matrice), bien qu’elle soit en même temps reliée

interprétativement à une position à l’intérieur de cette structure (le marqueur d’intensité). Elles

reposent crucialement sur le postulat que la grammaire comprend une opération d’adjonction à

droite. Les analyses par adjonction se démarquent les unes des autres en termes de la position

d’adjonction de la prop-que dans la structure. Mais une préoccupation importante que ces

analyses partagent est la représentation dans la structure du lien interprétatif entre l’adjoint et le

marqueur d’intensité, sa tête (ou son antécédent)76

, à laquelle l’adjoint n’est pas associé à

génération, malgré le fait que la tête détermine son interprétation. Dans la majorité des cas, les

analyses adaptent le mécanisme proposé par Guéron et May (1984), le principe de localité au

moyen de la c-commande (cf. (43)). Il n’existe pas en fait d’analyse de la CIC par adjonction qui

ne propose aucun lien structural entre ces deux constituants sémantiques à un moment

quelconque pendant la dérivation.

Les analyses de Rouveret (1977, 1978), Culicover et Rochemont (1990) et Rochemont et

Culicover (1997) sont des analyses d’extraposition par adjonction assurée par une localité à FL.

En suivant Williams (1974) et Guéron et May (1984), elles proposent que la position de la prop-

que est syntaxiquement reliée à la position d’interprétation du marqueur d’intensité dans la

représentation logique, c’est-à-dire l’adjonction à la base de la prop-que est au niveau de la

portée du marqueur. C’est en fait la position en FL du marqueur qui détermine la position

74

Ces analyses couvrent plusieurs courants de la grammaire générative : Rouveret (1977, 1978) propose son

traitement de la CIC dans le cadre de la Grammaire Transformationnelle, version EST ; Culicover et Rochemont

(1990) et Rochemont et Culicover (1997) adoptent le cadre de la Théorie du Gouvernement et du Liage ; White

(2004ab, 2005) adopte le cadre génératif minimaliste. 75

La majorité des analyses par adjonction supposent que le DegP est généré en tant que le spécificateur de la

catégorie qu’il intensifie, e.g. [AP [DegP] A]. 76

Le terme « tête » a un usage double dans ce travail : syntaxique et relationnel. Nous l’employons pour référer à

une tête syntaxique, e.g. Degº est la tête de la projection DegP ou pour référer à une composante fondamentale d’une

relation donnée, e.g. tellement est la tête de la prop-que, l’élément auquel la prop-que est liée interprétativement,

tout comme un nom est la tête d’une proposition relative. Dans ce deuxième cas, on parle aussi d’un antécédent.

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d’attachement de la prop-que : « Une représentation logique […] n’est bien formée que si la

position “interprétée” de si et la proposition que S sont sous la dominance du même nœud

propositionnel » (Rouveret 1977 : 216). Plus spécifiquement, la prop-que doit se situer à droite

du même nœud CP auquel est adjoint à gauche le marqueur d’intensité. Rochemont et Culicover

(1997) appellent cette condition le Principe de complément : « An extraposed phrase must be

adjoined to the minimal maximal projection that contains its (surface or LF) antecedent » ;

« [T]he result clause is adjoined at the surface to the clause to which so is adjoined at LF »

(Rochemont et Culicover 1997 : 284-285). Comme ils supposent que le domaine de portée

étroite du quantificateur Deg est la proposition dans laquelle le marqueur se trouve en surface, le

lieu d’adjonction de la prop-que est donc le CP de la CIC (cf. (63) ci-dessous). Dans le cas de la

portée large, son domaine est la proposition matrice, ou enchâssante, et la prop-que est donc

adjointe au CP matrice (cf. (64)) :

(63) [CP1 [CP1 …tellement…] [CP2 que]]

CP1 qp

CP1 CP2-conséquence 4 4

…tellement… prop-que

(64) [CP3 [CP3 …croit CP1] [CP2 que…]]

CP3-matrice qp

CP3-matrice CP2-conséquence 4 4

…croit CP1… prop-que

Rouveret (1977, 1978), Culicover et Rochemont (1990) et Rochemont et Culicover (1997)

soutiennent les positionnements de la prop-que qu’ils proposent avec le même support empirique

que Guéron et May (1984), à savoir avec le comportement d’obviation à la Condition C de liage :

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(65) Shej believes that Harryi was so crazy that Maryj left himi.

(Rochemont et Culicover 1997 : 284)

La Condition C est respectée seulement si la prop-que s’interprète en dehors du domaine c-

commandant du sujet de la matrice (she). Dans cette position, l’interprétation de la prop-que ne

peut être que large (glosable par ‘Marie a quitté Harry à cause de sa conviction qu’il était fou.’).

La portée du marqueur doit donc être toute la phrase (y compris la proposition matrice). Le

marqueur et la prop-que se situent tous les deux au niveau du nœud propositionnel matrice. Ce

type d’exemple supporte l’hypothèse que la prop-que est adjointe au nœud CP et que le

marqueur et la prop-que sont corrélés à FL.77

Un autre type d’évidence présenté par Rochemont et Culicover (1997) en faveur de la position

d’adjonction de la prop-que de conséquence au nœud propositionnel est son épel à droite des

éléments adverbiaux locatifs et temporels :

(66) a. Ellei pensait que tant de gens iraient au concert l’année dernière que Mariei a

décidé de ne pas y aller.

b. L’année dernière, ellei pensait que tant de gens iraient au concert que Mariei a

décidé de ne pas y aller.

(traduits et adaptés ; Rochemont et Culicover 1997 : 299, fn5)

Dans les deux exemples, l’élément adverbial temporel l’année dernière s’interprète comme

modifiant l’événement exprimé par le verbe matrice penser. Comme Rochemont et Culicover

(1997) supposent que les adjoints temporels dans la réalisation en (66a) doivent se situer à

l’intérieur de la proposition avec laquelle ils s’interprètent, il s’ensuit que la prop-que qui

apparaît à droite d’un tel adjoint se situe à l’extérieur de cette même proposition.78

L’adjonction de la prop-que directement dans sa position d’épel résout facilement l’effet de non-

adjacence avec lequel la CIC est attestée. Le marqueur et la prop-que ne se trouvent pas

adjacents parce que la prop-que est générée à l’extérieur du DegP. Cette possibilité s’avère

77

Voir aussi les exemples (49) à (52) dans la section §3.2.4.1. 78

Ce type d’évidence dépend clairement des suppositions individuellement adoptées sur la structuration des

modificateurs temporels et locatifs et ne présente donc pas un argument conclusif. D’autres avancent plus

modestement qu’il est au moins clair à partir de ces exemples que la prop-que est adjointe plus haut que le VP

(Hulsey et Sauerland 2006).

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124

pourtant problématique pour d’autres aspects de la relation entre le marqueur et la prop-que. Ces

aspects incluent : l’interprétation de restriction qui caractérise cette relation ainsi que la

corrélation morphologique entre le marqueur et le complémenteur de la proposition de

degré/conséquence. Dans les approches par adjonction directe, de tels liens interprétatif et

morphologique étroits ne peuvent pas être exprimés localement. Il est pourtant difficile à

imaginer que la prop-que qui fonctionne comme le restricteur sur le domaine de l’opérateur (le

marqueur) ne soit pas structuralement sa sœur (Stateva 2002). La génération de la prop-que dans

une position différente de sa position d’interprétation pose donc des difficultés à l’interprétation

compositionnelle de la phrase.79

De même, les restrictions sélectionnelles ne sont pas satisfaites

de façon traditionnelle, en structure locale stricte. Pour contourner ces problèmes, les approches

par adjonction ont crucialement recours au même mécanisme qui assure l’adjonction de la prop-

que dans sa position d’épel : le principe de localité par la dominance (la condition de bonne

formation de Rouveret (1977, 1978) et le principe de complément de Culicover et Rochemont

(1990)). Ce mécanisme joue donc plusieurs rôles : structural, interprétatif et corrélatif. Plus

spécifiquement, le mécanisme assure : le lieu d’adjonction de la prop-que, son interprétation en

tant que restricteur et la corrélation entre son complément que et les marqueurs d’intensité si,

tellement, tant, etc. Il s’agit en gros du même mécanisme que proposent Guéron et May (1984)

dans leur approche par mouvement.

Ce mécanisme se trouve aussi à la base des explications des limites particulières d’extraposition

de la prop-que (e.g. Right Roof Constraint), un comportement que les approches par mouvement

ne peuvent pas facilement expliquer (cf. §3.2.4.1). Selon les suppositions classiques, un adjoint

peut être généré librement, tant qu’il reçoit une interprétation. Dans les approches par adjonction

de Rouveret (1977, 1978), Culicover et Rochemont (1990) et Rochemont et Culicover (1997), la

prop-que reçoit son interprétation au moyen du principe de localité. La prop-que peut donc être

épelée dans des positions diverses, tant qu’elle est adjointe à la même projection que son

antécédent, le marqueur d’intensité, avec lequel elle s’interprète. Autrement dit, les limites sur

l’extraposition s’expliquent dans ces analyses au moyen du Principe de Pleine Interprétation.

Ainsi, la phrase en (65) ci-dessus (cf. Condition C) où la prop-que est clairement adjointe au

79

Contrairement aux analyses par mouvement, on ne peut pas compter, dans les analyses par adjonction, sur la

reconstruction de la prop-que à sa position d’interprétation, qui est sa position de base avant son mouvement à sa

position d’épel (à la Meier 2001, 2003 ; cf. §3.2.4.1) ou sur l’interprétation d’une copie de la prop-que dans sa

position de restricteur, selon la théorie plus récente du mouvement par copies.

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nœud CP enchâssant est grammaticale, bien qu’elle enfreigne la condition de Right Roof

Constraint. Sa grammaticalité peut être attribuée au fait que sa structure obéit au principe de

localité entre la tête Deg° et la prop-que : la prop-que est adjointe au nœud propositionnel

matrice, tout comme la tête Deg°. La prop-que peut donc recevoir une interprétation (de portée

large). De cette façon, le principe de localité, et en particulier la montée du marqueur d’intensité,

peut expliquer les limites ou l’absence de limites sur l’extraposition.

Rouveret (1977) explique ainsi aussi l’ordre rigide de plusieurs propositions extraposées dans la

même phrase :80

(67) a. Il est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-cons qu’il peut voyager en première

classe] [CP-compar que je ne le suis].

b. *Il est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-compar que je ne le suis] [CP-cons

qu’il peut voyager en première classe].

(Rouveret 1977 : 208)

Selon la grammaticalité contrastive des exemples (67a) et (67b), la proposition comparative que

je ne le suis doit suivre la prop-que de conséquence qu’il peut voyager en première classe. Ainsi,

la proposition comparative doit être adjointe plus haut que la proposition de conséquence. On

attribue ces lieux d’adjonction aux portées relatives de plus et de tant, à leur comportement à

FL.81

Les propositions s’interprètent dans les positions de portée de leur « antécédent » : la

portée de plus est ici plus large que la portée de tant.

White (2004a, 2004b, 2005) propose une autre analyse par adjonction qui dépend du

comportement à FL du marqueur d’intensité pour expliquer certaines réalisations de la CIC.

Cette analyse se démarque des analyses de Rouveret (1977, 1978) et de Culicover et Rochemont

(1990), Rochemont et Culicover (1997), de manière importante : le lieu d’adjonction à la base de

la prop-que de conséquence n’est pas assuré par une localité à FL, où la position d’épel de la

prop-que serait un reflet syntaxique de la position de portée du marqueur d’intensité. En fait,

White suggère que le lieu d’adjonction est fonction du type de marqueur et de syntagme

intensifié, dans le cas de la portée étroite. La prop-que est adjointe à droite, au syntagme

80

On parle de manière plus générale du comportement de dépendance emboîtée (« nested dependency »). 81

Rouveret (1977) n’élabore pourtant pas sur les restrictions sur la montée des marqueurs de degré individuels, sur

leur comportement unique à FL.

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intensifié AP, NP (cf. (68)) ou VP (cf. (69)). Dans le cas de la portée large, elle est adjointe à

droite au nœud propositionnel matrice (cf. (70)) :

(68) [AP [DegP si] [AP [AP chanceux] [CP que…]]] / [NP [DegP tant] [NP [NP de chocolat] [CP

que…]]]

(traduit et adapté ; White 2005 : 524)

AP/NP qp

DegP AP/NP ! qp

si / tant AP/NP CPconséquence ! 4

chanceux / de chocolat prop-que

(69) [VP [V aller au cinéma [DegP tellement [CP que…]]]]

(traduit et adapté ; White 2005 : 527)

VP V VP DegP V V V PP Deg CP2-conséquence ! 4 ! 4 aller au cinéma tellement prop-que

(70) [CP3 [CP3 …dit CP1] [CP2 que…]]

(traduit et adapté ; White 2005 : 528)

CP3-matrice qp

CP3-matrice CP2-conséquence 4 4

…dit CP1… prop-que

L’évidence en faveur de ces positions inclut des manipulations telles que le test de focalisation

qui permet d’identifier les relations de constituants syntaxiques :

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127

(71) Ce que Susan a dit que Jean a toujours été est si chanceux qu’il gagnait fréquemment

au loto.

(traduit et adapté ; White 2004a : 111, 2004b : 13)

(72) Ce que Susan a dit que Jean a mangé est tant de chocolat qu’il en est devenu malade.

(traduit et adapté ; White 2005 : 522)

(73) Ce que Susan a dit que Jean faisait est aller au cinéma tellement qu’il a peu d’argent

maintenant.82

(traduit et adapté ; White 2004a : 115, 2004b : 14)

Selon les exemples (71) à (73) de la portée étroite, le marqueur, le syntagme intensifié et la prop-

que sont un constituant syntaxique, ce qui soutient selon White les structures en (68) et (69), où

la prop-que se situe à l’intérieur de la phrase qui contient aussi le marqueur. De plus, les

exemples suivants où on force l’interprétation de portée large avec la prop-que qu’il s’en est

énervé (…de ce que Susan a dit…) montrent que le marqueur, le syntagme intensifié et la prop-

que ne sont pas un constituant syntaxique dans le cas de cette portée :

(74) *Ce que Susan a dit que Jean a toujours été est si stupide qu’il s’en est énervé.

(75) #Ce que Susan a dit que Jean a mangé est tant de chocolat qu’il s’en est énervé.

(76) #Ce que Susan a dit que Jean faisait est aller au cinéma tellement qu’il s’en est

énervé.

L’agrammaticalité ou l’absence de lecture de portée large avec ces exemples soutient la structure

en (70), où la prop-que se situe à l’extérieur de la phrase qui contient le marqueur.83

Comment l’analyse de White explique-t-elle les comportements saillants de la CIC ? White rend

compte de la corrélation morphologique entre le marqueur et le complémenteur au moyen de la

relation de c-commande mutuelle, dans le cas de la portée étroite : « that so […] and the result

clause are adjuncts within the same phrase entails that they mutually c-command, and therefore

82

Ces phrase peuvent parfois être plus naturelles avec le pronom résomptif ce :

i. Ce que Susan a dit que Jean a toujours été c’est si chanceux qu’il gagnait fréquemment au loto.

ii. Ce que Susan a dit que Jean a mangé c’est tant de chocolat qu’il en est devenu malade.

iii. Ce que Susan a dit que Jean faisait c’est aller au cinéma tellement qu’il a peu d’argent maintenant.

83

Les exemples (75) et (76) peuvent recevoir une interprétation de portée étroite : « Jean s’est énervé parce qu’il a

mangé tant de chocolat. » et « Jean s’est énervé parce qu’il allait tellement au cinéma. », respectivement.

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128

that the former can select the latter » (White 2005 : 525). Son explication au moyen d’une

configuration unique (la c-commande) ressemble de près aux analyses de Rouveret (1977, 1978)

et de Culicover et Rochemont (1990), Rochemont et Culicover (1997). Mais contrairement à ces

dernières, la c-commande cruciale pour la sélection dans l’analyse de White (2004a, 2004b,

2005) a lieu en syntaxe et ‘autour’ du syntagme intensifié. Dans le cas de la portée large, White

se sert de la c-commande à FL pour expliquer les mêmes restrictions sélectionnelles : la prop-que

adjointe au nœud propositionnel matrice est sélectionnée à FL par le marqueur qui monte à ce

même nœud. Cette explication est identique à celle de Rouveret (1977, 1978) et de Culicover et

Rochemont (1990), Rochemont et Culicover (1997).

Pour ce qui est de l’obviation à la Condition C, White a recours à la montée à FL du constituant

qui contient la prop-que avec l’expression référentielle :

(77) a. Susan a dit qu’il a toujours été si chanceux que Jean gagnait fréquemment au loto.

b. Susan a dit [[si chanceux que Jean gagnait fréquemment au loto]i qu’il a toujours

été ti]

(78) a. Susan a dit qu’il a mangé tant de chocolat que Jean en est devenu malade.

b. Susan a dit [[tant de chocolat que Jean en est devenu malade]i qu’il a mangé ti]

(79) a. Susan a dit qu’il allait au cinéma tellement que Jean a peu d’argent maintenant.

b. Susan a dit [[tellement que Jean a peu d’argent maintenant]i qu’il allait au cinéma

ti]

La montée des constituants à gauche, au spécificateur du nœud propositionnel de la CIC avant

l’interprétation des pronoms, assure la non-violation de la Condition C de liage. À la différence

de Rouveret (1977, 1978) et de Culicover et Rochemont (1990), Rochemont et Culicover (1997),

White propose que c’est tout le constituant qui se trouve à la position de portée. Sa motivation

pour ce type de déplacement n’est pas claire, mais nous supposons qu’elle est liée à la nature

quantificationnelle du marqueur d’intensité.84

De plus, il n’est pas évident pourquoi toute la

phrase intensifiée (le marqueur et les prédicats intensifiés, e.g. chanceux, chocolat en (77) et

(78)) se déplacerait dans ce cas, étant donné que c’est traditionnellement le marqueur et la prop-

que uniquement qui occupent les positions de portée à l’interprétation, en fonction de leur statut

84

White remarque aussi que ce mouvement dépend de la nature du complémenteur de la proposition de

degré/conséquence : seulement les phrases avec les propositions finies (i.e. les CIC avec la prop-que) se déplacent à

FL. Il n’élabore pas sur le lien entre la finitude et l’inhibition de la montée à FL du constituant intensifié.

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129

de quantificateur généralisé (Wold 1995 dans Bhatt et Pancheva 2004 ; Heim 2000 ; Meier 2001,

2003).

Pour résumer, les analyses par adjonction proposent la génération de la prop-que dans sa position

d’épel en tant qu’adjoint à droite. Cette position varie en fonction de la portée interprétative.

Dans le cas de la portée étroite, on propose une adjonction au nœud propositionnel (Rouveret

1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et Culicover 1997) ou une adjonction

au syntagme intensifié (White 2004a, 2004b, 2005). Dans le cas de la portée large, on propose

uniformément une adjonction au nœud propositionnel enchâssant. À quelques exceptions près

(White 2004a, 2004b, 2005), les analyses par adjonction incorporent une condition de bonne

formation pour établir la relation sémantique et syntaxique entre le marqueur de degré et la prop-

que. Cette condition est centrée sur la portée du marqueur à FL et sur la relation de c-commande

et sert aussi à expliquer les comportements saillants de la CIC.85

En fait, dans l’ensemble, les

analyses par adjonction dépendent largement, du point de vue de l’adéquation empirique, des

propriétés de la tête Deg° et de son comportement à FL. Les trois analyses ici mentionnées

traitent les marqueurs d’intensité comme des opérateurs, c’est-à-dire des têtes Deg° avec des

propriétés quantificationnelles qui doivent se déplacer à FL à leur position de portée. On peut

donc conclure qu’en général, dans les analyses par adjonction, la dérivation de la CIC a un plus

haut degré d’articulation structurale à FL.

Les principales critiques des approches par adjonction sont axées sur la nature ad hoc des

mesures prises pour expliquer les comportements attestés de la CIC. Étant donné que les adjoints

sont sœurs aux nœuds propositionnels, ils ne sont pas sélectionnés par la tête de la phrase à

laquelle ils sont associés. La relation entre la prop-que de conséquence et la phrase à laquelle elle

est adjointe dans les analyses par adjonction, e.g. CP, AP intensifié, etc., semble correspondre à

ces critères généraux. Mais, comme nous l’avons mentionné plus haut, la corrélation

morphologique entre le marqueur et le complémenteur de la proposition de conséquence

représente clairement une relation grammaticale de sélection et suggère une association plus

locale avec le marqueur d’intensité, la tête Deg°. Autrement dit, la prop-que interagit avec la

85

White (2004a, 2004b, 2005) ne se prononce pas sur l’existence d’une condition unique. Il suppose que les CIC

sont des idiomes constructionnels (« constructional idioms » ; Jackendoff 1997) et donc un lien ‘éloigné’ entre la

prop-que et le marqueur d’intensité lorsque ces deux sont adjoints à la même phrase suffit pour expliquer leur

relation. Ses structures ressemblent pourtant de près aux structures d’adjonction de Rouveret (1977, 1978) et de

Culicover et Rochemont (1990), étant donné qu’elles reposent, elles aussi, sur la relation de c-commande.

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structure à laquelle elle est associée, ce qui n’est pas un comportement typique des adjoints. Il en

est de même en ce qui concerne la relation sémantique de restriction entre le marqueur et la prop-

que. On considère ainsi que les approches par adjonction ont pour objectif de maintenir

gratuitement l’ordre linéaire à l’épel au détriment des explications des faits empiriques (Büring

et Hartman 1997 ; de Vries 2002). On fabrique des conditions stipulatives ou bien on a recours à

des explications non uniformes peu désirables, comme c’est le cas de l’analyse de White, où on

propose qu’un comportement ait deux explications : la sélection du complémenteur de la

proposition de conséquence a lieu en syntaxe dans le cas de la portée étroite et à FL dans le cas

de la portée large.

En conclusion, les analyses par adjonction souffrent d’une indésirable absence de localité entre

des éléments qui interagissent grammaticalement et sémantiquement. Pour pallier cette faiblesse,

ainsi que pour expliquer des aspects uniques de l’extraposition dans les constructions de degré,

comme sa nature obligatoire, on propose dans la littérature une analyse par association tardive

(Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Cette analyse se base sur les travaux qui avancent une

association non cyclique, ou tardive, des adjoints XP au moment de leur insertion dans la

structure (Lebeaux 1988, 1991 ; Chomsky 1993 ; Fox and Nissenbaum 1999 ; Fox 2002). Le

survol de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) fait l’objet de notre prochaine section.

3.2.4.3 Association tardive

Bhatt et Pancheva (2004, 2007) sont parmi les rares travaux qui examinent l’extraposition dans

les constructions de degrés uniquement. Dans ce qui suit, nous présentons la façon dont ils

proposent de générer la construction intensive de conséquence, ainsi que les postulats théoriques

fondamentaux qu’ils adoptent. Les principaux ingrédients de leur analyse dérivationnelle sont :

la quantification sémantique (la montée des quantificateurs), l’association tardive et la

compositionnalité sémantique.86

86

Il est à noter que Bhatt et Pancheva (2004, 2007) n’étudient pas la construction intensive de conséquence

directement. Plutôt, ils proposent une analyse des constructions de degrés en général et illustrent cette analyse au

moyen d’exemples de la construction comparative de l’anglais. Ils notent pourtant à des nombreuses reprises que

leur analyse s’applique à la construction intensive de conséquence.

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Deux suppositions majeures sous-tendent la dérivation de la construction intensive de

conséquence que Bhatt et Pancheva (2004, 2007) proposent. Premièrement, ils adoptent un

modèle de cycle unique de la grammaire où certains types de constituants peuvent être générés

tardivement (ou non cycliquement, « countercyclicly »). Il s’ensuit que le moment où les

opérations (e.g. générations à la base, mouvements) se produisent dans la dérivation, c’est-dire

avant ou après l’Épel, ne détermine pas leur nature manifeste (ou phonologiquement visible)

versus non manifeste (ou phonologiquement invisible). Ce modèle a été proposé à l’origine dans

Lebeaux (1988, 1991) et développé dans Fox et Nissenbaum (1999, 2000) pour rendre compte

des effets d’extraposition liés aux adjoints XP, tels que les propositions relatives, sans avoir

recours à un mouvement obligatoire et libre, une notion ad hoc et coûteuse, ou à une adjonction

sémantiquement non compositionnelle. Bhatt et Pancheva (2004, 2007) soutiennent que ce même

mécanisme est responsable de l’association des propositions de degré (e.g. les prop-que) dans la

configuration des constructions intensives de conséquence, propositions qui sont liées aux

mêmes effets d’extraposition que les propositions relatives.

Deuxièmement, Bhatt et Pancheva (2004, 2007) supposent que les marqueurs d’intensité dans la

construction intensive de conséquence sont des expressions quantificationnelles, ce qui implique

qu’ils ne peuvent pas être interprétés in situ et doivent monter à une position de portée pour

obtenir leur interprétation (cf. §3.2.1). Pour ce qui est de l’interprétation de la chaîne créée par

ladite montée, ils adoptent la Conversion de traces, un mécanisme proposé par Fox (2001, 2002)

pour l’interprétation de « traces » qui sont des copies créées par le mouvement par copies. Selon

ce mécanisme, l’association des compléments de degré à la tête Deg° lorsque cette dernière se

situe dans sa position de base n’est pas syntaxiquement disponible.

Finalement, Bhatt et Pancheva (2004, 2007) adoptent aussi la configuration classique pour

représenter la relation structurale entre les marqueurs d’intensité et les syntagmes intensifiés et

les marqueurs et la prop-que : le marqueur d’intensité est généré à la base en tant que la tête

lexicale Deg° dans la position de spécificateur du prédicat gradable ([AP [DegP Degº] Aº]) ; la

prop-que est générée à la base dans la position de complément de la tête de degré ([DegP Degº

CP]).

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Pour illustrer dans son intégralité la dérivation qui produit la construction intensive de

conséquence selon Bhatt et Pancheva (2004, 2007), considérons l’exemple suivant :

(80) Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

En syntaxe, le marqueur d’intensité si est d’abord généré à la base en tant que la tête Deg° dans

la position de spécificateur de la tête adjectivale furieux :

(81) [Jean était si furieux]

(82) … !

AP V DegP A° ! !

Deg° furieux !

si

Le DegP dont la tête est un opérateur de degrés subit un mouvement QR, parce que c’est un

quantificateur, et se déplace à sa position de portée (à droite) ; ce mouvement laisse derrière une

copie (Bhatt et Pancheva 2004 : 11) :

(83) [[Jean était si1 furieux] si2]

(84) XP (adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 12 ; ex. (18)) qp

…XP DegPi ! !

… Deg° ! !

AP... si2

V DegPi A° ! !

Deg° furieux !

si1

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Bhatt et Pancheva (2004, 2007) proposent que le marqueur peut s’associer dans trois différentes

positions de la configuration : le syntagme intensifié (e.g. AP) ; le IP de la CIC ; et le IP de la

proposition matrice (dans le cas des CICs enchâssées). Ces positions correspondent à des

interprétations différentes.87

La montée du DegP à sa position de portée est suivie de

l’association de la prop-que de conséquence qu’il pouvait à peine parler dans la position de

complément de ce DegP déplacé. Ainsi, un mouvement traditionnellement considéré comme

étant non manifeste est suivi d’une génération tardive à la base (de la prop-que) :

(85) [[Jean était si1 furieux] si2 qu’il pouvait à peine parler]

(86) XP (adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 12 ; ex. (19)) qp

…XP DegPi ! !

… Deg’ ! V AP... Deg° CP V ! 4

DegPi A° si2 prop-que ! !

Deg° furieux !

si1

La prop-que ne s’associe pas dans la position de complément au moment où le marqueur

d’intensité entre dans la dérivation, mais plus tard dans la dérivation. Elle se situe ainsi du côté

droit de l’arbre, tout comme la tête Deg° déplacée. De plus, c’est la copie inférieure de si (i.e. si1)

dans la chaîne qui est prononcée ; la copie déplacée (i.e. si2) est la copie interprétée.88

Il est à noter que la dérivation de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) corrobore les analyses de

Williams (1974) et Liberman (1974), développées aussi dans Rouveret (1977, 1978), Guéron et

87

Comme ce type de mouvement n’a aucun effet sur l’ordre linéaire, c’est-à-dire il est « string vacuous », Bhatt et

Pancheva (2004) avancent que la tête Deg° monte à la position la plus basse où elle peut être interprétée. Mais si une

position plus haute produit une interprétation de portée différente, le déplacement de la tête Deg° à cette position est

permis (Bhatt et Pancheva 2004 : 19, fn.18). 88

Bhatt et Pancheva (2004) considèrent que cette approche soutient une théorie phonologique du mouvement

quantificationnel : “[This] provides indirect support for what has come to be known as the phonological theory of

QR (see, e.g., Bobaljik 1995, 2002, Pesetsky 2000), namely, the idea that QR is a covert operation simply because at

PF it is the lower copy of the quantificational DP that is pronounced” (Bhatt et Pancheva 2004 : 2).

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May (1984), Culicover et Rochemont (1990) et Rochemont et Culicover (1997), à savoir que

l’extraposition de la prop-que de degré/conséquence est associée à la montée de la tête Deg°, la

tête de la prop-que extraposée. Autrement dit, les propriétés de la tête de degré dans la

représentation logique sont un facteur dans l’analyse de l’extraposition de la prop-que. Dans

l’analyse de Bhatt et Pancheva (2004, 2007), ce lien est plus rigide, étant donné que la prop-que

ne peut que s’associer directement dans la position de portée.

Pour discuter de l’adéquation empirique de la dérivation proposée par Bhatt et Pancheva (2004,

2007), nous commençons par examiner la principale motivation derrière la formulation du

mécanisme d’association tardive. Cet examen s’impose car la motivation est empirique et

implique un des comportements saillants de la CIC.

Lebeaux (1988, 1991) a proposé le modèle d’association tardive pour rendre compte des

constructions interrogatives avec un syntagme-wh qui est déplacé en position initiale et qui

contient un adjoint avec une expression référentielle (cf. (87a) ci-dessous). Ce type de

construction ne produit pas la même grammaticalité lorsque le syntagme-wh contient un

complément au lieu d’un adjoint (cf. (87b)) :

(87) a. Which pictures that Johni took does hei like t?

b. *Which pictures of Johni does hei like t?

(Lebeaux 1991 : 211)

Si on suppose que le syntagme-wh se déplace en syntaxe et qu’il subit une reconstruction avant

l’interprétation (une supposition classique à l’époque, cf. §3.2.4.1), alors on peut expliquer

l’agrammaticalité de l’exemple (87b) avec la violation de la Condition C de liage : à

l’interprétation, l’expression référentielle John se situe dans le domaine de c-commande du

pronom he (FL : Hei likes which pictures of Johni). Lebeaux avance par la suite que la

grammaticalité de l’exemple (87a), où John se situe dans l’adjoint, doit être due au fait que cet

adjoint ne fait pas partie du syntagme-wh avant que ce dernier se déplace en position initiale (i.e.

Which pictures does he like t?) ; plutôt, il s’y adjoint après. De cette façon, la reconstruction ne

déclenche pas la violation de la Condition C (FL : Which pictures that Johni took does hei like

[which pictures]?).

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Chomsky (1993) adopte Lebeaux (1988, 1991) pour expliquer les mêmes constructions dans le

cadre de la théorie du mouvement par copies :

(88) a. Which claim that Johni made was hei willing to discuss t?

b. *Which claim that Johni was asleep was hei willing to discuss t?

(Chomsky 1993 : 37)

Comme nous l’avons dit dans la section §3.2.4.1, les effets de reconstruction s’expliquent dans la

théorie du mouvement par copies au moyen de l’interprétation de la copie inférieure de l’élément

déplacé. Pour empêcher la violation de la Condition C de liage, cette copie ne peut pas contenir

l’expression référentielle.

Fox et Nissenbaum (1999, 2000), que Bhatt et Pancheva (2004, 2007) adoptent, adaptent

Lebeaux (1988, 1991) et Chomsky (1993) pour dériver les constructions déclaratives qui

attestent de l’extraposition d’un syntagme propositionnel de l’intérieur des phrases nominales :

(89) a. I gave himi an argument yesterday that supports John’si theory.

b. ??/*I gave himi an argument yesterday that this sentence supports John’si theory.

(Fox et Nissenbaum 1999 : 9 ; nous soulignons les expressions extraposées)

On propose, pour l’exemple (89a), un déplacement non manifeste de la tête nominale

(quantificationnelle, ici argument) à une position de portée à droite, suivi d’une association

tardive de la proposition relative (that supports John’s theory). Cette fois, il ne s’agit donc pas

d’un déplacement manifeste d’un NP en position initiale suivi d’une association tardive (cf.

(87a), (88a)).89

Comme Lebeaux (1988, 1991), Chomsky (1993) et Fox et Nissenbaum (1999, 2000), Bhatt et

Pancheva (2004, 2007) adoptent l’association tardive en grande partie pour rendre compte de

l’obviation à la Condition C de liage. Cette obviation est fréquemment attestée dans la CIC (cf.

§3.2.3 ; nous reprenons ci-dessous les exemples (49) et (52)) :

89

L’association tardive est aussi adoptée par Stepanov (2000, 2001) pour les adjoints XP et par Hulsey et Sauerland

(2006) pour l’analyse des constructions relatives. Elle est développée par Takahashi et Hulsey (2009) pour la

dérivation de certains compléments nominaux.

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(90) a. Je luii ai dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai

rendu Mariei inquiète.

b. Ellei a rencontré si peu de gens à la fête que Mariei en a été déçue.

Si la prop-que de degré (ici que j’ai rendu Marie inquiète, que Marie en a été déçue) s’associe

tardivement, la Condition C n’est pas enfreinte, même lorsque la prop-que contient une

expression référentielle liée à un pronom dans la matrice. Comme pour les exemples (87) et (88),

l’association tardive explique correctement (voire est nécessaire pour expliquer) l’obviation à la

Condition C de liage, vu que la prop-que est générée dans une position haute et non pas déplacée

d’une position basse. Dans le cadre de la théorie du mouvement par copies, cette obviation ne

pourrait pas être expliquée, car la copie inférieure de la prop-que serait c-commandée par le

pronom dans la matrice.90

En plus d’expliquer l’obviation à la Condition C de liage, Bhatt et Pancheva (2004, 2007)

proposent une dérivation syntaxique qui permet de rendre compte de plusieurs comportements

non triviaux qu’exhibent les constructions de degré. Ces comportements qui compliquent en

particulier l’expression syntaxique de la relation entre le marqueur d’intensité et la prop-que

incluent : les restrictions sélectionnelles entre le marqueur et la proposition de

degré/conséquence, les effets de non-adjacence et les ambiguïtés de portée.

Dans l’analyse par association tardive, comme dans la majorité des autres analyses de la CIC, la

corrélation entre le marqueur d’intensité et le complémenteur de la proposition de degré reflète

une relation de sélection. Cette sélection est satisfaite au moment de la génération à la base de la

prop-que. Comme la prop-que est générée à l’intérieur (dans la position de complément) de la

90

Comme on a pu le remarquer, Lebeaux (1988, 1991) et Fox et Nissenbaum (1999, 2000) avancent que seulement

les XP à statut d’adjoints peuvent s’associer tardivement dans la structure. Ils démontrent cette restriction

empiriquement et la relient au principe de projection selon lequel le critère-ϴ doit être satisfait au cours de la

dérivation et donc aussi à la génération de la tête Deg° dans la structure. La prop-que de conséquence a pourtant le

statut de complément. Bhatt et Pancheva (2004, 2007) proposent que l’association tardive peut exceptionnellement

s’appliquer aux compléments de degré, ce qui est justifié par le statut de la tête Deg°. Cette tête n’est pas un prédicat

lexical et donc on peut avancer qu’elle ne doit pas satisfaire au principe de projection à tout instant dans la

dérivation, ou simplement pas de la même manière que les têtes lexicales. Tout comme les adjoints (qui ne sont pas

légitimés par le critère-ϴ), les compléments de degré peuvent donc s’associer tardivement. Cette tête a aussi un

statut sémantique différent de celui des têtes dont les compléments sont exclus pour l’association tardive par

Lebeaux et Fox et Nissenbaum. Les marqueurs d’intensité sont des déterminants quantificationnels (Bresnan 1973 ;

Rouveret 1978 ; Heim 2000 ; Meier 2001, 2003), tandis que les têtes nominales sont des restricteurs des

déterminants. Bhatt et Pancheva (2004, 2007) avancent que les compléments des déterminants quantificationnels

peuvent s’associer tardivement.

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137

copie déplacée de la tête Deg°, après que cette dernière s’associe dans sa position de portée, la

sélection n’est donc pas satisfaite au moment de la génération à la base du marqueur d’intensité

dans la structure. L’approche de Bhatt et Pancheva garde intacte la relation de localité stricte

traditionnellement avancée entre la tête Deg° et la prop-que. Ainsi, le fait que la prop-que

apparaît rarement en position adjacente au marqueur ne doit pas remettre en question ce statut

structural. En fait, en dehors de l’association tardive, et dans une approche comme le

Minimalisme où le mouvement doit être motivé, ces restrictions ne pourraient pas être satisfaites

en structure locale stricte. Qui plus est, cette approche permet d’avancer que le marqueur et la

prop-que réalisent un constituant dans la structure et qu’ils constituent un argument de degré.

L’association tardive conduit ainsi à une composition sémantique directe.

Les effets de linéarisation reçoivent aussi une explication directe dans cette analyse. La position

finale de la prop-que et la distance qui peut la séparer du marqueur d’intensité (avec lequel elle

forme un argument de degré) est le résultat direct de son association à la tête Deg° après la

montée de cette dernière à sa position de portée. La prop-que s’associe à la copie supérieure de la

tête Deg°, mais c’est la copie inférieure de cette dernière qui est prononcée. Ainsi, la prop-que et

le marqueur ne sont pas prononcés ensemble, bien qu’ils constituent sémantiquement un

argument de degré. L’association tardive rend compte aussi du placement de la prop-que après

les éléments adverbiaux qui se construisent avec la proposition matrice :

(91) a. Jean a acheté tant de livres à la librairie la semaine dernière qu’il [en] est ruiné.

b. *Jean a acheté tant de livres qu’il [en] est ruiné à la librairie la semaine dernière.

La prop-que s’associe dans la position de portée du marqueur d’intensité, une position plus haute

que la position des éléments adverbiaux qui se situent à l’intérieur de la proposition matrice.

Pour ce qui est de l’ambiguïté interprétative, elle est aussi décrite sans problème dans l’approche

sémantico-compositionnelle de Bhatt et Pancheva (2004, 2007). Rappelons qu’ils proposent que

les positions où le marqueur monte pour recevoir son interprétation de portée peuvent varier, tant

que ces positions correspondent à des interprétations différentes (c’est-à-dire tant que le

mouvement produit une interprétation différente). Ainsi, dans le cas de l’ambiguïté de la phrase

Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste., on peut s’attendre à ce que la

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138

position de portée du marqueur d’intensité et, par conséquent, la position de la prop-que soient

différentes pour les deux interprétations. Bhatt et Pancheva offrent ainsi une explication

comparable aux celles qu’offrent les autres analyses du cadre quantificationnel (i.e. Rouveret

1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et Culicover

1997 ; Meier 2001, 2003 ; White 2004ab, 2005) : l’ambiguïté reflète la portée variable du

marqueur, portée encodée au moyen de la montée variable de la tête Deg° :

(92) Interprétation 1 : ‘Marie dit que, parce qu’elle a des amis influents à un degré x, elle

va obtenir le poste.’

[CP3 Marie dit [CP1 que [IP [IP elle [VP a des amis si1 influents]] [DegP si2 [CP2 qu’elle va

obtenir le poste]]]]]

(93) Interprétation 2 : ‘Parce que Marie dit qu’elle a des amis influents à un degré x, elle

va obtenir le poste.’

[CP3 [IP [IP Marie [VP dit [CP1 qu’elle a des amis si1 influents]]] [DegP si2 [CP2 qu’elle va

obtenir le poste]]]]

Dans le cas de la première interprétation (cf. (92)), selon l’analyse de Bhatt et Pancheva, la tête

Deg° monte pour s’adjoindre au IP de la CIC, tandis que dans le cas de la deuxième

interprétation (cf. (93)), elle monte pour s’adjoindre au IP de la proposition enchâssante.

L’analyse par association tardive rend ainsi compte des effets de portée de manière

dérivationnelle.

Bhatt et Pancheva (2004) discutent aussi des restrictions sur l’ordre relatif de plusieurs

propositions extraposées dans la même phrase, comme les propositions comparative et de

conséquence. Ils adaptent les exemples de Guéron et May (1984), que nous adaptons davantage

ci-dessous en français :

(94) a. Tant de gens ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-

cons qu’on en a manqué].

b. *Tant de gens ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-cons qu’on en a manqué] [CP-

compar qu’on ne l’espérait].

Ces exemples attestent d’une restriction sur l’ordre linéaire des deux propositions de degré : la

proposition comparative (qu’on ne l’espérait) et la proposition de conséquence (qu’on en a

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139

manqué). La proposition comparative extraposée doit précéder la proposition de conséquence et

non pas la suivre.91

Bhatt et Pancheva n’offrent pas d’explication de la restriction qu’ils soulèvent ; ils l’adoptent

telle quelle. Mais ils suggèrent que dans certains exemples de ce type, l’agrammaticalité a une

cause sémantique :

(95) a. *Plus de gens ont mangé tant de bonbons à la foire [CP-cons qu’on en a manqué] [CP-

compar qu’on ne l’espérait].

b. ???/*Plus de gens ont mangé tant de bonbons à la foire [CP-compar qu’on ne

l’espérait] [CP-cons qu’on en a manqué].

L’exemple (95a) est exclu sur la base de la violation de la restriction concernant l’ordre relatif

des deux propositions extraposées ; l’exemple (95b), où cet ordre est respecté, est exclu sur la

base du croisement des abstractions de degrés, λd…d (Bhatt et Pancheva 2004 : 25-26) :

(96) a. tant [qu’on en a manqué] λd1 plus [qu’on ne l’espérait] λd2 [d2-de gens ont mangé

d1-de bonbons à la foire]

b. *λd1… λd2 …d2…d1 (abstractions de degrés croisées)

L’ordre λd1…d1…λd2…d2 représente des abstractions non croisées. Ainsi, pour ce qui est des

restrictions sur l’ordre relatif de plusieurs propositions extraposées dans la même phrase, Bhatt et

Pancheva n’offrent pas une solution syntaxique. Tout de même, dans l’ensemble, comme indique

notre survol des explications des comportements saillants de la CIC qu’offre leur analyse, son

adéquation empirique est comparable aux analyses par mouvement (cf. §3.2.4.1) et par

adjonction (cf. §3.2.4.2).

Pour résumer, l’analyse de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) relie l’extraposition au mouvement

non manifeste. On y avance que la prop-que s’associe tardivement au marqueur d’intensité après

91

Rappelons que Rouveret (1977) présente aussi un exemple de ce type de restriction (cf. §3.2.4.2, ex. (67)) : e.g. Il

est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-cons qu’il peut voyager en première classe] [CP-compar que je ne le suis].

vs. *Il est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-compar que je ne le suis] [CP-cons qu’il peut voyager en première

classe.]. Ce contraste atteste d’une restriction opposée : la proposition comparative extraposée doit suivre la

proposition de conséquence. Rouveret attribue l’ordre relatif des deux propositions extraposées aux montées

relatives de plus et de tant à FL. Il n’identifie pas pourtant ce qui est responsable des limitations imposées sur ces

montées. Et, avec l’existence du contraste en (94), ces limitations se révèlent insuffisantes.

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140

la montée furtive de ce dernier. Ce mécanisme dérivationnel incorpore plusieurs suppositions de

base qui constituent aussi le fondement des approches classiques sur la dérivation syntaxique des

constructions de degré. Celles-ci incluent : le statut syntaxique du marqueur d’intensité en tant

que tête Deg° et en tant que spécificateur du syntagme intensifié ; le statut sémantique du

marqueur d’intensité en tant que quantificateur ; le statut syntaxique de la prop-que en tant que

complément de la tête Deg° ; le statut sémantique de la prop-que en tant qu’argument de la tête

Deg°. Comme la majorité des analyses dérivationnelles de la construction intensive de

conséquence, l’analyse de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) soutient que la structure syntaxique de

cette construction doit être principalement prédite à partir de ses propriétés sémantiques. Leur

dérivation rend compte aussi des principales propriétés empiriques de cette construction (cf.

§3.2.3).

Nous allons adopter comme hypothèse dérivationnelle nulle pour les données à l’étude dans cette

thèse la dérivation syntaxique de la construction intensive de conséquence qui a été proposée

dans Bhatt et Pancheva (2004, 2007). Bien qu’elle ressemble à plusieurs égards aux approches

par mouvement et par adjonction (présence de déplacements, adjonction à droite, importance de

l’interface syntactico-sémantique, adéquation empirique), l’approche par association tardive se

débarrasse de certains aspects ad hoc des analyses par adjonction (tels que les mécanismes

interprétatifs pour empêcher la non-compositionnalité et pour expliquer la sélection) et des

aspects coûteux des analyses par mouvement (tels que le mouvement non motivé de la prop-

que). En plus, le comportement d’obviation à la Condition C de liage suggère que l’adoption de

cette approche est appropriée. Elle s’inscrit aussi dans le cadre général minimaliste et incorpore

des mécanismes théoriques minimalistes les plus récents comme la théorie du mouvement par

copies.

La dérivation que Bhatt et Pancheva (2004, 2007) proposent n’est pas pourtant parfaite. Notre

survol n’a pas dressé un état des lieux exhaustif de l’ensemble des propriétés empiriques de la

CIC. Un inventaire plus complet des comportements montrerait que, comme le reste des analyses

dérivationnelles de la CIC dans la littérature, l’analyse par association tardive ne peut pas les

expliquer tous.92

Par exemple, comme les dérivations par mouvement et par adjonction à droite,

92

Nous allons soulever d’autres comportements de ce type lorsque nous effectuerons une comparaison des

comportements de la CIC-explicite et de la CIC-implicite (cf. Chapitre 4, §4.2).

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141

cette dérivation ne peut pas rendre compte des oppositions suivantes (mentionnées dans la

section §3.2.4.1) :

(97) a. Un homme si furieux [CP qu’il pouvait à peine parler], est entré dans la pièce.

b. *Un homme si furieux est entré dans la pièce, [CP qu’il pouvait à peine parler].

c. Un homme si furieux est entré dans la pièce, [CP que toutes les conversations se

sont tues].

La dérivation ne peut pas prédire l’agrammaticalité de l’exemple (97b), étant donné la

grammaticalité de l’exemple comparable en (97c). Pour le moment, nous n’allons pas élaborer

davantage sur l’adéquation empirique de la dérivation par association tardive.

Pour ce qui est de l’adéquation théorique, elle n’est pas parfaite non plus. La présence dans la

dérivation d’un mouvement syntaxique à droite suivi par une adjonction à droite, deux opérations

douteuse dans le cadre minimaliste, pourrait aussi remettre en question cette analyse. Mais, cette

dérivation tient compte de certains intérêts minimalistes (e.g. on la propose pour éviter

l’extraposition par mouvement de la prop-que, vu qu’on n’arrive pas à relier ce mouvement à la

présence d’un trait et on la propose dans le cadre de la théorie du mouvement par copies). De

plus, l’association tardive reçoit du soutien dans plusieurs travaux qui traitent du fonctionnement

de la structure phrastique minimaliste (Stepanov 2000, 2001 ; Gärtner et Michaelis 2003 ;

Kobele et Michaelis 2011 ; Hunter 2011). Certains travaux avancent même une application plus

répandue de ce type d’association (Hulsey et Sauerland 2006 ; Takahashi et Hulsey 2009).

Finalement, l’association tardive représente une option dérivationnelle intéressante, surtout pour

les éléments de « pensée après-coup » (« afterthought »). La prop-que peut être considérée

comme un de ces éléments, étant donné, par exemple, la rupture intonative qui la sépare de la

proposition principale. On relie souvent ce type de marquage prosodique à l’idée de pensée

après-coup.

Nous adoptons ainsi l’analyse par association tardive telle quelle en gardant ses points faibles à

l’esprit. Nous reviendrons à ces points dans l’avant-dernier chapitre (§4.3). Notre but immédiat

est de nous servir d’une dérivation proposée (le rasoir d’Occam) dans le but d’identifier les

contraintes qui régissent la CIC-implicite et de déterminer la pertinence de ses comportements

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142

uniques. Dans la section qui suit, nous allons commencer à examiner ce que la dérivation de

Bhatt et Pancheva (2004, 2007) révèle à ce sujet.

3.3 La CIC-implicite : adoption initiale de Bhatt et Pancheva (2004, 2007)

Nous avons avancé au début de ce chapitre l’hypothèse selon laquelle les données à l’étude

seraient dérivationnellement reliées à la construction intensive de conséquence. Sur la base des

comparaisons de propriétés fondamentales des données et de la CIC (e.g. structure de base,

interprétation, prosodie), nous considérons que les données ne sont que des cas uniques de la

CIC dans lesquels l’intensification est implicite. Nous les appelons donc les réalisations de la

CIC-implicite.

Notre principal objectif structural est de définir la nature exacte du lien dérivationnel entre la

CIC-explicite et la CIC-implicite et de déterminer si ce lien peut expliquer les comportements

qui caractérisent la CIC-implicite et la démarquent de la CIC-explicite. Un objectif non moins

important est de définir comment s’insère dans ce lien la nature implicite de l’intensification. À

cette fin, nous avons choisi d’adopter une analyse dérivationnelle proposée dans la littérature

pour la CIC-explicite, celle de Bhatt et Pancheva (2004, 2007), et de l’appliquer à la CIC-

implicite. Nous appelons ce type d’approche « une approche stricte encadrée », parce que nous

examinerons l’applicabilité de leur dérivation par le biais de changements minimaux. Dans cette

approche, on peut donc reformuler nos objectifs structuraux par la question suivante : Quelle est

la relation exacte du point de vue dérivationnel entre la CIC-implicite et la CIC-explicite dans le

cadre de la dérivation par association tardive de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) et comment

s’insère dans cette relation la nature implicite de l’intensification ? Dans cette dernière section du

Chapitre 3, nous allons commencer à répondre à cette question. Nous allons examiner si la

dérivation par association tardive proposée pour la CIC-explicite semble avoir tout ce qu’il faut

pour produire une CIC-implicite de base. Nous allons considérer de façon générale les

changements qu’il faut y apporter si elle ne s’avère pas adéquate, en particulier au niveau de la

structuration de l’intensification implicite. Cette discussion a la fonction principale de servir de

base au Chapitre 4, où nous reviendrons plus en détail sur les comportements de la CIC-implicite

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143

par rapport à la CIC-explicite et où nous préciserons notre analyse du lien dérivationnel entre les

deux constructions.

Prenons une réalisation typique de la CIC-implicite :

(98) Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

Rappelons que pour Bhatt et Pancheva (2004, 2007), la prop-que s’associe dans la configuration

structurale par le biais de la tête Deg° (réalisée dans la CIC-explicite par le marqueur d’intensité

tellement/si/tant). Cette tête projette une position de complément dans laquelle est générée, en

tant qu’argument propositionnel, la prop-que. Ainsi, le marqueur d’intensité peut sélectionner la

prop-que. Il s’ensuit que dans cette théorie dérivationnelle, la tête Deg° est une composante

syntaxique indispensable, une composante qui joue un rôle central de légitimateur syntaxique de

la prop-que. Dans cette optique, nous posons donc que la CIC-implicite en (98) contient, elle

aussi, cette composante syntaxique. La supposition que l’intensification implicite a un reflet dans

la structure de la CIC-implicite va de pair non seulement avec l’approche stricte encadrée, mais

aussi avec une de nos suppositions de travail, à savoir qu’il existe un niveau important

d’isomorphisme entre la syntaxe et la sémantique et donc, par la suite, une catégorie non

prononcée qui représente structuralement l’interprétation implicite d’intensification mais qui

n’est pas épelée phonologiquement. Mais un problème évident que pose l’implicite est qu’on ne

sait pas forcément où est son reflet structural ; on connaît seulement l’effet sur l’interprétation.

Nous allons supposer pour le moment que le reflet structural de l’intensification implicite se situe

dans une position qu’on appelle dans la littérature la position canonique du marqueur d’intensité

(Deulofeu 2007). Les exemples en (99) illustrent cette position au moyen de tellement pour la

CIC-explicite (99a) et e pour la CIC-implicite (99b) :

(99) a. Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Marie est e fatiguée qu’elle en perd les pédales.

Si l’élément vide e en (99b) représente une catégorie syntaxique non prononcée, on peut

s’attendre à ce que la dérivation par association tardive de cet exemple de la CIC-implicite soit

plus ou moins identique à la dérivation de l’exemple (99a) de la CIC-explicite, à savoir qu’elle

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implique les opérations dérivationnelles suivantes (cf. (100)) : 1) l’association ou la fusion de la

tête Deg° (e1) en position de spécificateur au syntagme intensifié AP (fatiguée) ; 2) sa montée

non manifeste à sa position de portée à droite (e2) ; et 3) l’association ou la fusion de la prop-que

dans la position de complément du DegP monté :

(100) XP qp

…XP DegPi ! !

… Deg’ ! V AP... Deg° CP V ! 4

DegPi A° e2 prop-que ! !

e1 fatiguée

La prochaine question qui se pose est de savoir ce que l’élément vide e représente exactement

dans la dérivation par association tardive. Quelle est la nature de cet élément interprétable sans

sonorité, de cette catégorie syntaxique non prononcée ? La grammaire offre plusieurs possibilités

syntaxiques qui peuvent s’insérer dans l’analyse par association tardive. Leur survol nous

permettra de mieux discuter dans le Chapitre 4 de l’adéquation empirique de cette analyse et des

options envisageables pour un lien dérivationnel entre la CIC-implicite et la CIC-explicite.

Une absence de sonorité liée à une tête syntaxique peut être expliquée de deux manières dans le

cadre de l’association tardive : 1) la non-réalisation des traits phonologiques de cette tête ; 2) la

réalisation zéro de ses traits phonologiques (i.e. traits phonologiques nuls). Dans le premier cas,

on parle d’une absence d’épel ; dans le second, on parle d’une tête nulle ou d’une catégorie vide.

Considérons d’abord la non-réalisation des traits phonologiques. Cette option correspond à une

absence d’épel ou à une non-insertion des traits phonologiques avec un contenu sonore d’une

expression lexicale, lorsque la structure syntaxique est traitée par le module phonologique (FP).

Autrement dit, la phonologie laisse une partie de la structure non prononcée. On parle aussi de

manière générale d’un « effacement » tardif de traits à FP. Il s’agit donc d’une explication non

dérivationnelle de l’implicite. Comme l’expression non prononcée garde sa structure syntaxique,

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145

les réalisations implicite et explicite sont en fait dérivées de la même manière. Ainsi, on ne

s’attend pas à ce que l’implicite soit contraint dérivationnellement. Et la CIC-implicite devrait

être caractérisée par les mêmes comportements structuraux dérivationnellement pertinents que la

CIC-explicite. L’approche par absence d’épel implique aussi que l’interprétation de l’implicite

devrait être identique à l’interprétation de l’explicite. Finalement, l’absence d’épel du contenu

phonologique (comme tout cas de non-prononciation) va de pair avec l’idée de récupérabilité du

sens de l’expression non prononcée. Le contenu sémantique de cette expression doit être

récupérable par l’interlocuteur dans le contexte donné. Dans ce sens, on pourrait dire que

l’absence d’épel (et les manifestations de l’implicite en général) est contrainte par la possibilité

de récupérabilité, de détermination pleine, de l’élément non épelé.93

Ce qui permet ou contraint

cette récupérabilité peut dépendre de plusieurs facteurs, comme par exemple le contexte

immédiat, l’existence dans le contexte précédent d’un antécédent de l’expression non prononcée

ou le contexte situationnel. Les facteurs concernant la récupérabilité varient selon les cas.

Pour illustrer l’applicabilité de l’absence d’épel d’une catégorie syntaxique à la CIC-implicite,

considérons par exemple les manipulations en (101) et (102). On devrait pouvoir prendre une

CIC-explicite et en faire une CIC-implicite simplement par la non-prononciation du marqueur

d’intensité :

(101) a. Les murs étaient si jaunis qu’on a dû les repeindre.

b. Les murs étaient e jaunis qu’on a dû les repeindre.

(102) a. J’ai tellement mangé que j’en suis écœuré.

b. J’ai e mangé que j’en suis écœuré.

Les réalisations de la CIC-explicite (cf. (101a) et (102a)) deviennent facilement les réalisations

de la CIC-implicite (cf. (101b) et (102b)). L’absence d’épel semble donc être une explication

plausible de l’implicite. On peut aussi dire des exemples en (b) qu’ils s’interprètent

identiquement aux exemples en (a) et que l’élément e correspond directement du point de vue

interprétatif aux marqueurs d’intensité tellement et si. Les interprétations en (103b) et (104b) des

exemples de la CIC-implicite en (103a) et (104a) ci-dessous démontrent davantage cette

corrélation interprétative :

93

Nous ne parlons pas ici de la récupérabilité en tant qu’une autorisation structurale ; nous faisons référence à un

besoin communicationnel.

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(103) a. Marie est e belle, qu’on en reste ébahi.

b. ‘Marie est tellement belle qu’on en reste ébahi.’

(104) a. Paul ment e que c’est une honte.

b. ‘Paul ment tellement que c’est une honte.’

Les interprétations en (b) indiquent que le sens de la catégorie implicite (e) est « tellement », soit

le sens de l’expression d’intensité dans la CIC-explicite correspondante. Comme la CIC-

implicite et la CIC-explicite partagent dans ces exemples la même interprétation, il est possible

d’avancer que la tête e dans la dérivation de la CIC-implicite est la même que la tête Deg°

tellement dans la CIC-explicite et que la CIC-implicite résulte d’une absence d’épel de tellement

en forme phonologique.

Considérons maintenant la deuxième option qui peut expliquer l’absence de sonorité liée à une

catégorie syntaxique et qui s’insère dans l’analyse dérivationnelle par association tardive : la

réalisation zéro des traits phonologiques de sa tête, c’est-à-dire une catégorie avec une tête qui

est épelée avec des traits phonologiques nuls (une tête Ø, une catégorie vide) et qui fait partie du

stockage mental d’un locuteur du français. On accepte largement que la grammaire dispose de

tels éléments nuls dans le lexique (e.g. objets nuls, complémenteur nul). Une des questions

importantes qui se pose avec une catégorie nulle (en plus de la question de récupérabilité

soulevée plus haut) est de savoir ce qu’elle représente et comment elle est contrainte. Les

éléments nuls sont typiquement postulés pour montrer la signifiance de l’absence. Ainsi, il faut

que l’absence ait une signification en opposition à la présence. Les catégories nulles en tant

qu’éléments lexicaux ont des propriétés idiosyncratiques (spécifiées dans leur entrée lexicale)

qui les démarquent des autres éléments dans le lexique auxquels ils ressemblent (en

interprétation ou en forme). Cette option pour l’implicite structuralement articulé se démarque

donc de manière importante de la première option (une absence d’épel) : les propriétés de la tête

implicite et de la tête explicite ne peuvent pas être identiques dans tous leurs aspects.

Considérons encore les exemples en (101b) et (102b) ci-dessus. Dans le cadre de l’approche par

absence d’épel, la catégorie syntaxique représentée par e dans ces exemples est identique à la

catégorie qui est réalisée par tellement dans les exemples en (101a) et (102a). En fait, c’est

l’expression tellement non prononcée. Dans le cadre de l’approche par catégorie vide, la

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catégorie syntaxique représentée par e ne peut pas être identique à la catégorie qui est réalisée

par l’expression tellement, sinon on a deux têtes qui ne se distinguent qu’en termes de traits

phonologiques, ce qui n’est pas optimal du point de vue de la grammaire. L’identification des

propriétés uniques de la tête nulle est une question d’étude empirique des conditions

(sémantiques et syntaxiques) qui permettent son existence.

Les réalisations attestées de la CIC-implicite donnent-elles des indications que la nature de

l’implicite structuré est une tête nulle, plutôt qu’une tête non épelée ? Considérons les exemples

suivants :

(105) a. Il chante e que ça fait plaisir.

b. ‘Il chante tellement bien que ça fait plaisir.’

(106) a. Il danse e que c’est merveilleux.

b. ‘Il danse tellement bien que c’est merveilleux.’

Les interprétations en (105b) et (106b) des exemples en (105a) et (106a) comprennent un effet

adverbial de qualité (avec le sens de « bien ») en plus de l’intensification, c’est-à-dire, c’est le

degré de la qualité des actions que les verbes chanter et danser expriment qui est en

augmentation. Si on adopte l’approche par tête non épelée, où l’élément e correspond à l’élément

tellement, le remplacement de e avec tellement (une sorte de test de reconstitution) dans les

exemples (105a) et (106a) produit les réalisations de la CIC-explicite en (107) et (108) qui ont

des interprétations bien différentes des interprétations indiquées en (105b) et (106b) :

(107) Il chante tellement que ça fait plaisir.

(108) Il danse tellement que c’est merveilleux.

Ces exemples de la CIC-explicite s’interprètent avec un effet d’intensification liée à une quantité

(d’itérations des actions exprimées par chanter et danser) et non pas à une qualité de ces actions

comme dans le cas des exemples de la CIC-implicite en (105) et (106). Ils sont paraphrasables

par ‘Il chante tellement fréquemment/souvent que ça fait plaisir.’ et ‘Il danse tellement

fréquemment/souvent que c’est merveilleux’. En fait, il n’existe pas de contexte dans lequel les

exemples en (107) et (108) pourraient obtenir une interprétation avec un effet d’intensification de

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qualité. Ainsi, une variation minimale au niveau du marqueur d’intensité (nul versus tellement)

produit les CIC-explicites qui s’interprètent différemment des CIC-implicites. De manière

générale, ce qu’on pourrait dire sur la base de ces deux exemples est que le marqueur d’intensité

manifeste tellement ne semble pas permettre l’interprétation de qualité (ou de « bien »), ou bien,

que ce type de marqueur semble permettre l’interprétation de quantité uniquement. Quant aux

exemples (105) et (106), si on considère que l’élément e correspond à l’expression tellement non

épelée, alors on pourrait constater que lorsqu’elle n’est pas épelée, cette expression permet l’effet

de qualité. Permet-elle aussi l’effet de quantité ? Comme nous l’avons déjà dit dans le Chapitre 2

(§2.3.1), dans un contexte bien précis, une telle interprétation est possible. Par exemple, la phrase

en (106) pourrait être énoncée par un locuteur pour exprimer ses sentiments à l’égard d’une

personne âgée qui garde sa forme (ou sa vie active) en pratiquant fréquemment la danse. Le

locuteur trouverait donc merveilleux la quantité des actions de danser que la personne effectue,

étant donné son âge. Cette interprétation est plus forcée hors contexte, mais elle n’est pas

impossible.

Les exemples (105) et (106) et les exemples (107) et (108) constituent des paires minimales,

offrant un contraste qui peut nous éclairer sur la nature de l’implicite. La question qui se pose est

de savoir d’où proviennent les effets de qualité et de quantité. Est-ce qu’ils proviennent d’un

item lexical particulier (e.g. le marqueur d’intensité, le verbe) ou est-ce qu’ils sont dérivés

compositionnellement de l’association de plusieurs items (e.g. le marqueur et le verbe) ? Ou bien

proviennent-ils de la structure (e.g. événementielle) ? Une question reliée est de savoir si ces

effets sont bel et bien dans la dérivation. Intuitivement, ces effets devraient figurer dans la

dérivation d’une manière ou d’une autre. Supposons qu’ils soient déclenchés à un certain niveau

par le marqueur d’intensité. L’approche par absence d’épel pourrait-elle alors expliquer le

contraste interprétatif ? Dans cette approche, la tête d’intensité dans la CIC-explicite est la même

que celle dans la CIC-explicite (étant donné que l’implicite est un effet de l’interface FP). On

s’attend alors à obtenir les mêmes effets dans les deux paires d’exemples. Pourtant, la tête

épelée, tellement, ne peut pas être associée à l’interprétation de qualité (cf. (107) et (108)).

Comme le lien entre l’explicite et l’implicite est non dérivationnel, cette impossibilité

interprétative ne pourrait pas être reliée à la dérivation du marqueur d’intensité et ne pourrait pas

recevoir une explication dérivationnelle.

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149

Une approche par tête nulle pourrait par contre offrir une explication qui tient compte du rôle du

marqueur d’intensité dans l’interprétation des effets de quantité et de qualité. Si on considère que

e pourrait être une catégorie syntaxique avec une tête différente de tellement, alors on pourrait

relier la possibilité de la CIC-implicite de s’interpréter avec un effet de qualité (en plus d’un effet

de quantité) à une différence dans les propriétés de cette tête nulle par rapport à la tête explicite.

Ces propriétés conduiraient la tête nulle à interagir différemment avec les autres éléments

syntaxiques, en particulier les verbes et la structure événementielle, pour déclencher les effets de

qualité et de quantité.

Une autre propriété de la CIC-implicite qui suggère que l’approche par la tête nulle est une

option dérivationnelle envisageable concerne le lien interprétatif entre l’intensification et la prop-

que. Reprenons les exemples de la CIC-implicite et de la CIC-explicite correspondante en (99),

(109) ci-dessous :

(109) a. Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Marie est e fatiguée qu’elle en perd les pédales.

Dans la CIC-explicite (109a), l’effet d’intensification provient du marqueur d’intensité. La prop-

que contribue un effet de restriction sur cette intensification, elle restreint le domaine de

l’opérateur tellement. Ainsi, si on enlève la prop-que de la CIC-explicite (i.e. Marie est tellement

fatiguée.), la phrase s’interprète toujours avec un effet d’intensification (un effet de degré

extrême de la propriété qu’exprime l’adjectif fatiguée) ; mais elle ne s’interprète plus avec l’effet

de restriction (c’est-à-dire la délimitation de la mesure réelle de ce degré). Or, cela n’est pas le

cas pour la CIC-implicite en (109b). L’effet d’intensification dépend de la présence de la prop-

que. En l’absence de celle-ci, Marie est e fatiguée ne s’interprète pas avec un effet

d’intensification. Autrement dit, dans le cas de la CIC-implicite, la prop-que et la restriction

qu’elle effectue est essentielle pour obtenir l’interprétation d’intensification. En termes

dérivationnels, on parle d’une association dans la structure qui produit un effet interprétatif. Ceci

pourrait suggérer qu’on a affaire à une tête nulle qui a une interprétation sous-spécifiée et qui ne

se précise qu’avec l’association d’un autre élément syntaxique dans la dérivation.

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150

Le dernier comportement qui suggère que l’élément nul e est une catégorie vide est le lien

interprétatif entre l’intensification et le que. La présence du que dans la CIC-implicite est

obligatoire, sinon la phrase ne s’interprète pas avec un effet d’intensification (110b),

contrairement à la CIC-explicite (110a) (cf. Chapitre 2, §2.1) :

(110) a. Marie est tellement fatiguée, elle en perd les pédales.

b. Marie est fatiguée, elle en perd les pédales.

La phrase en (110b) s’interprète comme une situation de juxtaposition de deux propositions.

L’effet d’intensification dépend ainsi de la présence du que. On pourrait réinterpréter cette

dépendance comme une situation de légitimation. Traditionnellement, les catégories vides ont

besoin d’être légitimées. De ce fait, le comportement en (110) indique lui-aussi que l’élément nul

e ressemble à une catégorie vide.

Deux scénarios se présentent donc concernant la nature de la catégorie syntaxique e dans la CIC-

implicite dans le cadre de l’approche par association tardive : 1) e = l’expression tellement non

épelée ; 2) e = une expression qui signifie un degré en augmentation, mais qui diffère de

l’expression tellement (e et tellement ne seraient pas en corrélation directe).94

Dans les deux cas,

l’implicite est syntaxiquement présent et articulé mais phonologiquement non réalisé. Un reflet

structural de l’implicite est motivé par la sémantique. Mais il est clair que l’approche par tête

nulle a des outils plus intéressants à offrir à l’analyse de la CIC-implicite et à son lien

dérivationnel avec la CIC-explicite, surtout s’il peut être démontré que cette tête nulle existe

dans des conditions uniques.

Pour résumer, dans cette section, nous avons commencé à réfléchir sur le lien dérivationnel entre

la CIC-explicite et la CIC-implicite dans le cadre dérivationnel de l’association tardive de Bhatt

et Pancheva (2004, 2007). Nous avons revu les options générales que ce cadre présente en termes

de la structuration de l’implicite (une expression non épelée ou une expression

phonologiquement vide). Nous avons effectué les premières comparaisons entre la CIC-explicite

94

Étant donné son lien avec l’effet de quantité (cf. (108) et (104a), l’élément e ne pourrait pas représenter une

expression qui signifie un degré de qualité en augmentation (i.e. « tellement bien »). C’est-à-dire, une troisième

option où on a une catégorie syntaxique nulle dédiée avec un contenu sémantique spécifié pour un haut degré de

qualité semble peu probable.

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151

et la CIC-implicite dans le but de mieux comprendre la nature de l’intensification implicite. Sur

la base de ces comparaisons, il est possible d’avancer que l’intensification implicite dans la CIC-

implicite a un reflet structural dans la dérivation de cette construction et que ce reflet est une

catégorie vide.

3.4 Conclusion

L’objectif principal de ce chapitre était d’établir des bases solides pour notre analyse

dérivationnelle, analyse axée sur une hypothèse nulle, selon laquelle les données à l’étude sont

dérivationnellement reliées à la CIC-explicite. Afin de pouvoir travailler l’hypothèse nulle, une

étude plus approfondie de la dérivation de la CIC-explicite s’imposait. Cette étude visait, entre

autres, à : 1) comprendre les enjeux liés à sa structuration ; 2) repérer des comportements

dérivationnellement pertinents ; et 3) identifier une analyse dérivationnelle à adopter, sur la base

de son adéquation théorique et empirique. Nous avons examiné les principaux ouvrages au sujet

de la CIC-explicite (Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Culicover et Rochemont

1990 ; Rochemont et Culicover 1997 ; White 2004ab, 2005 ; Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Ces

ouvrages ont révélé que la CIC-explicite, un type de construction d’extraposition, pose des défis

considérables à la saisie en termes syntaxiques, dus en grande partie à la nature entrecroisée des

relations de dépendance entre, d’un côté, le marqueur d’intensité tellement (ou si, tant) et, de

l’autre, le syntagme intensifié et la prop-que. Le marqueur est lié au syntagme intensifié par

interprétation et par adjacence ; il est lié à la prop-que par interprétation et par corrélation

morphosyntaxique (e.g. tellement…que). La formalisation de ces relations dépend largement des

suppositions adoptées concernant le type sémantique du marqueur d’intensité, à savoir si le

marqueur est une expression quantificationnelle ou non quantificationnelle. Nous adoptons ici

l’approche quantificationnelle.

Nous avons réparti les analyses dérivationnelles de la CIC-explicite en trois types, en fonction du

mécanisme qui associe la prop-que dans la configuration : une analyse par mouvement (Guéron

et May 1984), une analyse par adjonction (Rouveret 1977, 1978 ; Culicover et Rochemont 1990 ;

Rochemont et Culicover 1997 ; White 2004ab, 2005) et une analyse par association tardive

(Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Un survol critique a montré que l’analyse par association tardive

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se distingue des autres en termes de ses postulats théoriques minimalistes (mouvement par

copies) et de son adéquation empirique. Elle se caractérise par l’association du marqueur

d’intensité dans la position de spécificateur du syntagme intensifié, la montée de ce marqueur

quantificationnel à sa position de portée, suivie par l’association de la prop-que dans sa position

de complément. Nous avons choisi d’adopter cette analyse pour la dérivation de la CIC-

implicite.

Notre survol des analyses dérivationnelles s’est terminé avec une brève considération des

implications que l’intensification implicite dans la CIC-implicite comporte pour la dérivation de

Bhatt et Pancheva (2004, 2007). Notre objectif était d’ébaucher des lignes directrices de notre

adaptation de cette dérivation, ainsi que de notre conceptualisation du lien dérivationnel entre les

deux types de la CIC, afin de pouvoir proposer une dérivation pour la CIC-implicite.

Crucialement, nous avons posé que l’intensification implicite est structuralement représentée

sous forme d’une catégorie vide. Un des buts du prochain chapitre est de préciser comment cette

catégorie vide s’insère dans le lien dérivationnel entre la CIC-explicite et la CIC-implicite. Nous

allons comparer à cette fin les comportements de ces deux constructions. La comparaison nous

aidera aussi à décrire plus finement et de manière formelle la CIC-implicite.

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153

Chapitre 4

Analyse comparative

4

4.1 Introduction

Dans le Chapitre 2, nous avons avancé, sur la base des similarités structurales, sémantiques et

phonologiques, que les données à l’étude dans cette thèse représentent un type implicite de la

construction intensive de conséquence, soit la CIC-implicite. La différence saillante entre la CIC-

explicite et la CIC-implicite est l’absence dans cette dernière d’un élément lexical qui apporte

l’interprétation à effet d’intensification. Dans la CIC-explicite, cette interprétation est déterminée

par le marqueur d’intensité tellement, si, etc. Le premier objectif de ce chapitre est de

comprendre en profondeur la CIC-implicite, la façon dont elle se démarque de la CIC-explicite et

le rôle qui y joue la nature implicite de l’intensification. À cette fin, nous proposons de contraster

systématiquement ces deux types de la CIC. Nous comparerons en particulier les propriétés

traditionnellement examinées dans la littérature sur la CIC-explicite, comme, par exemple, les

effets de linéarisation et la portée de l’intensification. Nous avons déjà introduit plusieurs de ces

propriétés dans le Chapitre 3 (§3.2.3, §3.2.4), lorsque nous avons présenté les traitements

syntaxiques proposés pour la CIC-explicite. Nous les revisiterons ici dans l’esprit comparatif.

Nous allons aussi revisiter les propriétés de la CIC-implicite notées dans le Chapitre 2 (§2.3),

mais repérées alors de manière intuitive (e.g. types de lectures liés à l’intensification, complexité

de l’événement), ainsi que les propriétés notées dans le Chapitre 3 (§3.3), discutées déjà en

termes plus formels (e.g. la présence obligatoire du que).

La description comparative des propriétés de la CIC-implicite et de la CIC-explicite constituera

la base de notre étude du lien dérivationnel entre les deux types de la CIC, soit le deuxième

objectif de ce chapitre. Toute différence de comportement entre la CIC-explicite et la CIC-

implicite pourra être reliée au type d’intensification (explicite vs. implicite). Nous examinerons

ainsi de près les propriétés non partagées pour identifier les contraintes sur l’intensification

implicite qui sont à l’œuvre dans la CIC-implicite. Dans le Chapitre 3, nous avons posé que

l’intensification implicite a un reflet structural sous forme d’un marqueur d’intensité nul. Nous

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154

avons aussi adopté comme notre cadre dérivationnel de la CIC (explicite et implicite) l’analyse

par association tardive de Bhatt et Pancheva (2004, 2007). La nature des contraintes sur

l’intensification implicite permettra de préciser la place du marqueur nul dans le lien

dérivationnel entre la CIC-implicite et la CIC-explicite dans le cadre de l’association tardive et

mènera à une analyse syntaxique de la CIC-implicite.

4.2 Comportements de la CIC-explicite et la CIC-implicite : une étude comparative

Dans les sous-sections qui suivent, nous allons présenter les comportements qui caractérisent la

CIC-explicite et nous allons voir si les mêmes comportements caractérisent aussi la CIC-

implicite. Nous commencerons par examiner les comportements morphosyntaxiques (§4.2.1 à

§4.2.4) et nous terminerons notre étude comparative avec les comportements sémantiques

(§4.2.5 à §4.2.8). Nous allons aussi parler de la pertinence de ces comportements et de la façon

dont l’approche dérivationnelle adoptée propose de les traiter.

4.2.1 Corrélation entre le marqueur d’intensité et le complémenteur

Parmi les comportements notés en premier dans la littérature sur la CIC-explicite est la

corrélation morphosyntaxique qui existe entre le marqueur d’intensité et le complémenteur

introduisant la proposition de degré/conséquence. Lorsque le marqueur est tellement, si, tant, la

proposition doit être introduite par le complémenteur fini que (ainsi, on parle de la prop-que). En

revanche, le marqueur trop introduit une infinitive en pour :

(1) a. Elle était si/tellement triste qu’elle a commencé à pleurer.

b. *Elle était si/tellement triste pour commencer à pleurer.

c. Max a tant travaillé qu’il s’est rendu malade.

d. *Max a tant travaillé pour se rendre malade.

(2) a. Elle était trop triste pour parler.

b. *Elle était trop triste qu’elle parle.

c. Max travaille trop pour se bien porter.

d. *Max travaille trop qu’il se porte bien.

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155

Les exemples ci-dessus montrent qu’il existe une relation de dépendance qui exige que les

marqueurs d’intensité tellement/si/tant soient liés à une proposition finie.

La CIC-implicite contient aussi systématiquement une proposition de degré/conséquence finie

introduite par le complémenteur que :

(3) a. Elle est belle que j’en crois pas mes yeux.

b. *Elle est belle pour ne pas en croire mes yeux.

(4) a. Il tousse qu’il en secoue toute sa maison.

b. #Il tousse pour en secouer toute sa maison.95

Ce type de systématicité suggère aussi une relation de dépendance.

Tel que discuté dans notre survol des traitements proposés pour la dérivation de la CIC-explicite

(§3.2.4), ce type de relation est typiquement vue comme une relation de sélection, une restriction

sélectionnelle ; c’est-à-dire, les marqueurs d’intensité sélectionnent des CP finis déclaratifs. Une

relation de sélection est traditionnellement représentée structuralement par la configuration tête-

complément (cf. Chapitre 3, §3.2.1) :

(5) [DegP si/tellement/tant [CP que…]]

Le fait qu’on ne peut pas substituer un autre complémenteur (cf. (1b), (1d)) ou un autre marqueur

d’intensité (cf. (2b), (2d)) sert d’évidence que le marqueur est la tête de la prop-que. Ce

comportement a donc une pertinence dérivationnelle. Mais à cause de la présence du syntagme

intensifié (e.g. triste en (1a)), la tête est séparée dans la CIC-explicite de son complément. La

relation de sélection a donc lieu à distance. Bhatt et Pancheva (2004, 2007), que nous adoptons

ici, évitent pourtant une séparation dans la configuration, à génération (i.e. constituants

discontinus) ou après (i.e. constituants séparés) et décrivent directement la non-adjacence au

moyen de l’association tardive (cf. §3.2.4.3 et (6) ci-dessous). Au cours d’une dérivation, cette

95

Cet exemple peut recevoir une interprétation de but, i.e. ‘Il tousse dans le but de secouer sa maison.’, mais il ne

peut pas s’interpréter avec un effet d’intensification qui entraîne une conséquence.

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relation est réalisée au moment de l’association de la prop-que en tant que le complément de

cette tête. En association tardive, cette association a lieu après la montée de la tête

sélectionnante.

Dans le cas de la CIC-implicite, il s’agit d’un comportement dont la dérivation de Bhatt et

Pancheva (2004, 2007) par association tardive peut rendre compte assez directement (cf. §3.3), si

on avance la présence dans la dérivation d’une catégorie syntaxique non prononcée pour

représenter l’intensification implicite, soit un marqueur d’intensité non épelé ou un marqueur

nul, donc dans les deux cas un marqueur qui peut sélectionner la prop-que en tant que son

complément :

(6) [[Elle est tellement1 / e1 belle] tellement2 / e 2 que j’en crois pas mes yeux]

XP qp

…XP DegPi ! !

… Deg’ ! V AP... Deg° CP V ! 4

DegPi A° tellement2 / e2 prop-que ! !

Deg° belle

!

tellement1 / e1

Nous reviendrons au comportement de non-adjacence ci-dessous, dans la section §4.2.2.

Un comportement relié à la question du lien entre les marqueurs d’intensité tellement/si/tant et

les propositions de degré/conséquence finies est la possibilité d’avoir une CIC-explicite en

l’absence du complémenteur fini que introduisant la proposition de degré/conséquence :

(7) On a tellement rigolé, on est tombé du lit. (adapté ; Deulofeu 2007 : 135)

(8) Il était tellement bête, il parlait avec l’arbre. (adapté ; Deulofeu 2007 : 135)

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La question qui se pose est de savoir si ces exemples représentent vraiment une CIC-explicite

avec un complémenteur fini nul CØ, du type qu’on atteste de plus en plus en français spontané

avec certaines complétives assertives (e.g. Je pense (que) c’est ça. ; Martineau 1988) ou bien s’il

s’agit de deux propositions indépendantes. Dans le premier cas, une relation de dépendance

existerait alors entre tellement et que/CØ.96

À la différence de CIC-explicite, la CIC-implicite ne peut pas comprendre une proposition de

degré/conséquence qui n’est pas introduite par le complémenteur fini que (cf. Chapitre 3,

§3.3) :97

(9) #Jean était furieux, il pouvait à peine parler.

(10) #Il tousse, il en secoue toute sa maison.

Les exemples ci-dessus ne s’interprètent pas avec un effet d’intensification. La deuxième

proposition dans les deux exemples ne mesure pas le degré de la propriété exprimée par furieux

ou de la propriété de l’action de tousser. Le que est ainsi un item lexical qui joue un rôle

essentiel dans la CIC-implicite. L’impossibilité d’obtenir le même effet de sens en l’absence du

complémenteur fini que indique que la CIC-implicite doit en quelque sorte sa valeur

96

Rijkhoek (1998) avance qu’il s’agit d’un complémenteur nul. Ce CØ n’est pourtant pas toujours acceptable :

i. Jean est si grand qu’il peut toucher le toit.

ii. Jean est si grand Ø il peut toucher le toit.

iii. Jean était si grand l’été de ses treize ans qu’il pouvait toucher le toit.

iv. ?*Jean était si grand l’été de ses treize ans Ø il pouvait toucher le toit.

((iii) et (iv) adaptés de Rijkhoek 1998 : 106)

Selon Rijkhoek (1998), qui suit Stowell (1981), l’agrammaticalité ou l’acceptabilité douteuse de l’exemple (iv)

suggère que le complémenteur nul doit être gouverné par le marqueur d’intensité, ce qu’un adverbial qui intervient

entre les deux ne permet pas. 97

Il est intéressant à noter qu’en anglais, l’absence du que est préférable (cf. (i) et (ii)) ; le complémenteur fini that

rend la construction inacceptable :

i. He is serious you wouldn’t believe (it).

ii. *He is serious that you wouldn’t believe (it).

iii. #Il est sérieux c’est à pas y croire.

iv. Il est sérieux que c’est à pas y croire.

En français, par contre, le que est essentiel à l’interprétation de l’effet d’intensification.

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interprétative d’intensification et de conséquence à que. L’approche de Bhatt et Pancheva telle

quelle ne peut pas expliquer ce comportement.98

Pour conclure, le comportement de corrélation entre le marqueur d’intensité et la proposition de

degré/conséquence n’est pas complètement isomorphique pour la CIC-explicite et la CIC-

implicite. Les deux constructions doivent être construites avec une proposition de degré finie ;

mais, elles se démarquent en ce qui concerne l’essentialité du complémenteur qui introduit cette

proposition.

4.2.2 Effets de linéarisation

Le prochain comportement qui caractérise la CIC-explicite concerne la linéarisation de ses

principales composantes, le marqueur d’intensité et la prop-que. Nous utilisons ici le terme

linéarisation pour référer non seulement à la distance entre ces deux composantes (et les

éléments qui peuvent s’interposer entre elles ; cf. §4.2.2.1), mais aussi à l’ordre relatif de la prop-

que par rapport à d’autres éléments non essentiels d’une réalisation donnée de la CIC (i.e. la

précédence linéaire ; cf. §4.2.2.2 à §4.2.2.5).

4.2.2.1 Le marqueur d’intensité et la prop-que

Dans la CIC-explicite, le marqueur d’intensité et la prop-que sont obligatoirement non adjacents,

malgré le fait que leur relation est celle de dépendance sélectionnelle (cf. §4.2.1) :

(11) a. Jean était si furieux [qu’il pouvait à peine parler].

b. *Jean était si [qu’il pouvait à peine parler] furieux.

(12) a. Max a tant de travail [qu’il est débordé].

b. *Max a tant [qu’il est débordé] de travail.

98

Rappelons que dans le Chapitre 2 (§2.3.1), nous avons noté la présence du clitique en dans certaines réalisations

de la CIC-implicite. Nous avons suggéré alors que ce clitique n’a pas d’effet sur la grammaticalité de ces

réalisations. Considérons la non-optionnalité du que. Ce comportement caractérise la CIC-implicite avec ou sans en :

e.g. Il tousse, il en secoue toute sa maison. ne s’interprète pas avec un effet d’intensification, tout comme l’exemple

Il tousse, il secoue toute sa maison. De même, Luc ment, c’est une honte. et Luc ment, c’en est une honte.

s’interprètent tous les deux sans effet d’intensification.

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159

(13) a. Luc a parlé si clairement [que tout le monde a compris].

b. *Luc a parlé si [que tout le monde a compris] clairement.

L’adjacence est par contre attestée avec le syntagme verbal intensifié :

(14) Il souffre tellement [qu’il ne peut plus se lever].

Les réalisations où les prop-que apparaissent adjacentes aux marqueurs d’intensité sont

inacceptables (cf. (11b), (12b), (13b)). On pourrait aussi dire que c’est le marqueur d’intensité et

le syntagme intensifié dans la CIC-explicite (furieux, travail, clairement dans les exemples ci-

dessus) qui doivent se trouver adjacents et ne peuvent pas être séparés par la prop-que qui

participe dans l’évaluation de haute mesure. Si on suppose que le marqueur est la tête de la prop-

que et que dans la structure, la prop-que est le complément de la tête Deg° (cf. (6) ci-dessus),

alors on peut reformuler ce comportement de la manière suivante : à l’exception de

l’environnement syntaxique où le marqueur d’intensité modifie un syntagme verbal, le

complément ne peut pas apparaître à droite de sa tête. On parle ici d’un effet d’extraposition

obligatoire.

Dans la CIC-implicite, où l’intensification n’est pas signalée manifestement pas un marqueur

d’intensité lexical, les effets de linéarité s’avèrent difficiles à observer. En l’absence d’un

marqueur d’intensité manifeste, il est impossible d’observer la distance entre ce dernier et la

prop-que. Comme nous l’avons mentionné dans le Chapitre 3, même si on avance que

l’intensification a un reflet structural, on ne sait pas toujours où est son reflet structural ; on

connaît seulement l’effet sur l’interprétation. Pour les besoins de cette discussion, nous

supposons que le reflet structural de l’intensification implicite se situe dans une position qu’on

appelle dans la littérature la position canonique du marqueur d’intensité (Deulofeu 2007). Les

exemples suivants illustrent cette position au moyen de e et montrent ainsi que la distance entre

le marqueur non prononcé signalé par e et la prop-que est la même dans la CIC-implicite comme

dans la CIC-explicite :

(15) a. Marie est e fatiguée [qu’elle en perd les pédales].

b. *Marie est e [qu’elle en perd les pédales] fatiguée.

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(16) a. Les raisins sont e rouges [qu’on croit qu’ils vont éclater].

b. *Les raisins sont e [qu’on croit qu’ils vont éclater] rouges.

Il n’existe pas de raison évidente pour expliquer l’existence de ce comportement de non-

adjacence. Mais il faut tout de même un mécanisme dérivationnel qui permet de rendre compte

de la séparation du complément de la tête. Rappelons que le marqueur d’intensité et la prop-que

sont liés sémantiquement (Chapitre 3, §3.2.2) : la haute mesure que le marqueur exprime est

restreinte au moyen de l’évaluation par la prop-que et la mesure de comparaison que cette

dernière exprime. Le marqueur et la prop-que sont ainsi un constituant sémantique. Ils sont aussi

liés morphosyntaxiquement, comme en témoigne la corrélation entre le marqueur et le

complémenteur (cf. §4.2.1). La relation de constituants sémantiques et une relation de sélection

caractérisent typiquement la relation entre une tête et son complément. Seulement la dérivation

de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) que nous adoptons ici peut dériver les exemples

grammaticaux de la CIC-explicite en (11-13)(a), en même temps que les exemples

agrammaticaux en (11-13)(b), tout en maintenant la relation tête-complément en structure locale

stricte. La dérivation par mouvement ne peut pas dériver l’agrammaticalité qu’entraîne la non-

adjacence (cf. §3.2.4.1) ; la dérivation pas adjonction peut la dériver, mais en adoptant une

configuration de localité non stricte pour la relation tête complément (cf. §3.2.4.2). Dans le cadre

de l’association tardive, c’est l’association de la prop-que dans la position de complément de

DegP après (« tardivement »), et jamais avant, la montée de ce dernier à sa position de portée,

qui rend directement compte de ces deux séries d’exemples. L’association des compléments de

degré (i.e. la prop-que) à la tête Deg° lorsque cette dernière se situe dans sa position de base,

c’est-à-dire avant sa montée, n’est pas syntaxiquement disponible. Comme c’est la copie

inférieure de Degº qui est prononcée, la prop-que et le marqueur ne sont pas prononcés adjacents.

La non-adjacence du marqueur d’intensité et de la prop-que résulte directement de la dérivation.

Donc, les exemples (11) à (13) pourraient au départ suggérer que la prop-que se trouve à

l’extérieur de la projection DegP (et possiblement AP/NP/AdvP), mais Bhatt et Pancheva (2004,

2007) montrent que cela n’est qu’une question de visualisation du problème et que la localité

stricte entre la tête Deg° et son complément de degré, la prop-que, peut être maintenue tout au

long de la dérivation.

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161

Pour ce qui est de la CIC-implicite, avec un élément e dans la structure qui représente une

catégorie syntaxique non prononcée, un marqueur d’intensité nul, on peut s’attendre à ce que la

dérivation par association tardive des exemples (15) et (16) puisse être plus ou moins identique à

la dérivation des exemples (11) à (13) de la CIC-explicite. Autrement dit, l’association tardive

peut dériver les exemples grammaticaux et les exemples agrammaticaux directement.

4.2.2.2 Syntagmes adverbiaux spatio-temporels

La prop-que de degré/conséquence dans la CIC-explicite est restreinte linéairement non

seulement par rapport au marqueur d’intensité, mais aussi par rapport aux syntagmes adverbiaux

spatio-temporels : la prop-que doit suivre les syntagmes adverbiaux spatio-temporels qui se

composent sémantiquement avec la proposition matrice :

(17) a. Jean a acheté tant de livres à la librairie la semaine dernière qu’il [en] est ruiné.

b. *Jean a acheté tant de livres qu’il [en] est ruiné à la librairie la semaine dernière.

(adapté de Ticio Quesada 1998 : 203 ; ex. (12ab))

(18) a. Jean était si furieux à la fête d’anniversaire de Paul qu’il pouvait à peine parler.

b. #Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler à la fête d’anniversaire de Paul.

Les syntagmes adverbiaux spatio-temporels à la librairie, la semaine dernière, à la fête

d’anniversaire de Paul se construisent dans les exemples ci-dessus avec les propositions

principales Jean a acheté tant de livres et Jean était si furieux. Ils doivent précéder la prop-que,

ce que signale l’agrammaticalité des exemples (b). Il est à noter que l’exemple (18b) montre que

les syntagmes adverbiaux peuvent en fait suivre la prop-que et produire un exemple grammatical

mais, dans ce cas, l’exemple reçoit une interprétation dans laquelle le syntagme adverbial change

de prédicat, c’est-à-dire où il se compose avec la prop-que ; i.e. à la fête d’anniversaire de Paul

modifie l’événement de parler – la fête de Paul est l’endroit où Jean pouvait à peine parler, mais

Jean n’était pas furieux uniquement à la fête de Paul. Ce n’est pas cette interprétation que nous

évaluons ici. (Ces exemples illustrent aussi que la non-adjacence du marqueur et de la prop-que

de degré/conséquence, discutée ci-dessus en §4.2.2.1, peut être importante et que des éléments

autres que le syntagme intensifié peuvent intervenir entre les deux, comme les syntagmes

adverbiaux.)

Page 172: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

162

Dans la CIC-implicite, l’ordre relatif des syntagmes adverbiaux spatio-temporels et de la prop-

que de degré/conséquence est aussi sujet à restrictions :

(19) a. Jean a acheté des livres à la librairie la semaine dernière qu’il [en] est ruiné.

b. *Jean a acheté des livres qu’il [en] est ruiné à la librairie la semaine dernière.

(20) a. Jean était e furieux à la fête d’anniversaire de Paul qu’il pouvait à peine parler.

b. #Jean était e furieux qu’il pouvait à peine parler à la fête d’anniversaire de Paul.

(21) a. J’ai eu e froid hier qu’aujourd’hui j’ai mis plus de vêtements.

b. *J’ai eu e froid qu’aujourd’hui j’ai mis plus de vêtements hier.

c. J’ai eu e froid hier au bureau qu’aujourd’hui j’ai mis plus de vêtements.

d. #J’ai eu e froid hier qu’aujourd’hui j’ai mis plus de vêtements au bureau.

(22) a. Les raisins sont e rouges cette année qu’on croit qu’ils vont éclater.

b. #Les raisins sont e rouges qu’on croit qu’ils vont éclater cette année.

(23) a. Les commandes pleuvaient à l’abbaye que c’était une bénédiction.

b. #Les commandes pleuvaient que c’était une bénédiction à l’abbaye.

Les acceptabilités des exemples (19) et (20) de la CIC-implicite correspondent à celles des

exemples (17) et (18) de la CIC-explicite. Ainsi, l’intensification implicite ne change rien aux

comportement de linéarisation concernant le positionnement de la prop-que par rapport aux

syntagmes adverbiaux spatio-temporels qui se composent sémantiquement avec la proposition

principale. Ces syntagmes doivent précéder la prop-que. D’autres exemples de la CIC-implicite

confirment cette correspondance et illustrent davantage ce comportement. Dans l’exemple (21b),

l’adverbe temporel hier ne peut pas suivre la prop-que et se construire en même temps

sémantiquement avec la proposition principale.99

Dans les exemples (22b) et (23b), l’élément

adverbial temporel cette année et l’élément adverbial spatial à l’abbaye, respectivement, ne

peuvent pas suivre la prop-que quand ils modifient l’événement exprimé par la proposition

99

Cet adverbe ne peut pas se construire non plus avec la prop-que et ce en raison de l’incompatibilité de deux

éléments temporels dans la même proposition. Mais comme cet exemple teste le cas où hier se construit

sémantiquement avec la proposition principale, l’agrammaticalité ne réfère pas à cette incompatibilité. Pour montrer

que c’est l’ordre relatif qui est en jeu ici, on pourrait aussi choisir un adverbial qui n’est pas exclu sur la base de

l’exclusivité mutuelle, tel un adverbial spatial au bureau (cf. (21cd)). Une interprétation dans laquelle au bureau se

construit avec la proposition principale n’est pas disponible lorsque cet adverbial suit la prop-que.

Page 173: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

163

principale.100

Les syntagmes adverbiaux spatio-temporels qui se composent avec la proposition

principale doivent donc précéder la prop-que. Sinon, ils se composent avec la prop-que.

Bhatt et Pancheva (2004, 2007) supposent que ces éléments adverbiaux en position finale de la

proposition principale s’associent dans la CIC-explicite au niveau de IP. La prop-que s’associe

tardivement dans la position de portée du marqueur d’intensité (à droite au niveau de IP

maximal), une position plus haute que la position des éléments adverbiaux qui se situent à

l’intérieur de la proposition matrice. La prop-que va donc être épelée en position finale de la

phrase. L’association tardive rend ainsi compte du placement de la prop-que après les éléments

adverbiaux qui se construisent avec la proposition matrice. Comme c’est le cas des exemples

(11) à (13) dans la section précédente, les exemples (17a) et (18a) pourraient au départ suggérer

que la prop-que se trouve à l’extérieur de la projection DegP (et possiblement AP/NP), mais

Bhatt et Pancheva (2004, 2007) montrent que la prop-que peut en effet continuer à être le

complément de la tête Deg° dans le cadre de la dérivation par association tardive, même avec

plusieurs éléments qui s’insèrent entre les deux.

Pour ce qui est de la CIC-implicite (cf. (19) à (23)), puisqu’on suppose que l’intensification

implicite a un reflet structural sous forme d’une catégorie syntaxique non prononcée e en

position canonique, alors la dérivation par association tardive peut dériver directement les effets

de linéarisation entre la prop-que et les éléments adverbiaux illustrés par les exemples ci-dessus,

de la même manière qu’elle dérive ce type de réalisations de la CIC-explicite (cf. (17) et (18)). Si

on suppose, comme Bhatt et Pancheva (2004, 2007), que ces éléments adverbiaux en position

finale de la proposition principale s’associent au niveau de VP ou IP et que la catégorie e monte

à droite au niveau de IP maximal, alors la prop-que qui s’y associe tardivement dans cette

position va être épelée en position finale de la phrase.

Les restrictions liées à l’ordre linéaire des syntagmes adverbiaux par rapport à la prop-que est un

comportement que la CIC-explicite et la CIC-implicite partagent et que la dérivation de Bhatt et

Pancheva (2004, 2007) peut expliquer.

100

Pourtant, si on examine ces exemples, tout comme l’exemple (21d), sans anticipant une composition sémantique

particulière, on trouve qu’ils reçoivent une interprétation, avec cette année et à l’abbaye (et au bureau) modifiant

l’événement exprimé par la prop-que. Mais nous n’évaluons pas ici ces interprétations.

Page 174: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

164

4.2.2.3 Propositions relatives

Une autre expression qui est soumise à une restriction de linéarisation par rapport à la prop-que

de degré/conséquence est la proposition relative. On parle de manière plus générale du

comportement de dépendance emboîtée (« nested dependency » ; mentionné déjà brièvement

dans la section §3.2.4.2). Les exemples suivants mettent en évidence cette dépendance :

(24) a. Everybody [CP-rel whom I like] is so strange [CP-cons that I can’t go out in public with

them].

b. Everybody is so strange [CP-rel whom I like] [CP-cons that I can’t go out in public with

them].

c. *Everybody is so strange [CP-cons that I can’t go out in public with them] [CP-rel

whom I like].

(Guéron et May 1984 : 3)

(25) a. People [CP-rel who knew John] were so angry [CP-cons that they refused to

participate].

b. People were so angry [CP-rel who knew John] [CP-cons that they refused to

participate].

c. *People were so angry [CP-cons that they refused to participate] [CP-rel who knew

John].

(Ticio Quesada 1998 : 204)

(26) a. So many people bought books [CP-rel which were about linguistics] in this city last

week [CP-cons that it is impossible to find The Minimalist Program].

b. So many people bought books in this city last week [CP-rel which were about

linguistics] [CP-cons that it is impossible to find The Minimalist Program].

c. *So many people bought books in this city last week [CP-cons that it is impossible to

find Minimalist Program] [CP-rel which were about linguistics].

(Ticio Quesada 1998 : 201)

Dans les exemples (24a), (25a) et (26a), les propositions relatives whom I like, who knew John et

which were about linguistics, se situent dans leur position canonique, à droite de la tête nominale

qu’elles relativisent, i.e. everybody, people et books, respectivement. Dans les exemples (24b),

(25b) et (26b), elles sont plus éloignées de leur tête ; elles sont dites « extraposées ».101

Comme

on a vu plus haut (cf. §4.2.2.1), la position d’épel des propositions de degré/conséquence dans la

CIC-explicite est aussi éloignée de la position de leur tête, le marqueur d’intensité. Dans leur cas,

101

Nous utilisons ici le terme « extraposition » de manière descriptive, pour parler d’une position d’épel éloignée de

la position de la tête de la relative, et non pas opérationnelle, pour parler d’un type de mouvement.

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165

l’extraposition est pourtant obligatoire, contrairement aux propositions relatives qui peuvent

apparaître adjacentes à leur tête. Dans les exemples (24c), (25c) et (26c), les propositions

relatives sont extraposées davantage à droite, plus ‘loin’ que les prop-que de degré/conséquence.

Comme les phrases sont agrammaticales, on peut constater que les deux propositions doivent

obéir à une restriction concernant leur ordre relatif : la proposition relative doit précéder la prop-

que de degré/conséquence extraposée. Cette restriction touche aux propositions relatives sujet

(cf. (25), (26)) et aux propositions relatives objet (cf. (24)). De plus, elle s’applique de la même

manière à une relative dont l’antécédent est un NP en fonction de sujet (cf. (24), (25), i.e.

everybody, people), ainsi qu’à une relative dont l’antécédent est un NP en fonction d’objet (cf.

(26), i.e. books).

Le comportement de dépendance emboîtée n’est pas étudié dans la littérature sur la CIC-explicite

du français, à notre connaissance. Sur la base des exemples suivants, il caractérise toutefois cette

construction aussi :

(27) a. Tous les gens [CP-rel que j’aime] sont tellement bizarres [CP-cons que je ne peux pas

être vu en publique avec eux].

b. *Tous les gens sont tellement bizarres [CP-rel que j’aime] [CP-cons que je ne peux pas

être vu en publique avec eux].

c. *Tous les gens sont tellement bizarres [CP-cons que je ne peux pas être vu en

publique avec eux] [CP-rel que j’aime].

(28) a. Les gens [CP-rel qui connaissaient Jean] étaient tellement fâchés [CP-cons qu’ils ont

refusé de participer].

b. *Les gens étaient tellement fâchés [CP-rel qui connaissaient Jean] [CP-cons qu’ils ont

refusé de participer].

c. *Les gens étaient tellement fâchés [CP-cons qu’ils ont refusé de participer] [CP-rel qui

connaissaient Jean].

(29) a. Tant d’étudiants ont acheté des livres [CP-rel qui portaient sur la linguistique] dans

cette ville la semaine dernière [CP-cons que c’était impossible de trouver le Programme

minimaliste].

b. ?*Tant d’étudiants ont acheté des livres dans cette ville la semaine dernière [CP-rel

qui portaient sur la linguistique] [CP-cons que c’était impossible de trouver le

Programme minimaliste].

c. *Tant d’étudiants ont acheté des livres dans cette ville la semaine dernière [CP-cons

que c’était impossible de trouver le Programme minimaliste] [CP-rel qui portaient sur

la linguistique].

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166

Les exemples (27c), (28c) et (29c) illustrent que la proposition relative doit toujours précéder la

prop-que de degré/conséquence. Le positionnement de la proposition relative par rapport à la

prop-que de degré/conséquence est donc fixe aussi dans les réalisations de la CIC-explicite du

français. On remarque pourtant que l’acceptabilité des exemples (b) du français (cf. (27b), (28b)

et (29b)) diffère de l’acceptabilité des exemples (b) de l’anglais (cf. (24b), (25b) et (26b)). Les

exemples du type (b) illustrent l’extraposition de la proposition relative à droite. On pourrait

donc constater qu’en français, l’extraposition à droite de la proposition relative semble être

moins acceptable. Comment expliquer l’inacceptabilité de ce type d’exemples, de l’extraposition

à droite des propositions relatives ? Nous allons d’abord considérer la nature sémantique des

propositions relatives, plus spécifiquement la distinction entre les propositions relatives

restrictives et les propositions relatives non-restrictives.

Dans les travaux qui examinent la dépendance emboîtée entre la prop-que de degré/conséquence

et une proposition relative (Guéron et May 1984 ; Ticio Quesada 1998), on ne se prononce pas

sur le type sémantique des relatives dans les exemples étudiés. On suppose pourtant

généralement dans la littérature (Baltin 2006) que l’extraposition des propositions relatives du

type illustré par les exemples (24b), (25b) et (26b), est étudiée avec les propositions relatives

restrictives. En fait, on a démontré que les relatives non-restrictives ne peuvent pas typiquement

apparaître extraposées en anglais (Ziv 1973 et Ziv et Cole 1974 dans Cinque 2008 ; Alexiadou

2000). Pour certains, cette propriété générale des relatives non-restrictives ne caractérise pas tous

les types de non-restrictives. Cinque (2008) parle de l’absence d’extraposition avec les non-

restrictives de l’italien introduites par che/cui (que/qui) et de son acceptabilité avec les non-

restrictives introduites par il quale (lequel). Le français semble se comporter de manière

comparable selon lui. Les propositions relatives dans les exemples de l’anglais (cf. (24), (25) et

(26)) sont introduites par les éléments-wh (les « pronoms relatifs », en termes de la grammaire

descriptive) qu’on associe traditionnellement aux propositions relatives non-restrictives, soit

whom, which. Hors contexte, ces éléments-wh pourraient donc signaler l’interprétation non-

restrictive. Mais, en même temps, les exemples ne comportent pas de virgules qui séparent la

proposition non-restrictive du reste de la phrase pour indiquer la rupture intonative qui

caractérise classiquement les non-restrictives. Ces aspects des exemples (24), (25) et (26)

peuvent brouiller la frontière entre une interprétation non-restrictive et restrictive. Nous

supposons pour l’instant que ces exemples contiennent des propositions relatives restrictives.

Page 177: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

167

Cette supposition, fréquente dans la littérature, peut aussi être soutenue au moyen de la

substitution des éléments-wh dans ces exemples avec le complémenteur that, lequel caractérise

les propositions relatives restrictives (ne pouvant pas introduire les propositions relatives non-

restrictives) :

(30) Everybody is so strange [CP-rel that I like] [CP-cons that I can’t go out in public with

them].

(31) People were so angry [CP-rel that knew John] [CP-cons that they refused to participate].

(32) So many people bought books in this city last week [CP-rel that were about linguistics]

[CP-cons that it is impossible to find the Minimalist Program].

L’acceptabilité de la substitution de whom, who et which avec that montre que les propositions

relatives dans les exemples (24), (25) et (26) peuvent être de type restrictif. L’usage des

éléments-wh pour introduire des relatives restrictives dans ces exemples ne serait donc pas

standard.

Comme nous avons construit les exemples du français (cf. (27), (28) et (29)) avec les

propositions relatives de nature restrictive, la non-acceptabilité des exemples (b) pourrait donc

être liée à l’impossibilité d’extraposition à droite des propositions relatives restrictives en

français. Nous reviendrons à cette observation ci-dessous, lorsque nous discuterons de la

pertinence du comportement d’ordre linéaire restreint.

La question qui se pose pourtant toujours est de savoir si le type sémantique de la proposition

relative a un effet sur son ordre linéaire avec la prop-que de degré/conséquence. Autrement dit,

la restriction sur linéarisation touche-t-elle aussi aux propositions relatives de nature non-

restrictive ? Les exemples suivants qui contiennent des relatives appositives indiquent que cela

est bien le cas :

(33) a. Mary, [CP-rel who knew John], was so angry, [CP-cons that she refused to participate].

b. *Mary was so angry, [CP-rel who knew John], [CP-cons that she refused to participate].

c. *Mary was so angry [CP-cons that she refused to participate], [CP-rel who knew John].

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(34) a. So many people bought books, [CP-rel which cost next to nothing], in this city last

week [CP-cons that it is impossible to find the Minimalist Program].

b. So many people bought books in this city last week, [CP-rel which cost next to

nothing], [CP-cons that it is impossible to find the Minimalist Program].

c. *So many people bought books in this city last week [CP-cons that it is impossible to

find the Minimalist Program], [CP-rel which cost next to nothing].

(35) a. Marie, [CP-rel qui connaissait Jean], était tellement fâchée [CP-cons qu’elle a refusé de

participer].

b. *Marie était tellement fâchée, [CP-rel qui connaissait Jean], [CP-cons qu’elle a refusé

de participer].

c. *Marie était tellement fâchée [CP-cons qu’elle a refusé de participer], [CP-rel qui

connaissait Jean].

(36) a. Tant d’étudiants ont acheté des livres, [CP-rel qu’on vendait pour trois fois rien],

dans cette ville la semaine dernière [CP-cons que c’était impossible de trouver le

Programme minimaliste].

b. ?Tant d’étudiants ont acheté des livres dans cette ville la semaine dernière, [CP-rel

qu’on vendait pour trois fois rien], [CP-cons que c’était impossible de trouver le

Programme minimaliste].

c. *Tant d’étudiants ont acheté des livres dans cette ville la semaine dernière [CP-cons

que c’était impossible de trouver le Programme minimaliste], [CP-rel qu’on vendait

pour trois fois rien].

Les exemples (33c), (34c), (35c) et (36c) démontrent que les propositions relatives non-

restrictives who knew John, which cost next to nothing, qui connaissait Jean et qu’on vendait

pour trois fois rien doivent précéder la prop-que de degré/conséquence. La restriction sur

linéarisation est donc un comportement qui caractérise la CIC-explicite peu importe le type

sémantique de la proposition relative. Pour ce qui est des exemples (b), ils montrent que

l’extraposition à droite d’une relative non-restrictive n’est pas toujours acceptable, en anglais (cf.

(33b)) ou en français (cf. (35b)) ; mais elle n’est pas totalement exclue (cf. (34b) et (36b)). Nous

reviendrons à l’importance des exemples (b) dans notre discussion de la pertinence du

comportement d’ordre linéaire restreint, pour considérer comment l’acceptabilité de

l’extraposition, des restrictives et des non-restrictives, pourrait éclairer ce comportement.

Résumons donc le comportement ici à l’étude : les phrases en (c) des exemples (24) à (29) et

(33) à (36) témoignent d’une restriction sur l’ordre relatif d’une proposition relative par rapport à

la prop-que de degré/conséquence dans une CIC-explicite : une proposition relative doit précéder

la prop-que. Puisqu’on considère que la prop-que se situe dans une position extraposée, on peut

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169

constater aussi que les propositions relatives dans ces exemples ne peuvent pas être extraposées

plus loin que la prop-que.

Comment peut-on dériver ce comportement ? Bhatt et Pancheva (2004, 2007) n’étudient pas le

comportement de dépendance emboîtée avec les propositions relatives. L’association tardive

peut-elle pourtant le dériver ?

Une proposition relative, dans sa position canonique, s’associe au niveau du NP qu’elle

relativise.102

Ainsi, la prop-que qui se situe à droite de la proposition relative doit se trouver, à la

limite, à l’extérieur de la projection NP. Les exemples (24b), (25b), (26b), (30) à (32), (34b) et

(36b), qui comprennent une proposition relative extraposée à droite, indiquent en plus que la

prop-que de degré/conséquence doit être extraposée plus loin qu’une proposition relative

extraposée d’un NP sujet (cf. (24b), (25b), (30), (31)) ou un NP objet (cf. (26b), (32), (34b),

(36b)). Autrement dit, elle doit apparaître dans une position qui est plus extérieure à la position

de la proposition relative extraposée, plus haute dans la configuration. On considère

traditionnellement (Williams 1974 ; Baltin 1981 ; Guéron et May 1984 ; Culicover et Rochemont

1990 ; Baltin 2006) que les propositions relatives restrictives extraposées d’un NP sujet

s’adjoignent à IP/TP et les propositions relatives restrictives extraposées d’un NP objet

s’adjoignent à VP. Bhatt et Pancheva (2004, 2007) avancent que la prop-que de

degré/conséquence s’adjoint au niveau de IP. Avec la prop-que au niveau de IP dans leur

dérivation, l’approche de Bhatt et Pancheva est capable de dériver directement les exemples

(24a) et (25a) qui contiennent une proposition relative restrictive reliée à un NP sujet (i.e.

everybody, people). Mais pour dériver l’opposition illustrée par les exemples (24b) et (24c), et

(25b) et (25c), dans lesquels la relative et la prop-que sont toutes les deux extraposées, il faudrait

avancer que la prop-que doit se situer au niveau IP maximal (si on considère qu’une proposition

relative extraposée d’un sujet se situe au niveau IP aussi).103

Sinon, on devrait pouvoir trouver un

102

Nous parlons ici de manière générale. Plusieurs approches à la dérivation des propositions relatives ont été

proposées, dont les plus importantes incluent : analyse par mouvement-wh (Chomsky 1965) et ses variantes

(« Matching Analysis » ; Sauerland 1998) ; analyse par tête externe (« Head External Analysis » ; Chomsky 1977) ;

et analyse par montée (« Raising Analysis » ; Vergnaud 1974 ; Kayne 1994 ; Bianchi 1999). Malgré leurs

différences configurationnelles, ces analyses maintiennent que la proposition relative se situe au niveau de NP. Voir

Bianchi (2002ab) pour un survol de ces approches dérivationnelles. 103

Bhatt et Pancheva considèrent que les propositions relatives sont aussi extraposées au moyen de l’association

tardive. Comme nous l’avons dit dans le Chapitre 3 (§3.2.4.3), leur analyse des constructions de degré, comme la

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170

ordre relatif variable entre la prop-que et la proposition relative, ce qui n’est pas le cas. Il n’est

pas pourtant clair pourquoi ce type de restriction (sur les niveaux d’association) existerait.

Pour ce qui est de l’exemple (26), celui-ci contient une proposition relative restrictive reliée à un

NP objet (i.e. books). Dans la phrase en (b), la proposition relative est extraposée. On suppose

que les propositions relatives restrictives extraposées d’un NP objet s’adjoignent à VP (cf.

références ci-dessus). Sur la base de l’exemple (26b), la prop-que de degré/conséquence doit se

situer donc plus haut que le VP. La dérivation de Bhatt et Pancheva, selon laquelle la prop-que

s’associe au niveau de IP, est capable de dériver cet exemple directement. Il en est de même pour

l’agrammaticalité de l’exemple (26c).

Il est clair que le comportement d’ordre linéaire relatif entre une proposition relative et la prop-

que de degré/conséquence dans la CIC-explicite est étroitement lié à l’extraposition.

L’extraposition dans l’approche de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) (et dans les approches

quantificationnelles de Rouveret (1977, 1978) et de Guéron et May (1984)) est, à son tour,

étroitement liée à la portée des têtes (ou antécédents) des propositions extraposées. Dans cette

optique, les positions extraposées des propositions relatives et de la prop-que de

degré/conséquence découleraient des positions de portée de leurs antécédents respectifs (i.e. les

têtes N° et les têtes Deg°, respectivement). Les positions de portée fixes conduiraient à des

positions extraposées fixes. Le comportement d’ordre linéaire fixe dans la CIC-explicite

dépendrait ainsi du comportement des antécédents à FL ; i.e. il dépendrait d’un autre

comportement. Bhatt et Pancheva notent pourtant que le mécanisme qui assurerait les

positionnements de portée fixes n’est pas connu et que le comportement de dépendance emboîtée

continue donc à être inexpliqué.

Comme nous l’avons noté plus haut, les exemples du français qui illustrent le comportement de

dépendance emboîtée de la prop-que par rapport à une proposition relative restrictive (cf. (27) à

(29)) se démarquent des exemples de l’anglais (cf. (24) à (26)) : les exemples (24b) et (25b), qui

contiennent des propositions relatives restrictives extraposées des NP en fonction de sujet (i.e.

everybody, people) et l’exemple (26b), qui contient une proposition relative restrictive

CIC, se fonde sur l’analyse d’extraposition des propositions relatives par association tardive, telle que proposée par

Fox et Nissenbaum (1999, 2000).

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171

extraposée d’un NP en fonction d’objet (i.e. books), n’ont pas d’équivalents en français (cf.

(27b), (28b) et (29b)). L’extraposition n’est possible ni à une position qui précède la prop-que

(cf. (27b), (28b), (29b)), ni à une position qui suit la prop-que (cf. (27c), (28c), (29c)). Étant

donné le lien entre l’extraposition et la portée des antécédents des propositions extraposées, la

dérivation de Bhatt et Pancheva ne pourrait pas dériver ces exemples sans avancer que les

antécédents nominaux des propositions relatives restrictives ne montent pas à FL dans ces

exemples. De plus, pour expliquer la différence entre l’anglais et le français, il faudrait proposer

une restriction générale sur l’extraposition des propositions relatives restrictives de leur position

canonique et donc une absence de la montée des antécédents nominaux, en français. Mais il se

peut aussi que l’impossibilité d’extraposition des propositions relatives restrictives du français ne

survienne que dans un contexte particulier. Une restriction générale sur l’extraposition de ces

relatives ne serait pas alors appropriée pour expliquer le comportement de linéarité fixe entre une

restrictive et la prop-que. Un examen approfondi de l’extraposition des propositions relatives

restrictives du français dans le but de comprendre davantage le comportement de linéarisation

fixe entre une restrictive et la prop-que est hors de la portée de ce travail. Ce type d’extraposition

n’a pas encore été, à notre connaissance, étudié en profondeur dans le cas du français. De plus,

l’extraposition des propositions relatives est un phénomène complexe qui est soumis à de

nombreuses restrictions qu’on comprend toujours très peu. En anglais, par exemple, la définitude

des antécédents nominaux peut avoir un impact sur son acceptabilité (Guéron et May 1984 ;

Baltin 2006). L’effet de définitude sur l’extraposition peut en plus varier en fonction du contexte

discursif (Maynell 2008).

Revenons aussi maintenant à nos exemples du comportement de linéarisation fixe lorsque la

proposition relative est de type non-restrictif (cf. (33) à (36)). On a vu que la restriction sur

linéarisation caractérise la CIC-explicite peu importe le type sémantique de la proposition

relative. Mais, il est intéressant à noter que les exemples (33) à (36) témoignent d’une similitude

entre l’extraposition des relatives non-restrictives en anglais et en français. L’extraposition (à

une position antérieure à la prop-que) semble acceptable lorsque la non-restrictive extraposée

modifie le NP objet books/livres dans les exemples (34b) et (36b) ; elle est inacceptable lorsque

la non-restrictive extraposée modifie le NP sujet Mary/Marie dans les exemples (33b) et (35b).

Cette similitude doit être davantage vérifiée. S’il s’avère que les non-restrictives du français

s’extraposent régulièrement de la même manière que les non-restrictives de l’anglais dans la

Page 182: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

172

CIC-explicite et que les restrictives s’extraposent différemment dans les deux langues, alors il

faudra contempler les différences sémantiques et syntaxiques entre les restrictives et les non-

restrictives, ainsi que les systèmes de détermination référentielle et de modification dans les deux

langues. La proposition restrictive détermine la référentialité d’un individu ou d’une entité ; la

proposition non-restrictive ajoute des renseignements sur un individu ou une entité. Une

différence dans l’extraposition des propositions restrictives pourrait donc revenir à une

différence dans le système de détermination référentielle entre les deux langues. De plus, on

s’attendrait à trouver ces mêmes différences et similarités dans l’extraposition des relatives hors

du contexte de la CIC-explicite. Tout ce qu’on peut conclure maintenant, sur la base des

exemples (35) et (36), est que l’extraposition des propositions relatives non-restrictives est

attestée dans la CIC-explicite du français, qu’elle ressemble à l’extraposition de l’anglais et

qu’elle est sujette à restrictions.

Nous n’élaborerons pas ici davantage sur les différences et les similitudes interlinguistiques

remarquées et sur les propriétés de l’extraposition des propositions relatives en français. Ni

l’extraposition des restrictives ni l’extraposition des non-restrictives (ni la différence entre les

deux), n’a encore été, à notre connaissance, étudiée en profondeur dans le cas du français. Un

examen de ces types d’extraposition pourrait informer la cause du comportement de linéarisation

fixe entre les propositions relatives et la prop-que de degré/conséquence dans la CIC-explicite,

mais l’extraposition des propositions relatives est un phénomène complexe (sujette à de

nombreux facteurs) dont l’étude est hors de la portée de ce travail. La cause du comportement

reste ainsi inexpliquée, en anglais et en français, et constitue un sujet à explorer dans une

recherche ultérieure. Ce comportement reste tout de même un comportement important pour la

caractérisation de la CIC-explicite.

Dans le cadre de notre étude comparative, la question qui se pose maintenant est de savoir si le

comportement de linéarisation de la prop-que de degré/conséquence par rapport à la proposition

relative est également sujet à restriction dans la CIC-implicite :

(37) a. Tous les gens [CP-rel que j’aime] sont bizarres [CP-cons que je ne peux pas être vu en

publique avec eux].

b. *Tous les gens sont bizarres [CP-cons que je ne peux pas être vu en publique avec

eux] [CP-rel que j’aime].

Page 183: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

173

(38) a. Les gens [CP-rel qui connaissaient Jean] étaient fâchés [CP-cons qu’ils ont refusé de

participer].

b. *Les gens étaient fâchés [CP-cons qu’ils ont refusé de participer] [CP-rel qui

connaissaient Jean].

L’agrammaticalité des exemples (37b) et (38b) témoigne du comportement de dépendance

emboîtée des propositions relatives restrictives par rapport aux prop-que de degré/conséquence.

Ce comportement n’est pas toujours facile à examiner dans la CIC-implicite au moyen d’une

comparaison directe avec la CIC-explicite. Certaines réalisations de la CIC-explicite ne se

traduisent pas en une CIC-implicite, avec la simple suppression du marqueur d’intensité :

(39) a. *Des/Les étudiants ont acheté des livres [CP-rel qui portaient sur la linguistique] dans

cette ville la semaine dernière [CP-cons que c’était impossible de trouver le Programme

minimaliste].

b. *Des/Les étudiants ont acheté des livres dans cette ville la semaine dernière [CP-cons

que c’était impossible de trouver le Programme minimaliste] [CP-rel qui portaient sur

la linguistique].

La phrase en (39a), une adaptation de l’exemple (29a) de la CIC-explicite, est inacceptable et ne

s’interprète pas avec un effet d’intensification, c’est-à-dire comme une CIC-implicite. Étant

donné l’inacceptabilité de l’exemple (39a), on ne peut pas constater que l’inacceptabilité de la

phrase en (39b), où la proposition relative est extraposée, résulte de la position de la relative.

Comme nous l’avons dit dans le Chapitre 2, les réalisations de la CIC-implicite où

l’intensification porte sur la quantité d’individus ou d’entités (e.g. étudiants) ne sont pas

fréquemment attestées, surtout en position de sujet. Elles sont pourtant plus attestées lorsque

l’intensification porte sur la quantité d’individus ou d’entités en fonction d’objet, comme dans

les exemples Ça nous a fait des frais que là les sous ils sont encore partis. et Elle mange des

carottes que les oreilles de lapin lui poussent. Lorsqu’on ajoute des propositions relatives

restrictives à ces CIC-implicites pour dénoter frais et carottes, on obtient une interprétation

d’intensification :

(40) a. ?Ça nous a fait des frais [CP-rel qu’on n’avait pas prévus] [CP-cons que là les sous ils

sont encore partis].

b. *Ça nous a fait des frais [CP-cons que là les sous ils sont encore partis] [CP-rel qu’on

n’avait pas prévus].

Page 184: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

174

(41) a. ?Elle mange des carottes [CP-rel qu’on avait cultivées] [CP-cons que les oreilles de

lapin lui poussent].

b. *Elle mange des carottes [CP-cons que les oreilles de lapin lui poussent] [CP-rel qu’on

avait cultivées].

Comme les exemples (37) et (38), les exemples (40) et (41) montrent que le comportement de

dépendance emboîtée des propositions relatives restrictives par rapport aux prop-que de

degré/conséquence caractérise la CIC-implicite. Mais il est à noter que les phrases (40a) et (41a)

ne sont pas tout à fait naturelles. Comment pourrait-on expliquer cette acceptabilité plus

douteuse ? Dans les CIC-implicites en (40a) et (41a), les antécédents des propositions relatives

restrictives, soit frais et carottes, sont aussi les éléments sur lesquels porte l’intensification

implicite. Les propositions relatives, l’intensification implicite et la prop-que constituent des

informations nouvelles ; elles ont le statut discursif de posés dans ces phrases (les présupposés

étant Ça nous a fait des frais. et Elle mange des carottes.). Les expressions nominales sont donc

reliées à plusieurs posés. Le statut moins naturel des exemples (40a) et (41a) pourrait signaler

que lorsque la CIC-implicite contient beaucoup de posés, elle devient difficile à interpréter. Les

exemples (37a) et (38a) contiennent le même nombre de posés, mais ces posés ne sont pas tous

reliés au même élément, ce qui pourrait expliquer leur acceptabilité plus naturelle. Dans ces

exemples, les propositions relatives spécifient les nominaux en fonction de sujet ;

l’intensification touche par contre aux propriétés des sujets, exprimées par les adjectifs bizarres

et fâchés. Un autre aspect qui semble contribuer à l’acceptabilité plus douteuse des exemples

(40a) et (41a) concerne les effets divergents associés à la relativisation restrictive et à

l’intensification de la quantité. Avec la relativisation restrictive, on impose une restriction sur le

référent. Avec l’intensification de quantité, il n’y a aucun effet référentiel. On élargit la quantité

et on établit plutôt une indétermination. La relativisation et l’intensification de quantité poussent

ainsi de deux côtés sémantiques différents. Ce conflit sémantique ne survient pas avec les

propositions relatives non-restrictives, dont le rôle n’est pas référentiel. On s’attend donc à ce

que les CIC-implicites qui les contiennent soient plus naturelles :

(42) a. Ça nous a fait des frais, [CP-rel qu’on n’avait pas prévus], [CP-cons que là les sous ils

sont encore partis].

b. *Ça nous a fait des frais [CP-cons que là les sous ils sont encore partis], [CP-rel qu’on

n’avait pas prévus].

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175

(43) a. Elle mange des carottes, [CP-rel qui ont beaucoup de vitamines], [CP-cons que les

oreilles de lapin lui poussent].

b. *Elle mange des carottes [CP-cons que les oreilles de lapin lui poussent], [CP-rel qui

ont beaucoup de vitamines].

Avec une lecture non-restrictive des propositions relatives qu’on n’avait pas prévus et qui ont

beaucoup de vitamines, les exemples (42a) et (43a) de la CIC-implicite s’interprètent plus

naturellement. Les exemples (42b) et (43b) montrent aussi que le comportement de linéarisation

fixe est non seulement observé avec une proposition relative de nature restrictive, mais aussi

avec une proposition relative de nature non-restrictive, appositive.

Le comportement de dépendance emboîtée entre une proposition relative et la prop-que de

degré/conséquence est une propriété que la CIC-implicite partage avec la CIC-explicite. Il

semble aussi que le nombre de posés et les rôles divergents de ces posés aient un effet sur

l’interprétabilité de l’intensification implicite et restreignent ainsi les réalisations possibles de la

CIC-implicite.

4.2.2.4 Propositions comparatives

Un autre type de comportement de dépendance emboîtée est l’ordre relatif entre la prop-que de

degré/conséquence et une proposition comparative :

(44) a. So many people ate more hush puppies at the county fair [CP-compar than we

expected] [CP-cons that we ran out of them early].

b. *So many people ate more hush puppies at the county fair [CP-cons that we ran out of

them early] [CP-compar than we expected].

(Guéron et May 1984 : 29)

(45) a. Tant de visiteurs ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-compar qu’on ne l’espérait]

[CP-cons qu’on en a manqué].

b. *Tant de visiteurs ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-cons qu’on en a manqué]

[CP-compar qu’on ne l’espérait].

Page 186: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

176

(46) a. So many people ate faster yesterday [CP-compar than we had expected] [CP-cons that we

were all done by 9 p.m.].

b. *So many people ate faster yesterday [CP-cons that we were all done by 9 p.m.] [CP-

compar than we had expected].

(Bhatt et Pancheva 2004 : 25)

(47) a. Tant de gens ont mangé plus vite hier [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons qu’on a

tous fini bien avant 9 heures].

b. *Tant de gens ont mangé plus vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9

heures] [CP-compar qu’on ne l’espérait].

(adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 25)

Sur la base des contrastes de grammaticalité dans les exemples ci-dessus, on peut constater que

la proposition comparative doit précéder la prop-que de degré/conséquence. Autrement dit, la

même restriction de linéarisation régit l’ordre relatif de la prop-que par rapport à une proposition

relative et à une proposition comparative. Pourtant, dans l’exemple (48) ci-dessous, l’ordre de la

proposition comparative par rapport à la prop-que de degré/conséquence est restreint de manière

inverse : la proposition comparative doit suivre la prop-que :

(48) a. Il est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-cons qu’il peut voyager en première

classe] [CP-compar que je ne le suis].

b. *Il est plus fier d’avoir obtenu tant de crédits [CP-compar que je ne le suis] [CP-

cons qu’il peut voyager en première classe].

(Rouveret 1977 : 208)

Selon la grammaticalité contrastive des exemples (48a) et (48b), la proposition comparative que

je ne le suis doit suivre la prop-que de conséquence qu’il peut voyager en première classe. On ne

peut donc pas constater catégoriquement que toute proposition comparative précède la prop-que

de degré/conséquence ou que toute prop-que suit une proposition comparative. Cette restriction

inverse n’est pas, à notre connaissance, examinée ensemble avec la restriction traditionnellement

soulignée dans la littérature sur les dépendances emboîtées (cf. les exemples (44) à (47)).

Commençons d’abord par examiner une dérivation possible de la restriction illustrée par les

exemples (44) à (47), soit l’ordre relatif « proposition comparative prop-que ». On considère

traditionnellement que la proposition comparative, comme la prop-que de degré/conséquence, est

extraposée, dans le sens où elle n’est jamais adjacente à sa tête, le marqueur de comparaison (e.g.

Page 187: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

177

plus, moins, etc.). Ainsi, on épelle Les visiteurs ont mangé [plus] de bonbons [qu’on ne

l’espérait]., mais on n’épelle jamais *Les visiteurs ont mangé [plus qu’on ne l’espérait] de

bonbons. Ainsi, la restriction sur l’ordre relatif pourrait être reformulée comme suit : la prop-que

doit être extraposée plus loin que la proposition comparative. Mais, on avance aussi que les

extrapositions de la proposition comparative et de la prop-que se ressemblent à plusieurs égards

(Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Bhatt et Pancheva 2004) et que la proposition

comparative se situe associée à la même projection que la prop-que de degré/conséquence, IP

selon Bhatt et Pancheva (2004, 2007). L’association à la même projection implique pourtant un

ordre linéaire libre, lequel n’est pas attesté. Bhatt et Pancheva (2004) relient l’extraposition à la

portée des têtes (ou antécédents) des propositions extraposées (cf. §4.2.2.3). On peut ainsi

attribuer l’ordre relatif des propositions extraposées dans ce type d’exemples aux montées

(portées) relatives de leur têtes, le marqueur de comparaison (e.g. plus) et le marqueur d’intensité

(e.g. tant), à FL. Pour obtenir un ordre relatif strict entre la proposition comparative et la prop-

que, il faut qu’il existe des limitations imposées sur les montées de leurs têtes à la même

projection. On n’identifie pas pourtant ce qui pourrait être responsable de ces limitations, du

comportement unique des marqueurs à FL. L’explication basée sur les portées relatives n’est

donc pas tout à fait satisfaisante. Bhatt et Pancheva (2004) avouent n’avoir pas d’explication à

offrir du comportement de linéarisation fixe entre la prop-que et une proposition comparative. Ils

peuvent dériver les exemples grammaticaux, mais ils ne peuvent pas exclure les exemples

agrammaticaux. Ils ne mentionnent pas la restriction inverse, notée par Rouveret (1977) et

exemplifiée ci-dessus en (48), c’est-à-dire l’ordre restreint inversement où la proposition

comparative extraposée doit suivre la prop-que de degré/conséquence et non pas la précéder.

Il est intéressant de noter que même quand la dépendance est respectée, il peut y arriver que la

phrase soit tout de même inacceptable :

(49) ???/*Plus de gens ont mangé si vite hier [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons qu’on a

tous fini bien avant 9 heures].

(adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 25)

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178

La proposition comparative précède ici la prop-que, conformément à la restriction notée par

Bhatt et Pancheva (2004). On ne s’attend donc pas à l’agrammaticalité attestée.104

Bhatt et

Pancheva suggèrent qu’elle a une cause sémantique. L’exemple serait exclu sur la base du

croisement des abstractions de degrés, λd…d (Bhatt et Pancheva 2004 : 26) :

(50) a. tant [qu’on a tous fini bien avant 9 heures] λd1 plus [qu’on ne l’espérait] λd2 [d2-de

gens ont mangé d1-vite]

b. *λd1…λd2…d2…d1 (abstractions de degrés croisées)

L’ordre λd1…d1…λd2…d2 représente des abstractions non croisées. Cette explication sémantique

ne peut pas pourtant rendre compte de l’agrammaticalité liée au comportement de dépendance

emboîtée lorsque la proposition comparative suit la prop-que.

Il est aussi important à remarquer que dans une approche qui avance un lien entre la position de

portée d’une tête quantificationnelle et le lieu d’association de la proposition extraposée, la

portée de la tête qui est liée à la proposition extraposée plus loin devrait être plus large. Dans

l’exemple (48), la portée de plus est plus large que la portée de tant. Comme les propositions

extraposées s’interprètent dans les positions de portée de leurs têtes, on peut aussi dire que la

portée de la proposition comparative que je ne le suis, i.e. le poids de la comparaison, est plus

large que la portée de la prop-que qu’il peut voyager en première classe, i.e. le poids de la

conséquence. La question qui se pose donc est de savoir si dans les exemples (44) à (47), la prop-

que, qui y apparaît extraposée plus haut que la proposition comparative, s’interprète avec une

portée plus large que la portée de cette dernière (nous reprenons ci-dessous en (51) et (52) les

exemples du français donnés plus haut) :

(51) Tant de visiteurs ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-compar qu’on ne l’espérait]

[CP-cons qu’on en a manqué].

(52) Tant de visiteurs ont mangé plus vite hier [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons qu’on a

tous fini bien avant 9 heures].

104

Lorsque la restriction sur l’ordre relatif de la proposition comparative et de la prop-que extraposées n’est pas

respectée, l’exemple est exclu, tel que prévu, sur la base de la violation de cette restriction :

i. *Plus de gens ont mangé si vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9 heures] [CP-compar qu’on ne

l’espérait]. (adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 25)

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179

Les portées des prop-que dans ces exemples sont plus larges que les portées des propositions

comparatives, ce qui correspond à leurs positions plus extraposées. Dans cet exemple, la prop-

que qu’on a tous fini bien avant 9 heures, et donc aussi le marqueur d’intensité si, s’interprètent

avec une portée large.105

Mais encore une fois, il n’est pas clair ce qui pourrait être responsable

des positions de portées fixes, lorsque celles-ci se situent au même nœud, le IP. Autrement dit,

comment s’assurer que le marqueur d’intensité tant s’adjoint plus haut que le marqueur de

comparaison plus, la prop-que de conséquence s’associant (tardivement) à ce tant déplacé et la

prop-que de comparaison au plus déplacé. L’explication basée sur les portées relatives n’est donc

pas structuralement réalisable.

Pour terminer notre discussion sur le comportement de dépendance emboîtée de la CIC-explicite

avec une proposition comparative, récapitulons sa pertinence dérivationnelle dans l’ensemble.

Comme nous l’avons dit dans la Chapitre 3, ce comportement est évoqué dans la littérature à titre

d’argument empirique en faveur d’une dérivation de la CIC-explicite par mouvement à droite de

la prop-que. Avec une dérivation par mouvement, on s’attend à des restrictions. Les restrictions

qu’exhibent les exemples (44) à (48) ressemblent en effet à des restrictions sur le mouvement de

la prop-que. Dans l’exemple (45), le syntagme intensifié tant de visiteurs en position de sujet est

moins enchâssé que le syntagme comparé plus de bonbons en position d’objet. Si on suppose que

la prop-que qu’on en a manqué et la proposition comparative qu’on ne l’espérait doivent se

déplacer de l’intérieur du syntagme qui contient leur tête, alors la proposition comparative aurait

plus de frontières à traverser. Son placement devant la prop-que pourrait donc refléter une

restriction sur le nombre de frontières qu’une expression peut traverser. Il en est de même dans

l’exemple (47), mais là, le syntagme comparé plus vite est enchâssé en tant qu’adjoint adverbial.

Dans les dérivations classiques par mouvement proposées pour les constructions de degré

(Bresnan 1973), on fait appel à la condition de sous-jacence pour restreindre le mouvement. Pour

ce qui est de l’exemple (48), l’ordre linéaire est restreint inversement, mais la restriction

105

L’exemple discuté dans la note de bas de page précédente pourrait donc être expliqué au moyen de la portée de la

proposition comparative qu’on ne l’espérait. Sa portée est plus étroite que la portée de la prop-que qu’on a tous fini

bien avant 9 heures. En fait, le domaine de sa portée est le NP :

i. Plus de gens [CP-compar qu’on ne l’espérait] ont mangé si vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9

heures].

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180

ressemble toujours à une restriction sur le mouvement. Le syntagme comparé plus fier en

position de prédicat adjectival est moins enchâssé que le syntagme intensifié tant de crédits en

position d’objet enchâssé dans le syntagme complétif adjectival. La position de la prop-que qu’il

peut voyager en première classe devant la proposition comparative que je ne le suis pourrait

donc aussi refléter une restriction sur le nombre de frontières traversables.

Pour des raisons déjà données dans le Chapitre 3, l’approche par mouvement est indésirable à

plusieurs niveaux et nous ne l’adoptons pas ici. Le mouvement joue pourtant toujours un rôle

important dans l’analyse de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) que nous adoptons. Cette analyse

relie la position de la prop-que et celle de la proposition comparative aux portées des marqueurs

d’intensité et de comparaison, leurs têtes. L’ordre relatif entre la proposition comparative et la

prop-que ne reflète donc pas une restriction sur le mouvement de ces dernières de l’intérieur des

syntagmes qui contiennent leurs têtes, mais une restriction sur le mouvement furtif de leurs têtes

elles-mêmes. Mais la question qui se pose toujours est de savoir quelles restrictions limiteraient

les montées des têtes, leur ordre relatif à leurs positions de portée, au niveau de IP, et leur

comportement à FL en général, pour dériver l’ordre relatif strict attesté entre la proposition

comparative et la prop-que qui semble être sous l’influence de l’enchâssement des syntagmes

intensifié et comparé.

Le comportement de dépendance emboîtée entre une proposition comparative et la prop-que de

degré/conséquence est-il aussi attesté dans le cas de la CIC-implicite ? Il n’est pas attesté

naturellement ; et, lorsque nous essayons d’inventer des réalisations de la CIC-implicite sur la

base des réalisations de la CIC-explicite, en supprimant le marqueur d’intensité explicite, les

réalisations résultantes sont inacceptables :

(53) a. *Des/Les visiteurs ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-compar qu’on ne

l’espérait] [CP-cons qu’on en a manqué].

b. *Des/Les visiteurs ont mangé plus de bonbons à la foire [CP-cons qu’on en a

manqué] [CP-compar qu’on ne l’espérait].

(54) a. *Des/Les gens ont mangé plus vite hier [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons qu’on

a tous fini bien avant 9 heures].

b. *Des/Les gens ont mangé plus vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9

heures] [CP-compar qu’on ne l’espérait].

Page 191: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

181

(55) a. ?*Plus de gens [CP-compar qu’on ne l’espérait] ont mangé vite hier [CP-cons qu’on a

tous fini bien avant 9 heures].

b. *Plus de gens ont mangé vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9 heures] [CP-

compar qu’on ne l’espérait].

(56) a. *Il est plus fier d’avoir obtenu des crédits [CP-cons qu’il peut voyager en première

classe] [CP-compar que je ne le suis].

b. *Il est plus fier d’avoir obtenu des crédits [CP-compar que je ne le suis] [CP-cons qu’il

peut voyager en première classe].

Peu importe l’ordre linéaire entre la proposition comparative et la prop-que, les réalisations de la

CIC-implicite qui contiennent les deux à la foi ne sont pas grammaticales. De plus, comme nous

l’avons dit dans le Chapitre 2, les réalisations de la CIC-implicite où l’intensification porte sur la

quantité d’individus (gens) ou d’entités (crédits) ne sont pas fréquemment attestées ou facilement

manipulables.

Il n’est pas clair pourquoi les exemples (53) à (56) sont agrammaticaux, surtout les exemples (a),

qui sont grammaticaux dans le cas de la CIC-explicite. Comme nous l’avons proposé ci-dessus

lors de notre discussion de la dépendance emboîtée entre une proposition relative et la prop-que,

(cf. §4.2.2.3, (39a)), une possibilité à considérer est une contrainte sémantique, en termes du

nombre de posés. La proposition comparative et la prop-que constituent des informations

nouvelles ; elles ont donc le statut discursif de posés. Lorsque la CIC-implicite contient

beaucoup de posés, elle peut devenir difficile à interpréter. La CIC-implicite, comme la CIC-

explicite, est énoncée par un locuteur pour affirmer principalement l’intensification et la

conséquence qu’elle entraîne. Lorsque l’intensification est implicite, cette affirmation peut être

éclipsée par d’autres posés dans l’énoncé. Prenons l’exemple (55a). Le présupposé dans cet

exemple est Des gens ont mangé vite. Les posés incluent : hier, plus, qu’on ne l’espérait et

l’intensification implicite avec qu’on a tous fini bien avant 9 heures. La phrase contient donc

cinq posés différents, ce qui pourrait la rendre plus difficile à interpréter. Lorsqu’on enlève un

posé de l’exemple (55a), le syntagme adverbial hier, la phrase ne s’améliore pas

considérablement (cf. (57a)) ; lorsqu’on enlève deux posés, le marqueur de comparaison plus et

la proposition comparative qu’on ne l’espérait, la CIC-implicite résultante devient acceptable

(cf. (57b)) ; mais elle s’interprète le plus naturellement lorsque les posés ne sont que

l’intensification implicite avec la prop-que (cf. (57c)) :

Page 192: Contraintes syntaxiques et sémantiques sur l’intensification implicite : un cas non standard de la construction intensive de … · iii plus restreintes. Les restrictions incluent,

182

(57) a. ?*Plus de gens [CP-compar qu’on ne l’espérait] ont mangé vite [CP-cons qu’on a tous fini

bien avant 9 heures].

b. Les gens ont mangé vite hier [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9 heures].

c. Les gens ont mangé vite [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9 heures].

Nous avançons en plus que l’exemple (57a) est inacceptable non seulement parce qu’il contient

plusieurs posés, mais aussi parce que ces posés ont des fonctions similaires. La comparaison et

l’intensification consistent des modifications de qualités ou de quantités qui opèrent sur des

échelles. La comparaison devient plus facilement l’assertion principale lorsque l’intensification

est implicite.

Finalement, les exemples (53a) et (54a) ci-dessus ne s’améliorent pas avec moins de posés, peu

importe si on enlève le posé adverbial (à la foire, cf. (58a), hier, cf. (59a)) ou le posé comparatif

(plus qu’on ne l’espérait, cf. (58b) et (59b)) :

(58) a. *Des/Les visiteurs ont mangé plus de bonbons [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons

qu’on en a manqué].

b. *Des/Les visiteurs ont mangé des bonbons à la foire [CP-cons qu’on en a manqué].

(59) a. *Des/Les gens ont mangé plus vite [CP-compar qu’on ne l’espérait] [CP-cons qu’on a

tous fini bien avant 9 heures].

b. *Des/Les gens ont mangé vite [CP-cons qu’on a tous fini bien avant 9 heures].

L’élément sur lequel porte l’intensification implicite dans ces exemples est le sujet. Les

réalisations de la CIC-implicite semblent être restreintes au niveau du domaine de la portée

d’intensification (cf. Chapitre 2), ce qui explique en partie l’exclusion des exemples (53a), (54a),

(58) et (59).

Pour ce qui est de l’exemple (56a), la réduction de posés, au moyen de la suppression de la

proposition comparative, n’améliore pas cet énoncé :

(60) *Il est fier d’avoir obtenu des crédits [CP-cons qu’il peut voyager en première classe].

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183

Ici aussi, le domaine de la portée de l’intensification, soit la complétive de l’adjectif fier, semble

influer sur l’acceptabilité de la phrase : il est enchâssé.

Le comportement de dépendance emboîtée entre une proposition comparative et la prop-que de

degré/conséquence montre que la CIC-explicite peut être structuralement assez complexe.

L’examen de ce comportement dans le cas de la CIC-implicite révèle que les réalisations de la

CIC-implicite sont plus restreintes ; autrement dit, l’intensification implicite est directement liée

à des restrictions de forme. Nous relions ces restrictions au nombre de posés dans l’énoncé et à

leur nature, les posés adverbiaux n’affectant pas l’acceptabilité des réalisations de la CIC-

implicite de la même façon que les posés comparatifs, comme nous l’avons montré ci-dessus

avec la suppression de différents posés. Mais parfois même la suppression de tous les posés ne

suffit pas pour améliorer la réalisation de la CIC-implicite car la CIC-implicite de base est déjà

peu naturelle (i.e. lorsque l’intensification porte sur le sujet).

4.2.2.5 Antéposition de la prop-que

Un dernier type de comportement de linéarité qui caractérise la CIC-explicite est l’ordre relatif

de la prop-que de degré/conséquence par rapport à la proposition principale, ou la proposition

qui comprend le domaine d’intensification. La prop-que ne peut pas apparaître en position

initiale :

(61) a. Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

b. *Qu’il pouvait à peine parler Jean était si furieux.

(62) a. Max a tant de travail qu’il est débordé.

b. *Qu’il est débordé Max a tant de travail.

(63) a. Luc a parlé si clairement que tout le monde a compris.

b. *Que tout le monde a compris Luc a parlé si clairement.

(64) a. Il souffre tellement qu’il ne peut plus se lever.

b. *Qu’il ne peut plus se lever il souffre tellement.

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184

L’absence d’antéposition de la prop-que pourrait avoir plusieurs origines. D’abord, elle pourrait

indiquer une relation asymétrique entre la proposition principale et la prop-que. La prop-que

serait alors étroitement liée à un élément dans la proposition principale. Elle pourrait indiquer en

plus que la prop-que est enchâssée à l’intérieur de cette proposition par le biais de cet élément et

qu’une fois générée, elle ne peut pas se déplacer à gauche. La question qui se pose est de savoir

pourquoi un déplacement de la prop-que ne serait pas permissible. Les études au sujet de la CIC-

explicite ont clairement montré que la prop-que est étroitement associée au marqueur d’intensité,

ce dernier en étant la tête. Cette restriction devrait donc être liée au marqueur d’intensité.

Les effets de linéarisation de ce type peuvent aussi être attribués aux fonctions discursives. Les

positions initiales sont pour certains éléments des positions de focus contrastif ou de topique en

proéminence. Par exemple, on focalise ou topicalise un objet en position initiale, e.g. Ce livre-ci,

tu devrais lire, non pas celui-là. Le livre, il l’a acheté. Pour d’autres éléments, les positions de

focalisation/topicalisation sont les positions postverbales. Par exemple, les adverbes de manière

sont typiquement topicalisés en position postverbale, e.g. Elle chante BIEN. Elle mange

LENTEMENT. Les prop-que dans les exemples (61) à (64) ne s’interprètent pourtant pas avec

une focalisation ou une topicalisation. Les prop-que dans les CIC-explicites ont une fonction

discursive d’assertions (Castroviejo-Miró 2006). Et l’agrammaticalité des exemples en (b)

suggère que cette fonction ne peut pas être satisfaite en position initiale. Autrement dit,

l’information nouvelle que la prop-que dans la CIC contribue ne peut pas être affirmée en

position initiale.

La dérivation de Bhatt et Pancheva (2004, 2007), est-elle capable de dériver les exemples (61) à

(64) ? L’association tardive dérive la prop-que en tant que le complément du DegP montée à

droite. L’association à droite est exigée pour des raisons d’interprétations de traces (cf. §3.2.4.3).

Ce mécanisme fait en sorte que la prop-que n’apparaît jamais en position initiale. L’absence

d’antéposition peut donc être dérivée avec l’approche que nous adoptons.

L’antéposition de la prop-que de degré/conséquence est aussi interdite dans le cas de la CIC-

implicite :

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185

(65) a. Il est laid qu’on s’en ferme les yeux.

b. *Qu’on s’en ferme les yeux il est laid.

(66) a. Elle mange des carottes que les oreilles de lapin lui poussent.

b. *Que les oreilles de lapin lui poussent elle mange des carottes.

(67) a. Marie chante qu’on en pleure.

b. *Qu’on en pleure Marie chante.

La restriction sur l’antéposition de la prop-que de degré/conséquence est un comportement que la

CIC-explicite et la CIC-implicite partagent.

Si on suppose que l’intensification implicite a un reflet structural sous forme d’une catégorie

syntaxique e, alors l’association tardive peut dériver les réalisations ci-dessus de la CIC-implicite

directement, de la même manière qu’elle dérive ce type de réalisations de la CIC-explicite.

Pour terminer notre exposé du comportement d’antéposition interdite, nous aimerions

mentionner un exemple (cf. (68b)) qui pourrait donner l’impression que l’antéposition est

permise dans certains cas :

(68) a. Il crie tellement qu’on ne s’entend plus.

b. On ne s’entend plus tellement il crie.

La proposition de conséquence dans la phrase en (68b) se situe en position initiale. Pourtant, on

ne peut pas parler ici d’un exemple d’antéposition. D’abord, la proposition n’est pas introduite

par le complémenteur que ; de plus, la structure en (b) n’est pas acceptable avec tous les

marqueurs d’intensité (e.g. *Il pouvait à peine parler Jean était si furieux.) On avance en fait

dans la littérature que cette construction ne représente pas la CIC-explicite et qu’il s’agit d’une

construction distincte. Voir Hoeksema et Napoli (1993) qui fournissent de l’évidence empirique

en faveur du statut différent de la phrase en (68b) par rapport à la CIC-explicite en (68a).

Notons aussi que le type de structure en (68b) n’existe pas avec l’intensification implicite (69b) :

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186

(69) a. Il crie qu’on ne s’entend plus.

b. *On ne s’entend plus il crie.

4.2.3 Enchâssement complétif

La CIC-explicite peut apparaître dans une variété de contextes structuraux. Un de ces contextes

est l’enchâssement du type complétif. La CIC-explicite (soulignée dans les exemples ci-dessous)

peut être enchâssée en tant qu’une proposition complétive :

(70) Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

(Rouveret 1977 : 197)

(71) Jean croit que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

(Rouveret 1978 : 162)

(72) Luc pense que Marie est tellement courageuse que rien ne lui fait peur.

Les réalisations de la CIC-explicite enchâssée, par les verbes dire, croire et penser dans les

exemples ci-dessus, sont acceptables.

Une question importante à se poser est de savoir si les propriétés sémantiques du prédicat

enchâssant, comme le type sémantique du verbe, jouent un rôle dans l’expression de ce

comportement de la CIC-explicite. Dans les exemples (70) à (72), les verbes enchâssants dire,

croire et penser sont du type propositionnel, selon Rochette (1998).106

Le verbe dire exprime une

assertion du sujet ; les verbes croire, penser expriment un jugement du sujet concernant la vérité

ou la fausseté de ce qui est exprimé par la CIC-explicite. Ces verbes sont aussi des verbes non-

factifs. La factivité est étroitement liée à la présupposition, un prédicat non-factif enchâssant

étant un prédicat qui ne présuppose pas, ou ne prend pas pour acquis, la vérité ou la fausseté, de

son complément.107

Ainsi, les CIC-explicites dans les exemples (70) à (72) devraient

communiquer une information posée (ou nouvelle).

106

Les verbes propositionnels expriment des jugements de valeur de vérité par rapport à la proposition qu’ils

introduisent (Rochette 1998). 107

Ainsi, la valeur de vérité de la phrase entière ne dépend pas de la valeur de vérité de la CIC-explicite. Par

exemple, la phrase Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste. est vraie si et seulement

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187

On peut tester que la CIC-explicite est posée et non pas présupposée au moyen du test

d’interrogation, entre autres. Si on peut s’interroger sur la phrase, elle est posée. Dans le cas de

l’exemple (70), Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste., on peut se

poser la question : A-t-elle des amis si influents qu’elle va obtenir le poste ? Mais, on peut aussi

se poser la question : A-t-elle dit cela ? La proposition principale peut donc aussi être le posé.

Selon le contexte, un de ces posés sera le posé principal, la proposition sémantiquement

dominante. Autrement dit, bien que le locuteur qui prononce Marie dit qu’elle a des amis si

influents qu’elle va obtenir le poste. s’engage avec cet énoncé à la vérité que Marie dit cela, cela

ne veut pas dire que cette assertion est l’assertion principale (Hooper 1975). On peut ainsi

constater sur la base des exemples (70) à (72) et le test d’interrogation que la CIC-explicite peut

communiquer de l’information non présupposée (ou nouvelle).

La CIC-explicite peut-elle aussi communiquer de l’information présupposée en contexte

d’enchâssement ? Autrement dit, l’enchâssement de la CIC-explicite est-il attesté lorsque le

prédicat enchâssant est un verbe factif, soit un prédicat qui présuppose, ou prend pour acquis, la

vérité de son complément, comme les verbes savoir (73), apprendre (74), se rendre compte (75),

regretter (76) ?108

(73) Paul sait que Marie a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

(74) Jean a appris que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

(75) Sylvie s’est rendu compte que Pierre était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

(76) Joanne regrette que Max ait tant de travail qu’il est débordé.

(77) Jean ignore que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

Ce type d’enchâssement est acceptable, la CIC-explicite peut jouer le rôle d’un complément du

verbe factif. On peut tester que la CIC-explicite est présupposée dans ces exemples au moyen du

test de négation. Si le prédicat enchâssant présuppose la situation exprimée par la CIC-explicite,

‘Marie dit que qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.’ est vraie. Si ‘Marie a des amis si influents

qu’elle va obtenir le poste.’ est vrai ou faux n’a aucune incidence sur la valeur de vérité de la phrase entière. 108

Les verbes factifs déclenchent la présupposition. Ainsi, la valeur de vérité de la phrase entière dépend de la

valeur de vérité de la CIC-explicite.

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188

sa négation ne devrait pas changer la condition de vérité de son complément (Kiparsky et

Kiparsky 1970 ; Hooper 1975). Dans le cas de l’exemple (75), Sylvie s’est rendu compte que

Pierre était si furieux qu’il pouvait à peine parler., la valeur de vérité de Pierre était si furieux

qu’il pouvait à peine parler reste la même (i.e. vraie) lorsqu’on dit Sylvie ne s’est pas rendu

compte que Pierre était si furieux qu’il pouvait à peine parler. On peut ainsi constater sur la base

des exemples (73) à (77) et le test de négation que la CIC-explicite peut communiquer de

l’information présupposée. Il est aussi à noter que dans ces exemples, le posé ou l’assertion

principale est la proposition enchâssante ou l’action du verbe enchâssant. Plus spécifiquement le

locuteur s’engage à la vérité que ‘Paul sait x’, ‘Jean a appris y’, etc. Dans l’ensemble, le

comportement d’enchâssement examiné à travers la (non)-factivité nous permet de constater que

la CIC-explicite peut communiquer soit une information non présupposée (i.e. nouvelle),

lorsqu’elle est subordonnée à un verbe non-factif (cf. (70) à (72)), soit une information

présupposée, lorsqu’elle est subordonnée à un verbe factif (cf. (73) à (77)). Dans le premier cas,

elle peut constituer l’assertion principale du locuteur ; dans le deuxième cas, elle ne constitue pas

l’assertion principale.

L’enchâssement est aussi permissible avec plusieurs actes de parole accomplis par le sujet de la

proposition principale. La condition de vérité de la situation que la CIC-explicite exprime peut

être affirmée/déclarée (cf. (70), avec le prédicat très assertif dire), jugée (cf. (71) et (72), avec les

prédicats légèrement assertifs croire et penser ; Hooper and Thompson 1973), voire questionnée

(cf. (78) à (79)) :

(78) Marie se demande si elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

(79) Sylvie veut savoir si Pierre était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

Les exemples ci-dessus illustrent que la CIC-explicite peut être enchâssée comme le complément

propositionnel des verbes interrogatifs dans les questions indirectes. Notons que le point

principal de ces énoncés est plutôt le contenu de la proposition principale, c’est-à-dire ‘Marie se

demande x’, etc., et non pas la CIC-explicite, similairement aux exemples (73) à (77).

Pour résumer, la CIC-explicite peut être enchâssée en tant que complément propositionnel d’un

verbe matrice. Le comportement d’enchâssement est étroitement lié aux présuppositions et aux

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189

actes de parole. Les présuppositions et les actes de parole concernent le locuteur ; ainsi, leur

pertinence se situe au niveau du discours. L’enchâssement de la CIC-explicite n’est influencé ni

par la factivité du verbe enchâssant (e.g. verbe factif ou non-factif), ni par l’acte de parole que le

locuteur accomplit (e.g. déclaration, question). Les exemples ci-dessus nous disent que la CIC-

explicite peut exprimer de l’information nouvelle ou présupposée et que l’objectif principal du

locuteur n’est pas toujours l’assertion de cette information (parfois le contenu de la CIC a un

statut secondaire, comme dans le cas de l’enchâssement factif ou interrogatif). L’enchâssement

est une propriété de la CIC-explicite qui est aussi liée à d’autres comportements importants de

cette construction, tels que l’ambiguïté interprétative (cf. §4.2.5) et l’obviation à la Condition C

de liage (cf. §4.2.6). Ainsi, nous reprendrons des aspects de l’enchâssement de la CIC-explicite

lorsque nous abordons ci-dessous ces autres comportements.

L’enchâssement n’est pas un comportement qui caractérise la CIC-implicite de la même manière

que la CIC-explicite. La CIC-implicite ne semble pas fonctionner naturellement comme une

proposition complétive, contrairement à la CIC-explicite. Les réalisations de la CIC-implicite

enchâssée ne sont pas pourtant complètement exclues :

(80) Jean dit que Marie est belle que c’est ridicule.

(81) Marie croit qu’il bosse qu’il n’en peut plus.

(82) Pierre pense que Sylvie est bête que c’est à pas y croire.

(83) *Michelle sait que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

(84) *Jean a appris que Paul toussait qu’il en secouait toute sa maison.

(85) *Sylvie s’est rendu compte que ça nous a fait des frais que là les sous ils sont encore

partis.

(86) *Joanne regrette que Pierre boive que c’en est une honte.

(87) *Jean ignore qu’elle chante que ça fait plaisir.

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190

(88) *Ma sœur se demande si je suis stressée que je n’en dors plus la nuit.

(89) *Sylvie veut savoir s’il crie qu’on ne s’entend pas.

Les exemples dans lesquels la CIC-implicite est enchâssée comme le complément d’un verbe

non-factif (cf. (80) à (82)) ne sont peut-être pas très naturels, mais ils sont acceptables. Par

contre, lorsque la CIC-implicite est un complément d’un verbe factif (cf. (83) à (87)) ou d’un

prédicat interrogatif (cf. (88) et (89)), l’acceptabilité est beaucoup plus douteuse, voire

impossible.

La CIC-implicite est une construction qu’un locuteur emploie pour affirmer le haut degré d’une

propriété d’un individu/objet (e.g. Sylvie était bête que c’était à pas y croire.) ; ou d’une

propriété d’un événement (e.g. Paul toussait qu’il en secouait toute sa maison.) (cf. Chapitre 2,

§2.3). C’est en plus une construction teintée d’expressivité, dans le sens où on ressent que

l’affirmation que le locuteur effectue est plus accentuée. Nous posons que cette fonction

affirmative expressive contribue à l’inacceptabilité des exemples (83) à (89). Regardons d’abord

la première série d’exemples.

Comme nous l’avons dit plus haut, en prononçant certains énoncés qui comprennent

l’enchâssement, le locuteur peut accomplir plusieurs assertions différentes. Seulement une

assertion constitue le point principal de l’énoncé. Par exemple, dans la phrase en (80), on peut

communiquer que ‘Jean dit x’, et donc que l’information principale est l’action qu’exprime le

verbe enchâssant (on affirme l’assertion que fait le référent du sujet de la matrice). Ou bien on

peut affirmer principalement que ‘Marie est belle que c’est ridicule.’ Autrement dit, on affirme la

CIC-implicite, le haut degré de la propriété belle. Ce niveau de degré constitue l’information

nouvelle, le posé. L’enchâssement par le verbe dire introduit donc une autre assertion, mais en

même temps il ne bloque pas l’assertion de la CIC-implicite et la possibilité que cette dernière ait

le statut du point principal de l’énoncé. Les exemples (80) à (82) sont donc acceptables.109

109

L’interprétation n’est peut-être pas naturelle parce qu’on a deux entités, le locuteur et le référent du sujet de la

matrice, qui peuvent fonctionner comme la source de l’évaluation de mesure et donc de l’assertion de

l’intensification. On peut poser que l’assertion du référent du sujet crée une interférence interprétative et l’assertion

du locuteur ne s’interprète pas clairement comme étant l’assertion principale.

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191

Pour ce qui est des exemples (83) à (87), la factivité des verbes enchâssants savoir, apprendre, se

rendre compte, regretter, ignorer déclenche le statut présupposé de la CIC-implicite. Ainsi, cette

dernière ne constitue pas l’assertion principale. La factivité déplace ainsi l’assertion principale

du haut degré à l’action du verbe enchâssant, à l’énoncé matrice. Le locuteur qui prononce ces

exemples s’engage à la vérité que ‘Michelle sait x’, ‘Jean a appris y’, etc. Comme la CIC-

implicite se caractérise par une fonction affirmative, un conflit communicatif se produit. Il en est

de même dans le cas de l’inacceptabilité des exemples (88) et (89). Les verbes enchâssants dans

ces exemples, i.e. se demander, vouloir savoir, entraînent une interrogation de la CIC-implicite.

L’interrogation est incompatible avec l’assertion de degré qui caractérise la CIC-implicite. En

plus, l’assertion principale dans les questions indirectes tombe plutôt sur l’énoncé enchâssant.

L’interrogation indirecte gêne donc la fonction communicative de base de la CIC-implicite. La

question qui se pose est de savoir pourquoi la factivité et l’interrogation indirecte ne gênent pas

l’enchâssement de la CIC-explicite. Nous avançons que le locuteur y joue un rôle important.

L’intensification implicite repose sur l’affectivité de l’affirmation. Cette affectivité n’est plus

ressentie lorsque la CIC-implicite est présupposée ou questionnée dans un discours indirect.

L’enchâssement n’est pas un comportement que la CIC-explicite partage avec la CIC-explicite

entièrement. Les réalisations enchâssées de la CIC-implicite ont une acceptabilité peut-être

réduite ou bien elles sont inacceptables, ce qu’on relie à la présence de plusieurs fonctions

communicatives. Plus loin, ce comportement s’avérera crucial pour notre analyse dérivationnelle

de la CIC-implicite (cf. 4.3).

4.2.4 Relativisation

Un autre contexte d’enchâssement dans lequel on trouve attestée la CIC-explicite est le contexte

de relativisation. Plus spécifiquement, la CIC-explicite peut fonctionner en tant qu’une

proposition relative, de type sujet (cf. (90a) et (91a)) ou de type objet (cf. (92a) et (93a)).110

Par

contre, les réalisations de la CIC-implicite dans ce contexte (cf. les exemples en (b)) sont

mauvaises :

110

Nous ne présentons pas ici toute la gamme des contextes relatifs qui acceptent la CIC-explicite. La relativisation

est un phénomène complexe et notre objectif ici n’est pas de l’examiner en détail. Nous voulons simplement tirer

quelques comparaisons de base entre la CIC-explicite et la CIC-implicite relatives à ce type d’enchâssement.

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192

(90) a. Certaines fois on leur présente des plats qui sont tellement avariés qu’on est obligé

de les jeter.

b. ?*Certaines fois on leur présente des plats qui sont avariés qu’on est obligé de les

jeter.

(adapté ; Deulofeu 2007 : 142)

(91) a. Odile a lu un article qui était tellement compliqué qu’elle avait de la peine à le

suivre.

b. ?*Odile a lu un article qui était compliqué qu’elle avait de la peine à le suivre.

(92) a. Pierre m’a raconté une histoire que j’ai trouvé tellement émouvante que j’en pleure

encore.

b. ?*Pierre m’a raconté une histoire que j’ai trouvé émouvante que j’en pleure encore.

(93) a. Marie a un copain que ses amis détestent tellement qu’ils refusent de la voir.

b. ?*Marie a un copain que ses amis détestent qu’ils refusent de la voir.

Même les exemples où on relativise les CIC-implicites attestées et acceptables hors du contexte

de relativisation sont peu naturelles :

(94) ?Paul a rencontré une femme qui est belle que l’on croit rêver.

(95) ?Marie a acheté des fraises qui sont rouges qu’on croit qu’elles vont éclater.

(96) ?Il y a un enfant dehors qui crie qu’on l’entend du coin de la rue.

(97) ?Tu as là un bois qui brûle et qui pète que ça fait plaisir.

(Sandfeld 1965 : 414)

(98) ??Paul a rencontré une femme que sa famille aime qu’il n’en revient pas.

Les exemples (94) à (97) contiennent des CIC-implicites qui fonctionnent en tant que

propositions relatives de type sujet, les têtes nominales (bois, femme, fraises) correspondant aux

antécédents à leurs sujets. L’exemple (98) contient une CIC-implicite en fonction d’une

proposition relative de type objet.

Les locuteurs du français trouvent les exemples ci-dessus de la CIC-implicite difficiles à

interpréter. Certains ont indiqué que les exemples (94) et (95) s’interprètent plus facilement avec

un effet d’intensification que les exemples (96) à (98), possiblement parce que les adjectifs

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193

facilitent la récupérabilité de l’intensification. Les adjectifs belle et rouge représentent des

propriétés mesurables et les choix lexicaux dans la prop-que font en sorte qu’on peut aller

chercher une restriction de cette mesure. L’exemple (98) d’une relative de type objet s’avère le

plus difficilement interprétable.

La CIC-implicite est aussi difficilement interprétable lorsqu’elle fonctionne comme une relative

qui modifie le sujet de la proposition principale (dans les exemples (94) à (98), elle modifie

l’objet de la principale) :

(99) ?Un individu qui rougit que ça fait peine à voir se sent sans doute embarrassé.

(100) ?*La chanson que sa femme a chantée que ça faisait plaisir est parmi ses favorites.

La phrase en (99) s’interprète plus facilement avec un effet d’intensification, contrairement à la

phrase en (100), avec laquelle la haute mesure n’est pas possible. Cette différence pourrait être

attribuée à la nature du prédicat, rougir étant un verbe déadjectival qui, comme les adjectifs,

exprime une gradabilité, contrairement au prédicat chanter. De plus, comme le suggère

l’exemple (98), une CIC-implicite en fonction d’une relative de type objet est moins acceptable ;

ceci est la fonction de la CIC-implicite en (100) qui n’est pas acceptable non plus. Le

comportement de relativisation testé avec la CIC-implicite produit des phrases peu naturelles. La

possibilité de fonctionner comme une proposition relative n’est donc pas une propriété qui

caractérise la CIC-implicite de la même manière que la CIC-explicite.

Une explication possible de cette différence entre la CIC-explicite et la CIC-implicite est la

fonction communicative qu’effectue le locuteur qui prononce la CIC-implicite. Comme nous

l’avons suggéré lors de notre comparaison du comportement de dépendance emboîtée avec les

propositions relatives et comparatives (§4.2.2.3, §4.2.2.4, respectivement), le locuteur s’engage à

affirmer la haute mesure et la conséquence que cette mesure entraîne. Cette affirmation et sa

saillance sont cruciales pour l’intensification implicite, mais elles ne le sont pas pour

l’intensification explicite. Une CIC-implicite fonctionnant en tant qu’une proposition relative

joue le rôle d’un modificateur qui apporte une information « explicative » ou d’arrière-fond.

Cette information, bien qu’elle soit nouvelle, ne constitue pas l’assertion principale. C’est la

proposition matrice qui exprime l’assertion principale de l’énoncé (Abbot 2000). Comme la

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194

proposition relative (et donc la CIC-implicite) ne constitue pas l’assertion principale, la haute

mesure ne peut pas s’interpréter comme le posé saillant dans le discours. Il existe donc un conflit

communicatif dans ces phrases, ce qui pourrait conduire à leur inacceptabilité. Plus loin (§4.3),

on verra que l’idée d’assertion saillante joue un rôle important dans notre analyse du lien

dérivationnel entre la CIC-explicite et la CIC-implicite.

4.2.5 Ambiguïté interprétative

Un autre comportement qui est relié au contexte d’enchâssement est l’ambiguïté interprétative.

Comme on a déjà vu dans le Chapitre 3 (§3.2), certaines réalisations enchâssées de la CIC-

explicite peuvent s’interpréter de façon ambigüe. Les exemples (101) à (103) ci-dessous

reçoivent deux interprétations, paraphrasées en (a) et (b) :

(101) Marie dit qu’elle a des amis si influents qu’elle va obtenir le poste.

a. Marie dit que, parce qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le

poste.

b. Parce que Marie dit qu’elle a des amis influents à un degré x, elle va obtenir le

poste.

(Rouveret 1977 : 197-198)

(102) Natalie a dit que Julien était tellement immature qu’il a démissionné.

a. Natalie a dit que, parce que Julien était immature à un degré x, il a démissionné. /

Natalie a déclaré que Julien était immature à un degré x et ce degré d’immaturité a

provoqué sa démission (i.e. il existe une relation de cause-conséquence entre son

immaturité et sa démission).

b. Parce que Natalie a dit que Julien était immature à un degré x, il a démissionné. /

La déclaration de Natalie que Julien était très immature a provoqué sa démission (i.e.

la déclaration de Natalie est la cause de la démission de Julien).

(103) Jean croit que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

a. Jean croit que, parce que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment jamais.

b. Parce que Jean croit que Marie est honnête à un degré x, elle ne lui ment jamais.

(adapté ; Rouveret 1978 : 162)

Dans le cas des interprétations en (a), les prop-que (les conséquences qu’elles expriment)

s’interprètent comme étant sous la portée des verbes matrices (dire, croire), tandis que dans le

cas des interprétations en (b), elles sont hors leur portée (Rouveret 1978 : 160). Le comportement

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195

d’ambiguïté interprétative est régulièrement attesté avec la CIC-explicite (Rouveret 1977, 1978 ;

Guéron et May 1984 ; Bhatt et Pancheva 2004, 2007). Mais lorsqu’elle n’est pas attestée,

l’interprétation saillante est celle de portée étroite. La présence d’ambiguïté repose largement sur

la conséquence qu’exprime la prop-que. Cette conséquence doit être assez générale pour être

entraînée par deux causes différentes. Mais Rouveret (1978) fait aussi mention d’un autre

contexte dans lequel l’interprétation n’est jamais ambigüe : l’enchâssement de la CIC-explicite

par un verbe factif :

(104) Marie regrette que Julien soit tellement immature qu’il a démissionné.

(105) Jean s’est rendu compte que Marie est si honnête qu’elle ne lui ment jamais.

Les exemples ci-dessus ont seulement une interprétation : celle où la conséquence qu’exprime la

prop-que s’interprète comme étant sous la portée du verbe matrice et où elle résulte du degré

d’immaturité de Julien (104) ou du degré d’honnêteté de Marie (105), non pas du regret de Marie

ou de la réalisation de Jean. Rouveret attribue l’absence d’ambiguïté avec ces exemples à la

nature factive des verbes enchâssants. Les verbes factifs bloquent selon lui l’interprétation de

type (b), où la conséquence qu’exprime la prop-que s’interprète comme étant hors la portée du

verbe matrice. Notons que dans les exemples ambigus (101) à (103), la CIC-explicite est

enchâssée en tant que complément des verbes non-factifs dire et croire, ce qui soutient

l’observation de Rouveret.

Dans Bhatt et Pancheva (2004, 2007) et la majorité des analyses de la CIC-explicite (e.g.

Rouveret 1977, 1978 ; Guéron et May 1984 ; Meier 2001, 2003), l’ambiguïté interprétative est

reformulée au moyen de la notion de la portée du marqueur d’intensité (si, tellement). Les

interprétations (101a), (102a), (103a) sont de portée étroite, où le domaine de la portée du

marqueur d’intensité est la CIC ; les interprétations (101b), (102b), (103b) sont de portée large,

où le domaine de la portée du marqueur d’intensité est toute la phrase. Autrement dit, le domaine

de portée du marqueur est différent pour chaque interprétation. La supposition cruciale qui sous-

tend cette analyse est que les marqueurs d’intensité sont des éléments quantificationnels qui

doivent se déplacer pour recevoir leur interprétation. Nous reprenons ici les schémas

interprétatifs des deux types d’interprétation, donnés déjà dans le Chapitre 3 (§3.2.1), pour

l’exemple (103) :

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196

(106) a. Jean croit (SI x) (que Marie est x honnête) (qu’elle ne lui ment jamais)

b. (SI x) (Jean croit que Marie est x honnête) (qu’elle ne lui ment jamais)

Ces représentations sémantiques montrent que la position du marqueur d’intensité diffère

d’interprétation en fonction de sa portée : étroite en (106a) et large en (106b). Le comportement

d’ambiguïté peut donc être dérivé seulement dans le cadre d’une approche quantificationnelle, où

les marqueurs d’intensité sont des éléments de portée quantificationnelle qui montent à FL.

De plus, comme il existe un certain niveau d’isomorphisme entre la syntaxe et la sémantique,

une ambiguïté de ce type devrait être reflétée au niveau de la représentation syntaxique. Étant

donné que l’ambiguïté touche avant tout à l’interprétation de la conséquence qu’exprime la prop-

que (celle-ci est soit sous la portée des verbes matrices, soit hors leur portée), on s’attend à ce

que la position de la prop-que dans la configuration qui produit les interprétations en (a) soit

différente de la position qu’elle occupe dans la configuration qui produit les interprétations en

(b). Elle devrait se situer à l’intérieur de la proposition matrice dans le cas de la portée étroite,

mais à l’extérieur dans le cas de la portée large.

Selon Bhatt et Pancheva (2004, 2007), la position de la prop-que dans la configuration des

interprétations en (a) est le IP de la CIC-explicite ; sa position dans la configuration des

interprétations en (b) est le IP de la proposition matrice (cf. §3.2.4.3). La prop-que est donc

adjointe au IP sur lequel porte le marqueur d’intensité dans les schémas interprétatifs en (106).

Dans leur analyse, le marqueur monte pour recevoir son interprétation de portée. Les positions

où le marqueur monte peuvent varier, tant que ces positions correspondent à des interprétations

différentes (c’est-à-dire, tant que le mouvement produit une interprétation différente). Pour Bhatt

et Pancheva, ces positions sont : la position d’adjonction à droite au IP de la CIC-explicite

(107) ; et la position d’adjonction à droite au IP de la proposition enchâssante (108),

respectivement. Étant donné que la position de base de la prop-que dans l’analyse de Bhatt et

Pancheva (2004, 2007) est la position de complément du marqueur d’intensité monté, la prop-

que finit par se situer dans ces positions différentes aussi :

(107) [CP3 Marie dit [CP1 que [IP [IP elle [VP a des amis si1 influents]] [DegP si2 [CP2 qu’elle va

obtenir le poste]]]]]

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197

(108) [CP3 [IP [IP Marie [VP dit [CP1 qu’elle a des amis si1 influents]]] [DegP si2 [CP2 qu’elle va

obtenir le poste]]]]

L’ambiguïté est donc encodée au niveau de la représentation syntaxique et sémantique, au moyen

de la montée variable de la tête Deg° et de la génération à la base de la prop-que. Le

comportement d’ambiguïté interprétative trouve ainsi une explication dérivationnelle directe

dans l’approche sémantico-compositionnelle de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) et avec leur

dérivation par association tardive.

Pour ce qui est de l’absence d’ambiguïté avec les verbes factifs (cf. (104) et (105)), dans le cadre

de l’association tardive, il faudrait avancer qu’elle est reliée à la montée du marqueur d’intensité.

Les verbes factifs bloqueraient la montée du marqueur à sa position de portée. Il faudrait

pourtant un mécanisme dérivationnel à FL qui intégrerait les notions d’assertion et de

présupposition.111

L’ambigüité interprétative n’est pas un comportement qui caractérise la CIC-implicite lorsque

celle-ci se trouve enchâssée en tant qu’un complément verbal :

(109) ?#Natalie a dit que Julien était immature qu’il a démissionné.

(110) ?#Jean croit que Marie est honnête qu’elle ne lui ment jamais.

(111) ?#Jean pense que Marie est fatiguée qu’elle ne l’appellera pas.

(112) ?*Jean regrette que Marie soit fatiguée qu’elle ne l’appellera pas.

Les exemples ci-dessus s’interprètent avec une portée étroite uniquement, peu importe si la CIC-

implicite est un complément enchâssé par un verbe non-factif (109) à (111) ou par un verbe factif

(112). De plus, cette interprétation en elle-même est moins naturelle (voir §4.2.3 pour une

111

Cette suggestion est adaptée de Rouveret (1978 : 181) qui la propose dans le cadre de son approche

quantificationnelle à la dérivation de la CIC-implicite. Les verbes enchâssants qui permettent l’ambiguïté, i.e. les

verbes non-factifs, seraient selon lui les verbes « passerelles » (« bridge verbs »).

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198

discussion de l’acceptabilité des réalisations enchâssées de la CIC-implicite).112

Pour cette

raison, l’ambiguïté interprétative pourrait être difficile à observer dans le cas de la CIC-implicite.

L’ambigüité interprétative n’est donc pas un comportement que la CIC-implicite partage avec la

CIC-explicite. Il est intéressant à noter que l’interprétation des réalisations enchâssées de la CIC-

implicite est de portée étroite, ce qui est aussi l’interprétation saillante des réalisations

enchâssées de la CIC-explicite. En fait, la majorité des locuteurs trouvent difficile d’interpréter

l’ambiguïté dans les deux types de la CIC.

4.2.6 Obviation à la Condition C de liage

Un autre comportement qui caractérise la CIC-explicite, et que nous avons aussi déjà mentionné

dans le Chapitre 3, est l’obviation à la Condition C de liage. Selon cette condition, les pronoms

ne peuvent pas c-commander leurs antécédents. Il existe tout de même des réalisations de la CIC-

explicite qui enfreignent cette condition :

(113) Je luii ai dit que tant de personnes ont assisté au concert l’année dernière que j’ai

rendu Mariei inquiète.

(Guéron et May 1984 : 21, ex. (43))

(114) Ellei a parlé à tant de gens du concert que Mariei a rendu Jean nerveux.

(traduit ; Guéron et May 1984 : 10, ex. (21b))

(115) Ellei a rencontré si peu de gens à la fête que Mariei en a été déçue.

(traduit et adapté ; Rochemont et Culicover 1997 : 283)

Comme le pronom objet lui en (113) et le pronom sujet elle en (114) et (115) précèdent leur

antécédent, l’expression référentielle Marie, on s’attend à ce que ces exemples soient

inacceptables (la relation de précédence linéaire pouvant signaler une c-commande structurale,

interdite selon la Condition C). Leur acceptabilité indique pourtant qu’ils n’enfreignent pas la

Condition C et qu’ils doivent ainsi avoir une structure correctement gouvernée, selon les

exigences de cette condition. Une telle structure inclut une position pour les pronoms dans la

112

La phrase en (112) est encore plus difficile à interpréter que les phrases en (109) à (111). On n’obtient ni

l’interprétation de haute mesure ni l’interprétation d’ambiguïté. Cette inacceptabilité correspond à celle des CIC-

implicites enchâssées par les verbes factifs.

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199

structure hiérarchique en arbres de laquelle ils ne peuvent pas c-commander leur antécédent ou,

inversement, une position pour l’antécédent dans laquelle celui-ci ne peut pas être c-commandé

par les pronoms.

Le comportement d’obviation à la Condition C se trouve au centre des analyses dérivationnelles

de la CIC-explicite. La pertinence dérivationnelle de ce comportement revient à l’information

structurale hiérarchique que les exemples du type en (113) fournissent.

Pour Bhatt et Pancheva (2004, 2007), le comportement d’obviation à la Condition C de liage a

une pertinence dérivationnelle double. D’abord, leur dérivation par association tardive rend

compte de ce comportement directement. Le DegP se déplace à sa position de portée à droite ; ce

déplacement est suivi d’une association tardive de la prop-que dans la position du complément

de ce DegP déplacé. La structure résultante est illustrée ci-dessous pour l’exemple (113) :

(116) [[Je luii ai dit [que tant1 de personnes ont assisté au concert l’année dernière]] [tant2

[que j’ai rendu Mariei inquiète.]]]

Dans cette dérivation, la prop-que et surtout l’expression référentielle qu’elle contient, i.e. Marie,

n’apparaît jamais à l’intérieur du domaine c-commandant du pronom lui. Si la prop-que était

générée à la base dans la position d’association initiale de la tête Deg° et se déplaçait ensuite du

DegP (comme on propose dans les approches par mouvement d’extraposition), il existerait à

l’intérieur de ce DegP une copie de la prop-que. Comme les traces dans le cadre du mouvement

par copies sont des copies complètes, alors l’expression référentielle Marie (à l’intérieur de la

copie inférieure la prop-que) se situerait dans ce cas dans le domaine c-commandant du pronom

dans la matrice et on s’attendrait à une vraie violation de la Condition C. Quand la prop-que

s’associe tardivement, la Condition C n’est pas enfreinte. Dans ce sens, ce comportement

représente aussi de l’évidence que, dans un cadre minimaliste qui incorpore une théorie du

mouvement par copies, l’analyse par mouvement de la prop-que est exclue empiriquement et que

l’association tardive de la CIC-explicite est la plus appropriée, du point de vue empirique, pour

dériver cette construction.

La CIC-implicite n’atteste pas du comportement d’obviation à la Condition C :

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200

(117) a. *Je luii ai dit qu’elle était belle que j’ai fait rougir Mariei.113

b. ?*J’ai dit à Mariei qu’elle était belle que je li’ai fait rougir.

Tous les locuteurs consultés ont trouvé la phrase en (117a) difficile à interpréter. L’interprétation

de la phrase en (117b), laquelle ne comprend pas l’obviation à la Condition C de liage,

s’améliore, mais l’effet d’intensification reste difficile à percevoir. Une des raisons possibles

pour l’inacceptabilité de ce comportement avec la CIC-implicite pourrait être l’interprétation de

portée large avec laquelle la violation de la Condition C liage est fréquemment attestée. Dans

l’exemple (117a), le poids de la conséquence ne serait pas l’intensification de la propriété belle,

mais le fait d’avoir dit à Marie qu’elle était belle à un haut degré. Il n’existe donc pas de rapport

direct entre la conséquence et l’intensification (pas aussi direct comme dans la phrase Marie est

belle qu’on en reste ébahi.). Comme on a vu dans le Chapitre 2, la CIC-implicite est plus

facilement attestée lorsque la cause est liée directement au concept mesurable.

4.2.7 Négation

Jusqu’à présent, nous avons examiné des réalisations de la CIC-explicite avec une polarité

positive de la proposition matrice ; autrement dit, des réalisations énoncées pour affirmer une

vérité. La CIC-explicite affirme plus spécifiquement un haut degré ou une haute quantité et la

conséquence que ces mesures hautes peuvent entraîner. Mais la CIC-explicite est aussi attestée

avec une polarité négative. La négation opère sur la valeur de vérité, c’est un ‘processus’ qui

inverse la valeur de vérité. Étant donné l’affirmation de la haute mesure (et de sa conséquence)

que le locuteur effectue avec la CIC-explicite de polarité positive, on peut s’attendre à ce qu’une

négation grammaticalement associée au prédicat verbal de la proposition matrice interagit avec la

haute mesure (le haut degré ou la haute quantité) et la conséquence aussi :

(118) Il n’est pas si bête qu’il ne puisse réfléchir.

(Moline 1994a : 277, ex. (92))

113

Remarquons que cet exemple s’améliore avec la présence de en dans la prop-que, mais on n’obtient toujours pas

un effet d’intensification : e.g. Je luii ai dit qu’elle était belle que j’en ai fait rougir Mariei. Le pronom en anaphorise

dans ce cas la cause Je lui ai dit qu’elle était belle, qui entraîne la conséquence exprimée par j’ai fait rougir Marie,

mais la cause n’inclut pas une haute mesure.

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(119) Il n’a pas tellement mangé qu’il doive rester couché.

(Deulofeu 2007 : 142)

(120) Elle n’a pas si peu d’argent qu’elle ne puisse subsister.

(Moline 1994a : 278, ex. (94)

Dans les exemples ci-dessus, on nie que l’individu est bête à un degré égal ou supérieur à x, tel

que s’il est bête à ce degré (au moins), la conséquence il ne peut pas réfléchir peut être affirmée

(118) ; on nie que l’individu a mangé à un degré égal ou supérieur à x, tel que s’il a mangé à ce

degré (au moins), la conséquence il doit rester coucher peut être affirmée (119) ; et on nie que

l’individu a peu d’argent à un degré égal ou supérieur à x, tel que si elle a peu d’argent à ce degré

(au moins), la conséquence elle ne peut subsister peut être affirmée (120). On peut donc

constater que dans ces exemples, l’intensification se trouve dans la portée de la négation (ce qui

découle naturellement du fait que le marqueur d’intensité se trouve dans ces exemples dans le

domaine de la négation) et que la négation a un effet important sur l’intensification.114

Pour illustrer davantage, considérons l’exemple (118), soit Il n’est pas si bête qu’il ne puisse

réfléchir., ensemble avec l’exemple correspondant de polarité positive, soit Il est si bête qu’il ne

peut pas réfléchir. Tel que discuté dans le Chapitre 2 (cf. §2.5), la CIC-explicite de polarité

positive s’interprète avec une intensification qui démarque un sous-ensemble (une gamme) de

mesures extrêmes de propriétés ou de quantités en question. Ce sous-ensemble est délimité par

une mesure minimale (ou de seuil), tel que si cette mesure minimale est atteinte, elle donne lieu à

la conséquence exprimée par la prop-que. Dans le cas de l’exemple (118), la propriété en

question est celle exprimée par l’adjectif bête. On peut la formaliser comme une suite

progressive de mesures, ou degrés, de bêtise ordonnées hiérarchiquement, cette suite constituant

ainsi une échelle (cf. (121)). Dans un contexte positif, le marqueur d’intensité si sélectionne un

sous-ensemble de mesures sur cette échelle, à son extrémité supérieure (indiqué en (121) par le

rectangle) qui représente des hauts degrés de bêtise. Tout degré de bêtise qui se situe dans ce

sous-ensemble ou qui égale à la mesure minimale qui délimite la borne inférieure du sous-

ensemble (indiqué en (121) par la flèche pointillée), donne lieu à la conséquence exprimée par il

114

Moline (1994a) note que la rupture intonative qui sépare typiquement à l’oral la proposition matrice de la prop-

que de degré/conséquence dans la CIC-explicite de polarité positive est moins marquée dans la CIC-explicite de

polarité négative.

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202

ne peut pas réfléchir. Le degré réel de la bêtise de l’individu se situe quelque part à l’intérieur de

ce sous-ensemble, un degré possible étant indiqué en (121) par l’étoile. Dans le cas de la polarité

positive, le locuteur affirme ce degré (non spécifié). Dans le cas de la polarité négative, on nie

que le degré réel de la bêtise se situe dans le sous-ensemble à l’extrémité supérieure de l’échelle

(i.e. le rectangle) ; on dit qu’il se situe dans un sous-ensemble inférieur à la mesure minimale (le

sous-ensemble indiqué en (121) par une boîte aux coins arrondis et une possible mesure réelle

par le point) :

(121) bêtise

seuil bête très bête extrêmement bête

Autrement dit, la négation déplace la gamme de mesures extrêmes à l’intérieur de laquelle se

situe la mesure réelle de la propriété ou de la quantité en question vers une position inférieure sur

l’échelle. Le fait que la négation du prédicat verbal de la proposition matrice touche à

l’intensification est aussi signalé par les présuppositions des énoncés en (118) à (120). On

présuppose en (118) que l’individu est bête, qu’il a mangé (119) et qu’elle a peu d’argent (120) ;

c’est-à-dire, on ne nie pas avec la négation du prédicat verbal qu’il est bête, qu’il a mangé et

qu’elle a peu d’argent. Ces présuppositions montrent qu’effectivement, ce qui est posé est la

négation de l’intensification.

Puisque la négation du prédicat verbal de la proposition matrice a un effet sur l’intensification et

que l’intensification fait partie de la cause qui entraîne la conséquence exprimée par la prop-que,

il s’ensuit aussi que la négation a aussi un effet sur la relation de cause-conséquence dans

l’ensemble. Si une CIC-explicite de polarité positive affirme un degré (à l’intérieur d’un sous-

ensemble de degrés extrêmes) et la conséquence auquel ce degré donne lieu, une CIC-explicite

de polarité négative (avec un prédicat verbal au négatif) exprime la non-atteinte (ou nie

l’atteinte) de ce degré et la prop-que exprime ainsi une conséquence qui ne peut pas être affirmée

(Moline 1994a). Dans l’illustration en (121), cette conséquence ne peut pas avoir lieu (et donc ne

peut pas être affirmée) si le degré réel se situe hors du sous-ensemble de degrés extrêmes, y

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203

compris le degré de seuil, c’est-à-dire s’il se situe dans le sous-ensemble indiqué par la boîte aux

coins arrondis. Le mode du prédicat verbal de la prop-que reflète l’absence de cette affirmation

de la conséquence (Moline 1994a) :

(122) a. Il n’est pas si bête qu’il ne puisse réfléchir.

b. Il est si bête qu’il ne peut pas réfléchir.

(123) a. Il n’a pas tellement mangé qu’il doive rester couché.

b. Il a tellement mangé qu’il doit rester couché.

(124) a. Elle n’a pas si peu d’argent qu’elle ne puisse subsister.

b. Elle a si peu d’argent qu’elle ne peut pas subsister.

Lorsque la négation porte sur l’intensification, elle prend aussi dans son champ la prop-que et

entraîne le subjonctif, comme démontrent les exemples (122a), (123a) et (124a) (Deulofeu

2007).

Ce type de négation n’est pas le seul attesté dans la CIC-explicite. Il existe aussi des réalisations

où la négation du prédicat verbal n’interagit pas avec l’intensification et, par conséquent, avec la

relation de cause-conséquence (Rouveret 1978 ; Hoeksema et Napoli 1993 ; Moline 1994a) :

(125) Un si grand nombre de candidats ne se sont pas présentés qu’il a fallu organiser une

autre session.

(Moline 1994a : 278, ex. (96))

La négation verbale change dans cet exemple la valeur de vérité de la phrase, mais elle ne porte

pas sur l’intensification. Ainsi, on ne nie pas avec cet énoncé qu’un degré qui donne lieu à la

conséquence qu’exprime la prop-que est atteint, comme on le fait avec les énoncés (118) à (120).

Au contraire, on affirme l’atteinte du degré (de grandeur) x et la conséquence qu’il a fallu

organiser une autre session peut être affirmée aussi (notons que le prédicat verbal de la prop-que

est à l’indicatif), la relation de cause-conséquence restant inchangée (Moline 1994a : 278). Cette

interprétation découle du fait que le marqueur d’intensité, lié dans l’exemple (125) au sujet de la

phrase, ne se trouve pas dans la portée de la négation.

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Finalement, la CIC-explicite est aussi attestée avec la négation du type non verbal qui touche à

une de ses composantes. On parle ici aussi d’une négation de syntagme :

(126) Elle est tellement pas agréable (là) qu’on l’évite à tout prix.

(127) La blague est tellement pas drôle que ça en devient drôle.

(128) Il va tellement pas vite qu’on croit qu’il recule.

(129) Il est tellement pas à l’aise que c’en est triste.

(130) C’est tellement pas pratique qu’on veut pleurer.

La négation dans ces exemples ne touche pas au prédicat verbal, i.e. être ; elle ne touche pas non

plus à l’intensification, le marqueur d’intensité ne se situant pas dans sa portée. La négation

touche aux propriétés qu’expriment les adjectifs agréable (126), drôle (127), pratique (130),

l’adverbe vite (128) et la phrase prépositionnelle à l’aise (129). Ainsi, en disant que l’individu

est ‘pas agréable’, on dit qu’il est ‘désagréable’. Les adjectifs agréable et désagréable ont des

polarités de valeurs opposées, agréable étant un adjectif positif et désagréable un adjectif

négatif. Cette paire d’adjectifs (antonymes) exprime donc le même type d’information mais

d’une perspective différente (Kennedy et McNally 2005). Lorsqu’on nie une propriété positive

avec le marqueur pas tel qu’en (126) à (130), on exprime une propriété négative.115

Malgré ce

changement de polarité, l’intensification de la propriété demeure, vu qu’elle a une portée plus

large que la négation.

La CIC-implicite n’est pas attestée avec une polarité négative. Dans les exemples suivants de la

CIC-implicite, la négation porte sur le prédicat verbal de la proposition matrice. Pourtant, on ne

décèle pas la non-atteinte d’une haute mesure, comme dans la CIC-explicite. Plutôt, les phrases

sont ininterprétables :

115

Cette correspondance n’est pas une règle générale. Considérons par exemple la paire plein / vide : pas plein ne

signifie pas vide ; pas vide ne signifie pas plein. De même, la négation de petit, i.e. pas petit, ne signifie pas

forcément grand. Ces différences sont liées à la nature des échelles sur lesquelles ces propriétés sont projetées,

comme par exemple à la présence ou l’absence de limites minimales et maximales sur ces échelles, entre autres

(Kennedy et McNally 2005).

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(131) *Il n’est pas bête qu’il ne puisse réfléchir.

(132) *Il n’a pas mangé qu’il doive rester couché.

(133) *Elle n’a pas peu d’argent qu’elle ne puisse subsister.

(134) *Marie n’est pas belle qu’on en reste ébahi.

(135) *Il ne crie pas qu’on doive s’en boucher les oreilles.

Les phrases en (131) à (135) ne sont pas sémantiquement traitables. Ce qu’on interprète est que

le locuteur nie la propriété qui fonctionnerait comme le domaine de modification de la prop-que

(et donc le domaine d’intensification), c’est à dire le locuteur semble poser que la propriété

dénotée par bête ne s’applique pas à l’individu auquel réfère il ; donc on ne peut pas affirmer une

intensification ou une modification d’une propriété qui n’est pas affirmée.

Les réalisations de la CIC-implicite où la négation, sous la forme du marqueur pas, est liée

directement au syntagme intensifié et ne porterait donc pas sur l’intensification, c’est-à-dire où

elle est de type syntagme, sont aussi inacceptables :

(136) *Elle est pas agréable (là) qu’on l’évite à tout prix.

(137) *La blague est pas drôle que ça en devient drôle.

(138) *Il va pas vite qu’on croit qu’il recule.

(139) *Il est pas à l’aise que c’en est triste.

(140) *C’est pas pratique qu’on veut pleurer.

(141) *Marie est pas belle là qu’on en reste ébahi.

Dans ces exemples, la négation porte directement sur les propriétés pour changer leur polarité.

L’inacceptabilité de ces exemples suggère que l’intensification implicite ne peut pas porter

ensuite sur ces propriétés de polarité inverse.

L’impossibilité de la négation de syntagme avec la CIC-implicite peut aussi signaler de manière

plus générale que l’intensification implicite n’existe qu’en contexte orienté positivement. La

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206

CIC-implicite ne s’interprète jamais avec une orientation négative, c’est-à-dire où on démarque

un sous-ensemble de valeurs minimales, à l’extrémité inférieure d’une échelle. Elle s’interprète

toujours avec un effet d’intensification, où un sous-ensemble de valeurs extrêmes d’une propriété

ou d’une quantité est délimité. Ce sous-ensemble se situe dans une région élevée d’une échelle, à

son extrémité supérieure. L’intensification s’oriente dans ce cas vers le pôle maximum.116

Pour

illustrer, considérons l’exemple Marie est belle qu’on en reste ébahi. Cet exemple s’interprète

avec une intensification orientée positivement, glosable par « tellement », c’est-à-dire avec une

ascension sur l’échelle de beauté, jamais avec une descente sur cette échelle. Dans la version

explicite, pour orienter l’intensification négativement, on se sert du marqueur peu (142a). Ce

type d’orientation n’est pas acceptable dans le cas de la CIC-implicite :

(142) a. Marie est tellement peu belle qu’on en reste ébahi.

b. *Marie est peu belle qu’on en reste ébahi.

L’élément peu indique un faible degré d’une propriété, il sélectionne un sous-ensemble avec des

degrés inférieurs.

Notons que l’intensification implicite peut toucher à un prédicat associé à une échelle négative,

comme laide, moche (antonymes de beau, qui est projeté sur une échelle positive ; Kennedy and

McNally 2005) :

(143) Elle est laide qu’on s’en ferme les yeux.

(144) C’est moche que ça n’en peut plus!

On ne parle pas dans ce cas d’une orientation négative de l’intensification, mais d’une échelle

négative. On considère que les adjectifs laide et moche sont les adjectifs dits de polarité négative

116

Dans la littérature, on peut trouver le terme « intensification » employé pour parler d’un processus de

spécification abstraite d’une région soit à l’extrémité supérieure soit à l’extrémité inférieure d’une échelle.

Autrement dit, on n’emploie pas ce terme pour parler d’une orientation vers un pôle particulier d’une échelle. Par

exemple, les modificateurs très et peu opèrent tous les deux sur des échelles, mais de deux manières différentes :

très dans très belle identifie un degré élevé de beauté, tandis que peu dans peu belle identifie un faible degré de

beauté. On parle d’une intensification parce qu’on spécifie une intensité d’une propriété, le terme « intensité »

équivalant à « valeur », « mesure ». Dans le cadre de cette thèse, nous avons adopté un usage plus restreint de ce

terme et considérons que l’intensification réfère uniquement à une orientation vers un pôle supérieur d’une échelle et

donc à une identification de valeurs élevées.

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207

(Kennedy and McNally 2005). Plus spécifiquement, ils sont associés aux échelles qui formalisent

une série ordonnée de degrés de la dimension « apparence », tout comme leur antonyme beau de

polarité positive. Mais contrairement à l’adjectif beau, les adjectifs laid et moche donnent une

perspective différente sur la dimension d’apparence. Ils représentent une propriété négative

associée à l’apparence (i.e. la laideur), tandis que beau représente une propriété positive (i.e. la

beauté). L’effet d’intensification demeure dans le cas des phrases en (143) et (144), parce qu’on

mesure les valeurs vers le haut de cette échelle et donc l’intensification elle-même est

positivement orientée.

Pour résumer, la CIC-explicite apparaît dans des contextes de polarité négative (phrastique ou de

syntagme) ; on l’atteste aussi avec un effet d’intensification décroissante. La CIC-implicite

n’existe qu’en contexte de polarité positive (la polarité négative est acceptable seulement si elle

est lexicale, e.g. laide) et d’orientation accroissante de l’intensification.

4.2.8 Type de phrase et force illocutoire

Le dernier comportement soumis à la comparaison est le type de phrase que la CIC-explicite peut

représenter et le type de force illocutoire ou d’acte de langage avec laquelle elle peut

s’interpréter. Jusqu’à maintenant, les exemples discutés étaient des phrases de type déclaratif et

des énoncés de force assertive qui donnent des descriptions du monde (cf. (145) à (147)) :117

(145) Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler.

(146) Pierre souffre tellement qu’il ne peut plus se lever.

(147) L’article est tellement compliqué que j’ai de la peine à le suivre.

Le locuteur énonce les CIC-explicites ci-dessus pour affirmer une haute mesure (de la fureur de

Jean, de la souffrance de Pierre, de la complexité de l’article) et la conséquence que cette mesure

entraîne (Castroviejo-Miró 2006). Avec l’acte assertif, le locuteur s’engage à la vérité de son

énoncé. Le mode indicatif du prédicat verbal de la prop-que reflète son engagement par rapport à

117

Pour les besoins de cette description, nous adoptons les cinq grandes classes d’actes de langage de Searle (1969):

1) les assertifs ou représentatifs ; 2) les directifs ; 3) les promissifs ; 4) les expressifs ; 5) les déclaratifs.

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208

la vérité. Le locuteur possède ainsi la connaissance nécessaire à l’évaluation de la vérité de son

énoncé.

La CIC-explicite peut aussi être énoncée pour demander la vérification d’une description. Cette

demande prend la forme d’une phrase de type interrogatif. Le locuteur peut demander qu’on lui

confirme l’affirmation de la haute mesure ; dans ce cas, la forme interrogative est de type total

(cf. (148) à (150)). Le locuteur peut aussi effectuer une demande d’information qui est liée à la

haute mesure ; dans ce cas, la forme interrogative est une question partielle (une question-qu ; cf.

(151) à (153)) :

(148) Est-ce que Jean était si furieux qu’il pouvait à peine parler ?

(149) Est-ce qu’il souffre tellement qu’il ne peut plus se lever ?

(150) Est-ce que l’article est tellement compliqué que tu as de la peine à le suivre?

(151) Qui était si furieux qu’il pouvait à peine parler ?

(152) Qui souffre tellement qu’il ne peut plus se lever ?

(153) Quel article est tellement compliqué que tu as de la peine à le suivre ?

Lorsque le locuteur pose une question totale, c’est l’interlocuteur qui connaît le niveau de la

mesure réelle en question (de la fureur de Jean, de la souffrance de Pierre, de la complexité de

l’article) et qui possède ainsi la connaissance pour déterminer laquelle des deux réponses est

vraie. Lorsque le locuteur pose une question-qu avec une CIC-explicite, le locuteur et

l’interlocuteur connaissent tous les deux le niveau de la mesure réelle.118

On peut aussi dire que

le locuteur, en énonçant cette question, croit que la haute mesure fait déjà partie de la

connaissance partagée (« common ground ») ou du contexte discursif, sinon l’énoncé ne serait

pas signifiant. Dans ce sens, la haute mesure est présupposée.

Finalement, la CIC-explicite peut aussi constituer un énoncé avec lequel le locuteur s’adresse à

son interlocuteur pour influencer son futur comportement, c’est-à-dire elle peut être directive. Le

118

Bien évidemment, nous n’incluons pas ici les questions-qu qui interrogent la mesure elle-même, parce que ces

questions ne sont pas des réalisations de la CIC-explicite, e.g. À quel degré Jean était-il furieux ?.

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locuteur peut exprimer un ordre, un conseil, un désir concernant la mesure d’un degré de

propriété ou d’une quantité liée à une action de l’interlocuteur, il peut demander qu’une haute

mesure ait lieu :

(154) Sois tellement charmante qu’on ne puisse pas te résister !

(155) Soyez tellement attentifs que rien ne vous échappe !

(156) Crie tellement fort qu’on t’entende du coin de la rue !

Les exemples ci-dessus s’interprètent avec un effet de haute mesure qui n’a pas encore eu lieu.119

Comme la haute mesure n’est pas encore réalisée, la conséquence qu’elle entraîne ne peut pas

être affirmée non plus. Le mode subjonctif du prédicat de la prop-que témoigne de cette non-

réalisation.

Dans l’ensemble, la CIC-explicite peut se présenter sous forme d’une phrase déclarative,

interrogative ou impérative ; elle peut aussi exprimer plusieurs différents actes de langage (e.g.

assertif, directif).

Contrairement à la CIC-explicite, la CIC-implicite est plus restreinte en termes de la forme

phrastique qu’elle peut prendre et des actes de langage qu’elle peut exprimer. Tous les exemples

attestés de la CIC-implicite sont déclaratifs, avec une force assertive :

(157) C’est salé que c’est immangeable.

(158) Il pleut que les vaches ont les pattes palmées.

(159) Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

(160) Ce pauvre Chiffon pleure que ça fait peine à voir.

119

Les phrases impératives en (154) et (155) contiennent les prédicats statifs de type individuel (« individual-

level ») charmante et attentifs, qui réfèrent aux propriétés inhérentes d’un individu. Ces types de propriétés ne

peuvent pas être typiquement changés. Pour cette raison, les impératives avec les prédicats individuels peuvent être

souvent jugées comme étant anomales. Mais on peut facilement les considérer interprétables avec une lecture

dynamique, paraphrasable dans le cas de l’exemple (155) par « Comportez-vous tellement attentivement… », etc.

(Han 2000).

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210

La CIC-implicite est énoncée par le locuteur avec l’intention d’affirmer la haute mesure d’un

degré de propriété ou d’une quantité d’individus, d’objets ou d’éventualités. Le rôle central de

l’acte affirmatif est mis en évidence par le fait que la CIC-implicite ne se manifeste pas sous

forme d’une question (totale, cf. (161) à (164), ou partielle, cf. (165) à (168)) :

(161) #Est-ce que c’est salé que c’est immangeable ?

(162) #Est-ce qu’il pleut que les vaches ont les pattes palmées ?

(163) #Est-ce que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales ?

(164) #Est-ce que ce pauvre Chiffon pleure que ça fait peine à voir ?

(165) *Qu’est-ce qui était salé que c’était immangeable ?

(166) *Qui pleure, que ça fait peine à voir ?

(167) *Quel plat était salé que c’était immangeable ?

(168) *Quel problème était difficile que Marie s’est mise à pleurer ?

Aucun de ces exemples ne s’interprète avec un effet de haute mesure ; de plus, les exemples ne

sont pas traitables.120

Dans le cas de la CIC-explicite, les formes interrogatives sont acceptables.

Nous avons dit plus haut qu’avec les questions totales, le locuteur demande qu’on lui confirme la

haute mesure et qu’avec les questions-qu, la haute mesure est présupposée par le locuteur.

Autrement dit, dans ces deux cas, la haute mesure n’est pas affirmée par le locuteur. Nous

continuons aussi à remarquer que l’affirmation caractérise la CIC-implicite. L’inacceptabilité des

exemples (161) à (168) semble être reliée à cette propriété affirmative de la CIC-implicite. Étant

donné l’acceptabilité de la CIC-explicite dans ce contexte, on peut dire que la CIC-explicite n’est

pas contrainte par cette même propriété et que l’intensification explicite ne nécessite pas que

l’information soit affirmée.

La CIC-implicite n’apparaît pas non plus sous forme d’une phrase impérative :

120

En fait, les phrases en (161) à (164) s’interprètent plutôt comme des demandes d’affirmation de la propriété qui

sert de domaine d’intensification (i.e. salé, pleut, fatiquée, pleure) et il est impossible d’affirmer une haute mesure

d’une propriété elle-même non affirmée.

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(169) #Sois charmant qu’on ne puisse pas te résister !

(170) #Soyez attentifs que rien ne vous échappe !

(171) #Crie qu’on t’entende du coin de la rue !

Comme dans le cas des exemples interrogatifs, la haute mesure n’est pas affirmée dans ces

phrases par le locuteur, vu que la fonction des impératifs formés à partir de la CIC est une

demande d’une réalisation future de la haute mesure. Cette absence d’affirmation semble

contraindre la CIC-implicite, mais elle n’a aucun effet sur la CIC-explicite, celle-ci n’étant pas

exclue d’un contexte non affirmatif, tel le contexte impératif (cf. (154) à (156)). En fait, les

exemples (169) à (171) se prêtent plutôt à un traitement sémantique où on demande que les

propriétés (charmante, attentifs) et les actions (crier) aient lieu. On pourrait les traiter comme

des phrases de but, où le locuteur conseille à son interlocuteur d’« adopter » une propriété

(charme, attention) ou de réaliser une action (crier) qui lui permettra d’atteindre un certain but :

‘Sois charmante pour qu’on ne puisse te résister !’ ; ‘Soyez attentifs pour que rien ne vous

échappe !’ ; ‘Crie pour qu’on t’entende du coin de la rue !’ L’affirmation de la haute mesure

d’une propriété ou d’une action est impossible si la propriété ou l’action elle-même n’est pas

affirmée.

On peut donc constater que la forme déclarative avec une fonction affirmative est la seule forme

disponible pour la CIC-implicite.

Avec cette comparaison, nous terminons notre description des propriétés empiriques des deux

types de la CIC. Nous avons non seulement augmenté l’inventaire des propriétés de la CIC-

implicite, une construction peu étudiée, mais nous avons aussi repéré des similarités et des

différences entre cette construction et la CIC-explicite. Nous pouvons constater que la CIC-

implicite ne se caractérise pas par toutes les mêmes propriétés empiriques qui caractérisent la

CIC-explicite : les réalisations de la CIC-implicite sont plus restreintes. Autrement dit, il existe

une certaine isomorphie entre les deux types de la CIC, mais elle n’est pas parfaite. Pour chaque

comportement examiné, la seule différence entre la CIC-explicite et la CIC-implicite était la

nature de l’intensification – explicite, sous forme de l’élément lexical tellement, si, tant, etc.,

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212

versus implicite. Les contrastes de grammaticalité entre les deux pour le même comportement

peuvent donc être reliés au marqueur d’intensité. On peut aussi dire que l’intensification

implicite est sujette à des restrictions. Il s’ensuit que les comportements qui démarquent la CIC-

implicite de la CIC-explicite sont cruciaux pour notre compréhension du lien dérivationnel entre

ces deux types de la CIC et la façon dont s’insère dans ce lien le marqueur d’intensité.

4.3 Lien dérivationnel

Dans le Chapitre 3, nous avons avancé l’hypothèse que la CIC-implicite est reliée du point de

vue dérivationnel à la CIC-explicite et que l’intensification implicite qui caractérise la CIC-

implicite a une représentation structurale sous forme d’un marqueur d’intensité nul. Nous avons

aussi adopté alors une analyse dérivationnelle de la CIC-explicite, soit l’association tardive de

Bhatt et Pancheva (2004, 2007). L’objectif final de ce chapitre est de réunir nos hypothèses et

notre description empirique dans le but de déterminer le lien dérivationnel entre la CIC-explicite

et la CIC-implicite. Pour ce faire, une autre comparaison s’impose d’abord. Pour comprendre les

restrictions qui sont à l’œuvre dans la CIC-implicite, il faut examiner les comportements non

partagés. Quelle est la nature de ces différences ? Sont-elles syntaxiques ou sémantiques

(lexicales, discursives, pragmatiques) ? Qu’est-ce qui lie les constructions où l’intensification

implicite est impossible ? Qu’est-ce qui démarque celles-ci des constructions où l’intensification

implicite est possible ? Une comparaison des différences repérées entre la CIC-implicite et la

CIC-explicite permettra d’identifier les contraintes sur l’intensification implicite. Ces

contraintes, à leur tour, mèneront à une analyse syntaxique de la CIC-implicite et au lien

dérivationnel entre la CIC-explicite et la CIC-implicite. Nous allons donc commencer par

résumer les principales différences attestées entre la CIC-explicite et la CIC-implicite.

4.3.1 Comportements non partagés

On a vu au début de la section précédente que l’effet d’intensification n’est pas attesté lorsque la

proposition de degré/conséquence n’est pas introduite par le complémenteur que (172a).

L’absence du que n’a aucun effet sur l’interprétation de la CIC-explicite en (172b) :

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(172) a. #Luc ment, c’est une honte.

b. Luc ment tellement, c’est une honte.

En l’absence du que, l’exemple (172a) ne s’interprète pas avec un effet de haute mesure. Plutôt,

il reçoit l’interprétation de juxtaposition. On peut donc dire que l’intensification implicite est

restreinte par la présence du que.

L’intensification implicite n’est pas attestée non plus lorsque la CIC fait partie d’une

construction plus large qui comprend d’autres modificateurs CP liés aux quantificateurs, plus

spécifiquement les CP comparatifs (173a). Le nombre et la nature d’autres modificateurs ne

changent pas l’acceptabilité de la CIC-explicite (173b) :

(173) a. ?*Plus de gens qu’on ne l’espérait ont mangé vite hier qu’on a tous fini bien avant

9 heures.

b. Plus de gens qu’on ne l’espérait ont mangé si vite hier qu’on a tous fini bien avant

9 heures.

Nous avons proposé (§4.2.2.4) que l’inacceptabilité des exemples du type en (173a) signale un

conflit communicatif. L’affirmation de la mesure de comparaison empêche l’interprétation de la

haute mesure. L’intensification implicite serait donc restreinte par la proéminence de son

affirmation.

L’intensification implicite est aussi exclue lorsque la CIC est enchâssée comme complément

d’un prédicat factif (174a), à la différence de l’intensification explicite (174b) :

(174) a. *Michelle sait que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Michelle sait que Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales.

Sur la base de ce contraste, on peut dire que l’intensification implicite est contrainte par la

factivité.

La CIC-implicite n’est jamais attestée avec une interprétation de portée large (175a), à la

différence de la CIC-explicite qui peut s’interpréter avec une portée étroite et une portée large

(175b) :

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214

(175) a. ?#Natalie a dit que Julien était immature qu’il a démissionné. = Son immaturité a

entraîné sa démission.

b. Natalie a dit que Julien était tellement immature qu’il a démissionné. = Son

immaturité a entraîné sa démission ; ou, la déclaration de Natalie a entraîné sa

démission.

L’intensification implicite est donc restreinte au contexte de portée étroite. Mais, comme nous

l’avons déjà noté dans la section §4.2.5, l’exemple (175a) est peu naturel, à cause du contexte

d’enchâssement. Il est donc difficile d’observer ce comportement dans la CIC-implicite.

La CIC-implicite n’est pas caractérisée par le comportement d’obviation à la Condition C (176a),

à la différence de la CIC-explicite (176b) :

(176) a. *Je luii ai dit qu’elle était belle que j’ai fait rougir Mariei.

b. Je luii ai dit qu’elle était tellement belle que j’ai fait rougir Mariei.

Ce comportement repose sur la disponibilité de l’interprétation de portée large. Ainsi,

l’inacceptabilité de l’exemple (176a) découle en partie de la contrainte de portée sur

l’intensification implicite. De plus, comme l’ambiguïté, la violation de la Condition C de liage

repose sur l’enchâssement. L’enchâssement de la CIC-implicite peut produire des phrases peu

naturelles. Ceci diminue l’utilité de ces comportements pour l’identification des contraintes sur

l’implicite.

La CIC-implicite se limite aussi au contexte positif. L’intensification implicite est exclue du

contexte négatif (177a), au contraire de l’intensification explicite (177b) :

(177) a. *Jean ne boit pas que c’en serait une honte.

b. Jean ne boit pas tellement que c’en serait une honte.

Finalement, l’intensification implicite n’est attestée ni dans un contexte interrogatif (cf. (178a),

(179a), (180a)), ni dans un contexte impératif (cf. (181a) et (182a)), à la différence de

l’intensification explicite (cf. (178b), (179b), (180b) et (181b) et (182b)) :

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215

(178) a. #Est-ce que c’est salé que c’est immangeable ?

b. Est-ce que c’est tellement salé que c’est immangeable ?

(179) a. #Est-ce qu’il pleut que les vaches ont les pattes palmées ?

b. Est-ce qu’il pleut tellement que les vaches ont les pattes palmées ?

(180) a. *Quel problème était difficile que Marie s’est mise à pleurer ?

b. Quel problème était si difficile que Marie s’est mise à pleurer ?

(181) a. #Soyez attentifs que rien ne vous échappe !

b. Soyez tellement attentifs que rien ne vous échappe !

(182) a. #Crie qu’on t’entende du coin de la rue !

b. Crie tellement fort qu’on t’entende du coin de la rue !

Ces incompatibilités indiquent que l’intensification implicite se limite au contexte déclaratif et à

l’acte de langage affirmatif.

Ces principales différences soulignent que la CIC-implicite ne peut pas avoir toutes les mêmes

réalisations que la CIC explicite. Le prochain objectif est de voir si ces réalisations impossibles,

ou ces comportements non partagés, ont des points communs. Nous examinerons en particulier

leur syntaxe et leur sémantisme. De même, nous voulons comprendre ce qui démarque les

comportements non partagés des comportements que la CIC-explicite et la CIC-implicite

partagent.

4.3.2 Points communs des réalisations impossibles de la CIC-implicite

Du point de vue syntaxique, les réalisations impossibles de la CIC-implicite ont des structures

phrastiques bien variées. On trouve parmi ces réalisations : une structure déclarative simple (e.g.

#Luc ment, c’est une honte. ; *Jean ne boit pas que c’en serait une honte.) ; une structure

déclarative enchâssée (e.g. *Michelle sait que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales. ;

*Je luii ai dit qu’elle était belle que j’ai fait rougir Mariei.) ; une structure interrogative totale

(e.g. #Est-ce que c’est salé que c’est immangeable ?) ou avec un syntagme-qu (e.g. *Quel

problème était difficile que Marie s’est mise à pleurer ?) ; et une structure impérative (e.g.

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216

#Soyez attentifs que rien ne vous échappe !). On ne peut donc pas attribuer l’inacceptabilité de

ces réalisations à une structure phrastique particulière.

La structure de l’événement (de la prédication verbale) de ces réalisations impossibles n’est pas

distinctive non plus. Nous parlons plus spécifiquement de l’événement exprimé par la première

proposition au sein de laquelle se situe le domaine d’intensification. Les événements à la base

des réalisations attestées de la CIC-implicite ne se démarquent pas des événements à la base des

réalisations inacceptables dans notre étude comparative. En fait, on peut trouver les événements

de toutes les réalisations inacceptables ci-dessus dans les CIC-implicites acceptables : e.g. *Jean

ne boit pas que c’en serait une honte. vs. Jean boit que c’en est une honte. ; *Michelle sait que

Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales. vs. Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

On ne peut donc pas attribuer les restrictions sur l’implicite au type d’événement.

Un point structural commun entre plusieurs de ces réalisations impossibles (à l’exception de

l’absence de que et de la négation) est une certaine ‘activité’ du côté de la périphérie gauche de

la CIC-implicite. L’enchâssement, l’ambiguïté, la Condition C impliquent une sélection de la

CIC par un verbe enchâssant ; l’interrogation implique la présence des marqueurs d’interrogation

(e.g. est-ce que) ou des syntagmes-qu déplacées dans le CP de la CIC. En dehors de cette

similarité, les réalisations impossibles de la CIC-implicite manquent de points communs

structuraux qui indiqueraient une restriction syntaxique claire sur l’intensification implicite.

Du point de vue sémantique, on remarque que la plupart des comportements non partagés

impliquent d’une manière ou d’une autre l’absence de l’assertion de la haute mesure.

Une CIC enchâssée par un verbe factif est présupposée. Par exemple, le contenu exprimé par la

CIC Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales. dans Michelle sait que Marie est

tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales. fait partie de la connaissance partagée par le

locuteur et l’interlocuteur. L’assertion principale tombe sur l’action du sujet, i.e. ‘Michelle sait

x’. Comme toute la CIC est présupposée, la haute mesure est présupposée aussi et ne constitue

pas ainsi l’information nouvelle que le locuteur affirme. La CIC-implicite enchâssée par un verbe

factif est inacceptable (e.g. *Michelle sait que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.).

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217

Nous avançons que cette inacceptabilité est reliée à l’absence de l’affirmation de la haute mesure

dans le contexte factif.

Le contexte de polarité négative est aussi étroitement lié à cette même absence. Dans la CIC-

explicite, la négation nie l’intensification. En énonçant la phrase Jean ne boit pas tellement que

c’en serait une honte., le locuteur nie que ‘Jean boit à un degré auquel c’en serait une honte.’.

Nier l’atteinte d’un haut degré est le contraire d’affirmer un haut degré. Les phrases sans

marqueur d’intensité manifeste ne sont même pas sémantiquement traitables dans ce contexte. La

phrase Jean ne boit pas que c’en serait une honte. a l’interprétation de nier l’activité qui

fonctionnerait comme le domaine de modification de la prop-que (et donc le domaine

d’intensification), c’est-à-dire le locuteur semble poser que l’activité dénotée par boire ne

s’applique pas à l’individu dénoté par Jean. On ne s’attend donc pas à l’intensification d’une

activité qui s’interprète comme non affirmée.

La notion d’affirmation joue aussi un rôle important dans le contexte interrogatif et impératif. En

prononçant la question totale Est-ce que c’est tellement salé que c’est immangeable ?, le locuteur

demande qu’on lui confirme la haute mesure de la propriété exprimée par salé. Lorsque le

locuteur se renseigne sur le niveau du degré, il ne peut pas effectuer en même temps l’acte

d’affirmer ce degré. Les questions partielles (questions-qu) construites avec la CIC, e.g. Quel

problème était si difficile que Marie s’est mise à pleurer ?, présupposent la haute mesure. Les

interrogations totales et partielles sont ainsi des contextes qui manquent d’assertion de la haute

mesure. Il en est de même avec les contextes impératifs, e.g. Soyez tellement attentifs que rien ne

vous échappe !. Le locuteur demande la réalisation future de la haute mesure. Une mesure non

réalisée ne peut pas représenter de l’information affirmée. L’intensification implicite est exclue

de ces contextes (#Est-ce que c’est salé que c’est immangeable ?; #Soyez attentifs que rien ne

vous échappe !), ce qui soutient davantage le lien entre l’intensification implicite et l’assertion.

Une ligne directe peut donc être établie entre plusieurs comportements de la CIC-explicite qui ne

sont pas partagés par la CIC-implicite. Le point commun est l’absence de l’assertion directe de la

haute mesure par le locuteur dans le discours actif. Cela suggère que la principale restriction sur

l’intensification implicite est sémantique. L’intensification implicite repose sur l’assertion : le

locuteur doit poser la haute mesure comme vraie. De ce fait, l’exclusion de la CIC-implicite des

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218

contextes qui ne permettent pas ce type d’affirmation, e.g. enchâssant-factif, négatif, interrogatif

et impératif, est attendue. La CIC-implicite sert principalement à affirmer la haute mesure,

comme nous le suggérons tout au long de ce travail. La CIC-explicite peut aussi affirmer la haute

mesure, mais elle n’est pas restreinte par cette fonction. Ainsi, l’intensification explicite peut

exister dans les contextes non assertifs.

La notion d’assertion pourrait aussi expliquer l’impossibilité de l’intensification implicite lorsque

la CIC fait partie d’une construction plus large avec d’autres modificateurs CP et quantificateurs

(173a). Ces types de phrases contiennent plusieurs informations nouvelles qui peuvent empêcher

la proéminence de l’assertion de la haute mesure.

Pour ce qui est de l’ambiguïté et de la violation de la Condition C de liage (cf. (175a) et (176a)),

le lien avec l’assertion n’est pas clair. Nous mettons à présent ces comportements de côté pour

les besoins de notre analyse. Leur contribution à l’éclaircissement du lien dérivationnel entre la

CIC-explicite et la CIC-implicite est en tout cas douteuse, car il est particulièrement difficile de

manipuler ces deux comportements et d’obtenir des jugements de grammaticalité précis auxquels

on pourrait se fier, tant pour la CIC-explicite que pour la CIC-implicite.

Avec l’identification de la contrainte principale qui régit l’intensification implicite, notre

prochain objectif est d’examiner le fonctionnement de cette contrainte à un niveau dérivationnel.

Peut-on trouver une explication syntaxique des réalisations impossibles de la CIC-implicite qui

ressort de cette contrainte ? Autrement dit, quelle est la nature de la dérivation dans laquelle

l’assertion (ou, plus généralement, l’événement de communication) influe directement sur

l’intensification implicite ? Cette question présuppose que le concept d’assertion (ou la présence

du locuteur) est exprimé quelque part dans la configuration. Quelle est sa place dans le cadre de

l’association tardive ? La dérivation de Bhatt et Pancheva (2004, 2007) incorpore-t-elle ce type

de sémantisme ?

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219

4.3.3 L’assertion et la structure dérivationnelle

La dérivation de la CIC-explicite par association tardive a fait l’objet d’une description détaillée

dans le Chapitre 3 (section §3.2.4.3). Nous reprenons cette dérivation ici, à la lumière des

contraintes sémantiques qui restreignent l’intensification implicite et de notre supposition qu’il

existe un marqueur d’intensité nul dans la CIC-implicite, représenté structuralement en termes

d’une catégorie syntaxique vide dans la position canonique du marqueur d’intensité explicite (cf.

§3.3) :

(183) [[Jean était e1 furieux] e2 qu’il pouvait à peine parler]

(adapté ; Bhatt et Pancheva 2004 : 12 ; ex. (19))

XP qp

…XP DegPi ! !

… Deg’ ! V AP... Deg° CP V ! 4

DegPi A° e2 prop-que ! !

e1 furieux

(184) [[Il e1chante] e2 que ça fait plaisir]

IP qp

…IP DegPi ! !

… Deg’ ! V FP ?... Deg° CP V ! 4

DegPi F’ e2 prop-que ! V e1 F VP !

chante

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220

Les structures ci-dessus racontent l’histoire dérivationnelle suivante : une catégorie vide

s’associe dans une position de spécificateur de la catégorie lexicale A dans le cas des adjectifs,

laquelle héberge typiquement des éléments non essentiels, des modificateurs (183), et d’une

catégorie fonctionnelle dans le domaine événementiel (184). Deux options relatives à la nature

sémantique de la catégorie vide e se présentent : une catégorie vide qui dénote de manière

inhérente le concept de haute mesure, un tellement phonologiquement nul ou une catégorie

‘descriptivement’ vide. Nous supposons que dans la CIC-implicite, la catégorie vide est de type

Deg, soit eDeg, et représente seulement la notion générale de mesure.121

Cette catégorie s’associe

à l’adjectif dans l’exemple (183) pour signaler qu’il existe une mesure de la propriété que

l’adjectif exprime. Dans ce sens, elle ne contribue pas directement à la description de la propriété

et possède plutôt l’identité sémantique d’une variable.122

Dans l’exemple (184), la catégorie

s’associe, et apporte la notion de mesure, à l’événement. La dérivation comprend ainsi un

élément nul qui est, au départ, abstrait. Cet élément peut s’adjoindre à plusieurs endroits dans la

structure et cherche un concept mesurable (les degrés avec les adjectifs ; un concept plus

indistinct avec les verbes). La catégorie vide se déplace ensuite à droite (à IP). Dans le cadre de

Bhatt et Pancheva, ce déplacement découle de sa nature quantificationnelle, les quantificateurs se

déplaçant à leur position de portée pour les besoins interprétatifs. La catégorie vide dans les

structures en (183) et (184) est ainsi un quantificateur. Une prop-que s’associe à cette copie nulle

déplacée, dans sa position de complément.123

(La prop-que s’associe ainsi dans la dérivation par

le biais de la tête nulle.) Cette association entraîne une évaluation de mesure, avec la prop-que

fonctionnant comme restricteur de mesure. Cette association est cruciale pour l’élément nul :

celui-ci ne peut pas être interprété en l’absence de la prop-que. Ainsi, dans l’ensemble, la

121

La notion de mesure exprimée de façon phonologiquement nulle n’est pas inexploitée dans la littérature. Kayne

(1981) mentionne un QP vide généré à la base dans les phrases du type Jean ne voudrait pas que tu boives [NP [QP e]

de bière] qui s’interprète comme « aucune » quantité. Matushansky (2002) considère que dans le spécificateur de

tout prédicat adjectival mesurable (scalaire) s’associe un quantificateur nul de degrés de type existentiel, e.g. [Frank

is [AP [DegP QDeg] tall]], qui signale qu’il existe une mesure de la propriété que l’adjectif tall exprime, une mesure

« ouverte » jusqu’à ce qu’elle soit contextuellement déterminée (i.e. par le contexte syntaxique). On parle dans ces

cas d’une catégorie vide de mesure. 122

Nous ne supposons pas que la présence de la catégorie vide soit exigée par un autre élément dans la dérivation.

Elle s’associe ainsi de manière libre. 123

Étant donné l’association de la prop-que dans la position de complément de la catégorie vide, on a affaire à une

projection maximale nulle. Dans les structures en (183) et (184), l’élément nul est donc une tête Xº nulle. La

position de complément dans ce cas n’est pas une position argumentale dans laquelle la tête nulle légitime

formellement une expression, mais simplement une position d’évaluation de la mesure que la tête apporte.

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221

dérivation comprend un élément nul qui cherche au départ un concept à mesurer et qui cherche

ensuite une restriction pour la mesure.

Cette dérivation incorpore-t-elle le sémantisme que nous avons relié plus haut à l’intensification

implicite, soit l’assertion ? L’approche par association tardive ne prend pas en considération

l’assertion et n’inclut rien de particulier qui permettrait d’expliquer la restriction sémantique sur

l’intensification implicite. Nous aimerions pourtant que le mécanisme dérivationnel explique (et

prédise) les différences comportementales entre la CIC-explicite et la CIC-implicite et génère les

réalisations possibles et impossibles de la CIC-implicite. La dérivation par association tardive

doit donc être adaptée pour inclure la notion d’assertion avec une pertinence structurale. Cette

adaptation doit forcément toucher à la périphérie gauche, étant donné que l’assertion fait partie

de l’événement de communication et que ce dernier est encodé dans la grammaire au niveau de

la périphérie gauche. Et, en effet, plusieurs études ont déjà incorporé l’assertion à la structure de

la périphérie gauche et ont démontré sa pertinence dérivationnelle.

On propose sans controverse que la périphérie gauche a une structure subdivisée et soit

constituée de projections syntaxiques qui expriment des concepts pragmatico-discursifs (Rizzi

1997 ; Speas et Tenny 2003 ; entre autres). Ces concepts structuralement représentés incluent la

proéminence pragmatique (e.g. focus, topique). Plusieurs projections fonctionnelles

sémantiquement reliées à l’assertion et au rôle pragmatique du locuteur ont aussi déjà été

proposées. Elles incluent : GroundP (ou « Common Ground » ; Poletto et Pollock 2000) ;

AssertiveP (Pollock 2001) ; CP factif (Watanabe 1993) ; et EvalP (Speas et Tenny 2003).

GroundP et AssertiveP formalisent l’information présupposée dans le discours ; CP factif encode

la présupposition ; EvalP exprime les jugements du locuteur envers la valeur de vérité d’une

proposition. Ces projections ont été adoptées dans la littérature pour dériver des structures où la

présupposition est reliée aux différences comportementales qui ne caractérisent pas l’assertion.

Ces différences touchent notamment aux constructions complétives (Haegeman 2006, Haegeman

2010) et aux constructions exclamatives (Zanuttini et Portner 2003). Par exemple, les

compléments factifs, qui expriment un contenu présupposé, constituent des îlots à l’extraction

des adjoints (185a), à la différence des compléments non-factifs (185b) :

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222

(185) a. *How do you regret that you behaved t ?

b. How do you think that you behaved t ?

L’agrammaticalité de l’exemple (a) signale que l’adjoint how ne peut pas se déplacer de sa

position à l’intérieur du complément du verbe factif regret, tandis qu’il peut se déplacer de

l’intérieur du complément du verbe non-factif think (b). On attribue cette différence au statut

présupposé du complément factif, mais non présupposé du complément non-factif. En gros, deux

approches structurales ont été proposées pour tenir compte de ces différences : la première

approche pose une composante syntaxique additionnelle pour représenter la présupposition ou

l’assertion comme, par exemple, un opérateur factif dans un deuxième CP (Watanabe 1993, pour

les compléments factifs ; Zanuttini et Portner 2003, pour les constructions exclamatives) ou un

opérateur d’assertion dans le CP (Zubizaretta 2001 ; pour les prédicats factifs) ; la seconde

approche propose une structure syntaxique appauvrie ou tronquée (Haegeman 2006 et Haegeman

2010, pour les phrases complexes adverbiales ; de Cuba 2007, pour les compléments factifs).

Comme nous l’avons montré ci-dessus, les différences de comportement entre la CIC-explicite et

la CIC-implicite peuvent être directement reliées au statut présupposé/affirmé de la haute

mesure. L’intensification implicite se limite aux contextes affirmatifs ; elle est exclue des

contextes qui se caractérisent par une absence de l’affirmation, parmi lesquels les contextes

présupposés. Les contextes factifs sont de tels contextes. On a vu que la CIC-implicite se montre

sensible à la différence entre la factivité et la non-factivité. La CIC-explicite peut être enchâssée

comme complément d’un verbe factif (186a) et d’un verbe non-factif (186b), tandis que la CIC-

implicite ne peut pas fonctionner comme complément d’un verbe factif (187a), mais elle est plus

admissible en tant que complément d’un verbe non-factif (187b) :124

(186) a. Michelle sait que Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Jean dit que Marie est tellement belle que c’est ridicule.

(187) a. *Michelle sait que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales.

b. Jean dit que Marie est belle que c’est ridicule.

124

La construction n’est pas naturelle mais elle n’est pas tout à fait inacceptable.

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223

Ces exemples relient la présupposition au type de marqueur d’intensité et illustrent clairement

que le marqueur nul est restreint par l’assertion, tandis que le marqueur explicite ne l’est pas.

Comment se fait-il que la présupposition ne touche pas au marqueur explicite de la même

manière qu’elle touche au marqueur nul ? Les analyses proposées pour le traitement

dérivationnel de la présupposition dans le cas de la factivité peuvent offrir une solution et

éclairer ainsi le lien dérivationnel entre la CIC-explicite et la CIC-implicite. Dans ce qui suit,

nous adoptons l’analyse structurale de la factivité proposée par Haegeman (2006). Elle s’inscrit

parmi les analyses qui proposent de représenter la factivité ou la présupposition au moyen de

l’absence, au lieu de la présence d’une composante syntaxique dans la dérivation. L’approche

générale de Haegeman (2006) a été adoptée pour le traitement de la factivité par Basse (2007) et

de Cuba (2007), entre autres.

4.3.4 L’intensification implicite et la périphérie gauche

Haegeman (2006) propose que la structure de la périphérie gauche comprenne une couche qui

réfère au locuteur et qui est ainsi impliquée dans les interprétations de présupposition et

d’assertion. Il s’agit de la couche SD, pour « Speaker Deixis » :

(188) (Sub) … … SD Fin125

(adapté ; Haegeman 2006 : 1663)

Haegeman adopte cette projection de Tenny (2000) et Speas (2004). Ces auteurs avancent

l’existence d’un domaine structural « Point de vue » (POV) qui encode les jugements et les

évaluations du locuteur et qui introduit ainsi le locuteur dans la dérivation. La structure en (189)

tirée de Speas et Tenny (2003) montre que ce domaine est composé des projections EvalP et

EvidP :

125

La tête Sub° héberge la conjonction de subordination qui est disponible pour la sélection.

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224

(189) SAP (Speech Act Domain) (adapté ; Speas et Tenny 2003 : 320-333) V Speaker SA

V SA SA*

V Utterance SA*

content V SA* EvalP (SentienceP)

V Seat of Eval’ (Sen’)

knowledge V Eval° (Sen) EvidP (Sen*)

V Evidence Evid’ (Sen*)

V Evid° (Sen*) S (EpisP)

Haegeman (2006) adopte une version non décomposée du domaine POV (= SD). Elle propose

crucialement que la périphérie gauche des propositions présupposées ne contienne pas ce

domaine :

(190) (Sub) … … … Fin (adapté ; Haegeman 2006 : 1663)

Le domaine est présent par exemple dans la périphérie gauche des compléments non-factifs, mais

absent de la périphérie gauche des compléments factifs. Les compléments factifs ne permettent

pas l’établissement d’un lien avec le locuteur, le contenu de la proposition étant pris pour acquis.

Il n’existe donc pas de place dans la structure des factifs pour référer au locuteur. L’absence de la

projection qui introduit le locuteur amène l’interprétation de présupposition. Sa présence amène

l’interprétation d’assertion. Conceptuellement, cette approche est minimaliste en représentant

l’absence interprétative (e.g. absence du locuteur) avec l’absence structurale et la présence

interprétative du locuteur avec la présence structurale.

En ce qui concerne la CIC-implicite, ces représentations peuvent accommoder les contrastes

d’acceptabilité liés aux contextes factifs versus non-factifs (cf. (187)). Suivant Haegeman (2006),

nous supposons que dans le contexte factif, la CIC-implicite est dérivée sans la projection SD

dans sa périphérie gauche (191a) et que dans le contexte non-factif, elle est dérivée avec la

projection SD (191b) :

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225

(191) a. *Michelle sait [FinP que [IP Marie est e fatiguée qu’elle en perd les pédales]]

b. Jean dit [SDP [FinP que [IP Marie est e belle que c’est ridicule]]]

Nous avançons tout au long de ce chapitre que le marqueur d’intensité est restreint par

l’assertion, par l’évaluation de la haute mesure par le locuteur.126

Si la structure ne contient rien

qui puisse référer au locuteur, alors on s’attend à ce que la CIC-implicite ne soit pas acceptable,

ce qui est confirmé par l’exemple en (191a). Pourquoi la catégorie vide n’est-elle pas compatible

avec une structure appauvrie ? Elle ne peut pas être interprétée en l’absence de la projection

SDP, car elle ne peut pas être interprétée comme étant présupposée ; elle doit s’interpréter

comme étant affirmée. Pourquoi le marqueur d’intensité manifeste échappe-t-il à cette contrainte

(cf. (186a)) ? Ce type de marqueur peut s’interpréter comme étant présupposé.

Dérivationnellement, cette analyse soulève plusieurs questions :

1) Comment la catégorie vide est-elle reliée à la projection SDP ?

2) Pourquoi la projection SDP serait-elle cruciale pour le marqueur d’intensité nul ?

3) Pourquoi la projection SDP ne serait-elle pas cruciale pour le marqueur d’intensité

manifeste ?

Dans l’analyse de Bhatt et Pancheva (2004, 2007), le marqueur d’intensité dans la CIC-explicite,

soit la tête Deg° (tellement, etc.), interagit déjà avec la périphérie gauche. C’est un quantificateur

avec un comportement A-barre, un mouvement à une position de portée. L’interaction est donc

directe. Nous avons proposé que la CIC-implicite comprenne un marqueur d’intensité nul dans la

126

Tel que discuté dans le Chapitre 2, plusieurs types d’évidence de la présence du locuteur, soutiennent ce constat,

comme l’emploi de la première personne (i) et (ii) et les prop-que orientées vers le locuteur (cf. (i) à (vi)) :

i. Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

ii. C’est triste que j’en pleure encore.

iii. Luc ment que c’est une honte.

iv. Il transpire que c’en est écœurant.

v. Il chante que ça fait plaisir.

vi. Quand elle aime les choses, elle en mange qu’ c’en est dégoûtant.

La CIC-implicite comprend souvent des prop-que « présentationnelles », ou ce que nous appelons des propositions

avec le démonstratif ce qui contiennent des choix lexicaux exprimant les sentiments du locuteur (cf. (iii) à (vi)). La

présence du locuteur n’est pas évidente dans toutes les réalisations de la CIC-implicite, elle n’a pas lieu de façon

régulière. Mais des marques du locuteur existent dans plusieurs réalisations de la CIC-implicite et suggèrent que la

présence du locuteur est une tendance non négligeable de ce type de construction.

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226

position canonique, c’est-à-dire où on trouve le marqueur d’intensité explicite. On peut donc

avancer que le marqueur d’intensité nul interagisse également avec la périphérie gauche. De ce

fait, il est en mesure d’interagir avec la projection SDP. Mais pour pouvoir expliquer la

différence entre la CIC-explicite et la CIC-implicite dans le contexte d’enchâssement factif, il

faut qu’il y ait quelque chose qui démarque l’interaction du marqueur manifeste avec la

périphérie gauche de l’interaction du marqueur nul avec cette même périphérie. Les catégories

vides sont traditionnellement légitimées par la structure ; on s’attend donc à trouver des

contraintes en plus.

Structuralement, plusieurs options générales se présentent. Le marqueur manifeste, lors de sa

montée, est capable d’atteindre sa position de portée en passant pas une périphérie gauche

appauvrie, tandis que le marqueur nul ne l’est pas. Bhatt et Pancheva (2004, 2007) n’élaborent

pas sur la nature de leur mouvement à droite. La littérature au sujet de l’association tardive

n’offre pas de précisions non plus. On peut supposer que le marqueur doit passer par un « escape

hatch » avant de s’adjoindre à droite. Le marqueur nul ne pourrait passer que par ce hatch, à la

différence du marqueur manifeste.

Une possibilité plus pertinente au cadre d’association tardive est en termes de la formation de la

chaîne interprétative. L’analyse par association tardive a été proposée pour résoudre des

problèmes d’interprétation des copies. (L’association tardive de la prop-que empêche des

conséquences interprétatives indésirables qu’entraînerait la génération de la prop-que dans la

position de base du marqueur d’intensité avant son déplacement.) L’absence de la projection

SDP pourrait gêner à la création d’une chaîne appropriée avec la catégorie vide. Pourquoi avec la

catégorie vide en particulier ? Ce n’est pas un item qu’on copie typiquement. On peut supposer

que la chaîne du marqueur explicite soit différente de la chaîne de la catégorie vide, que cette

dernière soit sujette à des contraintes uniques. Rappelons que dans le cas du marqueur manifeste,

la copie originale a une pertinence pour la forme phonologique FP ; la copie supérieure est

pertinente pour la forme logique FL. Dans le cas du marqueur nul, ni la copie originale ni la

copie supérieure n’a de pertinence à FP ; la copie supérieure a une pertinence à FL. C’est dans

cette position qu’elle est évaluée et qu’elle s’interprète. La présence de la projection SDP

pourrait être nécessaire pour la formation de la chaîne avec cette catégorie vide, pour la

légitimation de la variable (la copie inférieure, la queue de la chaîne). La nature des conditions

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227

qui restreindraient la formation de la chaîne interprétative de la copie inférieure avec la copie

supérieure du marqueur nul reste à être résolue.

La (non-)pertinence de la copie inférieure nulle soulève la question de savoir s’il convient

vraiment d’avoir la copie inférieure dans la structure de la CIC-implicite ou si une structure avec

la copie supérieure uniquement ne serait pas préférable :

(192) [[Jean était furieux] e qu’il pouvait à peine parler]

XP qp

…XP DegP ! !

… Deg’ ! V AP... Deg° CP ! ! 4

furieux e prop-que

Dans ce type de structure, la catégorie vide s’associe directement dans une position élevée et la

prop-que s’associe ensuite dans sa position de complément. Les quantificateurs (la catégorie vide

en étant un) peuvent être épelés dans les positions basses ou hautes dans la structure. Mais

lorsqu’ils se situent dans une position élevée, ils doivent lier une variable de cette position. Cette

variable peut être leur trace (e.g. opérateurs-qu) ou une variable introduite par un item lexical

dans la structure (e.g. variable d introduite pas un adjectif gradable). Dans le cas de la CIC-

implicite, on aurait ainsi un opérateur, l’élément nul, et une variable lexicale. Le quantificateur

nul aurait besoin de cette variable. Ce type d’analyse exigerait ainsi qu’un élément (e.g. A, V, N,

Adv) existe dans la dérivation qui peut introduire une variable de mesure que l’opérateur pourrait

lier. Cette variable est cruciale parce qu’autrement, on n’aurait pas une façon d’établir un lien

entre la propriété qu’on intensifie dans la CIC et le quantificateur. La mesure serait ainsi donnée

gratuitement, elle proviendrait de l’item lexical. L’existence d’une telle mesure a été proposée

pour certains adjectifs (scalaires, tels intelligent, rapide) et certains verbes déadjectivaux

(Kennedy et McNally 1999).

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228

Pour résumer, dans le cadre de l’analyse dérivationnelle que nous proposons, la CIC-implicite

pourrait être inacceptable pour des raisons interprétatives : la catégorie vide ne recevrait pas une

interprétation en l’absence de la projection pragmatico-discursive SDP dans la périphérie gauche.

C’est-à-dire, il doit y exister quelque chose dans la périphérie gauche qui permet l’association et

l’interprétation de la catégorie vide. Un lien dérivationnel plus direct pourrait aussi exister entre

la catégorie vide et la projection SDP où cette dernière figurerait dans le mouvement de la

catégorie vide à droite et/ou dans la formation de la chaîne entre ces deux copies. Le contraste

avec la CIC-explicite découlerait de la capacité du marqueur explicite à recevoir une

interprétation d’ailleurs et de ne pas exiger des contraintes particulières sur la formation de

chaînes. Le même principe pourrait s’appliquer aux autres comportements où la CIC-implicite se

démarque de la CIC-explicite (négation, questions, où la présence du locuteur et l’assertion n’ont

pas de proéminence discursive), avec des modifications nécessaires. Speas et Tenny (2003)

avancent la disponibilité de la projection syntaxique POV, ou SD dans Haegeman (2006), pour

toutes les phrases, racines ou enchâssées. Notre analyse dérivationnelle ne doit donc pas se

limiter aux contextes d’enchâssement.

4.3.5 Autres propriétés

Pour terminer, nous revenons ici à quelques propriétés uniques de la CIC-implicite que nous

soulevons depuis le début de notre étude, à savoir : l’effet d’intensification réalisé uniquement

avec l’association de la prop-que (193), la non-optionnalité du que (194) et l’effet adverbial

tacite (195) :

(193) a. Il chante. = [ intensification]

b. Il chante que ça fait plaisir. = [ + intensification]

(194) a. Marie est fatiguée, qu’elle en perd les pédales. [ + intensification]

b. Marie est fatiguée, elle en perd les pédales. [ intensification]

(195) a. It tousse qu’il en secoue toute la maison.

b. ‘Il tousse tellement fort qu’il en secoue toute la maison.’

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229

L’analyse de la CIC-implicite par l’association tardive, un marqueur d’intensité nul et une

périphérie gauche scindée offre-t-elle une explication de ces propriétés uniques ? Commençons

par considérer l’importance de la prop-que à l’effet d’intensification.

Tel qu’exemplifié en (193), la prop-que est essentielle pour obtenir l’interprétation

d’intensification. Le contraste entre (193a) et (193b) soulève plusieurs questions. D’abord, la

notion de mesure fait-elle partie de la structure de la phrase en (193a) ? Autrement dit, la prop-

que fait-elle ‘voir’, ou ressortir, l’intensification déjà présente dans la structure ? Nous avons

proposé que la catégorie vide de mesure s’associe dans la structure librement. Dans le cadre

minimaliste, l’association dans la structure doit être régie par les besoins conceptuels. Si une

composante syntaxique ne reçoit pas une interprétation, sa présence dans la structure est

coûteuse. Il est donc raisonnable de supposer que la structure de la phrase en (193a) ne

comprenne pas une catégorie vide de mesure. Mais certains éléments syntaxiques s’interprètent

clairement avec une évaluation de mesure en suspens, comme les adjectifs scalaires. Par

exemple, l’énoncé Jean est furieux. est vrai si Jean est très furieux, extrêmement furieux, un peu

furieux. La fureur réelle de Jean dans le monde doit être contextuellement déterminée. Le

concept de mesure provient de ce type d’adjectifs. Ainsi, l’énoncé Jean est mort est vrai

seulement si Jean est mort, l’adjectif mort n’étant pas scalaire et ne lexicalisant pas la

mesurabilité. Pour les adjectifs scalaires, la présence d’une structure vide qui formalise la mesure

répond donc à une nécessité conceptuelle. Comme on a l’vu dans le Chapitre 3 (§3.2.1), une

structure de type fonctionnel représentant un domaine étendu des adjectifs scalaires a été

proposée (cf. (196a) ; Abney 1987 ; Corver 1990 ; Corver 1997) ; Matushansky (2002) propose

plutôt une structure vide de type Spec (cf. (196b)) :

(196) a. [DegP Deg° [AP …]]

b. [AP [DegP QDeg] A°]

Intuitivement, chanter dans la phrase en (193a) ne lexicalise pas la mesurabilité de la même

manière que les adjectifs scalaires. La structure de cet exemple ne comprend selon nous aucune

catégorie vide de mesure. Une catégorie vide s’associe pourtant à la structure de la phrase en

(193b). Qui plus est, il faut qu’une prop-que s’associe dans la position de complément de cette

catégorie pour qu’elle soit interprétée. Nous avançons que la tête vide est interprétable seulement

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230

lorsqu’elle est légitimée par son complément. La prop-que spécifie ou délimite la mesure.

L’élément nul est ainsi légitimé lorsqu’il est évalué ; sinon, il n’est pas interprétable. La

dérivation de Bhatt et Pancheva peut rendre compte de cette propriété sans aucunes

modifications requises.

Reliée à la question de légitimation de la catégorie vide est la présence obligatoire du que pour

obtenir l’effet d’intensification avec la CIC-implicite, exemplifiée en (194) (et discutée aussi au

début de ce chapitre, §4.2.1). L’absence du que entraîne l’absence de l’effet de haute mesure et

de son évaluation, l’exemple (194b) s’interprétant alors avec un effet de juxtaposition.

L’interprétation de la CIC-explicite reste inchangée avec le que absent. L’absence du que

pourrait signaler la présence d’une variante lexicale nulle de C° (197a), un C effacé (197b) ou

l’absence de C (197c) :

(197) a. [CP CØ …]

b. [CP que …]

c. [IP …]

Considérons d’abord la première option (197a). On peut avancer qu’il existe dans la grammaire

du français une variante nulle introduisant les compléments propositionnels, sur la base des

données du type Je pense (que) c’est ça. Typiquement, un CØ phonologiquement nul introduisant

les compléments a une distribution syntaxique restreinte.127

Vu que l’interprétation de la CIC-

explicite en l’absence du que est la même que son interprétation avec que et que la CIC-explicite

est grammaticale, une variante nulle n’est pas exclue de cet environnement syntaxique (tellement

représenterait alors un gouverneur approprié, [DegP tellement [CP CØ …]]). Le complémenteur CØ

n’est pas alors en principe exclu de la CIC-implicite. Mais le CØ a pourtant clairement un effet

sur la CIC-implicite. De plus, la situation de légitimation semble être inverse. Nous avons dit ci-

dessus que la catégorie vide de mesure doit être évaluée pour être légitimée : elle est

interprétable seulement lorsqu’elle est évaluée par son complément. Nous ajoutons à ce constat

que ce complément doit comprendre un C lexicalement réalisé (un C déclaratif : e.g. *Ils sont

riches comment c’en est dégoûtant.). Un CØ ne pourrait pas alors évaluer un DegØ° et la

catégorie nulle ne serait pas légitimée dans la structure. Cette explication repose sur la

127

Cette distribution est classiquement assurée au moyen du gouvernement par l’élément enchâssant (Stowell 1981)

ou, plus tard, par son caractère affixal nécessitant l’affixation à une catégorie lexicale, e.g. C-à-V (Pesetsky 1995).

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231

disponibilité de CØ dans la grammaire du français, ce qui reste encore à être démontré. On

avance plutôt que l’absence de que est principalement régit par le contexte phonologique

(Sankoff 1980 ; Martineau 1988 ; Dion 2003 ; King et Nadasdi 2006) et correspond ainsi à la

situation en (197b), selon laquelle l’absence de que est une propriété de la forme phonologique.

Mais cette situation n’offre pas pourtant une explication dérivationnelle de la propriété en (194).

La troisième option (197c) s’avère ainsi préférable dans le cas du français. Nous suggérons une

absence totale de la projection CP. L’absence de CP implique que la proposition de

degré/conséquence est un IP (Doherty 1997 ; Grimshaw 1997 : lorsqu’un C n’est pas inséré, le

complément propositionnel est un IP). Mais seulement un CP peut évaluer la catégorie vide de

mesure et légitimer sa présence. La phrase (194b) ne comprend ainsi ni la catégorie vide de

mesure, ni le CP. Dans l’ensemble, lorsque l’intensification est implicite, le CP doit être présent

et sa tête C° doit être lexicalement réalisée pour pouvoir effectuer une évaluation de la catégorie

vide de mesure.

Considérons finalement l’exemple (195a). Son interprétation peut être glosée par la paraphrase

en (195b). Plus spécifiquement, l’exemple (195a) s’interprète non seulement avec un effet

d’intensification mais aussi avec un effet de qualité relié au prédicat verbal tousser. Dans le

Chapitre 2 (§2.3), nous avons discuté de la source de cet effet tacite. Nous avons avancé alors

que les composantes du sens canonique des verbes imposent en partie cet effet. Dans le cas du

verbe tousser, un verbe de processus physiologique (Rappaport Hovav et Levin 2010), les

composantes de sens contribuées canoniquement incluent EXPULSER AIR, BRUIT, MOUVEMENT.

L’effet de qualité « fort » correspondrait ainsi à la composante de sens BRUIT. Cette composante

est qualifiée par « fort » ; « fort » exprime ainsi une propriété de l’action exprimée par tousser.

Dans la CIC-explicite, c’est cette propriété ou la qualité exprimée explicitement qui fonctionne

comme le domaine de portée du marqueur tellement, i.e. Il tousse tellement fort… Dans la CIC-

implicite, comme le suggère l’exemple (195a), la composante de sens n’a pas besoin d’être

qualifiée explicitement pour constituer le domaine d’intensification du marqueur nul.

Considérons aussi les exemples suivants :

(198) a. Il chante que ça fait plaisir.

b. ‘Il chante tellement bien que ça fait plaisir.’

c. ‘Il chante tellement souvent que ça fait plaisir.’

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232

(199) a. Il chante tellement que ça fait plaisir.

b. ‘Il chante tellement souvent que ça fait plaisir.’

La CIC-implicite en (198a) peut recevoir deux interprétations : une interprétation de haute

mesure portant sur une qualité (« bien ») de l’action chanter (198b) et une interprétation de haute

mesure portant sur l’événement, en particulier sa récurrence (198c). (Cette deuxième

interprétation n’est pas aussi saillante que la première.) La CIC-explicite (199a), par contre,

s’interprète seulement avec un effet de haute mesure portant sur l’événement (199b). La

disponibilité de l’interprétation en (198b) suggère ici aussi que le marqueur nul peut modifier

une mesure inhérente à l’action du verbe qui n’est pas qualifiée explicitement. Le verbe chanter

contribue canoniquement plusieurs composantes de sens, parmi lesquelles la composante

HARMONIE (ou MUSICALITÉ ; Robert 1996 : « former avec la voix une suite de sons musicaux »).

Le marqueur peut évaluer cette composante directement (une haute mesure de musicalité =

chanter extrêmement bien). Le marqueur tellement n’a pas cette même propriété.

En termes structuraux, nous supposons que dans la CIC-implicite, la qualité tacite n’est pas

exprimée par une structure vide, c’est-à-dire, par une projection adverbiale vide. Lorsqu’un

domaine de modification est présent de manière inhérente, il peut fonctionner comme le domaine

de portée du marqueur (la prop-que permettant de vérifier le type de mesure que le marqueur nul

sélectionne, si plusieurs mesures sont présents). Le marqueur nul n’a pas besoin de sélectionner

une mesure explicite à évaluer. Par contre, le marqueur tellement peut seulement sélectionner

une mesure explicite. Il a besoin de son propre domaine de portée et doit s’associer à l’élément

qui l’exprime. Par exemple, lorsque tellement s’associe à chanter, la seule mesure qu’il peut

sélectionner est la quantité d’événement (« scalar quantity position », Doetjes 1997). Le

marqueur nul peut sélectionner cette même quantité, mais il peut sélectionner en plus la mesure

de degrés, comme le degré de musicalité.128

128

Dans le contexte verbal, tellement peut être un quantificateur d’événements ou un spécificateur de degrés

(Bolinger 1972 : « extent gradation » versus « degree gradation » ; Doetjes 1997). Dans le premier cas, on interprète

la haute mesure de la répétition d’un événement (i.e. avec une récurrence sur une période de temps, on obtient un

effet de fréquence ; e.g. Paul va au cinéma tellement qu’il ne lui reste plus d’argent.). Dans le deuxième cas, on

interprète la haute mesure de degrés d’une propriété gradable inhérente d’un verbe (e.g. Il admire cet auteur

tellement qu’il a lu tous ses livres.). Cette gradabilité inhérente de certains verbes (souvent les verbes statifs, e.g.

aimer, détester, haïr, qui expriment plutôt des propriétés de leurs sujets) correspond à la gradabilité inhérente de

certains adjectifs ; tellement peut spécifier ce degré inhérent. Mais il ne peut pas fonctionner comme un spécificateur

de degrés avec le verbe chanter, lequel ne lexicale pas un degré directement.

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233

4.4 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons effectué une étude comparative des propriétés empiriques de la

CIC-explicite avec les propriétés de la CIC-implicite. Le premier objectif de cette comparaison

était de décrire la CIC-implicite avec le plus de détails possibles. Nous avons pu observer que la

CIC-implicite est une construction avec une forme restreinte. Plus spécifiquement,

l’intensification implicite n’est pas acceptable dans tous les mêmes environnements où on peut

trouver l’intensification explicite, comme par exemple certains contextes d’enchâssement ou

certains types de phrases (e.g. interrogatives).

Nous avons ensuite cherché à examiner la façon dont l’intensification implicite pourrait être

restreinte, à travers les comportements qui démarquent la CIC-explicite de la CIC-implicite. Ces

comportements non partagés ont révélé que les réalisations de la CIC-implicite sont restreintes

sémantiquement ; autrement dit, l’intensification implicite, représentée structuralement par une

catégorie vide, est liée à des restrictions sémantiques. L’intensification implicite est régie par des

traits particuliers de l’événement de communication, soit l’assertion dans un discours direct actif.

L’intensification implicite est exclue des contextes présupposés.

Sur la base de cette contrainte, nous avons proposé un lien dérivationnel entre la CIC-explicite et

la CIC-implicite qui repose sur la présence d’une projection fonctionnelle dans la périphérie

gauche de la CIC, soit SD (« Speaker Deixis » ; Haegeman 2006). Cette projection encode dans

la structure la présence du locuteur et son évaluation des valeurs de vérité. Elle est absente des

structures qui encodent un énoncé présupposé. Nous avons proposé que cette projection importe

pour l’interprétation de la catégorie vide de mesure et la formation de la chaîne interprétative

entre la copie originale de cette catégorie dans sa position de génération à la base et sa copie en

FL. Cette chaîne est au centre du cadre formel adopté pour la dérivation de CIC, soit

l’association tardive de Bhatt et Pancheva (2004, 2007).

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234

Chapitre 5

Conclusion

5

5.1 L’approche retenue dans la thèse : récapitulatif

L’objectif global de cette thèse était une étude descriptive et analytique de données du français

peu étudiées, les constructions intensives de conséquence (CIC) implicites. Ces données se

caractérisent par une interprétation à effet d’intensification implicite et une structure complexe

de la forme p1 que p2. Notre étude visait à fournir une description détaillée des comportements de

ces données et s’est articulée autour de plusieurs axes : une contextualisation des données dans

l’ensemble des constructions avec la forme p1 que p2 ; une description syntaxique et sémantique,

hors d’un cadre formel ; et une comparaison formelle avec une construction apparentée, la CIC-

explicite. Notre étude analytique visait à identifier les contraintes qui régissent les données et à

présenter une dérivation qui rend compte de leurs comportements. Nous avons basé notre

dérivation sur la dérivation de la construction intensive de conséquence proposée par Bhatt et

Pancheva (2004, 2007).

Pour atteindre nos objectifs, nous avons commencé par contextualiser les données à l’étude et

par identifier les enjeux qu’elles soulèvent (Chapitre 2). Dans un premier temps, nous avons mis

en évidence la distinction entre ces données et plusieurs constructions auxquelles elles

ressemblent par leur forme « de surface » (e.g. les constructions complétives, relatives et

adverbiales). Nous avons adopté une approche de syntaxe et de sémantique descriptive qui se

fonde sur des manipulations de base tout en restant non formelle et non restrictive. Ces

manipulations visaient à délimiter les relations de dépendance qui peuvent exister entre les deux

constituants propositionnels dont les données sont composées. Dans un second temps, nous

avons dressé une liste préliminaire des propriétés de base des données. Par exemple, une

décomposition interprétative a révélé que lorsque l’intensification porte sur un événement, les

données peuvent s’interpréter avec un sens adverbial tacite (e.g. Elle crie qu’on s’arrache les

oreilles. = ‘Elle crie tellement fort qu’on s’arrache les oreilles.). Un examen de la complexité de

l’événement de la première proposition, sur lequel porte l’intensification, a montré une tendance

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235

vers des prédications simples. Nous avons ensuite défendu l’unité catégorielle des données avec

la construction intensive de conséquence (la CIC) ; c’est-à-dire les données représentent des

réalisations de la CIC, mais où l’intensification est implicite (ce sont des CIC-implicites). Ces

propriétés communes incluent : une forme p1 que p2 ; une interprétation à effet de haute mesure,

de causalité et de comparaison ; et une prosodie caractérisée par une intonation montante à la fin

de la première proposition, suivie d’une rupture intonative séparant les deux propositions. Le lien

d’appartenance à la même famille de constructions nous a permis d’énoncer notre hypothèse

dérivationnelle, à savoir que la CIC-explicite et la CIC-implicite étaient dérivationnellement

reliées.

Pour identifier le lien dérivationnel exact entre la CIC-explicite et la CIC-implicite, nous avons

choisi de travailler à partir d’une analyse existante de la CIC-explicite (Chapitre 3). Cette

approche nous a amené à effectuer un survol critique des principales analyses dérivationnelles

proposées dans la littérature générative pour la CIC-explicite (Rouveret 1977 ; Rouveret 1978 ;

Guéron et May 1984 ; Culicover et Rochemont 1990 ; Rochemont et Culicover 1997 ; White

2004ab ; White 2005 ; Bhatt et Pancheva 2004 ; Bhatt et Pancheva 2007). Nous avons exposé au

cours de ce survol quelques principales propriétés dérivationnellement pertinentes de la CIC (e.g.

effet d’extraposition de la prop-que) et les défis que ces propriétés présentent à un mécanisme

dérivationnel optimal comme le Minimalisme (e.g. justifications des mouvements). Nous avons

adopté l’analyse dérivationnelle proposée par Bhatt et Pancheva (2004, 2007) qui se base sur

l’association tardive de la prop-que dans la structure de la CIC. La dérivation par association

tardive offre la meilleure adéquation empirique de la CIC, tout en incorporant d’importants outils

théoriques minimalistes. La présentation de l’approche retenue a été suivie par une première

précision sur la représentation structurale de l’intensification implicite dans la CIC-implicite.

Nous avons posé que l’intensification a un reflet structural sous forme d’un marqueur d’intensité

nul.

La plus importante partie de notre étude consistait en une comparaison systématique des

comportements de la CIC-explicite et de la CIC-implicite (Chapitre 4). La fonction de cette

comparaison était double : elle servait à augmenter la liste des propriétés de la CIC-implicite et à

comprendre les contraintes qui régissent l’intensification implicite (le marqueur nul). Nous avons

examiné plusieurs différents types de comportements qui nous ont permis d’observer les

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236

arrangements possibles des éléments syntaxiques qui composent les deux types de la CIC (e.g.

effets de linéarisation de la prop-que par rapport aux syntagmes adverbiaux ; enchâssement de la

CIC) et les divers effets sémantiques et pragmatico-discursifs (e.g. ambiguïté interprétative ;

force illocutoire). Nous avons repéré plusieurs différences entre la CIC-explicite et la CIC-

implicite (e.g. une incompatibilité avec l’enchâssement factif et les forces illocutoires non

assertives). Nous avons relié ces différences à la nature de l’intensification ; autrement dit,

l’intensification implicite (ou le marqueur d’intensité nul) restreint les possibilités de réalisations

de la CIC-implicite par rapport aux réalisations de la CIC-explicite. Pour déterminer comment la

nature implicite de l’intensification s’insérait dans le lien dérivationnel entre la CIC-explicite et

la CIC-implicite, dans le cadre de l’association tardive, nous avons étudié de près les

comportements non partagés. Les points communs entre ces comportements relevaient du

discours (e.g. la présence du locuteur). Cette observation nous a amené à articuler une dérivation

pour la CIC-implicite au moyen des adaptations, au niveau de la périphérie gauche, de la

dérivation adoptée pour la CIC-explicite.

5.2 Principaux résultats

Nous avons d’abord montré que les données à l’étude dans cette thèse sont des constructions de

degré qui appartiennent à la même classe de constructions que la construction intensive de

conséquence. Nous avons aussi identifié d’importantes différences entre la CIC-implicite et la

CIC-explicite, attribuables aux restrictions entraînées par l’intensification implicite. À la

différence de la CIC-explicite, la CIC-implicite ne peut pas :

Faire partie d’une construction plus large avec un autre posé de type propositionnel ayant

une fonction similaire, soit le CP comparatif, qui modifie, comme la prop-que, des qualités

ou des quantités qui opèrent sur des échelles (e.g. propriétés des individus/objets ou des

événements) ; l’intensification implicite ne peut pas constituer alors le posé principal :

(1) Plus de gens qu’on ne l’espérait ont mangé *(tellement) vite hier qu’on a tous fini

bien avant 9 heures.

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237

Être enchâssée comme complément d’un prédicat factif (e.g. le verbe savoir) qui déclenche

la présupposition de son complément et empêche ainsi l’intensification d’être affirmée :

(2) Michelle sait que Marie est *(tellement) fatiguée qu’elle en perd les pédales.

Apparaître en contexte de polarité négative où on nie l’atteinte de la haute mesure :

(3) Il ne rit pas *(tellement) qu’il en aurait des larmes aux yeux.

Constituer une phrase interrogative totale avec laquelle le locuteur demande qu’on lui

confirme la haute mesure (cf. (4a)), une phrase interrogative partielle qui présuppose la

haute mesure (cf. (5)) ou une phrase impérative avec laquelle on demande une réalisation

future de la haute mesure (cf. (6a)) :

(4) a. #Est-ce que Marie est fatiguée qu’elle en perd les pédales ?

b. Est-ce que Marie est tellement fatiguée qu’elle en perd les pédales ?

(5) Quel problème était *(si) difficile que Marie s’est mise à pleurer ?

(6) a. #Soyez attentifs que rien ne vous échappe !

b. Soyez tellement attentifs que rien ne vous échappe !

Sur la base de la nature des contrastes empiriques entre la CIC-explicite et la CIC-implicite, nous

avons pu démontrer que l’intensification implicite est étroitement liée à la notion d’assertion. La

CIC-implicite, et la haute mesure en particulier, doit exprimer une certitude (une croyance) que

le locuteur pose comme vraie. Les contextes factifs, négatifs, interrogatifs et impératifs ne

permettent pas l’assertion de l’intensification implicite et ne sont pas ainsi compatibles avec cette

dernière. Puisque l’emploi de l’intensification implicite est étayé par la présence du locuteur,

nous avons proposé que la présence du locuteur soit au centre du lien dérivationnel entre la CIC-

implicite et la CIC-explicite et doive ainsi être pertinente au niveau de la structure. Nous avons

adopté une formalisation de la notion d’assertion au niveau de la périphérie gauche en termes de

la projection SD (« Speaker Deixis ») qui a été proposée pour rendre compte des différences de

comportement entraînées par la factivité (Haegeman 2006, adaptée de Speas et Tenny 2003). La

périphérie gauche de la CIC-implicite doit comprendre cette projection pour la bonne formation

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238

de la chaîne entre les deux copies du marqueur nul créées par la dérivation de la CIC au moyen

de l’association tardive et pour l’interprétation de la catégorie vide.

Nous avons aussi trouvé que l’intensification implicite repose crucialement sur la présence

obligatoire du que en position initiale de la deuxième proposition, la proposition de

degré/conséquence. Nous avons réinterprété cette présence et donc la relation étroite entre la tête

DegØ° et la tête Cque° comme une relation de légitimation : le complément de DegØ° doit être un

CP lexical, ce dernier fonctionnant comme le légitimateur de la catégorie vide.

5.3 Originalité et contribution de la thèse

Notre thèse est née d’une interrogation sur le fonctionnement des données qui s’interprètent non

compositionnellement, qui comprennent un morphème parmi les plus employés en français (que)

et qui partagent une forme avec d’autres constructions, mais qui, à la différence de ces autres

constructions, font obstacle à la saisie en termes de l’analyse syntaxique. En grammaire

générative, ce champ empirique restait peu exploité, les exemples de ce type notés, mais souvent

relégués aux notes de bas de page, à explorer dans les travaux futurs. Les consultations des

grammaires traditionnelles ont révélé que plusieurs types de ces phrases existaient. Nous avons

choisi de problématiser le phénomène de façon originale : sur la base d’un rapprochement,

soutenu empiriquement, entre les données et la construction intensive de conséquence, la

question est devenue celle d’une opposition entre l’intensification explicite et l’intensification

implicite et des contraintes qui régissent cette dernière. Une telle démarche nous a permis de

focaliser l’observation des données pour comprendre comment elles fonctionnent.

Nous avons construit ce cadre pour répondre aux défis que nos données présentaient : un nombre

limité d’exemples, attribuable à leur statut oral et non standard et à leur forme de surface

partagée par d’autres constructions bien différentes, laquelle empêche un repérage facile de ces

phrases dans des banques de données automatisées. Les locuteurs natifs étaient pourtant certains

d’avoir fréquemment entendu ces données prononcées. Un cadre comparatif nous a permis de

combler cette lacune empirique, de multiplier nos exemples et de faire des observations qui

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239

auraient été difficiles à faire autrement. Nous avons ainsi pu effectuer une description minutieuse

de ces données et établir leurs propriétés.

Sur la base de la comparaison empirique, nous avons pu poser la première structure

dérivationnelle de ces données en français, dans le cadre génératif. Notre analyse suivait le

principe du rasoir d’Occam en proposant des adaptations minimales à une dérivation déjà

existante. De cette façon, il n’a pas fallu poser deux dérivations différentes pour des

constructions qui se ressemblent de près. Une approche comparative tant pour la description que

pour l’analyse nous a permis de nous attaquer à des phrases complexes avec plus de précision et

d’économie.

5.4 Questions soulevées

Comme le type de données que notre étude abordait ne peut pas être facilement repéré dans des

corpus écrits ou oraux, nous avons dû avoir recours à l’invention des exemples pour déterminer

leurs propriétés. La manipulation des exemples inventés en vue d’effectuer des tests était aussi

indispensable pour la vérification des hypothèses. Ceci ne s’avérait pas toujours facile.

L’approche comparative a largement facilité la tâche – nous avons pu inventer nos données à

partir d’exemples attestés de la CIC-explicite. Il fallait pourtant se fier ensuite aux jugements de

grammaticalité des locuteurs. En général, les locuteurs n’avaient pas de difficultés à accepter les

exemples, mais vu que les données sont compliquées en termes d’interprétation, on s’attend à ce

qu’un certain niveau de spéculation intervienne. Un éventail plus large de ces données attestées

naturellement dans des sources diverses aurait pu réduire l’invention des exemples et, par la

suite, la subjectivité vis-à-vis leur acceptabilité. De plus, le lien que nous avons établi entre

l’intensification implicite et l’assertion suggère que l’examen de ces données en contexte

permettrait une analyse plus précise des contraintes qui pèsent sur l’intensification implicite et

enrichirait ainsi notre étude. Ceci dit, bien que l’usage complémentaire de l’attesté et de l’inventé

est important, on ne veut pas écarter les données qui sont intéressantes mais difficiles à repérer. Il

ne reste que continuer, peu à peu, à en augmenter l’inventaire.

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Un aspect important des jugements de grammaticalité est aussi le statut des juges. Comme on l’a

vu dans le Chapitre 1 (§1.4), les données ont été vérifiées auprès d’une dizaine de locuteurs

natifs du français originaires de la France et du Québec et âgés de 30 à 60 ans. Il serait

intéressant de voir s’il existe de la variation dans l’acceptabilité de la CIC-implicite en fonction

de facteurs sociolinguistiques (e.g. l’âge, le sexe, le niveau social économique, la formation, etc.)

ou géolinguistiques (e.g. région d’origine). Nous n’avons pas remarqué d’importantes

différences d’acceptabilité entre les locuteurs consultés, mais notre échantillon n’a pas été assez

large ou hétérogène pour en tirer des conclusions définitives.

Du point de vue dérivationnel, le traitement syntaxique du lien entre la CIC-explicite et la CIC-

implicite que nous avons proposé n’est qu’une première tentative qui reste à être développée lors

de travaux futurs. Le thème central de la dérivation est l’assertion et la présence du locuteur dans

la configuration au moyen d’une projection fonctionnelle dans la périphérie gauche. Les

mécanismes exacts du lien entre cette projection et le marqueur d’intensité nul sont complexes et

doivent être approfondis. Une direction qui pourrait s’avérer utile pour notre compréhension de

ce mécanisme est un retour en arrière pour réexaminer la dérivation de base de la construction

intensive de conséquence à la lumière de nos découvertes sur l’intensification implicite. De plus,

bien qu’on ait démontré que la projection discursive au centre de notre analyse permet de rendre

compte des propriétés d’autres constructions, il reste encore à examiner les implications que le

mécanisme d’interaction que nous proposons entre cette projection et la catégorie vide soulève.

Notre étude débouche de cette façon aussi sur des questions concernant la structuration des

parties du discours.

Une piste de recherche que notre étude ouvre également concerne le fonctionnement exact de la

catégorie vide de mesure dans la grammaire des locuteurs. Les langues abondent en

constructions dans lesquelles du matériel sémantiquement interprété n’est pas exprimé

lexicalement. De telles constructions suscitent l’intérêt parce qu’elles attestent non seulement de

la variété des manifestations de la notion de l’invisible ou de l’inarticulé, mais aussi de la

capacité des interlocuteurs de reconnaître l’apport des éléments phonologiquement absents à

l’interprétation de la construction entière. Les interlocuteurs récupéraient l’effet d’intensification

dans les données ici à l’étude avec facilité. De plus, ils étaient capables de manipuler les

données, ce qui confirme la validité de ces données à la grammaire. L’interprétation doit combler

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241

le vide mais le locuteur doit tout de même avoir une grammaire pour ces données où on ne peut

pas tout laisser vide. Comme toutes les catégories vides, ces données soulèvent ainsi aussi la

question d’apprenabilité. On a vu que plusieurs facteurs liés au discours permettent au marqueur

d’intensité d’apparaître nul. Afin de commencer à comprendre comment l’apprenant pourrait

établir une grammaire pour ces données avec une telle évidence, il faut aussi comprendre

davantage ce qui incite le locuteur à ne pas utiliser l’intensification explicite (c’est-à-dire à

utiliser le marqueur nul au lieu de tellement). Nous avons suggéré que cela pourrait être un désir

d’expressivité, de démarquer son énoncé. L’usage du marqueur nul dépend ainsi d’une

combinaison de facteurs et une meilleure compréhension de cette combinaison éclairerait la

grammaire de ces données. Une réponse plus conclusive devra attendre en particulier le

développement de connaissances plus poussées de l’interaction du discours avec les éléments

nuls.

Finalement, les données à l’étude dans cette thèse suscitent d’importantes interrogations sur la

notion de mesurabilité. Cette notion est centrale, l’intensification ne pouvant pas avoir lieu sans

la possibilité de mesurabilité. Qu’est-ce qui assure une telle possibilité ? On a pu voir tout au

long de ce travail que la représentation de mesurabilité est sujette à discussion. On propose que

pour certains adjectifs dits gradables (e.g. furieux), la mesure est inhérente, ou lexicale ; pour

d’autres (e.g. mort), elle ne l’est pas. Son statut est plus controversé dans le cas des noms et des

verbes. Pourtant, certains noms et verbes semblent s’interpréter avec un sens de mesurabilité

inhérente comparable à celui d’adjectifs gradables (e.g. colère, aimer, par opposition à table,

arriver). En même temps, plusieurs constructions indiquent clairement qu’une lexicalisation de

la mesurabilité n’est pas cruciale pour obtenir une interprétation de haute mesure. Par exemple,

Elle est tellement enceinte., où enceinte n’est pas un adjectif qu’on considère gradable mais la

phrase s’interprète tout de même avec une intensification de la propriété exprimée par cette

adjectif, pour indiquer une grossesse avancée ; ou Il est tellement dans son monde., où la phrase

prépositionnelle dans son monde constitue le domaine d’intensification, mais une mesurabilité

inhérente à une phrase prépositionnelle est peu probable. Les diverses manifestations de la

mesurabilité attestent de la complexité du phénomène qu’une analyse plus unifiée qui réunit des

analyses sémantiques formelles rigoureuses avec des analyses structurales pourrait éclairer. Une

telle analyse nous permettrait ensuite d’avancer certains points de notre analyse dérivationnelle

des données, en particulier la légitimation de la catégorie vide et de la prop-que dans la structure.

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242

Dans l’ensemble, notre contribution principale consiste à mettre en évidence l’existence de

phrases interprétativement et structuralement intéressantes, ainsi qu’à fournir une étude détaillée

de leurs propriétés et de l’intensification implicite qui les caractérise. Nous avons montré qu’il

existe plusieurs phrases de ce type en français et qu’elles constituent ainsi un champ linguistique

non négligeable. Nous les avons décrites de manière à ce qu’elles soient accessibles à un public

plus large sans connaissance linguistique spécialisée, de même qu’aux spécialistes en grammaire

générative. Ainsi, les lecteurs de cette thèse pourront les mettre en perspective dans leurs propres

approches, les comparer aux données « uniques » qu’ils trouvent eux-mêmes au hasard, voir

considérer leurs équivalents dans d’autres langues.

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