Construire la GRH territoriale: une approche par les ... · Ingrid Mazzilli. Construire la GRH...
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Construire la GRH territoriale : une approche par lesdispositifs de gestion et la théorie de l’acteur-réseau.
Ingrid Mazzilli
To cite this version:Ingrid Mazzilli. Construire la GRH territoriale : une approche par les dispositifs de gestion et lathéorie de l’acteur-réseau.. Gestion et management. Université de Grenoble, 2011. Français. <NNT :2011GRENE008>. <tel-00910096>

Université Joseph Fourier / Université Pierre Mendès France / Université Stendhal / Université de Savoie / Grenoble INP
THÈSE Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE Spécialité : Sciences de gestion Arrêté ministériel : 7 août 2006 Présentée par
Ingrid MAZZILLI Thèse dirigée par Monsieur Christian DEFELIX préparée au sein du Laboratoire CERAG UMR 5820 dans l'École Doctorale des Sciences de Gestion de Grenoble ED 275 …
Construire la GRH territoriale : Une approche par les dispositifs de gestion et la théorie de l’acteur-réseau Thèse soutenue publiquement le 09 novembre 2011 , devant le jury composé de :
Monsieur Ewan OIRY Professeur des Universités, IAE-Université de Poitiers (Rapporteur) Monsieur François PICHAULT Professeur Ordinaire, HEC-Ecole de Gestion de l’Université de Liège (Rapporteur) Madame Ariel MENDEZ Professeur des Universités, Université de la Méditerranée (Présidente) Monsieur Dominique-Philippe MARTIN Professeur des Universités, IGR-IAE-Université de Rennes I (Examinateur)

iii
L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans cette thèse. Celles-ci doivent être considérées comme propres à
leur auteur.

iv

v
Remerciements
Je remercie en premier lieu Christian Defélix, qui a dirigé cette thèse avec beaucoup de rigueur, d’attention, d’implication, mais surtout avec tant de bienveillance. Merci de m’avoir accompagnée et soutenue dans les différents aspects de la vie de jeune enseignant-chercheur. Je tiens à remercier les Professeurs Ewan Oiry et François Pichault qui ont accepté d’être les rapporteurs de cette thèse, ainsi que les Professeurs Ariel Mendez et Dominique-Philippe Martin qui ont accepté d’évaluer ce travail en tant que suffragants. Je souhaite remercier également Catherine Fradet, Catherine Pacquelet, Muriel Hennetin, Lorène Lombard, Jérôme Akmouche et Jean-Marc Reydet, qui chacun ont permis la réalisation de ce travail par l’accès aux différentes sources d’information relatives à leurs projets. J’adresse mes remerciements à toute l’équipe de l’axe RH du CERAG, qui, par le biais de nos rencontres mensuelles, m’a permis de développer mes compétences d’écriture, de réflexion et de lecture critique. Bien entendu, merci aux personnels administratifs du CERAG et de l’Ecole Doctorale qui ont toujours été réactifs et disponibles, sans oublier les mille petits services rendus par Bernard. Un grand merci également à mes collègues doctorants, et ils sont nombreux ! En particulier, merci aux collègues du bureau 110 et aux collègues du « RU » ! Merci à mes relectrices et relecteurs : Aura, Eline, Jean-Claude et Claude. Bien entendu, tout cela n’aurait été possible sans l’aide de ma famille, de ma belle-famille et de mes amis, qui ont toujours été à mes côtés. Merci pour tout. Enfin, merci à Sébastien. C’est grâce à toi que j’ai pu mener ce travail jusqu’au bout. Je n’aurais pas réussi sans ton soutien, ton assurance et ta confiance en toutes circonstances. Tu as toute ma reconnaissance et c’est maintenant à mon tour d’être là pour toi. A Didier, j’aurais voulu dire merci de m’avoir donné envie de faire le même métier que lui. A Hyane, j’aurais voulu dire merci pour tous les bons moments de notre vie de doctorante passés ensemble…

vi
Sommaire
Introduction .............................................................................................................................. 1
Chapitre 1 : Intérêts et enjeux d’une GRH inter-organisationnelle : examen de la littérature ................................................................................................................................ 13
1. La fonction RH au sein de l’entreprise-réseau .......................................................................... 15
2. Les pratiques RH au sein des réseaux territorialisés d’organisation ......................................... 30
3. La GRH en contexte de proximité géographique et organisée .................................................. 51
4. Synthèse de la revue de littérature et conclusion du chapitre 1 ................................................. 67
Chapitre 2 : Les dispositifs inter-organisationnels de GRH territoriale : éléments de définition, problématique et cadre d’analyse ...................................................................... 69
1. Les contours de la GRH territoriale ........................................................................................... 71
2. Comment construire la GRH territoriale ? ................................................................................ 90
3. Problématique de la recherche et cadre d’analyse ................................................................... 108
4. Conclusion du chapitre 2 ......................................................................................................... 114
Chapitre 3 : La mise en œuvre du design de la recherche : choix méthodologiques ..... 117
1. Une recherche de nature qualitative ........................................................................................ 119
2. Présentation des deux études de cas ........................................................................................ 129
3. La collecte et le traitement des matériaux empiriques ............................................................ 141
4. Conclusion du chapitre 3 ......................................................................................................... 159
Chapitre 4 : Le projet « Gestion du Capital Humain », une GRH T à l’émergence difficile : analyse du cas 1 .................................................................................................... 161
1. La création du pôle de compétitivité et le démarrage du programme Talents 2010 ................ 163
2. La réalisation du projet «Gestion du Capital Humain » .......................................................... 179
3. Le bilan et la réorganisation du projet Gestion du Capital Humain ........................................ 206
4. Synthèse des résultats et conclusion du chapitre 4 .................................................................. 218

vii
Chapitre 5 : Le projet « GTRH » sur le territoire nord-drômois ou l’élaboration d’un « outil virtuel » : analyse du cas 2 ....................................................................................... 225
1. La naissance du projet GTRH au sein de la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors ................................................................................................................. 227
2. La réalisation du projet « Gestion Territoriale des Ressources Humaines » ........................... 239
3. Le redéploiement en vue d’un projet GTRH II ....................................................................... 256
4. Synthèse des résultats et conclusion du chapitre 5 .................................................................. 275
Chapitre 6 : Construire un dispositif inter-organisationnel de GRH territoriale ......... 281
1. Le projet « Gestion du Capital Humain » ................................................................................ 283
2. Le projet GTRH Nord-Drôme ................................................................................................. 304
3. Synthèse des résultats, propositions et thèse finale ................................................................. 319
4. Conclusion du chapitre 6 ......................................................................................................... 344
Conclusion générale ............................................................................................................. 345
1. Propositions de pistes d’actions............................................................................................... 346
2. Les apports de la recherche ..................................................................................................... 350
3. Les limites de la recherche ...................................................................................................... 352
4. Les perspectives de recherche ................................................................................................. 355
Bibliographie ......................................................................................................................... 357
Annexes ................................................................................................................................. 387
Liste des figures .................................................................................................................... 465
Liste des tableaux ................................................................................................................. 467
Table des matières ................................................................................................................ 469


1
Introduction
« La notion de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences Territoriale parle à
tout le monde, quatre ministres ont signé la circulaire, cela est rare ! » nous confiait en
novembre 2010 Isabelle Menant, chargée de mission du développement et de l’emploi des
compétences au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Depuis quelques années en
effet, il est de plus en plus question d’une « territorialisation » de la gestion des ressources
humaines (Le Boulaire et al. 2010). Ce phénomène a connu un réel engouement si bien que
les termes de « GPEC territoriale » (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences),
de « GTEC » (Gestion Territoriale des Emplois et des Compétences) ou encore de « GRH
territoriale » ont été employés, parfois indistinctement. D’un côté, les acteurs publics et les
entreprises sont incités à développer des dispositifs de GRH territoriale, de l’autre, un courant
de recherche émergent tente d’appréhender les contours de ces formes de GRH dépassant les
frontières d’une seule organisation. Ces recherches tentent de gagner en compréhension sur ce
phénomène, mais les travaux s’accordent aussi sur la nécessité de poursuivre les
investigations tant la réalité des pratiques demeure complexe et difficilement saisissable.
L’ancrage théorique permettant de mieux saisir ces dispositifs inter-organisationnels reste à
consolider. Un tel développement a suscité notre intérêt depuis le travail de recherche démarré
au cours de notre Master Recherche en 2007 : qu’est-ce que la GRH territoriale ? Quelles sont
les expériences et les initiatives concrètes ? Quels acteurs s’en emparent ? Comment
l’appréhender dans un travail de recherche académique ?
Au premier abord, la GRH territoriale renvoie à un phénomène d’élargissement de la GRH
au-delà des frontières d’une seule organisation et à l’échelle d’un territoire1. Mais tout
d’abord, un bref aperçu des pratiques développées permet de constater leur grande diversité.
Les acteurs qui participent à ces projets appartiennent à de multiples organisations : grandes,
moyennes ou petites entreprises, services publics de l’emploi, collectivités locales,
organismes de formations publics et privés, syndicats professionnels, etc. Les structures qui
portent ces actions sont, elles aussi, diverses : groupements d’employeurs, comités de bassin
d’emploi, branches professionnelles, Maisons de l’Emploi et de la Formation ou pôles de
compétitivité. Ces initiatives de GRH territoriale empruntent des formes variées : partages de 1 Ce bref état des lieux empirique et cette première définition seront approfondis dans le chapitre 2.

2
salariés, parcours professionnels transverses, formations inter-entreprises ou encore
démarches de GPEC territoriale.
Ce phénomène s’inscrit au sein d’un contexte socio-économique en faveur de son émergence.
En France, mais aussi partout en Europe, se développent des « formes variées de coopérations
horizontales entre différentes catégories d’acteurs autour de la gestion locale de l’emploi. »
(Kaisergruber, 2006, p.125). Ainsi, depuis 2005, la législation sociale française en matière de
droit du travail élargit le cadre d’action de certaines pratiques de GRH à un niveau inter-
organisationnel. C’est le cas de la GPEC, ayant trouvée depuis 2005 un nouvel élan avec
l’obligation triennale de négocier un accord de GPEC. Le rapport Rouilleault (2007) consacre
en effet un chapitre à la GPEC dans les PME, les branches et les territoires. L’Etat français a
mis en œuvre d’autres dispositions allant dans le sens d’une plus grande ouverture des
entreprises à leur territoire. Le projet de modernisation du marché du travail a donné lieu à la
signature d’un Accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail le
11 janvier 2008. Il incite notamment les entreprises à endosser une part de responsabilité dans
l’anticipation des mobilités géographiques des salariés en s’appuyant sur les branches
professionnelles et les organisations territoriales2. En parallèle, la révision constitutionnelle du
28 mars 2003 a entamé une relance du processus de décentralisation. Tout cela favorise
l’implication des collectivités territoriales auprès des entreprises et constitue un préalable à
l’émergence de pratiques de gestion des ressources humaines à l’échelle des territoires. Plus
récemment, une circulaire (citée plus haut), relative au développement de la dynamique de
territoire de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, a été adressée aux
Préfets de région et de départements ainsi qu’aux Direccte3 et DTEFP4 le 29 juin 2010. Ce
document demande explicitement aux acteurs précédemment cités, de constituer avant la fin 2 Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2009 sur la modernisation du marché du travail :
Extrait de l’article 8 : « Les branches professionnelles et les organisations territoriales doivent faire connaître aux entreprises et aux salariés, les différents dispositifs existants qui sont destinés à faciliter la mobilité géographique et professionnelle des salariés (…) Dans la même perspective, elles évalueront les expériences de mobilité interentreprises mises en œuvre au niveau de bassin d'emplois (pôle de mobilité par exemple), diffuseront les bonnes pratiques ainsi repérées et apporteront leur concours aux demandes émanant, en la matière, des pôles de compétitivité. »
Extrait de l’article 9 : « Le niveau de la branche et des organisations territoriales doit en outre permettre de mettre en place, en liaison entre eux, une logique d'étude sur l'évolution qualitative des métiers qui éclaire les différents acteurs. (…) Les branches et les organisations territoriales inciteront les entreprises ayant développé des pratiques réussies de GPEC, à mettre en commun leurs expériences pour faciliter des développements de carrière et des mises en relation des offres et besoins de compétences. » 3 Direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi. 4 Direction du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle.

3
de l’année 2010, « un dispositif régional dédié à la coordination de la GPEC afin de faciliter
le développement de pratiques de GPEC et la mise en cohérence des actions de GPEC
sectorielle et des opérations de GPEC territoriale ». L’objectif de ces dispositions est
d’accompagner les territoires et les entreprises vers une sortie de crise.
Ces préoccupations vont de pair avec une incitation au développement des pratiques de co-
innovation. La création des pôles de compétitivité en France a souligné l’importance des
collaborations entre différents partenaires et l’importance du territoire dans la prise en compte
des problématiques liées à l’emploi. Le lancement des pôles de compétitivité en juillet 2005 a
relancé encore plus vivement le développement des pratiques de collaboration des acteurs
locaux afin de favoriser l’innovation. Ceci est observé en même temps que le retour d’un
discours sur le renouveau et l’importance du rôle tenu par les territoires, à l’heure où la
concurrence se joue à l’échelle mondiale.
En parallèle de ces évolutions politiques, sociales et légales, nous constatons qu’assez peu de
recherches académiques se sont jusqu’à présent intéressées à l’émergence de ces pratiques de
GRH élargies. Comme cela sera plus largement développé dans le chapitre 1, la littérature
pointe, d’un côté, l’avènement des formes d’organisations en réseau et le renouveau des
territoires. De l’autre, les recherches en gestion des ressources humaines commencent à
concevoir que cette fonction RH pourrait être amenée à évoluer dans ces contextes. Pourtant
le développement de la gestion des ressources humaines au-delà des frontières d’une seule
organisation et à l’échelle d’un territoire n’a été que succinctement abordé. Or cela suscite un
certain nombre d’interrogations pour les sciences de gestion : comment envisager une gestion
des ressources humaines dans un contexte inter-organisationnel, alors même que la GRH est
liée à une relation d’emploi par définition, mono-organisationnelle ? Comment apparaissent et
se construisent ces pratiques ? À quels besoins répondent-elles ? Avec quels supports se
développent-elles ? Toute la difficulté de la mise en place de ces pratiques de GRH provient
de cet environnement pluridimensionnel dans laquelle elles prennent place et de
l’enchevêtrement des liens à tisser entre des acteurs issus d’univers parfois fort éloignés et
autour desquels des dispositifs s’élaborent peu à peu. C’est de cette complexité qu’émerge
tout l’intérêt d’une gestion des ressources humaines territoriale. Il est donc nécessaire d’aller
au-delà d’un simple état des lieux, afin d’étudier en profondeur et dans le temps la dynamique
d’émergence de la GRH territoriale. Somme toute, qu’est-ce que la GRH territoriale et
comment se construit-elle ? L’objectif de ce travail doctoral sera donc de caractériser

4
d’abord ce que recouvre la notion de GRH territoriale, puis de comprendre comment celle-ci
se construit.
Toute recherche en sciences de gestion doit avoir lieu dans un repère épistémologique défini.
Afin de répondre à cette interrogation, la recherche qui est présentée ici s’appuie sur le cadre
du paradigme épistémologique constructiviste pragmatique.
L’élaboration d’un questionnement de la recherche dans le paradigme épistémologique
constructiviste pragmatique
Pour le chercheur en sciences sociales, le positionnement dans un repère épistémologique est
fondamental, car le mode de légitimation des connaissances élaborées au cours de la
recherche dépend du paradigme épistémologique dans lequel il se situe. Selon Avenier
(2010), citant Piaget (1967)5, la méthodologie concerne la constitution des connaissances,
tandis que l’épistémologie renvoie à l’étude de la constitution des connaissances valables.
Nous avons fait le choix de positionner ces travaux dans le cadre du paradigme
épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) au sens de M.J. Avenier6, car la posture
agnostique posée par ce paradigme correspond à nos convictions personnelles à l’égard des
phénomènes organisationnels.
Actuellement, deux principaux paradigmes épistémologiques constructivistes se côtoient, à
savoir le Paradigme Epistémologique Constructiviste développé par Guba et Lincoln (1989,
1998, cité par Avenier, 2010)7 et le Constructivisme Radical proposé par Glasersfeld (1984,
5 Piaget, J. (1967). Logique et connaissances scientifiques, Paris, Gallimard. 6 Nous nous appuyons sur les travaux suivants : Avenier, 2010 ; Avenier et Thomas, 2011 ; Avenier et Parmentier-Cajaiba ; 2011. Nous nous appuyons également sur les présentations du PECP lors des différents séminaires transversaux donnés par Marie-José Avenier tout au long de notre formation doctorale, notamment : séminaire de recherche dans le cadre du collège doctoral le 19 octobre 2010 et séminaire transversal du CERAG le 19 mai 2010. 7 Guba E., Lincoll Y. (1989). Fourth generation evaluation, London, Sage.
Guba E., Lincoll Y. (1998). Competing paradigms in qualitative research, In N. Denzin et Y.Lincoln (ed). The landscape of qualitative research, London, Sage, p.195-220.

5
2001, 2005, cité par Avenier, 2010)8, qui a ensuite été repris par Le Moigne (1995, 2001,
2002, cité par Avenier, 2010)9 en tant que Paradigme Epistémologique Constructiviste
Téléologique (PECT). Ce terme a été utilisé par M.J. Avenier jusqu’en 2011, date à laquelle
elle préférera utiliser le terme de Paradigme Epistémologique Constructiviste
Pragmatique (PECP) (Avenier et Parmentier-Cajaiba, 2011). Dans nos travaux, nous
utiliserons ce dernier terme, mais les fondements du PECP sont similaires aux travaux
présentés par M.J. Avenier sous le label de PECT.
Afin de mieux saisir la portée du PECP, nous présentons de manière synthétique les deux
autres paradigmes dominants en sciences de gestion actuellement, à savoir le paradigme
épistémologique positiviste (PEP) et le paradigme épistémologique réaliste critique (PERC).
Puis nous présentons le PECP.
Tout positionnement épistémologique peut être caractérisé par trois hypothèses. La première
hypothèse est d’ordre ontologique. Elle renvoie à la nature de ce qui est considéré comme
réel. La deuxième hypothèse est d’ordre épistémique. Elle porte sur ce que l’on considère
comme connaissable. La troisième hypothèse enfin repose sur le statut, la génération et
l’évaluation des connaissances.
Le paradigme épistémologique positiviste (PEP) repose sur une hypothèse d’ordre
ontologique selon laquelle le réel existe indépendamment de l’attention que peut lui porter
l’observateur qui le décrit. Dans ce cas-ci, l’hypothèse d’ordre épistémique prend appui sur le
fait que la recherche a pour but la connaissance de ces lois qui définissent le réel, exigeant de
fait une posture de neutralité de la part du chercheur. Il n’y a pas de distinction entre le réel et
ce qui est considéré comme connaissable. La validité interne de la recherche se réalise par
l’explicitation du processus de la recherche. La validité externe s’effectue grâce à une logique
de généralisation des connaissances via des réplications dans une logique hypothético-
8 Glasersfeld E. (1984). An introduction to radical constructivism, In P.Watzlawick (ed). The invented reality:how do we know what we believe we know, New York, Norton, p.17-40.
Glasersfeld E. (2001). The radical constructivist view of science, Foundations of Science, special issue on Impact of Radical Constructivism on Science, 6/1-3, p.
Glasersfeld E. (2005). Thirty years radical constructivism, Constructivist Foundations, 1/1/, p.9-12.
9 Le Moigne J-L. (1995). Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF.
Le Moigne J-L. (2001-2002). Le constructivisme, Tome 1-2, Paris, L’Harmattan.

6
déductive sur un échantillon représentatif de la population visée, dont les lois causales
prennent la forme du raisonnement suivant : « chaque fois que A, alors B ».
Le paradigme épistémologique réaliste critique (PERC) repose sur une hypothèse d’ordre
ontologique selon laquelle le monde est composé de trois strates : le réel profond, le réel
effectif et le réel empirique. L’hypothèse d’ordre épistémique considère que le réel profond
n’est pas observable en tant que tel mais que le chercheur peut imaginer le fonctionnement
des mécanismes générateurs à l’origine des évènements actualisés. La connaissance est
générée grâce à l’abduction, car on imagine le fonctionnement des structures du réel profond.
L’évaluation des connaissances se réalise par l’explicitation détaillée du processus de la
recherche en ce qui concerne la validité interne, tandis que la validité externe s’effectue via
des comparaisons et des mises à l’épreuve successives. La connaissance peut conduire à des
règles intermédiaires : « si on observe A, selon le contexte, on peut anticiper que B… ».
Enfin, le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) dans lequel
nous nous inscrivons, repose sur une hypothèse d’ordre ontologique qui ne se prononce pas
sur l’existence d’un réel en soi. Les travaux d’Avenier (2010) établissent une proximité forte
entre le constructivisme de Guba et Lincoln (1989, 1988) et le PECP, notamment sur le
principe d’indissociabilité de l’observateur et du phénomène étudié lors du processus
d’élaboration des connaissances. En revanche, ces deux courants diffèrent d’un point de vue
ontologique. Tandis que Guba et Lincoln (1989, 1998) se positionnent en faveur de
l’existence d’une réalité multiple socialement construite, non gouvernée par des lois naturelles
ou causales, le PECP adopte un point de vue agnostique. Cela signifie que dans le cadre du
PECP, l’existence d’un réel en soi n’est ni niée, ni assurée. Le PECP ne pose pas de
suppositions ontologiques. Le savoir est explicitement considéré comme provisoire et a le
statut d’hypothèse plausible adaptée à l’expérience. Ainsi, l’hypothèse d’ordre épistémique
considère que seule l’expérience humaine est connaissable. Dans le processus de
connaissance, on reconnaît donc une interdépendance entre le sujet et le phénomène étudié,
qui existe peut-être indépendamment du chercheur qui l’étudie. L’abduction y joue un rôle
central, sans toutefois exclure l’induction. Enfin, la validité interne de la recherche se réalise
grâce à l’explicitation détaillée du processus de la recherche. La validité externe quant à elle
s’effectue via la généralisation des comparaisons et des mises à l’épreuve successives dans
l’action. Cette généralisation s’exprime sous la forme de propositions relatives à des

7
dynamiques organisationnelles temporairement stables, et des règles de type « si…, alors,
selon le contexte, il est plausible que B…».
Nous avons suivi les principes recommandés par Avenier et Parmentier-Cajaiba (2011) afin
de construire le questionnement constituant le cœur de notre travail de recherche. Il convient
tout d’abord de choisir un sujet général et la clarification des principales questions de
recherche. Cela a été réalisé dans un type de raisonnement abductif, c’est-à-dire par des allers-
retours successifs entre les observations empiriques et les lectures académiques. Nous avons
constaté que la thématique de la GRH territoriale correspondait à un intérêt multiple,
pragmatique et théorique. Nous avons pour cela assisté à plusieurs conférences et à plusieurs
évènements destinés aux praticiens de la fonction RH ou aux pilotes de projets inter-
organisationnels10 et liés à notre thématique, notamment lors du démarrage de la thèse, mais
aussi tout au long de ces quatre années. Nous avons également réalisé plusieurs entretiens
exploratoires11. A ce moment là, nous ne parlions pas de « GRH territoriale », mais plutôt de
« GRH inter-organisationnelle » ou de « GRH élargie ou étendue » ou bien encore de « GRH
hors les murs ».
Nous avons en parallèle procédé à une sélection des références théoriques majeures afin de
mener à bien une revue de la littérature académique et professionnelle. Cela a permis
d’examiner si la littérature offrait des connaissances permettant d’éclairer le problème
pragmatique afin de procurer une solution aux praticiens. Cette revue de la littérature,
présentée au chapitre 1, a en effet illustré la coexistence des enjeux véhiculés par la GRH au
sein de trois contextes inter-organisationnels. Mais au-delà des enjeux soulevés, la littérature
examinée ne donnait que relativement peu de pistes afin de comprendre la construction de la
GRH territoriale. Nous avons donc décidé d’orienter notre questionnement vers le processus
de construction de ce phénomène organisationnel et des dynamiques en jeu. Un premier 10 Séminaire de l’Observatoire International de Prospective Régionale, « Territoires et ressources humaines », Paris, 8 novembre 2007 ; «Matinée thématique GPEC », CCI de Grenoble, 12 février 2008, Grenoble ; Colloque Michel Despax, « Co-activité, compétence et territoire », Toulouse, 3 octobre 2008 ; 15ème rencontres de l’emploi et de la formation en Rhône-Alpes, « Pôles de compétitivité et ressources humaines », Lyon, 22 octobre 2009 ; 4ème Université Dideris, « Emplois, compétences et territoires », Montpellier, 25-27 août 2010. 11 Entretien avec François Bucourt, UIMM Savoie (octobre 2007) ; entretien téléphonique avec Isabelle Roissac, SPL Textile Ardèche (septembre 2008) ; entretien téléphonique avec Hugues Bertrand, Cabinet Alpha et Geste (janvier 2009) ; entretien avec Guillaume Brousseau, Pôle de compétitivité Tenerrdis ; entretien avec Sandrine Bonnaud, CIBC de la Savoie (juillet 2009) ; entretien téléphonique avec Annie Delaunay, MIF Rennes (juillet 2009) ; entretien avec Jean-François Miné, MIFE Pays voironnais (octobre 2009) ; entretien avec Isabelle Menant, Mission du développement et de l’emploi des compétences, Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé (novembre 2010).

8
travail a consisté à définir le phénomène étudié. C’est à partir de ce moment-là que nous
avons choisi le vocable de « GRH territoriale ». Puis la théorie de la traduction, ou théorie de
l’acteur-réseau, nous est apparue comme particulièrement appropriée, car elle permet
d’étudier la construction d’un réseau autour d’un objet socio-technique. Cela semblait adapté
au contexte inter-organisationnel de la GRH territoriale. Mais il fallait cerner cet objet socio-
technique à étudier, c’est pourquoi nous avons pour cela eu recours à l’ensemble conceptuel
issu de l’instrumentation de gestion. C’est ainsi que nous avons construit le phénomène
étudié, les dispositifs inter-organisationnels de GRH territoriale. A partir de là, la question de
départ a pu être reformulée en une problématique intégrant les concepts issus du cadre
d’analyse : comment se construisent les dispositifs inter-organisationnels de GRH
territoriale en termes de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et de
mobilisation des alliés ? La problématique a elle-même été déclinée en questions de
recherche, afin d’orienter plus précisément notre analyse. La méthodologie de la recherche,
découlant de notre questionnement et des choix théoriques, a ensuite été établie de manière à
réaliser une étude de cas multi-sites longitudinale à partir de la collecte de matériaux
empiriques de nature qualitative. Notre recherche étant inscrite dans ce paradigme, nous ne
formulerons ni hypothèse, ni propositions d’emblée. Notre étude de cas nous conduira en
revanche à des propositions dans la discussion finale.
La légitimation des connaissances dans le PECP se réalise grâce à un travail épistémique sur
le processus d’élaboration des savoirs et sur les produits de ce processus. Le travail
épistémique signifie que le chercheur entame une démarche réflexive sur la manière dont les
savoirs ont été élaborés. Toute recherche menée dans le cadre du PECP est acceptable, pourvu
que le travail épistémique et le travail empirique aient été menés en respectant les principes
d’éthique, d’explicitation et de rigueur (Avenier, 2010).
L’éthique constitue un point essentiel de la recherche en sciences sociales. Le chercheur se
doit d’interagir dans le respect de la dignité, de l’intégrité et de la confidentialité des individus
rencontrés dans le cadre de sa recherche. De plus le PECP implique que personne ne peut
prétendre détenir la meilleure représentation du phénomène étudié, ce qui conduit le
chercheur à considérer les praticiens interrogés sur un pied d’égalité, quelle que soit leur
fonction au sein de l’organisation. Tout au long de ce travail, nous avons porté soin au respect
du principe d’éthique en gardant confidentielle l’identité de certaines personnes et des
organisations selon leurs demandes.

9
L’explicitation peut être réalisée grâce la description approfondie (« thick description »), la
réflexivité, l’audit et la crédibilité (« trustworthiness »). La description approfondie se réfère à
la présence, dans la production de textes par le chercheur, à suffisamment de détails à propos
d’un évènement, d’une personne ou d’un ensemble, afin de capturer les nuances de sens liées
à la spécificité du contexte. Cela conduit le chercheur à s’engager dans une démarche
réflexive car il est amené à expliciter le rôle tenu dans les différentes phases du processus de
recherche. Le terme d’audit désigne l’ensemble des pratiques permettant de documenter les
différentes étapes de la recherche pour rendre explicites les inférences réalisées par le
chercheur. La crédibilité enfin se réfère à l’ensemble des efforts menés par le chercheur afin
de travailler dans la transparence et le respect d’une éthique. Afin de suivre ce principe
d’explicitation, le plus grand soin a été apporté à la restitution fine de nos études de cas, ainsi
qu’à la documentation du processus de collecte et de traitement des matériaux empiriques,
présentés au chapitre 3. Davantage d’informations en complément sont également restituées
dans les annexes (guides d’entretien, détails des entretiens réalisés, détails des documents
collectés, grilles de codage, arbre thématique avec extraits de verbatim, exemples de
retranscription d’entretien et de prises de notes, extraits de documents relatifs aux deux
terrains).
La rigueur signifie que le chercheur mène une quête afin de devenir toujours plus rigoureux
dans la manière de collecter les informations, de lire et de relire la littérature et les documents
issus du terrain de recherche. Pour cela, il peut être fait recours aux techniques de
triangulation, de « negative case analysis » et de « member check » afin de satisfaire au critère
de rigueur. Le recueil de matériaux issus de sources primaires et secondaires a permis la
triangulation des données. Avec la deuxième technique, le chercheur vise à recueillir des
éléments qui mettraient en doute ses impressions et ses interprétations initiales. Dans notre
cas, cela a été réalisé grâce à l’étude de cas multi-sites, permettant de confronter
effectivement les perceptions et les intuitions. La pratique du « member check » consiste à
soumettre aux personnes de l’étude de cas les résultats de la recherche. Nous avons suivi ce
principe et présenté nos travaux à plusieurs reprises auprès des membres du cas 1 et du cas 2,
comme cela est également relaté en détail au chapitre 3.

10
L’ensemble de ces critères ayant été respecté, nous pouvons affirmer que les connaissances
élaborées dans le cadre de ce travail sont considérées comme valables au regard du
positionnement épistémologique constructiviste pragmatique.
Cette recherche vise donc à comprendre ce qu’est la GRH territoriale et comment celle-ci se
construit. A l’issue de ce travail, nous montrerons que la GRH territoriale doit avant tout
être construite comme la mise en œuvre d’une démarche de concertation, appuyée sur
un dispositif composé d’abord d’ « instruments orientés relations », puis d’« instruments
orientés connaissances ».
Le document se présente sous la forme de six chapitres, comme l’indique la figure ci-dessous.
Chaque chapitre comporte trois ou quatre sections. A l’issue de chaque chapitre est proposée
une synthèse des enseignements du chapitre et une conclusion.
Le chapitre 1 vise à cerner les intérêts et les enjeux d’une GRH inter-organisationnelle. Pour
cela, les enjeux de la fonction RH au sein de trois contextes inter-organisationnels sont
présentés. Le chapitre 2 est consacré d’une part, à mieux cerner les contours de ce
phénomène que nous nommerons ensuite « GRH territoriale » et d’autre part, à l’élaboration

11
d’un cadre théorique adapté. Les enseignements tirés de ces chapitres nous conduisent à
reformuler la question de départ en une problématique et des questions de recherche.
Le chapitre 3 présente la mise en œuvre du design de la recherche à travers différents choix
méthodologiques effectués. Nous présentons également les deux terrains choisis, à savoir le
projet « Gestion du Capital Humain » au sein du pôle de compétitivité Arve Industries Haute-
Savoie Mont-Blanc (cas 1), et le projet « Gestion Territoriale des Ressources Humaines » mis
en œuvre par la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors
(cas 2).
Les terrains faisant l’objet de l’étude de cas ont été analysés puis interprétés. D’abord, ils ont
fait l’objet d’une analyse thématique afin de considérer l’évolution des dispositifs dans leurs
contextes respectifs. Ces résultats sont présentés au chapitre 4 pour le cas 1 et au chapitre 5
pour le cas 2. Ensuite, le chapitre 6 présente ces éléments replacés dans le cadre de la théorie
de l’acteur-réseau. Ce chapitre 6 se termine par une synthèse et une discussion des résultats
ainsi que la formulation de la thèse défendue.
La conclusion générale rappelle le déroulement du projet de recherche. Plusieurs pistes
d’actions à l’attention des praticiens sont formulées. Les principales contributions de cette
recherche seront précisées, avant d’énoncer les limites de ce travail, puis de proposer quelques
voies de recherche futures.

12

13
Chapitre 1 : Intérêts et enjeux d’une GRH
inter-organisationnelle : examen de la littérature
Avant même de recourir à la notion de « GRH territoriale », dont une définition plus
spécifique sera proposée au chapitre 2, il s’agit de retracer, au fil de ce chapitre, l’historique
de l’émergence de ce qu’il convient de nommer dans un premier temps indistinctement, une
« GRH inter-organisationnelle », « GRH hors les murs », une « GRH étendue » ou « GRH
élargie ». Ce chapitre s’appuie essentiellement sur un examen de la littérature académique.
La littérature permet de distinguer trois contextes inter-organisationnels différents :
l’entreprise-réseau, les réseaux territoriaux d’organisation, et la proximité géographique et
organisée. Chaque contexte est présenté ainsi que les enjeux de gestion des ressources
humaines ayant été identifiés.
Figure 1: Plan de la thèse et chapitre 1

14
Ce chapitre est construit de manière à mettre en exergue les enjeux de la GRH « hors les
murs » (Le Boulaire et al. 2010) dans trois contextes inter-organisationnels :
La première section met en perspective le développement de l’entreprise-réseau avec
la fonction RH : comment évolue la fonction RH au sein de ces configurations
réticulaires ?
La deuxième section s’intéresse aux cas particuliers des réseaux territorialisés
d’organisation (les clusters, districts industriels, Systèmes Productifs Locaux et pôles
de compétitivité) : ces situations sont-elles propices à l’essor de pratiques de GRH
« hors les murs » ?
La troisième section s’intéresse aux relations nouées entre les acteurs publics et privés
dans un contexte de proximité : quelles sont les initiatives locales de « GRH élargie »
sur les territoires ?
La conclusion de ce chapitre présente les principaux enseignements tirés de l’examen
de la littérature.

15
1. La fonction RH au sein de l’entreprise-réseau : un enjeu
d’ajustement des pratiques au sein des partenariats inter-
organisationnels
Les pratiques de GRH sont-elles amenées à évoluer du fait du passage de l’entreprise intégrée
à l’entreprise-réseau ? Le concept de « réseau organisationnel » est le point de départ de la
revue de littérature. En effet, au sein de ces formes d’organisations réticulaires, un premier
ensemble de travaux identifie une tendance forte à l’élargissement du périmètre de
l’organisation (1.1.), tandis qu’un second ensemble pointe les enjeux liés à la gestion des
ressources humaines au sein de ceux-ci (1.2.).
1.1. De l’intra- à l’inter-organisationnel : l’essor de l’entreprise-réseau
La configuration en réseau d’entreprises n’est pas nouvelle, car comme le rappellent Géniaux
et Mira-Bonnardel (2003a), les marchands vénitiens, les banquiers florentins ou les soyeux
Lyonnais étaient déjà organisés de la sorte. Un regain d’intérêt sera de nouveau accordé à ces
structures à partir des années 1980 (Thorelli, 1986). Depuis, une polysémie de la notion de
réseau a émergé (Fréry, 1996), complexifiant l’appréhension de cette configuration
particulière. De manière générale, on parle de « relations inter-organisationnelles » entre les
firmes, désignant les « liens, nourris à la fois socialement et économiquement, entre
organisations : peut-être devrait-on dire entre individus agissant pour le compte de leur
organisation. De tels liens supposent donc que se noue un type d’échange qui déborde le
cadre de la simple transaction de marché. Les relations inter-organisationnelles répondant à
la fois à une logique économique et à une logique sociale, les approches mobilisées pour les
étudier reflètent bien évidemment cette diversité et sont donc multiples » (Forgues et al. 2006,
p.17-18). La notion de réseau est une forme particulière de relations inter-organisationnelles.

16
1.1.1. Différentes configurations de réseaux inter-organisationnels
1.1.1.1. Le réseau inter-organisationnel, entre marché et hiérarchie
La notion de réseau, compris comme configuration organisationnelle, est historiquement
construite à partir de la théorie des coûts de transaction de Williamson (1981). Jarillo (1988)
rappelle les fondements de cette approche : le « marché » et la « hiérarchie » sont considérés
comme deux modes d’organisation des activités économiques. A l’origine, l’interrogation
porte sur les raisons qui poussent au développement des firmes intégrées, concentrant un
ensemble d’activités plutôt que conservant une situation de marchés, où l’activité économique
serait réalisée grâce à une constellation d’unités atomistiques. En l’absence de coûts de
transaction, les firmes n’auraient pas intérêt à intégrer différentes fonctions. Cela leur
permettrait non seulement d’atteindre des économies d’échelles en se recentrant sur les
compétences-clés, tout en bénéficiant de la flexibilité de changer de fournisseurs lorsque cela
est nécessaire. Mais si des coûts de transactions sont existants, alors les firmes auront intérêt à
intégrer des activités. En revanche, si une firme est capable de diminuer ses coûts de
transaction, alors elle peut également se séparer de certaines activités afin de se concentrer
uniquement sur les avantages comparatifs. Ces coûts de transaction peuvent notamment être
réduits dans le cas des réseaux stratégiques (Jarillo, 1998).
Dans la lignée de ces réflexions, le réseau peut donc être considéré selon un continuum entre
le marché et la hiérarchie. Il est tantôt considéré comme l’une des formes relevant de la
transaction de marché (Miles et Snow, 1992), tantôt comme une forme hybride, alternative
entre le marché et la hiérarchie (Fréry, 1996 ; 1997 ; Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003a ;
Thorelli, 1986 ; Weiss, 1992, 1994).
D’autres auteurs considèrent quant à eux le réseau comme une forme organisationnelle à part,
distincte à la fois du marché et de la hiérarchie (Powell, 1990 ; Heitz, 2000). Le réseau y est
appréhendé en tant que configuration organisationnelle. De manière générale, un réseau se
définit comme « un objet d’analyse global de l’interaction d’au moins deux entreprises
juridiquement distinctes ; il se caractérise par des critères variés, tels le nombre d’entreprises
en interaction, la nature des interrelations, le niveau de contractualisation des engagements,
les actifs propres du réseau » (Heitz, 2000, p.60-61).

17
1.1.1.2. L’entreprise-réseau Les réseaux s’entremêlent et se superposent. Ainsi, à un premier niveau, certaines entreprises
sont à la tête d’un réseau constitué d’établissements, de sièges sociaux, de centres de
recherche, de partenaires, de sous-traitants, de fournisseurs, etc. Elles constituent ainsi une
première forme de réseau, que la littérature qualifie « d’entreprise-réseau » : dans ce cas,
l’accent est plutôt porté sur les relations dyadiques entre la firme pivot et ses partenaires. Mais
ces entreprises font également parfois partie d’un autre type de réseau, plus large, c’est-à-dire
formant un réseau d’entreprises, constitué à distance ou bien territorialisé. Nous nous
attachons dans cette section, à la notion d’entreprise-réseau (le cas des réseaux territorialisés
d’organisation sera traité à la section suivante).
La notion d’entreprise-réseau renvoie à l’organisation interne et réticulaire des organisations
du point de vue d’une organisation. Ces travaux décrivent l’avènement de l’entreprise post-
industrielle, éloignée de la forme bureaucratique et hiérarchisée. Par extension, les études sur
les entreprises-réseau décrivent comment une entreprise donneur d’ordre organise et gère les
relations nouées avec d’autres entreprises (sous-traitance, partenariat, joint-venture). Le plus
souvent, ce type de réseau s’articule autour d’une firme « donneur d’ordre », d’une « firme
amirale », ou « principale », « centrale », « guide », « fondatrice », « émettrice » ou « focale »
(Weiss, 1992), selon les auteurs. Elle entretient des relations asymétriques avec ses
partenaires, compte tenu de l’influence non réciproque qu’elle exerce sur leur stratégie
(Leclair et Le Boulaire, 1999). Fréry (1996) emploie le terme « d’entreprise transactionnelle »
afin de désigner « une structure qui rassemble des entreprises capitalistiquement
indépendantes au sein d'une même chaîne de valeur ajoutée ».
1.1.1.3. Typologie de réseaux
Rorive (2005) propose une typologie des configurations réticulaires de nature
pluridimensionnelles.
Le réseau interne se définit par une seule structure juridique. Il s’agit par exemple d’une
multinationale restructurée en réseau. Il ne concerne donc pas notre étude.

18
Le réseau intégré fait généralement suite à la démarche d’externalisation d’une firme, qui se
trouve alors par exemple entourée de ses filiales, ou bien d’un réseau de franchises.
Le réseau pendulaire est caractérisé par une cascade de relations de sous-traitance, tels que les
centres d’appels, la mise à disposition de personnel, les prestations sur un site. Au sein du
réseau pendulaire prédomine l’existence de plusieurs enveloppes organisationnelles.
Le réseau fédéré est une forme de sous-traitance de longue durée. Dans ce cas, les décisions
sont émises par le donneur d’ordre.
Le réseau nucléique est caractérisé par la prédominance d’une firme noyau qui rassemble des
partenaires pour la durée d’un projet. Il est ainsi édifié à partir d’enveloppes juridiques et
organisationnelles distinctes.
Au sein des réseaux confédérés, les entreprises sont généralement concurrentes et choisissent
de travailler ensemble à moyen ou à long terme pour la durée d’un projet ou la pénétration
d’un marché. Le partenariat est plutôt stable et se démarque par l’identification d’un
coordinateur.
Comment cela est développé ensuite, chaque forme de réseau voit se développer des pratiques
de gestion des ressources humaines particulières.
1.1.2. Quel intérêt pour les firmes ?
1.1.2.1. Développer un avantage stratégique
L’implication des firmes au sein des relations inter-organisationnelles serait source d’un
avantage stratégique, permettant de développer de nouvelles connaissances et de renforcer la
position centrale d’une firme au sein d’un environnement concurrentiel (Hardy et al. 2003).
En effet, les relations de coopérations des firmes au sein de « réseaux stratégiques » peuvent
être une source de compétitivité (Jarillo, 1988). De ce point de vue, le réseau est souvent
présenté comme une forme organisationnelle permettant de cumuler des avantages en termes
de souplesse, de flexibilité, de richesse, de dynamisme, et présentant un potentiel d’innovation
(Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003a). D’autres raisons poussent les entreprises à développer

19
des alliances stratégiques, des collaborations et des partenariats et relations inter-
organisationnelles (Forgues et al.2006) : la recherche de flexibilité, la capacité d’ajustement
au changement (Bahrami, 1992), la quête d’une certaine légitimité grâce aux alliances
stratégiques nouées (Dacin et al. 2007). L’implication au sein d’un réseau permet à
l’entreprise d’obtenir les ressources nécessaires, mais constitue également une contrainte en
termes de dépendance et de gestion de l’incertitude (Galaskiewicz, 1985). Le réseau revêt
l’avantage de fournir la possibilité à chaque entité de se spécialiser et permettrait donc
d’aboutir à une diminution globale du coût de production. Il se maintient dans le temps grâce
à des liens établis générant de la confiance et diminuant les coûts de transaction. Afin de
survivre dans un environnement devenu « hypercompétitif », les firmes sont amenées à
développer de nouvelles connaissances, grâce aux collaborations établies avec d’autres
(Hanssen-Bauer et Snow, 1996).
1.1.2.2. Cultiver le réseau social
Peu à peu, différents travaux vont s’intéresser non plus seulement à la structure
organisationnelle, mais également à la structure sociale de ces réseaux. Il était considéré
jusqu’alors que les individus étaient complètement déterminés par l’organisation interne. Les
travaux de Mark Granovetter (1973) rejettent ce postulat et vont au contraire, plaider en
faveur de la capacité des individus à jouer leur propre jeu et à établir des relations qui vont
dépasser les frontières de l’entreprise (Grossetti, 2004, 2008). Granovetter (1973) démontre
que les liens faibles entre les individus sont vecteurs de l’intégration des personnes au sein
d’un réseau et que les liens forts peuvent à contrario être source de fragmentation sociale.
L’approche des réseaux sociaux a peu à peu été intégrée dans les sciences du management.
Elle permet notamment d’insister sur « le caractère socialement construit des dynamiques
organisationnelles enchâssées dans des contextes structurels singuliers » (Baret et al. (2006,
p.100). Bien que n’ayant pas adopté le cadre conceptuel propre aux réseaux sociaux dans nos
recherches, il est important de souligner que ces travaux ont ouvert la voie à des réflexions
autour des implications d’une « gestion sociale » et « humaine » des relations inter-
organisationnelles, dans laquelle s’inscrit cette recherche.
Au début des années 90, le courant de recherche sur les réseaux a pris un essor considérable et
s’accompagne également des premières interrogations sur l’implication qu’ont ces nouvelles

20
formes d’organisations pour les différentes fonctions de l’entreprise et notamment la gestion
des ressources humaines.
1.2. La GRH au sein de l’entreprise-réseau : entre tensions et
transformations Plus généralement, il devient nécessaire d’inclure les questions liées et à la gestion des
ressources humaines et à l’emploi dans les travaux portant sur les partenariats inter-
organisationnels (Rubery et al., 2003). Les frontières de l’organisation étant « perméables »,
les salariés travaillants au sein d’une organisation sont influencés par les pratiques de GRH
d’autres organisations. Les concepts traditionnels de la GRH seraient donc, selon Kelliher et
al. (2004), inadéquats afin de prendre en compte cette nouvelle réalité. La littérature permet
de mettre en exergue deux points particulièrement saillants.
D’une part, plusieurs travaux interpellent l’évolution de la fonction RH au sein de ces
nouvelles configurations en réseau lors du passage d’une logique purement contractuelle à
une logique de réseau stratégique (Paché, 1992). La distinction entre un marché interne et un
marché externe du travail interroge la fonction RH.
D’autre part, le mouvement de décentralisation et d’externalisation qui semble caractériser
cette décennie remet en cause la GRH au sein des différentes formes de réseaux. La fonction
RH, dans ce contexte réticulaire est appelée à « effectuer certaines de ses activités
traditionnelles, dans un cadre nouveau, non salarial » (Cazal, 1992, p.386). La littérature
pointe les tensions liées à la coexistence de politiques RH notamment au sein des réseaux de
sous-traitants.
1.2.1. Des marchés internes du travail aux marchés externes ou une GRH
duale ?
Dans les années 1990, la relation d’emploi traditionnelle s’est trouvée remise en question. Un
certain nombre d’entreprises entreprennent des restructurations et de se séparer de certains de
leurs systèmes de gestion des ressources humaines. Ainsi, de nombreuses entreprises évoluent

21
vers des formes de « conglomérats ». Elles sont guidées par un mouvement de retour sur les
compétences-clés. L’émergence d’une nouvelle relation d’emploi se développe comme
alternative au marché du travail interne, impliquant alors davantage d’interactions entre les
employés et les employeurs, et dans un contexte de développement de marchés du travail
externes. Autrefois caractérisée par la sécurité de l’emploi de la part de l’employeur en retour
du travail fourni, la relation d’emploi s’est transformée en un échange nouveau : l’employeur
s’engage à former le salarié afin de développer son « employabilité » auprès d’autres
entreprises, mais sans garantie d’un emploi à vie (Kalleberg et al. 1995).
Cette distinction entre plusieurs modèles de gestion des ressources humaines a été reprise
dans différents travaux traitant l’élargissement de la fonction RH au-delà des frontières de
l’organisation (Barreau 1997 ; Cadin, 1997 ; Rubery et al. 2003 ; Kang et al. 2007).
1.2.1.1. Le modèle de la surclasse Vs. le modèle des solidarités
Selon Barreau (1997), deux scénarios seraient possibles : le « modèle de la surclasse » et le
« modèle des solidarités ». Dans le premier cas, la GRH étendue serait dédiée seulement aux
seules ressources humaines sur lesquelles se joue la compétitivité. Il s’agit d’une « petite élite
cosmopolite », évoluant sur un marché du travail « peu contrôlé par l’entreprise, tandis que le
reste du personnel, composé de salariés plus ou moins précaires et interchangeables, fait
l'objet de pratiques qui relèvent davantage de l'administration que de la gestion des
ressources humaines. Ce « modèle de la surclasse » entraîne de profondes ruptures des
compromis sociaux, en engendrant une structure très polarisée. » Dans ce cas-ci, la GRH
reste confinée à l’intérieur du périmètre de l’organisation. La responsabilité de la gestion de la
carrière est transférée à une certaine catégorie de salariés, capable d’organiser par eux-
mêmes, leur carrière nomade. L’extension de l’entreprise-réseau aurait pour conséquence le
renforcement d’un système de gestion dual entre des salariés « mobiles », responsables de leur
carrière, et des salariés voués à demeurer au sein d’une seule organisation. Cadin (1997)
identifie également la coexistence de deux conceptions de la GRH : la première est tournée
vers le « marché interne » (Atkinson, 1984) où « les normes de GRH s'arrêteraient aux
frontières de l'entreprise ». Rubery et al. (2003) qualifient cela en termes de relation d’emploi
« transactionnelle » et « relationnelle ». La première situation correspondrait au modèle de la
surclasse, qui réserve une GRH dédiée aux « salariés clés ». Cette idée est aussi celle
présentée par Kang et al. (2007), qui mettent en avant le rôle de la GRH afin de développer

22
une meilleure gestion du flux de connaissances, à l’intérieur de la firme, mais également au-
delà de ses frontières. Plus spécifiquement, ce type de structure de GRH distingue quatre
groupes de salariés : les salariés détenant les connaissances clés, permettant à la firme le
développement d’une base de connaissances spécifiques et sources de compétitivité, les
salariés « traditionnels », détenant des connaissances importantes, mais non distinctives, et
des salariés externes (des salariés contractuels et des partenaires externes possédant de
connaissances non directement sources de compétitivité pour l’entreprise). Ces groupes de
salariés sont considérés comme contribuant de différentes manières à la compétitivité de la
firme. Il y aurait donc de multiples configurations RH produites, poussant donc à des
pratiques de GRH différenciées en fonction des groupes de salariés. L’un de ces groupes de
salariés est « périphérique ». Cela peut être considéré comme une déclinaison de l’entreprise-
réseau.
L’alternative au « modèle de la surclasse » serait le développement d’un second scénario, plus
optimiste. Celui-ci envisage au contraire, une sorte de « développement social conjoint » entre
les firmes-amirales et celles de leurs principaux fournisseurs (Leclair et Le Boulaire, 1999,
p.44). Dans ce cas-ci, l’entreprise reconnaît la contribution d'une majorité de salariés à la
création de valeur. A cet effet, elle privilégie la flexibilité interne et tente de garantir, lorsque
cela est possible, les apprentissages collectifs dans le réseau. La GRH passe peu à peu d'une
conception tournée vers la gestion du marché interne à une conception de la GRH élargie et
« en dehors de ses frontières » (Cadin, 1997). Cela renvoie à une GRH caractérisée par des
relations de collaboration et de coordination entre deux partenaires liés par un contrat, entre
les salariés et les managers. Cette conception indique implicitement l’existence d’un mode de
management unique entre les différentes unités (Rubery et al. 2003).
D’autres auteurs ont constaté le développement des formes de GRH inter-organisationnelles
différentes dans des contextes de réseaux différents (Kinnie et al. 2005 ; Rorive, 2005).
1.2.1.2. Des pratiques de GRH influencées par la nature du réseau
Au sein des partenariats inter-organisationnels, les pratiques de GRH seraient en réalité,
conditionnées par la nature même du réseau.

23
Kinnie et al. (2005) ont étudié l’influence des caractéristiques externes à l’entreprise dans
lequel chaque firme se trouve. Dans le premier cas étudié, la firme occupe une position
centrale dans le réseau et le système RH capitalise sur les compétences et les connaissances
distinctives de ses salariés. Les managers encouragent ainsi les pratiques RH qui permettent
aux employés de s’impliquer davantage au sein de ce réseau. Dans le second cas, la firme tire
un avantage stratégique grâce aux contrats établis avec ses clients, dont l’influence est directe
sur ses pratiques de GRH. L’étude montre donc que le choix d’une stratégie de GRH est
contraint, à divers degrés, par les caractéristiques du réseau auquel l’entreprise participe. Cette
influence est parfois limitée et subtile, mais elle peut être aussi plus directe et explicite.
La typologie des configurations réticulaires de Rorive (2005) permet de repérer quelles sont
les pratiques de GRH dominantes au sein de chacune de ces configurations.
Au sein du réseau intégré, la GRH est centralisée et dispose d’une faible marge de
manœuvre. La politique RH est définie par le centre stratégique et est imposée aux entreprises
du réseau. Ce système de gestion est dual, car les salariés dédiés aux activités à forte valeur
ajoutée bénéficieraient de conditions avantageuses, tandis que les personnels non stratégiques
« font l’objet d’un nivellement par le bas. » Cela correspondrait peu ou prou au modèle de la
surclasse.
Au sein du réseau pendulaire prédomine l’existence de plusieurs enveloppes
organisationnelles, où le système de GRH de l’employeur juridique et de l’entreprise
utilisatrice se télescopent. Il appartient au salarié de s’adapter à ce contexte au sein duquel la
GRH est « éclatée ».
Le réseau fédéré est une forme de sous-traitance de longue durée. Dans le cas du réseau
fédéré, le donneur d’ordre intervient directement dans la GRH de ses partenaires, notamment
lorsque le développement des compétences est crucial dans la réalisation des activités du
réseau. En l’absence de DRH de réseau, les rapports de travail sont complexes et son bon
fonctionnement dépend de la volonté des différentes parties prenantes.
Les entreprises faisant partie du réseau nucléique sont particulièrement sensibilisées au
développement des compétences organisationnelles et techniques du personnel, sans toutefois
que les employeurs n’outillent ni ne balisent cette autonomie.

24
C’est uniquement au sein des réseaux confédérés qu’une gestion des ressources humaines
élargie est identifiée par l’auteur. Dans ce cas-ci, la gestion des personnels des membres du
réseau peut être déléguée vers la structure de coordination afin d’ajuster les conditions de
travail et de rémunération et de contribuer au développement des compétences techniques.
Les pratiques de GRH observées au sein de différentes formes de réseaux semblent indiquer
une certaine difficulté à concevoir une GRH élargie, mais lorsque cela est le cas, il semble
que certains types de réseaux soient davantage propices à cela.
1.2.2. Les tensions de la GRH au sein de l’entreprise-réseau La littérature adressant la question de la gestion des ressources humaines dans le contexte de
l’entreprise-réseau annonce aussi des s enjeux liés à la mise en place de pratiques de GRH
inter-organisationnelles. Une partie de la littérature s’est concentrée sur les pratiques de
gestion des ressources humaines dans le cas de la gestion des chaînes de valeur.
1.2.2.1. L’influence du client au sein des chaînes de valeur sur la GRH des
entreprises partenaires
Un courant de recherche plaide en faveur d’un rôle croissant de la fonction RH au sein des
partenariats stratégiques établis dans le cadre de chaîne de valeur (Ashkenas, 1990; Jick,
1990; Lake, 1990).
Dans le cas des partenariats entre clients et fournisseurs, Hunter et al. (1996) indiquent que
l’influence croissante des donneurs d’ordre s’exerce peu à peu dans le champ de la gestion des
ressources humaines. Les auteurs identifient trois formes d’implication de la part de
l’entreprise cliente dans la GRH de son partenaire : la formation et le développement des
salariés, l’ajustement culturel et la négociation auprès des instances représentants du
personnel. La mise en place d’une concertation entre clients et donneurs d’ordre au sein d’un
réseau partenarial occupe donc une place considérable pour le bon fonctionnement de celui-ci.
La GRH représenterait un soutien important dans l’établissement de partenariats inter-
organisationnels.

25
Plus globalement, de nombreux changements stratégiques et organisationnels sont réalisés
afin d’être en phase avec les attentes du client. De nouvelles compétences sont requises, qui
amènent les entreprises à effectuer des transformations partielles de leurs pratiques de GRH
(système d’appréciation, modalités de rémunération, nouvelles filières professionnelles), soit
à modifier significativement leur politique RH, en développant une « gestion globale des
compétences client » (Havard, 2008). Weiss (1994) indique deux étapes dans l’appui de
l’entreprise-pivot envers ses partenaires : d’abord, la prise en charge de la formation des
personnels sous-traitants, ensuite un soutien à la mise en place d’outils de gestion adéquats,
afin que ses partenaires puissent répondre aux exigences de qualité. Lorsque le client exerce
ainsi une influence croissante sur la GRH de son partenaire, on peut assister à une hybridation
des modes d’organisation, aboutissant au final à une superposition de politiques de GRH
différentes. Finalement, « une part croissante de la fonction RH est directement prise en
charge par les clients, ce qui brise les règles conventionnelles du jeu line/staff sans évacuer
cependant la prégnance des facteurs politiques. Cela implique notamment le renouvellement
radical des rôles et outils traditionnels de la fonction RH (techniques de motivation, culture
organisationnelle et identité, politique de communication et formation, modalités du dialogue
social, etc. » (Pichault, 2000, p.15). Rorive (2005) indique de même que l’influence des
clients sur le marché a pour conséquence une « hybridité des modes d’organisation du travail
et de gestion des ressources humaines » (ibid., p.64), découlant des exigences du client du
donneur d’ordre ou du partenaire. Dans cette optique, la fonction RH aboutirait à « une
fonction ressources humaines transverse aux entreprises du réseau, laquelle favoriserait
l’intégration des personnels non subordonnés et la formulation de stratégies fonctionnelles,
facteur de consolidation d’une stratégie d’alliance durable » (Weiss, 1994, p.102).
Rubery et al. (2002, 2003, 2004) identifient les principales difficultés découlant des situations
de travail où plusieurs relations d’emplois se chevauchent. Ils mettent l’accent en particulier
sur les sources de tensions et de conflits : la protection sociale et légale des salariés,
l’implication au travail des salariés, la mise en œuvre des « bonnes pratiques » de GRH
« universelles », la coexistence de plusieurs politiques de rémunération et des systèmes
d’appréciation, la culture organisationnelle, la politique de communication, la formation et les
modalités du dialogue social. Weiss (1994) constate qu’au sein de l’entreprise-réseau, c’est la
négociation sociale qui demeure problématique, car celle-ci est éclatée entre plusieurs unités.
Selon cet auteur, les syndicats sont appelés à inventer « une représentation des salariés en
réseau le long de la chaine logistique tout entière » (ibid., p.100).

26
Globalement, l’évolution de ces formes organisationnelles n’a pas été accompagnée de
l’évolution des pratiques de gestion des ressources humaines, qui elles, sont toujours fondées
sur une vision de la firme intégrée et hiérarchisée (Leclair et Le Boulaire, 2002, p.51).
D’autres travaux se sont intéressés à la GRH dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement
(Koulikoff-Souviron et Harrison, 2010). Scarbrough (2000) examine les pratiques de GRH
développées en support de la chaine logistique. L’étude montre que celles-ci sont soit isolées,
soit en retard. Certaines pratiques sont plus largement mobilisées que d’autres, notamment les
actions de formation, considérées comme un moyen important de socialisation. Quelques
freins sont également identifiés. Tout d’abord, il est fréquent de trouver au sein de ces
partenariats, des relations de travail caractérisées par une forte pression, conduisant les acteurs
à mettre de côté les pratiques liées à la formation, à la communication et au développement de
la cohésion d’équipe, censées favoriser la motivation des salariés. Ensuite, une deuxième
menace est identifiée du côté de la relation d’emploi, car les systèmes de paie, gérés
hiérarchiquement par l’entreprise ne sont pas en phase avec la réalité du travail des salariés,
constamment en relation avec leurs clients. Enfin, la chaîne logistique crée une demande
importante en termes de compétences solides, permettant une certaine flexibilité dans les
comportements, et nécessaires à une meilleure intégration. L’auteur conclut que les relations
inter-organisationnelles ont évidemment une forte incidence sur l’organisation du travail et la
gestion des ressources humaines, mais que ces pratiques sont encore souvent le lieu de
conflits.
1.2.2.2. L’impact de la montée des NTIC pour la GRH
La réticularisation des organisations va également de pair avec la montée des NTIC
(nouvelles technologies de l’information et de la communication), ayant de nombreuses
incidences sur l’organisation du travail. Les conséquences sur la relation d’encadrement sont
en particulier étudiées par Deffayet (2001), qui illustre l’augmentation de la distance,
physique et communicationnelle, entre le manager et son collaborateur, ainsi que
l’accroissement de la perception du contrôle social. Jacob et al (2003) s’attèlent également à
l’étude de la gestion des ressources humaines à l’interface entre les nouvelles formes
organisationnelles en réseau et les technologies réseau. Ils distinguent cinq défis majeurs en
GRH liés aux nouvelles technologies de l’information et de communication (ibid., p.123) :

27
- « le défi de la professionnalisation systémique de l'avoir intellectuel des décideurs » :
le repérage des savoirs stratégiques complémentaires des équipes de direction
représente un enjeu de taille. Cette gestion des compétences adaptée permettrait
d’ajuster au mieux les complémentarités entre les différents partenaires d’un réseau.
- « le défi de la responsabilisation en contexte d'instantanéité et d'intemporalité
informationnelle » : la fonction RH doit contribuer à construire une culture qui
favorise l’autonomie et la responsabilité individuelle auprès des différents groupes
d’acteurs.
- « le défi de la formation qualifiante et continue dans un contexte d'accélération ou
d'obsolescence de l'information structurante » : la formation, dans ce contexte élargi,
repose sur différentes formes d’apprentissage.
- « le défi de l'intercommunication en contexte réseau » : la GRH doit participer à la
fluidification de l’information.
- « le défi de la cohérence des pratiques de GRH dans un environnement en réseau » :
différentes pratiques de GRH coexistent au sein d’un réseau, il est donc nécessaire
d’envisager une cohérence globale.
L’organisation en réseaux remet en cause les circuits d’information et les relations
hiérarchiques, occasionnant une transformation du rôle d’encadrement vers celui de
« manager intermédiaire ». Ces derniers doivent en effet endosser de nouvelles fonctions de
coordination, de communication et de négociation. De manière générale, ces nouveaux
managers doivent développer des compétences accrues de manière à pouvoir travailler en
autonomie et doivent être aptes à des coopérations multiples (Gosset et Laurence, 2005).
1.2.2.3. Un rôle de facilitateur des partenariats pour la fonction RH
Un courant de recherche s’est intéressé au rôle facilitateur de la GRH dans le contexte des
coopérations interentreprises (Lake, 1990 ; Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 2003). Arnaud
(2008) montre ainsi que cette coopération interentreprises ne se réalise pas uniquement de

28
manière centralisée et hiérarchisée. Elle se déroule aussi dans le temps grâce à des interactions
organisées. A cet effet, il est donc nécessaire de construire un cadre commun d’échange.
L’auteur met à jour les implications managériales de l’étude et propose des recommandations
en termes de recrutement et de formation des individus de chaque collectif, tout autant qu’à
l’aménagement de l’espace de travail et des outils qui seront des actants du collectif, et plus
largement les politiques d’accompagnement de cette dynamique. Ce sont des leviers d’action
pour favoriser la coopération des salariés.
La question de la gestion des compétences au sein des nouvelles configurations
organisationnelles est également soulevée par Géniaux et Mira-Bonnardel (2003b), pour qui
cela constitue un défi et soulève un certain nombre de questions : comment gérer des
compétences locales dans un contexte global ? Comment mettre en place des mécanismes
d’apprentissage dans les réseaux ? Comment piloter la GRH au sein des réseaux de manière à
conserver une certaine convergence ? Face à ces interrogations, les auteurs identifient les
mutations de la fonction RH, parmi lesquelles l’évolution de la fonction RH vers un rôle de
« facilitateur » : « La fonction RH dans l’entreprise en réseau doit incorporer dans son
analyse RH des ressources dont elle ne maîtrise ni la gestion, ni le développement qualitatif
ou quantitatif. Pourtant qui mieux que la fonction RH peut mettre en œuvre le processus de
socialisation indispensable au fonctionnement du réseau ? » Plus précisément, ce rôle serait
décliné en trois niveaux : la mise en place et la consolidation d’une stratégie de ressources
(identification des ressources et compétences disponibles au sein de la firme), l’établissement
et la consolidation de la confiance et la consolidation du sens par la communication (ibid.,
p.1252). Ces auteurs ont par ailleurs observé dans certaines entreprises en réseau,
l’instauration de pratiques trans-frontières organisationnelles de management des
connaissances et des compétences (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003a).
La littérature sur l’entreprise-réseau ne précise pas quel est le rôle joué par la notion de
proximité géographique. Grossetti (2008) s’est intéressé aux échanges réalisés entre les
organisations. Il montre que les échanges sont plus fréquents lorsque la proximité
géographique est plus forte, dans des conditions de proximité non-spatiale équivalente (c’est-
à-dire lorsque qu’il existe de formes de coopérations ou d’un système de références commun).
C’est pourquoi la section suivante traite de la notion de réseaux territorialisés d’organisation.

29
Synthèse de la section 1
Au sein des formes de réseaux inter-organisationnels, un certain nombre de travaux se sont
intéressés à l’éclatement de la fonction RH, mettant ainsi en exergue, d’une part, la tendance
au développement d’une GRH duale, et d’autre part, les tensions résultant de la co-existence
de plusieurs systèmes RH.
Cependant, plusieurs points restent à approfondir. D’abord, ces travaux ne s’intéressent qu’à
l’étude de la GRH au sein de l’entreprise-réseau, c’est-à-dire essentiellement dans le cadre de
relations dyadiques, entre une firme-pivot et de ses sous- traitants ou clients. Or, comme nous
l’avons précisé, la notion de réseau renvoie aussi à l’idée d’un réseau d’entreprises, à la
manière de grappes d’entreprises. Il est donc nécessaire d’approfondir l’étude des enjeux
d’une GRH dans le contexte de réseaux territoriaux d’organisations.
Ensuite, ces perspectives ne considèrent les enjeux de la GRH inter-organisationnelle qu’à
travers le prisme des relations inter-entreprises, c’est-à-dire entre des organisations de nature
identique. Or, lorsqu’il s’agit de prendre en compte la proximité des entreprises sur un
territoire, d’autres acteurs sont à inclure dans l’étude d’une GRH élargie, tels que les
institutions publiques et les organismes privés liés à l’emploi et à la formation. Ces aspects
sont étudiés dans la section 2.

30
2. Les pratiques RH au sein des réseaux territorialisés
d’organisation : un enjeu de développement des compétences
individuelles et territoriales au service de l’innovation
Au cours de la section précédente, nous avons présenté les enjeux de la GRH dans un premier
contexte, celui de l’entreprise-réseau et de ses partenaires. Afin d’aller plus loin dans cet état
des lieux théorique, nous examinons maintenant les enjeux de la GRH dans un autre contexte,
celui des réseaux territorialisés d’organisation. Ehlinger et al. (2007) définissent les « réseaux
territorialisés d’organisation » (RTO) comme un « ensemble coordonné d’acteurs
hétérogènes, géographiquement proches, qui coopèrent et participent collectivement à un
processus de production » (ibid., p.156). Par rapport au contexte précédent, le regard se porte
davantage sur les liens engendrés par la proximité géographique. Le contexte de réseau
territorialisé d’organisation est celui dans lequel se déroule l’étude de cas 1 (projet Gestion du
Capital Humain au sein d’un pôle de compétitivité).
Pecqueur (2005, 2009) constate un regain d’intérêt récent pour ces formes de réseaux de
proximité, auxquelles il se réfère par le phénomène de « cluster » au sens large. Le cluster
serait une forme d’organisation particulièrement adaptée à l’économie moderne, car elle
permettrait de faire face à la globalisation, en facilitant le développement de « capacités
collectives d’adaptation ». Le concept de cluster prend son essor dans la théorie économique à
partir des travaux d’A. Marshall, qui développe l’idée selon laquelle des entreprises voisines
pourraient bénéficier d’une diminution de leurs coûts de production. A. Marshall est considéré
comme le père fondateur d’un courant de recherche sur les milieux industriels, les réseaux
innovateurs, les districts et systèmes productifs locaux. Il s’est intéressé à la main-d'œuvre
locale, qui peut contribuer à constituer un marché du travail spécialisé, propice à la fixation
des compétences d’un territoire. De ce point de vue, c’est l’investissement collectif auprès des
travailleurs qui contribue au développement du territoire et à l’émergence d’une « atmosphère
industrielle » (Marshall, 1920, cité par Zimmermann, 2008).
Quatre types de réseaux territorialisés d’organisation peuvent être distingués (2.1.). Cette
section montre que la considération pour la gestion des ressources humaines est différente au
sein de chaque type de réseaux (2.2.).

31
2.1. Les réseaux territorialisés d’organisation et le phénomène de
« clusterisation »
L’interview réalisée par Didier Retour auprès de Christian Seux12 témoigne de l’importance
de la proximité géographique pour susciter l’innovation : « la rencontre précède l’idée. Ce
n’est pas parce que vous avez l’idée que vous allez rencontrer la personne ou savoir que cette
personne a cette compétence. C’est vraiment la rencontre qui précède l’idée. Ce n’est pas
plus compliqué que cela en fait » (Retour, 2009b). Le processus de concentration
géographique des firmes est en effet souvent expliqué par l’existence d’externalités de
proximité, par exemple les transferts de connaissance et d’informations concernant la
production, la commercialisation, la recherche et le développement. Ceci est rendu possible
par l’encastrement des individus au sein de réseaux sociaux et parfois au rôle des institutions
locales facilitant les interactions. Le développement des technologies de l’information et de la
communication rend certes moins impérieux le besoin de rapprochement géographique, sauf
dans le cas de certaines activités requérant un échange intense de connaissances (Torre et
Rallet, 2005).
La littérature distingue plusieurs formes de réseaux territorialisés d’organisations. Les districts
industriels (Becattini, 1991), les milieux innovateurs, les « learning regions » et les systèmes
régionaux d’innovation sont décrits comme des ensembles ayant une importance cruciale en
termes d’externalités, permettant de maintenir des formes de compétitivité du territoire
transverses aux entreprises (Boshma, 2004). Selon Guillaume (2008), les districts industriels,
les SPL (Systèmes Productifs Locaux), les milieux innovateurs et les pôles de compétitivité
ne sont que des déclinaisons d’un même modèle de développement. Il est cependant
nécessaire d’envisager avec prudence le rapprochement entre les concepts de clusters et de
pôles de compétitivité. Les premiers sont en effet caractérisés par l’absence d’intervention de
l’Etat. Les seconds subissent de fortes pressions de la part de l’Etat au travers des règles
imposées dans le cahier des charges national (Tixier et Castro Gonçalves, 2008).
12 Président de Becton-Dickinson France, entreprise membre du Pôle de compétitivité LyonBiopôle.

32
Defélix et al. (2006) proposent une typologie des différentes formes de RTO, à partir de deux
dimensions. La première dimension concerne la nature et le nombre d’organisations faisant
partie du RTO. La seconde dimension se rapporte à l’origine de la collaboration : dans un cas,
celle-ci émane des acteurs eux-mêmes, dans l’autre cas, elle est incitée par les pouvoirs
publics.
La collaboration est d’abord voulue par les acteurs eux-mêmes (vocabulaire et registre industriel)
La collaboration est reconnue et renforcée par les pouvoirs publics (vocabulaire et registre de l’action publique)
Les partenaires sont tous des entreprises
Districts industriels
Systèmes productifs locaux (SPL)
Les partenaires sont des organisations variées : entreprises, universités, etc.
« Clusters » (au sens de Porter, 1998)
Pôles de compétitivité
Tableau 1 : Typologie des différentes formes de RTO (Defélix et al. 2006)
Cette typologie doit cependant être adoptée avec vigilance. En effet, elle masque la diversité
des configurations organisationnelles propres à chaque type de RTO. Il a en effet été montré
par exemple que les pôles de compétitivité présentaient des caractéristiques fort différentes
(Fen Chong et al. 2007). Néanmoins, nous retenons cette typologie car les deux dimensions
présentées sont particulièrement appropriées à l’étude des pratiques de gestion des ressources
humaines qui peuvent y être développées. Elles permettent de comprendre qui sont les acteurs
impliqués et quels sont leurs enjeux. Chacune de ces quatre formes de réseaux est présentée,
afin de considérer ensuite quels en sont les enjeux de gestion des ressources humaines.
2.1.1. Clusters et districts industriels
Selon la typologie de Defélix et al. (2006), les clusters et les districts industriels présentent
une caractéristique commune concernant l’origine émergente de la collaboration

33
2.1.1.1. Les clusters
Les clusters sont caractérisés par un ensemble d’organisations (entreprises, syndicats, agences
publiques et associations) ayant développé des liens récurrents et desservant un marché
particulier. Ces entreprises travaillent ensemble plus intensément qu’avec les autres au sein
d’une même industrie (Ebers et Jarillo, 1997). Porter (1998) définit les clusters comme une
concentration géographique d’entreprises et d’institutions interconnectées et rassemblées
autour d’un domaine d’activité particulier, incluant un ensemble divers de partenaires le long
de la chaîne de valeur. Ces entreprises sont reliées par des compétences, des technologies ou
des ressources communes. Beaucoup de clusters comprennent des institutions et des
organisations publiques, telles que les universités ou des associations commerciales, qui
permettent de procurer des formations et de l’information, des activités de recherche et un
support technique. On attribue en outre aux clusters bien souvent un fort indice d’innovation
collective, grâce à une meilleure exploitation des externalités de connaissance dont bénéficie
chacune des firmes du fait de leur proximité. En revanche, la montée en compétence d’un
cluster ne peut résulter de la seule proximité géographique des firmes, car c’est la
recombinaison des talents et non leur simple agrégation qui permet la créativité. Il relève donc
de la responsabilité des acteurs privés et publics de prendre en charge cette « proximité
organisée » de manière à gérer ces réseaux (Suire et Vicente, 2008).
Plusieurs travaux se sont attachés à l’étude des dimensions permettant d’établir des typologies
de clusters : Pickernell et al. (2007) proposent un cadre d’analyse composé de sept éléments
permettant de distinguer différentes configurations de cluster (la structure, l’objectif du
cluster, celui des firmes adhérentes, le mode de participation des firmes, le type de réseau, le
mode de management, le processus d’apprentissage). St-John et Pouder (2006) proposent de
différencier les clusters selon la nature de l’activité dominante. On peut ainsi distinguer des
clusters orientés vers des activités industrielles ou bien des activités technologiques. Andersen
(2006) propose quant à lui de distinguer différents types de clusters en fonction de deux
dimensions : le degré de standardisation des produits de l’industrie dans lequel le cluster fait
partie, et à la nature des activités à valeur ajoutée (« digitale ou physique »).
La présence d’un cluster au sein d’une région permettrait de renforcer « l’identité
industrielle » de celle-ci, c’est-à-dire une compréhension partagée des éléments saillants du
territoire. Une forte identification industrielle aurait tendance à faciliter le développement du

34
territoire en attirant les populations et les investisseurs (Romanelli et Khessina, 2005). On
peut donc pressentir que les compétences de la main d’œuvre d’une région sont importantes.
2.1.1.2. Les districts industriels
Malgré le fait que le terme de district industriel recouvre une réalité multiforme, quelques
éléments permettent de cerner ce concept. Leur point commun se fonde sur le fait que ces
formes d’organisation en réseau sont gouvernées par la confiance et la coopération (Paniccia,
1998). Le terme de district industriel a été employé à la fois pour désigner toute forme de
« clusterisation », mais de manière plus précise, il renvoie aux formes de réseaux
territorialisés ayant émergés en Italie et popularisés récemment par les travaux de Beccatini
(1990, cité par Paniccia, 1998 ; 1991) comme « une entité socio-territoriale, caractérisée par
la présence active à la fois d’une communauté de personnes et un ensemble de firmes au sein
d’un périmètre régional construit naturellement et historiquement »13. Cette communauté de
personnes est liée par un système de normes et de valeurs communes, répandues dans le
district grâce aux institutions en présence (entreprises, écoles, églises, entreprises, syndicats,
associations commerciales, etc.). La mobilité des salariés au sein du district est relativement
élevée. La proximité géographique des firmes permet un échange informel, de même que la
diffusion des connaissances, des savoir-faire et des compétences liées à l’activité artisanale ou
industrielle dominante du district. Les firmes du district sont réparties sur l’ensemble de la
chaîne de production, chacune d’entre elles étant spécialisée sur l’une de ces étapes.
2.1.2. Des SPL aux pôles de compétitivité
Toujours selon la typologie de Defélix et al. (2006), les SPL et les pôles de compétitivité ont
pour trait commun une collaboration incitée par les pouvoirs publics. C’est pourquoi
l’existence de pratiques de gestion des ressources humaines y est plus largement reconnue et
surtout organisée à l’échelle du réseau, comme cela est présentée plus loin (2.2.).
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a vu se succéder plusieurs périodes
industrielles et d’aménagement du territoire. C’est à partir des années 60 que l’Etat français se
13 Traduction de « a socio-territorial entity which is characterised by the active presence of both acomtnunity of people and a population of firms in one naturally and historically bounded area » (Beccatini, 1990, p.39, cité par Paniccia, 1998, p.669).

35
préoccupe de l’équilibre économique des régions et va amorcer une phase de décentralisation
des activités vers la province. A partir de 1975, la France incite à la spécialisation des
métropoles autour d’un domaine d’activités. Faisant suite à cette logique et inspirés du
modèle des districts industriels italiens, les Systèmes Productifs Locaux (SPL) apparaissent en
1999 sous l’égide de la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire
et à l’Attractivité Régionale). Enfin, en 2004, suite au Rapport Blanc, l’Etat annonce le
lancement des pôles de compétitivité avec pour objectif de poursuivre la logique de
spécialisation des régions, mais en étant également des leviers pour l’innovation (Plunket et
Torre, 2009).
2.1.2.1. Les Systèmes Productifs Locaux La DATAR a défini une forme générique d’organisation industrielle : le SPL. Celui-ci repose
sur la concentration géographique d’entreprises de petites tailles et de petite production. Leur
spécialisation dans un domaine industriel particulier est poussée. La coopération entre les
acteurs est développée, grâce à la mutualisation des outils de formation et de développement
des savoir-faire (Pequeur, 2009). La DATAR caractérise ces systèmes depuis 1998 comme
« un groupement d’entreprises et d’institutions géographiquement proches et qui collaborent
dans un même secteur d’activité »14.
La distinction entre les SPL et les pôles de compétitivité repose principalement sur le fait que
les premiers ont été créés dans le but de maintenir des activités à vocation productive dans des
espaces de faible densité. Les seconds ont en revanche été développés avec l’ambition de
promouvoir plus fortement le développement économique grâce à l’innovation (Guillaume,
2008) et intègrent en conséquent une plus grande variété de membres, comme par exemple les
centres de recherche et les organismes de formation.
2.1.2.2. Les pôles de compétitivité
Les pôles de compétitivité ont été impulsés par l’Etat français dès 2005 et rassemblent sur un
espace géographique proche, des entreprises, des laboratoires de recherche privés et des
collectivités locales autour d’un domaine d’activé commun. Comme le rappelle Retour
14Site internet de la DATAR consulté le 18 août 2011: http://www.territoires.gouv.fr/sites/default/files/datar/glossairespl.pdf

36
(2009a), deux rapports publiés en 2004 ont contribué à l’émergence des pôles de
compétitivité. Le premier est celui de Christian Blanc (2004) dédié aux écosystèmes de
croissance. Le second est le rapport de la DATAR, centré sur la définition d’une nouvelle
politique industrielle par les territoires. Afin d’être labellisés, ces pôles doivent être constitués
par le regroupement d’organisations relevant de natures différentes, mais avec un objectif de
nouer un partenariat sous la forme de projets de recherche et de développement collaboratifs
autour d’une thématique commune. L’Etat vise ainsi à promouvoir la mobilisation des
territoires autour de leurs ressources et des spécialisations industrielles locales, afin de créer
de véritables « écosystèmes d’innovation », à l’image du bassin d’emploi grenoblois
caractérisé par une longue tradition de coopérations voire de « coopétition » entre les
entreprises, les universités et les laboratoires de recherche (Retour, 2009c).
Cet appel à projet débouche en 2005 par la labellisation sur le territoire français de 71 pôles
de compétitivité par le CIADT15 (Comité interministériel pour l’Aménagement du Territoire)
pour une durée de trois ans. Ceux-ci sont alors officiellement définis par « l’association
d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation sur un territoire donné,
engagés dans une démarche partenariale (stratégie commune de développement), destinée à
dégager des synergies autour de projets innovants conduits en commun en direction d’un (ou
de) marché(s) donné(s).16 Les 71 pôles de compétitivité seront classés en trois catégories
selon leurs degrés de rayonnement. On dénombre ainsi des pôles mondiaux, des pôles à
vocation mondiale et des pôles nationaux. L’objectif visé par cette politique industrielle est de
favoriser l’émergence de projets de recherche et développement (R&D dans la suite du texte)
collaboratifs afin de soutenir la compétitivité et la visibilité internationale de l’économie
française. Le fonctionnement des pôles de compétitivité repose avant tout sur le financement
par l’Etat des efforts de recherche et de développement déployés au niveau des projets
collaboratifs. Ces projets sont noués entre plusieurs adhérents du pôle. Ils associent au moins
deux entreprises et un laboratoire de recherche ou un organisme de formation, des plates-
formes d’innovation ou de projets hors R&D. Les projets hors R&D consistent à développer
des actions de soutien au pôle de compétitivité sur des thématiques telles que la formation, les
investissements immobiliers, les infrastructures TIC (technologies de l’information et de la 15 « Le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire et d'attractivité régionale, présidé par le premier ministre, se prononce sur les orientations de la politique nationale d'aménagement du territoire. La DATAR prépare l'ordre du jour et, en liaison avec les ministères concernés, les délibérations du CIADT. » Sources : www.datar.gouv.fr, site consulté le 26 février 2011. 16 www.competitivité.gouv.fr, site consulté le 3 octobre 2011.

37
communication), la veille et l’intelligence économique, la promotion du territoire, le
développement à l’international, etc. L’accompagnement de l’Etat se concrétise par l’octroi
d’aides financières selon différentes modalités et à différents niveaux.
Les trois premières années de fonctionnement des pôles de compétitivité sont marquées à la
fois par la méfiance de certains économistes envers ce dispositif (Duranton et al. 2008), mais
aussi par l’enthousiasme de certains (Weil, 2008). En 2008, l’Etat missionne les cabinets
Boston Consulting Group et CM International afin de réaliser une évaluation des pôles de
compétitivité français et de la politique nationale d’accompagnement mise en place par l’Etat.
L’étude, conduite entre novembre 2007 et juin 2008, s’est intéressée au dispositif global ainsi
qu’à l’évaluation détaillée de chacun des 71 pôles. Le dispositif global est alors jugé
« prometteur », tandis que l’évaluation des pôles débouche sur un classement des pôles en
trois catégories, en fonction du degré de réalisation des objectifs de la politique des pôles de
compétitivité. Selon cette typologie, 39 pôles ont atteint leurs objectifs, 19 ne les ont atteints
que partiellement et 13 pourraient être sujets à une reconfiguration en profondeur. Au terme
des trois premières années de fonctionnement et suite à cette évaluation globalement positive,
le gouvernement décide de poursuivre la politique des pôles de compétitivité lors d’une
deuxième phase. Le 24 septembre 2008, le Premier ministre François Fillon en visite à
Grenoble annonce officiellement le lancement de la deuxième phase des pôles de
compétitivité pour la période 2009-2011, période dite « Pôle 2.0 ». La nouvelle feuille de
route des pôles intègre, parmi les autres dimensions de l’écosystème d’innovation et de
croissance des pôles, celle de la gestion des compétences. La gestion des ressources humaines
figure alors de manière formelle comme l’un des éléments clés du développement des pôles.
Outre cette nouvelle feuille de route, le gouvernement annonce la création de « contrats de
performance », invitant ainsi chaque pôle de compétitivité à formuler une véritable stratégie
de pôle sur une période de 3 à 5 ans. Celle-ci est formalisée dans une « feuille de route
stratégique », indiquant notamment quels sont les domaines prioritaires du pôle, les objectifs
technologiques et de marchés visés ainsi que les objectifs de développement du pôle et de son
écosystème de croissance. Ces contrats de performance seront signés en juin 2009 entre la
gouvernance des pôles, l’Etat et les collectivités locales. En juin 2010, l’Etat décide de
« delabeliser » six pôles et d’en labelliser six nouveaux dans le domaine des écotechnologies.
Le nombre de pôles de compétitivité est donc maintenu à 71.

38
L’étude des pôles de compétitivité a déjà donné lieu à une abondante littérature. Entre 2008 et
2009, deux revues académiques ont ainsi chacune dédié un de leurs numéros à la question des
pôles de compétitivité : Retour (2009) a coordonné le numéro spécial « Pôles de
compétitivité » de la Revue Française de Gestion. Mendez et Messeghem (2009) ont dirigé le
cahier spécial « L’émergence des pôles de compétitivité : premiers bilans et perspectives » de
la revue Management et Avenir.
Nous présentons les principales thématiques de recherches s’étant attelées à l’étude des pôles
de compétitivité jusqu’à présent. Un premier ensemble de travaux s’intéresse aux pôles de
compétitivité en tant que modèle d’innovation, à leur structure et à leur évolution. Bo et al.
(2007) identifient plusieurs idéaux-types de pôles de compétitivité à partir de trois
dimensions : la taille des entreprises qui composent le pôle (taille atomistique, quelques
entreprises de grande taille, entreprises de taille variable), le périmètre de localisation du pôle
(espace régional ou urbain) et le type d’échanges entre les membres (relations fréquentes,
mais instables, échanges fréquents et stables). Gosse et Sprimont (2010) et Messeghem et
Paradas (2009) s’intéressent à la logique de formation des clusters et investiguent les facteurs
contribuant à structurer les relations territoriales des différents acteurs d’une l’industrie et
comment cette dynamique peut être source d’innovation. Barabel et al. (2009) s’intéressent en
particulier à la dynamique territoriale enclenchée à travers le pôle Cosmectic Valley. Le pôle
est un levier « d’apprentissages collectifs croisés entre différentes communautés
professionnelles », permettant une évolution des règles communes et des partenariats avec les
acteurs du territoire (Gadille et Pélissier, 2009). Le potentiel des pôles de compétitivité en
matière d’innovation est également analysé à l’aide des approches fondées sur le management
de la connaissance. Ces recherches montrent que la création de savoirs au sein des projets de
R&D des pôles est facilitée par certains types de connaissances plutôt que d’autres (Dang et
Thomas, 2010).
Un second ensemble adresse la question de la gouvernance des pôles de compétitivité. Ces
structures y sont considérées comme un levier permettant au pôle d’accroitre son potentiel
d’innovation grâce à la mise en réseaux des acteurs. Boquet et Mothe (2009) montrent que
l’implication des membres de la gouvernance joue un rôle clé pour la performance du pôle, de
surcroît lorsque celui-ci est composé majoritairement de PME. La gouvernance des pôles est
un « dispositif de régulation locale entre plusieurs acteurs en situation d’interactions »
(Bocquet et Mothe, 2009) et peut prendre différentes formes (Elhinger et al. 2007), mais elle

39
cristallise avant tout les processus de confrontations et d’ajustements entre les différents
systèmes de représentation qui incombent à ces représentants (Mendez et Bardet, 2009). Cela
confère aux pôles de compétitivité des caractéristiques propres, conduisant à envisager leur
gouvernance en s’éloignant des approches de l’entreprise classique qui ne sont pas
appropriées pour l’étude de ces formes d’« organisation collaboratives décentralisées »
(Gomez, 2009). La trajectoire du réseau façonne les processus de gouvernance (Chabault,
2010).
Un dernier ensemble concerne enfin les pratiques de management et de gestion des ressources
humaines au sein des pôles de compétitivité (Calamel et al. 2011) et sera développé tout
particulièrement dans la partie suivante.
2.2. Le marché du travail et le capital humain au sein des RTO comme
ressources distinctives
Après avoir présenté quatre formes de RTO, nous étudions quels sont les enjeux en termes de
gestion des ressources humaines au sein de chacun d’entre eux.
Les districts industriels italiens et les clusters ont émergé de manière spontanée, par
l’agrégation croissante d’organisations sur un même territoire et autour d’un même secteur
d’activité. Ceci explique en partie l’absence de travaux portant sur la mise en œuvre de
pratiques de GRH au niveau du cluster, puisque leur mode de fonctionnement est considéré
comme émergent. En France, les SPL puis les pôles de compétitivité ont été impulsés par
l’Etat, qui a attribué un label officiel à ces formes d’organisations en réseaux. Si leurs
logiques de constitution sont fort différentes, on trouve néanmoins dans la littérature anglo-
saxonne un certain nombre de références à la dimension humaine. Celle-ci ne fait pas l’objet
d’une gestion des ressources humaines à proprement dite, mais son importance est reconnue.
2.2.1. Le capital humain reconnu, mais peu organisé au sein des clusters et des
districts industriels
Tandis que nombre de recherches sur les clusters se sont contentées de pointer sa place, peu
d’entre elles ont étudié la manière de l’organiser.

40
2.2.1.1. La mobilité des salariés comme dynamique sous-jacente
L’étude réalisée par Paniccia (1998) auprès de 24 districts industriels italiens révèle que les
formes d’organisation du marché du travail sont fort différentes d’une région à une autre. Ceci
est dû à la préexistence de facteurs historiques et culturels au sein de chaque district. Malgré
les divergences de contexte, le rôle joué par la main-d'œuvre locale est toujours présenté
comme crucial pour la compétitivité des clusters et des districts industriels, de surcroît lorsque
ceux-ci sont orientés vers des activités fortement innovantes et de haute-technologie. La
disponibilité et l’accessibilité de la main-d’œuvre résultant d’une concentration locale de
l’activité économique constitue l’un des facteurs permettant aux entreprises d’un cluster de
développer la création de valeur. Par effet miroir, l’étude réalisée par Desmarteau et Saives
(2003) au sein d’un cluster de biotechnologie dans la région de Montréal indique qu’un tiers
des entreprises reconnaissent la difficulté d’obtenir des ressources humaines qualifiées
comme le premier obstacle à leur croissance, dans un contexte de forte concurrence. La
compétitivité des clusters et des ses firmes est souvent attribuée à la circulation des savoirs,
associée à la mobilité des individus au sein des clusters (Eriksson et Lindgren, 2009 ;
Malmberg et Power, 2005 ; Tallman et al. 2004, Zuliani, 2008). L’une des observations
centrales de ces travaux repose sur le constat que les firmes localisées au sein des clusters
bénéficient des retombées en termes de savoirs et de connaissances grâce à la mobilité des
salariés (Almeida et Kogut, 1999) et à certains types de connaissances échangées entre les
firmes (Tallman et al. 2004). La mobilité inter-firmes procure au cluster un avantage en
termes de recrutement, car elle permet, en quelque sorte, d’attirer les ingénieurs en leur
assurant de pouvoir facilement trouver un travail. Cette mobilité inter-firmes est également
propice à la formation de liens sociaux reliant les salariés des entreprises de la région. De ce
point de vue, Casper (2007) suggère qu’une forte mobilité du travail et une structure sociale
dense au sein du cluster constituent deux éléments nécessaires pour que la région puisse
soutenir un niveau élevé d’innovation. Le cluster rassemble autour d’un même secteur
d’activité des salariés ayant tendance à former parfois des « communautés épistémiques »,
dont le rôle demeure nécessaire à l’échange de savoirs tacites (Hakanson, 2005), procurant à
la région un avantage compétitif. Power et Lundmark (2004) montrent que la mobilité au sein
d’un cluster est significativement plus élevée que dans le reste de l’économie urbaine. Erikson
et Lindgren (2009) rappellent pourtant que la co-localisation de firmes ne suffit pas à
expliquer leur performance, car c’est bien la mobilité des salariés qui produit un impact sur la
performance des firmes grâce aux externalités produites. Hervas-Oliver et Albors-Garrigos

41
(2007) font l’hypothèse que les compétences des salariés expliqueraient que certains clusters
soient davantage performants que d’autres. L’existence de réseaux sociaux entre les salariés
hautement qualifiés au sein d’un cluster expliquant la formation d’un « capital social » à
l’échelle de la région est en revanche modérée par l’apport de recherches mettant en avant
l’importance de liens extra-territoriaux entre les individus (Waters et Lawton Smith, 2008).
Le concept de « boundaryless career » (Arthur et Rousseau, 1996) traduit en français par la
notion de « carrières nomades », cristallise l’importance de ces nouvelles manières
d’envisager les parcours professionnels et le poids de ces trajectoires pour les formes
d’organisation en clusters. L’importance de la dimension humaine est donc largement
reconnue, mais elle demeure appréhendée sous l’angle des effets produits par la mobilité des
salariés au sein de ces clusters. Comment l’illustre l’étude de Picq et Langevin (2000) au sein
de la Silicon Valley, les mobilités inter-entreprises dépendent des volontés individuelles.
Cette mobilité n’est pas organisée, mais émergente.
D’autres travaux plaident en faveur de l’implication des autorités locales ou d’une
gouvernance régionale afin de soutenir ces formes de mobilités et le développement du
marché du travail local. Saxenian (1996) montre comment a émergé un marché du travail
ouvert au sein de la Silicon Valley : le rôle joué par les liens inter-personnels est
particulièrement important. Les salariés passent de manière très ordinaire d'une entreprise à
une autre, sans rancœur de la part de l'employeur. Les salariés d'entreprises différentes se
connaissent et se retrouvent après le travail. Cependant, ce modèle de collaboration et de
marché du travail ouvert fonctionne tant que la Silicon Valley est constituée de petites
entreprises de type start-up. Lorsque les firmes grandissent, elles ont tendance à établir un
marché du travail interne et des frontières organisationnelles plus traditionnelles. Mais
globalement, le brouillage des frontières entre les entreprises procure à la région un avantage,
car ce marché du travail ouvert permet aux individus d’expérimenter et d’apprendre
continuellement en recombinant les savoirs locaux, les compétences et les technologies.
2.2.1.2. Le rôle des intermédiaires et des institutions locales
A partir d'une étude de cas au sein de la Silicon Valley, Benner (2003) souligne que les
intermédiaires jouent un rôle primordial dans la vitesse et la nature de l'ajustement du marché
du travail, contribuant directement à l'aménagement du territoire. Ils assurent en effet la

42
médiation entre les salariés et les entreprises et remplissent trois fonctions importantes sur le
marché du travail : les réductions des coûts de transactions, la construction des réseaux et une
gestion du risque lié au recrutement. Au sein de la Silicon Valley, trois grands types
d’intermédiaires ont été repérés : le secteur privé (agences d’emplois temporaires, cabinets de
recrutements, sites web d’offres d’emploi, associations d’employeurs), les organisations
reposant sur l’adhésion des membres (associations et clubs professionnels), le secteur
public (le service public de l’emploi, les organismes de formation).
La mobilité des salariés crée en effet des ponts entre les firmes, et certains travaux examinent
le rôle que peuvent jouer différentes institutions. De Laurentis (2006) plaide en faveur de
l’implication des acteurs publics sur le territoire, car ils permettent de soutenir le
développement des compétences et des connaissances, en facilitant les processus
d’apprentissage et en offrant des services de mise en réseau. Le gouvernement pourrait avoir
un rôle à jouer dans le soutien des réseaux sociaux au cœur des clusters, perçus comme un
« filet de sécurité » aux yeux des ingénieurs car il favorise la mobilité inter-firmes. L’une des
préconisations de Casper (2007) porte ainsi sur le rôle des institutions publiques permettant de
soutenir l’essor d’une conception partagée du marché du travail, basée sur la circulation des
salariés. En revanche, la comparaison établie auprès de cinq systèmes d’innovation régionaux
pointe les risques d’un système dépendant des supports publics. C’est pourquoi une
combinaison d’acteurs publics et privés serait plus propice à l’essor de l’innovation. Le
gouvernement peut contribuer à institutionnaliser le recrutement et le développement des
ressources humaines grâce à la mise en place de structures coopératives et de réseaux
(Lambooy, 2002). Celles-ci auraient donc un rôle important à jouer dans la construction du
cluster et des réseaux d’entreprises (Power et Lundmark, 2004).
On note donc une préoccupation certaine dans ces travaux envers le soutien que peuvent
procurer l’Etat et les institutions locales pour le développement de la main-d'œuvre. En
revanche, cela est majoritairement centré sur une approche globale qui indique quels sont les
effets des dynamiques observées. Le rôle de la gouvernance du cluster n’est, de plus, que peu
reconnu. Au sein des clusters européens, l’organisation de pratiques de management à
l’échelle d’un réseau semble être plus évidente. Au sein d’un cluster norvégien, Hanssen-
Bauer et Snow (1996) identifient la mise en œuvre de pratiques de management organisées à
l’échelle du réseau.

43
En couplant deux dimensions, Molina-Morales (2001) conceptualise le capital en termes de
ressources humaines au sein des districts industriels espagnols afin d’étudier l’avantage
compétitif d’une région. L’auteur défend l’idée selon laquelle le développement d’un district
industriel est fortement lié au caractère du pool de ressources humaines en fonction de deux
dimensions. La première dimension est le degré avec lequel le savoir peut être transféré. Il
s’agit du savoir détenu par les salariés d’une entreprise, pouvant être soit transférable (c’est-à-
dire ayant un caractère tacite), soit non-transférable (c’est-à-dire un savoir codifié). La
seconde dimension est le degré de contrôle d’une firme sur les ressources humaines. Dans un
cas, les ressources humaines sont totalement internes à l’entreprise dans l’autre cas, elles sont
externes mais mobilisables (cf. tableau 2 ci-dessous). Selon cette typologie, l’auteur distingue
quatre voies possibles de développement du capital humain au sein des districts industriels :
dans le cadre 1, lorsque les RH sont totalement intégrées à la firme et que le capital humain
est transférable, alors le développement du capital humain peut être réalisé grâce à des
séminaires et des formations internes ou de l’information technique. Dans le cadre 2 (RH
intégrées et savoir non-transférable), le développement des salariés du district peut être réalisé
grâce à des formations « sur le tas » ou à un partage de connaissances. Dans le cadre 3 (RH
externes et savoir transférable), le district peut contribuer à renforcer les liens entre les écoles
et les universités avec les associations commerciales, ou encore développer des bases de
données communes. Enfin, dans le cadre 4, lorsque le savoir est non transférable, les
ressources humaines externes peuvent être acquises grâce à un partage de salariés ou par
l’établissement de connexions avec les organismes de recherche.

44
Savoir transférable
Savoir non-transférable
Ressources humaines totalement intégrées à la firme
1 Séminaires et formations internes Information technique
2 Formation « sur le tas » Partage de connaissances interne
Ressources humaines externes, mais mobilisables
3 Ecoles et universités Associations commerciales Base de données produits et marché partagée
4 Salariés occupant le même emploi Connexions avec des organismes de recherche Communication informelle
Tableau 2 : La création de capital humain au sein des districts industriels (Molina-Morales, 2001, p.323).
De ce point de vue, l’existence d’institutions locales procure des conditions optimales afin de
soutenir l’interaction et les échanges de ressources. L’auteur plaide ainsi explicitement en
faveur d’un modèle de management des ressources humaines proactif au sein des districts
industriels, fondé sur l’interaction des firmes et de l’environnement local.
2.2.2. Une gestion du capital humain orchestrée au sein des SPL et pôles de
compétitivité
L’importance de la main-d’œuvre au sein des clusters et des districts industriels est reconnue,
mais cela ne donne pas forcément lieu à une gestion des ressources humaines. Au sein des
SPL et des pôles de compétitivité, cela semble en revanche plus évident.
2.2.2.1. Au sein des SPL
Lamanthe (2005) étudie le marché de l’emploi au sein d’un système productif local, situé dans
la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Un premier constat fait état d’une mise en relation de
nouvelles couches de la population entre les emplois et les salariés, dont les aires de
circulation s’élargissent. Le second constat établit que des dispositifs sont développés afin de
réajuster l’offre à la demande d’emploi : structures d’insertion par l’économique, sociétés

45
d’intérim, etc. Ces orientations confirment le rôle croissant des intermédiaires sur le marché
du travail local également au sein des SPL.
Haas (2007) s’est intéressée en particulier de la gestion des compétences au sein du SPL
« Mecanic Vallée », qui a mis sur pied une cartographie des formations initiales construite à
partir des baccalauréats professionnels, brevets de techniciens supérieurs et licences
professionnelles. Trois facteurs-clés de succès ont été identifiés : il s’agit du pilotage de
l’association par les entreprises elles-mêmes, un partenariat incluant les chambres consulaires
et les établissements publics-privés ainsi qu’une coproduction par des acteurs
traditionnellement distants.
Au sein d’un SPL situé sur le bassin de Béziers, Bories-Azeau et al. (2007) plaident en faveur
d’une meilleure prise en compte par les entreprises des dispositifs globaux sur le territoire afin
de renforcer l’anticipation en matière de gestion des ressources humaines. Il s’agit donc pour
les entreprises de s’inscrire au sein de coopérations inter-organisationnelles territoriales.
Celles-ci favoriseraient l’adoption de « postures anticipatrices » de la part des membres du
réseau et des parties prenantes extérieures au réseau. Ce SPL a développé trois actions phares
de GRH sur le territoire : l’élaboration d’un plan de formation territorial à partir des besoins
identifiés dans les entreprises du SPL ; la création de plateformes d’apprentissages, permettant
de pallier les difficultés de recrutement et de développement des compétences ; enfin la mise
en place d’un observatoire des entreprises en difficulté ayant notamment vocation à
sauvegarder les emplois. L’étude met cependant en avant le manque d’adaptation des outils et
des structures (Bories-Azeau et al. 2008). L’essor de cette GRH territoriale revêt quelques
enjeux forts : il s’agit non seulement de parvenir à combiner des ressources, de les mutualiser,
mais aussi d’élaborer des outils et des pratiques de GRH centrés sur le capital social, qui
constitue, selon ces auteurs, le socle et le résultat de ces actions (Bories-Azeau et al. 2007).
C’est en particulier la formation qui permet de développer le capital-social de la région
(Loubès et Bories-Azeau, 2010).
L’étude de Bobulescu et Calamel (2009) permet de comparer plusieurs pratiques de GRH
élaborées au sein de six SPL (dans les régions Bretagne, Rhône-Alpes et Centre). Ces
pratiques permettent tout d’abord de répondre à une logique de réduction des coûts. Elles
constituent également une manière d’établir un rapprochement entre les entreprises et les
pouvoirs publics, contribuant à former et attirer une main-d'œuvre qualifiée. Enfin, la

46
mutualisation de ces pratiques de GRH contribue à l’essor d’une culture commune dans le
temps. De nombreuses pratiques ont été identifiées en termes de communication (newsletter,
petits-déjeuners…), de formation (créations de formations, partenariats avec des centres de
formation), de recrutement (mise à disposition de CV) et de GPEC (recueil des besoins en
compétences).
Ces initiatives favorisent la structuration du SPL et permettent de clarifier le rôle des acteurs
territoriaux relevant des sphères privées et publiques, amenés à ajuster peu à peu leurs
positions (Bories-Azeau et al. 2008).
2.2.2.2. Au sein des pôles de compétitivité
Depuis leur lancement, les pôles questionnent la mise en place des formes de travail
collaboratives entre des organisations de nature distincte et préfigurent des formes
d’innovation sociale en matière de gestion des ressources humaines (Defélix et al. 2009a).
Dès leur labellisation en 2005, les pôles de compétitivité étaient en effet chargés de la relation
formation-emploi. La plupart des pôles ont pourtant tardé à mobiliser leurs adhérents autour
des questionnements liés au management et à la gestion des ressources humaines. Cette
préoccupation est aujourd’hui fortement intégrée par la plupart des membres des équipes de
gouvernance des pôles. La mobilisation, en nombre et en qualité des ressources humaines
qualifiées, constitue l’une des conditions de leur pérennité (Maury, 2008). L’étude réalisée
par les cabinets Alpha et Geste en 2008 est entièrement dédiée aux implications des pôles de
compétitivité dans le champ de l'emploi, de la formation, et des compétences. Cette même
année, CM International et al. (2008) indiquent dans leur rapport d’étude que la gestion des
ressources humaines « est l’une des conditions de succès des pôles de compétitivité : le
facteur humain est en effet décisif pour animer le réseau d’acteurs partenaires du pôle et les
amener à travailler ensemble » (ibid., p.105). Mais le rapport souligne que cette gestion des
ressources humaines au sein d’un pôle de compétitivité « n’est pas simple », car « les
populations en présence ont des statuts et des cultures très différents […] ».
C’est en priorité les besoins de formation qui ont été souvent identifiés au sein des pôles,
donnant lieu à l’organisation de diverses modalités de transfert des connaissances grâce à ces
partenariats avec des organismes de formation. Mais si la formation est importante, elle doit
en revanche faire partie de réflexions plus larges en termes de GRH. Ainsi, d’autres études ont

47
pointé la nécessaire mobilisation des leviers managériaux afin de favoriser la poursuite d’une
collaboration fructueuse au sein des consortiums de R&D (Defélix et al. 2009b). Culié (2008)
montre que plus de la moitié des ingénieurs interviewés dans le cadre de sa recherche
doctorale sont sensibilisés à l’influence du pôle de compétitivité Minalogic sur leur carrière
future. Ceci ouvrirait la voie au développement d’une « gestion inter-organisationnelle des
carrières », construite sous la forme de « parcours-repères qui transgresseraient les
frontières des organisations » (ibid., p.18).
Face à l’hétérogénéité apparente des pratiques de GRH développées, la diversité des contextes
est questionnée. Trois types de pressions environnementales pourraient expliquer le
développement de pratiques de GRH a priori similaires au sein des pôles : des pressions de
nature coercitive, normative et mimétique (Di Maggio et Powell, 1983). En revanche, il
subsiste un ensemble de pratiques très diversifiées, liées à la diversité même des pôles de
compétitivité (Colle et al. 2009). Chabault et Hulin (2011) établissent un constat sur les
pratiques RH organisées au sein des pôles de compétitivité à partir de la documentation
disponible, ceci afin d’aiguiller les dirigeants, les cadres et les professionnels des équipes de
gouvernance. Les pratiques observées peuvent être regroupées au sein de deux ensembles :
« les activités de dotation » et « les activités de formation ». Parmi le premier groupe de
pratiques, les auteurs ont identifié des dispositifs mis en place par les pôles, tels que les
Groupements d’employeurs (ex. Cosmetic Valley à Chartres), les conventions de mise à
disposition (ex. Minalogic à Grenoble), la mise en place de cartographie de métiers permettant
de proposer des « métiers passerelles » (ex. Imaginove à Lyon). Le second ensemble de
pratiques rassemble les activités de formations inter-entreprises (ex. S2E2 à Tours), le
regroupement de laboratoires de recherche (ex. Cosmetic Valley), le développement de
systèmes d’informations afin de mieux recruter (ex. Pôle Filière Equine à Caen), la
labellisation de formations, la réalisation de cartographie de compétences des entreprises
(Pôle Nucléaire de Bourgogne à Chalon-sur-Saône). Bourgain et Tixier (2010) prennent le
contrepied de ces analyses et plaident en faveur de la mobilisation du cadre théorique des
parties prenantes afin d’analyser la diversité des pratiques de GRH, qui résulteraient de la
constitution de constellations différentes d’acteurs.
Calamel et al. (2011) ont établi une typologie des pratiques de GRH et de management
identifiés au sein de douze pôles de compétitivité Rhône-alpins. On peut repérer des pratiques
RH au sein des pôles développées à différents niveaux : celui des organisations adhérentes,

48
celui des projets collaboratifs, celui de l’ensemble du pôle et enfin celui du territoire ou de
l’inter-pôle. Chacune des actions peut en outre être envisagée soit dans une logique
d’efficacité à court, moyen et long terme. Cela est présenté dans la figue ci-dessous :
Figure 2: Illustration de la variété des dispositifs RH des pôles de compétitivité en Rhône-Alpes (Calamel
et al. 2011, p.186)
Hormis l’apport que peuvent avoir ces pratiques et ces activités de GRH en termes de
développement des compétences, ces démarches favorisent en parallèle la construction d’une
identité du pôle. En effet, elles permettent, dans certains cas, d’établir un langage commun
(Tixier, 2010). L’institutionnalisation de l’approche compétences des pôles peut néanmoins
comporter certains risques : cela peut d’abord conduire à l’éviction d’une problématique de
territoire au profit d’une démarche sectorielle et à l’enfermement des acteurs à travers ce
dispositif, dans une dynamique contraire à la logique d’innovation prônée par les pôles
(Tixier, 2009).
Figure 2- Source : Calamel et al. 2011, p.186

49
Si les pôles de compétitivité constituent le cas français, d’autres pays ont développé des
formes d’organisations similaires. L’étude réalisée par ALCIMED –DGCIS (2010) relate
l’existence d’un grand nombre de « clusters » au Canada, soutenus par l’Etat et les provinces
fédérales17. En particuliè, ce document relate l’importance de la prise en compte de la gestion
des compétences et des talents par les clusters canadiens. En particulier, l’étude révèle que les
équipes d’animation des clusters canadiens considèrent les ressources humaines et leur
adéquation avec les attentes du secteur privé comme un des facteurs clé de succès (ibid.,
p.72). Ces structures d’animation s’investissent donc à plusieurs niveaux afin de développer
les relations entre le secteur privé et académique, d’identifier et de valoriser les talents,
d’accompagner la montée en compétences du cluster. Elles assurent parfois « un rôle de
facilitateur de recrutement » ou bien procurent un service de formation / information continue
(ibid., p.73). L’étude réalisée auparavant par ALGOE - DCGIS (2009, p.41) mettait ainsi à
l’honneur le cluster Aéro Montréal, au sein duquel une gestion prévisionnelle des emplois et
des compétences au sein de la filière aéronautique était envisagée. Dans une autre région du
monde, le cluster Medicon Valley, situé entre la région du Grand Copenhague au Danemark
et la région de Skåne en Suède a développé un groupe de travail composé de DRH se
réunissant pour échanger sur les problématique de ressources humaines du cluster. Des
actions en faveur de l’emploi (portail d’emplois sur internet et journées de rencontres) sont
également organisées (ibid., p.73). Ceci montre que les problématiques en matière de GRH
identifiées dans le cas français sont également présentes dans d’autres pays présentant des
formes de RTO similaires.
Synthèse de la section 2
Cette section a permis de caractériser les réseaux territorialisés d’organisations et leurs
différentes déclinaisons dans la littérature managériale.
Au sein des districts industriels et des clusters, nous avons montré que la dimension des
ressources humaines était fondamentale pour la compétitivité du réseau. En revanche, bien
que reconnue, la prise en charge de la main-d’œuvre locale ne donne pas lieu à une
17 Donc proches des pôles de compétitivité ou des SPL selon la typologie de Defélix et al., 2006.

50
organisation spécifique de la part du réseau, mais plutôt parfois à la constitution
d’intermédiaires sur le marché du travail.
Au sein des Systèmes Productifs Locaux et des Pôles de compétitivité français, la logique
est en revanche bien différente, car la gestion des ressources humaines fait partie des
incitations prônées par l’Etat. Un certain nombre de pratiques et d’activités de GRH ont ainsi
été recensées, notamment dans le cas des Pôles de compétitivité. La diversité des pratiques est
souvent questionnée et mise en parallèle avec le contexte et/ou les jeux d’acteurs.
Cette littérature ne permet pas, hélas, de comprendre comment ces pratiques ont été
construites et concrétisées à travers des dispositifs. Cela montre la nécessité de conduire
des études longitudinales plus approfondies. Cette section confirme en outre le besoin de
statuer sur une notion permettant d’appréhender le phénomène de GRH inter-
organisationnelle. Nous choisirons le terme de GRH territoriale, qui sera précisé dans le
chapitre suivant (chapitre 2).

51
3. La GRH en contexte de proximité géographique et organisée :
un enjeu de mutualisation des pratiques à l’échelon territorial
en faveur de la compétitivité régionale
Dans certains cas, un espace géographique se caractérise par un maillage étroit entre les
organisations et les entreprises locales, sans toutefois présenter les caractéristiques d’un
réseau territorialisé d’organisations. Nous emploierons alors le terme de proximité
géographique et organisée. Ce contexte est celui de l’étude de cas 2 (Projet GTRH), présentée
et analysée au chapitre 5.
L’entreprise doit faire face à de multiples tensions dans un contexte de mondialisation
croissante (Daviet, 2004). On pourrait penser que cette tendance à la mondialisation aurait eu
raison des préoccupations locales des entreprises. Or, il semblerait que l’on assiste, non pas à
l’effacement des enjeux locaux, mais plutôt à la multiplication des niveaux d’analyse
auxquels sont confrontées les organisations. Elles sont positionnées à l’échelle globale
(mondiale), intermédiaire (par exemple au niveau européen) et locale (au niveau régional)
(Spicer, 2006). Herod et al. (2007) argumentent en faveur de la prise en compte de la
dimension spatiale et géographique dans les études sur le travail et l’emploi, et de surcroît
dans un environnement mondialement globalisé. En effet, l’espace structure les pratiques
sociales par le biais des différentes représentations sociales qu’il engendre et contraint les
acteurs par des conditions socio-économiques locales, façonnant des conditions d’emplois et
de travail particulières. De ce fait, il semblerait que « la territorialisation de la production
apparaisse comme le corollaire paradoxal de la mondialisation » (Pecqueur, 2008, p.315). En
sciences de gestion, il a été récemment fait état des manquements des travaux relatifs à la
dimension spatiale et territoriale. Ceci a donné naissance à un récent courant de recherche
traitant ces notions notamment en management stratégique, qui s’appuie sur les disciplines
mères en la matière, la géographie et l’économie (Lauriol et al. 2008a).
Les gestionnaires s’inspirent ainsi des travaux issus des recherches menées dans le champ de
l’économie de la proximité (Lauriol et al. 2008b), et s’approprient à leur tour les notions
d’espace et de territoire (3.1). Cette littérature souligne récemment l’importance d’un contexte
actuel de « renouveau des territoires » permettant d’envisager de nouvelles perspectives et

52
dispositifs pour l’emploi et la gestion des ressources humaines (3.2.). Aussi, les notions
présentées ici sont très proches de celles développées dans la section précédente. Mais ici,
l’accent est moins porté sur la configuration de réseau. L’accent est mis sur la notion de
proximité.
3.1. Le territoire, au carrefour des proximités géographiques et
organisées
La notion d’espace est antérieure à celle de territoire dans les théories économiques. L’espace
était considéré par les approches classiques, seulement comme le réceptacle des activités et
comme un point de localisation. Cette approche évolue peu à peu avec la prise en compte
d’autres éléments, tels que la disponibilité de la main-d'œuvre locale, les gains dont peuvent
bénéficier deux entreprises situées à proximité, la localisation en fonction de l’urbanisation,
etc. (Zimmermann, 2008).
3.1.1. Les notions de proximité et de territoire
3.1.1.1. Proximité géographique et organisée
De nombreuses définitions de la proximité sont offertes par le champ de la géographie
économique. Il est courant de distinguer plusieurs formes de proximité. Torre et Rallet (2005)
retiennent dans leurs travaux, la proximité géographique ou spatiale, et la mobilité organisée.
La proximité géographique renvoie à la distance kilométrique séparant deux unités (des
individus, des organisations, des villes). L’évaluation de la distance est dépendante des
moyens de transport, car elle est en général réalisée par l’approximation du temps nécessaire
pour se rendre d’un point à un autre. Les paramètres pris en considération sont à la fois
objectifs (nombre de kilomètres, coût, temps), mais dépendent aussi de la perception qu’ont
les individus de cette distance, en fonction de leur âge, de leur niveau social, de leur
profession, etc. La notion de proximité géographique mêle donc des référents objectifs et
subjectifs, mais elle est cependant considérée comme une donnée physique et spatiale.
La proximité organisée désigne la capacité d’une organisation à faire interagir ses membres,
grâce au développement d’une part, de « logiques d’appartenance » (deux membres d’une

53
même organisation sont proches parce qu’ils interagissent et cette interaction est facilitée par
des règles et des comportements routiniers). D’autre part, cette interaction résulte d’une
« logique de similarité » (deux individus sont proches lorsqu’ils partagent un système de
représentation commun). La proximité géographique facilite les interactions, mais ne suffit
pas. Afin de générer de l’interaction, la proximité géographique doit être structurée et activée
par la proximité organisée : « Quand proximité géographique et organisée interviennent
conjointement, elles sont susceptibles de contribuer à l’émergence d’un territoire, définissant
ainsi un dehors et un dedans délimitant un processus d’auto-renforcement à travers la
construction commune de ressources partagées entre les acteurs et favorisant leur ancrage
territorial » (Zimmermann, 2008, p.115).
Une troisième forme de proximité est souvent utilisée, celle de proximité institutionnelle qui
exprime « l'adhésion d'agents à un espace de représentations, de règles d'action et de
modèles de pensée » (Lauriol et al. 2008b). Cette troisième forme de proximité dépasse ainsi
l’appartenance à une organisation, mais serait reliée à l’appartenance à un territoire de
référence commun. Cette proximité institutionnelle s’apparente à la « logique de similarité »
présentée par Torre et Rallet (2005).
Il est fait recours aux différentes formes de proximité afin de démêler les interactions entre les
firmes sur un territoire, notamment en ce qui concerne l’échange de savoirs et de
connaissances. Selon ces approches, il est largement admis que la proximité géographique
permet d’obtenir des informations subtiles et complexes que ne permet pas la distance. En
revanche, ces interactions sont activées grâce à des « correspondances cognitives »
(Malmberg et Maskell, 2006).
3.1.1.2. Le territoire
Pecqueur (2009) montre que le concept de territoire a d’abord connu une période
d’exténuation au cours de laquelle on a assisté à une « surchauffe » du concept et à une
multiplication de son sens, à une période actuelle de « sublimation », accompagnée du
« rebond » du territoire et un sens nouveau grâce à l’essor des travaux autour de l’économie
de la proximité.

54
Il est fréquent de distinguer plusieurs acceptions du territoire. Une première dichotomie met
dos à dos un territoire spatial, qui renvoie à une dimension matérielle et géographique, et un
territoire symbolique, associé à la production de sens et à l’existence d’un sentiment commun
d’appartenance. La seconde dichotomie oppose un territoire prescrit, dont les frontières et les
représentants sont désignés, et un territoire construit, où les acteurs ont établi un lien avec
celui-ci et donnent à voir leurs actions sur la scène publique (Raulet-Croset, 2008). Le
territoire peut donc être une dimension spatiale et prescrite ou bien un espace symbolique et
construit.
Dans la lignée des travaux de l’école de la proximité, nous considérerons le territoire comme
« une forme particulière du collectif », c’est-à-dire « un lieu pertinent d’agrégation d’acteurs,
ancré dans l’espace géographique, où se jouent des compromis politiques et sociaux » (Gilly
et Pecqueur, 2000, p.133). Par conséquent, le territoire produit un système de représentations
communes à ses membres, élaborant ainsi leurs propres règles et faisant émerger des formes
de régulation partielle relativement autonomes (ibid., p.134).
Le développement territorial découle de « la propension des acteurs à s’entendre et à
s’organiser pour engager collectivement des actions répondant à un ou plusieurs objectifs
qu’ils s’assignent en commun » (Angeon, 2008, p.239). Les dynamiques territoriales résultent
de l’interaction des concepts de coordination et des ressources construites sur le territoire. En
effet, les dynamiques territoriales reposent sur l’interaction d’acteurs, qui s’approprient des
ressources au sein de cette coordination. Ces ressources peuvent être de différentes natures
(génériques ou spécifiques, latentes ou disponibles), et sont transformées au cours de la
coordination. La question de la coordination renvoie aux dimensions de la proximité et de
gouvernance, qui désigne un mode d’articulation d’enjeux privés et publics. Le recours à une
ressource générique n’entraîne pas de modification dans la coordination, tandis que
l’utilisation d’une ressource spécifique implique des modifications et notamment la
constitution de routines. Des ressources disponibles peuvent être achetées et vendues sur un
marché, alors que les ressources latentes ne sont pas immédiatement disponibles.
L’émergence de dynamiques territoriales est donc liée à « la capacité des coordinations
territorialisées à identifier, révéler et utiliser des ressources latentes. Cette capacité est
clairement définie comme un processus de nature collective » (Colletis-Wahl et al. 2008,
p.153).

55
Cette définition du territoire fait écho à certaines problématiques propres aux sciences de
gestion. Lauriol et al. (2008b, p.186) reprennent cette acception, en insistant sur le fait que le
territoire est une entité, que l’on peut considérer comme un mode d’organisation des relations
entre des acteurs situés localement. Cette « organisation territoriale » a l’intérêt de
« mailler différents acteurs porteurs de rationalités diverses et limitées, différents niveaux
d'intervention (le local, le national, le global...), différentes institutions et organisations dont
les logiques d'action peuvent parfois se révéler incompatibles...autour de projets et d'intérêts
communs » (Lauriol et al. 2008b, p.186).
3.1.2. L’intérêt des notions de proximité et de territoire pour les sciences de
gestion
En sciences de gestion, les concepts issus de l’économie de la proximité permettent
d’envisager d’une part, l’étude des relations formes-territoires. D’autre part, cela conduit la
recherche en gestion à envisager l’extension des concepts usuellement adaptés à la firme, à
l’échelle du territoire : on parle désormais de la compétitivité des territoires, des compétences
territoriales et de la gouvernance territoriale. Ceci implique qu’il faille dépasser le cadre
d’analyse de l’organisation, nécessitant de modifier les repères classiques de la gestion, car
sur ces territoires, « les acteurs ne sont pas liés par des relations hiérarchiques, ni par des
partages d'expérience ou de valeurs communes, ils appartiennent généralement à des
institutions différentes » (Raulet-Croset, 2008, p.149).
3.1.2.1. L’étude des relations firmes-territoires
Le territoire pouvait constituer un support au développement des firmes, grâce à « la mise à
profit d'externalités dont le territoire est offreur ». Ce thème de la « distribution spatiale des
activités au sein des firmes » a été largement exploré et s’intéresse à la manière dont l’espace
est pris en compte dans la formulation de la stratégie (Lauriol et al. 2008b). La position
« nodale » d’un acteur, c’est-à-dire sa place au sein d’un réseau d’acteurs innovants, constitue
un levier de croissance pour les entreprises. Plaidant en faveur d’un management « glocal »,
Carluer (2005) montre que l’insertion territoriale des entreprises multinationales est
aujourd’hui plus forte, car elles ont davantage tendance à privilégier les compétences du
territoire d’accueil, « sources potentielles d’interactions fructueuses ». L’inscription
territoriale des firmes dessert notamment la stratégie globale des groupes et notamment en

56
matière d’emploi (Raveyre, 2005). La prise en compte de l’espace et du territoire peut entrer
dans la formulation de la stratégie des firmes et certains n’hésitent pas à évoluer vers une plus
grande « régionalisation » de leur organisation globale qui se traduit par la prise en compte
des caractéristiques locales. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de la répartition spatiale
des fonctions d’innovation et de conception (Tannery et Laurent, 2007), qui sont en général
fortement dépendantes des liens historiques établis avec les universités et les laboratoires de
recherches (Daviet, 2004). Lorsque l’espace local génère des formes de proximités
organisées, alors les firmes auront tendance à favoriser un ancrage territorial (Lauriol et al.
2008b).
Dans une démarche de réciprocité de la relation firme-territoire (Colletis et al. 1997), les
entreprises sont amenées à passer d’une logique de « prédation » à une logique de
« construction des ressources » (Perrat et Zimmermann, 2003), les incitant, par exemple, à
s’engager plus fortement au sein de projets locaux de développement économique. Cette
« rencontre productive » concourt à la création des ressources, de la firme et du territoire.
3.1.2.2. La compétence-clé des territoires, source de leur compétitivité
Certaines régions sont considérées comme étant plus dynamiques que d’autres sur le plan
économique. Les géographes de la proximité tentent d’expliquer ces écarts notamment à
l’aide de concepts tels que les « capacités localisées »18, résultant de l’exploitation de
ressources naturelles sur un territoire ou bien des infrastructures, de l’environnement ou
encore d’un savoir-faire régional (Malmberg et Maskell, 2006). Ces analyses ont peu à peu
permis d’envisager l’extension des concepts utilisés en sciences de gestion et appliqués aux
territoires. Boshma (2004) défend également l’idée selon laquelle il est pertinent d’établir un
parallèle entre la notion de compétitivité appliquée à la firme et appliquée aux régions. Selon
cet auteur, les régions fonctionnent également comme des entités, avec leurs opportunités et
leurs contraintes. Autrefois fondée sur l’exploitation de ressources physiques, la compétitivité
des territoires repose en effet aujourd’hui en grande partie sur la combinaison des ressources,
immatérielles, qui, lorsque les acteurs sont organisés, peut aboutir à la constitution d’une
compétence-clé d’un territoire et donc un avantage compétitif (Nekka et Dokou, 2004,
Mendez et Mercier, 2006). Aussi, cette « dématérialisation requiert davantage de
18 Traduction de « localized capabilities »

57
coopération entre acteurs locaux et l'établissement d'une "gouvernance territoriale ». La
capacité des acteurs à s’organiser constitue la compétence-clé d’un territoire.
Lawson (1999) plaide également en faveur de l’extension du concept de compétence de la
firme à la région. La compétence d’une région est ici comprise comme l’une des propriétés
émergentes des activités sociales de la région. En d’autres termes, bien que les firmes et les
régions soient deux objets différents, elles sont toutes deux définies par une articulation de
compétences émergeant au croisement de formes d’interactions sociales, ce qui rend possible
cette comparaison. Ces approches convergent autour de l’idée que « quelque chose » émerge
de l’interaction d’organisations regroupées sur un même espace, qu’il propose de nommer
« compétence régionale ». Cette idée de compétence régionale fait écho à celle de
« compétence-clés des territoires », développée par Mendez et Mercier (2006).
Le concept de compétence-clé des territoires est intéressant dans le cadre de notre recherche,
car on peut supposer que le développement de projets inter-organisationnels, amenant les
organisations locales à coopérer, comme cela pourrait être le cas avec la GRH territoriale,
peut contribuer à l’émergence d’une telle compétence-clé.
3.1.2.3. La compétence territoriale
Une notion voisine de celle de compétence-clé des territoires est celle de compétence
territoriale. Tandis que la première désigne la capacité des acteurs locaux à se coordonner, la
seconde revoie à l’idée d’une spécialisation affichée dans un domaine d’activité particulier.
En effet, d’abord envisagée comme individuelle, la compétence renvoie à « des combinaisons
de ressources qui rendent ‘capable de’, dans un contexte donné » (Defélix et Retour, 2007,
p.119). Cette compétence a ensuite été envisagée à d’autres niveaux que celui de l’individu.
On parle ainsi de la compétence collective en référence à l’activité d’un groupe de travail, et
de la compétence organisationnelle lorsqu’il s’agit de l’entreprise (Defélix et al. 2009c). La
compétence territoriale se définit alors comme « une combinaison de ressources
géographiquement proches permettant au territoire d’afficher une spécialisation
compétitive » (Defélix et Mazzilli, 2009, p.201).

58
Gérer les compétences individuelles locales en prenant en compte la ou les compétences
territoriales peut faciliter l’anticipation de l’évolution des métiers sur ce territoire. Cela peut
déboucher sur des dispositifs de formation adéquats, de recrutements conjoints sur une
limitation de l’impact des restructurations, etc. Un lien peut aussi être envisagé entre les
compétences individuelles et la compétence territoriale par le biais de l’apprentissage collectif
localisé d’une région (De Bernardy, 1998). Ce concept permet donc de développer l’idée
d’une gestion des ressources humaines ayant pour objectif de décliner des actions de GRH à
l’attention des salariés du territoire et dédiée à la consolidation de cette compétence
territoriale.
3.1.2.4. La gouvernance territoriale
De même que la notion de compétitivité de la firme a été étendue au territoire, la notion de
gouvernance appliquée au territoire recouvre également un champ d’études en émergence. La
gouvernance territoriale pointe « l’élargissement du champ des acteurs impliqués, de
l’interdépendance des acteurs et des organisations tant privées que publiques dans le
processus de prise de décisions » (Leloup et al. 2005, p.326). Le rôle de cette gouvernance
locale va au-delà d’une simple consultation, car elle doit permettre de susciter l’adhésion, la
participation et l’implication des acteurs locaux autour d’une visée commune. On distingue
trois types de structures de gouvernance locale en fonction des acteurs dominants : une
gouvernance privée (les acteurs privés, dominants, pilotent les dispositifs de coordination et
de création de ressources) ; une gouvernance privée collective (l’acteur-clé est une institution
formelle qui regroupe des opérateurs privés) ; une gouvernance publique (les institutions
publiques sont le moteur des dispositifs de coordination locale) (Mendez et Mercier, 2006,
p.257). De plus, cette gouvernance territoriale peut être appréhendée au travers de quatre
fonctions critiques : la fonction réflexion/concertation, la fonction décision/pilotage, la
fonction animation/maintien et la fonction mise en œuvre stratégique/ingénierie territoriale
(Michaux, 2009). Xhauflair et Pichault (2009) mettent en avant le rôle de ce tiers-traducteur
dans la mise en place de pratiques de « fléxicurité » au sein de périmètres inter-
organisationnels au niveau local. Le centre de traduction dans le processus de construction du
dispositif est central. Geindre (2005) met en évidence les trois rôles de l’acteur tiers au sein
d’un réseau local : initiateur des relations, facilitateur de leur développement et garant du bon
fonctionnement du réseau.

59
La gouvernance territoriale est également un concept qui fait sens dans cette recherche,
puisque la mise en œuvre de pratiques de GRH à l’échelle d’un territoire requiert une
structure de pilotage, telle que décrite par ce concept.
3.2. L’affirmation des préoccupations territoriales pour l’emploi, le
travail et la GRH
Les entreprises et les acteurs publics sont incités à endosser voire à inventer de nouveaux
rôles, conduisant à l’émergence de dispositifs territoriaux multi-acteurs envisagés en dehors
des périodes de restructurations.
3.2.1. Les entreprises et les acteurs publics : nouveaux rôles ?
Jusque dans les années 70, les restructurations et les délocalisations en France ne concernent
qu’un nombre restreint de secteurs industriels et un petit nombre d’acteurs (entreprises,
syndicats, Etat central). Elles sont aujourd’hui plus fréquentes et on assiste également à la
multiplication des parties prenantes (administrations déconcentrées, élus locaux, collectivités
locales, organismes consulaires…) (Aggeri et Pallez, 2005). Mais ces restructurations sont
ainsi parfois l’occasion de voir se développer de « nouvelles formes d’actions collectives
territorialisées » dans le but de réduire l’impact des licenciements économiques. Le territoire
devient ainsi, peu à peu, un lieu d’expérimentations en matière de transition professionnelle et
de reclassement (Beaujolin-Bellet, 2008 ; Raveyre, 2005).
Dans ce contexte, les entreprises sont incitées à participer à la revitalisation des territoires et à
s’engager de manière responsable envers leurs sous-traitants locaux, tandis que les acteurs
publics sont amenés à développer encore davantage le lien emploi-formation au niveau
territorial.
3.2.1.1. La responsabilisation des entreprises envers le territoire
Certains groupes, face à un impératif de restructuration, s’engagent en effet dans des logiques
d’inscription territoriale de la gestion du travail et de l’emploi. L'objectif est de faciliter le

60
reclassement des salariés et la reconversion des sites. L’étude de cas développée par Raveyre
(2005) prend pour exemple le groupe St-Gobain, qui a mis en lace une « inscription
territoriale de la gestion du travail et de l’emploi ». Dans ce cadre, l'implication locale « tend
à devenir un outil permanent de la politique de gestion des ressources humaines du groupe »
(ibid., p. 338). L'objectif est de faciliter le reclassement des salariés et la reconversion des
sites. L'intérêt du groupe dans cette démarche est de réduire les coûts économiques et sociaux
des restructurations, de préserver l'image de l'entreprise dans l'opinion publique et de se
révéler être un moyen utile de gestion flexible des ressources humaines.
Ces initiatives indiquent que la perspective temporelle n'est plus limitée à la gestion de la
crise, mais est élargie à une réflexion sur l’anticipation des risques liés à l’emploi.
Cette responsabilisation croissante s’observe également entre une entreprise donneur d’ordre
et ses sous-traitants locaux. Le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) situé à Toulouse a
ainsi mis en place un système d’anticipation de la transition sociale, conséquente au
renouvellement des contrats de sous-traitance. Cela a pour objectif la préservation de l’emploi
et des compétences de chacun. Ce processus a été conçu entre donneur d’ordre, sous-traitants
retenus et sous-traitants non retenus. Le principe repose, pour les salariés des entreprises non
retenus, à anticiper et prévenir les conséquences (Nabet, 2007).
Enfin, dans ce contexte, les entreprises de travail temporaires sont amenées à remplir une
fonction d’intermédiation importante au niveau local (Guégnard et al., 2008). Elles permettent
ainsi de réduire les pénuries de main-d'œuvre sur le marché du travail et de soutenir les
entreprises en matière de recrutement.
Gazier (2005, 2007) a contribué à définir et appréhender la notion de marchés transitionnels
du travail (MTT), à la suite d’une réflexion sur les réformes des politiques d’emploi dans les
années 1990. L’auteur plaide en faveur des intermédiaires sur le marché du travail lors de
restructurations, qui se traduit par une conception élargie de la gestion des reclassements et
une implication des parties prenantes plus large, et cela dans une approche qui va au-delà des
initiatives isolées de démarches de restructurations anticipées et responsables. Il propose pour
cela de s’appuyer sur un « espace élargi de transitions » et une meilleure articulation des
perspectives de mobilité et de fidélisation des salariés afin d’obtenir une vision à long terme
des conditions d’employabilité. Mais cet « aménagement collectif des trajectoires des

61
travailleurs » ne pourra se faire qu’au prix d’une redéfinition des responsabilités des acteurs
au profit d’une meilleure complémentarité. Il défend l’idée selon laquelle « l’émergence
d’acteurs territoriaux puissants et outillés se saisissant à la fois de l’organisation des
trajectoires et du choix des spécialisations productives régionales » peut constituer une voie à
explorer (Gazier, 2007). C’est le niveau territorial qui lui semble le plus à même de pouvoir
soutenir les intermédiaires sur le marché du travail. Cela ne peut se faire sans l’implication
des acteurs publics.
3.2.1.2. L’extension du rôle des acteurs publics sur le territoire
La force de travail constitue un atout privilégie pour la compétitivité des territoires (Ternaux,
2006). La sphère publique s’empare ainsi de manière croissante des questions relatives au
développement des compétences de la main d’œuvre et soutient de cette manière les
initiatives locales en ce sens. De plus, les politiques d’aménagement du territoire ayant été
déléguées aux collectivités territoriales à partir des années 80, «le développement local se
substitue désormais au développement « par le haut » (Pecqueur, 2008, p.312).
D’après Forgues et al. (2006), « saisir l’inter-organisationnel implique que l’on prenne en
considération les institutions locales qui animent, conditionnent ou structurent les échanges
entre organisations ». En effet, d’autres acteurs que les entreprises relevant du secteur privé
ont un rôle à jouer sur le territoire en matière d’emploi et de développement des compétences.
Les universités, par exemple, sont amenées à jouer un rôle croissant, à l’heure de la
mondialisation et de la société de la connaissance. L’attractivité des territoires dépend en
partie de la richesse et de la qualité des liens établis entre l’enseignement supérieur, la
recherche et les entreprises. L’enseignement est l’un des vecteurs assurant le développement
des ressources spécifiques d’un territoire dont découlent ses compétences distinctives
(Jameux, 2008). La qualité des formations dispensées par une université et les relations que
celle-ci entretient avec les entreprises du territoire est l’un des vecteurs de dynamisme
économique d’une région (Bathelt, 2001). Le niveau d’éducation de la main-d’œuvre aurait
une influence positive sur la capacité d’une région à favoriser l’innovation (Gössling et
Rutten, 2007).
Plus globalement, l’établissement d’un lien entre la formation et le territoire est crucial, car
cela permet d’assurer aux entreprises les ressources humaines dont elles ont besoin et ainsi de

62
réduire les risques de délocalisation : « Les spécialisations territoriales dans la recherche et
l’innovation sont une des conditions de réussite de cet objectif : la tentative est faite de
promouvoir une adéquation plus forte de la recherche de et la formation aux besoins des
entreprises locales » (Larceneux, 2007, p.86). Dans ce contexte, les Chambres de Commerce
et d’Industrie sont également appelées à jouer un nouveau rôle qui s’oriente vers un rôle de
maillage d’acteurs, appuyé sur la construction d‘une gouvernance territoriale (Lambert, 2007).
Bel (2007) témoigne de l’intérêt grandissant d’une approche territorialisée de la relation entre
la formation et l’emploi, et que cette relation résulte d’interactions diverses entre les acteurs
privés et publics. Sont en cause notamment le processus de décentralisation initié depuis
1982, mais également les transformations du travail amenant à de nouvelles façons de
concevoir la formation afin d’adapter les compétences. Bel et Berthet (2009, p.39-40)
insistent sur la dimension collective de la prise en charge de l’interaction entre la formation et
le niveau du territoire : « Au niveau local notamment, la construction de l’offre de formation
doit donc être développée en relation avec l’activité économique. Autrement dit, la politique
en la matière nécessite une articulation au développement économique et aux lieux de
coopération politique. Elle nécessite des coordinations entre entreprises et acteurs publics
pour identifier les besoins, réunir l’information sur les offreurs et les demandeurs d’emploi.
Ce qui est alors en cause, c’est la façon dont les acteurs tant privés que publics élaborent, par
un apprentissage collectif des connaissances, des normes et des règles communes, ils
parviennent à faire converger leurs objectifs de façon à concevoir un bien commun : l’emploi
et la formation ».
La tendance observée par Bel et Berthet (2009) de territorialisation des politiques d’emploi et
de formation va, selon ces auteurs, de pair avec la recherche d’un niveau plus fin
d’intervention, celui de l’individu, dont la mise en place de dispositifs de GRH sur le territoire
peut être l’une des déclinaisons.
3.2.2. L’émergence de dispositifs territoriaux multi-acteurs
Cela se concrétise par l’émergence de dispositifs territoriaux multi-acteurs. Certains sont
développés le cadre de restructurations, tandis que d’autres sont envisagés « à froid » et dans
une logique de support RH aux entreprise locales.

63
3.2.2.1. …suite à des restructurations
Les différentes études réalisées dans le cadre du programme de recherche européen MIRE
(Monitoring Innovative Restructuring in Europe) (Beaujolin-Bellet, 2008) ont permis de
mener des réflexions autour des conditions et des modalités d’émergence des dispositifs de
restructurations considérés comme « innovants » de la part des acteurs impliqués. Les
différents cas étudiés donnent naissance à des outils permettent d’organiser la rencontre entre
des salariés en sureffectifs et des entreprises potentiellement recruteuses. Plusieurs cas ont été
étudiés, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et en Suède. A Göteborg, suite à
l’annonce de licenciements par Ericsson, un important dispositif multi-acteurs a été déployé
afin de permettre aux salariés licenciés de retrouver un emploi dans les entreprises de la
région ou bien de créer leur propre entreprise (Bergström et Diedrich, 2006). Dans la région
du Bedfordshire en Angleterre, la fermeture de l’usine de fabrication automobile Vauxhall,
située à Luton, a également permis de mettre en œuvre un dispositif de reclassement. Au final,
1540 personnes ont pris part au programme, dont 1214 ont eu accès à la formation
professionnelle afin de retrouver un emploi, ayant permis à de nombreuses personnes l’accès
à de nouvelles carrières professionnelles (Wood, 2006).
D’autres recherches ont contribué à documenter les dispositifs territoriaux construits en
réaction à des restructurations. Aggeri et Pallez (2005) étudient deux dispositifs multi-
acteurs : le premier concerne un dispositif mis en place dans le secteur de la chaussure dans le
Choletais. Il est constitué par un rassemblement de diverses cellules de reclassement en une
« plateforme de reconversion professionnelle », et par un « comité de pilotage de l’économie
choletaise », animé par le sous-préfet du Cholet et ayant l’objectif de supporter une vision
d’anticipation en terme de développement sur le territoire. Malgré un bilan quantitatif en-deçà
des attentes (seuls 43 % des salariés ayant été orientés par la plateforme ont retrouvé un CDI
par la suite), ce dispositif a acquis une forte légitimité sur le territoire et a suscité l’émergence
d’une véritable « dynamique territoriale ».
Le second cas traite du risque de désindustrialisation dans la filière automobile. Différents
leviers pourraient être mobilisés afin d’anticiper collectivement ce risque, parmi lesquels une
« ingénierie des compétences » et une « organisation collective de la réactivité ». Dans le
premier cas, il s’agirait de s’assurer que les entreprises sur un territoire peuvent disposer des
compétences dont elles ont besoin afin de les inciter à s’installer ou à rester. Le second cas

64
repose sur la capacité de mobilisation collective des acteurs territoriaux à conclure un projet
commun. Malgré les différences apparentes de ces deux cas, les auteurs ont identifié un
certain nombre de traits communs concernant les conditions d'émergence d'une action
collective territoriale : des solidarités historiques latentes et anciennes, la permanence des
individus porteurs de ces dispositifs en assurant la continuité, l’animation du réseau reposant
sur l’échange d’informations, la mobilisation parfois inattendue, des responsables industriels
locaux, et enfin, un support financier attractif.
3.2.2.2. …envisagés « à froid »
Paradas (2007) montre que la coopération à l’intérieur d’un territoire peut être une réponse au
problème de recrutement et de formation pour les PME, grâce à des dispositifs tels que le
partage de salariés par le biais du détachement, les groupements d’employeurs, les entreprises
de travail à temps partagé, le développement conjoint d’un ensemble une activité, etc. La
formation professionnelle continue peut aussi être envisagée à l’échelon territorial,
notamment afin d’inciter les PME et TPE à former leurs salariés. L’accès à ces formations
peut être facilité par les réseaux d’entrepreneurs (Michun, 2007).
Les groupements d’employeurs sont l’une des formes de ces réseaux d’entrepreneurs.
Zimmermann (2006) présente les particularités de la relation de travail dans les groupements
d’employeurs (GE). Au-delà de l’assurance d’une flexibilité pour l’employeur et d’une
sécurité pour le salarié, l’auteur souligne tout particulièrement les conséquences de la
triangulation que cette relation de travail implique sur l’identité professionnelle des salariés.
Au sein des groupements d’employeurs, l’activité des salariés peut être partagée sur l’année
(saisonnière) ou sur la semaine. Les raisons invoquées par les entreprises dans le cas du
recours à un groupement d’employeurs sont les suivantes : il peut s’agir d’une logique
d’externalisation, permettant à l’employeur de se libérer des contraintes juridiques liées à
l’embauche. Cette pratique peut ensuite être assimilée à une logique d’aide à l’embauche ;
dans ce cas, le groupement d’employeurs s’apparente à un cabinet de recrutement. Le GE
permet également de recourir à une logique d’accès à des compétences spécifiques et de
répondre à des besoins de personnels qualifiés à temps partiel, notamment dans les TPE et les
PME. Il peut enfin s’agir d’une logique de fidélisation d’une main d’œuvre intermittente ou
saisonnière.

65
La spécificité des GE tient à la dimension tripartite de la relation d’emploi (Martin, 2006)
qu’ils autorisent, entre les entreprises d’un même territoire, un « tiers employeur » et le
salarié. L’étude réalisée par Martin (2006) place les systèmes de rémunération en vigueur
dans les GE au cœur de l’étude de cette relation d’emploi. Il montre combien les règles de
rémunération des GE sont complexes. En effet, les composantes de la rémunération (salaire de
base, part variable, individuelle ou collective) sont pour partie indépendantes, car elles sont
attachées à des systèmes faiblement interconnectés (contraintes juridiques liées aux
conventions collectives des entreprises adhérentes au GE, accords d’entreprises, règles
managériales en matière de rémunération, etc.). Bien que la rémunération constitue un point
de tension dans cette relation d’emploi tripartite, l’auteur souligne le potentiel que représente
un GE pour la compétitivité d’un territoire, à condition d’envisager la mutualisation des
ressources non pas seulement du point de vue de chacune des entreprises adhérentes, mais du
point de vue du réseau d’entreprises dans son ensemble. Le directeur d’un GE pourrait remplir
une fonction d’animation d’un réseau d’entreprises afin de développer l’accessibilité des
compétences pour les PME par exemple grâce à cette relation d’emploi particulière.
Au sein d’un Groupement d’Associations de zones d’activités sur le territoire clermontois en
Auvergne, Bernon et al. (2006) s’intéressent à la mutualisation des pratiques de GRH à
l’intention des TPE et PME sur un territoire existant. L’enquête réalisée auprès de 1206
entreprises a mis en évidence les besoins émis par les dirigeants et les salariés du territoire
que la mutualisation pourrait satisfaire : les premiers ont exprimé le souhait d’être épaulés en
matière de recrutement et de formation, sur les œuvres sociales et de manière générale sur la
recherche d’infirmations sur des thèmes RH pertinents. Les seconds ont également déclaré
avoir des attentes envers l’amélioration des œuvres sociales, la recherche d’informations, la
formation et la rencontre avec d’autres salariés. Ces constats ont débouché sur
l’expérimentation d’actions de mutualisation : ont ainsi été mises en place une « boîte à outils
RH » (mise à disposition de fiches concernant les aspects sociaux, le recrutement, la
formation), un « bureau des mobilités » (échanges sur les besoins de recrutement entre les
salariés et les dirigeants) et une « commission pour l’amélioration du cadre de vie au travail ».

66
Synthèse de la section 3
Cette section a mis en lumière d’une part, l’intérêt des concepts issus de l’économie de la
proximité envers l’espace et la territorialité, réinvestis par les sciences de gestion. Plusieurs
concepts, traditionnellement employés dans le cadre de la firme, sont aujourd’hui étendus au
territoire. Ceci est le cas notamment des concepts de compétitivité, de compétence et de
gouvernance. D’autre part, la littérature indique une affirmation croissante pour la prise en
compte des préoccupations autour de l’emploi, du travail et de la GRH au niveau territorial.
Les entreprises et les pouvoirs publics sont incités à jouer un rôle important pour la prise en
charge de ces problématiques. Des dispositifs multi-acteurs ont ainsi vu le jour, et où une
coopération croissante d’acteurs privés et publics est nécessaire. Certains dispositifs sont
déployés en réaction à des restructurations impliquant l’ensemble de la région, mais d’autres
dispositifs au contraire, sont envisagés dans une logique d’anticipation des difficultés
économiques ou plus globalement, de soutien aux entreprises.
Dans les processus mis en place, c’est davantage la capacité des acteurs à coordonner
différents leviers déjà existants qui conditionne en partie la réussite des restructurations plutôt
que la nature même des dispositifs et des outils déployés.
Une partie de la littérature relève du champ de l’emploi et du travail, dans des perspectives
socio-économiques. Il est nécessaire d’apporter notre contribution sur l’étude des dispositifs
de gestion des ressources humaines qui constituent le socle de ces initiatives.

67
4. Synthèse de la revue de littérature et conclusion du chapitre 1
4.1. Synthèse
Le développement de l’entreprise-réseau met en exergue la coexistence de différents systèmes
de GRH et appelle ainsi la fonction à se renouveler. Le cas particulier des réseaux territoriaux
d’organisation renforce l’idée selon laquelle la prise en considération de la main-d'œuvre
locale est cruciale pour soutenir l’innovation et la compétitivité de ces réseaux. La récente
politique française des pôles de compétitivité invite au renforcement de ces initiatives. En
parallèle, la GRH a tendance à être envisagée de manière collaborative et étendue en contexte
de proximité géographique et organisée. Cela permet d’initier des collaborations entre acteurs
publics et privés autour de la gestion des ressources humaines d’un territoire. Les
enseignements de cette revue de littérature sont synthétisés par la figure ci-dessous :
4
- Coexistence de systèmes RH - Renouvellement de la fonction RH ?
-Collaboration d’acteurs publics et privés- Dispositifs territoriaux multi-acteurs
,
- Importance des RH au sein des RTO - Besoin d’études longitudinales
Entreprise-réseauet GRH
RTO et GRH
Territoireet GRH
Figure 3: Principaux constats et enseignements tirés de l'examen de la littérature

68
4.2. Conclusion
Au terme de ce premier chapitre, l’intérêt d’étudier les contours d’une GRH « élargie », que
nous appellerons dès le chapitre 2, « GRH territoriale », a été montré.
Une clarification de la notion de GRH territoriale est nécessaire, c’est pourquoi une définition
sera proposée au chapitre 2 grâce à l’apport de la revue de littérature réalisée, mais aussi grâce
à un état des lieux empirique.
Les dispositifs de gestion au cœur de la GRH territoriale et leur émergence seront en
particulier étudiés.

69
Chapitre 2 : Les dispositifs inter-organisationnels de
GRH territoriale : éléments de définition,
problématique et cadre d’analyse
Les enseignements tirés du chapitre précédent ont établi l’intérêt d’étudier, d’une part, la
GRH inter-organisationnelle et territorialisée. D’autre part, cela a permis d’orienter nos
recherches sur l’étude des dispositifs qui soutiennent ces initiatives. Cela conduit à la
nécessité de cerner d’abord, les contours du phénomène étudié, que nous nommerons par la
suite « GRH territoriale ». Ensuite, une problématique de recherche sera élaborée au fil de ce
chapitre, débouchant sur la présentation d’un cadre d’analyse. La problématique sera précisée
par des questions de recherche.
Figure 4: Plan de la thèse et chapitre 2

70
Le présent chapitre est construit de la manière suivante :
La première section établit un état des lieux des notions de GPEC territoriale et de
GTEC (gestion territoriale des emplois et des compétences), à partir desquelles notre
définition de la GRH territoriale sera élaborée.
La deuxième section présente un assemblage conceptuel permettant de considérer la
GRH territoriale au prisme de ses dispositifs de gestion. Nous précisons ensuite
l’usage que nous effectuons de la théorie de l’acteur-réseau, mobilisée ici afin de
rendre compte de la construction dans le temps d’un dispositif de gestion dans une
dimension inter-organisationnelle.
La troisième section propose une problématique de recherche ainsi qu’un cadre
d’analyse et des questions de recherche.
La conclusion offre un panorama synthétique du design de la recherche.

71
1. Les contours de la GRH territoriale
Les enjeux soulevés par la revue de littérature ont permis d’orienter nos travaux de recherche
vers l’étude de la construction d’un phénomène organisationnel, que nous avons nommé
jusqu’alors « GRH inter-organisationnelle », « GRH hors les murs », « GRH élargie » ou
« GRH étendue ». Cette section vise à mettre fin à l’usage de ces termes multiples. La suite de
nos travaux précise que nous retenons le terme de GRH territoriale et nous justifions cet
usage. Afin de cerner cette notion au plus près, un constat empirique de la GRH territoriale
sera d’abord établi (1.1.). Ceci permettra ensuite de proposer notre définition (1.2.).
1.1. Etat des lieux empirique
L’état des lieux empirique se fonde sur l’examen de deux sources d’informations principales.
D’une part, il s’agit de la presse professionnelle et des rencontres établies avec des praticiens
lors d’entretiens exploratoires, et d’autre part, des guides et des rapports officiels, cités et
présentés plus loin. Ces informations permettent de restituer un panorama illustratif de la
diversité des pratiques de GRH sur le territoire. Cela débouche sur une clarification des
notions visant à nommer des phénomènes parfois similaires, parfois distincts.
1.1.1. Un panorama de la diversité des pratiques de GRH sur le territoire
La difficulté de repérer les initiatives existantes est réelle, car derrière une même appellation,
les actions mises en œuvre sont très diverses. De même, d’autres initiatives sont développées
sans être toutefois qualifiées de « GPEC T », ni même de GRH territoriale. Voici néanmoins
quelques exemples tirés de la presse professionnelle et sélectionnés car permettant d’illustrer
les pratiques et les actions émergentes.
1.1.1.1. Illustrations de quelques pratiques
Certaines pratiques de GPEC territoriale sont mises en place avec l’objectif de faciliter les
transitions professionnelles. Ainsi, lors d’un article consacré à la GPEC territoriale en février
2010, la revue Entreprise & Carrières a relaté l’expérience du projet TransverS’AL impulsé
par les syndicats de la filière textile, en réaction aux multiples restructurations. Le dispositif,

72
créé en 2008, visait à établir un diagnostic des perspectives d’emploi de la filière auprès de 31
communes du bassin Sud Alsace19. Ce projet a été piloté par la Maison de l’Emploi et de la
Formation du pays de la région mulhousienne. Dans une autre région, le groupement
d’activité Ametis a proposé à Tours un outil de GPEC territoriale favorisant l’insertion. Il a
offert un Contrat de travail de transition à durée indéterminée à des personnes éloignées de
l’emploi et leur a proposé des formations en fonction des besoins des entreprises adhérentes
au dispositif20.
D’autres pratiques relatées par la presse sont également mises à l’honneur mais sans toutefois
être présentées sous le nom de GPEC territoriale. Elles en sont néanmoins très proches. Ainsi,
le travail réalisé dans le cadre de notre mémoire de Master Recherche en 2006-2007 nous
avait conduite à étudier le Pôle de Mobilité Régional21. Celui consiste en un partenariat
regroupant quatre entreprises du bassin grenoblois (STMicroelectronics, Hewlett-Packard,
Radiall et Cap Gemini) au sein d’une association Loi 1901. Il s’agit d’un dispositif externe à
ces entreprises, mais accessible de manière anonyme et volontaire aux salariés des entreprises
partenaires, en fonction des conditions d’éligibilité définies dans les accords de GPEC
internes respectifs. Chaque salarié a la possibilité de rencontrer un consultant afin de
construire un projet professionnel personnalisé : formation, reconversion, création
d’entreprise etc. Le projet professionnel sort de l’anonymat lorsque celui-ci est jugé viable par
le consultant. Il est alors validé lors d’un comité associant les entreprises, les syndicats et les
institutions publiques pour l’emploi. Il s’agit d’un dispositif installé de manière pérenne et
fonctionnant, pour les entreprises adhérentes, en dehors de tout plan social. Les salariés ont la
possibilité de réintégrer l’entreprise si le projet ne fonctionne pas. En 2008, près d’une
quarantaine de projets professionnels avaient pu aboutir.
Dans un autre contexte, nous avons pris connaissance du dispositif développé dans le parc
naturel du Massif des Bauges lors d’un entretien auprès de Sandrine Bonnaud, chargée de
19 « La GPEC territoriale, acte I », Entreprise & Carrières, n°989, du 16 février au 22 février 2010, p.12-13. 20 « Un outil de GPEC territoriale qui favorise l’insertion », Entreprise & Carrières, n°1014, du 7 au 13 septembre 2010, p.29-30. 21 Plusieurs entretiens avaient été réalisés en juin 2007 auprès de : Alain Brémon, consultant en charge du pilotage du Pôle de Mobilité Régional, Monique Donnadieu, Responsable RH chez STMicroelectronics, Jean-Pierre Wilsch, DRH de Radiall, et Maurice Glatigny, Délégué Syndical CFE-CGC STMicroelectronics.

73
mission au CIBC de la Savoie22. La démarche s’adresse aux salariés des filières
professionnelles présentes sur ce territoire et particulièrement soumis aux effets de
saisonnalité, en raison des lieux de fréquentations touristiques ou des activités agricoles.
Rassemblant, en 2008-2009, 12 élus, 23 institutionnels et 25 entreprises, le dispositif permet
aux salariés volontaires de disposer d’un suivi personnalisé afin de sécuriser leur évolution
professionnelle en anticipant les difficultés potentielles d’emploi sur le bassin, grâce à des
bilans de compétences ou à des formations.
Enfin, lors d’un entretien avec Annie Delaunay23, responsable du dispositif Transcompétences
au sein de la Maison de l’Emploi et de la Formation de Rennes, il nous a été fait part de
l’organisation de la démarche initiée. Celle-ci consiste à développer la mobilité inter-
entreprises et inter-sectorielle. Elle repose sur le partage entre les acteurs d’une vision
commune des savoir-faire, afin de permettre des « transferts de compétences » entre les
organisations partenaires du dispositif. Il s’agit d’une part, d’accompagner les entreprises
connaissant des difficultés de recrutements, et d’autre part de soutenir les démarches de
personnes en mutations professionnelles.
De nombreux exemples pourraient encore être donnés tant les initiatives proches de celles que
nous avons présentées sont nombreuses en France. Ce panorama a mis en exergue la
coexistence d’actions et de dispositifs, d’une part, très divers, mais, d’autre part, ayant une
vocation commune, au-delà de leurs appellations : celle d’établir un partenariat à l’échelle du
territoire entre des organisations relevant du domaine privé et du domaine public dans la
plupart des cas, et ceci afin de développer une gestion des ressources humaines territoriale.
1.1.1.2. Illustrations de quelques définitions Souvent, ce sont les responsables de projets au sein de cabinets de conseils qui proposent leur
définition de la GPEC territoriale. Ainsi, dans un autre article de presse professionnelle, le
22 Nous avons rencontré Sandrine Bonnaud suite au Forum de l’Innovation sociale organisé à Lyon le 15-16 juin 2009. Le CIBC (Centre interinstitutionnel de bilan de compétences) de la Savoie est une structure indépendante, ayant pour mission la réalisation de bilans de compétences pour toute personne volontaire et l’innovation en matière d’orientation, d’insertion et de gestion des compétences. L’entretien a été réalisé dans les locaux du CIBC à Chambéry le 23 juillet 2009. Il a été enregistré et retranscrit. 23 Nous avons rencontré Annie Delaunay dans le cadre du Forum de l’Innovation sociale. Un entretien téléphonique a été réalisé le 7 juillet 2009 à notre demande, afin de connaître et comprendre le développement du dispositif Transcompétences. Il a été enregistré et retranscrit.

74
directeur général du cabinet Altédia définit la GPEC territoriale par une approche réunissant
« des acteurs d’un territoire qui se coordonnent pour anticiper leurs besoins en matière de
ressources humaines et cherchent à agir ensemble ». Selon lui, le terme de « gestion
territoriale des métiers et des qualifications » serait une formule plus adaptée. Le cabinet est
intervenu en Savoie, où il a accompagné les organisations patronales locales dans la création
d’un référentiel des emplois de vingt-deux entreprises du territoire24. Xavier Baron et Fréderic
Bruggeman parlent quant à eux de la GTE (gestion territoriale des emplois) comme « la mise
en œuvre, localement adaptée, des moyens d’accroître « l’employeurabilité », à proximité des
entreprises présentes sur le territoire » (p.7)25.
1.1.2. Les guides et les rapports illustrant une demande sociale
En parallèle, plusieurs guides de bonnes pratiques ont été élaborés depuis 2008, proposant
chacun une définition de la GPEC T ou de la GTEC. D’autres encore ont été rédigés par des
associations ou des organismes de conseils. Ces guides illustrent l’importance de la
demande sociale sur ce phénomène, mais permettent aussi de repérer deux tendances dans
les approches données.
1.1.2.1. Vue d’ensemble sur les guides et les rapports
Il est possible de classer ces guides en deux grandes catégories en fonction de l’orientation
majoritaire du dispositif : certains guides envisagent en effet davantage ces initiatives, quelle
que soit leur appellation, comme l’un des moyens d’articuler les mobilités professionnelles au
niveau territorial. Dans ce cadre-là, la GPEC T ou GTEC renvoie en premier lieu aux
transitions professionnelles.
A un second niveau, la GPEC T ou GTEC est appréhendée davantage comme une démarche
de développement local, comprise comme la mise en œuvre d’un projet territorial ayant
vocation à rassembler l’ensemble des acteurs économiques du territoire. Dans ce cas, le volet
RH est présent, mais ne représente qu’une partie de la démarche. L’effort de mobilisation
d’un collectif est donc plus largement mis en avant par cette seconde conception.
24 « Le territoire est l’espace naturel des mobilités professionnelles », Personnel, n°498, mars/avril 2009, p.66-67. 25 « Inventer la GTEC en temps de crise », AEF.info, avril 2009, 8 pages.

75
Ces deux aspects sont présents dans chacun de ces guides, mais nous les avons classés en
fonction de leur orientation majeure. Une présentation synthétique de ces documents est
donnée ci-dessous :
Date Titre
Organisme Définition : mots clés
Faciliter les transitions professionnelles
Mars 2010
« Gestion territoriale des emplois et des compétences »26
Centre de ressources du développement territorial
GTEC : Politique de l’emploi Mobilité professionnelle
Mars 2011
La GPEC territoriale à l’épreuve de la pratique27
Astrees (Association Travail Emploi Europe Société)
GPEC territoriale : Mobilité Anticipation Gestion locale des transitions professionnelles
Organiser le développement socio-économique local
Mai 2009
« Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de territoire. Expériences et bonnes pratiques des comités de bassins d’emploi »28
Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi
GPEC de territoire : Démarche de territoire Diagnostic partagé Compétences
26 « Gestion territoriale des emplois et des compétences », dirigé par Hervé Dagand, Centre de ressources du développement territorial, Mars 2010, 47 pages. 27 « La GPEC territoriale à l’épreuve de la pratique », rédigé par Jean-Luc Charlot et Jean-Marie Bergere, Astrees, Mars 2011, 28 pages. 28 « Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de territoire. Expériences et bonnes pratiques des comités de bassins d’emploi », Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Mai 2009, 138 pages.

76
Mai 2010
« Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences territoriale. Guide d’action. Comprendre, agir, évaluer »29
Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi
GPEC territoriale : Outil de concertation Dimension de gestion Plan d’action concerté Objectifs partagés Prospection
Décembre 2010
GTEC, une démarche d’anticipation territoriale des activités et des compétences30
Sol et Civilisation, Réseau Rural
GTEC : Démarche de développement territorial
Tableau 3 : Les guides et les rapports récents sur la GPEC T et la GTEC
1.1.2.2. Faciliter les transitions professionnelles
Le guide « Gestion territoriale des emplois et des compétences », élaboré par le centre de
ressources du développement territorial et publié en Mars 2010, envisage la GTEC d’abord
comme une démarche économique visant à prévoir les évolutions du marché local en
matière d’emplois et ensuite comme le développement et l’accompagnement des
compétences des salariés. Mais le guide indique clairement un lien entre la GTEC et la
sécurisation des parcours professionnels : « La GTEC vise à mieux accompagner les
mobilités professionnelles, sans pour autant les inciter, avec un objectif de sécurisation des
parcours professionnels. » (p.6). Le guide met également en avant le fait que la GTEC
« n’est pas une boite à outils », mais qu’elle est construite sur la base d’un « large dialogue
partenarial ». La GTEC pourrait être une approche décentralisée de la politique de
l’emploi.
Dans cette lignée, le deuxième rapport présenté dans le tableau, intitulé « La GPEC
territoriale à l’épreuve de la pratique », a été réalisé suite à plusieurs rencontres d’un groupe 29 « Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences territoriale. Guide d’action. Comprendre, agir, évaluer », Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Mai 2010, 65 pages. 30 « GTEC, une démarche d’anticipation territoriale des activités et des compétences », Sol et Civilisation, Réseau Rural, Décembre 2010, 106 pages.

77
de travail réunissant praticiens et experts. Il décrit la GPEC territoriale comme une démarche
visant à construire « une offre de service et d’accompagnement à destination de tous ceux qui
sont touchés par l’instabilité et l’insécurité dans l’emploi ou qui souhaitent changer de poste
et d’entreprise, et dans le même mouvement de ceux qui sont exclus du travail » (p.6). Dans
ce cadre-là, l’objectif de la démarche est de coordonner les actions d’acteurs spécialisés afin
d’assurer un suivi sur les marchés du travail et de faciliter les parcours professionnels en
priorité au sein des bassins d’emploi. Les deux mots clés du rapport sont la mobilité et
l’anticipation, ce qui met au cœur des préoccupations la gestion locale des transitions
professionnelles. Le document souligne que les rôles des partenaires locaux ne sont pas
définis a priori. Le pilotage de ces projets relèverait d'ailleurs « plutôt de l’art du metteur en
scène qui veille au casting comme à l’avancée de l’intrigue, qui fait que les acteurs s’écoutent
et se répondent et sait laisser une place aux improvisations, plutôt que du travail d’un
géomètre ou d’un juriste » (p.14).
1.1.2.3. Organiser le développement socio-économique local
Les guides suivants mettent davantage l’accent sur les aspects liés au développement socio-
économique local. La question de la gestion locale des transitions professionnelles est
développée en mode mineur.
Le guide réalisé par le Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi en mai 2009
est intitulé « Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de territoire,
expériences et bonnes pratiques des comités de bassins d’emploi ». Il définit la « GPEC de
territoire » comme une démarche devant permettre « d’appréhender collectivement les
questions d’emploi et de compétences et de construire des solutions transversales
répondant simultanément aux enjeux de tous les acteurs locaux. Elle doit mailler la vision
et l’action interne des entreprises à celles des salariés et demandeurs d’emploi tout en
répondant aux problématiques des différents secteurs d’activité en présence et du
territoire » (p.7).
Le Ministère de l’Economie, et l’Industrie et de l’Emploi a publié un second guide, intitulé
« Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences territoriale. Guide
d’action. Comprendre, Agir, Evaluer » en mai 2010. La GPEC territoriale est ici perçue
« comme un outil de concertation en matière d’emploi et de compétences permettant de

78
dépasser le cadre de l’entreprise ou de la branche professionnelle. Pour autant, toute
conduite de projet local ayant trait à l’emploi ne correspond pas forcément à une démarche
de GPEC territoriale. Elle implique une dimension spécifique de gestion fondée sur un
système d’information concourant à poser un diagnostic et permettant la mise en
dynamique d’un plan d’action concerté entre plusieurs acteurs autour d’objectifs partagés.
Par ailleurs, le terme « prévisionnel » exige qu’à une simple gestion réactive soit
substituée, initialement ou progressivement, une dimension prévisionnelle et si possible
prospective » (p.9). Cette définition est la plus aboutie et permet de bien distinguer le volet
économique (vision macro) et le volet gestionnaire (volet micro) d’un tel dispositif.
Enfin, Sol et Civilisation / Réseau Rural, conçoit la GTEC « avant tout comme une
démarche » (p.13), permettant aux acteurs de se saisir de la question du développement de
leurs territoires sous l’angle de la prévision des compétences. La question de la mobilité
professionnelle y est également considérée comme cruciale, cependant le document met plus
fortement l’accent sur la dynamique au cœur du processus, permettant de réaliser des
compromis entre les acteurs locaux.
1.1.3. Que retenir ?
Ce panorama illustratif révèle la coexistence de notions proches, décrivant des phénomènes
globalement similaires, mais sous des appellations différentes. D’après cet état des lieux
empirique, il s’avère que les termes les plus fréquemment utilisés sont ceux de « GPEC
territoriale », de « GPEC de territoire » ou bien encore de « GTEC ». D’autres travaux,
appuyés sur des ressources académiques, font également référence au phénomène de
« territorialisation de la GRH » (Le Boulaire et al. 2010), ainsi qu’au terme de « GRH
territoriale » (Bories-Azeau et al. 2008). Ce dernier vocable apparaît plus rarement dans les
travaux empiriques. Nous établissons une distinction entre ces différentes notions, à partir de
deux dimensions. La première est l’objectif temporel (le dispositif est-il envisagé à court
terme – quelques mois- ou à long terme, de manière pérenne ?). La seconde concerne la visée
anticipative (le dispositif a-t-il pour objectif d’anticiper l’évolution des ressources
humaines ?) Cette distinction est représentée grâce à la figure ci-dessous :

79
Figure 5: Territorialisation de la GRH, GRH territoriale, GPEC T /GTEC
1.1.3.1. La territorialisation de la GRH
La notion de « territorialisation de la GRH » permet de rassembler des dispositifs semblables
sur plusieurs points. Le Boulaire et al. (2010, p.21-23) identifient neuf éléments structurants
des démarches de « territorialisation de la GRH ».
Le premier élément concerne l’acteur-pilote : il peut s’agir d’une entreprise ou des pouvoirs
publics.
Le deuxième élément s’attache à la composition du partenariat formé, qui peut être
composé seulement par des entreprises ou bien être multi-acteurs. Dans ce cas-ci, l’action
regroupe un plus large panel de parties prenantes, dont les partenaires publics.
Troisièmement, lorsqu’une entreprise est engagée, l’action de GRH peut ne concerner qu’un
site, mais aussi l’ensemble des sites concentrés sur un seul espace géographique.

80
Le quatrième élément renvoie à la constitution du territoire : le territoire au sein duquel sont
développées les initiatives de territorialisation de la GRH peut être caractérisé soit par une
forte spécialisation dans un domaine de compétence ou une industrie, soit être polyvalent.
Le cinquième élément consiste à décrire la nature des actions développées : il peut s’agir,
soit de réduire un sureffectif, et donc de rétablir un équilibre entre les demandeurs d’emploi et
les offres de travail, soit de réaliser un état des lieux des compétences d’un périmètre donné.
Le sixième élément porte sur de l’horizon temporel mobilité. Dans le premier cas, les
démarches sont envisagées à court terme en réaction à des difficultés économiques ayant
impacté le territoire, dans l’autre cas, il s’agit plutôt d’actions envisagées à long terme, de
manière pérenne. Selon notre conception, il apparaît indispensable de distinguer les actions et
les projets développés dans une optique de gestion à court ou à long terme.
Avec le septième élément, il s’agit d’indiquer si les entreprises impliquées visent un marché
domestique, protégé ou exposé. Selon nos observations, cette dimension n’est pas propre
aux entreprises impliquées dans les projets de territorialisation de la GRH et n’apporte pas
d’information sur le phénomène que nous tentons de cerner.
Le huitième élément permet de distinguer les démarches ayant inclus un processus de
dialogue et de négociations avec les partenaires sociaux ou non.
Le neuvième et dernier élément différencie les projets au sein desquels les entreprises
participantes sont dotées d’attaches territoriales ou non, en raison de facteurs liés à leur
histoire, à leur structure par exemple.
Un élément déterminant permet de distinguer, selon nous, la « territorialisation » de la « GRH
territoriale ». Il s’agit de la dimension pérenne des dispositifs de GRH territoriale.
1.1.3.2. La GPEC territoriale ou la GTEC
La « GPEC territoriale » ou la « GTEC » renvoient, selon notre conception aux dispositifs
dont la finalité vise à établir une démarche d’anticipation des emplois et des compétences sur

81
le territoire. Il s’agit dans ces cas-là, de projets ou d’expériences visant clairement à établir
une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein d’un périmètre inter-
organisationnel.
1.1.3.3. La GRH territoriale
La notion de « GPEC territoriale » ou de « GTEC » a été employée plutôt par les praticiens.
La notion de GRH territoriale a, quant à elle, été usitée plutôt dans le milieu académique pour
signifier l’élargissement possible à toute pratique de GRH, et non pas seulement les
démarches de GPEC. Ainsi, Bories-Azeau et al. (2008) emploient ce terme afin de décrire un
phénomène allant au-delà de la simple extension des modèles traditionnels de la GRH, tels
que le modèle individualisant de la grande entreprise ou le modèle arbitraire de la PME de la
GRH décrits par Pichault et Nizet (2000). Selon Bories-Azeau et al. (2008), la GRH
territoriale met l’accent sur les liens établis entre les acteurs privés et publics, où des
problématiques RH sont peu à peu portées à un niveau territorial, afin d’y être traitées
conjointement.
Nous choisissons d’employer ce terme de GRH territoriale pour plusieurs raisons. D’abord,
la notion de « GPEC territoriale » ou de « GTEC » nous semble trop restrictive. En effet, si
l’ambition affichée de ces dispositifs est en effet bien souvent de développer une gestion
prévisionnelle à l’échelle d’un territoire, il peut arriver que les dispositifs concrets mis en
œuvre aient été détournés de cette visée anticipative. Il nous paraît donc plus adéquat de
parler de GRH territoriale, dont les dispositifs de GPEC T ou de GTEC peuvent faire partie.
Ensuite, le terme de « territorialisation » de la GRH nous semble a contrario trop large. Le
terme englobe notamment les dispositifs conçus à court terme. Or, l’état des lieux empirique
nous a enseigné que la plupart des projets étaient envisagés dans une visée à long terme. C’est
pourquoi nous affichons notre volonté de distinguer ces deux notions. Ceci sous-entend que la
GRH territoriale fait partie du phénomène global de territorialisation de la GRH.
A partir de ces constats et de ces réflexions, une définition de la GRH territoriale et ses
principales dimensions est proposée dans la section suivante, car le travail de définition
engagé par Bories-Azeau et al. 2008, bien que constituant un point de départ, demande à être
approfondi.

82
1.2. Proposition d’une définition de la GRH territoriale
A partir des caractéristiques identifiées dans l’état des lieux empirique, il devient possible de
donner notre définition de la GRH territoriale.
1.2.1. Définition générale
La « GRH territoriale » est l’ensemble des pratiques développées conjointement par
plusieurs organisations, juridiquement indépendantes, associant des acteurs privés et publics
et visant à acquérir, stimuler et réguler, de manière pérenne, les ressources humaines à
l’échelle du territoire où elles sont implantées.
1.2.1.1. Explicitation des dimensions de la GRH territoriale
« La GRH territoriale est l’ensemble des pratiques … » :
La gestion des ressources humaines est définie par Cadin et al. (2007, p.5) comme
« l’ensemble des activités qui permettent à une organisation de disposer des ressources
humaines correspondant à ses besoins en quantité et en qualité ». Nous entendons par
« pratiques », la mise en œuvre de ces activités portant sur le recrutement, la sélection, la
rémunération, la formation du personnel, etc. Ces pratiques se distinguent donc des
connaissances et des discours. Les pratiques peuvent être formalisées ou non.
« …développées conjointement par plusieurs organisations, juridiquement
indépendantes…» :
Les pratiques de GRH territoriale sont co-produites par un ensemble de partenaires issus
d’organisations distinctes juridiquement indépendantes. Le pilotage et la mise en œuvre des
pratiques peuvent être facilités par un acteur tiers ou par une structure de gouvernance
partenariale. La nature de la structure de gouvernance du dispositif de GRH territoriale peut
être différente d’un territoire à un autre, de même que les fonctions qui lui sont associées. La
notion de gouvernance territoriale est caractérisée par « l’élargissement du champ des acteurs
impliqués, de l’interdépendance des acteurs et des organisations tant privées que publiques
dans le processus de prise de décisions » (Leloup et al. 2005, p.326). Le rôle de cette
gouvernance locale va au-delà d’une simple consultation, car elle doit permettre de susciter
l’adhésion, la participation et l’implication des acteurs locaux autour d’une visée commune.

83
Mendez et Mercier (2006, p.257) distinguent trois types de structures de gouvernance locale
en fonction des acteurs dominants : une gouvernance privée, où les acteurs privés pilotent les
dispositifs de coordination et de création de ressources ; une gouvernance privée collective,
où l’acteur-clé est une institution formelle qui regroupe des opérateurs privés ; une
gouvernance publique, où les institutions publiques sont le moteur des dispositifs de
coordination locale. Dans la plupart des cas observés, les dispositifs de GRH territoriale
relèvent plutôt d’une gouvernance publique associant des partenaires privés. Les dispositifs de
GRH territoriale prennent corps au sein d’organismes créés ou soutenus par l’Etat ou les
Régions. Il peut s’agir des systèmes productifs locaux (Bobulescu et Calamel, 2009), des
pôles de compétitivité (Colle et al. 2009 ; Defélix et al. 2008), des Maisons de l’Emploi et de
la Formation (Bories-Azeau et Loubès, 2009), des comités de bassin d’emploi31. Ils sont plus
rarement initiés par les acteurs économiques privés, bien que cela ait été observé également.
Les travaux de Beaujolin-Bellet (2008) concernant l’animation du projet indiquent que celle-
ci est confiée en général à une institution locale, soit préexistante, soit créée à cette occasion.
« …associant des acteurs privés et publics… » :
Les organisations participant à ces projets peuvent relever aussi bien du secteur privé que
du secteur public. Par acteurs privés, nous entendons notamment les entreprises, les
associations, certains organismes de formation. Les acteurs publics désignent les
organismes tels que les collectivités locales (ex. les communes, les structures
intercommunales, les conseils généraux et régionaux, la préfecture), le service public de
l’emploi (ex. le Pôle Emploi), certains organismes de formation (ex. les universités), les
chambres consulaires (ex. les Chambres de Commerce et d’Industrie, les Chambres
d’Agriculture) et les services déconcentrés de l’Etat (ex. les Direccte). Sont également
considérées comme publiques les associations financées majoritairement par les structures
publiques (ex. les Maisons de l’Emploi et de la Formation). Dans la plupart des cas, la GRH
territoriale est concrétisée par un partenariat privé-public, garantissant l’obtention de fonds
publics pour la mise en œuvre de ces démarches.
31 « Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences de territoire. Expériences et bonnes pratiques des Comités de bassins d’emploi. Guide pour l’action », Rapport réalisé pour la DGEFP/Sous-direction des mutations de l’emploi et du développement de l’activité, mai 2009, 138p.

84
« …visant à acquérir, stimuler et réguler… »
Ces pratiques concernent essentiellement l’acquisition et la régulation des ressources
humaines (Defélix et Mazzilli, 2009), mais aussi la mise en réseau et la communication. Les
activités d’acquisition renvoient aux pratiques de recrutement et d’intégration. Il s’agira donc
de mettre en place des plateformes de recrutements mutualisées (Paradas, 2007), des bases de
CV communes, ou encore de travailler à l’attraction des salariés sur un territoire par une
démarche de communication. Les pratiques de régulation des RH concernent la formation, la
gestion des carrières et la GPEC. Les initiatives sont variées sur ce volet. Elles concernent
néanmoins principalement l’organisation de formations inter-entreprises (Bel, 2007), et, dans
une moindre mesure, le déploiement d’une gestion territoriale des parcours professionnels
(Nabet, 2007 ; Culié et al. 2009), voire celui de dispositifs de gestion des compétences
(Tixier, 2009) et de GPEC territoriale. Sur le troisième point, celui de la mise en réseau et de
la communication, quelques initiatives visent à créer du lien entre les responsables RH des
entreprises du territoire par l’organisation de réunions d’échanges ou de clubs RH.
« …de manière pérenne… » :
Les pratiques de GRH territoriale sont mises en œuvre dans le but d’assurer le soutien de la
gestion des ressources humaines du territoire dans une optique de long terme (au-delà de
plusieurs années). Pour cela, quelques actions peuvent être développées à court terme
(c’est-à-dire sur une échelle de temps de quelques mois). La GRH territoriale se distingue
des actions de restructurations impliquant le territoire et développées de manière ponctuelle.
« …les ressources humaines d’un territoire où elles sont implantées… » :
Les ressources humaines d’un territoire peuvent être appréhendées à deux niveaux : celui des
entreprises et celui des salariés. Dans le premier cas, on se réfère aux salariés des entreprises
du territoire. Des pratiques visant à améliorer, faciliter ou réguler la gestion des ressources
humaines au sein des entreprises du territoire vont alors être déployées. Dans le second cas,
on entend également l’ensemble de la main-d'œuvre locale, exerçant un emploi ou non. Ici, il
s’agit de proposer des actions de GRH globales, permettant d’améliorer, de faciliter ou de
réguler la gestion de la main d’œuvre locale.
Le périmètre du territoire relève quant à lui de la représentation qu’en ont les acteurs. Par
territoire, il s’agit d’appréhender l’espace où se tisse la GRH territoriale selon une
combinaison dynamique de deux formes de proximité, la proximité géographique et

85
organisationnelle (Torre et Rallet, 2005). Le territoire apparaît alors comme un « espace de
concertation ». Il met en scène des formes de coordinations non-marchandes entre acteurs de
statuts divers (Angeon, 2008, p.239).
1.2.2. La GRH territoriale n’est pas assimilable…
1.2.2.1. …aux relations de travail temporaire
La GRH territoriale est à distinguer des pratiques de GRH inter-organisationnelles
tripartites, comme cela est le cas par exemple des relations établies en contexte de travail
temporaire. En effet, la relation établie entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise
utilisatrice a vocation, comme cela est indiqué, à être temporaire et non pérenne. De plus, la
structure de travail temporaire agit dans le cadre d’une relation marchande. Cette prestation
n’est, de plus, pas forcément organisée de manière à favoriser le développement des
ressources humaines du territoire.
1.2.2.2. …aux formes de régulations issues du droit social
Nous différencions également les pratiques de GRH territoriale des formes de régulations
s’appliquant à un même ensemble d’entreprises et établies par le droit français. Ainsi, une
convention collective ne fait pas partie de la GRH territoriale au sens où nous l’avons
définie, bien qu’elle propose de réguler de manière parfois locale les pratiques de gestion
des ressources humaines d’entreprises. Elles ne sont toutefois pas produites conjointement
et ne donnent pas lieu à des actions communes ou mutualisées.
1.2.2.3. …à certaines démarches de territorialisation de la GRH
Les travaux de Le Boulaire et al. (2010) permettent d’identifier quatre idéaux-types de
territorialisation de la GRH. Deux dimensions permettent au final de classifier ces initiatives.
La première dimension concerne le périmètre de gestion des entreprises : dans un premier cas,
la gestion est tirée par la coordination locale, dans l’autre, elle est tirée par la co-activité. La
coordination locale désigne le cas d’entreprises ayant tenté de sortir la GRH de leurs
périmètres de gestion tout en demeurant indépendantes. La notion de co-activité désigne en

86
revanche une collaboration renforcée entre les partenaires. La seconde dimension est celle de
l’horizon temporel : celui-ci peut-être envisagé à court terme et indique une gestion de
l’emploi, mais il peut être aussi à moyen ou long terme et concerner une gestion des
compétences et/ou la sécurisation des parcours.
Figure 6 : Typologie de territorialisation de la GRH, Le Boulaire et al. (2010, p.25)
Les auteurs obtiennent ainsi une matrice permettant d’identifier quatre idéaux-types : la
responsabilité sociale d’entreprise et politique d’emploi concertée (1), l’ouverture du marché
interne de l’emploi au territoire (2), la préservation des compétences clés (3), la gestion de
l’emploi et des compétences dans l’entreprise étendue. Si nous devions placer la GRH
territoriale sur cette matrice, elle serait bien entendu représentée dans les cadres 2 et 4,
puisqu’elle est envisagée dans un horizon temporel de long terme.

87
1.2.3. Comment construire la GRH territoriale ?
La définition que nous avons proposée de la GRH territoriale ne constitue qu’un préalable à
notre recherche. Il semble donc nécessaire d’approfondir encore la compréhension de ces
démarches afin de parvenir à un niveau d’analyse plus fin que ce premier cadrage.
1.2.3.1. Comprendre le contenu
La revue de la littérature présentée au chapitre 1 a mis en exergue l’intérêt d’étudier les
formes de GRH inter-organisationnelles. Les auteurs se sont intéressés majoritairement aux
enjeux de l’éclatement des frontières organisationnelles et à l’impact de ces configurations
réticulaires sur le travail, la relation d’emploi et la gestion des ressources humaines.
Concernant l’aspect territorial des dispositifs de GRH, nous avons montré qu’il était possible
de distinguer plusieurs formes de « territorialisation » de la GRH. L’une de ces formes
correspond à ce que nous nommons GRH territoriale. Mais à ce stade de notre travail, nous
demeurons encore relativement démuni lorsqu’il s’agit de cerner leur contenu au plus près des
pratiques concrètes.
Un constat récurrent établi au cours de notre travail est l’inscription très forte des formes de
GRH territoriale dans un contexte particulier : chaque situation comporte des spécificités lui
étant propres. Il nous a bien souvent été relaté combien « ce territoire était particulier », à quel
point « cela était propre à notre région », ou comment cela est « lié à notre culture locale ».
C’est pourquoi afin de mieux cerner ce que peut être la GRH territoriale, nous avons cherché
à étudier ce que nous pensions être un dénominateur commun à ces différents projets inter-
organisationnels de GRH territoriale, à savoir le dispositif de gestion qui en constitue le cœur.
En outre, cela permet de relier le phénomène étudié au courant de recherche portant sur
l’instrumentation de gestion.
1.2.3.2. Expliquer les dynamiques inscrites dans des contextes
Plusieurs auteurs, à propos de dispositifs de gestion développés sur le territoire et mettant en
interactions un panel d’organisations et d’acteurs, ont pointé le poids des compromis établis
lors de leur construction. Gilly et Leroux (2005) considèrent un dispositif de reconversion sur
un site gazier en Aquitaine, comme « compromis institutionnel qui permet de saisir la

88
dynamique d’un territoire » (p.258). Leur recherche met en avant l’importance des jeux
d’acteurs permettant à ceux-ci de s’organiser et de se coordonner dans un contexte de
recouvrement des proximités géographiques, organisationnelles et institutionnelles. Bel et
Berthet (2009) plaident en faveur de nouveaux compromis entre institutions publiques et
organisations privées, concrétisés sur une base locale à propos d’actions publiques de
proximité en matière d’emploi et de formation. Concernant les pratiques de « fléxicurité »,
Gazier (2007) défend l’idée d’une conception collective et structurée « fondée sur des
compromis et coordinations territoriales installant une gestion concertée des trajectoires ».
Dans le cadre de restructurations impactant le territoire, Beaujolin-Bellet (2008), à l’instar de
Mendez et Mercier (2006) pointe le fait qu’un territoire peut être appréhendé comme « un
espace de conflits qui articule des logiques économiques, sociales et politiques », et ceci,
encore plus qu’une organisation hiérarchique. En reprenant les propos de Callon et al. (2001),
Beaujolin-Bellet (2008) indique que le territoire peut être appréhendé comme un espace de
construction d’acteurs par l’organisation de controverses.
Partant du principe qu’un contenu se construit dans un contexte et par un processus, il paraît
nécessaire d’étudier la construction de la GRH territoriale dans le cadre des dynamiques
sociales engagées, ceci d’autant que la littérature montre que les interactions entre acteurs
issus d’organisations différentes et diverses constituent le cœur de ces initiatives.
Nous proposons dans la section suivante de ce chapitre, (2. Comment construire la GRH
territoriale), d’examiner les dimensions conceptuelles nous permettent d’établir un cadre
d’analyse afin de donner une lecture de ces éléments en interaction.

89
Synthèse de la section 1 :
Grâce à un état des lieux empirique, nous avons construit et proposé une définition de la GRH
territoriale appuyée sur plusieurs dimensions. Cela conduit à distinguer ce phénomène
d’autres types de construits. Ce travail de clarification des contours de la GRH territoriale
constitue l’étape préalable à la poursuite de notre travail de recherche. En effet, nous nous
interrogeons sur la construction de la GRH territoriale. L’étude des dispositifs de gestion
constituant le cœur de chaque projet de GRH territoriale permettra de poursuivre la recherche,
afin de comprendre ensuite les dynamiques sociales qui rendent possible leur émergence. Ceci
nous amène dans la section suivante, à proposer un ensemble conceptuel approprié.

90
2. Comment construire la GRH territoriale ?
La revue de littérature présentée dans cette section doit abouti à la construction d’un cadre
d’analyse permettant de comprendre l’émergence d’un dispositif de GRH territoriale dans le
temps. Pour cela, nous nous appuierons sur l’ensemble conceptuel issu de l’instrumentation
de gesiton (2.1.) et la théorie de l’acteur- réseau (2.2.).
D’autres cadres théoriques ont été mobilisés afin d’étudier des pratiques de GRH ou et des
dispositifs construits à l’échelon inter-organisationnel, telle que la théorie des parties
prenantes (Bourgain et Tixier, 2010), la théorie néo-institutionnaliste (Colle et al. 2009),
l’approche contextualiste comme méta-cadre d’analyse (Calamel et Mazzilli, 2010 ; Calamel
et al. 2011 ; Hulin et Chabault, 2010)… Mais ces travaux ne sont pas nécessairement
envisagés de manière à capter l’évolution dans le temps des dispositifs et/ou ne prennent pas
en compte de manière approfondie les jeux d’acteurs et le contexte dans lequel se sont
construits ces agencements.
Les instruments de gestion sont « des artefacts », voire « des artefacts au carré », car ils ne
sont rien d’autre qu’une combinaison d’éléments qui sont eux-mêmes déjà une « construction
mentale » (Moisdon, 2005, p.240). Aussi, ce même auteur nous met en garde contre une
lecture « positiviste » des instruments de gestion, car ceux-ci peuvent, au premier abord,
apparaître comme une réduction « violente » des phénomènes dont ils sont censés rendre
compte. Dans le cadre de notre positionnement en faveur du paradigme épistémologique
constructiviste pragmatique, nous considérons les artefacts que sont les instruments de gestion
comme une représentation construite de l’expérience humaine. Par « artefact au carré », nous
signifions que notre travail s’attache à restituer une représentation d’une représentation de
l’expérience du réel.
2.1. Les dispositifs de gestion au cœur de la GRH territoriale
Différentes disciplines en sciences sociales ont récemment remis à l’ordre du jour l’étude des
instruments de gestion. Ce regain d’intérêt s’explique en partie par la multiplication des
instruments de gestion depuis les années 60. A cette époque, les outils et les instruments de

91
gestion s’inscrivaient encore dans un contexte de « modèle de la rationalité instrumentale »
(Moisdon, 1997). Cela signifie que l’on considérait les outils et les instruments de gestion
comme les relais fidèles des choix et des décisions décrétées par les instances de direction des
organisations ou des concepteurs. Peu à peu les praticiens et les chercheurs ont abouti au
constat que certains instruments étaient modifiés ou détournés. Berry (1983) a montré que les
instruments de gestion étaient en réalité porteurs d’une « technologie invisible », car ils
« imposent aux actions des hommes des lois parfois aussi inflexibles que les machines
techniques» (ibid., p.31). En effet, toujours selon cet auteur, si les instruments de gestion
permettent de « produire la gestion », ils sont également le lieu d’une cristallisation des
rapports entre les acteurs. A partir des années 80, différents courants de recherche en science
de gestion se sont peu à peu emparés de ces questions et dans différents champs d’étude : la
sociologie des sciences et des techniques (Akrich et al. 2006), la sociologie des organisations
(Berrebi-Hoffmann et Boussard, 2005), le management public (Rocher, 2009), la gestion
comptable et financière (Alcouffe et al. 2008 ; Dreveton, 2008 ; Martin et Picceu, 2007), le
management des systèmes d’information (De Vaujany, 2005 ; Oiry et al. 2010), le
management et la gestion des ressources humaines (Grimand, 2006 ; Klarsfeld et Oiry, 2003),
etc.
Les sciences de gestion se sont donc peu à peu détachées de cette perspective « rationaliste »,
pour adopter une approche « comportementale » (Justin, 2006). Elle met l’accent sur
l’interaction entre les instruments et les usagers, en particulier sur les phénomènes de
détournement et de manipulation des outils (Justin, 2006). Berry (1983, p.42) invite le
chercheur à prendre pour point de départ le fait que « c’est l’intendance qui commande et non
les volontés du dirigeant » lorsqu’il s’agit des instruments de gestion. Il rappelle par là que
« l’attention doit se porter moins sur les intentions affichées et l’exercice du pouvoir visible
que sur les procédures et les instruments concrètement mis en œuvre : quelles logiques
induisent-ils, dans quelle mesure régissent-ils de manière satisfaisante les rapports entre les
diverses parties prenantes de l’organisation et sont-ils pertinents face à son
environnement ? » (Ibid., p.42).
Puisque nous pensons que les dispositifs inter-organisationnels de gestion des ressources
humaines territoriale sont le fruit de multiples négociations, nos travaux s’inscrivent dans la
lignée de l’approche dite « comportementale ». Le point commun de ces recherches consiste à
considérer les instruments de gestion comme l’une des manières d’appréhender l’action

92
organisée et stratégique. Aggeri et Labatut (2010) ont ainsi identifié quatre directions de
recherche actuelles sur les instruments de gestion au sein des organisations. L’une d’elle
s’intéresse au rôle de l’instrumentation de gestion dans le pilotage du changement. Selon cette
approche, le chercheur est confronté à une « énigme ». L’appropriation des outils par les
acteurs est en effet bien souvent étonnante, car elle s’éloigne des dessins initiaux des
concepteurs et des managers.
L’ensemble conceptuel sur l’instrument de gestion s’appuie sur un vocabulaire précis, que
nous allons tenter de clarifier.
2.1.1. Une coexistence de notions proches : outils, instruments, instrumentation,
dispositifs…
Aggeri et Labatut (2010) proposent une synthèse des différents concepts qui coexistent
lorsqu’il s’agit de se référer aux instruments de gestion.
2.1.1.1. Les outils
Selon ces auteurs, la notion la plus usitée en sciences de gestion est celle « d’outils de
gestion ». Ils rappellent que dans le langage courant, ce terme est synonyme d’ustensile et
renvoie à l’outil de l’artisan, signifiant que cet objet revêt une dimension « utile » et
« opérationnelle ». De ce point de vue, les auteurs indiquent que les tableaux de bord, les
plannings, les indicateurs, sont des outils de gestion, objets de l’attention des managers, des
consultants et des chercheurs dédiés à leur étude, comptables, financiers, « marketeurs », etc.
La définition de Gilbert (2006) rejoint celle-ci, car il définit un outil « par ses
caractéristiques physiques ». Il poursuit : « [l’outil] agit sur la matière et produit des effets
régis par des lois naturelles et universelles. » (p.673). Selon De Vaujany (2006), tout artefact
tel qu’un schéma, un croquis, une représentation graphique, un concept ou un slogan est un
outil, dès lors qu’ils sont envisagés comme un « support isolé dans l’action
organisationnelle » (ibid., p. 113).

93
2.1.1.2. Les instruments et l’instrumentation
La notion d’instrument en revanche, inclut le fait que celui-ci est plus fortement intégré dans
une réflexion globale. L’instrument comprend en effet une dimension qui n’est pas seulement
matérielle, mais qui peut être également politique, car il porte un objectif. Aggeri et Labatut
(2010) les définissent comme le produit d’une opération de pensée intellectuelle (doctrine
d’usage, schéma abstrait), comportant une dimension politique, implicite ou explicite,
pouvant être révélée au cours d’actions organisées et finalisées. L’instrument n’est donc pas
neutre et l’attention se porte sur leurs usages et leurs effets. Tout instrument devient
« gestionnaire » lorsqu’il permet, à un moment donné, de satisfaire aux trois grands actes
élémentaires de la gestion : « déléguer », « évaluer », « coordonner » (Hatchuel et Moisdon,
1993). D’après Gilbert (2006, p.674), l’instrument de GRH se définit comme « tout moyen,
conceptuel ou matériel, doté de propriétés structurantes par lequel un gestionnaire
(professionnel RH ou autre acteur engagé dans un processus de GRH), à la fois acteur social
et sujet psychologique, poursuivant certains buts organisationnels, dans un contexte donné,
met en œuvre une technique de gestion ».
Par extension, l’instrumentation désigne plus largement les activités de conception et
d’utilisation d’instruments dans un domaine d’activité spécifique (par exemple,
l’instrumentation comptable ou financière).
Moisdon (1997) propose de définir les outils de gestion comme « une représentation
provisoire, autour de laquelle les acteurs entreprennent par des ‘apprentissages croisés’,
l’exploration des liens qui les unissent, des conditions de leurs activités, de la signification
même des termes qu’ils manipulent, et des chemins par lesquels ils peuvent évoluer » (ibid.,
p.43). En réalité, ce qu’il nomme « outils de gestion » s’apparente, selon le vocabulaire défini
plus haut, à un « instrument », car, toujours selon Moisdon, la finalité des « outils de gestion »
consiste à « aider un acteur ou un groupe d’acteurs à raisonner sur les fonctionnements dans
lesquels leur action s’inscrit, et à anticiper leurs évolutions possibles. » (ibid., p.10). Dans ce
sens-là, les outils de gestion sont considérés comme des supports à l’action collective.

94
2.1.1.3. Les dispositifs de gestion
Enfin, le dispositif de gestion désigne selon Aggeri et Labatut (2010), un agencement
d’instruments et d’acteurs, qui se conçoit et se transforme, tout en rendant possible l’action
collective. Moisdon (1997) décrit les dispositifs de gestion comme un arrangement dans le
temps et dans l’espace des personnes et des choses et qui les guident vers des finalités
assignées : les dispositifs sont des « types d’arrangements des hommes, des objets, des règles
et des outils qui paraissent opportuns à un moment donné » (ibid., p.10-11). Selon De
Vaujany (2006), le dispositif renvoie également à un ensemble d’éléments au service d’une
intention stratégique, intégrant des outils. De Vaujany (2006) nous met cependant en garde
contre la tendance à considérer ces différentes notions dans une logique de « modèle de
poupée russe » : en effet, selon le contexte dans lequel l’artefact a été élaboré et est utilisé, il
peut être un outil ou un instrument.
Parmi ces différentes notions, nous emploierons le terme de dispositif, au sens de Aggeri et
Labatut (2010) et de Moisdon (1997), et celui d’instrument, tel que défini par Gilbert
(2006).
2.1.2. Etudier la construction des dispositifs
L’approche comportementale sur les instruments et les dispositifs de gestion met l’accent sur
leurs transformations au sein des organisations. Pour cela, il est possible de considérer
l’évolution de plusieurs dimensions constitutives des dispositifs.
2.1.2.1. Appréhender les dispositifs comme une technique managériale
Le célèbre triptyque d’Hatchuel et Weil (1992) permet de distinguer plusieurs composantes
des « techniques managériales », concrétisées au sein de dispositif de gestion : une
philosophie gestionnaire, un substrat technique et une vision simplifiée des relations
organisationnelles.
La philosophie gestionnaire renvoie à « un système de concepts qui désigne les objets et les
objectifs formant les cibles d’une rationalisation ». Par objectifs, nous entendrons ici la

95
finalité globale du dispositif. Les objets sont assimilés au contenu du dispositif : s’agit-il de
travailler sur les compétences individuelles des salariés, les processus RH, etc. ?
Le substrat technique est composé de l’ensemble des supports concrets. Or dans le cas des
dispositifs de GRH, certains instruments ne reposent pas uniquement sur un substrat formel.
Nous choisissons de conserver le terme de substrat technique, mais que nous définissons
comme l’ensemble des instruments concrets et inscrits, c’est-à-dire ayant une existence
tangible (par exemple une base de données, une newsletter…) et d’instruments non-inscrits (la
création d’un groupe de travail, un service support) ayant été créés dans le cadre du dispositif
de gestion.
La vision simplifiée des relations organisationnelles, enfin, définit les « rôles que doivent
tenir un petit nombre d’acteurs sommairement, voire caricaturalement décrits » (ibid., p.125).
David (1998) propose de substituer ce volet par les rôles idéaux des acteurs, c’est-à-dire les
rôles devant implicitement ou explicitement être tenus pour que le dispositif fonctionne.
Ainsi, dans notre approche, un dispositif de gestion peut se comprendre comme l’imbrication
d’une philosophie gestionnaire (une finalité et des contenus), d’un substrat technique (des
instruments inscrits ou non inscrits) et des rôles idéaux des acteurs.
2.1.2.2. Un contenu construit au cours d’un processus continu
Il est donc difficile de prévoir l’avenir d’un outil ou d’instruments de gestion (Moidson,
1997). Suivre leur évolution constitue une manière de saisir et de comprendre les
représentations qu’ils véhiculent ainsi que les sources de conflits et de négociations dont ils
sont le fruit. L’auteur préconise donc de « suivre à la trace les outils » afin de connaître
l’organisation en cause, la nature des logiques professionnelles, les registres d’actions
véhiculés. On peut distinguer trois approches : l’implantation, l’appropriation, la construction.
Lorsque les travaux s’attachent à l’étude de « l’implantation » d’un instrument ou d’un
dispositif, l’accent est porté sur la manière dont les usagers acceptent ou non une première
version ayant été élaborée (Fixari et al., 1997 ; Rocher, 2009).

96
Les recherches portant sur « l’appropriation » des instruments ou des outils pointent, quant à
elles, les relations récurrentes entre les concepteurs et les usagers. L’appropriation y est
considérée comme un processus continu. L’accent est porté sur l’usage de l’instrument (De
Vaujany, 2005 ; Pascal et Thomas, 2006 ; Oiry et al. 2010).
Enfin, une troisième perspective, moins développée, s’attache à comprendre les tout premiers
instants de l’élaboration d’un instrument ou d’un dispositif de gestion (Oiry, 2003). Comme le
constate ce même auteur, l’attention se porte en général peu sur la phase de conception, alors
que c’est lors de cette étape que s’organisent les rapports entre les acteurs et les principes de
fonctionnement de l’instrumentation. C’est précisément ce point qui semble être crucial lors
de l’émergence et du développement d’un dispositif inter-organisationnel de GRH territoriale.
Nous adoptons donc cette perspective afin de porter le regard sur la dynamique de conception
du dispositif.
Dans cette lignée, Oiry (2006) distingue quatre phases pour étudier ce processus : la « phase
de conception et de stylisation », la phase du « fonctionnement satisfaisant », la phase « des
usages émergents » et enfin la phase « des modifications de l’instrumentation ». Ces quatre
phases permettent d’envisager l’étude des instrumentations selon une perspective
longitudinale.
Cette dynamique à l’œuvre a été également mise en exergue dans les travaux de Madeleine
Akrich (1989/2006). La constitution d’un objet socio-technique se déroule en trois grands
moments distincts. Dans un premier temps, l’idée d’un projet est transformée en contraintes
techniques. Dans un deuxième temps, « la technique définit son monde » dans un mouvement
récursif. Les concepteurs de l’outil ont inscrit, dans sa forme, une certaine définition de
l’environnement social, technique, spatial, etc., qui influence en retour l’activité des acteurs.
Toute description de la constitution de l’outil est donc indissociablement celle de la
description de l’outil et de cet environnement. Le troisième moment correspond à celui où « le
monde redéfinit la technique ». De par leurs usages, les utilisateurs vont être amenés à
redéfinir l’outil. Si l’outil fonctionne bien, l’outil rend réaliste la définition de
l’environnement. Dans le cas contraire, toute difficulté donne à voir l’intervention d’un
« (f)acteur inattendu » (ibid., p.120), contribuant également à une modification de l’outil.

97
A partir de ces éléments, nous retenons trois moments clés : la conception (« le monde définit
la technique »), la réalisation, satisfaisante ou non (« la technique définit le monde »), les
modifications (« le monde redéfinit la technique »). Dans ce cas, le vocable « conception »
est à distinguer de son usage dans le cadre d’une perspective « appropriative », qui désigne
tout le processus au cours duquel va se former l’instrumentation par le biais des interactions
entre les acteurs, les concepteurs et les usagers. Nous employons le terme de « conception »
afin de désigner la première version d’un dispositif de gestion, la version « idée ».
2.1.2.3. De l’intra à l’inter-organisationnel
Les travaux relatifs aux instrumentations de gestion ont majoritairement centré leur attention
sur les outils de gestion et les dispositifs de type intra-organisationnels. Rouquet (2008) note
pourtant que le développement des formes d’organisation en réseau ont conduit les
organisations à l’élaboration d’outils de gestion inter-organisationnels, notamment dans les
domaines de la qualité, de la logistique ou de l’ingénierie. Il propose d’étudier les outils de
gestion inter-organisationnels en s’appuyant, dans un premier temps, sur le cadre d’analyse
élaboré pour les contextes intra-organisationnels, puis de l’adapter, dans un second temps, au
contexte inter-organisationnel.
Dans notre recherche, nous postulons à cette étape de notre travail, que les dispositifs de
gestion présentent certaines caractéristiques identiques aux dispositifs intra-organisationnels.
Mais que le contexte dans lequel ils sont construits présente un niveau de complexité
supérieur, d’une part, du fait de la multiplication des parties prenantes. Ces outillages
présentent des difficultés, car selon Rouquet (2009), ils sont constitués de multiples niveaux
organisationnels enchevêtrés. D’autre part, comme cela a été développé au cours du chapitre
1, les formes d’organisations réticulaires qui se développent à l’échelle de territoire ne sont
pas assimilables aux relations de hiérarchies ayant cours au sein d’une seule organisation.
C’est pourquoi, afin de comprendre la dynamique de construction d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale, nous mobilisons en complément la théorie de l’acteur-
réseau.

98
2.2. L’émergence d’un dispositif de gestion comme la constitution d’un
objet socio-technique
Plusieurs travaux sur les outils et les instruments de gestion ont articulé les concepts issus de
l’appareillage gestionnaire avec d’autres théories.
Klarsfeld et Roques (2003) mobilisent par exemple successivement l’approche contingente
(Mintzberg, 1982), la théorie comportementale de la firme (Cyert et March, 1963) et
l’approche institutionnelle (Di Maggio et Powell, 1983) afin de rendre compte de l’adoption
par les entreprises des outils de gestion des compétences. La théorie de la contingence permet
d’expliquer le démarrage de la conception d’une instrumentation de gestion des compétences
comme réponse au contexte, mais elle ne permet pas de voir le rôle des acteurs dans la
conception et la mise en œuvre des outils. Le recours à la théorie comportementale, au
contraire met l’accent sur la capacité des acteurs à faire des choix. L’approche institutionnelle,
enfin, permet de lire le développement des instruments au sein des organisations comme le
résultat de pressions institutionnelles de nature coercitive, normative et mimétique.
De Vaujany (2006) propose d’étudier la vie des instruments grâce à la théorie de la régulation
de J.D. Reynaud. Selon cette théorie, la conception de l’instrumentation par les acteurs-
dominants correspond aux « régulations de contrôle », tandis que la réappropriation par les
acteurs de l’organisation renvoie aux « régulations autonomes ». Pour lui, l’appropriation
désigne donc ce long processus, qui démarre avant la phase d’utilisation et qui continue au-
delà de ses premières routines d’utilisation. Enfin, Oiry (2001), dans sa thèse, a mobilisé le
concept de traduction développé par Callon (1986), afin de rendre compte du processus par
lequel un dispositif de gestion se construisait grâce à l’assemblage d’éléments hétéroclites et
interdépendants.
Le recours au cadre de la théorie de la traduction fournit un éclairage sur les conditions à
partir desquelles les acteurs d’une situation peuvent se retrouver en convergence autour d’un
changement ou d’un projet. Cela permet d’étudier la manière dont la coopération est produite
et dont l’une des formes, lorsqu’elle aboutit, prend le visage d’un acteur-réseau stabilisé et
« irréversibilisé » (Amblard et al. 2005). Cette activité collective, mise en boîte noire sous la

99
forme d'un artefact (Callon, 2006, p.271), peut-être différente selon les contextes. Le célèbre
récit de la domestication des coquilles St-Jacques de la baie de Saint-Brieuc illustre ainsi la
convergence des acteurs territoriaux côtiers (Callon, 1986). Beaujollin-Bellet (2008) a
emprunté les notions développées par Callon et al. (2001) afin d’étudier les formes de
coordination innovantes lors de restructurations, reposant sur la constitution de forums
hybrides territorialisés, où le territoire est considéré comme un laboratoire de plein air.
D’autres auteurs se sont référés à la théorie de l’acteur-réseau afin d’étudier l’émergence
d’instrument de gestion. Ainsi, Alcouffe et al. (2008) s’y sont référés pour l’étude de la
diffusion des innovations comptables, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le succès
ou l’échec d’une machine ou d’une technologie ne peut être prédit par une liste de facteurs
sociaux, mais peut être expliqué par l’imbrication de différents éléments humains et non-
humains. Ensuite, l’idée que les innovations sont acceptées rationnellement parce qu’elles
sont appropriées et technologiquement adéquates est un postulat remis en question par Latour
(1992). C’est en effet parce que les innovations sont acceptées qu’elles sont reconnues comme
ayant certaines caractéristiques techniques appropriées.
2.2.1. Quel recours à la théorie de l’acteur-réseau peut-on faire en sciences de
gestion ?
On peut se référer à cette théorie par diverses appellations : théorie ou sociologie de l’acteur-
réseau (« SAR »), traduite en anglais par « actor-network theory » (« ANT »), sociologie de la
traduction ou bien encore sociologie de l’innovation ou des réseaux socio-techniques. Il
semble que l’usage récent de ces travaux dans nombre de recherches anglo-saxonnes stabilise
peu à peu l’usage du terme « ANT » dans le domaine des sciences de l’organisation. Nous
l’utiliserons donc dans nos travaux.
2.2.1.1. La nécessité d’effectuer un choix parmi les travaux issus de la
sociologie de la traduction
La posture des fondateurs de l’ANT s’appuie sur le refus de proposer un modèle qui aille au-
delà de la dichotomie souvent posée entre l’acteur ou la structure. En effet, la sociologie a été
depuis quelques décennies, traversée par de nombreuses controverses concernant l’origine de
l’action. Les fondateurs de l’ANT quant à eux s’écartent de cette dichotomie en proposant un
modèle alternatif, celui du réseau. Ce modèle de réseau est mobilisé afin d’expliquer la

100
constitution de la société, de retracer l’émergence de la science, ou encore afin de décrire la
construction d’un projet sociotechnique. La question de l’innovation est transversale à ces
travaux. Nous nous référerons plus largement à ce troisième ensemble de travaux représentant
un ensemble très important de productions écrites.
Cazal (2007) note l'abondance « voire la surabondance » des publications des auteurs
fondateurs de la théorie, toutes thématiques confondues. Whittle et Spicer (2008) recensent un
nombre conséquent de recherches parmi les sciences de l’organisation ayant suivi les
principes de l’ANT : des travaux traitant de l’implémentation de systèmes technologiques
(Doorewaard et Van Bijsterveld, 2001), des activités de conseil, des communautés de
pratiques, de la sécurité organisationnelle, du management des connaissances, de l’innovation,
des marchés économiques, des communautés académiques et des organisations en général
(Czarniaswka et Hernes, 2005). Cet ensemble est considéré par les auteurs comme
hétérogène. En parallèle, certains travaux ont été en particulier utilisés en sciences de gestion,
dont la gestion des ressources humaines (Beaujolin-Bellet, 2008 ; Oiry, 2003). En outre, un
courant anglo-saxon et scandinave de recherche en management s’appuie sur l’ANT. Parmi
ce courant, certains ont tenté de mettre en perspective les apports de l’ANT et de la théorie
néo-institutionnelle (Leca et al.2006 ; Czarniawska et Hernes, 2005). Enfin, un récent courant
s’intéresse à l’ANT dans le cadre des « critical studies » : des débats poussés alimentent ces
réflexions en faveur (Alcadipani et Hassard, 2010) ou non (Whittle et Spicer, 2008) de la
proximité entre ces postures.
Pour mener à bien notre recherche, nous avons sélectionné parmi différents travaux, les écrits
étant les plus à même de rendre compte de la constitution d’un objet socio-technique. Il s’agit
des travaux suivants : Callon, 198632 ; Akrich et al. 198833 ; Latour, 199234 ; Akrich et al.
200635.
32 M. Callon, 1986, « Eléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année Sociologique, numéro spécial La Sociologie des Sciences et des Techniques, n°36, p.169-208. 33 M. Akrich, M. Callon et B. Latour, 1988, « A quoi tient le succès des innovations ? 1 : L’art de l’intéressement. 2 : Le choix des porte-paroles », Gérer et comprendre, Annales des Mines, 11 et 12, p.4-17 et 14-29.
34 B. Latour, 1992, « Aramis ou l’amour des techniques », Paris, La Découverte, 241 pages. 35 M. Akrich, M. Callon et B. Latour, 2006, « Sociologie de la traduction. Textes fondateurs », Ecole des mines de Paris.

101
2.2.1.2. Pertinence pour les sciences de l’organisation
Ainsi, selon Amblard et al. (2005), il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que l’ANT puisse
être utilisée en sciences de gestion. Selon ces auteurs, cette sociologie, tant par son objet que
par sa posture méthodologique et ses concepts majeurs, est compatible avec les théories des
organisations. Bien que les exemples développés par les auteurs de l’ANT afin d’étayer leur
théorie soient parfois assez éloignés de l’entreprise, il n’en demeure pas moins que
l’entreprise, comme l’organisation, peut tout à fait être appréhendée comme un réseau. De
plus, le changement dans une entreprise peut être compris non pas à partir de ses vertus
intrinsèques, mais à partir du processus dont il relève. Amblard et al. (2005) reconnaissent
donc M. Callon et B. Latour comme « d’authentiques théoriciens de l’entreprise» (ibid.,
p.177).
Plus particulièrement, trois arguments viennent appuyer le choix de ce cadre théorique.
D’abord, l’ANT invite le chercheur à suivre les actants au plus près et les phénomènes dans
leur déroulement. Cette posture méthodologique est appropriée à l’étude de l’action dans les
organisations. Ensuite, l’ANT porte un intérêt soutenu aux instruments et techniques. En
sciences de gestion, les instruments de gestion et les techniques font partie intégrante du
quotidien de l’activité des praticiens. Dans le cadre de cette thèse en particulier, la production
d’un dispositif de gestion constitue le cœur de notre problématique. Enfin, l’ANT s’intéresse à
la production de discours, de rapports, de textes, à la mobilisation d'une rhétorique. L’étude de
la production de récits oraux et écrits, plus largement des discours, fait partie intégrante des
travaux de recherches menées dans le cadre de cette thèse.
La controverse et la traduction peuvent être appliquées à elles-mêmes. Law (2003) souligne le
fait que « la traduction est aussi la trahison » (ibid., p.1). Le succès de l’ANT l’a amenée à sa
« dissolution », c’est-à-dire en quelque sorte à la multiplication des recours que les chercheurs
y font. Law (1999) emploie le terme de diaspora afin de signifier que celle-ci s’est étendue,
elle a été traduite, convertie en un ensemble de pratiques différentes, mais demeurant
partiellement connectées. Selon Alcadipani et Hassard, l’ANT est multiple: “…rather than a
singular and clear cut approach, ANT is instead, a ‘multiple’ one, with many usages and
interpretations” (ibid., p.420). Doooreward et Van Bijsterveld (2010) concluent donc que
l’ANT n’est pas une théorie « élaborée », mais plutôt un corps consistant et croissant de
suppositions et d’analyses empiriques de processus concernant la construction de structures

102
sociales, de relations et d’identités sociales dans différents contextes organisationnels (ibid.,
p.61). Nous allons présenter l’ANT telle que nous la concevons à partir de la sélection de
travaux cités plus haut.
2.2.2. Présentation de notre usage de la théorie de l’acteur-réseau
L’ANT considère que les actants sont les éléments constitutifs d’un acteur-réseau, dont
l’émergence peut être notamment observée lors du démarrage d’un projet socio-technique.
C’est au cours du processus de traduction qu’un réseau se constitue, grâce à différentes
opérations de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et de mobilisation afin mettre
en mouvement les actants autour d’un projet commun. C’est en particulier lors de
controverses socio-techniques ou de phases d’innovations que la constitution de ces réseaux
est rendue visible, avant que l’enchevêtrement d’éléments humains et non humains ne soit
opaque.
2.2.2.1. Les principaux concepts
Il parait nécessaire de revenir de manière plus approfondie sur la définition d’un certain
nombre de concepts clés de l’ANT.
Le terme d’actant sera employé afin d’englober l’ensemble des éléments susceptibles d’entrer
dans la constitution d’un réseau socio-technique. Les actants sont aussi bien humains, que
non-humains, vivants (animaux, insectes, plantes…) ou non vivants (objets techniques, etc.).
A la question « qu'est-ce que un acteur ? », Callon et Latour (1981/2006, p.20) rétorquent :
« N’importe quel élément qui cherche à courber l’espace autour de lui, à rendre d’autres
éléments dépendants de lui, à traduire les volontés dans le langage de la sienne propre. Un
acteur dénivelle autour de lui l’ensemble des éléments et des concepts que l’on utilise
d’habitude pour décrire le monde social ou naturel. » Un acteur, ou un acteur-réseau, désigne
selon ces termes, l’élément qui a permis de constituer un réseau autour de lui grâce à
l’incorporation d’actants lui ayant été associés grâce au processus de traduction. Cet acteur est
à même d’imposer ses vues : c’est lui qui peut définir « l’espace et son organisation, les
tailles et leurs mesures, les valeurs et les étalons, les enjeux, les règles du jeu, l’existence
même du jeu » (Callon et Latour, 1981/2006 p.20-21). Le réseau constitue en quelque sorte
l’ossature du système socio-technique dont l’acteur-réseau forme le noyau central.

103
M. Callon emploiera plus volontiers le terme de « projet socio-technique », tandis que M.
Akrich celui de « système socio-technique ». Le terme d’ « objet socio-technique » est
également utilisé. Callon (1981/2006, p.146-147) définit le projet socio-technique comme une
« construction simultanée de l'objet et de son environnement ». Un objet technique peut en
effet fonctionner et ne peut être décrit indépendamment du contexte dans lequel celui-ci
s’insère. Lorsqu’il se réfère au contexte, Callon inclut donc les actants de nature diverse,
c’est-à-dire à la fois le contexte social (les éléments humains) et le contexte technique (les
éléments non-humains), qu’il ne différencie pas. Selon Akrich (1989/2006, p.109), étudier un
système socio-technique revient à « traiter des relations entre les systèmes techniques et tout
ce qui est généralement entendu sous le vocable de contexte ou d'environnement, et qui va de
l'organisation sociale, aux représentations du monde physique et naturel, en passant par les
modèles dits culturels. » L’auteur s'oppose également à l'idée selon laquelle, « l'élaboration
des objets techniques obéirait à une rationalité purement technique ». Elle ne considère pas
non plus qu'une innovation technique réponde à un déterminisme social. Les auteurs de
l’ANT accordent une grande importance à la notion de controverse technique. En effet, c’est
lorsque les actants sont amenés à mettre en concurrence, à argumenter en faveur d’un élément
ou d’un autre, que sont rendues visibles les traductions. Lorsque la controverse est close, alors
le système socio-technique est stabilisé, une boîte noire a été formée, et l’ouverture devient
impossible. Les controverses sont donc les moments privilégiés d’observation et de
compréhension de ces boîtes noires, considérées comme des lieux de négociations (Callon,
1981/2006, p.137).
La notion d’innovation est transverse à la plupart des travaux de l’ANT. En effet, puisque les
moments privilégiés pour l’ANT sont la constitution d’un projet technique et les controverses,
ceux-ci incluent bien souvent des innovations techniques ou scientifiques. M. Akrich en
particulier s’est beaucoup intéressée à la manière dont des innovateurs « naviguent sans arrêt
en eaux troubles entre le social, le technique, l'économique, etc. » (Akrich, 1989/2006,
p.111). Ces innovateurs sont amenés à négocier les contenus de ces innovations avec les
actants qu’ils souhaitent enrôler, tout en changeant de registre argumentaire en fonction des
circonstances. A la fin du processus, il ne subsistera qu’un « tissu sans couture », un seul et
unique objet socio-technique, sans que l’on puisse distinguer les éléments sociaux et
techniques. Les utilisateurs ont un rôle essentiel dans le processus d’innovation. Ils attribuent
à l’objet des qualités, qui ensuite seront reconnues comme étant à l’origine de la réussite du

104
projet ; ils développent un savoir pratique sur l’utilisation du produit, enfin ils expérimentent
la mise en place de réseaux (Akrich, 1989/2006, p.126). Akrich a orienté un certain nombre
de ses travaux vers l’étude des usages que font les personnes des objets socio-techniques. Elle
s’est notamment intéressée à la manière dont les usagers vont déplacer, adapter, étendre ou
détourner l’objet.
2.2.2.2. Le processus de traduction
La traduction constitue ainsi le processus au travers duquel le réseau va prendre corps. Dans
la suite de nos travaux, nous emploierons le terme d’acteur pour désigner les actants humains.
Étudier la constitution d’un système socio-technique peut consister d’abord à identifier les
actants. Il s’agit ensuite de les suivre dans leur trajectoire, jusqu’à ce qu’ils forment un acteur-
réseau, qui dès lors acquiert un caractère distinct et relativement stable, en ayant combattu les
traductions concurrentes (Czarniaswka et Hernes, 2005). Callon et Law (1997, p.104)
rappellent par cette citation, ce qu’il est entendu par « traduction » : « Quand on suit un
scientifique en action, ou encore la conception et la fabrication d’un fait scientifique ou d’un
artefact technique, ce que l’on observe, c’est la multiplicité des éléments qu’ils associent et
dont ils sont en quelque sorte le résumé. Nous avons appelé traduction ce processus de mise
en relation. Les entités qui nous entourent, qu’elles soient des êtres humains, des objets ou
des textes, sont des réalités composées parce qu’elles sont le résultat d’un processus de
composition ». Le processus de traduction correspond à quatre moments interdépendants : la
problématisation, les dispositifs d’intéressements, l’enrôlement et la mobilisation des alliés
(Callon, 1986).
La problématisation constitue l’étape au cours de laquelle un problème est formulé, dont la
résolution est rendue indissociable du recours à un objet technique. Cette première description
restitue implicitement les rôles et les définitions des acteurs de la situation. L’objet technique
devient peu à peu un « point de passage obligé ». Lorsqu’il s’agit d’un outil de gestion,
Alcouffe et al. (2008) indiquent que la problématisation ne doit pas seulement être formulée
en termes techniques, mais elle doit renvoyer à d’autres idéaux « nobles ». Lorsqu’une
nouvelle solution est proposée, celle-ci doit en effet pouvoir être envisagée comme une
nouvelle manière de considérer les pratiques managériales. La problématisation est
étroitement liée à l’intéressement. En effet, la problématisation doit être formulée de manière

105
à pouvoir ensuite enrôler les idéaux n’étant pas encore incorporés dans d’autres dispositifs
concurrents, qui auraient déjà atteint le statut de boîte noire (Alcouffe et al. 2008).
Afin de parvenir à ses fins, l’acteur à l’origine de la formulation du problème doit, une fois
identifié l’ensemble des alliés potentiels, négocier avec eux leur participation au projet. Il a,
pour cela, recours à des dispositifs d’intéressement, mettant en avant les gains potentiels que
ceux-ci retireraient de leur participation au projet. Ces dispositifs d’intéressement permettent
d’articuler les rôles proposés par l’initiateur du projet et les rôles que les acteurs acceptent de
jouer. Un objet n’est repris que s’il parvient à intéresser des acteurs de plus en plus nombreux.
C’est l’agrégation des intérêts plutôt que la rationalité des décisions qui est capable de
produire l’innovation. Le dispositif technique répartit les forces qui vont le supporter ou le
freiner (Akrich et al., 1988).
L’enrôlement permet d’articuler les rôles proposés par l’initiateur du projet et les rôles que
les acteurs acceptent de jouer. Une fois les alliés ayant accepté ces rôles, l’enrôlement est
achevé.
Il convient ensuite de mobiliser les alliés, en rendant effective la coordination grâce à
l’élargissement du réseau constitué. En rendant effective la coordination grâce à la
désignation de porte-paroles représentant les groupes d’acteurs enrôlés. Une première étape
de traduction a abouti, mais celle-ci peut être remise en cause à tout moment par
l’intervention d’actants humains ou non-humains venant proposer une traduction concurrente.
2.2.2.3. Peut-on évaluer le succès ou l’échec d’un dispositif socio-
technique ?
La compréhension du succès ou de l’échec d’un objet socio-technique s’avère
particulièrement délicate, mais plusieurs éléments sont susceptibles de rendre compte du
degré d’achèvement d’un réseau.
Premièrement, le processus de traduction peut être considéré comme abouti lorsque l’objet
socio-technique est parvenu à créer un consensus, garant de sa stabilité et son statut
d’irréversibilité. Akrich (1989/2006, p.21) considère qu’un objet socio-technique est
définitivement stabilisé lorsque « plus rien ni plus personne ne vient revendiquer d'une

106
manière ou d'une autre, une place, un rôle, une volonté, des compétences, etc., différents de
ceux qui lui sont attribués dans le scénario que constitue la machine. » Ce succès n’est atteint
que si l’objet a réussi à intéresser des acteurs de plus en plus nombreux. Les choix techniques
opérés sont notables, non pas parce que certaines caractéristiques seraient techniquement plus
optimales que d’autres, mais parce que ces caractéristiques vont permettre d’attacher ou de
détacher une série de groupes sociaux.
Ensuite, lorsque l’on parvient à déléguer suffisamment de tâches et de compétences à l’objet-
technique de manière à ce que celui-ci puisse fonctionner sans devoir intégrer de nouveaux
éléments, alors l’objet socio-technique a intégré en lui-même son environnement (Akrich,
1989/2006).
Enfin, une innovation sera considérée comme réussie lorsque la cause du succès est attribuée
à la nature particulièrement intéressante du projet socio-technique. Autrement dit, une
innovation est réussie lorsque les actants reconnaissent au projet des propriétés techniques.
Selon Latour (1992), c’est parce que les individus se sont mis d’accord sur ces propriétés,
qu’elles sont jugées appropriées : "Alors s'accomplit se renversement caractéristique des
innovations réussies : la cause du succès devient la rentabilité du projet, alors que, dans le
même mouvement, les propriétés imputées aux acteurs et aux objets, dont nous avons vu plus
haut qu'elles n'étaient que le résultat des différentes épreuves qui constituent le processus
d'innovation, participent désormais, par un effet de rétroactivité, de l'essence même de ces
acteurs et de ces objets (Akrich, 1989/2006, p.134). Ceci est illustré grâce à l’exemple de la
controverse dans laquelle a été impliquée EDF pour le développement du vélo électrique :
« EDF n'échoue pas pour des raisons techniques (ou économiques), mais parce qu'elle ne
parvient pas à mobiliser et à agréger de manière durable des acteurs et des intérêts prêts à
réaliser et à utiliser le VEL qu'elle a conçu » (Callon, 1981/2006, p.155). En revanche la
stabilité d’un réseau n’est toujours que provisoire. Le succès d’un projet n’est lié ni au temps,
ni à l’état des choses, mais bien à la force des nœuds réalisés.

107
Synthèse de la section 2
L’étude de la construction de la GRH à travers le prisme de ses dispositifs permet de rendre
compte de la transformation des instruments et des dispositifs dans le cadre d’une approche
« comportementale ». Par dispositif de gestion, il est fait référence à des « types
d’arrangements des hommes, des objets, des règles et des outils qui paraissent opportuns à un
moment donné » (Moidson, 1997, p.10-11). On peut étudier dans le temps l’évolution des
différents composants des dispositifs, à savoir la philosophie gestionnaire, le substrat
technique et les rôles idéaux acteurs (Hatchuel et Weil, 1992). En se référant à une logique
de construction, il est alors possible de considérer plusieurs moments dans la vie d’un
dispositif : la conception, les réalisations et les modifications. Nous postulons que les
dispositifs inter-organisationnels présentent certaines caractéristiques semblables, mais plus
complexes que leurs homologues inscrits dans des contextes intra-organisationnels. C’est
pourquoi, afin de comprendre la dynamique de construction d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale, nous mobilisons en complément la théorie de l’acteur-
réseau.
Le recours au cadre de la théorie de la traduction donne un éclairage sur les conditions à partir
desquelles les acteurs d’une situation peuvent se retrouver en convergence autour d’un
changement ou d’un projet. Malgré les controverses et les limites de cette théorie, elle s’avère
particulièrement appropriée à l’étude des dispositifs inter-organisationnels de GRH
territoriale. Un choix a été effectué parmi les différents travaux des auteurs de l’ANT, nous
ayant conduit en outre à spécifier les concepts retenus : la problématisation,
l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation des alliés. Enfin, quelques pistes de
réflexions permettent d’apprécier l’échec ou le succès d’un objet socio-technique, c’est-à-dire
lorsque la coopération est produite et prend le visage d’un acteur-réseau stabilisé et
« irréversibilisé ».

108
3. Problématique de la recherche et cadre d’analyse Cette section présente la problématique de la recherche qui découle de la question de départ et
des éléments recensés dans la revue de littérature. A partir de la problématique (3.1.) est
proposé un cadre d’analyse permettant d’articuler les concepts issus de l’instrumentation de
gestion et de la théorie de l’acteur-réseau. (3.2.). Des questions de recherches sont ensuite
formulées afin d’éclairer la problématique sous certains angles. Enfin, le design de la
recherche sera exposé.
3.1. La problématique de la recherche
La recherche a été guidée par la formulation d’une question de départ. Celle-ci visait à établir
ce qu’est la GRH territoriale et comment celle-ci pouvait se construire :
Question de départ :
Qu’est-ce que la GRH territoriale et comment se construit-elle ?
Ce questionnement nous a au préalable amenée à nous interroger sur les enjeux d’une GRH
inter-organisationnelle et l’intérêt de l’étudier. A partir des principaux constats établis dans la
revue de littérature (chapitre 1), nous avions montré d’abord que le développement de
l’entreprise-réseau appelait à renouveler les cadres de pensée de la gestion des ressources
humaines et notamment dans le cas de la coexistence de systèmes RH différents. Ensuite, les
formes de réseaux territoriaux d’organisation ont été examinées. Il a été mis en exergue le
poids de la main-d'œuvre locale qualifiée pour la compétitivité du territoire, tout cela dans un
contexte d’incitation au développement des formes de GRH territoriales au sein des pôles de
compétitivité. Enfin, la GRH en contexte de proximité géographique et organisée a été
étudiée. Il a été fait état du renouveau de la dimension territoriale comme un facteur croissant
pour la collaboration d’acteurs hétérogènes amenés à participer conjointement à des actions
liées à l’emploi, à la formation et à la gestion des ressources humaines. Ces travaux montrent
la multiplication de parties prenantes issues d’organisations de natures vairées et la difficulté à
mettre en place de réels dispositifs de gestion, dans un contexte inter-organisationnel.

109
Ces enseignements nous ont conduite à circonscrire plus précisément par la suite, les contours
de ce que nous appelons alors la GRH territoriale (chapitre 2, section 1). Pour cela nous avons
défini un certain nombre de critères permettant de regrouper derrière cette appellation
diverses initiatives, mais aussi de les distinguer d’autres formes de « territorialisation » de la
GRH. Afin de poursuivre l’investigation, nous avons proposé d’étudier ce qui peut être
considéré comme le cœur de la GRH territoriale, à savoir les dispositifs de gestion qui les
constituent. La littérature sur les dispositifs de gestion montre que ceux-ci peuvent être
appréhendés grâce à plusieurs éléments (philosophie gestionnaire, substrat technique et rôles
idéaux des acteurs) et qu’il est possible d’étudier leur constitution dans le temps (conception,
réalisation, modification). La littérature indique en outre que l’outillage gestionnaire est le
fruit de transformations et d’évolutions. A ce titre, il est nécessaire de suivre le processus qui
permet d’aboutir à la construction d’un dispositif de gestion. Cela conduit à établir un
parallèle entre les dispositifs de gestion et les objets socio-techniques. Cela permet également
de prendre en compte la dimension inter-organisationnelle des dispositifs étudiés. En
s'appuyant sur la théorie de l’acteur-réseau, la constitution d’un dispositif de gestion
résulterait ainsi de la mise en réseau d’actants humains et non-humains, c’est-à-dire ici les
divers artefacts produits sous la forme d’instruments de gestion élaborés dans le cadre du
projet inter-organisationnel de GRH territoriale. La théorie de l’acteur-réseau met un point
d’honneur à montrer comment se font et se défont les réseaux tout au long d’un processus de
négociations, aboutissant dans certains cas, à des compromis permettant de solidifier le réseau
d’actants humains et non-humains.
L’émergence d'un dispositif de gestion peut ainsi s'analyser comme un processus de
traduction, dont le succès pourra être apprécié lors de la plus ou moins forte stabilisation de
l’acteur-réseau ainsi constitué. La constitution d’un acteur-réseau requiert certaines modalités
de mise en œuvre, c’est pourquoi notre problématique de recherche s’attache à l’étude des
modalités de construction en termes de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et de
mobilisation des alliés d’un dispositif inter-organisationnel de GRH territoriale :

110
Problématique :
Comment se construisent les dispositifs inter-organisationnels de GRH territoriale en
termes de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et de mobilisation des alliés ?
Le vocable « modalités », parfois utilisé, indique qu’un certain nombre d’éléments doivent
être réunis afin de voir le phénomène étudié émerger. Dans le cadre de notre positionnement
épistémologique constructiviste pragmatique, nous aboutirons ainsi à « des propositions
relatives à des dynamiques organisationnelles temporairement stables, et des règles de type
‘si…, alors, selon le contexte, il est plausible que B…’ » (Avenier et Thomas, 2011).
3.2. Le cadre d’analyse
3.2.1. Articulation des dimensions retenues
Les dispositifs de gestion seront appréhendés au travers de trois dimensions :
- la philosophie gestionnaire, elle-même pouvant être comprise comme d’une part,
l’objectif global du dispositif, et d’autre part, son contenu, c’est-à-dire quels sont les
éléments qui permettent d’atteindre cet objectif.
- Le substrat technique : celui-ci est relatif aux instruments développés dans le cadre
du dispositif. Ces instruments peuvent être inscrits ou non-inscrits. Le substrat
technique comprend également les autres supports tels que les documents de travail.
- Les rôles idéaux des acteurs renvoient aux comportements et missions prévues par
les concepteurs puis tenues réellement dans le cadre du dispositif de gestion.
La constitution d’un dispositif de gestion peut évoluer dans le temps, il est alors possible de
distinguer plusieurs moments : la conception, la réalisation et les modifications. Cette
évolution est le fruit d’arrangements des actants au sein d’un réseau, il résulte de la mise en
œuvre d’un processus de traduction caractérisé par des négociations et parfois des compromis.

111
Ce processus de traduction n’est pas linéaire, mais itératif et il se compose également de
quatre moments : la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation des
alliés (non représentés sur la figure ci-dessous). La figure ci-dessous (figure 7) tente de
modéliser graphiquement ce cadre d’analyse. Les flèches cylindriques indiquent que la
constitution d’un dispositif de gestion n’est pas un processus linéaire, mais est faite d’allers-
retours.
Figure 7 : Cadre d'analyse proposé
3.2.2. Les questions de recherche
A partir du cadre d’analyse, il est ensuite possible de formuler des questions de recherche, qui
permettent de l’« opérationnaliser ». Ces questions de recherche indiquent de manière précise
quels sont les éléments issus de l’étude de cas qui vont devoir être examinés en particulier
afin de répondre à la problématique. Les questions de recherche permettent de canaliser
l’énergie dans cette direction plutôt qu’une autre. (…) Elles permettent de clarifier ce qui
dans le domaine étudié, présente le plus d’intérêt (Miles et Huberman, p.49, p.53).

112
Afin de déterminer quelles sont les conditions d’existence d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale, il est au préalable nécessaire de savoir quels acteurs
(actants humains et non-humains) s’engagent dans la construction d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale.
La question de recherche 1 doit donc permettre d’identifier si comment les dispositifs étudiés
sont construits :
Questions de recherche 1 :
Comment le dispositif a-t-il été conçu ?
Questions de recherche 2 :
Quels acteurs s'engagent dans la construction d'un dispositif inter-organisationnel de
GRH territoriale ?
La question de recherche 3 s’interroge sur ces transformations :
Questions de recherche 3 :
Ces dispositifs ont-ils été modifiés ? Quels éléments ont été modifiés ?
La question de recherche 4 rend compte de cette proposition :
Questions de recherche 4 :
Les modifications rendent-elles le dispositif acceptable, voire pérenne ?

113
Nous répondrons d’abord à ces questions de recherche grâce aux résultats de l’analyse
thématique présentés respectivement sur le cas 1 (chapitre 4) et sur le cas 2 (chapitre 5).
La réponse à la problématique pourra être donnée ensuite au cours du chapitre 6, qui donne
une lecture du phénomène étudié à l’aune de la théorie de l’acteur-réseau.
Enfin, nous répondrons à la question de départ à l’issue du chapitre 6 en présentant la
formulation de la thèse finale.
Nous présentons enfin, en guise de conclusion de ce chapitre, le design de la recherche.
Synthèse de la section 3
Cette section s’est attachée à retracer le cheminement du questionnement de départ,
jusqu’à la reformulation de celui-ci sous forme de problématique, puis à l’articulation de
l’ensemble conceptuel constituant le cadre d’analyse. Quatre questions de recherche
permettent d’orienter plus précisément l’analyse thématique.

114
4. Conclusion du chapitre 2
Selon Royer et Zarlowski (2003), le design de la recherche constitue « l’architecture » de la
recherche. Il s’agit d’élaborer une trame afin d’articuler les différents éléments d’une
recherche : problématique, littérature, matériaux empiriques, analyse et résultats. Les auteurs
préconisent de réaliser cette étape entre la définition de la problématique et le recueil des
matériaux empiriques, comme l’indique la figure ci-dessous :
Figure 8 : L'étape d'élaboration du design dans la démarche de recherche
(Roger et Zarloswski, 2003, p.152)
L’élaboration du design de la recherche étant un processus itératif dans le cadre d’un
positionnement épistémologique constructiviste privilégiant l’abduction, nous présentons en
conclusion de ce chapitre, le design final de la recherche.
La problématique vise à établir quelles sont les conditions de construction d’un dispositif de
GRH territoriale en termes de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et de
mobilisation des alliés. Dans cette optique, le cadre d’analyse retenu articule les concepts
issus de l’instrumentation de gestion et propose d’appréhender le dispositif de gestion à la fois
à travers ses composants et dans une perspective dynamique. Afin de mettre en œuvre cette
recherche, nous proposons, au chapitre suivant, une démarche méthodologique reposant sur
une étude de cas multi-sites longitudinale, réalisée à partir de la collecte de matériaux
empiriques de nature qualitative. Afin de suivre les transformations d’un dispositif, plusieurs

115
périodes de collecte ont été envisagées. L’analyse thématique est la méthode d’analyse la
plus appropriée. Les résultats permettront de comprendre la construction d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale et d’en expliquer l’évolution, cela afin d’en déterminer les
conditions d’existence.
Le chapitre suivant indique comment ont été collectés puis analysés les matériaux empiriques.

116

117
Chapitre 3 : La mise en œuvre du design de la
recherche : choix méthodologiques
Ce chapitre s’attache à la présentation de l’opérationnalisation du design de la recherche. Il se
concrétise par la mise en œuvre d’un cadre méthodologique, qui dans notre cas est construit
en cohérence avec le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP),
présenté en introduction, dont nous rappelons plus loin quelques principes fondateurs. La
méthodologie renvoie à l’étude de la constitution des connaissances, le positionnement
épistémologique correspondant quant à lui à l’étude de la constitution de connaissances
valables (Avenier, 2010).
Figure 9 : Plan de la thèse et chapitre 3

118
Ce chapitre est organisé en trois sections principales, chacune ayant vocation à justifier et à
expliciter notre démarche méthodologique :
La première section justifie, au regard de notre problématique, le recours à des
matériaux empiriques de nature qualitative, recueillis dans le cadre d’une étude de cas
multi-sites et longitudinale.
La deuxième section présente les deux études de cas (le pôle de compétitivité Arve-
Industries Haute-Savoie Mont-Blanc et la Maison de l’Emploi et de la Formation
Drôme des Collines Royans Vercors), ainsi que l’ambition des deux projets étudiés,
qui constituent chacun une unité d’analyse.
La troisième section s’attache d’abord à décrire l’ensemble des matériaux collectés et
les différents modes de recueil de ces matériaux, puis à expliciter la manière dont
ceux-ci ont été traités en ayant recours à une analyse thématique. Nous présentons
enfin, dans cette section, le processus d’élaboration de notre grille d’analyse finale.
La conclusion présente une figure illustrant le processus de collecte et de traitement
des matériaux empiriques.

119
1. Une recherche de nature qualitative
Nous avons en introduction, présenté le repère épistémologique au sein duquel nous
positionnons notre recherche et montré comment nous avions construit notre problématique.
Nous rappelons quelles sont les principales hypothèses fondatrices du PECP afin d’éclairer
nos choix méthodologiques. L’hypothèse d’ordre ontologique sur lequel se fonde le PECP
postule que l’on ne se prononce pas sur l’existence du réel en soi. L’hypothèse d’ordre
épistémique rend compte de ce qui est connaissable. Dans le cadre du PECP, ce qui est
connaissable, c’est donc la connaissance de l’expérience qu’un être humain se forge. On
distingue le réel de l’expérience du réel. D’un point de vue méthodologique, ces hypothèses
impliquent de se référer aux phénomènes étudiés comme étant le résultat de notre expérience,
de notre perception. Le positionnement dans un repère épistémologique donné n’implique pas
nécessairement le recours à un ensemble de méthodes spécifiques. C’est plutôt la justification
de la façon dont le chercheur a procédé en pratique et la manière dont les résultats ont été
obtenus qui diffèrent (Avenier et Parmentier-Cajaiba, 2011). Avenier (2010) note que toutes
les méthodes utilisées afin de générer et de légitimer des connaissances peuvent être utilisées
dans le cadre du PECP, à condition de respecter les principes d’éthique, de rigueur et
d’explicitation. Les matériaux empiriques collectés sont considérés comme le fruit de
l’expérience humaine et non comme le reflet fidèle du réel, puisque le chercheur inscrivant sa
recherche dans le PECP postule n’y avoir pas accès (Avenier, 2010).
La section qui suit s’attache à justifier le recours à une recherche qualitative (1.1.), multi-sites
et longitudinale (1.2.).
1.1. Le choix d’une recherche qualitative
Le choix de recourir à des matériaux de nature qualitative est motivé par la finalité de la
recherche plutôt que par le positionnement épistémologique. En effet, il serait également
possible de recourir à des matériaux de nature quantitative dans le cadre du PECP, car ils
peuvent permettent d’améliorer la génération des connaissances, notamment en renforçant la
diversification et la triangulation des sources (Avenier et Thomas, 2011). Comme nous

120
l’explicitons par la suite, la finalité de notre recherche consiste à comprendre de manière
approfondie et dans le temps un phénomène et d’en interpréter certaines dimensions.
1.1.1. La démarche de la recherche : comprendre et interpréter
Selon Roger et Zarlowski (2003), la démarche ethnographique vise à décrire, comprendre et
interpréter un phénomène social particulier dans son environnent naturel. Cette démarche se
caractérise notamment par la réalisation d’une étude de cas en profondeur grâce à des
matériaux de nature essentiellement qualitative, par l’observation continue d’un phénomène
dans son contexte, la flexibilité du processus au cours duquel la problématique et les
matériaux collectés peuvent évoluer. Cette dernière approche correspond davantage à notre
projet de recherche et permettra de répondre de manière plus adéquate à notre
questionnement.
Miles et Huberman (2003, p.171) envisagent la description comme le processus selon lequel
le chercheur « veut clairement savoir ce qui se passe et comment cela se passe ». Nous
préférons par la suite, employer le terme de « compréhension » au lieu de « description », car
ce dernier vocable pourrait laisser entendre qu’une situation est restituée objectivement. Le
terme de « compréhension » met davantage l’accent sur la restitution d’un phénomène ayant
été médiatisé par le chercheur. Replacée dans le cadre du PECP, cette finalité signifie que
nous tentons de comprendre l’expérience que l’on peut avoir d’un phénomène.
Dans le cadre du PECP, le chercheur aboutit à ainsi à « des propositions relatives à des
dynamiques organisationnelles temporairement stables, et des règles de type ‘si…, alors,
selon le contexte, il est plausible que B…’ » (Avenier et Thomas, 2011). Miles et Huberman,
(2003) précisent d’ailleurs qu’il est nécessaire de passer par une étape de compréhension,
c’est-à-dire de « relater un premier récit sur une situation (que s’est-il passé, et ensuite, que
s’est-il passé ?) », afin de développer ensuite une interprétation du déroulement ce récit.
Notre recherche vise à étudier l’émergence de la GRH territoriale de manière à comprendre
quel le contenu d’un dispositif de gestion (quoi ?) et le processus par lequel celui-ci a été
construit (comment ?). Dans un deuxième temps, nous cherchons à interpréter les évolutions
constatées (pourquoi ?) en nous appuyant sur le cadre de la théorie de l’acteur- réseau. Par

121
conséquent, l’étude a pour objet de comprendre et d’interpréter un phénomène émergent
inscrit dans un contexte particulier dans une période de temps déterminée.
1.1.2. Une recherche réalisée à partir de matériaux empiriques de nature
qualitative
Les matériaux qualitatifs se présentent le plus souvent sous la forme de textes narratifs
(observations, entretiens, documents) ayant requis un traitement préalable (enregistrement,
prise de note, retranscription…) (Miles et Huberman, 2003, p.26)36.
Comme nous l’avons déjà précisé, nous visons à comprendre et interpréter le phénomène
étudié, ce qui correspond au choix d’une démarche qualitative, comme en atteste Wacheux
(1996, p.15) : « La mise en œuvre d’un processus de recherche qualitatif, c’est avant tout
vouloir comprendre le pourquoi et le comment des évènements dans des situations
concrètes ». La recherche qualitative ne s’attache donc pas à « rechercher des régularités
statistiques entre individus substituables », mais plutôt, selon ce même auteur, à « rechercher
les significations, comprendre des processus, dans des situations uniques et fortement
contextualisées ».
Notre choix s’est donc logiquement porté sur l’approche qualitative. En effet, nous avons pour
objectif, comme cela a été formulé précédemment, de gagner en compréhension sur le
phénomène étudié. A ce titre, l’approche qualitative donne à voir en profondeur les éléments
qui constituent un phénomène social et semble donc particulièrement appropriée.
La recherche qualitative est définie, en outre, par plusieurs critères (Miles et Huberman, 2003,
p.21-22), sur lesquels nous nous appuyons afin d’étayer notre décision quant au choix d’une
démarche qualitative.
36 Miles et Huberman (2003, p.16) affichent un positionnement épistémologique réaliste, qui consiste à penser que « les phénomènes sociaux existent non seulement dans les esprits, mais aussi dans le monde réel – et que des relations légitimes et raisonnablement stables peuvent être découvertes » Néanmoins, cette posture épistémologique, qui diffère de la notre, ne vas pas à l’encontre du recours aux méthodes de traitement des matériaux empiriques préconisée dans leur ouvrage.

122
Elle est réalisée grâce à un contact prolongé avec un terrain : dans notre cas, nous avons en
effet été présente à différents moments du déroulement des deux projets étudiés, recouvrant
ainsi une période de deux ans. Les premiers contacts ont été établis dans un cas, à partir de fin
2008 et de juin 2009 dans l’autre cas, les contacts ont été prolongés jusqu’à la fin de la
rédaction des travaux de recherche courant 2011.
Le chercheur vise une compréhension globale du phénomène étudié : sa logique, ses
arrangements, ses règles implicites et explicites. Nous avons pour cela orienté nos questions
lors des entretiens de manière à saisir la complexité du phénomène étudié. Nous avons
également veillé à rencontrer des interlocuteurs issus de différentes organisations, dont
certains n’avaient pas participé directement aux projets étudiés. Nous avons en outre veillé à
compléter la compréhension du phénomène grâce à la triangulation des matériaux : collecte de
documents internes et externes (lecture de la presse locale et nationale notamment),
observations et participation à quelques réunions de travail, présentation de nos travaux).
Le chercheur tente de saisir des éléments concernant la perception des acteurs locaux grâce à
un processus d’attention approfondie37 : ce principe a également été suivi lors des
entretiens, et renforcé par l’enregistrement des échanges lorsque cela a été possible, ou par la
prise de note détaillée en simultané.
Les matériaux collectés sont analysés par le chercheur, qui en dégage des thèmes et des
expressions, pouvant être approuvés par les acteurs du terrain : nos matériaux ont fait
l’objet d’une analyse thématique, dont les principaux résultats ont été plusieurs fois restitués
aux protagonistes des deux projets étudiés.
La démarche qualitative doit permettre d’éclairer comment les acteurs comprennent
progressivement, rendent compte, agissent et sinon gèrent leurs situations quotidiennes :
nous avons confronté les points de vue des acteurs et restitués cela lors de la présentation des
résultats. Comme cela est détaillé plus loin, plusieurs réunions ont été organisées par nos
soins afin de soumettre l’avancement de nos travaux aux personnes en charge des deux projets
étudiés.
37 Miles et Huberman (2003) préconisent également une « mise en parenthèse de ses préconceptions ». Mais cela n’est pas cohérent avec notre positionnement épistémologique, qui repose sur un principe d’indissociabilité entre le phénomène étudié et le chercheur.

123
Il est possible de proposer un grand nombre d’interprétations de ces matériaux, mais
certains sont considérés comme plus robustes, car plus adapté à l’expérience des praticiens.
La triangulation des données d’une part, et la confrontation des résultats auprès des acteurs du
terrain ou d’acteurs académiques ont permis d’affiner ces interprétations et de les rendre plus
fortes.
L’instrumentation à laquelle a recours le chercheur est faible au départ, car il est lui-même le
principal instrument de sa recherche. Afin de mener à bien des entretiens semi-directifs, nous
avons réalisé une grille d’entretien au préalable, permettant de se remémorer les grands
thèmes à aborder lors de l’entretien, mais cette trame est restée relativement flexible afin de
nous adapter aux différentes situations rencontrées.
L’analyse est effectuée essentiellement avec des mots, organisés de manière à pouvoir
comprendre et analyser, voire comparer le phénomène étudié : comme cela a été présenté
précédemment, nous avons eu recours uniquement à un matériau empirique qualitatif quasi
exclusivement représenté par des éléments textuels.
1.2. Une étude de cas multi-sites longitudinale
1.2.1. Le choix de l’étude de cas
Yin (2003, p.2) indique que l’étude de cas est particulièrement appropriée dans plusieurs cas
de figure : lorsque la question de recherche porte sur le « comment » et le « pourquoi », dans
les situations où les chercheurs ne sont pas en mesure de contrôler les événements et enfin
lorsque ceux-ci constituent un phénomène contemporain inscrit dans un contexte de vie
concrète. Il ajoute ensuite que le recours à l’étude de cas se justifie par la nécessité de
compréhension en profondeur et par la difficulté d’établir des frontières entre le phénomène
étudié et son contexte. L’étude de cas permet donc également d’investiguer une situation
comportant un nombre important d’éléments à étudier et pas seulement quelques points ; elle
repose sur le recueil de multiples sources empiriques permettant la triangulation des
matériaux et est guidée par un cadre théorique (Yin, 2003, p.18) Selon Wacheux (1996, p.89),
l’étude de cas se définit comme « une analyse spatiale et temporelle d’un événement

124
complexe par les conditions ; les événements, les acteurs et les implications. » Toujours selon
cet auteur, l’étude de cas est appropriée également lorsque la question de recherche porte sur
les causalités et les configurations ou sur un processus, un enchaînement d’évènements dans
le temps. Elle vise en effet à « suivre ou reconstruire des événements dans le temps
(chronologie), évaluer les causalités locales (isoler ce qui est général des contingences
locales) et formuler une explication (puis de la tester auprès des acteurs) ». Le recours à cette
stratégie de recherche est fondé sur plusieurs postulats (Wacheux, 1996) :
- Les phénomènes observés sont dépendants de leur contexte.
- Les explications apportées ne sont pas assimilées à des causalités linéaires, car les
contextes, l’environnement local et l’histoire sont propres à chaque situation. Il s’agit
plutôt d’identifier un faisceau d’éléments déterminants.
- Les acteurs ne sont pas substituables.
Le recours à l’étude de cas semble donc tout a fait approprié à notre recherche, car l’étude de
la construction d’un dispositif de GRH territoriale nécessite en effet de considérer le
phénomène dans son contexte et dans le temps. Nous ne sommes pas en mesure d’identifier
des causalités, mais plutôt des propositions permettant d’identifier des dynamiques
organisationnelles. Enfin, les acteurs ne sont évidemment pas substituables, car le phénomène
étant dépendant de son contexte, il n’est pas possible de se référer à d’autres interlocuteurs.
Un point important au sujet de l’étude de cas concerne la délimitation de l’unité d’analyse.
Miles et Huberman (2003, p.56) définissent le cas comme « un phénomène donné qui se
produit dans un contexte délimité. Le cas est, en fait, votre unité d’analyse ». Les auteurs
indiquent trois critères permettant de délimiter le cas. Le premier critère se rapporte à l’unité
sociale : un cas peut être un individu, un rôle, un petit groupe, une organisation, une
communauté, une nation. Yin (2003, p.33) ajoute qu’un cas peut renvoyer également à des
éléments « moins concrets » tels que des relations, des décisions ou encore des projets. Le
deuxième critère concerne la localisation géographique. Le troisième critère renvoie enfin à la
portée temporelle d’un évènement, d’une période de temps, d’un processus sur le long terme.

125
Notre objectif est d’étudier la construction d’un dispositif de GRH territoriale dans son
contexte. L’unité sociale qui a été retenue est celle du projet au sein duquel ont été élaborés
les dispositifs. A partir de certains actions identifiées comme faisant partie du projet, nous
avons ensuite repérer l’ensemble des personnes ayant été directement impliquées dans leur
élaboration et les personnes ayant été sollicitées de manière plus ponctuelle. La localisation
géographique ici n’est pas le critère principal, mais il découle du fait que le dispositif étant
défini comme « territorial » se donne lui-même des frontières spatiales. Elles sont reliées à la
perception qu’ont les individus de « leur » territoire. Enfin, la délimitation temporelle du cas a
été décidée en fonction du degré d’achèvement des actions développées.
1.2.2. Une étude de cas multi-sites
Plusieurs configurations sont envisageables lorsque l’on réalise une étude de cas. Yin (2003,
p.46) décrit quatre situations réparties dans une matrice à deux dimensions : la première
dimension se réfère à l’usage d’une seule ou à une étude de cas multiple. La seconde
dimension se rapporte au découpage du cas en une seule ou en plusieurs unités d’analyse.
Notre phénomène étant encore relativement peu documenté empiriquement, nous avons choisi
de réaliser une étude de cas multiple. Nous avons en avons sélectionné deux (cas 1 et cas 2,
présentés à la section 2), car la complexité du phénomène étudié aurait rendu difficile la
compréhension en profondeur d’un nombre plus important de cas. Nous avons opté ensuite
pour une seule unité d’analyse, c’est-à-dire le projet développé dans chaque contexte. Yin
(2003) se réfère à cette situation en tant que « multiple-case (holistic) design », que nous
traduisons ici par « étude de cas multi-sites ».
L’étude de cas multi-sites est souvent associée à une méthode comparative, qui, selon
Wacheux (1996) résulte d’une problématique de confrontation entre plusieurs contextes afin
de mettre en exergue les divergences. L’auteur distingue trois formes d’études comparatives :
empirique, méthodologique et théorique. Seule la forme empirique fait figure de cas
particulier et implique la mise en œuvre d’un design de la recherche précis. En effet, dans ce
cas, la comparaison porte sur le caractère de l’échantillon ou sur le contexte du phénomène
étudié. La question de recherche induit alors ce type de comparaison. Les autres formes de
comparaisons (méthodologie et théorique) ne sont pas considérées comme une forme
particulière d’accès aux matériaux et sont donc souvent utilisées dans les études de cas. La
comparaison méthodologique consiste à multiplier les stratégies de collecte des matériaux ou

126
bien à dupliquer ces stratégies afin de comparer les résultats, tandis que la comparaison
théorique vise à renforcer la validité des résultats de recherche sur un même phénomène. Dans
ces deux cas, elles permettent de mettre en évidence les similitudes et les différentes entre des
contextes, des configurations, des dynamiques à l’œuvre, etc. Nous avons opté pour la
comparaison méthodologique afin d’éclairer une réalité émergente sous deux angles
différents. La comparaison théorique constitue également un apport de notre recherche
puisque la mise en perspective de ces deux cas permet de renforcer la pertinence des
enseignements tirés. Cette comparaison constitue une première voie vers la généralisation
(Avenier et Thomas, 2011).
1.2.3. et longitudinale
L’étude d’un processus amène le chercheur à « construire une représentation de la réalité par
une observation approfondie du contexte sur une période relativement longue » (Wacheux,
1996, p.75). Nous avons choisi de réaliser notre étude de cas multi-sites de manière
longitudinale, ce qui renvoie à l’étude d’évolutions au cours du temps. Elle se caractérise par
trois éléments (Menard, 199138, cité par Forgues et Vandangeaon-Derumez, 2003, p.437) :
- les données recueillies concernent au moins deux périodes distinctes : dans notre cas,
nous avons effectué deux séries d’entretiens réalisées à plusieurs mois d’intervalles
(cela sera présenté en détail à la section 3).
- les sujets sont identiques ou au moins comparables d’une période à l’autre : nous
avons interrogé, lorsque cela a été possible, les mêmes personnes au cours de la
première série et de la seconde série d’entretiens.
- l’analyse repose sur la comparaison des matériaux ou la reconstitution de l’évolution
observée : nous avons opté pour la reconstitution de la chronologie de chaque étude de
cas.
38 Menard, S. (1991). Longitudinal Research, Sage Uniersity Paper Series on Quantitative Applications in the Social Sciences, Newbury Park, Sage.

127
Plus précisément, les analyses longitudinales peuvent être distinguées en fonction de la place
accordée au temps (Forgues et Vandangeaon-Derumez, 2003, p.437). Dans notre cas, la
conception du temps renvoie à une manière de classer et d’ordonner les matériaux empiriques,
il ne s’agit donc ni d’une variable clé où la durée entre différents événements devrait par
exemple être mesurée. Il s’agit plutôt d’étudier le changement continu ayant eu lieu au cours
d’un projet dans un laps de temps donné. La temporalité de chaque cas est reconstituée grâce
à une analyse thématique permettant de repérer dans les entretiens et la documentation, les
évènements considérés comme importants aux yeux des acteurs. Les bornes temporelles ont
été déterminées sur chaque cas en fonction du degré d’avancement des actions engagées.
Comme cela a déjà été précisé, les deux cas ont été étudiés au moyen d’entretiens et
d’observations échelonnés dans le temps, recourant au total une période de près de deux
années consécutives. Cela permet qualifier notre étude de cas multi-sites de longitudinale.
Synthèse de la section 1
Cette section détaille la manière dont le design de la recherche a été concrétisé par
l’élaboration d’une démarche méthodologique cohérente avec le positionnement
épistémologique constructiviste pragmatique. Cela implique de considérer les matériaux
empiriques non pas comme le reflet d’une réalité accessible, mais comme une
expérimentation du réel. Cette posture exige également une rigueur tout le long du processus
de recherche, qui s’exprime par des descriptions fines et détaillées du matériau disponible et
du déroulement de la recherche (Avenier, 2010).
Nous justifions le recours à des matériaux de nature qualitative par le fait que notre
recherche a pour finalité de comprendre et d’interpréter un évènement dans une situation
concrète et s’échelonnant dans le temps (Miles et Huberman, 2003, Wacheux, 1996).
L’une des stratégies d’accès à l’expérience du réel en ayant recours à des matériaux qualitatifs
est la réalisation d’une étude de cas multi-sites longitudinale. La complexité du phénomène
et son émergence récente nécessitent de le documenter ; son inscription dans un contexte
particulier justifie également ce choix. L’unité d’analyse a été définie grâce à une borne de

128
nature sociale et une seconde de nature temporelle. Dans le premier cas, c’est le projet qui a
été retenu, au sens donné par les acteurs. Le projet intègre un ensemble d’actions et des
personnes. La dimension temporelle a été définie en fonction du degré d’achèvement des
actions principales menées au sein du projet. Nous avons ainsi sélectionné deux projets qui
constituent chacun une unité d’analyse à part entière, ce qui nous amène, selon la typologie de
Yin (2003) à considérer notre étude de cas comme étant « multi-sites ». Cette étude de cas
multi-sites et longitudinale s’appuie sur une collecte des matériaux échelonnée dans le temps
afin d’étudier l’évolution d’un phénomène pour le comprendre en profondeur.

129
2. Présentation des deux études de cas
L’étude de cas suppose que « le chercheur accepte la liberté des acteurs et leur droit
d’intervenir dans le travail d’investigation». De plus, « le travail qualitatif nécessite une
négociation avec les individus sur le terrain pour qu’ils acceptent librement la recherche. En
retour, le chercheur acquiert un statut particulier dans le contexte étudié » (Wacheux, 1996,
p.91). Par cette citation, l’auteur rappelle que la première activité du chercheur sur le terrain
consiste à acquérir un statut et un rôle, afin de faciliter l’interaction entre les membres de la
population étudiée. Tout comme l’enquête ethnographique, le travail d’investigation démarre
par l’apprentissage de la « langue » (dans notre cas, des vocabulaires spécifiques), des
données historiques, des informations interdites (dans notre cas, les éléments considérés
comme tabous ou secrets), la culture locale, etc.
Cette section rend compte de ce long travail d’ancrage du chercheur sur le « terrain » (2.1.) et
présente le contexte dans lequel se sont développés les deux projets faisant l’objet de l’étude
de cas multi-sites (2.2.).
2.1. L’accès aux terrains d’investigation
« La négociation d’un accès terrain requiert du temps, de la patience et de la sensibilité aux
rythmes et aux normes d’un groupe » (Marschall et Rossman, 198939, cité par Thiétart et al.
2007 p.248).
2.1.1. La rencontre avec les acteurs de Talents 2010 (cas 1)
Nous avons eu connaissance du volet Gestion du Capital Humain en 2008 au cours d’une
présentation du projet organisée à la Chambre de Commerce et d’Industries (CCI) de
Grenoble autour de la thématique de la GPEC par le cabinet de conseil chargé de la réalisation
opérationnelle du dispositif. La CCI de Grenoble organise régulièrement ce type
d’évènements à l’attention des praticiens afin de favoriser l’échange de pratiques. Au
démarrage de la thèse, nous étions à la recherche d’un terrain d’étude et nous nous étions
39 Marshall C., Rossman G.B. (1989). Designing Qualitative Research, Beverly Hills, CA, Sage.

130
rendue pour cela à plusieurs conférences et évènements de cette nature sur des thématiques
proches des nôtres. Quelques mois plus tard, à la demande d’un des membres de notre équipe
de recherche, les consultants sont intervenus dans l’un de nos ateliers de recherche afin de
présenter ce dispositif à notre groupe. Nous avons alors évoqué avec eux la possibilité de
reprendre contact afin d’étudier la construction de ce dispositif. Nous avons donc été reçus en
novembre 2008 par le cabinet de conseil à Annecy. Le cabinet nous a ensuite orientés vers la
responsable du programme Talents 2010 à la Chambre Syndicale de la Métallurgie à Annecy.
Après plusieurs semaines, nous obtenons un premier rendez-vous afin de lui présenter notre
projet et de lui proposer de réaliser une étude dans le cadre de la thèse auprès du projet
Gestion du Capital Humain. D’autres rendez-vous auront lieu et la responsable du programme
Talents 2010 nous met alors en contact avec le chef de projet du volet Image & Promotion des
Métiers et la chef de projet du volet Gestion du Capital Humain. Nous travaillons ensemble à
définir une liste de personnes à rencontrer ayant été impliquées au sein du projet GCH. La
chef de projet souhaite d’abord contacter les entreprises elles-mêmes et valider avec elles la
possibilité de les rencontrer ensuite. Parmi cette liste de personnes, un certain nombre
d’entreprises ne répondra pas malgré les relances. Nous entamons de notre côté, une prise de
contact directe auprès de quelques représentants des organismes publics ayant participé à
l’action GCH. Nous avons en effet obtenu quelques « noms » grâce aux premiers entretiens.
Cette prise de contact directe s’avère particulièrement difficile dans le contexte du territoire
de la vallée de l’Arve, caractérisée par une certaine méfiance envers les acteurs « étrangers » à
la Haute-Savoie…Après plusieurs mois, le projet GCH est progressivement terminé et suite
au départ de la chef de projet, nous n’avons plus d’interlocuteurs directs sur le volet GCH.
Nous avons poursuivi nos efforts afin de rencontrer quelques personnes par l’intermédiaire
d’autres contacts établis et de la documentation dont nous avons pu disposer. Nous avons
essayé notamment de contacter d’autres entreprises qui ont refusé de participer au projet
courant 2010. Malgré nos tentatives récurrentes, cela s’est avéré être un échec, car très peu
d’entreprises ont accepté de nous rencontrer. Nous avons obtenu toutefois deux entretiens
téléphoniques grâce à notre réseau personnel.

131
De manière générale, l’accès à ce terrain, c’est-à-dire à la fois la prise de contact et la collecte
de documents, s’est révélé être délicat ; l’éloignement géographique40 a sans doute été l’une
des limites de notre processus d’investigation. Malgré tout, nous avons gardé un contact
régulier notamment avec le troisième chef de programme de Talents 2010 avec qui nous
avons interagi de manière régulière pendant ces deux années. Ce travail de terrain a été sans
conteste riche en apprentissages. Nous avons réalisé à quel point le contact auprès des
praticiens requérait un effort constant en termes d’implication, mais surtout une patience et
une persévérance à toute épreuve !
2.1.2. La rencontre avec les acteurs du projet GTRH (cas 2)
Quelque mois après le démarrage de notre étude de terrain auprès du projet GCH, nous avons
décidé de réaliser une seconde étude de cas de manière à mettre en exergue le déroulement de
deux dispositifs de GRH territoriale. Nous nous sommes rendus en juin 2009 au Forum de
l’Innovation Sociale à Lyon, co-organisé par le Conseil Régional Rhône-Alpes. Nous avons
pris contact avec la chargée de mission de la MEF DCRV (Maison de l’Emploi et de la
Formation Drôme des Collines Royans Vercors) qui s’est montrée intéressée par notre projet
de recherche. Celle-ci nous a donc proposé de rencontrer la directrice de la MEF quelques
semaines plus tard. Nous lui avons donc présenté notre projet en juillet 2009, et celle-ci a
également été d’accord pour que nous puissions réaliser cette étude. Après quelques semaines,
la directrice a obtenu l’aval du président de la MEF. Avec l’aide de la chargée de mission
GTRH, nous avons ensuite établi une liste de personnes à rencontrer. Le directeur de la MEF
a cependant demandé que nous rédigions un courrier de la part de la MEF, adressé aux
personnes que nous désirions rencontrer afin de les informer de notre venue. Après réception
de ce courrier par les interlocuteurs ciblés, nous avons contacté directement les acteurs
identifiés et nous avons démarré nos premiers entretiens en septembre 2009. Malgré les
précautions prises (contact par courrier), certains interlocuteurs n’ont pas souhaité donner
suite à notre requête, notamment quelques dirigeants et responsables RH. La collecte des
documents a en outre été relativement aisée grâce à la confiance accordée par la directrice de
la MEF et la chargée de mission GTRH. Nous avons eu un accès transparent à l’ensemble du
déroulement du projet. Nous avons en parallèle été conviés à plusieurs réunions de travail au
40 Près de 100 km séparent Grenoble d’Annecy, et 160 km séparent Grenoble de Cluses, le siège du pôle de
compétitivité.

132
cours de l’année 2010 et avons également été sollicités pour présenter l’avancement de nos
travaux au comité de pilotage GTRH en mai 2010.
2.2. Quelques éléments de descriptions des deux projets de GRH
territoriale
2.2.1. CAS 1 : le projet Gestion du Capital Humain au sein du programme
Talents 2010 développé par le pôle de compétitivité Arve-Industries Haute-
Savoie Mont Blanc
Nous présentons le pôle de compétitivité ainsi que le projet Gestion du Capital Humain, qui
constitue le cas 1 (nommé GCH) dans la suite du document).
2.2.1.1. Le pôle de compétitivité, d’hier à aujourd’hui
En 2005, l’Etat français donne à sa politique industrielle un nouvel élan et choisit de labelliser
71 pôles de compétitivité. Ceux-ci sont alors officiellement définis par l’association, sur un
territoire donné, « des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de
formation pour développer des synergies et des coopérations. D’autres partenaires dont les
pouvoirs publics, nationaux et locaux, ainsi que des services aux membres du pôle sont
associés. L’enjeu est de s’appuyer sur les synergies et des projets collaboratifs et innovants
pour permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan dans
leurs domaines en France et à l’international ».41
Plusieurs recherches dans les champs de l’économie (notamment Courlet, 1997 ; Courlet et
al. 2009 ; Ferguene, 2007) et de la gestion (notamment Boquet et Mothe, 2009) se sont
intéressées au cas de la concentration industrielle de la vallée de l’Arve.
Le pôle de compétitivité Arve-Industrie Mont-Blanc Haute-Savoie est construit autour d’une
activité de production industrielle, la mécanique de précisons, couramment appelée le
décolletage. Ce type de production s’est développé dans cette région en particulier après la
Seconde Guerre Mondiale, tout en se diversifiant dans de nombreux secteurs. Peu à peu se
41Site web officiel des pôles de compétitivité, consulté le 11 août 2011. www.competitivité.gouv.fr

133
constitue l’équivalent d’un district industriel (Courlet, 1997), qui donnera naissance quelques
décennies plus tard à un Système Productif Local (SPL) en 1999, puis à un pôle de
compétitivité en 2005. Celui-ci vient consolider l’organisation antérieure en élargissant le
périmètre de l’activité à de grandes entreprises et aux acteurs de la recherche (Courlet et al.
2009). Caractérisé par une forme d’organisation « hybride entre district et cluster », ce pôle
s’inscrit, aujourd’hui, à la fois dans la continuité du district industriel avec un « fort ancrage
historique et territoriale », et dans la rupture, car il est résolument engagé dans une
dynamique d’innovation (Boquet et Mothe, 2009, p.119). L’essentiel de la production du pôle
de compétitivité est destinée aux secteurs de l’automobile (60% de l’activité), de
l’aéronautique, des télécoms, du médical, du luxe et de la domotique. Le pôle rassemble, en
mars 2009, près de 225 entreprises du territoire, dont près de 90% de PME. Le pôle est
notamment caractérisé par une grande hétérogénéité de ses membres et une forte implication
des acteurs territoriaux. Cela est nuancé par la présence de quelques entreprises leaders sur
leur marché, des partenaires localisées hors des frontières géographiques ou sectorielles
(Boquet et Mothe, 2009).
La gouvernance du pôle est actuellement constituée d’une gouvernance stratégique (un
conseil d’administration et un bureau exécutif élu, chargé de la définition de la stratégie) et
d’une gouvernance opérationnelle (un comité de direction en charge d’une approche
transversale par processus des projets du pôle).
Le territoire du pôle de compétitivité est construit autour de la vallée de l’Arve mais son
périmètre est plus large, car il s’étend également aux cantons voisins. Il nous parait nécessaire
de situer géographiquement le territoire de la vallée de l’Arve puisque notre recherche
concerne un dispositif de GRH territoriale. La vallée de l’Arve est donc situé le long du cours
d’eau ayant donné le nom à la vallée, l’Arve, qui s’étend approximativement de Chamonix à
Genève. Enfin, il est à noter que Cluses et Annecy sont éloignées de près de 65 kilomètres.

134
Figure 10: localisation de la vallée de l'Arve
A : Grenoble
B : Annecy
C : Cluses
2.2.1.2. L’organisation du projet Gestion du Capital Humain
Le projet qui constitue notre étude de cas est le volet Gestion du Capital humain. Il s’agit de
l’un des volets du programme Talents 2010 développé par le pôle de compétitivité à partir de
2008.
Vallée de l’Arve

135
L’ambition affichée de Talents 2010 était de pouvoir combler le déficit de main d’œuvre
qualifiée dans le secteur du décolletage et de la mécatronique. Le premier volet du
programme, nommé « Image & Promotion des Métiers », avait pour objectif la promotion des
métiers du pôle. Les métiers industriels souffrent actuellement en France et en particulier sur
ces secteurs, d’un manque d’attractivité auprès des jeunes. Il a donc été décidé, d’une part, de
mettre en place un certain nombre d’actions de communication et de sensibilisation à
l’intention des élèves et jeunes étudiants (spots publicitaires diffusés sur les chaines de radio
et de télévision locales, sites internet dédié aux métiers du pôle, organisation de salons et de
classe découverte, etc.). Les organismes de formation sont bel et bien présents autour du pôle
de compétitivité, mais peu d’élèves sont candidats à ces métiers. D’autre part, le pôle de
compétitivité a également souhaité sensibiliser les chefs d’entreprise à l’image qu’ils donnent
de leur entreprise et sur les différentes manières de communiquer.
Le second volet a été nommé «Gestion du Capital Humain ». Il a vocation à soutenir la mise
en place d’actions prévisionnelles des emplois et des compétences au sein des entreprises
adhérentes au pôle de compétitivité. Le premier axe concerne une aide à la mise en place
d’une gestion prévisionnelle des emplois et compétences pour les entreprises adhérentes du
pôle de compétitivité. Le deuxième axe consiste à développer un outil de gestion territorial
des emplois et des compétences (GTEC). Le troisième axe, enfin, doit permettre de mener
une réflexion sur l’adaptation de formations professionnelles. Le but final est de fournir au
pôle de compétitivité, les compétences nécessaires au développement de sa compétitivité.
Notre cas concerne uniquement l’étude du second volet de Talents 2010, à savoir Gestion du
Capital Humain. Notre choix s’est en premier lieu porté sur celui-ci, de part sa vocation
affichée à engager une démarche de gestion territoriale des ressources humaines. Nous avons
cependant pris soin de prendre connaissance du premier volet « Image et Promotion des
Métiers », qui s’est plus largement orienté vers la communication. L’organisation du
programme Talents 2010 est schématisée dans la figure ci-dessous :

136
Figure 11: Organisation du projet Gestion du Capital Humain au sein de Talents 2010 jusqu'en décembre 2010
2.2.2. CAS 2 : Le projet « Gestion Territoriale des Ressources Humaines »
développé par la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines
Royans Vercors
Nous présentons la Maison de l’Emploi qui a porté le projet « Gestion Territoriale des
Ressources Humaines » (nommé ensuite GTRH dans la suite du document) puis nous
décrivons ce projet qui constitue notre cas 2.
2.2.2.1. La Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines
Royans Vercors
La MEF a été créée en 2005 dans le cadre du Contrat de site établi entre le Préfet de la Drôme
et l’Etat français (nous reviendrons sur ce point plus en détail au chapitre 5). La MEF
fonctionne grâce à un statut associatif : le conseil d’administration est composé, pour moitié,
des représentants de l’Etat et du service public de l’emploi notamment, et pour moitié des
représentants du territoire (les collectivités territoriales : ici sont représentées neuf
communautés de communes sur le territoire, et quelques communes non fédérées,
Axe 1 :
Diagnostics GPEC
Axe 2 :
GTEC
GESTION DU
CAPITAL
HUMAIN
IMAGE & PROMOTION DES
METIERS
TALENTS 2010
Axe 3 :
Formations inter-entreprises

137
représentants 110 communes au total et 150 000 habitants). Les partenaires sociaux font partie
également d’un second cercle de partenaires membres de l’assemblée générale et des comités
de pilotage des différents projets. Les actions menées par la MEF sont toutes multi-
partenariales. La MEF est organisée autour de trois grands champs d’action, selon un cahier
des charges national : l’observation du territoire, l’accompagnement des demandeurs d’emploi
et l’appui au développement économique. Les actions de la MEF recouvrent un périmètre qui
s’étend sur plusieurs communes et cantons, sur une zone au nord de Valence, et comprise
entre le Vercors au Sud-Est et le Rhône à l’Est, comme l’indique la carte ci-dessous :
Figure 12 : localisation du territoire Nord-Drôme
A : Grenoble
B : Romans-sur-Isère
2.2.2.2. L’ambition du projet GTRH
Le projet GTRH a démarré en 2007 dans le cadre d’une dynamique de revitalisation sur le
territoire, impulsée par le Contrat de site et le sous-préfet. La MEF pilote le projet qui est
financé par des fonds publics. Le projet repose au cours de la première période, sur deux
principaux instruments. Le premier est un outil de diagnostic et d’accompagnement à la
Territoire Nord-Drôme

138
GPEC. Il consiste à proposer 6 jours d’intervention par un consultant. Le second est nommé
« Portrait-Flash» et comprend deux jours d’intervention par le consultant et porte sur 7
processus RH, qui seront détaillé dans le chapitre 5. En contrepartie de l’un ou de l’autre des
diagnostics réalisés, les dirigeants d’entreprises volontaires du bassin romanais devaient
contribuer à alimenter une base de données commune, comprenant l’ensemble des salariés de
l’entreprise, afin de construire un outil de gestion territoriale des ressources humaines.
Les diagnostics RH et les Portraits-Flash ont été réalisés à l’automne 2008. 16 entreprises au
total ont participé à l’une de ces actions. Elles appartiennent à des secteurs d’activités variés :
secteur médico-social, agroalimentaire, BTP, cuir, céramique, métallurgie, plasturgie,
cosmétique et entreprises de service. L’objectif du projet GRTH au démarrage était de faire de
la base de données, l’un des piliers de l’outil GTRH. Près de 7000 salariés sont recensés dans
cette base. Les informations recueillies sont relatives au genre, à l’âge, au lieu de résidence, à
l’ancienneté, au niveau de poste occupé, etc.
Une première restitution collective a eu lieu en juillet 2009 auprès des entreprises. La MEF
envisageait, à partir des diagnostics établis, de rebondir sur la mise en place d’actions
collectives. Ainsi, trois volets de formations inter-entreprises transversales ont été organisés
sur 9 thématiques et concernant une centaine de salariés. Un deuxième besoin a émergé lors
de cette restitution auprès des dirigeants et responsables RH. Ceux-ci ont exprimé le souhait
de mettre en place des séances d’échanges de pratiques. Aujourd’hui, la MEF poursuit les
actions engagées dans le cadre d’un second projet GTRH, nomme « GTRH II ». L’étude que
nous avons menée porte sur la mise en place des diagnostics GPEC, des Portraits-flash et de la
constitution d’une démarche GTRH poursuivie dans la seconde phase du projet.
Soulignons enfin qu’au démarrage du projet GTRH en 2007, encore peu d’initiatives de cette
nature avait été développées, et a fortiori par les Maisons de l’Emploi et de la Formation. Le
positionnement très fort de la MEF Drôme des Collines Royans Vercors sur le projet GTRH
était donc perçu comme particulièrement innovant et ambitieux. Ce positionnement a par la
suite été renforcé avec l’arrivée d’un nouveau cahier des charges national pour les MEF, les
incitant à développer ce genre de projet. La MEF DCRV avait déjà initié cette démarche, que
ce nouveau cahier des charges est venu conforter par la suite.

139
L’organisation de ce projet est illustrée ci-dessous :
Figure 13 : Organisation du projet GTRH sein de la MEF DCRV jusqu'en décembre 2010
Synthèse de la section 2
Cette section rend compte des stratégies d’accès au terrain et présente les principaux traits de
nos deux cas, dont l’analyse sera restituée au cours des chapitre 4 et 5.
Le travail d’investigation s’apparente à celui d’une démarche ethnographique, ayant requis du
temps, de la patience et des capacités d’adaptation de la part du chercheur. Un processus de
négociation avec les acteurs de chaque cas a été nécessaire avant de pouvoir accéder aux
ressources et aux personnes. Ce processus est d’autant plus difficile que la démarche
d’enquête auprès de ces deux projets découle de notre initiative personnelle et ne fait pas suite
à une demande des acteurs du terrain. Après une période de deux ans d’investigation, ces
efforts ont porté leurs fruits, car des contacts solides et fondés sur une confiance mutuelle ont
pu être noués avec les principaux interlocuteurs de chaque projet. Cela a sans doute été
favorisé par la posture d’honnêteté dans laquelle nous étions lors de l’établissement des
Actions de développement économique et
d’animation territoriale
Formations inter-entreprises
Echanges de pratique, services RH, enquêtes, formations inter-entreprises…
GTRH 1
GTRH 2
PROJET
GTRH
MEF
Diagnostics RH Base de données

140
contacts, l’intérêt réel porté à chaque témoignage ainsi que des relances successives, mais
aussi le respect de certaines règles du jeu, à la demande de nos interlocuteurs et les restitutions
de nos résultats à plusieurs moments du projet.
Le premier cas est un projet intitulé « Gestion du Capital Humain », ayant été développé par
le pôle de compétitivité Arve Industries Haute-Savoie Mont-Blanc, dont le siège est basé à
Cluses, au cours de la vallée de l’Arve, entre Chamonix et Genève. Les trois actions clés de ce
projet sont la mise en œuvre d’une démarche collective de GPEC, la réalisation d’une base de
données intranet GTEC ainsi que la mise en place de formations inter-entreprises.
Le second cas est nommé « projet Gestion Territoriale des Ressource Humaines ». Il a été
élaboré par la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans
Vercors, implanté à Romans-sur-Isère sur le territoire nord-drômois. Le premier volet du
projet GTRH a permis de réaliser une démarche de GPEC collective auprès de quelques
entreprises du territoire, ainsi qu’une tentative création d’une base de données GTEC,
complétée par des formations inter-entreprises. Le second volet du projet compte un certain
nombre d’actions de service RH et d’animations RH auprès des organisations du territoire.

141
3. La collecte et le traitement des matériaux empiriques
Cette section présente les matériaux empiriques et la manière dont ceux-ci ont été collectés
(3.1.). Nous présentons également quelle a été la stratégie de traitement de ces matériaux
(3.2.), à savoir une analyse thématique à partir d’un codage, dont la représentation finale
prend la forme d’un arbre thématique sous format chronologique.
3.1. La collecte des matériaux
Les matériaux empiriques ont été collectés dans le cadre d’une étude de cas longitudinale.
Concernant le cas 1, cette collecte s’est déroulée entre la fin de l’année 2008 et la fin de
l’année 2010, soit sur une période de prés de deux années. Lors de notre arrivée, le projet
avait déjà démarré depuis plus d’une année, nous n’avons donc pas pu assister en temps réel
aux discussions portant sur son élaboration. La plupart des actions avaient déjà été entamées,
mais non finalisées. Nous avons en revanche pu suivre la phase finale ainsi que la
réorientation du projet. En 2011, le projet se poursuit, mais nous n’avons intégré ces derniers
éléments dans notre étude de cas, en raison de contraintes de temps, mais également afin de
privilégier une prise de recul sur les matériaux collectés durant les mois précédents.
Figure 14: période de collecte des matériaux auprès du projet Gestion du Capital Humain, Arve
Industries (cas 1)
S’agissant du cas 2, notre étude de cas a débuté au cours de l’été 2009 et s’est terminée à la
fin de l’année 2010, nous permettant d’accéder en temps réel à des informations sur une
période de près d’une année et demie. Tout comme pour le cas 1, la première phase du projet
été déjà bien avancée et nous avons ainsi pu suivre sa finalisation ainsi que la poursuite du
projet dans le cadre des actions GTRH II au cours de l’année 2010.

142
Figure 15 : Période de collecte des matériaux auprès du projet GTRH I et GTRH II, MEF (cas 2)
Des matériaux de plusieurs natures ont été collectés durant notre étude de cas : des matériaux
à partir de sources primaires sous la forme d’entretiens, et des matériaux à partir de sources
secondaires telles que la documentation.
3.1.1. Les entretiens
Parmi les sources primaires, on distingue les entretiens et l’observation. Le recours à
l’entretien a été privilégié, en raison de la difficulté d’accéder aux réunions de travail de
certains comités de pilotage. L’entretien permet d’accéder aux représentations et aux
pratiques, selon la terminologie de Blanchet et Gotman (2007). Ce type d’entretien permet,
selon ces auteurs, d’approfondir la connaissance d’un système de pratiques grâce à la
production d’un discours qui rend compte, à la fois, de l’état psychologique de l’interlocuteur,
et qui décrit l’état des choses. La grille d’entretien est donc construite de manière à recueillir
les conceptions des acteurs et la description de certaines pratiques.
Au total, soixante-trois entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de chacun des deux cas
(37 pour le cas 1 et 26 pour le cas 2). Ces entretiens ont été réalisés de deux manières :
- une première série d’entretiens au cours des premiers mois d’investigation a permis
d’en réaliser 16 (cas 1) et 17 (cas 2).
- Une seconde série d’entretiens a été ensuite réalisée, si possible auprès des mêmes
personnes interrogées lors de la première série. Certaines d’entre-elles n’ont pu être
rencontrées de nouveau, pour diverses raisons (départ, non disponibilité, etc.)

143
- Entre ces deux séries, nous avons rencontré et interrogé d’autres informants.
L’ensemble des entretiens réalisés au cours de ces deux périodes est restitué dans le tableau
ci-dessous :
CAS 1 (Gestion du Capital Humain / Haute-Savoie)
CAS 2 (GTRH /Drome)
Mai à Décembre 2009
Avril à novembre 2010
Septembre 2009 à mars 2010
Octobre à novembre 2010
Chefs de projet / chargés de mission
3
5 1 1
Direction/ gouvernance
1 1 3 1
Partenaires du Copil (Comité de Pilotage)
3 2 3 1
Dirigeants d’entreprises ou responsables RH
5 12 6 5
Financeurs (Direccte et UT)
2 1 3 -
Consultants
2 - 1 1
Total
16 21 17 9
Total
37 26
Nombre total d’entretiens réalisés :
63
Tableau 4 : Nombre total d'entretiens semi-directifs réalisés entre mai 2009 et novembre 2010 auprès des deux cas
Nous avons en outre pu réaliser quelques observations notamment sur le cas 2 (observations
de réunions), mais nous n’avons pas mobilisé ces matériaux dans l’analyse thématique. En
revanche, l’observation de ces réunions a permis d’approfondir la connaissance du cas 2.

144
3.1.1.1. Le guide d’entretien
Le guide d’entretien a été réalisé de manière à pouvoir répondre aux questions de recherche.
Un guide faiblement structuré a été construit : il présente une consigne générale ainsi que
quelques grands axes thématiques, ayant été scindés en sous-thèmes. Ce guide d’entretien a
été adapté en fonction de l’interlocuteur, c’est-à-dire notamment en fonction de sa structure
d’appartenance et de son rôle au sein du projet étudié. Enfin, un autre guide d’entretien a été
réalisé afin de mener la seconde série d’entretiens. Un exemple de guide d’entretien adapté à
des interlocuteurs en entreprise est donné en annexe 1 et 2 pour la première et la seconde
série d’entretiens.
Lors de la première série d’entretiens, les thèmes ont porté sur les raisons de leur participation
ou de leur soutien au projet de GRH territoriale, le déroulement et les modalités de cette
participation, leur rôle, l’évaluation qu’ils en font à ce jour, les résultats attendus à plus long
terme et les pistes de développement futures. L’entretien permettait également de recueillir
leur représentation d’une GRH territoriale et du territoire. Lors de la deuxièmes série
d’entretiens, les thématiques s’attachaient à prendre connaissance d’éventuels changements
ayant impacté la structure d’appartenance de l’interlocuteur ou bien des changements de
mission ou de poste de celui-ci. Il s’agissait ensuite de faire le point sur le déroulement des
événements depuis le dernier entretien, en mettant l’accent sur les motifs de leur possible
participation au projet ainsi que les éléments facilitateurs et les freins qu’ils identifiaient.
Nous avons enfin demandé aux personnes de nous faire part de leur évaluation du projet de
leurs souhaits d’évolutions.
Ces entretiens ont été retranscrits intégralement ou on fait l’objet de notes prises au cours de
l’entretien. Un exemple d’entretien retranscrit est donné en annexe 10 pour le cas 1 et en
annexe 12 pour le cas 2. Un exemple d’entretien ayant fait l’objet d’une prise de note figure
en annexe 11 pour le cas 1 et en annexe 13 pour le cas 2. Lorsque nous avons réalisé une prise
de note durant un entretien téléphonique, nous avons proposé à notre interlocuteur la
possibilité de valider le contenu de l’échange. Trois personnes ont ainsi validé et annoté le
compte-rendu de l’entretien, mais sans toutefois apporter des modifications majeures.

145
3.1.1.2. Choix des individus à rencontrer lors des entretiens
Miles et Huberman rappellent que le choix des individus à rencontrer s’effectue non pas au
hasard, mais plutôt de manière « orientée », car bien souvent « la première sélection
d’informants va aboutir à la recommandation d’autres informants » (Miles et Huberman,
2003, p.58). Dans notre cas, le repérage des individus à interroger a été effectué, dans un
premier temps, grâce à l’aide de « relais institutionnels » (Blanchet et Gotman, 2007), dans
notre cas, les chefs de projet. Comme le notent Blanchet et Gotman (2007), le recours à des
relais institutionnels est à double tranchant. Ceci facilite grandement l’accès à certains
informants, mais cela peut en contrepartie s’avérer coercitif. C’est pourquoi, dans un second
temps, nous avons procédé par « effet boule de neige » (Miles et Huberman, 2003) c’est-à-
dire par identification de « bons informants » grâce à des « informateurs-relais » (Blanchet et
Gotman, 2007) rencontrés au cours des premiers entretiens. Cela nous a semblé être la
manière la plus appropriée, car, d’une part, le projet est une forme d’organisation en réseaux,
et d’autre part, car nous étions « en terre inconnue » sur ces deux territoires.
3.1.1.3. Caractéristiques et description des individus sur le cas 1
Une première vision globale des individus peut être réalisée en fonction de la nature de
l’organisme d’appartenance. Nous les avons classés en trois groupes : les entreprises privées,
les organisations publiques, et les autres types d’organisations. Parmi les entreprises privées,
deux d’entre-elles n’ont pas participé au volet Gestion du Capital Humain, cela est précisé
dans le tableau suivant.

146
Type d’organisation Nombre d’organisations :
Nombre de personnes interrogées
Entreprises privées 12 12
Dont : (effectif du groupe groupe)
- Moins de 20 salariés 3 3
- De 20 à 100 salariés 4 4
- De 100 à 200 salariés 3 3
- De 200 à 500 salariés 2 2
Secteur public 4 4
Dont :
Direccte 2 2
Conseil général (Agence Economique 74)
1 1
Université de Savoie 1 1
Autres 5 9
Dont :
Associations et syndicats 3 5
Cabinet de conseil 1 2
TOTAL 21 25
Tableau 5: Nombre d'organisations ciblées pour les entretiens et nombre total de personnes rencontrées au cours des deux périodes auprès du projet Gestion du Capital Humain (cas 1).
Le détail de chaque entretien est restitué dans le tableau en annexe 3, permettant ainsi de
connaître la date de réalisation de l’entretien, l’organisme d’appartenance de la personne
rencontrées, le rôle tenu dans le projet Talents 2010, le code utilisé du traitement des
matériaux, le mode de formalisation des matériaux (retranscription intégrale après
enregistrement de l’entretien ou prise de notes pendant l’entretien). La plupart des entretiens
ont été réalisés en face à face, mais quelques entretiens, notamment lors de la seconde période
d’investigation, ont été réalisés par téléphone, soit à la demande de l’interlocuteur, soit à notre
initiative afin de restreindre nos déplacements afin d’optimiser les coûts de la collecte. Lors

147
de la première période, 16 entretiens auprès de 15 personnes différentes avaient été réalisées.
Sur ces 15 personnes, 10 d’entre-elles ont été de nouveau interrogées lors de la seconde
période (dont trois fois pour le chef de programme) et 9 personnes nouvelles ont été
rencontrées, portant à 21 le nombre d’entretiens réalisés lors de la seconde phase.
Parmi les entretiens téléphoniques effectués, seuls deux l’ont été avec des interlocuteurs que
nous n’avions pas rencontrés durant la première phase.
Il nous a en outre semblé intéressant d’indiquer la localisation géographique de l’organisation
d’appartenance des personnes interrogées, compte-tenu de la spécificité du phénomène étudié,
caractérisé par la notion de territoire :
Figure 16 : localisation géographique des organisations d’appartenance des personnes interrogées (dont
une localisée à Lyon) (cas 1) A : Cluses (siège du pôle de compétitivité).
3.1.1.4. Caractéristiques et description des individus sur le cas 2
Par l’intermédiaire de la MEF, nous avons rencontré au total 18 personnes au cours des deux
séries d’entretiens appartenant à 13 organisations différentes, comme cela est synthétisé dans
1
2
1
7
8
1

148
le tableau ci-dessous :
Type d’organisation Nombre
d’organisations :
Nombre de
personnes
interrogées
Entreprises privées 7 7
Dont : (effectif du groupe)
- Moins de 20 salariés - -
- De 20 à 100 salariés 2 2
- De 100 à 200 salariés 1 1
- De 200 à 500 salariés 2 2
- 500 et + 2 2
Secteur public 4 7
Dont :
Direccte 1 3
Communes et
communautés de
communes
3 3
Pôle Emploi 1 1
Autres 2 4
Dont :
Maison de l’emploi 1 3
Cabinet de conseil 1 1
TOTAL 13 18
Tableau 6 : Nombre d'organisations ciblées pour les entretiens et nombre total de personnes rencontrées au cours des deux périodes auprès du projet GTRH (cas 2).
Le détail de chaque entretien est mentionné dans un tableau en annexe 4. Les personnes
rencontrées lors de la première série d’entretiens ont été sollicitées de nouveau lors de la
seconde série d’entretiens, mais seules certaines ont été favorables à cet échange
téléphonique.
Sur les 17 entretiens réalisés lors de la première vague, 16 personnes différentes ont été

149
interrogées. Parmi ces 16 personnes, 7 d’entres-elles ont été de nouveau rencontrées lors de la
deuxième vague d’entretiens, ainsi que 2 nouvelles personnes.
Nous donnons en complément ci-dessous une représentation graphique de la localisation des
organisations d’appartenance des personnes interrogées :
Figure 17 : Localisation géographique des organisations d’appartenance des personnes interrogées (dont
deux localisées à Lyon) (cas 2)
A : Romans-sur-Isère (siège de la MEF DCRV)
5
1
1
1
1
1
1

150
3.1.2. La documentation et les artefacts
Outre les entretiens, la collecte des éléments qualitatifs est complétée par l’analyse des
principaux instruments créés et des documents fournis par les interlocuteurs, à savoir
essentiellement des communiqués de presse, des documents de travail et les comptes-rendus
des réunions des comités de pilotage.
3.1.2.1. Le projet Gestion du Capital Humain (Cas 1)
Une documentation abondante a pu être recueillie, notamment lors des entretiens ou bien par
une recherche sur internet, car certains documents peuvent être consultés librement. Nous
avons regroupés ces sources en fonction de cinq types de documents :
- des documents relatifs au pôle de compétitivité (sa labellisation, sa présentation, son
fonctionnement, la deuxième version du pôle…)
- des documents relatifs à la création du programme Talents 2010
- des documents relatifs aux comptes-rendus des comités de pilotage de Talents 2010,
ayant eu lieu entre juin 2007 et mai 2009.
- des documents de travail relatifs au projet Gestion du Capital Humain
- d’autres types de documentations (notamment les dossiers de presse en accès libre sur
le site officiel du pôle de compétitivité).
Une présentation détaillée de ces différents documents est données en annexe 5.
Les artefacts étudiés ont donné lieu à l’élaboration de supports inscrits, mentionnés dans ce
tableau, sur lesquels nous nous sommes appuyés dans l’analyse thématique.
Il est à noter que nous n’avons pu obtenir certains documents, notamment le cahier des
charges du projet GCH, ni la réponse à l’appel d’offres de la part du cabinet de conseil.
3.1.2.2. Le projet GTRH (cas 2)
Le recueil de cette documentation a également eu lieu au cours des entretiens, sur internet ou
bien lors d’échanges informels avec nos interlocuteurs. Nous avons recensé des documents de
différents types :

151
- des documents relatifs au Contrat de site et à la constitution de la MEF
- des documents relatifs à la création du projet GTRH
- des documents relatifs au comité de pilotage GTRH
- des documents de travail afférant au projet GTRH
- des documents externes
Ces différents documents sont présentés en annexe 6.
3.1.3. La restitution des résultats
Comme cela est préconisé dans le cadre d’une méthodologie cohérente avec le PECP, nous
avons procédé à une restitution de nos résultats auprès de nos principaux interlocuteurs.
Dans le cas 1, nous avons réalisé une restitution intermédiaire des premiers entretiens réalisés
auprès de la chef de projet GCH en septembre 2009. Nous avons ensuite réalisé une
restitution finale auprès du chef de programme Talents 2010 et du chef de projet GCH en
septembre 2011.
Dans le cas 2, nous avons réalisé une restitution intermédiaire auprès du comité de pilotage
GTRH en mai 2010, ainsi qu’une restitution finale auprès de la directrice de la MEF et de la
nouvelle chargée de mission GTRH en juin 2011.
Dans les deux cas, ces échanges ont permis de préciser certains points de valider les
propositions de résultats.
3.2. L’analyse thématique
L’analyse thématique consiste à réaliser une thématisation des matériaux empiriques, qui
constitue l’opération centrale de la méthode (Paillé et Muchielli, 2003, p.123-214). Elle
renvoie à la transposition d’un corpus donné en un certain nombre de thèmes représentatifs du
contenu analysé et ce, en rapport avec l’orientation de recherche (la problématique).
L’analyse thématique consiste, dans ce sens, « à procéder systématiquement au repérage, au
regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus,
qu’il s’agisse d’un verbatim d’entretien, d’un document organisationnel ou de notes

152
d’observation ». Cela donne lieu ensuite à un travail de reconstitution, qui prend généralement
la forme d’un récit argumenté autour des principales rubriques et thèmes.
3.2.1. L’élaboration d’une grille de codage
Paillé et Mucchielli (2003, p.52) proposent de procéder à la thématisation en ayant recours à
des rubriques, à des thèmes, à des énoncés et à des codes, en vue de classer, résumer,
interpréter ou théoriser l’extrait correspondant :
- La rubrique : elle renvoie à ce dont il est question dans l’extrait du corpus (A quoi
l’extrait renvoie-t-il ? Quel est le sujet de l’extrait analysé ?). La rubrique ne révèle pas
la teneur du témoignage.
- Le thème : il renvoie à ce qui est abordé dans l’extrait du corpus correspondant et
fournit des indications sur la teneur des propos. Il est possible de créer des thèmes et des
sous-thèmes. (De quoi est-il question au juste dans l’extrait analyse ? Quel thème précis
est soulevé ?) : « Un thème est un ensemble de mots permettant de cerner ce qui est
abordé dans l’extrait du corpus correspondant tout en fournissant des indications sur la
teneur des propos. » (p.133). Le thème correspond au propos précis de la personne
interviewée. Il se distingue de la rubrique, car celle-ci se situe à un niveau plus abstrait.
- L’énoncé : il renvoie à ce qui est soulevé : c’est une courte synthèse du contenu,
reformulés par le chercheur (ex. la personne dit que…) (quel est l’essentiel du propose
tenu par le sujet dans l’extrait correspondant ?)
- Le code : le code correspond à une lettre et/ou un chiffre, qui permet de répertorier et de
hiérarchiser les rubriques, les thèmes et les énoncés.
La démarche que nous avons suivie est celle d’un thématisation en continue, qui consiste à
identifier des thèmes au fur et à mesure de la lecture du corpus (Paillé et Mucchielli, 2003,
p.127). Cette démarche est appropriée à un corpus « humble » et dans le cadre d’une analyse
personnelle, tandis que la thématisation « séquencée » (repérage des thèmes à partir d’un
extrait du corpus) l’est davantage dans le cas d’un corpus très important et d’une recherche

153
en équipe. Il convient de décider également quelle sera l’unité de signification retenue pour la
création d’un thème pertinent. Nous avons retenue comme unité un ensemble de mots ou de
phrases liés par une même idée, un même thème.
Miles et Huberman (2003, p.114-119) présentent trois manières de coder des matériaux
empiriques : l’établissement d’une liste de départ (réalisée à partir du cadre conceptuel, des
questions de recherche, de la problématique), la codification inductive (l’établissement d’une
liste de code résulte de l’analyse du corpus), un plan général de codage (celui-ci n’est pas lié
au contenu, mais indique les grands domaines dans lesquels les codes devront être
inductivement conçus, par exemple, les actes, les activités, les significations, la participation,
les relations, les milieux). Dans notre cas, nous avons eu recours à ces trois manières de
coder. En effet, si l’abduction joue un rôle central dans la construction d’une grille d’analyse
thématique, nous n’avons toutefois pas exclu l’induction (Avenier et Thomas, 2011). En effet,
comme nous l’explicitons plus loin, une partie des rubriques, des thèmes et des sous-thèmes a
été élaborée en laissant émerger des éléments issus des lectures successives du matériaux.
Les codes évoluent au fil de l’analyse et le chercheur est amené à les modifier plusieurs fois,
car certains s’avèrent inopérants, tandis que d’autres émergent au fur et à mesure des
relectures du corpus : « la codification et la recodification sont achevées lorsque l’analyse
parvient elle-même à saturation, lorsque tous les faits nouveaux peuvent être immédiatement
classifiés, les catégories sont « saturées » et un nombre suffisant de régularités émergent. »
(Miles et Huberman, 2003, p.121).
Une première lecture a permis d’identifier des phases historiques dans le discours des acteurs
sur la vie du projet. Cela a conduit à scinder chaque projet trois phases (P1, P2 et P3) grâce à
l’identification d’évènements considérés comme charnières ou notables aux yeux des acteurs
interviewés, marquant le début ou la fin d’une période.
Une seconde lecture a ensuite été effectuée à partir d’une grille d’analyse construite grâce aux
dimensions permettant de définir les dispositifs de gestion par l’établissement d’une liste de
départ, d’une part. D’autre part, une place importante a été laissée à l’induction, afin de faire
émerger d’autres thématiques plus larges grâce à un codage ouvert. Ceci permet en effet de

154
« laisser parler le terrain » en prenant soin de laisser émerger des éléments que nous aurions
peut-être laissés de côté en utilisant une grille de codage pré-construite.
Nous avons débuté une analyse thématique « classique » en procédant par l’analyse de
contenu manuelle : lors de la lecture des comptes-rendus d’entretiens, nous avons d’abord
sélectionné les verbatims jugés pertinents au regard de notre problématique en les regroupant
par thématiques très larges. Nous avons obtenu une centaine de pages de verbatim extraits des
entretiens et regroupés en une vingtaine de thématiques créées a priori. Or ces thématiques
n’étaient ni hiérarchisées, ni homogènes. Nous sommes ensuite revenue sur l’ensemble des
thématiques élaborées a priori, devenues alors des « rubriques » et nous avons procédé à des
regroupements et des classements. Ce processus d’analyse est illustré par le schéma ci-
dessous :
Figure 18: Etapes de la réalisation de la grille de codage

155
3.2.2. La présentation des thèmes : l’arbre thématique sous format
chronologique
La constitution de rubriques, de thèmes et de sous-thèmes aboutit en général à une
représentation synthétique du travail réalisé sous forme d’arbre thématique. Il permet de
restituer l’ensemble du propos du corpus.
Selon Miles et Huberman, (2003), plusieurs stratégies de description des matériaux peuvent
être utilisées afin de présenter les résultats dans une visée compréhensive : formats de
présentation partiellement ordonnés, formats chronologiques, formats ordonnés par rôle et les
formats ordonnés par concept. Les auteurs préconisent de recourir à un format descriptif de
présentation des données par période ou par séquence si la recherche vise à préserver un
« flux chronologique » de manière à obtenir une bonne vision de ce qui a conduit à quoi et
quand. Parmi cette famille de formats chronologiques, la « matrice chronologique » permet de
restituer des éléments de manière à comprendre rapidement le cours des événements. La
matrice chronologique est construite sous la forme d’un tableau à double entrée : en colonne
sont présentées les périodes et séquences, tandis que les lignes indiquent les différents
éléments soumis au changement.
Nous avons choisi de réaliser une présentation des matériaux sous ce format afin de donner à
voir l’évolution dans le temps des composants du réseau. Ceci permet de mettre en exergue
les négociations et les transformations du projet, de l’instrumentation, des programmes
narratifs. La première analyse a permis d’aboutir à un découpage chronologique, la seconde
analyse a consisté à repérer les thèmes récurrents. Un extrait de notre arbre thématique est
restitué ci-dessous, tandis que l’ensemble de nos arbres thématiques sur le cas 1 et le cas 2 est
indiqué en annexe 7 et 8.
Ce double codage (phases historiques et rubriques) nous permet d’obtenir une grille de codage
sous format chronologique à partir des rubriques. Un extrait de cette grille de codage, ici du
cas 1, est donné dans l’encadré ci-dessous, comme le préconisent Paillé et Mucchielli (2003,
p.205). A titre illustratif, la grille de codage du cas 1 est présentée dans son ensemble avec un
exemple de verbatim afférents à chaque sous-thème en annexe 9.

156
Figure 19 : Extrait de la grille de codage, Phase 2, Cas 1 (cf. annexe 7)
PHASE 2 LE DISPOSITIF DE GESTION
o Prototypage GPEC et débuts de la GTEC Philosophie gestionnaire
Les objectifs Les contenus
Substrat technique Les instruments Les documents
Rôles attendus /tenus Rôle du Copil Rôle du chef de projet Rôle des consultants Rôle des entreprises adhérentes Rôle des partenaires financiers
Communication extérieure o Le visage final de GCH
Philosophie gestionnaire Les objectifs Les contenus
Substrat technique Les instruments Les documents
Rôles attendus /tenus Rôle du Copil Rôle du chef de projet Rôle des consultants Rôle des entreprises adhérentes Rôle des partenaires financiers
Communication extérieure
LES ELEMENTS DE CONTEXTE o L’organisation du programme Talents 2010
La structure globale du programme T10 Image et promotion des métiers Le volet GPEC-GTEC Le financement du volet GCH
o Le fonctionnement de GCH au sein de T10 La participation au volet GCH
Les principaux groupes d’acteurs Les motifs de la participation à GCH Les différents niveaux de participation Les différents niveaux d’engagements

157
3.2.3. L’analyse et l’interprétation des thèmes
L’analyse thématique a pour visée première la synthèse des thèmes présents dans un corpus
(Paillé et Mucchielli, 2003, p.176). Elle rend compte des témoignages et les met en
perspective. L’analyse thématique pourrait se terminer par la présentation de l’arbre
thématique. Mais si l’on souhaite aller plus loin, le chercheur passe d’une logique thématique
à une logique interprétative, visant à interroger ces thématiques. On chercher à « faire parler »
des résultats, parfois en les mettant en lien avec des référents théoriques. Cela permet, comme
le notent ces mêmes auteurs, de « déborder du strict relevé thématique, de manière à exploiter
toutes les nuances et implications des résultats qui ne seraient pas apparents à première
vue » (ibid., p.210). C’est pourquoi, dans un second temps, nous nous sommes appuyés sur ce
premier niveau d’analyse afin de repérer, dans ce processus reconstruit, les différents
éléments de contenu permettant d’alimenter notre deuxième grille de lecture issue de la
théorie de l’acteur réseau. Ceci permet de mettre en exergue les négociations et les
transformations du projet, du dispositif, des programmes narratifs.
Synthèse de la section 3
Cette section présente les principales caractéristiques des matériaux empiriques qualitatifs
collectés ainsi que le mode de recueil choisi. Le processus de traitement de ces matériaux
réalisé par la méthode de l’analyse thématique est restitué dans le détail et rend compte du
travail d’élaboration de l’arbre thématique, construit sous format chronologique.
Les matériaux empiriques collectés sont essentiellement des entretiens et des documents.
Soixante-trois entretiens semi-directifs ont été réalisés entre fin 2008 et décembre 2010.
Ces entretiens ont été menés à l’aide d’un guide d’entretien et ont fait l’objet soit d’un
enregistrement suivi d’une retranscription intégrale, soit d’une prise de note au cours de
l’échange et d’une validation par l’interlocuteur. Le choix des informants a été effectué, d’une
part, grâce à des relais institutionnels, et d’autre part, par « effet boule de neige ». Les
personnes rencontrées appartiennent à différentes organisations, dont des entreprises privées,
des organismes publics et d’autres types de structures parfois mixtes. Cette diversité a été
privilégiée ainsi que la répartition des informants sur le territoire en question. Les documents

158
ont quant à eux été collectés au cours des entretiens, lors d’échanges informels ou bien à la
suite de recherche sur internet. Ces supports sont de nature variée. Parmi cette documentation
font également partie les supports des instruments composant les dispositifs de gestion
étudiés. Enfin, plusieurs restitutions de nos résultats ont été réalisées au cours de ces deux
années, permettant d’être en adéquation avec le principe de rigueur.
L’analyse thématique a été réalisée grâce à un thématisation continue réalisée en deux temps :
la première étape a permis de repérer des moments clés de la vie des projets, la deuxième
étape a concerné la thématisation du corpus. Cela a été effectué à partir de thèmes
préconstruits, ou à partir du cadre théorique, tandis que d’autres thèmes ont émergé du corpus
de manière inductive.

159
4. Conclusion du chapitre 3
La mise en œuvre du design de la recherche s’est déroulée en plusieurs étapes. Après examen
de la question de recherche dans le cadre du PECP, nous avons été amenée à envisager une
étude de cas multi-sites longitudinale réalisée à partir de la collecte de matériaux empiriques
de nature qualitative. Deux études de cas ont été réalisées, avec comme unité d’analyse le
projet. Ces matériaux ont donné lieu à une analyse thématique permettant de reconstituer le fil
de l’histoire des cas étudiés. C’est pourquoi une première étape dans le traitement des
matériaux a consisté à repérer les grandes phases chronologiques. La seconde phase a
débouché sur l’élaboration d’une grille d’analyse, à partir à des rubriques et des thèmes
définis de plusieurs manières : a priori, à l’aide des concepts issus de la littérature et de
manière inductive. Ces rubriques et ces thèmes ont été ensuite hiérarchisés de manière à
aboutir à un arbre thématique final sous format chronologique. A partir de ces éléments, une
première description visant à approfondir la compréhension des deux cas sera proposée aux
chapitres 4 et 5. Enfin, nous présenterons une explication du déroulement de ces deux projets
grâce à la théorie de l’acteur-réseau, puis nous discuterons ces résultats. La mise en œuvre du
design de la recherche est synthétisée dans la figure ci-dessous :

160
Matériaux empiriques qualitatifs Collectés dans le cadre d’une étude de cas multi-sites longitudinale
(entretiens, documents)
Repérage des phases historiques
Elaboration des rubriques, thèmes et sous-thèmes
-préconstruits-concepts issus de la littérature- émergents, à partir du corpus
Hiérarchisation des rubriques, des thèmes et des sous-thèmes
Construction de l’arbre thématique
Repérage des éléments permettant d’alimenter la grille de lecture issue de la
théorie de l’acteur-réseau
Compréhension
Interprétation
Figure 20 : Le processus de traitement des matériaux empiriques

161
Chapitre 4 : Le projet « Gestion du Capital
Humain », une GRH T à l’émergence difficile :
analyse du cas 1
Le présent chapitre est consacré à la présentation de la première étude de cas, qui s’intéresse à
un projet inter-organisationnel de GRH territoriale développé au sein du pôle de compétitivité
Arve-Industries Haute-Savoie Mont-Blanc. Réalisée de manière longitudinale, l’étude de cas
totalise 38 entretiens réalisés entre mai 2009 et décembre 2010 au cours de deux séries de
rencontres. L’objectif de ce chapitre est d’analyser l’évolution du dispositif de gestion.
Figure 21 : Plan de la thèse et chapitre 4

162
Nous avons choisi de recourir à une restitution fine de notre terrain, appuyée sur une analyse
thématique, tout en ayant soin de respecter l’histoire des évènements, de manière à rendre
compte du contexte dans lequel ont eu lieu l’émergence et la mise en œuvre du projet
« Gestion du Capital Humain ». C’est pourquoi la structure du chapitre s’appuie sur les trois
grandes phases chronologiques du projet :
La première section a pour but de présenter le contexte de la création du pôle de
compétitivité Arve-Industries Mont-Blanc, afin de comprendre l’émergence des
réflexions sur la nécessité de développer un programme dédié à la gestion du capital
humain.
La deuxième section présente la mise en œuvre concrète du dispositif de gestion au
sein du volet «Gestion du Capital Humain ».
La troisième section restitue les différents écueils perçus de la part des acteurs du
projet ainsi que la réorganisation du projet en vue d’un nouveau dispositif.
La conclusion de ce chapitre propose une synthèse de l’évolution du dispositif.
La figure ci-dessous illustre visuellement la chronologie du projet :
Figure 22 : Etapes chronologiques du projet Gestion du Capital Humain
Dans la suite du texte, le sigle « GCH » sera utilisé afin de nommer le projet « Gestion du Capital Humain ». Une liste des sigles utilisés dans ce travail est proposée en annexe 16.

163
1. La création du pôle de compétitivité et le démarrage du
programme Talents 2010
Cette section rend compte du déroulement de la constitution du pôle de compétitivité et des
éléments fondateurs du programme Talents 2010, dont l’un des volets constituera par la suite
le projet Gestion du Capital Humain (GCH). La première période sous-jacente démarre en
2005 avec la labellisation du pôle de compétitivité Arve-Industries (1.1.), conduisant les
acteurs du territoire à entamer les réflexions autour de la création d’un programme dédié au
capital humain (1.2.).
Les principales étapes chronologiques du projet sont rappelées ci-dessous :
1.1. La labellisation du pôle de compétitivité
L’histoire du projet Gestion du Capital Humain trouve son origine dans les fondements de la
constitution du pôle de compétitivité. En 2005, l’Etat français décide de donner à sa politique
industrielle un nouvel élan en offrant à chaque territoire la possibilité de renforcer le
développement de son économie locale. Le territoire haut-savoyard se mobilise à cette période
afin de monter un dossier en vue d’une labellisation. Il s’avère nécessaire de revenir sur cet
épisode, qui permet par la suite de mieux comprendre la construction du projet GCH.
La création du pôle et de Talents 2010 (2005 – Mai 2007) :
2005 : Labellisation du pôle de compétitivité
2006-2007 : Début des réflexions au sein du pôle autour du capital humain

164
1.1.1. Les éléments moteurs à l’origine du pôle de compétitivité
1.1.1.1. Le rôle du « club APM »
Sur le territoire haut-savoyard, les industriels se mobilisent au moment de l’appel à projet
national, sous l’impulsion notamment d’un responsable de la formation et de l’emploi de la
Chambre Syndicale de la Métallurgie de la Haute-Savoie. En plus de ses fonctions, celui-ci
est également en charge de l’animation d’un club d’industriels réunissant plus d’une vingtaine
de dirigeants issus de la vallée de l’Arve et de la région d’Annemasse. L’appel à projet du
pôle de compétitivité permettra de rassembler les énergies afin de monter le dossier préalable
en vue de la labellisation du futur pôle de compétitivité. Comme en témoigne le futur premier
chef de programme, le montage du dossier a été réalisé grâce à un ensemble d’acteurs issus de
différentes sphères sur le territoire de la Haute-Savoie :
« Alors quand ces choses sont arrivées, tout le monde s’est mobilisé (…) On a monté un
dossier. Monter un dossier comme ça, c’est pas une mince affaire. Avec toute l’implication
que vous imaginez, de tous les membres, de tous les milieux, économiques, politiques, etc. Et
tout de suite, les enjeux montent. Et tout le monde se dit « ouhlala, y’a un coup à jouer,
ouhlala, qu’est-ce qui va se passer ?! » (1er chef de programme).
Le pôle de compétitivité Arve-Industries Haute-Savoie Mont-Blanc obtiendra donc le label en
2005 et sera officiellement constitué en 2006. Il a dès lors vocation à rassembler des
entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation autour de l’usinage
complexe et de la mécanique de précision. Dans la plupart des pôles, lors des premiers mois
qui suivront leur lancement, la préoccupation principale des acteurs investis dans ces projets
concerne naturellement la technologie et l’innovation. Les problématiques ayant trait au
management et à la gestion des ressources humaines sont encore loin d’être évidentes aux
yeux des décideurs du pôle :
« Le pôle se construisait dans la foulée à peu près à la même époque, mais on était plus sur
des problématiques techniques, technologiques, mécatroniques, enfin bon la RH, c’était pas
ça. » (Responsable Direccte départementale).

165
Malgré tout, Arve-Industries possède un certain nombre de spécificités locales, qui vont
bientôt constituer le socle du futur programme Talents 2010. Il est nécessaire de comprendre
la spécialisation compétitivité préexistante et les caractéristiques des compétences associées à
ces métiers.
1.1.1.2. Une spécialisation compétitive préexistante
Le pôle de compétitivité est en réalité le fruit de l’histoire, car le développement de la vallée
de l’Arve s’est fait au départ sur la base de l’horlogerie sur une période allant du début du
18ème siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. A cette période, le décolletage devient
l’activité principale suite aux énormes commandes de matériel militaire engendrées. Entre les
deux guerres et surtout après, le territoire se développe tout en se diversifiant dans de
nombreux secteurs : l’automobile, l’aéronautique et l’aérospatiale, la construction électrique
et électronique, la téléphonie, le matériel chirurgical, etc. En 1970, on dénombre près de 7000
décolleteurs, contre 500 en 1907 (Ferguene, 2007). Une dynamique de district industriel s’est
ainsi créée peu à peu, donnant par la suite naissance en 1999 au Système Productif Local
(SPL) « Technic Vallée » (Courlet et al. 2009). Le pôle de compétitivité viendra consolider
l’organisation antérieure du SPL, mais en élargissant le périmètre de l’activité à de grandes
entreprises et aux acteurs de la recherche.
L’activité économique du département de la Haute-Savoie se démarque par la présence de
quatre secteurs d’activités principaux : le décolletage et la mécatronique, l’industrie des sports
et des loisirs (conception et fabrication d’articles et matériels de sports), l’image et le
multimédia (le jeu vidéo, le cinéma et l’audiovisuel, l’animation), les biotechnologies42. Mais
le décolletage demeure l’une des activités phares du département, qui se classe ainsi comme le
premier département français dans ce domaine, avec près des deux tiers des établissements et
des effectifs nationaux, essentiellement concentrés dans la vallée de l’Arve. Les produits sont
ensuite principalement destinés à l’industrie automobile, mais aussi à l’industrie aéronautique,
à l’équipement de la personne, au secteur médico-chirurgical, à l’industrie du luxe, de la
connectique, etc.43 C’est la volonté de défendre cette spécialisation qui conduit les acteurs à
42 Sources : site de l’Agence Economique de la Haute-Savoie, www.haute-savoie. com. 43 Etude réalisée par l’Agence Economique de la Haute-Savoie, 2008.

166
construire le pôle de compétitivité et ensuite à envisager un programme autour du capital
humain.
1.1.1.3. Le technicien-régleur : des compétences rares
L’usinage complexe et la mécanique de précision recouvrent différentes activités (le
décolletage, l’usinage, le soudage, le découpage, l’emboutissage, l’assemblage, le traitement
de surface, la plasturgie, la rectification et la mécatronique). Dans le langage courant, c’est
bien souvent le terme de décolletage qui est utilisé pour dénommer l’ensemble des activités de
la vallée de l’Arve, bien que nombre d’entreprises ne fassent pas partie, au sens strict, de ce
domaine d’activités44. Le métier-clé du décolletage est celui de « Technicien Régleur » sur
machine. Cette activité a pour but de préparer, programmer et régler les différentes machines.
Le niveau de qualification requis pour ce poste est en général celui de BEP à Bac Pro.
Différentes catégories de techniciens sont également représentatives des métiers du
décolletage45. Ces métiers industriels souffrent aujourd’hui d’une image négative auprès de la
population française, et notamment auprès du jeune public. Le métier de « technicien-
régleur » est depuis plusieurs années, un métier en tension. Ceci entraîne une forte pénurie de
main-d'œuvre, tant au niveau quantitatif que qualitatif. En effet, ce métier requiert un certain
niveau de qualification et de savoir-faire. Les industriels de la vallée de l’Arve expriment
leurs difficultés à recruter des techniciens :
« Là, tout à l’heure, avec mon voisin, il m’expliquait les difficultés, y’a à peu près 5 ans que
nous cherchons, lui et moi, un régleur, le même profil. Parce que nous avons les mêmes
machines. Lui, il a un de ses régleurs, son chef, qui part en retraite au mois de septembre. Ils
44 Le Centre Technique du Décolletage, localisé à Cluses, propose la définition suivante du décolletage « Série d’opérations d’usinage consistant à fabriquer des pièces généralement métalliques, dont l’usinage de base est obtenu sur des machines automatiques ou semi-automatiques, à partir de barres, couronnes (bobines de fil) ou d’ébauches. » 45 Les différentes catégories de techniciens sont : le Technicien d’Etudes (conception des produits et des méthodes de fabrication) ; le Technicien des Méthodes (préparation de la production en élaborant les gammes de fabrication, en choisissant les outils, en déterminant les phases de gestion, les plannings et les lancements) ; le Technicien Contrôle qualité (analyse de la production dans le respect des normes et gestion des moyens de mesure et d’essai) ; le Technicien de maintenance (assurer l’entretien des installations de production ou améliorer la performance des machines). A un niveau intermédiaire, le Responsable en Ingénierie de Production a pour mission de concevoir un processus de fabrication, puis de le mettre en œuvre avec ses moyens de réglage et de contrôle. Enfin, les Ingénieurs de Production (direction de l’unité de fabrication et supervision de la production-maintenance) ainsi que les Ingénieurs d’Etudes et de Méthodes (gestion du bureau d’études et des activités de recherche et de développement) font également partie des métiers usuels du décolletage Sources : site géré par le Syndicat National du décolletage (SNDEC) : www.ledecolletage.fr/Fiches-Metiers.html

167
ont essayé peut-être 20 régleurs : y’en n’a pas un qui a le niveau. Pas un ! » (Dirigeant
d’entreprise ayant participé à GCH).
Cette pénurie de main-d’œuvre freine le développement des entreprises de la vallée et entraîne
une concurrence accrue pour attirer les meilleurs salariés :
« Si j’ai besoin d’un régleur, je n’ai pas d’autres solutions que de prier le Bon Dieu pour
qu’il y ait une entreprise qui se casse la figure ou d’aller le piquer à mon voisin, donc voilà,
c’est regrettable, mais c’est comme ça. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH).
Le pôle de compétitivité Arve-Industries se construit donc sur un territoire bien spécifique, lui
conférant certaines spécificités qui vont conduire la gouvernance du pôle à envisager
l’élaboration d’un programme dédié au capital humain. Le dossier de candidature du pôle,
faisant réponse à l’appel à projets du gouvernement, stipule en effet que la démarche du pôle
« permettra de poursuivre avec l’ensemble des partenaires concernés par les différentes
opérations du projet, la veille sur l’évolution des métiers et les besoins en qualifications puis
d’établir les projets de formation adaptées. » (Dossier de candidature, p.35).
1.1.2. La constitution du pôle
1.1.2.1. L’adhésion des industriels au pôle
Le pôle de compétitivité regroupe près de 200 industriels du territoire, dont près de 90 % de
des PME. D’après les témoignages recueillis dans les entretiens, l’adhésion au pôle
représente, pour les entreprises interrogées, l’occasion d’échanger avec d’autres industriels, de
bénéficier de l’aide du pôle pour des projets collectifs, de rencontrer des clients (la plupart des
PME sont des entreprises de sous-traitance dont les donneurs d’ordre sont parfois également
au sein du pôle). Mais il s’agit également pour les PME de saisir cette opportunité pour faire
entendre leur voix en tant que petites entreprises.
1.1.2.2. La gouvernance
La gouvernance du pôle est constituée d’une gouvernance stratégique (un conseil
d’administration et un bureau exécutif élu, chargé de la définition de la stratégie) et d’une

168
gouvernance opérationnelle (un comité de direction en charge d’une approche transversale par
processus des projets du pôle).
Figure 23 : Organisation de la gouvernance du pôle de compétitivité Arve-Industries46
1.1.2.3. La structure du pôle
Le fonctionnement des pôles de compétitivité repose avant tout sur le financement par l’Etat
des efforts de recherche et de développement déployés à différents niveaux : d’abord celui des
projets collaboratifs noués entre plusieurs adhérents du pôle (c'est-à-dire associant au moins
deux entreprises et un laboratoire de recherche ou un organisme de formation), mais aussi
celui des plates-formes d’innovation ou de projets hors R&D. De par ses spécificités, Arve-
Industries envisage assez vite la création de programmes dit « transverses », c’est-à-dire
permettant d’appuyer le développement des entreprises et la montée en compétitivité du
territoire en parallèle des projets de R&D collaboratifs. Dans la première phase des pôles de
compétitivité, Arve-Industries s’organise en quatre grandes thématiques : l’innovation par les
process, l’innovation par l’organisation, l’innovation par les produits et les actions
transversales. L’innovation par process doit permettre de gagner en performance sur les
procédés industriels grâce à de nouvelles technologies. L’innovation par l’organisation
concerne les aspects managériaux et les systèmes d’information. L’objectif de ce programme
est de développer l’agilité des entreprises, c’est-à-dire leur capacité à se reconfigurer
rapidement. L’innovation par les produits, enfin, renvoie à la stratégie d’innovation et à la
conception de produits nouveaux.
46 Source : extrait du site web www.arve-industries.fr, consulté le 14 septembre 2010.

169
Figure 24 : Organisation du pôle de compétitivité Arve-Industries lors de la première phase des pôles
Les actions transversales comptent parmi elles un programme dédié aux ressources humaines,
qui sera par la suite nommé « Talents 2010 ». Ce programme, qui fait ici l’objet de notre
étude, sera par la suite, subdivisé en deux volets : un volet Image et Promotion des Métiers et
un volet Gestion du capital humain (nous détaillerons ce projet ensuite).
1.1.3. Les freins rencontrés lors de la création du pôle
Malgré l’engouement lors de la création du pôle, les propos recueillis dans les entretiens
témoignent des difficultés rencontrées. Outre la complexité inhérente au montage du dossier,
la délimitation du périmètre ainsi que les jeux de pouvoir constituent les principaux écueils.
1.1.3.1. La délimitation du périmètre
Le siège du pôle est localisé à Cluses, située au cœur de la vallée de l’Arve, qui s’étend de
Chamonix à Genève. Si le pôle de compétitivité a été organisé autour de cette vallée en raison
de sa spécialisation industrielle historique, le périmètre du pôle est en revanche plus large,
puisqu’il intègre également plusieurs bassins d’emplois, comme l’indique la carte ci-dessous :
4 grandes thématiques
Innovation par les process
Innovation parl’organisation
Innovation parles produits
Actions transversales
Talents 2010
Gestion du capital humain3 axes :-GPEC -GTEC-Formation
Image et promotion des métiers13 actions :-Point Info Industrie-Classes découvertes et forum-Spots télévisés, etc.

170
Figure 25 : Extrait de la plaquette de présentation Arve-Industries, Juin 2009
Le pôle de compétitivité est intitulé « Arve-Industries Haute-Savoie Mont-Blanc » et indique
donc que le pôle est construit autour de la vallée de l’Arve et de sa spécialisation industrielle.
Or un certain nombre d’industries et d’entreprises, considérées comme ayant un poids
significatif au sein du département, ne font pas partie de ce secteur d’activité et ne sont pas
non plus localisées dans cette vallée. Ceci explique le fait que le périmètre du pôle soit étendu
à d’autres domaines d’activités et à une aire géographique plus large afin de permettre à
davantage d’acteurs de pouvoir en faire partie. Cette discussion autour du périmètre du pôle
sera source de vives controverses, car selon les acteurs du pôle, « le nom est révélateur du
particularisme territorial » (Chef de projet GCH) et est en partie à l’origine de l’émergence
de jeux de pouvoirs au sein du pôle.
1.1.3.2. Des enjeux prégnants entre les acteurs
L’un de ces enjeux est lié à la présence de deux organisations patronales dans le département.
En effet les entreprises de la vallée de l’Arve sont représentées par le SNDEC (Syndicat
National du Décolletage), localisé à Cluses. Le SNDEC fait partie du MEDEF mais est une
déclinaison par domaine d’activité, ici le décolletage. A Annecy, la capitale économique du
département, siège la CSM (la Chambre Syndicale de la Métallurgie), déclinaison
départementale du MEDEF. Cette situation reflète en partie le contexte dans lequel se déroule
la création du pôle :
« Il y a des querelles de pouvoir et politiques à l’origine de la création du pôle. » (Chef de projet GCH).

171
Peu de temps après la labellisation du pôle de compétitivité, il est assez tôt question de la
nécessité de créer un programme transverse dédié au capital humain.
1.2. Le début des réflexions au sein du pôle autour du capital humain
Suite à la labellisation du pôle de compétitivité, il s’engage assez vite, dès 2006, une
discussion autour de la possibilité de développer un programme dédié au capital humain. Bien
avant la création du pôle de compétitivité, le manque de ressources humaines qualifiées sur
les métiers en tension était latent. La création du pôle de compétitivité va permettre de faire
émerger cette problématique et d’envisager des pistes d’actions. A ce moment-là, le
responsable du club d’industriels de la Chambre Syndicale de la Métallurgie d’Annecy
notamment, avec d’autres acteurs, pointe ce manque chronique de salariés qualifiés dans la
vallée. Au fur et à mesure que le pôle de compétitivité se structure, l’idée de développer un
programme dédié aux ressources humaines et à l’emploi prend forme.
1.2.1. Les raisons de la création du programme Talents 2010
Les raisons invoquées par les acteurs du programme interrogées au cours des entretiens pour
expliquer la création du programme sont multiples. La première cause citée est celle du déficit
de main-d’œuvre dans la vallée, mais le rôle du pôle de compétitivité et l’existence préalable
de différentes actions ayant trait à l’emploi et à la formation sur le territoire figurent aussi
parmi les éléments clés. Il s’agit avant tout d’un programme dont l’initiative correspond à un
besoin exprimé par les industriels.
1.2.1.1. Un besoin émis par les industriels
Dès le lancement du pôle de compétitivité, la question de l’emploi et des ressources humaines
a été placée au cœur de la logique du fonctionnement du pôle. En effet, le territoire haut-
savoyard est certes caractérisé par une forte activité industrielle, mais également par une
proximité avec la Suisse. Un nombre important de résidents haut-savoyards ont choisi
d’exercer leur activité professionnelle de l’autre côté de la frontière, car les salaires sont
réputés plus attractifs. Les entreprises du décolletage de la vallée de l’Arve présentent ainsi de
grandes difficultés de recrutement sur certains métiers requérant des compétences spécifiques.

172
Ces métiers sont donc considérés par la plupart des industriels comme des métiers en tension.
Le besoin de concrétiser un projet a donc d’abord été émis par les industriels de la vallée :
« Talents 2010, c’est ni une bonne ni une mauvaise idée, c’est tout simplement un besoin des
industriels » (Agence économique de la Haute-Savoie, membre du Copil).
Constituant un frein au développement économique de la vallée, les industriels se sont saisis
de l’opportunité que présentait le pôle de compétitivité pour tenter de mettre en place des
actions visant à attirer une main-d'œuvre plus jeune et qualifiée, afin de pourvoir de manière
adéquate les postes laissés vacants par ce manque de main-d'œuvre.
Pourtant, le territoire de la Haute-Savoie n’est pas vierge d’actions engagées afin de soutenir
le développement des entreprises. Le dossier de candidature du pôle de compétitivité met en
effet en avant plusieurs initiatives marquant le dynamisme du département et en particulier de
la vallée de l’Arve. Le « réseau de compétences » au service des entreprises compte
notamment l’Observatoire Stratégique de la Sous-traitance, Thésame, Le Centre Technique du
Décolletage. Créé en 1996, le premier a pour mission principale de réaliser une veille
stratégique afin d’identifier les mutations technologiques, commerciales et économiques
susceptibles de modifier les prestations demandées aux entreprises. Le second est un Centre
Européen d’entreprise et d’innovation, spécialisé depuis 1990 en mécatronique, en
organisation industrielle et en management de l’innovation. Il informe et conseille les
entreprises sur leurs projets. Enfin le troisième est un centre spécialisé autour des métiers du
décolletage et fournit, depuis 1962, des prestations d’assistance technique, d’étude et de
recherche, de formation continue et alternées aux entreprises. Ces trois organisations seront
associées au pôle de compétitivité.
1.2.1.2. Le déficit de main d’œuvre dans la vallée
Le déficit de main-d’œuvre dans la vallée est donc présenté par dix personnes interrogées
comme la raison principale de la création du programme Talents 2010, car il s’agit d’un
constat partagé par l’ensemble des acteurs, tant du côté des industriels, des institutionnels et
des acteurs de l’emploi et de la formation. Cette pénurie de salariés qualifiés s’explique, selon
ces acteurs, par différentes causes : la fuite des salariés vers la Suisse, le « papy-boom », un
manque d’attractivité des métiers du décolletage notamment auprès des jeunes, un problème

173
de management des entreprises ayant de mauvaises répercussions en termes de fidélisation
des salariés, des problèmes de transport et de logement. Le responsable de la CSM entame
donc la mise en place d’un programme dédié au capital humain. Très rapidement, il intègre
l’ensemble de ces éléments dans une réflexion au sein d’un « système », selon ses propres
mots. Afin de communiquer autour de cette problématique et de la mise en liens de ces
différents éléments, il développera la métaphore de la baignoire, décrite ci-dessous par l’un
des membres financeurs du projet :
« Ils avaient une bassine, le système de la bassine, y’a des fuites, ils sont à Genève, les
seniors partent à la retraite, y’a de plus en plus de seniors, y’a de moins en moins de jeunes,
de plus en plus de vieux, et puis les jeunes vont à Genève, comment je fais pour remplir la
baignoire et faire en sorte qu’elle ne se vide pas ? C’est ça le truc, parce que la baignoire
c’était financier. » (Responsable Direccte départementale).
Il communiquera beaucoup à l’aide de cette image, qui rencontrera un réel succès auprès des
différents acteurs industriels et institutionnels, et qui prend corps à travers la réalisation
concrète d’un dessin, parfois affiché dans le bureau des chefs de projets :
Figure 26 : Extrait d'un diaporama de présentation du programme Talents 2010

174
1.2.1.3. Le rôle du pôle de compétitivité
Le rôle du pôle va être déterminant, car il permet au programme de trouver un ancrage.
Pendant que beaucoup d’autres pôles s’intéressent d’abord à la structuration de projets de
R&D, le pôle Arve-Industries s’intéresse lui d’abord au capital humain :
« Le premier cahier des charges des pôles de compétitivité était, par définition, très orienté
sur la recherche et la technologie, mais cela ne correspondait pas à notre problématique, car
pour nous l’innovation est aussi bien dans les process (…). Dès le début du pôle, nous nous
sommes dits assez spontanément qu’il n’était pas possible de ne pas avoir de programme
dédié à la gestion du capital humain. » (Directeur du pôle de compétitivité).
Finalement, la création de Talents 2010 ne peut être séparée de la création du pôle, car il
figure dès le départ au cœur des problématiques des industriels et des institutionnels du
département de la Haute-Savoie et spécifiquement de la vallée de l’Arve.
1.2.1.4. Les dispositifs existants et les actions antérieures
Le territoire n’est cependant pas vierge en termes d’actions territoriales concernant l’emploi,
les compétences et la formation. En effet, un certain nombre d’acteurs locaux se préoccupent
de ces questions depuis longtemps déjà et des organisations sont présentes de manière
régulière auprès des entreprises sur ces sujets : organismes de formations initiales et
continues, Organismes Paritaires Collecteurs Agréés (OPCA), syndicats professionnels,
Maison de l’Emploi et de la Formation, Association pour la Valorisation des Connaissances,
etc. En parallèle, quelques actions avaient été déjà mises en œuvre afin de traiter la
problématique du déficit de main-d’œuvre. Parmi ces actions, citons à titre illustratif une
étude prospective territoriale réalisée avec le concours de la CSM et d’un cabinet d’audit au
début des années 2000, sur laquelle s’est appuyé le responsable Emploi et Formation de la
CSM :
« Jje m’étais inspiré d’une opération qui remonte à une dizaine d’années (…) C’était des
contrats d’étude prospective, à l’époque, comment bougeaient les choses, comment
bougeaient les métiers. (…) Et donc, on avait quand même les grandes lignes. Mais comment
on fait maintenant ? Tout le monde nous a laissés dans le jus. (…)Mais on restait quand

175
même dans l’intellectuel, et nous ce qui nous semblait hyper important, c’est d’être dans
l’opérationnel. » (1er chef de programme).
Un travail avait également été réalisé en parallèle en amont par l’ex-DDTEFP (Direction
Départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, maintenant UT 74
de la Direccte) en collaboration avec la CSM afin de sensibiliser les entreprises à la GPEC.
Au sein de la vallée de l’Arve, le CTDEC (Centre Technique de l’Industrie et du Décolletage)
créé à Cluses en 1962, développe lui-aussi un certain nombre d’actions de soutien aux
entreprises de la vallée. Sa mission officielle consiste à « promouvoir le progrès des
techniques, contribuer à l’amélioration de la productivité et à l’innovation dans l’industrie du
décolletage »47, cela à travers la réalisation de prestations de formation et de conseil technique
et managérial. Le CTDEC avait soutenu la création de l’AVC 74 (Association pour la
Valorisation des Connaissances) en 1995 suite à la demande des pouvoirs publics. Cette
association a vocation à « aider et accompagner les entreprises de décolletage et autres
activités de sous-traitance de la vallée de l’Arve dans la gestion de leurs ressources
humaines »48. L’AVC 74 est très présente auprès des entreprises de la vallée de l’Arve et les
oriente vers différents outils permettant de renforcer leur politique managériale et RH.
Il existe une grande complexité des différentes actions déjà engagées ainsi que des liens plus
ou moins établis entre les organisations porteuses de ces projets :
« Alors il y avait d’un côté la Chambre Syndicale de la Métallurgie qui faisait ses projets sur
la promotion des métiers, sur les métiers, sur la création de filière. Y’avait le SNDEC qui lui
aussi faisait de la promotion, qui accueillait des classes vertes, y’a le CTDEC qui avait
l’opération 1000 techniciens, puis 1500 techniciens pour l’industrie du décolletage. (…) Ça,
ce sont les actions menées par les organismes professionnels et à côté de ça, y’avait des
actions faites par les services publics, l’ANPE, les Assedic, la Maison de l’Emploi à
Bonneville, les CIO, l’Education Nationale. » (Agence économique de la Haute-Savoie.)
47 Site web du CTDEC www.ctdec.com, consulté le 15 décembre 2010. 48 Site web de l’AVC 74 www.avc74.com, consulté le 15 décembre 2010.

176
Le témoignage ci-dessous rend compte de la complexité des relations inter-organisationnelles
sur ce territoire :
« On avait sur la vallée de l’Arve sept ou huit entreprises, qui s’étaient déjà fédérées entre
elles, qui avaient eu l’intention de mutualiser leurs moyens en termes de formation pour créer
un organisme de formation commun, où il y aurait des formateurs qui interviendraient, et en
fait c’était un petit peu un mini projet ADEC, mais qui s’était fait tout seul à l’initiative des
entreprises. Donc on a commencé à vouloir accompagner cette démarche-là, puis comme on
avait travaillé avec la Chambre Syndicale on s’est dit, il faut faire en sorte de rapprocher ces
deux initiatives, donc du coup, les sept / huit entreprises qui avaient commencé à travailler
sur un projet de mutualisation de leurs formations, on les a rapprochées de la Chambre
Syndicale, la Chambre Syndicale les a rencontrées, il en est sorti un projet commun qui a été
soumis à l’avis du pôle et au global, enfin moyennement quelques ajustements divers et
variés, on a mis en place le dispositif Talents 2010. » (Responsable Direccte départementale).
La richesse des actions engagées, mais aussi la diversité des acteurs du département déjà
présents sur les thématiques de l’emploi, de la formation et de la gestion des ressources
humaines vont constituer le terreau du programme Talents 2010. Mais ce sont aussi des
facteurs perçus par les personnes interrogées, comme difficiles.
1.2.2. Un programme qui peine à se concrétiser
1.2.2.1. Un grand nombre d’acteurs issus d’une diversité d’organisations
Bien entendu, le grand nombre d’organisations dont la mission est liée à l’emploi, à la
formation et à la GRH, est concerné par le programme Talents 2010 en gestation. Le
responsable de la CSM tente de rassembler ces organisations, non sans une réelle difficulté à
faire travailler ensemble des acteurs venus d’horizons différents :
« Début 2006, on a démarré ce projet. Ça a été long à trouver une méthode de travail. C’est
le CTDEC qui a mis en place une méthode de travail, qui a trouvé la méthode de travail ayant
ensuite été validée. » (Agence économique de la Haute-Savoie).

177
Le programme se dessine peu à peu, mais il piétine : les acteurs peinent à trouver une issue
favorable à leur problématique commune, celle du déficit de main-d’œuvre. Pendant ces
premières années, les acteurs du pôle de compétitivité sont confrontés au « syndrome de la
page blanche » (Consultant), aucune action n’est envisagée, car les acteurs ne savaient
comment aborder cela concrètement.
1.2.2.2. Une problématique RH peu évidente
Bien que les acteurs du pôle et les différents partenaires réunis s’accordent sur la nécessité de
faire face à la pénurie de main-d'œuvre, la formulation en termes de gestion des ressources
humaines des futures actions qui seront développées est loin d’être évidente. En effet, la GRH
semble être assez éloignée des préoccupations des industriels, qui sont pour la plupart,
dirigeants de petites entreprises à caractère familial :
« C’est la culture familiale qui à un moment donné, a porté le territoire. Mais c’est aussi ce
qui en fait les limites, car ça nous fait des gestions à courte vue. Ce sont des entreprises
paternalistes, où tout le monde fait tout, le directeur il est DRH, il est comptable, il est
commercial, il fait le marketing. » (Responsable Direccte départementale).
Au préalable, un premier volet, destiné à revaloriser l’image des métiers du décolletage, est
alors envisagé. Il s’agit d’abord, pour les acteurs du pôle, d’actions de communication et de
marketing. Pourtant, peu à peu, la question des ressources humaines et de son vocable fait
jour, car les difficultés rencontrées par les entreprises de la vallée en termes de GRH sont
mises en exergue : elles expliqueraient en partie le déficit de main-d’œuvre et l’image
négative véhiculée par les entreprises de décolletage auprès des jeunes :
« La gestation du projet a été assez longue, et réellement mise en œuvre en 2006 […] On
voulait sensibiliser les RH d’abord. C’était une ambition modeste, car il y a une forte
sensibilité à la mécanique. Mais les RH sont aussi un levier de développement. » (Chef de
projet GCH).
Le projet se structure peu à peu au cours de l’année 2007, donnant naissance à la création
officielle d’un programme RH à part entière au sein du pôle de compétitivité dès le printemps
2007, période à laquelle une première ligne de crédit sera ouverte pour ce projet, suite au

178
relais efficace des collectivités locales. Un comité de pilotage est formé. Il rassemble quelques
personnes parmi lesquelles figurent les précurseurs du pôle de compétitivité. A partir de cette
période, le programme Talents 2010 est formalisé et va donner naissance au projet Gestion du
Capital Humain.
Synthèse de la section 1 :
Cette section a montré comment le projet Talents 2010 s’est peu à peu construit dans la
continuité d’une dynamique de territoire préexistante, concrétisée avec la labellisation du pôle
de compétitivité. Les spécificités du territoire haut-savoyard et notamment de la vallée de
l’Arve en termes de spécialisation industrielle historique, ont été développées afin de mettre
en exergue les problématiques liées aux difficultés de recrutement. C’est en effet à partir de
ce constat qu’un programme dédié au capital humain sera envisagé au sein du pôle. Bien
que la nécessité de travailler ensemble autour de cette thématique semble avoir été
relativement partagée par les membres de la gouvernance et les industriels de la vallée,
l’émergence du programme RH a démarré dans un contexte d’engouement collectif, mais
aussi de difficultés latentes.

179
2. La réalisation du projet «Gestion du Capital Humain »
Cette partie permet de comprendre les fondements de l’élaboration du projet Gestion du
Capital Humain ainsi que l’évolution du dispositif sur lequel il s’appuie.
La reconnaissance officielle du programme Talents 2010 au sein du pôle de compétitivité et
l’attribution d’un financement marque le démarrage d’un épisode au cours duquel le
programme prend son envol. Tous les espoirs et toutes les énergies sont tournés vers la
réalisation du projet. C’est la période au cours de laquelle le programme s’organise (2.1.). Le
nombre de participants au projet s’accroît, tant au niveau des membres du comité de pilotage
de Talents 2010 que des entreprises participantes au volet GCH. Les premières actions sont
réalisées (2.2.), puis le projet prend peu à peu son visage final (2.3.).
Les principales étapes chronologiques du projet sont rappelées ci-dessous :
La concrétisation du volet Gestion du Capital Humain (Juin 2007 – Juin 2009) :
Juin 2007 : Réunion du comité de pilotage et validation de l’intitulé du programme : « Talents
2010»
Juillet 2007 : Dépôt des dossiers de financements et structuration du programme en deux volets
(Image & Promotion des Métiers / Gestion du Capital Humain)
Septembre 2007 : Création d’un logo Talents 2010.
Octobre 2007 : Démarrage du « prototypage » de la GPEC avec la première entreprise.
Novembre 2007 : Finalisation du dossier de financement ADEC.
Janvier 2008 : Finalisation du cahier des charges GTEC ; poursuite du « prototypage" GPEC.
Juin 2008 : Arrivée de la nouvelle chef de projet sur le volet GCH.
Janvier 2009 : Présentation de la première version de l’intranet GTEC.

180
2.1. L’organisation du programme
Le mois de juin 2007 marque un tournant dans l’histoire du programme, car c’est à cette
période qu’un nom officiel lui est attribué. Le programme se structure et s’organise.
2.1.1. La structure globale du programme Talents 2010 : les deux volets
Le programme est officiellement intitulé « Talents 2010 » lors de la réunion du comité de
pilotage en juin 2007. En parallèle, le portage et le pilotage du programme sont attribués à la
CSM. Il rassemble à ce moment-là au sein du comité de pilotage une douzaine de membres,
issus de différentes organisations haut-savoyardes : Syndicats professionnels (CSM et
SNDEC), centre de formation d’apprentis (CFA) et centre de formation professionnelle
(AFPI), Centre Technique du Décolletage (CTDEC), Agence Economique Départementale de
la Haute-Savoie (AED74), Association pour la valorisation des connaissances (AVC 74) et le
pôle de compétitivité.
Les modalités de financement du programme se concrétisent : un dossier de financement
ADEC (Action de développement de l’emploi et des compétences)49 est déposé à la DDTEFP
(Direction Départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) ainsi
qu’un dossier auprès du Conseil Général de la Haute-Savoie pendant l’été 2007.
Le programme se structure réellement à partir de septembre 2007 : il est d’abord scindé en
deux volets « Communication et Métiers » et « GPEC – GTEC » (qui sera ensuite nommé en
parallèle « Projet Gestion des compétences et « Gérer le Capital Humain » à partir de janvier
2008, et enfin « Gestion du Capital Humain » à partir de juillet 2008). Des groupes de travail
se forment peu à peu, tandis que d’autres personnes rejoignent le comité de pilotage. Il est
alors question de préparer un « prototypage » de l’action GPEC par le cabinet retenu, et ceci
auprès des dix premières entreprises, dont les noms ont été proposés par un groupe de travail.
Le financement du programme est à ce moment encore en cours de finalisation avec l’ADEC. 49 « Les organisations professionnelles ou interprofessionnelles peuvent mettre en œuvre avec l’État, dans un cadre contractuel, les engagements de développement de l’emploi et des compétences (EDEC) pour anticiper et accompagner l’évolution des emplois et des qualifications » ; « Les actions de développement de l’emploi et des compétences (ADEC) constituent le volet déploiement de l’action de la démarche EDEC ». « L’objectif général des ADEC est d’anticiper les conséquences en matière d’emploi et de compétences des mutations économiques, sociales et démographiques en réalisant des actions concertées dans les territoires pour permettre aux actifs occupés de faire face aux changements à venir. (Source : http://www.travail-solidarite.gouv.fr)

181
Les premières actions de présentation officielle et de communication autour du programme
Talents 2010 sont alors prévues auprès Conseil Général, auprès des adhérents du pôle (via la
newsletter « Pôle Position) et auprès des animateurs du CTEF (Contrat Territorial Emploi
Formation)50 porté par la Maison de l’Emploi et de la Formation de Bonneville. Entre ces
deux réunions, les groupes de travail se sont rencontrés afin de travailler sur différentes
actions, sur lesquelles des pilotes sont désignés.
2.1.1.1. Image et Promotion des Métiers
Le premier volet, « Communication et Métiers », intitulé par la suite « Image et Promotion
des métiers», a pour objectif la revalorisation des métiers de l’industrie du décolletage et de la
mécatronique. Ce volet entend mettre en œuvre des actions de valorisation et de
communication autour des métiers industriels de la Haute-Savoie, et notamment auprès des
métiers du décolletage. De nombreuses actions seront développées : réalisation de spots
télévisés, création d’un salon annuel permettant aux élèves de connaître les métiers du
décolletage, organisation de classes découvertes, mise en place de point d’informations, etc.
Extrait du document de présentation « Image et Promotion des Métiers & des Entreprises » 50 Le CTEF est un contrat établi entre la Région Rhône-Alpes et les partenaires économiques et sociaux afin de lutter contre le chômage.
Image et Promotion des Métiers : les axes stratégiques
Créer une continuité de communication tout au long des différentes phases du parcours de l’étudiant à partir du collège jusqu’à l’intégration dans l’entreprise.
Faire découvrir et casser les idées reçues en construisant une image renouvelée et enrichie du secteur, de l’entreprise et des métiers.
Mettre en contact direct les différents publics-cibles et l’entreprise industrielle.
Revaloriser les métiers et l’activité de sous-traitance industrielle auprès des dirigeants d’entreprise et de leurs salariés.
Mettre en place une information régulière sur l’actualité des entreprises industrielles.

182
2.1.1.2. Le projet « GPEC-GTEC » ou « Gestion du Capital Humain »
Le second volet, que nous étudions en particulier ici, a vocation à soutenir la mise en place
d’actions prévisionnelles des emplois et des compétences au sein des entreprises adhérentes
au pôle de compétitivité.
2.1.1.3. Le financement de GCH
Le financement du volet GCH sera permis grâce à l’obtention d’un fond ADEC, dont le relais
est assuré par la Direccte au niveau départemental et régional, et par des subventions privées
accordées par la CSM, représentant environ 28 % du financement global sur l’année 2007.
La question du financement permettra de nouer certains partenariats : cela conduit en effet la
CSM à signer une convention triennale avec le pôle, afin d’assurer un socle juridique pour
l’obtention de fonds publics en vue du financement du projet. Une convention sera ensuite
directement signée avec l’ADEC via la Direccte.
Si l’obtention de fonds publics permet au programme de prendre son envol et de disposer de
moyens, ces fonds sont en contrepartie assortis d’un ensemble de critères, qui par la suite, se
révéleront contraignants aux yeux des différents acteurs, notamment sur l’axe formation du
volet GCH. Ce point sera abordé lorsque les freins du volet GCH seront explicités.
2.1.2. Le fonctionnement du projet GCH au sein de Talents 2010
Un certain nombre d’acteurs est amené à participer au projet GCH. Concrètement, le pilotage
du projet est assuré par une personne issue de la CSM, dont le rôle consiste à animer le projet,
démarcher les entreprises volontaires sur les actions de GPEC et de GTEC et gérer les
dossiers de financement. En revanche, la réalisation opérationnelle des actions GPEC et
GTEC est confiée à un cabinet de conseil51. On distingue en réalité plusieurs modalités de
participation, renvoyant par là à plusieurs niveaux d’engagement ont été repérés dans les
entretiens et les comptes-rendus des comités de pilotage.
51 Pour des raisons de confidentialité, nous avons pris l’initiative de ne pas révéler l’identité du cabinet de conseil.

183
2.1.2.1. La participation au Comité de Pilotage
Un premier niveau de participation des acteurs du projet concerne l’engagement au sein du
comité de pilotage Talents 2010, qui rassemble les deux volets du programme. Au sein de
celui-ci, certains acteurs sont intéressés par le volet Image et Promotion des Métiers, tandis
que d’autres le sont davantage par Gestion du Capital Humain. Quelle que soit leur
implication sur l’un ou l’autre volet, le chef de projet de Talents 2010 a, dès le départ,
souhaité que le Copil intègre un nombre identique de représentants des entreprises et de
représentants des institutions :
« Et puis on s’est dit, on va créer un comité de pilotage, qui va être composé, de moitié
d’entreprises, et de moitié d’institutions. » (1er chef de programme).
A l’été 2007, le Copil compte désormais officiellement 11 membres dont 5 industriels, ainsi
que d’autres membres parmi les organisations citées plus haut (SNDEC, CTDEC, CSM, AED
74 et Arve-Industries). Il est envisagé de proposer à d’autres industriels ainsi qu’à d’autres
organisations de rejoindre le groupe, parmi lesquels l’Université de Savoie et la Maison de
l’Emploi de Bonneville. Le programme est alors organisé de la sorte :
Figure 27 : Organisation du programme en deux volets
Le Copil se réunira tout au long de cette période mensuellement. Les réunions du Copil sont
l’occasion de présenter l’avancement des dossiers de financement, de valider les décisions
Chef de projet
CSM
GROUPE DE TRAVAIL TALENTS 2010
COMITE DE PILOTAGE
Chef de programme
CSM
CSM AED74Pôle – CTDEC 12 dirigeants d’entreprises et responsables RHUniversité de Savoie
Chef de projet
SNDEC
CTDEC
Maison de l’Emploi de Bonneville
AVC74
CTDEC
CSM
SNDEC
FONCTIONNEMENT DU PROGRAMME
SNDEC

184
opérationnelles relatives aux différentes actions engagées sur les deux volets et bien entendu,
d’en présenter l’état d’avancement. Pour les industriels, la participation au Copil représente
un engagement relativement important dans leur emploi du temps :
« Tout simplement ces groupes de travail réclament beaucoup de temps…Or c’est souvent
difficile de distribuer du temps, parce que votre propre entreprise vous réclame beaucoup de
choses, et même dans les périodes de crise, les petites entreprises comme nous, c’est encore
plus difficile de consacrer du temps, parce qu’il faut vraiment être constamment sur le qui-
vive. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH.)
2.1.3. Les motifs de la participation au projet GCH
A cette période (été 2007), la participation des acteurs peut donc consister en plusieurs
modalités, identifiées par l’analyse thématique :
- assurer le portage et l’animation du projet (CSM) ;
- apporter une contribution financière (Arve-Industries, via l’AED74 ; l’Etat (ADEC)
via la Direccte départementale et régionale) ;
- participer au comité de pilotage (CSM, représentants d’entreprises – dirigeants et /ou
responsables RH – CTDEC, MDE et SNDEC).
Dans les entretiens, les raisons invoquées par ces structures pour justifier de leur participation
au projet sont déclinées selon trois niveaux.
2.1.3.1. Une mission de la structure d’appartenance
Selon trois personnes issues des organismes financeurs et pour un membre du Copil, ce type
d’actions relève de la mission qui leur a été confiée. Ainsi, un membre du comité de direction
du pôle participe au Copil afin d’assurer le relais auprès de la direction du pôle. La Direccte
accepte quant à elle de financer les actions en étant relais de l’ADEC, car ce type d’actions
territoriales en vue du développement de l’emploi et des compétences fait partie des missions
qui lui incombent. En particulier, la Direccte cherche à encourager les branches

185
professionnelles à construire des dispositifs d’anticipation et à accompagner la gestion
territoriale des emplois et des compétences. De surcroît, peu de pôles de compétitivité ont
engagé de telles actions à ce jour et la Direccte souhaite donc encourager cette initiative.
2.1.3.2. Pour faire bénéficier mon organisation des retombées
D’autres raisons sont invoquées par quatre entreprises et pour une personne issue de la CSM
pour justifier de leur participation au projet. Il s’agit pour la CSM et pour certaines entreprises
de faire bénéficier leur organisation des retombées du projet. La CSM souhaite en effet
réaliser ce projet dans l’optique de soutenir ses adhérents (les entreprises relevant de la
branche industrielle de la métallurgie de la Haute-Savoie). Certaines entreprises engagées
dans le Copil espèrent résoudre les problématiques de main-d’œuvre et de compétences dans
leur entreprise, mais en s’appuyant sur les démarches collectives engagées grâce à GCH. Pour
certaines, il s’agit simplement de faire partie de la dynamique du projet.
2.1.3.3. Pour entrer dans une démarche collective au service du territoire
Un dernier groupe d’acteurs parmi les industriels explicite la raison de leur implication en
évoquant la volonté de participer à une démarche collective, au service du territoire. Il s’agit
pour cinq personnes interrogées au sein des entreprises, de pouvoir agir sur les
problématiques globales d’emploi dans la vallée, mais en considérant le territoire comme
bénéficiaire, tout en apportant, pour certains, leur vision personnelle au projet.
« Je pensais que j’arriverai, à un moment, à faire évoluer les gens et je pensais réellement, je
le pense toujours, que je pouvais porter une très grande contribution à ce projet. (…) J’avais
dans l’espoir de pouvoir créer ici sur le bassin clusien, un centre international de
formation. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH).
Le programme s’est peu à peu organisé et structuré en deux volets. Le premier volet, « Image
et Promotion des Métiers », a déjà démarré et va ensuite fonctionner de manière autonome,
bien que le comité de pilotage demeure commun aux deux volets. Les actions du volet GCH
vont réellement débuter à partir de l’automne 2007.

186
2.2. Le prototypage de la GPEC et les débuts de la GTEC
A partir d’octobre 2007, les actions envisagées dans le cadre du projet GCH sont réellement
amorcées et se concrétisent, notamment sur les diagnostics GPEC, qui seront réalisés au cours
de cette période. Cette phase marque également les débuts de la GTEC, dont le cahier des
charges est en cours de finalisation.
Dès novembre 2007, le programme Talents 2010 fait l’objet de communications dans les
médias locaux : Eco des pays de Savoie, Le Dauphiné Libéré, Le messager, la radio
Mont-Blanc, Canal C et TV8 Mont Blanc. Une consultation d’agences est également en cours
pour avoir une communication homogène et adaptée à chacune des cibles et actions. Le
Comité demande que celle-ci soit organisée en étroite collaboration avec la stratégie de
communication du pôle. Ces actions de communications se poursuivent jusqu’en juin 2008.
2.2.1. La philosophie gestionnaire
2.2.1.1. Les objectifs de départ
Dès octobre 2007, l’ambition globale du programme Talents 2010 vise officiellement à
« rétablir durablement l'adéquation entre les ressources et les besoins quantitatifs et
qualitatifs en personnel des entreprises du pôle » (intitulé de l’objectif du projet dans un
communiqué de presse, octobre 2007). Cette ambition est déclinée sur chacun des deux
volets du programme.
Lors de ce communiqué de presse en octobre 2007, le volet GCH (encore nommé «Projet
GPEC-GTEC » ou « Projet Gestion des compétences ») comporte deux axes. Le premier axe,
d’abord intitulé « Développement des compétences», est destiné aux entreprises du pôle qui
souhaitent développer leur GPEC :
« Pour répondre à ces enjeux, le Pôle mobilise des moyens humains et financiers afin que
chaque adhérent qui le souhaite puisse mettre en œuvre une réflexion sur la gestion
prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Elle débouchera sur des plans d’action
opérationnels. »

187
Le second axe est présenté comme une « Gestion prévisionnelle des besoins » :
« En complément, afin d’optimiser ses ressources, le Pôle prévoit la mise en place d’une
structure permanente chargée de recenser et de valoriser les besoins communs identifiés.
Cet outil de gestion territoriale des compétences devrait permettre entre autres :
- de mutualiser des actions de formation,
- de maîtriser les conséquences des mutations technologiques,
- de préparer les évolutions métiers
- d’anticiper sur les métiers à risque et en tension.
Communiqué de presse Talents 2010, Arve-Industries, octobre 2007
Tandis que l’objectif du volet est clairement défini en ces termes, la plupart des acteurs
engagés, tant les membres du Copil que les entreprises participantes, formulent cet objectif
selon leur propre vision.
Aussi, pour certains, il s’agit d’un objectif visant uniquement le niveau individuel, c’est-à-dire
l’entreprise : pour quatre personnes interrogées, le volet GCH permet d’aider les entreprises
du pôle de compétitivité, notamment les PME, avec leur gestion des ressources humaines :
« C’est ça l’idée. De faire vraiment de la gestion du personnel. Dans toutes les dimensions.
Sans parler de GPEC, parce que là c’était l’épouvantail à moineaux. Donc, utilisons d’autres
mots. C’est-à-dire qu’est-ce qu’on fait pour accueillir les gens aujourd’hui, qu’est-ce qu’on
fait pour les aider, qu’est-ce qu’on fait pour préparer l’avenir avec eux, qu’est-ce qu’on fait
pour gérer les ressources humaines, au sens très classique du terme. Mais cette fois-ci avec
de vraies compétences et non pas avec du bricolage. » (1er chef de programme). Il s’agit pour
ces personnes, uniquement d’entrevoir l’aide du pôle comme un support en termes de
« gestion du personnel » (1er chef de programme), « d’amélioration de la GRH des
entreprises » (DRH ayant participé à GCH) ou « d’outiller les PME » (Responsable Direccte
régionale). Pour deux autres personnes, ce support est davantage en relation avec la GPEC,
vue comme une « gestion des personnes avec l’avenir » (Dirigeant d’entreprise ayant
participé au volet GCH), ou consiste à « définir une stratégie RH » (Dirigeant d’entreprise
ayant participé à GCH).

188
Pour dix autres personnes interrogées, le volet GCH est envisagé dans sa dimension collective
et territoriale : il s’agit pour elles de réaliser un « état des lieux sur le territoire et ajuster les
ressources » (Chef de projet GCH), de « garantir l’équilibre économique et social du
territoire » (Responsable Direccte départementale), de « résoudre les problèmes de main
d’œuvre grâce à la formation » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH), d’« avoir une
base de données pour que chacun se positionne » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à
GCH), etc.
Selon un dirigeant d’entreprise ayant participé au projet, l’objectif du volet est compris
uniquement comme la mise en place de formations.
Enfin, parmi les personnes interrogées, trois d’entre-elles confondent le projet GCH avec le
volet « Image et Promotion des Métiers », ou l’objectif de GCH leur est apparu assez flou :
«En fait, c’était assez vague. Anticiper éventuellement les besoins de la profession, mais en
réalité c’était plus que du virtuel. Je me demandais ce qui allait en sortir, je ne comprenais
pas, alors je me disais, soit je suis idiot, soit je n’ai pas beaucoup appris ! » (Dirigeant
d’entreprise ayant participé à GCH).
2.2.1.2. Les contenus envisagés
La réalisation des actions du volet GCH démarre en octobre 2007 avec le premier axe, qui
concerne la mise en place de démarches de diagnostics GPEC auprès de quelques entreprises
volontaires adhérentes au pôle de compétitivité.
L’axe GPEC est envisagé comme un « prototypage » puisqu’il devrait permettre de mettre en
place et de fixer une méthodologie qui sera ensuite étendue à un nombre plus large
d’entreprises. Le prototypage démarre auprès d’une entreprise, puis quatre en novembre 2007,
enfin neuf en avril 2008. L’objet de la démarche de prototypage est en réalité multiple : elle
vise d’abord à réaliser une photographie à « l’instant T » des processus RH de l’entreprise
(recrutement, intégration, formation, fidélisation, évaluation annuelle, gestion des parcours,
gestion des seniors). Elle vise ensuite à établir quelles seront les grandes évolutions, d’une
part quantitatives en termes d’effectifs, et d’autre part qualitatives, en matière d’emplois et de
compétences :

189
Extrait du compte-rendu de la réunion du Copil, novembre 2007
Le déploiement de l’axe GPEC, est scindé en plusieurs étapes, indiquées dans le schéma ci-dessous :
Méthodologie GPEC
Étape 1 :L’entreprise
Étape 2 :RH 1
Étape 4 :Données salariés
Analyse
Étape 3 :RH 2
Visite ateliers
Étape 5 : Restitution du
diagnostic
Étape 7 :Accompagnement des plans d’action
• Connaissance de l’entreprise
• Organisation pratique de la mission
• Politique RH de l’entreprise
• Outils RH
• Politique RH (suite)• Prospective
• Visite des ateliers
• Récupération des données salariés• Analyse / synthèse• Rédaction du diagnostic
• Partage des conclusions• Définition et appropriation des plans d’actions
• Sensibilisation des managers
• Accompagnement des plans d’action
• Mise en œuvre et
suivi des actions
Étape 6 :Élaboration
des plans d’actions
• Élaboration des plans d’actions en présence de la chef
de projet « Gestion du capital humain » et de l’AVC pour
identification actions formation / actions collectives
PLANS D’ACTIONSDIAGNOSTIC
Accompagnement individuel de 12 entreprises
Figure 28 : Extrait du diaporama de présentation du projet Gestion du Capital Humain, novembre 2009
Démarrage par des démarches individuelles d’entreprises :
- en partant du projet de l’entreprise, définition des conséquences sur l’emploi et
les métiers,
- mobilisation des leviers RH pour développer l’employabilité : VAE, bilans
professionnels, élévation des compétences, DIF …
- travail sur les compétences de demain : évolution du contenu des métiers,
élaboration de référentiels…

190
Tandis que le prototypage de la GPEC a déjà démarré, le cahier des charges de la GTEC est
en cours de réalisation en novembre 2007 et sera finalisé en février 2008. Elle vise à recueillir
auprès des entreprises du pôle, les mêmes informations et données sociales que celles qui ont
été collectées sur l’axe GPEC, mais de manière plus synthétique, à savoir les processus RH,
l’évolution quantitative et qualitative des métiers et des emplois des entreprises. La différence
porte sur l’exploitation de ces données, qui seront mutualisées, analysées puis présentées sur
une base de données commune, disponible sous la forme d’un intranet. Le recueil des
informations sera restreint à quatre secteurs d’activités, et il sera inclus la question des départs
en retraite et la réalisation d’une pyramide des âges. En février 2008, la future GTEC est
explicitement présentée comme un élargissement d’une démarche de GPEC à l’échelle du
pôle :
Extrait du compte-rendu de la réunion du Copil, février 2008
2.2.2. Le substrat technique
2.2.2.1. Les instruments prévus
Lors de cette période, les instruments ayant été élaborés – les actions de diagnostics GPEC –
ne reposent pas sur la formalisation d’un substrat technique. Certes, différents supports ont
bien entendu été construits afin de recueillir les informations sur les axes GPEC et GTEC : ils
prennent l’un et l’autre le visage d’un questionnaire élaboré sous la forme d’un diaporama.
Par exemple, le « questionnaire de collecte GTEC » est réalisé sous la forme d’un document
power-point totalisant 37 diaporamas. Le questionnaire est organisé comme suit (cf. figure 29
Dans le cadre du prototypage, le cahier des charges de la gestion territoriale a été finalisé,
avec les principaux axes suivants :
- Disposer d’une cartographie de l’emploi comme langage commun entre les
entreprises du Pôle de compétitivité
- Identifier les soldes démographiques pour anticiper les besoins
- Disposer d’une analyse des besoins de main-d'œuvre actuels et futurs pour
ajuster la politique d’emploi et de formation
- Disposer d’une vision cohérente et dynamique de la gestion des ressources
humaines à l’échelle du Pôle.
- Identifier les besoins de recrutement : nombre, lieu, qualification…
- Mesurer les écarts et proposer des plans d’action tant au niveau du territoire
et/ou de la branche, qu’au niveau de l’entreprise

191
ci-dessous) : les trois premières sont destinées à recueillir des informations sur l’identité de
l’entreprise. Puis 20 diaporamas sont consacrées à l’état des lieux de huit processus RH (fiche
de fonction, recrutement, intégration, formation, fidélisation, évaluation annuelle, gestion des
parcours, gestion des seniors). Un point supplémentaire traite du parc machines. L’objectif de
cet état des lieux est de savoir si l’entreprise a mis en place chaque processus. Si cela est le
cas, elle tente d’évaluer le degré de déploiement de chacun d’entre-deux. Les huit dernières
diapositives sont dédiés à recueillir des informations sur les clients et les marchés, les
changements envisagés et l’impact potentiel sur les ressources humaines.
Figure 29 : Extrait du questionnaire de collecte GTEC (source : cabinet de conseil).
2.2.2.2. Les documents produits
En revanche, la communication interne (à l’intention des adhérents du pôle) et la
communication externe sur le programme Talents 2010 dont fait partie le volet GCH, sont
relativement fréquentes. C’est à cette occasion qu’un certain nombre d’éléments seront
formalisés. En interne, les documents produits sont principalement des diaporamas de

192
présentation de l’avancée des projets et des comptes-rendus des réunions du comité de
pilotage. En externe, la production de documents consiste à réaliser des communiqués de
presse et la rédaction d’articles auprès des journaux locaux ou RH ; ou bien encore à présenter
les actions développées par le cabinet lors de journées d’échanges.
2.2.3. Les rôles idéaux des acteurs du dispositif
Au fur et à mesure que le programme avance dans le temps, les missions qui incombent aux
différentes structures mobilisées et aux acteurs s’affirment. Bien que le nombre de personnes
faisant partie du Copil soit mouvant, on peut néanmoins à partir de cette période, décrire de
manière plus précise les rôles de chacun sur le volet GCH, d’après l’analyse des entretiens et
des documents.
2.2.3.1. Le rôle du comité de pilotage
Le comité de pilotage intègre des nouveaux membres représentants des entreprises presque à
chaque réunion. La structuration du Copil se renforce petit à petit et son rôle se voit décrit de
la manière suivante :
« Il doit donner les orientations stratégiques, faire converger les positions des industriels,
suivre l’avancement des projets et être informé des résultats des actions menées. Il n’est ni
une chambre d’enregistrement, ni un groupe de travail ». (Extrait du compte-rendu de la
réunion du Copil, février 2008).
2.2.3.2. Le rôle du chef de projet
Jusqu’à présent, c’est le directeur de l’Afpi-Etudoc, également directeur d’un CFAI (Centre
de Formation d’Apprentis de l’Industrie), qui pilote le volet GCH, en parallèle de ses
fonctions. Ce dernier s’est chargé du lancement de l’opération, de la coordination et de
l’animation des groupes de travail, du montage des dossiers financiers auprès de l’ADEC, des
contacts établis avec la Région Rhône-Alpes, la DDTEFP et le Conseil Général. Or la phase
de prototypage étant déjà bien avancée, il semble indispensable aux membres du comité de se
doter d’une personne à temps plein afin de prendre le relais et d’aborder la suite des actions
envisagées, considérées comme la phase stratégique de développement du projet auprès des

193
adhérents ainsi que le démarrage de la GTEC. La lourdeur administrative des dossiers de
financement ainsi que la nécessité de réaliser des comptes-rendus réguliers rend d’autant plus
nécessaire l’embauche d’un chef de projet sur le volet GCH. Son rôle serait d’aller à la
rencontre des entreprises déjà engagées sur le prototypage de la GPEC, puis de démarcher des
entreprises intéressées afin d’élargir cette action à d’autres entreprises ou pour participer
uniquement à la GTEC. Il aurait pour mission également la gestion des dossiers de
financement notamment le respect des critères imposés par le financement ADEC.
2.2.3.3. Le rôle des consultants
Un cabinet de conseil a été retenu pour réaliser les actions de GPEC et de GTEC afin de
réaliser la partie opérationnelle du travail. Les consultants ont élaboré le questionnaire, avec
l’aide des entreprises et après validation par le comité de pilotage, qui servira de base pour le
diagnostic GPEC et pour le recueil des informations afin d’alimenter la GTEC.
Sur l’axe GPEC, le cabinet assure une prestation en cinq étapes : un diagnostic quantitatif et
qualitatif, la formulation de recommandations, la définition des priorités, l’élaboration du plan
d’action, un appui à la mise en œuvre.
Sur l’axe GTEC, le cabinet doit réaliser la collecte des informations en visitant les entreprises
volontaires, puis réaliser la consolidation des données, afin d’en présenter les analyses dans
une base de données construite par le cabinet et présentée sous forme d’un intranet. Les
entreprises qui accepteront la démarche seront contactées par le cabinet qui les rencontrera sur
site pour un entretien de deux heures. Le cabinet remettra ensuite au dirigeant ou à la
personne en charge des RH un « mini-kit GPEC » personnalisé (analyses et projections RH
propres à l’entreprise). La participation du cabinet doit se terminer fin mai 2009, date à
laquelle les différents outils seront transférés au futur porteur.
2.2.3.4. Le rôle des entreprises adhérentes
En dehors des représentants d’entreprises qui participent au Copil, l’engagement des
entreprises sur ces actions (GPEC et GTEC) est ponctuel. Les diagnostics sont réalisés
gratuitement sur plusieurs jours et la participation de l’entreprise consiste à répondre aux
demandes du consultant. Sur l’axe GTEC, la participation des entreprises volontaires consiste

194
également à recevoir un consultant chargé de recueillir un certain nombre d’informations et de
données, afin de réaliser un rapide diagnostic RH, mais surtout d’alimenter la future base de
données. Les entreprises qui ont participé à la GPEC participent également à la GTEC (grâce
à l’utilisation des données), en revanche, la plupart des entreprises sollicitées ne participeront
qu’à l’axe GTEC.
Parmi les personnes interrogées, le niveau d’engagement des industriels est donc très variable
d’une entreprise à une autre. Cet engagement a été très important dans le cas des entreprises
représentées au Copil ; assez soutenu pour celles qui s’engagent sur le volet GPEC puis
GTEC ; très bref pour celles qui participent au volet GTEC uniquement52.; nul pour les
entreprises adhérentes au pôle ayant refusé de s’investir sur le projet GCH.
2.2.3.5. Le rôle des partenaires financiers
Les trois partenaires financiers du volet GCH sont l’Etat (via le financement ADEC, dont le
dossier a été relayé par la Direccte, et est porté par la structure de l’Apides pour la CSM) ; le
Conseil Général (via l’AED74) et la CSM. L’Apidès, l’AED74 et la CSM font partie du
Copil, mais non la Direccte. Le rôle de la Direccte départementale a été d’aider au montage
du dossier, tandis que le rôle de la Direccte régionale a consisté à instruire le dossier au
niveau local puis à évaluer les actions mises en place à partir de critères définis par une
circulaire ADEC :
« Ces évaluations portent sur les actions de formation et la GPEC : qu’est-ce que le chef
d’entreprise a pu en retenir…On doit nous délivrer une copie du plan d’action signée par le
chef d’entreprise, le pôle doit ensuite vérifier la mise en place des actions, au bout de 6
mois ». (Responsable Direccte départementale).
Ce n’est qu’en juin 2008 que la décision sera prise par le Copil de diffuser les comptes-rendus
des comités de pilotage aux partenaires financiers afin de les tenir informés.
52 La participation du nombre d’entreprises au Copil ainsi qu’aux actions engagées dans le projet GCH a été variable au cours du temps. Cela est expliqué dans la suite du texte : certaines entreprises se sont engagées, puis parfois retirées, etc. Néanmoins, on peut estimer qu’environ une dizaine d’entreprises a participé au Copil, une douzaine d’entreprises ont participé à la GPEC, et une soixante à la GTEC. Quant aux formations, elles ont concerné 73 salariés, mais nous ne disposons pas des informations concernant les entreprises d’appartenance.

195
En février 2008, le prototypage GPEC concerne maintenant 6 entreprises, puis 9 en avril
2008, mais le temps de réalisation de l’action, de 3 mois initialement, est étendu à 6 mois. En
juillet 2008, une entreprise abandonne la démarche GPEC, tandis que deux nouvelles
souhaitent bénéficier de cette action, portant ainsi à dix le nombre total d’entreprises
participant à l’action GPEC.
2.3. La configuration finale du dispositif
La transition avec la période précédente est marquée par le fait que le volet GCH est
désormais piloté par une personne à part entière à partir de juin 2008. C’est, de plus, au cours
de cette période que le projet stabilise les actions engagées et prend son visage final (axe
GPEC, axe GTEC et axe formation). Le comité de pilotage continue d’intégrer de nouveaux
membres : deux nouveaux industriels rejoignent le comité de pilotage en juillet 2008, un
représentant de l’Université de Savoie le rejoint en décembre 2008. Le Copil n’intègrera dès
lors plus de nouveaux membres. La fin de l’année 2008 verra le départ à la retraite du chef du
programme Talents 2010, qui était à l’origine de sa création. Il sera remplacé par une nouvelle
chef de programme faisant partie de la CSM. C’est également au cours de cette période que
les pôles de compétitivité entrent dans la phase dite Pôle 2.0, mais aussi surtout, que le projet
connaîtra un sort pour le moins rempli de difficultés.
L’aboutissement de la première version de l’intranet, concrétisée par sa mise en ligne, fera
l’objet d’une communication auprès de l’ensemble des entreprises adhérentes au pôle de
compétitivité :
« Oui, il a été mis en ligne au mois de janvier (2009). J’ai envoyé un email à toutes les
entreprises. Je n’ai pas fait d’évènement collectif, ça aurait fait 200 personnes. Toutes les
entreprises du pôle ont eu la communication. Donc en fait elles avaient un accès différent, si
elles avaient communiqué leurs données, et s’ils elles ne l’avaient pas fait, c’était pour leur
donner envie, en leur disant de monter à bord, y’a une véritable valeur ajoutée. » (Chef de
projet GCH).

196
2.3.1. La philosophie gestionnaire
En juillet 2008 seront présentés les premiers retours des diagnostics GPEC réalisés. Les
actions de l’axe GTEC démarrent presque au même moment où l’axe GPEC touche à sa fin.
Les formations, qui devaient découler des diagnostics GPEC et GTEC réalisés, sont en fait
mises en place dans l’urgence afin de répondre aux critères imposés par les fonds ADEC et
dans un contexte conjoncturel particulièrement difficile pour les entreprises de la vallée de
l’Arve.
2.3.1.1. Les objectifs du projet
Sur l’axe GPEC, la poursuite des actions engagées est envisagée de la manière suivante : la
finalisation de la phase de prototypage devrait être réalisée en septembre 2008 afin que le
dispositif soit déployé auprès d’un plus grand nombre d’entreprises. La démarche, proposée
alors gratuitement jusqu’à présent, sera dès lors réalisée en contrepartie d’une participation
financière de l’entreprise. Il est prévu d’étendre ces diagnostics auprès de 20 à 30 entreprises.
Or, on entre à partir de la fin de l’année 2008, dans une période de crise économique qui
frappe de plein fouet les entreprises de la vallée de l’Arve. En janvier 2009, le déploiement
auprès d’un plus grand nombre d’entreprises des actions GPEC est remis en question, compte
tenu des perspectives peu encourageantes pour l’année à venir. L’objectif 2009 est alors fixé à
14 entreprises au total (dont 7 entreprises déjà impliquées dans le prototypage, certaines
s’étant entre-temps désengagées), en tenant compte des critères de restriction posée par la
DRTEFP, notamment pour les entreprises ayant un effectif supérieur à 300 et les entreprises
appartenant à un groupe. Le bilan de l’année 2008 est réalisé, et la poursuite des actions
prévoit un accompagnement pour gérer les difficultés liées à la conjoncture :
« En 2007-2008, les plans d’actions des entreprises ont été centrés sur l’outillage RH ; 2009
sera orientée sur les plans d’action mutualisés. Pour faire adhérer de nouvelles entreprises
au dispositif, des réunions de sensibilisation collectives et témoignages d’entreprises
pourraient être organisés. Il sera nécessaire pour 2009 de prévoir un accompagnement à la
gestion des difficultés, tout en gardant une vision prospective. » (Extrait du compte-rendu de
la réunion du Copil, janvier 2009).

197
Au cours du mois de février 2009, le diagnostic est finalisé pour 6 entreprises sur les 10
engagées au départ. Un déploiement sur 3 entreprises supplémentaires a été finalement
programmé pour 2009. Cette décision de minorer l’élargissement a été prise en accord avec la
Direccte locale, en tenant compte de la conjoncture. Ce chiffre pourra éventuellement être
revu à la hausse en cas d’une évolution favorable de la situation économique.
Sur l’axe GTEC, le cahier des charges est terminé et le cabinet a démarré la collecte des
informations auprès des entreprises. La GTEC est alors décrite comme une « base territoriale
de données sociales ». Ses finalités sont énoncées en ces termes :
Il est rappelé en février 2009 que la GTEC est un outil collectif permettant de mettre en place
des actions communes, en réponse aux analyses produites (formations, diplômes…).
L’objectif de réaliser des prévisions n’est pas abandonné, mais il est moins prégnant. Un
certain « flou » est maintenu concernant les objectifs du projet.
« La GTEC permettra notamment de disposer d’un état des lieux et d’analyses
telles que :
Cheminement de la construction de la compétence,
Positionnement des processus et outils RH
Capacité des entreprises à prévoir le changement
Pyramide des âges à instant T et projection 3/5 ans
Prévisionnel des recrutements à 3/5 ans
Analyse de la répartition des effectifs de production par coefficient et par
fonction
Analyse de l’effort de formation. »
(Extrait du compte-rendu de la réunion du Copil, juillet 2008).

198
2.3.1.2. Les contenus
Sur l’axe GPEC, la chef de projet a fait part des difficultés rencontrées par les consultants
pour recueillir certaines informations auprès d’une entreprise pour cause de confidentialité. Il
est envisagé de revenir sur ce point de manière plus approfondie lors de la prochaine réunion,
mais il semblerait qu’en réalité cela soit resté en suspens. Pour le moment, l’analyse des
premiers diagnostics fait apparaître des priorités communes concernant le management, les
processus RH, la question de la gestion et de l’anticipation, la communication interne et
externe.
Sur l’axe GTEC, le contenu de l’action vise toujours à recueillir les informations définies les
mois précédents auprès d’un nombre conséquent d’entreprises. L’objectif formulé par le Copil
est de recenser 60 entreprises d’ici la fin de l’année 2008. Lors de la présentation de l’intranet
en décembre 2008 par les consultants lors d’un comité de pilotage, un certain nombre de
points font l’objet de débats et de commentaires concernant le support de la base de
données (l’intranet, appelé « l’outil » par les acteurs du projet) :
- « Pertinence de l’outil » : « l’outil » ne sera considéré pertinent par les acteurs
(notamment industriels) que si le nombre d’entreprises et de salariés est représentatif
du secteur d’activité. Une montée en puissance est prévue, car il est rappelé que le
pôle compte près de 220 adhérents tandis que la base de données recense une
soixantaine d’entreprises. La pertinence de l’outil est également discutée sur les
aspects concernant les métiers étudiés : pour le moment, seuls les effectifs de
production ont fait l’objet de l’étude. Il est évoqué l’importance de faire évoluer le
nombre de métiers concernés.
- « Sécurité » : il est précisé que, pour des raisons de sécurité, il a été décidé de ne
mettre aucun lien informatique entre la base de données et l’intranet. Ces deux outils
sont totalement indépendants.
- « Difficulté de collecte des données » : il est signalé la prudence des entreprises pour
communiquer des chiffres compte-tenu de la situation économique.
- « Pérennité »: la pérennité réside dans la mise à jour des données. Il faut trouver
rapidement des solutions pour faciliter la 2ème collecte de données.
Suite à cette présentation de la première version de l’intranet, les comptes-rendus de réunion
stipule que les représentants d’entreprises souhaitent ajouter aux éléments d’enquête, les

199
données correspondants au parc machines, ainsi que des éléments concernant la politique
salariale et notamment les salaires en sortie d’école et les salaires après deux à trois ans
d’ancienneté. Il sera tenu compte de ces éléments dans la poursuite des travaux.
Un point est réalisé en février 2009 sur l’évolution de la GTEC, qui devra, par la suite,
prendre en compte les éléments suivants : un axe compétence, une réflexion sur les métiers
concernés au-delà des salariés de production et un élargissement du panel des entreprises.
A partir de mars 2009, il est évoqué au cours du comité de pilotage, le fait que l’aspect métier
et les compétences n’ont pas été abordés. Il est donc envisagé un travail en parallèle sur ce
sujet.
A partir de juin-juillet 2008, un axe formation est venu consolider le volet « Gestion du
Capital Humain » afin de répondre aux critères du financement ADEC, car le déblocage de
l’ensemble des fonds sur 2008 est conditionné par la réalisation d’actions de formation
répondant à un cahier des charges très précis. Ces formations doivent être prioritairement
« collectives, transversales, générales, transférables d’une entreprise à une autre (approche
bassin d’emploi) », « être axées sur la « transmission de savoir-faire (tutorat) ou VAE »,
« qualifiantes » ou « assorties de modalités de reconnaissance (attestations de présence à des
stages non valables) ». Elles doivent être envisagées en priorité auprès d’un public de salariés
considérés comme « fragiles » c’est-à-dire soit « peu qualifiés » ou sur des métiers dits « à
risque ou en tension », soit auprès de la population féminine ou des salariés séniors ou
handicapés. Un recueil des besoins de formations mutualisables est en cours. Les éléments
recueillis font apparaître deux tendances fortes et correspondant aux critères d’éligibilité de
l’ADEC : « évolution des opérateurs faiblement qualifiés (montée en compétence technique) »
et « tutorat (transmission des savoir-faire / Faire circuler le savoir-faire technique dans les
ateliers) ».

200
2.3.2. Le substrat technique
2.3.2.1. Les instruments
Sur l’axe GTEC, deux instruments sont élaborés : une base de données « brute »53 et un
intranet, qui présente une mutualisation des données sous forme d’analyses (graphiques,
tableaux, synthèse, etc.).
Une première version de l’intranet est prévue en novembre 2008, puis une seconde en janvier
2009 et enfin une troisième version, qui serait la version finale mise en ligne à disposition des
adhérents. La mise en ligne de la première version, et non de la version 3, est pour janvier
2009. La première version du prototype est présentée lors du comité de pilotage par les
consultants. Certains points font l’objet de débats et de commentaires lors de la présentation
de l’intranet par les consultants lors de la réunion du comité de pilotage de décembre 2008. Il
est notamment proposé de mettre en place des groupes de travail pour la relecture et la
validation des études mises en ligne.
Les pages de l’intranet sont accessibles grâce à un login et à un mot de passe. Les pages sont
présentées de cette manière :
53 Nous n’avons pas pu accéder à la base de données brute, mais nous avons pu consulter librement l’intranet grâce à un login et un mot de passe qui nous a été attribué au démarrage de notre étude de terrain au printemps 2009.

201
Figure 30 : Extrait de l'intranet GTEC, juin 2009
Il est décidé en février 2009, que la version 2 permettra aux entreprises concernées de pouvoir
faire une extraction de données individuelles.
2.3.2.2. Les documents
Quelques documents internes sont produits : il s’agit surtout de documents présentant les
avancées du projet sous différents types de supports : diaporamas power-point, fichiers Excel
ou Word…

202
2.3.3. Les rôles tenus par les acteurs du dispositif
2.3.3.1. Le rôle du comité de pilotage et des « dispositifs satellites »
A partir de mars 2009 se pose alors la question de la continuité de cette méthode
d’accompagnement. La CSM a émis le souhait de ne plus porter ce projet. Plusieurs
possibilités sont envisagées. De plus est évoquée la question du dispositif Securise’RA qui
propose des dispositifs similaires et qui est porté sur la Haute-Savoie par l’AVC 74.
Securise’RA est un dispositif développé par la Région Rhône-Alpes. Il permet de mettre en
œuvre des actions de diagnostics (1 à 3 jours) et un accompagnement (2 à 8 jours) réalisés par
des cabinets sélectionnés par la Région. Les interventions peuvent être menées de manière
individuelle ou collective. De fait, la région semble peu favorable à l’ouverture d’une
nouvelle ligne de crédit pour poursuivre l’engagement financier sur le volet GPEC de GCH,
en raison de l’existence du dispositif Securise’RA. Il est donc envisagé de réfléchir à une
passerelle avec Securise’RA et l’AVC 74.
La réflexion concernant le transfert se poursuit au printemps 2009. Il avait été évoqué la piste
du transfert de l’axe Capital Humain à la structure AVC74. Différentes questions se
posent concernant la prise de relai de la démarche, les moyens d’animation et les ressources
financières. La réalisation des diagnostics RH est désormais arrêtée et demeure partiellement
inachevée. A partir de cette période, plus aucune action n’est envisagée et les discussions
concerneront les modalités de transfert du projet.
Sur le volet formation, un maillage complexe se met peu à peu en place entre les différents
dispositifs existants et qui débordent du strict cadre du volet GCH.
Enfin, le rapprochement entre les volets « Image & Promotion des Métiers » et « Gestion du
Capital Humain », menés de manière indépendante jusqu’à présent, est envisagé, car des
synergies sont entrevues.

203
2.3.3.2. Le rôle du chef de projet
Le rôle du chef de projet est toujours le même, mais son activité est dédiée désormais presque
entièrement au volet Formation, qui a été mis en place dans l’urgence dès fin 2008, et à la
gestion des dossiers de financement :
« Ce sont des dossiers extrêmement complexes, quantitativement et qualitativement à gérer.
C’est le même niveau de complexité qu’un dossier de Fonds Social Européen. Moi ça fait un
moment que je m’en occupe et je suis la seule. Et je passe 50 % de mon temps sur les dossiers
de l’ADEC, car il faut être dans la justification permanente. Parce que c’est l’agent du
contribuable. Donc je remplis des tableaux, des tableaux, des statistiques, et je me dis, pour
l’instant je ne suis pas sur le terrain. (…) Actuellement, je passe 90 % de mon temps sur le
volet formation parce qu’il faut aller vite, car le financement s’arrête à la fin de l’année, donc
on doit finir les formations d’ici là. » (Chef de projet GCH).
2.3.3.3. Le rôle des consultants
Les consultants ont en charge la finalisation des diagnostics GPEC et leur restitution auprès
des entreprises. Ils poursuivent en parallèle la collecte des informations et les retours aux
entreprises sur l’axe GTEC. Le transfert des instruments élaborés par le cabinet vers le Pôle
avait été prévu courant 2009.
2.3.3.4. Le rôle des entreprises adhérentes
En juin 2008, un courrier a été envoyé à 199 entreprises adhérentes au pôle de compétitivité
afin de leur proposer de participer à la GTEC. 45 entreprises ont déjà donné leur feu vert pour
contribuer à la GTEC. Les premiers entretiens réalisés indiquent « un vif intérêt de la part des
PME ainsi qu’une motivation envers cette démarche » (Extraits du compte-rendu de la
réunion du Copil, juillet 2008). En décembre 2008, 64 entreprises ont maintenant donné leur
accord pour rejoindre l’action GTEC.
Les entreprises interrogées et qui ont été contactées pour participer au projet GCH (sur l’axe
GPEC ou GTEC) évoquent différents motifs justifiant leur implication. La mobilisation des
entreprises a été plus rapide pendant les mois précédents, mais il devient de plus en plus

204
difficile d’intégrer de nouvelles entreprises sur l’axe GPEC ou GTEC. La période de crise
économique est souvent citée comme l’une des causes du peu d’intérêt porté au volet GCH
durant cette période.
2.3.3.5. Le rôle des partenaires financiers
La CSM, qui porte et finance une partie du programme, a fait entendre qu’elle ne souhaitait
plus en assurer le portage. Elle souhaite poursuivre sa participation, mais dans une moindre
mesure.
Du côté du financement ADEC, on constate à la fois un assouplissement des critères sur la
GTEC (réduction du nombre d’entreprises recensées), mais aussi un durcissement sur la
réalisation de formations collectives.
Comme cela a été décrit, l’année 2009 voit le projet GCH se fige peu à peu et prend son
visage final. A partir de l’automne 2009, la structure pilote du projet envisage réellement la
transition du portage à une autre structure. Démarre alors une nouvelle période au cours de
laquelle les chefs de projets tenteront de tirer les enseignements de cette expérience. Les
premiers constats du projet aboutissent à un sentiment d’échec partagé par les personnes
rencontrées. Une réflexion autour de la réorganisation du projet est également entamée.
Synthèse de la section 2 :
La section 2 décrit la concrétisation du programme Talents 2010. Après avoir été
officiellement formalisé au sein du pôle de compétitivité, il se structure peu à peu : un comité
de pilotage réunissant des représentants de diverses organisations liées à l’emploi et à la
formation, des institutions publiques, des dirigeants d’entreprises et des responsables RH.
Tandis que des groupes de travail se mettent en place, le programme est scindé en deux
volets : Image et Promotion des Métiers s’occupera de développer l’attraction des métiers du
décolletage et de la mécatronique, tandis que le volet Gestion du Capital Humain sera dédié
au soutien de la gestion des ressources humaines des entreprises du pôle. Ce dernier volet
fait l’objet de l’étude de cas. Le dispositif est ainsi peu à peu élaboré selon deux niveaux
d’action. Le premier niveau est individuel et propose aux entreprises volontaires de renforcer

205
leur démarche de GPEC. Le second volet est collectif et vise à recenser les besoins
quantitatifs et qualitatifs en termes de ressources humaines des entreprises du pôle afin de
pouvoir anticiper l’évolution des métiers et proposer une offre de formation adéquate. Ce
volet est envisagé comme une GTEC et devrait se concrétiser par l’élaboration d’un intranet,
accessible aux différentes parties prenantes du projet.
Après quelques mois, la mise en œuvre de ces deux axes s’avère en réalité plus difficile
que prévue. D’une part, la mobilisation des entreprises, éléments clés du dispositif, est
particulièrement délicate, d’autant plus que la crise économique de 2008-2009 a éloigné un
certain nombre de participants. D’autre part, le dispositif fait l’objet de négociations, tant sur
le niveau de son contenu que des rôles envisagés. Dès lors, le dispositif prend peu à peu un
visage différent de celui qui avait été conçu au départ. A la fin de l’année 2009, c’est
globalement un sentiment d’échec qui prévaut parmi les membres du comité de pilotage
impliqués sur le volet Gestion du Capital Humain. C’est aussi le début d’une période
d’interrogations et de réflexions sur les efforts engagés au sein du volet Gestion du Capital
Humain.

206
3. Le bilan et la réorganisation du projet Gestion du Capital
Humain
Cette troisième phase du projet, démarrant durant l’été 2009, est marquée par le début d’une
prise de recul des acteurs pilotes du projet sur les actions réalisées (3.1.), puis par le transfert
du portage du projet GCH à une autre structure, période à laquelle le projet entre en phase
d’ « hibernation », sans toutefois s’éteindre (3.2.). A la rentrée 2010, le projet GCH semble
renaître de ses cendres, car un premier comité de pilotage sera organisé réunissant de nouveau
quelques membres de l’ancien comité (3.3).
Les principales étapes chronologiques sont présentées ci-dessous : La fin du projet et sa réorganisation (Juillet 2009 – Décembre 2010) : Décembre 2009 : fin du portage du programme Talents 2010 par la CSM Septembre 2010 : première réunion du nouveau projet GCH Décembre 2010 : fin de l’étude de cas.
3.1. Interrogations et réorientations
Les actions de GPEC, de GTEC et de formations ont été clôturées, par conséquent les acteurs
du projet (financeurs, pilotes, entreprises, etc.) commencent à établir quels ont été les gains et
les faiblesses du projet GCH. Globalement, c’est un constat d’échec qui est réalisé, dont les
causes sont multiples aux yeux des acteurs interrogés.
3.1.1. Les gains du projet
Des retombées positives du projet GCH sont identifiées par au moins deux personnes parmi
nos interlocuteurs. La Direccte et la CSM, considèrent que l’apport du projet GCH se trouve
principalement dans la dynamique territoriale engagée sur des thématiques de gestion des
ressources humaines.

207
3.1.1.1. La sensibilisation des entreprises à la GRH
La Direccte considère que le volet GPEC du projet GCH a permis aux entreprises de la vallée
de l’Arve de mesurer l’importance de la gestion des ressources humaines en leur sein et de
l’organiser d’une manière plus structurée. En effet, l’une des raisons pour lesquelles le projet
GCH avait été créé était l’identification d’une mauvaise ou d’une absence relative de gestion
des ressources humaines au sein des entreprises de décolletage, contribuant à l’image négative
véhiculée. Aussi, l’un des apports du volet GCH aurait été d’introduire la notion de GRH
auprès des entrepreneurs. La citation ci-dessous atteste de cette retombée positive :
Sur la GPEC, elles [les entreprises] ont été alertées. Elles ont réalisé que la formation avait
un sens, il y a eu une réelle prise de conscience, elles ont vu qu’il y avait une vraie plus-value
à la montée en compétences de leurs salariés et pas seulement sur les compétences
techniques, mais aussi sur les compétences transversales (…). Donc elles savent qu’on est
obligé d’avancer sur ces sujets là. (Responsable Direccte départementale).
3.1.1.2. Fédérer un grand nombre d’acteurs
Un second point positif identifié par la Direccte et par un dirigeant d’entreprise interrogé,
concerne l’émergence d’une dynamique collective. Selon eux, le projet a permis de
rassembler un grand nombre d’acteurs, autrefois opposés par des logiques concurrentielles. Il
s’agit d’une part, des organisations patronales, qui sont parvenues à coopérer :
« Il y a quand même eu des retombées en terme politique : on a pu fédérer un grand nombre
d’acteurs, il y a eu une plus-value dans la mise en œuvre d’une démarche collective. (…) La
CSM et le SNDEC, qui sont un peu concurrents, ont quand même réussi à collaborer, le
premier l’a mis en place et le second a pris le relais ». (Responsable Direccte
départementale).
Les entreprises, fortement concurrentes, ont aussi réussi à s’accorder sur certains points de
manière à pouvoir travailler ensemble sur des thématiques RH :
« Moi, un des trucs qui m’a le plus surpris, c’est que les entreprises membres du comité de
pilotage, certains d’entre-nous sont concurrents, voire concurrents directs. Et on avait bien

208
compris que la problématique RH, elle allait au-delà de cette situation concurrentielle, et que
face à cette problématique, on était tous dans le même bateau. Si on faisait rien, dans 10 ans
c’était toutes nos boites qui fermaient, faute d’énergie. Donc un esprit de coopération qui
était largement supérieur à ce à quoi je m’attendais. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé
à GCH).
3.1.1.3. Identifier des actions territoriales de GRH
Enfin, le travail réalisé sur la GTEC a, quant à lui, donné lieu à l’identification du degré
global de déploiement des processus RH, après analyse de 32 diagnostics d’entreprises
auditées sur l’axe GTEC. Cette évaluation, réalisée par le cabinet, porte sur les onze processus
RH suivants : les fiches de fonctions, l’intégration, la formation, la fidélisation, l’évaluation,
la gestion des parcours professionnels, la gestion des seniors, le management des hommes, la
sauvegarde des emplois et la GPEC. Chaque processus donne lieu ensuite à une évaluation en
six niveaux : évaluation impossible, processus inexistant, processus en cours de déploiement,
processus partiellement déployé, processus totalement déployé, processus inadapté. Les
résultats sont ensuite calculés en pourcentage. Ainsi, à titre illustratif, l’évaluation du
processus d’intégration montre que 40,6 % des entreprises sont situées sur les trois premiers
niveaux (inexistant à partiellement), et que 59,4 % des entreprises sont donc situées sur les
deux derniers niveaux (totalement à inadapté). A chaque processus correspondent ensuite des
priorités RH à mettre en place dans les 12 prochains mois. Concernant l’intégration, deux
priorités sont identifiées : « 1. Mieux intégrer les jeunes ; 2. Améliorer accueil, formalisation
livret». (Extrait du document « Evaluation du déploiement du processus, Septembre 2009).
Puis il sera établi une synthèse des actions prioritaires, regroupée en quatre « axes de
progrès » : les fiches de fonction, la formation, l’évaluation et la gestion des parcours
professionnels. Cette évaluation sera présentée lors du dernier comité de pilotage de Talents
2010 en octobre 2009, sans que ces pistes ne débouchent sur la mise en œuvre des actions
proposées.
3.1.2. Un apport limité du point de vue des entreprises
Malgré l’identification de quelques points positifs, les retombées du projet sont davantage
considérées comme plutôt ayant eu un impact limité. Parmi les vingt-et-unes personnes
interrogées lors du second volet d’entretiens, quatre personnes (la CSM et trois entreprises)

209
parlent explicitement d’un échec. Les autres personnes sont en revanche plus mitigées et
évoquent l’absence de retours positifs suite à leur participation. Mais globalement, le constat
d’échec qui prévaut est partagé par la majorité des personnes interrogées.
3.1.2.1. Des diagnostics GPEC ayant eu peu de retombées
Les entreprises qui ont participé à l’axe GPEC ont bénéficié d’un diagnostic réalisé par le
consultant et de l’élaboration d’un plan d’action. Quelques-unes se sont appuyées sur les
recommandations formulées, mais il ressort, de manière générale, un apport limité de ces
pistes d’actions. En effet, quatre responsables RH interrogés lors du second volet d’entretiens
reconnaissent ne pas avoir eu assez de temps afin de développer ces actions dans un contexte
de crise économique :
« Quelles ont été les retombées du projet Gestion du Capital Humain ?] Très peu chez nous
malheureusement, car il y a eu la crise en 2008-2009. Ce n’était pas le bon timing pour ce
projet. » (DRH ayant participé à GCH).
3.1.2.2. L’absence de fréquentation de la base de données
Sur le volet GTEC, le constat est celui d’un échec. La chef de projet nous confie qu’elle n’a
eu aucun retour de la part des entreprises ou des autres organisations partenaires sur leur
usage de la base de données depuis la démonstration.
Lors de la première vague d’entretiens, sur les 5 dirigeants, DRH ou RRH rencontrés, une
seule personne admet avoir consulté la base de données après la démonstration. Sur les 12
entreprises interrogées lors de la seconde vague d’entretiens, aucune d’entre-elle n’a indiqué
avoir consulté la base de données. Du point de vue des entreprises, la non-utilisation de la
base de données est liée, pour les 12 entreprises de la seconde vague, au fait que les
informations contenues ne leur sont pas utiles pour gérer leurs ressources humaines. Alors que
la GTEC avait été au départ construite avec et pour les entreprises, celles-ci admettent ne lui
trouver aucune utilité :
« Nous, on ne peut rien faire en tant qu’entreprise de toute façon là-dessus. Je n’ai pas
consulté la base de données ». (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH).

210
Outre les entreprises, considérées comme les principales bénéficiaires au départ du projet, il
s’avère que même les autres acteurs (chefs de projets, financeurs) n’accordent que peu
d’intérêt à la base de données. Son exploitation sera donc limitée à l’identification de quatre
axes de progrès pour les entreprises de la vallée sur des processus RH. Le cabinet de conseil,
rencontré lors de la seconde vague en juin 2009, relie les difficultés rencontrées lors de ce
projet aux tensions politiques entre les différentes organisations du territoire, donnant lieu à
des jeux de pouvoirs dépassant le périmètre du projet GCH.
3.1.3. Les causes externes de l’échec de GCH
Plusieurs raisons sont évoquées par les acteurs interrogés afin d’expliquer l’échec relatif du volet GCH.
3.1.3.1. La crise économique
La crise économique est considérée comme le frein principal sur le volet GCH. Depuis fin
2008, les entreprises de la vallée de l’Arve sont plongées dans de graves difficultés
économiques et amenées parfois à établir des plans de licenciements. Sur le volet GCH, les
conséquences de la crise économique sont multiples aux yeux des acteurs. Elle a d’abord
détourné l’intérêt des entreprises vers des préoccupations autres que la gestion des ressources
humaines ; face à une situation d’urgence, la plupart des entrepreneurs n’ont de cesse de
chercher des solutions pour continuer à faire vivre leur entreprise. Ensuite, certains outils
financiers attribués par l’ADEC, ont du être détournés de leur fonction initiale : en effet, l’axe
formation, qui devait découler des analyses de la GTEC, a en réalité été mis en place
rapidement de manière à procurer aux entreprises des alternatives aux licenciements. Enfin,
alors que le projet CGH avait été lancé dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, la crise
économique vient bouleverser et inverser cette logique, car un grand nombre d’entreprises se
retrouvent alors dans une situation dans laquelle elles sont amenées à devoir gérer le
surnombre de salariés.
3.1.3.2. Le financement
Après coup, l’attribution d’un financement ADEC est considérée comme l’un des freins sur le
volet GCH par les chefs de projet. D’une part, ce financement, comme cela a déjà été

211
explicité, requérait le respect d’un certain nombre de critères contraignants, parfois non
complémentaires avec les objectifs de GCH. D’autre part, la partie administrative du dossier a
mobilisé une grande partie du travail de la chef de projet.
3.1.3.3. L’espace et la territorialité
L’appartenance des individus et des organisations à des territoires, délimités
géographiquement, administrativement ou socialement, est perçue comme l’un des freins du
programme. En effet, le projet CGH a fait cohabiter plusieurs ensembles qui se recoupent
parfois. Ainsi, le pôle de compétitivité est construit à partir d’une spécialisation industrielle, le
décolletage, dont le cœur historique est localisé dans la vallée de l’Arve, où siège le pôle. Or
les frontières du pôle s’étendent au-delà du décolletage et au-delà de la vallée de l’Arve,
jusqu’à inclure notamment Annecy, où siège la CSM, qui a porté le programme jusqu’à la fin
de l’année 2009. Ces clivages sont vécus très fortement par les acteurs du projet.
3.1.4. Les causes internes de l’échec de GCH
Peu à peu, le constat d’une inadéquation entre les objectifs initiaux de GCH et les réalisations
est mis en avant. Cet écart porte essentiellement sur l’instrument GTEC.
3.1.4.1. Le substrat technique
La GTEC, qui prend la forme d’une base de données informatisée, est considérée comme
l’une des raisons de la perte d’intérêt du projet GCH par les chefs de projet. Les critiques
adressées à la GTEC portent sur l’interface, sur son contenu, sur la mise à jour.
Le substrat technique de l’interface, c’est-à-dire l’accès aux synthèses et aux informations
individuelles, est perçu comme peu adapté pour une entreprise :
« Pour tout vous dire, on ne l’utilise pas. Au début on a essayé, l’ergonomie…déjà pour moi
n’est pas complètement aboutie, l’ergonomie n’est pas adaptée à une entreprise » (RRH
ayant participé à GCH).

212
De plus, les informations contenues dans la base de données, restituées dans l’intranet sous
formes de synthèses, sont jugées inadéquates. Pour la chef de projet et « les spécialistes RH »,
la difficulté provient du fait que la base de données ne prend pas en compte les compétences
des salariés, mais s’attache plutôt à recenser les processus RH et les données sociales des
entreprises. Du point de vue des financeurs publics (Direccte), les contenus de la base de
données ne permettent pas d’atteindre les critères requis par le financement ADEC, à savoir
l’élaboration d’un plan de formation adapté au territoire :
« La GTEC, ce n’est pas une opération réussie selon moi. Il n’y a pas de corrélation entre la
GTEC en termes de besoins de formation. » (Responsable Direccte régionale).
Du point de vue des entreprises, certains éléments « essentiels » n’ont pas été pris en compte
dans la base de données, notamment des informations liées à la transmission des entreprises
sur le territoire. Jugés trop complexes et inadaptés, l’intranet est considéré comme
inexploitable par les entreprises. L’un de nos interlocuteurs rappelle que l’objectif du volet
GCH était de réaliser un «observatoire social et économique prospectif », mais que
l’instrument GTEC créé s’apparente plutôt à une « compilation de bilans sociaux statique » :
« Théoriquement le volet GTEC devait permettre de faire un observatoire social et
économique d’un territoire, aujourd’hui en l’état actuel du dossier, ça s’est limité à une
compilation de bilans sociaux d’entreprises, au travers desquels on pouvait identifier quels
types de recrutements on faisait, la courbe d’âge, la moyenne d’âge des entreprises, les
modes de recrutement. Vraiment un bilan social, une compilation de différents modes de
recrutements, une espèce de photographie à l’instant t, qui n’est pas une démarche
prospective. » (Responsable Direccte départementale).
C’est enfin la mise à jour de l’instrument GTEC qui est remise en question, à travers le
substrat technique qui a été créé par le cabinet de conseil pour le recueil des données. Ce
support, et donc également le contenu des informations demandées, est jugé trop complexe.
Un certain nombre d’entreprises n’ont en effet pas été en mesure de remplir le questionnaire
dans son intégralité.
L’objectif initial du projet quant à lui n’est pas remis en cause, car à cette période, il est admis
que les problématiques de main-d’œuvre du territoire seront de nouveau bientôt à l’ordre du

213
jour, lorsque la période de crise sera passée. La philosophie gestionnaire officielle demeure le
rétablissement durable de l’adéquation entre les ressources et les besoins quantitatif et
qualitatifs du personnel des entreprises du pôle de compétitivité.
3.1.4.2. Le rôle des organisations
Enfin, la vision des relations inter-organisationnelles inscrite dans la GTEC suscite quelques
interrogations. Tout d’abord, le rôle tenu par le comité de pilotage du projet est discuté, car le
grand nombre de personnes présentes autour de la table, et issues d’organisations différentes
aurait été l’un des freins à l’avancement du projet. La diversité des membres a été vécue
comme un véritable écueil au pilotage du projet :
« Une usine à gaz ! ….Sur la façon de gérer les choses, sur la gouvernance du truc, avec un
comité de pilotage de 30 personnes et des gens qui ne maîtrisent pas tous les sujets abordés.
L’organisation m’a paru lourde et pas toujours efficace dans la conduite des choses. »
(Université de Savoie et membre du Copil).
Le rôle tenu par les consultants est également désapprouvé sur certains points, notamment sur
la nature des informations recueillies auprès des entreprises, ne permettant pas d’aboutir à une
vision dans le temps de l’évolution des compétences des ressources humaines du territoire.
Enfin, les entreprises elles-mêmes regrettent parfois le manque d’intérêt porté par leurs pairs à
ce projet, ayant conduit à un engagement relativement faible sur les axes GPEC et GTEC par
rapport aux prévisions.
3.1.5. Arve 2.0 : le repositionnement du programme Talents 2010 au sein du pôle
Tandis que le projet GCH et Talents 2010 dans son ensemble entrent dans une phase de
ralentissement, leur place au sein du pôle de compétitivité sera cependant réaffirmée. En effet,
le 23 juin 2009, l’Assemblée Générale des adhérents du pôle a élu un nouveau Conseil
d’Administration et un nouveau bureau, présidé par Monsieur Etienne Piot, Président d’une
grande entreprise de la vallée. A ce même moment, les pôles de compétitivité entrent
également dans la phase dite « Pôle 2.0 », marquée par une première évaluation des pôles de
compétitivité et leur classement en trois groupes. Les prochains critères d’évaluation des pôles

214
de compétitivité prendront notamment en compte les actions de gestion des compétences. Un
contrat de performance a été signé le 4 juillet 2009 entre Arve-Industries et les pouvoirs
publics. Cette nouvelle phase du pôle se concrétise notamment par la mise en place d’une
nouvelle organisation de ses programmes. Le pôle en compte désormais neuf, répartis en deux
grands domaines d’activités stratégiques. Le premier domaine d’activité est intitulé
« Métiers » et comprend ainsi trois programmes métiers (Coupe / Usinage ; Assemblage des
modules ; Mécatronique). Le second domaine d’activités stratégiques est nommé « Qualité et
Performance ». Il rassemble six programmes : Qualité des produits et tolérancement ;
Performance industrielle ; Conception collaborative ; Ressources humaines ; Performance
internationale des entreprises ; Environnement socio-économique. Dans cette nouvelle
organisation, le programme Talents 2010 prend une place importante puisqu’il compte
désormais comme l’un des programmes du Pôle à part entière. De plus, le Président du Pôle
de compétitivité réaffirme l’utilité et le besoin d’un programme dédié au capital humain au
sein d’un pôle comme Arve-Industries.
3.2. Un nouveau départ ?
Le projet Talents 2010 a été transféré au SNDEC depuis janvier 2010. La CSM ne porte
désormais plus le programme et se retire également du financement. Elle continue néanmoins
à participer au programme. Les concepteurs du programme (SNDEC, Direccte, Pôle de
compétitivité et CSM) entament alors une période de réflexion sur la prochaine version du
volet GCH dans le contexte actuel de la vallée, et cela, près de quatre ans après le démarrage
du programme Talents 2010. La période de crise économique tend à se résorber peu à peu,
bien que celle-ci soit encore très présente dans les esprits des acteurs du territoire haut-
savoyard. L’activité reprend petit à petit et les problématiques concernant la pénurie de main-
d'œuvre font de nouveau surface.
3.2.1. Le pôle de compétitivité et la GRH
Malgré la période de crise économique et l’échec relatif du volet GCH, il s’avère que le rôle
du pôle de compétitivité sur les questions liées à la gestion des ressources humaines est plus
que jamais considéré comme nécessaire du point de vue de l’ensemble des acteurs interrogés.

215
« [Le pôle doit-il continuer sur ces questions RH ?] Oui ! [Est-ce le bon acteur pour se
positionner sur ces questions ?] Oui. Pourquoi, d’abord c’est le représentant national de
notre force de la vallée de l’Arve. En termes de communication, au-delà du département de la
Haute-Savoie, c’est le pôle de compétitivité qui a la plus grande aura. Donc c’est pour ça
qu’il faut que ça soit lui qui continue. Parce que c’est lui qui fera la promotion de ça. Ensuite
c’est lui qui arrivera à trouver les fonds pour le faire, parce que ce sont des projets qui
coûtent cher. » (RRH ayant participé à GCH).
A travers les actions engagées sur Talents 2010, le pôle a su gagner en légitimité et est
reconnu comme un acteur clé sur ces thématiques.
3.2.2. Le nouveau dispositif
La suite du projet GCH est donc envisagée par les nouveaux pilotes, dont le chef de
programme Talents 2010 et le nouveau chef de projet GCH, qui est aussi l’animateur de
l’AVC 74. Un comité de pilotage se réunit de nouveau en septembre 2010 au cours duquel la
nouvelle instrumentation sera présentée.
3.2.2.1. La philosophie gestionnaire
La suite du projet GCH repose sur la même idée qui avait été à l’origine du précédent volet, à
savoir la problématique d’une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Il s’agirait bien d’un
instrument d’analyse permettant par la suite de décliner des actions « correctrices » suite aux
pistes dégagées. Ce projet GCH, dans sa nouvelle version, reposerait d’une part sur les
activités déjà conduites par l’AVC 74, à savoir : la gestion d’une base de données pour gérer
les CV, la réalisation d’une ingénierie de formations pour les entreprises de la vallée,
l’animation du dispositif Securis’RA, porté par l’AVC 74 sur ce territoire. Outre la poursuite
des actions de l’AVC 74 dans le cadre élargi du pôle de compétitivité, le projet GCH s’oriente
désormais vers un axe permettant l’accompagnement des entreprises en RH, avec un projet de
mutualisation des fonctions RH au sein d’un groupement d’employeurs. Un second axe
« GTEC » s’orienterait vers « une nouvelle formule plus allégée : soit une base de données
gérée et alimentée par une personne dédiée, mais sur des données moins diffuses, soit une
analyse à « l’instant T » réalisée par un cabinet tous les trois ans ». (Responsable Direccte
départementale).

216
3.2.2.2. Le substrat technique
Le substrat technique n’a pas à ce jour été défini, néanmoins, on peut penser qu’il s’appuie en
partie sur des éléments déjà existants ayant été élaborés par des structures partenaires, comme
le « REM ». Le « REM » est un référentiel de compétences inter-organisationnel concernant
les métiers du décolletage, ayant été élaboré il y a quelques années par le CTDEC,
l’organisme de formation afférent au SNDEC. Le REM est accessible directement en ligne sur
internet et permet de positionner les compétences des collaborateurs sur différents métiers et à
différents niveaux. Il n’a cependant jamais été mobilisé dans le cadre de Talents 2010.
3.2.2.3. Les rôles idéaux des acteurs dans le nouveau dispositif
La nouvelle instrumentation repose sur une vision sensiblement différente de la précédente.
Le rôle de chaque acteur serait redéfini. Les entreprises ne seraient plus utilisatrices de l’outil
GTEC, mais bien les bénéficiaires. Le client principal serait alors le pôle. Le rôle du pôle est
lui-même redéfini, car il s’agirait en effet de s’appuyer sur chacun de ses programmes
techniques. L’évolution des métiers – et donc des compétences – serait déterminée grâce à
une collaboration établie avec les responsables de ces programmes techniques. Ce volet
prospectif serait mis en lien avec l’état actuel des ressources humaines présentes dans les
entreprises :
« Donc on part sur les métiers de production. On se dit : on prend l’outil qui existe déjà, qui
est le REM. Y’a le métier d’opérateur de production, les compétences c’est ça, et ça. On
construit ça, à partir de quatre métiers dans la production. Et on envoie ça aux entreprises, et
on sait très bien que d’une entreprise à une autre, le nom va pas être le même. Ce que nous
on appelle opérateur de production, un autre va l’appeler un aide-décolleteur, d’autres vont
l’appeler un agent de fabrication. Mais on vous a mis à côté les compétences associées. Si
dans ce que nous on appelle un opérateur et que vous appelez un aide décolleteur, vous
estimez que vous demandez 60 % des compétences, alors dans ce cas là, en termes
quantitatifs, vous cochez le nombre que vous avez. On n’aura jamais un truc précis, mais on
aura une tendance, une fourchette. Donc il les met là, et au moins sur les métiers de
production, pour lancer le truc. On pourrait déjà avoir une idée sur l’aujourd’hui : ben voilà,
à l’échelle des entreprises du pôle, on a 500 aides-décolleteurs. Après on pourra peaufiner le
truc, avec l’âge. » (3ème chef de programme).

217
Peu à peu, le terme de VTEC (Vision Territoriale des Emplois et des Compétences) apparaît
afin de mettre en avant le fait que cet instrument permettrait d’obtenir une vision prospective
de l’évolution des métiers et des compétences du pôle de compétitivité.
Synthèse de la section 3
Le projet GCH a connu une période au cours de laquelle le dispositif a été mis de côté. Le
portage du projet GCH a été, entre-temps, confié au SNDEC. Après plusieurs mois de
réflexion, le nouveau chef de projet de Talents 2010 envisage de redémarrer le projet GCH
Un nouveau dispositif est donc conceptualisé.

218
4. Synthèse des résultats et conclusion du chapitre 4
Ce chapitre a souligné l’évolution du projet Gestion du Capital Humain.
4.1. Les réponses aux questions de recherche
Au fil de ce chapitre, nous avons répondu aux différentes questions de recherche. Nous avons
tout d’abord établi que le dispositif avait été conçu à partir d’une philosophie gestionnaire,
d’un substrat technique et du rôle idéaux des acteurs (question de recherche 1). Il a également
été montré que le dispositif avait été conçu par un petit groupe d’acteurs, mais qu’une
pluralité d’acteurs était en réalité impliquée dans le processus de construction (question de
recherche 2).
Ce chapitre a en outre largement montré que la construction d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale était le fruit de multiples modifications dans le temps
portant sur les éléments constitutifs du dispositif (question de recherche 3).
La transformation des trois éléments du dispositif a été particulièrement mise en exergue.
Cette évolution s’est déroulée au cours de la deuxième et de la troisième période et selon trois
moments : tout d’abord, une idée du dispositif est élaborée (des propositions, un cahier des
charges, etc..). Deuxièmement, l’idée laisse place à la mise en place concrète d’actions et à la
réalisation d’instruments. Troisièmement, les réalisations ne satisfont pas les partenaires du
projet et un nouveau dispositif est conceptualisé (une nouvelle idée est donc élaborée).
La philosophie gestionnaire du dispositif a été formulée dès le départ et devait permettre de
rétablir un certain équilibre entre les besoins de recrutement des entreprises de la vallée de
l’Arve et les salariés qualifiés pouvant tenir ces postes. Dans le discours des acteurs, la
perception de la philosophie gestionnaire n’évolue pas. En revanche, les contenus sur lesquels
elle porte vont être modifiés dans le temps. Au départ, lorsque « l’idée » du dispositif a été
élaborée, celui-ci devait avoir une action sur les compétences des salariés des entreprises, les
emplois de la vallée, les besoins de main-d’œuvre du territoire et la formation. Au fur et à
mesure que le projet se concrétise, ce contenu est modifié pour finalement concerner les
processus RH des entreprises du pôle, les données sociales et certains éléments techniques.

219
Les chefs de projets, au fait de cette évolution qui ne les satisfait pas, envisagent alors de
modifier de nouveau les contenus : le nouveau dispositif devrait être conçu afin de prendre en
compte les demandes d’emplois, une aide à l’ingénierie de la formation, des diagnostics RH et
la prospection des emplois.
Cette évolution est synthétisée dans le tableau ci-dessous :
Philosophie gestionnaire
Conception Réalisation Modification
Objectif Rétablir durablement l’adéquation entre les ressources et les besoins quantitatifs et qualitatifs du personnel des entreprises du pôle
Contenu - Les compétences des salariés des entreprises - Les emplois de la vallée - Les besoins de main d’œuvre du territoire - La formation
- Processus RH - Données sociales - Eléments techniques
- Gestion des CV - Ingénierie de la formation - Diagnostic RH - Mutualisation de la fonction RH - Prospection des empois
Tableau 7 : Evolution de la philosophie gestionnaire du projet Gestion du Capital Humain
Certains éléments du substrat technique ont évolué, en particulier le support de la base de
données (cf. tableau suivant). En effet, il devait consister en un intranet accessible à différents
acteurs et faire l’objet de trois versions. Or seule une seule version sera construite, ne
permettant pas d’aboutir aux analyses qui devaient être permises. En revanche, la nouvelle
idée du substrat devrait s’appuyer sur des instruments ayant été construits par d’autres
organismes. Le contrat a pris fin avec le cabinet de consultant et lors du dernier volet
d’entretien, les concepteurs du projet n’envisageaient pas la reconduction d’un travail avec
celui-ci. Enfin, on constate que la communication sur le dispositif était plus étendue lors de la
phase de conception, pour enfin être quasiment inexistante à la fin de la phase de réalisation.

220
Substrat technique Conception Réalisation Modification
Instruments - Questionnaire GPEC - Base de données brute - Intranet (V1, V2 et V3)
- Questionnaire GPEC - Base de données brute - Prototype de l’intranet (V1)
- REM (référentiel des emplois et des métiers) ?
Documents - Communication externe - Communication interne
- Communication externe limitée - Communication interne (présentation du prototype
Tableau 8 : Evolution du substrat technique du projet Gestion du Capital Humain
L’évolution des rôles de chacun des acteurs est notable au cours de ces trois périodes (cf.
tableau suivant). Le rôle du chef de projet au départ est celui d’un animateur et de
coordinateur. Lors de la réalisation du dispositif, les contraintes administratives limitent la
portée du chef de projet sur ces activités d’animation. Les consultants ont construit les bases
du dispositif, se retirent ensuite dans la deuxième période. Le rôle des entreprises en
particulier a évolué. Au départ, les dirigeants et les responsables RH étaient considérées
comme les principaux utilisateurs de l’intranet. Or cela n’a pas été le cas et leur rôle est donc
envisagé de manière différente dans le nouveau dispositif. Les organismes publics ont
renforcé au cours du temps, le rôle de garant des critères publics. Enfin, un nouvel acteur fait
son apparition dans le nouveau dispositif, il s’agit des responsables de programmes techniques
du pôle de compétitivité, dont découlerait une analyse de l’évolution des métiers du pôle.

221
Les rôles idéaux et tenus des acteurs du dispositif
Conception Réalisation Modification
Copil Orientations stratégiques
Orientations stratégiques
NC
Chef de projet Coordination et animation
- Démarcher les entreprises -Gestion administrative
NC
Consultants Réalisation opérationnelle
Transfert de l’outil
NC
Entreprises Utilisatrice : - engagement volontaire - fournir les données sur les salariés - consulter la base de données
- Fournir partiellement les données - Non consultation de la base de données - Désengagement
Bénéficiaires
Organismes publics: Procurer un financement externe
- Garantir le respect des critères de formation
NC
Responsables de programmes techniques du pôle
x
x
Indiquer les métiers et les compétences en évolution
Tableau 9 : Evolution des rôles des acteurs du projet Gestion du Capital Humain
Le dispositif de conception a été qualifié de GTEC car il reposait sur une transposition du
modèle de GPEC « classique » à un niveau territorial. Notre analyse a montré que ce
dispositif s’était en réalité concrétisé en un dispositif distinct de son objectif initial. Bien que

222
les acteurs du projet aient continué à parler de « GTEC », nous proposons de nommer le
dispositif réalisé sous une configuration différente, « mutualisation des diagnostics RH ».
Par la suite, le chef de programme envisage d’élaborer un nouveau dispositif. Il propose alors
d’abandonner le terme de GTEC et d’utiliser celui de « VTEC » pour « vision territoriale des
emplois et des compétences ». Nous proposons de renommer cette configuration
« prospective RH territoriale ».
Ces évolutions sont schématisées dans la figure ci-dessous :
Figure 31 : Transformation du dispositif Gestion du Capital humain

223
4.2. Conclusion du chapitre 4
Ce chapitre a permis d’établir un premier constat sur l’évolution du dispositif inter-
organisationnel GRH territoriale conçu, concrétisé puis nouvellement envisagé au sein d’un
pôle de compétitivité.
En revanche, la question de recherche 4 reste en partie ouverte (les modifications rendent-
elles le dispositif acceptable, voire pérenne ?). Le chapitre 6 établira si les modifications
apportées aux dispositifs inter-organisationnels de GRH territoriale permettent de les rendre
acceptables voire pérennes.
Le chapitre suivant (chapitre 5) relate quant à lui l’évolution du dispositif GTRH développé
par la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors.

224

225
Chapitre 5 : Le projet « GTRH » sur le territoire
nord-drômois ou l’élaboration d’un « outil virtuel » :
analyse du cas 2
Dans ce chapitre, nous allons présenter le déroulement du projet GTRH, mené par la Maison
de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors. Tout comme le chapitre
précédent, celui-ci vise à retracer l’histoire du projet tout en analysant l’évolution du
dispositif inter-organisationnel de GRH territoriale à partir des entretiens et des documents
recueillis.
Figure 32 : Plan de la thèse et chapitre 5

226
Les grandes étapes chronologiques du projet en constituent la structure de ce chapitre, divisé
en trois sous-parties :
La première partie a pour but de retracer les contours historiques de la création de la
Maison de l’Emploi Drôme des Collines Royans Vercors, car c’est au cours de cette
période que s’élaborent les premières réflexions autour d’un projet de gestion
territoriale des ressources humaines.
La deuxième partie indique comment le dispositif a évolué, de l’idée originelle à sa
concrétisation.
La troisième partie indique quels sont les retours d’expérience du premier volet du
projet GTRH, conduisant à la formulation d’un second volet GTRH et à la mise en
œuvre des premières actions.
La conclusion de ce chapitre présente une synthèse de l’évolution du dispositif.
Figure 33 : Etapes chronologiques du projet GTRH

227
1. La naissance du projet GTRH au sein de la Maison de l’Emploi
et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors
La première phase démarre en 2005 avec la labellisation de la Maison de l’Emploi et de la
Formation (MEF) (1.1.), conduisant les acteurs du territoire à entamer des réflexions sur la
création d’un projet « GTRH », dédié à la gestion des ressources humaines sur le territoire
nord-drômois (1.2.).
Les principales étapes chronologiques du projet sont rappelées ci-dessous :
Le contexte de la création de la MEF (2005- octobre 2008) :
2005 : Labellisation de la MEF DCRV
26 mars 2006 : Signature du Contrat de site Romans /Bourg-de-Péage
2007 : Début des réflexions sur la GTRH en lien avec le contrat de site. Demande de
subventions auprès de la Région Rhône-Alpes
Août 2008 : Définition du cahier des charges. Réception du dossier à la Direccte en vue de
subventions. Arrivée d’une personne supplémentaire à la MEF en support du futur projet
GTRH.
Septembre 2008 : Présentation du projet par la MEF à la Direccte. Validation du financement.
Sélection des consultants.
Octobre 2008 : Décision de scinder le projet en deux parties (oct. 2008 – avril 2009 puis juin
2009 à avril 2010) avec exigence de bilan intermédiaire.

228
1.1. Les spécificités du territoire romanais et la création de la MEF
La Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme de Collines Royans Vercors (MEF
DCRV)54 a été labellisée en 2005.
1.1.1. Les fondements historiques de la création de la MEF
Plusieurs évènements sont à l’origine de la création de la Maison de l’Emploi Drôme des
Collines Royans Vercors.
1.1.1.1. La Loi Borloo 2005
Les Maisons de l’Emploi ont été créées en 2005 sous l’égide de Jean-Louis Borloo, alors
ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale. Un cahier des charges national des
Maisons de l’Emploi définit leur structure, leurs missions et leur fonctionnement (arrêté du 5
avril 2005). La possibilité de créer une structure telle qu’une Maison de l’Emploi fait alors
écho aux problématiques rencontrées par les élus locaux sur le bassin d’emplois de Romans.
1.1.1.2. Un territoire en crise et le contrat de site
En effet, en 2005, deux grandes entreprises du bassin romanais, implantées sur ce territoire
depuis plusieurs décennies, sont sur le point de fermer leur établissement. Ce territoire était
autrefois fortement marqué par les industries du cuir et de la chaussure de luxe. La société
Stéphane Kélian Production sera placée à cette période en liquidation judiciaire et l’entreprise
Charles Jourdan en redressement judiciaire. La fermeture de ces deux entreprises sonne la fin
de la spécialisation historique de la région autour de la chaussure de luxe. En 2003, ce secteur
d’activité totalisait un effectif de 1180 salariés. En 2005, 500 emplois seront supprimés.55 Cet
évènement marque un tournant pour le développement économique et social du territoire, et
demeure très présent dans l’esprit des Romanais :
54 Nous emploierons tout au long de ce chapitre, le sigle « MEF » pour désigner la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des Collines Royans Vercors. 55 Source : Contrat de site sur le bassin romanais.

229
« Y’a eu les chocs, quand même, autour de la chaussure. Et une mobilisation des élus du
territoire, comme y’en a rarement eu. C’était en 2005. Ça a créé une émotion incroyable. Les
élus, quel que soit leur bord respectif, se sont emparés de ça, on n’était pas dans une période
de crise économique à ce moment-là (…). C’était franchement la catastrophe. » (Responsable
Direccte départementale).
En réaction à ces deux évènements, les élus du territoire se mobilisent rapidement et
obtiendront la mise en place d’un contrat de site. Celui-ci sera signé entre les représentants de
l’Etat et le préfet de la Drôme le 26 mars 200656. Il débouchera notamment sur la mise en
place d’une plateforme de reconversions et de reclassement. Le rôle joué par le sous-préfet en
charge du contrat de site, Monsieur Pierre Clavreuil, semble avoir été décisif, selon les dires
de cinq de nos interlocuteurs (la directrice de la MEF, la chargée de mission GTRH, la
consultante et deux entreprises). En effet, c’est en partie sous son impulsion que la MEF sera
créée. Elle va en effet constituer l’un des principaux éléments du volet social-emploi.
1.1.2. La structure de la MEF
Créée grâce à la dynamique du contrat de site, la MEF respecte un cahier des charges
national. Elle peut néanmoins intégrer les particularités locales de manière à adapter son
action aux besoins du territoire.
1.1.2.1. Les partenaires
La MEF est une association Loi 1901. Elle est composée des représentants du territoire, du
Service Public de l’Emploi, de l’Etat. Les partenaires sociaux sont aussi membres de
l’association, mais dans un second cercle. Ainsi, toutes les actions développées par la MEF
ont vocation à être organisées de manière partenariale.
56 La mise en œuvre de contrats de site « s’inscrit dans le cadre de la politique d’accompagnement des mutations économiques décidée lors du CIADT du 13 décembre 2002 (…). L’objectif était d’apporter une réponse rapide et appropriée aux restructurations industrielles à impact socio-économique local lourd ». Le pilotage est assuré par le préfet de département. Source : www.territoire.gouv.fr, site consulté le 7 mars 2011.

230
1.1.2.2. L’organisation de la MEF
La MEF est constituée d’un bureau, d’un conseil d’administration et d’une équipe technique.
Le bureau est composé d’un collège de neuf personnes, dont font partie le président, deux
vice-présidents, un trésorier et une secrétaire. Ces membres sont issus des communautés de
communes partenaires, du Pôle Emploi, de la Direccte départementale, du Conseil Général et
de la Mission Locale. Le conseil d’administration est quant à lui composé des représentants
des communautés de communes partenaires et compte quatorze membres. L’équipe technique
enfin, regroupe six personnes, en charge de la gestion administrative et de la mise en œuvre
des actions de la MEF.
1.1.3. La mission de la MEF
1.1.3.1. Une mission officielle
L’objectif principal des Maisons de l’Emploi consiste à réunir l’ensemble des partenaires
locaux relevant des sphères privées et publiques, de manière à pouvoir mener des actions
concertées en matière d’emploi et de développement économique au niveau du territoire :
« La Maison de l’Emploi a pour objectifs d’associer les collectivités territoriales, fédérer
l’action des partenaires publics et privés et ancrer le service public de l’emploi dans les
territoires. La Maison de l’Emploi assure la convergence des politiques publiques de l’emploi
et de la formation professionnelle dans le cadre d’un diagnostic, d’une stratégie et d’un plan
d’action partagés, adaptés au développement économique et social du territoire. ».
Extrait du Cahier des charges des MEF, 5 avril 2005
Le cahier des charges précise également que les MEF reposent sur la mise en commun des
moyens dont disposent les partenaires concernés. Elles doivent, en outre, agir obligatoirement
dans les trois domaines d’interventions suivants :
- L’observation, l’anticipation et l’adaptation au territoire : cet axe vise la réalisation des
diagnostics et l’élaboration d’une stratégie locale afin d’anticiper les besoins des
entreprises et des organismes publics, grâce à la réalisation d’actions de formations.

231
- L’accès et le retour à l’emploi : il s’agit de contribuer à l’amélioration des services
partenaires en charges de l’accueil, de l’information, de l’accompagnement
individualisé et du reclassement des personnes.
- Le développement de l’emploi et la création d’entreprise : cet axe doit permettre
d’anticiper et d’accompagner les mutations économiques et les restructurations du
territoire. Pour cela, le cahier des charges incite au développement d’une gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences et à la création d’activités.
1.1.3.2. Le positionnement de la MEF
La MEF DCRV se positionne elle-même clairement en tant qu’actrice fédératrice, au service
de la mise en relation des différents acteurs locaux. Elle se définit et est définie par l’un des
acteurs publics partenaires interrogé comme l’un des maillons manquant du territoire,
permettant d’articuler les différentes initiatives entreprises en matière d’emploi, de
développement économique et de support aux entreprises. Ceci est d’ailleurs illustré par un
schéma présenté par la MEF (figure ci-dessous) :
2
La Maison de l’Emploi et de la Formation
La MEF
…TerritoireDrôme des Collines Royans Vercors
9 Communautés de Communes
… Acteurs territoriauxEtat et service public de l’emploi
Collectivités territoriales
Partenaires socio-économiques
Anime
et fédère
les…
pour favoriser le
développement de
l’emploi et de la
formation
sur le …
Figure 34 : Extrait du diaporama de présentation du projet GTRH, novembre 2008

232
Elle doit donc parvenir à instaurer un dialogue entre les différents acteurs représentants ces
sphères d’actions au niveau local. La directrice de la MEF rappelle ainsi qu’il ne s’agit pas de
travailler sur des actions déjà mises en place par leurs partenaires :
« Nous on sert de lien. Après on ne remplace pas le Pôle Emploi, on n’ira jamais faire les
recrutements leur place, on ne remplace pas les communautés de communes, qui font leur
boulot avec les entreprises, mais on vient en appui. On vient faire du lien. On vient mettre un
peu d’huile dans les rouages, ou plus simplement un peu d’humanité dans les rouages ! »
(Directrice MEF).
La MEF se met au service de « la bonne vie des entreprises » (Directrice MEF), de manière à
« faciliter le bon développement des ressources humaines ». En effet, les ressources humaines
du territoire, pour la MEF, englobent à la fois les salariés du territoire, les demandeurs
d’emploi et concernent également au premier plan les entreprises, et donc de manière
générale, le territoire.
1.1.4. Les trois axes de travail de la MEF
La MEF organise son action en fonction des trois axes de travail préconisés dans le cahier des
charges national : anticiper, accompagner et accélérer.
1.1.4.1. Anticiper : observation et adaptation du territoire
Le premier axe de travail a pour but de réaliser un diagnostic territorial de l’emploi et des
ressources humaines. Il s’agit pour la MEF de recueillir ou de produire un certain nombre de
données économiques en s’appuyant sur ses partenaires. Il s’agit ensuite de diffuser ces
analyses et ses synthèses, puis de proposer des actions. Ces donc dans cet axe-là que la MEF a
choisi d’inclure les actions concernant la gestion des ressources humaines.
1.1.4.2. Accompagner : accès et retour à l’emploi
Le deuxième axe vise à favoriser la circulation de l’information entre les mairies, les
intercommunalités et le Service Public de l’Emploi afin de faciliter l’accès et le retour à
l’emploi des personnes. Plusieurs outils ou actions ont été mis en place en 2007 et en 2008 au

233
service des élus et des techniciens (inauguration d’un visio-guichet pour les demandeurs
d’emploi en zone rurale ou montagneuse, renforcement des liens le Service Public de
l’Emploi et les élus, actions d’insertion auprès de publics concernés, etc.)
1.1.4.3. Accélérer : développement de l’emploi et création d’entreprise
Le troisième volet, enfin, propose un appui sur la création d’entreprise, un soutien au
développement économique local et de l’emploi.
1.2. L’émergence du projet GTRH (2007-Octobre 2008)
Dès 2007, la MEF commence à développer des actions autour de la problématique de la
gestion des ressources humaines sur le territoire. Parmi les différentes actions engagées, l’une
d’elles sera entièrement dédiée à la gestion territoriale des ressources humaines. L’arrivée
d’une nouvelle recrue au sein de l’équipe technique de la MEF au milieu de l’année 2008,
permet au projet de prendre son essor, alors même qu’un financement public sera accordé à ce
projet à l’automne 2008. Cette nouvelle personne est recrutée afin d’épauler la directrice de la
MEF.
1.2.1. La MEF et la gestion des ressources humaines
La MEF a choisi d’orienter l’axe 1 (« Observation, anticipation et adaptation au territoire »)
notamment vers une démarche de gestion des ressources humaines. Un éventail d’actions a
ainsi été envisagé et celles-ci ont été regroupées en quatre groupes.
Le premier groupe d’actions concerne une étude sur les pratiques et les besoins en ressources
humaines des entreprises du territoire. Réalisée en partenariat avec la Chambre des Métiers,
cette initiative vise à recenser les besoins des entreprises de cinq salariés et plus. Un
questionnaire a été envoyé à 450 entreprises, avec près de 100 retours. Suite à ce diagnostic,
deux actions collectives ont été menées auprès des entreprises adhérentes à la Chambre des
Métiers. La première a permis de travailler auprès des entreprises, en partenariat avec la
Mission Locale, à la professionnalisation des pratiques de recrutement. La seconde action a
consisté en l’organisation d‘actions de formation à la gestion des ressources humaines et de

234
l’échange de pratique. Ces deux journées ont été appuyées sur le dispositif Securis’RA, dont
la MEF est porteuse sur le territoire nord-drômois.
Le deuxième groupe d’actions, réalisé en partenariat avec la Chambre d’Agriculture et
l’ADEFA (Association sur l’emploi et la formation agricole), a consisté à développer un
système d’observatoire agricole des emplois salariés ou des exploitants agricoles.
Le troisième volet a permis d’élaborer un projet intitulé « GTRH » (Gestion territoriale des
ressources humaines), que nous allons ensuite développer.
La quatrième action, enfin, a permis de mettre en œuvre des formations collectives. Les
formations retenues répondent aux besoins de plusieurs entreprises différentes et sont donc
transversales. Les thèmes sélectionnés sont par exemple la bureautique, le secourisme, la
gestion du temps, le droit social, la formation aux entretiens professionnels annuels, l’anglais.
L’ensemble de ces actions participe globalement au développement de la gestion des
ressources humaines du territoire. Néanmoins, c’est ce troisième volet, intitulé « Projet
GTRH », lui-même scindé en plusieurs parties, qui a fait l’objet de notre étude. Un certain
flou demeure néanmoins que le périmètre de ce qui est nommé « projet GTRH ».
« Tout ça est lié. Les résultats de l’action avec la Chambre des Métiers, et les résultats de
l’action avec la Chambre d’Agriculture sur l’emploi artisanal et l’emploi agricole, ont les
réintègre dans les actions GTRH. Et les formations collectives, c’est une action qui coule de
source. » (Directrice MEF).
1.2.2. Les raisons de la création du programme GTRH
La création d’un projet « GTRH » à part entière, dédié à la gestion des ressources humaines et
à destination de l’ensemble des entreprises du territoire concerné, résulte de la congruence de
plusieurs éléments.

235
1.2.2.1. Le contrat de site et la MEF
Dans le cadre du contrat de site, il avait été envisagé de développer un dispositif de GPEC
territoriale autour des métiers du cuir. Mais cette action avait eu quelques difficultés à se
mettre en place et n’était pas parvenue à voir le jour. Il s’agissait pourtant d’une action qui
restait en suspens pour les industriels et les partenaires économiques et sociaux.
« D’abord, y’a eu le contrat de site, où il était question de GPEC, qui ne voyait pas le jour.
Entre les entreprises du cuir, y’avait rien qui sortait. » (Responsable Direccte
départementale).
1.2.2.2. Le cahier des charges de la MEF et les actions RH
A cette même période, la MEF venait d’être créée dans le cadre du contrat de site. Or, le
cahier des charges national des MEF indiquait que celles-ci devaient se positionner sur trois
axes, dont l’un préconise l’élaboration d’une gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences en vue du développement de l’emploi et de la création d’entreprise (axe 3 du
premier cahier des charges des MEF).
1.2.2.3. La rencontre de deux projets de GPEC territoriale
C’est donc à ce moment que le projet de GPEC territoriale du contrat de site et les axes de
travail de la MEF vont se rencontrer : le sous-préfet en charge du contrat de site et le directeur
départemental du travail vont alors demander à la MEF de mettre en place une action
commune. Il sera alors décidé de créer un projet GTRH porté par la MEF, qui associerait en
priorité les entreprises du cuir :
« Dans le cadre du Contrat de Site Nord Drôme, une action prévoit la mise en place d’une
action GPEC en direction des entreprises du territoire de la filière cuir en priorité. Sur la
base d’un constat partagé avec la DDTEFP et le Sous-préfet chargé de mission
concernant la nécessité de mieux appréhender les problématiques d’évolution des
emplois et des compétences sur le territoire du Contrat de site, la Maison de l'Emploi et de la
Formation Drôme des Collines Royans Vercors a souhaité élargir la cible et
développer un projet de véritable Gestion Territoriale des Ressources Humaines Nord

236
Drôme à partir d’un groupe d’entreprises ayant participé activement à la réussite de la
plateforme de reclassement du cuir de Romans. » (Extrait du Cahier des charges du projet
GTRH, septembre 2008).
1.2.2.4. L’influence des dispositifs voisins
Après s’être entendu sur le fait de réaliser une action de GPEC territoriale commune, la MEF,
le sous-préfet et le directeur départemental du travail ont été informés des actions développées
sur le territoire de la vallée de l’Arve par le même cabinet de conseil qui était déjà en charge
de la plateforme de reclassement mise en place à Romans dans le cadre du contrat de site.
« Le directeur départemental du travail a pris le taureau par les cornes, il a dit, « ok, sur la
vallée de l’Arve, il se passe ça, le cabinet de conseil travaille déjà sur la plateforme de
reclassement du cuir, au titre d’un cabinet de reclassement. Sur la vallée de l’Arve, je sais
qu’ils font des trucs sur la GPEC, je vais voir ce qu’ils peuvent faire ici ». Donc on a fait
venir des personnes, on a discuté, on a échangé, sachant que sur le territoire Nord-Drôme, on
n’a pas de branche en tant que telle. » (Responsable Direccte départementale).
Peu à peu, le projet GTRH de la MEF prend forme, tout en étant au départ conçu à partir de la
même trame que celle ayant été élaborée par le programme Talents 2010 au sein du pôle de
compétitivité Arve-Industries :
- un volet reposant sur des diagnostics RH individuels, proposé aux entreprises du
territoire,
- un volet collectif, consistant à mutualiser les informations de manière à bénéficier
d’une vision territoriale des ressources humaines,
- un volet permettant de décliner les constats réalisés en termes d’actions de formation
collectives.
1.2.2.5. Le financement via le Contrat de Projet Etat-Région (CPER)
Au cours du mois d’août 2008, une nouvelle recrue vient agrandir l’équipe technique de la
MEF. C’est également au cours de cette période que les réflexions entamées autour du projet
GTRH sont peu à peu formalisées au sein d’un cahier des charges consacré au projet GTRH.
Ce cahier des charges doit indiquer quels sont les objectifs du projet, en vue de permettre à un

237
cabinet de conseil de répondre à un appel d’offres. En parallèle, une demande de subvention
est faite auprès de la Direccte départementale et régionale.
En septembre 2008, la MEF, qui a sollicité la Région pour un l’obtention d’un financement,
rencontre la Direccte régionale afin de présenter le futur projet GTRH. Les subventions
demandées entrent dans le cadre du Contrat de projets Etat-Région (CPER), qui a été signé
entre l’Etat français et la Région Rhône-Alpes. Il couvre la période 2007-2013 et prévoit
d’allouer un budget afin de financer certaines actions de développement :
« Le contrat de projets Etat-Région est décomposé en plusieurs titres, et notamment ce qui
nous concerne, le titre 13, qui s’appelle « Anticiper et accompagner les mutations
économiques ». Et qui prévoit la mobilisation par l’état de 4 millions 7 euros par an. Dans
toutes les régions, il y a un contrat Etat-Région. Et après chaque région le décline en fonction
de ses besoins, ses caractéristiques. Nous, sur les mutations économiques, on intervient sur le
2 et le 3, sécurisation des parcours professionnels ou accompagnement des reconversions sur
les territoires. Donc là, en l’occurrence, vu que le contrat de projet était en lien avec le
contrat de site, avec la chaussure, nous on l’a rattaché à l’axe 1 sur les reconversions. Après
ce sont des lignes financières. » (Responsable Direccte régionale).
Les inspecteurs du travail en charge du dossier décideront d’accorder ces financements, car
d’une part, le projet GTRH s’inscrit dans le cadre du contrat de site, et d’autre part, sera jugé
« innovant », car proposant une vision territoriale de la gestion des ressources humaines :
« C’est le territoire de la Drôme, qui nous a fait part de ses besoins, et voilà, comme ça
s’inscrivait dans la logique du contrat de site sur la chaussure. Ils ont fait remonter ce projet,
on a estimé que c’était innovant, par rapport au contenu, et donc du coup on a décidé de
soutenir l’action. » (Responsable Direccte régionale).
Mais le financement ne sera accepté qu’à la condition que le projet soit scindé en deux parties,
afin de pouvoir réaliser une évaluation du projet à mi-chemin, de manière à pouvoir
reconduire ou non un financement sur la seconde période. La première période sera établie
d’octobre 2008 à avril 2009 et la seconde de mai 2009 à mai 2010. Une fois la demande de
subvention entérinée, la MEF a procédé au choix du cabinet de conseil et a décidé de retenir
le premier cabinet rencontré.

238
Synthèse de la section 1 :
Cette section a permis de retracer l’historique de la MEF, née dans un contexte de difficultés
économiques. Elle a bénéficié de la dynamique engagée dans le cadre du contrat de site.
Depuis le début de l’existence de la MEF, les acteurs locaux avaient été sensibilisés à la
nécessité de travailler ensemble sur la gestion territoriale des ressources humaines par le sous-
préfet. La MEF s’est alors engagée en particulier sur l’un des axes du cahier des charges
national, en raison de la sollicitation par le sous-préfet et décidera de consacrer une partie de
son action à un projet de gestion territoriale des ressources humaines.
La conception originelle du projet sera influencée au départ par un dispositif voisin. La
réalisation opérationnelle du projet sera confiée à un cabinet de conseil et le design du projet
sera par la suite adapté aux spécificités du territoire romanais, à la demande de l’équipe
technique de la MEF. Il s’agit bien du même cabinet que celui ayant réalisé le projet Gestion
du Capital Humain auprès du pôle de compétitivité Arve Industries, mais la MEF sera en
contact avec l’agence lyonnaise, non l’agence annécienne.
Le financement obtenu auprès de la Direccte permettra d’enclencher le démarrage du projet
GTRH.

239
2. La réalisation du projet « Gestion Territoriale des Ressources
Humaines »
A partir d’octobre 2008, le cahier des charges a été validé et un cabinet de conseil a été
retenu. Le projet s’organise peu à peu et se structure (2.1). Les actions envisagées peuvent
enfin démarrer dès la fin de l’année 2008 (2.2.) et c’est à partir du printemps 2009 que le
premier volet des actions du projet GTRH se termine (2.3).
Les repères chronologiques liés à cette période sont synthétisés ci-dessous :
Le développement du projet GTRH : Octobre 2008 : Début du financement CPER. Démarrage de la mobilisation des entreprises et des actions de diagnostics RH Avril 2009 : Fin de la première période du financement CPER 20 avril 2009 : Comité de pilotage et restitutions auprès des partenaires Mai 2009 : Bilan intermédiaire auprès de la Direccte. Début du second volet de financement CPER 6 juillet 2009 : Restitutions auprès des entreprises Juillet 2009 : Fin des derniers diagnostics RH (fin GTRH I)
2.1. L’organisation du projet GTRH
Le cahier des charges a été finalisé et les demandes de financements auprès de la Région
Rhône-Alpes ont été acceptées. Au fur et à mesure de l’avancement du projet, la MEF
poursuit l’organisation du projet GTRH, de manière à conserver son positionnement en tant
que structure fédératrice et partenariale. La MEF va alors valider le choix du cabinet de
conseil, qui a déjà élaboré des propositions.

240
2.1.1. La structure du projet GTRH
Peu à peu, le projet prend forme et se structure : il comprend l’équipe technique et un comité
de pilotage.
2.1.1.1. L’équipe technique
L’équipe technique du projet GTRH réunit trois personnes, dont le temps est partagé sur
d’autres activités. 120 jours au total entre octobre 2009 et juillet 2009 seront consacrés au
projet GTRH par l’équipe technique de la MEF.
Ce comité technique réunit les membres de l’équipe opérationnelle de la MEF (la directrice
ainsi que la chargée de mission et une responsable Pôle Emploi rattachée en partie à la MEF),
ainsi que son président et son directeur, la direction du travail et le sous-préfet.
2.1.1.2. Le comité de pilotage
La MEF, pilote du projet, prend en charge l’organisation du comité de pilotage. Ce comité de
pilotage se concrétise par une réunion commune ayant lieu tous les 3 mois environ. Cette
réunion régulière a été proposée à l’ensemble des partenaires de la MEF, c’est-à-dire aux
chargés de mission économique des communautés de communes, à la Chambre des Métiers, à
la Chambre de Commerce et d’Industrie, la Chambre d’Agriculture, à l’AFPA, aux Syndicats
Mixtes du territoire, au Pôle Emploi et à la Mission locale, ainsi qu’aux entreprises ciblées
dans les actions du projet GTRH.
2.1.2. Les motifs de la participation au projet par les entreprises
En complément de l’équipe technique et du comité de pilotage, la MEF associe également les
entreprises du territoire, qui sont bien entendu les bénéficiaires du projet, mais également
associées, si elles le souhaitent, au comité de pilotage. Ces différents groupes d’acteurs
apportent ainsi différents types de contribution au projet GTRH, selon les éléments identifiés
dans nos entretiens :
- assurer le portage et l’animation du projet (la MEF et les partenaires de la MEF)
- apporter une contribution financière (la Direccte régionale et départementale) ;

241
- participer au comité de pilotage (partenaires de la MEF et quelques entreprises).
Les raisons invoquées par ces structures pour justifier de leur participation au projet sont
différentes selon les interlocuteurs. Nous les détaillons ici d’après l’analyse thématique.
2.1.2.1. Une mission de la structure d’appartenance
Les partenaires de la MEF s’engagent dans le projet GTRH, car cela fait partie de la mission
de leur structure d’appartenance. Ce projet leur permet d’entrer en complémentarité et non en
concurrence au niveau des actions liées à l’emploi et à la gestion des ressources humaines
déjà développées. Ainsi, l’une des missions qui incombe à la communauté de communes
représentée par RBE (Romans-Bourg de Péage Expansion) consiste à accompagner le
développement des entreprises en allant à leur rencontre, de manière à les aiguiller sur les
différents dispositifs et les outils dont elles pourraient bénéficier. Le projet GTRH fait partie
des dispositifs pouvant être proposés aux entreprises. Les deux chargés de missions des
communautés de communes font part de leur intérêt à connaître les actions développées par la
MEF afin d’en faire bénéficier les entreprises de leurs communes :
« La MEF a des actions sur l’emploi, donc nous on va surtout pas aller les développer, par
contre, j’ai pas envie de faire deux fois le même boulot, c’est d’être en complémentarité.
Après, l’ensemble des actions développées par la MEF se doivent d’être relativement
partenaires. Forcément, plus ils développent d’actions, plus on doit être partenaires. »
(Chargée de mission RBE).
Concernant la Direccte, la participation au projet GTRH au niveau du département entre
également dans les missions de la structure dans le cadre notamment du projet de site.
2.1.2.2. Faire bénéficier mon organisation des retombées
Les raisons invoquées par les représentants d’entreprises interrogées pour entrer dans la
démarche du projet GTRH sont multiples. Un premier groupe de réponse indique que les
entreprises ayant été sollicitées par la MEF ont accepté de participer, afin de faire bénéficier
leur organisation des retombées. Deux d’entre-elles ont déclaré avoir décidé de participer, car
les services proposés étaient pris en charge financièrement. Elles pouvaient ainsi profiter d’un

242
diagnostic RH gratuit. Cela a été l’occasion pour l’une des responsables RH rencontrée,
d’approfondir certains points grâce à l’accompagnement d’un consultant :
« Quand la MEF m’a contactée, j’étais très intéressée par ce diagnostic là, parce que je
voulais un œil extérieur à tout ça. Pourquoi, parce que moi, ça faisait pas longtemps que
j’étais dans le métier RH, déjà je m’étais dit, ça peut toujours servir, puisqu’on n’a pas la
science infuse, et puis ça me permettait de voir comme on se situait sur le plan RH. Moi
y’avait un projet qui me paraissait intéressant, et je n’arrivais pas à le lancer, c’était un
projet de tutorat » (RRH ayant participée à GTRH I).
Une autre entreprise a saisi cette opportunité afin de proposer des formations réalisées
localement à leurs salariés, cela dans un contexte de crise économique. Une autre entreprise
enfin ont évoqué le rapprochement avec les structures locales afin de gagner en proximité au
niveau des recrutements.
2.1.2.3. Pour participer à la vie économique locale
La participation au projet GTRH par les entreprises interrogées est parfois reliée à la volonté
de s’impliquer, en tant que dirigeant, dans l’activité locale de la région :
« En tant que dirigeant d’une PME dans la région, il me semble normal que l’on s’implique
dans l’activité sociale de cette région. Alors on peut le faire par le biais de son entreprise par
la création d’emploi, mais on peut également le faire par la participation avec les
collectivités locales notamment, que ce soit gouvernemental ou indépendant. » (Dirigeant
d’entreprise ayant participé à GTRH I).
La volonté de participer aux initiatives locales est d’autant plus forte que l’entreprise est
renommée et implantée depuis longtemps sur le territoire :
« Et puis comme l’entreprise est aussi assez implantée sur le territoire, on a l’habitude et par
philosophie d’être un acteur du territoire. (…) ici, à Romans, on est connu. Ne pas participer
à des actions de ce type là, quelque part, ça voudrait dire, implicitement, être un petit peu à
l’écart… » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GTRH I).

243
2.2. L’idée originelle du projet GTRH
Le projet va réellement démarrer à partir de la fin de l’année 2008 avec le début des actions
de diagnostics. Une première réunion aura lieu en novembre 2008 afin de présenter le projet
aux partenaires publiques et aux entreprises. Puis la MEF entame les démarches de
sollicitation auprès des entreprises. Un premier ciblage sera réalisé et soixante-neuf d’entre-
elles seront sélectionnées, puis contactées par courrier, par courriel ou par téléphone.
2.2.1. La philosophie gestionnaire
2.2.1.1. Les objectifs
Le cahier des charges du projet GTRH, rédigé au cours de l’été 2008, indique les grandes
étapes du projet :
Trois volets composent le projet de Gestion Territoriale des Ressources Humaines Nord-
Drôme :
Volet 1 - Diagnostics et accompagnements GPEC
o Phase 1 Mobilisation des entreprises
o Phase 2 Accompagnement des entreprises
Volet 2 - Gestion Territoriale des Ressources Humaines
o Phase 1 Collecte et synthèse de données RH territoriales
o Phase 2 Elaboration d’un outil de traitement et de diffusion des données
RH territoriales
Volet 3 - Diffusion, capitalisation et pérennisation
o Phase 1 Entreprises
o Phase 2 Diffusion
Extrait du cahier des charges du projet GTRH, septembre 2008
Le premier volet consiste à mobiliser les entreprises autour des enjeux de GPEC sur le
territoire et à les accompagner sur la mise en place d’actions RH.

244
Le deuxième volet porte sur la construction d’un dispositif permettant à la MEF de bénéficier
d’une vision globale de la gestion des ressources humaines du territoire.
Le troisième volet enfin, a vocation à pérenniser le réseau établi avec les entreprises, afin de
mettre à jour les données recensées et de diffuser ces informations auprès des partenaires de la
MEF.
Le cabinet de conseil intitule de son côté pour le moment le projet GTRH « Développement
des Emplois et des Compétences Drôme Nord » (Extrait du diaporama de présentation du
projet GTRH par le cabinet de conseil, mai 2008). Le cabinet propose de travailler à partir de
plusieurs dispositifs. Les premiers éléments seraient la réalisation de diagnostics GPEC
effectués en cinq à six jours au sein de l’entreprise, et des « portraits-flash » conduits en deux
jours. La mutualisation de ces deux sources d’informations permettrait de réaliser une base de
données territoriale. Ces démarches déboucheraient sur un plan d’action territorial, dont les
bénéficiaires seraient l’ensemble des acteurs du territoire (les salariés, les demandeurs
d’emploi, les acteurs de l’emploi et de l’insertion, les collectivités territoriales, les structures
de formation et les entreprises) (cf. figure suivante).

245
Le projet territorial
SPE
Entreprises
Salariés
Demandeurs d’emploi
Structures de formation
…
Collectivités territoriales
Plateforme d’information
Animation territoriale
Plan d’actions territorial
Serveur internet
Observatoire
Groupes projet
Actions collectives
Echanges de pratiques
Club d’entreprises
GPEC
Les acteurs de l’emploi
et de l’insertion
La GPEC dans les entreprises
Portait Flash dans les
entreprises
Autre informations
Les acteurs du territoire
Données territoriales
Des informations et une animation territoriales
Figure 35 : Extrait du diaporama de présentation du projet GTRH par le cabinet de conseil, mai 2008
L’ensemble de ces actions de diagnostics (diagnostics en 6 jours, portraits-flash et données
territoriales) constitue le projet GTRH. Les données territoriales représentent, à cette période,
la pierre angulaire du projet, puisque l’objectif final consiste à obtenir une vision globale de la
gestion des ressources humaines des entreprises du territoire afin de soutenir le
développement économique :
« C’était aussi l’objectif, d’avoir les données des entreprises, pour voir après ce qu’on peut
leur apporter par la suite. Parce que juste faire un constat, ça sert à rien, donc on a travaillé
avec le consultant qui avait la vue globale, et qui a rencontré toutes les entreprises, pour voir
un peu ce qui ressortait en termes de points communs. » (Directrice MEF).
2.2.1.2. Les contenus
L’objectif global du projet GTRH demeure relativement ouvert au niveau des contenus, car il
vise essentiellement « les ressources humaines du territoire », et oscille entre la GTRH et la
GTEC, entre les emplois et les compétences, selon les termes des concepteurs :

246
« Y’avait ça, et y’avait un autre aspect, c’était la mise en place d’un outil territorial de
gestion des ressources humaines. Alors c’était GTRH, des fois, GTEC, on n’est pas encore
très clair au niveau des dénominatifs, on n’est pas très au point encore. Ressources humaines,
certes, mais les emplois et les compétences d’un territoire… Enfin l’objectif, c’était aussi de
mettre en valeur les emplois et les compétences d’un territoire. Et les mettre en relation aussi,
c’était un petit peu ça. » (Responsable Direccte départementale).
En revanche, les contenus visés par les actions de diagnostics RH, les portraits-flash et la base
de données territoriale sont quant à eux plus précis. Les diagnostics RH et les portrais-flash
ont pour ambition de favoriser la sensibilisation des entreprises à la GPEC. Il s’agit pour le
consultant de réaliser un état des lieux des pratiques de GRH en vigueur dans l’entreprise, de
manière à pouvoir accompagner une réflexion sur l’évolution et l’anticipation de ses emplois
et de ses compétences.
L’outil de diagnostic sur six jours permet de sonder en profondeur les entreprises. Sur ces six
jours, quatre jours sont consacrés au diagnostic et deux jours à la formalisation d’un plan
d’action et au démarrage d’un accompagnement. Une trame commune permettant de réaliser
ce diagnostic est prévue, mais celle-ci est ensuite adaptée au besoin propre de chaque
entreprise.
Les portraits-flash reposent sur le même principe, mais consistent à réaliser un diagnostic RH
plus léger. Il permet aux entreprises les moins outillées d’éviter la réalisation prématurée
d’un diagnostic RH approfondi. Ces portraits-flash reposent sur la réalisation d’un entretien
qualitatif entre le consultant et le responsable RH ou le dirigeant, sur le recueil d’informations
quantitatives afin d’alimenter la base de données. Une restitution à l’entreprise est ensuite
réalisée. Par ce biais, l’objectif est également d’amener le dirigeant à se projeter vers l’avenir
en termes de gestion des ressources humaines.
Dans les deux cas, les diagnostics et les portraits-flashs ont pour ambition de sonder sept
processus RH (le recrutement, la fidélisation, la paye, la politique salariale). Ces thématiques
sont systématiquement abordées afin d’obtenir des informations de nature homogène qui
puissent être mutualisées. Quelques questions concernant le territoire étaient également
prévues de manière à alimenter la base de données. Enfin, des métiers transversaux étaient

247
ciblés (maintenance, logistique), car ils avaient été identifiés comme des métiers clés dans
beaucoup d’entreprises, et sources de difficultés de recrutement.
2.2.2. Le substrat technique
2.2.2.1. Les instruments
Les diagnostics RH réalisés ainsi que les portraits-flash seront synthétisés au sein d’une base
de données sous format Excel. Nous avons pris connaissance de cet instrument, mais nous ne
pouvons en donner une illustration, car elle comporte des informations confidentielles sur
chaque salarié des entreprises ayant été sollicitées.
2.2.2.2. Les documents
Plusieurs documents de présentation du projet GTRH sont élaborés, parmi lesquels le cahier
des charges et un diaporama de présentation à l’intention des partenaires de la MEF. Le
cabinet de conseil a également réalisé un diaporama de présentation du projet en réponse au
cahier des charges.
2.2.3. Les rôles idéaux des acteurs du dispositif
Le projet envisage les relations inter-organisationnelles de manière à faire collaborer deux
groupes principaux d’acteurs : les entreprises du territoire et les acteurs territoriaux, comme
cela est illustré ci-dessous :

248
4
Le projet
DES ENTREPRISES DYNAMIQUESqui fidélisent leur
personnel et anticipent les évolutions RH
DES ACTEURS TERRITORIAUX
qui accompagnent les entreprises et les personnes
pour répondre aux enjeux repérés
Figure 36 : Extrait du diaporama de présentation du projet GTRH, novembre 2008
Parmi les acteurs territoriaux, on distingue plusieurs sous-ensembles d’acteurs : l’équipe
technique, le comité de pilotage, les consultants, les entreprises, et les financeurs.
2.2.3.1. Le rôle du comité technique
L’équipe technique est en charge de l’ingénierie et du pilotage du projet, qui recoupe
principalement ces activités : montage du dossier administratif et rédaction du cahier des
charges en vue des demandes de financements ; choix du prestataire pour la réalisation des
actions de diagnostics RH ; rencontres régulières avec le prestataire afin d’ajuster les actions
mises en œuvre, contacts et démarches auprès des entreprises ; réalisation de bilans et de
synthèses ; informations auprès du comité de pilotage et des membres de la MEF.
2.2.3.2. Le rôle du comité de pilotage
Le comité de pilotage est envisagé comme une instance de communication sur le projet
GTRH :
« Sur le projet GTRH, on a fait plusieurs rencontres, à la fois collectives et individuelles avec
les partenaires du territoire, pour dire : «qu’est-ce que vous attendriez de ce type d’outil ?»,
et avec deux idées à chaque fois : « qu’est-ce que vous pouvez apporter, et qu’est-ce que vous
en attendez pour vous ? » Du coup, on fait la synthèse des attentes et des apports de chacun,

249
pour voir comment on pouvait ensuite mettre quelque chose qui intéresse tout le monde. »
(Directrice MEF).
Réunie de manière régulière tous les trois ou quatre mois en fonction de l’avancée du projet,
l’équipe opérationnelle dresse un bilan des actions ayant été menées au comité de pilotage.
Elle présente également les pistes envisagées pour la poursuite de ces activités et recueille les
avis de chacun des membres afin d’orienter les prochaines actions. Parfois, des groupes de
travail sont formés à la demande de l’équipe technique, associant alors plusieurs personnes
relevant d’organismes différents.
2.2.3.3. Le rôle des consultants
Les consultants ont en charge la réalisation des diagnostics et des portraits-flash auprès des
entreprises, ainsi que l’élaboration de la base de données territoriale. Lors des diagnostics, il
est prévu que les consultant rencontrent le dirigeant ; les responsables RH et un panel de
salariés (représentants du personnel).
2.2.3.4. Le rôle attendu des entreprises adhérentes
D’après les entretiens et les documents, le rôle attendu des entreprises se décline à plusieurs
niveaux : à un premier niveau, la participation attendue des entreprises consiste à accepter
d’entrer dans le projet GTRH en réalisant soit un diagnostic RH soit un portrait-flash. En
contrepartie de ce service gratuit, les entreprises accepteraient de fournir un ensemble
d’informations, visant à alimenter la base de données. Au démarrage du projet, la MEF
envisageait la participation de 20 entreprises pour les diagnostics RH et 40 portraits-flash.
Un second niveau de participation concerne la présence aux réunions de comité de pilotage.
2.2.3.5. Le rôle des partenaires financiers
Le rôle des partenaires financiers se décline sur deux niveaux : à l’échelon régional, le rôle de
la Direccte est d’instruire le dossier de demande de subvention. Après réception du dossier,
ceux-ci valident le financement accordé et exigent des rapports intermédiaires afin d’évaluer
la concordance entre le cahier des charges et les actions réalisées. A l’échelon départemental,

250
la Direccte (UT Direccte de la Drôme) assure le relais au niveau régional. Elle a en charge le
transfert du dossier au niveau régional ainsi que le suivi régulier du projet sur le terrain.
2.3. Les réalisations concrètes du projet GTRH
Les diagnostics RH ainsi que les portraits-flashs démarrent en février 2009. Le premier volet
du projet GTRH, nommé « GTRH I » prend peu à peu sa forme définitive et se termine durant
l’été 2009. Les réalisations concrètes vont être globalement en concordance avec l’idée
originelle. Les éléments qui s’en distinguent concernent la réduction du nombre d’entreprises
participantes, le décalage dans le temps de la réalisation des diagnostics RH et des portraits-
flash.
2.3.1. La philosophie gestionnaire
2.3.1.1. Les objectifs du projet
L’objectif du projet GTRH demeure formulé encore de manière assez peu précise, mais il
semble s’être détaché de l’idée de développer l’emploi et les compétences au sens strict. Cet
objectif est ainsi peu à peu orienté vers la coordination et l’animation des actions liées à
l’emploi et à la gestion des ressources humaines. L’équipe opérationnelle s’est en effet
aperçue que la demande des entreprises concernait davantage un besoin d’informations et de
mise en réseau, qu’une réflexion territoriale sur l’évolution des emplois et compétences. La
Direccte départementale formule cet objectif en termes de résultats attendus de la manière
suivante :
« Si les autres acteurs du territoire, que ce soit élus, service public de l’emploi, ont aussi une
visibilité de ce qui se passe sur le territoire, je pense qu’on aura gagné. Et qu’ils n’auront pas
l’impression que ce sont des actions ponctuelles, qui peuvent se chevaucher. Mais qu’il y ait
une vraie coordination entre tout ça, et une vraie logique. Pour moi, si les acteurs ont cette
perception des choses, on a déjà gagné. » (Responsable Direccte départementale).

251
La visée finale consiste bien à soutenir la GRH des entreprises de manière à développer
l’attractivité du territoire, du point de vue des salariés, mais aussi de celui de futurs
entrepreneurs :
« L’idée de l’outil territorial était volontairement très vague, car la MEF ne voulait pas
s’enfermer dans un outil quelconque. L’important n’est pas le volet technique, mais l’aspect
animation. Donc on n’a pas débouché sur un outil intranet. 16 entreprises, tous secteurs
confondus, ont participé. La base de données qu’on a obtenue n’a pas de valeur générale.
L’intérêt n’est pas l’outil lui-même, mais ce qu’on peut faire en termes d’animation
collective : communication, information, mobilisation des entreprises, etc. » (Consultante).
2.3.1.2. Les contenus
Les contenus visés par le dispositif consistent bien à recueillir et à analyser un certain nombre
d’informations telles que les données sociales et le degré d’avancement de l’entreprise sur
sept processus RH. Les diagnostics RH et les portraits-flash ont été réalisés dans la lignée de
ce qui avait été décidé au préalable. Avant le démarrage du projet, le terme de « compétence »
avait été utilisé à plusieurs reprises. Mais lors de la réalisation de ces actions, l’idée de
prendre en considération les compétences des salariés des entreprises dans les diagnostics RH
et les portraits-flash est mise de côté :
« Il s’agit plus de diagnostics RH que de la dimension compétence. On est plus sur des
questions RH emplois et métiers que sur de la compétence. On est arrivé à un moment sans
difficultés de recrutement, donc on n’était pas sensible à la question des compétences. C’est
difficile de parler des compétences lorsqu’on est sur du multisectoriel, sauf peut-être sur les
métiers transversaux (logistique, maintenance). Dans les entreprises où les fiches de poste
n’existent même pas, je n’y crois pas. Il s’agit plus de traiter des questions de motivation,
d’implication. On est plus sur des questions managériales. » (Consultante).
De même, une problématique de recrutement avait été identifiée sur certains métiers
transverses à plusieurs entreprises (maintenance, logistique…), mais la période de crise
économique a eu pour effet la résorption des tensions liées à l’embauche.

252
L’élaboration de la base de données territoriale s’est avérée délicate, car plusieurs entreprises
ne sont pas parvenues à alimenter certaines rubriques, comme par exemple le niveau de
qualification de leurs salariés :
« C’est un peu long, même pour les entreprises aussi à remplir. Parfois elles ont du mal,
parfois on est allé avec elles pour les aider à remplir pour être sûr qu’elles comprennent bien
l’intitulé et tout. C’est vrai que c’est quand même lourd. » (Directrice MEF).
Les contenus de la base de données, qui auraient dû être utilisés afin de déboucher sur une
analyse territoriale, sont rapidement jugés inexploitables :
« L’idée au départ, par exemple, on voulait travailler sur les lieux de résidence, pour
travailler sur la mobilité géographique. (…) c’est super long à traiter, donc voilà, on n’a pas
fait. Par rapport à la fonction, savoir quelle est l’évolution, en reliant « fonction » et « date
du poste », pour voir si effectivement y’a eu évolution professionnelle ou pas. Donc voilà, on
a des idées derrière la tête, après c’est un grand nombre de données. » (Directrice MEF).
2.3.2. Le substrat technique
2.3.2.1. Les instruments
Les diagnostics RH et les portraits-flash ont été mutualisés (de façon anonyme) et ont donné
lieu à la rédaction de synthèses.
La base de données territoriale s’est quant à elle matérialisée sous la forme d’un tableau
Excel, permettant de présenter le nom du salarié (en ligne) et les données collectées (en
colonnes). Elle totalise au final un ensemble d’environ 1 500 salariés. Jugée peu
représentative et difficilement exploitable, la MEF va donc décider de l’abandonner.
« [Et la base de données ?] On l’oublie. (…) Puis à exploiter…pff…disons que c’est très gros,
et à la fois pas assez. C’est hyper dur à exploiter manuellement. On ne peut pas faire une
exploitation industrielle, enfin sous-traiter quelqu’un, et en même temps, ce n’est pas si
représentatif que ça, parce que ce ne sont que 50 entreprises. Y’a pas grand-chose dedans.

253
C’est vrai qu’en fait, on avait les deux volets, quanti et quali, sauf que ce volet quanti, il ne
sert pas à grand-chose. » (Chargée de mission MEF).
2.3.2.2. Les documents
Une brochure de présentation du projet GTRH a été réalisée et proposée à la fois aux
entreprises et aux partenaires. Elle présente les enjeux de la GPEC et de la GTRH ainsi que
les différentes modalités de participation (soit le diagnostic GPEC, soit les portraits-flash). Un
petit encadré stipule que les données sont confidentielles, grâce à la signature d’une charte de
confidentialité entre le cabinet de conseil, l’entreprise et la MEF.
Des supports communs de restitution des diagnostics RH et des portraits-flash ont été élaborés
par le cabinet de conseil sous forme de diaporamas.
Des diaporamas de présentation du projet GTRH seront également produits à l’occasion du
comité de pilotage réuni au cours du mois d’avril 2009 et lors de l’Assemblée générale de la
MEF ayant eu lieu en juin 2009. Ces supports dressent un bilan des actions réalisées.
2.3.3. Les rôles tenus par les acteurs du dispositif
2.3.3.1. Le rôle du comité technique et du comité de pilotage
Le comité de pilotage a été réuni en avril 2009 par le comité technique, qui a souhaité
présenter l’avancement du projet GTRH. Quelques résultats statistiques issus de la base de
données ont été exposés (moyenne d’âge, ancienneté moyenne dans l’entreprise) ainsi que les
principaux enjeux communs repérés : contextes de changements plus ou moins maîtrisés,
élévation du niveau de compétences et développement de la polyvalence, capitalisation et
transfert de savoir-faire, gestion difficile de la mobilité et des carrières dans des structures de
taille limitée. Suite à ce diagnostic, le comité technique présente au comité de pilotage les
pistes d’actions envisagées :
- Des partages d’expériences, une sensibilisation et l’apport de témoignages sur les
problématiques clés auprès des PME sur des thématiques telles que la mobilité, la
gestion des évolutions professionnelles, la capitalisation et la formation interne,
l’approches compétences)

254
- Des formations et un accompagnement à l’attention des responsables RH sur la
polyvalence, l’évaluation des salariés, la description des situations de travail
- Des formations communes pour les salariés (Management, langues, bureautique et
internet)
2.3.3.2. Le rôle des consultants
Le cabinet de conseil est toujours associé au projet GTRH et a réalisé les diagnostics RH, les
portraits-flashs et la base de données territoriale, comme cela avait été prévu.
2.3.3.3. Le rôle des entreprises adhérentes
Sur les soixante-neuf entreprises contactées, seize entreprises ont finalement participé au
projet GTRH : onze diagnostics RH ont été réalisés, ainsi que cinq portraits-flash. Les
entreprises participantes sont en majorité industrielles, mais d’autres secteurs sont représentés
(BTP, santé, services…). Elles se trouvent sur huit communautés de communes différentes.
Les résultats des diagnostics mutualisés ont été également été présentés aux entreprises lors
d’une réunion de restitution en juillet 2009. Huit entreprises étaient présentes :
« Et ensuite on a proposé aux entreprises lors d’une réunion de restitution début juillet 2009,
donc c’est des actions qu’on a essayées de prioriser, en fonction est-ce que c’est facile à
monter ou pas, est-ce que c’est très important à monter ou pas, est-ce qu’on va pouvoir y
arriver tout seul ou est-ce qu’on va devoir associer d’autres partenaires. Donc on a essayé de
les classer et ensuite on a proposé aux entreprises, on n’a pas eu un retour… Enfin a priori
ce sont des actions qui leur parlaient, mais on n’a pas eu un retour forcément, un
engagement…soudain ! (rires). Mais bon, a priori c’était des actions qui avaient l’air
d’intéresser les entreprises. » (Directrice MEF).
L’objet de ces réunions était de favoriser l’échange à propos des ressources humaines à
l’échelle du territoire, de valider ou de compléter les enjeux identifiés. Mais au-delà de ces
constats, la volonté de la MEF était aussi d’aboutir à la définition de pistes d’actions, en vue
d’accompagner la gestion des ressources humaines des entreprises du territoire.

255
Les entreprises se montrent intéressées, mais sans toutefois faire preuve de l’engagement
souhaité par le comité technique.
2.3.3.4. Le rôle des partenaires financiers
En Mai 2009, la MEF présente un bilan intermédiaire des actions développées auprès de la
Direccte régionale. Le montant des fonds dépensés par la MEF pour la réalisation du projet
GTRH a été en réalité moins élevé que la somme allouée dans le cadre du Contrat de projets
Etat-Région (soit 131 000 euros ), car, d’une part, le nombre de diagnostics RH et de
portraits-flash réalisés ont été moins nombreux, et d’autre part, certaines actions ont dû être
décalées sur la seconde période du projet. La Direccte régionale, qui avait déjà attribué une
avance de ces fonds, a réduit la somme totale allouée. Le projet GTRH a été supporté à 50 %
environ grâce au CPER, la différence ayant été financée sur les fonds propres de la MEF. Elle
donne néanmoins une évaluation positive du volet GTRH I.
Synthèse de la section 2 :
La section 2 a permis de mettre en exergue l’évolution du dispositif qui sous-tend le projet
GTRH. Des ajustements ont été nécessaires afin de mettre en œuvre les actions envisagées.
Le dispositif visait au tout début du projet, l’anticipation de l’évolution des compétences des
salariés du territoire. Il a ensuite été formalisé dans le cahier des charges, d’une manière
différente, puisqu’à ce moment-là, le projet doit permettre d’obtenir une vision des
ressources humaines du territoire, grâce à deux actions, l’une au niveau individuel via les
diagnostics RH et les portraits-flash, l’autre au niveau collectif avec l’élaboration d’une
base de données territoriale. A la fin du premier volet GTRH, la base de données, qui
constituait la pierre angulaire du projet, est remise en question, mais le projet recueille
néanmoins l’approbation de la Direccte, qui accorde alors à la MEF la suite des fonds
nécessaires afin d’élaborer un second volet.

256
3. Le redéploiement en vue d’un projet GTRH II
La transition avec la phase précédente est marquée par la fin des actions de diagnostics RH et
des portraits-flash, c’est-à-dire la fin du premier épisode de la GTRH. Une réunion de
restitution auprès des entreprises clôt « la GTRH I » en juillet 2009 et un bilan intermédiaire
est réalisé (3.1.) C’est au cours de cette période que la base de données territoriale est
définitivement abandonnée. Le comité technique redéfinit et précise la philosophie
gestionnaire du dispositif qui s’oriente désormais vers un projet GTRH II (3.2. et 3.3.).
Voici ci-dessous les principaux repères chronologiques de la fin du projet GTRH :
Le redéploiement en vue du projet GTRH II
Automne 2009 : Bilans de la GTRH I, réunion de restitution avec la Direccte et proposition
de « l’outil virtuel », réflexions autour de la GTRH II
21 décembre 2009 : Arrêté du 21 décembre 2009 portant cahier des charges des maisons de
l’emploi
10 février 2010 : Comité de pilotage GTRH (par courriel)
Mai 2010 : Fin de la seconde période de financement CPER.
4 mai 2010 : Comité de pilotage GTRH (restitution GTRH I et propositions GTRH II)
Août 2010 : Rédaction du bilan GTRH II
Novembre 2010 : Fin de l’étude de cas.

257
3.1. Un premier bilan intermédiaire
La MEF a pu se faire connaître en tant que structure locale au service des entreprises, grâce à
un éventail d’actions qu’elle a développées depuis 2007 et dont fait partie le projet GTRH.
3.1.1. Le positionnement de la MEF vis-à-vis des entreprises
Après plusieurs années de fonctionnement, la MEF a su acquérir une certaine légitimité,
exprimée par les entreprises et les partenaires de la MEF interrogés. Son rôle et les
spécificités de ses missions sont malgré tout parfois encore flous aux yeux de certains qui
assimilent la MEF au Pôle Emploi.
3.1.1.1. Un intermédiaire nécessaire sur le territoire
A la fin du projet GTRH, quatre entreprises ont exprimé un avis favorable envers la MEF, car
elle joue le rôle d’intermédiaire entre les autres acteurs locaux. Elle permet de les mettre en
réseau, d’établir un dialogue et de coordonner différentes actions. De ce point de vue, la place
tenue par la MEF est considérée comme nécessaire sur le territoire.
3.1.1.2. Mobiliser des entreprises peu sollicitées
Du point de vue des représentants des communautés de communes interrogés, l’une des
capacités de la MEF réside dans le fait de démarcher les entreprises du territoire en allant au-
delà du réseau des entreprises connues et déjà actives. Elle assure donc un élargissement du
panel des entreprises interrogées faisant partie du réseau établi par les partenaires locaux.
3.1.1.3. Contribuer à redynamiser le territoire
La MEF a développé, en parallèle du projet GTRH et sur ses deux autres axes de travail, un
large panel d’actions à l’attention des entreprises locales. Elle bénéficie donc d’une image
dynamique auprès des entreprises, qu’elle a pu solliciter à plusieurs reprises pour différents
projets.

258
3.1.1.4. La confusion avec le Pôle Emploi
Malgré l’image plutôt positive associée à la MEF par les entreprises, certaines ne font
toutefois pas de distinction avec le Pôle Emploi. En effet, le Pôle Emploi a pris en charge la
cellule de reclassement créée dans le cadre du contrat de site, et délègue également une
ressource à la MEF sur le projet GTRH. La cellule de reclassement et la MEF sont logées
dans le même bâtiment. Cette absence de distinction entre ces deux structures ne dérange pas
la MEF, pour qui la confusion serait la preuve de la réussite de la mise en réseau des acteurs,
qui ne retiennent que l’interlocuteur final.
3.1.2. Les retombées du projet pour les entreprises
Du point de vue des entreprises rencontrées, le projet GTRH est considéré comme plutôt
bénéfique sur plusieurs points.
3.1.2.1. Consolider et approfondir des problématiques RH
Pour 3 entreprises sur les 6 interrogées lors du premier volet d’entretiens, la participation au
projet GTRH a été l’occasion de mettre en œuvre ou d’approfondir des initiatives que le
dirigeant ou le responsable RH ne parvenait pas à développer à lui seul. Il pouvait s’agir, par
exemple, de travailler sur des fiches de postes, sur le développement de la polyvalence, la
réalisation d‘actions de formation, le rôle des managers de proximité :
« On avait depuis longtemps identifié des métiers. Pour être franc, la démarche qu’on a faite
avec le territoire de Romans nous a aidés à aller plus loin dans cette problématique-là. Ça
faisait partie du deal qu’ils nous avaient proposé, c’est-à-dire on fait une étude qui servira le
territoire, mais dont l’entreprise pourra bénéficier aussi, au travers du conseil et autre. Ça
nous a permis de mettre en place une première cartographie des métiers. Mais elle existait
déjà. On est en train de terminer la réalisation des fiches d’emplois, liée à cette
cartographie. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GTRH I).
Les diagnostics RH réalisés par le consultant ont donc permis, en un certain sens, de rendre
possible, d’accélérer, de conforter les démarches initiées par les entreprises.

259
3.1.2.2. Réaliser des formations transversales
Suite aux diagnostics RH et aux portraits-flash, la MEF a ensuite organisé des formations
transversales destinées aux entreprises volontaires sur des thématiques telles que la gestion
des conflits, la gestion du stress, la gestion du temps, le management d’équipe, etc. Ces
actions de formations ont été réalisées en partenariat avec Agefos-Pme et ont permis de faire
bénéficier les entreprises d’un tarif attractif.
3.1.2.3. Renforcer les liens avec le territoire
Pour d’autres entreprises, déjà bien organisées en termes de GRH, le fait de bénéficier d’un
diagnostic RH ou d’un portrait-flash, leur a permis de renforcer les liens établis avec le
territoire et les acteurs locaux. En effet, grâce à la MEF, les entreprises entrent dans un réseau,
qui leur permet de se connaître et de se rapprocher des structures locales concernant le
recrutement et la formation notamment, mais aussi de se faire connaître en tant qu’employeur
local et ainsi développer l’attractivité de leur entreprise en vue de futurs recrutements :
« Le contact avec la MEF nous a permis de nous faire connaître en tant qu’employeur local,
avec nos spécificités et nos besoins, de façon à aider à créer des connexions, peut-être plus
faciles, sur nos besoins de recrutement, qui sont réels. » (Responsable d’agence ayant
participé à GTRH I.)
3.1.3. Un apport limité du point de vue des entreprises
Deux entreprises interrogées ont néanmoins exprimé un sentiment mitigé par rapport aux
retombées qu’elles avaient pu avoir. Ces limites sont, selon elles, liées à plusieurs éléments.
3.1.3.1. Un service RH déjà bien organisé
Quelques entreprises ont jugé décevant le résultat des diagnostics RH et des portraits-flash,
car bien qu’elles aient participé afin de bénéficier d’un regard extérieur sur leurs pratiques
RH, elles auraient souhaité un retour plus approfondi :

260
« Alors on a fait un audit GPEC qui a été financé par la Maison de l’Emploi, par divers
partenaires, mais c’est vrai que cet audit, bon, étant donné qu’il y avait beaucoup de choses
qui existaient dans l’entreprise, ça n’a pas abouti. Enfin, ça ne nous a pas pour l’instant
apporté grand-chose, si ce n’est le fait qu’on doit pouvoir mieux exploiter nos entretiens
annuels, et puis faire le lien entre compétences et métiers, les passerelles. Donc après ça sera
la RRH qui arrivera. » (RRH ayant participé à GTRH I).
Se considérant en outre comme déjà bien structurées et organisées en termes de gestion des
ressources humaines, ces entreprises établissent un constat mitigé des retombées du projet
GTRH pour leur organisation.
3.1.3.2. Une disparité des entreprises représentées
Le projet GTRH s’est adressé à des entreprises ayant été ciblées notamment en fonction de
leur taille et selon certains secteurs d’activité. Elles appartiennent néanmoins à des branches
d’activités très diverses (agroalimentaire, bâtiment, cuir, industrie, etc.) et ont également une
organisation disparate. Certaines entreprises font partie de groupes plus importants, tandis que
d’autres sont de petites tailles. Les problématiques en termes de gestion des ressources
humaines peuvent donc être très différentes d’une entreprise à une autre :
« Moi par exemple je n’ai aucun lien avec une entreprise qui va fabriquer par exemple, des
pâtes alimentaires, ou par exemple une société qui fait la récolte des fruits, et ma société qui
est une société de haute-technologie. On a des problèmes totalement différents. Donc ils n’ont
peut-être pas trouvé suffisamment d’entreprises, mais il y a une trop grosse disparité dans les
profils d’industriels, et des activités. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GTRH I).
Bien que la diversité des entreprises ait pu d’autre part faciliter le partage des données (la
concurrence est faible), elle constitue toutefois un frein, car les entreprises, lors des réunions,
ont réalisé que les préoccupations pouvaient être fort différentes.
3.1.4. Les difficultés externes
D’un point de vue général, la MEF s’est heurtée à quelques difficultés lors de la réalisation du
projet GTRH.

261
3.1.4.1. Des actions potentiellement concurrentes
Premièrement, le projet GTRH devait concerner également le secteur socio-médical car un
certain nombre d’organisations relevant de ce domaine sont présentes sur le territoire. Mais la
plupart de ces organismes font en réalité en général partie d’un réseau plus large et n’ont que
très peu de marge de manœuvre sur la gestion des ressources humaines locales. De plus, une
action de GPEC de branche était au même moment en train d’être réalisée. De ce fait, les
entreprises du secteur médico-social n’ont pas été incluses dans le premier volet du projet
GTRH.
Deuxièmement, la Chambre des Métiers était en train de mener également une action visant à
réaliser des diagnostics RH auprès des entreprises. Afin d’éviter de solliciter plusieurs fois les
mêmes entreprises, la MEF a choisi de s’entendre avec la Chambre des Métiers de manière à
ne pas mener d’actions redondantes auprès des mêmes interlocuteurs.
3.1.4.2. Une base de données non représentative et non mise à jour
La base de données élaborée à partir des informations recueillies lors des diagnostics RH et
des portraits-flash a pendant un certain temps représenté un écueil au projet GTRH. En effet,
elle présente, outre un certain nombre de données statistiques difficilement exploitables, un
nombre d’entreprises du territoire relativement restreint (seize entreprises au total et non pas
soixante comme cela avait été envisagé). Jugée peu représentative et ne permettant pas d’être
mise à jour régulièrement, la base de données est alors abandonnée.
3.1.4.3. Des mondes différents
Le projet GTRH rassemble un nombre de partenaires issus des sphères fort différentes. La
MEF, bien qu’étant une structure publique, s’est fortement intéressée aux problématiques de
gestion touchant les entreprises. Elle a dû parfois faire face à des difficultés de compréhension
face à ses partenaires élus, préoccupés davantage par les questions d’emploi :
« Les élus sont plus préoccupés par les domaines de l’emploi, que de RH. Mais on se rend
compte aussi que c’est dur de communiquer avec eux, parce que la plupart ne sont pas dans
le même monde. Quand on leur parle de GPEC, c’est encore pire. C’est pas forcément

262
évident. Après les techniciens des communautés de communes, on a de bons partenariats, ça
ne pose pas de problème. » (Chargée de mission MEF).
Du point de vue des entreprises, les réunions organisées par le MEF sont également parfois
considérées comme étant trop lointaines de leurs préoccupations industrielles quotidiennes :
« Mais il faut quand même réaliser que beaucoup des personnes qui sont en charge de ces
collectivités n’ont aucune expérience industrielle. Et là j’ai vu qu’il y avait une grosse
différence. Je suis allé à des réunions où j’ai vu des personnes qui venaient de différentes
communautés de communes, des vice-présidents, des représentants, et on se dit, mais quel est
vraiment leur rôle, pourquoi sont-ils là, que font-ils de leurs journées ? Alors que nous on a
parfois pas trop de temps à consacrer. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GTRH I).
3.1.4.4. Une moindre mobilisation des entreprises
Une des difficultés principales rencontrées par la MEF sur le projet GTRH a été la
mobilisation des entreprises. La faible mobilisation des entreprises constitue un frein pour la
suite des actions qui seraient envisagées.
3.1.5. Les éléments considérés comme facilitateurs du projet GTRH
3.1.5.1. Une fonction d’animation : la GTRH devient un « outil virtuel »
Au fil de l’avancement du projet, la MEF a redéfini le projet GTRH. Au départ, la base de
données constituait la pierre angulaire du dispositif. Mais peu satisfaite des résultats obtenus
et face aux difficultés liées à l’exploitation des données, la directrice de la MEF redessine le
projet GTRH de manière à le concevoir comme un « outil virtuel ». Celui-ci se donne comme
objectif de proposer d’animer un réseau entre les différents acteurs locaux privés et publiques,
concernés par la gestion des ressources humaines, l’emploi, les compétences, la formation, le
recrutement :
« Ce fameux outil, pour, nous, ce n’est pas une base de données, y’a rien de concret, c’est
plus de l’animation par toutes ces petites actions et par le recueil des actions de nos
partenaires, faire vivre la formation et les RH sur le territoire. » (Chargée de mission MEF).

263
C’est notamment au cours d’une réunion de restitution entre la Direccte régionale et l’équipe
technique en septembre 2009 que le projet GTRH est présenté en ces termes par la directrice
de la MEF. L’idée « d’outil virtuel » recueille alors l’unanimité et permet d’obtenir des fonds
complémentaires afin de poursuivre un second volet d’actions GTRH.
3.1.5.2. La légitimité de la MEF sur le territoire
La MEF est parvenue à acquérir au fil du temps, une certaine légitimité sur le territoire
romanais, tout aussi bien du point de vue des partenaires publics, que de la part des
entreprises. Cette légitimité repose sur les différents partenariats qu’elle a pu nouer avec
d’autres acteurs déjà bien implantés et reconnus auprès des différents publics (Agefos-Pme, la
Chambre des Métiers, les collectivités). Reconnue comme acteur central et nécessaire à
l’articulation de ces nombreux acteurs, la MEF ne perçoit pas les autres initiatives comme
potentiellement concurrentes, mais complémentaires, puisqu’elle joue un rôle d’animation :
« Je pense que c’est un territoire où les acteurs locaux travaillent bien ensemble. Je pense
que la MEF, c’est ça son rôle, c’est de coordonner et de fédérer tous les acteurs du territoire.
Et je pense que si elle a réussi à mobiliser plein d’entreprises de différents secteurs, c’est
parce qu’elle avait une bonne implantation. On voit sur d’autres territoires, la coordination
entre tous les acteurs ne se fait pas toujours aussi bien » (Responsable Direccte régionale).
3.1.5.3. Un territoire ouvert et sans spécialisation industrielle
La configuration du territoire est perçue comme un élément spécifique favorisant la bonne
entente des acteurs locaux et la réussite d’initiatives collectives telles que le projet GTRH. Les
frontières de ce territoire sont clairement identifiées comme étant la limite avec Valence,
l’agglomération la plus proche à quelques kilomètres. Les Romanais interrogés dans nos
entretiens considèrent leur territoire comme « ouvert » et « sans spécialisation industrielle ».
Cette perception d’un territoire ouvert s’explique notamment par la situation géographique de
la ville, située au carrefour de l’Ardèche, de l’Isère et du Rhône, et proche de trois grandes
villes, Valence, Grenoble et Lyon :

264
« Je trouve que c’est un territoire relativement ouvert. Enfin il est mobile, il est à un
croisement ce territoire. Y’a des territoires, on a l’impression d’être en bout. Sur ce territoire,
on est maillé, avec d’autres. (…) En termes d’activités, on a un territoire qui a évolué, on est
passé d’un tissu franchement industrie chaussure-cuir à un tissu qui s’est énormément
diversifié, qui a un historique fort, qui a gardé son historique, mais a énormément diversifié
ses activités. Ce sont des territoires je trouve assez ouverts, dans le sens où on y’a pas de
sensation de fermeture. » (Chargée de mission RBE).
L’absence de spécialisation industrielle depuis la fermeture des entreprises de la chaussure du
luxe, a débouché sur la constitution d’un climat de confiance entre des entreprises non
concurrentes et sensibilisées dans le cadre du contrat de site, à la nécessité de développer des
actions collectives. Aussi l’isolement relatif des industriels, non regroupés au sein d’une
branche industrielle, a peut-être constitué un élément en faveur de la MEF.
3.1.5.4. Le contrat de site et le sous-préfet
Le contrat de site dans lequel est enchâssée la MEF, a joué en faveur de celle-ci, puisqu’un
important travail de sensibilisation avait été mené auparavant. La personnalité charismatique
de l’ancien sous-préfet a marqué les esprits et a facilité la mobilisation des acteurs locaux.
Aussi lorsque la MEF a par la suite proposé de mettre en place le projet GTRH, elle a été
plutôt étonnée de l’intérêt porté à la dimension territoriale par les entreprises.
« On a fait deux réunions collectives aux entreprises, et notamment la première, on a été très
surpris, on s’était dit, on se prépare bien, on leur a dit que c’était des actions pour eux, qui
avaient des résultats collectifs, mais qui auraient des conséquences pour eux. Et eux nous ont
dits : « et le collectif, on est vachement intéressés, et la vision territoriale, vous en pensez
quoi ? ». Et c’est parti quasiment que là-dessus ! Alors qu’on ne s’attendait pas ça. On se
disait que si on avait à commercialiser entre guillemets, en termes d’argumentaires, on va
essayer de les intéresser individuellement. Et là non ! Et c’est vrai que tout le travail qui avait
été fait depuis fin 2005 par le contrat de site, depuis fin 2006 par la Maison de l’Emploi, a été
que, ils avaient en tête cette dynamique territoriale. » (Directrice MEF)

265
3.1.5.5. Les autres actions RH de la MEF
La MEF a déployé un large ensemble d’actions en parallèle du projet GTRH. Certaines sont
reliées à des thématiques économiques, tandis que d’autres concernent la gestion des
ressources humaines. Cela lui a permis de se faire connaître et d’élargir le réseau des
entreprises partenaires. La MEF a ainsi pris en charge l’organisation du Codel (Comité de
Développement Economique Local) qui rassemble au sein d’une réunion informelle
mensuelle la plupart des acteurs économiques locaux et partenaires de la MEF. Il permet
d’échanger entre pairs sur les projets d’installation d’entreprise, les difficultés financières, les
projets de recrutement, l’avancée de travaux des zones d’activités, etc.
Les actions RH développées en parallèle du projet GTRH l’ont été dans le cadre du dispositif
Securi’RA, en partenariat avec RBE et le CDRA Drôme des Collines :
- Réalisations de sessions de diagnostics RH et d’accompagnement auprès des TPE
- Une réunion de diagnostic portant sur « l’impact d’un changement sur la gestion du
personnel » a été réalisée début 2010 pour un groupe de six entreprises.
D’autres actions RH ponctuelles ont été portées avec d’autres partenaires :
- Action de communication sur les outils des la formation professionnelle, avec une
présence à la Foire du Dauphiné en 2009, puis en 2010, en partenariat avec RBE.
- Organisation de formations collectives sur un bassin d’emploi en partenariat avec
Agefos-Pme (douze cessions de formation en 2009 auprès de 250 salariés).
Plus tard, la MEF inclura sous la dénomination « GTRH » l’ensemble de ces actions.
Enfin, la MEF dispose de plusieurs supports de communication, dans lesquels elle fait état
notamment de l’avancée des actions RH. Il s’agit de la parution trimestrielle des « Echos de la
MEF ». Envoyée par courrier à tous les maires du territoire, aux communautés de communes,
aux partenaires emplois-formation et à environ 300 entreprises, elle permet de diffuser
l’actualité de la MEF. La MEF gère également un site, mis en ligne à l’automne 2009, dont
l’objectif principal est également de présenter l’ensemble de ses actions.

266
3.2. Le projet GTRH II
A partir du début de l’année 2010, la MEF, qui a déjà entamé les réflexions sur la suite du
projet GTRH, organise en février un comité de pilotage afin de présenter à ses partenaires les
actions envisagées sur ce second volet. Le projet GTRH, dans sa première phase, a abouti à la
réalisation de diagnostics portants sur le contenu des processus RH des entreprises. Plus
globalement, il a aussi permis à la MEF d’établir un certain nombre de constats sur son rôle
vis-à-vis des actions de GRH. Ceci l’a conduite à redéfinir le projet GTRH en vue d’un
nouveau dispositif. Les actions prévues dans le cadre du second volet du projet GTRH
découlent des enjeux repérés lors de la première phase.
3.2.1. La philosophie gestionnaire
Au départ, la mise en œuvre d’un projet dédié à la gestion des ressources humaines sur le
territoire provenait de l’incitation de l’Etat sur ces questions, inscrite dans le premier cahier
des charges des Maisons de l’Emploi. Mais le projet GTRH a été déployé de telle manière
qu’il est ainsi devenu, au fil du temps, l’une des actions principales et motrice de la MEF.
3.2.1.1. Les objectifs
Le projet GTRH, originellement conçu afin d’obtenir une vision territoriale de la gestion des
ressources humaines grâce à la base de données, a été redéfini comme un « outil virtuel » :
« L’objectif de la base de donnée, au démarrage, c’était un des piliers de l’outil GTRH.
Aujourd’hui, on se pose la question de savoir si ça sera utile ou pas et comment on va
l’utiliser. On était vraiment parti là-dessus. » (Directrice MEF).
Tandis que la définition de ce que pouvait être une GRH territoriale restait relativement floue
au démarrage du projet, ses contours se dessinent. La GRH territoriale est conçue par le
comité technique de la MEF, comme de la « mise en réseau autour des RH du territoire », de
manière à rassembler « les entreprises, les partenaires sociaux, les services ». Dns les
entretiens, la chargée de mission GTRH considère une opération de GRH territoriale réussie si
chaque groupe d’acteurs a une connaissance réciproque des actions menées par chacun.

267
3.2.1.2. Les contenus
Cette GRH territoriale vise une meilleure connaissance du besoin des entreprises. Elle peut,
d’une part, concerner un besoin d’informations sur des problématiques RH, comme une aide à
la réalisation de fiches métiers. Dans ce cas, le projet GTRH permet de fournir un appui aux
responsables RH. Il peut, d’autre part, répondre à un besoin en termes de compétences : il
s’agira alors pour la MEF de soutenir l’entreprise en facilitant les recrutements, les formations
collectives, etc.
« L’objectif à long terme est de savoir quel est le besoin des entreprises, en compétences et en
RH, et de le comparer au potentiel existant. De savoir quels sont les niveaux de qualifications
des demandeurs d’emploi, quels sont les gens qui sont en train d’être formés, enfin voir si ça
correspond ou pas, et si ça correspond pas, de le faire évoluer. » (Chargée de mission MEF).
En mai 2010, l’équipe technique présente les actions du volet GTRH II, qui comporte un
ensemble de huit propositions :
- Des "formations-actions" thématiques
Il s’agit de proposer aux entreprises qui le souhaitent, trois jours de formation collective ainsi
qu’un accompagnement. Deux ou trois sessions seraient organisées dans l’année sur des
thématiques différentes en fonction de l’actualité RH ou du besoin exprimé par les
entreprises. Une première formation a été réalisée sur les aides à l’embauche et a permis de
réunir trois entreprises. Une deuxième action de ce type est envisagée sur le thème de la
réalisation de fiches-métiers. 700 entreprises ayant un effectif de plus de 10 salariés seront
contactées par l’envoi d’une plaquette.
- Des rencontres entre les DRH du territoire
Le principe de cette action repose sur la rencontre entre des DRH des entreprises du territoire,
afin d’échanger sur une thématique propre à l’entreprise qui accueille les participants. En
février a eu lieu la première rencontre, qui a réunie cinq DRH. Une deuxième rencontre est
prévue en juin, c’est-à-dire une fois par trimestre.

268
- Une lettre RH
La création d’une lettre RH résulte d’un besoin émis par les entreprises, qui souhaitent
disposer d’une seule source d’informations sur l’ensemble des actions RH prévues par les
différents partenaires. Il s’agira également de diffuser des témoignages d’entreprises locales
sous la forme de « bonnes pratiques ». Le premier numéro de la lettre RH sera envoyé aux
entreprises par email au mois de mai 2010.
- Des soirées-débats
Ces soirées seraient animées par un intervenant sur une thématique donnée, à l’intention des
entreprises et des partenaires de la MEF. La première soirée-débats a été programmée en juin
2010 sur le thème des « risques psycho-sociaux ».
- Une enquête sur l’évolution professionnelle
La MEF souhaitait développer une meilleure connaissance des thématiques qui préoccupent
les entreprises. En janvier 2010, elle a ainsi animé une première rencontre afin d’identifier,
grâce à ces échanges, les thématiques jugées prioritaires. L’un des constats établis porte sur
les difficultés liées à l’évolution professionnelle des salariés dans les entreprises. La MEF
propose donc de réaliser une enquête afin d’identifier de manière plus fine, les besoins en
formation et en recrutement qui pourraient donner lieu à des actions communes. Il s’agit de
poursuivre et d’approfondir la connaissance des besoins du territoire en terme de GRH, et
peut-être d’envisager des solutions « innovantes », telle que le prêt de salariés, des
plateformes compétences…
- Le lancement d’un diagnostic RH-emploi sur le territoire, en deux volets : l’un
porterait sur des aspects quantitatifs de l’emploi du territoire. L’autre porterait sur des aspects
qualitatifs à partir d’entretiens avec les entreprises, afin d’établir une vision des secteurs et des
métiers porteurs sur le territoire.
- Les matinées de l’entreprise à la Foire du Dauphiné
Tous les ans, à l’automne, se tient à Romans la Foire du Dauphiné. Considérée comme un
élément incontournable de la vie économique et sociale du territoire, la MEF y organise les
« matinées de l’entreprise ». Ces rencontres sont destinées aux professionnels qui souhaitent
échanger sur les outils au service du développement de leur société et de leurs ressources
humaines. Sur les cinq séances organisées, deux rencontres sont dédiées aux ressources

269
humaines sur les thèmes du recrutement des personnes en situation de handicap ainsi que sur
les outils et dispositifs de formation.
- La diffusion des bonnes pratiques
Enfin, la MEF envisage de diffuser des témoignages d’entreprises ayant développé des
« bonnes pratiques RH » via des idées sur leur site internet.
- La mise en place d’un comité d’animation RH sur le territoire
En février 2010, un groupe d’étudiants en Master 2 EIERH (Expertise-Intervention sur
l’Emploi et les RH) à l’Université Lyon II a réalisé une étude sur le projet GTRH en
partenariat avec l’Intefp (Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation
Professionnelle)57. Parmi les préconisations formulées, la MEF a retenu la mise en place d’un
comité d’animation RH sur le territoire, afin de réunir les acteurs publics (Service Public de
l’Emploi, Direccte, Préfecture, MEF, collectivités…), les acteurs économiques (les
entreprises) et les acteurs de la société civile (partenaires sociaux et associations).
3.2.2. Le substrat technique
Ces actions n’ont pas donné lieu à l’élaboration de substrat technique en tant que tel, en
dehors des documents de travail personnels de l’équipe technique.
La plupart des actions engagées ont donné lieu à l’élaboration de supports de communication
à l’intention des entreprises : plaquette de communication, lettre RH, etc.
3.2.3. Les rôles idéaux des acteurs du dispositif
3.2.3.1. Le rôle du comité technique et du comité de pilotage
L’équipe technique a élaboré un certain nombre de constats lors de l’aboutissement du
premier volet GTRH, l’ayant conduite à réfléchir à un ensemble d’actions, que nous venons
de présenter. Lors des comités de pilotage de février et mai 2010, ces actions ont été
proposées de manière à recueillir le point de vue des partenaires présents. 57 Installé à Lyon depuis 1980, l'INTEFP assure la formation initiale et continue de l'ensemble des agents du Ministère du travail.

270
« On a travaillé en propositions. On avait déjà réfléchi à un certain nombre d’actions. Et on
leur (aux entreprises) a proposé ces actions-là en restant quand même relativement large, on
était ouvert à d’autres pistes, mais plutôt pour les faire évoluer avec elles, ou dire « ben non
ça, ça sert à rien ». (…) Et puis ce sont elles qui nous ont demandé d’organiser ces réunions
entre DRH du territoire. Donc c’est toujours en adéquation avec les besoins, même si on a été
force de propositions. » (Chargée de mission MEF).
3.2.3.2. Le rôle des consultants
Les consultants ayant participé au premier volet, poursuivent leur engagement sur cette
seconde phase. Leur contribution est plus ou moins forte sur les actions envisagées par la
MEF. Ils seront notamment mobilisés sur la création de la lettre RH et l’élaboration de
l’enquête sur l’évolution professionnelle.
3.2.3.3. Le rôle des entreprises adhérentes
Les entreprises sont considérées comme les principales bénéficiaires des actions du projet
GTRH II. La MEF attend donc des entreprises, d’une part, qu’elles répondent aux
propositions formulées de manière à ajuster leurs actions, et d’autre part, qu’elles s’engagent
ensuite sur ces actions. Les entreprises impliquées dans ces actions touchant aux RH ne sont
pas toujours les mêmes, cependant la dimension collective et territoriale des actions proposées
fait écho à un nombre croissant d’entreprises.
3.2.3.4. Le rôle des partenaires financiers
La Direccte régionale ayant donné son accord sur la poursuite de l’engagement financier à
hauteur de 66 000 euros a versé un acompte à la MEF représentant 50 % de la somme
attribuée. La seconde moitié du versement sera réalisée après la présentation du bilan du
projet GTRH II.

271
3.2.4. Les actions parallèles
D’autres initiatives RH ont été menées, mais non incluses au sens strict au sein du projet
GTRH, bien que ces actions participent bien entendu de manière globale au développement de
la vision territoriale des ressources humaines, souhaité par la MEF. Elle a ainsi créé un
« groupe RH » en lien avec le Contrat Territorial Emploi Formation. Ce groupe, réuni tous les
trimestres, permet à chaque acteur de présenter ses actualités. Il s’est réuni en février et en
avril 2010.
3.3. La finalisation de la GTRH II (août 2010 - novembre 2010)
La période précédente s’est achevée avec la rédaction du bilan de la GTRH II à l’attention de
la Direccte, bien que la plupart des actions engagées ne soient pas encore finalisées. Au
niveau des actions RH, la distinction stricte entre le projet GTRH, financé dans le cadre du
CPER, et les autres actions RH, s’atténue. L’ensemble des actions RH va alors constituer le
projet GTRH.
3.3.1. La participation aux actions GTRH II
3.3.1.1. Les actions réussies
Une formation-action thématique a été réalisée en septembre 2010 sur la construction de
fiches métiers. Malgré une participation beaucoup moins importante que prévue, le comité
technique de la MEF considère cette opération réussie. En effet, les quatre entreprises
participantes ont établi un retour très positif à la MEF sur cette initiative qui s’est déroulée
lors de deux journées de formation, complétées par la mise disposition du cabinet de conseil,
sous forme de « hotline ».
Les rencontres entre les DRH du territoire ont également remporté un certain succès, selon la
MEF et les entreprises interrogées lors du second volet d’entretiens. La deuxième rencontre
avait réuni le double de responsables RH. Les retours sont plutôt favorables de la part des
entreprises. Cette action sera donc poursuivie.

272
L’organisation de la première soirée-débat est considérée par la MEF comme une initiative
ayant bien fonctionné. La MEF envisage donc de reconduire ce type d’action.
3.3.1.2. Les actions « mitigées »
Le premier numéro de la lettre RH a été envoyé par email à une centaine d’entreprises fin mai
2010. La MEF, n’ayant eu aucun retour à ce sujet, émet quelques doutes, mais poursuit
également cette action, avec un deuxième numéro paru en octobre 2010.
L’enquête sur l’évolution professionnelle a été diffusée par courrier auprès de 700 entreprises
en septembre 2010. En octobre, seules 30 réponses avaient été reçues par la MEF. Une
restitution des principaux résultats de l’étude a été réalisée fin 2010.
Le lancement d’un diagnostic RH-emploi sur le territoire a été réalisé par un autre prestataire,
suite à la demande du bureau de la MEF pour des raisons de budget. N’ayant participé au
premier volet du projet GTRH, le prestataire s’est orienté de nouveau vers une GPEC
territoriale, dont l’ampleur est jugée trop importante par la MEF. Elle souhaite en effet aller
vers un diagnostic plus simple afin de compléter le travail déjà réalisé. La MEF émet ainsi
quelques réserves sur cette initiative, dont la cohérence avec l’ensemble des autres actions est
mise en doute.
Les matinées de l’entreprise à la Foire du Dauphiné ont permis au prestataire en charge du
diagnostic RH-emploi, de présenter ses premiers résultats. La MEF a jugé cette intervention
très intéressante, mais souligne la faible participation des entreprises. La MEF a également
animé un atelier sur le recrutement des travailleurs handicapés en partenariat avec le Pôle
Emploi et la Mission Locale, auquel une dizaine d’entreprises a assisté. Enfin, la MEF a tenu
un stand sur la thématique de la formation professionnelle. Malgré un écho favorable sur cet
évènement, la MEF fait part de sa déception.

273
3.3.1.3. Les actions non réalisées
Deux actions n’ont pas été lancées58, il s’agit de la diffusion des bonnes pratiques et de la
mise en place d’un comité d’animation RH sur le territoire.
3.3.2. Les points de vigilance
3.3.2.1. La fin du contrat de site
Historiquement, la MEF a été associée à la mise en œuvre du contrat de site. Or, celui-ci a pris
fin en mars 2010. C’est pourquoi l’existence de la MEF est remise en question par les élus
locaux ainsi que par quelques entreprises, qui ont assimilé la MEF à la cellule de reclassement
du Pôle Emploi, installée dans les mêmes locaux que la MEF. Malgré la légitimité acquise au
fil des dernières années, la MEF demeure dans une position délicate lorsque nous quittons
notre terrain d’étude, selon les dires d’une représentante de communauté de communes et de
deux entreprises.
3.3.2.2. L’essoufflement de la participation des entreprises
La MEF n’a eu de cesse de déployer de l’énergie afin de solidifier le réseau des entreprises
partenaires. Elle a de plus, initié, lors de ce second volet, un large panel d’actions diverses,
afin de concrétiser la démarche « d’animation RH » qu’elle s’est donnée. Mais la
diversification des actions rend difficile la mobilisation d’un nombre important d’entreprises à
chaque fois, d’autant plus que les actions RH sont désormais prises en charge par une seule
personne au sein du comité technique. Afin de pouvoir continuer à mobiliser sans relâche les
entreprises, il est question de procéder au recrutement d’une nouvelle personne afin de venir
consolider l’équipe.
« On a beaucoup de petites actions, peut-être en a-t-on trop ? On était dans une bonne
dynamique, il y avait des choses qui se profilaient et on avait du budget qui restait. Mais moi
je suis seule sur ces actions et il y a clairement un manque de ressources, un manque de
temps. Donc pour le prochain cahier des charges, il faudrait peut-être qu’on soit un peu plus 58 Nous rappelons que notre dernier entretien avec l’équipe technique de la MEF a eu lieu en novembre 2010, date à laquelle nous avons clôt l’étude de terrain.

274
progressif. (…) De toute façon, on doit boucler ces actions pour le 31 décembre 2010, car
après il y aura le nouveau cahier des charges. Il est créé au niveau national, mais chaque
MEF définit ces actions. La GPEC prend une ampleur importante, car elle va constituer un
axe à elle toute seule. Donc on va continuer là-dessus, mais mettre plus de moyens, peut-être
recruter. Parce qu’on voit bien qu’il faut beaucoup de temps pour mobiliser les entreprises, il
faut aller les voir, leur expliquer, etc. ». (Chargée de mission MEF).
La MEF est donc, à cette période, fragilisée par l’essoufflement de la participation des
entreprises. Malgré cela, elle doit poursuivre la définition des futures actions à mettre en
place. En effet, la convention pluriannuelle d’objectif, liant la MEF et l’Etat, se termine à la
fin de l’année 2010. Un nouveau cahier des charges doit ainsi être élaboré à partir de quatre
axes, définis dans le cahier des charges national. Ce dernier confirme, de manière plus forte,
l’incitation au développement d’actions de GPEC territoriale. Il précise en effet que dans le
cadre de l’axe 2 (participer à l’anticipation des mutations économiques), « les maisons de
l’emploi participent à l’animation et à la coordination des actions en matière de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales. Elles favorisent également, avec
les autres acteurs du service public de l’emploi, le travail en commun avec les branches
professionnelles sur leur ressort territorial. »59
Synthèse de la section 3 :
Le premier volet GTRH a globalement recueilli un avis favorable. Il a permis à la MEF
d’asseoir une certaine légitimité sur le territoire romanais auprès des entreprises. Cette partie
montre en particulier comment le dispositif, dès la fin de la GTRH I, prend la forme d’un
« outil virtuel » et est réorienté vers un nouvel objectif, celui de l’animation RH du territoire.
Dès lors, le second volet du projet GTRH est envisagé de manière à poursuivre des actions
d’animations afin de favoriser la mise en réseaux des principaux acteurs locaux et des
entreprises. Mais le contrat de site a pris fin en mars 2010, ce qui a pour cause de mettre en
péril l’existence de la MEF, malgré les très nombreuses actions qu’elle a pues développer sur
l’ensemble de ces trois axes de travail. La multiplication de petites actions a eu pour effet une
perte de visibilité de la MEF et un essoufflement de la participation des entreprises. 59 Arrêté du 21 décembre 2009 portant cahier des charges des Maison de l’Emploi. Ministère de l’Economie, de l’Industrie, de l’Emploi.

275
4. Synthèse des résultats et conclusion du chapitre 5
4.1. Les réponses aux questions de recherche
Les questions de recherche ont permis d’analyser le déroulement du projet GTRH. Le
dispositif avait été conçu à partir d’une philosophie gestionnaire, d’un substrat technique et du
rôle idéaux des acteurs (question de recherche 1). Comme dans le cas 1, le dispositif avait
était conçu par un groupe d’acteurs réunis au sein d’un comité de pilotage, mais une pluralité
d’acteurs a participé au processus de construction (question de recherche 2). Le dispositif
inter-organisationnel de GRH territoriale a ici aussi, été modifié dans le temps. Ces
modifications ont porté sur les trois éléments constitutifs du dispositif (question de recherche
3).
La philosophie gestionnaire consistait au départ à mieux connaître les ressources humaines du
territoire afin d’accompagner leur évolution, grâce à un recensement des compétences des
salariés, des processus RH et des données sociales des entreprises.
Lorsque le projet a été réellement mis en œuvre, son objectif s’est peu à peu orienté vers la
coordination et l’animation des actions liées à l’emploi et à la gestion des ressources
humaines. Le projet GTRH s’est attaché essentiellement à procurer aux entreprises
volontaires, un soutien et un accompagnement afin de pouvoir améliorer l’organisation de la
gestion des ressources humaines.
La fin du premier volet GTRH a débouché sur la conviction que ce projet devait proposer
avant toute chose, une animation RH sur le territoire. Il s’attachera désormais à mettre en
réseau les acteurs de l’emploi et de la formation et les entreprises, mais également à soutenir
le développement des ressources grâce à des formations à destination des responsables RH.
Cette évolution de la philosophie gestionnaire, de ses objectifs et de ces contenus, est
synthétisée dans le tableau ci-dessous :

276
Philosophie gestionnaire
Conception Réalisation Modification
Objectif Connaître les RH du territoire pour accompagner leur évolution
Coordonner et animer des actions liées à l’emploi et à la gestion des ressources humaines.
Contenu - les compétences des salariés des entreprises - les processus RH - les données sociales des entreprises
- les processus RH - les données sociales des entreprises
- le réseau RH - la formation des responsables RH
Tableau 10 : Evolution de la philosophie gestionnaire du dispositif GTRH
Le substrat technique a peu évolué entre l’idée originelle et la réalisation du projet. En
revanche, la poursuite du projet laisse place à une multiplication d’instruments. Les
documents élaborés ont surtout vocation à communiquer autour du projet GTRH (cf. tableau
suivant).

277
Substrat technique Conception Réalisation Modification
Instruments - Diagnostic RH - Portraits-flash - Base de données
- Formation-action thématiques - Rencontres entre les DRH du territoire - Lettre RH - Soirées-débats - Enquête sur l’évolution professionnelle - Diagnostic RH-emploi sur le territoire - Matinées de l’entreprise à la Foire du Dauphiné - Diffusion des bonnes pratiques - Mise en place d’un comité d’animation RH sur le territoire
Documents - Cahier des charges du projet GTRH - Diaporamas de présentation par la MEF et par le cabinet de conseil
- Brochure de présentation du projet GTRH - Supports communs de restitution des diagnostics RH et des portraits-flash par le cabinet de conseil - Diaporamas de présentation du projet GTRH
-Plaquette de communication - Lettre RH
Tableau 11 : Evolution du substrat technique du dispositif GTRH

278
L’évolution entre les rôles attendus lors de la conception du projet et la mise en œuvre de ces
rôles, concerne uniquement la faible participation des entreprises. De fait, la participation
attendue lors du second volet du projet demeure relativement ouverte. Une illustration de cette
évolution est donnée dans le tableau ci-dessous :
Rôles idéaux et tenus par les acteurs du dispositif
Conception Réalisation Modification
Equipe technique - Pilotage et ingénierie du projet
Comité de pilotage - Instance de communication
Consultants - Réalisation des diagnostics-RH, des portraits-flash et de la base de données
- Réflexions sur la lettre RH - Animation soirées-débats
Entreprises - Participation de 20 entreprises aux diagnostics RH et 40 aux portraits-flash - Participation régulière attendue aux comités de pilotage
- Participation de 11 entreprises aux diagnostics RH et 5 aux portraits-flash - Participation en pointillés aux comités de pilotage et aux restitutions
- Participation élargie des entreprises du territoire aux différentes actions proposées
Financeurs - Financement du projet GTRH en deux volets
- Versement de la première moitié des fonds - Accord pour financement de la seconde partie
- Versement de la seconde moitié des fonds
Tableau 12 : Evolution des rôles des acteurs au sein du dispositif GTRH
Ce chapitre a abouti au constat de l’évolution dans le temps de la philosophie gestionnaire, du
substrat technique et de la vision des rôles attendus. La conception du dispositif se fondait sur
un modèle de GPEC territoriale, à partir de la transposition des dispositifs intra-
organisationnel à l’inter-organisationnel. Or la concrétisation a abouti à la mise en œuvre d’un
dispositif de mutualisation des diagnostics RH. Au final le nouveau dispositif s’oriente vers

279
un modèle que nous nommons « animation RH territoriale ». Ces évolutions sont représentées
dans le schéma ci-dessous :
Conception Réalisation Modification
TRADUCTIONS : COMPROMIS ET NEGOCIATIONS
Figure 37 : Evolution du dispositif de GRH territoriale de la MEF
4.2. Conclusion
Ce chapitre montre quelle a été la transformation dans le temps d’un dispositif inter-
organisationnel de GRH territoriale. Un second niveau d’analyse (chapitre 6) permettra de
mieux comprendre quels sont les ressorts de cette évolution et d’approfondir les dynamiques
socio-techniques à l’œuvre. Nous répondrons à la question de recherche 4 et enfin, à la
problématique.

280

281
Chapitre 6 : Construire un dispositif
inter-organisationnel de GRH territoriale
Ce chapitre est consacré à la restitution de nos résultats à l’aune de la théorie de la traduction,
à la présentation des résultats d’ensemble, ainsi qu’à une discussion de ces résultats. Ce
chapitre se termine par la présentation de la thèse défendue.
Figure 38 : Plan de la thèse et chapitre 6

282
La structure de ce chapitre s’appuie en partie sur les moments clés du processus de traduction.
La section 1 et la section 2 permettent de comprendre la transformation des dispositifs
inter-organisationnels de GRH territoriale, à savoir respectivement le projet « Gestion
du Capital Humain » déployé par le pôle de compétitivité Arve-Industries et le projet
GTRH mis en œuvre par la Maison de l’Emploi et de la Formation Drôme des
Collines Royans Vercors.
La section 3 présente une synthèse du présent chapitre et des résultats d’ensemble de
la thèse.

283
1. Le projet « Gestion du Capital Humain »
La GTEC était un texte, elle a failli devenir, elle est presque devenue, elle aurait pu devenir,
un objet, une institution, l’un des instruments de gestion du capital humain haut-savoyard.
Elle redevient, au moins temporairement, dans les archives, un texte, une fiction technique
(citation adaptée à partir de Latour, 1992, p.28). Que s’est-il donc passé en termes de
problématisation (1.1.), d’intéressement (1.2.), d’enrôlement (1.3.) et de mobilisation des
alliés (1.4.) ? Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle chaîne de traduction (1.5.) ?
1.1. La problématisation
En 2007, lors de la création du pôle de compétitivité, un petit groupe d’industriels et de
décideurs locaux, réunis au sein de la gouvernance, ont été à l’origine de la constitution du
projet Talents 2010. Ils sont parvenus à regrouper un certain nombre d’acteurs au sein du
programme, qui sera ensuite scindé en deux volets. Le volet GCH a été formalisé par
l’établissement d’un cahier des charges et le démarrage d’actions de GRH.
Lors de la phase de création, il est impossible de distinguer les deux futurs volets du
programme, qui ne seront établis qu’à partir de septembre 2007, lors de la phase de
croissance. La problématisation concerne donc d’abord le programme dans sa globalité, puis
le projet Gestion du Capital Humain qui représente un second niveau de problématisation.
1.1.1. Des actants rendus mobiles autour de Talents 2010
« Rendre des actants mobiles » repose sur le repérage de ces actants et l’identification de leurs
enjeux au sein du « réseau narratif » établi.
1.1.1.1. L’identification d’un problème concret
Le premier chef de projet a saisi l’opportunité de la création du pôle de compétitivité afin de
créer un véritable réseau autour du problème de la pénurie de main-d'œuvre dans la vallée de
l’Arve. Pour cela, il envisageait de réunir un ensemble d’acteurs au sein d’un projet. Peu à
peu, un véritable programme narratif est élaboré, mettant en lien un ensemble d’actants : la

284
vallée de l’Arve, les salariés du décolletage, la Suisse, les jeunes, les machines à came, le pôle
de compétitivité, les organismes de formations, la Région, les syndicats professionnels, etc.
Cette « mise en mobilité » des actants est réalisée dans les discours. Elle est illustrée de la
manière suivante par l’un des responsables RH faisant partie du Copil :
« On est tous à dire, nos métiers évoluent tellement techniquement, les matériels évoluent
tellement, la complexité des pièces, le niveau de qualité demandé évolue tellement, qu’on a
besoin que les compétences de notre personnel dans 5 ans soient multipliées par 10 par
rapport à aujourd’hui. Comment on y arrive ? Si on ne fait rien, on n’y arrive pas. Donc, il
faut savoir quel est le niveau de compétence global dans la vallée, pour le faire progresser.
Donc il faut des formations, des recrutements dans les centres de formation, pour que dans 5
ans, ils soient prêts. S’ils ne sont pas prêts, on ne saura pas être compétitifs par rapport à des
pays où on délocalise, par rapport à d’autres régions de France qui savent faire de la
mécanique… ». (RRH ayant participé à GCH).
Lors de cette phase de création, le démarrage du projet semble prometteur, car les actants sont
rendus mobiles et une chaine de traduction « idéale » est établie. En effet, comme le rappelle
B. Latour (1992, p.34), « Aucun projet technique n’est d’abord technique »: les actants
mélangent dans leur discours de « grandes questions sociales, l’esprit d’une époque ou d’un
siècle, et des questions « proprement » techniques ». Ce mélange se fait par une « opération
de traduction » : la GPEC d’un territoire, la Suisse, le pôle de compétitivité, les machines, la
GRH, etc., des liens sont imaginés. B. Latour poursuit : « le prix à payer c’est une
innovation » (p.35) : ici, il s’agit de développer un programme ayant vocation à organiser la
gestion du capital humain au sein d’un pôle de compétitivité, ce qui est perçu comme
innovant, car à cette période, la grande majorité des pôles ne se préoccupent que de
l’innovation technologique et du soutien au sens strict de leurs activités de recherche et de
développement.
1.1.1.2. L’établissement d’une logique
Cette chaîne de traduction repose sur la logique suivante :
- Le territoire ne peut rester compétitif face à la mondialisation sans développer l’activité
des entreprises…

285
- On ne peut développer l’activité des entreprises du territoire sans salariés qualifiés, en
particulier dans le secteur du décolletage…
- On ne peut pas recruter de salariés qualifiés dans le secteur du décolletage sans savoir
anticiper l’évolution de nombre de salariés dans un avenir proche sur ces métiers…
- On ne peut pas anticiper l’évolution de nombre de salariés si l’on ne se préoccupe pas
d’abord, d’attirer une main-d'œuvre jeune et qualifiée…
- On ne peut attirer une main-d'œuvre jeune et qualifiée que si l’on travaille sur l’image de
nos métiers, considérés comme peu attractifs…
- On ne peut travailler sur l’image de nos métiers sans, au préalable, s’assurer que ces
entreprises ont réellement une gestion attractive de leurs personnels …
- On ne peut pas avoir de gestion attractive du personnel sans sensibiliser les entreprises du
territoire à la gestion des ressources humaines…
« Les chaînes de traduction transforment un problème global » – la montée en compétence
d’un territoire, la compétitivité du décolletage dans le monde, – « en un problème local » – la
GPEC des entreprises de la vallée de l’Arve – « par une série d’intermédiaires qui ne sont pas
logiques au sens formel du terme, mais qui obligent, par de petits déplacements insensibles,
ceux qui s’intéressent au problème global à se trouver intéressés par surcroit à la solution
locale. » (Latour, 1992, p.35). La « mobilité narrative » des actants est illustrée ci-dessous :

286
3
Enjeux avant la crise 2008.
Mondialisation
EntreprisesST
industrielles
• Concurrence• Dérégulations marchés
• Mutations - techniques, industrielles- environnement,…
• Départs salariés
DEFICIT
- Perte Capital Humain
- Perte savoir-fairePERFORMANCE Attirer + Préserver
les TALENTS GPEC
Evasion transfrontalièrePapy boom Turnover
Vallée de l’ARVE
Figure 39: Extrait d'un diaporama de présentation de Talents 2010, novembre 2009
1.1.1.3. L’émergence d’un traducteur
Le premier chef de projet a clairement joué le rôle d’un traducteur. Il a pu « faire passer
chaque entité d’un contexte, d’une position particulière et isolée, à une acceptation de
coopération » (Amblard et al. 2005, p.156). Plusieurs critères identifiés par Pichault (2009,
p.138-139) contribuent à ce rôle : la légitimité, la crédibilité et l’équidistance. A propos du
premier point, le chef de projet fait partie de plusieurs organisations reconnues (la CSM et le
Club APM) et ayant un poids significatif sur le territoire auprès des entreprises et de
l’ensemble des acteurs en lien avec l’emploi et la formation. Ceci a sans doute été l’un des
leviers supplémentaires pour rassembler autour d’acteurs au sein du programme. Concernant
la crédibilité du traducteur, celle-ci dépend de l’appréhension qu’ont les pairs de ses
compétences pour ce rôle, tandis que l’équidistance fait référence à une certaine neutralité.
Ces deux critères ont parfois été mis en question par nos interlocuteurs. Mais la « force
d’entraînement » du traducteur dépend aussi du « point de passage obligé » qu’il parvient ou
non à arrêter.

287
1.1.2. Un début de convergence
Lors de cette première phase, les acteurs convergent autour de la création du programme
Talents 2010. En revanche, cette problématisation n’est que partielle sur le volet Gestion du
Capital Humain, créée un peu plus tard, en l’absence de réel « point de passage obligé ».
1.1.2.1. Un accord autour de Talents 2010
La création du programme Talents 2010 va permettre de « traduire » et de concilier les
intérêts de chacun de manière à placer le programme comme un moyen de résoudre les grands
problèmes du territoire :
« Talents 2010, c’est ni une bonne ni une mauvaise idée, c’est tout simplement un besoin des
industriels. Si on interroge aujourd’hui un industriel (…) il nous dit, il faut des salariés
formés, compétents, et qu’on arrive à garder. (…) Donc je pense qu’on n’avait pas le choix,
c’est une question à traiter ». (Membre fondateur du Copil)
Ainsi, la résolution d’un problème concret, celui de la pénurie de main-d'œuvre, passe par la
création d’un programme au sein du pôle de compétitivité. Peu à peu, le comité de pilotage
formule l’ambition du projet, sous la forme d’une question unique, proposée par le chef de
projet/traducteur : « comment rétablir durablement l'adéquation entre les ressources et les
besoins quantitatifs et qualitatifs en personnel des entreprises du pôle» ? Cette ambition sera
très vite illustrée par le chef de projet avec « l’image de la baignoire ». Cette image rencontre
l’unanimité au sein du comité de pilotage. Un accord est donc validé par les premiers
membres de Talents 2010 autour du fait qu’ « il faut faire quelque chose». Néanmoins, au
cours de cette période, cette ambition n’est pas encore reliée à la proposition de solutions ni à
la réalisation d’instruments de gestion. En effet, cette première phase se matérialise
uniquement dans des supports de communication sur le programme global.
1.1.2.2. Mais une problématisation partielle sur GCH
A partir du moment où le programme sera scindé en deux (septembre 2007), il devient
possible de considérer la manière dont la problématisation se décline au niveau du volet
Gestion du Capital Humain. Un premier niveau de problématisation à l’échelle de Talents

288
2010 a permis la réunion d’un certain nombre d’actants au sein du volet GCH. Sa création
résulte de la logique déclinée plus haut, selon laquelle, il est nécessaire, afin de résoudre le
problème de main d’œuvre, de pouvoir disposer d’une vision sur l’évolution des salariés
qualifiés. Ceci passe, au préalable, par une sensibilisation des entreprises à la gestion du
personnel. Peu à peu, le terme de gestion des ressources humaines fait son apparition. Parler
de « GRH » implique donc de distinguer les actions de marketing et de communication, déjà
enclenchées sur le volet Image & Promotion des Métiers, des actions « RH ». L’ambition du
volet GCH devient alors de « Développer les compétences et mettre en place la gestion
prévisionnelle de l’ensemble des besoins des entreprises du Pôle. » (Communiqué de presse,
octobre 2007). La finalité du volet est bien de parvenir à anticiper l’évolution des ressources
humaines du territoire afin de mettre en place des actions visant à résoudre la pénurie de
main-d'œuvre. Or, avant de pouvoir mettre en place une telle action, il semble nécessaire de
sensibiliser d’abord les entreprises à la GRH, en les incitants à réfléchir à une démarche
GPEC au sein même de leur établissement.
Une action de « GPEC » est donc envisagée, suivie d’une action « GTEC ». Cette action,
réalisée par un consultant, est également guidée par l’un des responsables industriels-RH au
sein d’une entreprise « pilote ». Son contenu n’a pas fait l’objet d’importantes négociations
collectives, mais d’ajustements entre le consultant et l’entreprise-pilote, afin de déployer
ensuite la démarche auprès des 9 autres entreprises volontaires.
En revanche, il en va autrement de l’action GTEC. La GPEC n’a pas donné lieu à
l’élaboration d’instruments communs, mais la GTEC va au contraire être inscrite dans un
artefact matérialisé au sein d’une base de données commune, présentée ensuite sous la forme
d’un intranet. En revanche, ce sont les contenus de la base de données ainsi que les modalités
d’accès qui ont été discutés lors des Copil, comme cela est relaté lors de la partie suivante
concernant l’enrôlement60. Ainsi, et malgré l’important travail réalisé par les consultants et la
chef de projet afin de finaliser cet instrument, l’intranet GTEC, sera considéré par la plupart
des acteurs du projet, comme inutilisable et donc, inutile :
« Les personnes n’avaient pas en fait les mêmes perceptions. Soit les personnes ne
comprenaient pas cela de la même manière, elles ont mis un autre sens derrière cet objectif, 60 L’idée de créer une base de données commune ne semble pas avoir été l’objet de négociations, mais si cela a été le cas, nous n’y avons pas eu accès.

289
soit elles avaient des attentes différentes. Il y avait par exemple des entreprises qui espéraient
faire du benchmarking. On a utilisé un même vocable pour couvrir des réalités différentes.
Finalement, on a eu un chantier énorme et peu efficace.» (2ème chef de programme).
Problématiser revient à concilier l’ensemble des intérêts, or, il apparaît que la
problématisation n’a été que partiellement réalisée, car les intérêts divergents des acteurs
demeurent prépondérants. Puisque le projet n’a pu répondre à leurs intérêts, ils le considèrent
en conséquence comme un échec.
1.1.2.3. Le repérage des actants et de leurs enjeux
Un très grand nombre d’acteurs sont rendus mobiles, mais tous n’ont pas été par la suite
impliqués réellement dans le projet GCH. Au démarrage, plusieurs groupes d’acteurs
principaux sont identifiés : la gouvernance du pôle, quelques entreprises adhérentes, les
représentants des collectivités territoriales (Conseil Régional) et de l’État (Direccte), les
organisations professionnelles de branche et un cabinet de conseil.
La gouvernance du pôle souhaite assurer la montée en compétence du pôle de compétitivité
en investissant sur le capital humain, sans lequel l’innovation technologique est considérée
comme difficile. Le volet GCH serait pour le pôle, un outil permettant de mettre en place des
actions de formations et développant l’emploi. Les entreprises adhérentes ont besoin d’une
main-d'œuvre qualifiée et assez nombreuse. Ils voient dans l’action de GPEC, une manière de
disposer d’un accompagnement gratuit. La GTEC via l’intranet, est pour certains, bien
considérée comme un instrument afin d’anticiper l’évolution des ressources humaines sur le
territoire. Pour d’autres, elle doit permettre de « faire du benchmark » ou de connaître le parc
machine. Les collectivités territoriales ont pour mission la valorisation de leur territoire,
notamment en développant tous types d’actions en faveur de l’emploi. Les deux organisations
professionnelles participantes sont considérées comme rivales. Leur enjeu est donc de se
positionner sur ce projet. Les consultants, enfin, se saisissent de cette mission, car ils sont
particulièrement intéressés pour développer un tel outil de GRH territoriale.

290
1.1.2.4. Un point de passage obligé manqué ?
Les acteurs sont d’accord pour faire quelque chose ensemble sur « le capital humain » (pour
créer un programme T10, etc.), mais au sein de GCH, l’artefact n’est pas parvenu à
représenter l’ensemble des intérêts des actants humains.
Le point de passage obligé, autrement dit « un lieu ou un énoncé qui se révèle être, à un
moment ou à un autre des premières phases de la construction du réseau, incontournable »
(Amblard et al. 2005, p.158), la problématisation n’a pas abouti. Les membres du Copil et
notamment, le premier chef de programme ainsi que les consultants, ont souhaité mettre en
place la GPEC et la GTEC, mais cela n’a pas été élaboré de manière émergente.
Pourtant, afin de parvenir à leurs fins, les membres du comité de pilotage ont tenté de recourir
à un certain nombre d’arguments et de propositions, les dispositifs d’intéressement.
1.2. Les dispositifs d’intéressement
L’intéressement résulte de la problématisation : est-on capable de faire en sorte que les
personnes que l’on cherche à impliquer vont y trouver leur compte ? Selon Latour (1992,
p.35), le travail d’intéressement «consiste à construire ces longues chaînes de raisons qui sont
irrésistibles, bien que leur forme logique soit discutable. »
1.2.1. Un système de récompense matériel
Sur le territoire haut-savoyard, un important travail a été réalisé au départ par le chef de projet
afin de démarcher des entreprises volontaires pour participer à une action de diagnostic GPEC
« pilote », ainsi qu’à la GTEC. Des courriers ont été envoyés à près de 200 entreprises
adhérentes et des visites d’entreprises sont effectuées par le chef de projet. Malgré cela, le
projet peine à rassembler davantage d’industriels autour d’un programme RH, car la région
est caractérisée par un lourd héritage industriel souvent décrit comme « une culture du secret»
(chef de projet). Le pôle tente alors « d’intéresser» les entreprises adhérentes en insistant sur
le fait que celles-ci pourront bénéficier de la base de données créée avec l’instrumentation de
GTEC, pour se comparer par rapport aux autres entreprises sur leurs pratiques de GRH. Cet

291
intéressement est d’abord matériel (disposer d’un accompagnement gratuit sur l’axe GPEC et
pouvoir réaliser un « benchmark » sur la politique de rémunération des opérateurs).
1.2.2. Un intéressement ponctuel
Le système d’intéressement est aussi ponctuel : en effet, après avoir réussi à rassembler une
dizaine d’acteurs sur l’axe GPEC et 55 sur l’axe GTEC, le projet semble être au point mort.
Les acteurs issus des entreprises se désintéressent peu à peu du projet, car les programmes
concurrents sont là: la crise économique qui frappe de plein fouet le territoire, les autres
projets de redynamisation du territoire, etc., sont autant de programmes concurrents attirants
les acteurs vers d’autres réseaux.
L’intéressement va de pair avec l’enrôlement, puisque le concepteur du projet propose un rôle
à chaque porte-parole au sein du réseau. Ces porte-paroles acceptent ces rôles moyennant
parfois quelques compromis.
1.3. L’enrôlement
L’enrôlement consiste à donner un rôle, à mobiliser les personnes dans une dynamique de
projet.
Les concepteurs du projet GCH porté par le pôle de compétitivité ont attribué, du moins sur le
papier, un rôle à chaque groupe d’acteurs : le pôle devrait assurer le pilotage stratégique du
projet ; un organisme professionnel porterait le suivi opérationnel et une partie du
financement ; les consultants seraient en charge de la réalisation de l’outil ; les entreprises
fourniraient les informations nécessaires à l’alimentation de la base de données et
l’utiliseraient afin de mieux anticiper l’évolution de leurs ressources humaines ; les
organisations publiques soutiendraient financièrement le projet.
« On était parti de l’hypothèse que les entreprises allaient alimenter la base de données. »
(2ème chef de programme.)

292
1.3.1. Les conditions posées par le pôle de compétitivité
Un cahier des charges finalisé début 2008 aura pour objectif de fixer cette définition des rôles.
Outre les différents arrangements matériels et financiers entre le pôle de compétitivité et le
cabinet, la négociation entre ces deux structures porte également sur le rôle tenu par le cabinet
au terme de la mission qui lui incombe. Il sera donc finalement décidé que le cabinet transfère
l’outil qu’il aura contribué à créer, à une structure choisie par le pôle de compétitivité lorsque
le contrat arrivera à terme. Enfin, le pôle est une structure dont la mission consiste à fédérer
les acteurs du territoire dans le but de développer sa compétitivité. Il se doit donc d’ouvrir les
actions en cours à d’autres acteurs que les entreprises de la vallée de l’Arve.
1.3.2. Les conditions posées par les financeurs publics
Une majeure partie du financement obtenu pour le volet GCH repose sur l’obtention d’un
fond ADEC, dont le relais au niveau local est assuré par la Direccte. La réalisation d’actions
de formation et l’élargissement des entreprises bénéficiaires figurent notamment parmi ces
conditions.
1.3.2.1. La réalisation d’actions de formations sur des publics cibles
Le financement du volet GCH dépend de fonds versés par l’ADEC, dont le déblocage est
conditionné par la réalisation d’actions de formations répondant à des critères très précis :
« Au bout, y’a des gens qui sont formés, et c’est quand on arrive sur la cible, qu’on doit
s’assurer que c’est la bonne cible : le bon âge, que leurs diplômes soient qualifiants et pas
diplômant. Donc y’a toute une série de contraintes liées à l’atteinte de la cible finale, c’est-à-
dire le salarié bas niveau de qualification. Parce que tous ces dispositifs ne sont quand même
prioritairement, pas exclusivement, mais prioritairement, destinés aux bas niveaux de
qualification. » (Responsable Direccte départementale).
La mise en œuvre d’un troisième axe « formation » correspond donc à un compromis entre les
financements publics attribués par l’Etat via la Direccte, et la CSM, qui pilote et porte le volet
GCH au profit du pôle de compétitivité.

293
1.3.2.2. L’élargissement des entreprises bénéficiaires
La réalisation d’actions de formations implique également l’élargissement des entreprises
bénéficiaires. Le volet GCH, piloté par la CSM pour le compte du pôle de compétitivité,
s’adresse, dans un premier temps, uniquement aux adhérents du pôle. Or, les financements
obtenus étant des fonds publics, ces critères d’attribution ne correspondent pas aux critères du
pôle. Les critères de l’ADEC étant plus larges, d’autres entreprises ont ainsi pu bénéficier du
volet formation :
« Talents 2010 au début, c’était vraiment les adhérents du pôle et après on a ouvert sur
d’autres publics. (…) Mais nous, on n’avait pas d’exigences particulières, que le pôle veuille
privilégier ses entreprises, c’est un fait, mais nous on est la fonction publique, sur du droit
commun, donc nous ce n’était pas un problème, ça l’était pour le pôle, mais ils ont dérogé à
ça, moyennant parfois une adhésion au pôle. » (Responsable Direccte départementale).
1.3.3. Les conditions posées par les porte-paroles des entreprises
Accepter un rôle au sein du projet CGH revient, d’abord, à accepter de sortir de son rôle
habituel, mais cela implique pour les acteurs, la négociation des conditions de cet enrôlement.
Certains industriels en particulier, acceptent de sortir de leur rôle habituel de dirigeants afin de
participer au comité de pilotage :
« Quand je vais au Copil, à Cluses, réunion de 10 h à 12 h, à 9 h les « tours multi » sont
arrêtés et mes machines, pendant 3 heures de temps ne vont pas tourner. Et bien, je vais
rester trois heures de temps le soir au boulot, pour faire tourner, pour rattraper le temps
consacré au Copil. Donc moi, quand je suis allé dans ce Copil, j’ai déjà apporté du temps,
qui valait beaucoup d’argent. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH).
Mais cette participation va de pair avec la négociation de certains compromis. Certains
acteurs sont « fidèles, disciplinés, vieux serviteurs, dociles, ne posent pas de problèmes » […]
Mais d’autres doivent être recrutés, séduits, modifiés, transformés, développés, pour venir sur
le projet. [… ]. Ils posent leurs conditions, eux aussi, ils permettent ou interdisent d’autres
alliances. Ils exigent, ils contraignent. […]Il faut les lier au sort (du projet GCH), oui, les

294
recruter, les enrôler, les fidéliser. Disons-le, il faut négocier avec eux. (Latour, 1992, p.55).
Les négociations portent sur la prise en compte de la confidentialité et l’intégration
d’éléments d’enquête concernant le parc machine.
1.3.3.1. Le respect de la confidentialité des données
Les représentants des entreprises insistent d’abord sur la confidentialité des données
mutualisées dans l’intranet GTEC et sont parfois réticents à restituer l’ensemble de ces
informations :
« Vous avez beau dire qu’il y a une situation de confidentialité, excusez-moi, quand c’est sur
la toile, c’est sur la toile. Et qu’après c’est un peu difficile de savoir jusqu’à quand c’est
confidentiel et quand ça l’est plus. Je me suis dit qu’il y a des questions qui resteront sans
réponse. » (DRH ayant participé à GCH).
Cette question est inscrite à plusieurs reprises dans les comptes-rendus des comités de
pilotage et figure parmi les points urgents à traiter. Il sera donc proposé, afin de résoudre la
question de la confidentialité, de ne présenter, sur l’intranet, uniquement les résultats issus des
synthèses réalisées. Il est envisagé que les données relatives à chaque entreprise puissent être
consultées uniquement par l’entreprise elle-même, grâce à l’attribution d’un login.
Néanmoins, ceci ne sera jamais réalisé.
1.3.3.2. La prise en compte du parc machines
Au fil des mois, certains représentants des entreprises qui ont rejoint le comité de pilotage,
proposent et insistent afin d’ajouter aux éléments d’enquête, les données correspondant au
parc machines, ainsi que d’avoir la possibilité d’ajouter des éléments concernant la politique
salariale :
« Parce qu’aujourd’hui il manque énormément de statistiques au niveau de la profession.
Déjà une chose évidente que je réclame depuis des années à cor et à cri, c’est connaître le
parc machines réel de cette vallée. Aujourd’hui nous ne savons pas combien il y a de tours
multibroches. Combien de tours multibroches numériques, de tours multibroches à cames, de
tours traditionnels à came, à poupée fixe, à poupée mobile, de « tours CN »… On n’en sait

295
rien, on n’a aucune idée. Par contre, on fait des formations. C’est extraordinaire ! On forme,
on ne sait pas pourquoi, ni pour qui, mais on forme ! » (Dirigeant d’entreprise ayant participé
à GCH).
Ces requêtes seront acceptées et ces éléments seront ainsi intégrés à la base de données
GTEC. Le comité de pilotage, au démarrage du projet, spécifiait que l’objectif était de
disposer d’une vision des ressources humaines du territoire en termes d’emplois et de
compétences, la concrétisation de l’outil prend ainsi peu à peu un tout autre visage : celui-ci
est en effet orienté, vers un outil de comparaison des processus RH et des données sociales
des entreprises participantes. Ces compromis, résultant des conditions posées par les
nouveaux alliés, sont des formes d’intéressement. Or elles éloignent encore davantage le
projet de son idée originelle, toujours sans renégociation de la problématisation.
1.3.3.3. La représentativité de la base de données
La base de données avait pour objectif de recenser dans un premier temps, près de 60
entreprises. Ces entreprises sont sélectionnées grâce à une méthodologie choisie par le cabinet
de conseil. Or, la question de cette représentativité est sujette à des débats au sein du comité
de pilotage, car du point de vue de représentants des entreprises, son utilité en dépend :
« Ce qu’il faut absolument, c’est que la GTEC, elle représente une population significative de
données. Alors là on a des débats pour savoir si 30 entreprises, c’est significatif ou pas,
j’aurai tendance à dire que c’est mieux que rien. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à
GCH).
S’agit-il d’une représentativité des entreprises du secteur du décolletage au sens strict ? Des
entreprises du pôle de compétitivité ? Des entreprises de la Haute-Savoie. ? Finalement, la
question de la représentativité ne sera pas tranchée.
Ces négociations ont lieu entre les porte-paroles de chaque groupe d’acteurs identifié. Or la
survie du dispositif dépend de la capacité des porte-paroles à élargir le réseau, autrement dit à
mobiliser des alliés.

296
1.4. La mobilisation des alliés
Ce micro-réseau formé par les membres du comité de pilotage ne s'agrandira que si les entités
qui le composent parviennent à se diffuser.
1.4.1. Les tentatives de rallongement du réseau
Le rallongement du réseau s’opère notamment auprès des entreprises à deux niveaux en
parallèle : au niveau du comité de pilotage et au niveau de la participation aux actions de
GPEC et de GTEC.
1.4.1.1. Le rallongement du comité de pilotage
La mobilisation des alliés sur le volet GCH a consisté à tenter d’élargir la participation des
entreprises du comité de pilotage à un plus large panel d’entreprises. Ainsi, au fur et à mesure
de l’avancement du projet dans le temps, les comptes-rendus des réunions de comité de
pilotage indiquent que les membres permanents souhaitent intégrer un plus grand nombre de
personnes, notamment des représentants d’entreprises.
1.4.1.2. Le rallongement des actions GPEC et GTEC
L’élargissement du réseau au niveau des actions de GPEC et de GTEC est réalisé grâce à la
mobilisation des entreprises. Sur l’axe GPEC, cinq entreprises ont au départ été mobilisées :
elles ont répondu présentes à l’appel à projet et ont accepté de suivre la démarche. Par la suite,
le rallongement du réseau est envisagé en proposant à un plus large nombre d’entreprises
d’intégrer cet axe. Mais à partir de janvier 2009, ce déploiement est remis en question.
L’objectif 2009 est alors fixé à 14 entreprises au total (dont 7 entreprises déjà impliquées dans
le prototypage, certaines s’étant entre-temps désengagées).
Sur l’axe GTEC, le rallongement du réseau se fait peu à peu. Près de 55 entreprises
accepteront de communiquer les informations requises afin de constituer la base de données.
Mais cet enrôlement est précaire. En effet, des programmes concurrents resurgissent et

297
démantèlent le fragile réseau à peine constitué. D’autres dispositifs sont mis en place par
l’Etat ou la Région en parallèle et proposent des aides et un soutien à l’emploi.
1.4.2. Le désengagement
Outre les quelques porte-paroles assidus régulièrement présents aux comités de pilotage et
engagés sur les actions de GPEC et de GTEC, d’autres sont en revanche moins « attachés » et
leur enrôlement est plus précaire. Comme le rappelle Latour (1992, p.47), « Si l’on fait la
carte de tous les intérêts liés à un projet, les intérêts vagues ou même réticents de ceux qui
poursuivent un autre projet doivent aussi être comptés. Ce sont des alliés. Évidemment, de
tels alliés ne sont ni très accrochés, ni très accrocheurs. […] Ils ne sont pas « vecteurs » et
peuvent donc lâcher en cas de coup dur. Mais s’il fallait n’avoir que des associés à toute
épreuve, on ne résisterait jamais à aucune épreuve. » Au sein du comité de pilotage, le
désengagement se fait au coup par coup et concerne quelques représentants des entreprises,
qui seront remplacés par d’autres. Sur l’axe GPEC, la désaffection concerne deux entreprises
qui se retireront du processus, comme en témoigne le DRH de l’une de ces entreprises :
« Quand vous êtes en pleine crise et que vous savez d’emblée au mois d’octobre, que vous
allez devoir faire un plan social, un PSE, vous dites, on fait surtout pas de GPEC, on ne fait
surtout pas ça, parce que dans la tête des gens, ça sera un outil pour les virer. Donc qu’est-ce
qu’on a fait, très rapidement, ben ici sur ce site (…) on n’a pas dit « on annule », on a dit,
« on suspend ». Et puis sur les autres sites, puisque les plans de licenciements ont eu lieu sur
tous nos sites, malheureusement, on a dit stop au chef de projet. » (DRH ayant participé à
GCH).
Sur l’axe GTEC, les entreprises interrogées, qui ont contribué à construire la GTEC ne
consultent pas la base de données :
« [Etes-vous allé consulter la base de données GTEC ?] J’y suis allé au tout début, lorsque la
base de données a été présentée aux entreprises, mais je ne suis pas retourné dessus. Et puis
les données statistiques, on les connaît déjà, on sait qu’il va nous manquer des techniciens
régleurs, alors à quoi ça sert d’autre sinon nous inquiéter ? Nous, on ne peut rien faire en
tant qu’entreprise de toute façon là-dessus. » (Dirigeant d’entreprise ayant participé à GCH).

298
« Trahir, traduire, l’ambiguïté fait partie de la traduction » (Latour, 1992, p.47). Par cette
citation, l’auteur entend que pour continuer à établir un réseau d’actants humains et non-
humains, la « trahison » est nécessaire, c’est-à-dire la modification du projet. Par
« ambiguïté », l’auteur signifie qu’une certaine gestion du floue doit être conservée dans le
projet afin de rallier le maximum d’actants. Dans le cas du projet GCH, l’ambigüité de départ
a laissé très vite place à la réalisation d’un artefact inscrit (l’intranet) qui a figé les
controverses non résolues. Pour les actants, le projet n’est finalement pas considéré comme
indispensable, il n’est pas « irrésistible ». Ils ne «s’y engagent pas à fond comme si le monde
allait s’écrouler s’ils tardaient trop. Ils s’y engagent en second, « pour voir » (ibid.).
1.4.3. Un constat partagé d’échec
L’instrument GTEC est peu à peu contesté par les différents groupes d’acteurs, car il ne
répond finalement aux attentes ni aux besoins des acteurs. Personne ne sait vraiment comment
utiliser l’outil GTEC afin de bénéficier d’une vision des ressources humaines sur le territoire.
Les entreprises interrogées ont peu consulté la base de données GTEC; les financeurs du
projet émettent un avis plutôt mitigé quant aux résultats atteints ; les consultants ont terminé
leur mission et transfèrent l’outil au pôle ; le pôle de compétitivité souhaite déléguer le
pilotage du projet à une autre organisation. Selon les financeurs, le projet est clairement piloté
par les industriels et résulte de l’expression de leurs besoins ; selon les industriels, il s’agit
avant tout d’un projet politique porté par les institutionnels…Le projet GCH est ainsi en partie
mis entre parenthèses, avant d’entrer actuellement dans une phase réorganisation, concernant
son orientation stratégique et la structure de son pilotage.
La mobilisation des alliés a en partie échoué, car le réseau n’est parvenu à s’étendre. Mais le
projet n’est pas autant abandonné.
1.5. Vers une nouvelle chaîne de traduction ?
Mobiliser suppose de retravailler à l’intégration des actants au sein d’un réseau, mais cela
peut passer par la formulation d’une nouvelle problématisation. Ici, « l’instrumentation-
idée », c’est-à-dire l’idée originelle de ce que devrait être un projet de GPEC territoriale, n’a
pas été renégociée. La concrétisation des artefacts a en revanche intégré des négociations et

299
des compromis au fil de l’avancement du projet dans le temps. La problématisation initiale,
qui valait pour les premiers actants enrôlés, ne vaut plus pour les actants que l’on a tenté de
rallier au réseau. Cela peut conduire à une nouvelle chaîne de traduction.
1.5.1. L’éloignement de l’instrument-idée de départ
L’écart s’est creusé entre les programmes narratifs initiaux et la concrétisation des
instruments : est-ce alors le même projet GCH que celui des concepteurs du projet ? « Non, et
c’est justement ainsi qu’un projet peut espérer venir à la réalité. […]. S’il fallait que tous les
acteurs s’accordent sans ambigüité sur la définition de ce qu’il faut faire, alors la probabilité
de réalisation serait très faible, car le réel demeure longtemps polymorphe […]. C’est
seulement en fin de parcours et localement que l’essence viendra et au projet et que tous les
interviewés le définiront dans les mêmes termes – au point de vue près. Pour ses débuts, il
convient, au contraire, que des groupes différents, aux intérêts divergents, conspirent un
certain flou pour un projet qui leur apparaît commun, projet qui constitue alors une bonne
agence de traduction, un bon échangeur de buts » (Latour, 1992, p.47).
Dans le projet GCH, un énoncé (« rétablir durablement l’adéquation… ») a été formulé et
accepté par tous. Mais tous ne mettent pas derrière ces mots la même signification.
Suffisamment large et flou, celui-ci est accepté, mais il dissimule en réalité les divergences
d’opinions et d’intérêts, qui bien qu’implicites, ne font que très peu surface.
Si le projet était parvenu à traduire réellement l’ensemble des intérêts de chacun, alors un
nouveau cycle de problématisation aurait été enclenché, permettant d’aboutir à une
redéfinition collective de ce que devrait être la GPEC territoriale voire de ce que devrait être
ce programme RH au sein du pôle de compétitivité. Or la problématisation, partielle, n’a pas
permis cela. Aussi les intérêts divergents exprimés sont restés en suspens.
1.5.1.1. Une diminution du nombre d’alliés
La mobilisation des alliés a en partie échoué, car le comité de pilotage n’est pas parvenu à
étendre comme il le souhaitait les actions engagées. Comme le rappelle Latour, « la taille des
acteurs est variable, c’est là toute la difficulté de l’innovation » (Latour, 1992, p.44). Au
démarrage du programme Talents 2010, seules quelques personnes étaient impliquées dans ce

300
projet. Peu à peu, le programme a été scindé en deux et des porte-paroles ont été enrôlés au
sein du volet GCH. Un certain nombre d’alliés accepte de participer au projet, mais en même
temps, l’intégration de nouveaux alliés va de pair avec la négociation de compromis, qui
transforme le projet. Celui-ci arrive alors à un moment clé, comme cela est indiqué dans le
schéma ci-dessous (Latour, 1990/2006, p.102). Suite à la phase de développement, le nombre
d’alliés a chuté : le projet entre dans une phase de réorganisation et retourne dans le « monde
des idées ».
Figure 40 : Le système de projection de B. Latour (2006, p.102)
1.5.1.2. La place de l’artefact
Les instruments qui ont été élaborés n’ont pas permis de traduire l’ensemble des intérêts des
acteurs. Il n’y a pas eu traduction de l’ensemble des intérêts. Car ces compromis impliquent
un savoir-faire particulier que ne détiennent pas les membres du comité de pilotage (mise à
jour des données, intégration d’éléments techniques, représentativité) ou ne sont pas en
mesure de les fournir.
Projet GCH : Phase de
création
Projet GCH : Phase de
développement
Projet GCH : Phase de
réorganisation

301
1.5.2. Retour vers « le monde des idées »
Nous pourrions paraphraser B. Latour afin de reprendre à notre compte les observations
réalisées sur le projet Aramis : « Selon les évènements, le même projet remonte dans le ciel
des idées ou se leste de réalité. Aramis [Le projet Gestion du Captial Humain], puisqu’il a
échoué nous le savons, redevient une idée – géniale – après avoir failli devenir un moyen de
transport dans le sud de Paris [une GPEC territoriale]» (citation adaptée à partir de Latour,
1992, p.63). Le projet GCH entre dans une phase de réorganisation au cours de laquelle est
formulée une nouvelle problématisation, intégrant un nouveau « dispositif-idée » :
« On est parti avec de bonnes intentions, mais nous n’avons pas mesuré la faisabilité. On a
voulu faire trop bien. Il y avait un côté séduisant de dire que nous allions faire une GTEC.
C’était séduisant, mais pas réaliste, on croyait que ça allait se passer comme dans
l’entreprise. Mais en réalité, on a voulu faire trop bien, c’était trop détaillé. Par exemple, ne
serait-ce que sur la question des définitions des métiers : opérateur régleur…etc. Il y aurait
de quoi meubler ! Pareil pour les niveaux de qualification…enfin, on s’est ensablé. C’est
pourquoi nous allons réorienter le projet. » (Directeur du pôle de compétitivité)
1.5.3. La voie vers une nouvelle problématisation
Après avoir été transféré à une autre structure, le programme Talents 2010 va peu à peu être
dirigé vers de nouvelles orientations.
1.5.3.1. Une logique de mise en réseau des actants
Un nouveau « réseau narratif » est proposé par le chef de programme Talents 2010. Il repose
sur la mise en réseaux des acteurs, qui pour la plupart sont identiques aux actants décrits lors
du démarrage du projet : le pôle de compétitivité, les entreprises adhérentes, les organisations
patronales, les organismes publics locaux. D’autres actants ne feront peut-être plus partie du
réseau imaginé. De nouveaux actants font leur entrée ou réapparaissent dans
l’instrumentation-idée : les responsables des programmes techniques du pôle de compétitivité,
la Maison de l’Emploi et de la formation, l’AVC 74…

302
1.5.3.2. Des rôles parfois différents
Si la plupart des actants repérés sont les mêmes, en revanche le rôle qui leur serait attribué
dans cette nouvelle instrumentation est parfois différent. Le pôle de compétitivité continue
d’assurer le soutien au programme Talents 2010 et envisage d’intégrer le chef de programme
au sein du comité de pilotage stratégique du pôle de compétitivité. S’agissant des entreprises,
certaines d’entre elles feraient toujours partie du comité de pilotage. En revanche, elles ne
seraient plus utilisatrices de l’instrument de GPEC territoriale, mais uniquement bénéficiaires.
La CSM qui portait le projet lors des périodes précédentes, reste partenaire du programme,
mais n’assure plus le portage ni une partie du financement. Le SNDEC en revanche, a
récupéré le portage et le pilotage du programme.
1.5.3.3. De la GTEC à la VTEC
Peu à peu l’on passe ainsi d’une approche de la GPEC territoriale ou GTEC qui reposait sur la
mutualisation de diagnostics GPEC, à une approche de la GPEC à partir d’un nombre de
données territoriales plus large prenant en compte l’évolution des emplois sur le territoire.
« Avec la GTEC, on était parti sur quelque chose de très analytique : on pensait que la
somme des GPEC allait aboutir à la GTEC, c’est-à-dire que GPEC + GPEC +GPEC+…=
GTEC. On s’était dit qu’on allait construire une base de données que les entreprises allaient
alimenter, c’était une erreur, car la GPEC est propre à chaque entreprise, toutes n’en ont
pas. C’était absurde de faire de manière « bottum up ». C’est pourquoi nous parlons
maintenant plutôt d’une vision, de faire un état des lieux, afin d’avoir une base de réflexion,
sur l’évolution à 10 ans du territoire, et de savoir à quoi s’attendre en termes quantitatifs et
qualitatifs pour le bassin d’emploi. Par bassin d’emploi, j’entends la réalité physique, donc
cela inclut aussi le bassin frontalier suisse. « (Directeur du pôle de compétitivité)
Le 3ème chef de projet parle alors de « VTEC » (vision territoriale des emplois et des
compétences), dont le dispositif a été présenté à la fin du chapitre. La VTEC indique le retour
dans le monde des idées.

303
Synthèse de la section 1
La restitution de l’histoire de la construction du dispositif inter-organisationnel de GRH
territorial montre que ce processus est jalonné par un ensemble de négociations et de
conditions posées par les acteurs, mais qui ne permettent pas forcément de déboucher sur de
réels compromis.
Un premier niveau de problématisation a permis d’aboutir à la création du programme RH
« Talents 2010 », mais au sein de celui-ci, les deux volets font fonctionner de manière
indépendante. La dynamique créée au sein du projet « Gestion du Capital Humain », en
l’absence de point de passage obligé, aboutira à une problématisation partielle, ne
permettant pas de rassembler l’ensemble des acteurs.
Des formes d’intéressement ont été toutefois mises en place, mais elles se sont révélées être
insuffisantes.
Les différents porte-paroles impliqués dans la construction du projet posent certaines
conditions, parfois concrétisées dans l’artefact, parfois laissées en suspens, car ne permettant
pas de trouver une issue satisfaisante aux yeux de tous.
Dans ce contexte fragile, le projet peine à mobiliser d’autres acteurs, d’autant plus que les
alliés sont pour certains, faiblement attachés, et que des actants concurrents font surface.
Finalement la dynamique du projet s’amenuise petit à petit, mais sans toutefois s’éteindre
complètement. Un nouveau chef de projet propose alors un nouveau « réseau narratif »…
Au final, ce chapitre montre que les négociations non abouties éloignent la réalisation de
l’outil, mais sans toutefois permettre non plus de trouver un compromis satisfaisant aux yeux
de tous. Ces résultants indiquent que le modèle initiale de la GPEC territoriale et plus tard sa
concrétisation, ne permettent pas, ni l’un, ni l’autre, d’aboutir à un compromis socio-
technique.

304
2. Le projet GTRH Nord-Drôme
Quels ont été les tractations, les négociations, les compromis ayant permis l’élaboration du
projet GTRH ? Comment expliquer le fait qu’il soit considéré par les acteurs du projet,
comme une réussite, alors qu’il présente un tout autre visage que celui qui avait été envisagé
au départ ? Que s’est-il donc passé en termes de problématisation (2.1.), d’intéressement
(1.2.), d’enrôlement (1.3.) et de mobilisation des alliés (1.4.) ?
2.1. La problématisation
2.1.1. Des actants rendus mobiles autour de la GRH territoriale
2.1.1.1. Un accord sur la nécessité de travailler ensemble
Dès 2005, une dynamique collective est engagée grâce à l’action du sous-préfet de la Drôme
dans le cadre du contrat de site. Parmi les différentes actions proposées, ce contrat prévoit
l’élaboration d’un projet de GPEC territoriale, ainsi que la création d’une Maison de l’Emploi.
Très vite, ces deux initiatives de rejoignent, à la demande du sous-préfet, qui démarre alors
une action de sensibilisation des entreprises à la nécessité de travailler à cette GPEC
territoriale.
Le contrat de site prévoit donc d’aider les entreprises du secteur du cuir. L’idée de mettre en
place une démarche de GPEC territoriale vise donc en particulier les entreprises attenantes à
ce domaine d’activité, ainsi que les salariés détenant les compétences liées au travail du cuir.
De son côté, la MEF a prévu de travailler sur la gestion des ressources humaines, mais son
cahier des charges précise qu’elle doit mettre en œuvre des actions à l’intention de l’ensemble
des entreprises du territoire. C’est pourquoi, lorsqu’elle décide de démarrer le projet GTRH,
elle s’entend avec le sous-préfet afin d’inclure dans le panel d’entreprises qui sera contactée,
une moitié d’entreprises faisant partie du secteur du cuir. Cet accord permet de tenir à la fois
les engagements liés au contrat de site et au cahier des charges national des Maisons de
l’Emploi. En parallèle, la MEF a également une idée des secteurs d’activité qu’elle souhaite
soutenir en particulier : elle a en effet repéré une certaine importante sur le territoire des

305
organisations liées au secteur médico-social (hôpitaux, maisons de retraite, etc.). Ces
organisations ont en commun certaines difficultés de recrutement. La MEF souhaite donc
inclure en particulier ces organismes dans l’action de GRH territoriale :
« Au début on a eu l’idée de faire cela sur un seul secteur, celui de la santé et des soins. Mais
ils n’ont pas répondu. On voulait contacter 3 ou 4 organismes de soin, implantées autour de
Royan. Mais ils n’ont pas répondu, car il y avait d’autres démarches nationales. »
(Consultant).
La GPEC territoriale devient ainsi l’un des moyens de redynamiser le territoire, cependant,
dès le départ, l’objectif de ce projet commun de GRH sur le territoire ne fait pas l’objet d’une
définition précise. Le consensus porte en réalité sur la nécessité de réunir l’ensemble des
acteurs publics et privés locaux dans l’intérêt de tous. Ce projet de GTRH donne lieu à
l’énonciation de propositions formulées de manière ouverte.
2.1.1.2. Le repérage des actants et de leurs enjeux
Plusieurs groupes d’acteurs sont susceptibles de rallier le projet GTRH. Chacun de ses acteurs
a un intérêt potentiel :
La MEF, en tant que structure fédératrice : elle a besoin de mettre en place ce dispositif de
GRH afin se positionner sur les missions qui lui ont été confiées, et notamment sur l’axe 1. De
plus, son existence est liée au contrat de site, elle se doit de travailler en accord avec le sous-
préfet et la GPEC territoriale.
Les représentants du territoire (les communes et les communautés de communes) et le service
public de l’emploi : les représentants des collectivités locales et de l’Etat ont pour mission de
mettre en place des actions favorisant la redynamisation de leur bassin d’emploi.
Les entreprises du territoire : les entreprises, quant à elles, n’ont pas émis le besoin de se
rallier à un projet de territoire, néanmoins, elles ont été largement sensibilisées à cette
nécessité. En l’absence de spécialisation industrielle forte, beaucoup d’entreprises, notamment
les PME, se sentent isolées et expriment la nécessité de rejoindre un réseau d’entreprise local,
en particulier sur les questions d’emplois et de gestion des ressources humaines.

306
Un cabinet de conseil : en tant que prestataire de service déjà engagé sur la plateforme de
reclassement mise en place avec Pôle Emploi dans le cadre du contrat de site, il souhaite bien
entendu étendre sa collaboration sur ce territoire avec la MEF.
La Direccte locale exprime un avis sur l’intérêt de développer un projet de GRH territoriale au
service des entreprises, de manière à faciliter leur implantation et leur développement :
« Y’avait un intérêt vis-à-vis des entreprises, car une entreprise qui souhaite développer une
branche d’activité, aimerait bien savoir quelles sont les compétences qu’il y a sur le
territoire, au-delà de déposer une offre d’emploi ou des choses comme ça ; donc les
entreprises, oui, elles ont ce besoin-là, de savoir sur quel terrain elles travaillent, quand est-
ce qu’elles peuvent bénéficier d’une compétence ou d’une autre, elles ont aussi besoin de se
retrouver entre-elles, d’échanger, tout en étant de secteurs différents, de toute façon, elles ont
toujours des thématiques qui sont communes. Donc voilà, l’intérêt des entreprises est
multiple. Après, toutes ne vont pas l’exprimer spontanément. » (Responsable Direccte
régionale).
Au début du projet, ces acteurs sont réunis autour de la table, mais la divergence apparente de
leurs intérêts est évidente :
« On a eu une première rencontre en interne à la Direccte départementale. J’en ai parlé à la
directrice de la MEF, on a eu d’autres réunions, on en a discuté avec la MEF, avec le sous-
préfet à l’époque, en charge du contrat de site. Et y’a eu une autre réunion à la MEF avec des
consultantes, où on a balayé un petit peu tout ce qu’on pouvait faire sur le territoire Nord-
Drôme, un petit peu en termes de RH…ça allait du développement culturel à la mise en place
de formations collectives, c’était très large. Y’a des dissertations sur les couteaux de Tolède,
enfin bref…Et les choses, petit à petit, ont fait leur chemin. (…) Le service public de l’emploi,
lui cherchait véritablement à améliorer son offre de service, c’était un petit peu ça. Je vous
dis, ça finissait par tenir de l’inventaire à la Prévert, et c’était extrêmement difficile d’y voir
clair. » (Responsable Direccte départementale).
C’est pourquoi, malgré l’accord sur le fait de travailler ensemble, la formulation du projet
demeure relativement floue.

307
2.1.1.3. Les traducteurs
L’émergence du projet GTRH doit beaucoup au rôle joué par le sous-préfet, qui, en amont,
avait déjà préparé les entreprises et les acteurs locaux à cette éventualité. Celui-ci bénéficie
sur le territoire d’un certain charisme et a marqué les esprits.
« La fonction d’animation doit être portée par des personnes leaders au niveau local. Ici,
c’était le sous-préfet. Sans cette dynamique, ils auraient fait moins de choses (…) C’est donc
important d’avoir un « sponsor ». Ça peut être le préfet, un élu, un chef d’entreprise, même si
c’est plus rare. Dans certains endroits, la MEF ne fait pas ça. Donc sans le sous-préfet, la
MEF aurait été moins tournée vers les entreprises. C’est important. » (Consultant).
Après le départ du sous-préfet, c’est la MEF qui prend le relai de la dynamique engagée. La
directrice de la MEF, qui pilote également le projet GTRH, jouera un rôle décisif par la suite,
car elle sera particulièrement attentive à l’intéressement, l’enrôlement et à la mobilisation des
alliés autour du projet GTRH.
2.1.2. La convergence
Peu à peu, le projet GTRH prend forme grâce à l’aide proposée par les consultants et
l’identification d’un projet similaire développé sur la vallée de l’Arve. En réponse au cahier
des charges élaboré par la MEF, le cabinet propose donc de mettre en place le projet, tel qu’il
a été présenté précédemment (un volet individuel reposant sur les diagnostics RH et les
portraits-flash, un volet collectif appuyé sur l’élaboration d’une base de données territoriale).
La possibilité de se voir accorder un financement de la part de la Direccte régionale dans le
cadre des contrats de projet Etat-région enclenche le démarrage du projet :
« À partir de là, elles (la directrice et la consultante) ont franchement travaillé bien en
corrélation, bien ensemble et en bonne entente. Alors c’était GTRH, des fois, GTEC, on
n’était pas encore très clair au niveau des dénominatifs, on n’est pas très au point encore.
Ressources humaines, certes, mais les emplois et les compétences d’un territoire…Enfin
l’objectif, c’était aussi de mettre en valeur les emplois et les compétences d’un territoire. Et
les mettre en relation aussi, c’était un petit peu ça ». (Responsable Direccte départementale).

308
Le projet démarre donc et les actions prévues sont mises en place. Malgré tout, la finalité du
projet demeure encore relativement vaste et le projet oscille entre plusieurs dénominations.
2.1.2.1. Un point de passage obligé
Après plusieurs mois, le premier volet du projet GTRH se termine alors. La Direccte
régionale avait, au préalable, exigé de scinder le projet en deux parties, de manière à pouvoir
établir un compte-rendu intermédiaire et évaluer le projet. La réunion de restitution du projet
va tenir lieu de point de passage obligé. En effet, cette réunion est considérée par l’équipe
technique comme décisive.
« Et franchement, la directrice était partie dans un flot d’inspiration, elle avait une pêche
d’enfer, je vous assure, j’ai rarement vu des réunions comme ça, rarement, rarement,
rarement. (…) Et là, là ! Ça a été un vrai feu d’artifice, alors là, je peux vous dire, les deux
agents de la Direccte régionale ont été conquis (rires). » (Responsable Direccte
départementale).
Jusqu’à présent les actions développées dans le cadre du projet GTRH pouvaient être
considérées sans lien avec l’ensemble des autres actions RH de la MEF. De plus, la base de
données territoriale avait, entre temps, été jugée inexploitable. Or, la MEF se doit de justifier
la mise en œuvre des actions réalités au regard des critères établis par le contrat de projet Etat-
Région. Sans la base de données, la seule réalisation des diagnostics RH et de portraits-flashs
ne permet pas de considérer le projet comme ayant une visée territoriale. Cette réunion a
permis le dénouement de cette situation critique, comme le relate la Direccte départementale :
« Je trouve que la directrice de la MF a eu un trait de génie là-dessus. Un jour, la Direccte
régionale, vu que c’était eux qui géraient les co-financements là-dessus, ont demandé à voir
la directrice de la MEF et les consultants, pour faire un bilan de l’action et savoir si les
financements allaient être reportés ou pas. Je dois vous avouer qu’à ce moment-là, la
directrice n’avait pas eu le temps de faire valider tous les bilans par les entreprises, y’avait
eu du retard dans le dossier, etc., donc l’intention de la Direccte régionale, c’était vraiment
de mettre les choses au clair. Et lors de cette réunion, je vois arriver la directrice, elle
était…roh, elle avait une mine de papier mâché, ce n’était pas possible ! Y’avait aussi la
chargée de mission sur le projet GTRH, la consultante, et on commence à discuter du projet.

309
Et moi je l’amène un peu à discuter à la fois, aussi des autres actions du territoire, un peu ce
qu’elle vous a fait, en vous présentant pas mal d’actions ressources humaines mises en place
par la maison de l’emploi, et alors là, trait de génie de la directrice : ce n’est pas un outil de
gestion territoriale, qui serait un outil dont on ne serait pas quelle forme il pourrait prendre,
c’est un système d’animation territoriale, pérenne , et surtout, avec des capacités
d’adaptation bien entendu, etc., qu’il faudrait pouvoir imaginer. Et là c’était formidable, car
enfin elle reliait cette action à ce qui se passait dans le cadre de Securis’RA, aux actions dont
elle vous a parlé avec la Chambre des Métiers, avec la Chambre d’agriculture, qui était aussi
sur de la GPEC. Voilà. Et du coup, voila, alors on a dit, alors ça peut prendre, comme type
de forme, des animations thématiques, sur certains thèmes bien particuliers, comme l’emploi
des seniors, quelque chose dans ce gout la, des informations, des bulletins d’information, des
bourses de CV spontanés. » (Responsable Direccte départementale).
C’est donc à partir de cette réunion, où cours de laquelle un point de passage obligé a
émergé, que la convergence de l’intérêt de l’ensemble des acteurs a pu être réalisée.
Dans sa nouvelle formulation, le projet permet de répondre à au moins trois besoins
exprimés :
il permet, d’une part, de capitaliser et de diffuser auprès des partenaires et des entreprises, des
informations sur les ressources humaines.
Il revêt également une fonction d’observatoire du territoire sur le champ des ressources
humaines.
Il assure enfin le développement d’un partenariat entre les acteurs et les parties prenantes du
développement des ressources humaines sous la forme d’un réseau.
Le projet GTRH devient ainsi un « outil virtuel », comme cela est relaté dans le bilan final
écrit en aout 2010 :

310
« En effet, au fil des réflexions, cet « outil » a pris une forme « virtuelle », il est représenté par
une démarche d’animation des RH, au service du recueil d’informations, de leur analyse et de
leur diffusion. De façon complémentaire et préalable, de multiples actions ont aussi été mises
en place pour recueillir des données qualitatives sur les pratiques et les besoins des entreprises
en matière de RH…. La GTRH est l’aboutissement de l’action menée depuis 2 ans. En réalité,
elle ne sera jamais « aboutie » puisque sans cesse en mouvement. En effet, la GTRH n’est pas
un objet ou une création concrétée que l’on peut mettre à disposition des uns et des autres. Il
s’agit réellement d’une démarche, qui s’est créée petit à petit avec un ensemble d’actions
menées sur les RH auprès des entreprises, mais aussi des partenaires institutionnels. La GTRH
doit être actualisée sans cesse, portée par un partenaire ou par un ensemble d’acteurs, au
service du développement et de l’anticipation des besoins en RH. » (bilan août 2010)
2.1.2.2. L’établissement d’une logique liant l’ensemble des actants
Ce n’est donc qu’à la fin de la première partie du volet GTRH, alors que des actions ont déjà
été réalisées, que l’établissement d’une logique liant l’ensemble des acteurs du réseau est
établi, associant des problématiques globales à des problématiques locales :
18
Le Territoire L’entreprise
Portrait flashDiagnostic GPEC
Plan d’actions interneActions collectives
Actions mutualiséesOffre de services
Compilation des donnéesOutil GTRH
Diagnostic du territoire
Figure 41 : Extrait du diaporama de présentation du projet GTRH, novembre 2008

311
2.1.2.3. L’aboutissement de la problématisation
Cette convergence d’intérêts grâce à ce point de passage obligé a été réalisée moyennant des
compromis. Ainsi, la base de données territoriale, qui ne permettait pas de rassembler
l’ensemble des intérêts des acteurs est abandonnée au profit d’autres instruments permettant
de créer un consensus :
« Non l’outil (territorial) n’est pas créé. Ça devait se faire. Donc tout ce qui était diagnostic,
travail individuel, restitutions collectives, ça fonctionnait bien. La base de données
territoriale, tout le monde, tous les acteurs du territoire voulaient y mettre leurs pattes, et ça
devenait multiforme, on savait plus par quel bout le prendre, il y aurait fallu quelqu’un
d’extrêmement créatif ou très synthétique, l’un ou l’autre, pour arriver à faire concorder ce
que tout le monde souhaitait (…) Donc il était difficile de tirer des conclusions qui servent à
tout le monde. Parce qu’on a fait des réunions, des espèces de brainstorming, avec le service
public de l’emploi, des représentants de collectivités territoriales, et ça allait dans tous les
sens, tout le monde voulait faire des choses qui servent leur structure, voilà quoi. »
(Responsable Direccte départementale).
Ici le compromis réalisé est l’abandon de la base de données territoriale, ce qui rend possible
la problématisation. Le projet GTRH a été modifié en un outil virtuel. La manière d’envisager
la GRH territoriale est elle-même peu à peu redéfinie et s’éloigne de l’idée d’une GPEC
territoriale appuyée sur la gestion des compétences :
« Je pense que [la GRH territoriale], c’est mettre en réseau tous les acteurs autour des RH du
territoire, que ça soit les entreprises, les partenaires sociaux, et les services, les acteurs. Une
opération de GRH sera réussie si on arrive à faire en sorte que tout le monde sait qui est tout
le monde, et ce que peut apporter tout le monde. C’est plus de la transparence en termes de
besoin et d’offres de service. Parce que c’est vrai que si on veut parler de gestion des
compétences, on peut imaginer, comme c’est imaginé dans les livres, c’est ce que j’ai
remarqué avec les étudiants, ils étaient dans des définitions très théoriques et livresques, ou
alors des choses qui s’appliquent à des boites de 1000 salariés. Ils m’ont dit, on parlait des
TPE, « mais comment vous voulez faire de la GPEC ». Moi je leur disais, quand on veut faire
de la GPEC sur le territoire, on ne parle pas de branle –bas de combat dans toutes les boites,
on parle vraiment déjà de mettre en place quelques petits outils, pour permettre de prendre en

312
considération les RH. Si déjà le chef d’entreprise sait qu’il a des RH dans son entreprise, et
que ce ne sont pas juste des salariés, mais aussi des ressources, ben déjà l’action elle a déjà
pas mal de succès. » (Chargée de mission MEF).
En mai 2010, alors que la seconde phase du projet GTRH a démarré, l’équipe technique de la
MEF présente « l’outil GTRH » , consistant en « une animation par la MEF des RH sur le
territoire, aussi bien auprès des entreprises que des partenaires et de la circulation de
l’information. » (Comité de pilotage GTRH mai 2010).
La démarche de problématisation est représentée dans la figure ci-dessous (d’après Rocher et
Dreveton, 2010) :
Pilotes
Financeurs
Bénéficiaires
Acteurs externes
Equipe
technique MEF
Partenaires
COPIL
Direccte
régionale
Entreprises Cabinet de
conseil
Problème :
Respect du cahier
des charges et du
contrat de site
Problème :
Financer des
actions de GRH
« innovantes »
Problème :
rejoindre un
réseau local
Problème :
Adapter les
besoins de leurs
clients
Point de passage obligé : « outil virtuel »
But : assurer la
cohérence
d’ensemble des
actions RH du
territoire
But :
Développement
socio-économique
du territoire
But : Bénéficier
d’un soutien RH
opérationnel
But : Etendre sa
collaboration avec
la MEF