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COMMISSION DU
DROIT
INTERNATIONAL
RECOMMANDATIONS
INITIALES EN FAVEUR
D’UNE CONVENTION
SUR LES CRIMES
CONTRE L’HUMANITÉ
2 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
Amnesty International Publications
L'édition originale en langue anglaise
de ce rapport a été publiée en 2015 par
Amnesty International Publications
International Secretariat Peter Benenson House
1 Easton Street
Londres WC1X 0DW
Royaume-Uni
www.amnesty.org © Amnesty International Publications 2015
Index : IOR 40/1227/2015 French
Version originale anglaise Imprimé par Amnesty International, International Secretariat, Royaume-Uni
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tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute
puissance économique et de tout groupement religieux.
SOMMAIRE
I. SYNTHÈSE 4
II. INTRODUCTION 5
III. RECOMMANDATIONS INITIALES 6
1. LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE 6 1.1. LA PRÉSENCE PHYSIQUE DE L’ACCUSÉ NE DOIT PAS CONDITIONNER L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE POUR CRIME CONTRE L’HUMANITÉ 7
1.2. HIÉRARCHIE DES DIFFÉRENTES BASES DE COMPÉTENCE 8
2. AUT DEDERE AUT JUDICARE (EXTRADER OU POURSUIVRE) 10 2.1. L’OBLIGATION D’EXTRADER OU DE POURSUIVRE DANS LES PRÉCÉDENTS TRAVAUX DE LA CDI 10
2.2. PORTÉE ET APPLICATION DE CETTE RÈGLE DEVANT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ET LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE 11
2.3. LA « TROISIÈME LIGNE DE CONDUITE » 13
3. LES AMNISTIES ET AUTRES MESURES SIMILAIRES D’IMPUNITÉ 14 3.1. L’INTERDICTION DES AMNISTIES POUR LES AUTEURS DE CRIMES PROHIBÉS PAR UNE NORME IMPÉRATIVE DU DROIT INTERNATIONAL (JUS COGENS)
14 3.2. L’INTERDICTION DES AMNISTIES POUR LES AUTEURS DE CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ : UNE RÈGLE DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER 16
3.3. L’INTERDICTION DES AMNISTIES, MESURES CONTRAIRES À PLUSIEURS TRAITÉS, DONT DES TEXTES RELATIFS AUX DROITS HUMAINS 17
3.4. AUTRES SOURCES 18 3.5. L’INTERDICTION ACTUELLE DES AMNISTIES AU REGARD DU DROIT NATIONAL 20
4. LES TRIBUNAUX MILITAIRES 23 4.1. TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS HUMAINS ET DÉCLARATIONS DES ORGANES DE SUIVI DE CES TRAITÉS 23
4.2. DÉCLARATIONS ET AUTRES INSTRUMENTS 24
4.3. AVIS DE JURIDICTIONS RÉGIONALES ET NATIONALES 25
4.4. LÉGISLATIONS NATIONALES 26
4 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
5. LES RÉSERVES 27
IV. RECOMMANDATIONS 29
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
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I. SYNTHÈSE En 2013, la Commission du droit international (CDI), organe des Nations unies
établi en 1947 par l’Assemblée générale et constitué de spécialistes du droit
international, a décidé d’inscrire le sujet des « crimes contre l’humanité » à son
programme de travail. Un an plus tard, Sean Murphy a été désigné rapporteur
spécial sur la question1. Début 2015, il a remis son premier rapport où il traite
« des avantages que peut apporter l’élaboration de projets d’articles qui
pourraient servir de base à une convention internationale sur les crimes contre
l’humanité2 ». Amnesty International demande à la CDI de prendre en considération les
recommandations suivantes :
1. La compétence universelle La convention doit exiger des États qu’ils exercent leur compétence universelle
pour juger les auteurs présumés de crimes contre l’humanité, et connaître ainsi
des crimes commis hors de leur territoire y compris lorsqu’il n’existe aucun lien
avec le pays tel que la nationalité du suspect ou des victimes ou une atteinte aux
intérêts nationaux de l’État. 2. Aut dedere aut judicare (extrader ou poursuivre) La convention doit disposer que les États parties sont tenus de soumettre à leur
compétence les responsables présumés de crimes contre l’humanité dès lors
qu’ils se trouvent sur un territoire relevant de leur compétence, à moins que ces
personnes ne soient extradées vers un autre État ou remises à une instance
pénale internationale. 3. Les amnisties et autres mesures similaires d’impunité La convention doit disposer que sont prohibées les amnisties et autres mesures
similaires entraînant l’impunité (les grâces accordées avant jugement, par
exemple) pour les crimes contre l’humanité. 4. Les tribunaux militaires La convention doit disposer que les responsables présumés de crimes contre
l’humanité ne peuvent être jugés que par les juridictions de droit commun
compétentes, dans chaque État, à l’exclusion des juridictions militaires.
1 Rapport de la Commission du droit international, 66e session, supplément n° 10 (A/69/10),
§ 266.
2 Premier rapport sur les crimes contre l’humanité, par Sean D. Murphy, rapporteur spécial,
A/CN/4/680, 17 février 2015, § 2.
6 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
5. Les réserves
La convention sur les crimes contre l’humanité ne doit autoriser aucune réserve.
II. INTRODUCTION Amnesty International se félicite de l’élaboration d’une convention sur les crimes
contre l’humanité et engage la CDI à faire en sorte que ce texte soit conforme au
Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le complète. Ce traité, qui
pourrait par exemple renforcer les obligations d’enquêtes et de poursuites
concernant les crimes contre l’humanité qui incombent aux États, est susceptible
de contribuer à la fin de l’impunité. Les recommandations formulées dans le présent document s’appuient sur les
normes conventionnelles et coutumières, sur les recueils des décisions des
tribunaux pénaux internationaux et spécialisés dans les droits humains, ainsi
que sur les interprétations officielles des obligations faites par les instances et
mécanismes de protection des droits humains. La référence à ces sources se
situe dans la ligne du mandat de la CDI, qui a pour but de « promouvoir le
développement progressif du droit international et sa codification3 ». En tout état de cause, Amnesty International est hostile à toute disposition qui
serait rétrograde par rapport au Statut de Rome, qui ferait obstacle à d’autres
obligations de droit international ou qui représenterait un nivellement vers le
bas. Enfin, ce premier document, qui réitère dans une certaine mesure les positions
adoptées dans le passé par l’organisation, s’inscrit dans une série de textes axés
sur le projet de convention sur les crimes contre l’humanité. Il sera suivi d’une
analyse plus approfondie des propositions actuelles et d’autres exposés sur les
propositions qui seront faites ultérieurement par le rapporteur spécial.
3 Statut de la Commission du droit international, adopté par l’Assemblée générale dans sa
rés. 174 (II) du 21 novembre 1947, modifié par les rés. 485 (V) du 12 décembre 1950,
984 (X) du 3 décembre 1955, 985 (X) du 3 décembre 1955 et 36/39 du 18 novembre 1981.
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III. RECOMMANDATIONS
INITIALES 1. LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE
Recommandation : La convention doit exiger des États parties qu’ils jugent
les auteurs présumés de crimes contre l’humanité, commis hors de leur
territoire, y compris lorsqu’il n’existe aucun lien avec le pays tel que la
nationalité du suspect ou des victimes ou une atteinte aux intérêts
nationaux de l’État. Amnesty International recommande l’adoption de l’approche de la CDI présentée
dans le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (1996,
ci-après, le Projet de code de 1996) qui, de l’avis de l’organisation, reflète le droit
international coutumier pour ce qui est de l’établissement de la compétence pour
les crimes contre l’humanité.
L'article 8 du Projet de code de 1996 dispose :
Sans préjudice de la compétence d’une cour criminelle internationale,
chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa
compétence aux fins de connaître des crimes visés aux articles 17 [crimes
de génocide], 18 [crimes contre l’humanité], 19 [crimes contre le personnel
des Nations unies et le personnel associé] et 20 [crimes de guerre], quels
que soient le lieu ou l’auteur de ces crimes4. (Passage mis en exergue
par nos soins.)
Dans ses commentaires sur l’article 8, la CDI affirme : « La Commission a estimé
que l’application effective du présent code exigeait, en matière de compétence,
une approche conjuguant la plus large compétence des juridictions nationales
avec la compétence possible d’une cour criminelle internationale. » Elle y ajoute
que :
Le membre de phrase « quels que soient le lieu ou l’auteur de ces
crimes » sert, dans la première disposition de l’article 8, à dissiper tout
doute quant à l’existence d'une compétence universelle pour les crimes en
question5. Cette approche concorde avec le préambule du Statut de Rome :
4 Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, article 8, adopté par
la CDI à sa quarante-huitième session, en 1996, Annuaire de la CDI, 1996, vol. II (2e partie).
5 Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et commentaires y
relatifs, commentaire de l’article 8, § 7.
8 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
Rappelant qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction
criminelle les responsables de crimes internationaux6… Ainsi, le préambule du Statut de Rome semble reconnaître à la fois l’existence
d’une compétence universelle pour les crimes de droit international, dont les
crimes contre l’humanité, et du devoir – pas simplement du pouvoir ou du droit –
qu’ont les États de l’exercer pour ce type de crimes. Cette position est de toute
évidence confortée par la pratique des États (à ce jour, 123 États sont parties au
Statut de Rome). Dans une étude préliminaire de la législation sur la compétence universelle dans
le monde publiée en 2011 par Amnesty International et mise à jour l’année
suivante pour contribuer aux discussions de la Sixième Commission de
l’Assemblée générale des Nations unies sur « le champ et l’application du
principe de compétence universelle », l’organisation conclut que 78 États
membres des Nations unies ont défini la compétence universelle à l’égard des
crimes contre l’humanité dans leur droit interne7.
En conséquence, Amnesty International estime que la convention doit exiger des
États parties qu’ils jugent les auteurs présumés de crimes contre l’humanité
commis hors de leur territoire, y compris lorsqu’il n’existe aucun lien avec le pays
tel que la nationalité du suspect ou des victimes ou une atteinte aux intérêts
nationaux de l’État. Quoi qu’il en soit, comme le prévoient la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants8 (Convention contre la
torture) et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées9 (Convention contre les disparitions forcées), la
convention doit elle aussi disposer que tout État partie est tenu de prendre les
mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des
crimes contre l’humanité quand ces crimes ont été commis sur tout territoire sous
la juridiction dudit État ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet
État ; quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État ; et
quand la victime est un ressortissant dudit État. Ce texte ne doit écarter aucune
compétence pénale exercée conformément aux lois nationales. 1.1. LA PRÉSENCE PHYSIQUE DE L’ACCUSÉ NE DOIT PAS
CONDITIONNER L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE POUR CRIME
CONTRE L’HUMANITÉ
6 Statut de Rome, préambule, § 6.
7 Amnesty International, Universal Jurisdiction: A preliminary survey of legislation around the
world (IOR 53/004/2011) et Universal Jurisdiction: A preliminary survey of legislation around
the world - 2012 update (IOR 53/019/2012). Voir aussi : REDRESS et FIDH, La compétence
extraterritoriale dans l’Union européenne. Étude des lois et des pratiques dans les 27 États
membres de l’Union européenne, décembre 2010.
8 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, adoptée le 10 décembre 1984 et entrée en vigueur le 26 juin 1987, Recueil des
traités des Nations unies, vol. 1465, p. 85, art. 5.
9 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées, adoptée le 20 décembre 2006 et entrée en vigueur le 23 décembre 2010, Recueil
des traités des Nations unies, vol. 2716, p. 3, art. 9.
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Amnesty International est opposée aux procès par contumace, hormis dans de
rares circonstances10. Toutefois, la simple ouverture d’une information judiciaire
sur des crimes contre l’humanité ne doit pas nécessiter la présence physique
du responsable présumé de ces crimes. En d’autres termes, une enquête peut
avoir lieu en l’absence du suspect, mais la présence de celui-ci est obligatoire
avant l’ouverture du procès. L’Institut de droit international semble partager cette opinion. Dans sa résolution
sur la compétence universelle en matière pénale à l’égard du crime de génocide,
des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, il concluait en 2005 que :
Mis à part les actes d’instruction et les demandes d’extradition,
l’exercice de la compétence universelle requiert la présence du suspect
sur le territoire de l’État qui le poursuit, ou sa présence à bord d’un navire
battant son pavillon ou d’un aéronef immatriculé conformément à sa
législation, ou d’autres formes licites de contrôle à son égard11. (Passage
mis en exergue par nos soins.)
Dans une affaire d’actes de torture présumés commis au Zimbabwe par et à
l’encontre de Zimbabwéens, et dont aucun des auteurs présumés ne se
trouvait en Afrique du Sud, la Cour constitutionnelle sud-africaine a
récemment expliqué :
Conditionner l’ouverture d’une enquête à la présence de l’accusé rendrait
nul l’objet de la lutte contre les crimes contre l’humanité. Si un suspect
entrait sur le territoire d’un État partie et y séjournait brièvement, en
l’absence de toute investigation préalable il serait difficile de prononcer
une inculpation et d’engager des poursuites. Une enquête préliminaire
n’enfreint pas les droits à un procès équitable du suspect ou de l’accusé.
Pour savoir si une personne se trouve réellement ou potentiellement sur le
territoire, il faut commencer par une enquête. Sinon, il est impossible
d’établir le lieu où se trouve le suspect, ou celui où il pourrait se trouver.
En outre, toute procédure susceptible de découler d’une enquête, telle
que l’engagement de poursuites ou la présentation d’une demande
d’extradition, suppose l’examen d’informations qui ne peuvent être
obtenues que par le biais d’une enquête. Par exemple, la décision
d’engager ou non des poursuites ne peut être prise que lorsqu’une affaire
a été inscrite au rôle et remise au ministère public12. 1.2. HIÉRARCHIE DES DIFFÉRENTES BASES DE COMPÉTENCE Quel État doit exercer en priorité sa compétence à l’égard des crimes de droit
international, y compris des crimes contre l’humanité ? Cette question n’a pas été
10 Amnesty International, Making the Right Choices II, juin 1997, section IV(c)(2) (« Amnesty
International estime qu’un procès par contumace, hormis dans les situations où l’accusé est
délibérément absent après avoir été présent à l’ouverture du procès ou s’il persiste à
troubler le bon déroulement du procès, est inéquitable. »).
11 Institut de droit international, La compétence universelle en matière pénale à l’égard du
crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, 2005, § 3(b).
12 National Commissioner of the South African Police Service v Southern African Human
Rights Litigation Centre and Another [2014] ZACC 30, § 48 [traduction non officielle].
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élucidée même si, à ce jour, Amnesty International n’a jamais constaté de conflit
entre des États souhaitant juger des auteurs présumés de ce type de crimes. L’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) ont créé un groupe technique
ad hoc d’experts chargé d’apporter des éclaircissements sur le principe de
compétence universelle après que l’UA se fut dite préoccupée par l’exercice de ce
principe par des États européens dans des affaires concernant des Africains
présumés responsables de crimes de droit international13. Dans son rapport sur le
principe de compétence universelle (2009), le groupe d’experts UA-UE a déclaré :
Le droit international positif n’établit aucune hiérarchie entre les
différentes bases de compétence qu’il reconnaît. En d'autres termes, un
État qui dispose d’une compétence universelle à l’égard, par exemple,
des crimes contre l’humanité n'est soumis en droit positif à aucune
obligation d’accorder la priorité des poursuites à l’État sur le territoire
duquel l’infraction a été commise ou à l’État dont l’auteur ou la victime
est un ressortissant14.
Au Royaume-Uni, dans l’affaire Kumar Lama poursuivie sur la base de la
compétence universelle prévue par la Convention contre la torture, la Haute Cour
a rendu la décision ci-après en réponse à un recours formé par l’accusé qui
affirmait que ce texte prévoyait une hiérarchie des juridictions :
La Convention contre la torture n’établit aucune hiérarchie entre les
juridictions, ni ne mentionne de principe du forum conveniens. Même s’il
est vrai que, selon le cas, il peut être plus pratique ou plus efficace
d’instruire une affaire dans une juridiction plutôt que dans une autre, par
exemple du fait de la disponibilité d’éléments de preuve, ces
considérations ne sont fondées que sur les circonstances particulières
d’une affaire donnée15. Le rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations
unies sur le conflit de Gaza (le rapport Goldstone) a conclu :
Le principe de la compétence universelle est invoqué aux fins d’exercer
des poursuites pénales pour des crimes particulièrement graves, quels
que soient le lieu où ils ont été commis et la nationalité de leurs auteurs
ou celle des victimes. La compétence fondée sur ce principe s’exerce
concurremment avec la compétence définie selon les principes plus
classiques de territorialité, de nationalité active et de nationalité passive,
et ne lui est nullement subordonnée16.
Dans son étude du droit international humanitaire coutumier, le Comité
international de la Croix-Rouge exprime le même avis : « Le principe de
l’universalité s’ajoute aux autres bases de compétence en matière pénale : le
principe de territorialité (qui est fondé sur le lieu où a été commis le crime), le
principe de la personnalité active (qui est fondé sur la nationalité de l’auteur de
l’acte), le principe de la personnalité passive (qui est fondé sur la nationalité de
13 Le groupe d’experts était constitué d’Antonio Cassese (Italie), de Mohammed Bedjaoui
(Algérie), de Pierre Klein (Belgique), de Chaloka Beyani (Zambie), de Roger O’Keefe
(Australie) et de Chris Maina Peter (Tanzanie).
14 Conseil de l’Union européenne, AU-EU Expert Report on the Principle of Universal
Jurisdiction (8672/1/09 REV 1), 16 avril 2009, § 14 [traduction non officielle].
15 KL v R, EWCA Crim. 1729, 7 août 2014, § 71(3) [traduction non officielle].
16 A/HRC/12/48, 25 septembre 2009, § 1849.
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la victime) et le principe de la protection (basé sur la protection des intérêts
nationaux ou de la sécurité nationale17). » Des commentateurs de premier plan de la Convention contre la torture ont eux
aussi maintenu : « Les États ne doivent subordonner l’exercice de leur
compétence universelle à aucun acte juridique d’un autre État. Toutes les
tentatives faites par les États du groupe de travail pour établir un ordre de
priorité parmi les différentes bases de compétence mentionnées à l’article 5, ou
pour subordonner la compétence universelle à une demande d’extradition
présentée par un autre État ont été rejetées dans des décisions éclairées,
prises à l’issue de longues discussions18. (Passages mis en exergue dans le
texte d’origine.)
En résumé, Amnesty International estime qu’une convention sur les crimes contre
l’humanité – à l’image de la Convention contre la torture et de la Convention
contre les disparitions forcées – ne devrait pas admettre de hiérarchie entre les
différentes bases de compétence. Toutefois, comme l’organisation l’avait
expliqué il y a de cela plusieurs années (alors que les autorités chiliennes se
déclaraient compétentes pour enquêter sur Augusto Pinochet – alors sénateur à
vie –, arrêté à Londres en vertu d’un mandat d’arrêt décerné par un juge
espagnol), « si plusieurs États se déclarent prioritaires pour enquêter sur un
suspect et le poursuivre pour les mêmes crimes de droit international, sur la base
des mêmes actes, l’État de détention qui cherche à exercer sa compétence
universelle est normalement mieux placé que l’État où les faits ont été commis
pour agir au nom de la communauté internationale, puisque la présence du
suspect hors du territoire de cet État donne à penser que ses autorités ne font
pas preuve de la diligence requise pour enquêter sur celui-ci et le poursuivre. La
non-transmission d’une demande d’extradition révélerait de toute évidence le
manque de détermination de l’État où les faits ont été commis19 ». 2. AUT DEDERE AUT JUDICARE
(EXTRADER OU POURSUIVRE) Recommandation : La convention doit disposer que les États parties sont
tenus de soumettre à leur compétence les responsables présumés de
crimes contre l’humanité dès lors qu’ils se trouvent sur un territoire
relevant de leur compétence, à moins que ces personnes ne soient
extradées vers un autre État ou remises à une juridiction pénale
internationale.
2.1. L’OBLIGATION D’EXTRADER OU DE POURSUIVRE DANS LES PRÉCÉDENTS TRAVAUX DE LA CDI Au titre de l’obligation d’extrader ou de poursuivre, les États sont tenus soit
d’exercer leur propre compétence (ce qui implique nécessairement de faire jouer
17 J.M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier (CICR,
Cambridge), règle 157, p. 802.
18 M. Nowak & E. McArthur, The United Nations Convention against Torture, A Commentary
(Oxford, 2008), p. 317 [traduction non officielle].
19 Amnesty International, Universal jurisdiction: The duty of states to enact and implement
legislation (IOR 53/002/2001), septembre 2001, p. 40 [traduction non officielle].
12 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
dans certains cas le principe de la compétence universelle) à l’égard d’une
personne soupçonnée d’avoir commis certains types d’infractions, soit d’extrader
ladite personne vers un État ayant les moyens et la volonté de le faire, soit de la
remettre à un tribunal pénal international ayant compétence pour juger la
personne et l'infraction commise20. Il y a près de 20 ans, la CDI avait conclu que l’obligation d’extrader ou de
poursuivre s’appliquait aux crimes contre l’humanité, ainsi qu’aux crimes de
génocide, aux crimes de guerre et aux crimes contre le personnel des Nations
unies. L’article 9 du Projet de code de 1996 dispose :
Sans préjudice de la compétence d’une cour criminelle internationale, l’État
partie sur le territoire duquel l’auteur présumé d’un crime visé à l’article 17
[crimes de génocide], 18 [crimes contre l’humanité], 19 [crimes contre le
personnel des Nations unies et le personnel associé] ou 20 [crimes de
guerre] est découvert extrade ou poursuit ce dernier. Cependant, à l’issue de son examen de l’obligation d’extrader ou de poursuivre
(aut dedere aut judicare), la CDI a conclu en 2014 que le caractère coutumier de
cette obligation ne pouvait être inféré de l’existence de règles coutumières
prohibant des crimes de droit international précis21. Elle a souligné toutefois qu’il
ne fallait pas inférer de cette conclusion « que [le groupe de travail] ou la
Commission dans son ensemble étaient parvenus à la conclusion que
l’obligation d’extrader ou de poursuivre ne s’était pas, ou pas encore, cristallisée
en règle de droit international coutumier, fût-elle générale ou régionale22 ».
Amnesty International considère que l’obligation d’extrader ou de poursuivre
s’est bien cristallisée, tout du moins pour les crimes contre l’humanité, en règle
de droit international coutumier. 2.2. PORTÉE ET APPLICATION DE CETTE RÈGLE DEVANT LA
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ET LE TRIBUNAL PÉNAL
INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE Dans l’affaire Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, la
Cour internationale de justice (CIJ) a donné des précisions sur les deux options
de la règle inscrite à l’article 7 de la Convention contre la torture, expliquant que
l’une prenait le pas sur l’autre :
Si l’État sur le territoire duquel se trouve le suspect est saisi d’une
demande d’extradition dans l’un des cas prévus par les dispositions de la
convention, il peut se libérer de son obligation de poursuivre en faisant
droit à la demande d’extradition. Il en résulte que le choix entre l’extradition
et l’engagement des poursuites, en vertu de la convention, ne revient pas
à mettre les deux éléments de l’alternative sur le même plan. En effet,
l’extradition est une option offerte par la convention à l’État, alors que la
20 Voir : Amnesty International, Universal jurisdiction: The duty of states to enact and
implement legislation, Chapter I (Definitions) (IOR 40/003/2001) et International Law
Commission: The obligation to extradite or prosecute (aut dedere aut judicare)
(IOR 40/001/2009). Voir aussi : Examen des conventions multilatérales qui pourraient
présenter un intérêt pour les travaux de la Commission du droit international sur le sujet
intitulé « L’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) », Étude du
Secrétariat, A/CN.4/630, 18 juin 2010.
21 CDI, rapport final, Groupe de travail sur l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut
dedere aut judicare), A/CN.4/L.844, 5 juin 2014, § 10.
22 CDI, rapport final, § 12.
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poursuite est une obligation internationale, prévue par la convention, dont
la violation engage la responsabilité de l’État pour fait illicite23. La CIJ a rappelé « que le paragraphe 1 de l’article 7 impos[ait] à l’État concerné
l’obligation de soumettre l’affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de
l’action pénale, indépendamment de l’existence, au préalable, d’une demande
d’extradition à l’encontre du suspect24 ». Dans l’affaire Anto Furundžija, le tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie (TPIY) a conclu que l’obligation d’extrader ou de poursuivre
découlait du caractère de jus cogens de l’interdiction de la torture :
De surcroît, à l'échelon individuel, à savoir celui de la responsabilité
pénale, il semblerait que l’une des conséquences de la valeur de jus
cogens reconnue à l’interdiction de la torture par la communauté
internationale fait que tout État est en droit d’enquêter, de poursuivre et de
punir ou d’extrader les individus accusés de torture, présents sur son
territoire25.
L’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) est inscrite
dans la législation relative au génocide, aux crimes contre l’humanité et aux
crimes de guerre de plusieurs pays, dont le Cap-Vert26, la Finlande27, le
Luxembourg28, le Mexique29 et le Pérou30.
23 CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, 20 juillet 2012, C.I.J. Recueil 2012, § 95.
24 CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
§ 94.
25 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, IT-95-17/1, Chambre de première instance,
jugement du 10 décembre 1998, § 156.
26 Code pénal du Cap-Vert, décret législatif n° 4/2003, 18 nov. 2003, art. 4.
27 Code pénal finlandais (39/1889, comprenant l’ensemble des amendements adoptés
jusqu’au n° 927/2012 inclus), section 8.
28 Code d’instruction criminelle, Loi du 27 février 2012 portant adaptation du droit interne
aux dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, art. 7-4 8 :
« Lorsqu’une personne qui se sera rendue coupable à l’étranger d’une des infractions
prévues par les articles 112-1, 135-1 à 135-6, 135-9, 135-10, 136 bis à 136 quinquies, 260-1
à 260-4, 379, 382-1, 382-2, 384 et 385-2 du Code pénal, pourra être poursuivie et jugée au
Grand-Duché, lorsqu’une demande d’extradition est introduite et que l’intéressé n’est pas
extradé. »
29 Code pénal fédéral, art. 2 (« Se aplicará, asimismo: I. Por los delitos que se inicien,
preparen o cometan en el extranjero, cuando produzcan o se pretenda que tengan efectos
en el territorio de la República; o bien, por los delitos que se inicien, preparen o cometan en
el extranjero, siempre que un tratado vinculativo para México prevea la obligación de
extraditar o juzgar, se actualicen los requisitos previstos en el artículo 4o. de este Código y
no se extradite al probable responsable al Estado que lo haya requerido... »).
30 Code de justice militaire et policier, décret législatif n° 1094, 1er sept. 2010, art. 3
(« Extradición y entrega. La extradición y la entrega de los miembros de las Fuerzas
Armadas o Policía Nacional se regulan conforme a la ley de la materia. La ley peruana
14 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
2.3. LA « TROISIÈME LIGNE DE CONDUITE » Dans son commentaire de l’article 9 du Projet de code de 1996, la CDI
« reconnaît la possibilité d'une troisième ligne de conduite par laquelle l’État de
détention s’acquitterait de son obligation de garantir que l’auteur présumé qui est
découvert sur son territoire sera poursuivi. Il s’agit du transfert de l’intéressé à
une cour criminelle internationale pour l’exercice de l’action pénale31 ». Cette « troisième ligne de conduite » a également été reconnue par le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) qui, dans son commentaire sur
l’application de la disposition relative à l’obligation d’extrader ou de poursuivre
prévue par les Conventions de Genève, a déclaré : « Signalons encore que le
texte de cet alinéa [Convention I, art. 49, § 2] n’exclut nullement la remise des
inculpés à un tribunal pénal international dont les Parties contractantes auraient
reconnu la compétence32 ».
Ces dernières années, plusieurs pays ont adopté des codes de procédure
pénale ou modifié leurs textes existants pour rendre possible l’application de
la troisième option dans les situations de crimes contre l’humanité. Citons
notamment l’Allemagne33, l’Argentine34, les Philippines35, la Suisse36, le
Timor-Leste37 et l’Uruguay38.
podrá aplicarse cuando solicitadas éstas, no se extradite al agente a la autoridad
competente del Estado extranjero »).
31 Projet de code de 1996, commentaire de l’article 9, § 8, p. 32.
32 CICR, Conventions de Genève du 12 août 1949, Convention I, commentaire de 1952.
33 Code de procédure pénale allemand, modifié en 2013, section 153f.
34 Loi n° 26.200 d’application du Statut de Rome, Bulletin officiel, 9 janv. 2007, art. 4
(« Principio aut dedere aut iudicare. Cuando se encuentre en territorio de la República
Argentina o en lugares sometidos a su jurisdicción una persona sospechada de haber
cometido un crimen definido en la presente ley y no se procediera a su extradición o entrega
a la Corte Penal Internacional, la República Argentina tomará todas las medidas necesarias
para ejercer su jurisdicción respecto de dicho delito »).
35 Loi de la République n° 9851 définissant les infractions au droit international humanitaire,
le crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité, édictant les sanctions applicables,
organisant la compétence, désignant des juridictions spéciales, et autres questions,
11 décembre 2009, art. 17 (« Compétence. – L’État exerce sa compétence à l’égard des
personnes, civiles ou militaires, soupçonnées d’une infraction visée par la présente Loi ou
accusées d’une telle infraction, quel que soit le lieu où les faits ont été commis, à condition
que l’une des conditions suivantes soient satisfaites [...] Dans l’intérêt de la justice, les
autorités philippines compétentes peuvent ne pas enquêter ou ne pas poursuivre l’auteur
d’une infraction visée par la présente Loi dans les cas où une autre juridiction ou un tribunal
international a déjà engagé une enquête ou une action pénale. Elles peuvent alors
transférer ou extrader les suspects ou les accusés se trouvant aux Philippines pour les
remettre à la juridiction internationale compétente, le cas échéant, ou à un autre État eu
égard aux lois et traités applicables en matière d’extradition »).
36 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (État le 1er juillet 2014), art. 264m :
« 1 Quiconque commet à l’étranger un des actes visés aux titres 12bis et 12ter ou à l’art.
264k est punissable s’il se trouve en Suisse et qu’il n’est pas extradé ni remis à un tribunal
pénal international dont la compétence est reconnue par la Suisse ».
37 Code pénal (approuvé par le décret-loi n° 19/2009), art. 8 : « Factos praticados fora do
território nacional. Salvo tratado ou convenção em contrário, a lei penal timorense é
aplicável a factos praticados fora do território de Timor-Leste nos seguintes casos... b)
Quando constituírem os crimes previstos dos artigos 123º a 135º, 161º a 169º e 175º a 178º
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
15
IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
Amnesty International estime que la « troisième ligne de conduite » envisageable
à l’égard de l’obligation d’extrader ou de poursuivre, inscrite dans la Convention
internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées39, doit figurer dans une convention sur les crimes contre l’humanité. La
disposition relative à la question doit être rédigée sur le modèle du jugement
rendu par la CIJ dans l’affaire Belgique c. Sénégal, et indiquer clairement que la
saisine des autorités compétentes d’un État pour l’exercice de l’action pénale est
une obligation internationale (ou, dans certains cas, le transfert d’un suspect à
une juridiction pénale internationale), tandis que l’extradition vers un État tiers est
une option.
3. LES AMNISTIES ET AUTRES MESURES
SIMILAIRES D’IMPUNITÉ Recommandation : La convention doit disposer que sont prohibées les
amnisties et autres mesures similaires entraînant l’impunité pour les
crimes contre l’humanité. Amnesty International considère que l’évolution du droit pénal international, aux
niveaux national et international, permet de conclure raisonnablement que
l’interdiction des amnisties et des autres mesures similaires entraînant l’impunité
pour les crimes de droit international, y compris les crimes contre l’humanité,
s’est cristallisée en règle de droit international coutumier. En outre, cette
interdiction est probablement une conséquence juridique découlant du caractère
impératif de l’interdiction de certaines actions au regard du droit international. Amnesty International s’est toujours opposée, sans exception, à toutes les
mesures d’impunité, car elles empêchent l’établissement de la vérité, la
détermination finale par un juge de la culpabilité ou de l’innocence, et l’octroi de
réparations pleines et entières aux victimes et à leur famille40. 3.1. L’INTERDICTION DES AMNISTIES POUR LES AUTEURS DE
CRIMES PROHIBÉS PAR UNE NORME IMPÉRATIVE DU DROIT
INTERNATIONAL (JUS COGENS)
desde que o agente seja encontrado em Timor-Leste e não possa ser extraditado ou seja
decidida a sua não entrega ».
38 Loi n° 18.026 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale pour la lutte
contre le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, 4 oct. 2006,
art. 4(2) : « Cuando se encontrare en territorio de la República o en lugares sometidos a su
jurisdicción, una persona sospechada haber cometido un crimen de los tipificados en los
Títulos I a IV de la Parte II de la presente ley, el Estado uruguayo está obligado a tomar las
medidas necesarias para ejercer su jurisdicción respecto de dicho crimen o delito, si no
recibiera solicitud de entrega a la Corte Penal Internacional o pedidos de extradición,
debiendo proceder a su enjuiciamiento como si el crimen delito se hubiese cometido en
territorio de la República, independientemente del lugar de su comisión, la nacionalidad
sospechado o de las víctimas ».
39 Convention contre les disparitions forcées, art. 9(2) et 11(1).
40 Amnesty International, Sierra Leone, Special Court for Sierra Leone: Denial of right to
appeal and prohibition of amnesties for crimes under international law (AFR 51/012/2003),
1er novembre 2003.
16 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
Dans l’affaire Furundžija, le TPIY a conclu :
Le fait que la torture est prohibée par une norme impérative du droit
international a d’autres effets aux échelons interétatique et individuel. À
l’échelon interétatique, elle sert à priver internationalement de légitimité
tout acte législatif, administratif ou judiciaire autorisant la torture. Il serait
absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de
l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la
torture sont nuls et non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les
États qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou
tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. Si pareille
situation devait se présenter, les mesures nationales violant le principe
général et toute disposition conventionnelle pertinente auraient les effets
juridiques évoqués ci-dessus et ne seraient, au surplus, pas reconnues
par la communauté internationale41.
Dans l’affaire Ould Dah c. France, après avoir estimé que l’« interdiction de la
torture [avait] valeur de norme impérative, c’est-à-dire de jus cogens », la Cour
européenne des droits de l’homme a déclaré :
On ne saurait dès lors remettre en cause l’obligation de poursuivre de tels
faits en accordant l’impunité à son auteur par l’adoption d’une loi
d’amnistie susceptible d’être qualifiée d’abusive au regard du droit
international. La Cour relève au demeurant que ce dernier n’exclut pas le
jugement d’une personne amnistiée avant jugement dans son État
d’origine par un autre État, ce qui ressort par exemple de l’article 17 du
Statut de la Cour pénale internationale qui ne compte pas cette situation
au nombre des causes d’irrecevabilité d’une affaire42.
Dans l’affaire Mazzeo, la Cour suprême d’Argentine a elle aussi conclu qu’aucune
mesure, par exemple les délais de prescription ou les grâces accordées avant
jugement, ne saurait empêcher la tenue d’une enquête sur les crimes contre
l’humanité ni l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de leurs auteurs,
vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de ce type de crimes43. Le tribunal fédéral de Rio de Janeiro (Brésil) a rendu un jugement similaire en
2014 dans l’affaire Rubens Beyrodt Paiva relative à une disparition forcée
survenue en 1974 et constituant un crime contre l’humanité44. 3.2. L’INTERDICTION DES AMNISTIES POUR LES AUTEURS DE
CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ : UNE RÈGLE DU DROIT
INTERNATIONAL COUTUMIER
41 TPIY, affaire Le Procureur c. Anto Furundžija, § 155.
42 CEDH, affaire Ould Dah c. France, décision du 17 mars 2009.
43 Cour suprême de justice de la Nation, Mazzeo, Julio L. y otros s/ rec. de casación e
inconstitucionalidad, 13 juillet 2007, § 19 (« [e]s la propia imposibilidad de declinar el
juzgamiento de crímenes de lesa humanidad [por prescripción, indulto o cosa juzgada] la
que se ha transformado en una norma del denominado derecho internacional imperativo o
ius cogens »).
44 Tribunal régional fédéral de la 2e région, 181-Habeas Corpus Criminal, Turma Espec.I,
Penal, Previdenciário e Propriedade Industrial (« [T]ais crimes, evidentemente, se
enquadram na descrição de crimes contra a humanidade e o dever do Brasil de processar e
punir seus agentes deriva do caráter cogente do Direito Internacional ao qual o Brasil se
encontrava sujeito desde a época dos fatos »).
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
17
IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, mis en place à la faveur d’un accord
entre les Nations unies et le gouvernement de Sierra Leone conformément à la
résolution 1315 (2000) du Conseil de sécurité, a fait remarquer :
Nous avons établi que le fait qu’un État ne puisse accorder d’amnisties aux
auteurs de crimes graves au regard du droit international était une norme
cristallisée de droit international45.
Dans l’affaire Col. Mengistu Haile Mariam et autres, la Haute Cour centrale
d’Addis-Abeba (Éthiopie) a conclu :
Il est toutefois bien établi que les crimes de guerre et les crimes
contre l’humanité ne peuvent faire l’objet d’amnisties ni d’une
prescription46.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré à plusieurs reprises
depuis 2001 que les amnisties et les autres mesures similaires d’impunité pour
les violations des droits humains étaient interdites au regard de la Convention
interaméricaine des droits de l’homme. Dans l’affaire Almonacid Arellano c. Chili,
elle est allée plus loin encore, déclarant :
Le fait illicite commis contre M. Almonacid Arellano ne peut bénéficier
d’une amnistie conformément aux règles de base du droit international,
car il constitue un crime contre l’humanité47.
Dans l’affaire Forum des ONG des droits de l’homme du Zimbabwe c. Zimbabwe,
la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a déclaré :
Il existe une jurisprudence internationale constante laissant suggérer que
l’interdiction d’amnisties donnant lieu à l’impunité de graves violations de
droits de l’homme soit devenue une règle du droit international
coutumier48. Sur la question des amnisties, le CICR a fait observer que la règle ci-après
relevait bien du droit international coutumier : « À la cessation des hostilités, les
autorités au pouvoir doivent s’efforcer d’accorder la plus large amnistie possible
aux personnes qui auront pris part à un conflit armé non international ou qui
auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, à
l’exception des personnes soupçonnées ou accusées de crimes de guerre ou
45 Chambre d’appel du TSSL, Le Procureur c. Moinina Fofana, décision relative à
l’exception préjudicielle d’incompétence : délégation illégale de pouvoirs par la Sierra Leone,
25 mai 2004, § 3 [traduction non officielle].
46 Haute Cour centrale d’Addis-Abeba, Affaire Col. Mengistu Haile Mariam et autres, 23 mai
1995. La cour a ajouté : « Ni le gouvernement de transition ni aucune autre partie n’a le
pouvoir de demander la réconciliation nationale et, en conséquence, d’accorder une mesure
d’amnistie ou de grâce à l’égard des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. »
[traduction non officielle]
47 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Almonacid Arellano et autres c. Chili, arrêt
du 26 septembre 2006, § 129.
48 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Forum des ONG des droits
de l’homme du Zimbabwe c. Zimbabwe, décision du 15 mai 2006, § 201.
18 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
condamnées pour crimes de guerre49. » Le commentaire sur cette règle est le
suivant :
Lorsque l’article 6, paragraphe 5 du Protocole additionnel II a été adopté,
l’URSS a déclaré, dans son explication de vote, que cette disposition ne
pouvait être interprétée comme permettant, en quelque circonstance que
ce soit, aux criminels de guerre et aux personnes ayant commis des
crimes contre l’humanité d’échapper à un châtiment sévère. Le CICR
partage cette interprétation50.
Dans son rapport, le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (Nigel Rodley) a déclaré :
À la lumière de la jurisprudence internationale, qui semble indiquer que
l’interdiction des amnisties aboutissant à l’impunité pour les violations
majeures des droits de l’homme est devenue une règle du droit
international coutumier, le Rapporteur spécial se dit opposé à l’adoption, à
l’application et à la non-révocation des lois d’amnistie (que ce soit au nom
de la réconciliation nationale, de la consolidation de la démocratie et de la
paix ou du respect des droits de l’homme), qui permettent aux tortionnaires
d’échapper à la justice et tendent ainsi à créer une culture d’impunité51.
3.3. L’INTERDICTION DES AMNISTIES, MESURES CONTRAIRES À
PLUSIEURS TRAITÉS, DONT DES TEXTES RELATIFS AUX DROITS
HUMAINS Le préambule du Statut de Rome de la Cour pénale internationale semble
interdire les amnisties et les autres mesures similaires à l’égard des personnes
soupçonnées de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de
guerre. Le paragraphe 4 dispose :
Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la
communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur
répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le
cadre national et par le renforcement de la coopération internationale […]
Dans l’affaire Abdülsamet Yaman c. Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu :
Lorsqu’un fonctionnaire de l’État est accusé de crimes de torture ou de
mauvais traitements, la procédure ou la condamnation ne sauraient être
rendues caduques par le jeu de la prescription, et l’application de mesures
telles que l’amnistie ou la grâce ne peut davantage être autorisée52. Dans l’affaire Barrios Altos c. Pérou, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré :
49 J.M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, règle 159,
p. 811.
50 J.M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier,
commentaire sur la règle 159, p. 813.
51 Rapport sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Nigel Rodley, rapporteur spécial, doc. ONU A/56/156, 3 juillet 2001, § 33.
52 Cour européenne des droits de l’homme, Abdülsamet Yaman c. Turquie, arrêt du
2 novembre 2004, § 55 [traduction non officielle].
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
19
IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
En raison de l’incompatibilité manifeste existant entre les lois
d’autoamnistie et la Convention américaine relative aux droits de l’homme,
ces lois n’ont aucun effet juridique et ne sauraient demeurer un obstacle
aux investigations des faits de cette affaire, à l’identification et à la sanction
des responsables53. Dans les Observations finales sur le Chili qu’il a publiées récemment, le Comité des droits de l'homme a noté avec satisfaction :
…[l]’explication fournie par l’État partie selon laquelle la loi d’amnistie n’est
plus appliquée dans la pratique au Chili, mais s’inquiète toujours de ce que
le maintien en vigueur de la loi laisse ouverte la possibilité de son
application54. Dans ses Observations finales sur l’Ouganda, le Comité des droits de l’enfant
des Nations unies a fait observer :
Le Comité reconnaît que la loi d’amnistie de 2000 a contribué à favoriser
le retour, la démobilisation et la réadaptation de milliers d’enfants
recrutés de force par l’Armée de résistance du Seigneur. Il est toutefois
préoccupé par le fait que les critères arrêtés pour accorder l’amnistie ne
sont pas conformes aux obligations découlant des instruments
internationaux qui incombent à l’État partie, en particulier du Statut de
Rome de la Cour pénale internationale. Il craint en outre que des
violations graves du droit international telles que l’enrôlement et
l’utilisation d’enfants dans des hostilités puissent par conséquent
demeurer impunies55.
De la même manière, le Comité contre la torture a noté dans ses
Observations finales sur l’Espagne :
L’État partie devrait veiller à ce que les actes de torture, qui
comprennent également les disparitions forcées, ne puissent pas
faire l’objet d’une amnistie56. Diane Orentlicher, professeure de droit international, estime que « les juristes
internationaux s’accordent à penser que les traités qui obligent explicitement
leurs États parties à sanctionner des infractions données et à poursuivre les
auteurs de ces infractions seraient violés par une mesure d’amnistie empêchant
ces poursuites57 ».
53 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Barrios Altos c. Pérou, arrêt du 14 mai 2001,
§ 44.
54 Comité des droits de l’homme, Observations finales : Chili, CCPR/C/CHL/CO/6, 13 août
2014, § 9.
55 Comité des droits de l’enfant, Observations finales : Ouganda, CRC/C/OPAC/UGA/CO/1,
17 octobre 2008, § 28.
56 Comité contre la torture, Observations finales : Espagne, CAT/C/ESP/CO/5, 9 décembre
2009, § 21.
57 D. Orentlicher, « Immunities and Amnesties », in Forging a Convention for Crimes against
Humanity, Leyla N. Sadat (Cambridge 2013) [traduction non officielle].
20 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
3.4. AUTRES SOURCES La Loi n° 10 du Conseil de Contrôle des forces alliées (1945) prévoyait,
concernant les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes
contre l’humanité :
Les personnes jugées ou poursuivies pour un crime visé dans le
présent texte ne pourront jouir d’un délai de prescription pendant la
période allant du 30 janvier 1933 au 1er juillet 1945, et aucune
immunité, grâce ou amnistie octroyées sous le régime nazi ne pourront
faire obstacle au jugement de celles-ci ni à leur condamnation58.
Les Principes (Nations unies) de la coopération internationale en ce qui concerne
le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des individus coupables de
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité disposent :
Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, où qu’ils aient été
commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire
l’objet d'une enquête, et les individus contre lesquels il existe des
preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être
recherchés, arrêtés, traduits en justice et, s’ils sont reconnus
coupables, châtiés. Ils prévoient également :
Les États ne prennent aucune mesure législative ou autre qui pourrait
porter atteinte aux obligations internationales qu’ils ont assumées en ce
qui concerne le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des
individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre
l’humanité59.
Les Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions
extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement
sur ces exécutions disposent :
Les pouvoirs publics veilleront à ce que les personnes dont l’enquête aura
révélé qu’elles ont participé à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou
sommaires sur tout territoire tombant sous leur juridiction soient traduites
en justice. Les pouvoirs publics pourront soit traduire ces personnes en
justice, soit favoriser leur extradition vers d’autres pays désireux d’exercer
leur juridiction. Ce principe s’appliquera quels que soient et où que soient
les auteurs du crime ou les victimes, quelle que soit leur nationalité et quel
que soit le lieu où le crime a été commis60.
Dans son rapport sur le rétablissement de l’état de droit et l’administration de la
justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit
ou sortant d’un conflit, le secrétaire général des Nations unies a formulé la
recommandation suivante à l’intention du Conseil de sécurité :
58 Article II(5) [traduction non officielle].
59 Adoptés par l’Assemblée générale dans sa résolution 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973,
§ 1 et 8.
60 Recommandés par le Conseil économique et social dans sa résolution 1989/65 du 24 mai
1989, § 18.
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
21
IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
Condamn[er] toute mesure autorisant l’amnistie pour des actes de
génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, y
compris les actes fondés sur l’origine ethnique ou le sexe, ou de
caractère sexuel, et [faire] en sorte qu’aucune amnistie antérieure ne
fasse obstacle aux poursuites engagées devant l’un quelconque des
tribunaux créés ou soutenus par l’ONU61.
La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (1993) dispose :
Les auteurs et les auteurs présumés d’actes visés au paragraphe 1 de
l’article 4 ci-dessus ne peuvent bénéficier d’aucune loi d’amnistie spéciale
ni d’autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de
toute poursuite ou sanction pénale62. 3.5. L’INTERDICTION ACTUELLE DES AMNISTIES ET AUTRES
MESURES SIMILAIRES AU REGARD DU DROIT NATIONAL Après l’adoption du Statut de Rome en 1998, plusieurs États ont promulgué des
lois prévoyant une interdiction générale des amnisties et autres mesures
similaires favorisant l’impunité pour les auteurs de crimes de droit international,
dont les crimes contre l’humanité. Amnesty International considère que cette
tendance illustre l’opinio juris croissante en faveur de cette mesure. Par exemple, la Loi 052/2009 (2009) du Burkina Faso, qui transpose ce traité
dans le droit interne, dispose que ni les amnisties, ni les grâces ne s’appliquent
au génocide, aux crimes contre l’humanité ou aux crimes de guerre63.
L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi (accord de paix
signé en 2000 par la plupart des parties au conflit armé dans le pays) prévoit :
« Une amnistie est accordée à tous les combattants des partis et mouvements
politiques pour les crimes commis du fait de leur implication dans le conflit, mais
pas pour les actes de génocide, les crimes de guerre ou les crimes contre
l’humanité, ni pour leur participation à des coups d’État64. »
Le Code pénal du Burundi (2009) dispose :
Le génocide, le crime contre l’humanité et le crime de guerre ne peuvent
faire objet d’aucune loi d’amnistie65.
61 Doc. ONU S/2004/616, 23 août 2004, § 64(c). Voir aussi : doc. ONU S/1999/836, 30 juillet
1999, § 7 (« l’Organisation des Nations Unies entend la notion d’amnistie et de pardon
consignée à l’article IX de l’accord de façon telle qu’elle ne s’applique pas aux crimes de
génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et autres violations graves du
droit international humanitaire »).
62 Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/133 du 18 décembre 1992, § 18.
63 Loi 052/2009 portant détermination des compétences et de la procédure de mise en
œuvre du Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale par les juridictions
burkinabé, art. 14 (« Les infractions et les peines prévues par la présente loi sont
imprescriptibles. Elles ne sont susceptibles ni d’amnistie ni de grâce. »).
64 Signé à Arusha, 28 août 2000, art. 26(1)(l).
65 Loi n° 1/05 du 22 avril 2009, Code pénal du Burundi, art. 171.
22 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
L’accord conclu entre les Nations unies et le Gouvernement royal
cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien,
des auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchea
démocratique, qui couvre le génocide, les crimes contre l’humanité et les
infractions graves aux Conventions de Genève, dispose :
Le Gouvernement royal cambodgien ne demandera pas l’amnistie ni la
grâce de quiconque est passible de poursuites ou reconnu coupable à
raison de crimes visés dans le présent Accord66.
La Loi n° 08-020 (2008) de la République centrafricaine accorde une amnistie
aux forces de sécurité, aux fonctionnaires et aux groupes d’opposition armée
depuis 2003, mais dispose toutefois :
Sont exclues de la présente Loi d’Amnistie, les incriminations visées par le
Statut de Rome, notamment : les crimes de génocide ; les crimes contre
l’humanité ; les crimes de guerre ou tout autre crime relevant de la
compétence de la Cour Pénale Internationale67. La Loi n° 011-022 (2011) des Comores prévoit que le génocide, les crimes
contre l’humanité et les crimes de guerre ne peuvent faire l’objet d’une amnistie
ou d’une grâce68. La Loi n° 2003-309 de la Côte d’Ivoire accorde une amnistie à toutes les
personnes responsables de coups d’État et d’actes de rébellion. Cependant, elle
exclut expressément les violations flagrantes des droits humains, les graves
violations du droit international humanitaire, les crimes visés aux articles 5 à 8 du
Statut de Rome et ceux définis dans la Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples69.
La Loi d’amnistie (2014) de la République démocratique du Congo exclut les
crimes contre l’humanité et les autres crimes de droit international :
Sont exclus du champ d’application de la présente loi, le crime de
génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le
terrorisme, les infractions de torture, de traitements cruels, inhumains ou
dégradants, les infractions de viol et autres violences sexuelles,
l’utilisation, la conscription ou l’enrôlement d’enfants et toutes autres
violations graves, massives et caractérisées des droits humains70.
66 Accord entre l’Organisation des Nations unies et le Gouvernement royal cambodgien
concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des crimes
commis pendant la période du Kampuchea démocratique, art. 11(1).
67 Loi n° 08-020 portant amnistie générale à l'endroit des personnalités, des militaires, des
éléments et responsables civils des groupes rebelles, 13 oct. 2008, art. 2.
68 Loi n° 011-022 du 13 décembre 2011, portant mise en œuvre du Statut de Rome, art. 14
(« Les infractions et les peines prévues par la présente loi sont imprescriptibles. Elles ne
sont susceptibles ni d’amnistie ni de grâce. »).
69 Loi n° 2003-309 du 8 août 2003 portant amnistie, art. 4 (« La présente loi d’amnistie ne
s’applique pas : b) aux infractions constitutives de violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire ; d) aux infractions visées par les articles 5 à 8 du Traité de
Rome sur la Cour pénale internationale (CPI) et la Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples. »).
70 Loi n° 014/006 du 11 février 2014 portant amnistie pour faits insurrectionnels, faits de
guerre et infractions politiques, art. 4.
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IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
La Constitution de l’Équateur (2008) dispose que ni l’amnistie, ni la grâce ne
s’appliquent aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre ou aux
agressions71.
Conformément au Code pénal du Panama, adopté en 2007, ni la grâce ni
l’amnistie ne s’appliquent aux crimes contre l’humanité, qui incluent le génocide
et les crimes de guerre, et aux disparitions forcées72.
La loi philippine définissant la disparition forcée ou involontaire et l’érigeant en
infraction contient une disposition qui interdit l’amnistie pour cet acte :
Les personnes accusées de s’être livrées à une disparition forcée ou
involontaire, ou reconnues coupables de cet acte, ne peuvent
bénéficier d’aucune loi d’amnistie spéciale ni d’autres mesures
analogues qui les exonéreraient de toute poursuite ou sanction
pénale73. La Loi 18.026 (2006) portant mise en œuvre du Statut de Rome en Uruguay
interdit les amnisties et les grâces (la formulation du texte semble même
inclure les grâces accordées après condamnation) pour le génocide, les
crimes contre l’humanité et les crimes de guerre74. En vertu de la Constitution du Venezuela (1999, modifiée en 2009), les
violations des droits humains, les crimes contre l’humanité et les crimes de
guerre donnent lieu à une information judiciaire et à des poursuites. En outre,
ces infractions ne peuvent faire l’objet ni d’une amnistie, ni d’une mesure de
grâce75.
En conclusion, Amnesty International estime qu’une convention sur les crimes
contre l’humanité devrait interdire les amnisties et les autres mesures similaires
entraînant l’impunité, car elles empêchent l’établissement de la vérité, la
détermination finale par un juge de la culpabilité ou de l’innocence, et l’octroi de
réparations pleines et entières aux victimes et à leur famille.
4. LES TRIBUNAUX MILITAIRES
71 Constitution de la République de l’Équateur, art. 80 (« Las acciones y penas por delitos
de genocidio, lesa humanidad, crímenes de guerra, desaparición forzada de personas o
crímenes de agresión a un Estado serán imprescriptibles. Ninguno de estos casos será
susceptible de amnistía. »).
72 Code pénal du Panama, art. 115(3) (« No se aplicará el indulto ni la amnistía en los
delitos contra la Humanidad y en el delito de desaparición forzada de personas. »).
73 Loi de la République n° 10353, 23 juillet 2012, sec. 23.
74 Loi 18.026 du 4 oct. 2006, art. 8 (« Improcedencia de amnistía y similares. Los crímenes
y penas tipificados en los Títulos I a III de la Parte II de la presente ley, no podrán
declararse extinguidos por indulto, amnistía, gracia, ni por ningún otro instituto de clemencia,
soberana o similar, que en los hechos impida el juzgamiento de los sospechosos o el
efectivo cumplimiento de la pena por los condenados. »).
75 Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, art. 29 (« [L]as acciones para
sancionar los delitos de lesa humanidad, violaciones graves a los derechos humanos y los
crímenes de guerra son imprescriptibles [...] Dichos delitos quedan excluidos de los
beneficios que puedan conllevar su impunidad, incluidos el indulto y la amnistía. »).
24 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
Recommandation : La convention doit disposer que les responsables
présumés de crimes contre l’humanité ne peuvent être jugés que par les
juridictions de droit commun compétentes, dans chaque État, à l’exclusion
des juridictions militaires.
Les tribunaux militaires – et les commissions militaires – sont souvent un moyen
pour les responsables de crimes de droit international ou d’atteintes aux droits
fondamentaux de se soustraire à une véritable enquête ou à des poursuites
judiciaires. Après plus de 50 ans de lutte contre l’impunité, Amnesty International
a conclu que seules les juridictions civiles de droit commun devraient être
autorisées à juger les auteurs présumés de génocide, de crimes contre
l’humanité, de crimes de guerre, de torture, de disparitions forcées, d’exécutions
extrajudiciaires et de violations des droits humains76. Il est de plus en plus
largement admis que les juridictions militaires ne doivent pas être compétentes
pour juger des membres de l’armée et des forces de sécurité qui sont poursuivis
pour des violations des droits humains ou des crimes de droit international. Amnesty International a déjà présenté sa position dans son manuel Pour des
procès équitables : les tribunaux militaires ne doivent être saisis que pour juger
les membres des forces armées – et, en aucun cas, des civils – poursuivis pour
des infractions à la discipline militaire, à l’exclusion des crimes de droit
international, dont les crimes contre l’humanité, et des violations des droits
humains77. 4.1. TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS HUMAINS ET DÉCLARATIONS DES ORGANES DE SUIVI DE CES TRAITÉS La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes inclut
une interdiction explicite de la saisine des tribunaux militaires pour les auteurs
présumés du crime visé :
Les auteurs présumés des faits constitutifs du délit de disparition forcée
des personnes peuvent être jugés uniquement par les juridictions de droit
commun compétentes dans chaque État. Aucune autre juridiction spéciale
ne sera autorisée, notamment la juridiction militaire78. Quinze États sont parties à cet instrument régional. Seul l’un d’entre eux, le
Mexique, a formulé une réserve à l’article IX lors de la ratification de la
Convention en 2002, mais il l’a retirée 12 ans plus tard. Dans ses Observations finales sur le Chili, le Comité des droits de l’homme a formulé la recommandation suivante :
76 Amnesty International, Pour des procès équitables (POL 30/002/2014), 9 avril 2014. Le
manuel est également disponible en arabe, en espagnol, en français et en russe.
77 Voir : Commission internationale de juristes, Military jurisdiction and international law
(Genève, 2004) et Comisión Colombiana de Juristas, Tribunales Militares y graves
violaciones de derechos humanos (Bogotá, 2011).
78 Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, art. IX. Ce texte a été
adopté à Belém do Pará (Brésil), le 9 juin 1994, et est entré en vigueur le 28 mars 1996.
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
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IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
…[q]ue la loi soit amendée de façon que les tribunaux militaires n’aient
compétence que pour juger les militaires poursuivis pour des infractions
de caractère exclusivement militaire79.
Le Conseil des droits de l’homme a également recommandé à la Croatie de :
…[v]eiller à ce que la loi d’amnistie ne soit pas appliquée dans les
cas de violations graves des droits de l’homme ou de violations qui
constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre80.
Concernant la Colombie, le Comité contre la torture a réitéré son inquiétude :
…[à] l’idée que de graves violations des droits de l’homme, notamment
les exécutions extrajudiciaires commises par des agents de la force
publique, continuent de relever de la compétence des tribunaux militaires,
ce qui compromet sérieusement l’impartialité des enquêtes81. Dans le rapport qu’il a publié à l’issue d’une mission en Guinée
équatoriale, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention
arbitraire a écrit :
La compétence des tribunaux militaires doit être limitée exclusivement
aux infractions d’ordre militaire commises par des membres des
forces armées. Ils ne doivent pas pouvoir juger de civils82. 4.2. DÉCLARATIONS ET AUTRES INSTRUMENTS La Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées (1992) prévoit que les auteurs présumés de
disparition forcée :
…[n]e peuvent être jugés que par les juridictions de droit commun
compétentes, dans chaque État, à l’exclusion de toute autre juridiction
spéciale, notamment militaire83.
Une position identique est exprimée dans l’Ensemble de principes actualisé
pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre
l’impunité. Ainsi :
La compétence des tribunaux militaires doit être limitée aux seules
infractions spécifiquement militaires commises par des militaires, à
l’exclusion des violations des droits de l’homme qui relèvent de la
79 Observations finales du Comité des droits de l’homme : Chili, CCPR/C/79/Add.104 (1999),
§ 9(2).
80 Observations finales du Comité des droits de l’homme : Croatie, CCPR/C/HRV/CO/2,
4 nov. 2009, § 10.
81 CAT/C/COL/CO/4, 4 mai 2010, § 16.
82 A/HRC/7/4/Add.3, 18 février 2008, § 100(f) [traduction non officielle].
83 Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/133 du 18 décembre 1992,
§ 16(2).
26 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
compétence des juridictions ordinaires internes ou, le cas échéant,
s’agissant de crimes graves selon le droit international, d’une juridiction
pénale internationale ou internationalisée84. 4.3. AVIS DE JURIDICTIONS RÉGIONALES ET NATIONALES Dans l’affaire Massacre de Mapiripán c. Colombie, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a indiqué :
La compétence des juridictions militaires doit être limitée, exceptionnelle
et ne doit être exercée que pour protéger des intérêts juridiques spéciaux
liés aux devoirs qui incombent aux forces armées au regard de la loi.
Ainsi, les civils ne doivent pas être jugés par ces tribunaux, et seuls les
militaires accusés d’infractions qui, de par leur nature même, portent
atteinte aux intérêts juridiques de l’armée, peuvent l’être85. Dans l’affaire Rosendo Radilla c. Mexique, elle a également fait observer
sur la question des disparitions forcées :
Des actes tels que des disparitions forcées de civils perpétrés par des
membres de l’armée ne peuvent en aucune circonstance constituer un
moyen légitime et acceptable de remplir une mission militaire. De toute
évidence, ces actes sont entièrement contraires aux devoirs de respect et
de protection des droits humains et sont, par conséquent, exclus de la
compétence des tribunaux militaires86. Se prononçant sur la compétence des tribunaux militaires, la Cour constitutionnelle colombienne réunie en plénière a déclaré :
Le lien unissant l’acte criminel et l’exercice de fonctions est rompu dès
lors que l’infraction est exceptionnellement grave, dans le cas par
exemple de crimes contre l’humanité. Dans ces circonstances, l’affaire
doit être confiée à une juridiction de droit commun eu égard à la
contradiction totale qui existe entre le crime et la mission dévolue aux
forces de sécurité dans la Constitution87. 4.4. LÉGISLATIONS NATIONALES Au cours des dernières décennies, la compétence des juridictions militaires a
été limitée aux infractions de nature militaire, à l’exclusion des crimes de droit
commun et des crimes de droit international, dans la Constitution de plusieurs
États. C’est notamment le cas de la Bolivie88, du Cap-Vert89, de l’Équateur90, du
Paraguay91 et du Salvador92.
84 E/CN.4/2005/102/Add.1, 8 fév. 2005, principe 29 : restrictions à la compétence des
tribunaux militaires.
85 Cour interaméricaine des droits de l’homme, affaire Durand et Ugarte c. Pérou, arrêt du
16 août 2000, § 117 ; voir aussi l’affaire Massacre de Mapiripán c. Colombie, arrêt du
15 sept. 2005, § 202 [traduction non officielle].
86 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Radilla-Pacheco c. Mexique, arrêt du 23 nov.
2009, § 277 [traduction non officielle].
87 Arrêt C-358 du 5 août 1997 (citation de l’arrêt rendu dans l’affaire Massacre de Mapiripán
c. Colombie, § 205) [traduction non officielle].
88 Nouvelle Constitution politique de l’État plurinational de Bolivie, art. 180(3) (« La
jurisdicción ordinaria no reconocerá fueros, privilegios ni tribunales de excepción. La
jurisdicción militar juzgará los delitos de naturaleza militar regulados por la ley. »).
COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
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IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
La loi portant mise en œuvre du Statut de Rome dans le droit uruguayen
prévoit que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la
torture, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires ne sont pas du
ressort des tribunaux militaires93. De la même manière, les juridictions militaires
ont été abolies en Argentine en 2008. Ainsi, le génocide, les crimes contre
l’humanité et les crimes de guerre, entre autres crimes de droit international,
relèvent de la compétence des tribunaux civils de droit commun94.
En réaction à une initiative prise récemment par les autorités colombiennes pour
élargir la compétence des tribunaux militaires, 12 rapporteurs spéciaux des
Nations unies ont indiqué craindre que le projet de loi concerné « n’étende sans
justification la compétence des tribunaux militaires et de police aux infractions
relevant clairement de celle de tribunaux de droit commun ». Ils ont ajouté :
Nous pensons que l’adoption de la réforme proposée constituerait un
bond en arrière dans les efforts déployés par la Colombie pour satisfaire à
ses obligations au regard du droit international humanitaire et relatif aux
droits humains. Seraient notamment mis à mal les efforts significatifs de
l’État colombien pour s’attaquer aux violations des droits humains
commises dans le passé, notamment aux exécutions extrajudiciaires
perpétrées entre 2002 et 2008 par des membres des forces armées, et
pour empêcher qu’elles ne se reproduisent95.
Pour conclure, Amnesty International recommande que la convention dispose
que les responsables présumés de crimes contre l’humanité ne peuvent être
89 Constitution de la République du Cap-Vert, 2010, art. 210(1) (« Ao Tribunal Militar de
Instância compete o julgamento de crimes que, em razão da matéria, sejam definidos por lei
como essencialmente militares, com recurso para o Supremo Tribunal de Justiça, nos
termos da lei. »).
90 Constitution de la République de l’Équateur, 2008, art. 160 (« Los miembros de las
Fuerzas Armadas y de la Policía Nacional serán juzgados por los órganos de la Función
Judicial; en el caso de delitos cometidos dentro de su misión específica, serán juzgados por
salas especializadas en materia militar y policial, pertenecientes a la misma Función Judicial.
Las infracciones disciplinarias serán juzgadas por los órganos competentes establecidos en
la ley. »).
91 Constitution nationale du Paraguay, 1992, art. 174 (« Los tribunales militares solo
juzgarán delitos o faltas de carácter militar, calificados como tales por la ley, y cometidos
por militares en servicio activo. Sus fallos podrán ser recurridos ante la justicia ordinaria. »).
92 Constitution de la République du Salvador, 1983 (version modifiée), art. 216(3) (« Gozan
del fuero militar los miembros de la Fuerza Armada en servicio activo por delitos y faltas
puramente militares. »).
93 Loi 18.026, art. 11 (« Los crímenes y delitos tipificados en la presente ley no podrán
considerar como cometidos en el ejercicio de funciones militares, no serán considerados
delitos militares y quedará excluida la jurisdicción militar para su juzgamiento. »).
94 Loi 26.394 (2008).
95 Lettre ouverte des titulaires de mandat des Procédures spéciales du Conseil des droits de
l’Homme des Nations unies au gouvernement et au Congrès de la République de Colombie,
29 sept. 2014 [traduction non officielle].
28 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
jugés que par les juridictions de droit commun compétentes, dans chaque État,
à l’exclusion des juridictions militaires.
5. LES RÉSERVES
Recommandation : Aucune réserve à la convention ne doit être admise. La CDI a fait observer à juste titre : « La pratique est bien établie en ce sens :
avec les traités des droits de l’homme, les conventions de codification sont, de
tous les traités, ceux qui sont l’objet du plus grand nombre de réserves96. » Amnesty International recommande que soient expressément interdites les
réserves à la convention sur les crimes contre l’humanité, comme c’est le cas
des réserves au Statut de Rome qui dispose en son article 120 :
Le présent Statut n’admet aucune réserve.
Comme l’avait fait valoir Amnesty International lors du processus d’élaboration du
Statut de Rome, il convient d’interdire la formulation de réserves à l’égard des
crimes contre l’humanité de sorte que tous les États parties aient les mêmes
obligations, et que celles-ci soient bien diffusées auprès de tous les États et du
grand public97. Faisant référence à ce texte, un universitaire éminent, ancien
membre de la CDI, a expliqué : « L’exclusion des réserves préserve l’intégrité du
texte, auquel seule la disposition transitoire de l’article 124 porte atteinte98. » De
la même façon, une organisation non gouvernementale a souligné : « L’auto-
risation de réserves [au Statut de Rome] saperait la force et l’autorité morale
sous-tendant le traité et affaiblirait la nature des obligations qu’il contient99. »
À l’image du Statut de Rome, d’autres traités relatifs aux droits humains prohibent
expressément les réserves, dont la Convention européenne pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants100, la Convention
supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et
des institutions et pratiques analogues à l’esclavage101 et le Protocole à la
Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant de l’abolition de la
peine de mort102.
Dans son Avis consultatif sur les effets des réserves à propos de l’entrée en
vigueur de la Convention américaine des droits de l’homme, la Cour
interaméricaine des droits de l’homme a également clarifié et limité la portée de la
96 Guide de la pratique sur les réserves aux traités, 63e session (26 avril-3 juin et 4 juillet-
12 août 2011), A/66/10/Add.1.
97 Amnesty International, The International Criminal Court: Making the right choices - Part IV,
Establishing and financing the court and final clauses (IOR 40/004/1998), III(b).
98 G. Hafner, Article 120, Commentary on the Rome Statute: Observers’ Notes, Article by
Article, O. Triffterer ed. (Baden-Baden: Nomos Verlagsgesellschaft 1999) [traduction non
officielle].
99 Human Rights Watch, Réunion de mars-avril de la commission préparatoire :
commentaire (1998) [traduction non officielle].
100 Article 21 (STE n° 126, entrée en vigueur le 1er février 1989).
101 Article 9 (adoptée le 30 avril 1956, entrée en vigueur le 30 avril 1957).
102 Article 2 (adopté le 8 juin 1990, OEA, T.S. No. 73).
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IOR 40/1227/2015 Amnesty International - avril 2015
Convention de Vienne sur le droit des traités concernant les instruments relatifs
aux droits de l’homme :
La Cour doit toutefois souligner que les traités modernes relatifs aux
droits de l’homme en général, et la Convention américaine en particulier,
ne sont pas des traités multilatéraux de type traditionnel conclus pour
accomplir l’échange réciproque de droits dans l’intérêt mutuel des États
contractants. Leur objet et leur but sont la protection des droits
fondamentaux des êtres humains, indépendamment de leur nationalité,
contre leur État de nationalité et tous les autres États contractants. Par la
conclusion de tels traités relatifs aux droits de l’homme, les États peuvent
être considérés comme se soumettant à un ordre juridique au sein
duquel ils assument, pour le bien commun, diverses obligations, non pas
vis-à-vis des autres États, mais vis-à-vis de tous les individus relevant de
leurs juridictions103.
Puisque les réserves sont interdites au regard du Statut de Rome, et que la
convention sur les crimes contre l’humanité complète ce texte, Amnesty
International estime qu’il ne serait pas logique de les autoriser dans le cadre de ce
nouveau traité. Ne pas interdire les réserves à une convention sur les crimes
contre l’humanité laisse la possibilité aux États d’en formuler, ce qui pourrait
réduire à néant l’objet et le but de ce texte. Cela pourrait aussi avoir une incidence
sur le Statut de Rome, dont les États parties (123 à ce jour) se verraient offrir
l’occasion de se soustraire au cadre strict défini dans ce texte et, en
conséquence, de réduire indirectement à néant l’objet et le but du Statut de
Rome, également. Comme l’a indiqué à juste titre le rapporteur spécial de la CDI
dans le rapport qu’il a remis récemment : « Il conviendrait en particulier d’éviter
tout conflit entre cette convention et le Statut de Rome104. »
IV. RECOMMANDATIONS
Amnesty International estime que, lors des travaux d’élaboration de la convention
sur les crimes contre l’humanité, la CDI doit codifier les règles existantes de droit
international coutumier dans le domaine du droit pénal international, ainsi que les
nouvelles normes qui s'établissent peu à peu et vont dans le sens de la poursuite
effective des personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans des crimes
contre l’humanité. Comme l’a indiqué à juste titre le rapporteur spécial de la CDI :
« [L]’adoption d’un tel instrument permettrait peut-être d’atteindre plusieurs
objectifs souhaitables qui ne sont pas visés par le Statut de Rome. »
En conséquence, l’organisation formule les recommandations initiales suivantes :
103 Cour interaméricaine des droits de l’homme, The Effect of Reservations on the Entry into
Force of the American Convention on Human Rights, Advisory Opinion, OC-2/82, 24 sept.
1982, § 29 [traduction non officielle].
104 CDI, Premier rapport sur les crimes contre l’humanité, § 21.
30 COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL RECOMMANDATIONS INITIALES EN FAVEUR D’UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
1. LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE
La convention doit exiger des États parties qu’ils jugent les auteurs présumés
de crimes contre l’humanité commis hors de leur territoire, y compris lorsqu’il
n’existe aucun lien avec le pays tel que la nationalité du suspect ou des
victimes ou une atteinte aux intérêts nationaux de l’État.
2. AUT DEDERE AUT JUDICARE (EXTRADER OU POURSUIVRE)
La convention doit disposer que les États parties sont tenus de soumettre à
leur compétence les responsables présumés de crimes contre l’humanité dès
lors qu’ils se trouvent sur un territoire relevant de leur compétence, à moins
que ces personnes ne soient extradées vers un autre État ou remises à une
juridiction pénale internationale.
3. LES AMNISTIES ET AUTRES MESURES SIMILAIRES D’IMPUNITÉ
La convention doit disposer que sont prohibées les amnisties et autres mesures
similaires entraînant l’impunité, car elles empêchent l’établissement de la vérité,
la détermination finale par un juge de la culpabilité ou de l’innocence, et l’octroi
de réparations pleines et entières aux victimes et à leur famille.
4. LES TRIBUNAUX MILITAIRES
La convention doit disposer que les responsables présumés de crimes contre
l’humanité ne peuvent être jugés que par les juridictions de droit commun
compétentes, dans chaque État, à l’exclusion des juridictions militaires.
5. LES RÉSERVES
La convention doit disposer qu’aucune réserve n’est admise.