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Christian GOMEZ Note de Travail Version1/working paper 1 st Draft/24/11/2012 CHÔMAGE ET COÛTS SALARIAUX: LE RETOUR DE LA “LOI DE RUEFF” RUEFF, ALLAIS, ….ARTUS Il y a en économie quelques « lois d’airain » que, bien entendu, les « progressistes » de toutes nuances refusent d’admettre et ne songent qu’à subvertir car elles se mettent sans cesse en travers de leurs utopies et sont des forces de rappel irrésistibles contre leurs divagations. Elles ne se manifestent souvent qu’à travers les conséquences catastrophiques que leur violation a entrainées. La faillite des expériences socialistes est là pour nous le rappeler. Et, parmi ces lois, il y en a une qui, depuis quelques années dans les pays occidentaux, beaucoup plus récemment en France, revient sur le devant de la scène de l’actualité : c’est la relation qui établit que les coûts salariaux, quand ils ne sont pas en ligne avec la productivité de l’économie ou trop rigides pour s’adapter aux conditions de l’offre et de la demande de travail, sont la cause principale du chômage et, en particulier, d’une de ses formes les plus pernicieuses et persistantes : le chômage chronique. Un chômage différent du chômage technologique/frictionnel qui est un coût d’adaptation au changement et que traduisent les flux « normaux » interentreprises et intersectoriels de salariés pour une durée de recherche « normale ». Un chômage différent aussi de celui résultant des fluctuations conjoncturelles de la dépense globale (chômage conjoncturel) ou de celui qu’une politique différente en matière de commerce international parviendrait à réguler, voire à combattre (chômage de type « mondialiste » comme l’appelait Maurice Allais). Dans cette brève note, en partant du travail fondateur de Rueff et des recherches de Maurice Allais, il est possible de montrer comment les préoccupations fondamentales qui guidaient ces deux grands économistes s’expriment aujourd’hui à travers les recherches d’un des très rares brillants économistes français cumulant la dextérité théorique avec une connaissance approfondie des faits: Patrick Artus. I- L’EXPRESSION DE LA « LOI DE RUEFF », DES ARTICLES FONDATEURS DE 1925 et 1931 1 AU RAPPEL DE 1976 2 Dans les années 20, la volonté de rétablir la parité-or de la livre-sterling d’avant-guerre en dépit de la forte inflation de la période 1915-1920 avait conduit les autorités britanniques à mener une politique de déflation. Or, celle-ci eut pour conséquence une augmentation massive et durable du chômage. C’est ce phénomène qu’étudia Rueff en analysant comment les salaires nominaux s’ajustaient aux baisses de prix dans cette période troublée. Ses conclusions furent sans appel, déclenchant bien entendu les inévitables polémiques avec les économistes ou prétendus tels qui confondent l’analyse économique avec leurs inclinations idéologiques ou leurs préoccupations « sociales » : 1 Jacques Rueff: “Les variations du chômage en Angleterre », Revue Politique et Parlementaire, 32, Décembre 1925, p. 425-437, et « « L’Assurance-Chômage : Cause du chômage permanent », Revue d’Économie Politique, 45, Mars-Avril 1931, p. 211-251, réédité s par E.M Claassen, Jacques Rueff, Œuvres Complètes, Tome II, Théorie Monétaire, p.219-230 et 231-270 2 Jacques Rueff: “La fin de l’ère keynésienne”, Le Monde, 19 et 20/21 Février, 1976 http://www.catallaxia.org/w/index.php? title=Jacques_Rueff:La_fin_de_l'%C3%A8re_keyn%C3%A9sienne 1

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Christian GOMEZ Note de Travail Version1/working paper 1st Draft/24/11/2012

CHÔMAGE ET COÛTS SALARIAUX: LE RETOUR DE LA “LOI DE RUEFF”

RUEFF, ALLAIS, ….ARTUS

Il y a en économie quelques « lois d’airain » que, bien entendu, les « progressistes » de toutes nuances refusent d’admettre et ne songent qu’à subvertir car elles se mettent sans cesse en travers de leurs utopies et sont des forces de rappel irrésistibles contre leurs divagations. Elles ne se manifestent souvent qu’à travers les conséquences catastrophiques que leur violation a entrainées. La faillite des expériences socialistes est là pour nous le rappeler. Et, parmi ces lois, il y en a une qui, depuis quelques années dans les pays occidentaux, beaucoup plus récemment en France, revient sur le devant de la scène de l’actualité : c’est la relation qui établit que les coûts salariaux, quand ils ne sont pas en ligne avec la productivité de l’économie ou trop rigides pour s’adapter aux conditions de l’offre et de la demande de travail, sont la cause principale du chômage et, en particulier, d’une de ses formes les plus pernicieuses et persistantes : le chômage chronique. Un chômage différent du chômage technologique/frictionnel qui est un coût d’adaptation au changement et que traduisent les flux « normaux » interentreprises et intersectoriels de salariés pour une durée de recherche « normale ». Un chômage différent aussi de celui résultant des fluctuations conjoncturelles de la dépense globale (chômage conjoncturel) ou de celui qu’une politique différente en matière de commerce international parviendrait à réguler, voire à combattre (chômage de type « mondialiste » comme l’appelait Maurice Allais). Dans cette brève note, en partant du travail fondateur de Rueff et des recherches de Maurice Allais, il est possible de montrer comment les préoccupations fondamentales qui guidaient ces deux grands économistes s’expriment aujourd’hui à travers les recherches d’un des très rares brillants économistes français cumulant la dextérité théorique avec une connaissance approfondie des faits: Patrick Artus.

I- L’EXPRESSION DE LA « LOI DE RUEFF », DES ARTICLES FONDATEURS DE 1925 et 19311 AU RAPPEL DE 19762

Dans les années 20, la volonté de rétablir la parité-or de la livre-sterling d’avant-guerre en dépit de la forte inflation de la période 1915-1920 avait conduit les autorités britanniques à mener une politique de déflation. Or, celle-ci eut pour conséquence une augmentation massive et durable du chômage. C’est ce phénomène qu’étudia Rueff en analysant comment les salaires nominaux s’ajustaient aux baisses de prix dans cette période troublée. Ses conclusions furent sans appel, déclenchant bien entendu les inévitables polémiques avec les économistes ou prétendus tels qui confondent l’analyse économique avec leurs inclinations idéologiques ou leurs préoccupations « sociales » :

1 Jacques Rueff: “Les variations du chômage en Angleterre », Revue Politique et Parlementaire, 32, Décembre 1925, p. 425-437, et « « L’Assurance-Chômage : Cause du chômage permanent », Revue d’Économie Politique, 45, Mars-Avril 1931, p. 211-251, réédité s par E.M Claassen, Jacques Rueff, Œuvres Complètes, Tome II, Théorie Monétaire, p.219-230 et 231-2702 Jacques Rueff: “La fin de l’ère keynésienne”, Le Monde, 19 et 20/21 Février, 1976 http://www.catallaxia.org/w/index.php?title=Jacques_Rueff:La_fin_de_l'%C3%A8re_keyn%C3%A9sienne

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• Chômage et salaires réels sont intrinsèquement liés comme le montre la très forte corrélation observée entre les deux variables dans la période 1919-1930 (données trimestrielles)

Le lien très fort, (coefficient de corrélation : 0.95, selon J. Rueff), est assez étonnant dans la mesure où il n’y a aucun décalage ente les deux évolutions, le chômage épousant instantanément les variations du salaire réel. Sans doute, ce phénomène s’explique t-il par le climat déflationniste d’ensemble de l’économie britannique durant cette période, avec la chute du niveau des prix impliquant de la part des chefs d’entreprise une surveillance stricte de leur compte d’exploitation et une réactivité forte. Et, à cet égard, le profil d’ajustement des salaires nominaux à l’évolution des prix est essentielle et vient conforter la deuxième conclusion de Rueff.

• Le blocage à la baisse des salaires nominaux par la « politique sociale » empêche le marché du travail de se rééquilibrer.

Comme le montre le graphique publié par Rueff en 1931, le décalage entre l’évolution des salaires nominaux et les prix explique les mouvements des salaires réels, donc, du chômage :

- Dans un premier temps (1919), les prix montent et les salaires nominaux suivent avec retard, d’où une baisse des salaires réels et du chômage

- Puis, les salaires se mettent à monter (1920-1921), alors que les prix commencent à s’affaisser, d’où une forte progression des salaires réels et, ipso facto, du chômage qui montent à des niveaux inusités pour l’époque et s’installent sur un plateau élevé.

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ANGLETERRE : 1919/1-1930/4TAUX DE CHÔMAGE ET SALAIRES RÉELS

SALAIRES NOMINAUX ET PRIXJacques Rueff, Œuvres complètes T.II, p.238

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- A partir de 1922, le chômage a raison de la résistance salariale et les salaires nominaux commencent à baisser entrainant un déclin significatif du sous-emploi,

- Mais, curieusement, à partir de 1924, le réajustement se bloque et prix et salaires nominaux sont comme figés !

Pour Rueff, ce blocage vient essentiellement d’un mécanisme institutionnel en place, l’existence de la « dole », une indemnité-chômage instituée par le gouvernement travailliste de l’époque (MacDonald) dont le seul effet fut de perpétuer le chômage et la misère….. Arrivée à un certain niveau, la grille des salaires ne peut plus s’ajuster à l’état du marché du travail puisque le salaire n’a plus lieu d’être négocié du fait qu’il est possible pour le salarié de bénéficier d’un revenu « gratuit » fourni par la puissance publique. C’est parce que l’on empêche le mécanisme des prix de jouer, un mécanisme au cœur même du fonctionnement du système dit « capitaliste », que le chômage peut perdurer et la misère s’installer. Il ne s’agit en aucun cas d’une « crise de régime » mais d’une crise de ces politiques qui prétendent réformer ce système au nom d’idéologies fausses (Rueff, 1931, rééd. 1979, p.261)

C’est une situation comparable que Jacques Rueff crut déceler dans la France des années 70. D’où le cri d’alarme qu’il poussa dans son article de 1976.

Cependant, les enseignements qu’il en tire sont ambigus vu la différence de situation entre l’Angleterre de l’après-première guerre mondiale et celle qui prévalait dans la France des années 70, qui achevait sa

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période des « Trente glorieuses » (Fourastié), c'est-à-dire trente années de croissance forte et ininterrompue. D’où l’intérêt d’analyser ses conclusions à la lumière du modèle d’Allais de 19813.

II- LA « LOI DE RUEFF » DANS LES ANNÉES 70-80 ANALYSÉE À LA LUMIÈRE DES MODÈLES D’ALLAIS 1981-1999 RELATIFS AU CHÔMAGE CHRONIQUE

Les années d’après la WWI en Grande-Bretagne furent des années de faible croissance dans lesquelles l’économie britannique se réadaptait à une économie de paix dans la douleur puisque la volonté des autorités était de revenir à la parité-or de 1914 pour la livre sterling par un réajustement en baisse du niveau général des prix. Il était donc possible d’inférer une relation directe entre le niveau des salaires réels et le taux de chômage, via l’impact de la première variable sur la demande de travail des employeurs (facteur premier) et sur l’offre de travail (facteur second (des franges d’employés pouvant décider d’entrer ou non sur le marché du travail en fonction du niveau de salaire offert).

Mais, dans un processus de croissance équilibrée où, partant d’une situation de plein emploi, la population active croit sur un sentier d’expansion régulier, le salaire peut augmenter au même rythme que la productivité, le taux ce croissance de l’économie convergeant vers son taux naturel (croissance de la population active + croissance de la productivité), une situation à peu près réalisée dans la période 1950-1970, à l’exception de chocs temporaires sur l’offre de travail comme l’arrivée des rapatriés d’Algérie en 1962-1963. En tant que tel, dire, comme le suggère le titre du graphique présenté par J.Rueff, que le chômage a augmenté dans cette période parce que les salaires réels ont augmenté est incorrect et une simple vision du graphique de Rueff sur une période plus longue (depuis 1950) aurait suffi à le montrer.

Et, c’est là qu’intervient l’analyse d’Allais de 1981. Dans un tel processus de croissance, si le rythme de croissance de la population active ne change pas, le déséquilibre sur le marché du travail ne peut venir que d’une cause : une augmentation trop rapide des salaires réels par rapport non seulement à la productivité brute du travail mais, surtout, à la productivité nette du travail (après prise en compte non seulement du facteur travail mais aussi du facteur capital).

3 Maurice Allais : Le chômage et les charges salariales globales, Le Monde, 14-15 juin 1981, et sous une forme plus étendue « Rapport d‘Activité Scientifique du CNRS, 1978-1980, Centre d’Analyse Economique, Septembre 1980.

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Dans ce cas, l’augmentation du chômage va résulter, à la fois, d’une certaine augmentation de l’offre de travail (salaires plus attractifs pour certaines catégories de salariés) et, surtout, d’une décélération concomitante de la demande de travail sous l’action de deux facteurs : (1) des activités à forte intensité main d’œuvre ferment ou périclitent ; (2) des investissements de productivité sont effectués pour substituer du capital au travail. Or, c’est bien ce que montre l’évolution de cet indicateur de « l’excès des charges salariales » (graphique ci-dessus montrant l’évolution du rapport coût salarial, charges sociales comprises/productivité nette du travail) avec une clarté toute particulière qui permet de mieux faire comprendre la « loi de Rueff » :

- Dans les années 60, les politiques de rigueur menées dès 1962-1963 (Ministres des finances: Valéry Giscard d’Estaing et Michel Debré) associées à la pression exercée par l’arrivée de centaines de milliers de rapatriés d’Algérie avides de travailler conduisent à une évolution très favorable de cet indicateur en faveur de l’emploi, d’où une absorption rapide et sans coup férir du choc enregistré sur la population active ;

- Après 1968, l’économie française entre dans une zone de turbulences sociales résultant de surenchères syndicales et d’abdication du sens de ses responsabilités par le personnel politique (à de rares exceptions comme Raymond Barre) et l’indicateur de tension sur les coûts du travail commence à se détériorer de plus en plus fortement.

C’est tout l’intérêt du modèle d’allais de 1981 que de tenter d’intégrer dans le cadre d’un même modèle : (1) le chômage technologique (supposé représenter une part constante de la population active), (2) le chômage conjoncturel (écarts au trend du PIB) et (3) le chômage « chronique dû à des coûts salariaux trop élevés eu égard à l’évolution de la productivité nette du travail, et de montrer sa puissance explicative durant cette période qui se traduit par (1) une excellente représentation de l’évolution du sous-emploi et (2) des paramètres estimés en accord avec l’analyse théorique.

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Bien entendu, un esprit aussi avisé que Jacques Rueff ne pouvait pas manquer ce point. Mais, ce qu’il voulait signifier en soulignant la responsabilité des salaires réels dans la création d’un chômage permanent/chronique, c’était non la rigidité des salaires à la baisse mais, plutôt, dans la situation des années 70, l’inflexibilité de leur taux de croissance alors même que le chômage se développait. Il y avait là une incongruité, un dysfonctionnement majeur qu’il fallait immédiatement corriger, sinon toutes les politiques anti-chômage ne seraient que cautères sur jambe de bois et ne feraient qu’aggraver le mal. Il n’avait jamais que trente ans d’avance sur ses contemporains et encore essentiellement sur les économistes et politiciens étrangers car les français, eux, ont encore aujourd’hui du mal à comprendre, à l’exception, fort heureusement, de quelques uns.

III- LA NÉCESSITÉ DE LA FLEXIBILITÉ DES SALAIRES ET LE RETOUR IRRÉSISTIBLE DE « LA LOI DE RUEFF » EN FRANCE : LES OBSERVATIONS DE PATRICK ARTUS

Ainsi, il est symptomatique de voir l’évolution d’un brillant représentant de l’intelligentsia économique parisienne, comme Patrick Artus, passer d’un refus presque total de considérer les salaires comme une variable explicative importante de l’emploi dans les années 80-90 à, enfin, une acceptation pleine et entière de l’importance du coût salarial et des rigidités du marché du travail comme facteurs explicatifs essentiels des phénomènes de sous-emploi chronique, une situation devenu de plus en plus patente depuis que la France fait « cavalier seul » par rapport à ses principaux concurrents en pratiquant le « benign neglect » à l’égard de ce facteur. Il est possible de résumer ses principales conclusions 4 en quelques lignes directrices.

• Il y a eu un développement du chômage structurel dans de nombreux pays européens à partir des années 70, particulièrement en France (Flash Éco, N°759, 6 Novembre 2012)

4 Elles sont toutes extraites de ses “Flash Économie” (FEco), publiés sur Internet sous la bannière de la Banque Natixis dont il dirige le service d’études économiques. Nous ne saurions trop recommander nos lecteurs de lire ces études pleines d’observations graphiques intéressantes et d’analyses pertinentes.

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Il est notable que l’on n’observe pas de mouvement systématique dans ce sens dans des pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, alors qu’il est très marqué dans d’autres pays (Allemagne, Espagne, Italie Suède, Autriche) et, particulièrement, en France. Encore convient-il de remarquer que, dans les graphiques présentés, Artus ne fait référence qu’au taux de chômage du BIT, sans prendre en compte les politiques dites « de l’emploi » qui reviennent en fait à masquer le problème en développant des emplois financés par la Puissance Publique ( par des aides ou par une inflation de fonctionnaires), en parquant des chômeurs potentiels dans des voies de garage ( l’Université pour les jeunes de moins de 25 ans par exemple), en incitant des classes d’âge à se retirer prématurément du marché du travail. C’est ainsi qu’en France, le taux de « sous-emploi » de la population en âge de travailler est sans doute plus proche des 25/30% de la population active, que des 10% annoncés5.

Parmi les causes qu’Artus cite pour comme facteurs explicatifs potentiels du problème étudié, deux d’entre eux font une référence explicite au coût salarial, en valeur absolue ou en relatif : Cotisations sociales des entreprises en hausse, hausse des revenus d’inactivité (salaire minimum). Un autre, le ralentissement de la productivité, n’a de sens ici que mis en relation avec le salaire réel car c’est la poursuite de la croissance des salaires sur un rythme hérité du passé alors que la productivité du travail (brute et nette) se ralentissait qui a eu un effet dévastateur sur l’emploi. Quant à la « pression fiscale en hausse »6, elle fut souvent aussi une conséquence des politiques de relance et de soutien de l’emploi (c'est-à-dire de l’emploi « fictif ») résultant du refus de laisser fonctionner normalement le marché du travail.

Par rapport au « cas » français, une conclusion domine : La France cumule tous les facteurs négatifs et, contrairement aux pays du Nord de l’Europe, elle n’a fait aucun effort sérieux de redressement.

• La « superbe » ignorance du facteur « coût salarial » par la France et son engluage dans le chômage apparent et « caché » ainsi que dans le déclin économique et social

Seuls, quelques indicateurs parmi beaucoup d’autres possibles, seront présentés ici car il faudrait tenir compte de beaucoup d’autres facteurs comme les difficultés et les coûts de licenciement, l’importance des allocations chômage selon leur durée, etc …..

5 Nous reviendrons sur ces questions dans une note prochaine, car elle est essentielle.6 C’est un facteur ambigu car il dépend de son application (revenus des ménages, consommation, profits des entreprises…) et son ’effet n’est pas linéaire (action à partir de seuils jugés intolérables) . En fait, il intervient souvent parce qu’il est le symptôme d’un capitalisme d’état inefficace (France). Les économies peuvent fonctionner avec des pressions fiscales très variables pourvu que les principes de fonctionnement d’une économie de marché soient respectés.

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Les salaires réels, la productivité brute du travail et les profits des entreprises

(Natixis, Flash Éco, N°806, 21 Novembre 2012, p.2)

Il est bien entendu que par rapport à la productivité nette du travail (après prise en compte du facteur capital), le résultat est encore plus ébouriffant puisque celle-ci a très peu progressé durant cette période (natixis, op.cit., p.5). Les salaires progressent en France sans aucun souci des facteurs économiques fondamentaux, asséchant les profits des entreprises et cassant le potentiel de croissance.

Le financement de la « protection sociale » et l’alourdissement du coût du travail supporté par les entreprises

(Natixis, Flash Éco, N°759, 6 Novembre 2012)

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En sus d’une évolution débridée des salaires réels, la France a financé le développement de la « protection sociale », dont le coût social du chômage, par un alourdissement du coût du travail pour les entreprises en augmentant les cotisations sociales payées par ces dernières. A cet égard, il convient de prendre conscience (1) que la France détient un record en la matière et (2) qu’elle n’a fait aucun effort pour en réduire la charge. On remarquera, comme contre exemple, que l’Allemagne, qui avait dérapé dans les années post-unification (quoiqu’à des niveaux très inférieurs à la France), a commencé un processus de décrue à partir des années 2003-2004.

La politique du « coup de pouce » sur le SMIC comme expression de l’aveuglement et de l’ignorance de la classe politique française.

(Natixis, Flash Éco, N°759, 6 Novembre 2012 et N°767, 9 novembre 2012)

L’explosion de 1968 avait déjà entrainé un « rattrapage » du SMIG (le salaire minimum de l’époque qui n’était indexé que sur les prix) pour diminuer les écarts entre les hauts et bas salaires. Puis, cette politique de réduction des « inégalités sociales » fut poursuivie par l’instauration catastrophique du SMIC au début des années 70, une initiative imaginée par le « bien-pensant » Jacques Delors, alors

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conseiller de l’incompétent Premier Ministre de l’époque, Jacques Chaban-Delmas. A chaque date de fixation du SMIC, au début de l’été, il ne s’agissait plus de compenser la hausse des prix d’une année sur l’autre, mais aussi de faire participer les « bas salaires » aux dividendes de la croissance. Ce fut la porte ouverte à la démagogie la plus perverse et, aujourd’hui, (1) une part très significative de la population active (près de 20%) est payée au SMIC, ce qui a un effet catastrophique sur le moral de la population et (2) son niveau « élevé » est un obstacle infranchissable pour des catégories entières de la population, surtout les jeunes, qui sont condamnées soit à l’assistanat, soit à la précarité sans avenir.

Mais, rien n’illustre mieux « l’exception » française en matière de marché du travail que les calculs très simples effectués par Artus sur la liaison « chômage-salaires réels ».

• Un marché du travail français en total dysfonctionnement et complètement déconnecté des réalités économiques

Artus présente une comparaison de la relation conjoncturelle (court-terme) «chômage-salaires réels» dans différents pays qui en dépit, ou en raison, de sa simplicité est éclairante sur le problème français et sur les difficultés d’autres pays du sud de l’Europe.

CORRÉLATIONS ENTRE LA VARIATION ANNUELLE (GLISSEMENT) DU SALAIRE RÉEL PAR TÊTEET LE TAUX DE CHÔMAGE

1998-2012 (DONNÉES TRIMESTRIELLES)Etats-unis Royaume-Uni Allemagne France Espagne Italie

Coefficients de corrélation

-0.37 -0.73 -0.74 +0.37 -0.20 -0.13

(SOURCE : Natixis, Flash Éco, N°767, p.11)

La relation entre salaires réels et chômage est complexe.

En tendance, une montée (baisse) du salaire réel déconnectée de l’évolution de la productivité est défavorable (favorable) à l’emploi et donc entraine une augmentation (baisse) du taux de chômage (corrélation positive), toutes choses égales par ailleurs.

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Au cours des fluctuations conjoncturelles (crises cycliques), sans vouloir trop déduire d’enseignements de simples corrélations très sommaires, il semble qu’elles suggèrent trois types de comportement dans les différentes économies :

- Les pays à corrélations négatives et à rigidité relative faible (essentiellement l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis7) dans lesquels toute montée du taux de chômage met en œuvre des mécanismes d’ajustement conduisant à une baisse des salaires réels (et réciproquement en cas d’amélioration du marché de l’emploi)

- Le pays à corrélation positive (La France) où des salaires, fixés en dehors des lois du marché, semblent mener le jeu, avec des hausses de salaires pouvant se conjuguer avec des taux de chômage élevés

- Les pays à rigidité forte (Italie, Espagne) dans lesquels, les corrélations, quoique négatives, sont très faibles, c'est-à-dire des pays où des taux de chômage élevés n’influent pas vraiment (ou à la marge) sur la formation des salaires.

Et, en fait, concernant ces derniers pays, il serait plus juste d’employer l’imparfait et de dire « n’influaient pas» car, suivant en cela les exemples précurseurs du Royaume-Uni ( Margaret Thatcher) et, plus récemment, de l’Allemagne (Gerhard Schroeder et les réformes du marché du travail dites «Lois Hartz »), ces économies, qui connaissent de fortes difficultés dans la « zone euro », sont en train de se réformer drastiquement, et parmi les réformes entreprises, les changements les plus importants touchent le fonctionnement du marché du travail.

Seule, la France, pour le moment, fait exception.

CONCLUSION

La période qui a suivi la deuxième guerre mondiale jusqu’aux crises de 1974 et, plus encore, de 1980 a été marquée par le règne sans partage du keynésianisme avec sa panoplie de remèdes soi-disant miracles pour vaincre les crises, accélérer la croissance et assurer un progrès social ininterrompu distribué par les bienfaits d’un Etat-providence. Bien entendu, les dérives inflationnistes, la montée d’un chômage structurel et la rupture consommée des processus de croissance accélérée qui avaient marqué les décennies 50-60 ont fait le lit de toutes ces illusions. Mais, les délais d’ajustement de la mentalité collective et leurs implications en matière politique ont retardé considérablement la prise en compte des réalités nouvelles et la mise en œuvre des réformes nécessaires avant que les économies ne croulent sous le poids de gouvernements pachydermiques et de politiques publiques inadaptées. Dès 1947, Jacques Rueff8 écrivait de manière prémonitoire : « La philosophie keynésienne est incontestablement, aujourd’hui, le fondement d’une politique mondiale. Demain, si comme il est probable, le spectre du « sous emploi » apparait de nouveau sur le monde, elle sera l’universel recours des peuples et des gouvernements. Si elle est vraie, elle aura sauvé le monde. Si elle est fausse, elle pourra le conduire à des catastrophes en le vouant à des remèdes inefficaces, susceptibles d’aggraver immensément le mal » (Rueff, 1947, Rééd. 1979, p.273)

Keynes était obsédé par les rigidités de toutes sortes qui entravaient les processus d’ajustement de l’économie, en particulier la rigidité des salaires nominaux à la baisse, et il a imaginé des moyens pour

7 Pour les Etats-Unis, la corrélation parait plus faible qu’elle devrait intuitivement l’être vu les caractéristiques de la période (forte croissance en moyenne), la faiblesse du chômage chronique dans ce pays par rapport au chômage conjoncturel, la fluidité inter-états des marchés du travail et le degré de réactivité élevé des entreprises aux mouvements de la conjoncture (embauches-licenciements)

8 Jacques Rueff: Les erreurs de la Théorie Générale de Lord Keynes, Revue d’Economie politique, 57, Janvier-Février 1947, p.5-33, Rééd. Œuvres Complètes TII, Plon, 1979, p.271-301

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les contourner en privilégiant la dépense publique et/ou l’inflation. Mais, pour Rueff, il valait sans doute mieux s’interroger sur les moyens de « fluidifier » les structures et comportements économiques pour faciliter les ajustements spontanés des économies et éviter que des interventions « politiques » ne viennent créer plus de problèmes qu’elles n’en résolvaient. Et, au fond, si on contemple l’histoire de ces trois dernières décennies, c’est bien ainsi que les évènements se sont déroulés. Depuis la « révolution Reaganienne » aux Etats-Unis dans les années 80 et les expériences de démantèlement des Etats-Providence (Grande-Bretagne avec Margaret Thatcher, Nouvelle-Zélande, Canada, ….sans oublier les Etats anciennement socialistes).

Du point de vue du marché du travail, avec le retour des « lois d’airain » de l’économie, c’est à la victoire complète de jacques Rueff que nous assistons. Les solutions aux problèmes du chômage ne se posent plus en termes keynésiens et comme la voie de l’inflation est pour l’instant fermée, toute l’attention a eu tendance à se focaliser et se focalise de plus en plus sur les relations entre le coût du travail et le chômage et sur les nécessités d’assouplir autant que possible toutes les rigidités qui entravent les processus d’ajustement sur les marchés du travail des principaux pays. Plus question de relance par la demande, cette antienne de la social-démocratie de tous les pays, mais nécessité reconnue par tous d’améliorer les processus de l’offre.

La France sera probablement la dernière à suivre cette voie inévitable, et elle le fera avec réticence sachant que sa situation économique catastrophique ne lui permet plus d’atermoyer et de retarder les échéances inéluctables. Elle s’efforcera d’oublier que sa situation eût été bien meilleure si, au lieu d’écouter des politiciens démagogues et incompétents ou des économistes illusionnistes, elle avait adopté dès les années 80 le chemin que lui traçaient ses plus grands économistes du XXème siècle, Jacques Rueff et Maurice Allais. Mais, comme chacun sait, nul n’est prophète dans son pays.

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