Charles Andler "Nietzsche, sa vie et sa pensée" (Tomo 5)

382
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Quinta parte de la insuperable biografía sobre Friedrich Nietzsche en seis volúmenes (en francés).

Transcript of Charles Andler "Nietzsche, sa vie et sa pensée" (Tomo 5)

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OUVRAGES DU MEME AUTEURChezF.

Alcan

et

B Lisbonne,

diteurs

:

La Philosophie de la Nature dans Kant. 1890. 130 pp. in-8 Les Origines du Socialisme d'tal en Allemagne. 1891. 2"xv-495 pp. in-8Le's,

1 vol.

d.

1913.1

vol.

Usages de la Guerre 120pp. inl2.

et la

Doctrine de l'tat-Major allemand.

1915.

Brochure.diteur:

Chez Rieder (anciennement Cornly),Le prince de Bismarck. 1898. 2" d. Le Manifeste communiste de Karlduction historique et1900. 402 pp. in-12

1

vol.

de Frdric Engels. Introcommentaire. 1900. 200 pp. in-10et

Marx

1 vol.

ALa La

l'Union pour la Vrit

:

Libert de l'Esprit selon Nietzsche. 1910. 48 pp. in-16

.

Brochure.

Chez Marcel RivireCivilisation socialiste. 1912. o2 pp. in- 10

et Cie, diteurs

:

Brochure.diteur:

Chez Armand Colin,Pratiqueet

Doctrine allemandes de

la

Guerre. (En collaboration avec

Jfirnest Lavisse.) 1915. 48 pp. in-8''

Brochure.le

Le Pangermanisme. Les plans d'expansion allemande dans1915. 80 pp. in-8

monde.Brochure.

Chez Larousse,Les Etudes germaniques. 30 pp.in-12. 1914

diteur

:

Brochure.diteur:

Chez Louis Conard,Collection de

Documents sur

le

Pangermanisme.:

avec des prfaces historiquesI.

II.

Pangermanisme {i800-lS88). 1915. Le Pangermanisme continental sous GuillaumeLes Origines du480 pp.in-8''

lixx-300 pp. in-8".II.

1

vol.

1916.

lxxxiii1

vol.

Le Pangermanisme colonial sous Guillaume II. 191C. c-330 pp. IV. Le Pangermanisme philosophique (iSOO-lQli). 19n. clii-400 pp.III.

in-8.iii-8".

1 vol.1

vol.

Aux

ditions de Foi et Vie pY). 'm-S".

:

Ce qui evra changer en Allemagne. 80

1917:

Brochure.

Auxin-12

ditions Bossard

Le Socialisme imprialiste dans l'Allemagne contemporaine. (Collection de l'Action Nationale.) 1" d. 1912. 2 d. augmente 1918. 260 pp.1

vol.

La Dcomposition politique du Socialisme allemand tion de V Action Nationale.) yiii-^S'ipi). Grand in-S"

(1914-1918). (Collec1

vol.

Nietzsche, sa 'Vie et sa Pense. 1920. i20 pp. in-8 1. Les Prcurseurs de Nietzsche. 1921. II. La Jeunesse de Nietzsche (jusqu' la rupture avec Bayreuth). Pessimisme esthtique de Nietzsche. 1921. 390 pp. in-8 III. Le .IV. Nietzsche et le transformisme intellectualiste. 1922. 300 pp. in-8. .

1

vol.vol.

1

1

vol.

1 vol.

En prparation'TVI.

:

La Maturit de Nietzsche (jusqu' sa mort). La dernire Philosophie de Nietzsche. I.e lenouvellement'^r-

de toutes

les valeurs.

Copyriy/il by

dmons

Bossard, Paris, 1922.

Charles

ANDLER^g

Professeur la Facult des Lettres de l'Universit d^ Paris

NIETZSCHE, SA VIE ET SA PENSE

^ ^ ^ ^ *

NIETZSCHEET

LE TRArVSFORMISME

INTELLECTUALISTE LA PHILOSOPHIE ^ CD DE SA PRIODE FRANAISETi

-%

DEUXIEME EDITION

I

CD

c

EDITIONS BOSSAJrD43,

RUE MAfJAME, 43 PARIS1922

\

|siill

\''

^,-e

priode, les conseils de l'ami

sur et du plus svre critique, Franz Overbeck. Sa

sociologie religieuse demeurait une bauche de contours

tendus, mais ovaills.

quelques dtails taient mieuxl:

tra-

Son uvre a t,

comme partout, une indication,il

prodigieuse d'intelligence

lui restait,

aux temps venir,

remplir le plan qu'il avait trac.

"II.

Le christianisme.le christianisme,

Quand Nietzsche abordapourlui

un

fait tait

d'une certitude dmontrable. La religion chrtienne retient, dans son culte et dans ses dogmes, lesrsidus d'une foule de cultes antrieurs.

On y

sent

un

(')

V.

La Jeunesse de Nietzsche, chap. La Sociologie

religieuse, p. 434 sq.

128

LA VIE RELIGIEUSEfait

paganisme omni-prsent,

de superstitions juives

et

de

superstitions hellniques. Ni les prjugs ni les dlicatesses qui faisaient les diffrences nationales ne purent

o se condensaient Sa force a consist dans sa grossiret intellectuelle. Le christianisme pullule comme ces espces animales sres de peupler le globe, parce que, mdiocrement exigeantes sur la qualit de lei r nourriture, elles peuvent prosprer partout (*). L'tonnement de Nietzsche n'a pas de cesse, quand il songe au croisement hybride de croyances basses d'o est sorti le christianisme. Un dieu qui, d'une humble mortelle, engendre un enfant; un matre qui fait boire son sang ses disciples; des gens qui qumandent de lui des miracles; une justice divine qi accepte l'holocauste d'un innocent; un Dieu qui exige\usv^martyre d'un autre dieu; un au-del effroyable o l'oi^ax t par la mort voil les traits principaux de cette rel^ !^^ Jont pas un dtail ne -dment la barbarie prhistoriv.^?e ('). Mais, au temps mme o il grandissait, le christianisme marquait un retour une phase de religiosit rvolue. Il est le premier grand exemple dun fait gnral la rgression brusque d'une civilisation entire une mentalit plus sauvage. Combien l'lite paenne tait dj affranchie de cette croyance en une vie d'outretombe pleine d'pouvantes Quel cri de triomphe dans Epicure, et mme chez ses plus sombres disciples romains, quand son ide nouvelle de la nature et de la divinit l'affranchit de cette croyance Et de mme les Juifs, si Attachs la vie, n'ont connu que la mort ternelle pour le pcheur et l'intgrale rsurrection pour les lus. L'idersister la diffusion d'une religionles prjugs les plus universels..:

:

!

!

('}

()

Morgenrlhe. Menschlkhes,

f,

70.

(

H'.,i

IV, GO.)

I,

g 113.

IC,

II,

126.)

Iancienne

LEdesreculer devant

CHRISTIANISMEpeinesternelles

129semblaitIl

souterrainesla vie.

un sentiment nouveau de

fallut

que le christianisme reprt cette ide, jalousement garde par quelques cultes sombres et secrets, vous Isis ou Mithras. L'ambition des prtres, la terreur des multitudes,la grossiret

de tous ont causelles dressent sur

le dsastre

mental pard'un dieu

lequel fut dcolore la vie pour deux mille ans. De notre

temps encore

nous

le gibet

qui enseigna l'inutilit coupable de tout labeur, conmiesi notre poque industrielle attendait pour demain la fin du monde ('). Mais les protestations de la conscience moderne ne suffisent pas. Elles pourraient tre sentimentales et sans valeur. La vraie rfutation, Nietzsche la tire

de la psychologie et de l'histoire. Ce qu'il cherche dfinir, c'est la corruption que le christianisme amena

dans

le

sentiment

mme:

de l'existence humaine.sert tablir cette tiologie

Une analyse darwiniennedu christianisme1

L'humanit,

mme

la plus leve,

est sujette

commettre des actions rputes basses dansune inclination qui

l'chelle des

apprciations morales, et elle sent, dans son for intrieur,la pousse de telles actions.Il

faut

l'admirable courage moral et la libert artiste des Grecs

pour admettre la lgitimit de ces inclinations farouches, et pour les discipliner en leur faisant leur part. Il n'y apoint dequiabstraite.tel

quilibre des facults chez les peuples

en

prdomine

un

besoin pharisaque

de

la

rgle

En pense, l'homme de ces civilisations abstraites ne se compare plus d'autres hommes rels, mais un tre capable uniquement d'actes dsintresss et de haute inspiration. Une ide de la justice venueet moralisantes

des Juifs, une ide du bien, source de toute existence, et

(')

Morgenrolhe,ANDLBR.

j;

72. (W., IV, 70.)

IV.

lao

LA

V

E

H E L

I

G

I

E U s K

qui nous vient des Perses et des Hellnes tardifs, se rejoi-

gnent dans une nouvelle entit divine. Aberration d'une raison devenue tout trangre au rel, et qui exige un impossible effort de Fhunianit'prise de cette al)straction. l'altruisme pur et la pure moindre dfaillance, nous voici livrs au remords dcrit par Darwin. La comparaison que nous instituons entre notre infirmit et un impossi])le idal nous ronge d'un mcontentement qui dsormais empoisonne notre existence, par l'image indestructible de notre indignit. La mentalit chrtienne organise un struggle for life des mobiles et des valeurs, o les mobiles sensuels l'emportent dans la vie, et o les valeurs suprieures l'emportent dans ra!ciisilicii, ohne den geringsten Hang zum Herrschen. (')(:

.MORALITE DES LIBRES ESPRITS11

199

se rpand sur des nations et des

sincrit, de valeur authentique dans le bien et dans le

poques entires une lueur de mal et, :

l'exemple des Grecs,

ils

seront pareils ces astres qui continuent (').

illuminer encore la nuit des milliers d'annes aprs s'tre couchs

jNietzsche veut esprer de notre

temps

qu'il surgira

de

lui,

aprs la dissolution prsente et par elle, une deles civilisations apparaissent

ces civilisations qui laissent derrire elles une trane

lumineuse immortelle. Mais

si

commefixe les

des faunes, et pour qu'elles survivent, ne faut-ilet

pas dfinir la slection sexuelle qui les transmetcaractres dans une espce constammentliore?

en

am-

Comment

esprer une telle slection,

si

Nietzscheet indis-

garde surqu'il ala

le sexe fminin,

ternellement sauvage

ciplinable, les ides de

d aborder

Schopenhauer? son tour, dans unet

C'est ce qui fait

esprit nouveau,

psychologie de la vie

de la moralit fminines.

(';

Morgenrothe,

S 529.

(ir, IV, 340.)

|llillllllll!!llillllllllilllllllllllllllllllllllll!!llillllillil^

CHAPITRE

II

LA VIE ET LA MORALITE DE LA FEMME

LA

doctrine de Nietzsche sur l'auiour et la

femme

est

ce qu'il a cr de plus attique, de plus souple, de

plus fuyaut, de plus tendre et de plus paradoxal

;

mais aussi ce sur quoi il a le moins vari. Il prtend sa doctrine trs mthodique. On l'admirera surtout pour sa ricliesse en aperus personnels. Nietzsche se montre trs rigoureux pour les femmes et pourtant trs tent par elles. On sent chez lui parfois du regret, de la dceptionaussi, et enfin

de passagres lubies. Ses dires,fit,

({uoi qu'il

en

ait,

sont le reflet des expriences qu'il

et

dont plului

sieurs,

parmi

les

plus intimes, taient peu propres

conseiller l'indulgence.

une intelligencebless.

On devine que souvent chez lui sardonique essaie de consoler le curil

Quandse

il

revient ses proccupations de mlhode,les

mobiles qui se dcouvrent au fond des actes rputs moraux ou immorau::, et de dcrire les passions en se dgageant de tout pathtique. Il neveut ni les fltrir d'pithtes infamantes, ni les glorifier par un idalisme de commande. Il prtend rester tranger la superstition mtaphysique qui construit les actes

promet d'analyser

mo-

raux sur un schme irrel, et les apprcie selon des rgles fournies par une prvention, une tradition ou unecrovance.Il

se fait

une

loi

d'tudier les sentiments, les

:\I

R A L

l

T E

DES FEMMESde leur volution.1'^:

201

actes et les institutions dans leurs origines lointaines.s'efforce d'apercevoir le sensIl

11

pose

quatre

questions principalesla

historiquement1

condition de laa-t-elle varis'est

Gomment a volu femme ? et comment

au cours de cette voluforme la notion que les modernes se fout de l'amour? 3" Quelles sont les raisons qui ont fond le mariage, et quel est l'esprit qui a prvalu dans cette institution? 4" Quels prceptes les esprits libres tireront-ils, pour leur conduite propre, des observations qu'il leur a fallu faire au sujet de la mobile, de la sduisante et dangereuse compagne qui nous est donne?tion?

me

de la femme2"

Comment

I.

Psychologie et condition de la femme.et

La question de l'me

du

rle de la

femme

est celle

que Nietzsche a toujours juge capitale. Sur le tard, il dira que la diffrence de l'homme la femme est la difficult psychologique sur laquelle il faut le moins faire erreur. C'est trahir un instinct irrmdiablement oblitr et un sens dbile de la vie, que de se tromper au sujet de l'antagonisme o nous sommes engags contre la femme.Cette mtiance n'a jamais quitt Nietzsche(*).

Ce qui nous avertit, si nous sommes bons historiens, c'est que la femme ne passe pas, l'origine, pour le sexe faible. Nietzsche sait assez d'ethnographie Bachofen n'ayant pas en vain t son matre (^) pour ne pas

ignorer que les socits humaines primitives assignenttoujours aux

femmes un

rle de domination. Si

mal que

V. en dernier lieu la profession do foi de Jenseits von dut und Bsc. W.. VII, 196.) On citera quelquefois, dans ce chapitre, les ouvrages de la dernire priode de Nietzsche. Il n'a pas vari sur le problme de la femme. Nous y gagnerons de n'avoir pas y revenir. (') V. la Jeunesse de Xietzsche, pp. 261 sq.(')

S 238.

(

202soit

L E Sconnule

F E

M M

E S

matriarchat^ on en peut dceler des traces('). Ce point est notable. de domination, qui est sans voiles dans les

au

seuil de toutes les civilisationsl'instinct

Car

socits primitives, persiste

mme

s'il

vient se masquer.

un tournant dans l'histoire que la transformation qui a arrach aux femmes cette suprmatie. C'est ce dclin de la femme que nous montrent l'Asie etPour Nietzsche,c'est

la Grce antique. Les plus sages des civilisations, celles

de l'Orient, et la plus intelligente, celle des Grecs, s'accordent dans l'estime qu'elles font de la femme Ayons:

la

prudence d'apprendreLes Orientauxet les

d'elles.

Grecs savaient que la

femme

est

La civilisation lui demeure plus extrieure qu' nous; elle n'entame pas le fond de la nature fminine (^). C'est pourquoi il tait indiffrent aux Athniens que leurs femmes fussent instruites. Elles vivaient dans l'troite enceinte de la maison et cachaient leur existence. Cette condition que faisaient les Grecs leurs femmes ne marquait aucune msestime. Ouelle femme moderne opposer Pnlope, Antigone, Electre? On dira que ce sont l des figures idales. Mais ne sont-elles pas suggres par une observation relle? La civilisation contemporaine n'a rien conu qui soit comparable en dignit la pense que se faisaient dela

reste plus prs que nous de la nature.

femme

les Grecs. Ils la croyaientet

capable de passions(').

inhumainesils la

incroyables au temps d'Eschyle

Mais

savaient grande

comme mre(*).

et

vnraient en elleaccordaient aucune

cette maternit hroque

Ils

ne

lui

place dans la gestion de l'Etat. Us la confinaient dans unevie vgtative,

o leur

civilisation violente, passionne et

(')() (')(*)

Umicerlumjszeit, g

i05. (U'..

XIV, 244.)(II'.,

Ursprung und Ziel der Tragdie, giS.Moryenrolhe, posth.,^^

IX, 168.)

500. (H'., XI, 349.)I,

Menschliches, Allzitmenschliches,

S ^^9- {^V., II, 240.'

LEURnerfs.

M

R A L

I

T E

203ses

crbrale refaisait sa force et

rparait l'usure de

La vie fminine chez les Grecs pouvait se comparer un sommeil de l'organisme public, tandis que la viereprsente L'intentionl'tat

virile le

de veille nergique etcit

intelli-

gente. La famille ne devait en rien absorber le souci de

l'homme.

de la

grecque

tait

que

le

citoyen fut, en tout, form par l'Etat, et en vue de lui;

de lui et lui donnt aussi tout son effort. Le destin des femmes se rduisait prparer pour l'Etat des corps hroques ('). Pour cela, il suftit qu'elles soient mres, et il vaut mieux qu'elles demeurent incultes. Elles n'en seront pas moins, elles en seront mieux leur rang, qui est de demeurer, hors de l'Etat, les conservatrices obscures des destines mmes de la race. Une slection morale bien entendue n'accordera la femme aucun autre rle. Elle ne glorifiera pas outre mesure la beaut fminine. La Grce a prfr hautement la beaut virile et celles-l parmi les femmes paraissaient aux Grecs les plus belles, dont les formes se rapprochaient de la robuste sveltesse de l'adolescent. C'est qu'ils n'aimaient pas non plus comme nous. Les liens les plus forts du sentiment taient pour eux ceux du sang, non ceux de l'amour. Le sentiment paternel ou filial, la pieuse tendresse des frres pour les surs, des surs pour les frres, voil ce que disent leurs drames. Auqu'il ret tout;

(*) Au temps o Melzsche est schopenhaurien, il ajoute que la sagesse fminine, obscure, instinctive, mais sre, supple la force dfaillante de l'tat. La Pylhie de Delphes, qui parle dans son sommeil hypnotique, assure elle seule l'unit nationale de la Grce, qui ne s'exprime jamais par une organisation politique. 11 en est ainsi toujours chez les peuples qui ne sont pas arrivs un Etat centralis. Les Germains et les Celtes vnrent les femmes comme des prophtesses, c'est- dire que les instincts de la femme sont considrs comme la sauvegarde la plus sre de la gnration venir. V. Ursprung und Ziel der Tragdie, ^g 13 et 14. (IF.. IX,

167-172.)

204

L E S

F E

M M

E S

amiti entre jeunes

demeurant, leur idalisation de la force glorifie cette hommes dont nous ne comprenons

plus la dlicatesse enthousiaste. Nietzsche envie les Grecs pour cette virilit d'un sentiment que ne corrompait au-

cune proccupation basse. Il croit surtout qu'on peut beaucoup apprendre de cette notion que se faisaient les Grecs de la femme. Mais il faut dire qu'en ce qui touche la femme, Nietzsche a toujours interprt les Grecs l'aide de Schopenhauer. Il ne pense pas petitement de l'intelligence fminine.Il

croit l'esprit des

viril, et

qu'elles en font

femmes autrement fait que l'esprit un autre usage que les hommes.

Leur perspicacit plus grande lui parat certaine. Les femmes, entre elles, considrent comme avre l'imbcillit masculine. Etre sot et tre du sexe masculin, c'est mme chose leurs yeux. Elles indiquent par l que la sottise dans une femme doit compter pour ce qu'elle a de moins fminin ('). Il n'y en a pas de si humbles, de siinsignifiantes, ft-ce les

femmes allemandes

{die deutschenle

langweiligen Fraueii)^ qui, lorsque la situation

com-

mande,

ue soient fortes

comme

des lionnes et dlies (-).

passer par le trou d'une aiguillejMais cet esprit dessoi. S'il

de possession de y a un don qu'elles transmettent, c'est cette prest faitfillesfils,

femmes

sence d'esprit rsolue, et leurshritage encore plus que leurs

reoivent d'elles cet

Nietzsche pense avec

Schopenhauer, mais] sans apporter aucune preuve physiologique l'appui de son dire, que les enfants tiennent

de leur mre l'hrdit nerveuse, et du pre l'hrdit musculaire et sanguine. Ils ont de la mre l'intelligence.

(*);;,

"

Die DuraniheitIII,

ist

am Weibe('.,

das Unweibliohe.XI, 3i8.)

>

Der Wandertr,

273. (ir.,(V)

337.)

Morgenrolfie, posth., S 498.

LEURet,

M

R A Ll'ait

I

T Eil

203faut

bien que Nietzsche nele

dit

nulle part,

ajouter, car cela ressort avec vidence de toute sa doctrine, qu'ils ont d'elle

temprament, l'obscur

et l'in-

conscient vouloir.

Ils

tiennent du pre l'imagination, le

cur

et tout ce qui du vouloir est clair par le cur. Les femmes, pour Nietzsche, sont intelligence presque trs sensitif. C'est

pure greffe sur un organismetiment qu'elles vent o l'admiration que lesElles sont des

de sen-

manquentmasques

le plus; et elles s'tonnent sou-

hommes

ont de leur sentiment.

vides, des fantmes sans

me;

Car l'homme, qui est sentiment et imagination, cherchera l'me vivante derrire ces masques immobiles. Il la cherchera indfiniment, sans se lasser; et ne s'apercevra pas que l'me qu'il leur dcouvre n'est que l'image mme de sa nostalgie qui se penche sur elles; et que leur profondeur apparente ressemble celle d'un miroir o se prolonge, dans des lointains factices, un reflet irrel. Elles offrent ainsi une copie fidle de ce qui passe devant elles et qu'elles empruntent un instant; mais ces ombres colores disparaissent avec celui-l mme qui se mirait dans leur surface sans profondeur ('). Nietzsche s'explique de la sorte que les femmes, plus inlelligeutes que l'homme, n'aient cr aucune uvre intellectuelle. L'intelligence n'est pas de soi cratrice. Les nergies latentes de l'me, l'imagination et le sentiment, qui lui servent de support, sont des qualits masculines. Les uvres de cration originale supposent une longue tnacit. L'intelligence fminine s'illumine de visions soudaines. Elle travaille, sans mthode, dans le feu de la passion et du besoin urgent. Elle est minente alors et procde avec la sret du sommeil hypnotique.et c'est l leur sduction.Memchliches,iZ iOb, 411.

(')

l,

(

M'., II,

306, 308.)

20Get

L E S

F E

M

MESfait croire

avec une clairvoyance triple. Voil ce qui

l'inspiration des

la complication naturelle des faits.;

compte de Toutes les situations ont plusieurs faces toutes on imagine plusieurs dnouefaut-il tenir

femmes. Encore

ments. Le parti qu'on en peut tirer dpend,vent, d'une dcision rapide, laquelle les

le

plus souse r-

femmes

solvent plus aisment.occasions,si

Nous

laissons fuir les meilleures

nous nous obstinons une poursuite scrupu-

leuse du vrai. L'esprit ^^assionn et brusque des

femmes

tourne mieux leur avantage les rsultats partiels qui peuvent tre atteints sans mthode. On peut dire que lanature est ainsi faite qu'on ne peut jamais se tromper compltement sur elle, et que le difficile est plutt d'avoir compltement raison. Elle est donc faite de faon donner toujours finalement raison aux femmes ('). Ce jugement est de ceux qui prsagent, le plus nettement, une transformation nouvelle de la doctrine de Nietzsche. L'intellectualisme pur, qui lui a sembl un temps la garantie la plus certaine de notre adaptation croissante au monde rel, doit avoir quelques infirmits, s'il faut accorder que les femmes, dans leur haine du vrai et de la science, restent plus prs de la nature que nous. Pourtant Nietzsche leur en veut de leur mdiocre scrupule en matire de vrit. Il leur reproche de refaire incessamment le dsordre, et d'embrouiller les fils du tissu mental que les savants et les philosophes avaient si laborieusement spars. Elles touchent, avec des mains gracieusement malpropres, cette besogne de nettetmticuleuse. Etsi

la libert

de pense consiste dtacher

son intelligence de son temprament, les femmes ont la

pense serve. Elles se contredisent avec frquence; leursoublis sont admirablement au service de leurs passions,

(')

MenscMiches,

I,

S 417. (H'.,

II.

311.)

L E U R

M

R A L

I

T Eest issue

207d'une

comme

leurs affirmations.et

La pense vraie

mmoire

d'une sensibilit dresses n'apercevoir dans

que l'essentiel et les voir comme elles sont en elles-mmes, c'est--dire en dehors de notre point de vue propre. La pense des femmes se concentre sur leur destine personnelle, leur susceptibilit et leur pudeur. C'est pourquoi elles hassent la vrit et la science.les choses11

leur semble, dira Nietzsche plus tard, qu'on leur regarde sous lala

peau, et pis que cela, sous les vtements et

parure

(').

Ds qu'une femme a du got pour la science, Nietzsche pousse l'absence de galanterie jusqu' la croire sujette quelques troubles sexuels. La raison voisine trop avec l'imagination, danstrine de Nietzsche,lui

la doc-

de savoir

si,

ne se pose pas trop passionnes pour tre raisonnablesla question

pour que

et

savantes, les

femmes

n'excelleraient

pas,

d'autant

mieux, dans

la cration Imaginative.

Imaginer, n'est-ceinfidleset d'entrailles,?

pas, en cifet, raisonner avec leur fonction de

peu de puret? Mais,

femmes, vides de cur

commentrieur

ces bas-bleus seraient-ils artistes

L'art supet

traduit

un

temprament gnreuxet forte.et troit,

original

pur par une rflexion largedes femmes reste vulgairefait

Le temprament puisque le sentiment ynerveuse,

dfaut.

Leur curiosit

artiste, insatiable,

inlassablement mdiocre, est dispose sans relche recevoir les mots d'ordre de l'opinion(^).

que temps de dire ici que Nietzsche, avec son outrance habituelle dans l'injustice, a risqu sur des femmes minentes et hroques, des jugements o il s'estn'est

U

() (*)

und Bse, S 127. (yV.,\U, 102.) Gtzendxmmerung, Slreifzge eines Unzeilgem.,Jenseils von Gui

g 6. (IF., VIII, 121.)

208

L

1::

S

F E

M

MESse

compromis. On souhaiterait que son intelligence pargn des aventures comme celles-ci:

ft

un signe de corruption des instincts et, ajoutons, un signe quand une femme allgue Mme Roland et Mme de Stal ou M. George Sand, comme si on pouvait de l tirer argument n faveur de la femme en soi . Entre hommes, ce sont en effet les et rien de plus(\. trois femmes comiques par excellence,C'est

de mauvais got,

Afit

courir des dangers mortels sous la Terreur,

comme

Mme de Stal, accepter la mort fermement pour une cause pure, comme Mme Roland, on ne saurait tre comique. On s'irrite de ce mauvais dmon qui pousse Nietzsche ridiculiser, par d'indignes brocards, une mmoire sans tache, comme celle de Mme Roland. Car on ne voit pas ce qu'on demanderait de plus une femme comme beaut et comme stocisme du cur, comme simplicit de got et comme vigueur de l'esprit. On cherche vainement la femme allemande qui pourrait se mesurer avec elle. Il faudrait explorer les chroniques italiennes, chres Stendhal, pour y trouver un cur de femme aussi grand et ]\Ime Roland a en plus la maternelle douceur, la parfaite et simple tenue, la chaleiu' d'me dans l'irrprochable amiti, cette matrise de soi, mme dans la tentation, mme dans l'orage, qui lui a valu le respect ', I, 329.)

266

LA VIE POLITIQUEque devantle

imiiiolation, autant

changement profond dexviifsicle.

la sensibilit n'avirilis

meurtre d'autrui. Ce I pu venir quel'Europe veule dudes guerres

de la grande guerre. Elle aC'estla

grande

justification

napoloniennes. Et toutes les guerres qui ont suivi, sontle

contre-coup lointain de ces guerres d'alors. Les nations d'Europe depuis lors se sont entredchires. Mais ce dchirement mutuel a amen un esprit d'hroque folie analogue celui qui existait en Grce. Par cette belle brutalit, un esprit d'une virile robustesse a refould'astuce

l'esprit

mercantile qui se prlassait au grandindustrialiste et

jour de la philosophie

libre-penseuse

du

xviu^ sicle, et la sensiblerie fminine vulgarise

la doctrine chrtienne et par Rousseau.

Par

l,Il

par Napoa fait

lon fut le grand continuateur de la Renaissance.

un bloc de civilisation antique, d'un surgira la lumire dur et indestructible granit . Il a dchan nouveau lespassions nourricires d'nergie qui s'tiolaient dans cebien-tre des affaires ou dans cette dlicatesse effmine.

Seulement Nietzsche ne veut plus que ces passions saignentla civilisation

europenne,

comme

elles ont

saign

la

Grce antique. 11 faudra leur dsigner l'ennemi indispensable contre lequel elles pourront puiser leur gnreuse et meurtrire ardeur.

Cet ennemi,

comment

hsiter le

dnommer?

C'est

l'inculture, et tout l'inconnu barbare qui subsiste aux confins de l'Europe. Nietzsche a grandement admir l'uvre de colonisation entreprise par les peuples de l'Europe

dans

l're

des grandes dcouvertes. Si c'est une Renais-

sance europenne que nous travaillons, n'aura-t-elle pasaussi son Ver sacrum, son

rajeunis?

11

reste

grand essaimage de peuples assez de brousse et assez de fortsd'aujourd'hui, ceux

vierges dfricher.

Les plus graves des problmes

L E du militarismeet

N A T

I

N A L

I

s

M

E

267

des nationalits, trouveront par l leur

solution. Cette conqute

du globe non

civilis ncessitera

des guerres terribles, o l'humanit pourra retrouvercettesacrifice.

fortes jusqu'au Faute de quoi elle prira de l'excs de sa propre civilisation. Mais gardons-nous de nous entretuer entre

trempe que donnent des passions

Europens, quand dj l'industrie europenne manque de bras et de cerveaux d'lite. Pourquoi faut-il que Nietzsche ait hsit suivre jusqu'au bout la beaut hardie de sa propre pense ? Mais il n'ose. Il a peur de la fraternit comme d'unedcadence. La brutale re imprialiste, oil

a grandi,

l'a marqu, lui aussi, au fer rouge. Comment le bon Europen se refuse-t-il tre le bon Africain , le bon Ocanien ? Lui qui a tant appris de la vieille sagesse persane ou indoue, comment n'a-t-il pas piti des peuples asiatiques ? Plusieurs de ces peuples sont de civilisation ancienne et suprieure. Et, s'il subsiste dans quelques continents obscurs des peuples vous une longue et peut-tre ternelle enfance, combien, au lieu de les massacrer, il serait plus digne de nous de faire, en frres ans, leur ducation Nietzsche les tient pour des brutes de couleur qu'on peut traquer. Il prtend mettre nos militaires et nos ouvriers aux trousses des ngres ou des jaunes, les dporter de gr ou de force, et leur faire prendre dans nos ateliers la place des travailleurs blancs. La cruaut vidente de cette uvre, il ne la juge pas pire que les violences d'o sont sorties toutes les grandes civilisations. Mais elle diminuera la brutalit coupable qui rgne en Europe, et extirpera jamais ce rgime quivoque de la paix arme^ qui empoisonne de suspicion et!

d'hypocrisie les relations entre les peuples d'avant-garde.

Nietzsche ne se retrouve sa propre hauteur qu'en songeant l'Europe. Il dnonce comme une inhunianit

268

LA

Y

I

!

POLITIQUEpermanente

aussi brutale que la guerre cette rivalit d'armements, qui,

sous des assurances pacifiques mensongres et des soucis

de dfenseprovocation.

simuls,Etil

dguise une pure

et

imagine qu'un jour un grand peuple, riche de gloire et de victoires, minenJ; par la discipline et par l'intelligence, connu par son habitude de sacri-

prendra spontanment la rsolution de briser son glaive qu'il mettra en dcombres toute son organisation garder que l'arme militaire europenne, pour nefice,;

ouvrire et coloniale destine conqurir les barbares.

Dsarmer, quand on a port la lourde armure offendans la plus victorieuse des histoires militaires, par sentiment gnreux et par orgueil, ce serait l le moyen de la paix dfinitive, parce qu'il dclerait l'intention sincrement pacifique. Cette attitude n'irait pas sans risques. xMais toute vie dans l'univers ne court-elle pas des risques mortels? Il ne s'agit pas seulement de vivre, mais de vivre en peuple cultiv. A ce compte, il ne faut pas oublier que la civilisation se dfend d'elle-mme. Les Grecs si peu nombreux, et qui s'installrent sur une presqu'le pleine, l'intrieur, de rsidus mongols, encadrs de Smites, n'ont-ils pas su maintenir leur supriorit (*)? Pourtant, ils seraient plus admirables, s'ils avaient moins vers le sang grec voil le reste de barbarie dont a pri leur civilisation virile. Us n'ont pas su reconnatre qu'il ne faut montrer sa force que contre les barbares. Car les civiliss, on ne les conquiert que par une culture suprieure,sive:

11

vaut mieux prir que harfaire

et craindre;:

//

vaut mieu.7- prir deuxtre

fois que de se

har

et

redouter

telle devi'a

un jour

la

suprme maxime de toute

socit organise politiquement rj.

(')(*)

Menscliliches, AUzumcnsrlilichcs, poslh.,

;^

431. (XI,III,

W*}.)

Der Wanderer und

sein Schatten,

'^

284. (\V.,

340.)

LE

NATIONALISME

269

(^es aphorismes dsesprs rsument, sur les guerres europennes, l'opinion de celui qu'on a tant de fois dpeint comme l'a^jologiste de la sainte Dvastation.

III.

La

politique des nationalits.

Pour

dfinir d'un

mot

la

pense dernire de Nietzsche

en matire politique, disons qu'il subordonne toute proccupation nationale, toute raison d'Etat au souci de l'humanit. 11 considre les nations prsentes

comme une

faune

survivante d'un tat ancien du globe, mal adapte sa

moins propre encore crer la vie intense dont seront capables des groupements humains nouveaux et plus vastes. Cet humanitarisme de Nietzsche se croit purg de tout virus idaliste. Il s'inspire d'une forte pense de transformisme darwinien et lamarckien. Les nations d'aujourd'hui ressemblent des vivants infrieurs qui refuseraient de se joindre en colonies animales unifies par un mme systme nerveux, vasculaire et osseux, et de s'armer ainsi pour une vie plus parfaite. Il n'est pas siir que ces vivants dispavie prsente,et intelligente

ratraient.

Mais

ils

n'arriveraient pas

. Il

destine virtuellement contenue en eux.

accomplir la n'y a pas de

et de plus fatale erreur. Le patriotisme grossier, la romaine, en un temps o il s'en faut que la patrie et Y honneur demeurent les biens les plus hauts, ne peut avoir l'approbation de Nietzsche. Il y voit une improbit, puisque nous nous devons toujours la pense la plus leve qui nous soit concevable. Mais il le tient surtout pour un anachronisme et pour une duperie et c'est par l que le patriotisme lui parat criminel. La pense et la passion qui ont constitu les groupements nationaux, au prix de guerres sans nombre, nous ont donn bien des vertus, qu'il ne

plus grave

;

270

L A

V

I

E

P

L

I

T

I

Q U Esi

faut pas perdre. Elles sont rtrogrades,

elles se limitent

assurer

le bien-tre

ou

la

force

d'unela

l'Europe, ni aucune des nations qui

Ni composent, nenation.

regagne en scurit, en prosprit, en gloire, ce que compromet le nationalisme par de ruineux gaspillages. La surveillance jalouse de la croissance de chacun, la rivalit d'armements qui s'ensuit, augmentent le risque des chocs sanglants. La concentration de la pense de tous sur cette besogne de dfense et d'attaque est un sacrifice que rien ne compense. Durant toute la priode de l'ambition extrieure, ce sont des hcatombes que l'on immole la patrie. Non seulement parce qu'on les mne la boucherie. C'est l le moindre inal; car cette uvre de sang s'accomplit en de courtes et violentes crises. Mais durablement on voue des proccupations de troupeau, et qui ne demandent que des ttes mdiocres, l'lite des nations. Les intelligences moyennes elles-mmes, dans un peuple avide de gloire nationale, s'attachent la pense obsdante du bien public, et noi pas la besogne pour laquelle elles seraient individuellement qualifies. L'uvre grgaire absorbe un capital si notable d'intelligence et de sentiment que, mme victorieuse, elle entrane un appauvrissement gnral des esprits. Elle lasse et ralentit tous les efforts qui supposent une initiative individuelle, une force ou une dlicatesse capable d'uvres moins grossires. La nation y gagne d'tre redoute au dehors; et elle s'assure quelques garanties de croissance conomique. Cela suffit-il? Pour faire pousser cette fleui' monstre et chatoyante de la nationalit , on a arrach en foule les plantes plus nobles, plus frles, plus spirituelles dont le terroir taitdiapr

(').

()

Menschliclies, Allzummschliches,

I,

;;,

481. [W.,

II,

339.)

L E

N A T

I

N A L

I

s

M

E

271

Pour quiconque tient en estime la culture suprieure de l'esprit, et y voit un bien que la force matrielle a seulement pour rle de nous conserver, mais qu'elle ne cre ni ne remplace, cette culture est menace par l'uvre de guerre permanente o s'attache le nationalisme du temps prsent. Car cette oeuvre de guerre est ncessairement hostile tous ceux qui n'ont pas l'esprit grgaire.Disons qu'elle est hostile, pour cettetoute

mme

raison,

uvre de

l'esprit; car l'esprit

ne

suit

jamais

le trou-

peau. Tout ce qu'on peut allguer sonsert d'exutoire

actif, c'est

qu'elle

aux mauvais instincts. Elle est le cloaque de l'me , o nous dversons la bassesse qui croupissait en nous, comme rsidu d'une activit plus noble. Quand le nationalisme servirait de champ d'pandage ces rsidus, on ne pourra jamais en tirer que des ressources pour une besogne infrieure de fertilisation. La culture de l'esprit peut germer de ce terreau mais ce terreau n'est pas cette;

culture, et n'y ajoute rien.Il tait

mritoire pour un Allemand, aprs 1870, de

constater que le danger de la victoire, c'est d'

abtir le

vainqueur . Car le sentiment mme de sa force, que le vainqueur puise dans sa victoire, aprs s'tre affaibli par la saigne, comment ne dgnrerait-il pas en abrutissante griserie? Xe parlons mme pas du vaincu, que sa dfaite dmoralise par l'amertume haineuse dont elle laisse en lui le poison ('). Cette haine basse aussi retourne la barbarie. Encore la haine rend-elle le vaincu clairvoyant. De la dfaite,il

nat des qualits intellectuelles de;

souplesse qui, elles seules, sont une force nouvelleles nations

et le

vaincu en a le privilge. Nietzsche croit avec fermet quepolitiquement affaiblies sont promises plus

(')

Menschliches. Allzumenscldiches,

I,

;^,

44i. (ir.,

II,

329.)

272

L

A V

1

E

P

L

I

T

I

Q L E(').

d'intelligence et plus de libert que les autres

Mais

pour qu'aucune des nations actuelles ne soit dupe du sacrifice consenti par lequel elle se diminuerait, ce que Nietzsche espre, c'est une extinction simultane du sentiment national et politique dans toutes les nations.

Commentil

se

tromper sur

le sens

immdiat

et actuel

de l'enseignement de Nietzsche? A qui songe-t-il quand parle de celte nation devenue plus intellectuelle par cette autre qui a perdu, par sa vicpar sa proccupation obsdante de la force, sa fleur d intellectualit? Nul doute que ce ne soit la France et l'Allemagne. Mais il ne faudrait pas faire des crits de Nietzsche une sorte de pampiilet par aphorismos. Il ne procde pas par allusions voiles. Il applique une situation contemporaine des jugements qui lui paraissentdfaite, et

la

toire et

ressortir d'une tude

de tous

les sicles connus.

La France

a connu, aprs 1806, la brutalit abtissante de la victoire,et

l'Allemagne a

fait

alors l'apprentissage de cette haineuse

subtilit qui vient

de la dfaite. Que reprocher alors

si elle n'a fait que reprendre son ])rofit mthodes del France napolonienne? Le grief de Nietzsclie s'insjire de son orgueil bless de patriote. Il clate aux yeux que l'uvre napolonienne a fait une Europe plus virile et plus belle. C'est une erreur de croire qu'un sicle pareil au xix puisse s'couler sans laisser une leon durable. Or, Nietzsche reproche aux Allemands de n'avoir pas su entendre cette

l'Allemagne,les

leon, et d'en avoir laiss le bnfice passer aux Franais.

Ainsi la France, rendue clairvoyante par sa douleur, gurie tout jamais de la folie des grandeurs nationales, a

pu

retourner l'uvre qui fut le sens profond des guerres

4Gi> (II'., (') Menschliches, I, II, 3i2) Die Cullur verdankl das Allerhochste den politisch gescliwichlen Zeiteii.;",:

LEl'unificationles

NATIONALISMEallait

273

uapoloniennes. Ce qui lgitimait ces guerres, c'est que

de l'Europe

en

sortir.

Ce qui condamnen'ensoit

guerres bismarckiennes,et

c'est

qu'il

sorti

qu'une nation plus jalouse

plus formidablement arme;

qu'aucune des nations du pass et que toutes les nations depuis lors, par dfiance d'elle, aient alourdi leur armure de dfense et leur outillage d'attaque. Les Allemands ont prolong ainsi d'un sicle le dchirement europen. Politique criminelle, puisqu'elle n'avanait pas,

comme

avait fait la politique de Napolon, l'heurefutur.

du

rapprochement

Une

fois

de plus les Allemands,

comme

l'poque de la Rforme, ont t le peuple rtro-

grade de l'Europe. Au xvi'' sicle, ils ont combattu la Renaissance et enray ainsi la libre-pense europenne, qui allait sortir, toute mre, de la dcomposition catholique.

Auil

xix^ sicle, le

stupide et jDatriotique soulvement de lal'effort

Prusse a ruinallait

napolonien, dans

le

moment o

aboutir aux Etats-Unis d'Europe. Les Allemands

ont reni ainsi la mission intellectuelle et morale pourfaits, et pour laquelle l'Europe admirs et suivis. Le cosmopolitisme d'un Schiller et d'un Gthe, ils l'ont rpudi avec clat; et ils ont proclam eux-mmes la faillite de ce grand idal. Ils s'en sont dbarrasss par une cure de fer et de feu, comme

laquelle

ils

semblaient

les a d'abord

on

fait

d'pne lpre

la science

(*). Cela est regrettable infiniment. Mais de la civilisation humaine ne s'tablit pas sur

des regrets. La lpre nationaliste tient une diathse profonde, qui suit son cours; et l'histoire contemporaine du

peuple allemand en offre comme un cas clinique parfait. La psychologie des peuples, non plus que celle des individus, ne doit compter que les mobiles d'action qu'elle

() Menschliches, Allzumenschliches, posth., 2 436. [W., XI, 137.) genrthe, g 190. ^^F., IV, 179.)

Mor-

AKOLER.

IV.

18

274

L A

VIE

P

L

I

T

I

i)

U Einstinct

dvoile ollrent une grande noblesse.fait aiiir les

Un mmeet

hommes

individuellement

dans

la collecti-

vit

:

/e

besoin de se sentir forts. Nietzsciie ne se proccupece besoin:

pas de condamnerplus quefont

il

le constate.

Ce sentiment,

le besoin conomique, auquel trop d'historiens une part excessive, Nietzsche le tient pour le ressort le plus actif, surtout chez des peuples jeunes et encore menacs. U s'empare de tous les esprits sans distinction, et. dans l'me des humbles, fait autant de ravages que dans celles des princes et des puissants. En toutes il

devient la source intarissable d'une passion qui exiged'tresatisfaite.

L'heure revient priodiquement o lasa

foule consent sacrifier sa vie, son aisance matrielle,sa

conscience,

moralit,

cette

jouissance

vani-

teuse d'tre la nation qui

commande,

la nation-arbitre.

aucune ralit substantielle n'apaisera-t-elle cette faim de gloire; et ce sont des nourritures creuses qu on jette cette gloutonne avidit des peuples. Mais la multitude voudra du moins possder en imagination ce pouvoir et ce prestige. Et il arrive que ce besoin de s'imposer atteigne un si brutal paroxysme, un orgueil si dispos au gaspillage des forces et du sang, qu'un homme d'Etat prudent, de peur que cette passion ne s'gare en conflits sociaux, en viendra ncessairement dchaner une guerre sous des prtextes frivoles {eineu Krieg vom Zaune brechen) ). Un tel peuple donnera raison l'homme d'Etat qui le mnera au massacre, malgr la futilit des raisons invoques. Car il ne veut pas qu'on mnage son sang et ses intrts ou sa rputation de proil veut qu'on lui donne la certitude et l'ivresse de la bit force. Il n'admet pas qu'on discute le besoin qu'il a de cette certitude et de cette griserie. Dans ce dploiementPeut-tre( :

(')

AJorgenrothe,

;;

189.

(!'..

IV, 178.)

L(le

'

Hil

M M

E

D

'

K T

A T

27o

son pouvoir*,

se sent sr de son droit. Se sentir sr

de son droit, et avoir conscience de sa moralit, ce n'est pas autre chose que se sentir fort. C'est le vaincu seule-

compte du tort moral qu'il a eu peuttre en dclarant la guerre. Le peuple victorieux s'attribue le bon droit, mme s'il est l'agresseur. Il y a l une gravese rendra''

ment qui

confusion intellectuellel'esprit

;

et le

progrs seul de la

lil^ert

de

I

[

peut amener la lumire qui claire les peuples sur de tels sophismes. Mais quand vient la clart, il y a prescription sur les crimes qu'elle a rvls ('),n

:

(1

est dire

quune

nation l)elliqueuse et forte a ncessaicette confusion

1

rement des rserves de barbarie. Car, sans

i[

d'esprit qui fait partie de la mentalit primitive, elle ne

connatrait plus les ili'e dans une rsistance hrisse. Nietzsche compte sur le sens de l'volution historique pour nous faire perdre ce dernier prjug. Les diffrences que nous appelons nationales

lrance sentimentale de chaque peuple, se

rits les

sont plutt des diffrences de civilisation. Les particulaplus troitement localises changent et passent

qui ne

de peuple peuple. Bien des choses furent allemandes, le sont plus, mais ne se retrouvent qu'en France. Un bon Allemand aurait cur de dpasser les qualits

qui le font Allemand. Les grands Germains ont toujours essay de s'enrichir par ce qui venait du dehors. Vouloir

(')

Morgenrolhe,

;.

203. (U'., IV, 200 sq.)

292

L

A V

I

E

P

L

I

T

I

Q U E

s'obstiner dans les qualits qui ont fait une nation autrefois,

ce serait lui interdire la croissance venir qui, nIl

cessairement, rompt l'corce ancienne.patriotismeclair

n'est pas d'un

de souhaiter cette ptrification du

peuple dont on

est citoyen.(')

Etre bon Allemand, c'est

dpouiller le germanisme

y a des prcdents qui montrent en petit comme cette purification de l'Europe se pourra faire en grand. Les peuples seront-ils diminus, parce qu'ils tiendront dans l'Europe fdrative nouvelle la place que tiennent les cantons souverains dans la Confdration suisse? Les corrections de frontire ne seront plus une impossibilit que protgent des armes, mobilisables par millions d'hommes en peu de jours. On pourra apporter la

U

carte

de l'Europe

les

retouches

souhaitables,

quandl'atta-

l'elTroyable orgueil des Etats aura dsarm, et

que

chement de tousfaibli.

les

peuples au pass historique auraet les affinits

Les intrts conomiques

de cultureIls

intellectuelle en dcideront. Les futurs diplomates auront

derrire eux des raisons d'utilit, et non des arnies.se feront

conomistes, techniciens, connaisseurs de la

civilisation.

La politique extrieure deviendra une pro(').

vince de la politique intrieure

Ce

serait l ce

que prvoit une intelligence sage. Est-ce

dire que sa prvision s'accomplira?

U

y faut l'adhsion

des peuples.guerre.

11

faudrait mettre au service de la paix cette

passion des foules qui, prsentement, ne travaille qu' la

A

la longue, cette passion

ne se refusera pas.

On

appelle l'unification desseul grand tat une

gouvernements allemands en un grande ide . La mme espce de

(')

Gut

(leiitsch sein, heisst sichII,;;>

entdeutschen.

Mensc/i licites, Allzu-

mensc/iliches.(')

323. (M'.,

III,

159.)C.

Der Wanderer und sein

Schattcii,

292. (H'., III, 352.)

Lg:ens

'

E U R

P E A N

I

s

M

E

293

qui glorifient cette

grandeur de

l'ide nationale,

s'entiiousiasmeraC'est

un jour pour

les Etats-Unis

d'Europe.

une ide encore plus grande (') . Nietzsche veut une ide plus capable de satisfaire au besoin de dire pathtique des foules. La Rpublique europenne viendra,:

viendront toutes les Rpubliques, parce qu'elle dans la logique de la dmocratie, et que la dmocratie passionne puissamment les multitudes. La barbarie mme travaille au nivellement des ingalits nationales, commeest

comme

des autres.

Mais sans doute cela n'est pas sr;garantie.faut dire alors

et la

passion des

foules collaborant avec la raison n'est pas encore une

que la Confdration europar le triomphe de l'absolupenne se fondera tisme, par le militarisme et par la guerre. La pense napolonienne d'un europanisme matre du globe parIl

mme

par la guerre, se ralisera par la mthode si nous avons la folie de ne pas la raliser par l'entente pacifique. Les petits Etats continueront tre dvors par les grands, qui, leur tour, serontla science et

napolonienne,

dvors par les Etats-monstres. Il en restera un seul sur chaque continent, et peut-tre le voit-on dj se dessiner.Puis cet

Etat-monstre se dsagrgera, parce qu'il luicette

manquera

ceinture d'ennemis

qui le contraignaitla Confsi

rester un. Alors les

temps seront venus pour

dration europenne. Elle se fera par dissolution,

elle

par l'union des efforts. Nous avons le choix ds mthodes, mais non pas de l'issue o les faits nous poussent. Les dilemmes de Nietzsche ne nous obligent pas choisir entre des solutions contraires. Ils nous font aboutir par des voies opposes une mme solution. La fatalit qui nous domine, c'est qu'on ne peutne peut sefaireMenschliches, AUzumenschliches, posth., S 439. {\V., XI, 138.)

{')

294tirer

LA VIE

P

L

I

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I

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L

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des faits plus de virtualits qu'ils ne contiennent. Mais la vie en tirera, dune faon ou dune autre, brutalement ou par orientation intelligente, les ralits qui la fortifieront le mieux. Voil pourquoi l'avenir appartiendra la Rpublique europenne.

Illlll!ll!lllll!lll!llllllllllllilllllllllllllll!illllli:!![lllll1^^

CHAPITRE

11

L'EVOLUTION DE LA \1E SOCIALE

C'est une courte bauche que la Nietzsche entre 1876 et 1881

thorie sociale deet

;

pourtant,

sur

aucun autre point de la doctrine nietzschenne, il ne s'est produit plus de malentendus. 11 m'a sembl que, mme dans le cnacle de Weimar, o l'on entretient si jalousement le culte de Nietzsche, il subsiste des incertitudes.

On y entend des paroles qui s'inquitent de l'usage qu'on pourra faire, socialement, de l'utopie nietzschenne. Quel parti politique saura l'utiliser ? Quels seront les?

matres de la terre

Et, derrire cette inquitude,

on en

devine une autre.

A

quelles puissances sociales allaient

dcidment

les prdilections

tait-il la victoire,

de Nietzsche ? A qui prometsans la souhaiter peut-tre, mais parce

qu'il la prvoyait?

Une

dfinition bifide de

n'lucidait pas

la difficult.

George Brandes Votre philosophie est un,

radicalisme

aristocratique

crivait-il(*).

un jour

]*sietzsche, qui

n'en disconvenait pas

Mais que voulait dire cette dfinition?surle

Fallait-il insister ?

radicalisme

ou sur

l'aristocratie

Devait-on

() Brandes songeait surtout h Menscfiliches, Albumenscfilicfies, puis Gnalogie der Moral, seuls ouvrages de Nietzsche qu'il connt alors. Y. ses lettres Nietzsche du 26 novembre et du 17 dcembre 1887. (Corr

111,

272, 278.)

296croire

L A

V

I

E

S

G

I

A L E

Nietzsche prt consentir toutes les rformes dmocratiques et sociales, sinon peut-tre par les raisons \ de la dmocratie et du socialisme, du moins pour desraisons qui vont leur rencontre, et parce que, la socit

une fois constitue, on verune aristocratie nouvelle de l'esprit? On aimerait prter au subtil essayiste danois une opinion qui aurait t instinctivement juste. Pourtant Brandes Je suis un peu bless de vous voir dans vos ajoutait crits vous prononcer avec tant de violence htive sur des phnomnes tels que le socialisme et l'anarchisme. L'anarchisme du prince Kropotkine, par exemple, n'est pas une niaiserie (*). Mais, en 1887, G. Brandes ne pouvait connatre tout ce que nous connaissons aujourd'hui de Nietzsche. Il s'est froiss de quelques aphorismesdmocratiqueet socialisterait sortir d'elle:

cinglants. D'autres crivains, ^^ condottieri d'aristocratie,.se sont fait,

au contraire, de cescroientsolides.Il

mmes aphorismesnesuffit

des

armes

qu'ils

pas de leur

objecter les aphorismes qui militent contre eux.

On ne se dbarrasse pas de Nietzsche en opposant ses aphorismes les uns aux autres, pour tirer parti de leur contradiction. Il faut s'habituer son sens trs nuanc du rel. Ce n'est pas sa pense qui se contredit. II croit que la ralit a des aspects opposs, et, quant lui, il prtend faire le tour de toute la ralit. Toute pense, chez Nietzsche, a donc sa contre-partie qui la dlimite. On a compris la pense vraie de Nietzsche, quand on a dnombr les antagonismes qu'il dcouvre dans la ralit iiumaine, et quand on a saisi le compromis etl'ectif par lesquelles il estime que les forces contraires se tiennent en chec et en quilibre. Cette intelligence de sa philosophie ne peut se formuler en quelques dfinitions impro^';

Corr.,

III,

278.

Lettre du 17

dcembre 1^8"

DISSOLUTION PRESENTEvises.

297

Les

opinions

sociales de Nietzsche font partie

d'un ensemble dontdisjointes,

il n'a pu prsenter que les vertbres mais qui a son pine dorsale et ses membres

trs

au complet. de Nietzsche, ds ses dbuts^de la vie psychologique11

L'ambition principalefut

de dcouvrir

le

passage, inconnu, mais certainementfaits

existant, qui relie les

et

sociale aux faits biologiques.tion conjecturale,

a fait, par cette investigavrai.Il

uvre de philosophe

a tchl'in-

de prolonger jusque dans l'inconnu,losophiefait effort

et peut-tre

dans

connaissable, la voie fraye de la science acquise. Sa phi-

pour appliquer aux sciences de l'esprit les lois dcouvertes par le transformisme. Mais, en plein triomphe du darwinisme, Nietzsche savait couter dj les objections clairvoyantes de ceux qui, par del Darwin, remontaient jusqu' Lamarck. Ce fut tout desuite sa force, et c'est encore aujourd'hui son originalit.

Taiiie s'tait risqu affirmer

que

la loi.

de slection

s'applique auxqu'il

phnomnes mentaux11 fait

Nietzsche rpond

d'adaptation au milieu.principale.tient

d'abord au darwinisme sa part, qui est secondaire, et au lamarckisme la sienne, qui est las'agit11

ne

pas surtout de slection, mais

ajoute que les lois defaits

Lamarck nel'esprit,

se vri-

pas seulement pour les

de

mais encoreintempes-

pour les faits sociaux. De bonne heure, et dstives^ il croit

les Considrations

avoir dcouvert une grande loi de la vieet struggle for life

sociale.

Il

y a antagonisme

darwinien

entre les instincts de l'homme,

giquement, entre les cellules les tissus d'un mme organisme. Cette lutte, pousse l'excs, peut tre mortelle. Mais, circonscrite, elle arrive constituer des tissus vivants ou des organismes plus

comme il y a lutte, biolod'un mme tissu, ou entre

vigoureux, par une slection d'units composantes qui se

298

L

A

V

I

E

S

C

I

A L E

seront fortifies dans cette lutte. La lutte danvinienne

entre les lments aboutit -dire

un

rsultat lamarckien, c'est-

une

meilleure adaptationcrutles instincts

de l'ensemble.

En

particulier,l'instinct

Nietzsche

constater

un

conflit

entre

profonds de la vie affective. Le savoir doit rester au service de la vie. S'il commet l'abus de s'en arroger la matrise, il peut compromettre les sentiments dont Tnergie vitale est faite, etuser les forces o elle s'alimente.

de connatre et

On ne peut

se fier

non plus, inversement,

la seule

pousse obscure de la vie afl'ective. Cette pousse, aveugle sur ses fins, peut tre abusivement dtourne de sa route.

Rien defragile

frle

comme

la vie, et la vie civilise est plus

encore. L'instinct desla^

hommes

a cr le savoir,

comme

vie s'est cr la conscience,les

pourfaut

s'orienter,

pour viter

dangers

les

plus graves et les gaspilIl

lages meurtriers de force et de sang.forte vitalit personnelle des

mnager

la;

hommes

et

des civilisations

rendre compte aussi que l'intelligence humaine doit guider et clairer les nergies affectives. La conception ancienne de Platon pourra s'acclimater alors parmi nous. Nous pourrons mieux entendre l'hygine de notre

mais

se

vie

sociale,

vie en entier.

un savoir suprieur pourra rgnrer cette Dans cet effort pour appliquer le transforde quel secours nous serale socia-

misme auxlisme

faits sociaux,

commele

doctrine? Quelle force peuvent nous apporter

les passions qu'il

dchane?

11

n'y a pas d'autre faonsociales de Nietzsche.

d'aborder

problme des opinions

I.

La dissolution du rgime social prsent

a rpt outrance que Nietzsche est anti-sociaPourtant Nietzsche a parl avec une mprisante hauteur des hommes qui, avec un revenu de deux ouliste.

On

DISSOLUTION PRESENTEtrois cents thaiers

299

par an, veulent devenir marchands ou somme, cherchent un mtier plus lucratif (') . Un tel homme ne peut trefonctionnaires, ou qui, gagnant cette

un tenant du capitalisme. Son aristocratisme asctiquen'arien

de

commun

avec lessinistres.

apptits qui

essaient

d'abriter, derrire des considrants de philosophie nietz-

schenne, leurs intrtsdire,il

Nietzsche emprunte au(*).

socialisme sa critique du rgime social prsent

A

vrai

ne croit pas aux plans de reconstruction apports par les systmes socialistes. Nietzsche tient pour louable dans le socialisme sonCes classessont disqualifies. Elles n'ont plus ni l'art deni l'art d'obir

irrespect des classes dirigeantes actuelles.

commander,

avecqui

fiert,

hritages, l'un orgueilleux,

l'autre

dlicat,

se

craties anciennes. Les

transmettaient dans les aristoparvenus bourgeois d'aujourd'hui

ignorent combien de fois ce talent deart de souffrir et de se sacrifier,

commander

a t

un

une longue habitude

de se matriser dans la passion, de garder mme la souffrance des formes nobles, et, mme dans les situations dsespres, la clart de l'esprit et le calme de l'me. Il y avait, dans toute la distinction native de l'aristocrate, une faon d'humilier en soi, avec grandeur, les instincts vulgaires, qui constituait elle seule une garantie prcieuse et forte de fine culture personnelle. L'audace du fabricant enrichi ne remplace pas cet hritage de distinction, reconnaissable encore dans la tenue et dans le moindre geste. Il y a une audace faite d'insolence et de confiance aveugle dans la chance, dont le vulgaire ne manque pas. Mais quand elle s'tale et devient le fait detous, le socialisme a

commenc.

(*)(')

Frohliche Wissenschafl, posth., J 429, (H'., XII, 202.) V. Le Pessimisme esthtique de Nietzsche, p. 260 sq.

300

L A

V

I

E

S

C

I

A L Ele

Le lamarckisme consquent de Nietzscheavec Marx.

mne

tout

droit des ides qu'il ne croyait pas sans doute partager"

Le marxisme aussifaits

est

une application duet

transformisme l'tude des

conomiques. Marx

Nietzsche sont d'accord pour retrouver,Nietzsche,l'origine

mme

dans

les

structures d'esprit les plus hautes, la trace de leur origine.

comme

Marx,

cherche

dans la technologie

du capitalisme nouveau. L'homme continue, en crant l'outillage mcanique, le travail d'adaptation que la vie elle-mme avait commenc en crant le squelette. Nos machines prolongent les organes de prhension et de locomotion que nous avait donns la nature. Mais laforce et l'intelligence qui les dirigent, ce seront, en der-

nire instance, la force musculaire et l'nergie crbrale

humaine. De soi pourtant, le machinisme industriel introduit une discipline sociale nouvelle des masses. La bourgeoisie capitaliste s'est tablie avec le machinisme. Gela suffit pour qu'elle ait eu sa lgitimit, puisque sans elle le progrs industriel n'aurait pas eu lieu. Il reste qu'il y a bien des faons d'utiliser la machine, comme il y a plus d'une structure de squelette mise en mouvement par des systmes musculaires diffrents. Le machinisme actuel, invention de la pense la plus haute, n'utilise que des forces sans pense. Le rgime bourgeois ressemble ces btes prhistoriques, prodigieuses depuissance osseuse et musculaire, qui avaient un cerveauinfime.Il

fait

appel des nergies qu'il n'lve pas(').

la spiritualit

Des groupes sociaux o toutes

les

units humaines seront doues de conscience et de librevolont, auront raison de ce monstre gant et aveugle

dans la

lutte

pour

l'existence. C'est le sens

profond du

mouvement

socialiste.

C) Der Wanderer und sein Sc/iatten,

;;,

220.

(1)'.,

III,

318.)

DISSOLUT ION PRESENTENietzsche, dcrivant rmachine subir ''

301

la

dgradation queet,

le travail

de lapre-

fait

la conscience

de l'ouvrier, n'ajouteavantlui, les

rien ce qu'avaient dit

Proudhon

miers thoriciens de la division du travail. Il prtend dmontrer que la machine uniformise la production dansla

mdiocrit, et la banalise par un aspect uniformment

impeccable.

En

facilitant la vente

de camelotes grossires,

elle ramne une piraterie industrielle trs attarde sur le rgime de probit qui tait devenu l'habitude des peuples commerants. Les dires de Nietzsche n'taient pas inexacts de l'industrie allemande, au temps o Reuleaux avait gratifi ses produits de deux pithtes clbres billig und schlecht . On ne pourrait renouveler une telle apprciation pour le travail qualifi de l'industrie:

contemporaine, qui demande l'ouvrier unlire

si

intellisi

gent effort et qui produit avec une perfection(*)

rgu-

Mais

il

nous importe

que

l'apprciation

de

Nietzsche touche la valeur humaine du travail. C'est ce

qu'on oublie quand on rappelle seulement ses durs aphorismes sur la caste du travail forc(').

A

coup

sr,

il

faut

que

la civilisation dure,

qu'elle vaille de durer. L'ancienne

mais aussi conomie artisane avaitet

plus d'humanit. Acheter le produit d'un artisan, en un

temps o chaque artisan avait sa marqueC'tait se revtir, soi et sa

son mrite

propre, c'tait honorer l'homme dans sa marchandise.

maison, des symboles de

l'es-

time qu'on avait pour de certains artisans. Ainsi s'introduisait

dans le plus humble travail l'ide d'une valeur humaine. Le plus simple change crait une solidarit et

(') V. cependant dans les Sozialislische Monatshefte de juillet 1910, une enqute qui affirme que cet ennui de la besogne parcellaire est encore aujourd'hui, dans la plupart des industries, la grande tristesse de la vie

ouvrire.()

jlfenschlic/ies,

Allzumenschliches,

I,

G 439. {W., III, 327.)

302

LAVIESOCIALEfleur d'humanit, Nietzsche regrette

une amiti. Cettela voir

de

extirpe par l'esclavage humili o lela

travail

monotone dePourtant

machine rduit nos ouvriers.

ne commet-il pas, en un autre sens, la mme faute, puisque ses vises galitaires mconnaissent la valeur ingale des individus? Cette mconnaissance, rpond Nietzsche, n'est pas plus illogique que les abstractions de la science, qui, elles aussi, tiennent pourle socialisme

ngligeables les diffrences individuelles entre les objetstudis.

Pratiquement, rien

ici

qu'une

maxime

trs

analogue

de plus condamnable du christianisme qui,,

lui aussi, considrait

que tous les hommes sont galement

des pcheurs, qui est ncessaire la grce rdemptrice. Le socialisme fait la gageure de l'galit approximativedes hommes. Le litige peut tre seulement de savoir si nous apercevons entre les hommes des diffrences ce point accuses, qu'elles ruinent d'avance une politique rsolue les ngliger. Dans les cits lacustres, dont Nietzsche

vu tant de rsidus dans les muses suisses, nul doute que les hommes ne fussent peu prs gaux ('). Mais les hommes de notre temps? Ce qu'on peut dire, c'est que ds maintenant la culture intellectuelle de nos ouvriers est si voisine de la culture des patrons, que la seule ide d'imposer aux ouvriers tout le fardeau du plus lourd travail mcanique produit en nous un sentiment deavaitrvolte.

Notre

classe

ouvrire

est

aujourd'liui

d'une

sensibilit ce point affineinfinie torture; et elle

que ce fardeau lui cause une prtend non pas l'allger, mais lea,

rejeterelle

(*).

La bourgeoisie conqurante d'aujourd'huila haine de

aussi,

l'individualisme.

C'est

comme

caste qu'elle se distingue des ouvriers, et

non pas par sa

(')()

Ibid.,

Menschlic/ies, Allzumensc/ilic/ies, posth., (ir., XI, 143.) :] 4ul, 3.

^"

448. (II., XI. 141.)

.

DISSOLUTION PRESENTEslection

30acure

d'hommes. Car, selon Nietzsche,intellectuelle;

elle n'a

de

la supriorit

(').

Elle

aussi est

une

dmagogie niveleuse

et

tandis que la classe

ouvrire

commencei'

ne plus vouloir travailler de ses mains, la

du cerveau. S'il n'y rgime bourgeois et le socialisme, c'est le socialisme qu'il faut approuver. Un autre, aussi grand que Nietzsche, et mieux inform que lui des choses sociales, a dit depuis combien Nietzsche est dans l'erreur. Dans ce X chapitre de V Arme nouvelle^ qui est le plus glorieux rsum de toute la science sociale franaise, Jaurs a su dmontrer qu'une des plus grandes forces de la bourgeoisie, un de ses titres les plus solides, c'est que dans une socit o retenclasse bourgeoise refuse de travaillera

en prsence que

le

tissent contreest">

elles

les

revendications(-)

du

travail,

elle

une classe qui travaille

.

Son

rcit retrace,

dans

j'

'

une beaut d'pope, la magnilicence de l'industrialisme moderne. Le grand orateur voulait que le proltariat reconnt nos grands patrons d'usine et de commerce cette puissance de travail, dpense contrler de haut la force ouvrire qu'ils emploient, tudier au loin le march des produits et le march des valeurs, largir en pense leurgir

champ

d'action, avant de l'lar-

en

fait

Les facults de dcision, de commandement, d'orgueil de l'hommedpassent infiniment ses forces de sensualitl'impulsion qu'il donne, parbilits qu'ille;

et c'est

seulement par

contrle qu'il exerce, par les responsa-

assume, que

le

grand possdant peut prendre aujourd'huila

conscience de sa proprit... Par ce travail intense,

bourgeoisie, lala

grande bourgeoisie surtout, est en communication avec

force et

(M V. dj les accusations de Nietzsche l'poque wagnrienne, dans Le Pessimisme estlnilique de Nietzsche. Livre III, chap. ii La faillite du rgime social prsent, p. 262. (*) Jean Jacr.s, L'arme nouvelle, 1913, ]>. 482.:

304l'esprit

L Ades

V

1

E

S

C

I

A L Eest effort,

temps modernes, avec une socit o tout(').

tension, labeur, aspiration

Dans cette description denaire de cration

la

puissance rvolution-

qui palpite violemment dans la socit

bourgeoise

et

qui lui donne le sentiment, non seulement

mais de son droit, et l'audace de la bonne conscience, Jaurs atteint une ralit sociale plus et en mme temps il est plus vivante que Nietzsche nietzschen que lui. Il prolonge la ligne de la pense de sonutilit,;

nietzschenne par cette

analyse

de

la

lgitime

fiert

que grande uvre accomplie. Car, sans doute, c'est, nombre de fois, sur la conqute brutale, la piraterie ou le vol que sont assis les privilges de la bourgeoisie. Mais la puissance bourgeoise a surabond en utilit collective, aupoint qu'elle est

nos classes dirigeantes puisent dans la certitude d'un

comme

lie

l'ensemble passionn

de la socit prsente. Les salaris eux-mmes, dans dsordre actuel, jjeroivent confusment des puissancesdes vertus qui pourront fructifier

le et

dans un ordre nouveau plus ample, plus harmonieux et plus juste . Les ouvriers sentent donc bien que la bourgeoisie a encore un autre titre que la force et ils savent que l'ordre;

bourgeois,

si

imparfait encore, dj les affranchit. C'est

probablement une mtaphore de Nietzsche que songeJaurs, lorsqu'il crit cette protestation:

Les salaris ne sont pas sous un rgime de brutalit absolue, qui ne serait que scandale et accablement. Ils ne sont pas comme le gant enseveli sous un amoncellement de pierres et qui ne peut plus que

vomir

la

flamme par

la

bouche du volcan

(').

('){-)

Jean.1.

.Jaurs, Ibid., p. 48o.

Cf. Sc/iopenhauer ah Erzieher, g 4 ( M'., I, 424) > Dans toutes les commolions, dans tous les tremblements de terre socialistes, c'est toujours l'homme selon Rousseau qui s'agite, pareil au vieux Typhon sous

Jaurs, Ibid.

DISSOLUTION PRESENTENietzsche crive:

305

Mais coup sur voil une raison de plus pour que

Les masses socialistes sont clans leur droit, quand elles essaient,

extrieurement aussi, de nivelerf

la diffrence

entre elles et (les bour-

geois) puisque intrieurement, par la tte et par le cur, le nivelle-

ment

est

un

fait

accompli

(').

Aussi bien peut-on accorder que Nietzsche connut,

mieux que Jaurs,

l'esprit

de ce premier socialisme alle-

mand

des annes de 1863 1875, qui furent les annesIl

'

a vu l'uvre les chefs de la dmoallemande en Rhnanie et en Saxe. On croit relire les premiers pamphlets de Lassalle, de Bebel et de Liebknecht, entendre Nietzsche affirmer que le socialisme continue le soulvement de la bourgeoisie ellemme contre le rgime fodal. Ds qu'on accorde des liberts politiques la classe ouvrire, ou si elle les conquiert dans un moment de crise, croit-on qu'elle n'en usera pas pour son affranchissement social? Inversement, des hommes qui auront russi assurer leur indpendance matrielle, peut-on penser qu'ils se laisseront commander comme sous l'An-

d'organisation.

cratie socialiste

cien

Rgime?

La

libert politique, disait Liebknecht,

exige la justice sociale, ou elle meurt; et la justice sociale

ne se ralise pas, sans que la libert politique en naisse

(-)

.

Ainsi la Nmsis de l'histoire, reprend Nietzsche, veut

que la bourgeoisie prisse dans cette tourmente qu'elle a elle-mme dchane. On ne voit pas que Nietzsche ait jamais dplor cette,

l'Etna.

^.

aussi /arai/iuslra,

la parabole

du

cliien

de

feu,

Von grossen Ereigniasen (H^., VI, 191), dmon d'ruption et de subversion, qui dut.I,;',

fond du volcan projette sa lave, sa vase brlante et sa funae.(M Menxc/iliches, Albumensc/ilic/ies,{-)

480.

Wilhelm:

1867. V. aussi

Ueber die politische Stellung (1er Sozialdemokratie, Zur Grund nnd Bodenfrage, 1870. Zu Schutz und Trutz, 1870.Liebk!^ecut,

AHDLER.

IV

20

306

L

A

V

I

E

S

G

I

A L E

croit-il, avec exactitude par les socian'admet pas que, dans cette catastrophe pro- I chaine, on admire l'avnement de la justice totale. S'il est juste que les hourgeois cdent le pouvoir, Nietzsche nous interdit toute illusion sur la qualit morale de la classe destine la supplanter. Des apptits gloutons, une haine hargneuse, une mlancolie vindicative, se masquent, chez les ouvriers, d'une revendication d'quit. Les blmeronsnous? Non, car leurs adversaires ne sont pas meilleurs. Mais pas de grands mots. Ce sera une injuste justice que celle du rgime socialiste. Or la civilisation rationnelle future exige une justice mticuleuse et pure. Il est entendu que la rpartition existante des proprits recle en foule des violences anciennes. La prescription qui leur est acquise ne saurait les blanchir aux regards de l'historien. Aussi bien toutes les civilisations du pass ne sont-elles par difies sur la fraude, l'erreur et les abus de la force? En sommes-nous moins les hritiers de ces civilisations? Gomment extraire de ces iniquits agglomres et ptrifies une justice pure? Ge n'est pas en dclarant que les patrons, sous le rgime actuel, ne mritent pas leur

catastrophe prvue,

listes.

Mais

il

fortune. La constitution de l'univers est

si

fragile, et notre

rgime social

si

travers de hasards, que personne n'y

mrite ni son heureuse ni sa mauvaise chance ('). Le mal, c'est notre indiffrence au regard de l'infortuned'autrui.

Mais ce cynisme que montraient les possdants en s'emparant de ce que leur offrait la faveur des circonstances, serait-il moindre dans l'Ame des non-possdants? G'est notre mentalit qu'il faut rformer. C'est l'esprit dehaine et de fielleuse jalousie qu'il faut gurir rforme sociale sera dj en marche.(-).

Alors la

(')(*)

Menschlic/tes, S 451,

Menscfiliches, AUzumenschtiches, posth., ^ 451, o. (W., XI, 114.) 6. ( II'., XI, 144.)

DISSOLUTION PRESENTElistes

307

Nietzsche retrouve, dans toutes les propositions socia-

venues jusqu'ici au grand jour de la discussion, cet haineux de pharisaque justice, qui dguise des apptits de violence. Peut-tre n'a-t-il connu de ces propositions que ce qu'avait voulu en enseigner, Leipzig, son matre en matire d'conomie politique, Roscher,esprit

ou ce qu'en relataient les journaux de son temps. Il n'a tudi de prs aucun des grands systmes classiques du socialisme, ni Saint-Simon, ni Pecqueur, ni Rodbertus, ni Marx. Ses objections portent contre un rodbertisme vague vulgaris par Lassalle ('). Mais il est exact qu'en son temps les chefs du socialisme allemand, Rebel et Liebknecht non excepts, glissaient ce lassallanismeimprcis. Nietzsche, avec ce sentiment de la vie qu'il a eu si vif, est plus prs du marxisme, tel que nous l'inter-

prtons aujourd'hui, que ne fut entre 1876 et 1882, la premire gnration de ses glossateurs. Pourtant il vite

quelques-unes des erreurs de tout marxisme. Si la justice sociale consiste dans une valuation quitable du travail, Nietzsche conteste qu'on en puisse faire jamais le calcul. Veut-on valuer le temps, le zle, la bonne ou la mauvaise volont, l'inventivit, la paresse, la probit contenus dans un travail? C'est valuer toute lapersonne;estimer l'inconnaissable, comparer l'irrductible, et l'injustice est au bout. Nietzsche objecte, trsc'est

judicieusement, cette thorie que tout travail vaut cequ'il doit valoir

connaissances

et

de dcider

s'il

dans un tat social donn de forces, de de besoins. 11 n'appartient pas l'ouvrier travaillera ou comment il travaillera. Des

puissances sociales plus fortes le contraignent. C'est X utilit collective qui dcide de l'estime qu'il faut faire de son

(*) Sur les rapports eatre Rodbertus et Lassalle, v. Socialisme d'tat en Allemagne, 2' dit. 1913.

nos Origines du

308produit.Il

L A

V

I

E

S

C

I

A L Eil

n'y a point l de justice. Mais

faut que

h

production se continue. Par elle l'ensemble social faitj efifort en vue de s'adapter son milieu. C'est par souci]

de sa dure que la socit interdira l'exploitation dej l'ouvrier qui, dans le pass, a t trop certaine. Il faul condamner cette exploitation, non pas comme une injustice, mais comme une folle imprudence, comme un cou-|pable gaspillage desressources de lavenir, et

comme^

une menace pour

Ce que Nietzsche reproche la bourgeoisie prsente, c'est cette grande et durable imbcillit d'une exploitation qui a allum la guerre sociale dans toutes les usines, et qui aboutira aux comla postrit.les plus

promis

onreux,

si

l'on veut

ramener

la

paix

indispensable (M. Cette paix se conclura, puisqu'il faut que la civilisationdure.Triste et mdiocre idal pourtant

que celui qui

revendique, au

de la justice, un meilleur salaire sans voir ce qu'il y a d'humiliant pour un ouvrier n'tre qu'une vis et qu'un rouage dans le prodigieux outillage social. L'objection la plus grave que l'on puisse faire ausocialisme, c'est qu'il prolonge, l encore, l'automatisme cr par l'industrie nouvelle. Il pousse aux dernireslimites la

nom

mcanisation

de l'homme

:

et,

loin de resti-

tuer l'ouvrier une personnalit, il fixe le tarif auquel l'ouvrier consentira aliner sa personnalit, au nom dela justice.faire

Au vrai, tous ces projets de rforme tendent de l'ouvrier un bourgeois. Oser formuler des revendications sociales en pareils termes, cela seul attesterait chez les ouvriers une me de bassesse bourgeoise, qui n'attache plus aucun prix la matrise de soi, l'asctisme noble, au loisir permis de la pense, l'indpendance honnte et pauvre, ni pour tout dire la valeur

('i

Der Wanderer und sem

Sc/ialten, J 286. (M'., III, 349.)

DISSOLUTION PRSENTEintrieure{').

309

Puisqu'on ne

dedans

les ouvriers,

songe pas rgnrer du que penser du moins des moyens?

prconiss pour corriger leur sort matriel

Nietzsche n'en connat que deux,rudition se satisfait de;

et,

vrai dire, son

peu.

Il

fait

ajjpel

quelques

notions uses d'histoire grecque ou romaine et de philoso-

'

phie platonicienne. Visiblement, l'industrialisme moderne lui est tranger. Voil pourquoi sa discussion sembledater du temps de Gracchus Babuf. Le socialisme lui parat conduire deux mesures rvolutionnaires gale-

ment1

inefficaces.

Veut-on revenir unelaloi

mesure quepartagegal

l'antiquit

a?

essaye,

agraire,

le

des terres

Nietzsche

allgue la mdiocre dure de ces tentatives

'

dans les rpubliques anciennes. Que d'amertume de mme chez nous produirait une rvolution qui dracinerait une partie de la population rurale! Et combien durerait cette galit impose ? Que de haines et de jalousies, de vio-

.

La moralit est, plus qu'on ne croit, faite de la vnration de la terre des aeux. Et c'est le respect de l'ordre social lui-mme qu'on extirpe danslences nouvelles!

l'homme en dplaant'l""

les bornes de son champ paternel. Procdera- t-on, au contraire, par la socialisation des proprits , dont l'usufruit seulement serait afferm

alors, surtout dans La terre retournerait la brousse au bout de peu de gnrations. Il ne faut pas idaliser l'homme. Il gaspille et maltraite ce qui n'est pas sa proprit prive. Son fond est gosme et vanit. Platon pouvait croire que, la proprit prive disparue, on

aux particuliers? On rtrograderait

l'agriculture, jusqu' la sauvagerie.

aurait aboli chez les

hommes tous

les vices

qui leur viennent

de leurs apptits.

Il

manquait d'une psychologie exacte des

(')

Morgenrot/ie, $ 206. (W., IV, 203.)

310

L

A VIl

I

E

S

G

I

A L E

mobiles humains.

ignorait le transformisme moral, et

que

les vertus les

plus hautes germent d'une grossire

racine.

En

sorte qu'aucun dsastre ne serait

comparable (').

la destruction

de Tgosme et de la vanit, puisque avec

eux les racinessocit,

mmes de

la vie seraient dessches

Ainsi le socialisme, qui promettait de rgnrer la

tend dtruire la civilisation dans ses profonoffre

deurs.

Il

un

idal contradictoire de bassesse haineuse

et d'asctisme jaloux, qui tarit jusqu' la sve

dergosme

lgitime.

Il menace de faire le dsert o il passera. Il quivaudra ces invasions musulmanes, aprs lesquelles toutes

les sources

fertilisantes taient

sec,

toutes les forts

abattues, toutes les cultures dtruites par le feu.

Au

flau

de

la destruction le socialisme ajoutera la tyrannie. C'est

une arme effroyablement discipline que la sienne. Il courbe les citoyens dans une humilit devant l'Etat que l'ancien rgime n'a jamais connue. Toujours le socialisme a grandi dans le voisinage du csarisme. Platon n'a-t-il pas demand un tyran de Sicile la ralisation de son plan social ? Aucun homme a-t-il ressembl mieux Bismarck que Lassalle? En sorte que le socialisme, mdiocre et bas comme la dmocratie, est tyrannique aussi comme l'Etat absolutiste ancien. 11 est de l'intolrance, de la haine et de la brutalit condenses. Pas de danger plus grand pour la culture suprieure del'esprit. toutefois

Nietzsche croit la Rvolution sociale.il

Elle apportera une profusion d'erreurs, mais

faut la pr-

voirest

comme unet

fait, et

s'interroger sur la lgitimitII

du

fait

besogne oiseuse.

s'agit

de savoir ce qui la rend(*).

probable

quel parti on en peut tirer

La rvolution

socialiste est probable, parce qu'il n'est

()(*)

Der Wanderer und

sein Schatlen,

I,I,

C>

285.

(II'.,

HT, 348.)II,

Mensdtliches, All:iimensc/ilic/ies,

;;

473. (M'.,

350.)

DISSOLUTION PRESENTEdroit.Il

311

au pouvoir de personne, l'heure actuelle, de l'enrayer. Cela seul nous dispense de lui demander ses titres defaut pactiser avec les puissances tablies:

dtrjiire

Lassalle l'avait dj dit.

Il

reste savoirsi

voulons dclarer la guerre au socialisme, ou lons pactiser avec lui avant la lutte ouverte.11

ou les nous nous vousi

y a lieu de mesurer sa force qui est considrable et digne de respect. Niveleur dans ses fins, le socialisme est individualiste par l'effert rel qu'il produit. Sa prdicationabstraite fourmille d'erreurs;

rigoureuse doit lui accorder

l'efficacit

mais la rationalit la plus de ses mthodes de

dressage ouvrier. Derrire l'ouvrier rvolutionnaire apparat donc le pril des prils Yindividiil , ei ce n'est

pas Nietzsche qui s'en plaindranergies individuellesrgalit(^).

(').

Rien ne dvelojpe les

gageure socialiste de Rien non plus n'gale la puissance d'enthoucette

comme

siasme qu'elle dchane. La revendication de la justice, o se cachent de sombres apptits de cruaut, apporte nfin un prodigieux enivrement. Son terrorisme marque unet fort. Il produit Une une fivre plus extatiques encore que la guerre nationale. Bie soziale Rvolution ist vielleicht noch etioas

retour

un enthousiasme sauvage

motion

et

Grsseres; desshalb

kommi

sie

(=)

.

La rvolution

fait

partie de ce rajeunissement viril qui rveillera les nations

effmines de l'Europe prsenteEst-elle inluctable?

(*).

On

sait qu'il n'y a,

pour Nietzsche,

rien de fatal.

Il

n'y a que des faits d'une absolue contin-

gence.

A

toutes les forces on peut opposer d'autres forces

qui dtruisent le jeu des premires. Nietzsche a envisag

(')(') ()

Morfjenrt/ie,

;',

173. (M'., IV, 169.)

Menschliches, Allzumenschliches, posth., ^,448. (W., XI, 141.)

Morgenrolhe, posth.,

;:

559. (M'., XI, 369.)'^'^

(*)

Mensc/ilic/ies, Allzumensc/iUc/ws, posth.,i.'.^,

431, 8. (M'., XI,

lii);

Morgenrlithe, posth.,

571, 2.

(

\V.,

XI, 376.)

312srieusement

L

A Y

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S

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A L E

l'ide d'touffer en germe la rvoluSa pense dfinitive, c'est que la bourgeoisie ('). prsente ne dispose ni d'une puissance capable ni d'une pense digne d'enrayer la rvolution sociale. Mais quand cette rvolution se produirait, ce ne serait pas encore une raison de dsesprer. Peut-tre fera-t-elle, par un dplacement profond, tantt lent, tantt tumultueux, un travail souterrain et cyclopen qui sera utile. Elle ne peut fonder la socit nouvelle. Mais, aprs .un norme dplacement gologique, elle en scellerait dans le sol l'infrastructure. Elle difierait des digues monstrueuses et des remparts contre des barbaries pires, contre la mauvaise hygine, l'insuffisante instruction, le servage matriel et mental. Elle ferait surgir volcaniquement les collines o mriront un jour au soleil les fruits parfums d une civilisation nouvelle. Le socialisme croit tort que la rvolution a en elle-mme sa fin. Elle rend possible seulement un travail plus dlicat qui fleurira d'elle. Nietzsche croit tre un de ces viticulteurs inconnus qui planteront, dans le sol remu par la rvolution, les cpages de la vie sociale

tion

rgnre.

II.

L'utopie sociale de Nietzsche.le

Il

faut,

pour comprendre

plan de rforme sociale de

Nietzsche, se dire qu'il se place dans l'hypothse d'une rvolution en

marche ou peut-tre dj accomplie. Lapensante ne consistera pas livrer la perdue d'avance, mais pro-

tche de

l'lite

bataille de la bourgeoisie,

cder au dblaiement et la reconstruction. Les mobilesagissants de la pense rvolutionnaire sont des sentiments

d'onivrement, de cruaut, de volupt. Ce n'est pas qu'elle

()

Der Wanderer und sein Srhalten,

C 221. (H'., III, 318.)

L'UTOPIE DE NIETZSCHEn'ait t

313

mle de rationalisme(*).

vrai,

'Aufklaeruiig, de

philosophie des lumires. Elle en est au contraireaurole

commesicle

Mais

le

rationalisme pur duIl

xviii"

n'aurait jamais t actif.

aurait pass

comme une nuedevenuviolent,

frange de lumire. C'est pour s'tre incorpor l'lectricit

du sentiment rvolutionnaire

qu'il est

dangereux. L'effort prsent de l'analyse et de la propagande philosophique veut soutirer la penseorag-eux",

humanitaire l'excs de son fluide et le trop-plein de son enthousiasme violent et cont