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BRANDED MARS/MAI MMXVI - NUMÉRO QUATORZE FLORYAN VARENNES - MATTHIEU BOUCHERIT LAWRENCE ABU HAMDAN - DRAWING NOW JÖRG GESSNER - DAVID PORCHY - FLASHBACK BÉRENGÈRE HÉNIN - EMILIE RAFFALLI

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ART : - Polysémie Objet Floryan Varennes par Pascal Lièvre - Matthieu Boucherit. Effacer pour mieux révéler par Marion Zilio - Lawrence Abu Hamden, l'autre stéthoscope par Julien Verhaeghe - Rideau de fer et mine de plomb par Charline Guibert - La feuille d'ombre par Julie Cailler - David Porchy par Pauline Lisowski - Flasback par Vanessa Morisset PORTFOLIO : - Bérangère Hénin par Julie Crenn MUSIQUE : - Mark ‘Gator’ Rogowski : Skate or die par Gérard Love LITTÉRATURE : - Livres Mars 2016 par Pascal Patrice INTERVIEW : - Emilie RAFFALLI par Madeleine Filippi Questionnaire : - Bernard Chenebaut

Transcript of Branded #14

B R A N D E DMARS/MAI MMXVI - NUMÉRO QUATORZE

FLORYAN VARENNES - MATTHIEU BOUCHERIT

LAWRENCE ABU HAMDAN - DRAWING NOW

JÖRG GESSNER - DAVID PORCHY - FLASHBACK

BÉRENGÈRE HÉNIN - EMILIE RAFFALLI

CULTURE & LIFESTYLE — LILLE AMIENS PARIS

MAGAZINE TRIMESTRIEL GRATUIT — WWW.BON-TEMPS.FR

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ns.fr IL EST DE BON TON

DE PRENDRE DU

Insert_pub_Bontemps_A4_phase4.indd 1 11/04/16 15:24

InfInI et unDES DESSINS. DES LIVRES. DES BIÈRES.

« Infini et un » est la dernière série de dessins réalisée par Jérémy Louvencourt . Dans un ensemble de petits formats, i l explore la qualité graphique des surfaces proposées par certains théorèmes mathématiques.

À cette occasion, El Dorado books présente un tirage limité de l ’artiste et pour la première fois leur dernière

publication, Best Friends .19 mai - 20h30 / 64 , rue du Temple

www.eldorado-books.com

CULTURE & LIFESTYLE — LILLE AMIENS PARIS

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DE PRENDRE DU

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InfInI et unDES DESSINS. DES LIVRES. DES BIÈRES.

« Infini et un » est la dernière série de dessins réalisée par Jérémy Louvencourt . Dans un ensemble de petits formats, i l explore la qualité graphique des surfaces proposées par certains théorèmes mathématiques.

À cette occasion, El Dorado books présente un tirage limité de l ’artiste et pour la première fois leur dernière

publication, Best Friends .19 mai - 20h30 / 64 , rue du Temple

www.eldorado-books.com

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ÉDITOpar Laurent Dubarry

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ARTPolysémie ObjetFloryan Varennes

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ARTMatthieu Boucherit.Gommer pour mieux

révéler

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ARTLawrence Abu Hamdan

L’autre stéthoscope

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ARTLa feuille d’ombre

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ARTRideau de fer et mine de

plomb

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ARTDavid Porchy

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ARTFlashback

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LITTÉRATURELivres Mars 2016

S O M M A I R EB R A N D E D

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ENTRETIENEmilie Raffalli

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MUSIQUEMark ‘Gator’ Rogowski : Skate or die

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ARTLa feuille d’ombre

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ARTRideau de fer et mine de

plomb

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REMERCIEMENTS56

PORTFOLIOBérangère Hénin

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ARTDavid Porchy

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QUESTIONNAIREBernard Chenebault

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ARTFlashback

Et soudain, il fit beau. C’était durant un de ces jours où la météo semble être un miracle, la chaleur sur la peau une sensation oubliée et l’art de s’habiller sans transpirer un casse tête insoluble. Ces jours où les rues de Paris se transforment en pentes glissantes me-nant aux terrasses des bars ensoleillés des quartiers animés. Ces jours où même les pintes de bière trans-pirent. Après plusieurs mois de travail, le numéro 14 de Branded était enfin prêt à être lu, un cocktail, frais si possible, à la main. Enjoy.

F R A N C E E U R O M A U R E S Q U E

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É D I T O

BRANDEDWWW.BRANDED.FR

Rédacteurs : Florence Bellaiche, Ricard Burton, Stéphanie Gousset, Madeleine Filippi, François Truffer, Antonin Amy, Pauline Von Kunssberg, Ludovic Derwatt, Marie Medeiros, Mathieu Telinhos, Chloé Dewevre, Joey Burger, Ema Lou Lev, Jen Salvador, Benoît Blanchard, Len Parrot, Marie Testu, Benoit Forgeard, Alexandra El Zeky, Marianne Le Morvan, Blandine Rinkel, Mathilde Sagaire, Cheyenne Schiavone, Pauline Pierre, Virginie Duchesne, Marion Zilio, Florian Gaité, Tiphaine Calmettes, J. Élisabeth, Eugénie Martinache, Florence Andoka, Julien Verhaeghe, Anaïs Lepage, Pascal Lièvre, Mickaël Roy, Vanessa Moris-set, Julie Cailler, Lili Lekmouli, Charline Guibert, Pauline Lisowski, Gérard Love

COPYRIGHTS

EN COUVERTUREBÉRANGÈRE HÉNIN

Signature

encre de Chine sur papier - 87 x 64 cm - 2007

Page 13 : Courtesy Floryan VarennesPage 15 : Courtesy Floryan VarennesPage 16 : Courtesy Floryan VarennesPage 17 : Courtesy Floryan VarennesPages 30-31 : Courtesy Lawrence Abu HamdanPage 33 : Courtesy Lawrence Abu HamdanPage 47 : Courtesy galerie Fatiha SelamPages 59 à 75 : Courtesy Bérangère HéninPage 76 : Photo DR Page 77 : Photo DR Page 78 : Photo DR Page 79 : Photo DR Pages 80-81 : Photo DR Page 83 : Photo DR Page 85 : Photo DR Pages 86-87 : Courtesy Émilie Raffalli Page 88 : Courtesy Émilie Raffalli Page 91 : Courtesy Émilie Raffalli Page 93 : Courtesy Émilie Raffalli Page 95 : © Paweł Szypulski / Éditions Patrick FreyPage 97 : © Paul Graham 2015 courtesy MACK Page 98-99 : © Paul Graham 2015 courtesy MACK

Contributeurs : Alizée de Pin, Jérémy Louvencourt, Julia Lamoureux, Morgane Baltzer, Camille Potte, Mathieu Persan

Rubrique ArtJulie [email protected]

Rubrique LivreJordan [email protected]

Rédacteur en chef :Jordan [email protected]

Directeur artistique :Léo [email protected]

Fondateur et directeur de publication :Laurent [email protected]

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MARS/MAI MMXVI - NUMÉRO QUATORZE

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ET ILS DISENT QU’IL

S’EST ENFUI

ART

FLORYAN VARENNES

PA S C A L L I È V R E

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Floryan Varennes coud, découpe, recoud, transforment des vêtements qu’il dégenre pour créer des sculptures. Ses objets dé-coupent autant les périodes historiques qu’il entend assembler autrement que

les figures d’autorité dont les vêtements sont autant de marqueurs. Une partie de son corpus d’oeuvres privilégie la chemise comme matériau qu’il entend déconstruire afin de créer des nouvelles formes qu’il met parfois en scène sur les murs et sur le sol, comme un théâtre où se joue une autre histoire des genres.

Ses gestes accompagnent une révolution longue et difficile en marche depuis quelques décennies où cer- tains hommes, certes peu nombreux, ont décidé de s’attaquer au genre masculin pour le déconstruire.Au début de l’année 1972, le jounal Le torchon brûle ouvre ses colonnes au MLH, Mouvement de libéra-

tion des hommes qui déclare : « Des hommes qui n’en peuvent plus de jouer leur rôles de mecs, ça existe. Ils sont paumés, tout seuls, ils étouffent. Il y en a aussi qui cherchent ensemble comment extir-per le Mâle chauvinisme de leur vie, de leur tête, de leur sexe et de leur cœur. Parce qu’ils ne veulent plus être des Mecs et qu’ils ne sont pas des femmes, ils se décrassent ensemble pour se préparer à de vrais rapports d’être humain à être humain, entre les hommes et les femmes, entre eux. C’est peut-être la seule façon pour des mecs de lutter aux côtés des femmes »1

1 Les hommes dans les mouvements féministes fran-çais (1870-2010). Sociologie d’un engagement improbable. Alban Jacquemart

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C’est donc en déconstruisant de leur côté leur posi-tion de dominants que certains hommes participentà l’époque au mouvement de libération des femmes. Intuitivement ils mettent en place un processus de déconstruction du masculin qui trouvera ses échos théoriques dans le mouvement queer quelques années plus tard. C’est à la fin des années quatre-vingt en effet que les gender studies ont engagé une démarche de réflexion qui répertorient ce qui définit le masculin et le féminin dans différents lieux et à différentes époques ainsi que sur la manière dont les normes se reproduisent au point de sembler natu-relles.

Dans Collés montés, 2012 Floryan Varennes prend une chemise qu’il découd puis recoud pour créer une sorte de tube avec un col. Cette transformation est faite sur une vingtaine de chemises.

Par la suite il les enfile les unes dans les autres sur une base qui lui sert de structure. La chemise se dé- multiplie, s’accumule, se compresse voire même se stratifie pour former deux totems.

L’imbrication des chemises entre elles crée un amon-cellement de plis. Ces plis ressemblent à des strates géologiques plus ou moins homogènes grâce à un dégradé de couleurs différent sur chacune d’elles. La base est foncée et s’éclaircit en prenant de la hauteur pour devenir blanche au sommet.

Collés montés met en scène deux totems proches l’un de l’autre comme une répétition d’un même pas tout à fait identique. Tristan Garcia dans son chapitre consacré au genre dans Forme et Objet, le définit comme le rapport minimal d’objets ou d’évé-nements compris dans la même chose, et affirme que lorsque deux objets ou deux événements sont dans une chose identique, comme ici l’espace d’exposi-tion, leur plus petite différence est ce qu’on appelle le genre. Floryan Varennes appelle donc à concevoir un espace transgenre qui invite à la multiplication

des genres, car il existe autant de genres que d’indivi-dus singuliers.2

Si le totem représente souvent cet être mythique végétal ou animal considéré comme l’ancêtre épo-nyme d’un clan ainsi que son esprit protecteur et vénéré comme tel, Floryan Varennes imagine peut-être que si les figures d’autorités s’érigent en fétiches et agissent comme des constructions normatives de pouvoir, elles peuvent aussi devenir des éléments protecteurs contre ces figures mêmes.

Collés montés signifie prude, rigide sur les principes et les manières, et nous laisse penser que pour l’ar-tiste c’est peut-être la plasticité matérielle des vête-ments, la physicalité de la rigidité qu’il a cherché à exprimer dans une forme redoublée.

Silvia Federici dans Le cariban et la sorcière nous informe comment à « l’issue du Moyen-Âge, un monde nouveau privatise les biens autrefois collec-tifs, transforme les rapports de travail et les relations de genre. Ce nouveau monde, où des millions d’es-claves ont posé les fondations du capitalisme mo-derne, est aussi le résultat d’un asservissement sys-tématique des femmes. Par la chasse aux sorcières et l’esclavage, la transition vers le capitalisme faisait de la modernité une affaire de discipline. Discipline des corps féminins dévolus à la reproduction, consumés sur les bûchers comme autant de signaux terrifiants, torturés pour laisser voir leur mécanique intime, anéantis socialement. »

2 Tristan Garcia, Forme et objet. Un traité des choses, 2011

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ColletS montéS - chemises d’homme - 2012

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Au moyen-âge justement la chemise toujours portée comme sous-vêtement ou comme chemise de nuit répandue dans toute la population occidentale est identique pour les hommes comme pour les femmes. C’est un vêtement sobre, non teint, parfois rehaussé de motifs. L’église enjoint cependant aux femmes de comprimer leurs seins sous leur chemise de lin pour gommer leur féminité.

Au XVe siècle, la chemise se voit ajouter un col et commence à devenir un vêtement masculin. Du-rant la Renaissance, les hommes qui le portent sont des devôts, des protestants, des hommes lettrés et savants. À la cour de France, le col est à la mode durant les périodes austères.

Sous l’influence puritaine du protestantisme, le col est porté dans les années 1550, avant d’être supplanté par la fraise qui le concurrence. Par opposition reli-gieuse, le col est davantage porté par les protestants, mais avec le développement de la Contre-réforme dans les années 1580, les catholiques reviennent au col. Celui-ci finit ainsi par s’imposer en France à la fin du règne d’Henri III et puis définitivement sous le règne de Louis XIII.

Dans Survivance/Ruine échancrée 2013/2015 des cols blancs sur lesquels sont cousus sur la partie infé-rieure une vingtaine de rangées de perles de jais noir jonchent le sol. Les cols ont été découpés des che- mises, et disposés par terre, comme décapités du reste du vêtement. Ces cols qui genrèrent la chemise du moyen-Âge pour devenir l’attribut des hommes, dans cette histoire ou modernité rime aussi avec contrôle absolu des femmes par les hommes, Floryan Varennes a voulu les mettre à terre, les mettre à mort, et les présenter comme dans un cimetière de cols, avec suffisamment de délicatesse pour que son geste fort ne répète pas la même violence qu’il dénonce en leur attribuant à chacun des attributs précieux : des perles de jais.

Ces bijoux sont souvent associés à la mort, parures de deuils dans l’Angleterre du IIième millénaire av J-C d’où le jais a jailli d’une lente métamorphose d’un conifère préhistorique. C’est la transformation d’une ma- tière le bois en une pierre le jais, le travail de sédimentation de transformation d’un état à un autre qui est aussi convoqué.

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Ci dessous SurvivanCe/ruine éChanCrée

Col de chemise, macramé, perles de verres et de jais noires

Dimensions variables2015

Vue de l’exposition / Biennale de la Jeune Création 2016 La Grainterie, Houilles.

La lente transformation des corps, de leurs attributs et de leur manière de normer autrement ce qui les entoure sera longue et s’incarnera peut-être dans des formes difficiles à imaginer aujourd’hui.

S’il n’y a pas de progrès dans l’histoire de l’humanité qui soit assuré, il y aura des combats permanents contre ceux qui prennent le pouvoir et la trans-formation des corps s’organisera quoi qu’il arrive. Floryan Varennes nous propose de visiter ce cime-tière-laboratoire d’où s’expérimentent des formes nouvelles qui normeront autrement les corps.

Ainsi Hierarques vestes d’homme. 2014/2015, est un ensemble d’ oeuvres créées à partir de vestes de complet masculin ou costumes. L’ artiste d’abord découpe les cols de vestes du reste du vêtement puis fusionne les deux revers par une couture unique en leur centre. Il ne forme plus alors qu’une seule pièce. Les cols deviennent et forment un bas-relief ordonné et structuré sur un pli central en une série de trophés ou d’emblèmes d’un genre nouveau. Une polysémie peut

donc aussi s’effectuer, sur l’ambiguïté du genre, et sur le dépassement de cette normativité.3

Il est à espérer qu’un jour des corps nouveaux s’éton-neront de ces divisions genrées et sexuées dans les-quelles nous nous débattons, de ces séparations raciales, culturelles, économiques où quelques-uns dominent l’ensemble des autres. De la séparation de l’âme et de l’esprit à celle des territoires, des sexes, des races, des revenus, proposons comme ces cols ré-unifiés l’unité d’un corps organique reconcilié dans un monde où plus rien ne le sépare des autres.

3 Floryan Varennes extrait de son mémoire dont je me suis inspiré pour les descriptions des oeuvres.

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hiérarqueS - Vestes d’homme. - dimensions variables - 2014 - vue de l’exposition uptoDate - Musée d’Art, Toulon.

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SurvivanCe/ruine éChanCrée - Col de chemise, macramé, perles de verres et de jais noires - Dimensions variables - 2015Vue de l’exposition / Biennale de la Jeune Création 2016 - La Grainterie, Houilles.

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M AT T H I E U BOUCHERIT G O M M E R POUR MIEUX

M A R I O N Z I L I O

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« Plus on regarde exactement la même chose, plus elle perd tout son sens,

et plus on se sent bien, avec la tête vide »

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Comment décortiquer les dispositifs de visibilité du contemporain, ceux-là mêmes qui organisent l’architecture du web, dictent et prescrivent ce que l’on voit ? Techniques plus ou moins

invisibles, plus ou moins invasives, les moteurs de recherche, les vignettes de Google images, les effets de scoop, de buzz, de likes ou de share sont autant d’outils manipulés et qui nous manipulent. Ils sont l’appareillage complexe d’un éventail panoptique informationnel qui ne reflète, en fin de compte, que la loi de sa propre spirale.

Initiée en 2013, le projet Le poids des images de Mat-thieu Boucherit aborde notre rapport aux images et leur impact dans une logique de flux et de reflux mé-diatique. Quand les images deviennent les ombres et les doublures d’elles-mêmes, quand le selfie de Kim ou les fesses de Justin focalisent autant l’attention que celle d’un petit garçon syrien gisant sur une plage de Turquie, quand l’onde de choc se dissout à la surface de l’image et que, celle-ci, polie par des yeux qui ne savent plus voir ou qui ont trop vus, se consomme et se consume, la puissance scopique se fait l’écho d’une passion du réel dévorante. Dans un geste iconoclaste mu par une volonté de montrer ce qu’on ne saurait voir, Matthieu Boucherit efface pour mieux réécrire l’histoire, opère par soustraction afin de se loger dans cet écart minimal qui met le réel à nu.

 Il y a d’abord cette série de Peintures d’Histoire, dont l’origine académique offrait au genre un format dé-fiant tous les autres. Grandiloquentes, souvent com-mandées par le clergé ou l’État, elles se présentaient comme un monument d’histoire, une Histoire de vainqueurs inspirés de héros grecs, de personnages religieux ou de scènes de conflits. Aujourd’hui, celle-ci nous est contée au travers d’écrans ou d’une mo-saïque d’images dont l’ordonnance dépendra d’une indexation négociée en amont. Réalisées à l’acrylique sur toiles, sur un châssis de moins de 4 cm, Matthieu Boucherit peint des zones de guerre et de rébellions : Printemps Arabes, Syrie, Irak. L’histoire se fabrique à la taille des vignettes Google, force le regard, oblige le corps à se courber, à prendre part à une actualité qui, médiatisant la souffrance et sublimant le désar-roi, tendrait à nous confondre dans l’indifférence.  

Page de droite Série peintureS D’hiStoire

Acryliques sur toiles 4 x 6 cm, 2013 courtesy of the artist

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Série J’aime - Dessins à l’encre sur medium laqué 6 x 11 cm 24 unités

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Puis vient la série J’AIME. Nos téléphones por-tables sont devenus l’œil et le viseur, la prothèse et l’arme par lesquels nous sommes tous acteurs et dif-fuseurs d’images. Présentées sur un plan d’égalité, des images d’actualités, publicitaires ou de guerre sont alignées aux côtés d’images plus personnelles, de paysages ou de selfies, de moments de fun ou de distractions entres amis. Minutieusement réali-sés à l’encre sur des Iphones manufacturés, faisant office de cadres, Matthieu traite ces sujets comme autant d’archives contemporaines. Travaillant point par point, en retirant l’excès d’encre à l’aide d’une estompe, le dessin semble mimer le traitement de l’information, comme noyé dans un bruit confus. De cette même implication dans le travail de repré-sentation, les sujets deviennent presque similaires, indissociables, prétextant un même impact, comme faisant partie d’un même genre, d’une même His-toire. La charge émotionnelle de certains sujets se perd alors dans une vision globale, celle de ce pay-sage virtuel où défile l’histoire de nos images, et où la notion J’AIME devient une appréciation parado-xalement commune. 

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Page de gaucheInstallation google.War16 formats 30 x 21 cm, encre auqarellable et medium sur papier - 15 formats 40 x 30 cm, passe partouts sur carton et canson noir - Papier multipli 200 pages, stylo bille - dessin à la pierre noire, 50 x 70 cm. courtesy Galerie Valerie Delaunay Collection privée Crédit photo : Nathalie Lasgleyzes

L’installation Google.WAR évoque, quant à elle, la corrélation entre les images et la définition du conflit que ces dernières semblent refléter. Si le mot WAR renvoie à la guerre, il désigne aussi le fichier informatique utilisé par Google pour archiver des données (Web application Archive). De cette homo-logie, Matthieu Boucherit travaille l’absurdité d’un geste qui se répète, qui retranscrit de manière quasi tautologique, les archives du web à partir du mot. Reproduites à l’encre, vignettes après vignettes, se-lon le dispositif du célèbre moteur de recherche, les images sont ensuite dissoutes en totalité ou en par-tie, représentant davantage la guerre des images que la guerre en images. Reliquat d’émotion, chacune des peintures se dilue dans un indiscernable, dans une sorte d’éthos contemporain, où seul subsiste le jeu des contrastes et des couleurs, des formes et des profondeurs. Plus de 1600 peintures, correspondant aux 16 pages de recherche, ont ainsi été réalisées. Progressivement se perçoit une définition « imagée » de la guerre : les tons de gris évoquant les Grandes Guerres, des premières pages, se mêlent aux couleurs chamarrées d’Internet. Peu à peu, la guerre se fait films d’action ou jeux vidéo, spectacle ou fantasme d’une société où le bien et le mal diluent leur sujet en autant d’objets de consommation. 

Choisissant de baser sa réflexion sur la présentation d’une œuvre dans un contexte particulier : celui du salon ou de la foire d’art contemporain, Boucherit propose avec ses séries Les blessures et Plages, présen-tées lors du salon Ddessin à Paris, une lecture cri-tique à plusieurs niveaux. Parce que le lieu de mons-tration devient le cadre et la matière à une sorte de tourisme culturel, la proposition formelle présente d’elle-même ses enjeux commerciaux.

Ici, le dessin semble apaisé, pareil à une mer calme, dont Boucherit parvint à rendre le modelé avec dé-licatesse. Scintillement des multiples points de lu-mière sur l’eau, mousses et écumes, mouvement des vagues, brume des nuages. L’image est belle, douce, apaisante. Pourtant quelque chose résiste, une sorte de punctum ou de bug ; une opacité de surface qui soudain stoppe le flux, capte le regard et ouvre sur un hors champ dont on devine le drame qu’il tente de cacher. Grossièrement gommé à l’image de l’outil tampon de la barre d’outils du célèbre logiciel de re-touche Photoshop, Matthieu enlève le sujet, afin de mieux le révéler. Inversant les pratiques de retouche des images de  propagande, il soustrait le contenu comme pour mieux en affirmer le déni.

Si le flux d’information transforme les images en cli-chés, et si ces derniers démobilisent plus qu’ils ne mobilisent, les actualités tendraient à provoquer une sorte de « blessure » dont on se protégerait par apa-thie et indifférence. Face à l’immensité des drames et la surabondance d’information, les individus cherchent naturellement la fuite, dans le divertisse-ment, la consommation ou le repli sur soi.  Présentés sous la forme d’un coffret d’images décoratives ou d’ambiance, semblable à ceux que l’on retrouve sur les étals des grandes enseignes de décoration inté-rieure, les dessins de mer offrent une vision contem-plative de l’actualité. Cadre en bois. Mais à la lisière du cadre se découvre un détail, un bout de main, un indice dont la partie évoque le tout. Cette installa-tion en Display confronte le spectateur à une œuvre

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Installation google.War16 formats 30 x 21 cm, encre aquarellable et medium sur papier

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Série leS bleSSureS - Dessins au graphite et fusain sur papier, passe partout - 30 x 40 cm - 6 unités - 2016

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prête à consommer et le renvoie à son rôle de client, mais aussi de citoyen du monde. Quand les médias traitent les images d’Aylan ou de migrants comme des catalyseurs de prises de conscience, lorsque celles-ci circulent et se retrouvent instrumentali-sées, elles se transmutent en clichés et perdent leur dimension politique. Marines contemporaines, Les blessures posent un voile sur ce qui à force d’être vu n’est plus perçu.  L’idée que nous serions submergés par un flot d’images –  et d’images d’horreur en particulier  – nous insensibilisant et banalisant le mal repose sur cette opinion partagée selon laquelle le nombre et la profusion seraient responsables d’une anesthésie collective. Comme si le regard fasciné par le spec-tacle médiatique ne pouvait plus voir, comme si l’in-tolérable dans l’image ne pouvait plus faire l’objet d’une critique, tant son exposition serait caution à son redoublement et à la duplicité des systèmes qu’ils dénoncent. Au point que désormais, il paraît impossible de conférer à une quelconque image le pouvoir de dénoncer, de lutter, sans que la critique du spectacle ne devienne le spectacle de la critique.Bien sûr, tout cela affecte le politique, notre capacité d’action et de réflexion. Or voir c’est déjà percevoir, interpréter, s’émouvoir, lier ce qui s’offre à la vue à la multitude des images souvenirs. Car toute image est un jeu complexe de relations entre le visible et l’invi-sible. Elle n’est pas la simple représentation d’une chose qui la doublerait, mais porte toujours déjà en elle un germe qui prendra place dans une chaine d’images qui l’altèrera à son tour, se développera ou bifurquera. Aussi, faut-il remettre en question la cri-tique du flux d’image dans le contexte de leur diffu-sion. « Les médias ne nous noient aucunement sous le torrent des images de massacres, déplacements massifs de populations et autres horreurs qui font le présent de notre planète », soutient Jacques Ran-cière. Bien au contraire, les médias sont des cura-teurs de contenu, qui trient, sélectionnent, réduisent le nombre de clichés pour ne choisir que celui qui

saura capter l’attention, frapper l’imaginaire. « Nous ne voyons pas trop de corps souffrants sur l’écran », poursuit Rancière. Mais nous voyons trop de corps sans nom, sans histoire, incapables de nous renvoyer un regard.

Dans la plupart de ses travaux, Matthieu Boucherit tente de créer une tension entre une réalité crue et nos comportements face à celle-ci. Il soulève, dans un vocabulaire plastique varié, les paradoxes d’une société morale en conflit avec elle-même et les vices de certains systèmes qui tendent à nous distancer de la réalité. Évoquant frontalement la dimension lu-crative de l’œuvre, il tente plus habilement de décor-réler l’aspect commercial de celui artistique, afin de s’insérer dans cet écart qui seul permet d’interrompre la répétition et la réification du sujet en objet. 

LAWRENCE ABU HAMDANL’AUTRE STÉTHOSCOPE

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Encore peu montré en France, si ce n’est récemment à la galerie Mor Charpen-tier à Paris et au Grand Café de Saint-Nazaire, le travail de Lawrence Abu Hamdan repose sur une réévaluation

du son et de l’écoute au sein de notre modernité, en en soulignant les répercussions politiques et culturelles. En effet, si les images et les représenta-tions propres à notre civilisation n’ont cessé de faire l’objet d’études visant à en marquer le pouvoir de persuasion et l’incidence idéologique ou structu-relle, on oublie parfois l’importance des échanges auditifs, acoustiques ou verbaux, dans leur capacité à infléchir les rapports interhumains et à s’épancher pareillement du côté du contrôle et de la discipline. Il semble effectivement que les sciences et la moder-nité aient accordé à la vision une sorte de privilège, alors que de façon similaire, le tournant technique du XIXe siècle a aussi permis au son et à l’écoute d’être reconfigurés, reproduits et industrialisés1, de façon à transformer nos pratiques quotidiennes aussi bien que notre rapport au monde.

C’est dans cette optique que le travail d’Abu Hamdan s’inscrit. S’appuyant sur un large panel de dispositifs d’installation, optant parfois pour la performance ou la prise de parole, l’artiste né en Jordanie développe une œuvre polymorphe qui de prime abord explore la dimension auditive de nos environnements. Le

projet Marches, entamé en 2005, possède en cela une portée propédeutique  : dix marcheurs assortis de souliers résolument sonores arpentent des espaces urbains choisis selon deux critères, l’importance de leur réverbération et le rayonnement architectural des divers sites. Chorégraphié et minutieusement renseigné en amont, le cheminement qui en résulte, se glissant entre édifices recouverts de dômes, struc-tures cloisonnées de verre ou autres places publiques, se lit préalablement comme une façon de réacti-ver un rapport à l’urbain qui ne s’opère plus sur le mode de la vision, mais sur le mode de l’audition. Les restitutions cartographiques, formulées à l’issue des performances, insistent par ailleurs sur la pers-pective historique et culturelle de toute audition, rappelant au passage que l’invention des appareils d’enregistrement sonores date du XIXe siècle et, en conséquence, qu’aucun son datant d’une période antérieure ne nous est parvenu. Ces édifices char-gés d’histoire et ancrés dans le passé résonnent ainsi avec l’acoustique saccadée des bottines, mais ce qui frappe le plus, en définitive, est l’évidente impres-sion d’entendre le rythme uniforme des marches militaires.

Double page précédente ConfliCteD phonemeS, timeline : Vinyl wall print, 267 x 205 cm, inDiviDual voiCe-mapS : A4 black and white & Take away

copies printed on embrassed paper on a shelf, Edition of 5 + 2AP, Installation views, Tate Modern, London, England, 2013

courtesy de l’artiste et galerie Mor Charpentier

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La dimension politique des processus de diffusion sonore est effectivement centrale chez Abu Hamdan. Elle est sollicitée de façon de plus en plus frontale à mesure que l’on progresse dans l’œuvre de l’artiste, en abordant des thématiques souvent sensibles au regard de l’actualité : citons dans le cadre de la série de performances Mountain Language entamée en 2005, l’évocation de la pièce éponyme écrite par Ha-rold Pinter qui alors pointait la régulation du droit à la parole à l’époque de Margaret Thatcher, ainsi que l’interdiction de la langue kurde en Turquie. Dans ce projet, des affiches précisent un numéro de télé-phone donnant sur une boîte vocale, celle-ci permet à l’artiste de sélectionner puis de recruter les futurs participants invités à jouer la pièce, ils sont uni-quement choisis selon des critères vocaux. Citons également avec The Whole Truth (2012) l’analyse documentaire de l’utilisation par diverses institu-tions gouvernementales de détecteurs mensonges,

lesquels s’apparentent désormais à des stéthoscopes qui, plutôt que de diagnostiquer des maux internes, tranchent le vrai du faux sur la base de données bio-métriques. On perçoit dans ce projet l’articulation entre technique de médiation, expression de la ratio-nalité, et travail sur le corps, allusionnant de façon symbolique le monde médical pour ce qu’il a parfois d’idéologique – ainsi que le mit en évidence Fou-cault – mais surtout, cristallisant ce passage carac-téristique de l’âge moderne où des instruments de médiation reconstruisent le corps humain en tant qu’objet de savoir et de projection, alors que l’écoute y joue un rôle prépondérant.

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On visualise sans aucun doute l’importance que revêt l’aspect juridique dans ce dernier travail, il est au cœur de nombreux projets ultérieurs comme l’installation filmique Model Court (2013), laquelle évoque le procès au Rwanda d’un criminel de guerre convaincu de génocide, mais qui reste détenu en Finlande. Les auditions se déroulant au moyen de Skype, sont finalement interrogées les relations entre légalité et territoire politique, entre technique et lé-gislation, mais aussi l’analyse du discours par le tru-chement d’une technique audiovisuelle. En cela, en s’attaquant à la notion de langage, c’est sans doute avec l’ambitieux Conflicted Phonemes (2012) que sont questionnées avec le plus d’acuité les relations qu’entretiennent les juridictions internationales, les techniques d’écoute et l’irréductibilité du corps et de l’individu. Lawrence Abu Hamdan s’intéresse à des demandeurs d’asile somaliens dont on analyse la langue, les intonations et les accents, au moyen d’enregistrements et d’évaluations auditives. Cer-tains d’entre eux ne voient pas leur requête abou-tir auprès des instances occidentales, car l’examen «  stéthoscopique  » ne permet pas de conclure sur la véracité de leur appartenance ethnique ainsi que sur leur origine géographique. Or, ce que le dispo-sitif d’analyse ignore est la plasticité du langage, elle qui évolue au fil des générations, en particulier dans cette partie du monde sujette depuis une cinquan-

taine d’années à des mouvements migratoires qui brassent continuellement les communautés, donc les dialectes et les identités. En outre, ainsi que le montre Abu Hamdan, ces mouvements migratoires et la complexification progressive du langage sont la conséquence directe d’événements historiques ma-jeurs – conflits armés avec l’Éthiopie, programmes éducatifs forcés, guerres civiles et famines – c’est-à-dire un ensemble d’événements qui le plus souvent résultent de dissonances politiques. La représenta-tion en forme d’organigramme que présente à cette occasion Abu Hamdan permet de visualiser l’abso-lue densité des interactions intercommunautaires, de telle sorte que tout projet d’analyse sur la base d’algorithmes ou de spéculations expertes soit d’em-blée voué à l’échec, en ce qu’elle ignore la polyvocité de chaque être.

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Le travail de Lawrence Abu Hamdan interroge ainsi les intervalles qui dissocient les individus contem-porains de leur environnement technique et cultu-rel. L’une de ses originalités est de s’appuyer dans un cadre plastique sur l’articulation entre techniques d’écoute et dispositifs juridiques et administratifs. À cet égard, alors que l’on a parfois assimilé les appa-reils de pouvoir à une sorte de voile abstrait appo-sé sur le monde, de façon à ce qu’il régule et nor-malise les corps et les individus, ne serait-ce parce qu’ils s’emploient à les déterminer selon des schèmes binaires – le vrai et le faux, le légal et l’illégal, etc. – et indépendamment du débat qui oppose techno-philes et technophobes, il n’est pas inutile de se rap-peler, comme le fait l’artiste, que ce maillage tech-nique reste éminemment soutenu par un arsenal de conventions juridiques et autres textes de loi. Para-doxalement, si les dispositifs d’écoute confortent la mainmise institutionnelle, il semble que ce soit éga-lement au moyen de la parole et de la langue qu’est rendu possible un « braconnage » au sens de Michel de Certeau, c’est-à-dire une réappropriation active des espaces sociaux au moyen de stratégies qui sau-ront passer entre les mailles du filet.

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RIDEAU DE FER ET MINE

DE PLOMB

C H A R L I N E G U I B E RT

Salon tenant, Paris vient de passer à la loupe la créa-tion graphique contemporaine. Pour sa dixième édi-tion, Drawing Now a réuni au Carreau du Temple 74 galeries de 16 nationalités différentes et plus de 150 artistes. Bien que mono-médium, ce salon n’en était pas moins monotone, tant nos pupilles vibraient devant une grande diversité de formats, de motifs, d’expressivités, de contrastes noir/gris/blanc et quelquefois de nuances de couleurs.

Même si le papier blanc demeure le médium de prédilection de bon nombre de dessinateurs, cer-taines œuvres ont pu surprendre par leurs supports: Antoine Dorotte le zinc, Daniel Otero l’inox, Sara

Landetta les boîtes de médicaments, Joao Vilhena le carton gris, Eric Benetto les radios médicales, Clé-ment Bagot le papier noir, Lenny Rebéré le verre, Jan Kopp des cartons d’emballage, Chourouk Hriech le mur, Nemanja Nikolic des pages de livres dessi-nées, Lamarche & Ovize la céramique... etc. L’issue de cette visite permet donc d’affirmer que le dessin demeure pluriel et équivoque.

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Le lauréat du Prix Drawing Now 2016 a reçu une bourse et bénéficiera d’une exposition personnelle lors de la prochaine édition. Cette année, le prix fut décerné à Jochen Gerner, représenté par la Galerie Anne Barrault depuis près de 10 ans. Il récompense

un parcours atypique, un univers singulier et une œuvre aussi poétique que drôle.

JOCHEN GERNER, LAURÉAT DU PRIX DRAWING NOW 2016

l’amour enCore - Joao Vilhena - pierre noire sur carton gris - 202 x 141 cmcourtesy Galerie Alberta Pane

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Né en 1970, Jochen Gerner dessine depuis 20 ans pour la presse (Libération, le Monde, Les Inrockup-tibles, Télérama, The New York Times...) et pour des maisons d’éditions. Il expérimente régulièrement de nouveaux procédés de détournements, des possi-bilités de lecture et de relecture du support imprimé. Il y a 14 ans, la publication de TNT en Amérique a marqué les esprits, l’artiste recouvrait de noir cer-taines zones des pages du mythique album Tintin en Amérique pour ne laisser apparaître que certaines formes colorées, des pictogrammes ou quelques mots.

Les planches d’Hergé devenaient alors des constel-lations et d’obscurs rébus, révélant une certaine vio-lence et de nombreux mystères par un procédé de décontextualisation. Cet album sort en 2002, bien que l’artiste ait commencé ce travail en 2001, avant la tragédie du 11 septembre, qui conféra un autre éclairage à l’ouvrage. Au sujet de cette œuvre, l’ar-tiste évoque alors «  une sorte de ville tentaculaire observée la nuit depuis le ciel ou un promontoire (une scène récurrente du cinéma américain). Le noir comme une référence à la censure, à la nuit, l’obscu-rité (le mal), le mystère des choses non entièrement dévoilées.».

tnt en amérique, planChe 53 - Jochen Gerner - encre noir sur support imprimé (Tintin en Amérique, Hergé, 1946) - 2002

courtesy galerie anne barrault

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série «Ornithologie» - Jochen Gerner - encre de chine sur support imprimé - 17,7 x 13,8 cm - 2015courtesy galerie anne barrault

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Ensuite Jochen Gerner poursuit à travers d’autres créations cette entreprise graphique, il mazoute, caviarde, chloroforme et recadre à l’extrême d’autres supports  : Des cartes postales, des cartes géogra-phiques, des manuels scolaires, des catalogues IKEA, etc. Il démarre en parallèle deux autres séries: Bran-chage, des carnets d’illustrations de ses conversations téléphoniques et Grande vitesse, des carnets de des-sins réalisés dans le train. Ces deux séries procèdent d’une écriture automatique et frénétique où Jochen Gerner concentre et fusionne dans la première, son oreille et sa main et dans la seconde, son œil et sa main. La série Grande vitesse propose une multi-tude de signes et de formes griffonnés et alignées, selon une trame dictée par le simple déplacement du train dans l’environnement traversé et les frag-ments aperçus depuis la fenêtre du TGV.

En 2015, il commence une nouvelle série Orni-thologie, des pages de carnets lignés, sur lesquels il croque à l’encre de chine des oiseaux et diverses formes géométriques observés depuis la fenêtre de son atelier. Il saisit une nuée d’oiseaux tantôt en train de picorer, se poser, se reposer, voler ou pava-ner. Les éléments de l’environnement sont représen-tés par des formes élémentaires schématisées noires, blanches ou strillées. Jochen Gerner nous perd entre

des cryptogrammes d’un zoologue, des cartographies mystérieuses, des espaces génériques ou encore des partitions musicales. Il est difficile de ne pas penser à celles laissés par Pierre Boulez ou encore celles de la Monte Young, considérées aujourd’hui par les musées, les collectionneurs et les amateurs comme des dessins, des œuvres à part entière, tant elles sont foisonnantes et graphiques.

Les dessins de Jochen Gerner supportent le pas-sage de l’album imprimé en série à l’œuvre unique et originale, tant il offre une forte signature et des processus conceptuels qui font de lui un véritable artiste. Chaque page peut se suffire et s’extraire de l’ensemble, on a le choix entre une lecture intégrale ou une lecture elliptique. Au fil de son œuvre, le regardeur peut convoquer tour à tour les maîtres américains conceptuels de l’abstraction géométrique (Stella, Kelly, Albers, le Witt, Rheinhardt), Henri Michaux, Alighiero Boetti, HokusaÏ... L’œuvre de Jochen Gerner s’incrit dans une lignée de l’histoire de l’art et se révèle autant graphique que sonore.

Dans Lettres à Théo, Vincent Van Gogh pose une question cruciale: « Qu’est ce que dessiner ? Com-ment y arrive-t-on ? ». Drawing Now est une plate-forme grâce à laquelle on peut tenter de chercher des réponses. Mais celle que Van Gogh apporte, semble guider inconsciemment bon nombre des artistes sélectionnés, selon lui, dessiner pourrait résider dans « l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on

sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, car il ne sert a rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience à mon sens. »

DESSINER, C’EST PASSER À TRAVERS « LE MUR DE FER INVISIBLE »

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l’aStuCe - Fabien Granet - fusain et poudre de graphite sur papier - 40x50,5 cm - 2016Courtesy Un-spaced

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Certains artistes de cette édition tentent de trans-former le rideau de fer en fenêtre, d’abattre le qua-trième mur pour mieux fantasmer, projeter, révéler, éclater et tracer des environnements à l’architecture flottante et aux perspectives synthétiques. Le des-sin est Cosa Mentale, en effet aucun des artistes en question ne fait usage de barre à mines, de scie ou de massette, leur démarche reste sans poussière, sans éclats ou débris ; ils isolent et décontextualisent un ou plusieurs détails mentaux d’un environnement, pour ne garder que quelques squelettes ou volumes élémentaires d’un espace. Ils font fi des normes des matériaux, des règles de gravité et des conventions liées aux usages et à la circulation. A Drawing Now, Levi Van Veluw, Mathieu Dufois, Nathalie Van Duivenvoorden, Thomas Léon, Marianne Lang, Robbie Cornelissen ou encore Claire Trotignon composaient cette «  famille  » de démolisseurs de rideau de fer, pour ne citer qu’eux et s’attarder sur trois autres artistes plus en détails.

Dans sa dernière série de dessins au fusain et à la poudre graphite, Fabien Granet nous mettait face à des espaces éclatés, des volumes architecturaux dé-ployés et neutralisés dans des échelles et des ombres portées tronquées. Ces modules semblent être pra-ticables, pourtant aucune figure humaine et aucun indice sur l’environnement précis ne sont décelables, comme si un monde sculptural se construisait en toute autonomie et sans fonction énoncée. Hors de ces architectures, point de hors-champs  ! On est donc libre de situer ses mondes flottants dans les sphères célestes, dans un quelconque désert, un monde mystérieusement abandonné, ou encore un studio de maquettiste, etc.

Reflet de Daniel Otero (représenté par la Galerie Marine Veilleux) rassemble trois registres. Au fond, une paisible maison moderne (un peu à la Mallet-Stevens) au milieu d’un jardin arboré, cette maison flotte sur la feuille bordée de blanc. Ce blanc est occupé en partie, au premier plan par un cavalier chevauchant sa monture dont la partie inférieure du corps est coupée nette, trois cercles noirs sur-

montent son corps. Sur le côté, une petite maison en chantier semble avoir été abandonnée. A bien y regarder, ces trois registres sont issus de la même main et d’un même traitement graphique, mais dif-ficile de les relier et les situer. Le positionnement des éléments et les zones lacunaires laissés sur la feuille ne permettent pas de statuer sur la situation et sa narration. A travers ses œuvres, Daniel Otero sème des bugs minimes, comme pour éviter de naturaliser toutes images et situations projetées.

Dans sa série Décubitis, Thomas Tudoux (représenté par la Galerie Mélanie Rio) met en perspective des cellules cubiques grisées aux arrêtes blanches, perçus en contre-plongée comme si leur toit ou un mur devenait transparent pour mieux nous laisser voir leurs intérieurs. Ces cubes noirs ne renvoient pas ici à la kaaba, à une météorite tombée du ciel, ni même même à une pierre noire passée au microscope. Le lit disposé à l’intérieur nous oriente plutôt vers une prison ou une chambre-témoin. Parfois les draps et la couette sont froissés, une silhouette endormie, des barreaux de lit apparaissent au fil de la série. Ces éléments dessinés à la ligne claire sont comme des hallucinations ou des fantômes. Malgré des indices minimaux, on spécule sur un laboratoire d’observa-tion ou une chambre d’hôpital, d’autant plus que Décubitis désigne l’ensemble des problèmes phy-siques liés à un alitement prolongé. Thomas Tudoux a, en effet pour ces dessins, étudié les complexes de décubitus et les représentations contradictoires et généralement inconscientes, qui conditionnent nos comportements vis-à-vis du sommeil.

Ces dessins d’espaces bâtis mis à nu ou éclatés pro-posent une percée qui nous aimante, nous exclut, tout à la fois et nous aspire vers une dimension aux contours insaisissables, aussi fascinante qu’inquié-tante. Ces artistes manipulent l’architecture comme matière sculpturale et ils nous émancipent des normes de spatialisation en nous plongeant dans des architectures fictions.

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LA FEUILLE D’OMBRE

J U L I E C A I L L E R

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La galerie Fatiha Selam présente jusqu’au 30 avril, l’exposition, Le roman d’une feuille blanche, Chapitre II. La feuille d’ombre de l’artiste allemand Jörg Ges-sner, une série de tableaux uniquement

composés de papier, de feuilles de papier placées sur un support de bois.

La matière, seule la matière compte, celle du papier nu, celle de cet entrelacs de fibres végétales, celle du washi dont le sens désigne le support, la prove-nance et tout un monde en soi : « papier japonais ». Cette matière, aux multiples possibles, a une texture souple et dense à la fois, avec ses résistances, ses fra-gilités, ses diversités, son histoire. Métamorphose d’une écorce déconstruite et façonnée de nouveau, dans une élaboration aussi minutieuse que patiente.

Le washi redevient alors surface, renvoyant au vivant originel, à une nostalgie du végétal dont la consis-tance se livre, se déploie, laissant perdurer sa nature organique, révélant son essence épidermique. Cette dimension sensorielle de la matière est ressentie par l’artiste qui évoque la métamorphose de la feuille de papier qui, au contact de la peau, se confond, s’in-carne véritablement, en devenant elle-même peau.

C’est une, ce sont deux, trois feuilles, dix peut-être, vingt ou encore quarante, jusqu’à une centaine par-fois, qui composent les tableaux de Jörg Gessner, apposées les unes contre les autres sur un écran noir, un panneau de bois. Nul élément ne vient interférer, ni colle, ni autre artefact, la matière souveraine, la fibre matricielle, engendre le tableau.

« … révélant un univers ambigu où l'ombre et la lumière se confondent »

Junichirô Tanizaki

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Et puis, il y a la lumière. Immatérielle. Elle vient embrasser cette surface et cette matière, s’accrocher à chaque relief de chaque fibre, faisant vibrer dans toute sa profondeur jusqu’à sa surface, le corps de l’œuvre. Mais le papier, de part une qualité qui lui est propre, ne la reflète pas, il prend cette lumière pour lui, la capture, la retient, l’absorbe. Elle est prise dans sa trame fibreuse, dans l’épaisseur pourtant si ténue des feuilles superposées. Diffuse et délicate, elle ne nous apparaît que selon un jeu subtil des opacités de l’ombre, celle produite par le support, cet écran noir. La lumière naît de ces nuances de l’ombre et le tableau naît de l’ombre, comme une évocation de la fable plinienne, celle de la fille d’un potier qui, pour prévenir l’absence de l’être aimé, décide de tracer les contours de son ombre.

Dans une allégorie de la genèse de la peinture, la forme émane de l’ombre originelle. Apparaît alors, dans les tableaux de Jörg Gessner, une géométrie dis-crète et sensible. Les différentes strates de feuilles, disposées selon un ordre précis et rigoureux, laissent entrevoir une architecture élégante d’ombre et de papiers, faite de lignes régulières, parallèles et/ou or-thogonales, mais dont la surface nue et égale, toute de transparence, ne trahit aucune aspérité ou relief. Et c’est sur les murs clairs de la galerie que se dévoile cette géométrie suspendue, flottante. Elle se dessine, fragile et éphémère, dans la pénombre de la toile, dans ce camaïeu d’ombres. Mouvant au gré des heures et de la lumière du jour, cette géométrie fugi-tive se révèle ou s’évanouit et un simple pas de côté peut renverser la contemplation. Ce changement de point de vue, un déplacement, cette géométrie laisse place alors à un monochrome de lumière, éblouis-sant.

Par ces visions en suspens, qu’elles soient géomé-triques ou monochromiques, Jörg Gessner semble mettre en lumière une poétique de l’impermanence, conjurant la pérennité propre au papier qu’il utilise. Comme invoquant le concept du Mono no Aware. pensée et esthétique japonaise, celle d’une sensibi-lité de l’éphémère, teintée de mélancolie, Jörg Ges-

sner nous emporte dans cette beauté singulière du monde. Les tableaux de l’artiste sont emprunts de cette poésie japonaise dont le papier, le washi, en est la trame physique et spirituelle.

Nous sommes au mois d’avril et les cerisiers sont en fleurs. Leurs pétales innombrables commencent à s’envoler et, de l’autre côté du monde, on contemple la beauté éphémère de ce paysage virevoltant.

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PAU L I N E L I S OW S K I

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Au premier regard, les dessins de Da-vid Porchy apparaissent comme des énigmes. Ils suggèrent des souvenirs, des histoires entremêlés, où l’espace et le temps sont fragmentés et recom-

posés. Les contempler c’est s’égarer dans un univers entre rêve et réalité.

David Porchy conçoit sa pratique artistique comme un travail expérimental. Le collage répond d’abord à sa quête de rendre visible le mécanisme des rêves. À partir de sa collection d’images de diverses sources, de façon instinctive, il en choisit une, puis une autre. Entre chacune, il découvre des liens qui se créent, progressivement. Dès le moment où la com-position le perturbe, il arrête son jeu d’assemblage et passe au dessin. Cette technique permet de créer des transitions douces entre les images. Chaque dessin est pour lui une nouvelle expérience pour inventer des ambiances, parfois étranges. Par ce procédé entre le collage et le dessin, il construit des images mou-vantes, entre stabilité et instabilité, discontinuité et continuité. Dans ses dessins, les limites se dérobent par endroit et des ruptures se créent à d’autres. Ce qui engendre une sorte de vibration, de mouvement.

Chaque série est pour lui l’occasion d’explorer de nouvelles techniques et possibilités de combinai-son d’images. À partir de ces fragments, il travaille comme un metteur en scène et invente une atmos-phère. Ses dessins présentent des intérieurs mys-térieux où parfois objets, motifs végétaux et dra-pés s’entremêlent. Un espace ouvre vers un autre, puis des ruptures, des fermetures, des ouvertures et une nouvelle percée. Ces jeux de cadres créent un lieu composite, où de nombreuses cheminements naissent entre intérieur et extérieur. Ces circulations offrent ainsi une multitude de parcours possibles. Les points de repères de l’espace disparaissent au profit d’une promenade labyrinthique. Le regard du spectateur est ainsi incité à être dans un mouvement constant : il est pris entre la liberté de se déplacer

dans le dessin, de pénétrer toujours plus loin et la perception de coupures et d’arrêts.

S’il laisse visible la technique du collage, David Porchy privilégie une certaine délicatesse dans son dessin à partir d’une gamme de gris très étendue. Déposée par endroit, la couleur ajoute une certaine douceur, un éclat de lumière au dessin. Elle crée aus-si du lien entre les images.

Au fur et à mesure du temps passé à contempler chaque dessin, le spectateur découvre ce qui les unit entre eux. Il reconnaît un fragment dans un, le rencontre ensuite dans un autre. Puis, se révèle leur territoire commun. Ainsi, se manifeste une multi-tude d’associations de dessins et la création de récits. Chaque projet d’exposition donne naissance à de nouvelles relations.

« In process », l’œuvre de David Porchy est de l’ordre d’un jeu de combinaisons, qui se déploie à l’infini.

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FLASHBACKLH/CM/NB/+++/ À L’ENSBA

LE 25 JUIN 2014

VA N E S S A M O R I S S E T

A part La Mort de Marat, tableau mysté-rieux et presque romantique, je déteste David. L’Académie, le Prix de Rome, Le Sacre de Napoléon, voilà qui me fait fuir. Par conséquent, quand la per-

formance de Louise Hervé et Cloé Maillet —que, pour des raisons pratiques nous appellerons LH et CM — a commencé par un commentaire, même au second degré, d’un tableau de David, en célébrant la figure tutélaire de ce lieu chargé d’histoire etc… , j’ai relu l’intitulé de ce que j’étais venue voir avec inquiétude, « Agamemnon le peintre était fort labo-rieux » un essai de reconstitution historique en trois parties. « Agamemnon », « laborieux », « trois par-ties », ces mots sonnent comme quelque chose qui va être long. Quelques mois auparavant, j’avais vu une autre de leurs performances où il était question d’un fossile provenant d’un lac près de Chambéry et d’une invasion de piranhas je crois, on s’était retrou-vés au troisième sous-sol de leur galerie en s’imagi-nant explorer une grotte au fond de l’eau : spéléo et

horreur réunies, c’était un film sans film très réussi. Et puis ici même, au sein de la même program-mation, j’avais assisté la semaine précédente à une conférence-performance d’Arnaud Labelle-Rojoux, où il avait évoqué et su déjouer, par un triple jeu de mots dont il a le secret, le poids historique qui nécessairement s’abat sur nous dans ce lieu, la Gale-rie d’exposition du nouvellement renommé Palais des beaux-Arts. Intitulée Etant damné, son inter-vention renvoyait bien sûr à l’énigmatique Etant donné de Duchamp, en le croisant avec la figure de Phil Spector, alter ego diabolique de l’artiste et puis, enfin, last but not least, il faisait aussi allusion à ses propres souvenirs d’étudiant avec l’homophonie « et tant d’années… ont passé »  ! Des blagues typiques de « l’ésotérisme troupier » de son auteur pour abor-der le contexte des beaux-arts, c’était vivifiant, mais David…

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Heureusement, je rencontre un ami — que, pour entretenir la confusion, nous appellerons NB. Afin d’entamer la conversation tout en lui faisant com-prendre mes réticentes a priori, je lui demande : « Tu crois que ça va durer longtemps ? — Elles m’ont dit au moins 1h, 1h30 ». Soit, le temps d’une vraie visite guidée. Car c’est bien de la cela qu’il s’agissait, une fausse-vraie visite guidée des lieux, animée par les deux artistes, coif-fées de chignons, avec tailleurs et ballerines, qui s’ex-primaient à la façon des conférencières des Monu-ments historiques. Ainsi, après l’examen du tableau

de David (qu’elles avaient, si j’ai bien compris, fait sortir des réserves des collections de l’institution pour l’accrocher tout spécialement), elles nous ont invités à les suivre, nous permettant de franchir la porte en bois du fond de la galerie, que, pour ma part, je n’avais jamais vue ouverte. « Eh bien, cela me fera mieux connaître les locaux des beaux-arts. — Ah, tu n’es jamais venue là ??? Moi, oui… ».Campés dans l’escalier de pierre qui permet d’accé-der à la Cour Perret et un peu plus loin à la Cour du Mûrier, nous écoutons les commentaires savants,

Performance réalisée dans le cadre du cycle paroleS/formeS - Palais des Beaux-Arts - Juin 2014©Beaux-Arts de Paris, 2014, et Thierry Ollivier

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entrecoupés de digressions qui créent un effet de distanciation, amenant le spectateur à un point de vue critique sur le discours pédagogique en général. On peut aller jusqu’à conclure que, « à travers cette forme critique de la performance langagière, c’est la ritualisation de la parole “savante“ qui se trouve mise en jeu ». Oui, à bien y réfléchir, tout cela est passionnant. Mais, sur le moment, comme souvent lors des visites guidées, NB et moi sommes de moins en moins attentifs. Arrivés dans la Cour du Mûrier, alors que LH et CM s’attaquent à l’historique de la fontaine centrale, nous discutons:«  Ici, ça me rappelle surtout une grosse fête, après mon DNSEP, on avait énormément bu et on a fini à poil dans la fontaine.— On dirait que ça s’est bien calmé depuis cette époque? »— Il faut dire que quand j’y étais, il y avait un bar, dans le Palais des Etudes, la pression était à 1,50€. Il y en a qui était carrément sous perfusion, du matin au soir. Et puis, il y avait aussi un prof qui avait une grande collection de vin, il ouvrait tout le temps des bouteilles de sa cave avec les étudiants.— Tu étais avec lui ?— Non, avec Vilmouth.— Et ton diplôme, c’était aussi une sorte de perfor-mance, ça s’est passé où ? ».Tandis que le groupe se déplace vers le Palais des Etudes, nous y allons aussi, pour d’autres raisons.« C’était ici, en 2001, Un film pour une fois, un film réduit à son tournage. — Je reconnais le carrelage du sol et les murs ocres que j’ai vus dans le film super 8 sur ton site. — Tu peux lire aussi le scénario pour comprendre comment ça s’est déroulé. Le jury, 7 personnes, est entré dans cette grande salle. Je les ai accueillis et leur ai expliqué le rôle de figurant qu’il leur avait été attribué dans ce qui allait suivre. Une foule de gens est arrivée en distribuant les tracts de générique du début du film. Ils ont traversé la salle, d’une porte à une autre. Leur défilé était accompagné par la mu-sique d’un copain installé dans la salle. Puis la foule

a disparu, deux escrimeurs sont entré et ont com-battu. A un autre moment, un danseur nu est entré sur le plateau accompagné par la musique et s’est mis à crier… Un photographe muni d’un polaroïd a mitraillé toutes les actions durant la durée du film. Un perchman prenait le son de chaque personne qui parlait et un éclairagiste éclairait les différentes scènes. Un script était également présent sur scène, chargé de rappeler le texte aux acteurs qui l’auraient oublié. — Qu’est-ce qu’ils disaient ?— C’était par exemple des discussions au café comme dans La Maman et la Putain d’Eustache, ou Le Diable Probablement de Bresson. Ces films représentent toute une histoire qui s’est passé à Saint Germain des Prés et moi, je rassemblais des frag-ments de ces films dans mon film. Il y avait plein de phrases citées, avec ça tu peux vraiment brouiller les pistes. Je fais des citations volontairement trop courtes pour que l’on puisse remonter à la source. Ce sont avant tout des dialogues de cinéma mais je mélange aussi du roman, de la critique, des paroles d’artistes, etc. J’applique cette phrase que les situa-tionnistes mettaient à la fin de leur revue : “Tous les textes publiés dans Potlatch peuvent être repro-duits, imités, ou partiellement cités sans la moindre indication d’origine“. Mais j’étends la source de mes citations à tout le monde autour de moi. — Tu voulais faire un film situationniste alors ?— Il y avait en tout cas un lien avec la question de la fin du cinéma. Comme pas mal de cinéastes, je revois ce que le cinéma a déjà enregistré, a déjà compris. Je retourne des scènes qui ont déjà été tournées ces cent dix dernières années. Mais à quoi bon y mettre une caméra ? Il y avait aussi l’idée d‘une compilation devient chaotique. Il n’y a plus d’histoire. C’est juste des correspondances. Dans mes tournages, les rap-ports nouveaux, c’est le lien qui existe entre les minis scénarios… là, ça rejoignait l’incohérence propre au tournage : la succession des scènes est définie par un planning organisé selon des critères pratiques, éco-nomiques, logistiques ou météorologiques. Ainsi, il

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n’y a ni ordre chronologique, ni contrainte narra-tive. L’énergie d’une équipe suffit pour transmettre l’illusion du cinéma. — Les caractéristiques de tes films, même actuels, la foule, le chaos, étaient déjà en place.— Oui, je considère vraiment cette performance pour mon diplôme comme mon premier film ». Pendant ce temps, les autres étaient partis, suivant LH et CM dans le grand amphithéâtre celui où, à l’époque de David, avait lieu la remise des prix de Rome. J’ai juste aperçu les deux artistes qui com-mentaient avec des intonations et des gestes exagérés la vaste fresque qui couvre les murs courbes de la salle. Il me semble que sont représentés de grands

artistes de différentes époques. Puis c’était fini et je suis repartie par le grand portail qui donne sur la rue Bonaparte1.

1 Comme je ne me souvenais pas de grand chose, que ce soit à propos de la performance de LH et CM, où de ce que m’avais raconté NB ce jour-là, j’ai trouvé des éléments pour rafraichir ma mémoire et plus encore, ici :http://demeter.revue.univ-lille3.fr/lodel9/index.php?id=514 et ici : http://nicolasboone.net/un-film-pour-une-fois/Je me suis en particulier servi du scénario de ce Film pour une fois et de l’entretien de Nicolas Boone avec Emilie Renard qui, comme il est mentionné à la fin, peut être reproduit, imité, ou partiellement cité sans la moindre indication d’ori-gine (je le mentionne néanmoins).

Performance réalisée dans le cadre du cycle paroleS/formeS - Palais des Beaux-Arts - Juin 2014©Beaux-Arts de Paris, 2014, et Thierry Ollivier

QUESTIONNAIRE

Bernard Chenebault est le Président des Amis du Palais de Tokyo et du Tokyo Art Club.

BERNARD CHENEBAULT

PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO DORFNER

1 - Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ?Mon enfanceB.C.

2 - Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ?Vendeur d’épices et olivesB.C.

3 - Quel cadeau aimeriez-vous recevoir ?

4 - Le meilleur endroit où passer la nuit ?Un bon lit frais

5 - Une chose que vous aimeriez savoir faire ?Jouer du piano

6 - Un disque ? Un livre ? Un film ?O Pagem d’Alfredo Marceneiro / Noces à Tipasa d’Albert Camus / De l’Allemagne de

7 - A quelle époque auriez-vous aimé vivre ?Maintenant

8 - Le plus bel homme, la plus belle femme de la terre ?Alain Delon et Ava Gardner

9 - Que faîtes-vous le dimanche ?J’m’astique le manche

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Mme de Staël

Une toile de Ben NicholsonB.C.

QUESTIONNAIRE

10 - Votre syndrome de Stendhal ?J’en suis immunisé par mon esprit critiqueB.C.

11 -Avec quelle personne morte aimeriez-vous pouvoir dîner ?Napoléon Bonaparte

12 - Quel est votre alcool préféré ?Le Porto blanc

13 - Quelle est la personne que vous détestez le plus ?Erwin Rosenberg

14 - Où aimeriez-vous vivre ?Paris

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15 - Qu’est-ce qui attise votre désir chez l’autre ?Le torse

16 - Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ?Aucun

17 - À combien évalueriez-vous votre corps pour une nuit ?Au corps de l’autre pour la nuit

18 - Un mot, une expression ou un tic de langage ?Yalla!

19 - PSG ou OM ?Je déteste le foot et surtout ce qui l’entoure

20 - Si vous pouviez avoir la réponse à une question, quelle serait la question ?La question 20

23 - Une dernière volonté ?Un dirigeant de haute stature pour la France

22 - Votre menu du condamné ?Une raclette dans les alpages

21 - Quelle serait la musique de votre enterrement ?Un cha cha cha

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Mme de Staël

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PORTFOLIO

BÉRANGÈREHÉNIN

JULIE CRENN

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Tous les chemins mènent vers l’histoire de l’art. Par le dessin, la vidéo, la sculpture, l’installation ou la performance, Bérengère Hénin en explore les méandres

et les icônes pour interroger le contexte de création, le positionnement de l’artiste et les critères de légitimation de son œuvre. Il est complexe pour un jeune artiste de faire fi du passé et de parvenir à créer des nouvelles formes et des nouveaux concepts. Comment se débarrasser des héritages, des mythologies, des mouvements artistiques et des références qui collent aux formes et aux esthétiques ? Le poids du passé peut s’avérer être soit un frein, soit un moteur de création. Bérengère Hénin a choisi son camp en s’attaquant au sujet de ma-nière réjouissante. Elle s’empare de l’histoire de l’art pour opérer à des déplacements et des décalages. En 2010, elle filme Yo MOMA, la

mise en scène d’une battle entre Big Rob et Big A, deux jeunes Américains qui s’affrontent sur le terrain des mots. Ils échangent chacun leur tour des jeux de mots, des blagues et des in-sultes dont les racines proviennent de l’art, du passé comme du présent. Ta mère est tellement grosse qu’on va la voir à la Monumenta. En ce sens, l’histoire de l’art et les mécanismes de l’art contemporain constituent une matière de réflexion. Plus tard, l’artiste parcourt les salles du Musée du Louvre. Ses visites donnent lieu à une série de dessins intitulée Le Louvre de Poche (2011). Réalisés sur son téléphone portable, les dessins constituent une version numérique du traditionnel dessin de copie. Tout jeune artiste se doit de copier les grands maîtres dont les œuvres sont hébergées dans les grands musées. Bérengère Hénin revisite à sa manière une tra-dition inhérente à la formation d’un artiste et à l’idée de transmission.

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Bérengère Hénin incarne pleinement cette exploration de l’art en lui conférant une di-mension à la fois personnelle et fictive. Ainsi en 2007, elle réalise une photographie intitu-lée Mon père ce héros. L’image en noir et blanc est un véritable portrait de famille. Pourtant, le visage du père de l’artiste est remplacé par celui de Pablo Picasso. L’œuvre fait ironique-ment référence à « la grande famille de l’art ». La même année, sur une feuille de papier elle dessine à l’encre de Chine Bérengère, un pré-nom qui résonne comme un autoportrait. L’ar-tiste reprend avec fidélité la typographie de la célèbre signature de Picasso. Au fil des œuvres se dessine une volonté de se mesurer aux monstres sacrés de l’art. En 2012, elle présente Sans titre – Hommage à Hockney, un diptyque où des dessins se font face. À gauche, Picasso et Hockney sont assis face à une table. À droite, Bérengère Hénin, nue et sereine, apparaît de l’autre côté de la table. Elle cite une œuvre d’Hockney, Artist and Model (1973-1974), où l’artiste anglais affronte nu le maître espagnol. Bérengère Hénin pose ainsi la question du po-sitionnement de l’artiste par rapport à une his-toire collective, riche et aliénante. Les œuvres traduisent à la fois une difficulté (une mise à nu permanente), mais aussi une extrême liber-té. Non sans humour, elle pointe également du doigt l’identité machiste de cette histoire collective. C’est dans cette perspective qu’elle reprend Les douze travaux d’Hercule (2009), où elle incarne, une à une, les douze épreuves bravées par le héros antique. L’œuvre vidéo présente l’artiste vêtue d’un bleu de travail qui accomplit vaillamment les différents exploits. Parce qu’elle doit premièrement « tuer le lion de Némée  », elle décide d’éteindre un télévi-seur alors que le lion de la Metro Goldwyn

Meyer rugit sauvagement. Une autre œuvre, discrète et cocasse, lui permet de se mesurer de manière littérale aux artistes majeurs ova-tionnés par l’histoire de l’art. Toise (2012) consiste à marquer d’un trait, sur le coin d’un mur blanc, la taille d’Andy, de Jean-Michel, de César, de Léonard ou de David. Le protocole, absurde et désopilant, constitue un nouveau critère d’évaluation. Bérengère Hénin remet clairement en cause les notions de génie, de héros ou de maître. Les œuvres invitent à une désacralisation des œuvres et des artistes. L’iro-nie, l’idiotie et l’absurdité inscrites dans sa ré-flexion et ses formes, soulignent les manques, les oublis et les écarts qui constituent l’histoire de l’art. Les œuvres participent ainsi à une réé-criture d’une histoire inutilement autoritaire et sclérosante.

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CalenDrier vanité - collection des dates de péremption de l’année 2007 - dimensions variables2007

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le granD teSt - site internet - 2014

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le granD teSt - site internet - 2014

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le granD teSt - site internet - 2014

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le granD teSt - site internet - 2014

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le louvre De poChe / la vierge et l’enfant, JaCopo Della querCia - série de dessins sur téléphone portable, disponibles sur abonnement dimensions variables - 2011

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mon père, Ce héroS - tirage numérique contre-collé sur aluminium 19,5 x 29,5 cm - 2007

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vanité feStive - cotillons, chapeau de fête et confettis dimensions variables - 2013

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vanité - life iS Short, play rugby - ballons de rugby, fil de coton et fil de fer 18 x 23 x 24 cm - 2007

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DeSSinS extraorDinaireS ( série ) - la DifférenCe entre giotto et moi - encre de Chine et crayon sur papier - 21 x 29,7 cm - 2008

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la pomme De piCaSSo - Crayon Sur papier - 21 x 29,7 Cm - 2008

DeSSinS extraorDinaireS ( série ) - la pomme De piCaSSo - crayon sur papier - 21 x 29,7 cm - 2008

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Double page précédente leS Douze travaux D’herCule

vidéo mini DV, couleur 7 min 072009

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SanS titre - performance - 2010

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yo moma - vidéo HD, couleur 3 min 45 - 2010

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yo moma - vidéo HD, couleur 3 min 45 - 2010

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G É R A R D L OV E

MARK ‘GATOR’ ROGOWSKI : SKATE OR DIE.

MUSIQUE

Pour faire court : il y a eu Elvis, et puis il y eu le skate. A part, peut-être, l’émeute de Milwaukee en 1980 lors d’un concert de Black Sabbath, l’arrivée de la ska-teboarding culture est l’événement le

plus important de la contre-culture jeune du XXe siècle. Avec elle ses héros, les légendaires Z-boys de Venice, Los Angeles: Stacey Peralta, Jay Adams ou Tony Alva, puis plus tard le jeune Tony Hawk. Puis il y a le cas épineux de Mark Rogowski. Une des véritables premières rock star du skate, la version black métal de Tony Hawk. On parle là de l’âge d’or du skate, quand on appelait cela du skate-rampe ou encore «vert» (expression dérivée du mot «vertical» pour qualifier la pratique de la rampe). C’était une

époque où la mode était au motif damier fluo, au logo Batman ainsi qu’au bandeau anti-transpirant en éponge. Pourtant, ne vous fiez pas à leur look old school: avec leurs casques et leurs genouillères, ces mecs étaient les punks les plus purs, de véritables outlaws pour l’époque. Jambières fluo, acrobaties sur de gros skates en bois lourd, hollyflip au-dessus du half-pipe. La mode du skate de rampe se passe dans les 80’s, y régnera en roi, puis se fera détrôner par le skate tel que l’on le connait de nos jours : le skate de rue.

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Dans les années 80, Mark ‘Gator’ Rogowski était une des premières rock star du skateboard. Jusqu’au jour où il est arrêté pour avoir commis un meurtre sordide…Retour sur l’histoire du Sid Vicious de la culture skate.

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Qui était ‘Gator Rogowski? Né à Brooklyn mais élevé à Escondido en Californie, le jeune Mark se prend d’amour pour la planche à roulette à l’âge de 9 ans. Comme beaucoup de kids des suburbs, Il est un peu paumé, un peu sniffeur de glue et est élevé par sa mère hippie divorcée et le groupe Black Flag. Ro-gowski trouve dans le skateboard sa passion ultime. A 12 ans, on le voit trainer sur le skate park avec les grands et attaquer la rampe sans s’arrêter. Cette passion se transforme en obsession, il sèche l’école et ne vit que pour la vert. Ses efforts vont payer : à l’âge de14 ans, il est repéré pour faire partie d’un nouveau business alors balbutiant mais putain de lucratif: les pro team. Le but de ce nouveau eldorado? Promou-

voir des marques en vendant un lifestyle et une atti-tude à tous les kids à travers le monde. L’attitude de Rogoswki - en pleine période new wave synthétique des 80’s - c’est celle d’un jeune punk arrogant, aux cheveux longs emmêlés et au style skate ultra agres-sif. Comme Perralta avant lui, Mark fait partie des premiers skaters professionnels considérés, non pas comme des athlètes du sport extrême, mais comme de véritables rock stars. Entre 1980 et 1989, Mark signe pour pour la marque culte Vision Street Wear et devient un peu l’équivalent de Motley Crüe.

MUSIQUE

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MUSIQUE

APPETITE FOR DESTRUCTION

En 1987, les Guns’n’roses sortent «  Appetite For Destuction ». La même année Gator fait la couver-ture de Trasher Magazine. Rogowski gagne 100 000 dollars par an, il a à peine 17 Ans. Il participe à des tournées de démonstration de vert international qui le mène au Japon ou en Europe. Partout où il passe, les kids et les groupies affluent. Gator est tellement cool, que c’est un peu le quatrième Beastie Boys. La marque avec qui il deale son pacte Faustien, Vision Skateboard, fait de lui une star. Sorte de Supreme avant l’heure, tout le monde veut porter du Vision à l’époque. Encore aujourd’hui, leurs mega planches à motif flammé fluo et leurs bermudas à motifs damier s’arrachent sur Ebay. Le jeune skater voit sa gueule en couverture des magazines, apparaît sur MTV et participe à des films cool sur le skate avec Christian Slater (« Cleaming The Cube » en 1989). Mélange de Macaulay Culkin et Kurt Cobain, Mark est l’idole et l’icône du cool californien mid-80’s. Et comme ces derniers, il n’arrive pas à gérer le succès.

Normal, quand on a open-bar, drogue à volonté et qu’une armée de jeunes filles à peine majeures en spandex léopard te trouvent aussi sexy que Bon Jovi. Les années passent, Gator pète les plombs  : après une soirée trop arrosée dans un hôtel de luxe à Ams-terdam, il saute d’une fenêtre du 8e étage. Il s’en sort miraculeusement mais sa vie ne sera plus la même et il attribue ce miracle à une intervention divine. A compter de ce jour, Mark Rogowski, trouve une autre planche de salut : celle du Christ.

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AMERICAN PSYCHO

La fin des années 80 voit un autre style de skate dé-ferler : le street skate. Exit les rampes à papa : rider des rampes, sauter des poubelles ou des escaliers en écoutant du gangsta rap, voilà ce qui fait rêver la culture jeune. Les Beastie Boys sont toujours au top, mais les idoles d’hier comme Hawk ou Rogowski n’arrivent pas à franchir sortir du half-pipe : le street skate, c’est pas pour eux. Et puis d’autres jeunes re-quins le pratiquent mieux qu’eux. Rogowski, depuis son épisode miraculeux à Amsterdam est devenu un croyant zélé, et on le prend pour un tocard. Dopé aux médocs et tentant de sortir de l’alcool, il repent la parole de Jésus. 1991, plus personne ne parle de Mark ‘Gator’ Rogowski, la roue du succès a tourné, il tombe dans l’anonymat. Jusqu’au 21 mars1991, il se fait arrêter par les flics et mettre en examen. C’est lui qui s’est rendu aux flics et a tout avoué. Il a assas-siné une amie  : Jessica Bergsten. Ce soir là, après avoir vu un film et bu du vin chez lui, il a frappé à plusieurs reprises sa tête avec un club de golf, l’a

violé puis étranglé. Il a transporté le corps dans un sac de planche à surf et l’a abandonné dans le désert. Son corps est retrouvé un mois plus tard par des campeurs, en état de décomposition avancé. On ne sait pourquoi Gagor a tué, les psychiatres qui l’ont entendu ont dit qu’il soufrait de bipolarité. Depuis le 6 mars 1992, Mark Gator Rogowski est en pri-son en Californie. On lui a refusé la conditionnelle à plusieurs reprises. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lui écrire à cette adresse: CDCR# H27508Mark Anthony RogowskiCalifornia Men’s ColonyP.O. Box 1801San Luis Obispo, CA 93409-8101.

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ENTRETIENENTRETIEN

ÉMILIE RAFFALLIMADELEINE FILIPPI

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Viticultrice et photographe, peux-tu nous expliquer ton parcours et ta première expé-rience avec l’art ?

Je reprends actuellement le vignoble de mon père et m’installe en viticulture pour faire per-durer et vivre le travail d’une vie. L’agriculture est un art … l’art de vivre avec le temps. Le medium photographique est un outil de cap-ture. Ma première expérience fut celle d’es-sayer d’exprimer un ressenti, un mal-être, dû à l’inéquation entre ma culture et l’évolution sociétale, sans doute le vestige de ma forma-tion en socio-anthropologie.

Comment définirais-tu ta démarche ?

Abstraite ; j’utilise la photographie pour illus-trer un phénomène de société ou une analyse de celle-ci, sans qu’il y ai de rapport franc entre les thèmes abordés.

Il y a quelque chose de l’ordre de l’inattendu dans ton travail et en même temps de très scénarisé. Comment procèdes-tu ?

J’analyse des situations en rapport avec la confrontation entre ma culture (ma façon de penser ou d’être) et l’évolution de la société mondiale. Je conçois dans un premier temps

une image dans ma tête, synthétisant le mes-sage (parfois ironique, drôle ou triste) à faire passer. Et je trouve souvent par hasard dans un lieu, un paysage, une situation, l’exactitude de mon analyse longuement mûrie que je peux alors, photographier.

Quelles sont tes principales influences ?

Les cartes postales ! Les publicités, tous ce qui est très stéréotypé qui joue sur des images ar-rêtées, pour vous faire croire à une autre réa-lité. Mais aussi, l’anthropologie, l’humain et l’adaptabilité de ce dernier aux inventions et systèmes qu’il crée.

EN 2010, ÉMILIE RAFFALLI, DÉBUTE UN TRAVAIL PHO-

TOGRAPHIQUE QUI NARRE AVEC DÉRISION LA DICHOTO-

MIE ENTRE MODERNITÉ ET TRADITION QUI COEXISTENT EN

CORSE. LOIN DES CLICHÉS HABITUELS ELLE PROPOSE UNE

VISION TOUR À TOUR HUMORISTIQUE ET CRITIQUE DE L’ÎLE.

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La Corse ou plutôt une certaine « corsitude » joue un rôle primordial dans ton travail.

Oui, c’est une partie intégrante de ma per-sonnalité, ma culture, mes fondements. Evi-demment, lorsque je m’amuse des stéréo-types et lorsque j’analyse sociologiquement je me tourne vers mes racines et celles de mes contemporains.

Car le sentiment de corsitude pourrait très bien être le sentiment des paysans du Texas. Selon toi, qu’elle est l’œuvre la plus emblé-matique de ton travail et pourquoi ?

La photo intitulée Mamo, qui veut dire « ma grand-mère ». Oui, le corse est une langue qui réfléchit quoi qu’on en pense ! Il s’agit d’un portrait de ma grand-mère dans la cave où l’on faisait la charcuterie. Il y a une véritable dicho-tomie mise en place dans cette photographie, entre les rituels traditionnels et la modernité.

Peux-tu nous expliquer l’œuvre “Fers à Nietzsche” présentée pour la première fois au Centre Culturel Municipal du Diamant à Ajaccio ?

La sculpture les “ Fers à Nietzsche”, fait échos à la citation du philosophe « L’avantage de la mauvaise mémoire est qu’on jouit plusieurs fois des mêmes choses pour la première fois», cette oeuvre est une réflexion sur “l’objet rituel”. Ce sont des fers servant à cuire des galettes de fro-mage appelées « nicci  », d’où le jeu de mots. Ils sont emblématiques et culturels. Ces fers représentent à travers la nourriture toute la mémoire insulaire et la mienne en particulier. A l’intérieur se trouvait deux photographies, dont celle d’un cimetière, ce qui ironise avec la citation inscrite sur leurs extérieurs.

«LE SENTIMENT DE CORSITUDE POURRAIT TRÈS

BIEN ÊTRE LE SENTIMENT DES PAYSANS DU TEXAS.»

ENTRETIEN

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Arrêtons-nous sur ton travail performatif. En 2012, tu réalises une performance au Palazzu Domu, peux-tu nous expliquer son enjeu ?

La performance a été pensée pour présenter mon travail sur un jeu de cartes divinatoire, Une réinterprétation des Tarots de Marseille (les arcanes majeurs). J’ai utilisé les photos et les codes couleurs pour coller à la représen-tation archétypale des Tarots originels, et le processus de divination se pratique face décou-verte. D’une manière plus cartésienne l’image choisie pour ces couleurs et sa représentation reflète l’état d’esprit et la préoccupation du participant. Toujours selon cette représenta-tion, on détermine si l’issue est positive ou pas, car au fond lorsqu’on pose une question on connait inconsciemment sa réponse. Le medium performatif sert ici de guide dans la compréhension des signes, et fait écho au tra-vail de mémoire et d’analyse d’us et coutumes, qui sont sans conteste des fils rouges dans ma démarche.

Téléphones abandonnés ou déficients et la présence de différents éléments de langage sont autant de procédés qui témoignent d’une réflexion particulière sur le principe de « Communication ».

La culture corse est fondée sur l’oralité. Des œuvres littéraires, les croyances païennes, l’his-

toire, tout a transité par les récits oraux de générations en générations. Ma réflexion n’est autre que le constat amer de la perte d’une culture et l’évanouissement de ses fondements. Peut-on parler d’une démarche engagée ?

Une démarche artistique, à mon sens est tou-jours engagée car elle engage son créateur dans les propos qu’il tient.

Quels sont tes projets ?

Je travaille sur un projet reliant le processus de mémoire orale et le procédé ancestral de vini-fication. Le vin étant la mémoire d’une année de travail, il devient une véritable cartographie du terroir et du millésime auquel il appartient. Il raconte la géographie, le paysage et le temps, la lumière du temps.

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LIVRES

PA S C A L PAT R I C E

A POSTCARD FROM DEATH CAMP

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LIVRES

Découverte sur la table des short-listed de la dernière édi-tion de Paris Photo, la publi-cation n°189 des Éditions Patrick Frey, Greetings from

Auschwitz, est certainement la plus intrigante de la fin d’année passée. Ce livre propose pen-dant presque 90 pages des reproductions de cartes postales des années 60 envoyées… par des touristes du camps de concentration d’Au-schwitz, en Pologne.

L’idée la plus importante qui se dégage du livre est alors celle du statu de l’image : cette pho-tographie universelle du portail d’Auschwitz avec son inscription célèbre, ou même celle des cheminées du four crématoire ou des ba-raquements, est reproduite et vendue comme un bien de consommation touristique banale. Imprimée sur la carte postale, elle transmet des messages en contradiction totale avec le poids de la photo et c’est ce qui la rend encore plus intéressante. Des « Best and warmest greetins from Auschwitz » aux « The weather’s playing tricks, first the sun shines, then it rains » qui paraissent dérisoires et ahurissants dans l’accu-mulation du livre. Difficile de décrire le plus dérangeant, et l’objet éditorial nous laisse face à nos questions. Il y a dans ses pages un se-cond degrés intelligent indéniable, qui se passe presque de texte. Un contraste étonnant entre l’image et son sens, entre les mots et l’image, entre l’action et ses conséquences.

Cette publication silencieuse, calme, com-pile proprement ces images et ces lignes in-

croyables. Avec douceur, elle nous traduit ces phrases manuscrites au dos, écrites il y a long-temps. Ce livre est un objet intelligent, parfait, et bien imprimé. C’est un livre Suisse, voilà tout.

Greetings from AuschwitzPaweł Szypulski

88 pagesn° 189

Éditions Patrick Frey

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LIVRES

PA S C A L PAT R I C E

THE WITHENESS OF THE WHALE

Dans un étui de carton rouge, frappé de mots de Melville, apparaît un livre à la douceur extrême. Une toile brillante et lisse, tendue à l’extrême,

cache des images délicate imprimées sur un papier blanc naturel. Les images de Paul Gra-ham sont celles d’un homme de son époque. Elles se couvrent d’un voile blanc comme pour cacher un quotidien placide. Ce livre massif et précieux contient une Amérique de tous les jours, avec des images de pavillons parfaits aux gazon raz, jusqu’aux pauvres bougres qui at-tendent qu’il se passe quelque chose. Sauf que dans ces instants capturés, il ne se passe rien. Il n’y a que des traces du banal, des visages pathé-tiques, des jardins encombrés et des rues sales.

Paul Graham excelle dans cette photographie, celle du moment présent, celle de la vraie vie. Il dessine des personnages avec la lumière du soleil qui tombe sur la ville et que l’ont a peut-être oubliée. Les scènes de vie prennent du sens sous son objectif dans l’histoire qu’il déroule, dans la fixation de l’instant et du temps. Les couleurs sont maîtrisées à tel point que l’on se voit dans le cadre, que l’on peut sentir la cha-leur du soleil qui reflète ces décors américains. The Witheness of the Whale rassemble trois sé-ries emblématiques de Paul Graham: American Night, A shimmer of possibility et The Present, prises entre 1998 et 2011.

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The Witheness of the WhalePaul Graham

240 pagesMACK

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À DANTE ET À SA MÈRE

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DÉCEMBRE/FÉVRIER MMXV/MMVI - NUMÉRO TREIZE

B R A N D E D