Bien ensemble -...

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DAVID BURNS BIEN ENSEMBLE Comment résoudre les problèmes relationnels Préface d’Isabelle Filliozat Traduit de l’américain par Anne Confuron

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DAVID BURNS

BIEN ENSEMBLE

Comment résoudreles problèmes relationnels

Préface d’Isabelle Filliozat

Traduit de l’américainpar Anne Confuron

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Titre originalÞ:FEELING GOOD TOGETHERThe Secret to Making Troubled Relationships Workpublié par Broadway Books, une marque de TheDoubleday Publishing Group, une division deRandom House, Inc., New York

Si vous souhaitez recevoir notre catalogueet être tenu au courant de nos publications,vous pouvez consulter notre site internetþ:www.belfond.frou envoyer vos nom et adresse,en citant ce livre,aux Éditions Belfond,12, avenue d’Italie, 75013 Paris.Et, pour le Canada,à Interforum Canada Inc.,1055, bd René-Lévesque-Est,Bureau 1100,Montréal, Québec, H2L 4S5.

ISBNÞ: 978-2-7144-4545-2© David Burns 2008. Tous droits réservés.

Et pour la traduction française

©þBelfond, un département de , 2010.

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Introduction

Les relations difficiles avec les autres font mal.Pour la plupart d’entre nous, la confiance que nousavons en nous-mêmes est construite, au moins en par-tie, sur les relations que nous entretenons avec autrui.Se quereller avec quelqu’un que l’on aime ou auquelon tient n’a rien de drôle. Et même une dispute avecune personne qui ne nous est rien est susceptible denous miner et de nous ôter énergie et joie de vivre.

Si vous avez des relations problématiques avecquelqu’un, j’ai une bonne nouvelle pour vousÞ: jepeux vous indiquer comment établir un rapport beau-coup plus enrichissant avec cette personne. Peuimporte qu’il s’agisse de votre conjoint, d’un frère oud’une sœur, de votre père ou de votre mère, d’un voi-sin ou d’un ami, ou encore d’un parfait étranger. Jesuis en mesure de vous expliquer comment transfor-mer un sentiment de frustration et de ressentiment encordialité et en confiance, et beaucoup plus vite quevous l’imaginez. Il suffit parfois de quelques minutes.

Soyez toutefois conscient que cela demandera ungros travail sur vous-même, et que vous devrez peut-être regarder des choses en vous que vous ne voudriezpas voir. Le chemin vers l’intimité est presque

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toujours douloureux. Mais si vous arrivez à rassem-bler un peu de courage et d’humilité, si vous êtes prêtà vous retrousser les manches pour vous mettre autravail, je vous montrerai quelque chose de réellementétonnant qui changera complètement votre vie.

David D.ÞBURNS, MD

Professeur émérite adjoint, département de psychia-trie et des sciences comportementales de l’école demédecine de l’université de Stanford.

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PREMIÈRE PARTIE

Pourquoi ne pouvons-nous pastout simplement nous entendre

les uns avec les autresÞ?

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Ce que disent les experts

Nous avons tous envie de relations amicales,chaleureuses avec les autres, mais c’est souvent plutôtl’inverse qui se produitÞ: hostilité, amertume etméfiance sont notre lot quotidien. Pourquoiþ? Pour-quoi n’arrivons-nous pas à bien nous entendreÞ?

Il y a deux théories. Pour la plupart des spécialistes,nous ne nous entendons pas avec les autres parce quenous ne savons pas comment faire autrement. C’est lathéorie du déficit. En d’autres termes, nous nous dis-putons parce que nous ignorons comment résoudre lesproblèmes relationnels. Enfants, nous avons appris àlire, à écrire, à compter, mais jamais à communiquer nià résoudre ce type de problèmes.

D’autres experts estiment que nous n’avons enréalité pas envie d’avoir de bonnes relations avec lesautres. C’est ce que l’on appelle la théorie de lamotivation. Cela revient à dire que nous nous bat-tons parce que nous n’avons pas envie de nous sentirproches de gens que nous n’aimons pas. Et nousfinissons par baigner dans un climat d’hostilité et deconflit parce que nous tirons bénéfice de cettebataille.

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La théorie du déficit

La plupart des professionnels – psychothérapeutes,cliniciens et chercheurs – s’appuient sur la premièrethéorie. Ils sont convaincus que nous faisons la guerrepour la seule raison que nous ne savons pas aimer.Nous désirons profondément avoir des relationsaimantes et satisfaisantes avec les autres, mais sansavoir les compétences pour les développer.

Ces compétences qu’il est nécessaire de posséder nesont évidemment pas les mêmes selon les spécialistes.Par exemple, les comportementalistes pensent quenos difficultés relationnelles viennent d’un manque decommunication et de techniques de résolution desproblèmes. Lorsque quelqu’un émet une critique ànotre encontre, nous nous mettons sur la défensive aulieu d’écouter ce qu’il nous dit. Nous réagissons enfaisant la moue et en le dénigrant, au lieu d’exprimernos sentimentsÞ; ou encore nous recourons au harcèle-ment et à la coercition pour mieux nous en sortir.Comme nous n’utilisons pas la négociation systéma-tique et ne savons pas comment résoudre les problèmesqui se posent, la tension ne fait que s’amplifier.

Une théorie attribue les conflits relationnels aux dif-férences inhérentes entre les hommes et les femmes.Elle a été vulgarisée par Deborah Tannen dans sonbest-seller You Just Don’t Understand: Women andMen in Conversation, ainsi que par John Gray dansson livre Les hommes viennent de Mars, les femmes deVénus. Ces deux auteurs avancent l’idée que leshommes et les femmes ne peuvent pas s’entendreparce qu’ils utilisent le langage de façons totalementdiverses. Les femmes recourraient à lui pour exprimerleurs sentiments tandis que les hommes s’en servi-

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raient pour résoudre les problèmes. Si nous suivonscette idée, lorsqu’une femme dit à son mari qu’elle estcontrariée, il peut très bien, spontanément, essayer del’aider à résoudre le problème qui la gêne parce quec’est la façon dont son cerveau fonctionne. Mais si sonépouse a simplement besoin qu’il l’écoute, sa tentativede lui venir en aide la contrariera encore plus, et tousdeux se sentiront pour finir frustrés et incompris.Vous avez peut-être déjà connu cette situation, avecvotre conjoint par exemple.

Les thérapeutes cognitivistes ont une idée tout àfait différente au sujet des manques qui conduisentaux problèmes relationnels. Ils mettent l’accent sur lefait que nos sentiments résultent de nos pensées et denos attitudes, ou connaissances.

En d’autres termes, ce que font les autres – que cesoit se montrer critiques à notre égard ou nous faireune queue de poisson sur la route – ne nous contrariepas plus que ça. C’est plutôt la manière dont nousappréhendons ces événements qui nous trouble.

Cette théorie peut entrer en résonance avec votreexpérience personnelle. Lorsque vous êtes fâchécontre quelqu’un, vous avez peut-être remarqué quedes pensées négatives envahissent votre esprit. VouspensezÞ: «ÞQuel idiot ce typeÞ! Il ne pense qu’à luiÞ! Iln’a pas le droit d’agir ainsiÞ! Quel nulÞ!Þ» Lorsquevous vous sentez agacé, ces pensées négatives voussemblent aller de soi alors qu’en fait elles vousinduisent en erreur (voir ci-dessous le tableau sur lesaltérations cognitives).

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LES DIX PENSÉES DYSFONCTIONNELLES QUI GÉNÈRENT LES CONFLITS

Altération Description Exemple

1.ÞLe tout ou rien Vous considérez le conflit,ou la personne concernée,de façon catégorique et défi-nitive. Tout est blanc ou noir.Pas de nuances de gris.

Vous vous dites que la per-sonne avec laquelle vousêtes en conflit est complète-ment nulle sans possibilitéd’améliorationÞ; ou, si vousmettez fin à votre relationavec elle, vous pensez quec’est un véritable échec.

2.ÞLa surgénéralisation Vous voyez le conflit enquestion comme une sourcesans fin de frustrations etd’échecs.

Vous pensezÞ: «ÞIl n’y a rienque je puisse faire, il (ou elle)ne changera jamais.Þ»

3.ÞL’abstraction sélective Vous répertoriez les erreursde l’autre, vous ressasseztous ses côtés négatifs enignorant complètement sescôtés positifs.

Vous dites à votre conjointÞ:«ÞCela fait au moins dix foisque je te demande de sortir lapoubelle.Þ» OuÞ: «ÞCombiende fois dois-je te dire de nepas laisser traîner tes chaus-settes sales par terreÞ?Þ»

4.ÞLa disqualificationdu positif

Vous êtes convaincu que lesqualités de l’autre ou encoreses actions constructives necomptent absolument pas.

Si une personne avec qui vousêtes en conflit fait quelquechose de positif à votre égard,vous pensez qu’elle essaie devous manipuler.

5.ÞLes conclusions hâtives Vous sautez à des conclusions qui peuvent ne pas être cor-roborées par les faits. Voici trois cas de figure très cou-rantsÞ:

La lecture de penséed’autruiÞ: Vous présumezque vous savez très biencomment l’autre raisonne etce qu’il ressent à votreégard.

La lecture de pensée inver-séeÞ: Vous vous dites quel’autre devrait savoir ce quevous désirez et ce que vouséprouvez sans que vousayez à l’exprimer par desmots.

La voyanceÞ: Vous estimezque la situation est sansespoir et que l’autre conti-nuera à vous traiter commeun moins que rien, quellesque soient les circonstances.

Vous êtes convaincu quevotre ami est complètementautocentré et ne cherchequ’à vous utiliser.

Vous lancez à votre conjointÞ:«ÞTu aurais dû savoir ce que jeressentaisÞ!Þ»

Vous pensez que la per-sonne avec laquelle vous nevous entendez pas ne chan-gera jamais.

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L’un des points les plus intéressants de la théoriecognitive, c’est que la colère et le conflit entre les per-sonnes résultent en fait d’une escroquerie mentale. End’autres termes, lorsque vous êtes en conflit avec

Altération Description Exemple

6.ÞL’exagérationet la minimalisation

Vous accordez une impor-tance disproportionnée auxdéfauts de l’autre et minimi-sez ses qualités.

Pendant une dispute, vouspouvez lui lancerÞ: «ÞJen’arrive pas à croire que tupuisses être aussi bêteÞ!Þ»

7.ÞLe raisonnement émotionnel

Vous raisonnez à partir devos sentiments, ou vous esti-mez que ceux-ci reflètent lavéritable nature des faits.

Vous sentez que l’autre estun véritable loser et vous enconcluez qu’il l’est réelle-ment.

8.ÞLes fausses obligations Vous vous critiquez ou vous critiquez les autres à grand ren-fort deÞ: je devraisÞ; il aurait bien dûÞ; ils n’auraient pas dûÞ;il aurait mieux valu que, etc.

Premier cas de figureÞ: vouspensez que les autres nedevraient pas raisonner ou secomporter comme ils le font,mais de la façon dont vousattendez qu’ils le fassent.

Second cas de figureÞ: vouspensez que vous n’auriezpas dû faire telle erreur ouéprouver tel ou tel sentiment.

«ÞTu n’as pas le droit de res-sentir celaÞ!Þ» Ou encoreÞ:«ÞTu ne devrais pas direcelaÞ! C’est vraiment in-justeÞ!Þ»

9.ÞL’étiquetage Vous décrétez que l’autre estun imbécile ou pire encore.Vous le considérez commequelqu’un de négatif, sansqu’il puisse se racheter.

«ÞC’est réellement unegarceÞ!Þ» ou encoreÞ: «ÞQuelcrétinÞ!Þ»

10.ÞLa condamnation Au lieu de vous efforcer de déceler la raison d’un problème,vous en condamnez le responsable.

Premier cas de figureÞ: Vousrejetez toute la responsabi-lité du conflit sur l’autre enniant votre propre rôle.

Second cas de figureÞ: Vousvous sentez coupable et bonà rien parce que vous vousrendez responsable du pro-blème même si les torts sontpartagés.

Vous dites à votre conjointÞ:«ÞC’est entièrement tafauteÞ!Þ» et cela vous rendfurieux, frustré et vous rem-plit de ressentiment.

Vous pensezÞ: «ÞTout est mafaute.Þ» Vous dépensez alorsvotre énergie à vous faire desreproches au lieu de chercherà savoir ce qu’éprouve l’autreet d’essayer de sortir de lacrise.

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quelqu’un, ce que vous vous dites ne correspond pastout à fait à la réalité. Cependant, vous ne vous ren-dez pas compte que vous vous trompez vous-mêmeparce que ces pensées déformées sont des prédictionsautoréalisantes. Elles paraissent vraies à 100Þ%. Sivous estimez par exemple que la personne aveclaquelle vous êtes en conflit est un idiot, vous allez letraiter comme tel. De ce fait, il va se fâcher et se com-porter en parfait idiot. Vous vous direz alors que vousaviez vu parfaitement justeÞ!

La thérapie cognitive repose sur l’idée que si vouschangez votre façon de penser, vous parviendrez àmodifier votre manière de sentir et d’agir. En d’autrestermes, si nous réussissons à penser aux autres defaçon plus positive et réaliste, cela nous permettrade résoudre les conflits beaucoup plus facilement etde développer des relations plus gratifiantes sur unplan aussi bien personnel que professionnel.

Sur le papier, ce raisonnement semble parfait. Maisil n’est pas tellement facile de changer sa manière depenserÞ: mépriser quelqu’un avec qui on est en conflitpeut donner un sentiment de bien-être, de supérioritémorale. Aussi ne voulons-nous tout simplement pasvoir que nous déformons notre perception de cettepersonne.

Certains spécialistes affirment que c’est le faitd’avoir une mauvaise opinion de soi qui génère lesproblèmes relationnels. Autrement dit, si vous nevous aimez pas, si vous n’avez aucun respect pourvous-même, vous aurez beaucoup de mal à aimerquelqu’un d’autre parce que vous essaierez sans cessed’obtenir de lui quelque chose que vous seul pouvezvous procurer. Cette théorie a eu un large succès dansl’enseignement aux États-Unis. Si nous aidons les

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enfants à avoir une meilleure estime d’eux au fur et àmesure qu’ils grandissent, ils sauront comment déve-lopper des relations solides et chaleureuses avec lesautres, et seront ainsi moins attirés par la violence, lecrime et les bandes organisées quand ils seront plusgrands.

D’autres spécialistes expliquent que les problèmesrelationnels résultent d’un burn-out, un épuisementde la relation. Vous avez sans doute remarqué quelorsque vous ne vous entendez pas avec quelqu’un, lenégatif va en progressant. Dans votre couple, vousvous critiquez mutuellement de plus en plus, et vouscessez d’avoir ensemble des moments de détentecomme c’était le cas au début de votre relation. Trèsvite, votre couple devient une source de stress cons-tant, de frustration et de solitude, et tout le bonheurque vous ressentiez au départ disparaît. C’est à cestade que vous envisagez la séparation et le divorcecomme des alternatives largement préférables.

Les thérapeutes qui adhèrent à cette théorie vontvous encourager à accentuer l’aspect positif de votrerelation et à décider de manière volontaire de parta-ger des moments plus agréables, de vous amuser afinde recommencer à vous apprécier l’un l’autre. Oubien de porter plus d’attention à votre conjoint auquotidienÞ: l’appeler de votre bureau simplementpour lui dire bonjour, lui apporter une tasse de café lematin en vous levant pour lui témoigner votreamour…

De nombreux thérapeutes affirment enfin que lesproblèmes de relations résultent d’un manque deconfiance et de la peur de se montrer vulnérable.Imaginons que vous soyez contrarié par ce qu’uncollègue ou un membre de votre famille vous a dit.

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En apparence, vous êtes fâché mais, au-delà de cettecolère, vous vous sentez blessé et dénigré. Vous hési-tez à partager ce sentiment parce que vous craignezd’exposer votre faiblesse ou de sembler ridicule. Vousallez donc attaquer l’autre, vous mettre sur la défen-sive et tenter de le critiquer. Bien que la tension aug-mente, votre colère vous protège parce que vousn’avez pas besoin de dévoiler votre vulnérabilité oude courir le risque d’être rejeté. En résumé, l’élémentfondamental dans les problèmes relationnels reposesur le manque de confianceÞ: nous nous battons parceque nous avons peur de la relation affective. Les thé-rapeutes qui soutiennent cette théorie vous encou-ragent à accepter et à partager les sentiments desouffrance et de tendresse que dissimulent la colère,l’hostilité et la tension.

Les psychanalystes et les spécialistes de la psycho-dynamique pensent que tous ces problèmes liés aurelationnel découlent d’expériences douloureuses etde blessures liées à notre enfance. Si vous avez grandipar exemple au sein d’une famille à problèmes, vouspouvez inconsciemment recréer les mêmes schémasdouloureux dans votre vie adulte. Si votre père necessait de vous critiquer et de vous dénigrer, vousavez pu avoir le sentiment de n’être jamais à la hau-teur pour gagner son amour. Dans votre vie d’adulte,vous serez peut-être attirée par des hommes qui semontrent critiques vis-à-vis de vous parce que vouscroyez que votre rôle dans une relation d’amour estd’être rabaissée par quelqu’un de plus fort que vous.Vous ne cesserez alors d’essayer d’obtenir l’amourque vous n’avez jamais reçu de votre père.

Lorsque j’ai commencé à soigner des personnes quisouffraient de problèmes relationnels, je croyais à

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toutes ces théories. Je me suis donc tout naturelle-ment efforcé d’aider mes patients à corriger les défi-cits dont ils souffraient dans leurs relations avec lesautres. J’apprenais aux couples en difficulté commentmieux communiquer, comment résoudre leurs pro-blèmes de façon plus systématique et comment mieuxaimer l’autre. Je leur apprenais aussi à développerleur estime de soi, et à modifier leurs façons de penseret d’agir qui ne faisaient qu’alimenter le sentiment decolère. Il nous arrivait d’analyser le passé pour tenterde trouver la raison de leur comportement.

J’ai été surpris de découvrir qu’aucune de ces tech-niques ne donnait vraiment de bons résultats. Certainespersonnes qui apprenaient à écouter, à mieux partagerleurs sentiments et à traiter les autres avec plus deconsidération connaissaient, bien sûr, une améliorationimmédiate et significative dans leurs relations. Maiselles restaient peu nombreuses. La plupart des patientsne paraissaient pas réellement disposés à utiliser une deces techniques. En fait, ils n’étaient pas prêts à déve-lopper des relations plus amicales et constructives avecles gens qu’ils n’aimaient pas. Ils affirmaient haut etfort le contraire, mais au fond d’eux-mêmes ils pen-saientÞ: «ÞJe veux vous faire admettre que mon mari (ouma femme) est nul(le).Þ»

Les expériences que j’avais avec des personnessouffrant de dépression ou de crises d’angoisse étaienttrès différentes, même si elles aussi étaient tourmen-tées par des pensées négativesÞ: «ÞJe ne vaux rien. Jesuis un nul. Qu’est-ce qui ne va pas chez moiÞ? Je n’yarriverai jamaisþ!Þ» Lorsque je leur expliquais commentremettre en cause leurs jugements, leurs sentimentsde dépression et d’anxiété disparaissaient et elles enétaient enchantées. Mais lorsque j’aidais des gens qui

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étaient en colère et qui avaient du mal à s’entendreavec leurs semblables, c’était une autre affaire. Ils nesemblaient pas vouloir changer leur façon de penser,de communiquer ou de traiter l’autre. On aurait ditqu’ils préféraient l’enfoncer. Cela a été pour moi unvéritable choc et je me suis senti déconcerté. J’ai réflé-chi à ces théories axées sur les «ÞdéficitsÞ» et ma com-préhension des causes à l’origine des conflits a pristout à coup une direction inattendue.

Pourquoi devrais-je changer quoi que ce soitÞ?

Voici un exemple typique qui a contribué à modi-fier ma conception des choses. Mickey était unhomme d’affaires de San Francisco âgé de quarante-cinq ans. Il m’avait été envoyé par un collègue pourdes problèmes de dépression. Il avait été soigné avecde nombreux antidépresseurs, tous aussi connus lesuns que les autres, mais rien ne l’avait soulagé. J’aiarrêté son traitement, car à l’évidence il ne fonc-tionnait pas, et j’ai choisi à la place d’utiliser lestechniques de la thérapie cognitive. En quelquessemaines, sa dépression a disparu. J’ai pensé quec’était la fin de sa thérapie parce qu’il avait l’air libéréde ses symptômes. À ma grande surprise, cependant,Mickey m’a demandé s’il pouvait continuer à meconsulter pour «Þs’améliorerÞ». Je lui ai répondu quej’en serais ravi, mais que j’avais besoin de savoir dansquel domaine il désirait de l’aide.

Mickey m’a expliqué que son couple ne lui donnaitpas satisfaction et il a exhibé une longue liste de griefsà l’encontre de sa femme, Margie. Il m’a affirmé qu’ilavait perdu tout respect pour elle parce queÞ:

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•ÞIntellectuellement, elle n’était pas à son niveauet n’avait jamais rien d’intéressant à dire.

•ÞElle ne lisait rien de stimulant, perdant aucontraire son temps à feuilleter des magazinesde mode et des journaux à scandale.

•ÞElle n’était ni tendre ni affectueuse et n’avaitjamais envie de faire l’amour.

•ÞElle ne semblait pas réaliser tout le mal qu’il sedonnait pour assurer un bon niveau de vie à leurfamille.

•ÞElle ne cessait de le harceler et de le critiquer.•ÞElle ne paraissait jamais heureuse de le voir

lorsqu’il revenait du bureau.•ÞElle lui préparait rarement ses plats favoris

pour le dîner.•ÞLorsqu’elle était contrariée, elle le lui faisait payer

en achetant des bijoux et des vêtements hors deprix derrière son dos. Il se retrouvait ensuite avecune grosse facture à régler à la fin du mois.

•ÞIls se disputaient constamment au sujet de leursfilles jumelles qui étaient en 6e.

Mickey était tellement exaspéré qu’il notait depuisquinze ans tous les défauts de Margie dans un cahier.Chaque jour, il inscrivait ce qu’elle disait ou faisait dedéplaisant à ses yeux. Il s’est mis à apporter ce cahier pen-dant nos séances de thérapie pour m’en lire de longsextraits à voix haute. Par exemple, onze ans plus tôt, alorsqu’ils étaient tous deux en route pour Big Sur, ils s’étaientdisputés pour savoir s’il valait mieux laisser les fenêtresde la voiture ouvertes ou mettre la climatisation. Tandisqu’il lisait le compte rendu de l’incident, Mickey relevaitla tête de temps en temps et marmonnaitÞ: «ÞEst-ce que

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ça n’est pas dramatiqueÞ?Þ» ou bienÞ: «ÞJe mérite mieux,tout de mêmeÞ?Þ» ou encoreÞ: «ÞVous constatez à quelpoint ce qu’elle a dit était ridiculeÞ?Þ»

Mickey semblait tout à fait satisfait de lire simplementson cahier et de me commenter les défauts de sa femme,mais au bout de plusieurs semaines j’ai commencé à medemander où nous allions. Qu’étions-nous en train defaireÞ? Selon moi, Mickey avait trois possibilitésÞ:

•ÞS’il n’était pas heureux dans son mariage etétait convaincu qu’il n’y avait pas d’espoir pos-sible, il pouvait envisager une séparation etmême le divorce.

•ÞS’il aimait toujours sa femme et voulait amélio-rer leur relation, nous pouvions envisager unethérapie de couple.

•ÞIl pouvait enfin maintenir le statu quo et s’assu-rer que rien n’allait changer entre eux.

À l’évidence, Mickey ne voulait pas de la premièreoption. Il était hors de question pour lui de se séparer desa femme. Il m’expliqua qu’il se sentait obligé de resterjusqu’à ce que leurs deux filles quittent le lycée. Il n’avaitpas confiance dans les compétences maternelles deMargie et avait le sentiment que ses filles avaient besoinde lui à la maison jusqu’à leur entrée à l’université.

Mickey rejeta également la deuxième solution. Il ditqu’une thérapie de couple était hors de questionparce qu’il était convaincu que Margie ne changeraitjamais. Sans compter qu’il ne voyait pas pour quelleraison lui-même devrait modifier son comportement,étant donné le peu de considération que sa femmeavait eu à son égard pendant toutes ces années.

Il semblait donc pencher pour la troisième solutionÞ:le maintien du statu quo. Cela m’a semblé franchement

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étonnant que quelqu’un qui se plaignait aussi amèrementde son couple choisisse de n’y rien changer. En fait, celan’a rien d’inhabituelÞ: sur les trois options que je viensd’énumérer, la troisième est de loin la plus appréciée.

J’ai alors suggéré à Mickey que nous nous livrions àune petite expérience mentale. Je lui ai demandéd’imaginer qu’il disposait d’une baguette magiquesusceptible de faire disparaître tous ses problèmes enun clin d’œil. Margie est soudain devenue la femmede ses rêves. Elle se montre tendre, attentionnée, sexyet admirative. Chaque soir, lorsque son mari rentre dubureau, elle l’accueille avec un sourire et un baiser, luidemande comment s’est passée sa journée, et elle apréparé pour lui un merveilleux repas. Elle est égale-ment une mère accomplie, et vante ses qualités debon père et de bon mari devant tous leurs amis.

Mais un jour un membre de la mafia locale contacteMickey et lui propose une affaire pour le moins inhabi-tuelleÞ: il doit transformer son adorable femme en unegarce finie dans un délai d’un mois. Si Mickey y par-vient, il gagnera 50Þ000Þdollars. S’il échoue, la mafiamettra un contrat sur sa tête et paiera les 50Þ000Þdollarsà un tueur chargé de l’assassiner.

J’ai suggéré à Mickey de dresser avant notre pro-chaine séance la liste d’au moins cinq choses qu’ilpourrait réaliser dans ce laps de temps pour détruireson mariage et sauver sa vie. Mickey a paru toutexcité par la tâche à accomplir et a promis d’apportercette liste à notre entretien suivant.

Au jour dit, Mickey a lu avec enthousiasme ce qu’ilavait préparéÞ:

Pour commencer, je m’arrêterais tous les soirsdans un bar en rentrant du bureau pour boire

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plusieurs verres. Si je rentrais à la maison ivre etpuant l’alcool, Margie serait vraiment furieuse. Elledéteste l’alcool parce que son père, un alcoolique,devenait violent lorsqu’il avait bu. Si Margie mereprochait de sentir l’alcool, il me suffirait de meverser un autre verre devant elle et de lui direqu’elle est vraiment coincée.

J’aurais des aventures lors de mes voyagesd’affaires. Je pourrais avoir une maîtresse à Denver,une autre à Cleveland ou encore à Nashville.Ensuite, je rentrerais à la maison avec du rouge àlèvres sur le col de ma chemise, ou bien je laisseraisen évidence de vieux reçus de motel ou de barpour que Margie les découvre et devine que je latrompe. Elle serait complètement bouleversée.

Margie souffre d’un complexe d’infériorité parcequ’elle n’a pas fini ses études. Lorsque nous sortonsavec des amis, elle commente toujours les derniersévénements politiques ou économiques, et essaiede se montrer intelligente. Lorsqu’elle tente defaire la conversation, je pourrais lancer des com-mentaires sarcastiques et lui dire qu’elle a trouvéses informations dans une pochette-surprise. Ellese sentirait terriblement humiliée devant nos amis.

Quand Margie tente de corriger nos filles, jepourrais la ridiculiser en déclarantÞ: «ÞN’écoutezdonc pas votre mère, vous avez le droit de fairetout ce que vous voulezÞ!Þ»

Je pourrais enfin rentrer tard à la maison sansl’avoir prévenue auparavant. Elle se sentirait reje-tée et serait absolument furieuse.

J’ai demandé à Mickey si cela suffirait pour détruireson couple et sauver sa peau. Il m’a réponduÞ: «ÞOh,oui, j’en suis sûrÞ!Þ»

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Puis j’ai voulu savoir ce qu’il avait déjà fait, dans saliste. Il a répondu fièrementÞ: «ÞMais tout, docteurÞ!Þ»

Nous étions donc devant un homme qui étaitconvaincu d’être victime d’un mariage raté. Il s’api-toyait sur lui-même et pensait qu’il vivait avec unefemme distante, qui ne l’aimait pas. Il avait listé pen-dant quinze ans tout ce qui ne lui plaisait pas chezelle, tel un avocat préparant un procès. Il lui en vou-lait pour leurs problèmes et rejetait sur elle son propremal-être, alors qu’il avait intentionnellement traité safemme de façon très désagréable, et s’était employé àla démoraliser et à détruire leur couple.

Que faut-il penser d’un homme tel que luiÞ? Ceserait facile de le dénigrer en proclamant qu’il est uncas unique de stupidité ou d’ignorance. Mais, loind’être ce cas unique, Mickey était l’exemple type despatients que je recevais tous les jours dans mon cabi-net. Si nombre de personnes et de couples venaientme voir pour se plaindre de frustrations dans leursrelations, très peu d’entre eux semblaient disposés àêtre désireux ou capables de faire quelque chose pourqu’il en aille autrement. Hommes ou femmes, tousétaient prêts à protester et à déclarerÞ: «ÞPourquoidevrais-je changerÞ? C’est sa faute à lui (à elle)Þ!Þ»

La thérapie de couple peut-elle aiderÞ?

Diverses études ont alors commencé à confirmer ceque je constatais en tant que thérapeute. Le Dr DonBaucom, de l’université de Caroline du Nord, est l’undes plus éminents spécialistes de la thérapie de coupleaux États-Unis. C’est même lui qui a dirigé le plusd’études de thérapies de couple. Il supervise également

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les résultats de toutes ces études publiées dans desrevues scientifiques du monde entier. Enfin, il estl’auteur d’articles qui paraissent régulièrement dans lespublications spécialisées. Or il parvient tous les ans àla même surprenante conclusionÞ: il n’existe pas dethérapie de couple réellement efficace aujourd’hui.

Cette constatation ne se limite pas à un type de thé-rapie spécifiqueþ: que votre thérapeute mette l’accentsur les exercices de communication, la thérapie cogni-tive, l’entraînement à la résolution de problèmes, lalibre expression de vos sentiments, l’exploration desorigines de vos problèmes liés à votre enfance, lastimulation de votre estime de vous-même ou encoresur le développement d’activités plus favorables àvotre vie de couple n’y change rien. Aucune de cesapproches, utilisée seule ou en conjonction avecd’autres, ne paraît réellement efficace. Autrement dit,corriger les prétendus manques à l’origine de vos pro-blèmes relationnels ne conduira pas de façon fiable àdes relations affectives satisfaisantes.

Attention, cela ne signifie pas pour autant que cesméthodes soient inutiles. Dans la plupart des études,environ la moitié des couples connaissent une améliora-tion à court terme. Cependant, ce n’est pas un tauxde réussite impressionnantÞ: un bon nombre d’entreeux auraient obtenu ce mieux-être sans traitement, soitparce qu’ils auraient eux-mêmes accompli les effortsnécessaires, soit simplement parce que les chosess’arrangent avec le temps. Et les résultats à long termesont encore moins encourageantsÞ: beaucoup descouples qui ont noté une certaine amélioration audépart ont fini par se séparer ou divorcer.

Il y a donc véritablement quelque chose qui cloche.Nous ne cherchons pas simplement à marquer des

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points lorsqu’il s’agit de traiter des personnes qui ontdes relations difficiles. La plupart des thérapeutes decouples reconnaissent en privé que ce que je dissonne juste. Ils sont bien conscients que nombre decouples en crise et d’individus qui ne s’entendent pasavec les autres sont malheureusement très résistantsau changement et presque impossibles à soigner.

Les études aux résultats négatifs peuvent se révélerperturbantes parce qu’elles indiquent que nosméthodes de traitement ne sont pas aussi efficacesque nous le souhaiterions et que nos théories sontsusceptibles de manquer de pertinence. Dans lemême temps, elles peuvent aussi être passionnantes,parce qu’elles signifient que nous avons sans doutecherché des solutions dans la mauvaise direction etnégligé quelque chose d’éminemment important. Exa-miner ce que nos recherches et nos expériences cli-niques nous démontrent peut déboucher sur denouvelles découvertes et sur le développement deméthodes de traitement beaucoup plus efficaces.

Lorsque nous luttons contre l’autre, il ne fait aucundoute que nous pensons à lui de manière négative.Nous sommes sur la défensive, nous nous sentons frus-trés et nous poussons cet autre dans ses derniersretranchements. Mais si ces schémas de pensée défor-més et ces comportements dysfonctionnels n’étaient enréalité que les symptômes, et non les véritables causesdu conflitÞ? Après tout, les personnes qui souffrent depneumonie toussent horriblement, et pourtant la touxn’est pas synonyme de pneumonie. Vous ne pouveztout simplement pas guérir cette maladie en demandantau malade de cesser de tousser, vous devez d’abordéradiquer la bactérie qui a envahi ses poumons.

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