Barbara Cartland Coeur en Bemol

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    Cœur en bémol

    MUSIC FROM HEAVEN

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    Sommaire

    Cœur en bémol ................................................... 1

    1 .......................................................................... 4

    2 ........................................................................ 35

    3 ........................................................................ 754 ...................................................................... 107

    5 ...................................................................... 143

    6 ...................................................................... 186

    7 ...................................................................... 213 

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    Le comte James de Westfield tendit les rênesde son étalon gris au responsable des écuries.—  Jetez un coup d'œil à son antérieur gauche,s'il vous plaît, Matthew.

    —  Tout de suite, milord. Un problème?—  J'ai l'impression qu'il est en train de perdreun fer.—  Je vais regarder ça, milord. Commentl'avez-vous trouvé ?

    —  Un peu nerveux, mais il va comme le vent.Le comte caressa l'encolure de Mercure, lecheval qu'il avait acheté quelques joursauparavant aux ventes de Newmarket.—  À l'obstacle, il est excellent. J'ai sauté

    quelques troncs. Il a littéralement plané au-dessus.Le responsable des écuries caressa à son tour

    l'animal dont le poitrail était couvert d'écume.—  Eh bien, vous ne l'avez pas ménagé,

    milord ! s'exclama-t-il avec bonne humeur.

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    —  Je tenais à voir ce qu'il était capable defaire.—  J'étais sûr que vous seriez satisfait. Dès

    qu'on nous l'a amené, j'ai su que c'était un boncheval.Machinalement, le comte brossa de la main les

    quelques taches de boue qui maculaient saculotte de cheval beige. Puis, d'un bon pas, il

    quitta la cour pavée des écuries.Son visage s'assombrit tandis qu'il empruntait

    l'allée sablée qui menait au château, un superbebâtiment datant du XVIIe siècle dont lesnombreuses fenêtres étincelaient au soleil.

    Quatre mois auparavant, le châtelain menaitencore à Londres l'agréable existence d'un jeunearistocrate fortuné.Sa mère était morte quand il avait une dizaine

    d'années, et son père, dont il n'avait jamais été

    très proche, l'avait aussitôt envoyé en pension.James ne revenait qu'à l'occasion des vacancesdans un château déserté par l'auteur de ses jours,qui, au calme de la campagne, préféraitl'animation de Londres.

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    Puis le comte s'était remarié avec une richehéritière américaine et était parti vivre au Texas,où sa nouvelle épouse possédait un ranch et des

    mines d'or.Jamais il n'avait été question que James les

    suive en Amérique. Son père s'était arrangé pourqu'il reste en pension jusqu’à la fin de ses étudessecondaires avant d’aller à Oxford. 

    Une fois devenu étudiant, le futur comte deWestfield avait alors vu son existencecomplètement changée. Des instructions avaientété données au notaire familial afin que le jeunehomme reçoive une pension fort confortable.

    James avait découvert la liberté, les soiréesanimées entre amis... et les jolies filles peufarouches.Ses études terminées, il était devenu officier de

    cavalerie dans le régiment où avaient servi son

    père comme son grand-père et son arrière-grand-père. Puis, son devoir envers sa patrie accompli, ilavait voyagé un peu partout dans le monde avantde s'installer dans le somptueux hôtel particulierdes Westfield, à Grosvenor Square.

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    Son père, qui vivait toujours en Amérique avecClaudie, la belle-mère que le jeune homme neconnaissait même pas, ne donnait pratiquement

     jamais de nouvelles.Ce fut par l'entremise du ministre des Affaires

    étrangères que James sut que le comte et lanouvelle comtesse de Westfield avaient péri dansun terrible accident de chemin de fer et avaient

    tous les deux été enterrés au Texas.James, devenu comte de Westfield, héritait

    d'une énorme fortune, de l'hôtel particulier deLondres, du château familial situé au cœur duKent, d'un autre château en Ecosse...

    Mais ce n'était pas tout!Avec une intense stupeur, il apprit qu'il était

    désormais le tuteur de sa demi-sœur, Charlyse,une petite fille de dix ans dont il avait jusqu'àprésent ignoré l'existence.

    A vingt-huit ans, que cela lui plaise ou pas, lenouveau comte se retrouvait chargé deresponsabilités diverses. Les jours d'insoucianceétaient bel et bien terminés.

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    Jugeant qu'il valait mieux élever une enfant à lacampagne, il avait sagement décidé de s'installerau château de Westfield.

    « Oui, me voilà devenu chef de famille, se dit-ilen gravissant le perron. Et on ne peut pas direque je me tire très bien d'une tâche dont je meserais volontiers passé. »L'imposante porte cloutée s'ouvrit

    brusquement. La silhouette anguleuse d'unegrande femme toute vêtue de gris souris apparut.Elle brandissait belliqueusement un parapluiealors que l'on ne voyait pas un seul nuage dans leciel.

    —  Oh, milord! Je...—  Bonjour, mademoiselle Durston. Tout s'estbien passé ?Mlle Durston serra contre sa maigre poitrine un

    vieux cartable en moleskine.

    —  Je suis désolée, milord, mais je refuse decontinuer à donner des leçons de piano à MlleCharlyse. Elle est... elle est absolumentimpossible.

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    L'espace d'un instant, le comte ferma les yeux.Certes, il s'attendait plus ou moins à cela... Maispas avant une ou deux semaines. Hélas, il ne lui

    fallait même pas compter sur un tel répit.Mlle Durston était le troisième professeur de

    musique qu'il engageait. Comme c'était la sœurde sa femme de charge, il avait espéré qu'elleréussirait là où les autres avaient échoué.

    Il tenta de la faire fléchir.—  Allons, mademoiselle ! Charlyse n'estqu'une petite fille de dix ans, ne dramatisez pas.—  Je regrette, milord, mais ma décision estprise. J'ai tout essayé, sans résultat. Jamais je ne

    pourrai apprendre quoi que ce soit àmademoiselle votre sœur. Sur ces mots, elle lui fit une rapide révérence

    avant de dévaler les marches. Puis elle se hâtadans l'allée en faisant de grands moulinets avec

    son parapluie.James de Westfield la suivit des yeux.« Avec son chapeau de travers, on dirait un

    épouvantail », pensa-t-il, tout en passant la main

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    dans ses cheveux sombres, ébouriffés par labrise.Grand, mince et bien découplé, le nouveau

    comte avait une allure à la fois élégante etsportive. Et comme il était beau avec son profilaquilin, ses yeux pénétrants, son front haut etson menton volontaire !Il jura entre ses dents.

    « Ah, c'est gai ! Moi qui pourrais mener uneexistence si agréable... Au lieu de cela, je doism'occuper d'une gamine mal élevée, égoïste ettrop gâtée. »Il monta directement au deuxième étage, où se

    trouvait la nursery. Avant même d'arriver sur lepalier, il entendit les hurlements de sa sœur. —  Vous êtes sourde ? criait-elle. Je vous ai ditnon. Non, non et non !Le comte poussa la porte juste au moment où

    une servante de chambre suppliait:—  Voyons, mademoiselle Charlyse! Il fautvous habiller.—  Non, non et non !

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    Une petite fille brune, vêtue d'une chemise etd'un jupon duquel dépassait un petit pantalonbordé de dentelles, tournait le dos à la

    domestique qui lui présentait une robe rose.—  Mademoiselle Charlyse, il faut...A ce moment-là, la femme de chambre vit le

    comte et lui fit la révérence.Quand l'enfant aperçut le nouveau venu, elle

    prit un air excédé, tandis que, patiemment, ladomestique répétait :—  Il faut vous habiller, mademoiselleCharlyse.—  Voilà une bien jolie robe, dit le châtelain

    avec un entrain forcé. N'est-ce pas, Molly?—  En effet, milord. C'est celle que MlleCharlyse doit mettre pour aller au manoir deGlendowning. Elle a été invitée à l'anniversaire deMlle Lucy...

    —  Oh, oui, c'est vrai! fit le comte sansenthousiasme. Il faut aller là-bas.—  Il est temps que Mlle Charlyse se prépare.Mais...

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    Molly n'eut pas besoin d'en dire davantage. Lecomte avait compris...—  Charlyse ? fit-il d'un ton interrogateur.

    Elle se boucha les oreilles, tout en secouant sesboucles sombres.—  Allez-vous-en, tous. Vous entendez? Allez-vous-en ! Je veux qu'on me laisse tranquille.« Si je m'écoutais, je lui donnerais volontiers

    une fessée », se dit James.Au lieu de cela, il déclara gentiment :

    —  Allons, sois raisonnable, Charlyse ! Mollydit que tu dois te préparer pour aller chez tonamie Lucy Glendowning.

    —  Lucy Glendowning n'est pas mon amie, jene l'ai vue qu'une fois et je l'ai trouvée bêtecomme ses pieds. Je ne veux pas aller chez elle.D'abord, je déteste les fêtes.—  Ah, bon! Tu détestes les fêtes, maintenant?

    Autant que le piano ?La petite fille frappa du pied.

    —  C'est ce stupide professeur que je déteste.Jamais mes parents ne m'auraient obligée àprendre des leçons de musique avec une vieille

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    femme idiote comme celle-là. Elle ne comprendrien à rien. Et puis elle sent mauvais.James de Westfield soupira. Depuis son arrivée

    en Angleterre, Charlyse s'était montrée...impossible, oui, comme le disait Mlle Durston.Elle traitait mal les domestiques, mangeait àpeine et refusait de toucher au clavier d'un piano.Pourtant, James s'entêlait, persuadé que la

    musique aurait une influence bénéfique sur cetteenfant révoltée.« Mieux vaut attendre la rentrée avant

    d'engager une gouvernante, s'etait-il dit. Charlysedoit d'abord s'habituer aux coutumes anglaises. »

    De toute manière, il n'y avait aucune urgencepour qu'elle reprenne ses cours: d'après lerapport que lui avait envoyé la gouvernanteaméricaine de sa sœur, cette dernière était uneexcellente élève.

    James s'efforçait de comprendre la petite fille.« Le problème, c'est qu'elle a toujours fait ce

    qu'elle voulait. On a cédé à tous ses caprices.Personne ne lui a jamais dit "non". Pour toutarranger, elle vient de perdre ses parents, et elle

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    a dû quitter un cadre familier pour venir vivre surun autre continent avec son demi-frère, unhomme qu'elle n'avait jamais vu de sa vie. Quelle

    série de chocs! Elle a de bonnes raisons pour êtreperturbée.»Il prit la robe des mains de la femme de

    chambre et lui fit signe de quitter la pièce. Puis ils'apprêta à livrer bataille à l'enfant de dix ans qui

    le fixait d'un air buté a travers ses boucles noires.

    Dans une charmante demeure située tout aubout du village de Preston Bailey, MarisaBradshaw se planta devant la grande psyché de

    sa chambre.Pas plus que Charlyse de Westfield, elle n'avait

    envie de se rendre chez les Glendowning.—  Mère, suis-je vraiment obligée d'y aller?—  Quelle question, Marisa!

    —  Ma vieille robe de tennis est trop courte.—  Pas du tout.—  Maintenant que j'ai dix-huit ans et que jeréunis mes cheveux en chignon, je devrais porter

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    une robe de tennis plus longue, insista la jeunefille.Sa mère haussa les épaules.

    —  Tu es très bien ainsi.—  J'ai l'air ridicule. Suis-je vraiment obligéed'aller là-bas ? redemanda la jeune fille.—  Écoute, lady Glendowning a eu lagentillesse de t'inviter à l'anniversaire de sa

    petite dernière, tu devrais être contente.Pendant que Lucy s'amusera avec des enfants deson âge, tu joueras au tennis avec Sophie, l'aînéedes Glendowning, et toutes vos amies.« Ce ne sont pas vraiment mes amies, pensa

    Marisa. Et mon père disait toujours que lesGlendowning avaient des manières de nouveauxriches. »À voix haute, elle déclara d'un air boudeur:

    —  Je parie que toutes ces demoiselles auront

    des robes de tennis neuves. Mon Dieu, regardezce chignon! On dirait un nid de pies.Comme les Bradshaw n'avaient pas de femme

    de chambre stylée, il fallait bien que Marisa se

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    coiffe elle-même. Et malheureusement, ellen'était pas très douée...—  Je n'arrive jamais à discipliner mes

    cheveux, se plaignit-elle en contemplant sonreflet avec désespoir.Elle ne se rendait pas compte combien elle était

     jolie avec ces mèches folles qui encadraient sonravissant visage d'un halo doré.

    —  Comme tu deviens capricieuse ! s'étonnaMme Bradshaw.Pensive, elle poursuivit:

    —  Tu dois pourtant beaucoup à ladyGlendowning. Elle avait engagé d'excellents

    professeurs pour sa fille aînée. Rien ne l'obligeaità te proposer de faire tes études avec elle.Marisa ne répondit pas. Mais elle s'était sentie

    un peu comme la cousine pauvre quand, chaquematin, elle se rendait au manoir afin d'étudier.

    —  Je ne suis pas devenue l'amie de Sophiepour autant. Elle me regardait toujours d'un airhautain. Et pourtant, elle avait bien du mal àsuivre les cours.

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    Mme Bradshaw soupira. Depuis la mort de sonmari, John Bradshaw, un pianiste et compositeurqui ne vivait que pour la musique, la vie n'avait

    pas été tendre pour elle. Quelques annéesauparavant, ses deux fils avaient été tués enAfrique du Sud pendant la guerre des Boers.Maintenant, il ne lui restait plus que Marisa...—  Pourquoi n'ai-je pas une robe de tennis

    neuve? demanda la jeune fille d'un air boudeur.« Par pudeur, j'ai évité de la mettre au courant

    des difficultés matérielles dans lesquelles je medébats quotidiennement. Elle devine beaucoupde choses, certes, mais elle ne sait pas tout,

    pensa Mme Bradshaw. Par exemple, elle croitque je suis propriétaire de cette maison, alorsque je me contente de la louer... et que le loyer aencore augmenté cette année. »Elle s'efforça de sourire.

    —  Te faire confectionner une tenue que tun'auras presque jamais l'occasion de porter...—  Ce serait du gaspillage, admit Marisa avecrésignation.—  Exactement.

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    —  Je pourrais travailler, suggéra la jeune fille.Après tout, j'ai dix-huit ans et, grâce à ladyGlendowning, j'ai reçu une bonne éducation. Si je

    trouvais un emploi, cela me permettrait de vousaider.Elle se mit à rêver.

    —  Imaginez que je gagne assez d'argent pourvous emmener à l'étranger ou dans les

    restaurants ou vous alliez autrefois avec monpère!Mme Bradshaw esquissa un sourire un peu

    triste.—  Ton père n'aimait guère sortir. Il n'était

    heureux que devant son piano.Elle embrassa sa fille.

    —  Allons! Prends ta raquette et va t'amuser.Ne rentre pas trop tard.—  Comment passerez-vous l'après-midi,

    mère?—  J'ai quelques travaux de couture àterminer. Puis j'établirai avec Mme Amos lesmenus de la semaine. Et je me reposerai car j'aiun peu mal à la tête.

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    Mme Bradshaw porta la main à son cœur. Ungeste machinal qu'elle répétait souvent cesderniers temps.

    —  Je trouve qu'il fait très chaud aujourd'hui.—  Pas plus que les autres jours. Voulez-vousque je reste avec vous ?—  Certainement pas ! s'exclama MmeBradshaw en riant. Je tiens à ce que tu ailles chez

    les Glendowning. Qui sait ? Tu rencontreras peut-être là-bas l'homme de tes rêves, et tous nosproblèmes se trouveront résolus.La jeune fille secoua la tête.

    —  Quels que soient nos problèmes, le jour où

     je me marierai, ce sera par amour. Je rêve detrouver un jour celui qui me rendra aussiheureuse que vous l'avez été avec mon père.Mme Bradshaw demeura silencieuse.Oui, elle avait été heureuse avec son mari - tout

    en sachant qu'elle passerait toujours en second.Car John Bradshaw ne songeait qu'à sa musique.Celle qu'il composait, et sa collection departitions manuscrites signées de compositeursmineurs.

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    Au cours des années, Mme Bradshaw avait étéobligée d'en vendre quelques-unes. L'un de sesvoisins, sir Alexander Palmer, ne demandait qu'à

    lui acheter sans trop marchander tout ce qu'ellelui proposait. Plusieurs fois, il lui avait proposéd'acheter la totalité de cette collection pour unesomme relativement importante. Mais la mèrede Marisa manifestait une certaine réticence à la

    perspective de devoir se séparer de cesmanuscrits qui représentaient tant pour sonmari.—  Va vite, ma chérie ! Et n'oublie pas detransmettre mes amitiés à lady Glendowning.

    Marisa embrassa sa mère, prit le petit cadeausoigneusement enveloppé qu'elle devait donnerà Lucy, mit sa vieille raquette sous son bras etpartit d'un bon pas en direction du manoir deGlendowning, une bâtisse relativement récente

    qui s'élevait à l'autre bout du village de PrestonBailey.Elle revit le visage pâle et soucieux de sa mère,

    les cernes qui creusaient ses yeux, les fils blancs

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    qui devenaient de plus en plus nombreux dans sachevelure.« Il faut vraiment que je trouve le moyen de

    l'aider en gagnant de l'argent, pensa-t-elle.Malheureusement, dans un trou perdu commecelui-ci, selon les termes de Sophie, à quoipourrais-je prétendre ? A un emploi de femme dechambre ou de fille de ferme. A part cela, je ne

    vois pas. Certes, il n'y a pas de sot métier... Mais jamais ma mère n'accepterait que je devienneune domestique. »Tout en poursuivant son chemin, elle continuait

    à chercher une solution.

    —  Si seulement il y avait des boutiques àPreston Bailey, je pourrais être vendeuse. »Mais il n'y avait que trois magasins au village:

    une boulangerie, une épicerie et une boucherie.Et tous les trois étaient tenus par leurs

    propriétaires.—  J'oubliais le pub des Chasseurs, qui proposetrois ou quatre chambres d'hôtel aux colporteursde passage. »

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    ^ Marisa ne put s'empêcher de rire en imaginantl'expression de sa mère, si elle lui annonçaitqu'elle allait travailler comme serveuse dans un

    pub.Il était certain que, grâce à lady Glendowning,

    elle avait pu acquérir une excellente instruction.« Mais mon plus grand atout, c'est mon talent

    de pianiste », se dit-elle encore.

    Et pourquoi n'apprendrait-elle pas la musiqueaux enfants des riches demeures des alentours?« Il y a déjà tant de professeurs ! Pour la plupart,

    il s'agit de personnes qualifiées ayant étudié auConservatoire. Bien jouer du piano? Cela ne

    représente pas une recommandation suffisante.»L'impressionnante grille en fer forgé du manoir

    était grande ouverte. Le concierge en livrée, quila connaissait, lui adressa un petit salut

    indifférent.« Toujours la cousine pauvre», pensa-t-elle en

    serrant les dents.Dans l'allée bordée d'hortensias, on voyait les

    marques laissées par le passage de nombreuses

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    voitures. Déjà, deux jardiniers ratissaient legravier.« Voilà un travail bien inutile, pensa Marisa. Ils

    vont être obligés de tout recommencer après ledépart des invités. »Mais lady Glendowning tenait à ce que tout soit

    impeccable.Les jardiniers la saluèrent à leur tour avec une

    certaine condescendance. La jeune fille pensaque, même pour des domestiques, la différenceentre elle et les autres devait être flagrante.« Ils sont tous venus en voiture, tandis que moi,

     j'arrive à pied. »

    Elle se baissa pour brosser de la main seschaussures en toile blanche et ses bas déjàpoussiéreux.Puis elle gravit le perron et dut sonner.« Quand une voiture arrive, les valets se

    précipitent. Mais, évidemment, ils n'ont pasentendu le bruit de mes pas. »Ce fut le majordome qui ouvrit.

    —  Tiens, mademoiselle Bradshaw, fit-il en latoisant avec hauteur.

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    —  Bonjour, Judson, lança-t-elle.Et, refusant de se laisser intimider, elle pénétra

    dans le hall dallé de marbre.

    Les portes des salons étaient entrouvertes. Unmurmure de voix parvint jusqu'à elle, et elle enconclut que les parents des enfants qui fêtaientlà-haut l'anniversaire de Lucy avaient été invités àprendre le thé.

    —  Mlle Sophie et ses amis sont déjà tous auxcourts de tennis, mademoiselle, lui dit lemajordome. Je vais demander à un valet de vousy conduire.—  Ce n'est pas la peine, je connais le chemin.

    Le majordome inclina la tête sans la moindredéférence.—  Très bien. Je vous laisse, fit-il du bout deslèvres.La jeune fille se sentit rougir.

    « Judson un œil de lynx. Il a déjà dû remarquer que je porte une vieille robe et des baspoussiéreux. Il sait que ma mère n'a pas d'argentet que si j'ai pu suivre des cours avec Sophie,c'était parce que lady Glendowning m'avait prise

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    en pitié. Je parie que le boucher a dû raconterpartout que sa note n'était jamais payée àtemps... »

    Pourquoi devenait-elle soudain aussi conscientede tout cela ?« Que m'arrive-t-il? se demanda-t-elle avec

    étonnement. Quelques jours auparavant, j'auraisà peine remarqué l'attitude de ce majordome qui

    se croit plus important que ses maîtres. »Elle traversa le hall en s'efforçant de se tenir

    bien droite. Et pourtant, si elle s'était écoutée,elle aurait baissé la tête et voûté les épaules.Arrivée sur la terrasse qui dominait les jardins,

    elle eut envie de faire demi-tour en entendant leson des balles qui rebondissaient sur la terrebattue.« Que m'arrive-t-il ? » se redemanda-t-elle.La veille encore, elle n'aurait pas hésité une

    seconde a courir à travers les pelouses et laroseraie pour rejoindre Sophie et les autres, ceuxqu'elle croyait ses amis, et qui ne l'étaient pasvraiment.

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    « En fin de compte, je ne suis reçue ici que parcharité. »Elle s'aperçut qu'elle avait toujours à la main le

    petit cadeau destiné à Lucy. Pas mécontente depouvoir retarder le moment où elle devrait faireface aux riches amis de Sophie, elle posa saraquette sur une table de jardin et retourna dansle hall.

    Le majordome avait disparu. Que devait-ellefaire ? Porter ce présent en haut et le remettre àLucy elle-même ?—  Vos chaussures sont sales, fit une voixclaire, d'un ton sans appel.

    Sachant qu'une telle remarque ne pouvaits'adresser qu'à elle, Marisa se retourna et vit unepetite fille assise dans l'escalier monumental àrampe sculptée. Elle portait une robe rose àvolants et des rubans en velours, roses

    également, retenaient ses boucles sombres.—  Et puis vous êtes mal habillée, poursuivitl'enfant. Une grande personne ne met pas devêtements aussi courts.

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    « Quelle gamine mal élevée ! » se dit Marisa,interloquée.—  Vous êtes une domestique ? reprit la petite

    fille. Je veux un verre de limonade. Allez mechercher cela.Marisa, pas encore revenue de sa stupeur, ne

    bougeait pas.—  Vous m'avez entendue ? Je veux un verre

    de limonade. Tout de suite !Marisa retrouva enfin sa voix.

    —  Désolée, je ne suis pas une domestiquemais, si j'en étais une, je n'aimerais pas que l'onme parle sur ce ton. Quand vous demandez

    quelque chose, vous pourriez parler gentiment.Et ne pas oublier de dire « s'il vous plaît ».Sans répondre, l'enfant la fixa droit dans les

    yeux, d'un air rétif.—  Vous ne devriez pas être là-haut pour

    l'anniversaire de Lucy ? interrogea Marisa.—  Je m'ennuie, là-haut. Je déteste Lucy et sesamies. Elles ne connaissent que des jeuxstupides.

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    « Eh bien, quel caractère ! » pensa Marisa, deplus en plus abasourdie.La porte d'un salon s'ouvrit. Aussitôt, la petite

    fille s'enfuit vers les étages supérieurs dans unenvol de jupons blancs.« Oh, c'est bien ma chance ! » se dit Marisa en

    voyant apparaître sir Alexander Palmer.C'était lui qui s'intéressait à la collection de

    manuscrits que détenait lady Bradshaw.La plupart des gens trouvaient séduisant cet

    homme d'une quarantaine d'années aux traitsréguliers et aux tempes grises. Sans véritableraison, Marisa se méfiait de lui. Elle le trouvait

    doucereux avec ses sourires qui ressemblaient àdes grimaces et n'atteignaient jamais ses lèvresminces.—  Tiens, mais c'est Mlle Bradshaw! s'exclama-t-il

    Elle lui fit une rapide révérence.—  Bonjour, sir Alexander.—  Je vois que vous êtes allée jouer au tennis.Voilà un sport bien agréable par une belle journée d'été comme celle-ci.

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    —  En effet, dit Marisa, sans juger utiled'expliquer qu'elle n'avait pas encore eul'occasion de faire un seul échange de balle.

    Sir Alexander Palmer l'examina, les yeux étrécis.—  Maintenant que vous êtes là, vous pourriezpeut-être rendre un petit service à ladyGlendowning ?—  Moi ? s'étonna la jeune fille.

    —  Il y a cinq minutes, lady Glendowning disaitqu'elle aimerait entendre un peu de musique,mais personne ne s'est porté volontaire pouraller s'installer au piano. Votre mère m'a souventdit que vous étiez une excellente pianiste. Voici le

    moment de montrer votre talent. Venez donc jouer pour nous.

    Marisa recula.—  Je ne suis pas habillée comme il convientpour me montrer dans un salon.

    —  Peuh ! C'est sans importance.D'autorité, il lui prit le cadeau des mains et le

    lendit à un valet qui passait par là.—  Pour la petite qui fête son anniversaire. Dela part de Mlle Bradshaw.

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    Là-dessus, d'autorité, il la saisit par le coude etl'entraîna dans les salles de réception.—  Excusez-moi... excusez-moi, répétait-il en

    se frayant un passage entre les groupes élégants.Très rouge, la jeune fille garda les yeux fixés sur

    le bout de ses vieilles chaussures en toilependant que sir Alexander expliquait à ladyGlendowning que Marisa Bradshaw allait se

    mettre au piano.La maîtresse de maison, qui était vêtue d'une

    robe d'après-midi en moire vert pâle ornée degalons en velours d'un vert plus foncé,s'exclama :

    —  Mais c'est vrai ! Marisa est une bonnepianiste. Elle va pouvoir apporter le fond musicalqui nous manquait.Quelques instants plus tard, la jeune fille se

    retrouva assise devant le grand piano à queue.

    Les conversations continuaient, mais elle n'enavait cure. Elle savait bien qu'on l'écouterait àpeine.«Juste un fond musical, a dit lady

    Glendowning», pensa-t-elle avec ironie.

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    Qu'allait-elle interpréter? Elle se souvint d'unesérie de petites pièces composées par son père.Celles-ci lui parurent parfaitement indiquées

    pour l'occasion. Sans hésiter davantage, elle réglale tabouret, se pencha sur le clavier, et ses doigtsse mirent à courir sur les touches d'ivoire etd'ébène.—  Vous jouez très bien, dit un homme de

    haute taille qui venait de la rejoindre.Du coude, il s'appuya sur le piano.

    —  Et quelle charmante musique ! Il ne s'agitpas d'une œuvre très connue. J'ai beau chercher, je n'arrive pas à deviner qui a pu la composer.

    Marisa adressa un petit sourire à cet inconnuaux cheveux sombres et aux yeux pénétrants.—  Vous ne pouvez pas la connaître, monsieur,pour la bonne raison qu'il s'agit d'une série depetites pièces composées par mon père qui les a

    baptisées Mélodies d'été. J'ai pensé qu'ellesseraient appropriées pour l'occasion.—  Tout à fait.En continuant à jouer, la jeune fille se demanda

    qui était cet homme. Une chose était sûre: il

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    n'habitait pas Preston Bailey ni les environs,sinon elle le connaitrait.—  Et vous jouez de mémoire, remarqua-t-il.

    C'est exceptionnel pour une adolescente commevous.Marisa se redressa sur le tabouret.

    —  Je ne suis plus une adolescente, monsieur.J'ai dix-huit ans, annonça-t-elle fièrement.

    L'homme retint un sourire. Avec sa robe detennis en piqué blanc et les boucles blondes quis'échappaient d'un chignon fait à la hâte, cettetrès jeune fille qui prétendait avoir dix-huit ansn'en paraissait pas plus de quinze.

    Après avoir terminé les Mélodies d'Été, Marisaattaqua une valse de Chopin.Soudain, la petite fille en rose fit irruption dans

    le salon. Elle courut jusqu'au piano et se mit àfrapper Marisa de ses poings fermés en hurlant:

    —  Arrêtez ! Arrêtez !L'homme qui s'était accoudé au piano saisit

    l'enta nt à bras-le-corps.—  Charlyse, cela suffit ! Tu m'entends ? Envoilà des façons! Tu n'as pas honte?

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    L'enfant se débattait de toutes ses forces. Unpetit pied chaussé d'un escarpin verni frappaMarisa à l'épaule.

    —  Aïe !—  Bien fait ! cria Charlyse.—  Je n'ai jamais vu une enfant aussi malélevée, déclara la jeune fille avec colère. Sa mèredevrait avoir honte de sa conduite.

    Charlyse éclata brusquement en sanglots.—  Sa mère est morte, dit l'homme d'un tonglacial.Marisa se leva.

    —  Je suis désolée. Mais le chagrin peut-il

    excuser un tel comportement ?Charlyse continuait à pleurer désespérément.

    —  Je vais la ramener à la maison, dit celui queMarisa prenait pour le père de l'enfant. Elle estépuisée. Je regrette profondément cet incident.

    Et je regrette encore plus que vous soyezincapable de manifester la moindrecompréhension, mademoiselle. Perdre sa mère...c'est terrible.—  Je... euh...

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    Il lui coupa la parole.—  J'espère que vous n'aurez pas à subir avanttrès longtemps une pareille épreuve.

    Sur ces mots, tout en portant la petite fille, il allasaluer rapidement lady Glendowning. Avant qu'ilne franchisse la porte qui donnait sur le hall,Charlyse tira la langue à Marisa.Sir Alexander Palmer rejoignit cette dernière.

    —  Eh bien, en voilà une histoire !Il laissa échapper un rire moqueur.

    —  Vous venez de vous faire un ennemi,mademoiselle.Marisa se laissa tomber sur le tabouret. Déjà,

    elle regrettait d'avoir parlé sans réfléchir. Maiscomment aurait-elle pu deviner que cette petitefille avait perdu sa mère ?—  Je ne connais même pas le nom de cemonsieur.

    —  C'est le nouveau comte de Westfield. Il esttout récemment venu vivre au château avecCharlyse, sa...—  Sir Alexander ? appela lady Glendowning.—  J'arrive, mon amie. J'arrive.

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    Sans le moindre plaisir - car après sa prise debec avec le comte de Westfield, elle se sentaitquelque peu déstabilisée -, Marisa joua quelquesautres œuvres pour les invités de lady

    Glendowning. Puis elle décida que le momentétait venu de prendre congé.« Tant pis pour le tennis », se dit-elle.De toute façon, elle ne tenait guère à retrouver

    Sophie et ses amis prétentieux.

    La jeune fille s'apprêtait à rentrer à pied quandsir Alexander Palmer avait insisté pour laramener.Fatiguée, énervée, elle ne s'était pas fait

    longtemps prier. D'autant plus qu'il faisait

    toujours très chaud et que pas un souffle de ventne rafraîchissait l'atmosphère.Elle n'avait écouté que d'une oreille le

    monologue de sir Alexander pendant le courttrajet qui séparait le manoir du village. Elle ne

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    cessait de revoir le visage furibond du comte deWestfield, d'entendre ses paroles cinglantes.Comment avait-elle pu faire preuve d'une telle

    sévérité envers une petite fille? Elle avait honted'elle.Dès que la luxueuse calèche laquée de vert

    foncé s'arrêta devant chez elle, elle saisit saraquette de tennis et sauta à terre.

    —  Je devrais vous inviter à entrer mais, àcette heure-ci, ma mère se repose, prétendit-elle.Sir Alexander lui adressa l'un de ses sourires qui

    ressemblaient à des grimaces, tandis que sesyeux restaient froids.

    —  Transmettez mon meilleur souvenir à MmeBradshaw. Je ne manquerai pas de venir la saluerprochainement.Il se pencha pour prendre la main de la jeune

    fille, mais celle-ci était déjà hors de portée.

    Du bout de son fouet, le cocher effleura lacroupe des chevaux qui repartirent aussitôt.—  Je déteste sir Alexander, marmonna Marisapendant que la voiture s'éloignait au petit trot.

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    Elle s'étonna de haïr tant de monde en cemoment. Sir Alexander, Sophie Glendowning...« Ils s'efforcent d'être gentils avec moi,

    pourtant. Mais cela ne me paraît pas sincère», sedit-elle en traversant le joli jardin fleuri dont samère était si fière.Au moment où elle s'apprêtait à ouvrir la porte,

    un hurlement épouvantable lui glaça le sang. Elle

    se figea sur place, terrifiée.« Mon Dieu ! Que se passe-t-il ? »Le hurlement lui avait semblé venir du premier

    étage. Sans trop savoir comment, elle gravitl'escalier en courant et arriva sur le palier juste au

    moment où Mme Amos se précipitait hors de lachambre de Mme Bradshaw.Mme Amos, la cuisinière, était leur unique

    employée, avec Lily, une jeune villageoise quivenait aider au ménage pendant quelques heures

    par jour.—  C'est terrible, mademoiselle Marisa ! cria-t-elle. Je vais chercher le docteur Turner. N'entrezsurtout pas dans la chambre de Madame,mademoiselle !

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    Sans tenir compte de ces recommandations, la jeune fille pénétra dans la pièce dont ladomestique avait laissé la porte ouverte.

    Sa mère gisait sur son lit, le visage renversé enarrière, les yeux révulsés. Très pâle, elle nerespirait plus.Marisa lui prit la main. Une main inerte, froide.

    Oh, si froide!

    —  Mère! appela-t-elle.Seul le silence lui répondit.Mme Amos revint une demi-heure plus tard, en

    compagnie du docteur Turner.Ils trouvèrent la jeune fille, en pleurs,

    agenouillée près du lit de la défunte. Doucement,le vieux médecin qui la connaissait depuistoujours l'aida à se relever et l'emmena au salon.—  Il faut que vous soyez courageuse, Marisa.Votre mère souffrait d'une grave maladie

    cardiaque. Je m'attendais à un dénouement de cegenre d'un jour à l'autre.—  Pourquoi... pourquoi ne m'a-t-elle rien dit?sanglota la jeune fille.—  À quoi bon ?

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    —  Si j'avais su qu'elle était souffrante, je nel'aurais jamais quittée, je...—  Elle tenait à ce que, dans la mesure du

    possible, vous meniez une vie normale sansdevoir vous soucier tout le temps de sa santé.La jeune fille se prit la tête entre les mains.

    —  Pourquoi l'ai-je laissée justementaujourd'hui ? Si j'étais restée, aurais-je pu la

    sauver ?—  Non, déclara-t-il avec fermeté. Vousn'auriez rien pu faire. Et moi pas davantage,hélas !

    Les obsèques de Mme Bradshaw avaient étécélébrées ce matin-là dans la petite église dePreston Bailey. Puis on l'avait enterrée aux côtésde son mari.Seuls les gens du village, ainsi que quelques-uns

    des membres de la famille qu'avait pu prévenir la jeune fille avaient assisté à la cérémonie.

    Marisa, vêtue d'une vieille robe noire de samère, un peu trop grande pour elle, se retrouvaenfin seule avec son chagrin.

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    Ses lointains cousins avaient tenu à mettre leschoses au point presque crûment : ils avaienttous leur vie à mener et elle ne devait pas

    compter sur eux.« De toute façon, je ne leur ai rien demandé ! »

    se dit la jeune fille dans un sursaut d'orgueil.—  Ainsi, votre mère louait cette maison? luiavait dit une tante au visage revêche.

    —  Mais... oui.—  Certes, elle est bien agréable, mais le loyerdoit en être élevé. Elle aurait pu s'installer dansune demeure modeste. Je ne comprends paspourquoi les gens veulent vivre au-dessus de

    leurs moyens. Le plus sage serait que vousannonciez le plus vite possible au propriétairequ'il va pouvoir en disposer.Quoi, non seulement elle avait perdu sa mère,

    mais elle devait aussi dire adieu au ravissant

    cottage où elle était née ?Marisa s'assit devant le secrétaire où Mme

    Bradshaw gardait ses documents. Elle répugnait à jeter un coup d'œil dans tout cela : il lui semblaitcommettre une indiscrétion.

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    —  Mais comment faire autrement? soupira-t-elle.Après avoir étudié les papiers, elle sut à peu

    près où elle en était. Premièrement, la locationde cette maison coûtait en effet très cher.Deuxièmement, il ne restait presque plusd'argent à la banque. Et troisièmement, la petitepension que recevait Mme Bradshaw mère devait

    s'éteindre avec elle.« Voilà des perspectives peu réjouissantes, se

    dit la jeune fille. Je vais me retrouverpratiquement sans rien. »Soit, il lui restait les bijoux de sa mère... Avec

    une certaine réticence, elle ouvrit les écrins ettrouva, entre une paire de boucles d'oreillesornées de minuscules diamants, deux petitscolliers, l'un de perles et l'autre d'améthystes.Elle ne se faisait pas d'illusion. Tout cela ne

    devait pas valoir une fortune.« Comme les choses peuvent changer vite,

    pensa-t-elle avec désespoir. Il y a quelques jours, je me désolais de devoir porter une robe de

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    tennis trop courte. Aujourd'hui, j'en suis à medemander ce que je mangerai demain. »Un coup de sonnette la fit sursauter. Grâce au

    ciel, elle avait demandé à Mme Amos den'introduire personne.Mais quelques secondes plus tard, la porte du

    salon s'ouvrit en grand.—  Sir Alexander Palmer, annonça Lily, qui ne

    devait probablement pas être au courant desinstructions.—  Mais j'avais dit que...Elle s'interrompit car celui qu'elle cherchait

    toujours à éviter faisait son entrée dans la pièce.

    Elle comprit que, pour Lily, ce visiteur était tropimportant pour se voir appliquer les mêmesrègles qu'au commun des mortels.Sir Alexander avait envoyé une superbe

    couronne de roses et, après avoir assisté à

    l'enterrement, était venu au cimetière afin deprésenter ses condoléances à la jeune fille.—  Ma pauvre enfant ! s'exclama-t-il.Elle porta son mouchoir à ses yeux.

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    —  Excusez-moi, sir Alexander. Notredomestique n'aurait pas dû vous faire entrer. Jene reçois pas en ce moment.

    —  Je le comprends bien, ma chère enfant.Il alla s'adosser à la cheminée et regarda autour

    de lui d'un air important.—  Ne vous inquiétez pas : je n'ai pasl'intention de vous importuner longtemps. Mais

     je voulais vous parler affaires.—  Affaires ? répéta-t-elle en haussant lessourcils. Croyez-vous que le moment soit bienchoisi pour...Il l'interrompit.

    —  Mme Bradshaw m'avait vendu certainespartitions de la collection de son mari. Desmanuscrits sans beaucoup de valeur, certes, maistrès intéressants pour un amateur comme moi.—  Sir Alexander...

    Il lui coupa de nouveau la parole.—  Je suppose que vous allez devoir faire faceà de nombreuses dépenses. C'estmalheureusement toujours le cas lors d'un décès.Aussi je tenais à vous dire que j'étais prêt à vous

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    acheter l'ensemble de cette collection pour unbon prix.Marisa demeura silencieuse. Certes, elle avait

    besoin d'argent ! Mais vendre les manuscritsauxquels son père tenait tant...Elle se souvint soudain de ce que sa mère lui

    avait dit une fois :—  Parmi ces partitions, dont la plupart ne

    peuvent intéresser que des connaisseurs, il y en aune pour laquelle un musée paierait une fortune.Il s'agit du manuscrit d'une sonate de Beethovenécrite et annotée par le grand maître lui-même.Marisa avait ouvert de grands yeux.

    —  Beethoven !—  Oui, Beethoven... J'ai mis ce manuscrit ensécurité. Ton père y tenait plus qu'à la prunellede ses yeux, et je crois bien que je ne trouverai jamais le courage de le vendre, même si cela

    devait nous permettre de vivre dans l'aisance.Où était passé ce manuscrit? Jamais Marisa ne

    l'avait vu. En tout cas, il ne se trouvait pas avecles autres.La jeune fille s'éclaircit la voix.

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    —  Je vous remercie vivement de votre offre,sir Alexander. Mais il faut me laisser le temps d'yréfléchir.

    Il fronça les sourcils.—  Soit ! Peut-être me permettrez-vous, dansles jours à venir, d'examiner tout cela ? Jepourrais ainsi vous faire une proposition chiffrée.—  Pour le moment, je ne sais que vous dire.

    Mes parents tenaient tous les deux à cettecollection, et la vendre représenterait pour moiun crève-cœur. —  Même si vous avez désespérément besoind'argent?

    « Décidément, tout se sait vite à Preston Bailey», pensa la jeune fille avec découragement.—  Mademoiselle, j'insiste...La porte du salon s'ouvrit de nouveau. Lily

    apparut, son petit bonnet en broderie anglaise

    tout de travers.—  Le comte de Westfield, annonça-t-elle avecsurexcitation.

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    Stupéfaite, Marisa vit entrer le châtelain quil'avait si durement rabrouée quelques joursauparavant.

    Ce dernier adressa un bref signe de tête à sirAlexander.—  Cela me fait plaisir de vous revoir, milord,dit ce dernier presque obséquieusement.Il se tourna vers Marisa avant d'ajouter d'un ton

    plein de componction :—  J'aurais cependant préféré que ce soit dansde moins tristes circonstances. Je vous laisse,mademoiselle. Pensez à ce que je viens de vousdire. Je vous contacterai dans quelques jours.

    Un silence pesa après son départ. La jeune fillecontempla ses doigts crispés sur un petitmouchoir en dentelle. Puis elle prit une profondeinspiration.—  Milord, je tiens à m'excuser pour vous

    avoir parlé comme je l'ai fait à Glendowning,déclara-t-elle d'un trait. Je le regretteprofondément.—  Mademoiselle...

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    —  Je me suis conduite d'une manière stupideet puérile.En soupirant, elle enchaîna :

    —  Le destin m'a joué le même jour un tourbien cruel. En effet, quand je suis rentrée chezmoi, ma mère... ma mère...Elle réussit à retenir ses sanglots avant de

    terminer:

    —  Ma mère était morte.—  J'étais à Londres. C'est seulement enrevenant ce matin que j'ai appris cettedramatique nouvelle. Il était trop tard,malheureusement, pour que je puisse aller à

    l'église.Il marqua une pause avant de poursuivre :

    —  Je vous en prie, ne pensez plus à ce quevous avez dit au sujet de Charlyse. Vous savez,cela nous arrive à tous de parler trop vite, sans

    prendre le temps de mesurer l'impact de nosparoles.Marisa esquissa une petite révérence en guise

    de remerciement.

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    —  Charlyse a perdu sa mère, murmura-t-elle,au bord des larmes. Je comprends mieux saréaction maintenant que je viens de perdre la

    mienne.Épuisée, éperdue de chagrin, elle vacilla. Le

    comte la prit par la taille et la fit asseoir.—  Reposez-vous un peu, mademoiselle. Maisoù sont les vôtres ? Votre famille ? Vos amis ?

    Vous ne devriez pas être seule dans un momentpareil.La jeune fille porta la main à son front.« Je vais m'évanouir, pensa-t-elle confusément.

    Ah, c'est bien le moment ! De quoi vais-je avoir

    l'air ? »James l'examina avec inquiétude.

    —  Ne bougez pas, ordonna-t-il avant d'allertirer le cordon usé de la sonnette.Lily arriva en courant et ouvrit de grands yeux

    en voyant le visage dépourvu de couleur de sa jeune maitresse.—  Allez vite chercher un peu de cognac pourMlle Bradshaw, ordonna le comte.

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    —  Du cognac, milord? Je ne crois pas qu'il yen ait ici.—  Je suis sûr que vous en trouverez à la

    cuisine. Demandez à la cuisinière. Vite, monpetit!Marisa s'efforça de se redresser.

    —  Je... je n'ai pas besoin de cognac, balbutia-t-elle.

    Le comte l'obligea à se rasseoir.—  Reposez-vous. Ah, voici votre femme dechambre avec une bouteille.Lily revenait avec un plateau sur lequel Mme

    Amos avait disposé une bouteille à l'étiquette

     jaunie et deux verres. James de Westfield enremplit un et le tendit à la jeune fille.—  Buvez, cela devrait vous faire du bien.—  Je... je ne bois jamais d'alcool.—  Vous avez besoin d'un stimulant.

    —  Je... j'avais promis à ma mère de...d'accepter éventuellement une coupe dechampagne les grands jours, mais de ne jamaistoucher aux liqueurs fortes.Le comte retint un sourire.

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    —  Ne cherchez pas à lutter: vous ne gagnerezpas. Allons, buvez ! insista-t-il.« Comme il est autoritaire ! » pensa la jeune fille

    en trempant ses lèvres dans le liquide ambré.Elle se mit à tousser.

    —  En effet, vous n'avez pas l'habitude del'alcool, remarqua James avec amusement.« Qu'il est agaçant ! Mais il se moque de moi,

    ma parole ! »—  Vous venez de vivre une bien tristeexpérience, et, je le répète, vous ne devriez pasrester seule, reprit-il. Votre famille...« Et têtu, par-dessus le marché ! »

    Elle posa le verre.—  Je n'ai pas de famille proche, milord,déclara-t-elle d'un ton sans réplique. Les rarespersonnes qui ont pu venir à l'enterrement sontdéjà reparties pour le Yorkshire.

    Il haussa les sourcils.—  Vous seriez pratiquement seule aumonde ? Qu'allez-vous devenir ?« Mais quel mêle-tout ! »D'un ton peu amène, Marisa déclara :

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    —  J'ai reçu une bonne éducation et je suistout à fait capable de me débrouiller dans la vie.—  Hum ! Et sir Alexander Palmer, dans tout

    cela ?« Il ne semble pas le tenir en haute estime »,

    comprit la jeune fille.—  Fait-il partie de vos amis ? poursuivit lecomte.

    —  C'était un ami de ma mère, milord. Il estvenu me présenter ses condoléances.Accessoirement, il serait intéressé par l'achat dela collection de partitions manuscrites que monpère a réunies au cours des années.

    Le comte faillit dire qu'il trouvait bien bizarreque sir Alexander vienne marchander dans unpareil moment. Il jugea cependant préférable degarder ses réflexions pour lui.Depuis son arrivée à Preston Bailey, il n'avait

    rencontré Palmer que deux ou trois fois maiséprouvait à son égard une méfiance instinctive.Cet homme avait la réputation d'être un hommed'affaires avisé et sans pitié. On chuchotait qu'ilavait été compromis dans certains trafics

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    louches. Et l'on disait aussi que, lorsqu'il voulaitquelque chose, il n'hésitait devant rien pourl'obtenir.

    « S'il propose à Mlle Bradshaw un bon prix pourla collection de son père, on peut difficilement lecritiquer. Il est évident qu'elle va avoir besoind'argent. »C'était d'ailleurs l'une des raisons qui l'avaient

    amené ici.—  Palmer a mal choisi son jour, et moi aussi,déclara-t-il.Comme Marisa le regardait avec étonnement, il

    enchaîna:

    —  J'ai pu constater chez les Glendowning quevous étiez une excellente pianiste.—  Je joue quotidiennement pendant deux outrois heures. Mon père, qui m'a appris tout ceque je sais, était l'un des meilleurs professeurs

    qui soient.—  Accepteriez-vous de donner des leçons à lapetite fille que vous avez vue chez ladyGlendowning?

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    Marisa eut un haut-le-corps. Voyant qu'elles'apprêtait à refuser, il l'arrêta.—  Non, attendez ! Charlyse n'est pas une

    enfant facile, vous avez pu le constater.—  Et comment ! ne put s'empêcher de lancerla jeune fille.—  Dans un sens, elle est excusable. Elle arécemment vécu tant de drames, tant de

    changements...—  Aime-t-elle la musique ?Cette question parut surprendre le comte.

    —  Je n'en sais rien.—  Votre femme était pianiste, je suppose ?

    —  Ma femme? Mais je n'ai jamais été marié.La jeune fille se sentit rougir.

    —  Excusez-moi, milord. Je croyais queCharlyse était votre fille.—  Ah, non ! s'exclama-t-il. Si j'ai des enfants

    un jour,  j'espère de tout mon cœur qu'ils serontplus dociles.Plus doucement, il reprit :

    —  Charlyse n'est pas ma fille, mais ma demi-sœur. Après son remariage avec une Américaine,

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    mon père est allé vivre au Texas. Ils ont trouvétous les deux la mort, très récemment, dans uneterrible catastrophe ferroviaire.

    —  Charlyse a donc perdu en même temps sonpère et sa mère ? s'écria Marisa, envahie decompassion.—  Hélas ! Vous imaginez le choc pour uneenfant de cet âge? De plus, elle a toujours vécu

    en Amérique et a du mal à s'habituer au mode devie britannique. Car, dès que j'ai appris que j'avais été nommé son tuteur, je l'ai fait venir ici.—  Un autre choc, murmura la jeune fille.—  Vous avez raison. Un autre choc. Entre le

    Texas et notre paisible campagne britannique...En soupirant, il conclut :

    —  Je suis censé m'occuper d'elle jusqu'à samajorité.La jeune fille baissa les yeux, sans comprendre

    pourquoi cela lui faisait un tel plaisir d'apprendreque le comte de Westfield était toujourscélibataire.Un rayon de soleil fit briller les boucles dorées

    qui s'étaient échappées de son chignon. James de

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    Westfield en perdit le fil de son discours. Iltoussota.—  Voyons, où voulais-je en venir? Ah, oui! Je

    me rends compte que Charlyse ne vous a pas faitla meilleure des impressions l'autre jour.—  Mieux vaut oublier tout cela, milord, fit la jeune fille avec un petit sourire triste.

    Elle se leva.

    —  La musique représente beaucoup pour moiet je serais heureuse de donner des leçons depiano à votre sœur. Avec franchise, elle ajouta:

    —  D'autant plus que cela m'arrangerait

    beaucoup financièrement. Mais je n'ai aucuneidée de ce qu'un professeur peut demandercomme salaire... Ni du nombre d'heures d'étudequ'il faudra envisager.Le comte prit sa cravache et ses gants, qu'il avait

    laissés sur une commode.—  Ma femme de charge verra tout cela avecvous, mademoiselle Elle vous contacteraprochainement. Je vous remercie d'accepter dem'aider à apprivoiser cette enfant perturbée.

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    —  Je ferai de mon mieux, milord, mais je nevous promets pas de miracles.Il lui serra chaleureusement la main. Quelle

    différence entre cette main solide et tiède -rassurante, en un mot - et les doigts glacés de sirAlexander!Après son départ, Marisa alla s'asseoir devant le

    clavier du piano droit. Songeuse, elle contempla

    les touches sans même les effleurer. Puis elle levales veux vers la photographie sépia, encadréed'argent, qui représentait ses parents à l'époqueoù ils étaient jeunes, heureux, souriants...« Père, que pensez-vous de tout cela? Dois-je

    vendre votre collection à sir Alexander Palmer ? »Elle se tourna ensuite vers sa mère, qui était

    coiffée d'une capeline ornée de longs rubans.« La sonate de Beethoven vaut une fortune,

    m'avez-vous dit... Mais où est-elle? L'auriez-vous

    vendue sans m'en parler, pour nous permettre devivre au cours de ces dernières années? Et ai-jeeu raison d'accepter de devenir professeur demusique ? »Une larme éclaboussa une touche d'ébène.

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    « Oh, si seulement vous étiez encore là pour meconseiller! »

    Le lendemain, la jeune fille sortit les partitionsmanuscrites qui constituaient la collection de sonpère. Pourquoi garder tout cela? Après mûreréflexion, elle avait décidé d'accepter laproposition de sir Alexander.

    « Je suis étonnée que ces vieux papiers àmusique jaunis puissent valoir quoi que ce soit. Jeles garderais volontiers... en souvenir. Mais j'aidésespérément besoin d'argent. Et puisque sirAlexander est prêt à m'en donner, je ne vais

    sûrement pas refuser. »Lily lui apporta le courrier. Elle y trouva

    quelques cartes de condoléances, des factures,ainsi qu'une lettre de Mme Carrington, une jeuneamie de sa mère qui, après avoir passé près de

    deux ans à Preston Bailey, était retournée àLondres où elle était née et avait toujours vécu.—  Je croyais que je m'adapterais à lacampagne, mais il faut bien l'admettre: je suis

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    une citadine dans l'âme, avait-elle déclaré en leurfaisant ses adieux.La jeune fille lui avait envoyé un faire-part, mais

    elle n'était pas venue à l'enterrement.

    Ma chère Marisa, J'ai été désolée d'apprendre la mort de votremère, l'une de mes meilleures amies.

    Par la faute d'une mauvaise entorse, je n'ai puenvisager d'entreprendre le voyage jusqu'àPreston Bailey, mais je peux vous assurer que j'aiété de tout cœur avec vous dans ces moments

    difficiles.

    Courage, ma chère Marisa. Il faut vous dire quevous êtes très jeune, que la vie continue et qu'ellevous réserve sûrement de merveilleuses surprises.Votre mère m'avait donné une copie de

    quelques-unes des pièces pour piano de votre

     père. Je les ai jouées au cours de l'une de messoirées, et figurez-vous que M. Eustace Harlow,une sommité dans le monde musical, a été trèsintéressé. « Ce John Bradshaw était un

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    compositeur extraordinaire », ne cessait-il derépéter.Il souhaite mieux connaî tre les œuvres de votre

     père et, éventuellement, les publier. Je donne une petite fête la semaine prochaine.Soit, vous êtes en grand deuil, mais vous ne pouvez pas manquer une occasion pareille. Quisait ? Ce sera peut-être la gloire posthume pour

    votre père et la fortune pour vous !Vous n'aurez pas besoin d'aller à l'hôtel: je

     pourrai vous loger. J'espère de t out mon cœurque vous accepterez de venir. Cela vous permettra de rencontrer M. Hustace Harlow.

    Surtout, n'oubliez pas d'apporter quelques-unesdes compositions de votre père. Je vous embrasse et je vous dis à la semaine

     prochaine,

    Elizabeth Carrington

    Marisa relut cette lettre plusieurs fois. Quoi,après toutes ces années, quelqu'un s'intéressaitenfin au travail de son père ?

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    « Comme c'est désagréable, se dit-elle. Dans cecompartiment bondé, j'ai l'impression d'étouffer.»

    Elle était coincée entre une grosse femme quisentait l'ail et un petit homme maigre quicherchait à se faire un peu plus de place en luidonnant des coups de coude.Sa voisine s'éventa à l'aide d'un journal.

    —  Eh bien, il ne fait pas froid ! Ça ne doit pasêtre très agréable d'être en noir par cettechaleur.Par économie, Marisa n'avait pas voulu acheter

    de nouveaux vêtements. Tous ceux qu'elle portait

    étaient ceux que sa mère avait fait confectionneraprès la mort de son mari. Ils étaient un peu troplarges et, surtout, terriblement démodés.«Tant pis, s'était dit la jeune fille. De toute

    manière, qui va faire attention à moi ? »

    Elle ne se rendait pas compte que ce noir, parcontraste, mettait en valeur son teint clair, sesgrands yeux d'azur et ses cheveux dorés.—  Vous avez perdu quelqu'un ? demanda lagrosse dame.

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    —  Ma mère, répondit la jeune fille, espérantque la conversation s'arrêterait là.Pas du tout ! La grosse dame tint alors à lui

    raconter en grand détail comment, au cours desannées, chacun des membres de sa famille étaitmort.Marisa écouta poliment cet interminable récit

    en hochant la tête de temps en temps. Mais si

    elle s'était écoutée, elle se serait bouché lesoreilles en criant : « Taisez-vous ! »Quand le train arriva enfin à Londres, ce fut avec

    soulagement que la jeune fille récupéra sa valiseet descendit sur le quai. Quelques semaines

    auparavant, elle aurait hélé un fiacre pour sefaire conduire à l'adresse que lui avait indiquéeMme Carrington.Cette fois, par mesure d'économie, elle avait

    l'intention de prendre un omnibus à impériale.

    —  Mais... c'est Mlle Bradshaw! Que faites-vous ici?La jeune fille sursauta.Le comte de Westfield, vêtu d'un costume de

    voyage en tweed foncé, venait de sortir d'un

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    wagon de première classe. Derrière lui, unporteur attendait patiemment avec un chariotsur lequel étaient posées deux élégantes valises

    en cuir gravées aux armes du châtelain.Marisa sentit que son chapeau glissait sur le

    côté. Elle tenta de le remettre d'aplomb.—  Bonjour, milord.Le comte fronça les sourcils.

    —  Vous venez de voyager en troisièmeclasse ? Ce n'est pas un endroit convenable pourune jeune fille seule.Quoi ! Il osait lui faire la leçon ? Piquée au vif,

    elle riposta:

    —  Mes moyens ne me permettent pas dedépenser à tort et à travers, milord. J'étais trèsbien en troisième, en compagnie de bravesgens... et je suis arrivée aussi vite que ceux quivoyageaient plus luxueusement.

    Le comte la fixa sans mot dire. Elle était si joliesous ce chapeau noir désuet !« Elle a eu de la chance de ne pas se trouver en

    compagnie d'un vieillard libidineux - ou d'un jeune enjôleur. Je suis sûr qu'elle est trop naïve

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    pour savoir comment remettre ce genred'importuns en place. »Il prit une profonde inspiration avant de

    demander:—  Et où allez-vous, maintenant?Elle lui donna l'adresse d'Elizabeth Carrington.

    —  Je ne sais pas très bien où c'est, mais lesconducteurs d'omnibus devraient pouvoir me

    renseigner.James de Westfield fronça de nouveau les

    sourcils.—  On vous attend ?—  L'une des amies de ma mère m'a invitée.

    —  Et elle n'a envoyé personne vous chercherà la gare? Elle laisse une jeune fille comme vousse débrouiller seule dans la grande ville ?Marisa commençait à se fâcher. Cet homme

    semblait décidé à tout critiquer.

    —  Elle l'aurait sûrement fait si je lui avais dit àquelle heure je devais arriver, déclara-t-elle d'unair pincé. Mais je n'ai voulu déranger personne.Le comte indiqua au porteur la vieille valise de

    Marisa.

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    —  Je vous emmène.—  Mais...James s'inclina.

    —  Permettez-moi, mademoiselle, de vousconduire chez l'amie de votre mère.La jeune fille hésita, agacée par les manières à la

    fois moqueuses et impérieuses de cet homme.Elle allait refuser, mais le porteur avait déjà pris

    sa valise. Il ne lui restait plus qu'à s'appuyer aubras que lui offrait le comte.Une élégante voiture attendait devant la gare.

    Dès qu'il vit le comte, un laquais en livrée sauta àterre et vint ouvrir les portières laquées de bleu

    foncé, ornées d'une discrète couronne comtaledorée, tandis que le cocher retenait les pur-sangqui piaffaient d'impatience.Pendant que le comte donnait quelques brèves

    instructions, Marisa s'assit sur la banquette en

    velours capitonné avec un petit soupir de bien-être.« C'est quand même plus confortable que

    l'omnibus ! » ne put-elle s'empêcher de penser.

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    Une voiture automobile les dépassa. Lechauffeur, emmitouflé dans un grand cache-poussière, les veux masqués par d'énormes

    lunettes rondes, ne cessait d'appuyer sur satrompe pour se frayer un passage.—  Le futur moyen de transport, dit le comte.Les jours des voitures hippomobiles sontcomptés.

    —  J'espère bien que non ! s'exclama Marisa,horrifiée. J'aime tant les chevaux!À mi-voix, comme pour elle-même, elle ajouta :

    —  Comme j'aimerais en avoir un à moi !Apparemment, le comte avait l'oreille fine, car il

    lui demanda aussitôt:—  Vous aimez monter à cheval ?—  Oh, oui !En soupirant, elle poursuivit :

    —  Malheureusement, je n'en ai pas souvent

    l'occasion. Mes frères m'ont mise en selle quand j'étais toute petite. Lorsqu'ils vivaient encore...

    Elle s'interrompit brusquement. Cela luisemblait maintenant si loin !

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    « Nous étions si heureux tous les cinq», pensa-t-elle avec nostalgie.Et maintenant, elle était seule au monde.

    —  Vos frères sont morts, eux aussi ?—  Oui. Ils ont été tués en Afrique du Sudpendant la guerre des Boers.—  Comme c'est triste !L'expression du comte avait changé.

    —  Vous avez perdu vos parents, vos frères...—  Je vous en prie, parlons d'autre chose,milord.Il marqua une pause avant de déclarer d'un ton

    neutre :

    —  Ma sœur aime beaucoup monter. C'est àpeu près la seule chose qui lui plaise depuis sonarrivée en Angleterre. Je lui ai acheté un joliponey.—  Tout doit paraître bizarre à une petite fille

    transportée dans un pays étranger.—  Je tiens compte des chocs successifs quil'ont ébranlée. J'essaie de me montrercompréhensif, tolérant... Mais, au lieu des'améliorer, elle devient de plus en plus

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    —  Il s'intéresse aux œuvres de mon père. J'aiici quelques-unes de ses pièces pour piano. Jevais les jouer et, si elles lui plaisent, il les publiera

    peut-être.Elle joignit les mains, tandis que ses yeux

    étincelaient.—  Pourvu que je joue bien! Je serais siheureuse que les œuvres de mon  père soient

    connues. C'était son rêve, c'était celui de mamère... mais ils ne seront plus là, hélas, pour levoir réalisé.Au lieu de parler musique, comme la jeune fille

    s'y attendait, le comte demanda avec stupeur:

    —  Ai-je bien compris? C'est chez MmeElizabeth Carrington que vous allez passer lanuit?—  Deux nuits, milord. Il sera trop tard pourque je puisse retourner à Preston Bailey après la

    soirée. Ce sera donc après-demain que jerentrerai.—  Elizabeth Carrington ! répéta James deWestfield. Comment se fait-il que vousconnaissiez cette femme?

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    Marisa lui adressa un coup d'œil stupéfait. —  Elle a passé presque deux ans au villageaprès avoir perdu son mari. Même si elle était

    beaucoup plus jeune que ma mère, elle s'étaitliée d'amitié avec elle. Vous la connaissez?—  Pas personnellement, mais j'ai entenduparler d'elle.—  On n'a pu vous en dire que du bien, j'en

    suis sure.—  Elle donne une soirée demain, m'avez-vousdit ? Elle va donc être très occupée... Peut-êtreserait-il plus simple que vous séjourniez chezmoi ?

    —  Chez... chez vous ?—  Oui, dans mon hôtel particulier deGrosvenor Square. La femme de charge préparetoujours deux ou trois chambres, pour le cas où j'amènerais des invités à l'improviste.

    Sur le moment, Marisa ne sut que répondre. Àce moment-là, la voiture prit un tournant troprapidement. Elle se trouva projetée contre lecomte et lui saisit le bras pour rétablir sonéquilibre.

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    En rougissant, elle s'écarta.—  Excusez-moi, milord.Après avoir pris une profonde inspiration, elle

    enchaîna :—  Je vous remercie vivement de proposer dem'héberger, c'est très aimable à vous. Mais MmeCarrington m'a invitée avec tant de chaleur quece serait impoli de modifier les arrangements à la

    dernière minute.—  Comme vous voulez, fit-il du bout deslèvres.« Il n'a pas l'air content, se dit la jeune fille. Je

    me demande ce qu'il a contre Mme Carrington.

    Elle est charmante. »Le cocher arrêta ses chevaux devant un hôtel

    particulier assez prétentieux derrière lequel onapercevait un petit jardin.—  Vous voici arrivée, dit le comte.

    —  Merci de m'avoir amenée jusqu'ici, milord.Le valet ouvrit la portière et la jeune fille se

    retrouva sur le trottoir avec sa valise, son sac etle porte-musique qui contenait les partitions deson père.

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    Une accorte soubrette apparut en haut du petitperron pendant que la voiture repartait.James regarda en arrière d'un air soucieux.

    Il ne comprenait pas très bien pourquoi il sesentait à ce point concerné par le sort de cellequ'il avait engagée pour donner des leçons depiano à sa sœur. Mais Mlle Bradshaw paraissait si fragile, dans

    cet ensemble de voyage démodé, avec ce ridiculechapeau posé de travers sur ses bouclesblondes...Il avait entendu beaucoup de ragots au sujet des

    réceptions d'Elizabeth Carrington. Celle-ci

    recevait des gens d'origine très diverse... etparfois douteuse. On voyait chez elle aussi biendes aristocrates que des comédiens, desdanseuses ou des demi-mondaines. Ainsi quebeaucoup de gens peu sérieux ayant trop

    d'argent et pas grand-chose dans la tête.Cependant, à moins d'enfermer Marisa, il ne

    voyait pas comment l'empêcher d'assister à cettesoirée. Une idée lui vint.

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    « Et si j'allais là-bas moi-même ? Soit, je ne suispas invité. Mais je doute qu'Elizabeth Carringtonme mette à la porte. »

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    Le lendemain soir, Marisa se tenait devant laglace de la chambre au luxe tapageur où, la veille,l'avait conduite une domestique au sourireinsolent.

    Mme Carrington, qui menait une existence trèssimple à Preston Bailey, semblait maintenantvivre sur un grand pied.Comme chez les Glendowning, la jeune fille

    avait l'impression d'être de nouveau la cousine

    pauvre...Elle examina sa tenue d'un œil critique. Avecl'aide de Mme Amos et de Lily, elle avait tenté demettre à sa taille la seule robe de deuil un peuhabillée que sa mère possédait. Il s'agissait d'une

    toilette en faille noire, ornée d'un semis de jais àl'encolure, au bas des manches et à la ceinture.Elle avait trouvé la transformation assez réussie.

    Maintenant, elle en était beaucoup moins sûre.

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    « J'ai l'air d'avoir sorti cette vieille robe d'ungrenier. Ou alors de l'avoir achetée pour troissous chez un fripier. »

    Soit, elle était seulement censée jouer du piano,sans vraiment participer à cette soirée où, ainsique Mme Carrington le lui avait expliqué avecimportance, toute la bonne société londonienneavait été conviée.

    Apres avoir frappé un coup léger à la porte, sonhôtesse fit son entrée dans un tourbillon debrocart vert pomme.—  Vous êtes prête, ma petite Marisa?Cette jolie femme d'une trentaine d'années

    avait réuni ses cheveux d'un roux très foncé enun chignon élaboré où étincelaient des diamantssi gros que la jeune fille les crut faux. Un superbecollier d'émeraudes étincelait à son cou.« Ce n'est pas possible qu'elle possède autant

    de vrais bijoux! Aurait-elle hérité? Gagné à laloterie? Je me souviens que, lorsqu'elle habitait àPreston Bailey, elle se plaignait toujours dumanque d'argent. »

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    Marisa avait eu du mal à reconnaître l'aimableveuve qui venait si souvent prendre le thé avec samère. Elizabeth Carrington était devenue si

    élégante, si sophistiquée...« J'aurais juré que ses cheveux étaient d'un

    châtain relativement terne, pensa la jeune fille.Elle a du les teindre pour qu'ils deviennent de ceroux éclatant. Il paraît que cela se fait, même si

    c'est plutôt mal vu. »Mme Carrington l'avait accueillie avec beaucoup

    de chaleur.—  Mon enfant, vous êtes devenue bien jolie,avait-elle dit.

    En hochant la tête d'un air entendu, elle avaitajouté:—  Je l'avais prévu !La jeune fille avait pris ce compliment pour

    argent comptant, alors qu'une autre femme

    moins naïve y aurait tout de suite reconnu unenote de jalousie, presque de méchanceté.Une lueur qu'elle n'avait su comment

    interpréter était alors passée dans les prunellesde la vieille amie de sa mère.

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    —  Oui, je savais bien que la chrysalide allait setransformer en superbe papillon.Là-dessus, Elizabeth Carrington l'avait examinée

    de l'air expert d'un maquignon évaluant une jument sur un terrain de foire. C'était du moins ladéplaisante impression que Marisa avait eue.—  Au fond, il suffirait de quelques joliestoilettes pour vous transformer totalement. Et

    l'on verrait alors le vilain petit canard devenir uncygne régnant sur les cœurs et les fortunes ! —  Je... je ne comprends pas, madame.—  Ne cherchez surtout pas. Je parle en... parparaboles.

    En s'esclaffant, Mme Carrington avait ajouté :—  Ah, vous avez l'air si provinciale, ma pauvreenfant ! On voit que vous sortez de votre trou.Choquée, Marisa ne savait que répondre.

    —  Et comme trou, on peut difficilement

    trouver mieux que Preston Bailey, avait reprisMme Carrington sans cesser de ricaner.—  Vous sembliez heureuse là-bas, pourtant,n'avait pu s'empêcher de remarquer Marisa.

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    —  Vous voulez rire ? Je me demandecomment j'ai pu réussir à vivre là-bas pendantdix-huit mois. Je ne me suis jamais autant

    ennuyée de ma vie.Marisa avait eu bien du mal à s'endormir ce soir-

    là. Que n'aurait-elle donné pour se retrouverdans sa petite chambre blanche et bleue ! Si elles'était écoutée, elle aurait pris le lendemain le

    premier train pour le Kent.Mais ne devait-elle pas jouer pour M. Eustace

    Harlow ?« Je dois cela à mon père », pensa-t-elle.

    Elle était donc restée à Londres. Où, vêtue de lavieille robe de sa mère, elle se sentait examinéesous toutes les coutures par l'œil critique deMme Carrington.Cette dernière lui adressa un sourire contraint.

    —  Vous êtes charmante, mon enfant, assura-t-elle.—  Cette toilette n'est plus très à la mode...Mme Carrington l'interrompit.

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    —  Charmante ! répéta-t-elle. Toutes cesboucles d'or, ce teint frais, cet air timide devillageoise...

    Elle pouffa.—  Mais ne vous inquiétez pas, personne nevous verra, puisque vous serez presque tout letemps au piano. Je sais que M. Harlow est trèsintéressé par les œuvres de votre père. 

    —  Vous dites qu'il a beaucoup de poids dansle monde de de la musique ? Je n'ai jamaisentendu parler de lui.—  Peuh ! De qui entend-on parler à PrestonBailey ?

    Son hôtesse vint s'asseoir devant la coiffeuse etfit la grimace en voyant son reflet. Pourquoitoutes les poudres, les crèmes et les couleursqu'elle employait ne lui donnaient-elles pas lapeau rayonnante de Marisa?

    —  Eustace Harlow est immensément riche etpossède de l'influence dans beaucoup dedomaines. S'il apprécie ce qu'il entendra ce soir, ilpeut vous offrir une belle somme pour obtenir lesdroits de publication des œuvres de votre père. 

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    Mme Carrington marqua une brève hésitationavant de poursuivre:—  Mais rien n'est certain. Aussi, ne rêvez pas

    trop à l'avance.—  J'essaierai de ne pas être déçue s'il nemanifeste pas un grand enthousiasme.—  Écoutez, s'il publiait ne serait-ce qu'unepetite sonate, ce serait déjà très bien, non ?

    —  Ce serait un début, admit la jeune fille.—  Et il faut un début à tout ! lança MmeCarrington d'un ton léger. C'est ce que je dis àtoutes les jeunes filles que je lance sur le grandmarché de...

    Elle s'interrompit brusquement avant de seremettre à ricaner.« Cette manie qu'elle a de ricaner à propos de

    tout et de rien m'agace profondément», pensaMarisa.

    À voix haute, elle demanda :—  M. Harlow joue-t-il du piano ou d'un autreinstrument ?

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    —  Non, il n'a pas de talent, seulementbeaucoup, d'argent. Oh ! J'allais oublier depréciser le principal.

    —  C'est-à-dire?—  Il faut que vous sachiez que M. Harlow ferapartie des quelques personnes de marque que jerecevrai dans mon boudoir bleu. Les autresinvités resteront tous au grand salon, où vous

     jouerez du piano pour eux.—  Quelles œuvres voulez-vous que j'interprète ?—  C'est sans importance. Ce que vousvoudrez, mais de préférence de la musique facile

    : des valses, par exemple. Vous trouverez une pilede partitions sur le piano.—  Et les œuvres de mon père ? —  Gardez-les en prévision du moment où jerejoindrai les autres en compagnie de mes invités

    importants - dont M. Eustace Harlow. Est-cecompris?—  Oui, madame.—  Parfait. Vous êtes intelligente. Je savaisbien que je pouvais compter sur vous.

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    Sur ces mots, Mme Carrington lui tapota la joueet sortit.Restée seule, la jeune fille pinça les lèvres. La

    soirée serait très différente de ce qu'elle avaitimaginé. Elle qui pensait se mettre au pianouniquement pour M. Harlow...—  Voilà que je vais devoir jouer tout le tempsen public. Et des valses! C'est très choquant.

    Mme Carrington semble oublier que je suis endeuil. »Mais avait-elle le choix?« Soit, elle est bien bonne d'avoir organisé cette

    rencontre avec M. Harlow. En même temps, elle

    s'offre gratuitement les services d'une pianistepour toute la soirée. Je ne trouve pas cela trèsélégant de sa part. »

    Dix minutes plus tard, sa musique sous le bras,

    Marisa traversa le hall dallé de marbre rose. Ilétait orné de statues représentant des femmesnues qui tenaient des flambeaux.

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    « Cela aussi, c'est choquant, se dit-elle. Toutcomme les gravures lestes que j'ai vues aux mursdes salons et de la salle à manger. »

    Elle pinça les lèvres.« Mais, comme dirait Mme Carrington, je ne suisqu'une petite villageoise. »À ce moment-là, elle entendit une première

    voiture s'arrêter devant le perron et courut se

    réfugier au salon. En voyant que le grand pianoétait presque entièrement dissimulé par despalmiers en pot et des bouquets géants de lys etde glaïeuls, elle laissa échapper un soupir desoulagement.

    « Au moins, personne ne pourra me voir. »Quand les premiers invités firent leur entrée au

    salon, introduits par le majordome que MmeCarrington avait engagé en extra pour l'occasion,elle attaqua une polka de Johann Strauss.

    Elle comprit très vite que personne ne l'écoutaitvraiment.« Juste un fond sonore, comme chez lady

    Glendowning... » pensa-t-elle.

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    La jeune fille remarqua que ses joues étaienttrès rouges et que ses yeux brillaient trop.—  Maintenant, M. Harlow va vous écouter,

    poursuivit-elle. Il est là-bas, en compagnie dequelques-uns de mes invités. Vous pouvezabandonner valses et polkas pour interpréter lesœuvres de John Bradshaw.Là-dessus, dans un bruissement de brocart vert,

    elle rejoignit les messieurs en habit du soir qui setrouvaient un peu à l'écart, derrière un autrearrangement de lys et de palmiers en pot.Marisa eut l'impression que sa tête tournait. Le

    moment était venu ! Elle prit une profonde

    inspiration.« Mon Dieu, aidez-moi à jouer mieux que

     jamais ! Faites que M. Harlow aime la musique demon père. »Lorsqu'elle plaça l'une des partitions

    manuscrites devant elle, quelques feuilletstombèrent. Elle n'eut même pas le temps de sebaisser pour les ramasser : un homme venait dele faire à sa place.

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    —  Tenez, mademoiselle Bradshaw, fit unevoix familière, tandis qu'une main dont lamanchette en soie blanche accentuait encore le

    hâle posait les feuillets couverts de notes sur lepupitre du grand piano.Stupéfaite, Marisa leva les yeux vers la haute

    silhouette qui venait de se matérialiser à sescôtés. Que faisait ici le comte de Westfield ?

    —  C'est difficile de jouer lorsqu'il faut enmême temps tourner les pages, reprit-il ensouriant. Voulez-vous que je m'en charge ?—  Oh, volontiers ! Merci, milord.La jeune fille était très étonnée de voir le comte

    à la réception de Mme Carrington.« C'est très curieux. Il savait que je serais là.

    Pourquoi ne m'a-t-il pas dit qu'il était lui aussiinvité?»Mais le moment était mal choisi pour poser des

    questions. En effet, l'heure cruciale était arrivée.M. Eustace Harlow allait l'écouter interpréter desœuvres de son père.« Si je me trouve ici, c'est uniquement pour cela

    », pensa-t-elle, tout en se concentrant.

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    —  Je me demande si ma sœur sera un jourcapable de jouer aussi bien que vous.Marisa sourit.

    —  Charlyse est encore très jeune. Possède-t-elle déjà quelques notions de musique ? Peut-elle jouer une petite pièce facile ?—  Je n'en sais rien. Jusqu'à présent, et endépit de toutes les objurgations de ses

    professeurs, elle a obstinément refusé de toucherau clavier.—  Bizarre.—  Ah, ce n'est pas une tâche facile qui vousattend !

    —  Il ne faut forcer personne. Certes, j'essaierai de faire de mon mieux, mais ne vousattendez pas à des miracles.Le comte sourit.

    —  C'est déjà un miracle que je vous aie

    trouvée.D'un geste machinal, la jeune fille tenta de

    discipliner une boucle qui s'était échappée de sonchignon.—  J'ai été surprise de vous voir ici, milord.

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    —  Oui?—  Vous ne m'aviez pas dit que vous deviezvenir chez Mme Carrington ce soir.

    Le comte jeta un coup d'œil quelque peuméprisant à la ronde.—  Une décision de dernière minute.Un homme fendit la foule pour s'approcher du

    piano.

    —  Ma chère mademoiselle Bradshaw, c'étaitcharmant ! s'exclama sir Alexander Palmer.« Encore lui ! pensa Marisa. Mais il est partout !

    »Elle avait tort de s'étonner: sir Alexander

    n'avait-il pas fait la connaissance d'ElizabethCarrington quand elle habitait encore à PrestonBailey?—  Ma chère enfant, j'étais au fond du salonen compagnie de quelques amis, dont M. Harlow.

    Celui-ci aimerait discuter avec vous de lapossibilité de publier les œuvres de JohnBradshaw.

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    Marisa se leva d'un bond, tandis que ses grandsyeux couleur saphir brillaient plus que jamaisdans son ravissant visage.

    —  Oh, j'en serais si heureuse ! Avez-vousentendu cela, milord? M. Harlow s'intéressesérieusement à la musique de mon père!Le comte hocha la tête.

    —  Voilà une bonne nouvelle.

    Sir Alexander offrit le bras à la jeune fille.—  Laissez-moi vous conduire auprès d'EustaceHarlow. Il a hâte de faire votre connaissance,ainsi que certains de mes amis.Marisa en croyait à peine ses oreilles. Tout se

    passait encore mieux que dans ses rêves les plusfous.« Ma mère serait si heureuse si elle pouvait être

    là ce soir», pensa-t-elle.Elle adressa une rapide révérence au comte.

    —  Excusez-moi, milord.James de Westfield adressa un coup d'œil très

    dur à sir Alexander.—  J'espère, Palmer, que vos amis savent queMlle Bradshaw est orpheline.

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    D'un ton presque menaçant, il enchaîna :—  Qu'ils ne la croient surtout pas seule aumonde. Elle ne manque pas d'amis.

    Il y eut un silence. Interdite, Marisa se tournavers l'un, puis vers l'autre de ces deux hommesentre lesquels elle devinait une intenseanimosité.Très rouge, presque violet, ses bajoues

    tremblantes, sir Alexander paraissait au bord del'apoplexie. Il fut le premier à baisser les yeuxsous le regard glacial du comte.—  N'ayez crainte, Westfield, marmonna-t-ilenfin. Nous ne voulons que du bien à Mlle

    Bradshaw.Le comte haussa les sourcils.

    —  Je l'espère.—  Voyons, pour qui me prenez-vous ?Il prit la jeune fille par le bras.

    —  Et maintenant, Marisa, venez voir celui qui, je l'espère, vous fera une offre si intéressanteque vous ne songerez pas une seconde à larefuser.

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    La jeune fille fit une autre révérence à James deWestfield.—  Excusez-moi, milord, répéta-t-elle.

    Le comte la suivit du regard pendant qu'ellerejoignait le petit groupe qui ne s'était pas mêléaux autres invités. Il aperçut, à la porte duboudoir bleu où Mme Carrington avait offert unsouper privé à quelques-uns de ses amis, un

    homme à la barbe grise.Ce richissime aristocrate à la lourde silhouette,

    qu'il connaissait de vue, avait la réputation d'êtreun débauché notoire. Il appréciait spécialementles jeunes filles candides que des femmes sans

    scrupules - des femmes du genre de MmeCarrington, justement ! - lui fournissaient enéchange d'une belle somme.« C'était quelque chose de ce genre que je

    redoutais de la part de cette courtisane, pensa-t-

    il, écœuré. La Carrington va peut-être l'aider àfaire éditer les œuvres de son père... Mais, encontrepartie, la pauvre enfant perdra soninnocence dans les bras d'un vieux beau quil'aura achetée très cher. »

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    En lui tapotant paternellement la main, il avaitajouté:—  Et maintenant, je vais prendre congé. Je

    deviens un peu trop vieux pour ces joyeusessoirées.Il lui avait laissé sa carte, et elle avait pu

    constater que, entre autres activités, il était bienéditeur musical.

    Après son départ, sir Alexander rejoignit la jeune fille.—  Je devine que vous avez reçu de bonnesnouvelles.Il prit deux coupes de champagne sur le plateau

    d'un valet qui passait et en tendit une à Marisa.—  Buvons au succès des œuvres de JohnBradshaw.Elle hésita.« Jouer du piano dans une soirée, quand on est

    en deuil, cela ne se fait pas. Mais boire duchampagne, cela se fait encore moins. »Craignant de se montrer impolie, elle n'osa

    cependant pas refuser et but une gorgée duliquide pétillant.

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    —  Alors, avez-vous pris une décisionconcernant la collection de votre père ? demandasir Alexander. Je ne veux pas vous bousculer,

    mais...Marisa l'interrompit.

    —  Je suis désolée, j'aurais dû vous parler decela plus tô