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AU SEUIL DU NATIONALISME TUNISIEN: documents inédits sur le panislamisme au Maghreb (1919-1923) Author(s): Béchir Tlili Source: Africa: Rivista trimestrale di studi e documentazione dell’Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente, Anno 28, No. 2 (GIUGNO 1973), pp. 211-236 Published by: Istituto Italiano per l'Africa e l'Oriente (IsIAO) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40758203 . Accessed: 11/04/2013 18:44 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Istituto Italiano per l'Africa e l'Oriente (IsIAO) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Africa: Rivista trimestrale di studi e documentazione dell’Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente. http://www.jstor.org This content downloaded from 197.0.253.179 on Thu, 11 Apr 2013 18:44:11 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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AU SEUIL DU NATIONALISME TUNISIEN: documents inédits sur le panislamisme au Maghreb(1919-1923)Author(s): Béchir TliliSource: Africa: Rivista trimestrale di studi e documentazione dell’Istituto italiano per l’Africae l’Oriente, Anno 28, No. 2 (GIUGNO 1973), pp. 211-236Published by: Istituto Italiano per l'Africa e l'Oriente (IsIAO)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40758203 .

Accessed: 11/04/2013 18:44

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AU SEUIL DU NATIONALISME TUNISIEN

documents inédits sur le panislamisme au Maghreb (1919-1923)

par Béchir Tlili (*)

Au sortir de la Grande Guerre, le paysage socio-économique et po- litique du monde en général, et du monde arabo-musulman en parti- culier, subit detrès profondes mutations. Des Etats nationaux nouveaux, de nouvelles frontières, de nouvelles entités politiques, et aussi de nou- velles idéologies politiques apparaissent sur la dépouille du monde finis- sant des Empires.

En réalité, les pays belligérants, tout en poursuivant la guerre, ont engagé des négociations secrètes pour préparer la victoire ou la paix (*).

(*) Né à Jerba (Tunisie), Béchir Tlili est diplômé d'Etudes Supérieures de philo- sophie (Université de Strasbourg), licencié de Sociologie, docteur en histoire moderne et contemporaine (Université de Nice), et docteur ès-Lettres. Chargé de cours au Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine Université de Nice), assistant d'histoire économique et sociale à /'Unité de Recherche et d'Enseignement sur les Civilisations Université de Nice), maître-assistant à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Tunis, puis Maître de Conférences, il dirige actuellement le Centre d'Etudes Historiques, coordonne les enseignements d'Histoire-Géographie à /'Ecole Normale Supérieure de Tunis, et est professeur-associé au Centre d'Etudes et de Recherches Economiques et Sociales de l'Université de Tunis. Il a publié de nombreux travaux sur la Tunisie mo- derne et contemporaine, et oriente ses recherches dans une perspective d'études com- paratives des mouvements sociaux et des idéologies sociales et politiques de l'Occident et de l'Orient.

(1) Sur ces questions, voir notamment Guy Pedroncini, Les négociations secrètes pendant la grande guerre, Paris, Flammarion, 1969 et Pierre Renouvin, Le traité de Ver- sailles, Paris, Flammarion, 1969.

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Nous n'évoquerons pas le cadre d'ensemble et la portée effective de ces négociations qui ont été menées de 1914 à 1918, mais bien plutôt de celles contradictoires qui se déroulent dans les régions arabo-islamiques de l'Empire Ottoman, et dont l'initiative appartient aux Britanniques, ceux qui détiennent à ce moment-là la principale force d'opposition aux puissances centrales.

Les Britanniques ont en effet promis beaucoup de choses à beau- coup de gens, pendant la Grande Guerre, mais des choses dont l'incom- patibilité était absolument évidente. Des considérations d'ordre tac- tique et stratégique orientent ces négociations secrètes et ces promesses contradictoires. En effet, la Grande Bretagne promet d'abord aux Arabes son aide pour la création d'un ou de plusieurs Etats indépendants dans cette région du monde ottoman, sous la dynastie hachémite, sous réser- ve toutefois des intérêts que pourraient avoir les Français, alliés des Britanniques, et à l'exception des régions d ' Alexandre tte, du Liban et de la Palestine. Entre Henry Mac Mahon et Hussein, chérif du Hedjaz, ont été en effet échangé des correspondances à ce sujet (2). En fait l'échec de la guerre sainte déclarée par le sultan-calife contre l'Entente, les menées panislamiques dans les régions arabo-islamiques de l'Empire Ottoman, et la nécessité de protéger le canal de Suez, expliquent en partie ces manoeuvres diplomatiques britanniques (3).

Et au même moment, la Grande Bretagne négocie et signe avec la France les accords Sykes-Picot (mars 1916) qui délimitent les zones d'influence entre ces alliés au sein du monde arabe (Iraq, Basse Méso- potamie sous contrô anglais; Liban, Cilicie turque, Mossoul, Damas, Alep sous influence française; internationalisation de la Palestine). Or

(2) Au sujet des négociations Mac Mahon-Hussein, consulter 'Amîn Sa'îd, At- tawra al-*Arabiyya al-Kubra (La grande révolte arabe), Le Caire s.d., t. I, pp. 118-188; 'Anîs Sâyig, al-Hâsmiyyûn wa-t-tawra al-xArabiyya al-Kubrà (Les Hachémites et la grande révolte arabe), Beyrouth 1966; Anonyme, un membre des associations arabes, Tawrat al-* Arab (La révolte des Arabes: prémisses, raisons et effets), Le Caire 1916; Anonyme, 'An-Nahda al-qawmiyya (Le réveil nationaliste). Le Caire s.d.; G. Antonius, The Arab Awakening, Beirut, 3d ed., 1969; Z.N. Zeine, Arab Turkish Relations and the Emergence of Arab Nationalism, Beirut 1958; Isaiah Friedman, The Mac-Mahon-Hussein Correspondance and the Question of Palestine, in Journal of Contemporary History, 2, 1970, pp. 83-122; E. Kédourie, Cairo and Khartoum on the Arab Question (1913-1918), in The Historical Journal, 2, 1964; Djemal Pasha, Memories of a Turkish Statesman (1915-1919), London 1922.

(3) Notons que les populations arabo-musulmanes dans leur ensemble n'ont pas apprécié par contre ce soulèvement contre les Turcs. La révolte n'a pas trouvé en effet des échos favorables dans la presse et les écrits de l'époque, et le panislamisme l'empor- tait encore sur le panarabisme.

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ces accords sont vraiment en contradiction flagrante avec les promesses faites à Hussein de créer des Etats arabes indépendants. Néanmoins, Hussein provoque et déclenche, en juin 1916, un grand soulèvement des populations arabes contre les Ottomans, et ce soulèvement ne peut être qu'apprécié par les Britanniques qui cherchent précisément à conso- lider leur influence au Moyen-Orient (4).

Enfin, peu de temps après, le 2 novembre 1917, la Grande Breta- gne promet aux Juifs du monde entier, par la déclaration Balfour, la création en Palestine, qui était pourtant une région arabe de l'Empire Ottoman, d'un home national. De toute évidence, cette déclaration était faite pour faire plaisir aux Juifs américains, déjà très influents dans les élections américaines et pouvant agir par la même sur le Président Wilson.

De toute façon, les négociations entre Français et Britanniques se poursuivent après l'armistice. Or pendant ce temps, Fayçal, deuxième fils de Hussein, établit son émirat sur le territoire syrien, et se fait pro- clamer roi. Il participe à la Conférence de Paris, négocie avec les Fran- çais, auxquels il reconnaît le droit de maintenir leur présence sur la côte. Le partage entre la France et la Grande Bretagne s'accomplit néan- moins à la Conférence de San Remo en avril 1920. Le général Gouraud occupe la Syrie, et le traité de Sèvres, signé entre les Alliés et l'Etat central ottoman, autorise la France à établir son mandat sur la Cilicie. Toutefois, les patriotes turcs ne reconnaissent pas la validité de ce traité, et Mustapha Kemal s'affirme de plus en plus, si bien que les combats contre les Turcs vont se poursuivre encore pendant deux ans en Cilicie et le long de la Bagdadbahn, jusqu'à ce que la France aban- donne la Grande Bretagne, en signant en octobre 1921 les accords Franklin-Bouillon: renonciation à la Cilicie, régime spécial pour Alexan- drette, reconnaissance du droit des Turcs sur le chemin de fer de Bagdad, et en échange, arrêt des incursions turques en territoire syrien. Ces accords établissent donc de nouvelles frontières, et de nouvelles entités politiques se forgent. Le Général Gouraud divise en effet la Syrie en un certain nombre d'Etats, puis il décide de les fédérer. Son successeur, le

(4) Sur les activités des Senoussites à cette époque, et sur l'évolution politique de la Lybie, consulter les travaux de Ν. Ζ i a d h e 1 , Libya fî al- Ό sûr al-haâîtâ (La Lybie à l'époque moderne), Le Caire 1966, et Libya min al-Isti'mâr al-ltâli }ilâ al- Istiqlâl (La Libye, de la colonisation italienne à l'indépendance), Le Caire 1958; M a j i d Khadduri, Modem Libya, Baltimore 1963, et N. Ziadeh, Sanusiyah, a study of a revivalist movement in Islam, Leiden, Brill, 1958.

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général Weygand crée, au contraire, deux Etats dans cette région: la Syrie et le Liban. La Grande Bretagne s'installe en Irak et en Palestine, entre autres. Quant à l'Italie, entre 1917 et 1922, elle combat et négocie en Tripolitaine.

Nous n'entrons pas dans le détail de précisions historiques et poli- tiques indispensables pour présenter le nouveau paysage de la réalité internationale et de ses rapports avec les réalités locales du monde arabo-musulman des années 1917-1923. L'évocation de ces faits mar- quants, et des idéologies agissantes qui se renforcent au sortir de la Grande Guerre (nationalismes européens, fascisme, national-socialisme, bolchevisme, d'une part, panislamisme panarabisme et patriotisme d'une autre), est en effet envisagée ici uniquement pour introduire les docu- ments sur l'organisation et les objectifs du mouvement panislamique à la veille de la formation des idéologies et des idées nationalistes dans le monde arabo-musulman contemporain (5).

Ce qui importe donc ici essentiellement, c'est de souligner l'impor- tance de l'année tourant 1920 dans l'histoire du monde arabo-musulman contemporain en général, et dans celle de sa pensée sociale et politi- que en particulier. En effet, les idées sociales et politiques, les institu- tions, tout comme au demeurant les réalités locales du monde arabo- musulman, se trouvent à cette époque au seuil d'un mutation profonde. Et celle-ci s'insère bien évidemment dans celle-là même qu'amorce la mo- dification de la réalité politique et sociale internationale (6).

L'examen de détail de ces transformations doit donc éclairer les courants d'opinions et d'idéologies qui parcourent le monde arabo-

(5) Consulter à cet effet la presse arabomusulmane de l'époque, et voir: Rapport du Colonel Barron, rapporteur du Tribunal militaire, dans V affaire Taalbi (1921). Document inédit, Ministère de l'Information, Division de la documentation générale, A-3-13. Ce document analyes les différentes phases du panislamisme en Tunisie (1890-1920) et l'évolution des objectifs de cette idéologie politique. Notons à ce propos que Taalbi, auteur de La Tunisie Martyre, et fondateur du Destour, a été « de ce chef arrêté à Paris et transféré à la prison militaire de Tunis pour y répondre, devant le Conseil de Guerre, de l'inculpation de complot contre la sûreté de l'Etat tunisien (31 juillet 1920) ». Ce rapport a été remis à Chadly Khairallah par son camarade Mohieddine Klibi, Directeur du Destour, en 1924. Voir également Ali Mérad, Le réformisme mu- sulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris, Mouton, 1967, p. 652.

(6) Au sortir de la guerre, les deceptions ne se sont pas faites attendre. Les populations arabo-musulmanes se sont aperçues en effet que toutes les promesses faites entre 1915 et 1918 par les grandes puissances étaient contradictoires et ne visaient en réalité que la sauvegarde et le renforcement de leurs intérêts dans l'Empire Ottoman. Pis encore: elles regardaient ces puissances s'emparer des régions arabo- islamiques de l'Empire et se partager la dépouille du califat. Le message wilsonien n'a

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musulman de l'après guerre, et spécialement les indications que contien- nent les documents qui suivent. Car l'histoire particulière des idées, de leur constitution et de leur évolution, ne peut se comprendre indé- pendamment de celle des transformations de la réalité globale du monde arabo-musulman. De plus, ces courants d'idées et d'opinions, en tant qu'ensemble de représentations, d'aspirations et de sentiments par les- quels des groupes sociaux agissent sur le devenir historique de leur société, ont incontestablement des fonctions politiques, et engendrent des conduites et des comportements.

C'est ainsi que nous pouvons comprende la portée effective du cou- rant panislamiste des années 1920-1923 dans le Magrib et le Machriq (7), en particulier, et dans le monde islamique de l'Asie, de l'Inde et de

pas eu non plus de portée effective, fous les espoirs se portaient alors sur 1 héroïque résistance des patriotes turques contre les occupants et les envahisseurs. Les sentiments de fraternité, d'union, de solidarité et de patriotisme islamiques se sont alors cristallisés vigoreusement (manifestations de soutien, collectes de fonds, appuis à la résistance kamaliste) pour faire face à ces défis multiples et à préparer la riposte. D'où les mouvements politiques et idéologiques qui ont secoué entre 1918 et 1923 la plupart des régions arabes de l'Empire: Palestine, Syrie, Egypte, Iraq, Turquie, Tunisie, Algérie, Lybie et Maroc. Cette crise d'existence du monde arabe, accompagnée d'une ebullition culturelle et politique (constitution d'organisations nouvelles, pluralité de tendances, revendications patriotiques, nouvelles tendances litéraires et poétique, etc.), marquait en effet l'avènement d'une profonde mutation dans l'histoire du monde arabo-musulman.

Voir à ces sujet Mustapha Chihabi, ai-lst'mâr (le colonialisme), Le Caire 1956-1957; *Abd al-Karim Mustafà, Târih Misr as-siyâsî (Histoire politique de l'Egypte), Le Caire 1967; Tawfîq As-Suwaydi, Muddakkirâtî (Memoirs of an Ira- qi Politician) (1917-1976), Beirut 1969; Julius Von Hausen, The Arab Kingdom and its Fall (1844-1918), Beirut 1965; J.L. Halstead, Rebirth of a Nation. The Origins and Rise of Moroccan Nationalism (1912-1944), Cambridge 1967; A.S. Klieman, Founda- tions of British Policy in the Arab World. The Cairo Conference of 1921, Baltimore 1970; M. Quraïshi, Liberal Nationalism in Egypt. Rise and fall of the Wafd party, Dehli 1967; M. Jacob, The Hejaz Railway and the Muslim Pilgrimage. A Case of Ottoman Poli- tical Propaganda, Wayne 1971; Ann Williams, Britain and France in the Middle East (1914-1967), London 1968; J. Névakivi, Britain and France, and the Arab Middle East (1914-1920), London 1968; N. Ziadeh, Origins of Nationalism in Tunisia, Beirut, 2nd ed., 1968; L.C. Brown, Tunisia under the French Protectorate. A History of Ideological Change, Ph. D, Cambridge, Haward University, 1962 et Chadly Khairallah, Le mouve- ment evolutionniste tunisien, Tunis, s.d.

(7) Les revendications nationalistes tunisiennes se formuleront en effet dans la perspective de l'idéologie panislamiste. C'est peut-être là l'une des originalités du natio- nalisme tunisien: la pensée sociale et politique de la Tunisie moderne et contemporaine représente souvent, en effet, une synthèse entre les différentes forces d'innovation qui parcourent le monde arabo-musulman. Par ailleurs, nous constatons que, même de nos jours, les nationalismes dans le monde islamo-méditerranéen ne l'ont pas entièrement et dé- finitivement remporté sur le panislamisme ou le panarabisme. Ces derniers résurgissent no- tamment pendant les crises graves. Il en est de même pour le nationalisme et le socialisme: ils témoignent en effet les poussés nationalistes au sein même des pays dits socialistes.

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l'Afrique en général. En effet, à Porigine ces messages idéologiques, élaborés et développés à la veille de la première guerre mondiale, et plus précisément entre 1890 et 1914, se proposent de cristalliser la résistance de la communauté afabo-musulmane contre la désintégration de l'Empire ottoman par l'irruption des impérialismes européens. En ce sens, les organisations et les divers aspects du panislamisme (Jeunes Turcs, Jeunes Egyptiens, Jeunes Algériens, Jeunes Tunisiens, senoussi- sme, mahdisme, etc) cherchent à affranchir les populations musulmanes de la tutelle et de l'hégémonie européenne. Les objectifs et les moyens de cette émancipation ne se sont néanmoins formulés clairement qu'au lendemain de la première guerre mondiale, corollairement bien entendu à la transformation aussi bien de la réalité internationale que de celle de l'Empire Ottoman. Des faits historiques et politiques majeurs, tels que les révoltes en Egypte et en Iraq, les troubles en Palestine, puis en Syrie, en Tripolitaine, en Inde et en Iran, la résistance kamaliste, ont égale- ment renforcé dans les années 1920-1924 les exigences unitaires des di- verses organisations panislamiques. Ainsi, au moment même où l'insti- tution impériale ou califale dépérit, l'idéologie panislamiste se fait sentir avec beaucoup plus de force.

D'autres faits interviendront naturellement, et imprimeront une nouvelle orientation à cette idéologie politique. D'où le passage du pa- nislamisme aux nationalismes. Cependant, l'essentiel de l'idéologie pani- slamiste ne sera pas pour autant abandonné, et il sera même récupéré par la plupart des organisations nationalistes du monde islamo-méditer- ranéen de l'entre deux guerres.

En témoignent non seulement les similitudes entre les revendica- tions nationalistes des diverses organisations du monde arabe de l'épo- que, les rapports entre les dirigeants politiques, mais aussi les vives réac- tions des populations arabo-musulmanes contre la suppression du califat et ses implications (8). De plus, la plupart des dirigeants de ces organi-

(8) La suppression du califat ottoman (1924) sera un élément déterminant dans la naissance des idéologies nationalistes dans le monde arabe. Cet événement secouera en effet fortement le monde arabo-musulman et détériorera gravement, et pour plus d'un quart de siècle (1924-1967), les rapports turco-arabes. L'appui des populations arabes au mouvement kamaliste dégénérera vite en adversité. Les autorités turques ne soutien- dront pas non plus les mouvements de Libération nationale des pays arabes.

En tout cas, la suppression du califat par les kamalistes a été jugée à l'époque par l'ensemble des populations arabo-musulmanes et des dirigeants politiques comme une atteinte très grave aux fondements mêmes du pouvoir islamique traditionnel. L'abolition des bien waqf, des tribunaux safia, la séparation de l'Etat et de la religion, et tant d'autres innovations, ont été en effet perçues par les populations musulmanes qui étaient imper-

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salions panislamistes sont devenus, peu de temps après, les pionniers du nationalisme.

L'idéologie panislamiste répond ainsi à la fois à l'exigence unitaire des populations arabo-musulmanes, aux données objectives et subjectives de Yumma, à ses fondements permanents, et aux nécessités de contre- carrer les visées d'expansion coloniale de l'Occident. Elle se présente donc à la fois comme un refuge et un moyen de libération, et en défini- tive, comme une riposte aux impérialismes européens. Cette idéologie politique, qui a été élaborée par des groupes en formation au sortir de la Grande Guerre, retient donc des éléments de la pensée sociale et po- litique du XIXe siècle. En effet le panislamisme de l'année 1920 s'est frayé son chemin à travers d'anciens problèmes, un ancien vocabulaire et d'anciennes perspectives qui correspondent encore à ce moment là aux aspirations et aux représentations des populations: différence d'exis- tence, de faits de civilisation et de culture, renforcement de l'unité de la communauté, résistances aux faits coloniaux, etc. Ces mêmes exigences se retrouveront au demeurant dans l'idéologie nationaliste qui se for- mulera puissamment à dater de l'abolition du califat ottoman. Il n'est

méables aux tendances laïcisantes diffusés par certaines organisations politiques turques de Fépoque, comme des expressions du processus d' « occidentalisation » de la société arabo-musulmane, donc de perte des données objectives qui distinguent Vutnma arabo- islamique des autres types de société.

Et cela se produit au lendemain même où les •autorités coloniales organisaient des procès contre les patriotes arabes (Egypte, Tunisie, Soudan, Libye) et reprimaient violemment les populations (rôle d'Allenby et d'autres gouverneurs). La conjonctive socio-historique et politique du monde arabe était ainsi particulière et expliquait donc partiellement les vives réactions des populations musulmanes contre ce processus de modernisation des structures et du type du pouvoir en Turquie.

C'est d'ailleurs dans ce contexte général qu'ont commencé les controverses touchant la question du califat et des ses fondements réels. 'Abd al-Râziq. publie en effet son ouvrage sur le califat, al-Islâm wa'usûl al-huqm, en 1925, ouvrage vite détruit par les autorités du Caire et aussi retiré de la diffusion. Son auteur fut relevé de ses fonctions, et démuni de tout ses diplômes. Des tentatives on été également faites pour désigner un nouveau calife: Congrès islamique du Caire et de la Mecque.

« Les Turcs oublient, écrit al'Ahrâm du 8 Mars 1924, en s'inspirant des activités des révolutionnaires français, que l'imitation, at-taqlîd, qui est incompatible avec les moeurs de l'umma et de ses aspirations ne peut aboutir qu'au désastre et à la ruine ». Une semaine plus tard, le même journal cairote poursuit: « L'abolition du califat par les kamalistes constitue le plus grave acte criminel commis contre le pouvoir et la plus haute trahison de l'Islam dans toute son histoire» (14-3-1924) .

De même, la revue al-Hilâl consacre un numéro spécial (vol. 35) à cette question: Nahdat al-Atrâk haï tadûm? (La renaissance turque peut-elle durer?). Les poussées islamiques dans les structures actuelles du pouvoir et de la culture montrent bien le rôle primordial que joue l'Islam dans tous les projets sociaux de renouvellement.

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d'ailleurs pas impossible de retrouver l'essentiel de ces éléments dans la pensée arabe d'aujourd'hui.

L'analyse des notions majeures des idéologies et des idées sociales et politiques du monde islamo-méditerranéen de l'entre deux-guerres s'impose donc inévitablement pour la reconstitution de la réalité histo- rique tunisienne contemporaine, et par là même par la connaissance des processus de formation de la nation tunisienne, et des ses spécificités socio-politiques et idéologiques (9). La publication de ces documents d'archives pourrait en un sens constituer une modeste contribution à l'approche des fondements idéologiques du nationalisme en Tunisie. En tout cas, ces documents peuvent servir d'éléments à la connaissance du dossier du nationalisme.

Il faudrait souligner à ce propos que les archives du gouvernement tunisien contiennent une fort abondante documentation sur les organi- sations panislamiques au Magrib et au Machriq. Cette documentation a été essentiellement rassemblée par les services de la « Surveillance politique » qui dépendait du Secrétariat Général du Gouvernement tu- nisien, entre la fin du XIXe siècle et le premier quart du XXe siècle. Naturellement, ces documents (correspondances consulaires et diploma- tiques, rapports, journaux, publications) concernent les activités, les relations, et l'existence des organisations (et des dirigeants) panislami- ques aussi bien dans le monde arabo-musulman qu'en Europe (10).

Et à cela s'ajoutent environ trois mille dossiers de « gens su- spects » appartenant à ces différentes organisations. Certes, les rapports

(9) II faudrait noter à ce propos que le concept de nation n'a pas encore d'équiva- lent précis dans la langue et la lexicologie politique arabes. Cela n'est sans doute pas sans rapport avec les représentations et les implications de Vumtna. L'exigence unitaire continue à l'emporter sur celle de la différenciation. Les défis de l'occident, ses aggressions permanentes, et tant d'autres facteurs à la fois externes et internes, consolident de plus en plus cette exigence. L'analyse de la formation des faits nationaux et des idéologies na- tionalistes dans le monde islamo-méditerranéen s'impose donc inévitablement pour la compréhension des mouvement nationalistes et de leur concept, la nation.

(10) Archives Générales du Gouvernement tunisien, Série E. Police du terri- toire Dossier 550. Panislamisme (Affaires diverses, émissaires senoussia, émissaire ottomans, intrigues anti-françaises à Damas, participation d'Algériens et de Tunisiens au mouvement panislamique, franc-maçonnerie ottomane et son action panislamique, Union Maghrébine, menées allemandes, Comité occulte tunisien, Comité de l'Indépendance algéro-tunisienne, etc.). Ε 532, Presse musulmane et étrangère (presse d'Orient, presse étrangère, journaux interdits liste des journaux d'Orient, etc.). Série F/ 40, (situation des Tunisiens de l'Empire Ottoman, protection française des Tunisiens en Egypte, en Tripolitaine statut des Tuni- siens en France, etc.). Série G, quelques documents : Série A, Carton 208 ter, Dossier 1 à 2165 (Rebelles).

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que nous publions ici ne valent que ce que peuvent valoir les rapports de police. Néanmoins, ils contiennent des indications précieuses pour la connaissance des représentations politiques de l'époque. Plusieurs documents confirment d'ailleurs ces indications, ou les recoupent. Nous les annotons pour mieux éclairer leur contexte socio-historique.

Béchir Tlili

ANNEXES

REINSEGNEMENT SUR L'ORGANISATION DE LA PROPAGANDE PANISLAMIQUE

Extraits d'un rapport remis par un indigène tunisien, sans signature ni date (*)·

C'est le Sultan Abdul Hamid qui, après la signature du traité de San Stéphano (1878) et dans le but de s'attacher les populations du Caucase, fut le premier organisateur, à l'aide de publications imprimées à Constanti- nople, d'un système de propagande qui, sous couvert d'enseignement religieux, préconisait la fraternité des musulmans.

Il détermina ainsi une assez importante émigration du Caucase en Ana- tolie. Des terres furent offertes aux emigrants dont les enfants furent admis gratuitement dans des écoles turques où l'on en fit des officiers et des imams.

En 1879, cette propagande fut étendue sur les Indes et son centre d'ac- tion fu établi en Afghanistan. Elle ne tarda pas à donner des résultats appré- ciables et certains Indiens musulmans prirent le Khalifa du Prophète pour juge de leurs griefs à l'encontre des Anglais. Des faveurs attendaient ceux de ces mécontents qui se réfugiaient à Constantinople. On en retrouve en- core dans le Gouvernement de la Sublime Porte où ils ont pu entrer après avoir adopté la nationalité turque.

Devant le succès obtenu au Caucase et aux Indes, Abdul Hamid étendit ses menées vers l'Afrique du Nord en y faisant colporter des publications

(1) Ce texte est la copie d'un document conservé à la Division de la Documentation Générale du Ministère des Affaires Culturelles et de l'Information sous le numéro A-3-16. Il doit dater de 1920, car Salah Chérif, dont il est question dans ce rapport, a disparu en 1921.

Nous ne pouvons pas exposer ici tous les textes des principaux documents concernant cette question (Rapports sur le mouvement panislamique, Février 1920, et correspondances diplomatiques 1920-23). Nous nous proposons de le faire dans une autre étude pour compléter le dossier de la question.

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panislamistes pendant que des émissaires fanatiques parcouraient le pays en prônant les bienfaits de Γ Administration turque.

C'est alors que le mouvement panislamique prit naissance en Tunisie, particulièrement propagé par les soins de magistrats ou professeurs séduits par des promesses de fonctions en Turquie ou recevant des mensualités et qui, lorsqu'ils se sentaient soupçonnés par l'Administration, quittaient la Tunisie sous prétexte de pèlerinage aux lieux saints et se rendaient en Tur- quie (2). Là, en récompense de prétendus sacrifices au devoir religieux, ils ob- tenaient des sinécures bien rétribuées qui leur permettaient de faire, aussi bien en Turquie qu'en Syrie, des campagnes de dénigrement de la politique et de l'Administration françaises.

De même que l'Italie revendique comme sienne la Tunisie, il était en- seigné dans les écoles turques que le Nord de l'Afrique était turc. De jeunes tunisiens, élevés dans ces écoles après avoir été envoyés à Constantinople, devinrent des officiers fanatiques et nationalistes à outrance; ils se marièrent en Turquie et firent souche d'enfants à qui ils inculquèrent la haine de la France.

Vers 1890 la Tunisie commença à être visitée par des colporteurs qui, sous prétexte de débiter des articles soi-disant turcs mais en réalité allemands ou autrichiens, propageaient des idées panislamistes. En outre des derwiches, sans crainte des autorités françaises ou indigènes, discréditaient les écoles françaises de telle sorte que ces écoles n'étaient plus fréquentées que par ordre.

(2) L'émigration des Maghrébins, notamment Algériens et Tunisiens, à la veille de la première guerre mondiale et au sortir de cette guerre représente un aspect parti- culier de l'histoire des rapports politiques et administratifs entre la France et cette partie du monde arabe. Ce mouvement constitue en effet une forme de riposte à la prépondérance française et à la domination des autorités coloniales. La Turquie, la Syrie et l'Egypte attiraient particulièrement les émigrés maghrébins. A la veille de la Grande guerre, cette higra s'accentue et attire l'attention des autorités coloniales. Il semble même que les panislamistes aient organisé une campagne de presse en faveur de ces vagues d'émigration, perçues comme des ripostes politiques aux faits coloniaux, « Yultima ratio d'un peuple privé des moyens légaux de se faire entendre ». En tout cas, l'émigra- tion des Algériens en terre d'Islam a commencé dès 1832 et s'est poursuivie jusqu'en 1914. Ce fait a été d'ailleurs évoqué à la Chambre en 1912, à la fin de 1913 et au début de 1914.

Pour plus de précisions, voir le travail de C.A. Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Paris 1968, t. II, pp. 1079-1203. Naturellement, les réfugiés maghrébins d'Istanbul tentaient à cette époque de fomenter des mouvements contre les autorités coloniales. La participation d'éléments maghrébins à la guerre italo-libyenne (1912) et à la IVème armé turque a été en effet effective. Cette dernière, qui s'est battue aux côtés des puissances centrales, a occupé l'ensemble de la Syrie (fin octobre 1914), avec de nombreux officiers et spécialistes allemands, et avait pour objectif de s'emparer du Canal de Suez. Mais ses tentatives de conquête de cette partie du territoire égyptien n'ont pas réussi, et à partir de 1917, les Britanniques, commandés par le général Allenby, avec un petit contingent français, ont lancé une contre-offensive victorieuse (mois de septembre et octobre 1918), au moment où se déclenche l'offensive de l'armée de Salonique dans la partie européenne du Moyen-Orient.

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En même temps venaient de Tripoli d'Afrique à Tunis de prétendus mendiants, conteurs ou marchands, qui se livraient à une propagande sem- blable et renseignaient la Turquie sur l'état des esprits dans la Régence. Ils étaient informés à ce sujet par les magistrats et les oukils tunisiens inféodés à leur parti.

Abdul Hamid avait en outre envoyé des missions panislamistes en Chine (1877) et en Abyssinie (1892), une autre mission aurait été aussi au Japon mais on ignore à quelle date; son but devait être de jeter les bases d'une en- tente amicale avec ce pays.

Le sultan dirigea lui-même cette propagande qu'il subventionna de ses propres derniers en plus des crédits qu'il lui attribua sur ceux de l'Etat.

Il en fut ainsi jusqu'à la déposition d'Abdel Hamid (1903) suivie de l'arrivée au pouvoir des « Jeunes Turcs » et du parti « Union et Progrès » composé, en grande partie de francs-maçons de rite écossais (3).

(3) Au sujet de l'organisation Union et Progrès, voir Bernard Lewis, The Emer- gence of Modem Turkey, Oxford, 2nd edit, 1968, pp. 210-238; Emin, Turkey in the World War (1930) et Feroz Ahmad, Great Britain with the Young Turks (1908-1914) in Middle East Journal, 2, 1966, pp. 302-329. Il est notoire que la fondation de cette orga- nisation politique date de 1894.

Quant au rôle des loges maçoniques ottomanes dans le mouvement panislamique à la veille de la première guerre mondiale, consulter notamment les documents: C 550 D 30 (1911) - A.G.T. (mouvement arabe, franc-maçonnerie et tendances panislamiques; franc- maçonnerie ottomane en Syrie et en Egypte: lettre de Def rance, consul général de France au Caire à Stephan Pichon, Résident Général de France en Tunisie, n. 443. Le Caire, 21 Décembre 1910; action panislamiste des nouvelles loges ottomanes d'Egypte: Lettre du Ministre des Affaires Etrangères de France à Alapetite, Résident Général de France en Tunisie, n. 668, Paris, 24 Décembre 1910):

« Ce mouvement a été inspiré par un esprit essentiellement nationaliste, note Courget, Consul Général de France à Beyrouth, dans sa lettre à Stephan Pichon, ministre des Affaires Etrangères, et qu'il se trouve intimement lié aux menées anti-anglaises qui se manifestent en Egypte. Il m'a été dit, en effet, ajoute-t-il, que désireux de fonder une loge maçonique fortement centralisée, ayant son siège à Constantinople et des embran- chements dans les différents wilayets, un groupe de hauts fonctionnaires turcs aurait fait dans ce but appel au concours des loges égyptiennes. Sa préférence aurait été guidée dans ce sens par le désir d'éviter toute immixion dans les affaires intérieures de l'Empire. Telle aurait été l'origine de la mission Sakakini qui, après s'être rendu à Constantinople pour y jeter les bases du « Grand Orient Ottoman », a voyagé en Syrie pour en orga- niser les succursales. L'administration anglaise d'Egypte, mise au courant de ces démar- ches, se serait inquiétée de la force nouvelle que les loges turques, si elles devaient être animées du même esprit que celles d'Egypte, pourraient donner aux aspirations nationalistes de ces dernières (...) Quand aux loges qui ont été fondées en Syrie, celle de Beyrouth appelée « Hilal Osmani » aurait surtout pour but la fusion de tous les éléments différents de la population sans avoir jusqu'ici manifesté de visées politiques. Celle de « Furn al Chubbak » (village aux confins du wilayet et du Liban) est une loge libanaise du même genre composée de chrétiens et de quelques druzes. Son siège serait à Beirouth où habite son président, Daoud Nahoul, maronite originaire de Deir al-kamar, mai elle fonctionnait de manière complètement indépendante de la précédente. Enfin, la loge de Zahlé ne se serait pas développée comme les précédentes et ne compterait qu'une vingtaine d'adhérents par suite de la concurrence qu'elle a rencontrée du fait de l'existence d'une loge précédemment fondée et déjà assez importante avec laquelle elle est entrée en conflit », (C 550 D 30 Beyrouth, 19 Janvier 1911, n. 5. Action en Syrie des loges ottomanes d'Egypte).

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Le nouveau gouvernement « Jeune turc » supprima, tout d'abord, le ser- vice de la propagande panislamiste et cessa de payer les agents de ce service et cela à l'indignation de l'Angleterre dont le concours n'avait été donné au parti « Union et progrès » que dans le but d'étouffer les poussées panisla- mistes dans ses possessions des Indes. Mais instruits des ouvertures faites à ce sujet par le agents britanniques à Constantinople, auprès de Mahmoud Chaoukit Pacha, ce parti se rendit compte des avantages qu'il pouvait tirer de ladite propagande et se préoccupa de la reprendre en modifiant sa forme et ses moyens d'action sous le couvert d'oeuvres philanthropiques.

C'est ainsi que l'association de bienfaisance musulmane (Djemia Khaîret Islamist) devint le centre de cette propagande. Son comité directeur, présidé par Mahmoud Chaouki Pacha, eut comme secrétaire le tripolitain Youssef Chatouan Bey et compta parmi ses membres les émigrés tunisiens Salah Cherif et Ismail Sfathi ainsi que Abbelaziz Chaouiche, sujet tunisien fixé en Egypte.

Le but officiel de cette Association était de secourir les emigrants arri- vant en Turquie mais, en réalité, elle cherchait surtout à attirer le plus grand nombre possible de musulmans dans ce pays pour le peupler. Elle voulait avoir son siège à Tripoli de Barbarie et y préparer un plan d'organisation des forces musulmanes destinées à chasser les infidèles des terres de l'Islam (4).

Salah Cherif profita de la guerre italo-turque pour exercer en Tripoli- taine, à l'aide des senoussis, une propagande qui s'étendit en Tunisie où l'on put constater l'éveil de sentiments turcophiles manifestés dans les articles de journaux et par l'envoi de volontaires en Tripolitaine, des souscriptions, etc.. Il chercha aussi, par l'intermédiaire des « Jeunes Tunisiens » à susciter des troubles dans la Régence (5).

(4) Les personnalités tunisiennes, Salah Cherif, Ismaïl Shaïhi et Abdelaziz Zaouiche, ont joué un rôle important dans la constitution d'une armée turque qui devait entrepren- dre la reconquête de la Tunisie et de la Libye pendant la seconde guerre mondiale. Cherif et Sfaïhi ont également fondé en 1917, le Comité pour V indépendance de la Tunisie et de l'Algérie, et ont appelé les populations arabo-musulmanes à s'affranchir du joug colonialiste. Cherif a été également chargé par le pouvoir central ottoman d'une Ambassade au nigâz. En 1920, date de la parution de La Tunisie Martyre de Thaâlbi, Cherif écrit à celui-ci, au début du mois de janvier ce qui suit: « Aujourd'hui que le livre est apparu, les gens sont remplis d'enthousiasme; profitant de cette occasion choisie, nous déployons un nouvel effort pour réfuter les « on dit » de ceux qui nous critiquent » (Rapport du Colonel Baron, inédit, feuillet 40).

(5) II faut noter a ce propos que les « Jeunes- lumsiens » ont également joue un rôle actif dans la résistance libyenne à l'occupation italienne. Leur attachement au sultanat- califat d'Istambûl était en effet inconditionnel:

« On croit toujours nous gêner, écrit Ali Bach Hamba en guise de mise au point, en nous parlant de panislamisme et dyottomanismey comme si nous avions jamais nié leur existence. Mais tout musulman est par définition panislamiste. C'est une banalité de le répéter. Il est vrai qu'il fut un temps où l'on croyait le panislamisme une organi- sation secrète et disciplinée disposant de moyens d'action et dirigée contre l'Europe. Mais aujourd'hui cette légende vieillote s'est évanouie et tout le monde sait que le panislamisme n'est qu'un sentiment de large fraternité. L'ottomanisme en est une con- séquence, en même temps qu'une éclatante manifestation.

(...) Les Tunisiens sont donc panislamiste s et turcophiles. D'ailleurs, ils ne le dissimulent guère. D'aucuns même, parmi eux, ne peuvent se résoudre à croire que la

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D'autre part le mouvement d'émigration des Jeunes Tunisiens vers la Turquie s'accentua. Les emigrants furent envoyés principalement en Syrie pour y servir la politique antifrançaise (6). Lorsqu'ils purent être instruits, on les employa dans les écoles à faire détester la France par une jeunesse docile et crédule; les agriculteurs illétrés furent répartis dans les villages et les montagnes. Pendant ce temps des avocats, des médecins propageaient les mêmes idées dans les milieux plus cultivés. Le résultat obtenu fut de nous aliéner les Syriens musulmans qui de francophiles devinrent francophobes. Les tunisiens Taieb et-Touati, Lakhdar el Haouissine et le frère de ce dernier furent ainsi chargés, le premier à Alep et les deux derniers à Damas, furent ainsi chargés d'indisposer les populations contre les Français et de pousser au boycottage des marchandises françaises.

souveraineté turque a disparu pour toujours de ce pays. Si une education moderne nous a donné une mentalité nouvelle, nous n'en conservons pas moins notre individualité. Mu- sulmans nous avons gardé une vive sympathie pour nos frères de tous les pays. Turcs et Egyptiens nous inspirent les mêmes sentiments que nos voisins d'Algérie ou que les lointaines populations d'Asie ».

Consulter: le Tunisien (1907-1910); Ch. Khairallah, Le mouvement évolution- niste tunisien (Notes et Documents), t. III, pp. 43-48 et A. Julien, Colons français et jeunes Tunisiens (1882-1912) in Revue française d'histoire d'Outre-mer, TLIV, 1967, pp. 87-150.

(6) « II vient de se fonder a Constantinople une société ou ligue. Cette ligue a son siège tout près du Club Central du Comité Union et Progrès, qui se tient lui-même dans l'ancienne résidence de la fameuse Mademoiselle Victoria Moutran, les membres en sont tous unionistes, et la plupart des Arabes. Inutile de dire, ajoute le correspondant du journal La Tunisie française, qu'ils sont en complet accord avec le Comité Onion et Progrès. Ils se réunissent deux fois par mois. Dans leur dernière réunion, le 27 septembre, à une heure de l'après-midi, Chetwan Bey a invité les frères en religion à faire tous les sacrifices matériels et moraux nécessaires à l'établissement de la ligne de défense de Benghazi et Tripoli. Etaient présent comme Egyptiens: Mohamed Tchirâï pacha; le prince Abbas Halim pacha, frère du Grand Vizir, gouverneur de Brousse; Izzet Bey, Ali Bey, Ali Moubarek Bey, etc. Comme Tunisiens: Abdul- Aziz Tchaouch, élevé en Egypte; le cheikh Salah Chérif; Ali Bach Hamba, qui vient d'être nommé inspecteur gé- néral adjouint au ministère de la justice. Il fut, pendant la guerre turco-italienne, expulsé de Tunis par le gouvernement français. Comme Indiens: il y en avait cinq, par- mi lesquels un nommé Abdul-Hakim. De Tripoli de Barbarie: Suleiman el Barouni, le cheikh Ahmed, un des représentants de Senoussis, etc. Du Yemen: Ben Réchid, Réchid pa- cha, le lieutenant colonel Moussah, Saïd Bey, ex-colonel à Yildiz. De la Mecque et Mé- dine: le Chérif Ali Haïdar Bey, ex-ministre de l'évkaf, le chérif Nassir Bey, sénateur, etc., etc.

Le Conseil décide d'envoyer en Egypte des missions de propagande, ainsi que des journalistes triés sur le volet (...). Le but de cette ligue est manifeste. Elle est ani- mée du plus pur esprit de panislamisme et de la haine la plus ardente vis à vis de l'Eu- rope. (La Tunisie Française, du 18 novembre 1913, in La politique panislamique du Co- mité Union et Progrès).

Les membres tunisiens de la ligue s'occupaient évidemment des émigrés en Turquie: « suivant une correspondance privée émanant de Constantinople, lit-on en effet dans une note de police datée du 2 octobre 1913, le groupe des Tunisiens résidant dans la capi- tale ottomane, ayant à sa tête les cheikhs Ismaïl Sfaïhi, ancien cadi, et Salah Chérif ancien moudarrès à la Grande Mosquée, fit le mois dernier le voyage d'Andrinople. Ce voyage avait pour but de permettre aux immigrants tunisiens de prendre part aux mani- festations de joie qui auront lieu dans la capitale de la Thrace après le reprise de Constantinople par les Turcs ».

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En Tunisie, ce mouvement d'émigration vers lOrient fut encouragé par les articles du journal « El Hadira » dirigé par Ali Bouchoucha (7) et c'est ainsi que de nombreux tunisiens quittèrent clandestinement leur pays sans passeport et furent établis en Turquie et en Syrie par la « Djemiat Khaîret Islamiat ». Tous les chefs de confréries et les professeurs des mosquées s'abon- nèrent à « El Hadira » qui comptait parmi ses rédacteurs Si Bechir Sfar et Si Belkhodja. Ce journal qui contenait de nombreux extraits du journal offi- cieux turc (L'Etoile Belge) renseignait sous une forme anodine, destinée à tromper la censure, sur tout ce qui se passait en Turquie et ces nouvelles com- mentées dans les milieux religieux s'infiltrèrent dans la population qui à la longue devint turcophile. Les professeurs et imams des confréries: Soulamia, Aissaouia, Chedlya, Bedaouia, Kadria, Keloutia, Melamia, sans compter d'au- tres, servirent à cette propagande chez les musulmans sédentaires tandis que les Senoussis s'adressaient aux nomades et aux montagnards. (8).

De la sorte l'Afrique du Nord devint un foyer panislamique. Tous les organes de cette propagande appartenaient au rite hanéfite dont les adeptes fournirent d'ailleurs peu d'émigrants car ils préféraient rester dans les villes, attendant avec patience le départ des Français et l'entrée des Turcs en Tunisie.

Parmi les agents de cette propagande on cite la princesse Nezali d'origine égyptienne qui distribuait les fonds de propagande. Le mariage de cette prin- cesse avec Si Khelil Bou Hajeb avait été négocié par Si Bechir Sfar au cours d'un voyage de ce dernier au Caire (9).

Bechir Sfar était lui-même panislamiste et pour justifier son opinion il disait: « Si les Musulmans ne soutiennent pas les Turcs ils seront comme les Juifs privés de tout centre d'influence politique; il ne reste à tous les Musul- mans qu'un lieu de refuge, de salut: la Turquie, seul pays musulman indé- pendant ».

Depuis 1890 et jusqu'à 1911 la propagande était intensifiée peu à peu grâce aux étudiants de la Grande Mosquée de Tunis et le mouvement ayant

(7) Sur le rôle que jouait « al-Hâdira » dans la diffusion des idées réformistes, voir Christiane Souriau-Hoebrechts: La presse maghrébine, Paris, C.N.R.S., 1969, p. 54.

(8) Le rôle des confréries dans les projets socio-politiques d'évolution a toujours été très important dans l'histoire du monde arabo-musulman. Elles servaient souvent soit de ferment soit de frein à ces projets. Il serait donc intéressant d'étudier le rôle de ces confréries à travers les différentes phases de l'évolution socio-historique du monde arabo-musulman moderne et contemoorain.

(9) La princesse Nazili est la fille du Grand Vizir Fâdil pacha, fils de Ibrahim et frère d'Ismaïl, gouverneurs d'Egypte. Elle a été élevée à Istanbul où elle vécu jus- qu'à la disparition de son père. Sa connaissance des langues étrangères et ses activités politiques lui ont permis d'effectuer plusieurs séjours en Europe, et de rencontrer la plupart des réformateurs ottomans des XIXe et XXe siècle: Muhammad al-Mwilhi, 'Abdû, Zaglûl et 'Amîn, le général Hussein, Bayram V, Salem Bûhâëib, Bechir Sfar et tant d'autres personnalités politiques. Son rôle dans la création de la Khaldounia, des écoles de filles, dans le mouvement d'émancipation de la femme arabe et dans la transformation de l'idéo- logie politique tunisienne est assurément important. Voir Al-Fâdil ibn 'Asûr: Arkân annahda al-adabyya bi-Tunis, Tunis, 1381 H., pp. 49-53 et A.G.T.E. («gens suspects »).

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gagné les centres de l'intérieur de la régence, de nombreuses migrations vers le levant furent constatées à Bizerte, à Sousse, à Sfax, à Gabès et sur- tout à Djerba.

Pendant ce temps, les livres et journaux de l'association continuaient à être répandus, toujours dans le but de dénigrer l'Administration française et εοη système de colonisation.

Auprès des campagnards illétrés qui soutenaient des procès, les juges et les oukils insinuaient que les lenteurs de la procédure ou l'iniquité des sentences rendues provenaient du fait de la France. A la ville, au marché, il se trouvait toujours un lettré, tenant ses assises dans un café maure, pour accuser le caïd de partialité en faveur des colons contre lesquels les Arabes portaient plainte. Parfois aussi, l'Association opérait au grand jour. Elle fonda un journal: le « Ojihan Islam » (l'univers musulman) édité en turc, en persan, en indien et en arabe qui, s'adressant aux musulmans, les incitait à la révolte et au refus du paiement de l'impôt, ce que font actuellement les Egyptiens et les Indiens.

En Tunisie, les journaux se montrèrent arrogants et quand il leur était impossible de reproduire certains articles de la presse turque ils les com- muniquaient à leurs amis qui les colportaient jour et nuit.

Les bureaux de l'Association étaient situés à Constantinople, rue Bab Ali; ils étaient reliés téléphoniquement aux ministères de l'Intérieur et des Affaires Etrangères de la Sublime Porte. L'Etat lui allouait une subvention annuelle de 5.600.000 piastres et, en cas de besoin, des secours prélevés sur les fonds secrets. Les tracts et journaux de propagande étaient imprimés dans les imprimeries gouvernementales; cette impression n'a été confiée que pendant la guerre aux imprimeries particulières.

Depuis 1911 l'Allemagne contribuait à ces dépenses pour 10.000.000 de piastres ce qui élevait le budget de la propagande à 15.000.000 de piastres. C'est alors également, qu'à la propagande panislamiste se mêla une campagne de boycottage du commerce français au profit du commerce allemand.

Au même moment on pratiquait d'une façon intense quoique discrète le recrutement dans l'Afrique du Nord des élèves des écoles militaires turques de Constantinople, de Brousse, d'Adrianople et cela par l'intermédiaire de l'Association de Bienfaisance aidée des manoeuvres de Salah Cherif.

La société de bienfaisance musulmane de Turquie bien que se donnant l'étiquette de société privée était sous la dépendance du Gouvernement turc et de l'Allemagne ainsi qu'il vient de l'être exposé et comme le prouvent la nature de ses dépenses, les facilités données par son entremise aux emigrants la part prise par les Allemands à son administration, ses attaches avec le co- mité « Union et Progrès ». Ses réunions secrètes étaient présidées par Enver Bey ou Talaat Pacha et ses membres échangeaient des signaux de reconnais- sance ressemblant à ceux des francs-maçons (10).

(10) La création de sociétés de culture islamique ou de sociétés de bienfaisance

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Elle participait aux menées politiques de Γ« Union et Progrès » et c'est elle qui avait désigné Youssef Efïendi chargé d'assassiner à Paris Cherif Pacha.

En Tunisie la propagande était confiée aux « Jeunes Tunisiens ». Une société musulmane de bienfaisance fut créée à Tunis vers 1905, après le passage dans la Régence de Tisraélite allemand Max Oppenheim qui, anté- rieurement, avait organisé d'après les procédés allemands le service de la propagande d'Abdul Hamid, à Constantinople. Cet Allemand était entré en relations avec les jeunes Tunisiens de marque parmi lesquels on à cité Ali Abdel Wahab, Ali Bach Hamba, etc.. (").

dans les provinces arabes de l'Empire ottoman répond essentiellement aux exigences ré- formistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle: refus de l'assimilation culturel- le, maintien de la différence d'existence et de culture, et ouverture sur le monde mo- derne. Ces thèmes s'insèrent naturellement dans la perspective de résistance à l'irrup- tion coloniale. D'où le rôle important des sociétés de bienfaisance dans le mouvement d'idées et d'opinion du monde arabe contemporain:

« A la suite des commentaires auxquels a donné lieu, dans les journaux turcs, le rap- pel en Egypte de son fondateur Chérei pacha, la « société de culture islamique » a chan- gé son nom en celui de « société de bienfaisance islamique » (Djemyeti- Khairiyé-i Isla- miyé).

D'après le règlement acutellement à l'impression et dont j'ai pu me procurer le texte, cette association qui (art. V) ne s'occupera pas de politique et n'aura d'atta- che avec aucun parti politique, a pour but (art. II) V éducation morale des musulmans selon les hauts principes de l'Islam.

L'association qui comprend des membres fondateurs, actifs et honoraires est admi- nistrée par un conseil de 15 membres, sous la surveillance duquel une commission scien- tifique de 5 membres (art. XXVII) arrêtera le système d'enseignement et d'éducation à appliquer dans les écoles et institutions dépendant de l'Association. Afin d'assurer dans les écoles de l'Association (art. XXX) « une éducation et une instruction conformes aux hauts préceptes islamiques et aux besoins du siècle », la commission scientifiques « suivra constamment les progrès actuels et se mettra en relations avec les sociétés si- milaires de l'étranger ».

(Copie d'une dépêche de Bompard, ambassadeur de la République française à Constan- tinople, à Poincaré, Président du Conseil, ministre des Affaires Etrangères. Péra, le 13 janvier 1913, n. 24; Chéréi Pacha et la société islamique).

(11) Le baron Max Oppenheim a joué un rôle important dans les intrigues alleman- des dans le monde arabe. Le Journal La Gazette de France du 8 août 1906 l'accuse d'avoir « préparé l'entrée triomphale du kaiser à Tanger, eu des relations, au Maroc, avec le publiciste espagnol Ximénès qui dirige à Tanger El Africa Espanola, journal antifrançais, et sert de correspondant à de nombreuses feuilles allemandes. Ce Ximénès fut, il y a vingt ans, expulsé d'Oran, comme espion au service de l'Allemagne. Il eut, lors du der- nier séjour du baron Oppenheim au Maroc, plusieurs entrevues avec le fourrier de Guil- laume ». Consulter A.G.T., Ε 550-30/15, gens à surveiller (3499 dossiers). Max Von Op- penheim, 957.

On trouve également dans les cartons concernant le panislamisme la copie d'une no- te de police, non signée, et relative aux rapports entre Rida et Oppenheim dont nous mentionnons ceci:

«(...) ΑΙ-Manar est assez répandu à Tunis parmi la classe cultivée. Mais il passe aux yeux de la grande majorité des ulémas de la Grande Mosquée pour un organe irre- ligieux, vu la façon trop libérale dont il s'adapte à commenter les textes divins: Coran, Hadits, etc.

Cependant ΑΙ-Manar fait l'object de l'admiration de quelques cheikhs de Djamâa Zeitouna, notamment si Mohamed Ennakhli et si Tahar ben Achour.

Au sujet de ses relations avec le baron Max Oppenheim, la lettre du département a frappé juste. J'ai la preuve matérielle, ajoute l'auteur de la note, que le baron était

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Cette société doublée d'une école destinée à concurrencer les établisse- ments d'instruction publique officiels et dans laquelle fonctionnait une can- tine pour les pauvres fut installée à Halfaouine. Elle prit comme celle de Constantinople le nom de Djmaiet Khdiret Islamiat et organise une musique afin de faire jouer des airs turcs et les hymnes composés en l'honneur des

ami de l'ancien mufti qui me Ta présenté comme tel en 1905, par une lettre que M. Max Von Oppenheim m'a remise lors de sa mémorable visite à Tunis. Je m'empresse d'ajouter que j'ai tenu M. Roy, à cette époque, au courant de cette lettre ».

Naturellement, les divergences d'intérêts et les luttes d'influences entre les puis- sances européennes ont eu leurs prolongements dans les mouvements panislamiques de l'époque. C'est ainsi que l'Allemagne intriguait contre les autorités coloniales italien- nes, anglaises et françaises, et à un moment donné les panislamistes jouaient sur ces rivalités entre les puissances pour réaliser leur programme politique. Les rapports entre les panislamistes et les agents de l'Allemagne étaient donc fondés essentiellement sur des considérations d'ordre tactique.

Cela apparaît d'ailleurs nettement à travers la lettre de l'Algérien Khoualdia, Président du Comité Central de l'Union Islamique, adressée au baron Oppenheim, et pu- bliée par le journal Le Progrès de Tunis, n. 98 du 21 août 1906, et dans laquelle il précise, entre autres:

« Depuis deux ans je suis traîné dans la boue par certaine presse de France et d'Angleterre qui m'accuse ouvertement de faire le jeu de l'Allemagne en Orient, et dans l'Afrique du Nord.

Jusqu'ici je n'ai pas cru devoir protester. Mes coreligionnaires savent, en effet, à quoi s'en tenir sur mon compte et n'ont jamais ajouté foi aux racontars intéressés rendus publics par des feuilles à court de copie.

(...) L'Allemagne ne m'est pas sympathique; elle ne l'est à personne en Orient. Un moment, on a pu croire que la politique de l'Empereur d'Allemagne était favorable au développement de la puissance musulmane. Les plus aveugles ont été vite détrompés et tous ont bientôt acquis la certitude que cette soudaine bienveillance et^ que cette su- bite sympathie dont on nous environnait tout à coup n'étaient qu'un piège grossier où se laissait prendre trop longtemps notre enthousiasme patriotique (...). Nous n'avons donc aucune illusion sur le compte de la politique musulmane allemande, et si un moment nous avons pu céder, par patriotisme, aux excitations de ces agents, nous avons été tout de suite avertis que ce n'est pas notre bonheur et notre liberté qui étaient en jeu, mais bien des intérêts de l'Empire germanique».

Le rapport du Colonel Baron et d'autres documents d'archives parlent aussi du ren- forcement des activités et des intrigues allemandes dans les pays colonisés pendant la Grande guerre: diffusion de brochures, de tracts et de proclamations hostiles aux puis- sances alliées, propagande active dans les camps allemands des prisonniers nord-afri- cains, récits des opérations de guerre, création au gouvernement et à l'Etat-major al- lemand d'une section spéciale de la propagande islamique, construction à Berlin d'une mosquée destiné aux prisonniers de guerre.

La Revue du Maghreb, publiée mensuellement à Genève par Mohammed Bach Hamba, expulsé en 1912, renforçait également, à l'instigation de l'appel lancé aux mu- sulmans par le sultan-calife, l'idéologie panislamiste par opposition aux idéologies sépa- ratistes (panturquisme, panarabisme).

Une photo du journal allemand, Beilage des berliner Vokal-Anzeigers n. 8, Dienstag, 11 Januar, 1916, Bilder von Tage, première page, montre Salah Chérif au front du cortège, et à droite, Max Oppenheim.

Et enfin, une lettre de Marcilly, chargé d'affaires de France à Berlin à Millerand, Président du Conseil, fait état des rapports entre les panislamistes et certains grou- pements politiques allemands au sortir de la première guerre mondiale:

« Le succès des partis de droite aux élections du Reichstag a été accueilli avec beaucoup de satisfaction par les nationalistes turcs que l'indifférence du Cabinet Her- mann Muller pour toutes les questions orientales mécontentait vivement. Les Jeunes Turcs, mentionne le rapport, ont des intelligences parmi les nationaux allemands. Sans parler de nombreux officiers inféodés à ce parti, qui est celui de la Vieille Prusse, un des

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Sultans. Sous couvert d'actions philantropiques et de manifestations elle s'efforça de détruire l'influence française.

D'autre part, il était fait publiquement des appels à tous les Tunisiens, les engageant à s'unir pour la défense de leurs intérêts négligés par l'Admini- stration de la Régence qui « s'occupait seulement d'eux pour les soumettre à l'impôt et les emprisonner lorsqu'ils se plaignaient de la main mise sur leurs terres par les Français et les Italiens ».

C'est à ces menées qu'il faut attribuer: - Le boycottage des Juifs (12). - Les souscriptions secrètes en faveur des Turcs pendant la guerre

italo-tripolitaine (12). - Les troubles du Djellaz (u). - Le boycottage des tramways de Tunis (12). Parmi les agents de cette propagande on remarquait Bechir el Fourti et

M'Hamed Djaibi à qui Ali Bach Hamba et son comité versaient des mensua- lités de 500 francs pour chacun.

Bechir el Fourti partit même pour Constantinople pour être employé comme rédacteur du journal servant d'organe à la Société de Bienfaisance Turque qui publia des articles haineux contre l'Administration française dans l'Afrique du Nord et combattit les intérêts français en Syrie et en Mésopotamie.

principaux écrivains pangermanistes, le comte Reventlow, a fêté il y a un mois les fian- çailles de son fils avec la fille de Raïf Bey; Raïf, qui est le fils du maréchal Riad Pacha, vient d'ailleurs de quitter Berlin pour Constantinople avec sa famille. Mais les gens de YUnion et Progrès comptent encore beaucoup plus sur la droite modérée, sur le parti populaire où donne la grande industrie intéressée aux entreprises allemandes en Turquie. Le chef parlementaire de ce parti, Strusemann, est en relations avec Talaat Pacha et Bedry Bey.

Sans attendre même la formation du nouveau cabinet allemand, où d'ailleurs l'entrée du parti populaire allemand paraissait dès le premier jour assurée, les Jeunes Turcs de Berlin ont renoncé au mystère complet dont ils s'enveloppaient.

Djavid Bey s'est installé à l'Hôtel Adlon et fréquente les financiers officiels. Il est allé dernièrement à Vienne sans chercher à cacher ce déplacement. Peut-être d'ail- leurs, en attirant sur lui-même l'attention publique, Djavid cherche-t-il surtout à détourner de ses associés, les Talaat, les Bedri, les Azmi, les Enver qui continuent à circuler avec de faux papiers entre l'Allemagne, la Suisse et la Russie.

(...) Les Jeunes Turcs continuent à subventionner l'agitation panislamiste ou même simplement révolutionnaire contre les puissances de l'Entente. La direction de la pro- pagande est exercée par la « ligue des peuples opprimés ». Bedry Bey et Arif Djemmal Bey, Abdel Aziz Chaouiche, les Indiens Datta et Pillai, l'Irlandais Chatterton Kill, sont as- sidus aux réunions de la ligue, qui paraît d'ailleurs avoir des relations étroites avec un organe officieux de la Wilhemstrasse, le Nachrichtendunst für das Orient, Tanent- zinstrasse, 29, dirigé par le professeur Mittwoch (Berlin, le 23 juin 1920, n. 395. Me- nées des nationalistes turcs et panislamistes).

{IZ) un îyuy, le groupement «jeunes lunisiens» dont ι organe α expression est L£ Tunisien (1907) manifeste contre les Tunisiens de confession Israélite^ qui voulaient échapper à la compétence des juridictions tunisiennes. En 1910, les étudiants de la

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Les villes de la Régence où la propagande panislamiste a toujours été particulièrement active sont: Tunis, Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax, Kairouan, Gafsa, Gabès et l'île de Djerba. Elle est exercée comme il a été déjà indiqué et est souvent aidée par certains Français qui, sous prétexte de socialisme et dans un intérêt politique particulier, font à l'Administration française une op- position que la propagande exploite à son profit.

D'autre part, avant la guerre, toutes le publications concernant les co- lonies, imprimées en France, étaient envoyées au besoin, puis répandues dans la masse musulmane afin de servir à la propagande. Les ouvrages les plus recherchés étaient ceux des socialistes et des anarchistes et surtout les oeu- vres de Wigné d'Octon. Souvent même ces publications ont été distribuées par les Postes Européennes.

Pour tout ce qui a trait dans la Régence à la politique, à la justice, aux concessions de terres et de mines, l'association est renseignée par les « Jeunes Tunisiens ». Les concessions précitées ont fait l'objet d'une brochure de 450 pages distribuée gratuitement jusqu'en Syrie et en Mésopotamie pour com- battre l'influence française dans ces régions.

Au cours de la guerre 1914-18 et dès le début des hostilités, le Gouver- nement turc avait organisé des bandes irrégulières armées qui prirent le nom de « Tachkilates » et qui furent surtout employées contre les Grecs, les Armé- niens et les Arabes du Hedjaz (13). Ces bandes furent utilisées par Max Op- penheim, venu de nouveau à Constantinople pour prêter son concours à la propagande panislamiste et antifrançaise. La direction nominale de cette pro- pagande fut alors confiée au Tunisien Ali Bachhamba secondé par le Colonel Ali Riza, chef de la 1ère Section de l'Etat-Major turc. Un service spécial fut organisé pour les Indes, un autre pour la Perse qui devait atteindre les Indes par l'Afganistan et qui fut placé sous les ordres du Docteur Schoman.

Le Cheikh Salah Cherif fut envoyé au Hedjaz pour tenter de corrompre Abou Saoud.

Abdelaziz Chaouiche et Ismail Sfahi furent envoyés en Allemagne avec mission de décider les soldats musulmans français prisonniers à s'enfôler dans

Zaytûna se sont mis en grève pour revendiquer la réforme de l'enseignement. Le groupe- ment « Jeunes Tunisiens » a appuyé leur mouvement, et s'est élevé contre le décret du 3 octobre relatif aux naturalisations des Tunisiens. En 1911, le même groupement appuie la lutte des Tripolitains contre les autorités coloniales italiennes, et fomente les trou- bles du Djellaz (7 novembre). En 1912, les Tunisiens décident le boycottage des tramways de Tunis (9 février), et les autorités coloniales déclenchent des mesures de répression contre les responsables du groupement, interdit la parution de leur organe, et organise le procès des émeutiers du Djellaz (3 au 30 juin). Tous ces faits, et tant d'autres encore, permettront au groupement « Jeunes Tunisiens » de se réorganiser, en 1919, en parti libéral constitutionnaliste tunisien, ou ad-Dustûr.

(13) Le panislamisme s oppose naturellement a cette époque a toute velléité, d'indépendance et à tout mouvement de séparatisme. D'où l'adversité des panislamistes contre la politique arabe de la Grande Bretagne en Asie mineure, en général, et le mouvement de Hussein en particulier.

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l'armée turque. Ils réussirent une première fois à recruter ainsi 800 soldats et quelques officiers.

Ces militaires furent dirigés sur le front de Palestine et de l'Irak. Quel- ques-uns d'entre eux furent envoyés en Abyssinie pour espionner les Anglais en Egypte avant l'entrée en guerre de l'Italie.

Les Tunisiens Lakhdar Ben Haouissine et Mohamed Essalah Djami- lou avaient été ramenés de la Syrie à Constantinople d'où ils furent également envoyés à Berlin pour être utilisés dans les camps de prisonniers musulmans et y faire de la propagande antifrançaise et panislamiste.

Les « Techkilates » furent dissoutes avant la signature de l'armistice et leur caisse fut répartie entre les dirigeants de la propagande pour leur per- mettre de se rendre à Berlin et en Suisse et d'y continuer leurs agissements contre la France en s 'appuyant sur les principes de M. le Président Wilson. Le plus influent d'entre eux était Salah Cherif, mort dernièrement, et qui était réputé comme devant difficilement être ramené à de meilleurs senti- ments.

L'association de Bienfaisance, en raison de la popularité dont elle jouit sera toujours soutenue dans sa propagande par le Gouvernement Turc. Le seul moyen de la combattre serait d'y faire admettre quelqu'un de dévoué aux institutions françaises et qui pourrait annihiler son action en la rendant in- supportable.

Il faudrait aussi montrer l'inanité de la fausseté de la propagande et aus- si rendre l'administration paternelle pour les indigènes et réformer le fonc- tionnement de la justice.

On pourrait d'ailleurs combattre en même temps les agissements des Anglais, qui par leurs missionnaires, par des chefs politiques et religieux corrompus ou intimidés et dans le but d'en tirer des avantages économiques, cherchent à se faire passer pour la nation la plus riche et la plus puissante.

En ce qui concerne spécialement la Tunisie, il y aurait lieu: - D'éliminer les Hanéfites de toutes les Adminstrations où ils font de

la propagande pro-turque. - De remplacer le Tribunal du chaâra par un Cadi spécial, appliquant

un code religieux unique. - De remplacer les Tribunaux Tunisiens par la Justice Française. - De surveiller par une censure rigoureuse les ouvrages mis entre les

mains des élèves de la Grande Mosquée de Tunis. - D'attirer en France les Tunisiens en leur procurant les moyens d'y

étudier, d'y travailler et même d'y faire souche. - De moderniser les industries locales. - De supprimer l'usure. - Enfin, d'instituer un contrôle général mobile dans toute la Régence.

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Au rapport étudié ci-dessus il a été joint six brochures de propagande, en langue arabe et en langue française. Le rapport originel comprenait aussi une photographie qui parait être celle des membres de l'association de Bien- faisance musulmane de Constantinople.

ANALYSE D'UNE BROCHURE EN LANGUE FRANÇAISE ANNEXEE A UN RAPPORT SUR L'ORGANISATION DE LA PROPAGANDE PANISLAMISTE ET INTITULEE « LES DOLEANCES DES PEU- PLES OPPRIMES »

« La Tunisie et l'Algérie » par les cheikchs Imail Sfaihi et Salah Cherif .

Lausanne 1917

II est fait tout d'abord un appel, par le Cheikh Salah Chérif qui s'inti- tule « Président du Comité pour l'Indépendance de la Tunisie et de l'Algérie », en vue d'engager les musulmans à se liguer contre les ennemis français, anglais, russes et italiens, pour aider les opprimés à recouvrer leur liberté et leur indépendance.

Le premier pas à faire dans cette voie doit être la délivrance de l'Egypte et l'affranchissement de la Perse.

Il est ensuite fait un exposé tendancieux et hostile à la France, de l'établissement du Protectorat français en Tunisie et du fonctionnement de l'administration française dans la Régence. Les griefs cités à ce sujet ne sont d'ailleurs que la reproduction de ceux maintes fois invoqués dans les publi- cations répandues par le service de propagande panislamiste.

Comme conclusion il est dit que les Algériens et Tunisiens n'ont jamais accepté de bon gré le régime d'oppression auquel ils sont soumis, qu'ils sont prêts, à la première occasion à défendre leur cause et qu'ils réclament leur indépendance.

ANALYSE DE BROCHURES EN LANGUE ARABE ANNEXEES A UN RAPPORT SUR L'ORGANISATION DU PANISLAMISME

I

« La gloire d'hier est devenue l'opprobe d'aujourd'hui » (discours pronon- cé en persan par Mirza Mohammed Rahim de Bakou au Nedjef (Mésopota- mie) (*) en présence des moudjeteheds (juris-consultes) et de l'ensemble de la

(1) Ce lieu où a été assassiné El-Houssein, fils du Califa Ali, est très vénéré par les Chiites qui y accomplissent des cérémonies annuelles.

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population. Traduit en arabe par Mohamed Nahdi et Kadhmi et Khadli. Imprimé à Bagdad en 1851 (1918).

C'est un tableau du passé glorieux de l'Islam et de la décadence actuelle des Etats musulmans, dont un seul est resté indépendant. Quoique Chiite, l'auteur fait un appel en faveur de l'union de tous les musulmans contre les puissances chrétiennes qui les dépouillent de leurs richesses et les maintien- nent obstinément dans l'ignorance pour les convertir à leur religion. Il déplore la faiblesse des connaissances qu'ont les Musulmans sur les principes de leur foi, ce qui les condamne à l'impuissance devant les entreprises de Chrétiens.

II « Aux Arabes » - Explications à la nation arabe sur le parti autonomiste.

Publié à Constantinople en 1352 (1913) par l'émir Chekib Arslan. C'est un pamphlet en faveur de l'union des Musulmans autour de la

dynastie ottomane, contre le parti arabe que l'auteur accuse d'avoir fait le jeu de la France et de l'Angleterre et de l'Italie en réclamant l'autonomie au moment où la Porte était aux prises avec ses ennemis (guerre italo-tur- que, guerre balkanique).

L'auteur fait l'apologie de la politique des « Jeunes turcs » et attaque avec véhémence non seulement les Chrétiens de Syrie qui pactisent secrète- ment avec les ennemis de la Turquie, mais encore et surtout les Musulmans du Comité du Caire et du Congrès Arabe réuni à Paris à cette époque. Il dé- veloppe longuement cette idée qu'il n'y a de salut pour les Musulmans indé- pendants et que par conséquent les Musulmans qui pour ménager les suscep- tibilités de l'Europe renient leur communauté de religion avec les Turcs, affectent de se déclarer Arabes d'abord et Musulmans ensuite, et dont les visées nationalistes condamnées d'ailleurs formellement par l'Islam, vont jusqu'à se réclamer de la civilisation sémitique antéislamique et du code d'Ham- mourabi; ces Musulmans-là ne parviendront jamais à convaincre de leur sincérité une Europe restée profondément imbue de l'idée de la solidarité chrétienne et dont les guerres contre la Turquie ne sont que la continuation des croisades.

L'auteur estime que cette solidarité chrétienne doit avoir pour corollaire et contrepartie la solidarité musulmane, autour de la famille d'Osman, soli- darité qui ne doit pas empêcher les Musulmans de vivre en bonne intelligence avec les Chrétiens ottomans et de leur accorder, dans les conseils du gouver- nement, la juste part à laquelle ils ont droit. A ce propos, l'auteur déplore que dans certaines municipalités syriennes la minorité chrétienne ait quel- quefois deux fois autant de représentants que la population musulmane.

III La sauvagerie de la France en Tunisie et en Algérie - Un appel au

Secours. Brochure sans indication de lieu ni de date, publiée vraisemblablement

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en Allemagne par Salah Cherif qui s'intitule: « Représentant de la Société pour l'indépendance de la Tunisie et de l'Algérie » et son ami Smaîl Safaïhi (ancien cadi malékite ou hanéfite de Tunis, sauf erreur).

C'est un violent pamphlet où l'auteur, après un bref historique de l'occu- pation française en Algérie et en Tunisie, commente le traité du Bardo qu'il traite de duperie, et énumère les prétendus griefs des indigènes contre la France; abus de pouvoir (la Section d'Etat du Gouvernement Tunisien), à en croire l'auteur, rend fréquemment des jugements sans aucun interrogatoire, exagération des impôts, souci excessif des intérêts français, maintien systéma- tique des indigènes dans l'ignorance, attaques contre la religion musulmane, violences sur les personnes, séquestre des habous envoyés au Maroc combattre leurs coreligionnaires, oppression de la presse et des associations.

Il termine au nom de la « Délégation Algéro-Tunisienne » et des Mu- sulmans de l'Afrique du Nord, par un appel au Calife, aux empereurs d'Alle- magne et d'Autriche-Hongrie, aux peuples ottomans, allemand, autrichien et hongrois, pour qu'ils les délivrent du gouvernement sauvage (sic) qui les opprime et leur donnent l'indépendance. Car jamais, ajoute-t-il, les Algéro- Tunisiens n'ont accepté la domination française, et toute la nation est prête à se lever au premier secours reçu et à verser la dernière goutte de son sang pour atteindre son but.

IV

L'amertume de l'occupation - Conférence faite par un Tunisien à Damas le 8 djoumada 1335 (1914).

Ce pamphlet, publié sans indication de lieu, est destiné spécialement, d'après certaines caractéristiques d'écriture, aux indigènes de l'Afrique du Nord. L'auteur y réédite les mêmes griefs énumérés pas Salah Cherif. Il se plaint de ce que le gouvernement français voit d'un mauvais oeil les relations des fonctionnaires indigènes avec les Orientaux et termine en racontant à sa manière l'affaire du Djellaz et le boycottage des tramways de Tunis.

Les maquillages français pour tromper les Musulmans - par Mohammed Ben Abdessalam Tijani, de Tunis - Aucune indication de lieu ni de date.

Sous ce titre Les musulmans français et la guerre la Revue du monde musulman, a publié:

1) Le discours où certaines personnalités musulmanes ont manifesté leur loyalisme vis-à-vis de la France.

2) Un appel du Bey de Tunis à son peuple pour l'engager à rester fidèle à la nation protectrice.

3) Les discours dans le même esprit prononcés par des cheikhs de con- fréries tunisiennes.

4) Une proclamation de Moulay Youcef, sultan du Maroc, encourageant

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ses sujets qui sont sous les drapeaux à combattre avec vaillance les ennemis de la France.

5) Les fétouas (décisions) des ulémas marocains déclarant que les Ot- tomans ont usurpé le califat qui n'appartient qu'aux Koreîchites (famille du Prophète).

6) Une autre proclamation du Sultan du Maroc remerciant les troupes marocaines de leur vaillance.

L'auteur s'efforce de prouver que ses documents n'ont aucune valeur et ne peuvent abuser que les simples, soit parmi les musulmans, soit parmi les Français. Ces discours et proclamations ont été, dit-il, écrits sous la pression des autorités françaises, en particulier les déclarations des muftis d'Alger et de Constantine.

On vante, poursuit-il, la France de faire la guerre aux brigands en Afri- que du Nord, mais les colons peuvent dépouiller les indigènes à leur guise.

L'auteur accuse la France de se prétendre faussement l'amie de l'Islam alors qu'elle a attaqué la Turquie; voici son raisonnement:

« Comment pourra-t-on faire croire à un homme intelligent que la France n'a pas attaqué la Turquie et que c'est celle-ci qui lui a déclaré la guerre alors qu'elles n'ont pas de frontière commune et que la Turquie n'a pas le moyen d'aller jusqu'à elle? La France elle, a envoyé sa flotte dans les Dardanelles ».

Ce pamphlet contient un extrait de la « Gazette des Ardennes » dû à la plume d'un Musulman algérien, décrivant les souffrances du soldat indigène, victime des officiers français, déconseillant fortement aux musulmans de s'en- rôler dans l'armée française et faisant un appel à la révolte.

L'auteur rappelle ensuite l'échec des Anglo-Français aux Dardanelles d'abord, à la presqu'île de Gallipoli ensuite, ainsi que la défaite de Kout el 'Amara où le général anglais Townshend fu fait prisonnier.

Il reproche aux ulémas marocains de s'être laissés dominer par les Fran- çais au point d'interpréter faussement pour leur complaire ce verset du Coran: « Ne vous jetez pas de vous même dans la perdition » qu'ils appli- quent à la Turquie. Celle-ci, répète-t-il, n'a fait que se défendre, tandis que les troupes marocaines combattent l'Allemagne qui ne les a pas attaquées.

D'ailleurs si les Marocains combattent dans les troupes françaises c'est par contrainte, car chaque fois qu'ils en trouvent l'occasion, ils se vendent aux Allemands et s'enrôlent comme volontaires chez les Turcs.

L'auteur examine ensuite la question du Califat que la France dans un but intéressé revendique pour le Sultan du Maroc. Il affirme que les sou- verains du Maroc ont toujours entretenu d'excellentes relations avec la Turquie et reconnu le califat ottoman.

Le factum se termine ainsi: « Nous sommes sûrs que les Musulmans africains se méfient des avances

des Français, des dignités et des honneurs qu'ils décernent à des ignorants

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et qu'ils n'ont confiance que dans les âmes nobles qui refusent de solliciter leurs faveurs et de se réclamer de leur parti. Ceux-là sont les vrais ulémas aux yeux du monde musulman. Dieu merci il y en a encore beaucoup en pays d'Islam. Ceux-là se sont dressés pour repousser ces calamités et montrer leur influence néfaste. Nous savons qu'ils ne peuvent le faire en publiant des brochures ou en faisant des conférences dans un pays où domine la France: ils emploient une méthode bien plus efficace que l'action au grand jour: c'est pourquoi nous ne redoutons pas l'influence de ces billevesées françaises et de ces enfantillages qui se réfutent et se démentent d'eux mêmes, et clament la ruine et la perte de la France qui n'a pas su acquérir de l'ascendant sur le peuple qu'elle côtoie et qu'elle gouverne depuis si longtemps ».

VI

Déclarations de V Amérique au sujet de la guerre actuelle 1918 (Aucune indication de lieu)

C'est un recueil d'articles antiententistes et pro-allemands dus à la plume de personnalités américaines.

1 ) Le coeur léger et la conscience pure, par le Professeur Thomas Honel de New York.

2) Le manque de préparation est un danger menaçant pour les nations, par M. Roosevelt, ancient Président des Etats-Unis. L'auteur de l'article cite les phrases où ce dernier dit du bien de l'Empereur Guillaume et des Allemands.

3) La crise européenne , par le professeur John Burgens, de l'Université de Columbia, à New York.

4) La guerre, par le professeur George Stuart Pullorton de l'Université de Columbia.

5) L'Allemagne et les Etats-Unis, par un commerçant américain.

6) Réponse de M. John Stoddard, orateur américain, aux questions qui lui ont été posées sur la guerre.

Béchir Tlili

SOMMARIO

Nell'accertare i fatti ehe hanno portato alla formazione dei moderni Stati islamici indipendenti, va tenuto conto delFincidenza in tale processo di certe correnti d'idée e di sentimenti ehe agitarono a lungo il mondo arabo-musulmano; e in primo luogo, del pani- slamismo, ehe tanta parte ha avuto nei principal! avvenimenti storici del Vicino Oriente

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dalla fine del secolo scorso ad oggi. Dopo aver brevemente rievocato i più impor tanti episodi politici e diplomatici in quella regione dalla fine délia prima guerra mondiale ai tempi attuali, e dopo aver delineato i caratteri salienti del panislamismo e délie sue organizzazioni in vari Paesi (Giovani Turchi, Giovani Egiziani, Giovani Algerini, Giovani Tunisini, Senussiti, Mahdisti, eccetera), Pautore ricorda il passaggio dal panislamismo al nazionalismo, altro fenómeno importante, ehe va studiato con attenzione, attraverso tutta la documentazione disponibile. Per dare un contributo a questo studio, Fautore présenta un riassunto di un rapporto inédito sull'organizzazione delia propaganda panislamista, custodito negli archivi dei governo tunisino, fra i documenti del Secrétariat Général Surveillance Politique Indigène, ufficio délie precedenti autorità francesi a Tunisi. Il rapporto è senza firma e senza data, ma appartiene certamente agli « anni venti », ed è stato esteso da persona espertíssima. Il documento è denso di dettagli sulla formazione e i caratteri di varie iniziative panislamiche, non escluse quelle escogitate o alimentate dalla Sublime Porta nella sua lotta contro le Potenze europee. A questo documento di grande interesse si aggiungono i testi di cinque brochures pubblicati in varie capitali arabe e alcuni ragguagli su una raccolta di articoli scritti nel 1918 da personalità ame- ricane contro l'Intesa e a favore dei Tedeschi.

SUMMARY

In ascertaining the facts which brought to the formation of the modern indi- pendent Islamic states, due consideration should be given to the incidence on that process of some ideological and sentimental trends which stirred the Arab-Muslim world for a long time; and in the first place, of panislamism, which played a so critical role in the major historical events in the Middle East from the end of the last century to the present time. After a short summary of the political and diplomatic episodes occurred in that region on the vane of Worl War First, and after having traced the main features of panislamism and its organizations in various countries (Young Turks, Young Egyptians, Young Algerians, Young Tunisians, Senussis, Mahdists, and so on), the author reminds us of the passage from panislamism to nationalism as of another occured in that region on the vane of World War First, and after having traced the available documentation. As a contribution to this study, the author offers us an abstract of the report on the organization of panislamic propaganda, kept in the archives of the Tunisian governement, among the documents of the Secrétariat Général Surveillance Poli- tique Indigene, an office of the former French authorities in Tunis. The report lacks signature and date, but it undoubtedly belongs to the «Twenties», and was extended by a highly experienced person. The document is teeming with details on the origins and developments of various panislamic initiatives, included those contrived or spon- sored by the Sublime Door, during its struggle against the European Powers. To this document are appended five brochures published in various Arab capitals and some data about a set of articles written by American prominent men against the Entente and in favour of the Germans, in 1918.

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