Au Riff

download Au Riff

of 32

Transcript of Au Riff

  • 7/27/2019 Au Riff

    1/32

    N"68538'Anne.TomeCICIIIle'Janvier1927

    MERCVRE

    FRANCEParait le 1" et le 15 dn mois

    DtMCTEUR A LF RE D V AL LE TT Z

    CAMILLE MAucLAtn. C~aa

  • 7/27/2019 Au Riff

    2/32

    MERCVRE DE FRANCE-i-I-iQ~a?i

    AU RIFFCARNETDE ROUTE

    Ce carnet de r oute n'est pas t 'ufre d'un crivain. Je n'ose-

    rais mme aff irmer qu' il est crit en bon franais; mais je

    puis dire qu'il a t rdig en toute sincrit et en toute

    nonntet.

    De mes deux voyages dans le Riff j'ai rapport des souve-

    nirs vcus et il m'a paru utile de les faire connatre.

    Je n'ai pas la prtention d'avoir fait de l'h is toire . Trs af-

    /!rmaf

  • 7/27/2019 Au Riff

    3/32

    AU RIFF 97

    d'organisation, de directives et de m thode qui carac-

    trise une fdration.

    Profondment unis, laissant de c t toutes questions

    de doctrines, les anciens combattants allaient jouer un

    rle considrable au Maroc dans les annes 1925 et 1926.

    Ils commencrent par affirmer leur force et leur vo-

    lont de travail fcond pour leur pays, lors du voyage au

    Maroc du prsident du Conseil, Painlev, venu en avion

    pour juger sur place de la situation. Ds sa descente

    d'avion et malgr l'opposition des autorits du Protec-

    torat, ils l ui remirent un rapport dont les 'termes, la

    fois mesurs et nergiques, produisirent un effe t profond

    sur le ministre.

    Mais les mutils e t anciens combattants se devaient

    encore d'autres tches; ils ne pouvaient oublier les

    souffrances qu'ils avaient endures pendant de longues

    annes sur le front franais. Ils tenaient essentiellement

    ce que leurs cadets perdus dans le bled marocain

    sentent autour d'eux une sympathie agissante qui les d-

    fende contre le cafard, , encore plus impitoyable aux

    colonies qu'en France.r

    La Fdration Marocaine des Mutils et Anciens Com-

    battants lanait donc un appel tous les Franais pour

    l 'a ider dans la tche sacre qu'elle entreprenait et qu'elle

    .voyait de la faon suivante aide aux blesss et malades

    des hpitaux, mais aussi, et surtout, aide morale et ma-

    trielle aux combattants de l'avant, mal nourris, mal ha-

    bills, ne recevant pas leur correspondance, souffrant de

    la soif et plus terriblement encore souffrant de l'isole-

    ment.

    Ds le dbut,l 'ini tia tive de la Fdrat ion trouvait un

    chaleureux cho chez les Anciens Combattants de France

    et la Croix-Rouge franaise. Aprs s ' tre mis d'accord

    Paris sur les modalits de l'action entreprendre, des

    dlgus de la Croix-Rouge et des Anciens Combattants

    de France venaient, sous la direction du gnral Pau,

  • 7/27/2019 Au Riff

    4/32

    MERCVRE DE FRANCEt-I-ig~a8

    prendre contact au Maroc avec la Fdration et la mar-

    chale Lyautey, qui patronnait de nombreuses uvres de

    bienfaisance.

    La Fdration Marocaine assumait la charge de veiller

    sur l es combattants de l'avant; chaque section de l'in-

    trieur devant plus particulirement s'occuper des blesss

    et malades hospitaliss dans la formation sanitaire lo-

    cale.

    Toute une organisation prenait corps. A l'Office Eco-

    nomique de Casablanca, de jeunes soldats convalescents

    confectionnaient des colis pour les units du front. Des

    automobiles regorgeant de marchandises utiles et inutiles

    (le superflu tant parfois indispensable aux soldats) par-

    taient rgulirement sur les points les plus avancs de la

    ligne de feu. Elles taient conduites par des mutils et

    anciens combattants qui, avec le paquet de cigarettes et

    le flacon d'alcool de menthe, dist ribuaient de cordia les

    poignes de mains et d e prcieux encouragements ces

    gosses de vingt ans enchants d e v oi r que les gens de

    l'arrire faisaient des r andonnes toujours pnibles et

    parfois dangereuses, pour les venir a ider moralement et

    matriellement.

    Quelques chiures donneront une ide de l'ampleur de

    l'action entreprise. Du 15 juillet 1925 au 15 juillet 1926,

    la Fdration a envoy sur Je front 1.495 colis de com-

    pagnie 460 colis pour formations sanitaires; 506 colis

    de bataillon; 74 colis de rgiment; 57 colis de brigade.

    Le contenu de ces colis variait naturellement avec les

    stocks dont la Fdration disposait, variait galement

    avec les saisons, variait aussi avec la composition des

    troupes auxquelles ils taient destins.

    Quelques exemples prciseront davantage.

    a) Le colis 303, adress le 7 septembre 1925 l a 3 C"

    du 14' Tirailleurs algriens, tait compos de 100 pa-

    quets de cigarettes; 30 cigares; 50 cartes-lettres; 3 f la-

  • 7/27/2019 Au Riff

    5/32

    AUMFF

    cons d'antsite; 2 bouteilles d'anis; 1 bote de fil et

    aiguilles; 10 barres de savon;

    b) Le colis adress le 19 novembre 1925 la 6' C" du

    32' Gnie (n 917) tait compos de 100 paquets de ci-

    garettes 25 pochettes de papier lettre; 25 savons;

    6 flacons de menthe; 4 botes de lithins; 2 kilos de cho-

    colat 18 paires de chaussettes; 6 cache-nez; 4 rasoirs et

    24 lames; des livres;c) Le colis 1430, envoy le 4 fvrier 1926 la 8 bat ter ie

    du 63 Rgiment d'artillerie, comprenait 100 paquets de

    cigarettes; 10 savons; 25 pochettes de papier lettre;

    2 flacons eau de cologne; 2 flacons menthe; 2 bouteilles

    cinzano; 2 bouteilles anis; 1 bouteille quinquina; 12 pai-

    res de chaussettes; 2 jeux de cartes; 2 paquets d e b ou -

    gies 1 jeu de bilboquet; 50 paquets sels de Vichy; des

    livres;

    d) Le colis 2198, envoy le 12 mai 1926 la 6' C'e du

    8" Sngalais, contenait 100 paquets de cigarettes; 100

    cartes-lettres; 100 paquets tabac priser; 10 savons;

    5 kilos de noix de kola; 1 ballon association; 3 flacons

    antsite.

    Il est bien vident que pour les colis d bataillon, r-

    giment, brigade, la proportion tait observe.

    Nous recherchions de plus tous les orphelins, pupillesde la Nation, pupilles de l'Assistance publique pour leur

    envoyer le plus souvent possible des petits paquets pos-taux individuels.

    Dans le mme laps de temps, 31 tournes sur le front

    avaient t organises pour le p lu s g ra nd bien de nos

    jeunes poilus. Un chiffre indiquera combien l'action de

    la Fdration tait sensible tous nos militaires. J'aireu pendant plus d'un an une moyenne de cinquantelettres par jour manant de tous les coins du Maroc.

    Il ne faut pas oublier en effet que si la grosse action

    se passait sur le front Nord, les fronts secondaires,

    comme le moyen Atlas et le Tadla, immobilisaient des

  • 7/27/2019 Au Riff

    6/32

    MERCVRE DE FRANCEi-I-iga?30

    troupes soumises aux mmes fatigues et qu'il importait

    de ne pas ngliger.

    La vrit m'oblige dire que si l'initiative de l a Fd-

    ration suscita toujours l'enthousiasme des troupes, elle

    fut regarde, au dbut, d'un assez mauvais il par l'Etat-

    Major, l'Intendance et le Service de sant.

    On paraissait craindie en effet une intrusion des an-

    ciens combattants dans un domaine qui devai t leur rester

    tranger. On craignait surtout que les anciens combat-

    tants au courant, soit par leurs visites, soit par la cor-

    respondance qu'ils recevaient, des multiples dfaillances

    des diffrents services, ne se posent en redresseurs de

    torts et n e f assent figure d' inspecteurs a ux a rme s

    On s'aperut bien vite que si les anciens combattants

    ne manquaient jamais de signaler les nombreuses dfec-

    tuosits dont ils taient tmoins, ils le faisaient toujours

    dans un esprit de loyale collaboration et non pour le

    plaisir facile de dnigrer.

    Il semble bien, en rsum, que l'action de la Fdration

    a eu une trs heureuse influence sur le m oral de nos

    soldats, qui apprciaient aussi t rs v ivement le rconfort

    matriel qui leur tait apport.

    La recherche du mieux-tre pour nos soldats devait

    conduire la Fdration s'occuper d'une question an-

    goissante au premier chef celle de nos prisonniers dans

    le Riff.

    Ce n'est un secret pour personne qu'entre mai et

    aot 1925, au m oment de la rue ennemie sur notre front

    Nord et du dpart en dissidence de tribus prcdemment

    soumises ou rallies, nos a dversaires nous avaient pris de

    nombreux postes.

    Certaine avaient t enlevs d'assaut; d'autres s 'taient

    fait sauter; d'autres, encercls, avaient t a cculs la

  • 7/27/2019 Au Riff

    7/32

    AURtFF 31

    reddition par un ennemi encore plus redoutable quele

    Riffain la soif.

    Il tai t vident que l'ennemi avait d nous faire des

    prisonniers dans tous ces* postes; prisonniersdont le

    nombre tait inconnu, puisqu'il tait impossible d'valuer

    les pertes des garnisons ainsienleves.

    Tous ceux qui avaient suivi le martyre des captifses-

    pagnolsaprs le dsastre d'Annual se demandaient avec

    angoisse quel sor t avai t t rserv nos malheureux

    compatriotes. Les rcits des quelques rares prisonniers

    qui avaient pu s'vader n'taient pas faits pour apaiser

    les anxits.

    Ds le mois de novembre, j'entrais en rapport avec le

    contrleur civil Gabrielli. Gabrielli avait pu se rendre

    dans le Rifi, mais il lui avait t impossible de voir nos

    prisonniers, dont on l'avait systmatiquement cart. A

    mes demandes de possibilit d'entente avec Abd el Krim.

    en vue de secourir nos captifs, il rpondait avec un grand

    scepticisme et, sans vouloirme dcourager, ne me laissait

    gure d'espoir.Sur ces entrefaites, je reus en janvier, lors d'une ru-

    nion de la Fdration Rabat, la visite de M. Richard,

    rdacteur l'Echo du Maroc, m'informant qu'un de ses

    amis de Tanger, M. Azancot, pensait pouvoir obtenir

    d'Abd el Krim l'autorisation de ravitailler nos prison-

    niers.

    Je demandai immdiatement une audience M. Steeg,

    rsident gnral. Je lui exposai les dmarches que j'avais

    faites et celles que j'allais tenter. M. Steeg,. dont le grand

    cur tai t extrmement sensible la situation de nos

    prisonniers, me donna de prcieux conseils, tout en m'ex-

    pliquant l'impossibilit absolue o il tait de m 'aider offi-

    ciellement, ce que je comprenais du reste fort bien.

    A la suite de cet entretien, je pris l'avion pour Tanger,

    o M. Azancot avait l'amabilit de me prsenter un

    cousin d'Abd el Krim, le Klamiich, lequel .affirmait pou-

  • 7/27/2019 Au Riff

    8/32

    MERCVRE DE FRANCE-t-1-.997

    voir fai re porter une lettre de moi au sultan et se

    disait sr d'obtenir une rponse satisfaisante.

    Dans le bureau de M. Azancot, nous discutmes assez

    longuement. Je me tenais sur une prudente rserve et

    m'arrangeais de faon ne pas me poser en solliciteur,

    mais en personnage qui a t pressenti pour une uvre

    humanitaire par l'ennemi lui-mme.

    Dans la discussion, je fis ressortir qu'il s'agissait des

    prisonniers en gnral, sans distinction de nationalit;

    mais le Khamlich, trs fermement, m'indiqua que, si je

    voulais russir, il ne fallait parler que des prisonniers

    franais (europens et indignes). Il ajoutait, du reste,

    qu'il pensait qu'une fois pied d'oeuvre, j'obtiendrais

    pour les captifs espagnols les mmes faveurs que pour nos compatriotes.

    Je remis donc au K hamlich la lettre suivante qu'il s'en-

    gageait transmettre au sultan du Riff par l'inter-

    mdiaire du Jriro (ancien lieutenant du Raissouli passau service d 'Abd el Krim)

    Monsieur Pierre PARENT, Prsident de la Fdrat ion Maro-caine des Mutils et Anciens Combattants, SI MouLAY ALIKHAMLICH.

    Monsieur Azancot a mis la Fdration des Mutils et An-,ciens Combattants au courant des offres que Si MohamedBen Abd el Krim El Khetabi vous avait faites. Nous avonst trs sensibles cette preuve d'humanit de la part deSi Mohamed Ben Abd el Krim et nous sommes tout dcids porter nous-mmes nos prisonniers franais dans le Rifi,outre le rconfort moral de notre prsence, des mdicaments,des vtements, des vivres.

    Vu le but purement humanitaire de notre mission, il nousest agrable de vous dire que nous remettrions Si MohamedBen Abd el Krim des mdicaments et

    objetsde

    pansementspour les malades et blesss indignes riffains.Nous vous serions donc t rs reconnaissants de bien vouloir

    demander Si Mohamed Ben A bd el Krim la faon la plusrapide dont nous pourrions nous rendre auprs des prison-niers franais t de quelle manire il jugerait opportune notrearrive (par quelle voie, quand, etc.).

  • 7/27/2019 Au Riff

    9/32

    AU RIFF 33

    En principe, la mission qui porterait ces objets aux pri-sonniers franais serait compose de

    Monsieur Pierre PARENT, Prsident de la Fdration Maro-

    caine des Mutils et .Anciens Combattants; Si MouLAY ALI

    KHAMLICH, Monsieur AZANCOT.

    Revenu Casablanca en avion, j'attendis immdiate-

    ment le rsultat de mes dmarches aprs avoir mis

    M. Steeg au courant de ce que j'avais fait.

    C'est alors que je reus la v isite de Montagne, que je

    ne connaissais pas, mais dont j'avais entendu parler

    comme d'un ancien officier de marine ayant brillamment

    obtenu, pendant la guerre, la croix d'Officier de la Lgion

    d'Honneur.

    .Montagne me faisait la stupfiante dclaration sui-

    vante Il connaissait l'action si efficace de la Fd-

    ration en faveur de nos soldats, il tai t vaguement au

    courant des tractations que je menais en faveur de nos

    prisonniers et il se mettait ma disposition, car, dans

    cinq joursexactement, il serait chez Abd el Krim et ver-

    rait nos captifs.

    Assez sceptique, je rpondis Montagne que la Fd-

    ration l'aiderait de tout son pouvoir, pcuniairement et

    matriellement. Comme il ne pouvait emporter dans son

    expdition beaucoup de bagages, je lui confiai un peu de

    tabac et de chocolat pour nos malheureux compatriotes

    et le priai de demander pour moi-mme A bd el Krim

    l'autorisation de franchir les lignes avec un convoi de

    ravitaillement assez important.

    On devine dans quel tat d'anxit je passai les quel-

    ques jours qui suivirent. De Tanger, M. Azancot m'cri-

    vait qu'il avait de bonnes nouvelles et me demandait de

    prvoir un voyage par mer. A l'tude, ce voyage se pr-

    sentait pratiquement impossible, tant donn surtout la

    situation internationale toute spciale o se trouvait

    Tanger, point de dpart obligatoire de l'expdition.

    Brusquement la situation s'claircit avec l'arrive d'unet

    3

  • 7/27/2019 Au Riff

    10/32

    MERCVRE DE FRANCEi-I-igay34

    lettre de Montagne, lettre parvenue par rekkas (cou-

    reur indigne). Montagne avait pass les lignes, avait vu

    Abd el Krim et avait pu visiter tous nos prisonniers fran-

    ais europens, ainsi qu'une part ie des prisonniers indi-

    gnes et espagnols. Il m'annonait en mme temps

    qu'Abd el Krim m'attendait et que je pourrais passer les

    lignes un endroit fix, avec un convoi de ravitaillement.Il me demandait galement de prvoir une organisation

    complte, avec l'appui des autorits, organisation suscep-

    tible de faire parvenir rgulirement des envois impor-

    )tants nos captifs..

    Malheureusement, comme je l'ai dj indiqu, aucun

    appui offic ie l ne pouvait nous tre donn en l'tat ctuel

    de' la situation politique, et je ne pus organiser qu'une

    expdition fort rduite.

    Quelque temps aprs, du reste, Montagne rentrait du

    Riff, ramenant avec lui deux grands blesss franais

    qu'Abd el Krim avait librs en gage de sympathie pour

    la France. Un jeune parent loign d'Abd el Krim, Si

    Bou Tahar, l'accompagnait. Ce jeune Riff in devai t m'tre

    attach lors de mon voyage dans le Riff.

    A la nouvelle du retour de Montagne dans nos lignes,

    je partis immdiatement. Depuis plusieurs jours dj,

    j'avais achemin sur Taza de nombreux colis dont une

    partie avait dj t rexpdie sur Dar Cad Medboh

    par un homme dvou, M. Bildgen. Montagne m'attendait

    au passage Mekns; il me donnait tous renseignements

    utiles et j'arrivais Taza le 17 mars au soir par une

    pluie diluvienne.

    Pour laclart de mon expos, je crois plus simple de

    transcrire ici les notes du c arnet de'route que je tins ds

    mon arrive Taza.

    ~7 mars ~926. Aprs un bel accident d'auto dont

    n'ont souffert que quelques paquets de cigarettes, je suis

  • 7/27/2019 Au Riff

    11/32

    AU RIFF 35

    arriv Taza 19 heures par une pluie battante. La ville

    (si tant est que Taza puisse tre appel ville ~) est

    bonde de troupes et d'officiers; aucune chambre dispo-

    nible nulle part. Je rencontre fort heureusement un Ca-

    sablancais, M. Juillard, qui arrive me dnicher un

    petit coin la gare du tortillard . J'y dors du reste

    f or t b ie n.

    18 mars. Je me rveille de bon matin avec la pluie.

    Je suis navr. Au contraire, les colons de la rgion, tout

    joyeux, bnissent cette eau tombant aprs une grande

    scheresse.

    Si Bou Tahar, le cousin d'Abd el Krim, est venu jusqu'

    Taza o il loge chez le nab des Habous en compagnie

    d'un indigne de Fez, le chrif Chbihi, qui doi t lui aussi

    m'accompagner dans le Riff.

    Avant d'aller les voir, je me rends au bureau des Ren-

    seignements, o je suis fort aimablement reu par le

    capitaine Je vois ensuite le colonel, chef de la Rgion,

    que j'ai connu Rabat comme chef des Renseignements.

    A 10 heures, je me rends chez le nab des Habous, o

    je fais connaissance de Si Bou Tahar et du chrif Chbihi.

    Un peu de dsillusion. Si Bou Tahar est un gamin de 18

    20 ans, timide, l'air irrsolu et dsorient. Rien du fa-

    rouche Riffain que je voyais en imagination. D'une ex-

    quise politesse, il est vtu d'une faon extrmement

    simple. Il porte une djellaba de laine brune sans orne-

    ments ses pieds sont nus dans des b abouches trs ordi-

    naires. Le chrif Chbihi est un grand vieillard d'un ge

    incertain dont la physionomie respire l'nergie et la d-cision. Aprs nous tre copieusement congratuls, nous

    dcidons que nous attendrons jusqu'au lendemain Bild-

    gen qui doit venir Taza.

    Si Bou Tahar me recommande d'emporter un stock

    important .de quinine; il m'affirme que beaucoup de pri-

  • 7/27/2019 Au Riff

    12/32

    36 MERCVRE DE FRANCE-I-iga?

    sonniers ont la fivre , sans pouvoir prciser davan-

    tage.

    Je profite de l'aprs-midi pour visiter, toujours sous la

    pluie et dans une boue gluante, quelques jeunes orphelins

    auxquels nous avons l'habitude d'envoyer des colis et

    qui se trouvent pour le m oment ' Taza.

    Je dist ribue aux diffrents corps environ 1 .500 paquets

    de cigarettes que j'ai apports avec moi et des sommes

    assez rondelettes pour amliorer les ordinaires.

    ?9 mars. Toujours la pluie. Si Bou Tahar et Chbihi

    s'impatientent, car nous sommes toujours sans nouvelles

    de Bildgen. Je leur promets de louer aujourd'hui mme,

    sans attendre davantage, des vhicules pour transporter

    Dar Cad Medboh les colis rests Taza et nous-mmes.

    J'ai bien peur par la suite de ne pouvoir tenir ma pro-

    messe, car ce n 'est qu'avec de multiples difficults que je

    puis m'assurer une camionnette et une Ford.

    Je passe sous silence le prix que je suis obl ig d'ac-

    cepter. On me prdit du reste que, ni moi, ni mes colis

    ne passerons, les oueds tant transforms en torrents. la

    route impraticable. que sais-je encore?

    20 mars. Il ne pleut plus. Le ciel est gris et me-

    naant, mais il ne tombe plus d'eau, c'est un fait. La

    camionnette arrive l'heure dite; j'y fais charger les colis

    et c 'est avec plaisir que je la vois prendre la route de

    Kiffane. La F ord est galement l'heure en route pour

    Dar Cad Medboh.

    Contrairement tous les pronostics, la route est rela-

    tivement bonne; nous traversons les oueds sans diffi-cults.

    Tout au dbut, un incident. Je s uis arrt par les gen-

    darmes, car je n'ai pas le permis de circuler rgulier.

    Un coup de tlphone au colonel commandant Taza et

    nous repartons aprs avoir perdu 3/4 d'heure.

  • 7/27/2019 Au Riff

    13/32

    AURIFF_37

    Pendant le trajet, Chbihi me raconte la visite chez le

    nab des Habous du fils d'Amar d'Hamidou et d'un ami

    du cad Medboh. Le cad Medboh et Amar d'Hamidou

    sont, parat-il, deux excellents baroudeurs comman-

    dant nos forces suppltives de la rgion. Le premier a

    tenu tout autour de Kiffane; le second a reconquis les

    territoires des Marnissa, dont il avait t chass par Abd

    el Krim.

    Evidemment la prsence Taza de Si Bou Tahar

    n'avait pu rester secrte et avait intrigu les deux chefs

    indignes qui avaient envoy aux'renseignements, sous

    couleur d'une visite de courtoisie au naib.

    Je ne puis m'empcher de rire quand Chbihi me mime

    l'insolence de l'un des visiteurs qui, au bout de quelques

    instants, dclara en renif lant que cela sentait le Rif-

    fain . Sans se dmonter, Chbihi prsenta Si Bou Tahar

    et, trs crment, lcha aux deux aptres

    Maintenant que vous~-a-vez rempli votre mtier d'es-

    pion, on ne vous retient plus.

    Bien qu'approuvant pleinement au fond Chbihi, je lui

    affirme qu'il a eu tort d'tre aussi catgorique dans la

    forme.

    A dix heures, nous sommes Dar Cad Medboh, simple

    camp militaire, domin par une btisse de peu d'impor-tance la maison du cad. Tous les col is sont l, mais pasd'auto pour les transporter Dar Ca Mohand qui doit

    tre le vritable point de dpart de l'expdition. La ca-

    mionnette qui les a amens jusqu' Dar Cad Medboh ne

    peut, parat-il, aller plus loin. Je vais donc tlphoner

    Taza.

    Je m'aperois bien vite qu'il.y,a loin de l'intention

    l'excution et que les lignes militaires n'ont rien envier

    au rseau civil marocain. Au lieu de Taza, on me donne

    d'abord deux ou trois autres postes, puis on prend le

    parti de ne plus me rpondre. Je suis d'autant plus vex

  • 7/27/2019 Au Riff

    14/32

    MERCVRE DE FRANCEt.I-iga?38

    que Si Bou Tahar, qui me regarde d'un air narquois, me

    dit en souriant

    Quand tu tlphoneras chez nous, cela i ra plus vite.

    Je parviens cependant mes fins et une camionnette

    m'est promise, mais seulement pour le surlendemain.

    Si Bou Tahar est log dans une tente avec Chbihi et je

    couche dans une baraque o, trs aimablement, le lieu-

    tenant du gnie a bien voulu m'accueillir.

    Au cours de la soire, j'ai t tonn par les a llures de

    quelques indignes qui nous suivent et paraissent curieux

    de nos moindres gestes. Cela m'intrigue et je charge un

    jeune Arabe du Souss, boy d'un entrepreneur de travaux

    que je connais, de s'enqurir. Son patron m'affirme qu'il

    est remarquablement dbrouillard .

    Il-A-

    21 mars. J'ai pass une trs mauvaise nuit sur ma

    paillasse vraiment peu lastique. J'en ai l'explication au

    rveil en constatantque cette paillasse tait en grande

    partie rembourre avec des haricots. C'est, parat-il, une

    rserve en cas de ravitail lement impossible.Mon informateur soussi vient me donner des ex-

    plications. Les gens qui nous surveillent sont au service

    du cad Medboh. Dcidment ce brave cad a une policenombreuse et nous devons lui paratre suspects.

    Si Bou Tahar manifeste une certaine inquitude. Je

    lui rpte qu'il est ici sur la foi de l parole donne et

    qu'il n'a absolument rien craindre. Il me rpond qu'ilsait parfaitement n'avoir rien redouter des Franais,mais qu'il es t loin d'avoir la mme certitude en ce qui

    concerne le cad. Pour le tranquilliser, je dcide queChbihi prendra mon revolver pour la nuit prochaine et

    que le jeune soussi , arm lui aussi, couchera sous

    leur tente.

    Dans la journe, je tlphone Dar Cad Mohand pourtre sr d'avoir des mulets le lendemain.

  • 7/27/2019 Au Riff

    15/32

    AU RIFF 39

    Je visite toutes les u nits au repos a Dar Cad Medboh.

    Toutes ont dj reu des colis de la Fdration.

    Comme Taza, je distribue quelque argent pour l'am-

    lioration de l'ordinaire. Aux orphelins je don ne de quoi

    faire quelques achats chez le soukier.

    22 marx. Nous chargeons de bonne heure la camion-

    nette enfin arrive, mais tous nos colis ne peuvent y

    trouver place. Nous nous entendons heureusement avec

    le patron de la baraque hospitalire du lieu, qui,

    moyennant cinq francs du kilomtre, veut bien nous

    transporter Dar Cad Mohand dans sa propre voiture.

    Comme par hasard, au moment du dpart, la pluie se met

    tomber.

    Nous arrivons sans incident Dar Cad Mohand. A

    partir de Kiffane, nous avons eu comme route le lit de

    l'oued. Je me prsente au bureau des renseignements o.

    je suis reu par le capitaine G* L'accueil est extr-

    mement rserv . On m'indique une salle o je pourraicoucher avec Bildgen et une autre o coucheront Si Bou

    Tahar, Chbihi et Moulay Hamed, un jeune schleuh que

    Bildgen me demande d'emmener avec moi comme garde

    du corps de toute confiance.

    Je fais c onnaissance avec les Riffains que Si Bou Tahar

    avait laisss Dar Cad Mohand, deux gaillards bien

    plants, nerveux, sans un atome de graisse. L'un peut

    avoir dix-huit ans et l'autre trente-cinq. Tous deux vien-

    nent crmonieusement me baiser la main.

    Le capitaine S* vient m'inviter pour le dner et me

    prsente le lieutenant G"* du goum, qui me remercie

    des envois faits par la F dration son unit.

    Je profite du temps disponible avant l'heure du repas

    pour aller visiter tirailleurs et troupes du gnie , qui cam-

    pent proximit. Tous ont reu des colis de la Fd-

    ration, et tous je laisse quelque argent au nom de cette

  • 7/27/2019 Au Riff

    16/32

    MERCVRE DE FRANCE-i-t-iga?40

    mme Fdration qui, dcidment, a une bonne presse

    parmi les troupiers.

    Au dner, nos htes sont beaucoup plus cordiaux qu'

    l'arrive, bien que l'on sente encore une rticence trs

    net te. Tous les sujets sont abords, tat-major, renseigne-

    ments, autonomie de l'Alsace-Lorraine. Les oreilles de

    quelques lgumes doivent tinter de b elle faon. Un

    trs bon phonographe nous permet ensuite d'apprcier

    les derniers tangos.

    En principe, quinze mulets de la t ribu des Gzennaia

    avec leurs conducteurs doivent t re prts demain 8 heu-

    res. Si Bou Tahar a avec lui deux chevaux et deux mulets

    appartenant au Maghzen rinain et qui ont ramen dans

    les lignes franaises Montagne et les deux grands blesss

    librs. Je prendrai pour moi-mme un des chevaux

    d'Abd el Krim et je demande au capitaine des renseigne-ments un cheval pour Chbihi, au moins jusqu'aux lignesr iffaines. I l m'es t rpondu que les instructions sont telles

    qu'aucun cheval ne peut m'tre prt. Chbihi ira donc

    pied. Je ne puism'empcher

    deremarquer

    inpetto qu'ilest fort heureux qu'un cheval riffain soit l, sinon j'eusse

    t oblig de faire comme Chbihi. J'avoue que ces r-

    flexions me laissent quelque amertume.

    23 mars. A 7 heures, je suis prt et j'attends les

    mulets.

    A 10 heures, toujours rien les premiers n'arrivent qu'midi trente. Je trpigne, mais il parat qu'il n~y a rien

    faire.

    La pluie se met tomber , v iolente. Heureusement

    Bildgen a un vtement de cuir, que trs obligeamment ilmet ma disposition, puisqu'il va retourner Dar Cad

    Medboh.

    Mes caisses sont bien fermes et il faudrait qu'il pleuvevraiment longtemps pour que leur contenu puisse s'ab-

  • 7/27/2019 Au Riff

    17/32

    AU RIFF 41

    mer. Il est entendu que mes conducteurs auront 20 francs

    par jour et par mulet et qu'ils devront assurer la nour-

    riture de leurs btes. Ils t ouchent tous une avance de cent

    francs.

    Nous partons vers 14 heures sous une pluie battante,

    bien entendu. Au bout de dix minutes, tous mes com-

    pagnons de r oute sont tremps; quant moi, mes jam-

    bires forment des gout tires parfa ites , auxquel les mes

    chaussures servent de rservoirs. Le vent souffle violent;

    nous sommes pris dans des rafales de neige fondue. J'ai

    l es l vr es to ut es geres.

    Nous suivons un moment le lit de l'oued, puis abordons

    franchement la montagne. Le sol est dtremp dans

    une monte assez rapide, mon cheval glisse des quatre

    fers et je me retrouve par terre fort sale, mais sans aucun

    mal. Le pays que nous traversons est vraiment farouche

    et trs accident. Des schistes et toujours des schistes

    couverts d'arbustes rabougris qui tonnent, car on se de-

    mande vraiment o ils peuvent puiser leur nourriture.

    En cours de route quelques-uns des conducteurs vien-nent me trouver pour m'affirmer qu'on leur a promis

    25 francs par jour et non 20 francs. C'est le coup clas-

    sique.

    Je les envoie Chbihi qui a vite fait de l es mater avec

    quelques paroles plus qu'nergiques.

    La pluie ne cesse pas. Vers 19 heures, nous arrivons

    en vue de quelques mechtas o nous devons passer

    la nuit et qui forment, parat-il, le village de Brarhed. Les

    colis sont mis en ma prsence dans une sorte de sou-

    terrain et nous nous acheminons vers la mechta o nous

    allons passer la nuit.

    la

  • 7/27/2019 Au Riff

    18/32

    MERCVRE DE FRANCEt-I-igay

  • 7/27/2019 Au Riff

    19/32

    AU RIFF 4:

    des pluies de la veille. Nous devons donc passer par Tizi

    Ouzli et Sidi Ali Bou Rokba. Nous cheminons travers

    un paysage semblable celui que nous avons parcouru

    la veille.

    Vers les dix heures, nous passons devant le bureau des

    renseignements de Tiz i Ouzli, puis, un peu plus loin,

    nous laissons le poste notre droite, pour nous engager

    dans de vritables sentiers de chvres, que des tirailleurssont en train d'amnager fort judicieusement.

    A peine avons-nous parcouru quelques mtres d'une

    piste rocailleuse, que nous entendons des appels et

    voyons derrire nous sur une crte un cavalier qui nous

    fai t des signaux et s'poumonne nous crier de nous ar-

    rter. Ds qu'il nous a rejoints, il me tend un pli du ca-

    pitaine des Renseignements de Dar Cad Mohand

    Cher Monsieur,Bien vite ce mot pour vous dire de ne pas passer les

    lignes; rentrez de s uite Dar Cad Mohand avec votre convoi

    en attendant des instructions.

    Agrez mes salutations.

    Je me demande le pourquoi de ce billet dont le laco-

    nisme et la scheresse m'tonnent un peu. La perspective

    de rejoindre Dar Cad Mohand ne m'enchante gure et je

    prends le parti de revenir jusqu'aux renseignements

    de Tizi Ouzl i d'o je tcherai d'avoir par tlphone des

    prcisions.

    Je suis reu de faon charmante par le lieutenant com-

    mandant le bureau, mais j'essaie vainement de tl-

    phoner Taza. Je puis cependant avoir au bout du fil le

    capitaine de Dar Cad Mohand, qui ne peut me donner

    aucune explication; il m'a transmis les ordres qu'il avaitlui-mme reus de Taza. Je lui indique que plutt que de

    retourner Mohand, je prfre attendre Tizi Ouzli le

    contre-ordre qui ne peut manquer de m'tre adress.

    Le lieutenant m'indique une mechta o mes

    compagnons indignes pourront loger. Je demanderai d

  • 7/27/2019 Au Riff

    20/32

    MEHCVRE DE FRANCE-i-I-ig~44

    mon ct l'hospitalit au poste o je suis accueilli par les

    officiers du 35 tirailleurs avec une bonne grce et une

    cordialit qui me touchent profondment.

    Mais je sens que Si Bou Tahar est fort inquiet de notre

    brusque arrt. Je dcide donc de prendre mes repas au

    poste, mais de rester la nuit avec mes compagnons de

    route pour les tranquilliser. Je n'en mourrai pas pour

    quelques nuits passes sur une natte. Je fais de suiteacheter pour notre hte indigne, qui est un tout jeune

    homme, un. mouton et une chvre.

    25-26 mars. Je reste au poste dans la journe et re-

    tourne le soir, escort de Mqghazeni (car le pays n'est

    pas sr), la mechta o m'attendent mes indignes.

    J'envoie messages sur messages Taza, demandant ex-

    plications et instructions; aucune rponse ne m'est faite.

    ,-A-

    27 ~nars. Perdant patience, j'ai demand ce matin

    par message qu'une auto vienne ( mes frais bien en-

    tendu) m'attendre Mohand, que je vais regagner sur

    le cheval d'Abd el Krim.

    Je fais quelques distributions aux troupes du poste et

    je palabre longuement avec mes compagnons de route

    qui comprennent de moins en moins notre arrt pro-

    long et s'tonnent de mon dpart. Je leur donne toutes

    les bonnes raisons qui me passent par la tte et je leur

    promets formellement d'tre de retour dans les 48 heures.

    Au moment o je vais les quitter, une femme se pros-terne

    mes pieds, invoquant mon appui. C'est la mre denotre hte indigne. Au milieu des cris, des pleurs et des

    explications de toute la famille, je finis par comprendre

    que la jeune sur du m atre du logis a t enleve sur

    l'ordre du c ad Medboh et qu'elle est destine devenir,

    contre son gr et celui de sa famille, l'pouse d'un ds

  • 7/27/2019 Au Riff

    21/32

    AU RIFF 45

    khalifas du cad. On a eu beau invoquer le jeune ge de

    la fiance malgr elle , le cad Medboh a envoy un

    moghazeni et il a bien fallu lui remettre la jeune fille.

    Je promets solennement de saisir de l'incident le lieu-

    tenant des Renseignements , ce que je fais aussitt.

    J'ai l'assurance qu'on va procder immdiatement une

    enqute.

    Arriv Mohand, je ne trouve personne aux rensei-

    gnements , mais l'auto m'attend. A mon passage

    Kiffane, on me signale que Montagne est dans la rgion,

    mais je ne puis obtenir d'autres prcisions.

    Sitt Taza, je bondis -chez le colonel commandant la

    Rgion, fort ennuy de me voir l, car il venait justementde recevoir l'autorisation pour moi de passer les lignes.

    Impossible du reste de savoir le motif de l'interdiction

    momentane gui m'avait t signifie.

    Sur ma demande, le colonel Huot veut bien donner

    Mohand' des ordres prcis pour que des chevaux soient

    mis ma disposition le cas chant.Je retrouve Montagne, qui a l'amabilit de vouloir m'ac-

    compagner jusqu'aux lignes riffaines, et il est entendu

    que nous partirons le lendemain matin la premire

    heure.

    Mon premier soin est ensuite d'aller prendre un bain,

    au cours duquel j'extermine quelques familles de ces

    charmantes petites btes si connues des poilus des

    tranches.

    Dans la soire, plusieurs ordres et contre-ordres me

    sont transmis sans que finalement la situation en s oit

    modifie,et

    jem'endors

    exaspr,me demandant

    si, ouiou non, nos malheureux prisonniers verront un jour les

    colis qui m'attendent Tizi Ouzli. Bien entendu, pendanttout ce temps, mes muletiers touchent 20 francs par jour

    ne rien faire.A

    ,Avant de m'endormir, j'ai eu le plaisir de recevoir

  • 7/27/2019 Au Riff

    22/32

    MERCVRE DE FRANCE1-1-199746

    une bonne visite, celle de camarades de Rabat en tourne

    de distribution sur le front.

    28 mars. Je pars avec Montagne ds que le jour pa-

    rat. Sur la route, la 1" C"* de sapeurs pionniers de la

    Lgion tient acclamer la Fdration en ma personne.

    Nous arrivons Mohand o le capitaine Schmidt nous

    retient djeuner et nous fournit des chevaux pour ga-

    gner Tizi Ouzli.

    C'est avec joie que mes indignes me revoient accom-

    pagn de Montagne. Je leur annonce notre dpart pour le

    Riff pour le lendemain matin. Si Bou Tahar reste scepti-

    que et me dit

    Les Franais ne savent jamais exactement ce qu'ils

    veulent; depuis longtemps nous devrions tre dans le

    Riff.

    Nanmoins, il expdie un rekkas qui sera charg d'aller

    jusqu'aux lignes riffaines prvenir de notre passage pourle lendemain.

    29 mars. Montagne a couch avec moi dans la mechta

    des indignes. Avant le jour, je suis debout pour prparer

    le dpart. Nous passons au poste prendre une lgre colla-

    tion et faire nos adieux ceux qui nous ont si bien re-

    us puis en route pour Sidi Ali Bou Rokba. Le lieute-

    nant des Renseignements nous donne un moghazeni

    charg de nous convoyer jusqu'aux lignes tenus par nos

    partisans.

    Nous arrivons sans incident Sidi Ali Bou Rokba

    quelques coups de feu, mais assez lointains, sur notre

    gauche. Nous ne rencontrons personne; c'est le vide le

    plus absolu et n ou s no us engageons dans une grande

    plaine parseme de petits groupes de buissons. Nous fai-

    sons halte pour prendre quelque nourriture, mais nous

  • 7/27/2019 Au Riff

    23/32

    AU RIFF 47

    mangeons seuls, Montagne et moi, car nous sommes

    maintenant en priode de Rhamadam.

    Nous repartons bientt, toujours sans voir personne.

    Nos conducteurs paraissent quelque peu inquiets et l 'un

    d'eux m'affirme qu'il ne faut pas aller plus loin. Le

    moghazeni qui nous accompagne toujours n'a lui-mme

    pas l'air d'tre trs rassur.

    Soudain, quelques centaines de mtres devant nous,

    j'aperois des silhouettes qui peu peu se prcisent. Ce

    sont deux rguliers riffains, l'un arm d'un lebel et l'au-

    t re d 'un fusi l mitrai lleur .

    Ils nous font signe d'avancer. Montagne nous prcde

    dj, arm d'un appareil photographique.

    Derrire quelques buissons, le petit poste r iffain nous

    apparat une trentaine d'hommes sont l, bien aligns

    et nous prsentant les armes la manire espagnole.

    Nous passons devant eux en les saluant et je remarque

    que presque tous sont arms de mausers , sauf un

    ou deux qui ont des mousquetons Saint-Etienne. Un peu

    plus haut, dans une sorte de rduit en pierres sches,

    deux mitrailleuses sont braques sur nous, les bandes

    de cartouches toutes prtes. Les servants sont deux gos-

    ses dont l' an n 'a cer ta inement pas seize ans tous

    deux, figs derrire leur mitrailleuse, paraissent des sta-

    tues.

    Echange de salutations. Notre moghazeni est berlu

    et ne sa it vraiment pas quelle contenance adopter . Aprs

    quelques photos prises par Montagne qui va retourner

    Tizi Ouzli avec le moghazeni, nous nous sparons. Mon

    convoi et moi-mme, nous nous dirigeons sur une ma-

    hakma (poste de commandement), situe deux outrois kilomtres de l. Deux soldats riffains nous accom-

    pagnent.

    J'avoue que je me sens alors le cur plus lger; jus-

    qu' prsent j'ai chemin avec la hantise de v oir sou-

    dain apparatre un cavalier porteur d'instructions m'en-

  • 7/27/2019 Au Riff

    24/32

    MERCVRE DE FRANCE-.i-I-ia~48

    joignant de revenir sur mes pas. Maintenant, je suis

    protg contre les o rdres et les contre-ordres par 30 fusils

    riffains les prisonniers seront secourus.

    Nous arrivons la mahakma exactement 1 h. 15.

    Je suis reu par un vieux cad qui connat fort bien

    Si Bou Tahar. Une cinquantaine d'hommes sont l, qui

    nous prsentent les armes de faon impeccable. J'entre

    dans une petite pice trs propre, toute badigeonne de

    chaux, e t l 'on m'invite m'asseoir. sur une chaise, s'il

    vous plat.

    Un.tlphone de campagne est install dans un coin.

    Le cad sonne et resonne pendant dix minutes sans le

    moindre rsultat. Je regarde Si B ou Tahar en souriant

    ironiquement c'est ma revanche de Dar Cad Medboh.

    Enfin une conversation s'engage, mais en berbre~ ce qui

    fait que je n'en saisis pas le moindre mot.

    Nous remontons cheval, salus aussi crmonieuse-

    ment qu' l'arrive, e t nous commenons grimper par

    des sentiers plus que raides un massif qui, parat-il, nous

    spare de l 'Oued Nkor .

    Un moment Si Bou Tahar m'arrte et me m ontre dans

    le lointain une sorte de cuvette. Souk es Sebt, me dit-il.

    Les Riffains ont, d~tprs lui, bouscul l une de nos co-

    lonnes et nous ont pris deux canons de 75 qui se

    cassent en six morceaux . Je prsume qu' il s'agit de

    canons de montagne, tout nouveau modle. L'un d'eux,

    me dit Si Bou Tahar, a clat, tuant les servants riffains

    qui voulaient le mettre en batterie; quant l'autre, il

    bombarde Ttouan.

    Arriv au sommet du massif, un panorama merveilleux

    se dveloppe mes yeux. Au loin, la Mditerrane, d'unbleu sombre, et,.plus prs, une succession de gorges et

    de ravins qui sont certes splendides, mais par lesquels il

    faudra descendre pour rejoindre le lit de l'oued Nkor

    qui coule tout en bas.

    Sous prtexte d'admirer le paysage, je descends de

  • 7/27/2019 Au Riff

    25/32

    AU RIFF 49

    cheval, bien rsolu n'y remonter qu'une fois arriv

    l'oued. Et la descente commence. Pendant plus d'une

    heure, c'est un vrai supplice; un des soldats riffains a

    l'amabilit de me passer la c anne ferre qu'ils ont tous

    et cela m'aide un peu.

    Patatras! une mule dgringole. Elle peut s'arrter heu-

    reusement au bout de quelques mtres, mais son char-

    gement est projet dans un petit ruisseau au f ond d'un

    ravin. La pauvre bte est srieusement blesse, mais le

    plus navrant de l'affaire, c'est qu'une bonne partie de

    ma provision de quinine est perdue. J'ai heureusement

    pris la prcaution de la rpartir en plusieurs charges,

    mais ce qui me reste va se t rouver insuffisant.

    Enfin, nous arrivons l'oued, dont nous suivons le

    lit pendant quelques kilomtres, pour parvenir une

    mahakma garde par six hommes. C'est l que nous

    passerons la nuit. On me sert du th et des ufs cuits

    l'huile. huile rance bien entendu.

    Malgr moi, mes yeux se ferment et je m'endors bien-

    tt en dpit des puces, du manque de nattes, des sonne-ries du tlphone qui n'arrte pas et du bruit fait par

    mes compagnons qui, s'ils ne mangent ni ne boivent pen-

    dant la journe (c'est le carme), prennent de larges

    compensations durant la nuit.

    30 mars. Je suis rveill vers les 3 heures du matin

    par un brui t confus. J'allume aussitt ma lampe lectri-

    que, ce qui provoque la curiosit amuse des soldats

    riffains prsents. Je sors de la pice o nous dormions

    tous.

    J'ai un moment d'inquitude en constatant que mon

    convoi a disparu. Le cad de l a imahakma m'explique im-

    mdiatement que, les mulets chargs ne pouvant emprun-

    ter le chemin plus court, mais plus difficile que nous

    prendrons nous-mmes, il a jug bon de les envoyer en

  • 7/27/2019 Au Riff

    26/32

    MERCVRE DE FRANCEt-I-igay50

    avant sous la garde de trois soldats riffains qui en ont

    l'entire responsabilit.

    J'avoue que j'aurais prfr ne pas lcher mon convoi.

    Dsireux de partir au plus tt~ je ne me recouche pas.

    Assis sur le talus qui borde l'oued presque sec, j'assiste

    une circulation intense dans le lit de la r ivire qui sert

    de piste pitons, cavaliers, btes de somme, tout cela

    passe et repasse dans une activit fbrile.

    Un moment, je puis identi fier des tubes de mitrai lleuses

    qui sortent des chouaris; il y en a l au moins une di-

    zaine.Nous partons 5 h. 1/2 e t, tant que nous sommes-dans

    le lit de l'bued, j'active un peu l'allure, press que je suis

    de revoir mes, mulets; mais il m e faut bientt ralentir,

    car n ous avons vraiment des passages extrmement dan-

    gereux.

    Vers les 11 heures, je rejoins le convoi, qui dcidment

    a bien march. Nous nous arrtons tous pour souffler un

    peu. Temassint, o je dois me rendre, est en face de

    nus 5 ou 6 kilomtres vol d'Oiseau, mais nous seronsObligs encore beaucoup d dtours pour y parvenir.

    Je distingue trs nettement la baie d'AlhucemaS et le

    penon d'AIhucemas.

    Nous croisons de nombreuses lignes tlphoniques

    allant un peu dans tous les s ens. Certaines sont poses

    mme la terre; pour d'autres, le fil est enroul autour

    d'utie grosse branche plante eh terre; d'autres lignes

    enfin ont t montes suivant la technique moderne avec

    isolateurs et poteaux spciaux.

    Ces derniers proviennent, parat-il, du butin fait sur les

    Espagnols.

    A 1 heure 1/2, nous arrivons la mahakma de Temas-

    sint. Si B ou Tahar se retrouve au milieu de ses amis,

    puisqu'on temps ordinaire il est de s ervice cette mme

    mahakma.

    On m'apprend que je serai toge dans la maison du

  • 7/27/2019 Au Riff

    27/32

    AUR)FF 5t

    Sultan s. C'est l qu'a t galement log Montagne. Cette

    maison est perche sur une colline assez leve et Si Bou

    Tahar me donne un guide pour m'y conduire avec Chbihi

    et Moulay Hamed.

    Au moment o je quitte la mahakma de Temassint,

    ~e rencontre deux ou trois prisonniers espagnols, les

    mains charges de fils t lphoniques . J'essaye de leur

    parler, mais leur gardien

    ne lepermet pas

    et coupsde crosse les loigne de moi .

    Un peu plus loin, je vois des indignes demi-nus et

    d'une maigreur squelettique, qui creusent la terre pour

    irriguer quelques plantations. Tous s'arrtent de tra-

    vailler la v ue d'un Europen; mais des gardiens arms,

    que je n'avais pas remarqus jusque-l, se prcipitent

    pour les obliger reprendre leur tche. Je passe aussi prs

    qu'il m'est possible, en essayant de voir si, parmi les lo-

    ques qui les recouvrent, je reconnatrai des dbris d'uni-

    formes. 0

    Je ne puis rien voir et s uis assez perplexe, quand une

    voix s 'lve parmi eux, disant trs nettement14 tirailleurs, 3' bataillon.

    Je ne bronche pas sur Fe moment, mais une minute

    aprs je me retourne et, ayant 'au* d'examiner le

    paysage, je dis haute voix

    Compris.

    Une lueur d'espoir passe dans les yeux de ces malheu-

    reux.

    A mon arrive la maison, je suis immdiatement con-

    duit dans une salle blanchie la chaux, dont le sol est re-

    couvert de nattes d'alfa. Deux matelas sont allongs cte

    cte sur les nattes; sur chaque matelas, deux grandes

    couvertures de laine sont plies. Dans le coin de la pice,

    une petite table de bois blanc sut: laquelle je retrouve des

    papiers laisss par Montagne. Deux jeunes Riffains me

    son' prsents; l'un est, parat-il, charg de me faire ma

    cuisine et l'autre de me servir. On m'informe que je suis

  • 7/27/2019 Au Riff

    28/32

    MERCVRE DE FRANCEi.I-fga?5a

    l'hte du Sultan, et immditament on m'apporte de

    quoi boire et manger.

    Le tlphone existe dans la maison; je puis donc im-

    mdiatement dire Si Bou Tahar, rest la mahakma

    de Temassint, que je le prie de remercier de ma part

    Abd el Krim et que je serais trs heureux d'tre reu

    par lui le lendemain matin.

    II y a bien une viei lle cada riffaine, parat-il, qui veut

    que je me repose trois jours avant d't re reu par le

    Sultan; mais Chbihi a manuvr d,e faon que Si Bou

    Tahar puisse faire sans inconvnient une entorse au r-

    glement.

    En effet, dans la soire, un coup de tlphone m'in-

    forme que Si Bou Tahar me prendra le lendemain matin

    7 heures avec des chevaux pour me conduire chez le

    Sultan~ qui n'est plus Tessamint, parat-il, mais

    Sidi Abdallah Ben Youssef, o sont galement les pri-

    sonniers franais.

    Je demande immdiatement si je puis apporter quel-ques vivres pour les prisonniers ds le lendemain. Si Bou

    Tahar me le dconseille et me dit

    Tu t'arrangeras avec le Sultan; la seule chose que

    tu .puisses faire, c'est d'emporter les lettres que tu as

    pour eux et que tu remettras Abd el Krim lui-mme.

    La n uit tombe assez vite; je sors de la maison et, sans

    aucune surveillance, me promne dans les cactus qui

    entourent l 'habitation.

    Je ne puis croire que je suis au cur du petit pays

    qui nous a obligs amener 100.000 hommes au Maroc.

    De temps autre, un coup de canon sourd se fait enten-

    dre dans la direction d'Ajdir. A part cela, tout est calme

    et je ne rentre que lorsqu'on vient me prvenir que le

    repas du soir est servi.

    Je crois rver quand j'aperois le petit domestique

    qui m'a t prsent mon arrive et qui m'apporte les

  • 7/27/2019 Au Riff

    29/32

    AU RIFF 63

    plats (pigeons rtis, ufs frits) revtu pour la circons-

    tance d'un magnifique tablier blanc.

    31 mars. J'ai pass une trs bonne nuit; les puces

    ont t suffisamment discrtes.

    Vers les 4 heures, je suis rveill par l'entre dans la

    chambre d'un indigne que je ne connais pas et qui

    pousse de vritables cris lorsque je dirige le faisceau lu-

    mineux de ma lampe lectrique sur son visage.

    Il se prsente dans un franais correct c'es t AMel-

    kader Tazi, fils de l'ancien nab du Sultan Tanger, qui

    s'es t enfui de cet te dernire ville avec ses deux frres

    pour venir dans le Riff.

    Il est albinos et la lumire lectrique que je lui ai

    projete en plein visage lui a caus une vritable souf-

    france.

    Je le fais immdiatement causer; il parle assez cou-

    ramment le franais et j'arrive rapidement connatre

    son odysse. Il est venu, dit-il, dans le Riff pour jouer

    un bon tour son pre qui a refus de le laisser pouser

    une de ses cousines, dont il tait fort amoureux. Ses deux

    jeunes frres n'ont pas voulu le laisser partir seul e t l 'ont

    accompagn.

    Il se trouve, d'aprs ses dires, fort malheureux dans le

    Riff, et la privation qui lui cote le plus est celle du

    whisky. C'est un malade, un nvros, mais qui para t

    intelligent. Je juge immdiatement qu'i l peut m'tre fort

    utile, condition que je ne le compromette pas aux yeux

    des Riffains.

    Je n'ai pas de peine lui faire avouer que cesderniers

    me l'ont envoy en principe pour me servir d'interprte,

    mais en ralit pour me surveiller et savoir exactement ce

    que je pense.

    Il est persuad, dit-il, que les Riffains ne demandent

    qu' s'entendre avec les Franais et ajoute qu' ils ont en

  • 7/27/2019 Au Riff

    30/32

    MERCVRE DE FRANCEt-I-tga?64

    trs grande estime M. Steeg, qui a ici une rputation bien

    tablie de droiture et d'quit.

    Tazi m'affirme qu'il est et a toujours t francophile,

    et s'inquite du sort qui lui serait rserv s'il pouvait

    rentrer en zone franaise, avec ses frres.

    Je lui promets mon appui, s i cet te .dernire ~ventua-

    lit se produisait. Il est prt, dit-il, crire une lettre

    au'Gouvernement du Protectorat, s'en remettant sa

    discrtion.

    Il m'annonce pour plus tard des rvlations sensation-

    nelles, car nous voyons apparatre Si Bou Tahar suivi de

    chevaux et de mulets.

    Notre petite 'caravane :se met ,en route -elle se compose

    de Si Bou Tahar, Chbihi, Moulay Hamed, Tazi et moi-

    mme.

    Si Bou Tahar seul possde un fusil. J 'a i laiss inten-

    tionnellement mon r evolver sur la table de la chambre,

    bien en vidence.

    Il est environ 8 h.1/2 quand

    nouspartons.

    Le ,chemin

    n'est pas trs dur, mais il es t nanmoins impossible

    d'al ler vi te . Nous traversons ~ne rgion trs cultive,

    mais o la rcolte est bien compromise, sinon totale-

    ment perdue. Si Bou Tahar m'informe qu 'i l n'a pas plu

    de tout cet hiver; les champs desschs que nous avons

    devant nous en sont la preuve.

    Au bout de deux heures, nous arrivons A Sidi Abdallah

    ben Youssef. Si Bou Tahar me demande d'attendre quel-

    ques minutes dans le lit de l'oued, tandis que lui-mme

    va prendre des instructions au poste de commandement.

    Nous descendons de cheval et nous nous asseyons

    l'ombre de lauriers-roses. Tazi voudrait bien boire , mais ,comme nous sommes en Rhamadam, il n'ose le faire de-

    vant ses coreligionnaires et se plaint moi de leur obs-

    curantisme .

    Si Bou Tahar nous appelle. Nous arrivons prs d'une

    garde riffaine d'une c.entaiue d'hommes, portant tous

  • 7/27/2019 Au Riff

    31/32

    AU RIFF 55

    un emblme vert au turban. L,es soldats entourent une

    tente assez semblable celles dont les cads se servent

    lors des moussems dans le bled marocain . Personne

    dans la t ente.

    Nous continuons toujours pied et nous montons une

    pente assez raide qui nous conduit en face d'une mechta

    entirement camoufle. Des plantes grimpantes, des her-

    bes sches sont rpandues un peu partout sur les murset sur les toits, et il doit tre trs difficile aux, avions

    de la reprer.

    Une voix irrite se fait entendre; des repart ies assez

    vives sont changes en berbre entre un inconnu rest

    l'intrieur de la maison et Si Bou Tahar. Ce dernier

    nous fait redescendre rapidement la cte en nous disant

    qu'il s'est tromp et qu'il ne devait pas nous mener jus-

    qu' cette mechta.

    En redescendant, je croise quelques prisonniers espa-

    gnols, qui ont l'air de se porter bien et sont enchants de

    voir un Europen. Je rassemble les quelques mots d'espa-

    gnol que je connais pour leur faire comprendre que'

    j'irai sous peu les voir et Jeur faire des distributions.

    Un peu plus loin, je vois un autre groupe d'une ving-taine de prisonniers, galement espagnols, qui font bouil-

    lir de l'eau.

    Je n'ai pas le temps de leur adresser la parole, Si Bou

    Tahar me faisant signe de me presser.

    Nous sommes revenus dans le lit de l'oued. Si Bou

    Tahar nous a de nouveau quitts et nous attendons un

    bon quart d'heure.

    Un soldat riffain vient ensuite nous chercher et nous

    conduit un petit bosquet distant d'une centaine de m-

    tres de la tente dont il a t dj question et o Si Bou

    Tahar me prsente un personnage ventripotent qu'il

    m'annonce comme tant Si Mohamed Azerkane, ministre

    de la Guerre d'Abd el Krim.

    Aprs les salamalecs d'usage, Si Mohamed Azerkane

  • 7/27/2019 Au Riff

    32/32

    MERCVRE DE FRANCE1-1-199756

    m'indique des chaises et me prie de m'asseoir. En mme

    temps, mon grand tonnement, il tire de sa choukara

    une lettre qu'il me tend. Je lis sur l'enveloppe Moniteur

    PARENT, au Rift.

    C'est un petit mot de Gabrielli, chez lequel Azerkane

    s'est rendu il y a quelques jours pour une entrevue avec

    legnral Mougin.

    Gabrielli me donne d'excellents encou-

    ragements et me conseille la prudence.

    Nous causons quelques instants et, bien videmmeht,

    la question de la guerre vient immdiatement sur les

    lvres.

    Azerkane m'affirme que les Riffains n'ont jamais

    voulu la guerre avec les Franais, qu 'i ls sont profond-

    ment navrs de ce qui est arriv et qu'ils ne demandent

    qu'une chose trouver un moyen de rtablir une situa-

    tion amicale entre la France et le Riff.

    Je lui rponds que si les Riffains sont dans d'aussi

    bonnes dispositions, il est certain qu'il sera facile de les,

    faire connatre aux Franais, qui, eux aussi, ne deman-dent qu'une chose la paix.

    Au beau milieu de cette conversation, nous entendons

    du brouhaha. C'est toute la garde riffaine qui prsente

    les armes. Le Sultan vient d'entrer dans la tente.

    Si Mohamed Azerkane me demande de bien vouloir le

    suivre et j'arrive la tente, sur le seuil de laquelle se

    tient un homme petit, assez gros, qui s'incline et me

    souhaite la bienvenue c'est Abd el Krim.

    PIERRE PARENT.

    (A suivre.)