AIRBUS GROUP INNOVATIONS - innovationreview.eu · 36 l innovation review l mai 201 5 i n°85 n°85...

4
N°85 I MAI 2015 l INNOVATION REVIEW l 37 36 l INNOVATION REVIEW l MAI 2015 I N°85 AIRBUS GROUP INNOVATIONS Décryptage R&D E-fan 2.0

Transcript of AIRBUS GROUP INNOVATIONS - innovationreview.eu · 36 l innovation review l mai 201 5 i n°85 n°85...

N°85 I M A I 2015 l I N NOVAT ION RE V I E W l 3736 l I N NOVAT ION RE V I E W l M A I 2015 I N°85

AIRBUS GROUP INNOVATIONS

Décryptage R&D

E-fan 2.0

N°85 I M A I 2015 l I N NOVAT ION RE V I E W l 3938 l I N NOVAT ION RE V I E W l M A I 2015 I N°85

Décryptage R&D

Sébastien Remy,directeur d’Airbus Group Innovations.

Sous la direction de Jean Botti, le Chief Technical Offi cer d’Air-bus Group, Sébastien Remy est à la tête d’Air-

bus Group Innovations (ancienne-ment Innovation Works) depuis juin 2013. « C’est le laboratoire central de recherche du groupe Airbus. Les divi-sions sont nos clients. Nous sommes organisés en six grands domaines de compétences techniques qui sont les matériaux composites, les technolo-gies des métaux et traitement de sur-face, l’ingénierie des structures, pro-duction et mécatronique, l’ingénierie, physique, technologies de l’informa-tion, services de sécurité et simu-lation, les capteurs, électronique et intégration systèmes et l’énergie et propulsion. Le septième domaine s’appelle Projets et Concepts, et per-met de se projeter dans le futur. Si, en 2035, on veut avoir un aéroport intégré, qu’est-ce que cela veut dire et quelles sont les briques technolo-giques nécessaires ? », résume-t-il.

Car son organisation jongle entre le présent et le futur. Pour le court et moyen termes, la mission d’Airbus Group Innovations est de fournir des solutions pour des produits et pro-blèmes existants dans un environne-ment connu et maîtrisé dans l’aéro-nautique (les A320neo et A330neo), les hélicoptères (le nouveau H160 et la nouvelle famille X6), les satellites

et les lanceurs (Ariane 6). En même temps, son groupe doit préparer le futur, parfois au corps défendant des divisions, qui ont un confortable car-net de commandes et se contente-raient bien de recherche incrémen-tale. « C’est une dualité entre des solutions dans un monde connu et les solutions du futur dans un monde hypothétique. L’incertitude n’est pas un problème. Cela demande juste d’avoir un portefeuille d’idées tech-nologiques qui peuvent répondre à différents scénarios pour le futur. »Pour imaginer ces scénarios, les pre-miers partenaires sont les divisions du groupe, qui apportent leur propre vision des produits du futur. Mais éga-lement des partenaires académiques, des centres de recherche, des parte-naires industriels qui transcendent les activités du groupe, comme Siemens, ou des PME qui apportent des diffé-renciations technologiques par rap-port à la compétition. « A l’intérieur de mon organisation, il y a à peu près 800 personnes. Mais en termes de

Sous la houlette de Sébastien Remy, un vétéran avec presque trente ans d’expérience dans le groupe, 800 chercheurs et de nombreux partenaires extérieurs cherchent des solutions aux problèmes connus d’aujourd’hui et aux problèmes plus hypothétiques d’après-demain. TEXTE : ISABELLE BOUCQ. PHOTOS : AIRBUS GROUP.

Airbus Group Innovations au service des divisions

S É B A S T I E N R E M YB I O E X P R E S S

Aujourd’hui Directeur d’Airbus Group Innovations2013 Directeur d’EADS Innovation Works2009 Nommé à la tête de l’Engineering Centre of Competence d’Airbus, en charge des systèmes de propulsion, des groupes auxiliaires de puissance et de la gestion du bruit.2007 Prend la direction des programmes de recherche sur les carburants alternatifs et lance des activités qui ont abouti au vol d’un A380 à base de biocarburant en février 2008, une première mondiale à l’époque.En 1986 Rejoint Airbus pour travailler sur l’A320, en particulier sur les performances des moteurs CFM. Il occupe plusieurs postes au sein de la communauté Propulsion d’Airbus, notamment dans le cadre du développement et de la certifi cation des programmes A320, A330 et A340.1984-1986 Travaille chez MBDA sur les essais en vol de missiles.1984. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (SUPAERO) de Toulouse.

LEADER MONDIAL DANS L’AÉRONAUTIQUE, L’ESPACE ET LA DÉFENSE : AIRBUS, AIRBUS DEFENCE AND SPACE ET AIRBUS HELICOPTERS

Budget R&D 2014 : 3,4 milliards d’euros Chiffre d’affaires 2014 : 60,7 milliards d’euros 138 000 collaborateurs dans le monde, dont 37 % en France Airbus Group est au 8e rang français des titulaires de brevets (369 publications en 2014)

« L’incertitude n’est pas un problème.

Cela demande juste d’avoir un portefeuille

d’idées technologiques qui peuvent répondre à différents scénarios

pour le futur. »

A I R B U S G R O U P E N R É S U M É

sphère d’infl uence au travers de nos partenariats, on est très largement au-delà des 1 000 personnes », estime Sébastien Remy, qui gère plus de 350 collaborations actives. « Ces collabo-rations à intérêt mutuel sortent du concret. »Parmi ces chercheurs, des ingénieurs bien sûr, mais aussi des mathéma-ticiens, des physiciens, des biolo-gistes, des chimistes : toute une communauté d’origines scientifi que et géographique variées répartie sur vingt sites dans douze pays. De plus, des groupes de travail, com-posés par exemple d’économistes, de paléontologues, de fi nanciers ou de journalistes, planchent sur des sujets comme l’analyse comparée de l’évolution de l’architecture d’un

avion et de la morphologie d’un oiseau. « Ça ne veut pas forcément dire qu’on va systématiquement trouver quelque chose , mais c’est ce genre d’approche disruptive qui permet de trouver des choses réel-lement innovatrices. Ce n’est pas seulement dans le monde de l’aé-ronautique ; il faut chercher plus globalement, parce que le monde est de plus en plus connecté. L’un des atouts pour l’innovation est la diversité. »Prenons les solutions hybrides élec-triques sur lesquelles travaille Airbus (voir encadré ci-dessous). L’idée est venue de l’hypothèse que les contraintes réglementaires allaient se durcir en termes de bruit et d’émis-sions. « Si les solutions hybrides

électriques voient le jour – et on est dans le domaine de l’hypothétique –, on va pouvoir réduire très signi-fi cativement le bruit et ne plus avoir d’émission gazeuse du tout. » Outre l’évolution des régulations, celle des besoins des clients guide également ces scénarios du futur. « Que va vou-loir le passager d’une compagnie aérienne dans vingt-cinq ans ? En Asie, on observe un vieillissement de la population qui va prendre l’avion et va chercher du confort. En Europe, ce sera peut-être un rajeunisse-ment, avec des gens qui cherche-ront des billets pas chers pour voya-ger beaucoup. Tout cela nous permet d’imaginer des solutions à ces pro-blèmes, puis de regarder quels scé-narios sont les plus probables pour suivre un portefeuille de dévelop-pements technologiques permet-tant de répondre à ces différents scénarios. C’est cela qui motive nos chercheurs. »

❚ GUIDER L’INNOVATION OUVERTEComme dans de nombreux groupes, l’innovation ouverte fait par-tie des réalités quotidienne depuis une dizaine d’années. A travers des concours comme Fly Your Ideas, le groupe sollicite des contributions du monde entier sur des sujets don-nés pour résoudre des problèmes ou trouver des idées. « Le dyna-misme en termes d’interactions entre les gens a évolué par un fac-teur probablement 100 dans la der-nière décennie. C’est une tendance qu’il faut savoir saisir. Sinon, nous serions isolés. » Mais il faut guider cette innovation ouverte qui n’est productive que si l’on demande aux contributeurs de résoudre un pro-blème spécifi que dans l’expérience de Sébastien Remy. Des systèmes de revue permettent de trier les idées selon qu’elles peuvent s’appliquer à des produits existants ou qu’elles concernent des problématiques plus lointaines, voire éloignées des acti-vités du groupe.

40 l I N NOVAT ION RE V I E W l M A I 2015 I N°85

Décryptage R&D

L’E-FAN, PREMIÈRE ÉTAPE VERS L’HYBRIDE ÉLECTRIQUE

L’E-Fan, le prototype d’avion-école tout électrique, fait sa vie. L’E-Fan 2.0, dans une conception revue avec notamment des batteries lithium-ion plus puissantes, sera commercialisé à partir de fi n 2017. Quant à l’E-Fan 4.0, un quatre places avec une durée de vol de trois heures, il permettra d’obtenir la licence de pilote privé grâce à un avion quasiment silencieux. « On va livrer des avions hybrides électriques (E-Fan 4.0) et complètement électriques (E-Fan 2.0), et on va pouvoir tester certaines hypothèses. C’est un retour d’expérience sur la maturité des technologies. La première application pourrait être les hélicoptères. On dé-risque ainsi nos modèles », décrypte Sébastien Remy. Star du Salon du Bourget l’année dernière, l’E-Fan cédera la place à des nouveautés, dont un cockpit, pour l’édition 2015. « J’ai la matière première dont demain peut être fait », se régale d’avance le patron de la recherche.

N°85 I M A I 2015 l I N NOVAT ION RE V I E W l 4342 l I N NOVAT ION RE V I E W l M A I 2015 I N°85

un fuselage, tout à fait. Ce sera expérimenté dans un an. » La troi-sième dimension s’incarne dans des salles de réalité virtuelle baptisées RHEA (Realistic Human Ergonomics Analysis) implantées à Marignane, à Toulouse ou à Nantes. Equipé d’un casque, on s’immerge dans l’avion pour valider la conception, pour vérifi er que la maintenance sera possible, et au fi nal pour s’entraîner. Mais il y a plus. Déjà utilisés par des compagnons en démonstration, des outils connectés permettront d’in-tégrer le contrôle qualité à la fabri-cation. Conçu comme les stores d’applications mobiles et prévu pour un déploiement cette année, le TechnoStore est une bibliothèque de solutions technologiques dévelop-pées par Airbus Group Innovations et les divisions pour répondre aux besoins des usines du groupe. « Une des vertus de notre organisation est de trouver les bons compromis

entre les doux rêveurs du chan-gement et les anti-changements totaux. Il faut les deux. »

❚ UNE RECHERCHE INTERNATIONALELa recherche est implantée dans les quatre pays européens qui ont fondé le groupe : France, Allemagne, Angleterre et Espagne. Dans ces pays, des centres de proxi-mité sont co-localisés avec l’une des divisions, les équipes de recherche étant intégrées avec les équipes des divisions pour transférer des tech-nologies. Ces centres sont souvent en lien avec des partenaires acadé-miques régionaux qui, avec d’autres partenaires industriels, forment un écosystème industriel. Hors Europe, les centres sont plus petits et spé-cialisés. Le plus gros, à Singapour, regroupe une quinzaine de per-sonnes, avec une spécialisation autour de la sécurité, de la gestion de l’énergie et des technologies du

MRO (maintenance, réparations et opérations). A Bengalore, en Inde, le groupe se rapproche de compé-tences mathématiques pour déve-lopper le big data et les calculs haute performance. A Moscou, on simule et on modélise. L’un des objectifs de ces centres internatio-naux est d’identifi er des partenaires à long terme, mais aussi de repérer les talents locaux qui pourront évo-luer dans le groupe. Airbus Group, un groupe d’origine européenne au développement international jusque dans la recherche.

Décryptage R&D

Pour Sébastien Remy, la techno-logie peut seconder les opérateurs de trois façons : en apportant de l’information en temps réel, en confi ant les tâches pénibles et répé-titives à des robots collaboratifs, et en permettant un entraînement en réalité virtuelle. Il décrit des projets existants et à venir qui répondent à ces trois fonctions, de la conception à la fabrication, à l’assemblage, à la maintenance, en réduisant qui plus est les coûts. « Il s’agit de suppri-mer toutes les opérations qui n’ont pas de valeur ajoutée. On veut sup-primer la consultation de manuels. On développe des technologies pour avoir des opérateurs connec-tés, sur les chaînes d’assemblage ou dans la maintenance, qui vont avoir accès en temps réel à l’ensemble des informations dont ils ont besoin avec des systèmes de réalité

augmentée. Tout cela est projeté en face de l’opérateur, et il peut vérifi er que l’opération est bien conforme. Nous avons un système qui s’ap-pelle MiRA - pour Mixed Reality Application -, déployé aujourd’hui sur l’A380 et qui pourrait l’être sur

certains hélicoptères et satellites. C’est un petit ordinateur de poche connecté avec la maquette numé-rique et couplé avec un système vidéo. L’opérateur se cale sur l’en-droit où il se trouve, et il voit si sa pièce est bien positionnée ou pas. On a pu diviser par cinq les temps d’inspection sur l’A380. »Quant au système SARA, il s’ap-puie sur de petits robots capables de s’auto-positionner dans un avion pour effectuer une tâche. « On a des démonstrateurs qui peuvent faire un marquage laser à l’en-droit exact où le perçage doit être fait. Mais on est allé plus loin. On a des co-bots qui ont des têtes amo-vibles et peuvent à la fois percer ou inspecter. On ne pense pas que le robot va remplacer l’homme. Mais que le robot et l’homme coopèrent dans un endroit restreint comme

DE BONNES IDÉES EXPLOITÉES DANS DES FILIALES

Depuis 2013, le groupe pousse à la création de fi liales pour exploiter certaines idées qui sortent de son périmètre. Par exemple, ApWorks, fi liale à 100 %, commercialise des solutions en impression 3D métal et des technologies de soudage par frictions utilisées entre autres dans l’électronique. Implantée à Toulouse et présente sur plusieurs continents, Testia est une autre fi liale à 100 % spécialisée dans les solutions de contrôle non destructif, en particulier pour les matériaux composites. Autre exemple avec Speetect. « Deux biologistes avaient identifi é un système pour vérifi er la qualité de l’air. Ils ont été transférés dans cette fi liale, qui commercialise des solutions pour l’analyse de l’air et de l’eau. C’est comme cela qu’on fait passer une idée de la recherche au développement de solutions concrètes pour des applications à l’extérieur du groupe. Dans le pipeline des idées, on regarde systématiquement celles qui sont candidates à faire partie d’une fi liale », résume Sébastien Remy. « Une autre façon de valoriser les idées, en dehors de l’aéronautique, est le Technology Licensing, avec une unité dédiée qui a développé un Technology Transfer Framework. Maserati est un exemple. Nous les avons approchés avec un portefeuille de propriété intellectuelle, dont l’impression 3D. C’est un retour sur investissement, et un retour d’expérience qui contribue à notre maturation technologique. »

AIRBUS GROUP PARTENAIRE DU PRIX IRÈNE JOLIOT-CURIE

Depuis 2004, Airbus Group soutient le prix Irène Joliot-Curie, créé en 2001 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pour promouvoir la place des femmes dans la recherche et la technologie en France. Composé de trois catégories (« Femme scientifi que de l’année », « Jeune Femme scientifi que » et « Parcours Femme entreprise »), le prix 2015 est ouvert aux candidatures jusqu’au 16 juin.

LES PROMESSES DE LA 3D

L’impression 3D a des applications très prometteuses pour Airbus. « Dans ce domaine, notre valeur ajoutée est la reconception des pièces. Au lieu d’une pièce brute avec beaucoup de contraintes d’usinage, on va être capables d’avoir une pièce bio-mimétique. Les os d’un oiseau sont extrêmement fi ns pour des raisons de poids. On a développé des outils qui permettent de faire cela pour des pièces d’avion. Comment concevoir une pièce aéronautique dimensionnée pour sa fonction en s’affranchissant de toute contrainte d’usinage ? C’est vraiment une révolution qui peut servir à pleins de choses. Sur l’un des avions d’essai du programme A350, un système de fi xation de la cabine a été fabriqué en impression 3D titane. Nous avons un satellite en orbite dont le système de fi xation d’antenne a été fabriqué en impression 3D. Avec la 3D, on a toute liberté pour réduire la masse, réduire les temps et réduire les coûts. L’objectif est de généraliser », explique Sébastien Remy.

« Une des vertus de notre organisation

est de trouver les bons compromis entre les doux rêveurs

du changement et les anti-changements

totaux. Il faut les deux.»