Affaire Airey c. Irlande

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CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COUR T OF HUMAN RIGHTS COUR (CHAMBRE) AFFAIRE AIREY c. IRLANDE (Requête n o 6289/73) ARRÊT STRASBOURG 9 octobre 1979

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  • CONSEILDE LEUROPE

    COUNCILOF EUROPE

    COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

    EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

    COUR (CHAMBRE)

    AFFAIRE AIREY c. IRLANDE

    (Requte no 6289/73)

    ARRT

    STRASBOURG

    9 octobre 1979

  • ARRT AIREY c. IRLANDE 1

    En laffaire Airey, La Cour europenne des Droits de lHomme, constitue, conformment

    larticle 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Liberts fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes

    de son rglement, en une chambre compose des juges dont le nom suit:

    MM. G. WIARDA, prsident,

    P. ODONOGHUE, THR VILHJLMSSON,

    W. GANSHOF VAN DER MEERSCH,

    D. EVRIGENIS,

    L. LIESCH,

    F. GLCKL,

    ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier

    adjoint,

    Aprs avoir dlibr en chambre du conseil les 23 et 24 fvrier, puis les

    10 et 11 septembre 1979,

    Rend larrt que voici, adopt cette dernire date:

    PROCEDURE

    1. Laffaire Airey a t dfre la Cour par la Commission europenne des Droits de lHomme ("la Commission"). A son origine se trouve une requte dirige contre lIrlande et dont une ressortissante de cet tat, Mme Johanna Airey, avait saisi la Commission le 14 juin 1973 en vertu de

    larticle 25 (art. 25) de la Convention. 2. La demande de la Commission, qui saccompagnait du rapport prvu

    larticle 31 (art. 31) de la Convention, a t dpose au greffe de la Cour le 16 mai 1978, dans le dlai de trois mois fix par les articles 32 par. 1 et 47

    (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et la

    dclaration par laquelle lIrlande a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet dobtenir une dcision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause rvlent ou non, de la part

    de ltat dfendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes des articles 6 par. 1, 8, 13 et 14 (art. 6-1, art. 8, art. 13, art. 14).

    3. La Chambre de sept juges constituer comprenait de plein droit M. P.

    ODonoghue, juge lu de nationalit irlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Balladore Pallieri, prsident de la Cour (article 21 par. 3

    b) du rglement). Le 31 mai 1978, en prsence du greffier adjoint, le

    prsident de la Cour a dsign par tirage au sort les cinq autres membres,

    savoir M. J. Cremona, M. Thr Vilhjlmsson, M. W. Ganshof van der

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    Meersch, M. L. Liesch et M. F. Glckl (article 43 in fine de la

    Convention et article 21 par. 4 du rglement) (art. 43).

    M. Balladore Pallieri a assum la prsidence de la Chambre (article 21

    par. 5 du rglement). Empch ultrieurement de participer lexamen de laffaire, il a t remplac par M. Wiarda, vice-prsident de la Cour (article 21 paras. 3 b) et 5 du rglement). Pour la mme raison, le premier juge

    supplant, M. Evrigenis, a par la suite remplac M. Cremona (article 22 par.

    1 du rglement).

    4. Le prsident de la Chambre a recueilli, par lintermdiaire du greffier adjoint, lopinion de lagent du gouvernement de lIrlande ("le Gouvernement"), de mme que celle des dlgus de la Commission, au

    sujet de la procdure suivre. Le 15 juillet 1978, il a dcid que lagent prsenterait un mmoire avant le 17 octobre 1978 et que les dlgus

    auraient la facult dy rpondre par crit dans un dlai de deux mois compter de la date laquelle le greffier le leur aurait communiqu.

    Le greffe a reu le mmoire du Gouvernement le 16 octobre 1978. Le 15

    dcembre 1978, les dlgus de la Commission ont dpos le leur,

    accompagn dobservations de la requrante sur celui du Gouvernement; ils ont produit un autre document le 22 janvier 1979.

    5. Le 1er fvrier 1979, le prsident a fix louverture de la procdure orale au 22 fvrier 1979 aprs avoir consult agent du Gouvernement et

    dlgus de la Commission par lintermdiaire du greffier. 6. Les audiences se sont droules en public le 22 fvrier, au Palais des

    Droits de lHomme Strasbourg. Auparavant, la Chambre avait tenu au dbut de la matine une brve runion consacre leur prparation.

    Ont comparu:

    - pour le Gouvernement:

    Mme. J. LIDDY, jurisconsulte adjoint

    au ministre des affaires trangres, agent,

    M. N. MCCARTHY, S.C.,

    M. J. COOKE, avocat, conseils,

    M. L. DOCKERY, Chief State Solicitor,

    M. A. PLUNKETT, Legal Assistant,

    Attorney-Generals Office, conseillers; - pour la Commission:

    M. J. FAWCETT, dlgu principal,

    M. T. OPSAHL, dlgu,

    Mme M. ROBINSON, snateur, avocat, et

    M. B. Walsh, Solicitor, qui avaient reprsent

    la requrante devant la Commission, assistant les dlgus

    conformment larticle 29 par. 1, deuxime phrase, du rglement de la Cour.

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    La Cour a ou en leurs dclarations, ainsi quen leurs rponses ses questions et celles de son prsident, M. Fawcett, M. Opsahl et Mme

    Robinson pour la Commission, M. McCarthy pour le Gouvernement.

    A laudience, la Commission a fourni un document la Cour. 7. Sur les instructions de la Cour, le greffier a adress le 26 fvrier 1979

    lagent du Gouvernement le texte de certaines questions sur un aspect particulier de la cause. Il a reu les rponses le 26 mars 1979 et les a

    communiques le jour mme aux dlgus de la Commission. Le 6 avril

    1979, le secrtaire adjoint de celle-ci la inform que les dlgus navaient aucune observation formuler leur sujet.

    FAITS

    Les circonstances de lespce 8. Mme Johanna Airey, citoyenne irlandaise ne en 1932, rside Cork.

    Issue dune famille de condition modeste, elle a commenc travailler ds sa jeunesse en qualit de vendeuse. Elle sest marie en 1953 et a quatre enfants dont le plus jeune reste sa charge. Au moment de ladoption du rapport de la Commission elle touchait de ltat une indemnit de chmage, mais elle a un emploi depuis juillet 1978. En dcembre 1978, son salaire

    hebdomadaire net slevait 3999. En 1974, elle a obtenu en justice une ordonnance enjoignant son poux de lui verser une pension alimentaire de

    20 par semaine, montant port 27 en 1977 et 32 en 1978.

    Cependant M. Airey, qui travaillait comme camionneur mais sest trouv par la suite en chmage, a cess de payer cette pension en mai 1978.

    La requrante affirme que son mari est alcoolique; avant 1972, il laurait frquemment menace de svices et lui en aurait parfois inflig. En janvier

    1972, lissue dune instance engage par elle, le tribunal darrondissement (District Court) de Cork la condamn une amende pour avoir recouru contre elle des voies de fait. M. Airey a quitt le domicile conjugal en juin.

    Il ne la jamais rintgr; sa femme craint pourtant aujourdhui quil nessaie dy retourner.

    9. Pendant huit annes environ jusquen 1972, Mme Airey a cherch en vain conclure avec lui un accord de sparation. En 1971, il a refus de

    signer un acte prpar dans ce but par le solicitor de la requrante et les

    tentatives ultrieures de celle-ci pour lamener se montrer coopratif ont chou elles aussi.

    Depuis juin 1972, elle sefforce darriver un jugement de sparation de corps en invoquant la cruaut physique et mentale de son mari envers elle et

    leurs enfants. Elle a consult ce propos plusieurs solicitors, mais nen a trouv aucun qui acceptt de la reprsenter, faute daide judiciaire et nayant pas elle-mme les moyens financiers voulus.

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    En 1976, la requrante a saisi un tribunal ecclsiastique aux fins

    dannulation de son mariage. Sa demande demeure ltude; si elle aboutit, elle ne modifiera pas ltat civil de lintresse.

    Droit interne

    10. Si lon peut obtenir en Irlande, sous certaines conditions, un jugement de nullit - la constatation, par la High Court, quun mariage tait nul et non avenu ab initio -, le divorce au sens de dissolution du mariage ny existe pas. Larticle 41 par. 3, alina 2, de la Constitution dispose en effet: "Il ne sera adopt aucune loi permettant de dissoudre le mariage."

    En revanche, les poux peuvent se voir relever du devoir de cohabitation

    par un acte de sparation conclu entre eux, et qui les lie, ou par un jugement

    de sparation de corps (appele aussi divorce a mensa et thoro). Pareille

    dcision ne touche pas lexistence juridique du mariage. Elle ne peut intervenir que si le demandeur prouve lun des trois manquements suivants: adultre, cruaut ou pratiques contre nature. Les parties citent et interrogent

    des tmoins sur ce point.

    Daprs larticle 120 par. 2 de la loi de 1965 sur les successions, celui aux torts duquel est prononce la sparation de corps perd certains droits

    successoraux lgard de son conjoint. 11. Seule la High Court a comptence pour rendre un tel jugement. Les

    parties peuvent plaider en personne. Toutefois, les rponses du

    Gouvernement aux questions de la Cour (paragraphe 7 ci-dessus) rvlent

    que dans chacune des 255 instances en sparation de corps introduites en

    Irlande de janvier 1972 dcembre 1978, sans exception, un homme de loi

    reprsentait le demandeur.

    Dans son rapport du 9 mars 1978, la Commission notait que les frais

    encourus par un demandeur ainsi reprsent se situaient en gros entre 500 et

    700 si laction ne donnait pas lieu contestation, entre 800 et 1200 dans le cas contraire; le montant exact dpend de plusieurs facteurs comme le

    nombre des tmoins et la complexit des problmes trancher. Si une

    femme gagne le procs, on ordonne en rgle gnrale au mari dacquitter tous les frais normaux et raisonnables exposs par elle; un juge taxateur

    (Taxing Master) en arrte le dcompte.

    LIrlande ne connat pas lheure actuelle daide judiciaire pour les affaires de sparation de corps, ni dailleurs pour les affaires civiles en gnral. En 1974 a t cre, sous la prsidence du juge Pringle, une

    commission sur laide judiciaire et les consultations juridiques en matire civile. Dans son rapport de dcembre 1977 au gouvernement, elle prconise

    dinstituer un systme global daide judiciaire et de consultations juridiques en ce domaine. A laudience du 22 fvrier 1979, le conseil du Gouvernement a inform la Cour que ce dernier a dcid en principe

    dinstaurer laide judiciaire pour les litiges ressortissant au droit de la famille et quil espre voir prendre avant la fin de lanne les mesures ncessaires.

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    12. Depuis que Mme Airey a saisi la Commission est entre en vigueur la

    loi de 1976 sur les pensions alimentaires des conjoints et enfants (Family

    Law (Maintenance of Spouses and Children) Act). Aux termes de son article

    22 par. 1,

    "A la demande de lun ou lautre conjoint le tribunal peut, sil lui semble y avoir des motifs srieux de penser que la scurit ou le bien-tre de ce conjoint ou dun enfant la charge du couple lexige, ordonner lautre conjoint, sil rside au mme lieu que le demandeur ou lenfant, de quitter ce lieu et, quil y rside ou non, lui en interdire laccs jusqu nouvel ordre ou jusqu une date fixe par le tribunal."

    Pareille ordonnance, communment appele barring order, nest pas permanente et lon peut en demander tout moment la rvocation (article 22 par. 2). En outre, si elle mane dun tribunal darrondissement - et non dune Circuit Court ou de la High Court - elle ne vaut que pour trois mois au maximum, sauf renouvellement.

    Une femme qui son mari a inflig des svices peut aussi intenter une

    procdure pnale sommaire.

    PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION

    13. Dans sa requte du 14 juin 1973 la Commission, Mme Airey

    formulait diffrents griefs concernant le procs de 1972 contre son poux,

    des brutalits policires quelle aurait endures en 1973 et une privation illgale de libert quelle aurait subie la mme anne. Elle reprochait surtout ltat de ne pas lavoir protge contre la cruaut physique et mentale dun mari violent et alcoolique selon elle

    - en ne linternant pas pour le dsintoxiquer; - en ne veillant pas ce quil lui verst rgulirement sa pension; - en se quelle ne pouvait, en raison des frais prohibitifs supporter,

    obtenir une sparation judiciaire.

    Sur ce dernier point elle allguait la violation:

    - de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, parce quon lui dniait en pratique le droit daccs un tribunal;

    - de larticle 8 (art. 8), parce que ltat noffrait pas une procdure judiciaire accessible pour les dcisions relatives aux droits et obligations

    dcoulant de la lgislation en matire familiale;

    - de larticle 13 (art. 13), en ce que nul recours effectif devant une instance nationale ne souvrait elle contre les violations incrimines;

    - de larticle 14, combin avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1), en ce que lon pouvait plus aisment aboutir une sparation judiciaire si lon avait les moyens de payer que dans le cas contraire.

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    14. Le 7 juillet 1977, la Commission a retenu la requte dans la mesure

    o lintresse se plaignait de linaccessibilit de la procdure de sparation judiciaire; elle la dclare irrecevable pour le surplus.

    Dans son rapport du 9 mars 1978, elle formule lavis: - lunanimit, que ltat viole larticle 6 par. 1 (art. 6-1) en nassurant

    pas laccs effectif de la requrante un tribunal pour lui permettre dobtenir une sparation de corps;

    - que cette conclusion la dispense dexaminer laffaire sous langle des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14) (unanimit), ou de larticle 8 (art. 8) (douze voix contre une, avec une abstention).

    CONCLUSIONS ET OBSERVATIONS FINALES

    PRESENTEES A LA COUR

    15. laudience du 22 fvrier 1979 le Gouvernement a confirm les conclusions figurant dans son mmoire:

    "Plaise la Cour de dire que la Commission naurait pas d dclarer la requte recevable.

    Plaise la Cour de dire que mme si la Commission a eu raison de retenir la

    requte, elle aurait d la rejeter au fond.

    Le gouvernement dfendeur na pas enfreint les obligations lui incombant en vertu de la Convention europenne des Droits de lHomme."

    Le mme jour, le conseil de Mme Airey a rsum ainsi la thse de sa

    cliente:

    "Aux yeux de la requrante, le caractre totalement inaccessible et exclusif de la

    demande en sparation de corps devant la High Court mconnat son droit daccs aux tribunaux civils, que daprs larticle 6 par. 1 (art. 6-1) le gouvernement irlandais doit lui assurer; labsence en droit irlandais dun recours moderne, effectif et accessible en cas dchec du mariage constitue un manque de respect pour sa vie familiale au sens de larticle 8 (art. 8); les dpenses exorbitantes supporter pour obtenir une sparation de corps, et qui se traduisent par moins dune douzaine de jugements par an, sanalysent en une discrimination fonde sur la fortune et contraire larticle 14 (art. 14); le droit irlandais ne lui ouvre pas de recours effectif face lchec de son mariage, ce qui en soi viole larticle 13 (art. 13)."

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    EN DROIT

    I. QUESTIONS PRELIMINAIRES

    16. Selon le Gouvernement, la requte de Mme Airey tait irrecevable

    pour dfaut manifeste de fondement et non-puisement des voies de recours

    internes.

    Daprs la Commission, la Cour a certes comptence pour se prononcer sur tout point de fait ou de droit qui surgit pendant linstance, mais non pour juger que la Commission a vers dans lerreur en dclarant une requte recevable; laudience, le dlgu principal a exprim lopinion quelle aborde sur le terrain du fond, et non comme juge dappel, les problmes concernant la dcision de recevabilit.

    17. La Cour a tabli deux principes en la matire. Dune part, les dcisions par lesquelles la Commission retient les requtes sont sans

    recours; dautre part, une fois saisie la Cour, investie de la plnitude de juridiction, peut trancher des questions de recevabilit souleves

    antrieurement devant la Commission (voir notamment larrt Klass et autres, du 6 septembre 1978, srie A n

    o 28, p. 17, par. 32). De la

    combinaison de ces principes, il ressort que la Cour ne connat pas de telles

    questions en qualit de juridiction dappel: elle se borne rechercher si les conditions lhabilitant traiter le fond du litige se trouvent remplies.

    18. En invoquant devant la Cour le dfaut manifeste de fondement dune requte, un gouvernement ne lui dfre pas en ralit un problme relatif

    ces conditions; il plaide en somme quil ny a pas mme lapparence dun grief justifi contre ltat dfendeur. Il sagit l dune exception dont la Commission doit connatre avant de statuer sur la recevabilit (article 27

    par. 2 de la Convention) (art. 27-2); quand elle lcarte, il lui incombe normalement, lissue dun examen du fond de laffaire, de formuler un avis sur lexistence ou labsence dune violation (article 31) (art. 31). En revanche, la distinction entre dfaut manifeste de fondement et absence de

    violation est dnue dintrt pour la Cour, charge de constater par un arrt dfinitif que ltat en cause a respect ou au contraire enfreint la Convention (articles 50, 52 et 53) (art. 50, art. 52, art. 53).

    Il nen va pas de mme du moyen de non-puisement des voies de recours internes. La rgle consacre par larticle 26 (art. 26) "dispense les tats de rpondre de leurs actes devant un organe international avant davoir eu loccasion dy remdier dans leur ordre juridique interne" (arrt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, srie A n

    o 12, p. 29, par. 50); elle a

    trait la facult de mettre en jeu leur responsabilit sur le plan de la

    Convention. Ds lors, pareil moyen peut sans conteste poser des questions

    distinctes de celle du bien-fond de lallgation de manquement.

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    Partant, la Cour na pas statuer sur le premier argument prliminaire du Gouvernement mais elle le doit sur le second, du reste dj prsent la

    Commission de sorte quil ny a pas forclusion (arrt De Wilde, Ooms et Versyp, prcit, p. 30, par. 54).

    19. Le Gouvernement estime que la requrante a nglig plusieurs

    gards dpuiser les voies de recours internes. a) Tout dabord, elle aurait pu selon lui contracter avec son mari un

    accord de sparation ou rclamer, en vertu de la loi de 1976, une

    "ordonnance dinterdiction" (barring order) ou une pension alimentaire (paragraphes 10 et 12 ci-dessus).

    La Cour souligne que larticle 26 (art. 26) de la Convention exige lexercice des seuls recours se rapportant la violation incrimine. Celle dont se plaint Mme Airey dcoule de ce que ltat ne lui aurait pas donn accs la justice pour demander une sparation de corps. Or ni une

    sparation amiable, ni une "ordonnance dinterdiction" ni loctroi dune pension alimentaire nassurent un tel accs. La Cour ne saurait donc accueillir la premire branche du moyen.

    b) En second lieu, le Gouvernement insiste sur la circonstance que la

    requrante aurait pu comparatre devant la High Court sans lassistance dun homme de loi. Il soutient en outre quelle na rien gagner une sparation judiciaire.

    La Cour rappelle que le droit international, auquel larticle 26 (art. 26) renvoie en termes exprs, impose uniquement lutilisation des recours la fois "accessibles aux intresss et adquats, cest--dire de nature porter remde leurs griefs" (arrt De Wilde, Ooms et Versyp, prcit, p. 33, par.

    60). Or elle ne pourrait apprcier si la facult, pour Mme Airey, de dfendre

    sa cause en personne sanalyse en une "voie de recours interne", ainsi entendue, sans se prononcer du mme coup sur la valeur du grief concernant

    larticle 6 par. 1 (art. 6-1): labsence allgue daccs effectif la High Court. Quant la thse daprs laquelle une sparation judiciaire ne procurerait aucun avantage la requrante, elle se rvle troitement lie

    un autre aspect de ce grief: la ralit du prjudice subi. En consquence, la

    Cour joint au fond le restant du moyen.

    II. SUR LARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) CONSIDERE ISOLEMENT

    20. Larticle 6 par. 1 (art. 6-1) se lit ainsi:

    "Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement,

    publiquement et dans un dlai raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial,

    tabli par la loi, qui dcidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de

    caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale dirige contre

    elle. Le jugement doit tre rendu publiquement, mais laccs de la salle daudience peut tre interdit la presse et au public pendant la totalit ou une partie du procs

    dans lintrt de la moralit, de lordre public ou de la scurit nationale dans une socit dmocratique, lorsque les intrts des mineurs ou la protection de la vie prive

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    des parties au procs lexigent, ou dans la mesure juge strictement ncessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spciales la publicit serait de nature porter

    atteinte aux intrts de la justice."

    Mme Airey se rfre larrt Golder du 21 fvrier 1975 (srie A no 18), dans lequel la Cour a interprt ce texte comme consacrant le droit daccs un tribunal en vue dune dcision sur des droits et obligations de caractre civil; parce que les frais prohibitifs dun procs lauraient empche de saisir la High Court pour demander une sparation judiciaire, il y aurait eu

    violation de la clause prcite.

    La Commission unanime souscrit en substance cette thse que combat

    le Gouvernement.

    21. La requrante dsire obtenir un jugement de sparation de corps.

    Lissue dune instance engage cette fin tant sans nul doute "dterminante pour des droits et obligations de caractre priv", donc a

    fortiori "de caractre civil" au sens de larticle 6 par. 1 (art. 6-1), ce dernier sapplique en lespce (arrt Knig du 28 juin 1978, srie A no 27, pp. 30 et 32, paras. 90 et 95); la question na dailleurs pas prt controverse devant la Cour.

    22. "Larticle 6 par. 1 (art. 6-1) garantit chacun le droit ce quun tribunal connaisse de toute contestation relative ses droits et obligations de

    caractre civil" (arrt Golder prcit, p. 18, par. 36). Il comprend donc le

    droit, pour Mme Airey, davoir accs la High Court pour rclamer une sparation judiciaire.

    23. Il convient dexaminer ce stade la thse du Gouvernement daprs laquelle lintresse na rien gagner pareille sparation (paragraphe 19 b) ci-dessus).

    La Cour rejette cette manire de raisonner. La sparation judiciaire

    constitue un remde prvu par la lgislation irlandaise et doit, ce titre,

    soffrir quiconque remplit les conditions fixes par celle-ci. Le choix de la voie de droit utiliser dpend de lindividu; partant, mme sil tait exact que Mme Airey ait opt pour un recours moins appropri que dautres sa situation personnelle, cela demeurerait sans consquence.

    24. Selon le Gouvernement, la requrante a bien accs la High Court

    puisquil lui est loisible de sadresser elle sans lassistance dun homme de loi.

    La Cour ne considre pas cette ressource comme dcisive en soi. La

    Convention a pour but de protger des droits non pas thoriques ou

    illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, larrt du 23 juillet 1968 en laffaire "linguistique belge", srie A no 6, p. 31, paras. 3 in fine et 4; larrt Golder prcit, p. 18, par. 35 in fine; larrt Luedicke, Belkacem et Ko, du 28 novembre 1978, srie A n

    o 29, pp. 17-18, par. 42;

    larrt Marckx du 13 juin 1979, srie A no 31, p. 15, par. 31). La remarque vaut en particulier pour le droit daccs aux tribunaux, eu gard la place minente que le droit un procs quitable occupe dans une socit

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    dmocratique (cf., mutatis mutandis, larrt Delcourt du 17 janvier 1970, srie A n

    o 11, pp. 14-15, par. 25). Il faut donc rechercher si la comparution

    devant la High Court sans lassistance dun conseil serait efficace, en ce sens que Mme Airey pourrait prsenter ses arguments de manire adquate

    et satisfaisante.

    Gouvernement et Commission ont expos ce sujet des vues

    contradictoires lors des audiences. La Cour estime certain que la requrante

    se trouverait dsavantage si son poux tait reprsent par un homme de loi

    et elle non. En dehors mme de cette hypothse, elle ne croit pas raliste de

    penser que lintresse pourrait dfendre utilement sa cause dans un tel litige, malgr laide que le juge - le Gouvernement le souligne - prte aux parties agissant en personne.

    En Irlande un jugement de sparation de corps ne sobtient pas devant un tribunal darrondissement, o la procdure est relativement simple, mais devant la High Court. Un spcialiste du droit irlandais de la famille, M.

    Alan J. Shatter, voit dans cette juridiction la moins accessible de toutes en

    raison non seulement du niveau fort lev des honoraires verser pour sy faire reprsenter, mais aussi de la complexit de la procdure suivre pour

    introduire une action, en particulier sur requte (petition) comme ici (Family

    Law in the Republic of Ireland, Dublin 1977, p. 21).

    En outre pareil procs, indpendamment des problmes juridiques

    dlicats quil comporte, exige la preuve dun adultre, de pratiques contre nature ou, comme en loccurrence, de cruaut; pour tablir les faits, il peu y avoir lieu de recueillir la dposition dexperts, de rechercher des tmoins, de les citer et de les interroger. De surcrot, les diffrends entre conjoints

    suscitent souvent une passion peu compatible avec le degr dobjectivit indispensable pour plaider en justice.

    Pour ces motifs, la Cour estime trs improbable quune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus) puisse dfendre utilement

    sa propre cause. Les rponses du Gouvernement aux questions de la Cour

    corroborent cette opinion: elles rvlent que dans chacune des 255 instances

    en sparation de corps engages en Irlande de janvier 1972 dcembre

    1978, sans exception, un homme de loi reprsentait le demandeur

    (paragraphe 11 ci-dessus).

    La Cour en dduit que la possibilit de comparatre en personne devant la

    High Court noffre pas la requrante un droit effectif daccs et, partant, ne constitue pas non plus un recours interne dont larticle 26 (art. 26) exige lpuisement (paragraphe 19 b) ci-dessus).

    25. Le Gouvernement essaie de diffrencier la prsente espce de

    laffaire Golder. Dans cette dernire, souligne-t-il, le requrant avait t empch de saisir un tribunal par un "obstacle positif" dress sur son

    chemin par ltat: le ministre de lintrieur lui avait interdit de consulter un avocat. Ici, au contraire, il nexisterait de la part de ltat ni "obstacle positif" ni tentative dentrave: le dfaut allgu daccs la justice ne

  • ARRT AIREY c. IRLANDE 11

    dcoulerait daucune initiative des autorits, mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey, dont on ne saurait tenir lIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention.

    Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est

    indniable, mais la Cour napprouve pas la conclusion quen tire le Gouvernement. Tout dabord, un obstacle de fait peut enfreindre la Convention lgal dun obstacle juridique (arrt Golder prcit, p. 13, par. 26). En outre, lexcution dun engagement assum en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de ltat; en pareil cas, celui-ci ne saurait se borner demeurer passif et "il ny a (...) pas lieu de distinguer entre actes et omissions" (voir, mutatis mutandis, larrt Marckx prcit, p. 15, par. 31, et larrt De Wilde, Ooms et Versyp du 10 mars 1972, srie A n

    o 14, p. 10, par. 22). Or lobligation dassurer un droit

    effectif daccs la justice se range dans cette catgorie dengagements. 26. Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce quil

    considre comme les consquences de lavis de la Commission: dans chaque contestation relative un "droit de caractre civil", ltat devrait fournir une aide judiciaire gratuite. Or la seule clause de la Convention qui

    rgisse expressment cette dernire question, larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), concerne les procdures pnales et saccompagne elle-mme de restrictions; au surplus, daprs la jurisprudence constante de la Commission nul droit une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par larticle 6 par. 1 (art. 6-1). En ratifiant la Convention, ajoute le Gouvernement, lIrlande a formul une rserve larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) pour rduire ses obligations dans le domaine de laide judiciaire en matire pnale; a fortiori, on ne saurait selon lui prtendre quelle ait tacitement accept doctroyer une aide judiciaire illimite dans les litiges civils. Enfin, il ne faut pas

    daprs lui interprter la Convention de manire raliser dans un tat contractant des progrs conomiques et sociaux; ils ne peuvent tre que

    graduels.

    La Cour nignore pas que le dveloppement des droits conomiques et sociaux dpend beaucoup de la situation des tats et notamment de leurs

    finances. Dun autre ct, la Convention doit se lire la lumire des conditions de vie daujourdhui (arrt Marckx prcit, p. 19, par. 41), et lintrieur de son champ dapplication elle tend une protection relle et concrte de lindividu (paragraphe 24 ci-dessus). Or si elle nonce pour lessentiel des droits civils et politiques, nombre dentre eux ont des prolongements dordre conomique ou social. Avec la Commission, la Cour nestime donc pas devoir carter telle ou telle interprtation pour le simple motif qu ladopter on risquerait dempiter sur la sphre des droits conomiques et sociaux; nulle cloison tanche ne spare celle-ci du domaine

    de la Convention.

    La Cour ne partage pas davantage lopinion du Gouvernement sur les consquences de lavis de la Commission.

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    12

    On aurait tort de gnraliser la conclusion selon laquelle la possibilit de

    comparatre en personne devant la High Court noffre pas Mme Airey un droit effectif daccs; elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des "droits et obligations de caractre civil", ni pour tous les intresss. Dans

    certaines hypothses, la facult de se prsenter devant une juridiction, ft-ce

    sans lassistance dun conseil, rpond aux exigences de larticle 6 par. 1 (art. 6-1); il se peut quelle assure parfois un accs rel mme la High Court. En vrit, les circonstances jouent ici un rle important.

    En outre larticle 6 par. 1 (art. 6-1), sil garantit aux plaideurs un droit effectif daccs aux tribunaux pour les dcisions relatives leurs "droits et obligations de caractre civil", laisse ltat le choix des moyens employer cette fin. Linstauration dun systme daide judiciaire - envisage prsent par lIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-dessus) - en constitue un, mais il y en a dautres, par exemple une simplification de la procdure. Quoi quil en soit, il nappartient pas la Cour de dicter les mesures prendre, ni mme de les indiquer; la Convention se borne exiger que lindividu jouisse de son droit effectif daccs la justice selon des modalits non contraires larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, larrt Syndicat national de la police belge, du 27 octobre 1975, srie A n

    o 19, p. 18, par. 39, et larrt Marckx

    prcit, p. 15, par. 31).

    La conclusion figurant la fin du paragraphe 24 ci-dessus nimplique donc pas que ltat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un "droit de caractre civil".

    Affirmer lexistence dune obligation aussi tendue, la Cour ladmet, se concilierait mal avec la circonstance que la Convention ne renferme aucune

    clause sur laide judiciaire pour ces dernires contestations, son article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) ne traitant que de la matire pnale. Cependant, malgr

    labsence dun texte analogue pour les procs civils larticle 6 par. 1 (art. 6-1) peut parfois astreindre ltat pourvoir lassistance dun membre du barreau quand elle se rvle indispensable un accs effectif au juge soit

    parce que la loi prescrit la reprsentation par un avocat, comme la

    lgislation nationale de certains tats contractants le fait pour diverses

    catgories de litiges, soit en raison de la complexit de la procdure ou de la

    cause.

    Quant la rserve irlandaise larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), on ne saurait linterprter de telle sorte quelle influerait sur les engagements rsultant de larticle 6 par. 1 (art. 6-1); partant, elle nentre pas ici en ligne de compte.

    27. La requrante na pas russi trouver un solicitor qui voult bien agir pour elle dans une instance en sparation de corps. Si les hommes de loi

    consults par elle ny ont pas consenti, prsume la Commission, cest quelle naurait pu supporter les frais ncessaires. Le Gouvernement

  • ARRT AIREY c. IRLANDE 13

    conteste cette opinion, mais la Cour la trouve plausible et elle ne dispose

    daucun lment de preuve de nature la contredire. 28. La Cour constate ainsi, la lumire de lensemble des circonstances

    de la cause, que Mme Airey na pas bnfici dun droit daccs effectif la High Court pour demander un jugement de sparation de corps. Partant, il y

    a eu violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

    III. SUR LARTICLE 14 COMBINE AVEC LARTICLE 6 PAR. 1 (art. 14+6-1)

    29. Soutenant que le recours la sparation judiciaire souvre plus aisment aux riches quaux pauvres, la requrante se prtend victime dune discrimination fonde sur "la fortune" et contraire larticle 14 combin avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1).

    La Commission a considr que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait dtudier le litige au regard de larticle 14 (art. 14). Quant au Gouvernement, il na pas prsent dobservations ce sujet.

    30. Larticle 14 (art. 14) na pas dexistence indpendante; il reprsente un lment particulier (non-discrimination) de chacun des droits protgs

    par la Convention (voir notamment larrt Marckx prcit, pp. 15-16, par. 32). Les articles les consacrant peuvent se trouver mconnus isolment ou/et

    en combinaison avec larticle 14 (art. 14). Si la Cour ne constate pas de violation spare de lun dentre eux, invoqu la fois en soi et conjointement avec larticle 14 (art. 14), il lui faut examiner aussi la cause sous langle de ce dernier. En revanche, pareil examen ne simpose pas en gnral quand elle aperoit un manquement aux exigences du premier

    article pris en lui-mme. Il en va autrement si une nette ingalit de

    traitement dans la jouissance du droit en question constitue un aspect

    fondamental de laffaire, mais tel nest pas le cas de linfraction larticle 6 par. 1 (art. 6-1) releve en lespce; partant, la Cour nestime pas ncessaire de se placer de surcrot sur le terrain de larticle 14 (art. 14).

    IV. SUR LARTICLE 8 (art. 8)

    31. Mme Airey allgue que lIrlande, faute doffrir une procdure judiciaire accessible en matire de droit de la famille, ne respecte pas sa vie

    familiale, et, par l, mconnat larticle 8 (art. 8) ainsi libell:

    "1. Toute personne a droit au respect de sa vie prive et familiale, de son domicile et

    de sa correspondance.

    2. Il ne peut y avoir ingrence dune autorit publique dans lexercice de ce droit que pour autant que cette ingrence est prvue par la loi et quelle constitue une mesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, la

    sret publique, au bien-tre conomique du pays, la dfense de lordre et la

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    14

    prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou la

    protection des droits et liberts dautrui."

    Dans son rapport, la Commission exprimait lopinion que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait dtudier le litige au regard de larticle 8 (art. 8). Son dlgu principal a cependant soutenu laudience quil y avait eu galement violation de cet article, thse combattue par le Gouvernement.

    32. Aux yeux de la Cour, Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de

    la part de lIrlande une "ingrence" dans sa vie prive ou familiale: elle se plaint en substance non dun acte, mais de linaction de ltat. Toutefois, si larticle 8 (art. 8) a essentiellement pour objet de prmunir lindividu contre des ingrences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas

    dastreindre ltat sabstenir de pareilles ingrences: cet engagement plutt ngatif peuvent sajouter des obligations positives inhrentes un respect effectif de la vie prive ou familiale (arrt Marckx prcit, p. 15,

    par. 31).

    33. Le droit irlandais rgle cette dernire sous beaucoup daspects. Au sujet de mariage, il prescrit en principe aux poux de cohabiter, mais il leur

    accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de sparation de

    corps. Par l mme, il reconnat que la protection de leur vie prive ou

    familiale exige parfois de les relever de ce devoir.

    Un respect effectif de la vie prive ou familiale impose lIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible, quand il y a lieu, quiconque

    dsire lemployer. Or la requrante ny a pas eu effectivement accs: nayant pas t mise en mesure de saisir la High Court (paragraphes 20 28 ci-dessus), elle na pu rclamer la conscration juridique de sa sparation de fait davec son mari. Elle a donc t victime dune violation de larticle 8 (art. 8).

    V. SUR LARTICLE 13 (art. 13)

    34. Mme Airey, saffirmant prive de tout recours effectif devant une instance nationale contre les violations quelle dnonce, invoque enfin larticle 13 (art. 13) aux termes duquel

    "Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la prsente Convention ont

    t viols, a droit loctroi dun recours effectif devant une instance nationale, alors mme que la violation aurait t commise par des personnes agissant dans lexercice de leurs fonctions officielles."

    La Commission a considr que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait dexaminer laffaire sous langle de larticle 13 (art. 13). Quant au Gouvernement, il na pas prsent dobservations sur ce point.

  • ARRT AIREY c. IRLANDE 15

    35. La requrante dsire exercer son droit dengager une action en sparation de corps en vertu de la lgislation irlandaise. La Cour a dj jug

    que pareille action a trait un "droit de caractre civil", au sens de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 21 ci-dessus), et que larticle 8 (art. 8) oblige lIrlande offrir Mme Airey la possibilit effective de lintenter pour organiser sa vie prive (paragraphe 33 ci-dessus). Les articles 13 et 6 par. 1

    (art. 13, art. 6-1) se chevauchant en loccurrence, la Cour ne croit pas avoir dterminer sil y a eu manquement aux exigences du premier, moins strictes que celles du second et entirement absorbes par elles en lespce (voir, mutatis mutandis, larrt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, prcit, p. 46, par. 95).

    VI. SUR LARTICLE 50 (art. 50)

    36. A laudience, le conseil de la requrante a dclar que si la Cour constatait une violation de la Convention, sa cliente demanderait au titre de

    larticle 50 (art. 50) une satisfaction quitable sous trois formes: accs effectif un moyen de remdier la situation ne de lchec de son mariage; compensation pcuniaire pour la douleur, la souffrance et

    langoisse morale subies par elle; remboursement des frais supports, surtout des frais annexes, honoraires davocat et autres dpenses spciales. Les prtentions mises sur les deux derniers points nont pas t chiffres.

    Le Gouvernement na pas prsent dobservations sur lapplication de larticle 50 (art. 50).

    37. Bien que souleve en vertu de larticle 47 bis du rglement, ladite question ne se trouve ds lors pas en tat. En consquence, la Cour doit la

    rserver et dterminer la procdure ultrieure, en tenant compte de

    lhypothse dun accord entre tat dfendeur et requrante (article 50 paras. 3 et 5 du rglement).

    PAR CES MOTIFS, LA COUR

    I. SUR LES MOYENS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

    1. Rejette, lunanimit, le moyen tir par le Gouvernement du dfaut manifeste de fondement de la requte;

    2. Rejette, par six voix contre une, la premire branche du moyen de non-

    puisement des voies de recours internes soulev par lui (paragraphe 19

    a) des motifs);

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    16

    3. Joint au fond, lunanimit, la seconde branche du mme moyen (paragraphe 19 b) des motifs), mais la rejette par six voix contre une

    aprs examen au fond;

    II. SUR LE FOND DE LAFFAIRE

    4. Dit, par cinq voix contre deux, quil y a eu violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, considr isolment;

    5. Dit, par quatre voix contre trois, quil ne simpose pas dexaminer aussi laffaire sous langle de larticle 14 combin avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1);

    6. Dit, par quatre voix contre trois, quil y a eu violation de larticle 8 (art. 8);

    7. Dit, par quatre voix contre trois, quil ne simpose pas dexaminer aussi laffaire sous langle de larticle 13 (art. 13);

    8. Dit, lunanimit, que la question de lapplication de larticle 50 (art. 50) ne se trouve pas en tat;

    en consquence,

    a) la rserve en entier;

    b) invite la Commission lui prsenter, dans le dlai de deux mois

    compter du prononc du prsent arrt, ses observations sur cette question

    et notamment lui donner connaissance de tout rglement auquel

    Gouvernement et requrante auront pu aboutir;

    c) rserve la procdure ultrieure.

    Rendu en franais et en anglais, les deux textes faisant foi, au Palais des

    Droits de lHomme Strasbourg, le neuf octobre mil neuf cent soixante-dix-neuf.

    Grard J. WIARDA

    Prsident

    Marc-Andr EISSEN

    Greffier

  • ARRT AIREY c. IRLANDE 17

    Au prsent arrt se trouve joint, conformment larticle 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et larticle 50 par. 2 du rglement, lexpos des opinions spares suivantes:

    - opinion dissidente de M. ODonoghue;

    - opinion dissidente de M. Thr Vilhjlmsson;

    - opinion dissidente de M. Evrigenis.

    G. J. W.

    M.-A. E.

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE O'DONOGHUE

    18

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ODONOGHUE

    (Traduction)

    Ne pouvant suivre la ligne dominante et les principales conclusions de

    larrt, jestime opportun de commencer par indiquer les donnes gnrales du problme, puis de traiter brivement des dcisions de la Cour sous les

    diffrents articles invoqus au titre de la Convention.

    A. Observations dordre gnral

    Nul ne conteste que la Convention ne garantit aucun droit une aide

    judiciaire gratuite en matire civile. La chose peut se dduire de plusieurs

    affaires et de lhistorique des vnements qui ont conduit le Comit des Ministres adopter, en mars 1978, sa rsolution (78) 8. Celle-ci rsultait de

    maintes discussions et de lexamen bienveillant de lopportunit de prvoir en ce domaine une assistance et des conseils. Elle recommandait aux

    gouvernements des tats membres "de prendre ou de renforcer, selon le cas,

    toutes les mesures quils estiment ncessaires afin de donner progressivement effet aux principes qui figurent lannexe" la rsolution. Ces principes englobaient une aide judiciaire et des consultations juridiques

    gratuites en faveur des indigents. En parlant de leur donner progressivement

    effet, on reconnaissait que la situation variait selon les tats parties la

    Convention. Le gouvernement dfendeur a signal la Cour quavant la fin de 1979 il introduira un projet de loi instituant une aide judiciaire pour les

    questions de droit de la famille. Si je songe la lenteur dont les tats

    tmoignent en gnral pour promouvoir une lgislation de rforme sociale,

    je ne pense pas que lengagement assum en lespce accuse un retard draisonnable dfrer aux recommandations du Comit des Ministres.

    Sachant que la Convention ne renferme aucun droit une aide judiciaire,

    la requrante allgue que labsence de pareille aide a entrav lexercice de son droit daccs la High Court. A lappui de sa thse, elle cite larrt Golder de notre Cour. Il faut toutefois souligner quune interdiction effective empchait Golder de saisir un tribunal, tandis que Mme Airey ne

    se heurte aucun barrage ou obstacle pour sadresser la High Court. Indpendamment du droit et de la libert, pour tout profane, dintenter et poursuivre au civil une action devant les tribunaux irlandais sans laide ou intervention dun homme de loi, rien ne prouve que Mme Airey ait essay ou tent, officiellement ou non, dentrer en contact ou communiquer avec la High Court. En revanche, les pices produites par elle montrent quelle a librement communiqu avec la Commission des Droits de lHomme et entretenu une longue correspondance avec les autorits ecclsiastiques sur

    la question de la nullit.

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE O'DONOGHUE 19

    Dans laffaire "de vagabondage", notre Cour a jug contraire la Convention que ltat net pas prvu dans sa lgislation un tribunal comptent pour examiner les plaintes relevant de larticle 5 par. 4 (art. 5-4). Pareille omission nexiste pas en lespce. Le recours centenaire que constitue laction en sparation de corps devant la High Court demeure ouvert Mme Airey. Son anciennet et le soulagement modr quil apporte un demandeur victorieux peuvent avoir contribu la raret croissante de

    son emploi, mais il y a une autre explication. Le dnommer demande en

    divorce a mensa et thoro prte confusion car le remde offert consiste en

    une simple sparation des poux et non en un divorce au sens habituel du

    terme, cest--dire un divorce a vinculis. Le consentement mutuel des parties fournit un moyen plus commode daboutir la sparation et si lune delles cherche se protger contre des menaces ou voies de fait, elle peut obtenir du tribunal local un barring order. La sparation judiciaire

    prononce la suite dune demande en divorce a mensa et thoro ne change rien la qualit de conjoints des parties et ne dissout point le mariage. Je

    reconnais cependant que le choix de la voie de droit utiliser dpend de

    Mme Airey.

    Peut-tre convient-il de renvoyer aux faits et lavertissement, figurant au paragraphe 14 du rapport, selon lequel la Commission ne formule aucune

    conclusion sur la conduite de Timothy Airey ni sur les allgations de la

    requrante contre lui. Lchec du mariage Airey ressort de preuves suffisantes. On peut comprendre que le conseil de sa femme dcrive

    Timothy Airey comme un mari violent et alcoolique terrorisant

    constamment celle-ci, mais quels sont les faits? Mme Airey na poursuivi quune fois son mari en justice pour voies de fait. En janvier 1972, le tribunal a condamn le dfendeur 25 pence damende et a refus de lui ordonner de prendre un engagement quant son comportement futur. Cette

    dcision, a-t-on estim, se rvle justifie car depuis 1972 sa femme na jamais port plainte contre Timothy Airey pour lavoir approche ou menace ni pour avoir tent de rintgrer le domicile conjugal. En outre,

    jusquau moment o il sest trouv en chmage, en dcembre 1978, il a pay la pension alimentaire alloue par le tribunal. Les vnements ont en

    fait opr une sparation complte entre les poux. Il me semble tonnant

    que lon nait pas essay dobtenir de Timothy Airey une dclaration lappui de lassertion daprs laquelle il a refus de se rendre au cabinet des solicitors de sa femme pour signer un acte de sparation. Je regrette que la

    Cour nait pas cru devoir observer, elle, la rserve dont la Commission avait tmoign en se gardant de commenter la conduite de M. Airey.

    Une autre raison pour laquelle on recourt si peu la sparation judiciaire

    est, bien entendu, quun jugement ne dissoudrait pas le mariage. Il est assez simpliste de dire que le divorce a vinculis soffrait aux Irlandais de 1857 1922 au Royaume-Uni: il supposait un procs pralable devant les

    juridictions irlandaises puis lexercice, par la Chambre des Lords, de sa

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE O'DONOGHUE

    20

    souverainet lgislative pour rompre le lien. En ralit, on donne une fausse

    ide des choses en affirmant que le citoyen irlandais moyen disposait l

    dune possibilit de dissoudre juridiquement un mariage: de 1857 1922, il ny eut gure plus de vingt cas de pareil recours.

    La situation qui rsulte lheure actuelle de la Constitution irlandaise ne suscite aucun doute. Sa rigueur peut paratre un peu trange certains

    membres de la Cour, mais il faut comprendre que depuis plus dun sicle le droit irlandais dresse de nombreux obstacles sur la voie menant la rupture

    du mariage.

    La Cour a toujours eu soin dviter de recommander ou suggrer des schmas de rformes constitutionnelles ou lgislatives dans les tats

    contractants.

    En matire de dissolution du mariage, le droit des diffrents tats

    contractants a beaucoup chang rcemment. A ma connaissance, nul na jamais prtendu que tel article de la Convention exige ou prohibe des lois

    sur le divorce. Les rgles autorisant la dissolution du mariage prsentent une

    grande diversit; on conoit sans peine que les ressortissants de pays o le

    divorce sobtient trs vite et aisment prouvent quelque difficult comprendre et saisir pleinement la situation rigoureuse existant aujourdhui en Irlande en raison de linterdiction qui figure dans la Constitution.

    B. Observations particulires sur larrt

    Paragraphe 11

    Sur les 255 instances, 30 ont abouti un jugement de sparation; cela

    taye mon opinion selon laquelle cette procdure archaque nexerce gure dattrait sur les nombreuses personnes impliques dans des litiges matrimoniaux et sert surtout quand surgissent des questions relatives la

    garde des enfants ou lattribution des biens du mnage. On na pas indiqu la Cour si Timothy Airey se dfendrait ou combattrait une demande en

    sparation de corps; on ne nous a signal que son comportement depuis

    1972: paiement de la pension alimentaire et reconnaissance de fait de ltat de sparation. Chercher dans des statistiques un guide valable pour tous les

    cas de litiges matrimoniaux risque de dcevoir; par leur subtilit et leur

    diversit, les relations intimes entre mari et femme ne se prtent souvent pas

    une mise sur ordinateur.

    Paragraphe 13

    Rien ne prouve que lon ait jamais suggr de dsintoxiquer Timothy Airey; il a occup un emploi jusquen 1978 et pay la pension durant cette priode. Tout arrt de la Cour devrait reconnatre ces faits. Je ne sache pas

    que dans aucun pays on ait imagin un moyen efficace ou rentable de

    recouvrer de largent auprs dun mari dfaillant et sans le sou. Paragraphe 18

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE O'DONOGHUE 21

    Dans laffaire "de vagabondage" le manquement tenait, si je comprends bien, ce que la lgislation belge ne prvoyait pas un tribunal indpendant

    comptent pour examiner les plaintes relevant de larticle 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention et pour statuer sur elles. En lespce il ny a pas de manquement ni domission de ce genre: le tribunal, savoir la High Court, existe depuis longtemps. La rfrence ladite affaire est donc hors de

    propos.

    Paragraphe 19

    On admet que le droit irlandais, contrairement celui dautres pays, autorise une personne non assiste par un homme de loi demander aide

    la High Court et la saisir. Il et t particulirement intressant et utile

    pour moi dobtenir de la High Court une dclaration prcisant si les indications fournies la Commission par Mme Airey pouvaient ou non

    donner matire une demande en sparation de corps. En labsence du moindre lment sur cette question capitale, un doute surgit ncessairement

    et je ne russis pas trouver la preuve requise pour tablir une violation de

    larticle 6 (art. 6). Paragraphe 20

    La diffrence entre la prsente cause et laffaire Golder me parat manifeste. Mme Airey ne sest heurte aucune interdiction, aucun obstacle. Sans la preuve que la High Court net pas trait sa demande, on ne peut et ne doit pas, selon moi, riger en violation le dfaut dune aide judiciaire laquelle la Convention ne donne pas droit en matire civile.

    Paragraphe 24

    Je crois moi aussi que les droits protgs par la Convention doivent tre

    concrets et effectifs, mais en lespce la question serait simple: y avait-il des preuves de cruaut? Constater une violation de larticle 6 (art. 6) sur la base des donnes dont nous disposons quivaudrait scarter dun principe fondamental mes yeux: il faut dmontrer les violations de la Convention

    de manire positive, et non les prsumer en labsence de toute preuve que la High Court nentendrait pas Mme Airey en personne. Jai dj comment, au sujet du paragraphe 11, la raret des cas o des demandes ont abouti un

    jugement. Jaimerais renvoyer aussi mes observations gnrales sur la spcificit du droit irlandais du mariage et sur les difficults rencontres par

    qui nen connat pas bien lhistoire et les caractristiques. Paragraphe 25

    Je dois marquer mon dsaccord avec la conclusion de la Cour sur ce

    point. Un obstacle peut certes enfreindre la Convention sil se trouve tabli, mais pareille preuve manque en lespce, je le rpte; nous restons dans le domaine de la conjecture et de lhypothse "plausible".

    Paragraphe 26

    La Cour a d reconnatre quaux fins de larticle 6 (art. 6) laccs la High Court nexige pas dans chaque cas lassistance ou intervention dun homme de loi. Les demandes dhabeas corpus sont frquemment adresses

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE O'DONOGHUE

    22

    lun quelconque des membres de la High Court sans aucun formalisme et sans aide judiciaire; or elles peuvent concerner toute dtention susceptible

    de recours, mme si elle rsulte dun litige civil. Nonobstant cette reconnaissance, larrt ne semble pas considrer la situation de Mme Airey comme semblable celle o elle se trouverait si elle se plaignait de la

    dtention illgale dun de ses enfants en bas ge ou delle-mme. Paragraphe 27

    Rien dans le dossier nindique que lun des divers solicitors consults par Mme Airey ait formul une dclaration ou explication, ni quon lui en ait demand une. L encore, larrt fournit un exemple de dductions faites sans preuve positive. Je ne saurais conclure une violation de la Convention

    en me fondant sur des prsomptions "plausibles".

    Paragraphe 28

    Pour les raisons nonces dans la prsente opinion, je naperois pas dinfraction larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

    Paragraphes 29 et 30

    Je naperois aucune preuve de discrimination contraire aux articles 6 et 14 (art. 6, art. 14).

    Paragraphes 31 33

    Pour les raisons exposes plus haut, je ne puis estimer quune violation de larticle 8 (art. 8) se trouve tablie.

    Paragraphes 34 et 35

    Il rsulte de mon opinion ci-dessus que nulle violation de larticle 13 (art. 13) ne se trouve tablie.

    Paragraphes 36 et 37

    Il faut, bien entendu, rserver la question de la satisfaction au sens de

    larticle 50 (art. 50).

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THR VILHJLMSSON 23

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THR

    VILHJLMSSON

    (Traduction)

    Il nest pas contest que la requrante, Mme Johanna Airey, ne peut supporter en entier les frais de sa reprsentation juridique dans une action en

    sparation de corps dont elle saisirait la High Court dIrlande. Elle allgue une violation des articles 6, 8, 13 et 14 (art. 6, art. 8, art. 13, art. 14) de la

    Convention. Les thses juridiques relatives aux faits de la cause ont t

    compliques par le moyen, repris devant la Cour par le gouvernement

    dfendeur, selon lequel la Commission aurait d dclarer la requte

    irrecevable.

    Il me parat loisible de commencer lexamen du fond de laffaire en recherchant si la Convention astreint le gouvernement dfendeur octroyer

    la requrante une aide judiciaire et lui donner ainsi les moyens de

    demander la sparation de corps la High Court.

    Nul ne conteste que la requrante a en thorie accs la High Court:

    aucune norme lgale ou dcision dun ministre ou fonctionnaire ne lempche de se prvaloir des recours que peut offrir la High Court.

    Les difficults qui, selon la requrante, la privent du recours dont elle

    dispose en thorie daprs le droit irlandais sont donc dordre matriel. Elles ne se rapportent pas - ou alors dans une trs faible mesure seulement - des

    sommes quil lui faudrait payer au Trsor irlandais; il sagirait principalement dhonoraires verser aux hommes de loi qui la reprsenteraient devant la High Court.

    Cela tant jai abouti, sans grande hsitation mais en vrit avec regret, la conclusion que la requrante ne peut sappuyer sur larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. A mon sens, il noblige point les tats contractants accorder une aide judiciaire gratuite en matire civile, ce qui constitue la

    vritable question en lespce. La capacit ou incapacit de revendiquer les droits que vous garantit la Convention tient plusieurs causes, dont votre

    situation financire. On doit videmment le dplorer. Pour y remdier, les

    tats contractants ont pris et prennent dinnombrables mesures, favorisant ainsi le progrs conomique et social dans notre partie du globe. Les ides

    de base de la Convention, tout comme son libell, montrent clairement

    quelle traite dautres problmes que celui dont il sagit ici. On ne peut gagner la guerre contre la pauvret en interprtant largement la Convention

    de sauvegarde des Droits de lHomme et des Liberts fondamentales. Quand la Convention juge la capacit financire de se prvaloir dun droit protg par elle si importante quon doit y voir un lment de ce droit, elle le prcise ainsi que le confirme larticle 6 par. 3 (art. 6-3). Lorsque tel nest pas le cas, elle na pas soccuper de savoir si, quand et comment les moyens financiers doivent tre fournis. Toute autre interprtation de ses clauses, du

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THR VILHJLMSSON 24

    moins ce stade particulier de lvolution des droits de lhomme, soulverait des problmes dont on ne peut prvoir lampleur et la complexit mais qui dborderaient sans nul doute le cadre de la Convention

    et les comptences des institutions cres par elle.

    Quant la violation allgue de larticle 8 (art. 8), elle concerne manifestement les mmes faits que le grief relatif larticle 6 par. 1 (art. 6-1). Je trouve bien hasardeuse linterprtation de larticle 8 (art. 8) daprs laquelle le devoir de respecter la vie prive et familiale de Mme Airey inclut

    celui daider celle-ci demander la sparation de corps devant la High Court. Il me semble suffisant ce propos de renvoyer ce que jai dit plus haut sur labsence, dans la Convention, de lobligation daccorder un soutien financier. Pour moi, cela vaut autant pour larticle 8 (art. 8) que pour larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

    Tout en napercevant dinfraction ni larticle 6 par. 1 (art. 6-1) ni larticle 8 (art. 8), je ne puis nier que leur champ dapplication englobe les faits de la cause. La possibilit existe donc en droit de constater une

    violation de lun dentre eux, ou des deux, combins avec larticle 14 (art. 14+6-1, art. 14+8). Ce dernier dispose notamment que la jouissance des

    droits reconnus dans la Convention doit tre assure sans distinction fonde

    sur la fortune. Or aucun obstacle juridique nempche la requrante davoir accs la High Court. Les difficults quelle allgue sont dordre matriel. En outre, elles ont trait ses rapports avec les hommes de loi plutt quavec le gouvernement irlandais. Pour cette raison et pour celles que jai nonces ci-dessus, je ne dcouvre pas de manquement aux exigences de larticle 14 (art. 14).

    La requrante a invoqu larticle 13 (art. 13) de la Convention: elle naurait pas eu de "recours effectif devant une instance nationale" quand elle a recherch la protection offerte par les articles 6 par. 1, 8 et 14 (art. 6-

    1, art. 8, art. 14). Ni le Gouvernement ni la Commission ne se sont tendus

    dans leurs mmoires et plaidoiries sur les arguments concernant larticle 13 (art. 13). Il parat ressortir du rapport de la Commission quaux yeux de la requrante une violation a dcoul de labsence dune solution de rechange propre remplacer un systme daide judiciaire. Pareille thse prsuppose une violation des articles 6 par. 1, 8 et/ou 14 (art. 6-1, art. 8, art. 14); elle

    nest donc pas valable de mon point de vue. Un autre argument, probablement plus solide, aurait consist dire que comme la requrante se

    plaignait de la mconnaissance de droits garantis par la Convention, un

    recours effectif devait souvrir elle pour dterminer si elle avait ou non droit une aide judiciaire. Un tel argument aurait cadr avec larrt de la Cour dans laffaire Klass et autres1. Il na toutefois pas t soulev devant la Cour et rien ne prouve que la requrante naurait pu se servir des moyens ordinaires dont disposent tous les citoyens pour sadresser en la matire

    1 Note du Greffe: 6 septembre 1978, srie A n 28, pp. 28-29, paras. 62-64.

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THR VILHJLMSSON 25

    son gouvernement ou aux tribunaux sans frais prohibitifs. Pour ces motifs,

    je ne constate aucune violation de larticle 13 (art. 13).

  • ARRT AIREY c. IRLANDE

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE EVRIGENIS 26

    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE EVRIGENIS

    Je nai pas pu, mon vif regret, me rallier la majorit de la Cour sur trois points. Voici les rflexions qui ont motiv mon dissentiment:

    1. La requrante allgue une violation de larticle 14 combin avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1) de la Convention. Elle se plaint, notamment, dtre victime dun traitement discriminatoire fond sur la fortune: vu sa situation patrimoniale, le cot lev de la procdure en sparation de corps

    judiciaire lui barre, en fait, la voie daccs la justice. Le grief aurait d tre examin par la Cour. Pour rester, tout dabord, sur

    le terrain de larrt et pour reprendre ses propres termes (paragraphe 30), il est hors de doute que par le grief en question la requrante dnonait une

    "nette ingalit" de traitement fonde sur la fortune et constituant un "aspect

    fondamental" de laffaire. Par ailleurs, le fait que la Cour avait retenu une violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) considr isolment ne la dispensait pas dexaminer laffaire galement sous langle de larticle 14 (art. 14). La distinction adopte par larrt (paragraphe 30) quant la prise en considration de larticle 14 (art. 14) suivant quil y a ou non violation dune disposition de la Convention consacrant un droit particulier, ne me parat pas fonde. Une discrimination dans la jouissance dun droit protg par la Convention se heurte larticle 14 (art. 14) quelle se situe dans la zone de la violation de ce droit ou en dehors de cette zone. Au sens de

    larticle 14 (art. 14), le terme "jouissance" devrait comprendre toutes les situations possibles entre le refus pur et simple dun droit protg par la Convention et sa pleine conscration par lordre national. Cest pour ces motifs que jai rpondu par laffirmative la question de savoir sil fallait statuer sur la violation ventuelle de larticle 14 combin avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1) (point 5 du dispositif de larrt).

    2. Jai vot pour labsence dune violation de larticle 8 (art. 8) (arrt, paragraphes 31-33, point 6 du dispositif). En effet, je nai pas pu constater la violation dun droit protg directement ou indirectement par cette disposition. Les faits ports la connaissance de la Cour rvlent, mon

    sens, une violation qui se manifeste non dans le fond mais sur le terrain de

    la superstructure procdurale dun droit, donc une violation couverte et absorbe par larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

    3. La Cour aurait d, mon avis, entrer dans lexamen du grief fond sur la violation de larticle 13 (art. 13) (arrt, paragraphes 34 et 35, point 7 du dispositif). La voie judiciaire prvue par larticle 6 par. 1 (art. 6-1) concerne les droits civils, en lespce le droit de sparation de corps judiciaire. Par contre, le recours vis larticle 13 (art. 13) se rfre aux droits fondamentaux protgs par la Convention, en lespce le droit daccs la justice, tel quil dcoule de larticle 6 par. 1 (art. 6-1). Il ny avait donc deffet ni de chevauchement, ni dabsorption entre les deux dispositions.