A travers l'Apulie et la Lucanie

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NOTES DE VOYAGE TQME SECOND

description

"Livre de l'archèologue François LENORMANT (1837-1883), un des Grands Voyageurs du XIX Siecle. Un jumelage ante litteram "France - Magna Græcia": la rencontre avec l'archéologue Lucano, Michele LACAVA (1840-1896), mon arrière grand père."Minella Nobenhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Lenormanthttp://it.wikipedia.org/wiki/Michele_Lacava

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NOTES DE VOYAGE

TQME SECOND

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L'APULIEETLALUCANIE

A TRAVERS

NOTES DE VOYAGE

FRANÇOIS LENORMANT

ttEXBHE DE L'INSTITUT

TOME DEUXIÈME

PARISA. LÉVY, LIBRAIRE-EDITEUR

13, RUE LAFAYETTE,13

PAR

1883

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i. ii.. 1

A TRAVERS

L'APULIEETLALUCANIEJ^OTES DE VOYAGE

PICERNO

Après l'excursion que je viens de raconter à

Métaponte,nous revenons à notre point de départ,à Potenza. De là, reprenant le chemin de fer dans ladirection opposée,nous nous mettons en route pourle Val di Tegiano, où nous voulons reconnaîtreune partie du parcours de l'antique Via Popilia etétudier des ruines qu'on nous a signalées dans le

voisinage de Padula.La ligne continue à s'élever rapidement à partir

de Potenza pour gagner l'arête de partage des eauxqui descendent d'un coté' vers le golfe de Salerne,de l'autre vers le golfe de Tarente. A'mesurequ'onavance dans ce nœud de montagne, son parcours

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2 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

devient d'un pittoresque plus grandiose et plusaccentué. Tous les lieux habités sont juchés sur lesommet ou accrochés au flanc de hauteurs escar-

pées. Dix kilomètres après Potenza, la premièrestation est celle du Tito, bourg dont on ignore les

origines plus ou moins anciennes, mais qui ne pritquelque importance qu'après la destruction de laville voisine de Satriano sous la reine Jeanne lI.

Sept kilomètres plus loin, voici le joli bourg de

Picerno, de près de 5,000 habitants, posé de lamanière la plus coquettement gracieuse à mi-côtesur le penchant d'une colline en promontoire entre

deux petits cours d'eau, dont l'un va rejoindre le

Sele, sur le versant de la mer Tyrrhénienne, etl'autre le Basiento, sur le versant de la mer Io-'nienne. L'aspect de ce bourg est celui de l'aisanceet de la prospérité presque toutes les maisons ysont neuves, car il a dû être reconstruit après letremblement de terre de 1857. La physionomie dunom est ancienne il doit remonter jusqu'au tempsdes Lucaniens. Pourtant on ne trouve pas mentiondu bourg avant le xv* siècle. A partir de cette

époque la seigneurie en appartient successivementaux Caracciolo et aux Pignatelli.Picerno a été le théâtre d'un des épisodes hé-

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PJCERNO 3

roiques de la courte histoire de la République Par-

thénopéenne.Lorsque le roi Ferdinand et la reine Caroline,

après la défaite de Mack, avaient lâchement aban-donné Naples pour s'enfuir en Sicile au bruit de

l'approche'de Tannée de Championnot, ils avaientlancé une proclamation appelant la population des

campagnes à se lever en masse pour la cause du

roi, de la patrie et de la religion. La proclamation,promettant les grâces célestes et des récompensesterrestres à ceux qui s'armeraient, les invitait à

poursuivre une guerre d'extermination. contre les

Français ennemis de Dieu, recommandant d'userde tous les moyens de lutte ouverte et de trahison

pour les détruire, tous ces moyens étant légitimespour la sainte cause, défendant de faire quartieraucun d'eux et commandant de mettre à mort

comme Jacobins, traîtres à Dieu et au roi, tous

leurs amis est même tous ceux qui ne prendraientpas les armes sur l'appel royal. Un soulèvement

général y répondit. Quelque détestable que fût

depuis longtemps le gouvernement, le prestige dela royaut6 était encore intact sur les masses, les

honteux désordres de la reine ne l'avaient avili quepour les classes éclairées les Français se présen-

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taient comme des envahisseurs étrangers contre

lesquels protestait un sentiment national peu rai-

sonné, mais vif et très honorable; enfin les excèsde la Révolution donnaient au clergé le droit de les

dépeindre comme les ennemis jurés de la religioncatholique. Il fallut la sage conduite et la modéra-tion de Championnet après la prise de Naples pourdissiper sous ce rapport des préventions qui nesemblaient que trop justifiées et rattacher au nou-veau régime républicain la majorité du haut clergé,forl enclin aux idées libérales, tandis que le bas

clergé, aussi ignorant que ses ouailles, y restait

profondément hostile.Le soulèvement populaire pour la cause de Dieu

et du roi fut si prompt et si général qu'il devint unobstacle fort sérieux au progrès des différents corpsde l'armée française, dont la marche en avant avaitété facile tant qu'elle n'avait eu affaire qu'auxtroupes régulières. Mais ce soulèvement resta tou-

jours exclusivement populaire. La noblesse n'yfournit point de chefs celle de cour avait trop peuret ne songeait qu'à se réfugier en Sicile auprès dûroi; celle de province, avec la bourgeoisie des villeset les jeunes gens des plus grandes familles de l'a-

ristocratie, était libérale et républicaine, aspirait

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PICERNO 5

ardemment au changement du régime et du gou-vernement. C'était elle qui pour l'établissementd'une société nouvelle devait sacrifier ses privi-lèges, et pourtant elle qui ne demandait qu'à lesvoir abolis. Comme on l'a vu ailleurs, les défen-seurs de l'ancien régime et des privilèges étaientdans les classes qui en avaient le plus souffert, quiavaient tout à gagner à leur destruction. Faute denobles ou d'officiers qui voulussent les commander,les paysans armés des provinces napolitaines sechoisirent des chefs sortis de leurs propres rangs,et surtout dans la plupart des cas acceptèrent ladirection des vétérans du brigandage, que recom-mandait leur audace et qui trouvaient tout avantageà profiter des circonstances pour passer de voleursde grands chemins généraux, sans oublier pour celales habitudes de leur premier métier. Avec de sem-;blables chefs la guerre prit vite un caractère inouïd'atrocité.Avant même que Championnet eût atteint Na-

ples, y fût entré et y eût proclamé la République,deux chefs avaient armée les paysans des Abruzzes.C'étaient Pronio, prêtre défroqué, puis soldat dansles milices féodales du marquis del Vasto, con-

damné ensuite aux galères pour meurtre et évadé

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du bagne, et Rodio, gentilhomme, avocat et doc-teur en droit, royaliste convaincu, 10 seul de tousles capitaines populaires de qui fut sorti desclasses éclairées, et qui combattit avec désintéres-sement pour une idée. Ils avaient eu dès le débutl'audace de tenter à plusieurs reprises d'entraver lamarche du général Duhesme, qu, opérait par les

Abruzzes, et après son passage ils restèrent lesmaîtres du pays, à l'exception des trois villes oùles Français avaient laissé de petites garnisons,Pescara, Aquila et Civitella.

Quatre déserteurs corses, De Cesare, Bocche-

ciampe, Corbara et Colonna avaient groupé autourd'eux les populations de la Pouille et de la Terred'Otrante. Pour les entraîner, ils avaient eu recoursà l'imposture. Corbara se donnait pour le princeFrançois, héritier du trône, Boccheciampe pour lefrère du roi d'Espagne et De Cesare pour le duc deSaxe. Un locandiere de Monteiasi, nommé Gi-

runda, qui s'improvisa leur ministre, fut le premierà répandre cette fable. L'archevêque d'Otrante

reçut le faux François avec les plus grands hon-neurs. A Tarente, Mesdames de France, filles deLouis XV, ayant relâché dans la ville, où la tem-

pête avait poussé le vaisseau qui les portait de

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Piosuta 7

Naples en Sicile, au moment où les quatre aven-

turiers y entraient; ne dédaignèrent pas de se prê-ter à cette comédie et traitèrent publiquement de

cousins Corbara et Boccheciampe. Ce furent les

récits qu'à leur arrivée à Palerme elles firent des

événements de Tarente qui décidèrent l'envoi du

cardinal Ruffo en Calabre. Du moment qu'un ar-

chevêque et de vraies princesses avaient solennel-

lement reconnu les princes qui venaient soulever

la Pouille, il ne pouvait pas rester un doute dans

l'esprit des populations. Partout on les traita con-

formément à leur rang supposé, partout on pro-céda par leur ordre à des levées et partout aussi

leur premier soin fut de se faire remettre les caisses

publiques. Quand ils eurent ainsi ramassé une

belle somme, Corbara et Colonna s'occupèrent à

les mettre en sûreté. Ils s'embarquèrent à Tarente

avec la caisse, annonçant qu'ils allaient à Corfou.

chercher l'armée russe et qu'ils la ramèneraient

bientôt. Mais au sortir du golfe ils furent capturés

par un corsaire barbaresque et conduits dans les

bagnes d'Alger, où ils croupirent jusqu'à leur mort.

Boccheciampe fut tué à Brindisi en essayant de

s'emparer d'un bâtiment français, comme il avait

pris à Tarente celui qui ramenait d'Égypte, avec

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plusieurs officiers supérieurs, le géologue Dolo-mieu, lequel, rendu plus tard à la France aprèsvingt mois de captivité, mourut en touchant saterre natale, à cinquante et un ans, des suites dessouffrances qu'il avait endurées dans les cachotsde Tarente et de Messine. De Cesare demeura seulà commander en Pouille et y déploya beaucoup devaillance dans la conduite de la guerre.Plus près de Naples, dans les provinces de la

Terra di Lavoro et du Principato on avait vu surgirFrà Diavolo, Mammone et Sciarpa. Ces trois chefsont acquis assez de renommée pour que nous nousarrêtions un moment à en esquisser le portrait.Michele Pezza, surnommé Frà Diavolo et natif

d'Itri, brigand de longue. date, a été bien choisi,

pour en faire un personnage d'opéra-comique. Ilétait brave et hardi dans ses entreprises, célèbresurtout par l'habileté merveilleuse de ses déguise-ments, par les ressources infinies de sa ruse, parla façondont lui et ses bandes disparaissaient quandon les serrait de trop près, pour se montrer denouveau à quelque distance. Jeune, amoureux defaste et d'élégance, il affectait surtout des façonsd'une galanterie raffinée. Nul ne savait mieux quelui dépouiller une femme de ses parjuresen lui pro-

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PICERNO 9

diguant les complimentssur sa beauté, qui n'avait

pas besoin de recourir à de tels moyens, et lafouiUerjusqu'à la peau en prenant les formes d'unamoureux. Établi à cheval sur le Garigliano, ils'était donné pour mission d'écraser les petits dé-tachements des Français et d'intercepter leurs cour-riers sur la route de Rome à Naples. Il molestaitaussi les libéraux de la contrée; mais comme ilétait beaucoup plus avide d'argent que sangui-naire, il y avait toujours moyende se tirer d'affaireavec lui, en payant de'bonnes rançons.Il n'en était pas de même avec le garçon meu-

nier Gaëtano Mammone, qui était sorti du districtdeSora et qui étendait son action le long des mon-

tagnes jusque vers Avellino. Celui-ci était un,monstre de férocité,- undes êtres les plus abomi-nables que montre l'histoire; ses crimes et sesatrocités furent tels qu'on se refuserait à les cro&fs'ils n'étaient attestés par de nombreuses piècesofficielles et par les témoins les plus véridiques.Mammoneétait upe sorte de brute, qui n'avait del'homme que le visage. Certaines de ses habitudes,le besoin irrésistible qu'il éprouvait de boire du

sang humain, à tel point que lorsqu'il se faisaitsaigner Périodiquement, suivant la coutume des

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paysans napolitains, on ne pouvait l'empêcher deeo jeter sur la cuvette et de humer avec délicesson propre sang, attestent chez lui un état de mo-nomanie lycanthropique arrivé au degré le plusavancé. Lâche, du reste, autant que féroce, il évi-tait avec soin les engagements sérieux, n'opéraitque là où il n'avait pas de troupes devant lui, enle-vant les hommes isolés et entrant dans les villesouvertes pour les terroriser. Ses fureurs portaientsurtout sur les libéraux indigènes. Mammone por-tait toujours à sa ceinture le crâne d'un prétrepartisan de la République, dont le meurtre avaitété l'un de ses premiers exploits il l'avait fait pré-parer pour s'en servir en guise de verre. Quand il

prenait ses repas, il n'était content que lorsqu'ilpouvait avoir devant lui sur la table une tête frai,chement coupée à laquelle, il prodiguait les ou-

trages, lui crevant les yeux, lui perçant la langue.Puis, échauffé par le vin, il se faisait amener ses-

prisonniers et se complaisait à terminer la fête en-;les mettant lui-même à mort, les décapitant quandil était en humeur de clémence, plus souvent:lescriblant de coups de stylet savamment ménagés,pour les faire longtemps souffrir, ou bien les éven-trant. Il semblait éprouver une volupté de tigre à

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PICERNO i i

plonger ses mains dans leurs entrailles pantelantestandis qu'ils vivaient encore. Il se vanta plus tardd'avoir en six mois tué de cette manière de ses

propres mains 455 Français et Napolitains dési-

gnés comme Jacobins. C'est à un tel homme quela fille de Marie-Thérèse ne rougissait pas d'écrirede sa main royale « Mon général et mon ami. »

Par les montagnes qui dominent Éboli et Cam-

pagna, Mammone donnait la main à Gherardo

Curci, surnommé Sciarpa, qui avait établi son

quartier général à Capaccio, au-dessus de Paestum.C'était un officier, capitaine dans l'ancienne armée

royale, qui avait d'abord montré beaucoup de zèle

pour la République, mais qui avait vu ses servicesrefusés par ceux quila gouvernaient et que le dépitavait jeté dans les rangs du parti royaliste. Seulentre tous les chefs populaires auxquels il associaitses efforts, Sciarpa déploya de véritables talents

militaires, et c'est avec justice qu'après la Restau-ration il fut maintenu dans l'armée régulière avecle grade de colonel. Ambitieux, hardi et sans scru-

pules, il ne reculait devant rien quand il voyait un

avantage il savait faire de la cruauté un moyende terreur, du pillage un moyen do retenir et d'ex-citer les bandes qu'il groupait autour de lui; mais

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il n'était pas féroce par instinct ot sans nécessité,ni avide pour son propre profit.Championnet une fois maître de Naples et ayant

réussi à y organiser un gouvernement national,en tenant résolument tête au commissaire du Di-

tcctoirc, Faypoult, qui voulait traiter le pays enterre conquise, le nouveau gouvernement et le gé-néral français durent se préoccuper de l'état des

provinces et des moyens d'y faire cesser l'anarchie.La situation était d'autant plus grave que Je car-dinal Ruflo était débarqué en Calabre au mois defévrier y avait organisé une armée nom-breuse et commençait sa marche vers le nord, enexterminant par le fer et le feu tout ce qui lui résis-tait. Championnet ne disposait que de bien peu demonde pour envoyer en expédition. Cependant on

parvint ù organiser deux colonnes. L'une, entière-ment composée de Napolitains et de Calabrais,sous la conduite de Giuseppc Schipàni, devait se

porter de Salerne sur Potenza, s'y fortifier ét. ytenir en échec les hordes du cardinal Ruffo.- Pen-dant ce temps l'autre colonne, formée d'une bri-

gade française sous le commandement de Duhesmeet d'une brigade de volontaires napolitains sous lecommandement d'Ettore Caraffa, comte de Ruvo,

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PICEHNO 13

avait la mission de soumettre la Fouaille, aprèsquoi elle se rabattrait sur Potenza, y opérerait sa

jonction avec les forces de Schipani et pénétreraitensuite en Calabre, allant donner la main au

groupe de libéraux qui continuait à se défendre àCoscnza.La colonne de la Pouille, conduite avec une rare

vigueur, réussit complètement à l'accomplissementde sa mission. En quelques semaines, la prise devive force de San-Severo par le général Duhesme,celle d'Andria et de Trani par le général Brous-

sier, qui lui avait succédé dans son commande-

ment, firent reconnaître la République dans toutela province et en expulsèrent De Cesare avec sesbandes. Mais pendant ce temps Scbipani se faisaitbattre à plate coulure à Caslelluccia par Sciarpa etse voyait obligé de rétrograder jusqu'à Salerne.Potenza tombait aux mains des bandes royalistes,et Picerno devenait le centre de la résistance libé-rale et républicaine dans l'ouest de la province deBasilicate. Sa population toute entière o vait prisardemment parti pour l'ordre de choses nouveau,et les libéraux qui avaient pu fuir des villes voi-sines y avaient trouvé un refuge.La colonne de la Pouille, après ses succès, se

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préparait à marcher seule sur Potenza quand, aucommencement d'avril, le commandement de l'ar-mée française fut absolument désorganisé parl'arrestation de Championnet, Duhesme et Brous-

sier, que les coupables intrigues de Faypoult à

Paris avaient réussi à faire mettre en accusation

par le Directoire. Presque au même moment, Mac-donald, placé à la tête de l'armée du midi de l'Italie,

apprenait les désastres de- Scherer en Lbmbardieet l'arrivée des Russes de Souvaroff. Il fallait se

préparer à effectuer une retraite vers le Nord dansle cas où les affaires des Français né se rétabli-raient pas sur le Pô, car autrement les troupeslancées si imprudemment dans le royaume napoli-tain devaient être perdues et n'auraient pu éviterle sort de Montpensier et de Stuart d'Aubignyaprès le départ de Charles vm, Son premier soinfut donc de concentrer toutes ses forces autour. de

Naples et d'évacuer la Pouille, où les exploits des

Français avaient tellement frappé les esprits queDe Cesare fut quelque temps avant d'oser y repa-rattre après leur départ. Bientôt les nouvelles -deLombardie devinrent telles qu'il n'y eut' plus uneminute à perdre pour commencer la retraite et qu'ilfallut se résigner à abandonner la République Par-

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PICERNO

thénopéenne à ses seules ressources, c'est-à-dire à.une perte certaine, caries Anglais, les nusses-etles Turcs se joignaient aux insurgés pour l'acca-bler. Macdonald ne voulut du moins s'en aller qu'a-près une victoire. Le 28 avril il battait sur les bordsdu Sarno, tout à côté de Pompéï, les Anglo-Sici-liens débarqués ,Castellammare, leur prenantquinze canons et trois drapeaux. Le 7 mai l'armée

française quittait Naples, se dirigeant vers Romeet la Toscane.A ce moment le cardinal RutFo, après avoir com-

plété la conquête de la Calabre par la prise dePaola et de Cosenza, avait gagné la Basilicate etentamait l'exécution d'une nouvelle partie de son

plan de campagne. De sa personne, avec le gros deson armée, il se dirigeait sur la Pouille pour yopérer sa jonction, avec les Russes et les Turcs,débarqués à Tarente sous les ordres du maréchalcomte Micheroux, y ramasser autour de lui lesrestes des bandes de De Cesare,. puis revenir surNaples par Ariano et Avellino, en attirant encoreMammone à sa suite, tandis que Pronio et Rodiodescendraient des Abruzzes sur Capoue où rendez-vous était donné à Fra Diavolo. Le mouvement

convergent sur Naples, devait être complété par

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l'opération d'une importance capitale confiée à;

Sciarpa. Celui-ci -devait faire déboucher de la Ba-silicate et du Cilento les bandes dont 11était devenu'le général en chef, gagner Salèrne, y doaner lamain aux Anglo-Siciliens qui se préparaient à y;faire un nouveau débarquement, enfin pénétrerpar La Cava dans la vallée du Sarno, en même

temps que la flotte britannique entrerait dans labaie de Naples et viendrait attaquer par mer laville. On sait qu'elle était défendue de ce côté parl'intrépide amiral Caracciolo, jusqu'alors étran-

ger à tous les partis politiques, mais que son pa-,triotisme indigné avait rangé fous le drapeau dela République le jour où il avait reçu l'ordre du roide remettre aux Anglais les vaisseaux de la marinenapolitaine.

v

C'est ce plan qui s'exécuta de point en point et

par la concentration de forces immenses autour de.

Naples assura la prise de la ville après une coura-geuse défense. Ruffo et ses lieutenants, les Anglais,et les Russes comptaient qu'il suffirait d'une quin-zaine de jours au plus pour l'exécuter et que descette manière on pourrait entrer dans la capitalesans coup férir; car le départ dés Français, y avait,

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PICERNO 17

T. II. 2

lutte. Mais ils avaient compté sans l'héroïsme dela ville d'Altamura et du bourg de Picerno, quiarborèrent le drapeau noir de la résistance à ou-trance et se dévouèrent au massacre et à la ruineafin d'arrêter quelque temps la marche l'une ducardinal Ruffo, l'autie de Sciarpa. Les habitantsd'Altamura et de Picerno n'avaient aucune illusionsur le sort qui les attendait ils n'avaient nullechance d'être secourus à temps et ils savaient avec

quelle implacable férocité le cardinal traitait quilui résistait. L'exemple de Cotrone avait été sous`ce rapport si terrible qu'il avait découragé beau-

coup de villes de tenter d'en faire autant. Mais ens'offrant à une mort certaine ils donnaient le tempsd'organiser la défense de Naples. De cette manièreils espéraient encore sauver la cause qu'avait fini

par embrasser toute l'élite intellectuelle et mo-rale du pays, malheureusement sans entraîner les,masses car ils se figuraient que la capitale, aprèsquelques semaines de préparatifs, pourrait tenirassez pour voir arriver à son secours la flotte pro-mise par la France et l'Espagne. Un tel espoir nedevait pas se réaliser, maisdu moins le dévouementd'Altamura et de Picerno assura à la RépubliqueParthénopéenne de glorieuses funérailles etc sauva

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l'honneur du parti libéral, non seulement parl'exemple même de l'héroïsme de cea deux villes,mais en permettant aux gouvernants de Naplesd'organiser à la hâte les légions de volontaires qui,écrasées sous le nombre des assaillants, soutin-rent encore jusqu'à la dernière extrémité les beauxcombats du Granatello, du Ponte della Maddalenaet de Ghiaja.Le siège d'Altamura fut le plus court; il ne dura

que quelques jours. La ville n'était pas approvi-sionnée de munitions. Avec quelque soin qu'on les

ménageât, le peu qu'on en avait fut vite épuisé, etbientôt les assiégeants purent établir sans risquejusqu'au pied des vieux remparts du moyen Agedont Altamura était entourée leurs batteries au feu

desquelles la mousqueterie même ne pouvait plusrépondre et où le cardinal Ruffo venait tous lesmatins officier pontificalement en. vue des assié-

gés, contre lesquels il répétait à chaque fois laformule de l'excommunication majeure. Rien nefaisait faiblir les habitants de la ville. Quand labrèche fut ouverte, ils la défendirent à l'armeblanche avec un tel acharnement qu'il fallut plu-sieurs heures M'armée de la Sainte-Foi pour l'em-

porter. La brèche forcée, tous ceux des habitants

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PIGEHNO 9

qui purent gagner la porte située à l'autre extré-mitéde la ville et devant laquelle les assiégeantsétaient en moins grand nombre, firent une sortiesubite, passèrent sur le ventre de ceux qui ès-sayaient de les arrêter et parvinrent à gagner lesmontagnes où ils se cachèrent.Les autres, barri-radésdans lesmaisons,y luttèrent encoreau cou-teaujusqu'à la mort, tandisque leurs femmes,desétagessupérieurs, jetaient sur la tête des ennemisleursmeubles, les tuiles de leurs toits et des chau-dièresd'huile bouillante.Les pertes de l'arméeducardinal furent énormes dans cet assaut. En re-vanche,tont ce quiétaitresté dansla ville, hommes,femmes et enfants, fut massacré sans qu'on fîtgrâceà un seul; la fureur.desassaillantsétait ar-rivée à un tel paroxysmequ'ils tuèrent jusqu'auxanimauxdomestiques.Le carnagedura troisjours.Aprèsquoi, Ruffo, renouvelant la comédieimpiequ'il avait déjàjouéeà Golroucà la suite de scènessemblables, rassembla son armée hors de la villeen flammes,lui donnaune absolutionsolennelledotous les péchésqu'elle avait commisdans lesjoursprécédents, et prit la route de Gravina,qu'il mitégalement à sac, bien que cette ville ne se fut pasdéfendue.

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&» A THAVEHS1,'APULIEET LA LUCANIE

l'icerno put tenir plus longtemps; sa résistancc:dura plusieurs semaines, de telle façon que le car-dinal Ruffo, après avoir parcouru toute la Pouille,dut attendre- plus de dix jours à Nola, avant decommencer les- opérations contre Naplés, queSciarpa, vainqueur enfin de cette résistance, eût

pu reprendre sa marche et déboucher de Salente.

Depuis quelques mois déjà/le bourg était dans unétat de blocus continuel, et il avait repoussé plu-sieurs attaques avec succès. Isolés du reste dumonde et ne pouvant recevoir de ravitaillementd'aucune nature, les habitants s'étaient mis à fa-

briquer eux-mêmes de la poudre et ils en avaientfait assez pour en rester jusqu'au bout abondam-ment pourvus. C'est le plomb qui leur manquabientôt pour faire des balles; mais ils y suppléèrenten fondant les tuyaux des orgues de l'église, les

gouttières des maisons, les couverts d'étain des

ménages, puis en chargeant leurs fusils avec lesmorceaux de cuivre de leur batterie de cuisine bri-sée à cet effet. Picerno n'avait pas un canon. Tant

que le bourg ne fut attaqué que par des bandes

dépourvues d'artillerie,'il défia sans peine tous leursefforts. Mais Sciarpa lit venir' des canons et dèslors la brèche ne fut pas longue à ouvrir. Picerno

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PICERNO 2t

ne céda pas pour cela. Bien au ,contraire, cinq as-

sauts successifs furent repoussés avec des pertesconsidérables. Ce n'est qu'au sixième que les désfenseurs, réduits à un petit nombre, finirent parêtre écrasés sous la masse des assaillants. Là en-core tout ce qui ne parvint pas à se frayer en com-battant un passago au travers des ennemis, et à

gagner les retraites inaccessibles des montagnes,fut mis à mort sans pitié. Les scènes d'Altamurase renouvelèrent à Picerno plus horribles encores'il est possible.Une partie des habitants désarmés, malades,

vieillards, femmes, enfants, avait cherché un re-

fuge dans l'église. Quand les vainqueurs y arrivè-

rent, le curé fit ouvrir les portes et se présenta surle seuil en ornements sacerdotaux, élevant l'osten-soir au-dessus de sa tête. Il croyait ainsi leur ins-

pirer le respect et arrêter leur rage homicide. Vain

espoir le digne prêtre, qui essayait ainsi de sauverses ouailles, tomba le premier percé de coups. Ons'acharna sur son cadavre en le mutilant odieuse-

ment on foula aux pieds le Saint-Sacrement qu'iltenait à la main, en hurlant que porté par un répu-blicain ce n'était plus le corps du Christ. Enfin tousceux qui avaient cherché asih aux pieds des autels

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22 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

furent égorgés. Les hordes qui commettaient cesépouvantables sacrilèges s'intitulaient Armée dela Sainte-Foi et prétendaient combattre pour lacause de la religionPar une de ces injustices dont l'histoire est

pleine, l'héroïque dévouement et la catastrophe dePicerno passèrent inaperçus 'an milieu des événe-ments de la fin de la République Parthénopéenne.Pendant quatre-vingts ans ils sont restés ignorés,sans qu'aucun écrivain en eût fait mention. C'estseulement il y a deux ans qu'un des professeurs les

plus éloquents de l'université de Naples, M.Fioren-

tino, ayant rencontré au cours d'autres recherchesles pièces officielles relatives à cet épisode, les a

publiées dans une intéressante brochure intituléeI morti di Picerno. Elle. se termine par la listenominative des victimes du massacre final, relevéesur le procès-verbal du fossoyeur qui déclare lesavoir enterrés hors de terre sainte et sans prières,comme des corps d'excommuniés.

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MURO

Au delà de Picerno- la voie ferrée, entrecoupéede nombreux tunnels et de travaux d'art de toute

nature qui ont demandé des dépenses très consi-

dérables, commence à descendre vers le golfe de

Salerne par une pente aussi rapide que celle qu'ellea montée sur l'autre versant. Nous sommes entrés

dans un des affluents du Sele, le Silaros des an-

ciens, qui se jette dans la mer tout auprès de

Paestum.

La première station est celle de Baragiano. Au

XIIe siècle, sous les rois normands, époque où les

diplômes le nomment Barasanum, c'était un fief

de quelque importance. Confisqué en 1438 sur

Pietro di Alagno pour félonie, Alfonse d'Aragon

le donna aux Caracciolo qui possédaient le mar-

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quisatde Bella et nombrede seigneuries voisines,Pressuré sans mesure par ses seigneurs et sanscesse en litige avec eux, le village de Baragiano,dans les deux derniers siècles du régime féodal,descenditpar degrés au dernier point de la déca-dence et de la misère; et l'abolitionde ce régimesousMuratn'a passuffià l'en relever. Le territoireen est pourtant fertile, la situation parfaitementsaine, le climat des plus tempérés, sans excès dechaleurpendant l'été ni de froidure pendant l'hi-ver. Mais, à force de souffrances sans remèdes,tout ressort d'énergie avaitSni par être brisédanssa population elle était tombée dans une sorted'engourdissementdésespéréque, depuis, elle n'a.pas su rompre; elle avait pris des habitudesd'oi-siveté farouche auxquelles elle n'a pas renoncé,Plongés dans une pauvreté sordide et honteused'elle-même,les gens deBaragianovivent commedes sauvages, enfermés dans un isolementsoup-çonneux, sans relations avec leurs voisins, sanscommerceet sans industrie. Ils ne font rien pouraméliorerleur sort, et ne cultiventle sol que justeassezpour en tirer les denréesde premièrenéces-sité indispensablesà les faire vivremisérablement.Nulle part dans la province, l'agriculture, seule

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occupationdeshabitants,n'est aussi arriérée. Avecun peu d'énergieau travail, ils pourraientacquérirl'aisance; ils préfèrent croupir dans leur misère.Le contact avec le mouvementdu chemin de feeles réveillera-t-ilde cette torpeur? Réussira-t-ilàrendre quelque vie à leur pays?C'estce qu'on nesaurait encoredire.La station suivante, que l'on rencontre après

deux kilomètres seulement, dessert deux villes,situées-dans la partie culminante de l'arête desApennins, au point de partage du versant de laMéditerranéeet de celui de l'Adriatique,Muro etBella. Unegrande distancefa séparede cesvilles,que l'on ne peut encore gagner qu'à cheval, laroute carrossablequi lesmettra en communicationavec le chemin de fer n'étant pas achevée. Muroest la moins éloignée, bien qu'encore à plus de10 kilomètres, que l'on met plusieurs heures àfranchir,toujours en montant. C'estune ville épis-copale,de plus de 7,000habitants, rebâtie presqueen entier après le tremblementde terre de 1694,qui l'avait ruinée,' et très endommagéeaussi danscelui-de1857.Il faut presque y toucher pour la découvrir,

cachéequ'elle-est dansdes gorges sinueuses et

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26 A TRAVERS 1,'APULIE ET LA LCCANIE

tourmentées.L'aspect en est des plus originaux.Elle s'étage en amphithéâtrede la base à la cimed'unemontagneassezélevée,qui s'adosseaumassifcouvert de forêts et de pâturagesque couronnentles cimessourcilleusesdePisterotaet de Paratello,garnies de neige jusqu'à l'entrée de l'été. Lesmaisons, toutes précédéesde petits jardins, sontappliquéeset disposées de telle façon qu'aucunen'intercepteà l'autre ni l'air ni la vue. Ellesse suc-cèdent par gradins superposés, le jardin de cellequi vient derrière dominantle toit de celle qui laprécède.On y a accès par le troisième étage, for-mant rez-de-chausséesur un côté de la rue, dontl'autre côté est garni par les murs de terrasse sou-tenant les jardins de la zone de maisons supé-rieure. Entrant ainsi par l'étage le plus haut, ilfaut descendrepour accéderaux inférieurs et aujardin dela maison.Desruejsétroites et singulière-ment escarpées, en escaliers,coupent de distanceen distance les rues qui forment autant de zoneshorizontalessur la pente occupée par la ville etconduisent depuis le bas jusqu'au sommet. Ellessontd'unesaletérepoussante,toujoursencombréesde fumieret d'immondices,danslesquelsd'innom-brables porcs cherchent leur vie. Le syndic qui

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voudra organiser à Muro une voirie régulière auraune terrible étable d'Augias à nettoyer. Ce sera unvrai travail d'Hercule. Tout en haut de la ville, unvaste château-fort du moyen âge dresse sa masseformidable et h demi écroulée. Elle est comme

suspendue au-dessus d'un précipice d'une profon-deur effrayante qui borde tout un côté de la ville,et sur lequel a été jeté un pont du moyen âge,construit avecune telle solidité qu'aucune secoussene l'a ébranlé depuis le xh*siècle. Ce pont conduitau faubourg de Chiavello, situé de l'autre côté du

précipice et offrant les restes d'une enceinte forti-fiée distincte de celle de la ville. Les vieux rem-

parts de celle-ci, qui subsistent encore en partie,sont environ à mi-hauteur de la pente occupée parla cité actuelle, dont toute la partie inférieure cons-titue un faubourg ouvert, où vint se réfugier, poury trouver plus de sécurité, la population des nom-breux villages qui parsemaient autrefois les alen-tours de Muro et furent détruits dans les guerresdu xve siècle.Le climat est rude et excessif brûlant en été,

très froid en hiver, où la neige persiste quelquefoisdans la ville même pendant plusieurs semaines.Les brouillards sont fréquents. La ville s'enveloppe

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28 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

alors d'un nuage' si épais qu'on ne distingue rien'autour et qu'on a même de la peine à se dirigerdans lès rues. Lorsque cette nuéese dissipe et quele temps est clair, on voit des maisons les plushautes et surtout du château se déployer devantsoi une vaste étendue de montagnes qui se succè-dent comme les ondulations d'une mer brusque-ment pétrifiée jusqu'aux après sommets des Montidella Maddalena, situés à cinquante kilomètres dedistance et fermant l'horizon du côté du sud.La fondation de Muron'est pas plus ancienne quele x»siècle et la première mentionque l'on rencontred'un évêque de cette ville est celle d'un nomméLéon vers 1050. Son successeur, Eustache, figureen 1059parmi les prélats qui intervinrent à la con-sécration d'une église du voisinage de Melfi. Muroétait dès lors tombée au pouvoir des Normands,comme Acerenza dont il dépendait. Au xn* sièclec'était une des premières seigneuries de la Basili-cate. Charles d'Anjou donna le fief de Muro àPierre Ugot. Il vint ensuite à Othon de Tussi, et,ce dernier étant mort sans enfants, St retour à lacouronne, sous réserve du douaire deFilippa; com-tesse d'Alba, veuve du seigneur défunt. Charles IIen fit l'apanage de son fils Raimond Bérenger,

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comte de Provence, aux fils duquel Muro passaaprès sa mort pour'revenir encore à la couronne.C'est dans cette condition que la ville se trouvaitsous Jeanne In et demeura sous ses successeurs

jusqu'à Ferdinand 1°', qui la vendit en 1477, avecle titre de comte, à MazzeoFerillo, conseiller etchef du secrétariat de son fils Frédéric, duc de Ca-labre. Acerenza se trouva alors comprise dans lecomté de Muro, qui, après deux générations decomtes de cette famille, fut transmis par mariageaux Ossini, ducsde Gravina.Les tremblements de terre qui ont plusieurs fois

renversé Muro n'y ont pas laissé d'égliseancienne.La cathédrale, rebâtie après ceiui de 1694, n'a étédédiée qu'en 1728. Mais on y voit maçonnée dansune des murailles latérales. une inscription prove-nant du portail de la cathédrale antérieure elle

porte la date de il00 et le nom de l'évoque Gau-dino mentionné dans une des inscriptions deSan-Sabino de Canosa comme un des nombreux

évoquesqui, en assistaient le pape PascalII à la consécration de cette cathédrale de sa villenatale.On voit aussi dans l'église cathédrale de Muro

un tableau de la 6n du xrv°siècle, peint à la. dé-

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANE

trempe sur panneau, assez médiocre au point devue de l'art, mais fort curieux pour l'histoire. Dansla partie supérieure la Vierge Marie remet le ro-saire à saint Dominique, incliné devant elle dansune attitude de respect plus bas sont agenouillésl'antipape Clément VII, la reine Jeanne I™et son

quatrième mari, Othon de Brunswick. La doubledate de l'élection de Clément VII et de la captivitéd'Othon ne permet pas d'admettre qu'une peinturereprésentant cette réunion de personnages ait étéexécutée autrement que dans les derniers mois de1379 ou les premiers de 1380. La reine Jeanneaimait le séjour de Muro et plusieurs fois vintchercher derrière les murailles du château-fort decette ville un refuge dans les guerres que ses dé-sordres et ses crimes déchaînaient contre elle.C'est aussi dans ce château que Charles de Du-razzo, après s'être emparé de sa personne et l'avoirdétrônée, l'enferma étroitement prisonnière et

qu'elle mourut en 1382. On y montre de préten-dues oubliettes, qu'elle aurait, dit-on; fait prati-quer pour y précipiter ses ennemis et ses amantsd'une nuit. Mais ce n'est pas autre chose que laplupart des soi-disant oubliettes des châteaux dumoyen âge, une vaste fosse d'une destination beau-

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MURO

coup plus prosaïque, que les architectes ne de-vaient pas oublier de ménager dans une enceinteappeléeà enfermeren cas de siègeunenombreusegarnisonqui ne se composaitpas de corps saints.Les gens de Murovous font voir aussi dans leurchâteaula chambreoù Jeanne aurait été étoufféesous des oreillers par l'ordre de Charles de Du-razzo.Resteà savoir si l'anecdote, quecontestentbeaucoupd'historiens,est réellementauthentique.Maisun ciceronene s'embarrassepas pour si peu.Le pont hardimentjeté sur le gouffrequi sépare

du faubourg de Chianello porte une inscriptionqui le date de1100,ajoutant qu'il fut fait aux fraisde GiovanniCito et GiovanniMusaneri,citoyensde Melfi,et que l'architecte en fut Inco. Encoreun nomà ajouter à la longue liste des architectesdela périodenormandequi ont pris soin de signorleursœuvrespour l'instructionde la postérité.L'église Santa-Mariadi Capitignano, en avant

de ce faubourg de Chianello,bien que refaite enmajeure part à. la fin duxvie,siècle,offre encorequelques parties anciennes et des fragments ro-mains.Lenomde Capodi Giano,qui lui est donnédansquelqueslivres, n'a aucuneauthenticité.C'estune pure inventionde lettrés,de l'endroit,qui vou-

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32 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

laient la représenter comme ayant succédé à un

temple de Janus.A quatre kilomètres en bas de Muro, sur la rive

droite du torrent Giacojo, se trouve- une colline deforme allongée connue sous le nom de Raja-San-Basile. C'est le point d'où l'on peut avoir lemieux une vue d'ensemble de la ville. Au sommetde cette colline M. Michele La Cava a reconnu le

premier l'existence de vestiges considérables d'uneenceinte fortifiée construite en gros blocs de pierreà la forme de polygones irréguliers, superposés etenchevêtré3 les uns dans les autres sans ciment.C'est le mode de construction connu sous le nomde cyclopéen ou de pélasgique. Les enceintes dece genre sont très multipliées dans l'Italie centrale,là où les traditions historiques placent l'établisse-ment des Pélasges Tyrrhéniens. On en a égalementsignalé dans la Terre d'Otrante'bù habitaient les

Iapygiens, rattachés aussi à la souche pélasgique,par exemple à Manduria et à San-Cosimo prèsd'Oria. Mais jusqu'à présent on n'en connaissait

pas sur le territoire de la Lucanie, où il faut lesfaire remonter sans hésitation à l'époque des Pé-

lasges Œnotriens. C'était une lacune considérabledans l'archéologie italique. Elle est aujourd'hui

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MURO 33

T. il. 3

comblée grâce aux découvertes de M. La Cava,qui a constaté l'existence d'enceintes de cette na-ture non seulement à Raja près de Muro, maisaussi au Monte Coppola sur la commune de Val-sinni (autrefois Favale), à Tempa Cortaglia entreSan-MauroForte et Accettura, près des sources dela Salandrella (l'Acalandrus des anciens), enfin àCroccia Cognato sur le territoire de la communed'Olivoto Lucano, dans le même canton. Nous-mêmes nous en visiterons une cinquième, celle deConsilinum, dans le voisinage de Padula. Nuldoute que la suite des explorations, qui n'ont ja-mais été poursuivies jusqu'à présent en Basilicated'une manière méthodique, n'en fassent recon-naître un grand nombre d'autres.L'enceinte de Raja San-Basile appartient à l'âge

le plus antique des Pélasges (Enotriens, plusieurssiècles avant l'établissement des Lucaniens de race

sabellique dans la contrée. Mais à l'intérieur on ob-serve des vestiges d'occupation jusque dans les

temps romains. Je ne crois pas qu'on puisse hésiter

à y placer une ville qui joue un rôle dans l'histoirede la secondeguerre Punique, et que depuis long-temps tous les savants, dont l'opinion fait autoritéen matière de géographie antique, ont montré

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34 A TRAVERS L'ARGUE ET LA LUCANIE,

devoir être cherchée dans le voisinage de Muro,d'après ce qui résulte pour sa situation des circons-tances de la campagne où elle est mentionnée,celle de Numistro.En 210 av. J.-C., des fugitifs d'Herdonea arri-

vèrent auprès de M. Claudius Marcellus, qui setrouvait dans lu Samnium avec son armée, et luiracontèrent comment Hannibal venait de détruireleur ville et d'en transporter les habitants à Méta-ponte et à Thurioi. Marcellus s'enfonça aussitôtdans le nord de la Lucanie pour essayer d'atteindrele général carthaginois dans sa marche de retourvers l'Apulie. Ils se rencontrèrent sous les mursde Numistro et s'y livrèrent une bataille acharnée,sanglante et sans résultat décisif. Mais dans lanuit Hannibal décampa dans la direction du nord,et Marcellus, après avoir laissé dans Numistro unepetite garnison sous le commandemant de L. Fu-rius Purpureo, se mit sa poursuite jusqu'à Ye-nusia, où il l'atteignit de nouveau et le battit. Onpeut suivre quelque temps dans les bois auprèsde Raja le tracé d'une route antique qui se dirigevers Venosa,C'est celle que suivirent les deux ar-mées.Numistro subsistait encore à l'époque impériale.

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MURO 35

Du temps de Pline cette ville était agrégée au

municipe de Yolceii (Buccino).Peut-être le fut-elle

plus tard à celui de Potentia (Potenza); car lesdeux inscriptions latines que l'on voit aujourd'huià Muro, et qui proviennent de Raja, mentionnentdes magistrats municipaux de cette dernière ville.Bella, ville de 6,000 âmes, est à 5 kilomètres au-

delà de Muro, sur la route royale d'Eboli à-Bar-letta. C'est une localité vivante et prospère, qui faitun commerce étendu des produits de son sol et lesenvoiejusqu'à Salerne. Comme si le nom gracieuxde leur pays leur portait bonheur, les femmes deBella ont dans toute la contrée environnante une

grande réputation de beauté, de bonne grâce et

d'esprit. Leurs danses sont renommées,et par toutela Basilicate il est proverbial que dans leurs mé-

nages ce sont elles qui portent les culottes.Sous le règne de.Guillaume H, au xn« siècle,

seize barons avaient des fiefs sur le territoire deBella. En 1462,Ferdinand I" en vendit à GiacomoCaracciolo, avec le titre de marquis, la seigneu-rie confisquée sur le comte de Pulcino rebelle. Ason tour, Charles-Quint l'enleva pour rébellion àColàMaria Caraccioloet la donna en 1528 à la fa-mille espagnole Alarcon, de qui les Caracciolo,

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36 "ATRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

princesd'Avellino,rachetèrent ce marquisat à lafin du mêmesiècle.Les habitants de Bella ont une curieuse habi-

tude agricole qui leur est propre, c'est celle defaire pâturer en herbe par lesmoutons au premierprintemps les blés qu'ils ont semés à l'entrée del'hiver. Ils prétendentqu'ainsi les racines se forti-fientet s'étendenten terre et que bientôt la planterepulluleplus drue et plus vigoureuse.Vingt minutes suffisentà conduirede la station

de Bella-Muroà celle de Balvano.Tandis que lecheminde fer court sur les hauteurs, le bourg, quicompte3,500habitants, est situédansle fondd'unevallée, par uneexceptionrare dans le pays. La po-pulation est active et indusleieuse on y fabriquedans lesménagesles étoffesde laine et de fil quiservent au vêtementde la famille,et on fait mêmeavec les villagesvoisinsun certain commercededraps grossiers.BalvanoouValvanooccupele site d'une localité

antique, qui appartenaitau territoiredu municipedeVolceii.L'égliserenfermeplusieursinscriptionslatines intéressantes.Aumilieudubourg sedresseune roche isolée et escarpéequi porte les ruinesd'un château du premier moyenâge. C'est celui

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MURO 37

où s'installa un des chevaliers normands quiavaient été les compagnons des fils de Tancrèdede Hauteville à leur descente en Italie. Il devintla souche d'une des plus grandes familles du

royaume sicilien pendant la période normande etsouabe, laquelle joignit à la seigneurie de Bal-vano celles de Cisterna, La Rocca, La Cedogna,Monteverde, puis les comtés d'Armatera, d'Apiceet de Conza. Sous le roi Roger, Gilbert deBalvanoétait justicier de Capitanate. Sous Guillaume II,Philippe de Balvano prit part avec éclat à la Croi-sade. En 1226, Ragon de Balvano était un des gé-néraux de Frédéric Il. Cette famille s'éteignit sous

Manfred, Ragon n'ayant eu que deux filles, Mi-

nora, comtesse d'Apice, et Melisenda, mariée àBerardo Gentile. CharlesI" d'Anjou, en 1269,con-céda à Mathieu de Caprais toutes les terres quiavaient appartenu à la maison de Balvano. Plus

tard, la seigneurie de ce bourg passa aux comtesde Pulcino, puis aux ducs de Sicignano. Enfin

parmi ses possesseurs il faut citer Domenicô Gio-

vine, qui l'avait acheté quarante-deux mille ducatsdes créanciers du duc de Sicignano et qui fut undes nobles massacrés en 1647 par la populace de

Naples dans la révolte de Masaniello.

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38 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Commebibliophile je salue avec un certain res-

pect en Balvano la patrie de l'astrologue CristianoProliano, dont le traité sur sa prétendue science,imprimé à Naples en par Henri Aldyng, estun des plus rarissimes parmi les incunables na-

politains.Vient ensuite la station de Romagnano, dénom-

mée d'après un village voisin et sans importance,juché pittoresquement au sommet d'une hauteur

abrupte. C'est cette station qui dessert Vietri diPotenza, bourg de 3,000 âmes situé à quelqueskilomètres de là sur la grande route de Salerne iLPotenza et célèbre par la beauté de son paysage,par l'aspect grandiose de sa fertile vallée, entouréede hautes montagnes, en grande partie boisées. Lasituation de Vietri correspond à celle des Veteres

Campi, où, dans l'année 212 avant J.-C., le pro-consul Tiberius Sempronius Gracchus fut attirépar la trahison du Lucanien Flavius, jusqu'alorschef du parti romain dans son pays, dans l'embus-cade que lui avait préparée Magon, l'un des lieute-nants d'Hannibal, et y trouva la mort. La descrip-tion que Tite-Live donne des lieux est encoreaujourd'hui d'une vérité frappante. L'historiendépeint on ne peut mieux le cirque de montagnes

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MURO · 39

qui enveloppe la vallée comme un entonnoir et lesgrands bois où s'était dissimulée la cavalerie nu-mide.Un quart d'heure après avoir passé Romagnano,

au sortir d'un tunnel, le train s'arrête à PonteSan-Cono. Cette station, où nous allons pour quel-que temps quitter le chemin de fer, doit son nomau pont construit il y a peu d'années à la placed'un plus ancien, sur la rivière profondément en-caissée du Piatano, a l'endroit où elle débouched'une gorge sauvage et magnifique d'aspect, auxparois de rochers presque verticales. San Conoest l'objet d'une vénération toute particulière dansla région où nous entrons. Il a vécu au x° siècle.C'était un enfant du pays, né à Tegiano ou Dianode parents de qui prétend descendre également lafamille Indelli, encore subsistante et l'une des

plus vieilles de la noblesse de la ville. Il fut moineau couvent bénédictin de Santa-Maria di Cadossa,au bas de Montesano, monastère détruit peu aprèssa mort et qui relevait de l'abbaye du Mont-Cassin.Son corps, dit-on, y fut retrouvé miraculeusementen 1261 et transporté à Diano, où il continue àêtre l'objet des hommages des fidèles. Adossé aumur de l'église actuelle de Cadossa,onmontre l'an-

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40 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

cien four du monastère, où la légende raconte quele saint se cacha pour échapper à ses parents quivenaient l'arracher à la viemonastique elle ajouteque le four était allumé lorsque Cono y entra etqu'un miracle lui permit d'en sortir sans brûlure.A peu de distance au nord-ouest de Ponte San-

Cono, on voit s'étager au sommet d'une montagneles maisons de Buccino, petite ville de 5,000 habi-tants avec un château du moyen âge où le PapeUrbainVI chercha un refuge momentané quand,après la prise de Nocera, il fuyait de Salerne enSicile pour échapper aux poursuites de Charles deDurazzo, avec lequel il s'était brouillé après l'avoirlui-même appeléil Naples. C'est l'antique Volceii,l'une des villes des Lucaniens, qui après avoirembrassé le parti d'IIannibal et reçu garnison car-thaginoise, revinrent spontanément aux Romainsen 209 avant J.-C, quand la fortune tourna en leurfaveur d'une manière décidée. Sous l'Empire c'étaitencore un des municipes les plus florissants et les

plus populeux de la Lucanie et le siège d'une des

prœfecturaede la contrée. Il n'est pas de localité-de l'ancien pays desLucaniens dont le sol ait fourniet qui possède encore plus de richesses en fait d'é-pigraphie latine.

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MURO 41

Nous sommes désormais sortis du territoire dela Basilicate pour entrer dans celui du PrincipatoCiteriore ou province de Salerne, une des deuxdivisions de l'ancienne principauté de cette ville.

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LE VALDI TEGIANO

Il n'y apas de village à Ponte San-Cono,mais seu-lementdeuxmjaisons auprèsde la station.Maiscelle-ci estlaplus vivante du trajetentre PotenzaetEboli.C'est la seule où s'arrête le train express, car elledessert tout le canton riche et peuplé du Val di Te-

giano ou Valdi Diano. Onn'y trouve pourtant pas à

proprementparler de diligences ou d'omnibus,maisun grand nombre de voitures massives à sixplaces,quatre dans l'intérieur et deux dans un cabrioletsur le devant, juchées sur des roues d'une hauteurdémesurée et tramées par trois ou quatre chevauxde front. On peut à sa volonté louer une de cesvoitures entière ou y prendre seulement une placeen s'y entassant avec les gens du pays, qui trou-vent moyen de monter six là où quatre tout au

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

plus tiendraient. Toutes sont attelées à l'arrivéedu train express et quand on sort de la gare on estassourdi par les cris des cochers qui cherchent àattirer l'attention du client et à capter sa préférence,en vantant à grands renforts d'éclats de voix et de

gestes, et avec une intarissable volubilité, les mé-rites de leur équipage. Je remarque, du reste, quequelle que soit l'ardeur de leur concurrence, ils

s'arrangent pour qu'elle ne les conduise pas à faire

trop de concessions sur les prix et pour n'en pasmoins écorcher consciencieusement le voyageur.C'est un de ces véhicules que nous arrêtons pour

toute la durée de notre excursion jusqu'à Padula,aidés dans notre choix par un jeune paysan quis'est mis aussitôt à notre disposition quand il m'aentendu parler français. Il est, en effet, tout fier deme montrer et surtout de montrer à ses compa-triotes qu'il sait aussi le parler, l'ayant appris àl'école technique de Polla. Il s'en tire en effet assezconvenablement, mais c'est évidemment un Mar-seillais qu'il a eupour professeur. On lui a inculquéle plus pur accent de la Canebière. Cecime rap-pelle l'étonnement que causait dans la meilleuresociété de l'île de Zante ma façon de parler où l'onne retrouvait plus le mordant de,l'accent enseigné

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LE VAL DI TKGIANO 45

par le maître de françaisde la ville. Quoiqu'il ensoit, je comble de joie mon obligeantgallomaneen lui remettant mit carte où j'ai écrit au crayonqu'il savaitbienle français.C'estun certificatqu'ilexhiberasouvent,je n'ai garde d'en douter.Nous laissons une partie de notre bagageà la

gare, oùnousle reprendronsau bout detroisjours.Nous installons le reste avecnos personnesdansla voiture que nous avons arrêtée; puis, aprèsavoir pris-une tassed'exécrable café confectionnépar une vieille femmequi a son fourneaudansuncoin de la station,nous partonsd'une allure rapideau bruit joyeux des grelots et des sonnailles,dontest couvert notre quadruple attelage. Nousfran-chissons le pont et immédiatement après nousnous mettons à gravir au milieu des olivierslescollinesde la rive opposée.Au sommetde ces col-lines, où la route tourne dans la directiondu sud-est, le terrain se découvre et la perspective estimmense.Derrièrenous, au nord, Buccinoapparaît sur sa

crêtequi se dressecomme un mur et fermepres-que aussitôt la vue, laissant seulementapercevoirpar derrière quelques cimes de montagnes plushautes. Surnotre droite, à l'ouest, la valléeoù le

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46 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Piatano se réunit, à peu de distance du point oùnous sommes, au Tanagro, près de Castelluccio,puis où le Tanagro rejoint, entre Contursi et LaDuchessa, le Sele descendu des montagnes de

Teora, dans lesquelles sa source avoisine celle del'Ofanto, cette vallée s'ouvre jusqu'à la plaine quiborde le golfe de Salerne. Devant nous, droit ausud, le massif imposant des monts Alburni se dé-couvre de la base à la cime et se dresse vers leciel avec une incomparable majesté. A ses flancss'accrochent, situés à une grande hauteur, les

groupes de maisons blanches de Sicignano et dePettina. Ondésigne par ce nom d'Alburni la chaînede grandes montagnes, courant du sud-est au nord-ouest, qui est comprise entre les deux vallées du

Tanagro et du Calore et qui vient se terminer, surla lisière de la plaine de Salerne, aux bords dufleuve Sele, dont ces deux rivières sont les princi-paux affluents. Virgile a chanté les grands trou-peaux de bœufs qui paissent sur les pentes de l'Al-burne et dans les bois des rives du Silarus (le Sele),où des légions de taons viennent les molester.Entre les hauteurs où nous nous trouvons et les

montsAlburni, à une grande profondeurau-dessousde nous, le Tanagro se fraie péniblement un che-

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LEjVAL DI TEGIANO 47

min en serpentant au travers d'un labyrinthe de

petites collines boisées, débris d'un barrage naturel

qui a dû primitivement fermer sa vallée. C'est surune de ces collines, couverte de vignes et d'oliviers,

qu'est bâtie, dans un site des plus gracieux, la

petite ville d'Auletta, qui achève à peine de se re-lever du désastre de 1857, où le tremblement deterre n'en laissa pas une maison debout. Pour larebâtir on a procédé tout à fait à la turque, sans

déblayer le terrain, de telle façon que les décombressur lesquels il faut marcher obstruent encore les

rues, et qu'à chaque pas on y voit la vieille maisonen ruines à côté de celle qui l'a remplacée et quiest toute neuve. Nous observerons la même incuriedans toute la contrée, qui est une de celles où la

secousse du 16 décembre 1857 a exercé les pluseffroyables ravages.Auletta, construite sur un territoire très fertile,

mais dans une position malsaine, a toujours étéune fort petite localité. La première mention qu'onen trouve est comme faisant partie des domainesdu comte de Provence, Raimond Bérenger, fils duroi Charles II. Elle fut ensuite rattachée pendantplusieurs siècles à la seigneurie qui embrassaittout le Val di Diano. En 1535, Charles-Quint, reve-

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48 A TRAVERS L'APULIE. ET LA LUCANIE

nant de sa victorieuse expédition de Tunis, passadevant Auletta sur la route qui le conduisait iL

Naples. Cette petite ville, qui avait été toujours

hostile à la domination espagnole et qui, dans les

guerres du royaume, avait embrassé le parti des

Français, eut l'audace d'invoquer de prétendus

privilèges pour refuser l'accès de ses murs au puis-

sant Empereur. Irrité de tant d'insolence, celui-ci

voulut y entrer par la brèche et s'arrêta pour en faire

le siège. Auletta n'était qu'une bicoque; mais elle

était bien fortifiée et ses habitants résolus. Elle se

défendit plus que n'avait cru Charles-Quint, et les

troupes qui venaient de battre Barberousse durent

consumer vingt jours entiers, du 4 au 24 juillet,

pour la réduire.

Lorsque nous nous tournons enfin vers le sud-

est, dans la direction où nous allons continuer

notre route, le Val di Diano, ou, comme on dit offi-

ciellement aujourd'hui, le Val di Tegiano, s'ouvre

devant nous dans toute son étendue. On désigne

par ce nom la vallée de la rivière Negro ou Tana-

gro (le Tanager de l'antiquité), depuis sa source

jusqu'au bourg de Polla, où les collines de la der-

nière partie de son cours le resserrent, en fermant

presque complètementson débouché. C'estnn bassin

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LE VAL DI TEGIANO 49

T. Il. l

de forme ovale, allongé du sud-est aunord-ouest, qui

a 37 kilomètres de développement dans cette direc-

tion et 7 dans sa plus grande largeur. De hautes

montagnes l'environnent de tous les côtés. A l'est,

ce sont celles qui se rattachent au massif des Monti

della Maddalena, le groupe culminant du système

orographique de la région, dont le dernier sommet,

le Sant'Elia, domine Sala et Padula, et sépare le

Val di Tegiano de la belle vallée de Marsico ou du

haut Agri (Aciris desanciens), où sont Viggiano

et Viggianello, les bourgs qui envoient dans toute

l'Europe leurs musiciens ambulants, Saponara et

les ruines de Grumentum, la principale cité des

anciens Lucaniens. Au sud, la vallée se termine

par les montagnes de Lagonegro, nœud de partage

des eaux dans lequel prennent leur source, à peu

de distance l'un de l'autre, le Tanagro tributaire

du golfe de Salerne, le Noce qui se jette dans le

golfe de Policastro, et le Sinno (ancien Siris), qui

court porter ses flots abondants à la mer Ionienne,

dans le golfe de Tarente. Quant au côté occidental

de la vallée, il est bordé d'abord par la chalne des

monts Alburni, puis par le Monte Cervati, que des

cols sensiblement abaissés, donnant passage vers

Policastro et Sapri, relient aux montagnes de

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50 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Lagonegro. Toutes ces hantes chaînes, en partierocheuses et dénudées, en partie garnies de forêts,

sont livrées à la vaine pâture, qui y produit ses

effets fâcheux ordinaires et ruine les bois, en leur

empêchant de prendre le développement qu'ils au-

raient naturellement si la dent des bestiaux ne les

ravageait pas. Leur aspect sévère contraste de la

manière la plus heureuse avec la riante fertilité des

collines arrosées de nombreuses sources, couvertes

de plantations d'oliviers et de mûriers, de vignes, de

vergers de toutes espèces d'arbres fruitiers, qui en

sont les contreforts et qui, parsemées de villes, de

bourgs, de villages; de maisons isolées, forment

comme une ceinture au bassin du fond de la vallée,dans le milieu duquel le Tanagro roule ses eaux

limpides et poissonneuses (il est particulièrementrenommé pour ses truites et ses anguilles) et re-

çoit le tribut de tous*les ruisseaux qui descendent

des ravins des montagnes.Ce bassin a certainement été d'abord celui d'un

lac, qui s'est plus tard vidé par la rupture du bar-

rage qui le fermait du côté de Polla et d'Auletta, et

dont le fond, graduellement comblé, a été ensuite

occupé par un immense marais ombragé de grands

arbres, une forêt surgissant d'un sol noyé. Dans.

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LEVALDITEGIANO 5i

toute la partie basse de la vallée, quand on fouilleà une profondeurmédiocresousla couched'humusapportéepar les torrents des flancsdesmontagnesvoisines et forméepar la décompositionde leursroches, on rencontreplusbas d'épaislits de tourbeoù destroncs d'aunes et de peupliers renversés seprésentent en grand nombre. Partout, du reste,cettecouched'humusreposantsur la tourbesembleavoir, sous le pied qui la foule, une sorte d'élasti-cité. Le sol est commespongieuxet pénétré d'hu-midité.Le moindrefosséqu'on y creusese remplitd'eau immédiatement.De distanceen distance,aumilieudeschampscultivés,onrencontredesflaquesstagnantes,au borddesquelless'élèventvigoureuxles arbres qui aiment à végéterle pied dans l'eau,saules,aunes, peupliers que cercle une ceintured'énormesroseaux; à la surface desquelless'épa-nouissent les nénuphars ou verdissent les len-tilles où pullulent enfin les poules d'eau, les sar-celleset lesplongeons.Danscesconditions,malgréla rigueur des hivers et la précocitédes premiersfroidsde l'automne,quinepermettentà l'olivierderéussir que dans certaines expositionsspécialesetont empêchéles plantes de cotonet de garancedeparvenir à maturité quand on en a essayéla cul-

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ATHAVEHSL'Al'CLIKVALAIXCAMK

turc, le terrain du fondde la valléeest d'une mer-veilleusefertilité,qui rappellecellede la vallée duGraisivaudan,dans notre Dauphiné, avec laquellele Valdi Tegianoa de grandesanalogiesdecultnreet de climat. Le blé et le maïs, le lin et le chanvresont lesplantesquiy réussissent le mieux et cons-tituent avec les fromages le caccio-cavallodeMonteSan-Giacomoet les fromagesfrais deDianoont une renommée étendue les principaux ur-ticlesd'exportation de la contrée. Cesont les trai-nanti de Nolaet deNoceraqui, parcourant le paysavec leurs voitures, commeles coquetiersapprovi-sionnèurs de Paris et de Londres les campagnesde la Normandie, viennent les enlever pour lesporter à Salerne et à Naples. Le Val di Tegianoest aussi le grenier du Cilento,et eu général del'arrondissementdu Vallo di Lucania, commedescantonsde Policastroet de Sapri.Maisce sol fertile est pestilentiel.Les pâtes et

malfaisantesfées de la mal'aria le hantent cons-tamment, et guettent sur son sillon le laboureurqui vient ouvrir de sa charrue ou de sa houe leseinde la terre où elles ont élu domicile. Il suffitde voir chaquesoir et chaque.matin le brouillardépaiset demauvaisaspectqui occupetout le fond

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LEVALDITEf.IANO 53

de la vallée et que le soleil met quelque temps àdissiperpour comprendrequelle doit être l'inten-sité de ces influencesmorbifères. Sans doute ici,il une altitude déjà prononcée, sous un climatplutôt austère, la fièvre n'a pas la violencefou-droyante des accès pernicieux dont les vapeurexhaléesd'un sol aussi pénétré d'humidité sons leciel de feu de la Calabre, frappent les cultivateursou les pâtres dans le Val di Crati, sur l'emplace-ment de l'antique Sybaris, accès dont l'invasionsoudaine terrasse un homme sur place et le faitsouvent périr sans qu'il ait pu se relever. Lesfièvresdu Val di Tegiano sont des fièvresinter-mittentes tenaces,dont on a beaucoupde peine àse débarrasseret qu'un riensuffità réveillerquandune foison en a été atteint; elles n'offrent pas undunger de mort immédiat, mais elles minent letempéramentde l'hommeet portent à la santé uneatteinte ineffaçable.On peut aller travailler dejour il la culture dans le fond de la vallée, à con-dition de n'y descendreque lorsque le soleil aatteint une certaine hauteur dans le ciel et d'enremonter avant qu'il ne se couche. Mais on nesaurait y passer la nuit sans une imprudencebienvite punie. Aussin'y voit-onpas une seulehabita-

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54 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

tion. Los villages et les fermes ne commencentàsemontrer que sur la lisière de terrain plus fermeau pied des collines qui précèdent les grandesmontagnes.Encore ceuxqui ont été bâtis dans cesconditions sont-ils malsains, sujets à la fièvre.Pour trouver des positions vraiment salubres ilfaut monter sur les collines. Aussi est-ce là quesont placéesles villes et les bourgs modernesdudistrict administrativementc'est l'arrondisse-ment de Sala comme l'étaient aussi ses villesdans l'antiquité.Tout semble indiquer que du temps des Luca-

niens, et à plus forte raisondu tempsdes PélasgesŒnotrions, leurs prédécesseurs,le fonddu Val diTegianoétait encoreoccupépar une forêt maréca-geuse, pareille aux bois noyés périodiquementqu'on voit sur les bords du Crati et à certainesparties de la forêt vierge du Pantano di Policoro,touchant au fleuveSinno. Ce furent les Romainsqui exécutèrent les grands travaux pour l'écoule-ment des eauxqui procurèrentle dessèchementdela vallée et en assurèrent le sol à l'agriculture.Leurs travaux servent encore aujourd'hui. Lescanauxde déchargequ'ilscreusèrentet qui versentdans le lit du Tanagro des eaux qui autrement

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LEVALDITEGIANO 55

resteraient stagnantes et couvriraient une partiede la vallée, demeurent les élémentsessentiels dusystème de son drainage, tel qu'il s'est conservéjusqu'à nos jours. Mais le moyen âge négligeacomplètementde les entretenir; son incurie laissaune grande partie des fossés de dessèchementromainss'obstruer et disparaitre. Aussi les maré-cages reprirent-ils alors des terrains qu'on avaitsn leur enlever; une grande portion de la valléeretourna à l'état de pâturages fangeux, inondés

pendant certaines saisons de l'année et impropresà la culture. C'est seulement depuis un peu plusd'un siècleque l'on a recommencéà s'occuper dudessèchementdu Val di Tegiano. Ony a déjà con-sacré des travaux considérables,mais beaucoup,surtout les plus anciens en date, ont été si malconçus, par des ingénieurs si ignares, qu'aprèsavoircoûtéénormémentd'argent ilsn'ontservi ab-solumentà rien. Heureusementd'autres ont euplusd'effet, ceux qu'en 1796dirigea l'ingénieur CarloPolli et que commémoreà Diano une inscriptionmonumentalelatine à la manière des Romains iln'est que justice de dire que depuis ces travaux,grâce à l'adoption d'un plan d'ensembleet à unebonne conduite des entreprises, l'assainissement

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56 ATRAVERSL'APULTRETLALUCANIE

de la vallée et sa restitution à l'agriculture ontfait d'immensesprogrès. Maisce qui reste encoreà faire est énorme. Il y a nécessité de multiplieurles moyens d'écoulement des eaux, et aussid'exhausser et de solidifierle sol par l'adoptiond'un systèmejudicieux et bien organiséde colma-tage, en un mot d'appliquerau Valdi Tegianolesmoyens qui ont réussi à transformer le Val diChiana,de marécagespestilentiels, en la terre laplus fécondeet la plus florissantede laToscane.Ici les résultats ne seraient pas moins certains.

Par des travaux de ce genre l'arrondissementdéSala est appeléà devenir une des plus bellescon-trées agricoles de l'Italie. Mais précisément aumomentoù l'on pourrait concevoirl'espérancedevoir entamer cette grande entreprise,qui demandedes efforts extraordinaires, sa réalisation sembleprête à rencontrerdesobstaclesnouveaux,etpeut-être insurmontables, dans le manque de bras.Depuis un certain nombre d'années le pays sedépeuple avec une efïrayanlj rapidité. L'émigra-tion vers les territoiresviergesdela ConfédérationArgentine a pris des proportions telles qu'elle'devientun véritabledanger public. Le paysan estattiré par les mirages décevants de cet Eldorado

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LEVALDITF/JIANO 57

lointainque des agents il.laparoleséduisantevien-nent lui vanter dans sonmisérablevillage.Lesunspartent en famille,emmenantavec euxleurs vieuxparents, leur femmeet leurs enfants. De ceux-làon n'entend plus parler; mais leurs compatriotess'imaginent qu'ils ont prospéré par delà l'Atlan-trique.Les autres s'en vontseuls,abandonnantleurfamille, qui, dénuée de son soutien, végète ets'éteint dans la misère. Quelques-uns, en petitnombre, reviennent au bout de quelques annéesdans la terre natale, ayant gagné au rudemétier de saladeros de quoi mettre leur familledans une certaine aisance.C'est ceuxque l'on citepartout, oubliantceux, enbienplus grandnombre,qui sontmorts à la peine, le cœur plein du regretde leur chère Italie, et ceux qui de là-bas, com-plètement dénationalisés, n'ont plus donné signede vie. C'est leur exemplequi achèvede tournerles têtes et détermine de nouvelles émigrations.J'ai vu dans le Val di Tegianodes bourgs, Padula

par exemple,où depuisdix ans le tiersde la popu-lation virile a pris la route de l'Amérique.Danscertains villages où le casque de liège couvertd'étoffeblancheà l'anglaise,dontj'étais coiffé,mefaisaitprendre je ne sais trop comment pour

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58 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

un Américain,les femmesde tout âge se rassem-blaientautour demoi et me demandaientavecunempressementavide si je venais de La-Plata et sije pouvais leur donner des nouvellesde leur fils,de leur mari, de leur fiancé, de leur frère. Lecaeurle plus froideut été attendri de ces ardenteset naïvesinterrogations.Pour qui connaîtl'état du pays, cette dépopula-

tion n'a rien qui surprenne. Il ne faut pas se ledissimuler,ici comme dans toute la Basilicateetdansbeaucoupdeprovincesde l'Italie méridionale,la misèreet la souffrancedu paysan est parvenueà son comble, et le découragementa fini par lesaisir. Il y a des luttes acharnées contre la naiH&reet l'insalubritéqu'on ne peut demanderà l'hommede la campagne que s'il est propriétaire du solqu'il s'agit d'assainir, ou du moins s'il en est,commeenToscane,le métayer dans des conditionsqui en assurent à sa famillela-jouissancependantplusieursgénérations.Maiss'il n'est qu'un tenan-cier incertain de son avenir ou un simpleouvrieragraire, s'il arriveà perdre l'espoirde voir amélio-rer sa condition,il se lasse d'efforts sans propor-1 tion avec le résultat qu'il en peut obtenir; il re-nonce à continuer une lutte absolument stérile

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LEVALDITEGIANO 59

pour lui. Je ne saurais assez le répéter, l'Italieaffranchiea eu le tort immensede ne rien fairejusqu'à présent pour changer le sort de ses popu-lationsagricoles,pour soulager l'intensité de leurssouffrances.De ce côté, aucun secours ne leur estvenu, tandis que les charges des impôts et de laconscription,croissant en proportiondes nécessi-tés inévitables d'un grand État, en sont arrivéesau point d'être un fardeau insupportablepour desgens qui meurent de misère. J'ai parlé plus hautavecla sévéritéqu'ellemérite de la manièred'agirdes grands seigneursterriens, despropriétairesdeces latifundia qui absorbentla majeure partie dusol de l'ancien royaumenapolitain.De ce côté en-core le paysan n'a aucun secours, aucun allége-ment à attendre,pas plus qu'il ne faut comptersurl'emploid'aucun capital à l'amélioration,mêmelaplus urgente, des terres. Pour ces propriétairesl'absentéismeest de règle, et leur uniquepréoccu-pation est de tirer de leurs domaines un certainrevenusans y dépenserun centime. Ils s'attachentdonc à y maintenir un système d'agriculture etd'exploitationqui permetted'obtenir ce résultat enlaissant une large part du sol improductiveet le

pays inhabité.Autrement,ils ne s'inquiètent pas

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ATRAVERSL'APULÏEETLALUCANIE

de la conditionde terres qui souvent sont vastescomme un département,et que beaucoupd'entreeux n'ont jamais visitées. Pourvu que le fattoreon mercantedi campagtia,auquel il a confié l'ex-ploitationde son domaine,lui en serve régulière-mentla rente et au besoinlui fournissedes avancesquand il lui en demandera, le propriétaire le laissemaître absolu d'agir commeil veut et le fattorepressure à cœurjoie le paysanpour arriver à fairesapropre fortune leplus rapidementpossible,toutensatisfaisantaux demandesdupropriétaire.C'estun vrai pachaturc, qui administreà la modeotto-mane,avecun systèmeaussi humain et aussi intel-ligent.Il n'existe aucune institution de crédit agricole.

Quele massararoait à payer des ouvrierspour untravail urgent, que le simple cultivateur, aprèsune année de mauvaiserécolte, ait à fournir à unedemanded'argent du fattore, qui n'accordejamaisde délais, ou simplementà acheter ses semences,ils n'ont aueune avanceet nul moyende se procu-rer les fonds qui leur sont indispensables,autre-ment qu'en se livrant aux mains des usuriers decampagne qui les égorgent. Autrefois il y avaitdans chaquebourg un mont-de-piété,instituédans

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LEVALDITGGIANO siun but de bienfaisance,qui prêtait sur gage à untaux infinimentmodique la création d'établisse-ments de ce genre avait été l'une des oeuvresdecharitéles plus habituellesdans toute l'Italie. C'é-tait sans doute un modede crédit bien imparfaitmais il valaitmieuxque rien, et par le fait rendaitbeaucoup de services, surtout pour les pauvres.Depuisun siècle on a laissé presque partout cesétablissementsdépérir et disparaître, (/a été danslamêmepériodele sort desMontiFrumentarii, ins-titution propre au royaumede Napleset dont au-trefois il était justement lier, qui s'y était surtoutdéveloppéesous l'impulsion d'un grand mouve-mentdecharitéchrétienne,au xvi"et auxvn°siècle,et qui avait contribuéplus que toute autre à per-mettre aux paysansde traverser sans périr de faimla périodede l'abominablegouvernementdesvice-roisespagnols.Onappelaitainsidesétablissementsde bienfaisancequi prêtaient gratuitementau cul-tivateur les grains nécessaires à ses semailles,àconditionde les rendre il la récolte suivante. Pen-dant un temps il n'était pasun richehabitant desprovincesqui ne tint il honneur de conserver sonnom en laissant par son testament une fondationde ce genre dans sa bourgadenatale ou en euri-

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62 ATHAVKHSL'AI'l'LIKETLAIX'CANIK

chissanl celle qui y existait. Mais déjà dans les

premièresannéesde ce siècleGuistiniani,en rédi-geant sonDictionnairegéographiquedu royaume,,devait écrirepresqueà chaquepage « Danscettelocalité a existé un montefrumentario, établiparun tel, à telle date, et qui rendait les plus grandsservices.Mais il est maintenant fermé et rien nel'a remplacé.»Dans ces cruelles conditions du paysan, com-

mentnechercherait-ilpasà s'enaller au loin tenterau prix de l'expatriationune meilleurefortune?Amesurequ'il tendà sortir de l'état d'abrutissementoù les gouvernementsprécédents le tenaient parsystème, il sent plus durement sa misère. Lesmoyens de s'en aller en Amérique sont devenusplus faciles les agences d'émigration, puissam-ment constituées dans les grands ports de mercomme Naples et Gènes, sont là qui l'appellentavec leurs programmesséduisants. Il se déracinedu sol, il part et l'Italie méridionales'appauvritencore en se dépeuplant.A moinsd'être avcugles,il est tempsque les chambreset le gouvernementse préoccupentdece mouvementd'émigrationquise développesur une échelle si menaçante.Maison ne saurait l'entraver efficacementpar des nie-

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LEVALm TKOIANO 03

sures coercitivesdu genre de celles quelesBour.bonsont essayéessans succèsà plusieursreprises.Elles seraient iniques et impuissantes contre laforce des choses. Il n'y a qu'un moyen d'arrêterdans sa source le courant formidablequi pousseal'émigrationle paysan des provincesnapolitaines.Cesont des mesures législativesqui améliorentsacondition,qui l'appellentenfinà la propriété,et enmême temps un système suivi d'encouragementsgouvernementauxiLl'agriculture.La race est forte, bien proportionnée,de bonne

apparence et dure il.la fatigue dans le Val di Te-.giano.J'y aivu,particulièrementt hPadula,debeauxtypes de femmes, un peu sauvages, mais qu'unpeintre aurait volontierspris pourmodèles.CellesdeSant'Arseniose rendent artificiellementblondesen se lavant dès leur jeunesse les cheveuxavecdela lessive de cendres, commefaisaient les damesromainesde la périodeimpériale.Le costumeféminin dans tout le district est le

suivant. Un corsagede drap rouge, bordésuivantles villageset l'aisance des paysannes d'un galond'argent ou d'or ou bien d'un ruban bleuou noir;il est décolletéet sans manches,s'arrêtant au-des-sousde la gorge; de ce corsagesort la chemisedes

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6i ATRAVERSLAPULIEETLALUCANIE

grosse toileblanche,à mancheslarges et longues,avécun fichu de couleur croisé sur la poitrineetun collier de verroterie auquel est suspendu unmédaillond'un filigraned'or grossier.Quelquefoisle fichuest de soie et provientdes métiers de Ca-tanzaro en Calabre plus souvent il est en simplecotonnade anglaise. La jupe est double celle dedessus, toujours d'un bleufoncé, bordée d'un ga-lon d'or chez les seulesfemmesde Polla, est très-courte, relevéepar devantet attachéepar derrièrepour laisser voir la jupe de dessous,plus longueet étroitementroulée autour ducorps,dont la cou-leur varie suivantles localités,rouge ici,bleu clairailleurs, rayéedans un troisièmeendroit. Le voile,posécarrémentsur la têteet tantôt de grosse toile,tantôt de laine, varie aussi de couleur suivant lesendroits à San-ltufo il est rouge, noir à Monte.San-Giacomoet Sassano,bleu foncéà Casalnuovo,blanc partout ailleurs. La façon dont il tombeplus oumoinsbas sur les épaulesdifférencieéga-lement le costume des divers bourgs et villages.Quant aux hommes,ils ont tousune veste à reversbrune ou noire, de velours chez les paysans élé-gants et aisés, de gros drap chez les autres, ungilet de laine écarlate à deux rangs de boulons,

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LE VAL DI TEGIANO 65

T. Il. 5

une culotte courte et fendue au genou, de même

couleur que la veste et faite d'une sorte de froc

grossier, de grandes guêtres blanches, pour chaus-

sures des zambitti, espèces de sandales de peau at-

tachées avec des cordelettes de poil de chèvre; sur

la tête un chapeau de feutre noir ou brun à larges

bords. Quand commencent les froids, ils portent

par-dessus ce vêtement la cappa toute rapiécée,

d'une grosse étoffe de laine qui se fait dans les vil-

lages mêmes du pays, le cappotto, plus long et

plus ample encore, ou bien le giacco collant au

corps, fait en peau de bique ou de mouton gardant

tous ses poils M'extérieur.

Le Val di Tegiano est la grande route straté-

gique, tracée par la nature, qui fait pénétrer du

nord jusqu'à l'extrémité méridionale de l'ancienne

Lucanie et donne accès dans la Calabre. Aussi est-

ce par là que sont passées aux époques les plus di-

verses toutes les armées d'invasion qui sont descen-

dues vers l'extrême pointe de la péninsule italienne

pour atteindre aux rives du détroit de Messine les

peuples i.a race sabellique dans leur grande pous-

sée sur le territoire des colonies grecques et du

Bruttium; les Romains de la République, quand

après avoir vaincu les Lucaniens ils allèrent oecu-

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66 A TRAVERS LAPULIE ET LA LUCANIE

per Thurioi et mettre garnison à Rhêgion, avant de

tourner leurs efforts coutrc Tarente et d'entrer en

lutte avec Pyrrhos, roi d'Épire puis, après la chute

de la puissance romaine, Alaric et ses Goths, Au-

tharis et ses Longobards plus tard, au xi' siècle,

Robert Guiscard et son frère Roger, avec leurs

Normands; plus près de nous, Stuart d'Aubignyà deux reprises à la tête des troupes françaises

enfin dans ce siècle même le général Regnier et

le maréchal Masséna. C'est également cette voie

qu'ont suivie en sens inverse, en marchant de la

Calabre sur la Campanie, Totila, Gonsalve de Cor-

doue et Garibaldi. Car depuis la guerre d'Hanni-

bal, où les dernières opérations dans la direction

du Bruttium portèrent principalement de part et

d'autre sur la route parallèle qui s'ouvre naturel-

lement le long du littoral de la mer Ionienne, je ne

connais guère, comme ayant conduit leurs armées

par cette dernière ligne, que dans un sens, du nord

au sud, l'empereur Othon III, quand il alla flaire

détruire à Stilo par les Arabes ses légions alle-

mandes, et daus l'autre sens, en procédant du sud

au nord, Bélisaire et le cardinal Ruifo.

C'est par cette vallée que les Romains tirent pas-ser leur grande voie de Capoue à Regium, rattachée

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LE VALDI TEGIANO 67

à son point de départ à la Voie Appienne, et l'unedes plus importantes de l'Italie. Les érudits lui don-nent ordinairement le nom de Via Popilia, quipourtant ne se lit chez aucun écrivain antique,parce qu'elle fut définitivement créée, dans la pre-mière moitié du n° siècle avant J.-C. par le célèbreC. Popilius Laenas. Cette route, dont nous sommesvenus précisément suivre les traces dans le Val di

Tegiano, gagnait de Capouc Saler-ne et de cetteville se dirigeait sur le Silarus (le Scie), en passantpar Piccntia (Vicenza). Le Silarus franchi, elle

passait un peu plus loin le Calor (Galore actuel),contournait le pied du mont Alburnus et atteignaitle Tanager (Tanagro ou Negrô) à Forum Popilii

(Polla). La voie suivait ensuite la vallée dans toute

sa longueur, mais arrivée à son extrémité méri-

dionale, pour éviter les escarpements difficiles des

montagnes de Lagonegro, elle tournait vers l'ouest,franchissait le col qui conduit à Sapri et touchaità la mer dans le voisinago du site de cette ville

actuelle, au point que l'on nommait alors Caesa-riana (Acquafredda). De là elle remontrait par laLauriana d'aujourd'hui jusqu'à Ncrulum (La Ro-

tonda), d'où elle descendait dans la vallée du Cra-

1bis par Muranum (Morano), passait & Caprasia

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

(Tarsia) et gagnait enfin Consentia (Cosenza). Je

ne détaillerai pas pour cette fois son itinéraire

dans sa dernière partiè, depuis.Consentia jusqu'à

Rcgium, car je la retrouverai dans le volume que

je compte consacrer à la Calabrc occidentale, et

j'inviterai alors le lecteur à la suivre avec moi. Je

ne m'occupe en ce moment que d'une portion dé-

terminée de son parcours. Cette grande voie, créée

ainsi près de deux siècles avant la fin de la Répu-

blique, fut entretenue avec le plus grand soin pen-dant toute la durée de l'Empire. La dernière répa-ration qu'en mentionnent des documents épigraphi-

ques eut lieu sous Julien l'Apostat. Elle était donc

encore en parfait état quand Alaric et Autharis la

suivirent, et elle fournit à leurs armées le passagele plus facile. C'est à peu de chose près son itiné-

raire qui a été adopté par les ingénieurs modernes

pour la construction de la route royale ou

de la Consolare, comme on-dit dans le paysde Salerne à Reggio par Eboli et Cosenza, com-

mencée et en grande partie exécutée sous le gou-vernement de Murât, terminée après la Restau-

ration par les Bourbons, qui s'en attribuèrent en-

suite tout le mérite en vertu d'un principe, quen'eût pas désavoué le P. Loriquet, de celui qui

Page 71: A travers l'Apulie et la Lucanie

LEVALDITEGIANO 69

conduisitaussi le papePic VII à placersur toutesles fouilles,queles Français avaientfaites àRomependant sa captivité,les inscriptionsoù il se vantede lesavoirordonnéeset dirigées. Seulement,par-venue au fond de la vallée, la grande route mo-derne, au lieu de tourner vers Sapri, gravit direc-tementles montagnes et atteint Lagonegro,d'oùellegagne La Rotonda. Onconstruit actuellementun cheminde fer qui desservirale Val di Tegianoet ira rejoindre du côtédeSaprila lignedeSalerneà Reggio par le bord de la mer Tyrrhénienne.Lesterrassementset lestravauxd'art ensont déjà faitsen partie.Dans l'antiquité, le territoire du Valdi Tegiano

était réparti entre quatre cités desLucaniens,éta-bliessur les collinesqui en font la ceinture,Atina(Atena),Tegianum(DianoouTegiano),Consilinum(LaCività près Padula)et Sontia (Sanza).Sous ladomination romaine, après la GuerreSociale,cescités devinrentautant de municipesqui demeure-

rentpopuleuxetprospèresjusqu'àlafindel'Empire.Les localités secondaires en dépendaient, parexempleForum Popilii d'Atina et MarcellianadeConsilinum.Commepresque toutescellesde l'Ita-lieméridionale,leséglisesde ce districtprétendent

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70 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

rattachor les origines de leur christianisme aux

prédications de saint Pierre lui-même, qui aurait

passé par la contrée en se rendant à Rome; maisrien de sérieux ne justifie une pareille prétention,que l'on n'a pu appuyer qu'en y appliquant à tortco qui est dit par une ancienne tradition de saint

Marc, premier évêque d'Atina au paysdes Volsqucs,et non pas de la ville homonyme de la Lucanie,

laquelle n'a jamais possédé d'évêché. Le seul indiced'une certaine ancienneté de la foi chrétienne danscette portion du pays des Lucaniens résulte de lavie légendaire de saint Laverius, le célèbre martyrde Grumentum dans la persécution de Diocléticn il

y est dit qu'il était né d7une famille d'honesliores de

Tcgianum. Ecclésiastiquement le pays a toujoursdépendu de l'évêché de Paestum, et de celui de Ca-

paccio, qui en prit la place. C'est seulement le papePie IX, en 1850, qui éleva Diano, sur la demandedu roi de Naples Ferdinand II, à la dignité de ville.

épiscopale et lui constitua un diocèse particulier.Lors des invasions barbares, les villes romaines

du Val di Tegiano eurent cruellement à souffrir du

passage des Goths, puis des Longobards. Ellesfurent aussi, dans le cours du ix° siècle, dévastées à

plusieurs reprises par les incursions des Sarrasins.

Page 73: A travers l'Apulie et la Lucanie

LE VAL DI TEGIANO 71

Sous les rois Longobards ce pays dépendait duduché de Bénévent et du castaldat de Salerne.Quand plus tard la principauté do Bénévent devint

indépendante, après la destruction du royaume, et

quand la principauté do Salerne s'en détacha à sontour, il resta dans la dépendance de cette dernièreville. On ignore, du reste, absolument son histoire

pendant cette période; on sait seulement que lesBénédictins du Mont-Cassin y acquirent de grandsbiens et que ce furent eux qui y réorganisèrent la

plupart dès paroisses après les ravages des mu-sulmans.A la conquête normande, Diano et les autres

localités de la vallée passèrent aux mains descomtes de Marsico de la famille Sanseverino, dontl'auteur était un des principaux compagnons doRobert Guiscard. Polla, qui avait un seigneur par-ticulier, relevait des comtes do Sicignano, autre

grande famille normande, établie aussi dès les pre-miers temps de la conquête. Toute cette régionappartenait, en effet, au comté que Guillaume, lehuitième fils de Tancrède de Hauteville, s'était tailléavec son épée aux dépens de la principauté do Sa-lerne et qui descendait au sud, le long de la mer

Tyrrhénienne, jusqu'à Scalea.

Page 74: A travers l'Apulie et la Lucanie

72 A Tn.WERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Sous les Hohenstaufen, les Sanscverino de Mar-sico et Diano continuaient à être au premier rangdes barons d uroyaume Frédéric II les avait comblés,de faveurs. Mais en 1245, cédant aux suggestionsdes agents de la'cour papale, Guglielmo Sanscve-

rino, chef de cette famille, devint l'âme d'une cons-

piration ourdie pour assassiner l'Empereur excom-

munié, qui tenait alors cour plénière à Grosseto.Tous ses parents entrèrent dans le complot, avec lestrois frères Fasanella, appartenant encore il unegrande famille normande, qui possédait la majeurepartie des monts Alhurni et du Cilcnto Henri de

Morra, ancien grand-justicier du royaume; Teobal-do Franco, ancien podestat de Parme; Andrea Ci-cala, et d'autres membres de la haute noblesse. Ilfut révélé par un des conjurés, qui au dernier mo-ment recula devant le crime, Giovani da Presen-zano. Les autres, se voyant découvert, n'eurent

plus de ressource que l'insurrection. Aussitôt Fré-déric, quittant la Toscane, marcha contre eux,les battit et les contraignit il s'enfermer dans Capa.cio, dont il réussit à s'emparer après un siège de

près de cinq mois. La colère de l'Empereur était ar-rivée à son comble, et cette fois il fut implacable.La ville de Capaccio fut rasée, après avoir été pillée

Page 75: A travers l'Apulie et la Lucanie

LE VAL DI TEOIANO 73

et livrée aux flammes; tous ceux des conjurés qu'on

y prit vivants périrent dans d'atroces tortures. De

la puissante maison de Sanseverino il ne resta

qu'un enfant de neuf ans, Roger, qu'un serviteur

fidèle parvint à cacher et emmena secrètement hors

des atteintes de Frédéric.

Vingt et un ans plus tard, Ruggiero Sanseve-

rino était, avec PandolfoclMallcodi Fasanella, l'un

des principaux entre les bannis du royaume sici-

lien qui marchaient sous la bannière de Charles

d'Anjou et contribuèrent puissamment au gain de

la bataille de Bénévent. Il ne fut pas moins ardent

lors de la guerre contre Conradin. Charles lui ren-

dit, accrus encore, les seigneuries et les biens de

sa famille, qui avaient été confisqués il fit de

même pour les Fasanella, et c'est alors que l'un

d'eux, Mattco, reçut la seigneurie de Polla. Les

Sanseverino devinrent dès lors les premiers et les

plus fermes soutiens du parti angevin dans le

royaume de Naples. Tommaso Sansevcrino, ayant

défendu énergiquement la cause de Louis Il d'An-

jou contre Ladislas, fut privé- de ses domaines et

forcé de s'enfuir, quand celui-ci devint complète-

ment maUre du royaume, en 1399. Ce ne fut qu'en

1417 qu'il put rentrer et obtint de la reine Jeanne

Page 76: A travers l'Apulie et la Lucanie

74 A TRAVERSL'APULIEET LALUCANIE

la restitution do ses terres et seigneuries; c'est

alors qu'il acquit Polla. En 1463, Robcrto Sanse-

verino, grand-amiral du royaume, fut fait princede Salerne par le roi Alfonse. Marsico et Diano se

trouvèrent ainsi pendant quelque temps unis dansles mêmes mains à la principauté de Salerne, et yrestèrent même après que le prince eut laissé la

Conjuration des Barons contre Ferdinand ler tenirune de ses réunions dans sa ville de Diano.Mais lors de l'expédition de Charles VIIIàNaples,

Antonio Sansoverino, prince de Salerne, fidèle auxtraditions angevines de sa famille, se montra l'undes plus chauds et des plus obstinés partisans duroi de Franco, dont il avait été le premier à solli-citer l'entreprise. Après la triste capitulation de

Montpensier à Atella, il vint à Naples en octobrefaire sa soumission à Frédéric. Mais bientôt,

ne recevant pas do garanties'suffisantes pour sa

sécurité, craignant le sort de son cousin, leprincede Biaignano, que le roi aragonais avait fait assas-siner à Naples, après l'y avoir attiré par de belles

promesses, il entreprit de recommencer la guerreà lui seul. Naturellement il fut vite défait et obligéde se retirer dans la forteresse de Diano, où il sou-tint un siège de trois mois contre Frédéric en per-

Page 77: A travers l'Apulie et la Lucanie

LE VAL DI TEGIANO 75

sonne. Le 17 décembre U97 il dut se résigner à

capituler, obtenant la faculté de lie retirer libre-ment à Venise, où il mourut deux ans après. On

prétend qu'avant do sortir de Diano il traça avecla pointe de son épée sur une muraille du châteaules vers suivants, allusifs à son blason

Dans le couvent des Mineurs Observants à Dianoon lit encore ces autres vers, écrits par une maindu commencement du xvi" siècle au-dessous dol'écusson d'Antonio Sanseverino

Les seigneuries du prince do Salerne, confis-

quées, furent distribuées entre différentes mains.

Diano passa à une autre branche des Sansevorino,

puis auxColonna, princes d'Eboli; Polla, érigée en

marquisat, à la famille Villano. En 1606 Giovani

Villano, marquis de Polla, acheta Diano à la fa.

Non più bianco il color ma tutto interoPerdio il campo (oh mia perversa sorte)E trà il traverse affamigato e nero.

Il color di mia speranzaNon verde corne fù,La tradita mia costanaaConosciuta non è più.Ahi che dire ben mi lice

Poco dura il gioir d'un infelice)

Page 78: A travers l'Apulie et la Lucanie

76 A TRAVERS L'APUUE ET LA LUCANIE

mille Caracciolo, qui l'avait eu des Cotonna. En

1654 l'Espagnol Carlos Cala, régent du royaume,

fit à son tour l'acquisition de cette seigneurie, quifut en sa faveur constituée en duché et resta

à sa famille jusqu'en 1807. Un mariage transmit

alors le titre de duc de Diano à la famille Schi-

pani, qui le possède encore. Ce sont les descen-

dants directs du Giuseppe Schipani que nous avons

vu plus haut général de la République Parthéno-

péennc, en 1799.

En 1528, LauLrec assiégea Diano et prit la ville

après peu de résistance. On accusa les habitants

d'avoir entravé la défense par sympathie pour les

Français, et ils en furent durement châtiés par leur

propre seigneur, Ferdinando Sanseverino, quandil y rentra après la mort de Lautrec et le désastre

de son armée. C'est le dernier épisode des annales

du Val di Tegiano qûi intéresse l'histoire générale.

Page 79: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALAET DIANO

Des hauteurs d'où nous avons embrasse dansson ensemble la vue du Val di Tegiano, nous allons

rejoindre, au-dessous de Caggiano, la route royalede Reggio. Caggiano, bAti sur une crête de mon-

tagne avec un vieux château en ruines, est un bourg

qui compte près de trois mille habitants. On ne sait

rien do son histoire, si ce n'est qu'Albérède de Cag-

giano, chevalier de sang normand, était à la pre-mière Croisade un des compagnons de Bohémond.

Bientôt la route descend par une côte prolongée

jusqu'à l'entrée de la vallée. C'est là que se trouve,

de l'autre côté du Tanagro, sur le penchant d'une

colline qui s'avance pour fcrmer.lc bassin de l'an-

cien lac, la jolie petite ville de Polla, entièrement

rebâtie depuis le tremblement de terre de 1857, qui

n'y a pas laissé subsister un édifice ancien. Elle

Page 80: A travers l'Apulie et la Lucanie

78 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

compte 6,000 habitants, et de ses quatre paroissestrois seulement relèvent de l'évêque de Diano la

quatrième est sous la juridiction de l'abbé du mo-nastère de La Cava. C'est, en effet, à cette abbayequ'en iO86Asclitin, comte de Sicignano, etSichel-

gaïta, sa femme, avaient donné les villages deRustillanum et de Casina près de Polla, devenus

plus tard San-Pietro et Sant'Antonio di Vienna,dont les habitants en 151 S se transportèrent à l'in-térieur de là ville et y formèrent le noyau de la

paroisse dont je parle.Le nom de Polla ne vic->t pas du dieu Apollon,

comme se sont complus à l'imaginer au xvie siècleles savants locaux, lesquels l'écrivaient même alors

Apolla; c'est une contraction de Popilia. Il est né-cessaire de restituer cette forme comme intermé-diaire entre Forum Popilü que donnent les Itinérai-res du rv* siècle et Polla qu'on trouve déjà dans les

diplômes du xi8. Avant le tremblement de terre de

1857, Polla renfermait quelques débris d'antiquitésemployés dans la construction de ses églises. Le

pont à cinq arches jeté sur le Tanagro, qui fait

communiquer cette ville avec la grande route, estde construction romaine, mais fortement remaniée.Le canal transversal qui rassemble toutes les eaux

Page 81: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALA ET DIANO

du bas de la vallée pour les déverser dans le lit de

la rivière est aussi l'œuvre des Romains. Au siècle

dernier on lisait auprès de l'entrée du pont une

inscription gravée sur marbre, que quelques éru-

dits napolitains ont commis la faute de croire an-

tique Pontem et foxatum Borna p(tiblice) fecit.N'en déplaise à M. Mommsen, si ce n'est certaine-

ment pas là un monument d'épigraphie romaine,

ce n'est pas non plus, à proprement parler, une ins-

cription « fausse », et il est injuste d'y attacher

cette épithète flétrissànte. La fraude n'a eu aucune

part à sa confection. C'est tout simplement une de

ces memorie que la Renaissance aimait à placer

pour illustrer l'histoire des lieux. L'unique faute

a été ici à ceux qui plus tard se sont mépris sur la

nature et l'âge du monument.

Sur la rwe droite de la rivière, à l'endroit où le

chemin qui conduit à la ville et de là au village

voisin de Sant'Arsenio, dont l'église fut fondée par

le duc Roger de Pouille, se détache de la grande

route, est un groupe de maisons désignées sous le

nom de Taverne di Polla. Dans le mur de façade de

ces maisons est encastrée depuis plusieurs siècles

une des plus fameuses et des plus limportantes

inscriptions latines que nous ait léguées l'époque

Page 82: A travers l'Apulie et la Lucanie

80 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

républicaine. Les formes de langue y sont des

plus anciennes, et le type paléographique de l'é-

criture des plus intéressants aussi par son carac-

tère archaïque. C'est l'inscription où C. Popilius

Lamas raconte la construction de la voie qu'il a

fait exécuter de Capoue à Regium avec ses ponts,

ses bornes milliaires et son service de courriers,

viam fecei ab Reyio ad Capuam et in ea via pou-

teis omneis, miliarios tabelariosque doseivei. Il

donne la longueur totale de la route avec les dis-

tances entre ses différentes stations et dit avoir cons-

trait à l'endroit où était placé le marbre un forum,

le Forum Popilii, appelé d'après lui, et des édifices

publics, forum aedisque poplicas Keic fecei. Il rap-

pelle encore les hauts faits de sa préture en Sicile,

où il a réprimé les mouvements des esclaves et fait

rentrer 917 fugitifs entre les mains de leurs maîtres,

eidem praelor in Sicilia fugileivos Italicorum

quaeùdvei, redideiyue homùies DCCCCXVII. Enfiu

dans une phrase très remarquable il se vante d'avoir

été le premier à forcer les pasteurs à céderle terrain

aux laboureurs sur les domaines publics, eidemgue

primus fecei ut de agro poplico aratoribus cédèrent

paastores.

Voici bien le principe de politique économique et

Page 83: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALA ET DIANO si

T. il. 6

agraire qui inspirait les actes je l'administration

romaine aux temps ou la République était encore

florissante et son administration forte, restreindre

par des mesures énergiques la vaine pâture pour y

substituer la culture du sol. C'est le vrai principe,

celui qu'il faut appliquer aujourd'hui de nouveau

et qui seul peut rendre à la contrée la vie et la pros-

périté, en amener le repeuplement. Au moyen âge,

sous le régime féodal, c'est le contraire qui avait

prévalu. Lorsque Francesco Sanseverino, comte

de Marsico, en 1335, assura à la commune de

Diano la jouissance d'une partie du territoire de la

vallée il le fit en interdisant « que personne osât

mettre en culture tes biens communaux, y bâtir ou

y exécuter un travail d'amélioration quelconque »,

ce qui fut confirmé dans les même termes par le

roi Ladislas en 1404, par Jeanne Il en 1430, par

Ferdinand d'Aragon en 1465, et par Charles-Quint

en 1536. Au xv" siècle la passion de l'antiquité était

universelle c'est par son exemple qu'on voulait

tout justifier". On prétendit donc Wre Temonter à

l'administration romaine la préférence accordée

au pâturage sur le labourage et pour y arriver on

inventa des soi-disant documents épigraphiques.

Marine Freccia, dans son traité De suffetidis, af-

Page 84: A travers l'Apulie et la Lucanie

82 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

firme ce qui suit « Lorsque j'étais dans le Val di

Diano pour inspecter les limites des domaines de

celte vi!le et du seigneur baron de San Pietro, je

trouvai une pierre de marbre où l'on pouvait en-

core lire quelques paroles Et Vatlis rationis nwi-

cupatur, dum inter pastores et aratores qtiœstio es-

set quod eorùm in dgro potior esset in pascendo vel

arando, destinato a Romanis consule decretuna fuitut pastoribus cédèrent aratores. » Ce passage a

échappé à M. Mommsen, qui n'a pas compris le

texte en question dans la partie des fausses de son

grand recueil. Il est pourtant d'une réelle impor-tance pour la question de la date, jusqu'à présent

ignorée, où fut découvert le marbre de PopiliusLaenas. Il était, en effet, nécessaire que l'inscrip-tion de Polla fût connue pour que l'on pût inventer

la prétendue inscription de Diano, imaginée pouren faire la contrepartie.C'est un peu au-dessous de Polla que se trouve

la perte du Tanagro, déjà mentionnée par Pline,comme une des merveilles naturelles de la Lucanie.

La rivière s'engouffre et disparaît sous le sol pourressortir après plusieurs kilomètres de trajet sou-

terrain, partie des grottes de Càmpestrino, partiede la caverne de Sant'Angelo à Pertosa, près d'Au-

Page 85: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALAET DIANO 83

letta, d'où ses eaux débouchent avec une chute de7 mètres de haut. Cette dernière caverne.est entiè-rement creusée de main d'homme et forme l'issued'un tunnel artificiel exécuté par les Romains. Aun niveau plus élevé on suit auprès de là lé tracéd'un ancien lit desséché de rivière, sur-lequel estmême un pont antique. Il est donc manifeste queprimitivement le Tanager ressortait de terre parune issue naturelle, située à un niveau moins bas

que sa sortie actuelle, de telle façon que les eauxn'avaient pas un écoulement suffisant et devaientformer encore ,dans la vallée; au-dessus de Polla^les stagna dont parle une inscription latine du

temps de la République, malheureusement mu-

tilée, qui existe aux environs de Diano. Le C.

Luxilius, mentionné dans l'inscription, avait exé-

cuté à ces mares stagnantes des travaux dont nousne pouvons déterminer exactement la nature. Pour

mieux assécher la vallée, -on creusa le tunnel quidonnait plus dé pente à la rivière en la faisant

déboucher notablement plus. bas, et son ancien

lit, dans cette partie de son cours, demeura aban-

donné. Ce travail considérable dut être exécuté

encore sous la République, avant l'époque de Vir-

gile, qui dans ses Géorgiques parle de l&sicci ripa

Page 86: A travers l'Apulie et la Lucanie

«4 A TRAVERS L'APULIE ET .LA LUCANIE

Tanagri, ce qui ne peut s'appliquer qu'à son lit

desséché.

Un peu plus haut que Polla dans la vallée, sur son

côté occidental, au pied de la gracieuse colline qui

porte le village de Sant'Arsenio, un autre bras du

Tanagro s'enfonce aussi sous terre dans le gouffre

appelé La Foce, pareil à ces katavothra qui sont

si multipliés dans certaines parties de la Grèce. Il

est probable que ses eaux vont rejoindre par un

canal caché celles qui reparaissent au jour à Cam-

pestrino ou à Pertosa. Mais une explication aussi

simple de ce qu'elles deviennent n'a pas satisfait

l'imagination populaire, toujours avide de mer-

veilleux. Celle-ci se plaît à supposer que le bras

de rivière qui disparaît à Sant'Arsenio prend son

chemin sous la chaîne des Alburni et va ressortir

de l'autre côté de ces montagnes, dans la pitto-

resque vallée de Fasanella, pour y former un des

affluents du Calore. On raconte toute sorte de mer-

veilleuses histoires d'objets jetés dans ce bras du

Tanagro, qui auraient ensuite, après un long trajetsous terre, été recueillis dans la rivière de Fasa-

nella. Je me borne à les mentionner pour ce qu'elles

valent, en remarquant seulement que le fait qu'elles

prétendent appuyer est bien peu vraisemblable.

Page 87: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALAET DIANO 85

A 6 kilomètres de distance des Taverne di Polla,le chemin qui monte à Atena s'embranche sur lagauche de la route royale ou Consolare. Atena estbâtie à une élévation assez considérable sur la cimed'une colline rocheuse, d'où l'on jouit d'une fortbelle vue sur la vallée, vue qui, dans la directiondu nord-ouest, s'étend même jusqu'à Salerne et dece côté se termine par une échappée de mer. C'estactuellement une ville de 5,000 âmes environ, queles tremblements de terre ont plusieurs fois ruinée,notamment en 1561, en 1694 et en 1857. Elle oc-

cupe encore l'emplacement de l'antique Atina,l'une des cités importantes de la Lucanie, qui de-vint ensuite un municipe et que le Liber Ùolonia-rum enregistre comme le siège d'une prxfcctura.On y voit des restes des murailles romaines et d'un

amphithéâtre. Les trouvailles d'antiquités y sont

fréquentes on y a découvert et on v voit encoreun certain nombre d'inscriptions latines. D'autres

ruines romaines s'observent également sur la lisière

de la vallée, au pied de la hauteur dont Atena cou-

ronne le sommet. Il s'était formé là un bourg in-

férieur, dépendant de la cité haute et touchant à la

grande voie qui suivait la vallée. Nous constateronsle même fait pour Consilinum et pour Tegianum.

Page 88: A travers l'Apulie et la Lucanie

86 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

C'est sur le territoire d'Atena qu'a été trouvé unfort curieux groupe de terre cuite qui est en cemoment à Paris, en la possession de MM. Rollinet Feuardent. Il remonte à une époque antérieure

à la conquête romaine, et avec le petit bronze qu'àAcerenza j'ai réussi à acquérir pour le Musée du

Louvre, il est jusqu'à présent seul &représenterd'une manière bien caractérisée, parmi les monu-ments connus, ce que pouvait être l'art indigènedes Lucaniens vers le rv* siècle avant J.-C, là oùils n'étaient pas dans un contact quotidien avec lesGrecs. La rudesse barbare du style et l'inexpé-rience du modelèur y'ont donné, commeil arrivesouvent en pareil cas, un tel cachet d'archaïsme

qu'on serait disposé à croire au premier abord, en

voyant le groupe, qu'on est en présence d'uneterre cuite babylonienne. D représente une femme

portant un enfant dans ses bras et accompagnéed'un autre enfant un peu plus grand qui marche

auprès d'elle- chacun des enfants ayant à la mainun oiseau. Ces' différents personnages sont vêtusde longues robes plissées à plusieurs étages de

jupes peintes en rouge et en bleu foncé. Ils ont descolliers à plusieurs rangs de gros grains qui tombent.bas sur la poitrine, avec d'énormes bulles comme

Page 89: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALA LT DIANO 87

pendants de milieu. Un grand voile d'étoffe épaisse,

qui semble de grosse laine, ou plutôt une sorte de

manteau à capuchon, qui a été coloré en rouge,

est posé sur la tête de la femme et l'enveloppe parderrière en descendant raide, sans un pli, jusqu'àses pieds. Comme type d'-?! et de costume tout

la fois, ce groupe est des plus curieux.

Après avoir appartenu, comme tout le Val di

Tegiano, la famille Sanseverino, la seigneurie

d'Atena, confisquée en 1498 sur Antonio, prince de

Salerne, passa successivement en différentes mains

et finit par arriver en 1552 à celles des Caracciolo,

marquis de Brienza, pour qui elle fut érigée en

principauté.

Sala, ou comme on dit aujourd'hui Sala Consi-

lina, le conseil municipal ayant prétendu trancher

par un de ses votes, et cela d'une manière dont

nous montrerons un peu plus ioin l'inexactitude, la

question controversée du site de l'antique Consi-

linum, Sala vient à quelque distance après Atena,

toujours sur les collines bordant la vallée du côté

de l'Oriènt et précédant la grande chaîne des Apen-

nins. C'est une jolie ville, propre, vivante et bien

bâtie, de près de 8,000 habitants, où il y a une au-

berge passable et qui est administrativement le

Page 90: A travers l'Apulie et la Lucanie

88 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

chef-lieud'un des arrondissementsde la provincedeSalerne.La routeymontepour la traverserdanssa partie inférieure. Ony voit, murées dans desmaisons, quelquesinscriptionslatines qui ont étéexhumées dans le voisinage. La ville, dont l'im-portance est toute moderne et qui ne joue pas derôle dans l'histoire, ne possède, du reste, aucunmonumentancien, si ce n'est les ruines du vieuxchâteauqui la domine.Ce château, dont lesdispo-sitions de la constructionrappellentde très prèsceluideSalerne,datepeut-êtredu-mêmetemps,duvin*ou du ix' siècle.Quelques-unsont supposéquedansletextedeslettresdePietro délieVigne,à pro-pos de la conspirationde 1245contreFrédéric Il,on devait rétablir Sala au lieu de Scala commenomd'un des deux châteauxoùlesconjurés furentbloquéset pris. La conjecture, sans être prouvée,a une certainevraisemblance,carSala, commeCa-paccio, appartenait aux domaines de GuglielmoSanaeverino,leprincipalauteurdela trame, tandisque Scala, plus célèbre dans l'histoire, n'appar-tenait à aucun des conjurés et était située assezloinde là, danslevoisinagedeRavelloet d'Amalfi.Presque exactementen face de Sala, de l'autre

côté de la vallée, la villedeDianos'élèveau faite

Page 91: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALAETDIANO 89

d'une colline en formede cône tronqué, détachéeen avant des contreforts du mont Cervati. Sonnomde Diano est une contractionde celui du Te-gianumde l'antiquité, et commeil y avait plusieurslocalitéshomonymesen Italie, le conseilmunicipal,en 1862,a repris officiellementl'appellationde Te-giano.Maisjusqu'ici elle n'a pas prévalu dans l'u-sage. La route carrossablequi conduit de Sala àDiano traverse le Tanagro sur un pont à troisarches, dont une enterrée en partie, que l'on dé-signe sous le nom de Ponte di Siglia (d'autresécriventinexactementSilla).Lapremièrearcheducôté de l'occident est encore de construction ro-maine.L'archecentrale, bienque reposant sur despiles également romaines, a été refaite au xmesiècles;elle est en ogive, avec une croix sculptéesur la clefde voûte.A la tête du pont, du côté del'est, sont les ruines d'une tour qui en défendaitle passage.Tegianum, dont les historiens ne parlent pas,

est connu commeville municipaleimportanteparPline, leLibercoloniarumet les inscriptions. Lestopographesnapolitains,telsque CostantinoGailaet l'abbéRomanelli,l'ont généralementplacédansun site inférieur à celuide Diano,dans la vallée

Page 92: A travers l'Apulie et la Lucanie

•JO A TRAVERS L'APULÏE ET LA LUCANIR

même, à 2 kilomètres au nord de la ville actuelle.

C'est ce que fait encore M. le chanoine Macchiaroli,

le dernier historien du Val di Tegiano, dont le

livrc(4)aparu en 1868. Il yalà,en effet, des ruines

d'une certaine étendue, où la pioche des cultivateurs

ramène souvent au jour des débris antiques de

toute nature et ou l'on a trouvé un certain nombre

d'inscriptions latines, quelques-unes remontant à

l'âge de la République. Cependant il me parait im-

possible de voir dans ces ruines autre chose que

celles d'un bourg distinct de la cité de Tegianum,

dont il dépendait, bourg qui s'était formé graduel-

lement plus bas, par suite de l'assèchement du sol

de la vallée, comme nous avons vu tout à l'heure

qu'il s'en était formé un au-dessus d'Atina, mais

dont l'existence n'empêchait pas la cité de conti-

nuer à subsister sur la colline.

Que la véritable ville, que Tegianum même ait

été précisément là où Diano lui a succédé, c'est ce,

qu'admettent M. Mommsen, qui a visité jadis les

lieux, et avec lui tous lescritiques

de la haute

science européenne. Et je ne crois pas possible

d'en douter en présence des nombreux et impor-

1. Diano r l'omonimrt çua voile, rimrrlw ftlwfco-arrJwolo-

,,irhc, Naples, 1868.

Page 93: A travers l'Apulie et la Lucanie

SALAET DIANO 91

tants vestiges d'occupation antique qu'offre à l'at-tention du visiteur la ville de Diano. Deux de ses

églises, San-Pietro et Sant'Andrea sont élevéessur l'emplacement de petits temples antiques, bâtiesavec leurs débris, et renferment assez de fragmentsdes diifércnts membres de leur architecture, co-

lonnes, chapiteaux, frises, corniches, sans compterles deux stylobates encore en partie conservés en

place, pour que M. l'ingénieur Giuslino Pecori ait

pu en esquisser des restaurations fort imparfaites,publiées dans le livre de M. le chanoine Macchia-roli. Un architecte expérimenté, reprenant ce tra-vail sur place, arriverait facilement à un résultat

beaucoup plus satisfaisant. Les deux petits templesen question reproduisaient les mêmes donnéesarchitecturales une façade à deux colonnesentre deux pilastres d'antes, des chapiteaux com-

posites, une frise à triglyphes et métopes chargésde symboles, et par-dessus une corniche corin-thienne. Les chapiteaux qui se voient à l'égliseSan-Pietro font sortir de leurs feuillages des ser-

pents dont les têtes remplacent les caulicoles sousles angles de l'abaque, disposition que l'on re-

marque aussi dans de curieux chapiteaux romainshistoriés de Vienne en Dauphiné. Dans les ruines

Page 94: A travers l'Apulie et la Lucanie

92 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

inférieures prises par quelques-uns pour celles de

Tegianum et au village voisin de San-Rufo, l'on a

également découvert des fragments considérables

d'architraves de petits temples du même genre,dont l'un circulaire, où l'on voit également, au

milieu d'un entablement d'ordre corinthien, unefrise à métopes et triglyphes alternants, comme

dans l'ordre dorique, avec des symboles sur les uns

et les autres. Ce style composite, dont j'ai autre-

fois découvert un des plus remarquables exemplesdans les Propylées d'Appius à Eleusis, était à la

mode d'une façon toute particulière à Tegianum à

l'époque du haut Empire.Une autre des églises de Diano, celle de San-

Micbele Arcangelo, a été bâtie, non pas, commeon le dit vulgairement par une fausse expression,sur un amphithéâtre antique, mais sur un petitodéon ou théâtre couvert pour la musique. Les ma-

çonneries antiques de cet odéon y servent de baseaux murailles d'une partie de l'église, et l'on peutretrouver facilement, en étudiant ce qui en reste,les dispositions essentielles de l'édifice antique,qui ressemblaient fort à celles de l'odéon de Pom-

péi. Le livre de M. le chanoine Macchiaroli endonne un plan assez bien fait. Deux colonnes de

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SALA ET DIANO 93

granité rose, non pas d'Égypte, comme on serait

disposé à le croire, mais des carrières de Rossant),(Roscianum) en Calabre, colonnes appartenant à ladécoration de la scène et restées à leur place an-

tique, soutiennent l'orgue de l'église.Diano offre aussi quelques morceaux intéres-

sants de sculpture d'une bonne époque. Sur la

place principale de la ville, où la piété des fidèlesa érigé, en 1859, un obélisque dédié en l'honneurde saint Cono, à la.protection duquel on attribuece fait que le tremblement de terre de 1857, touten y produisant beaucoup de ruines, n'y causa la

mort de personne, sur la place, dis-je, est une fort

curieuse statue de marbre d'une grandeur au-

dessus de la nature. Elle représente le satyre Mar-

syas agenouillé, les mains liées derrière le dos, la

tète couverte d'un voile en signe de deuil, tel en

un mot qu'on le voit sur quelques peintures de

vases du midi de l'Italie, où Apollon, vainqueurdans la lutte musicale qu'ils avaient engagée,

oblige son vaincu, livré à sa merci, de lui baiser

la main avant qu'il ne le fasse écorcher vivant. On

a placé cette statue sur un piédestal antique quin'était aucunement le sien et qui porte une dédi-

cace à Flavius Vibius Severus, empéreur éphé-

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9i A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

mère créé au v° siècle par Hicimcr, et Lucanien de

naissance.

Engagée dans une des murailles de la cathé-

drale est une réplique en marbre de la fameuse

statue du Tireur d'épine. Dtms les dissertations

auxquelles ont récemment donné lieu les diverses

répétitions connues de cette ligure, le bronze de

l'ancien musée du Capitole, le marbre de M. Cas-

tellani, actuellement au Musée Britannique, la sta-

tuette de bronze de M. le baron Edmond de Roths-

child, l'existence de la statue de Diano paraît avoir

été complètement ignorée. Elle mérite cependant

l'attention, et avant tout il serait indispensable de

la dégager complètement afin d'en pouvoir appré-cier le mérite d'une manière convenable et do la

bien étudier. La statue en question jouit, du reste,

d'une renommée très populaire à Diano sans

que les dolti de la localité aient su s'apercevoir

de ce qu'elle était en réalité. Il s'est formé toute

une légende à son égard: On vous raconte quec'est le monument d'honneur élevé par la répu-

blique de Tegianum à la mémoire du dévouement

patriotique d'un de ses enfants, un courrier nommé

Marcius, qui, chargé d'un message d'une impor-tance décisive, s'étant enfoncé dans sa course une

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SALAETDIANO 95

épine dans le pied, ne voulut pas perdre un mo-ment pour essayerde l'arracher, et continua mal-gré cet accident,jusqu'à tomber mort de douleuren arrivant.Ajoutonsà ce qui vient d'être indiquéplusieurs

torsesde statues viriles vêtues de la toge, dans un'jardin de la ville, un bas-reliefde devantde sarco-phage retraçant des scènes agricoles, quelquescippesfunérairesdécorésde bustes en demi-bosse,une mensaponderaria ou table-étalondesmesurespubliquesen marbre, de nombreusesinscriptionslatines,dontquelques-unescomptentaunombredesplus anciennesque l'on connaisse,et nous auronsachevél'énumérationde ce que Dianopossèdeenfait de reliquesde l'antiquité.La ville conserve aussi un certain nombre de

monuments intéressants du moyen âge, malgréles tremblementsde terre qui l'ont si souventrui-née. Ainsicelui de 1857a complètementrenverséla Sedile ou ancien palaismunicipal,qui était unédificede laRenaissance,fort remarquable,dit-on,qu'avaitconstruiten Giacomellodi Barbino,architecte natif de Diano même. Il ne reste plusqu'une partie des remparts de la ville avec leurs

grosses tours rondes à mâchicoulis,de l'époque

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96 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

aragonaise,qui tinrent en échec les armes du roiFrédéric. Le château, construit du côté du nord etsurplombant un précipice, est comme masse dutemps des Angevins, surtout dans la partie dulogis les grosses tours et l'entrée, qui y ont étéajoutées,datentdu xvesiècle; enfinon y remarquedes remaniementset des additionsde l'époquedesvice-roisespagnols.Les églises, malheureusementremaniées, défi-

gurées, en grande partie refaites dans des restau-rations modernes, datent toutes de la période dela royauté de la maisond'Anjou.Les Sanseverino,remis en possession de Diano après la chute desderniers Hohenstaufen,ont manifestementvoulucomme renouveler leur ville en lui donnant unesplendeur qu'elle n'avait pas eue jusqu'alors. Lacathédrale, connue sous le nom de Santa-MariaMaggiore,présenteencore un remarquableportaildu Duesiècleet un superbeambonexécutéen 1279par le Melchioreque nous avonsdéjà vu plus hautcomme architecte de la cathédrale de Rapollaen 1253.Ony voit la tombe,mutilée,maisdans cequi en reste d'une fort belle sculpture, d'EnricoSanseverino,comte de Marsico,grand connétabledu royaume, mort en i336, et celle d'OrsoMala-

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SALAETD1AM0 97

Volta,médecin de Ferdinand d'Aragon et grandbienfaiteurde la villede Diano.Cettedernièreestd'un fort mauvais travail. L'église de la Pictà-,autrefoiscelledu couventdesMineursObservants,possèdeune Miseau tombeaudu xvesiècle, sculp-ture de ronde-bosse en terre cuite offrant sixfiguresde grandeur naturelle autour de celle dûChrist, par GuidoNazzonide Modène,surnomméModanino.C'est une réplique du groupe célèbrede l'église de-Montolivetoà Naples.Saint Jean y ademême les traits duroi Alfonseet le personnageauprès de lui ceux de son fils FerdinandJosephd'Arimalhieestle- portrait' deSànnazaro et Nico-dème celui de Pontano. J'ai parlé plus haut del'église San-Pietroet des vestigesd'un petit templeantique qu'elle renfcrme -il faut y signaler aussiun-très important monument de la sculpture dél'aurore du xvesiècle,dans le tombeaud'uncheva-lier du nomde BartolomeoFrancone. Sur l'àrehi-trave dela porte d'entrée je relève une inscriptionencaractèresgothiquesqui contientla datede 1370et le nom d'un architecte, GiovanniDecnolo, deDiano.Ily aurait pour les connaisseursen histoire de

la peinture, et spécialement-ppurceux qui vou-

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98 A TRAVERS L'APUUH ET LA LUCANIE

tiraient se mettre à débrouiller le chaos encore siconfus des origines de l'école napolitaine, uneélude intéressante à faire des tableaux des primi-tifs que renferment encore les églises de Diane.Personne n'est allé jusqu'ici dans cette ville en se

proposant un tel objet, et pourtant il y a là de quoimotiver le voyage d'un critique en ces matières.Notons, pour essayer d'appeler sur ces peinturesl'attention de quelqu'un de réellement compétent,deux triptyques sur fond d'or, dont l'un exécutésous une influence byzantine très marquée, dans

l'église Sant'Andrea, puis un autre dans celle dela Pietà. Sur le maître-autel de l'église de l'Annun-ziata, autrefois des Célestins, est une grande pein-ture sur panneau à trois registres, l'Annonciation,le martyre de sainte Marguerite et huit ligures desaints, qui rappelle la manière de Ghirlandajo.Enfin le tableau certainement le plus remarquableque l'on voie il Diano est celui des Miracles desaint Diègue, incontestablement l'oeuvre de Bal-dassare Peruzzi. Celui-là serait digne d'un grandmusée.On voit que pour une ville à laquelle les dif-

férents Guides du voyageur ne consacrent pasmême une ligne, Diano possède un grand nombre

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SALA ET DIANO U9

de richesses d'art de toute nature, plus qu'onn'est habitué il en rencontrer dans les localitésdes provinces de l'extrémité méridionale de l'I-talieC'était jadis la capitale féodale de la contrée;

Sala l'a supplantée dans son ancienne importanceadministrative et civile. Mais Diano reste le chef-lieu religieux. C'est là que réside l'évêque, quesont le chapitre, le séminaire et tout un nombreuxclergé; c'est là que l'on conserve les reliques quiattirent la foule des pèlerins et provoquent la véné-ration des fidèles. Il en résulte nécessairement uncontraste et même une sorte d'antagonisme entreles deux villes, pareil ü celui que nous retrouve-rons dans la Calabre occidentale entre Monteleoncet Mileto, qui sont dans les mêmes conditions et

également rapprochées l'une de l'autre. Comme de

juste, Diano c'est l'élément ecclésiastique quitient le haut du pavé; son influence y est prépon-dérante ce sont ses idées, ses opinions qui y pré-valent. On n'y est pas pour cela bourbonien à

proprement parler; c'est une opinion qui, a partquelques vieillards, n'existe plus nulle part dans le

Napolitain. Il est mémo de mise parmi lets ultrasdu clergé méridional de dire que les Bourbons ont

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100 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANE

été rejetés de Dieu pour avoir avec Tanucci versédans les idées gallicanes et inauguré dès le siècledernier l'œuvre révolutionnaire de la sécularisationde la'société, supprimé le tribut de la haquenée etméconnu les droits temporels du Saint-Siège surla couronne de Naples, et que le roi de la maisonde Savoie peut devenir à leur place l'oint du Sei-

gneur et le monarque légitime s'il accepte un jourla mission de la royauté, telle que la comprendl'école théocratique. En attendant, continuent ceux

qui expriment ces idées, si les fidèles du petit trou-

peau doivent éviter soigneusement de pactiser avecl'hérésie du libéralisme en prenant part aux élec-tions (ne elettori, né eletti, telle est la formule), ilsdoivent rendre à César ce qui appartient à Césarcomme à Dieu ce qui appartient à Dieu, en obéis-sant au gouvernement de fait à qui la Providence a

préparé les voies et à la dynastie qui prévariqueen manquant à certains devoirs, mais à laquelle il

n'y a pas de raison d'en préférer une autre dont lesévénements ont montré la condamnation céleste. Cesont là les doctrines de l'école de la Civiltà Callolicadans toutes les parties de l'Italie où l'existence del'ordre de choses actuel ne se trouve pas en conflitavec les revendications de souveraineté temporelle

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SALA ET DIANO 101

de la Papauté.Ellessesont habilementdégagéesdetoutesolidaritécompromettanteavecles anciennesdynasties,avec les souvenirsde l'état de morcel-lementauquel le pays était autrefoisréduit sous lepied des étrangers. Onpeut les professeren étantaussi italien de cœur que les libéraux; on y com-prend seulement d'une autre manière le rôle del'Italie. Il m'a paru que ces idées, grâce à l'in-fluencedu clergé, avaient assezdefaveurà Diano,tandis que dans sa voisine Sala les opinions quiprévalent sont celles de la gaucheparlementaire.La différencese marqueextérieurementd'unema-nière assezoriginaledans un petit fait. A Sala, en.parlant de la ville épiscopale,on dit Tegiano,em-ployant le nomqui a revêtudésormaisun caractèrelégal; dans la villemêmeon continueà direDianoparceque cette appellationest toujours consacréedans l'usage religieux.Nousavons donc là, dans les deuxvilles qui se

font facel'une à l'autre desdeuxcôtésde la vallée,un dualismebien accusé dans l'ordre des faitsofficiels,d'un côté l'évêque et les autorités ecclé-

siastiques,de l'autre le sous-préfetet les autoritésciviles dans l'ordre des opinions,ce que la mau-vaise langue politique actuelle appelleraitla ville

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102 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

cléricale et la ville laïque, ce que j'aime mieux

nommer, en empruntant aux traditions historiquesde l'Italie des termes qui ont toujours leur raison

d'être, car les choses qu'ils désignent sont encore

vivantes, la ville guelfe et la ville gibeline. Diana

et Sala, dans leur obscurité de petites villes de

province, personnifient ainsi, l'une en face de

l'autre, les deux grands principes qui depuis dix-

huit cents ans, sous des formes et des noms divers,se disputent le monde et se le disputeront bien

longtemps encore les droits de la puissance spiri-tuelle et morale de l'Église, d'une part, de l'autre

ceux de l'indépendance séculière de la société civile

et de l'État dans son rôle temporel. Ce sont là deux

principes dont la conciliation définitive est peut-être un rêve avec les passions humaines, leurs

violences et les prétentions exagérées qu'elles ins-

pirent de part et d'autres. Mais il faut absolument

qu'il s'établisse entre eux une sorte de traité de

paix, un mndzcs vivendi équitable, qui peut varier

suivant les circonstances, sous peine de voir l'ordresocial troublé jusque dans ses bases, la nationdéchirée par des dissensions et des haines dont ilest impossible de prévoir l'étendue et les consé-

quences. Car tous les deux sont légitimes et néces-

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SALAET DIANO 103

«lires et l'on ne peut sacrifier l'un à l'autre sanstomber dans la violence et dans l'injustice, sans

opprimer les consciences et ce qu'elles ont de plussacré.

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PADULA ET CONSILINUM

De Sala à l'endroit où le chemin qui conduit il

Padula s'embranche sur la grande route on compteune dizaine de kilomètres. Un peu plus qu'à moitié

chemin se trouve Sau-Giovanni in Fonte, groupede quelques maisons auprès d'une belle et abon-

dante source. Toutes les fois qu'on creuse le sol

en cet endroit, où des maçonneries romaines

affleurent sa superficie, on est sûr d'exhumer des

antiquités. C'est de là que proviennent presquetoutes les inscriptions qui se trouvent actuellement

à Sala. San-Giovanni in Fonte occupe certaine-

ment, en effet, le site de la localité antique de

Marcelliana, l'une des stations des Itinéraires.

Nous reviendrons bientôt sur ce point en discutant

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106 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

l'emplacement de Consilinum, cité dont Marcel-liana dépendait.Le soleil se couche quand nous passons en cet

endroit aussi la nuit est-elle complètement faite

quand nous quittons la Consolare, tournant surnotre gauche dans le chemin de Padula. Naïvementnous nous imaginions que notre équipage allaitnous porter jusque dans cette ville, la plus consi-dérable comme population du Val di Tegiano,puisqu'elle compte 9,000 habitants, et nous nous

réjouissions d'y trouver bientôt un gîte, avec le

repos dont le besoin se faisait sentir après une

journée laborieuse et bien remplie. Mais c'étaitune illusion, dont nous sommes réveillés d'unemanière-fort désagréable. Brusquement le cochers'arrête en nous déclarant qu'il ne peut pas avancerplus loin, qu'il n'y a plus de route carrossable ilnous fait descendre, dépose en un clin d'oeil nosbagages à terre auprès de nous, et avant que nousayons eu le temps de nous reconnaître, faisanttourner ses chevaux, repart à fond de train dansla direction de Sala où il va remiser, nous laissantseuls en pleines ténèbres, sans guide et ignorantsdu chemin que nous ,devons prendre. Dans cettesituation ridicule nous ne laissons pas que d'être

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PADULAET CONSILINUM 107

embarrassés. Nous sommesau pied d'une collinerocheuse et escarpéequi s'adosseaux contrefortsdu mont Sant'Elia. C'est aux flancs de cettecolline, de la moitié environ de sa hauteur à sonsommet, que s'accrochentles maisonsde Padula,dont nous apercevonsles lumières étagées à uneassezgrande élévationau-dessusde nos têtes.Unecordialehospitaliténous y attend nous le savonsà l'avance.Mais il nous faut gravir jusque-là pardes sentiersdont nous n'avons nulle idée, chargésde paquets, au travers d'une nuit dont les nuagesépais qui couvrent le ciel augmentent encorel'obscurité, et au premier moment, nous voyantabsolumentseuls dans la campagne, nous nousdemandonsavec une certaineanxiété ce que nouspourrons faire de notre gros bagage et commentnous arriverons à être renseignés sur le chemin.Nousdiscernons enfindans les ténèbres unemas-seria qui n'est pas trop éloignée nous allons yfrapper,et parmi les ouvriers qui y sont attabléspour le repas du soir nous recrutons quelquesfemmesqui chargent nos malles sur leurs têtes.Elles portent vaillammentce fardeau sans fléchir,et ainsi chargées commencent l'ascension d'unpas alerte, en nous servant deguides.

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i08 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Un jour, sur l'effroyable sentier de chèvres quiconduit de Callaro il Tsettinié, commeje m'arrêtaisà regarder passer une file de femmes monténé-

grines qui cheminaient écrasées sous le faixd'énormes ballots tandis que les hommes qui les

accompagnaient, dédaignant de porter autre chose

que leurs armes, s'en allaient en faisant les beauxet en se dandinant d'une allure dégagée, un de ces

Monténégrins, qui voyait l'étonnement se peindresur mon visage, me dit « Eh bien! oui, nosfemmes sont nos mules. » On dirait volontiers icide même avec une égale naïveté. Le paysan voitdans la femme une véritable bête de somme et

l'emploie à porter les plus rudes fardeaux elle-même y est habituée et semble trouver que c'est làson rôle naturel. Commenous nous occupions, unefois arrivés à notre gitc en haut de Padula, d'orga-niser le programme de la journée du lendemain, ilétait question de trouver les moyens de faire trans-porter dans l'après-midi nos bagages à laChartreusede San-Lorenzo, où nous devions passer la nuit.Maisce sera bien difficile, répondit un des plusnotables habitants de la ville, à cette heure-là il n'ya plus une femme dans le pays elles sont toutesaux champs. On ne trouve alors que des hommes. »

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PADULAET CONSILINUM 109

Il ne lui venait pas à l'esprit qu'un autre qu'unefemme pût servir de porteur, tant la chose est

passée dans les mœurs. Et pourtant celui à quielle paraissait ainsi toute simple était un médecinfort instruit, qui avait fait ses études à Naples et yavait connu d'autres coutumes.La montée que nous avons dû faire ce soir-la

pour gagner l'adula et la maison de nos aimableshôtes, MM. Romano, située tout en haut du pays,reste un des plus pénibles souvenirs d'une assezrude carrière de voyageur. Nous succombions tousa la fatigue, et pour ma part je souffrais d'un malde jambe, produit d'un accident, que j'avais si bien

aggravé à force de le surmener, que je me suis vu

quelques jours après condamné-il rester plus detrois semaines cloué au lit immobile et que j'en aiboité plusieurs mois. Dans ces conditions il m'afallu gravir pendant plus d'une heure ù pied unsentier de mulets étroit, raboteux, escarpé, ser-

pentant au milieu des rochers, sans voir seulementoù poser le pied. C'a été bien pis encore une foisentré dans Padula, dont les rues sans pavés, icitaillées dans le roc en escalier, là pleines de trouset de fondrières, rendues glissantes par les immon-dices qu'on y renconlre a chaque pas, sont de plus

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A TRAVERS L'AI'ULIE ET LA LUCANIE

obstruées presque partout par les débris desmaisons écroulées dans le tremblement de terrede 1857. Laville fut alors plus qu'aux trois quartsrenversée et on l'a rebâtie comme on a pu sur sesdécombres, sans prendre la peine de déblayer leterrain. Il en résulte que lorsqu'on chemine donuitdans ses rues à pente rapide, où tout éclairageest inconnu, on sc heurte ici contre une sorte debarricade de ruines, plus loin on a peine il se teniren équilibre sur des pierres roulantes, ailleurs onbutte contre une tête de rocher faisant saillie aumilieu de la voie, ou bien on enfoncebrusquementson pied, au risque de se donner une entorse, dansun trou plein d'eau et de range, que l'on n'a pudistinguer. Après quelque temps de marche dansces données, lorsque nous avons atteint enfin laIartie culminante où nous devions loger, nos piedsmeurtris nous refusaient littéralement le service.S'il avait fallu. aller plus loin, nous aurions dû yrenoncer, et comme des mulets recrus, hors d'étatde continuer la route, je crois que nous nous se-rions couchés par terre à la belle étoile plutôt qued'avancer encore.Le lecteur se demandera ce que nous venions

chercher à l'adula, ce que nous achetions au prix

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PADULAET GONSILINUM 11

d une telle fatigue. Car la ville par elle-mêmen'a

pas d'histoire et ne renfermé rien d'intéressant au

point de vue de l'art et de l'archéologie. Les se-coures du sol qui l'ont bien des fois ravagée, n'yont laissé subsister aucun édifice uncien, aucune

égalisede quelque mérite, si jamaiselle ena possédé.L'objet de notre visite eu ces lieux sauvages, où neva jamais aucun voyageur, était la recherche deruines antiques qui devaient exister dans le voi-

sinage et où nous espérions trouver la solutiond'un problème jusqu'ici controversé de topographieantique.Quelques écrivains indigènes signalaient, mais

vaguement et en gens qui ne les avaient pas visi-tées eux-mêmes, la présence de ruines à 2 kilo-mètres au sud-est de l'adula: sur le sommet d'unecolline plus élevée qu'en sépare un ravin, à la li-sitre desbois qui montent ensuite sur les flancs deshautes montagnes, dans un endroit désert désignépar le nom populaire de La Civilà. Le peu qu'ilsen disaient était, du reste, singulièrement con-tradictoire, puisque pour les uns c'étaient les restesd'une ville antique, pour les autres ceux d'un châ-teau du moyen âge. Un ecclésiastique du Val di

Tcgiano en avait parlé à M. La Cava comme d'un

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112 A TMAVKHSLAPUDH ET LA LUCANIE

lieu ou l'on voyait delle mura enciclopediche c'é,tait sa manière de dire ciclopic/ie. Ces indicationsétaient bien insuffisantes; mais elles laissaient en-trevoir des choses absolument inconnues à visiterles premiers, et l'on comprendra que c'en était as-sez pour, piquer notre curiosité d'archéologues.Ajoutons qu'elle était d'autant plus éveillée quenous savions que le site encore indéterminé d'uneville importante était à chercher dans le cantonmême où ces ruines étaient signalées.Parmi les cités les plus anciennes et les plus

considérables de la Lucanie au temps de son indé-pendance, qui devinrent des municipcs de citoyensromains après la guerre Sociale et restèrent floris-gante, jusqu'aux invasions barbares, on cite aupremier rang entre celles de l'intérieur des terresla ville de Consilinum. Le Liber coloniarum en faitune prsefectura. Cassiodore, dansune de seslctlres,rapporte qu'au bas de la très antique cité de Consi-linum était situé dans le fond de la vallée un bourgdu nom de Marcelliana, qui en dépendait. Lh setrouvait une fontaine merveilleuse par la beauté deses eaux. On y célébrait depuis un temps immémo-rial une grande foire appelée Leucotbea, d'après lanymphe de la fontaine; cette foire, la plus fréquen-

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l'ADULA ET CONSILIMJM 113

7. il, 8

tée de toute la contrée, où les populations se ren-daient de fort loin, coïncidait dans l'année chré-tienne avec la fête de saint Cyprien. Le proche voi-sinage des deux localités de Conailinuni et de Mar-celliana est encore attesté parce fait qu'au v' et auvir siècle le titulaire de leur'évêché commun, dontil n'est plus question après les invasions des Lon-

gobards et des Musulmans, est indifféremment qua-lilié de Comilimis et do Marcellianumis

Or, Marcelliana est une des stations que l'Itinéraired'Antonin enregistre sur la voie de Capoue à Ite-

gium dans la partie de son parcours où elle suivaitle Val di Tegiano. Etles distances que ce document

compte de lit au passage du Tanagcr au Forum Po-

pilii (poila) dans une direction, et àCa-sariana (Ac-rluafrcdda près de Sapri) dans l'autre, font tomberexactement à San-Giovanni in Fonte, dontla sources'accorde très bien avec ce ilue Cassiodore dit decelle do Marcel liana. C'est donc nécessairement surles hauteurs voisines de Sala on de Padula qu'ilfaut chercher remplacement do la cité de Consili-

num, et la zone dans laquelle il doit se trouver estassez restreinte. Ceci cadre très bien encore avec

les Actes des martyrs de l'otentia dans la persécu-tion de Dioclétien. Il y est dit, en effet, que ces con-

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14 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

fesseurs, emmenés de Grumentum, furent le se-cond jour à Marcelliana et de là conduits il Poten-tia. C'est la Via Herculia qui conduisait de Poten-tia à Grumentum. On a relevé à Sala une de sesbornes milliaires. Elle ne passait donc pas par la

ligne qui nous semblerait la plus directe, par Vi-

gnola, Anzi et Marsicoou Viggiano. Il faut dessi-ner son tracé en contournant l'autre côté desMontidella Maddalena, par Pietrafesa, Brienza, Sala,Padula, Paterno et Tramutola. Marcellianaet Con-silinum se trouvaient ainsi sur son parcours.J'ai dit un peu plus haut comment la municipa-

lité de Sala s'était arrogé le droit de trancher parun vote en faveur de ses prétentions la question dusite deConsilinum. Maisen réalité il est certain queSala, nonplus quePadula, n'occupe poiritrcmplace-ment d'une ville antique. Dans cet état de choses,et avec les données du problème telles que je viensde les exposer, il était clair que si la visite que nous

projetions à la Civitàprès de Padula nous y faisaitreconnaître d'une manière incontestable les ruinesd'une ville, ce seraient celles de Consilinum.Pendant que nous reposons encore, de très bonne

heure le matin, MM.Romano se sont occupés avecla plus parfaite obligeance do rechercher dans la

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PADULAET CONSILINUM 115

ville les gens qui possèdent des médailles et d'au-tres antiquités trouvées en cultivant les champs dela Cività, et de nous faire apporter ces objets pourque nous les examinions. Il nous ont aussi procurédes montures pour faire l'excursion. Mais au mo-ment de nous mettre en route, on se demande si lachose est possible. Il a plu toute la nuit et l'aversecontinue avec la violence qu'ont les pluies danscelle région, quand une fois elle se mettent à tom-ber. C'est une véritable trombe d'eau, qui en unmoment vous transperce jusqu'aux os et du moin-dre ruisseau de la montagne fait pendant quelquesheures un torrent dangereux. Force est d'attendreen maugréant ce que deviendra le temps. Mais la

bonne fortune ne nous a pas abandonnés; le ventdu nord s'élève, le ciel se dégage, le soleil recom-

mence à briller et aura bientôt séché les chemins.

A 10 heures du matin nous pouvons monter à che-

val et partir en. compagnie de MM. Romano et de

plusieurs autres habitants de Padula, qui se font

gracieusement nos guides.Nous suivons des sentiers abrupts qui serpentent

sur le liane de la montagne, nous coupons à tra-

vers des ravins et des bois. Enfin nous arrivons à

la colline de la Civilù, que nous abordons du côté

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116 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

de l'est, à son pointculminant qui est aussi celuipar lequel un isthme étroit la relie aux grandesmontagnes qui la dominent. Sur ce point nousnoustrouvonsd'aborden présencedes ruinesd'unearx romaine,dontla constructionen opusincertumprésenteles caractèresincontestablesdelamanièredont on bâtissait au début du dernier sièclede laRépublique,vers le temps de Marius et de Sylla.La partie la mieux conservéeest une grande tourcarrée, sortededonjonquicommandaitl'entrée dela ville par l'isthme,seul endroitfacilementacces-siblepour une attaque. Précisémentparmi les ins-criptionslatinesdécouvertesence lieu et comprisesdans les grands recueils épigraphiques,il en estune que Cyriaqucd'Ancônecopiaau xv" siècle etque-ses formes de langue reportent à l'époquequi vient d'être indiquée. Elle est relative à unpersonnage nommé M. Minatius Sabinus, dela tribu Pomptina(c'était celle à laquelle avaientété agrégés les gens de Consilinum quand ilsreçurent la cité romaine), lequel reconstruisit latour à ses frais et le mur voisin avec les fondsd'unesouscriptionpublique,tturemdesuapequnia,murum de pequnia conlata faciundum coeravit,idemqueprobavit Il s'agit sûrementdestravauxde

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PADULA ET CONSILINUM 117

Yarx que nous avons sous les yeux. Une autre ins-

cription du même lieu, que copia également Cy-riaque d'Ancône et qui a aussi disparu, parlait d'unbois sacré qu'une femme du nom d'Ansia Rufa,affranchie de Tarvius, avait fait entourer à ses fraisd'un mur de maçonnerie avec sa porte, circa lucummaceriam et murum et januam d(e) s(ua) p(ecunia)f(aciundzim) c{uravit).Nous parcourons attentivement le petit plateau

divisé par la nature en deux étages, qui couronnela colline. Sur tout son pourtour on suit les vesti-

ges incontestables, et en quelques endroits assezbien conservés, d'une puissante enceinte fortifiée

de date fort ancienne, probablement même anté-

rieure à l'établissement des Lucaniens dans la con-

trée, remontant à l'époque des Pélasges Œno-

triens. Ses murailles sont construites en énormes

blocs de pierre calcaire, à la forme de parallélo-grammes irréguliers, superposés les uns aux autres

sans ciment, en assises sensiblement horizontales,mais avec les joints de leurs extrémités plutôt obli-

ques que verticaux. C'est la variété la plus avancée,la plus perfectionnée de la construction primitive

que l'on a l'habitude d'appeler pélasgique ou cyclo-

péenne. Profitant de la disposition de la colline et des

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

deux terrasses enretraite l'une sur l'autre qu'elle pré-sente du côté de la vallée, le Consilinum originaire,dont nousretrouvons les vestiges, se divisait en deux

parties, ville basse et acropole, enveloppées dansune même enceinte mais séparées par une murailleintérieure. C'est cette dernière muraille qui a laisséles restes les plus imposants. Le site était de défense

facile, tel que les peuples pélasgiques les recher-chaient pour y asseoir leurs villes. Sauf à l'isthme

dont j'ai parlé, la colline qui le portait n'offrait quedes pentes presque à pic et du plus difficile accès.La ville romaine occupe toute la superficie de

l'ancienne enceinte. Le terrain ne lui permettait pasde s'étendre davantage. Aussi lorsque l'accroisse-ment de la population lui rendit impossible de resterenfermée dans un aussi étroit espace et que l'éta-blissement de la paix romaine rendit superflues lesanciennes précautions de sécurité, le bourg deMarcelliana se créa dans la vallée, au pied des hau-

teurs, et devint, semble-t-il, à une certaine époqueaussi considérable que Consilinum même.Le sol de la Cività est partout couvert de débris

romains, fragments de briques et de poteries destêtes de maçonneries en briques y pointent à chaquepas dans les champs. Toutes les fois qu'on y ouvre

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PADULA ET CONSILINUM !i9

la terre pour la culture on y recueille de nombreuses

monnaies, parmi lesquelles celles des princes de lafamille de Constantin sont les plus multipliées. Unecertaine quantité d'inscriptions en ont été exhu-mées à diverses époques, et quelques unes sont con-servées dans des maisons de Padula. Des fouilles

n'y demeureraient certainement pas sans fruit.A mi-côte environ de la falaise presque à pic, qui

surplombe le ravin profond creusé au sud de la col-

line, se trouve une grotte dédiée à l'Archange saintMichel. Elle était évidemment consacrée dans l'an-

tiquité, et une chapelle chrétienne y a succédé-à l'an-don sanctuaire païen. L'entrée en est fermée parun mur moderne, dans lequel sont maçonnés deux

cippes funéraires romains, l'un avec les bustesd'un mari et de sa femme placés dans des niches.La caverne est double et dans chacune de ses par-ties on a établi un autel. De curieuses fresques duatv° siècle sont peintes sur l'enduit qui revêt la

paroi de rocher; elles n'ont pas trop souffert del'effet du temps. On voit aussi, là, dans la cha-

pelle principale, le tombeau de marbre d'un archi-

prêtre nommé Brancazzo, mort en 1538, avec son

buste d'une assez bonne sculpture.De la partie culminante des ruines de l'antique

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Consilinum nous avons une perspective belle etétendue sur le Val di Tegiano, soit sur la partie quenous en avons parcourue jusqu'ici, et sur Padala,qui se présente à nous, de l'autre côté d'un ravinprofond où coule un ruisseau limpide, ombragéde grands arbres, dans la partie où ses maisons,étagées les unes au-dessus des autres, descendentle plus bas en se collant au flanc de sa colline pier-reuse, soit sur le fond de la vallée, où le Tanagroprend sa source. Nous nous faisons expliquer latopographie decette partie extrême, oùnous nenousenfoncerons pas, le terme de notre course danscette direction devant être Padula et La Cività.Au sud-est, sur une échine de montagnes, dans

une situation exceptionnellement salubre, mais dontl'élévation rend le climat austère et froid, voiciMontesano,qui compteplus de 6,000 habitants. Sonorigine et son nom sont dus aux réfugiés qui, lorsde la fameuse Peste noire de l3t8, vinrent despayscirconvoisins camper sous des baraques sur cesommet exceptionnellement aéré, lequel demeureindemne de la contagion. La riante bourgade d'Are-nabianca précède Montesano à une moindre hau-teur, et de l'autre côté, au pied des dernières pentesde la montagne, se trouvent les ruines de l'ancien

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PADULA ET CONSILINUM 121

couventdesBénédictinsde Santa-MariadiCadossa,supprimépar une bulledeLéon X, qui en attribuales biensà la chartreusede San-Lorenzo.Aubas desmontagnesde Lagonegro,à l'endroit

où la grande route s'enfonce en montant rapide-ment dans la gorge étroite'd'où le Tanagro, quin'estpresqueencorequ'unruisseau, débouchedansle bassin brusquement élargi de la vallée, nousdistinguons le bourg de Casalbuono, autrefoisCasalnuovo, dépourvu de souvenirs historiques.Plus à l'ouest, adossé au monte Carmelo,lequelrelie les dernières ondulations des montagnes duLagonegreseau monteCervati,le sommetqui pro-longe au midila chaînedesAlburni,ce grosbourgentouré de forêts de châtaigniers, au bas duquelun torrent considérablepromèneses ravagespério-diques,est Buonabitacolo,dont la naissance datedu xm"siècle.La crête qui le dominedérobeà nosregards la petite ville de Sanza, la Sontia des an-ciens Lucaniens, bâtie sur une collineau milieud'un bassinpareil à l'alvéole d'un gâteau de miel,car il n'a pas d'ouvertureet un rempartcontinudehauteurs l'environnede tous les côtés.

Ahi, Sanza.,vituperio delle gentiDel bcl paese là, dove'l si suona,

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122 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

murmure à demi-voix sur ce seul nom un de mes

compagnons, patriote des plus exaltés.

Quelle mouche vous pique? lui dis-je. D'oùvient ce souvenir dantesque détourné de son appli-cation originaire?

C'est à Sanza qu'a été tué Pisacane.Vous souvient-il le moins du monde, lecteur,

de cette affaire de la poignée d'insurgés débarquéesur les côtes du royaume de Naples par le bateauà vapeur le Cagliari, qui fit beaucoup de bruit dansle monde il y a vingt-six ans et faillit amener ungros incident diplomatique entre l'Angleterre et leroi Ferdinand II, les deux mécaniciens anglais dubateau se trouvant au nombre des accusés traduitsdevant la Cour criminelle de Salerne? Il est assezprobable que non. Mais ici la mémoire en est restéevivante, et l'on ne saurait méconnaitre que les faitsqui se passèrent alors à Sapri, Padula et Sanzaexercèrent une influence marquée sur les événe-ments qui trois ans après devaient renverser lamonarchie napolitaine et en fondre les États dansl'unité nationale de l'Italie.En 1857une agitation sourdeet profonde remuait

toutes les parties de la péninsule italienne, présa-geant et préparant la révolution qui allait bientôt

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PADULA ET CONSILINUM 123

la transformer. A Turin, l'habile politiquede Cavournouait le faisceau des alliances qui devaient setraduire en faits dans la guerre de 1859.ALondres,Mazzini, tenant dans ses mains les fils des sociétéssecrètes qui couvraient le pays comme d'un vasteréseau, s'efforçait de gagner de vitesse le gouver-nement du roi de Sardaigne afin de faire tournerau profit de la république les événements qui sem-blaient toucher à leur maturité. Le Vieux de la

montagne de la révolution italienne préparait unmouvement républicain qui devait éclater à la foisdans le royaume de Naples et en Toscane, et même

essayer de soustraire un moment la ville de Gênesà l'autorité du roi Victor-Emmanuel, pour en faireun centre d'expédition de renforts et de secoursaux insurrections qu'on serait parvenu à fomenter.Ce n'était pas qu'il dût beaucoup compter sur lesuccès. Mais il avait pour système de tenir les

esprits en haleine par des tentatives répétées sans

s'inquiéter du sort des malheureux qu'il envoyaità une mort certaine en les nourrissant d'illusions.Le 25 juin le vapeur de commerce Cagliari

partait du port de Gênes à destination de Tunis.A bord se trouvaient, outre un équipage de trente-deux hommes sous les ordres du capitaine Siktzia,

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124 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

trente-trois passagers dont vingt-sept s'étaient

embarques avec le projet arrêté d'aller porter larévolution dans le Napolitain. A la tête de ces der-niers était Carlo Pisacanc, duc de San-Giovanni,ancien officier du génie au service de Naples, qu'ilavait volontairement quitté en 1847pour entrer en'qualité de lieutenant dans la légion étrangère,sous le drapeau français. En il avait renoncéau brillant avenir que l'estime de ses chefs luiassurait dans notre armée pour retourner servirson pays où une constitution libérale venait d'êtreproclamée. Le triomphe de la réaction au maile força bientôt de quitter Naples encore une fois,et, comme les exaltGsde toute l'Italie, il alla pren-dre place dans les rangs des défenseurs de Rome.Mazzini, comme triumvir, lui donna le grade decolonel, et ce fut lui qui dirigen pendant tout lesiège les travaux de génie do la défense. Après litprise de Rome il avait dû se retirer en exil, où ilvivait dans une oisiveté forcée, cherchant à endissiper l'ennui dans les rêveries des doctrinessocialistes et dans des projets de conspirations.Creuxqui l'ont connu le dépeignent comme uneAmegénéreuse, ne respirant que le dévotement etl'abnégation, mais en même temps un utopiste

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l'ADULA ET CONSILINUM 125

imbu desprincipes révolutionnaires les plus intran-

sigeants, se berçant des songes d'une républiqueuniverselle et d'une société refaite de fond encomblesur denouvelles bases.A l'égard deMazzini,c'était un séide aveugle dans son exaltation. Seslieutenants dans son entreprise napolitaine étaientBaltcstino Falcone et Giovanni Nicotera, aujour-d'hui l'un des chefs de la gauche la plus avancéedans le parlement italien.Une fois le Cagliari sorti en mer, Pisacane et

ses compagnons forcèrent le capitaine à se dirigersur l'ile de Ponza, où se trouvait l'un des bagnesdes détenuespolitiques du royaume de Naples.Arrivés au mouillage, les insurgés firent garder lenavire par quelques-uns des leurs et descendirentà terre (27 juin), où ils embauchèrent quelqueshabitants et parvinrent à délivrer une partie des

prisonniers. Les nouveaux compagnons de leuraventure qu'ils ramenèrent a bord n'étaient pasmoins de trois cent vingt-trois. De Ponza, le capi-taine du Cagliari fut encore forcé de mettre le capsur Sapri.Cependant, aucoursdu trajet, les insurgéshésitèrent. Reculaient-ils au dernier moment de-vant la responsabilité qu'ils assumaient, ou biense crurent-ils trop peu nombreux, même avec les

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126 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

recrues qu'ils avaient faites à Ponza? C'est ce qu'ilest difficile de dire. Toujours est-il qu'ils deman-dèrent au capitaine de les reconduire en Sardaigneou à Gênes. Le capitaine refusa. A son départ iln'avait pris de charbon que pour la traversée deGênes à Cagliari, comptant renouveler sa provisiondans cette dernière ville on l'avait empêché d'yfaire escale, en le forçant à se diriger sur l'Ile de

Ponza il ne pouvait donc en ce moment, faute de

combustible, que courir au plus près, c'est-à-direà la côte napolitaine. C'est ainsi que Pisacane et ses

compagnons se virent forcés de poursuivre leurtéméraire entreprise.Le 28 ils débarquaient près de Sapri aux cris de

a Vive l'Italie vive la République » et tâchaientd'entraîner les habitants de la côte comme ilsavaient soulevé ceux de l'ile. Mais ils ne rencon-trèrent que tiédeur, ou du moins manque de con-fiance. Les uns les jugèrent trop peu nombreuxpour avoir quelque chance de succès, et ne voulu-rent pas se compromettre avec eux; les autres,crédules aux bruits habilement répandus par lesagents du pouvoir et les regardant comme desforçats évadés qui venaient tout piller et tuer, secachèrent et n'attendirent que l'arrivée des gardes

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PADULAET CONSILINUM 127

urbaines et des troupes pour se jeter sur ces enne-mis de la paix publique. Dès le débarquement, ilétait clair que le drapeau républicain effrayait auplus haut degré les populations et leur paraissaitsynonyme de désordre. Les insurgés eurent doncla déception de ne pas trouver au rendez-vous as-

signé les quelques milliers d'hommes en armes

qu'onleuravait promis. Attaquéspar les gendarmes,ils comprirent la nécessité de se réfugier dans les

montagnes, d'un abord plus difficile, où ils pour-raient mieux se défendre ou se cacher au besoin.Le 29 au matin ils se mettaient en route par Tor-

raca pour gagner le Val di Tegiano et de là les

montagnes de Saponara. Durant le trajet, obser-vant la discipline d'une troupe régulière, ils payè-rent scrupuleusement tout ce qu'ils étaient obligésde prendre pour leur subsistance; même un d'eux,ayant dérobé quelques carlins à une vieillefemme,fut immédiatement jugé, condamné et fusillé. Le30 au soir ils arrivaient à Padula. Ils étaient appelésdans cette ville par les promesses formellesdecon-cours de plusieurs habitants notables, qui s'étaientfaits forts de soulever le pays environnant dès

qu'ils auraient pour point d'appui un premiernoyau armé. Pisacane se présenta immédiatement

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A THAVKKSL'Al'ULIE ET LA LUCANIE

chezces personnes, en leur disant « J'ai tenu ma

parole; à vous maintenant de faire ce que vousavez promis. Où sont vos hommes? » Il ne trouva

que des gens elfrayés et hors d'état de réaliser ce

qu'ils avaient annoncé il l'avance. On lui réponditcependant d'attendre la nuit; qu'au lendemain leshommes que l'on allait convoquer commenceraientà arriver. Mais, le matin, ceux sur la complicitédequi l'on comptait avaient prudemment disparu; ilsavaient profité de la nuit pour se cacher. Au lieudes renforts annoncés, ce furent les gardes urbaineset les brigades de gendarmerie du voisinage quel'on vit apparaître, soutenues par le 70 régimentde chasseurs, que commandait le colonel Ghio.C'est le même officier qui, fait maréchal de campà la suite de ces événements, capitulait trois ansaprès à Soveria avec sa brigade entre les mains ducomité révolutionnaire de Cosenza, sans combattreet sans même attendre l'arrivée de Garibaldi. Dis-posant de forces dix fois supérieures contre la poi-gnécd'hommes que commandait Pisacanc, il l'at-

taqua dans l'adula. L'engagement fut vif, mais ilne put durer longtemps, d'autant plus que la popu-lation ne se montrait en aucune façon disposée àsoutenir les insurgés. Après avoir perdu 53 morts

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PADULA ET CONSILINUhI 129

T. 11. 9.

et 35 prisonniers, qui furent immédiatement fu-sillés, ceux-ci durent se mettre en rotraitre sansêtre trop vivement poursuivis. En partant, Pisa-cane lançait une éloquente malédiction contre ceuxqui, après l'avoir attiré par leurs trompeuses pro-messes, l'avaient si lâchement abandonné.Les débris de la bande débarquée à Sapri en-

traient le 2 il Sanza. Ils y trouvèrent la populationen rumeur, persuadée qu'elle avait affaire à desbrigands, armée pour les repousser, et dans cet étatd'excitation qui fit que quelque jours après, auxportes de Naples, les habitants de Terredel Greco sejetèrent sur les matelots de l'aviso français leMétéore, occupés à planter des signaux pour letravail hydrographique de leurs officiers, les bles-sèrent et faillirent les massacrer. Eux aussi secroyaient en présence des galériens évadés dontl'apparition imminente avait été signalée par legouvernement sur tout le littoral. Apeine Pisacancet ses compagnons avaient-ils pénétré dans les ruesde Sanza que de chaque maison des coups de feules accueillaient il bout portant. Le tocsin son-nait à l'église hommes, femmes, enfants, accou-,raient, armés qui de fusils, qui de haches, defaux, de fourches, qui même de bâtons et de cou-

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130 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

teaux, pour courir sus aux prétendus bandits. C'enétait trop pour des gens épuisés de fatigue, décou-

ragés par l'avortement de leur tentative et parl'échec sanglant de la veille. La plupart des insur-

gés prirent la fuite et se dispersèrent dans la

campagne, où les paysans leur donnèrent la

chasse, tuant tous ceux qu'ils atteignaient. Pisa-cane et ses lieutenants restèrent avec une trentained'hommes seulement, et tentèrent de se frayer le

passage en combattant au travers de la foule, quiles environnait et qui grossissait à chaque minute.

Après s'être défendus encore quelque temps, bles-sés pour la plupart, ils furent contraints de serendre. Mais la fureur populaire était montée à un

trop haut degré pour respecter des prisonniers.Bien qu'ils remissent leurs armes, on se jeta sureux pour les massacrer. Fuschini, l'un des officiers,se brûla la cervelle pour échapper aux torturesatroces qu'il voyait infliger à quelques-uns de ses

compagnons. Pisacane fut assommé à coups dehache et de bâton, déchiqueté à coups de fourche,à tel point que son cadavre n'avait plus formehumaine. Les autres auraient eu le même sort sil'arrivée du i4° régiment de chasseurs, venant de

Sapri, ne leur avait sauvé la vie. Parmi les prison-

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PADULA ET CONSILINUM 131

niers arrachés ainsi au massacre était M. Nicotera,grièvement blessé. Sixmois après, il comparaissaitavec les autres survivants devant la Cour crimi-nelle de Salerne. On avait habilement répandudans l'intervalle parmi le public qu'il avait fait desrévélations pour acheter sa grâce. A l'audience ilvoulut lire un mémoire destiné à venger son hon-

neur, en mettant à néant ces bruits outrageants;mais sur les conclusions du procureur fiscalla Courle lui interdit. Il eut beaucoup de peine à faireparvenir secrètement une copie de son mémoireaux journaux anglais, qui le publièrent. Depuislors la'haine des partis, avec sa violence habi-tuelle à qui tous les moyens semblent bons, estrevenue à plusieurs reprises sur ces incidents pourattaquer M. Nicotera et prétendre qu'il ne s'était

pas suffisammentdisculpé.Dans les fureurs aveugles des guerres civiles le

sang appelle le sang; la conscience s'oblitère etl'on se croit en droit de châtier les atrocités pard'autres atrocités. Au mois d'août 1860, une co-lonne de l'armée garibaldienne prenait terre, à

Sapri pour opérer dans le Cilentoparallèlement aumouvement en avant du corps principal; c'était lecolonel Pianciani qui la commandait. Il envoya un

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132 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIK

détachement à Sanza. Un nommé Savinu LaVeglia, que la voix publique désignait commeayant porté le premier coup à Pisacane désarmé,fut arrêté chez lui et fusillé sans jugement dans laprison. C'était répondreau meurtre par le meurtre.L'homme que l'on traitait ainsi pouvait être unassassin; ceux qui le mirent ù mort sans observeraucune forme, sans débat contradictoire, ne sefirent pas des justiciers, comme ils se l'imaginaient,mais eux-mêmes des assassins.Au moment de partir de Gènes, Pisacane avait

écrit un testament, que les journaux publièrentaprès sa mort. « Je suis persuadé, y disait-il, quesi l'entreprise réussit j'obtiendrai les applaudis-sements universels; si je succombe, le public meblâmera, on m'appellera fou, ambitieux, turbulent,et ceux qui, ne faisant jamais rien, passent leurvie h critiquer les autres, examineront l'œuvreminutieusement, mettront à découvert mes erreurset m'accuseront d'avoir échoué faute d'esprit, decœur et d'énergie. » Il se trompait. Sa tentativeavait lieu dans des conditions qui rendaient lesuccès impossible elle a misérablement échoué.Mais trois ans ne s'étaient pas écoulés qu'il passaitgrand homme et que sa mémoire recevait les hom-

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PADULAET CONSILINUM 133

mages réservés aux plus glorieux martyrs de lacause nationale. Sur le quai de laMarine à Salerne,le chef-lieti de la province où il mourut, on voitune statue élevée a Carlo Pisacane, precursore diGaribaldi. Dans tout l'ancien royaume napolitainil n'est presque pas une ville où l'on ne rencontreune rue ou une place Pisacanc. J'ai même lu à ce

sujet chez un voyageur français, homme de beau-

coup d'esprit et des mieux pensants, mais qui avaiteu là une distraction singulière, deux pages d'in-

dignation éloquente, flétrissant l'abaiesomentmoraldans lequel est tombée l'Italie piémontisée, quidonne aux rues de ses villes le nom d'un « crimi-nel vulgaire qui a tenté l'assassinat d'un roi. 1)Carlo Pisacane confondu avec Agesilao Milano!la méprise est forte. Il serait bon de s'informer un

peu plus exactement des choses avant de se mettreen frais de morale indignée.Du reste il ne faut pas s'y méprendre, l'aventure

de Pisacane, qui avait semblé au premier abordune folie piteusement avortée, fut par ses consé-

quences un événement fort considérable. L'effare-ment et le désarroi que le gouvernement de Naplesavait montré devant celle entreprise d'une poignéed'hommes, la façon dont, avant d'être arrêtés par

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134 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

les troupes, ils avaient pu circuler plusieurs joursau travers d'une contrée populeuse, sans que lesautorités eussent su leur barrer le passage, révélè-rent aux moins clairvoyants la fragilité, l'état de

décomposition d'un établissement politique dont

jusqu'alors les apparences avaient fait illusion.Dans le pays, ceux qui avaient pris peur àl'arrivée des bandes insurrectionnelles appeléespar eux-mêmes et les avaient abandonnées pourne pas se compromettre, rougirent de leur lâchetéet se promirent d'agir autrement si des circons-tances semblables se représentaient. Le sauvagemassacre de prisonniers déjà désarmés produi-sit- non seulement en Italie, mais aussi dans lereste de l'Europe, une impression d'horreur quifit le plus grand tort moral au gouvernement pourla cause duquel il s'était produit. Ceux mêmes quiy avaient pris part en eurent bientôt honte etremords. Mais surtout ce qu'on aurait de la peineà s'imaginer, c'est l'effet inouï que produisit, surles populations ignorantes et superstitieuses du

Napolitain, la coïncidence du grand tremblementde terre de 1857, survenant quelques mois aprèsl'entreprise de Pisacane et exerçant ses plus terri-bles ravages sur les cantons qui avaient refusé de

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PADULA ET CONSILINUM i35

répondre à son appel, sur ceux où il avait trouvéla mort. Vivant dans une atmosphère morale parti-culière, qui leur fait voir des miracles partout et

qui matérialise d'une façon plus païenne que chré-tienne l'action surnaturelle de la Providence, ces

populations sont habituées à voir dans les secoussesdu sol, auquel leur pays est si sujet, et dans les

phénomènes volcaniques des manifestations de lacolère divine, et à en chercher la cause dans lesévénements humains. Le tremblement de terrede 1857 frappa les imaginations populaires commeun châtiment presque immédiat du massacre dePisacane et de ses compagnons, comme une sortede proclamation extérieure d'un arrêt céleste con-tre la royauté des Bourbons. Soldat d'avant-gardede la révolution nationale, le grand seigneur, quela passion démocratique avait conduit à renoncerà son titre comme à mettre son- épée au servicedes plans de Mazzini, avait on donnant sa vie frayéles voies à un successeur plus heureux, qui devaitréussir là où il avait échoué. D'ailleurs l'exemplede Pisacane ne fut pas perdu pour Garibaldi. Il lui

montra que la République faisait peur aux popula-tions du royaume de Naples, qu'elles tenaient au

principe de la monarchie et que si l'on voulait les

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décider à se prononcer pour l'unité nationale ilfallait leur offrir en perspective la royauté de lamaison de Savoie au lieu du gouvernement descomités révolutionnaires, faire retentir à leursoreilles comme cri de ralliement le nom de Victor-Emmanuel au lieu -de celui de Mazzini. Il y avaità la fois en Garibaldi l'homme de la Révolution

cosmopolite, utopiste souvent ridicule de la Répu-blique universelle, et le patriote italien. Un jourles circonstances mirent ces deux hommes enconflit il lui fallut opter entre l'utopie politique etla patrie. Seul parmi les révolutionnaires de notresiècle, il sacrifia la première à la seconde il futItalien avantd'être républicain. C'est ce qui resterason honneur dans l'histoire et ce qui lui a permisd'attacher son nom à une grande œuvre. Ennemisystématique-de la monarchie et passionné pour laliberté de sa nation, il a pu consommer l'affran-chissement decelle-ci, mais en achevant de l'unifiersous le sceptre d'un roi.Mais laissons ces souvenirs d'un passé encore

bien voisin, pour retourner à ce que nous visitons.Dans la vallée, presque immédiatement au pied

des hauteurs de l'est, entre la colline où est bâtiePadula et la grande route, se trouve la célèbre

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PADULAET CONSILINUM 137

Chartreuse de San-Lorenzo. Fondé en 4308 parTommaso Sanseverino, comte de Marsico, cemonastère, richement doté par son créateur, reçutd'autres encore de grandes donations territoriales,et devint la plus considérable à la fois et la plusriche des Chartreuses de l'Italie, après celles deRome et de Pavie. Ses bâtiments sont si vastes

qu'en les voyant du haut de la-Cività ils avaientpresque l'apparence d'une petite ville. Nousdescen-dons pour le visiter, car il constitue l'un desédifices

monastiques les plus notables des provinces napo-litaines, et M. Barnabei est chargé d'en inspecterl'état pour son ministère. Supprimée une premièrefois sousle gouvernement du roi Joseph, la Char-treuse de San-Lorenzo fut rétablie à la Restaura^tion. Mais il n'y revint qu'une dizaine de pères, quiy vivaient misérablement, comme campés dans desbâtiments beaucoup trop étendus pour leur petitnombre. En 1868Yle gouvernement italien l'afermée de nouveau, en dispersant les moines et en

confisquant ce qu'elle avait encore de biens. Il n'yest resté qu'un unique custode les meubles ontété vendus à l'encan, et les édifices abandonnés

dépérissent rapidement, faute deréparations depuisquinze ans. Cette année enfin; le gouvernement

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A TRAVERS L'APULFEET LA LUCANIE

s'est décidé à faire droit aux réclamations bien desfois répétées du Conseil provincial, en enlevant laChartreuse de San-Lorenzo à l'administration desbiens confisqués sur l'Église et &lui épargner lavente et la démolition en la faisant passer, à titrede monument historique, dans les services duMinistère de l'Instruction publique. Reste à savoircomment on en utilisera les bâtiments, tout en lesconservant et en y exécutant les réparations deve-nues urgentes, lesquelles seront considérables.L'entrée du couvent est maintenant à demi en-

terrée sous les pierres et les graviers, qu'amoncellea chacune de ses crues un torrent qui passe devantla porte, et qu'il serait indispensable d'endiguer, sil'on veut éviter que quelque jour il n'enlève une

partie de laChartreuse elle-même. Dans les terrainsavoisinants se tient chaque année le 6 octobre, le

jour de la fête de saint Bruno, une grande foire quia succédé en partie à l'importance do la foire de lasaint Cyprien à Marcelliana, dont le site, nousl'avons déjà dit, est très voisin.Grâceà l'exhaussement du sol extérieur, la vaste

cour où l'on accède après avoir franchi le portailest fortement en contre-bas. Les bâtiments qui gar-nissent trois des côtés de cette cour étaient occupés

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PADULAET CONSIUNUM 139

par la pharmacie, les logements des pèlerins, les

l,·tablea,les remises et les granges destinées auxservices de J'exploitation des terres adjacentes aucouvent. Au fond est la façadc du monastère lui-

même, un frontispice théâtral dans le stylo duxvn" siècle le plus ronflant et le plus mauvais, avecdes colonnes d'ordre colossal, des statues demarbre

gigantesques aux draperies envolées, aux posestourmentées, dans les niches qu'accompagnent ces

colonnes, et pour couronnement une balustrade

interrompue par des piédestaux qui portent desstatues. C'est, somblo-t-il,uniquement d'après cettefaçade à la fois emphatique et banale que Schulza jugé tout l'édifice, pour lequel il est beaucouptrop sévère.La porte qui occupe le milieu du frontispice une

fois franchie, on est dans un vestibule monumen-

tal, entre deux cours entourées de portiques. Cescours, au milieu do chacune desquelles est unefontaine ornée de statues et autrefois jaillissante,datent do la même époque que la façade. L'archi-tecture en est lourde et d'une pompe qui laisse fortà désirer sous le rapport du goût; mais elle a en-core de l'accent et une certaine grandeur berni-

nesque, que l'on ne saurait méconnaître sans injus-

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140 A TRAVERS L'APUL1BFf LA LUCANIE

tice. De beaux orangers et d'énormes figuierscroissent dans ces cours; dos vignes y grimpentaux portiques leur végétation semarie d'une façontrès heureuse avec l'architecture. La cour de

gauche conduit au vaste logis autrefois réservé au

prieur, qui y donnait l'hospitalité aux prélats etaux autres étrangers de marque, visiteurs du cou-vent. Celle de droite donne accèsau réfectoire, auxcuisines et à leurs dépendances, qui comprennentplusieurs plus petites cours, enfin ù la salle capi-tulaire, où le siège du prieur, avec le dais qui le

surmonte, est un vrai bijou de la plus fine sculp-titre de la Renaissancé.De cette salle du chapitre, pour gagner la sa-

cristie et l'église on traverse deux ou trois petitessalles, qui sont des chapelles de famille bienfai-trices du monastère. Dans l'une on voit le mau-solée du fondateur, TommasoSanseverino, avec sastatue de marbre il demi couchée, en costume dechevalier, muvre d'une excellente sculpture duxv" siècle, pleine de vie et d'accent. Je suis sur

qu'il sera possible d'en déterminer l'auteur et d'yretrouver la main d'un maître. D'autres de ces cha-

pelles renfermentdes tableaux de Luca (iiordano,de Tarelli et de Solimena, qui ont beaucoup souf-

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l'ADULA ET CONSILINUM HI

fort. L'église est vaste et appartient à la fin duxvii" siècle. C'est aussi du même temps que sontles statues de marbre qu'on y observe et dont lamoins mauvaise est une Madeleine, ainsi que lemaitre-autel, tout couvert d'incrustations de nacre.Le grand crucifix d'ivoire, d'un travail souple etmagistral, qui était autrefois placé sur cet autel, aété transporté, depuis la suppression du couvent,dans l'église paroissiale de I'adula. Pour la déco-ration de l'église des Chartreux les architectes duxvii*siècle ont déployé un excès de luxe, une pro-fusion de peintures et de dorures rappelant ce

qu'on voit à la Chartreuse de San-Martinoà Naples.Mais ils ont eu du moins le bon goût d'y conserverdeux choses plus anciennes et d'un intérêt majeur,les portes de bois de l'entrée principale et les stallesdu choeur.Les portes sont datées de 1374; mais il est évi-

dent qu'on n'a fait alors que les remonter, en ymettant en œuvre des panneaux sculptés en bas-relief d'une époque fort antérieure, qui offrent tousles caractères de l'art italo-aormand de la premièremoitié du xu° siècle. Ces panneaux représententles principales scènes de l'histoire de saint Lau-rent. Ils mériteraient d'être soigneusement des-

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

sinés par un architecte et même d'être moulés, carils ont une véritable importance pour l'histoire de

la sculpture en Italie et comme spécimens d'une

phase encore insuffisamment connue de cette his-

toire, ils valent les bas-reliefs des portes de bronzede Trani et de Ravello. C'est probablement à unartiste de la Pouille qu'ils doivent être attribués.Les stalles portent la date de 1507 et la signa-

ture d'un artiste du nom de Giovanni, qui resteinconnu d'ailleurs. Derrière chacun des sièges,que séparent des griffons posés sur des volutes,sont des panneaux de tarsia di legno ou de mar-

queterie, de bois de diverses couleurs, retraçantscène par scène toute l'histoire de la vie de Jésus-Ghrist. L'exécution technique en est fort remar-

quable, le dessin quelque peu sec et dur; mais ilfaut ici faire la part des défauts inhérents à ce

genre de: travail, et qu'aucun de ceux qui l'ont cul-tivé n'a su complètement éviter. En général, du

reste, les compositions en sont belles et remar-

quables par leur unité; et somme toute, les stallesde la Chartreuse de San-Lorenzo doivent tenir un

rang distingué parmi celles qu'offrent à nos re-

gards tant d'églises italiennes. L'artiste qui en adonné les dessins avait subi une influence om-

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PADULA ET CONSILINUM 143

brienrie prononcée, mais qui n'excède pas ce quenous en constatons chez d'autres Napolitains de lamême époque. De grandes analogies rappellent icile style des frères Donzelli.Le vestibule où s'ouvre la porte de l'église donne

également accès dans le grand cloître, un des plusvastes du monde, long d'une centaine de pas et

large de plus de moitié, autour duquel sont dispo-sées, sur trois de ses côtés, soixante et quelquesde ces petites maisons accompagnées d'un jardinetoù chaque chartreux, d'après la règle de l'ordre,s'enferme pour mener la vie érémitique, sans jamaisvoir âme vivante, ni adresser la paroleà personne.Avec des livres pour me tenir compagnie, je m'a-bonnerais bien à passer quelque temps de solitudeabsolue dans une de celles de San-Lorenzo. Detoutes les chartreuses que j'ai visitées il n'en est pasoù l'installation de chaque reclus dut être plus con-fortable et mieux conçue, alors que les bâtimentsse maintenaient en bon état. Deux pièces, l'uneservant de chambre à coucher, l'autre d'atelier,

etchacune beaucoup plus .spacieuse que la plupartdes chambres où la cherté .des loyers condamneles bourgeois de Paris à loger, un petit oratoire,un promenoir couvert pour les jours. depluie, un

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i44 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

jardinet carré, à l'extrémité duquel est une per-yola, une treille soutenue sur des piliers, avec vuesur la campagne, de telle façon que par les beaux

jours on pouvait s'y promener ou s'y asseoir à

méditer, en jouissant du soleil et de la beauté tran-

quille du paysage environnant, voilà ce que chacundes solitaires yavait à sa disposition. Dans ces don-nées la vie érémitique n'a rien d'effrayant, et celui

qui, loin des agitations du monde,-s'y absorbaitdans les douceurs mystiques de la contemplationdevait penser que, commeMarie, il avait choisi lameilleure part. Bien des âmes tendres ou fatiguées,incapables de supporter les meurtrissures cruellesdes luttes de la vie, ont besoin deces asiles de paix.ll y a barbarie et oppression à les leur fermer.Libreà vous de ne pas croire à la puissance de la prièrechrétienne, à la grandeur du rôle de ceux qui s'yconsacrent tout entiers pour ceux qui la négligeutou la blasphèment. C'est affaire de conscience.Maissi la société civile a le droit et même le devoirde semettre en défense contre les dangers du déve-

loppement de la main morte et de se refuser àreconnaître un, caractère légal aux vœux monas-

tiques, c'est porter atteinte à la liberté individuelle

que prétendre interdire à ceux qui aspirent au

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l'ADULA ET CONSILINUbt

T. u.

cloître do s'associer, pour vivre en commun sousla règle qu'ils adoptent dans la plénitude de leurvolonté.Le grand cloître de la Chartreuse de San-Lorenzo

est unpeu plus ancien que la façade, les cours et

l'église qui le précèdent. Il leur est aussi fort supé-rieur commearchitecture. C'est une création de lafindu xm°siècle.11ne faut pas regarder de trop prèsau détail, qui est lourd, gauche et souvent de mau-vais goût. Maisleparti d'ensembleest bien conçu, adola grandeur et dela puissance. L'effetgénéral est

imposant et parle à l'imagination, qu'il ne laisse

pas froide. Ses lignes prolongées s'harmonisentbien avec le paysage environnant, avec les mon-

tagnes qui le dominent sur un des côtés. Le cime-tièredes moines, entouré d'une balustrade de mar-bre sculptée sur les dessins de CosmoFansaga, estdans le préau de ce cloître. La bibliothèque étaitsituée au premier étage, sur le côté ouest. A en

juger par l'étendue de son vaisseau et le dévelop-pement de ses casiers aux riches sculptures orne-

mentales, elle devait être considérable, et la tradi-tion du pays affirme que les manuscrits y étaientnombreux. Elle a été dispersée dès le commence-ment du siècle, et à la dernière expulsion des

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Chartreux elle était vide comme nous la voyons

aujourd'hui.Pour gagner du temps, éviter la fatigue de

remonter jusqu'au haut de Padula et diminuerd'autant la route que nous aurons à parcourir le

lendemain matin avant de regagner le chemin de

fer, nous nous décidons à dormir à la Chartreuse deSan-Lorenzo. Le gardien des bâtiments nous auto-rise à y organiser un campement dans des cellules

désertes, et à la tombée de la nuit nous voyons des-cendre une procession de femmes, de l'aspect le pluspittoresque, portant sur leurs têtes nos bagages etdans de grands paniers couverts de linges blancs toutce qui est nécessaire pour un repas d'adieux, queMM.Romano et leurs amis nous offrent dans une dessalles de l'ancien logis du prieur. La chère est bonne,bien que fortement empreinte de couleur locale, etsurtout les vins sont exquis. Il y a quelque chosede piquant à boire les plus grands crus de Bordeaux,de la Toscane et de la Sicile, que nos hôtes onttirés de leurs caves, sur la table boiteuse et ver-moulue que nous sommes parvenus à découvrirdans un coin où elle était oubliée, et autour de

laquelle nous sommes assis, 'qui sur sa malle, quisur un banc de bois, qui sur un vieux coffre, qui

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PADULA ET CONSILINUM 147

enfin sur une chaise dont les pieds ne sont plus au

complet. La plus grande partie de 1} salle où nousnous sommes installés est plongée dans une obscu-rité profonde, car nous n'avons pour nous éclairer

qu'une seule lampe de cuivre à trois becs et la lueur

d'un.grand feu allumé dans la cheminée, autour de

laquelle les porteuses sont accroupies à terre,regardant les étrangers en silence avec de grandsyeux fixes et profonds, où se peint un étonnement

farouche, qui tient à la fois de l'enfant et du sau-

vage. Les hommes qui nous servent ont un fauxair de brigands, et celui qui se trouverait brusque-ment mis en présence de cette scène, à voir l'étran-

geté de son aspect, aurait peut-être quelque peineà se rendre compte de ce qu'elle a de simple et de

prosaïque. On n'a pas l'habitude de se représen-ter de cette manière un dîner d'archéologues en

voyage..Mais il n'est pas de bonne fête qui ne finisse. La

franche cordialité qui a régné dans notre pittores-que repas l'a prolongé tard. Nos amis de Padulanous disent adieu et reprennent avec leur domes-

tiques elles porteuses le chemin de leurs demeures,

qu'ils ne regagneront qu'après une longue ascen-sion. Le gardien du couvent, dont nous avons

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

dérangé toutes les habitudes, va se coucher au plusvite. Nous restons seuls maîtres de l'immensitédu monastère désert. La nuit que neus y avons

passée restera gravée dans mes souvenirs pe ôcs

impressions solennelles et fantastiques. Le vent,s'engouffrant dans les longs corridors et sous les

portiques des cloîtres, avait des gémissements d'â-mes en peine, des girouettes rouillées faisaient unfracas de ferraille, à croire que des spectres traî-naient des chaînes, les moindres bruits, répercutéspar cent échos, s'enflaient et se répétaient de la fa-

çon la plus singulière; nos pas, sous les voûtes si-lenciensés et sonores, devenaient ceux d'une légion,et je me souviens du battement d'un volet poussépar le vent, qui finit par acquérir un retentissementde canonnade. Quand nous passions sous les por-tiques des cours nous effarouchions des oiseaux de

nuit, déshabitués depuis longtemps de voir des

hommes, qui s'enlevaient devant nous d'un vollourd et quelquefois effleuraient nos visages deleurs ailes. J'allai m'asseoir sous le grand cloître.Le vent chassait avec violence dans le ciel de nom-breux nuages, qui, passant rapidement devant lalune alors dans son plein, produisaient incessam-ment des alternatives subites d'obscurité profonde

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PADULA ET CONSILINUM 149

et d'illumination brillante. Rien de saisissant

comme l'effet de ces jeux de lumière nocturne, qui

tantôt montraient l'architecture avec une merveil-

leuse netteté jusque dans ses détails, tantôt l'enté-

nébraient complètement. Parmoment ces brusques

changements d'éclairage semblaient faire appa-raitre des fantômes blancs au fond des portiques,

comme si les ombres des anciens habitants du cou-

vent s'étaient relevés pour se rendre comme autre-

fois à l'office de la nuit. Je serais volontiers resté

jusqu'au jour à regarder ce spectacle si étrange,

qui parlait à l'imagination avec tant de vivacité.

Mais la fatigue fut la plus forte. Le sommeil me

gagnait et je dus me décider à rentrer dans ma

cellule, où je m'endormis bientôt, bercé par tous

ces bruits étranges, en dépit du froid déjà piquantet de la bise, qui pénétrait librement par les fenêtres

veuves de leurs vitres.

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Page 153: A travers l'Apulie et la Lucanie

EBOLI

Partis à l'aube du jour au travers de la froidure

et du brouillard, qui ne ao dissipent que lentement,

nous refaisons en sens inverse la route qui nous a

menés jusqu'à Padula; en quelques heures nous

sommes de nouveau à Ponto-San-Cono où nous

reprenons le chemin de fer.

Passant au pied de Buccino, la voie suit le cours

de la rivière Bianco, formée de la réunion du Pia-

tano et d'autres cours d'eau, jusqu'à son confluent

avec le Negro ou Tanagro, près duquel est la sta-

tion qui emprunte son nom au bourg de Sicignano,

situé à une assez grande distance, sur le versant

nord-est des monts Alburni. Quelques kilomètres

plus loin, après avoir longé le Tanagro par sa rive

droite, toujours en vue des Alburni, dont la pers-

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ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

pectiveest très imposante,on arrive à l'endroit oùcette rivière se jette à son tour dans le Sole, des-cendu presque directementdu nord au sud depuisles environs de Teora, en augmentantde plus dudoublele volume de ses eaux. C'est auprès de ceconfluentque se trouvela stationdeConlursi.Elle.dessert la localitéde se nom, bourg d'un peu plusde 3,000âmes, curieux surtout par la variété dessourcesminéraleset incrustantesdeson territoire,ainsi que par une mouette d'hydrogène sulfuré,assez forte pour asphyxierles bestiauxqui s'aven-turent dansle voisinageimmédiatdu lieud'où ellese dégage. Les eaux du Sele sont, du reste, elles-mêmes incrustantes dans une certaine mesure,cnmmol'ont remarqué dans l'antiquité Strabon,Pline et Silius Italius. Contursi-étaitau xu"siècleune seigneuriequi avait donné son nomù une fa-mille d'origine normande. Ce fut ensuite un desnombreuxfiefs desSanseverino, comtes de Mar-sico, puis princes de Salerne. C'est la patrie deBrusonio,dontle recueilde facéties,apophthegmeset exemples,disposéen septlivres,jouit d'unecer-taine popularité au xvi- siècle, et au commence-ment du xvii*,car il fut alors plusieurs foisréim-primé, non seulementen Italie mais dans d'autres

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EBOLI t53

paysde l'Europe; toutesleséditionsensontaujour-d'hui devenuesrares.Treize kilomètres au delà de Contursi, le train

s'arrête à la station de Campagna, chef-lieud'undes arrondissements de ta province de Salerne.Elle est à une certaine distance de la ville, qu'on,aperçoit dans le lointain entourée de beaux boisd'olivierset de vignes. C'est en effetle commercede l'huile et du vin qui fait la richesse de ses7,000habitants.La découverte fréquente de vases peints et

d'autres antiquitéssur son territoire, au villagedeTuori, indiquequ'il y avait là quelquebourgassezflorissant .des Lucaniens, dépendant de la citéd'Eburum.Maispour la villemêmede Campagna,sa fondationest récente.Onprétendque le premiernoyau d'habitantsqui s'y rassemblavenait de la

plaineentre le Sele et Battipaglia, et se composaitdo gens dos villages ruraux fuyant devant les

ravages des pirates musulmans au ix° et au x°siècle.En tous cas ce n'était encorequ'une bour-gade ouverte en 1160,quandRomoaldoGuarna,archevêque de Salerne, y fit construire par unarchitectedu nomdeBarlolomeouneégliseque letremblementde terrede 1694a détruite, maisdont

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154 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

on connaît l'inscription dédicatoire. A la fin du

même siècle il y avait à Campagna un chAteau.Pietro d'Eboli en parle dans son poème latin sur

les hauts faits de l'empereur Henri VI, et lé dépeintcomme un repaire de brigands qui infestaient les

alentours d'Eboli

Est prope Campania castrum, specus imo latronum,

Quod gravât Eboleum sepe latenter humum.

Peu à peu l'agglomération de Campagna grossitet vit sa prospérité s'accroître, grâce à la fécondité

de son sol. Mais c'est seulement en 1525 que la

localité fut élevée au rang de ville et qu'on yétablit un évêché, qui subsiste encore. Charles-

Quint en 1530, en fit unmarquisat en faveur d'unebranche de la famille Grimaldi de Gènes. Campagnaposséda dans le courant du xvi" siècle une impri-merie, dont les livres sont rares et recherchés.Dans un autre pays la chose ne vaudrait pas la

peine d'être remarquée; il n'en est pas de mêmedans un royaume dont tous les gouvernements,pendant deux cent cinquante ans, ont systémati-quement opposé de telles entraves au développe-ment de la typographie que le roi Joseph, aucommencement de ce siècle, écrivait à Napoléon

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EBOLI 155

ne pas trouver en dehors de Naples trois impri-meries dans toute l'étendue des états qui venaientde lui être donnés.

Campagna, du reste, était, au xve siècle, un

petit centre fort vivant de culture intellectuelle. Elle

donna alors le jour à Marco Fileto Filioli, érudit

et antiquaire, dont les lettres ont été publiées enet à Giulio Cesare Capaccio, né vers et

mort en Celui-ci eut la réputation du pre-mier érudit napolitain de son époque. Ses groslivres latins sur l'histoire de Naples et celle dePouzzoles sont un fatras lourd et mal digéré,comme on avait alors l'habitude d'en faire on ytrouve cependant des choses curieuses. C'est sans

fournir de preuves que Toppi affirme que Ca-

paccio n'y est qu'un plagiaire, qui se serait bornéà traduire en latin, sans en rien dire, des manus-crits inédits de Fabio Giordano, rédigés en italien.Ses écrits italiens ont plus de valeur littéraire. LeTrattato délie imprese contient certains faits pi-quant?; les Apologhi e favole in versi vulgari sontd'un sens juste, d'un style concis et d'un tour heu-

reux enfin le Forastiero, sous forme de dialogues,est le plus ancien guide du voyageur à Naples. En

1602, Capaccio, dont la réputation était déjà des

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156 A TRAVERS L'APULfE ET LA LUCANIE

plus grandes, fut fait secrétaire de la ville do

Naples, et dans cette situation il eut une part con-

sidérable ù la fondation de l'Académie des Oziosi.

Privé de sa charge en il eut il souffrir, ù

cause do son patriotisme, de nombreuses persécu-

tions de la part des vice-rois espagnols, à tel point

qu'en 1616 il se vit contraint de s'expatrier. Fran-

cesco della Itovera, duc d'Urbino, lui confia alors

l'éducation de son fils, puis au bout de quelquesannées il put rentrer à Naples. C'est là qu'il mourut

paisiblement en 1633, après avoir recouvré son

ancien poste de secrétaire de la ville.

Il n'y a que six kilomètres de la station do Cam-

pagua à celle d'Eboli. La voie s'éloigne dans ce

trajet des bords du Sole, qu'elle a suivi depuis

Contursi, courant presque toujours au milieu des

bois. C'est au contraire une plaine bien cultivée

qu'elle traverse depuis le fleuve jusqu'à Eboli. La

station est ici tout près de la ville, avec laquelleelle communique par une avenue plantée, condui-

sant à la promenade que l'on a créée dans les

dernières années il l'entrée d'Eboli, promenade

spacieuse, d'où l'on jouit d'une belle vue dans

la direction de la mer. C'est là que le marché so

tient une fois par semaine et que sont situées les

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EBOLI

auberges, dont les propriétaires font en mêmetempsle métierde loueursde voitures.Eboli n'estqu'un simple chef-lieude canton, tandis qu'il y aun sous-préfetà Campagna.Mais la ville est plusimportanteet plus peupléeo;elle compteau delà de9,000 habitants, en grande majorité propriétairesruraux ou cultivateurs.Carsur le territoire étenduet fertile qui en dépend et se prolonge entre leSele et le Tusciano(ou rivière de Battipaglia)jus-qu'à la mer, distante de plus de 20 kilomètres,iln'y a pas un seulvillageet presquepoint defermesisolées. Ceuxqui travaillentdans les champshabi-tent à la ville, et, quand ils n'y rentrent pasle soir,campentsousdes huttes de branchagessur le ter-rain mêmequ'ils labourentou moissonnent.Ebolifait un commerceétendu de ses produitsagricoleset du fruit de ses troupeaux, lesquels sont nom-breux, car les landes malsaines qui avoisinent lamer ne sont aptes qu'à l'industrie pastorale. Laville est vivante et bien bâtie, avec un air propreet prospère.L'aspecten estgracieuxet la situationfort pittoresque.Elle s'élève, entourée de vergerset de plantationsd'oliviers, sur un doublemame-

lon, placé dans une sorte d'amphithéâtre queformesur sonversant sud le MonteSant'Erasmo,

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158 A TRAVERSL'APULIEET LALUCANIE

montagne aux pentes boisées, aux crêtes rocheuses,se rattachant aux dernières ramifications que pro-jettent en avant les Apennins de Teora et de

Sant'Angelo de' Lombardi. Cette montagne, quifait la limite entre les territoires d'Eboli et de Cam-

pagna, est d'une médiocre hauteur, mais les for-mes en sont d'un dessin arrêté et classique. Unancien château du moyen âge occupe la partieculminante de la ville.Eboli conserve le nom de la ville antique d'Ebu-

rum, qui appartenait encore au peuple des Luca-

niens, bien que situé sur la rive droite du Silarus

(le Scie) dont on fait d'ordinaire la limite entre la

Campanie et la Lucanie. Si donc le territoire des

Picentins, transplantés par les Romains, vers lemilieu du ne siècle avant l'ère chrétienne, du Pice-num dans la Campanie, dont la capitale, Picentia,est représentée par l'actuel village de Vicenza et

chez qui fut fondée,la colonie romaine de Salernum,si ce territoire le long de la mer s'étendait jusqu'àl'embouchure du Silarus, dans la partie de la plaineplus rapprochée des montagnes il devait s'arrêterau Tusciano, pour laisser place au territoire desEburini lucaniens. L'existence d'une inscriptionfort importante émanant du municipe d'Eburum

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EBOLI 159

sous l'Empire, laquelle se trouve à la base du clo-cher d'une des églises d'Eboli, se joint en effet àl'identité des noms pour établir que la ville moderneest bien l'héritière de l'ancienne. Cependant l'Ebu-rum lucanien et romain n'était pas située tout àfait exactement où Eboli se trouve depuis le moyenAge, dans une situation plus forte que celle quiavait été adoptée par les anciens. Les ruines de laville antique se voient sur la colline appelée Monte

d'Oro, entre Eboli et la rive droite du Sele, sur le-

quel était jeté tout auprès un beau pont romaindont il subsiste encore des restes.On ignore ce que devint l'ancien Eburum pen-

dant les siècles terribles des invasions barbares etceux ou les musulmans d'Afrique et de Sicile rava-

geaient par des incursions incessantes toutes les

parties de l'extrémité méridionale de l'Italie, sur-tout dans le voisinage des côtes. Un chroniqueurdu xive siècle, aux dires duquel son éloignementdes événements dont il parle ôto une partie de leur

valeur, prétend que, lorsque Robert Guiscard vint

assiéger Salerne, il établit son campement person-nel et son quartier général sur le site où s'élève

Eboli. Après la prise de la capitale de la dernière

des principautés longobardes, il aurait en recon-

Page 162: A travers l'Apulie et la Lucanie

A TKAVKIIS L'AI-'ULIK KT LA LUf;ANII;

naissance fondé sur l'emplacement de sa tonte mit;

ahhaye dédiée il saint Pierre, et celle alibayo aurait

été le premier noyau autour duquel la ville nou-

vdle d'Khnlisc serait groupée. Ce qui est certain

c'est qu'une charte de établit qu'il y avait la

des lors une ville, et déjà de quelque importance.Un c'était le fief que tenait un chevalier d'o-

rigine normande, nommé Itohcrl, lits de ltaoïil.

Pietro da Eboli, clore de la fin du xn" siècle, qui u

chanté les hauts faits de l'empereur Henri VI et sa

conquête du royaume sicilien dans un poème latin,

qu'il lui présenta eu et que Bongurs a public,l'ielro da Kltoli parle à plusieurs reprises dans ce

poème de son lieu do naissance, qu'il qualifie de

ville, ainsi que du château voisin de (jifoni. Il vante

la lidélilé dos habitants d Kboli aux droits de lu

reine Constance contre l'usurpation de Tanciède.

Frédéric Il avait auprès de cette ville de vastes

terrains réservés et aménagés pour ses chasses dans

les forêts voisines, comme les rois do Naples en

ont toujours gardé dans celle contrée, comme le

roi d'Italie en a encore sur les bords du Selc. Sous

Manfrcd la seigneurie d'Uboli avait été donné à son

cousin germain (iiorduno Lancia. Chartes d'Anjoula confisqua et la concéda ensuite à son grand jus-

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KIJOLI

T. II. H

licier Olhon de Jussi, dont le lils Philippe établit le

marché hebdomadaire du murcredi, lequel se tient

encore aujourd'hui aux portes de ta ville. A la fin

du xiv" siècle nous trouvons celle-ci en lu possession

dc Philippe, prince dcTarenleel Kinperuiir nominul

de Conslunliuople. Jeuiiuc 1"' lu donna, aucommon-

ccmenl de son règne, au grand-sénéchal Itoherl de

(ihahannes; mais deux uns après, nu l'Jiî», ce per-

sonnage ayant été déclaré l'un des auteurs ilo l'as-

sassinat d'André de Hongrie, le premier man de

la reine, ses terres furent confisquées et celle d'a-

Iroli lit retour à la couronne. C'est alors que furent

construits les remparts dont il subsiste encore quel-

ques parties. Eboli sortit de nouveau, en 1419, du

domaine royal, lorsque .'(!arme Il comprit cette ville

dans la principauté de telle qu'elle la don-

nait u Antonio Colonua, neveu du Pape Martin V.

l'assaut ensuite par Ics mains de différents pro-

priétaires, Kboli était à Ferdinando Sunseverino,

prince de Salerno, quand celui-ci obligé de fuir les

persécutions du vice-rui don J'edro dc Tolède, qui

ne pouvait lui pardonner le rôle qu'il avait eu dans

la résistance de Naplcs à l'établissement de l'Inqui-

sition, su réfugia en France auprès de Henri Il et

lit sous ses auspices une tentative pour soulever le

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162 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

royaume napolitain contre l'Espagne. C'est alors

qu'Eboli, revenu à la couronne par la confiscation

du rebelle, fut érigé par Philippe II en principauté

pour son ministre Ruy Gomez de Silva, le mari de

la célèbre princesse d'Eboli, dont les amours avec

Antonio Perez, en excitant la jalousie de Philippe Il

et en provoquant la perte de son secrétaire d'État,

exercèrent une influence si décisive sur la marche

que prit, à dater de la politique espagnole.

Je dois le confesser, j'ai très mal fait à Eboli mo n

métier de voyageur. Je n'ai passé qu'une demi

journée dans cette ville. J'y arrivais malade, excédé

de fatigue, pouvant à peine me trainer. Au lieu de

me mettre à visiter ses monuments pendant les

quelques heures de jour qui me restaient, je me

suis endormi dans les douceurs de la gracieuse

hospitalité que le syndic m'offrait sous son toit de

la manière la plus aimable. J'ai ainsi laissé perdre

l'occasion d'examiner attentivement les églises de

la ville, et je le regrette d'autant plus qu'elles ont

été complètement passées sous silence par Schulz

et que personne autre, ni étranger, ni homme du

pays, ne s'en est occupé. C'est une lacune que je

signale à l'attention de ceux qui viendront dans le

pays après moi, et que je me promets bien d'ailleurs

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EBOLI 163

d'essayerde comblerdans un autre voyage.11y ad'autantplus lieu de le faire, qu'un coupd'oeiljetésuperficiellementdu dehors m'a laissé entrevoirl'existenced'au moinsdeuxéglisesintéressantesàElboli, l'une très petite, du xi"siècle,en dehorsdela ville et tout près de la gare, l'autre dela périodeangevine au centre des quartiers habités.Onm'aparlé de peintures qui se trouveraient dans cettedernière église, entre autresd'un tableaud'AndreaSabbatini,l'élèvedeRaphaël.Maisla nuit qui sur-venaitne m'a pointpermisdevérifiercettedernièreassertion.Du moins je suismonté au château,dont la vue

est célèbre. Elle embrassedans toute son étenduele golfe de Salerne, digne de rivaliser pour sabeauté avecle golfe de Naples. Le rivagedu fondde ce golfecourt en ligne directedu nord-ouestausud-est depuis Salerne jusqu'au delà de Paestum,au pieddes dernières pentes des montagnes duCilento.En arrière de ce rivage s'étend une vasteplaineendemi-cercle,profondedesixlieuesaupointdesonplusgrand diamètre, que traversent avantdesejeter dans lamer, les trois coursd'eauduVicen-tino, du Tuscianoet du Sele. Le cirquedesmonta-gnesdeSan-Cipriano,Monte-Corvinoet Eboli,puis

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1Gi ATRAVERSL'APULIEETLALUGAJNIlià l'est, au delà de l'ouverture de la valléed'où sortle Sele, de l'extrémité de l'Alburno, vers Posti-glione,et dela montagnedeCappacio,environnelaplaine et à ses deux extrémités se prolonge fortavant dans la mer, commepar deuxbrasqui enfer-ment le golfe, d'un côté, au delà de Vietri et deSalerne, la presqu'îled'Amalfiet de Sorrento, ter-minéepar la Punta della Campanella, en face deCapri, de l'autre, au delà des ruines de Pseslum,la chaîne du Cilcnto s'étendant jusqu'à, la Punladella Licosa.Du sommet du châteaud'Eboli, tan.dis que sur les premiers plans on retrouve autourde soi la végétation des orangers et des cactus,inconnueau climatsévèredel'intérieur.delaLuca-nie et qui ne reparaît qu'en approchantde la mer,onvoit se développer devant soi toute la plaine,nue, griseet désertedans sa majeurepart, exceptédans sa partie orientale, plus basse, où une luxu-riante verdurecroit sur les terrains arrosés par leSele et le Calore.La grande forêt de chênes dePersano, en particulier,jette en travers d'un bontiers de la plaine, à moitiécheminentre Eboli et lerivage, une tache d'un vert sombre dont l'efretesttrès frappant.Aprèscommencentles terrainsmaré-cageuxdu voisinagedelamer, tout prèsdelaquelle

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EBOLIune lorgnette permet de discerner les templesdePaestum,deboutdansleur grandiosesolitude.Puis,au delà des terrains grisâtresplus ou moinsparse-més de bouquets de verdure, vient la nappebril-lante des eauxdu golfe, au ton d'un bleud'indigo,sur lesquellesle regard court sansobstaclejusqu'àl'extrémité de l'horizon, tandis qu'à droite et àgaucheelles sont encadréesentre les deux chaînesde montagnes, diversementcoloréespar les jeuxet les refletsde la lumière, qui viennenty plongerleurpied.Baignezd'uneatmosphèred'or lepaysagedont je viens d'esquisser si imparfaitement lesprincipaux traits, faites scintiller la surfacede lamer avecun éclat aveuglantsous lesderniers feuxdu soleil, représentez-vousles montagnes de lapresqu'îled'Amalfidéjà envahiespar l'obscuritéetdétachant en sombre leur silhouette dentelée surl'embrasementdu couchant,tandisque les rochersdesAlburni et duCilentose teignent de rose et depourpre, et vous réussirez peut-être à vous faireune idée de ce qu'est la perspective du châteaud'Ebolivers la chutedujour, à l'heure où j'ai étéla contempler.

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Jusqu'à présent j'ai promené le lecteur en terre

pour ainsi dire inconnue, dans des lieux où souvent

je n'avais été précédé par aucun voyageur, ou bien

dans lesquels on peut énumérer les deux ou trois à

peine qui les ont visités. En conduisant à ma suite

ceux qui veulent bien lire ce volume dans les mon-

tagnes du Cilento et aux ruines de Velia, je ren-

trerai dans les mêmes données. Mais pour un mo-

ment, en passant par Psestum, je me retrouve sur

l'itinéraire habituel de l'immense majorité des tou-

ristes. Autrefois, il y a vingt-cinq ans, c'était en-

core une sorte d'expédition que d'aller de Salerne

à Pœstum; peu de voyageurs s'y risquaient. Au-

jourd'hui, bien que le chemin de fer ne vous ap-

porte pas encore jusqu'au pied des temples, comme

PjESTUM

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168 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

il le fera l'année prochaine,il n'est plns guère devisiteur de Naples qui n'entreprenne cette excur-sion, devenueaussi courte quefacile.Aucunvoya-geurà billet circulairen'aurait garde d'ymanquer,et pour lesdix-neuf vingtièmesde ceux qui vonten Italie les ruines de l'antique Poseidônia sontcommeles Colonnesd'Herculequel'on ne dépassepasdans la directiondumidi.Arrivant des sauvagesmontagnes de la Basili-

cate, où j'avais savouré toutes les jouissancesdel'explorationd'une terrevierge et oùj'avais éprou-vé tantde satisfactionànepasmeheurter uneseulefois à ces badaudsen voyage, dont la rencontresuffità vous gâter les plus beaux lieux du monde,j'ai éprouvéunvifsentimentd'impatienceet d'aga-cementquand à Paeslumje me suis trouvé faceàfaceavecunesociétéde touristes,installéesouslesmajestueusescolonnesdu grand temple, écoutantavec une attention niaise le boniment absurde etbanald'un guideà tantpar journée,puis déjeunantsur la pierreoùl'on déjennetoujours, avecle clas-sique panier de provisions, invariablementgarnide la mêmemanière, que fournit l'hôtel Victoriade Salerne.L'annéeprécédentej'avais eumeilleurefortune.

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PÆSTUM 169Revenant de la Terre d'Otrante par la ligne dePotenza, ouverte depuisquelques semainesseule-ment, je passais par Eboliet Battipaglia. En arri-vant à cette dernièrestation, je ne pus tenir à l'en-vie de m'enaller pour quelques heures à Paestum,d'y saluerune foisdeplus cesmerveilleuxtemples,qu'on ne se lassepas de revoir et d'admirer tou-jours. On était aumilieudeseptembre,c'est-à-diredans une saisonoùl'air decettelocalitépasse avecraison pourpestilentiel, où tous ceuxqui-peuvents'empressent de fuir. Quelquefait que je sois auxclimatsdu midi, quelqueréfractaireque la naturem'ait fait aux influencesde la fièvre,ily avait bienunecertaineimprudenceà risquer l'aventure maisla tentation était trop forte pour y résister, et j'enfusamplementrécompensé. J'eus quelquepeine à-.trouverun cocherqui consentit à me conduire, etquand j'arrivai à Paestumje trouvai le lieu com-plètementabandonné.Pasun touriste,iln'est pointbesoinde le dire. Bien mieux, toutes les maisonset les fermesétaienthermétiquementscloses,videsde leurshabitants.Le gardiendesruinesétait mortquelquessemainesavant d'un accèspernicieux,et'n'avait pas été remplacé.A la brigade de gendar-merie il n'y avait plus que deux hommes,tous les

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i70 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

autres ayant dû s'en aller en convalescencedansla montagnevoisine,à Capaccio.Un seul garçon,tremblantla fièvre,desservaitle cabaretoù les co-chers qui amènent les voyageurs remisent leursvoitures et où fait halte le courrier postal du Ci-lento et de l'arrondissementduVallo.Entre tontesles habitations groupées dans l'enceintedes mu-railles de la ville antique ou éparsesà l'entour, ilne restait pas six personnes. Tout le reste avaitdéguerpi, pourne revenir qu'en octobre,devant lamal'ariaquirégnait seule,ensouverainemaîtresse,et quej'avais l'air devenirbraver dans sonempire.Il estimpossibledes'imaginersansl'avoir vucequela grandeurmélancoliquedu paysagedePœstumetla pure beauté des édificesruinés auxquels il sertde cadre empruntaientdemajesté nouvelleet depoésie à cette solitudeabsolue, que rien ne venaittroubler. Je sentais se réveilleren moi quelques-unes des impressionsque j'avais ressentiesau dé-sert. J'ai bien des fois visitéPrestum,maisjamaisje ne l'ai si bien vu que cejour-là, jamais je n'y aigoûté le même charme pénétrant. J'aurais voulurester sur cette impression exquise et n'y revenirque dans lesmêmes conditions. C'est ce qui m'arendusi désagréabled'y trouver déjà l'avant-garde

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PÆSTUM 171destouristes, quinecessentplusd'y affluerà partirde la find'octobre.Jusqu'à présent j'avais toujours été à Paestum

par la route queprennentexclusivementles excur-sionnistesvenant de Salerne, c'est-à-direen quit-tant le chemin de fer à la station de Battipaglia.Cetteroute est triste, ennuyeuseet monotonedansles deux tiers de sonparcours. Elle traverse uneplaine nue, marécageuse, déserte et à peine cul-tivée, qui n'offre aucun point de vue intéressantjusqu'au momentoù l'on approchedu Seleet où laperspective des montagnes de Capaccio se dé-couvre entièrement. C'est Eboli quej'ai pris cettefois pour point de départ, et je recommandeauxvoyageursde fairede même.Cette manièred'exé-cuter la course de Paestumne demandeni plus detempsni plusde dépenseque celle dont on a l'ha-bitude. Pour pousser deBattipagliajusqu'à Eboli,on a vingt minutes de cheminde fer de plus, dixpar les trains express.Maisen revanche,d'EboliàPaestum,on gagne une grande demi-heuresur letrajet en voiture, par comparaisonavec celuiqu'ilfaut faire depuis Battipaglia. Quant à l'organi-sation pratique du voyage, elle est aussi faciled'une façon que de l'autre. Il suffit,au lieu d'ar-

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172 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIK

rôler sa voiturea l'hôtel de Salerne, de lélégra-phier pour on retenir une il la gare d'Eboli. Cetteprécautionn'est mêmepasnécessaire.Onen trouvetoujoursdeprêteset d'atteléesill'arrivéedestrains,et si elles sont moinsélégantesque cellesqu'onsoprocureùSalerne, et qui vont vousattendre ùBat-lipaglia, les prix que demandent les cochers sontbeaucoupplus modérés.La roule d'Ebolià Pwslumest éminemmentpit-

toresquesur toute l'étenduede son parcours. Ellechemine presque parallèlement aux montagnes,qui ferment la plaine du côté de l'est et que l'onvoit se dérouler sur la gauchedans tout leur déve-loppementde la baseàlacime, passant successive-mentdevantle débouchédelà largevalléed'en sortle Soie après avoir reçu les eaux du Tanagro,devant l'extrémité des montsAlburniet la valléed'où descendleCalore,valléequi sépareleurmas-sif de celuidu Cilento.Cesont ensuite les contre-forts occidentauxde ce dernier groupe de mon-tagnesque l'on a sur sa gauchoet où se succèdentles hauteurs d'Altavilla,puis celles de Capaccio,présentantdans leur intervalleune profonde cou-pure. On suit une lignede terrains élevés,adroitedesquelss'étendlaplainenue jusqu'auxmontagnes

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1MÏSTUM 173

qui dominent Salerne el terminent au loin l'ho-rizon,s'avançantdansla moi-dans la directiond'A-malfi et bien au delà, pour«lier rejoindrel'île deCapriqui en sembleune prolongation.1)el'autrccôté, entre les terrainsoù passela routeet lesmon-tagnes, le sol s'abaisseet se creuse enune sortedevalléeoù coulentpendant assez longtempsparal-lèlement,avantdeserejoindre, leSeleel leCalorc,qui y formentdeux rubans d'urgent hordésd'uneintenseverdure. Toutce fond,bienarroséet d'uneétendue considérable,constitue le territoire de laVillaIlcale, vaste domainedela couronne,où il ya une fermemodèleet un pavillonde chassecons-truit par les rois de Naples. Rien de riant comme

l'aspect de ce territoire, entrecoupé de bois bien

aménagés pour les tirés royaux, do prairies irri-

guéesdignesdela Normandieet debellescultures,tenuesavecle plus grand soin et les derniers pro-grès.Nous atteignons ensuite et nous traversons la

foretde chênesdePersano. qui s'étenden échurpeà travers la partie orientale de la plaine, partantdesmontagneset barrant la valléedu ScieverssoncontinentavecleCalorc, se continuantensuitesurla rive droite du fleuveet venant jusqu'à la route

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17i ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

de la stationdeBattipagliaà Paestum,quien formela limite du côté de l'ouest. Dans les années quiont suivi les événements de 1860 cette partie dutrajet, quelleque fûtla route qu'on suivît, était des

plus périlleuses il y avait souveraineimprudenceà la faire sans une forte escorte de gendarmes.Manzi,l'un des plus férocesbrigandsde l'époque,avait l'habitudedes'embusqueravecsabandedansla forêt de Persano pour y guetter les voyageurs.Plus d'un touriste, qui s'était montré sceptiqueàl'endroit dubrigandageet avait cru pouvoirsedis-penser de prendre les précautionsqu'on disait né-cessaires,tombaentre leursmainsetne fut relâchéqu'après le paiementd'une forte rançon.Maisc'é-taient surtout les gens du pays, les propriétairesconnuspour le chiffrede leur fortune que les bri-gandsrançonnaientà cœurjoie quandleursaffairesles amenaient des arrondissementsde Policastroou duVallodiLucania au chef-lieude la province,ou réciproquement.On s'étonnerade ce qu'un pa-reil état des chosesait pu durer pendant plusieursannées, à quelqueslieues seulementd'une ville del'importancede Salerne et sur une des routesquefréquentent le plus les étrangers, où le gouverne-ment italien avait donc intérêt à rétablirprompte-

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l'/ESTUM 175

ment la sécurité. C'est quela dispositiondes lieuxpermettaità la bandede Manzide se rendre insai-sissable.Dès qu'elleétait poursuivie,ellese dissi-mulait sous bois et gagnait à couvert d'inacces-siblesrepaires dans les plus hautes parties du Ci-lento.Puis, lorsquela surveillanceserelâchait,elledescendaitde nouveau,en se dissimulantsous lesmêmesabris, reprendre ses embuscadesauprès dela route. Aussi fut-elleune des dernières bandesque l'on parvint à atteindreet à détruire. Pendantquelques années encore, après ce résultat obtenu,la route de Ptestumdemeura l'objet d'une activesurveillance. Il n'y a pas plus de cinq ou six ansquependant lasaisonoù lestouristesy affluent,onla voyait incessamment parcourue par des pa-trouilles de gendarmerieà pied et à cheval. On amaintenant renoncé à ces précautions,que la sû-reté absolue rétablie dans le pays rendaient inu-tiles et qui absorbaient des hommes mieux em-ployésailleurs.La forêtde Persano était au commencementdu

siècle dernier beaucoupplus étendue qu'aujour-d'hui mais en 1746un vaste incendieen détruisittoute la partie qu'on appelait il BoscoGrandeet

quiallait jusqu'auTusciano.Tellequ'elle est, avec

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i76 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

lesbois des chasses royales, elle constitue le der-nier reste de la grande forêt du Silarus, qui dansl'antiquité occupait les bords de ce fleuvedepuisl'endroit où il recevaitle Tanagerjusqu'à soncon-fluentavec le Calor. Virgile décrit les troupeauxqui paissentdans cette forêt du Silaruset la façondont une espèce de taon les y tourmente dansl'été. Onprétend que cet insecte abonde encoreaux mêmeslieux.Au sortir de la forêt, la route venant de Batti-

paglia rejointcellequia Ebolipourpoint dedépart.Bientôt on franchit le Sele sur un pont que lescrues du fleuveont souvent emporté et dont ladernière reconstructionne date que de peu d'an-nées. On entre alors dans les landesmarécageuseset incultes, semées de buissons de lentisques, defondrières fangeuseset de mares où poussent degrands roseaux, qui s'étendent tout le long durivagede la mer. Des chevaux à demi sauvages,desboeufsau pelage gris et aux cornes énormes,desbufflesnoirs au regard torve, au front dépriméet garni de cornes tordues, y paissent par trou-peaux sous la garde depâtres à l'aspect aussi sau-vage que leurs bestiaux. Les environsde Pœslumsont avec les MaraisPontins, certains cantons de

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P.-ESTUM li7

T. Il. 12

la campagne romaine et la partie inférieure du Val

di Crati en Calabre, les terres classiques de l'éle-

vage du buffle en Italie. Cet animal est originaire

de l'Asie, et dans l'antiquité il n'avait été importé

nulle part en Europe. Ce furent les Arabes qui

l'introduisirent en Sicile, d'où il fut amené dans

l'Italie méridionale par les rois normands. En 1300,

Philippe de Tarante concédaitaushabitauts d'Eboli,

comme pâturage communal, le vaste territoire dit

Arenosola, c'est-à-dire la plaine avoisinant la mer

sur la rive droite du Sele, pour y faire paître leurs

buffles, et aux habitants de Capaccio le territoire

correspondant de l'autre côté du fleuve. A tous les

points de vue le buffle, qu'on n'arrive jamais à

domestiquer complètement, est comme bétail très

inférieur au bœuf. L'élève n'en a été adoptée dans

certaines contrées que parce qu'il réussit mieux

au milieu des marais, où il aime à se vautrer dans

la fange et à rester plongé dans l'eau des heures

entières. Aussi partout, à mesure que le pays tend

à s'assainir, que l'on commence à dessécher les

marécages, le nombre des buffles diminue, et les

bœufs se multiplient en prenant leur place. Cette

diminution est déjà sensible dans la campagne de

Rome elle l'est aussi dans la plaine de Paeslum, à

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i78 A TRAVERS I/APULIK lIT LA LUCANIE

mesure qu'il s'y produit quelques essais de mise en

culture, encore bien peu développés, mais qui ten-

dent cependant à gagner du terrain depuis quelques

années.

Strabon remarquait déjà que de son temps Paes-

tum était fort insalubre, à cause de la façon dont

les eaux de la petite rivière qui passait auprès de

ses murs (celle qu'on appelle aujourd'hui le Salso)

s'épandaient en marais fiévreux. Ainsi que Clavier

l'a noté le premier, les lagunes formées par le

Salso doivent être le marais Lucanien auprès

duquel Sparlacus, avec son armée d'esclaves révol-

tés, campa quelque temps en face de Crassus, et

dont Plutarque prétend que les eaux sont alterna-

tivement, suivant les jours, salées, douces ou bien

amères et infectes. La réalité est que les sources

qui alimentent le cours du Salso et du marais de

Paeslum sont de natures très variées il en est de

limpides et sans goût, d'autres salées, d'autres fer-

rugineuses, d'autres enfin fortement sulfureuses.

Le goût des eaux change donc, non d'après le jourmais d'après le point précis ou on les puise. Le

long des murs dela ville antique, l'odeur de soufre

qu'elles exhalent est tout à fait caractérisée.

Peu après le pont du Scie, on commence à dis-

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IMiSTUM 179

tinguer nettement devant soi les trois templesdemeurésdeboutau milieudes restesde l'enceintede lacité. Amesureque l'onavanceilsgrandissenten produisantplus d'ellcl, et l'onvoitaussi les cinqou sixmaisonsmodernesquisesontgroupéesdansleur voisinage,une ferme, quelques habitationsde paysans, deux cabarets, et la brigadede gen-darmerie.On laisse, à peudedistancesur la droitede la route, unejolie propriétéquis'est crééedepuispeu d'années, avec un bosquet toull'ude chênesverts et en avant de la maison de magnifiquesbuissons de roses du Bengale. Le possesseur uvoulu renouvelerla tradition des rosiers de Pujs-tum tant chantésdes poètesantiques,

Puesli.

Maisavec l'espèce qu'il a choisiece n'est pasunedouble floraison seulement, une remontée qu'ilobtient, chose qui paraissait merveilleuse auxancienset pour nous est devenue vulgaire, c'estune productiondefleursincessante,qui secontinuependant toutes les saisons de l'année sans quel'hivermêmeviennel'interrompre,car il n'y a icini

geléesni froidure. Cette floraisonperpétuelledesrosiersduBengaledurantles douzemoisde l'aunéo

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180 ATRAVKKSL'AMJLIKHTLALUCANIK

est un fait que j'ai également observé sur la côteoccidentalede la Calabre, dans les jardins voisinsdu Pizzoet de Montcleonc,ainsique dansceuxdesenvironsde Reggio.Voicimaintenantles murailles de la ville anti-

que, avecleurs tours carrées ensaillie et leurbelleconstructiond'appareil hellénique.Nous les fran-chissonssur remplacementd'unerleleursanciennesportes, et nous venonsfaire arrêter notre voituredevant le principal temple, dit de Neptune, là oùnous nousserions égalementarrêtés si nousétionsvenons du lemps des Grecs, car c'est là qu'étaitl'agora de la cité.Le nomde Pa;slum (la forme la plus ancienne

en est Paistum) n'apparaît écrit qu'après la con-quête romaineet sembledater de l'époque de ladominationdesLucanicns.Antérieurementlaville,quand elle était purement grecque, s'appelaitPoscidônia, la cité du dieu des mers. Onpeut sedemandersi l'asstuma été une corruptionbarbarede l'ancienne appellationhellénique,un nomcrééde toutespièces par les Lucaniens,ou bien encoresi son adoption n'a pas tout simplementremis envigueur un nom d'une date bien plus reculée,antérieur aux établissements des Hellènes, celui

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P*STUM

sous lequel la localité était désignée par lcsPélasges

Œnolriens, ses premiers habitants. Il existe toute

une série de monnaies d'argent incuses de Posei-

d0nia, frappées il la fin du vi" siècle avant notre

ère, lesquelles portent d'un côté la légende Pos.

abréviation du nom grec de la ville, de l'autre

Viis. ou Fiis. inscription énigmatique qui pour-

rait bien être l'abrégé d'une seconde désignation

de la ville, de sa vieille appellation indigène,

quelque nom tel que Vüstos ou Fiistos, dont les

Lucaniens auraient Fait très facilement Paistom ou

Paistum.

Quoi qu'il en soit, ici comme à Métaponte, à

Tarente, il Ilippônion, il Crotone, dans presque

toutes les localités que les Grecs ont colonisées eu

Italie, ils n'ont pas été les premiers occupants du

sol. Avant leur arrivée, sur l'emplacement où ils

se sont fixés, il existait une bourgade indigène, un

centre habité dont les origines remontaient jusqu'à

l'Age de la pierre. J'ai recueilli il Pœstum et donné

au musée de Saint-Germain deux hachettes de

pierre polie. Le fait est parallèle iL ceux que l'on a

constatés iLMétaponte et il Hippônion (Monteleone

en Calahre). Mais malgré cette existence d'un

centre d'habitation dès une époque bien antérieure,

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t82 A TRAVERSL'APULÏEET LALUCANIE

Poseidônia ne devint une ville qu'avec rétablisse-ment des Hellènes.Sa fondation dut avoir lieu dans les environs de

l'an 650 avant l'ère chrétienne. Des Doriens de

Trézène s'étaient associés aux Achéens dans lafondation de Sybaris, en 720 av. J.-C. Ils étaientassez nombreux pour qu'au bout de quelque tempsleurs descendants aient formé dans la ville un partide nature à donner des inquiétudes aux Achéens.A la suite de dissensions intestines, les Sybaritesdécidèrent de faire sortir de leur cité les Trézéniens,et d'en constituer une colonie séparée, qu'ils éta-blirent sur la côte de la mer Tyrrhénienne auprès del'embouchure du Silaros. Par cette fondation Syba-ris assurait sa domination sur la partie nord-ouestde l'Œnotrie, qui fut plus tard comprise dans le ter-ritoire des Lucaniens. Poseidôn était le grand dieude Trézène; tout naturellement le nouvel établis-sement des Trézéniens reçut le nom de Posei-dônia.Les sources littéraires sont presque muettes sur

l'histoire de celle ville. Nous savons seulement parStrabon qu'elle avait été d'abord établie sur le ri-

vage même de la mer, et que ce ne fut qu'un peuplus tard que ses habitants se transportèrent à une

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P.ESTUM 183

faible distance dans les terres, où elle continua àsubsister plus tard. Nous savons aussi que jusqu'àla ruine de Sybaris, en 510 av. J.-C., Poseidônia re-connut cette cité comme métropole et releva d'elledans les mêmes conditions que les autres villes

purement grecques qu'elle avait fondées tout le

long des côtes de l'Œnotrie, sur les deux mers quila baignaient à l'ouest et à l'est soumission à l'hé-

gémonie des Sybarites et obligation de leur fournirà titre de symmachos ou fédérée un tribut annuel,avec des contingents militaires en cas de besoind'autre part, dans le gouvernement intérieur de la

cité, autonomie complète, allant jusqu'à la pléni-tude du droit monétaire. C'était le temps où quatre,nations et vingt-cinq villes indigènes reconnais-saient la suprématie de Sybaris, et où l'empire decette cité, parvenue au plus haut degré de la puis-sance et du luxe, sur les CEnotriens de race pélas-gique, assimilés aux Grecs avec une extrême fa-

cilité, comprenait la presque totalité des deux

provinces actuelles de la Basilicate et de la Calabre

Citérieure, embrassant tout ce qui devint ensuitela Lucanie jusqu'au Silaros et au Bradanos. Aussi

quand les Phocéens vinrent fonder leur établisse-ment d'Élée ou Hyélé (Velia), entre Poseidônia et

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m A TRAVKRS I/APUMK ET LA LUCANE

t'otinuros, vers Je milieu du Vin siècle, les Achécns el

-Je»Doriens, dépendant de l'hégémonie de Sybaris,

virent flans ce fait une usurpation de leur territoire

et firent à la nouvelle colonie une guerre acharnée,

que les Poscidônialcs continuèrent encore après

la ntinf; de leur métropole. Kl l'on est en droit de

penser que la chute de Sybaris, contribua u per-

mettre aux Ioniens d'IIyélè do se maintenir, en sur-

montant cette résistance.

Quoi qu'il en soit, dès la seconde moitié dn

vf siècle, encore sous l'hégémonie de Syliaris,J'oseidônia était parvenue un degré extraordi-

naire de prospérité, de développement et de ri-

chesse. était des lors la grande ville du golfe

de Salorno, auquel elle valait le nom de golfe l'n-

seidoniule, de même que les ltomains lui donne-

plus tard "celui de Pamlanus sinus. Nous en avons

pour preuve la magnificence fles édifices qui yfuient alors construits, et surtout l'abondance et lu

beauté de ses grandes monnaies d'argent appar-tenant h la série diln des inensps, monnaies d'une

fabrication très mince, avec un seul type en relief

d'un côté, en creux de t'autre, qui ont été frappéesdans toutes les villes de la (irande-Orèce d'aprèsnn système monétaire uniforme, il l'époi|iie ou lin-

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IMiSTUM- 185

lluence morale et politique de Pythagore avaitréussi iLgroupercescités en confédération.CollesdeSybarisontpourtypela figuredudieu éponyme,du dieu des mers,la chlamydejeléesur les épauleset brandissant son trident. Ce type se conservadans l'époque suivante, alors qu'on eut renoncéàla fabricationincusepour adopter, iLl'exemple desautres Grecs,le système d'un sujet en relief surchacundes côtés de la monnaie. Le secondtype,qui fut associé alors à celui du Poséidon, futl'imaged'un taureau, qui antérieurement décoraitlus espècesde Sybariset de plusieurs de ses colo-nies.C'est la numismatiquequi nous fait connaître

la prospéritédePoseidoniavers la fin du vi°siècleet qui nousmontrequ'après la clntte de Sybarisluville,bien que privéede cet appui et n'ayant dé-sormais iLcompter que sur ses propres forces,n'avait rien perdu commeéclat de richesseet depuissance. Ce sont aussi les monumentsmoné-taires qui nous permettent d'entrevoir la partqu'en cette ville eut iLla tentativedo rétablis-sement do Kybaiïs.Kn essayant de rebâtir la citéde leurs ancêtres, les descendantsdes Sybaritesretirés a Laos et Scidros, unis iLun groupe*de

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186 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

Thessaliens, étaient principalement appuyés par losPoseidôniates. Aussi les monnaies qu'ils frappèrentalors furent copiées sur celles de Poseidônia. Lanouvelle Sybaris ne dura que peu de temps; aubout de six ans seulement les Crotoniates la rasè-

rent, et ce fut alors que les Athéniens se décidèrentil envoyer près des bouches du Cratlics les colons

qui, joints aux fils des anciens Sybarites, fondèrentla ville do Thurioi. Poseidônia parait être restée

étrangère à ce dernier établissement.Sa nationalité grecque était, du reste, à la veille

de succomber sous les coups des barbares. Les Lu-caniens de race sabellique, sortis du Samnium,commmençaient à pénétrer dans l'Œnotrie en ysubjuguant les tribus indigènes. C'était par rapporta la nation des Samnites ce que l'on appelait unver sacrum, un de ces essaims de jeunes gens, soi-

gneusement choisis et consacrés aux dieux, que les

peuples italiotes avaient coutume do lancer enavant pour conquérir des terres et y devenir le

noyau d'un nouveau peuple. Les CEnotriens n'a-vaient plus pour les protéger et pour les réunirdans une défense commune la puissance de la

grande cité dont ils avaient pendant deux cents ansreconnu les lois. Crotone était trop loin et ne s'oc-

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P^STUM 187

cupait pas des affaires de ce pays; Thurioi naissaità peine. Aucune des villes grecques que Sybarisavait autrefois fondées sur les côtes do l'Œnotrie,même Poseidônia, la plus considérable de toutes,n'était capable de reprendre la succession de sonancienne métropole. Tout lien était d'ailleurs

rompu entre elles par la catastrophe de 510; ellesvivaient dans l'isolement, et leurs préoccupationségoïstes et à courte vue ne s'étendaient plus au-delà des limites de leurs petits territoires particu-liers. Négligés des Grecs, les Œnotriens avaienten grande partie oublié les mœurs helléniques. Ilsétaient retombés dans l'état de morcellement partribus et par villes rivales, d'où les Sybarites lesavaient tirés pour quoique temps. Jamais ils n'a-vaient su montrer do vigueur et d'aptitudes guer-rières. Les Lucanions n'eurent donc pas de peineà les soumettre, à les absorber et à les refouler.Ils s'emparèrent de leurs montagnes et s'y établi-

rent, descendant bientôt de là pour atteindre la merIonienne. La chatne des villes grecques, qui pen-dant plusieurs siècles s'était étendue sans inter-

ruption sur le littoral des deux mers qui baignentles côtés de la partie extrême de l'Italie, fut ainsi

coupée en tronçons qui s'efforcèrent vainement de

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188 A TRAVKHS I/APUL1E ET LA LUCANIK

se rejoindre. Les Lucaniens tournèrent alors leurs

efforts sur les cités helléniques, dont ils poursui-

virent la destruction. Depuis ce temps l'histoire de

ces villes qui avaient paru d'abord destinées il. con-

quérir toute l'Italie, et qui avaient fait de la portionméridionale une nouvello Grèce, n'est plus quecelle de leurs luttes incessantes pour sauvegarderleur propre existence contre les Lucaniens et contre

les Bruttiens, sortis il. leur tour des flancs de la

nation lucanienue.

Dans une de ses tragédies, représentée avant

Sophocle, en décrivant les côtes de l'Italie,'

n'y voyait que les Ligures, puis les Tyrrhénicris,en ce moment maîtres de la Gamlmnie, puis après

eux, à l'est du Silaros, les Œnolricns. En 432,

quand les Tarentins fondèrent Héracléc, les Luca-

niens occupaient déjà les montagnes voisines et

étaient une menace des plus sérieuses pour les

territoires grecs de la côte. Au début du iv" siècle,lors (te la composition du l'ériple mis sous le nom

de Scylax, l'Œnolrie toute entière était devenue la

Lucanie. Ce sont autant de jalons pour déterminer

la chronologie de la révolution ethnique d'où sortit

la ruine des établissements des Grecs dans le midi

de l'Italie.

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l'/IMTUM

On nous aflirmeque l'oscidouia fut la premièrevillehelléniquequi tombasous le joug des Luca-niens. C'est en ellet ce quidevaitêtre, d'après saposition géographique sur les bords du Silaros.Kn390, Laos, bien plus méridionale,se trouvaitdu côté du nord-ouestle boulevarddes établisse-mentis grecs et sa défensedevenaitpour toutes lesautres cités un intérêt général, à tel pointque, parun effort extraordinaire, elles envoyèrent pourteinterde délivrer Laos une armée fédérale, oùchacuneavait fourni son contingentet où le rôle

principalappartenaitauxThuricns.Celtearméefutanéantie par les barbares,et son désastre achevad'ouvrirauxLucaniensl'accèsde laGrande-Grèce.Pour que leschoses se soientainsi passées, pourqueLaoseût pris des lors celleimportancecomme

avant-poste de la civilisation hellénique, il faut

qu'en 390 Poseidônia,poste encoreplus avancé,que les Lucaniensdevaient trouversur leur routedès lesdébutsde leur invasion,quandils forcèrentla ligne du Silaros, eût déjà succombédepuis uncertain temps. Il est mêmeprobableque sa chutefut antérieure a la dateoù les Lucaniens,vers432,commencèrent il.menacer sérieusement le terri-toire où Tarente construisait Héraclée,il la fois

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A TRAVERSL'APULIEETLA LUCANIE

pour les tenir eux-mêmes en bride et pour arrêterle développement des possessions de Thurioi/

qu'elle jalousait.Ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, c'est en même

temps que l'ancienne colonie des Trézéniens vit

finir son autonomie hellénique, qu'elle perdit son

nom grec de Poseidônia pour recevoir de ses

nouveaux maîtres celui de Paistum, Ce dernier

nom commence avec la conquête sabellique à se

lire sur des monnaies dont les légendes sont en

langue osco-samnite, écrite avec des caractères

grecs suivant l'usage propre aux Lucaniens. Un

curieux récit emprunté par Athénée à Aristoxène,écrivain tarentin du milieu du iv* siècle, nous ren-

seigne sur ce qu'était la condition des Grecs de

Poseidônia après la ruine de l'indépendance de

leur cité. Ds n'en avaient pas été expulsés, mais

privés de leurs droits politiques et déclarés inca-

pables de porter les armes, réduits par conséquentà une sorte d'ilotisme. On les avaient contraints ilrecevoir dans leurs murs une colonie de Lucaniens,entre les. mains de qui était l'autorité et auxquelsils avaient dû céder une partie de leurs terres. Lesanciens Poseidôniates avaient, du reste, gardésous cette domination barbare leurs mœurs grec

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PjESTUM loi

ques et l'usage de la langue hellénique. Chaqueannée, à une certaine fête, ils se réunissaient pourpleurer sur leur asservissement et commémorerles souvenirs des temps prospères de leur indépen-dance. Les Lucaniens laissaient toute liberté àcette expression de leurs regrets les larmes neleur paraissaient point à craindre.

Quand Alexandre le Molosse, roi d'Épire, vinten Italie, appelé par les Tarentins, pour défendreles Grecs contre les Lucaniens et les Bruttiens,après avoir délivré Héraclée et remporté une pre-mière victoire dans son voisinage, il signa destraités d'alliance avec les Achéens de Métaponte,qu'il chargeait de surveiller Tarente, dont la fidé-lité lui était supecte, tandis que lui-même allaits'enfoncer dans le pays, avec les Pédicules ouPeucétiensde l'Apulie, enfin avec les Romains, qui,devenus maîtres de la Campanie, entamaient à cemoment la seconde guerre Samnite et venaient deleur côté de s'assurer la coopérations des Apuliens.Ayant assuré de cette façon la liberté de ses opéra-tions, le monarque épirote transporta ses troupespar mer jusque dans le golfe Poseidôniate. Débar-

quant à l'embouchure du Silaros, il écrasa sousles murs de Peestum l'armée combinée des Luca-

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lï)2 A THAVKUS l/Al'ULIK KT LA LUCANIK

> îiicns et des Samuilcs. Après ce succés, il s'enfonça 5

dans les montagnes de lu Lucanie, en enleva les:

principales places fortes et obligea les Lucaniens il'

lui remettre comme otages trois cents jeunes gensde leurs premières familles, qu'il envoya en Ëpirc.-A. la suite de la victoire d'Alexandre, Puislum re-

devint Poseidônia; ses habitants grecs recouvrèrent

leur liberté. Mais ce ne fut pas pour longtemps.

Quelques mois après le vaillant roi d'Kpire élait tué

devant l'andosia, dans le bassin du Crathis, et

son corps coupé en morceaux par les limitions.

Les résultats qu'Alexandre avait obtenus en faveur

des Grecs furent emportés dans son désastre.

Partout où elle avait été brisée, la suprématiedes Lucaniens se rétablit. Les Poseidôniates

retombèrent sous le joug; P.Tslum futdo nouveau

une ville mixo-larbarv, où l'élément grec était

subordonné à l'élément de racesabellique.

Quarante ans après, liome faisait la conquête de

la Lucanie. Par toute la contrée, et aussi dans le

lirullium, ù Thurioi, il Crotone, ù Locres, ù Itbê-

gion, les Homuins se présentaient comme les pro-tecteurs des villes grecques opprimées par les bar-

bares. Ils durent agir de même à Ptestum mais les

historiens ne nous ont rien transmis sur ce que la

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IMiSTUM 193

T Ir. la

ville devint dans ces événements, non plus que dansla guerre de Pyrrhos, qui les suivit immédiate-ment. La guerre finie, les Romains établirent ù.

Ptestum, en 273, une colonie de droit latin, desti-née à assurer la soumission de la partie voisine dela Lucanic. Les nouveaux colons, qui paraissentavoir été nombreux, prirent sans doute dans la villela place et dans son territoire les propriétés des Lu-

caniens, qu'il y avait intérêt une pas laisser ins-.

tallés à l'abri des murs de cette forteresse. Les an-

ciens habitants grecs, relevés de leur servage,furent mis sur un pied d'égalité avec les colons,

participant aux droits politiques de la cité ainsi

créée sous l'hégémonie de Home, et bientôt ils s'as-

similèrent à eux en se latinisant. Dès l'origine du

nouveau régime, Piustum recouvra en partie aumoins son ancienne prospérité. Nous en avons la

preuve dans ce fait que la colonie latine qu'on yavait installée frappa des espèces d'argent, ce qu'ellene put faire que dans l'intervalle entre 273, date

de sa fondation, et 268, époque où Home, s'étantmise pour la première fois il fabriquer une mon-

naie d'argent, lui réserva le monopole de la circu-

lalion et interdit le monnayage de ce métal à toutes

les villes dépendant de son alliance.

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

L'histoire de la seconde guerre Punique men-tionne plusieurs fois le nom de Pœstum pour si-

gnaler son inébranlable fidélité à'la cause romaine.Au moment de la bataille de Cannes ses habitants

envoyaient au Sénat des patères d'or en signed'hommage et d'allégeance invariable. Enc'est Paestum qui fournit une partie des vaisseauxde la flotte avec laquelle Décius Quinctius essayavainement de ravitailler la citadelle de Tarente,'bloquée par Hannibal. L'amiral tarentin, nommé

Damocrale, la détruisit, et l'amiral romain péritdans le combat. Malgré ce désastre qui aurait pudécourager ses habitants, nous retrouvons Paes-

tum, des l'année suivante, au nombre des dix-huitcolonies latines qui se déclarèrent prttes à conti-nuer la lutte sans ménager les sacrifices, tant que la

métropole en aurait besoin.Les sources littéraires sont ensuite muettes uu

sujet de cette ville jusqu'à la fin de la Républiqueromaine. On n'en trouve qu'une mention inciden-telle dans les lettres de Cicéron. Mais les monu-ments numismatiques sont là pour attester par l'a-bondance et la variété de son monnayage de cuivre,

qui est des plus intéressants, ce qu'elle gardait devie et de richesse. Paestum est avec Venusia, Brun-

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l'^STCM

disium et Vibo Valcnlia l'une des quatres villes,

placées dans les mêmes conditions politiques, quicontinuèrent a fabriquer des espèces d'appointpourl'usage local jusqu'au moment où, par suite des

l'explosion de la Guerre Sociale, la loi Julia lui lit

perdre la qualité de colonie latine pour devenir un

municipe de citoyens romains et la loi Plautia-Pa-

piria interdit en Italie tout monnayage autre quecelui do Rome.Il n'en est pas question dans les récits des guer-

res civiles; mais tous les géographes du commen-cement de l'Empire citent Pœstum parmiles ancien-nes villes d'origine grecque qui se maintenaient deleur temps. Strabon dit qu'elle était devenue fortmalsaine à cause des marais qui s'étaient forméesdans son voisinage, ce qui indique que les travauxautrefois exécutés par les Poscidôniatcs pour assu-rer l'écoulement des eaux du Salso n'avaient pasété entretenus. Pourtant la décadence n'avait pasencore commencé pour celte ville. 11faut qu'elleait conservé une importance hors ligne pour avoirété l'objet d'une exception unique au régime moné-taire établi par Auguste en Italie. L'Empereurayant partagé avec le Sénat la direction do'a frappedes monnaies et laissé & l'autorité sénatoriale J'é-

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

mission et l'administration des espèces de cuivre,tout monnayage local fut interdit on Italie, tandis

qu'on en accordait des permissions dans les autres

provinces, surtout en Orient. Une seule dérogationfut faite a cette règle, et cela en faveur de Paestum.Il existe en effet tout un groupe de petites piècesde cuivre portant les effigies d'Auguste et de Tibère,avec le nom de celte ville et la mention du sénatus-consulte spécial qui avait autorisé une semblablefabrication. Dans les principes du droit public d'a-

lors, il est difficile d'admettre qu'une exceptionaussi extraordinaire ait pu être accordée à uneville qui n'avait pas le rang colonial. Il est donc pro-bable, bien que les historiens gardent le silencecet égard, que ce fut déjà sous Auguste que Pœs-tum fut refaite colonie, titre qui lui est donné dans

quelques inscriptions de l'époque impériale. Pourcette dernière période, c'est dans les monumentsde l'épigraphie latine qu'il faut chercher quelquesrenseignements sur l'histoire et la condition de laville. On n'y voit que, tout en déclinant dans unocertaine mesure, Pœstum resta jusqu'aux invasionsbarbares la principale ville de la région. C'était auu° siècle le chef-lieu d'une des huit prsefecturœ dela Lucanie.

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PŒSTUM 197

Dès le v* siècle nous rencontrons des évêques dePaestum. La légende ecclésiastique prétend qu'en370 un général de Valentinien, nommé Gavinius,natif de Pœstum, ayant été dans la Bretagne guer-royer contre les Pietés, en rapporta le corps de l'a-

pôtre saint Mathieu, qu'il déposa dans une des

églises de sa ville natale. Sous la domination des

Longobards cette ville subsistait encore, bien quedésormais très inférieure en importance à sa voi-sine Salerne. On la désignait alors le plus habituel-lement dans l'usage sous le nom de Lucania. C'estainsi qu'elle est appelée par Paul Diacre et dans le

partage de la principauté de Bénévent entre Radel-chis et Siconulfe, en 8Si. Vint-huit ans après, unebande de Sarrasins se fixait à Acropoli et dévastait

par ses incursions continuelles toute la région voi-

sine. C'est alors, mais sans qu'on puisse en fixer ladate précise, que la population de Pœstum ou Luca-

nia, avec son évèque, se décida abandonner la

ville, dont la situation était trop exposée aux rava-

ges des musulmans, et à se retirer dans la monta-

gne, où elle s'établit sur la forte position de Capac-cio, de plus facile défense. Jusqu'à la fin du xte

siècle, bien que Pœstum ne fut plus qu'un désert,

l'évêque continua à porter le titre de Pmtanits

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198 ATHAVIÎRSI/APUUEETLALUCANIE

jepiscopm; c'est seulement plus tard qu'on y suhs-titua celui de Caputaqwnsis episcopta.L'émigration avait été si bmsque, s'était opérée

dans un tel désordre que le corps regardé commecelui de saint Mathieu était resté abandonné dansson église. En 954, les gens de Salerne vinrent

l'y chercher et le transportèrent dans leur cathé-

drale mais, chose singulière et quelque peu sus-

pecte, un siècle plus tard on avait oublié l'endroitexact où il avait été déposé, et il fallut quo l'arche-

vêque fit des fouilles en 1080 pour Je retrouver.C'est à la suite de cette dernière découverte, racon-tée dans une lettre du Pape Grégoire VII à la datedu 18 septembre 1080, que Robert Guiscard,récemment entré en possession de Salerne, fitrebâtir avec une extrême magnificence l'églisemétropolitaine de sa nouvelle capitale. Les ruinesde Pa*stum demeurées presque intactes dans leurabandon, furent exploitées comme carrière pources travaux, ainsi qu'elles l'étaient déjà depuis unsiècle par les Amalfitain*. Les édifices de l'époqueromaine, où les matériaux précieux avaient été

prodigués, furent alors entièrement démolis, maison ne s'attaqua pas aux temples grecs, dont la

pierre plus commune ne valait pas les dépenses du

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P/ESTUM 199

transport. On désigne du moins comme provenantde Pfestum tous les fragments antiques un peuimportants que renferment les édifices de Salerneet d'Amalfi, colonnes, sarcophages, marbres detoute nature. Mais il se pourrait qu'il y ait là de la

légende; Salerne avait ses monuments antiquesqui ont du être exploitées, et Prestum n'était pas laseule localité de la région qui pût fournir des mar-bres romains. Tout indique, par exemple, que lesruines de Velia, qui étaient également à portée deSalerne et d'Amalfi, subirent alors la même spo-liation. ">

Un des faits les plus extraordinaires que l'on

puisso imaginer est qu'à dix lieues seulement deSalerne et à cinq d'Eboli, des ruines de l'importancede celles qui subsistaient encore à Pœstum aprèstous ces ravages, trois temples debout et presqueentiers, aient pu demeurer absolument inconnues

pendant toute l'époque de la Renaissance et pen-dant le xvn· siècle. On ne comprend pas comment

Cyriaquo d'Ancône, qui visita la Lucanie, Leandro

Alberti, qui voyagea également dans le pays,comment surtout Cluvier, toujours observateur si

exact, qui alla sûrement à Capaccio et qui parle de

l'existence de la localité voisine conservant oncore,

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201 A TRAVERS I/APUUK ET LA UJCANIE

le nom de Pcsto, ne paraissent pas avoir eu con-naissance des temples et n'en soufflent pas mot.De Capaccio on les voit cependant à l'œil nu, et ilfallait passer &leur pied pour se rendre de Salerneou d'Eboli dans le Cilento. C'est seulement entre

et qu'ils furent découverts et signaléspour la première fois par un certain comte Gazola,officier au service du roi Charles IV de Bourbon.

Quelques années après, rn Antonini lesdécrivait dans son livre sur la Lucanie, entière-ment discrédité aujourd'hui par le grand nombredes inscriptions fausses qu'il y a insérées, soit qu'illes eut inventées lui-même, soit qu'il les eût accep-tées d'autres avec trop de crédulité et sans criti-

que, mais où cependant les descriptions des lieuxet les indications topographiques sont générale-ment exactes. J'ai pu le vérifier sur un grandnombre de points. Mazzocchi, en donnaplaceà une dissertation sur l'histoire et les antiquitésde Pwslum dans son ouvrage sur les Tables d'Hé-raclée. Avant la fin du xvui" siècle les templesavaient fait l'objet des écrits spéciaux do Magnoniet de Paoli; ils avaient été visités aussi par ungrand nombre de voyageurs de tous les pays de

l'Europe, entre lesquels on doit une mention

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• PÆSTUM 201

spéciale à Swinburne, qui en donna une descrip-tion fort exacte en 1779. C'est seulement dans les

'planches de la Magna Gracia de Wilkins, publiéeà Cambridge en 1807, que l'architecture des tem-

ples de Psstum fut reproduite d'uno façon' à peuprès satisfaisante. Cette publication même laissaitencore beaucoup à désirer, et il faut traverser une

vingtaine d'années de plus avant d'en arriver al'admirable étude de Labrouste sur ces temples,laquolle fut son envoi de Rome et marque une

époque décisive dans l'histoire de notre école, demême qu'elle fut le point de départ de la véritableconnaissance de l'architecture grecque. Ce travail

fameux, bien des fois exposé et consulté par tous,les architectes et les archéologues, est pourtantresté près d'un demi-siècle inédit dans les cartonsde l'École des Beaux-Arts. Il n'y a que peu d'an-nées que l'on s'est décidé à le graver, alors'quel'on entreprit la publication des restauration»architecturales des prix de Rome, publication quiaurait été de la plus grande utilité mais qui mal-heureusement a été interrompue presque aussitôt

que commencée, peut-être parce qu'elle avait été

inaugurée avec un luxe trop croûteux et sur uneéchelle trop monumentale.

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202 A TRAVERS LAPUL1E ET LA. LUCANIE

Les édifices qui subsistent encore à Paestum sont

tous de construction grecque et appartiennent au

plus beau temps de la splendeur de PoseidAnia. Ilssont bâtis avec le travertin solide et résistant, mais

plein de cavités, que les eaux du Salso déposentdans la plaine au voisinage immédiat de la ville.Ce travertin, comme celui des environs de Tivoli,

employé à Rome, revêt sous, l'action d" l'air et dusoleil une admirable teinte d'un jaune chaud estdoré.Les murs d'enceinte dessinent un pentagone

irrégulier de près de 5 kilomètres de pourtour,avec quatre portes s'ouvrant vers les quatre pointscardinaux. On les suit dans la totalité de leur par-cours, et en beaucoup d'endroits ils restent debouth une hauteur considérable, ainsi que les tourscarrées qui en défendaient chacun des saillantsou des points morts. L'appareil en est tout hellé-

nique et d'une grande régularité. Cependant la

porte de l'est, la seule qui ait été conservée pres-que intacte, est surmontée d'une voûte à claveaux,dont la clef est décorée d'un côté de dauphins, del'autre d'une Néréide à queue de poisson, sculptéeen bas-relief, emblèmes du domaine de PoséidonCette circonstance, moins extraordinaire en Italie

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P/ESTL'M 203

qu'elle ne serait en Grèce et ou l'on doit recon-naître l'influence de l'art de hâtir des Étrusques dela Campanie, ne permet pourtant pas d'attribuerune bien grande antiquité aux murailles de Pœs-tum. D'après leur appareil même, je ne crois pasqu'on puisse les faire remonter plus haut que laseconde moite du rv° siècle avant notre ère. Jeserais disposé il penser qu'ils ont dû être construitssous les auspices d'Alexandre d'Épire, après sa.victoire sur les Lucaniens. Il est, en effet, dans lavraisemblance qu'il se soit occupé de fortifier anouveau la cité à laquelle il croyait avoir rendud'une manière durable son indépendance et sanationalité heïlôniquc.C'est dans l'intérieur do l'enceinte, occupé

aujourd'hui par des cultures potagères et par desbuissons où pullulent les lézards et les serpents,que se trouvent les trois temples conservés. Deux,les principaux, sont groupés l'un près de l'autredans la partie méridionale de la ville; ils présen-taient leur façade sur un des côtés de l'agora. Le

plus grand et le plus beau, qui est aussi le plusancien, est désigné vulgairement sous le nom de

Temple de Neptune. Avec le Temple de Thésée à

Athènes, c'est l'édifice d'ordre dorique le mieux

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2M A TRAVERS L'APULÏE ET LA LUCANIE

conservé qui subsiste, et l'impression grandiose

qu'il produit à la vue peut rivaliser même aveccelle du Parthénon. Il est précédé d'une esplanadeau milieu de laquelle on voit le soubassement quiportait l'autel des sacrifices, car dans les pratiquesde la religion grecque ces rites sanglants s'accom-

plissaient en plein air, en dehors du temple. Longde 58 mètres et large de 26, ce temple était hypè-tbre, c'est-à-dire que la cella- ou sanctuaire; dans

laquelle était placée la statue de la divinité, de-meurait à ciel découvert. Il est périptère et pré-sente six puissantes colonnes cannelées à chacunede ses extrémités, douze sur chacun de ses côtés,en tout trente-six, de 8 m. 90 de hauteur et de2 m. 27 de diamètre. L'intérieur de la cella est

garni de seize colonnes de près de 2 mètres de

diamètre, surmontées d'un second ordre de colon-nes plus petites, qui portaient le toit. A l'exceptiond'un côté de cet étage supérieur de l'intérieur,toutes les colonnes sont intactes, ainsi que l'enta-blement et les frontons. En revanche, le mur dela cella a été démoli pour employer ses pierrescomme matériaux de construction. Au premierabord l'architecture de ce magnifique temple paraitpauvre comme décoration extérieure, plus pauvre

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PÆSTUM

même qu'elle n'était en réalité dans l'origine. Lacouche d'un stuc fin et compact qui partout revê-tait la pierre, en bouchait les trous ci lui donnaitune surface lisse comme celle du marbre, a fini,sous l'effet du temps et de l'air marin, par dispa-raître -en majeure partie elle ne se conserve plusque de loin en loin, par plaques. Avec elle a péril'ornementation polychrome qui y avait été tracée,et qui rehaussait tous les membres de l'architectureen les enrichissant. Mais cette absence même de

décoration; cette simplicité dans laquelle ne seretrouve plus que-le nécessaire et l'essentiel, faitressortir encore mieux l'accent de puissance, de

majesté grandiose, de force et d'inébranlable soli-dité de l'édifice. Avec ses énormes colonnes rap-

prochées les unes des autres, et dont le diamètre

diminue considérablement de la base au sommet,son puissant entablement et sa corniche très sail-

lante, son ordonnance simple et claire, ses nobles

proportions, le beau profil de ses masses, il est

comme une révélation du génie- dorien dans sa

mâle sévérité. Tout cela était tellement en dehorsdes fausses idées que l'on se faisait de l'art grec au

siècle dernier, que les premiers antiquaires quiparlèrent de ce temple le crurent phénicien ou

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A THAVIvHS J/AIMJUK ET LA UÎOANIK

étrusque. Mieux au fait des choses nous savons en

apprécier la pure fleur hellénique, et nous ne nouslassons pas d'admirer le cachet de grandeur quel'architecte a su donner ir un édifice qui paraitcolossal. Cur il faut un effort de la pensée pourse rendre compte de scs dimensions médiocres.Mais nous savons aussi que l'exagération des

proportions réciproques des différentes partiesdans le sens de la solidité massive est un indiceincontestable de haute antiquité.Lo temple dit de Neptune iLPa:slum est un des

plus anciens monuments d'ordre dorique qui sesoient conservés jusqu'il nous. On ne doit pas hé-siter ù en faire remonter l'érection jusque dans la

première moitié du vu siècle avant J.-C. Et il y ades probabilités considérables pour qu'il ait étéconstruit au moment même où le site de l'oseidô-nia, après un premier établissement plus près de lamer, fut définitivement fixé sur le point d'ou il nedevait plus se déplacer tant que la ville existerait.Le second temple est h très pcu de distance au

sud du premier et parallèle ir lui. Ses dimensionssont légèrement moiudres, puisqu'il a m. 33de longueur et 24 m. 50 de largeur; ses colonnessont a la fois plus nombreuses et plus minces,

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IMSSTUM 207

n'ayant pas 2 moires de diamètre la base.L'édifice est d'ailleurs tout à fait exceptionnel deplan et d'architecture. Le péristyle compte i0colonnes, dont neuf sur chaque façade. Nul autretemple connu n'offre ainsi à la façade un nombreimpair de supports, dont le résultat était de placerune colonne droit en avant de la porte d'entrée. Acette étrange disposition de l'extérieur corres-

pond celle de l'intérieur, où la cella est divisée endeux nefs dans le sens de sa longueur, par unerangée de colonnes placée au milieu. C'est lamanière dont cette disposition s'écarte de celles

que l'on observe constamment dans les temples,où elles sont pour ainsi dire typiques, qui a induitcertains archéologues ù donner à l'édifice en ques-tion le nom de Basilique, adopté dans l'usagevulgaire et Imr lequel les ckeroni ne manquentjamais de le désigner. II est pourtant certain quece nom est inexact, que nous avons encore là un

temple, mais un temple d'un type particulier,consacré a deux divinités synthrorics, placées surun pied d'égalité, qui avaient chacune sa statueau fond d'une des nefs de la cella.Les colonnes et leurs chapiteaux d'ordre dorique

ne sont pasmoins extraordinaires, moins on dehors

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208 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

des types habituellement reçus que le plan. Le fûtest très sensiblement galbé; c'est en courbe qu'ildiminue à sa partie supérieure. Quant au chapiteau,sa conception est unique, mais des moins heureuses,et les architectes grecs ont bien fait de ne pasl'adopter. Au lieu du bel évasement de la corbeille

.qui surmonte à l'ordinaire la colonne dorique el

supporte si bien l'architrave, en rassurant le re-

gard par son aspect de résistance et de stabilité, ilsemble que celui qui en a arrêté le dessin ait vouluimiter l'apparence d'un coussin de matière molle,comprimé entre la colonne dressée et l'entable-ment qui l'écrase de son poids. L'extrémité dufût y pénètre comme en se creusant un trou, ettout autour de la cavité qui se produit ainsi lecoussin revient en saillie, en formant un gros bour-relet. Il en résulte un profil disgracieux, quelquechose qui inquiète l'oeil, qui n'est ni logique nidonnant une impression suffisante de solidité desmatériaux.Ce temple étrange est manifestement postérieur

à son compagnon, d'une époque où l'art, travailléd'un besoin de perfectionnement, cherchait sa voiedans des tentatives hardies, qui n'étaient pas tou-

jours heureuses. On ne se trompera pas en l'altri-

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PiESTUM 209

T. II. f

Nbuant à la fin du vi° siècle, à une date précédantencorecelledela ruine de Sybaris.Onpeut, je crois, arriver avec une aasezgrande

certitude à déterminer les divinités auxquellesétaient dédiéescesdeux templesaccouplés sur laplaceprincipalede la cité.La désignationdeTem-ple de Neptune est satisfaisanteet doit être con-servée. Il s'agit, en effet, du principalet du plusancien sanctuaire de la cité, par conséquentdecelui que l'on est en droit de considérercommeayant été consacréà son dieu protecteur et épo-nyme.1lestmêmefacilederestituer, d'aprèsle typedes incuscs de Poseidonia, l'attitude que devaitavoir la statue de Poseidôndresséeau fondde lacella. On découvriten entre les deux tem-ples, un dépôt do plusieurs milliers de statuettesen terre-cuite de DémêterCourotrophosou Nour-rice,,portant un enfant dans ses bras, statuettesdont les principalesvariétés ont été publiéesparGerhard.Ceci prouve qu'un des deux sanctuairesétait dédiéà Démêler,et je n'hésitepas à attribuerune telle consécrationà la prétendue Basilique,dont elle expliquetout naturellement la disposi-tion exceptionnelle.Les deux nefsparallèlesde la

cella,je viens de le dire, attestent qu'on adorait

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210 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

simultanément dans ce temple deux divinités asso-ciées et placées dans une parité parfaite. Dans l'0-'

lympe hellénique une telle donnée convient mieux

qu'à tout autre à Déméter et à Perséphonê-Coré, lamère et la fille, celles que l'on qualifiait par excel-lence comme « les deux Déesses, » ta Theô. La

numismatique de Paestum montre que dans leculte de cette ville Déméter tenait le premier rangaprès PoseidOn, par une association du dieu deseaux avec la déesse de la terre, apportée de leur

pays natal par les colons Trézéniens. Nous laretrouvons égatement en Arcadie, dans les plusanciennes origines de la religion d'Eleusis, ainsi

que sur plusieurs autres points de la Grèce.Le troisième des temples restés debout à Paes-

tum sa trouve assez loin des deux autres, dans la

partie nord de la ville, auprès de la porte par la-

quelle on entre en venant de Salerne ou d'Eboli.Sa désignation vulgaire de Temple de Cérès ou deVesta, n'a aucune raison d'être il est même cer-tain que la première des deux expressions est fausse

puisque nous venons de reconnaître d'une manièreformelle le temple de Démêler dans la soi-disant

Basilique. Mais il n'existe aucune donnée qui per-mette d'attribuer scientifiquement cet édifice au

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P^STUM 211

culte de tel ou tel personnage divin. On ne peutdonc l'appeler que le Petit temple, /d'après ses dimen-sions beaucoup plus restreintes que celles des deuxautres car il n'a que 32 m. 25 de long sur 14 m.25 de large. Son péristyle offre 34 colonnes, dontsix à chacune des deux façades. Il est encore d'ar-chitecture purement grecque et d'ordre dorique,mais les proportions en sont plus maigres, moins

nobles, marquées d'une moindre expression deforce que dans le grand temple. Les colonnes, quin'ont que 1 m. 60 de diamètre rétrécissent leursfûts en ligne droite. Celles du vestibule se distin-

guent des autres par leurs cannelures plus nom-breuses. La corniche ne présente qu'une sailliemédiocre. Il est manifeste qu'un siècle au moinsd'intervalle a dû séparer la construction de ce tem-

ple de celle des deux de la partie sud de la ville,et que dans l'intervalle se place la période d'apo-gée de l'architecture dorique marquée par les édi-fices du temps de Périclès. Los temples de Poséi-don et de Dêmêter et Corè nous montrent l'art pleinde la sève de la jeunesse, tondant vers ses derniers

progrès mais ne les ayant pas encore réalisés. Au

petit temple il donne déjà des marques de l'épui-sement qui suivit sa floraison complète; il vient

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A TKAVKHS I/AI'HUIS ET LA LUCAMK

d'entrer dans sa phase descendante. Aussi ce mo-numenl doit-il être rapporté aux derniers tempsde l'indépendance hellénique de Poseidûnia, simême il n'appartient pas au iv"siècle, c'csl-a-dircà l'époque où Pa;stum, soumis aux Lucanicns, étaitdevenu une ville mixo-barbare mais oü les monirs

grecques prévalaient encore et où surtout les for-mes de l'art devaient être restées helléniques.Dans l'inlervnllo entre le grand et le petit temple

sont disséminées des ruines en beaucoup plusmauvais état, qui sont celles d'édifices de l'Gpo-que romaine et qui, si elles étaient seules, nemériteraient par d'attirer les voyageurs en ceslieux. Il y a celles d'un théâtre et d'un amphi-théâtre, puis le soubassement d'un temple assez.

petits, démoli et dépouillé de. ses marbres quandt'festum était devenu la carrière dos constructeursdo Salerne et d'Amalli. C'est en qu'il a étéexhumé. Toutes les fois, du reste, que l'on a essayédes fouilles dansl'intéricurdc la murailled'enceinteon a promptement rendu au jour les vestiges doconstructions antiques, portique bordant le côté de

l'agora opposéà celui des doux temples, habitations

privées, édifices de diverses natures. Un déblaie-mont systématique ot réguliermettrait à découvert

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PjESTL'M 213

tout le plan de la ville et permettrait de circuler sur

le pavé de ses rues au milieu dos arasements de sesmaisons.Mais où des fouilles régulières sont le plus indi-

quées et donneraient incontestablement des résul-

tat», c'est dans la nGcropolo qui, au sortir do la

porte du nord, se prolongeait presque jusqu'au pas-sage du Silarus, des deux côtés de la voie qui con-duisait à Eburum et allaitrejoindre la grande artèredes communications entre la Campanic et la Luca-nie. Là des circonstances fortuites ont plusieursfois amené la trouvaille de tombeaux riches et im-

portants, parmi lesquels il en était qui offraient une

petite chambre souterraine do forme carrée, déco-rée do peintures grecques. Plusieurs de ces pein-tures ont été transportées au Musée de Naples..Telles sont celles qui représentent des femmes exé-cutant la danse grave dont l'usage s'est conservé,sous le nom de traita, chez les Grecs modernes.Dans cette danse deux files de femmes se formenten se tenant par la main, puis s'enchevêtrent de

façon à former par leurs mains jointes comme les

mailles d'un réseau. Ainsi placées, elles opèrent en

chantant des évolutions lentes et cadencées sous la

conduite d'un homme qui joue la musique du bal-

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214 À TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

let. J'ai vu à Mégare, un jour de féte, la traita dan-sée par dos femmes du type le plus classiquo (Mé-garo est justement célèbre à cet égard), qui conser-vaient presque trait pour trait le costume des Do-riennos de Poseidônia dans les peintures conser-vées à Naples. D'autres, provenant d'un second

tombeau, nous montrent des guorriors complète-ment équipés et en partie déjà montés ILcheval, quine mettent en route pour le combat et font leuradieux à leurs familles. Le style en est remarquableet d'inspiration encore grecque, rappelant cepen-dant avant toute autre chose les peintures des vasesde Capoue et de la Lucanie à la dernière époquede l'art c^ramo graphique, exécutées dans le ne siè-

cle, non par les mains d'Hellènes mais par celles

d'indigènes Campaniens ou Lucaniens, d'après lostraditions des modèlos grecs, en ly ajoutant une cer-taine pointe de gotit propre. Dans les peinturesmurales du tombeau de Pœslum le costume de

guerre n'est pas proprement celui des Grecs c'estcelui dos Samnitcs et des Lucaniens figures dansles décorations des plus récentes poteries pointuesde Capouo et de la Basilicale, comme dans les fres-

ques de certains tombeaux découverts il y a peud'années h Sanl'Angclo in Forum, auprès de Ca-

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P^JSTUM

pour,. La forme des casques, surchargés d'une pro-fusion d'aigrettes et d'ornements d'un aspectétrange, est surtout décisive à ce point de vue. Les

peintures funéraire» dont je parle sont donc dosmonuments de la période de la domination luca-

nienne, prolongée ILP.i'stum pendant près d'unsiècle et demi.Mais les plus admirables fresques qui aient jamais

été découvertes dans un tombeau de cette localité,celles que l'on pouvait hardiment et sans hésitationattribuer au second quart du v" siècle av. J.-C,n'ont pas été conservées. On n'avait pas pu par-venir à les détacher de la muraille, et la tombe oùelles se trouvaient est aujourd'hui remblayée. Ellesne sont connues du public archéologue que par le

très médiocre croquis réduit, qu'Aboken on a inséré

dans une des planches de son livre sur l'Italie cen-

trale. Mais un des dessinateurs les plus habiles h

rendre avec vérité les différents styles de l'art an-

tique, M. Geslin, en possède à Paris des calques qu'ilavait exécutés pou de temps après la découverte,en 184S j'ai pu les examiner, et rien ne serait plusdésirable que de les voir publier de la grandeur des

originaux. En effet, d'après les calques dont la fidé-

lité parait extrême, ces peintures étaient de la plus

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216 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

admirable beauté. Elles dataient du moment précisoù l'art du peintre chez les Grecs, arrivé à ce point'culminant de science et de noblesse du dessin dontles plus beaux vases à figures rouges et les lécy-;thés- athéniens décorés au trait sur fond blanc nous

donnent l'idée, n'avait pas encore cherché à sortirdes conventions du bas-relief, à rendre par des res-

sources qui lui fussent propres ce que la sculpturene saurait exprimer, la profondeur de l'espace, lerecul et la diversité des plans, les dégradations decouleur et de lumière qui accusent le modelé des

surfaces, en un mot tout ce qui constitue le clair-obscur et la perspective aérienne. Comme l'avaientfait antérieurement les Égyptiens et les Assyriens,les artistes hellènes continuaient encore à ce mo-ment d'attribuer à toute surface une valeur uni-forme et tranchée; à tout le nu d'un corps ils don-naient la même couleur, plus ou moins claire, sui-vant qu'il s'agissait d'une femme ou d'un homme.Toute une draperie était du mêmeton, sans que le

peintre s'inquiétât de savoir si, dans telle ou telle

position, la teinte de l'étoffe ne devait pas être tan-

tôt assombrie par l'ombre portée, tantôt, au con-

traire, avivée et comme égayée par le rayon qui la

frappait. Tout son effort tendait à l'exécution d'un

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P^STUM 217

dessin à la fois savant et pur, noble et élégant,d'une fière et libre allure, qui cernait la silhouettede toutes les formes d'un trait absolument sûr, sanshésitations ni repentirs, marquant les détails inté-rieurs par quelques indications aussi sommaires

que justes, employées avec une extrême sobriété.Dans ce dessin au trait, qu'ils avaient su pousserà un degré de noblesse et de beauté qu'aucunautre peuple n'a jamais égalé, ils appliquaient unevéritable enluminure conventionnelle, étendant,dans les limites des traits qui circonscrivaient lesdiverses parties des figures, des tons entiers et

plats, posés les uns à côté des autres, sans transi-tion qui les reliassent. C'est encore ainsi quepeignait le grand Polygnote de Thasos, l'artistefavori de Cimon fils de Miltiade. Les ressources

techniques dont il avait usé étaient encore si

restreintes, si primitives, que du temps des Ro-mains on traitait comme une affectation de con-naisseur l'admiration pour ses peintures, de même

qu'il fut longtemps à la mode de se moquer desadmirateurs de Giotto. Mais dans les données quej'ai essayé de définir, Polygnote avait su parleraux yeux d'une manière si claire, si élevée, si

majestueuse, qu'au temps même où Apelle ame-

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218 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

nait la peinture au dernier terme de sa perfection,Aristote mettait le vieux maître de Thasos audessus de tous les autres pour l'accent de grandeursurhumaine qu'il avait su imprimer à ses figures.Je ne connais rien qui puisse donner des œuvresde ce maître, et en général de l'art de son époque,une idée plus approchante que ce qui restait des

peintures du tombeau de Psestum lorsque les calquaM. Geslin. Il y a surtout une figure de jeune guer-rier mort, qu'un de ses compagnons, monté à cheval,emporte surses épaules; étant donnée cette manièrede comprendre le côté pratique de la peinture,l'art ne saurait aller plus loin, rien produire d'une

plus grandiose et plus parfaite élégance.En avant de la porte de l'est ce ne sont plus des

tombeaux que l'on observe, mais un fragment du

pavé antique de la voie qui sortait de ce côté, se

dirigeant vers les montagnes, et l'aqueduc sou-terrain de construction grecque qui amenait à laville des eaux plus salubres que celles du Salso,des puits ou des sources de la plaine marécageusequi l'environne. Actuellement que cet aqueduc nefonctionne plus, il faut avoir soin d'apporter avecsoi son eau quand on va à Paestum, car celle de lalocalité a un goût repoussant et donne infaillible-

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PÆSTUM 219

ment la fièvre. Un des premiers soins des fonda-teurs de Poseidônia avait dû être de remédier à ce

grave inconvénient, en approvisionnant la ville

qu'ils construisaient d'une eau bonne et saine,

qu'on ne pouvait faire venir que de la montagnevoisine; c'est une nécessité qui s'imposa à eux dela façon la plus impérieuse.La prise d'eau de leur aqueduc était vers le

point de la montagne où se voient les ruines mé-

diévales et les quelques masures de CapaccioVecchio. La forme la plus ancienne du nom decette dernière localité est Càputaqueum, « la têtedes eaux », altéré ensuite en Capaucium. Comme

je l'ai dit tout à l'heure, c'est à Capaccio que se

retirèrent, dans la seconde moitié du ix* siècle, leshabitants et l'évêque de Paestum, chassés de leur

cité par les incursions des Sarrasins. Il y eut donctout de suite en cet endroit une ville importante et

soigneusement fortifiée, qui fut le siège d'uncomte dépendant du prince de Salerne. En 954nous voyons Joannice, comte de Capaccio, chargépar son suzerain de protéger la translation du

corps de saint Matthieu de Paestum à Salerne. Ausiècle suivant, c'est Waifer, cousin de Guaimar III,

que l'on trouve comte de Cappacio. Après avoir

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220 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

eu ensuite, jusqu'assez tard dans le xn" siècle, sescomtes particuliers d'origine normande, la ville

passa aux mains des Sanseverino. C'est ainsi qu'oncomme il a été raconté plus haut, le conjurés

contre Frédéric II, a la tête desquels s'étaientmis Guglielmo Sanseverino, cherchèrent un refugederrière les puissantes murailles de Capaccio, et yrésistèrent pendant plusieurs mois aux attaques de

l'Empereur en personne. La ville, ayant fini par être

prise, fut brûlée et systématiquement rasée.C'est alors que ceux de ses habitants qui survi-

vaient construisirent à quelque distance en arrière,dans une position moins escarpée, de moins faciledéfense et beaucoup moins favorisée sous le rap-port de la vue, un nouveau Capaccio, celui quisubsiste aujourd'hui. Charles d'Anjou rendit la

seigneurie de cette ville à l'héritier des Sanse-

verino, avec tous les anciens domaines de sa familleencore agrandis. A laTin du xv" siècle, GuglielmoSanseverino était comte de Capaccio et fut du nom-bre des hauts barons du parti angevin que Frédéric

d'Aragon dépouilla comme coupables do félonie

pour le concours qu'ils avaient prêté à l'expéditionde Charles VIII. Depuis ce temps Capaccio, quichangea fréquemment de seigneur, alla toujours

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PiESTUM 221

en déclinant. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un bourgassez misérable qui ne compte que 2,000 habitants.Mais il a toujours un évêque, successeur direct decelui de Pœstum. Son diocèse, qui avait hérité,entre le vie et le x° siècle, de ceux d'un grand nom-bre de cités de la Lucanie détruites dans les guer-res des Longobards et dans la période des dévasta-

tionsdes musulmansd'Afriqucetde Sicile, était, ily apeu d'années encore, presque aussi grand qu'un de

nos diocèses de France, car il comprenait tout le

Cilento, la vallée de Fasanella et le Val di Tegiano.La création de l'évêché de Diano par Pic IX l'aun peu restreint, mais même après ce démembre-ment il reste un des plus vastes de l'Italie méri-

dionale.A quelques kilomètres de distance de Poseidô-

nia-Pseslum, dans la direction du nord-ouest, auprèsde l'embouchure du Silaros, se trouvait un templefameux, de fondation grecque, dédié à Héra Argeiaou plutôt Areia, car cette dernière leçon est celle

que donnent les meilleurs manuscrits de Strabon.

La légende prétendait que ce temple devait son ori-

gine aux Argonautes, qu'elle faisait venir dans le

golfe Poseidôniale et y livrer aux Tyrrhéniens un

combat, dans lequel Jason aurait été blessé. Une

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222 A TRAVERS L'Af'ULIE ET LA LUCANIE

grande vénération l'entourait encore aux commen-cement de l'ère chrétienne, et Plularquccompte cetHêraion parmiles; temples, jusqu'alors intacts et

respectés de tous pour leur sainteté, que les piratesciliciens, dans leur audace sacrilège, n'eurent passcrupule de piller, il. l'époque où ils parcouraientimpunément toute la Méditerranée, avant que Pom-

pée n'eût reçu la mission de les exterminer. Onn'a jusqu'ici reconnu aucun vestige du temple del'embouchure du Silaros. L'emplacement exact enest même ignoré, car Pline, et d'après lui Solin, lcmet dans le territoire des Picentins, c'est à dire surla rive droite de la rivière, tandis que Strabon et

Plutarque affirment qu'il était en. Lucanie, autre-ment dit sur la rive gauche.Une Hêra Areia était la correspondante exacte

de la Juno Martialis des Romains; le nom de celledernière n'est qu'une traduction de l'appellationgrecque. C'est la déesse envisagée sous un aspectguerrier et armé, qui n'était pas étranger à Heradans ses cultes principaux d'Argos et de Samos,ainsi que Welcker et Preller l'ont déjà noté. D'a-

près les récits de la fable, mis en jolis vers parOvide, la reine de l'Olympe elle seule, en dehorsdu contact de son époux divin, par sa fécondité

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rvKSTUM 223

propre, enfante Ares, le dieu des combats à cetitre elle est Areia ou Martiale.Les Poseidôniates, dans les derniers temps de

leur indépendance hellénique, vers la fin du vesiè-

cle, ont placé sur quelques-unes de leurs monnaiesla tête de cette liera Areia, et c'est<le là que ce

type divin s'est propagé par imitation dans la Cam-

panie, ou nous le voyons répété, avec quelqueslégères variantes, sur les monnaies de Néapolis,d'Hyria ou Orina et de Véséris. Mais les gens dePoseidônia eux-mêmes avaient copié les monnaiesde Crotone, et donné d'après elles à leur Hèra Areiale type attribué par l'art de la grande époque il

liera Lacinia, la déesse dont le temple, situé sur le

promontoire Lacinion, était le centre religieuxcommun des Achéens de la Grande-Grèce. Zeuxis,pendant son séjour Crotone, n'avait peut-être pasété étranger à la création de ce type, qui ne nousest pas connu seulement par les monnaies croto-

niates, mais aussi par un buste colossal en marbrede Paros faisant partie des collections archéologi-ques de la Bibliothèque do Sainl-Marc à Venise.Hêra y est pourvue de la chevelure longue, éparseet tombant sur les épaules, qui est propre auxdéesses telluriques, qu'en particulier on donnait à

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2ti A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Gê ou Gaia, la personnification divine de la Terre.En même temps elle porte le stéphanos ou cou-ronne métallique circulaire, décorée de palmettes et

de rosaces, qui est placé sur la tête de la Hèra des

monnaies de l'Elide et d'Argos, où cotte décorationflorale a trait au surnom d'Antheia ou déesse des

fleurs, qu'elle y recevait. En outre, du stéphanosde Hêra Lacinia et de la Héra Areia des environsde Poseidônia font saillie, ù droite cl à gauche du

front, des griffons sortant à mi-corps. A. de

Longpérier a fait remarquer qu'il existait un lienentre le surnom de Hèra Antheia et le mythe de lanaissance d'Ares; puisque c'est après avoir cueillila fleur phallique de l'arum que la déesse devientmère sans intervention de Zeus, et la Juno Marliti-

lis, représentée sur les monnaies romaines du

temps de l'Empire, tient cette fleur iL la main.D'un autre côté, en donnant iL la déesse du Laci-nion la qualification d'Hoplosmia ou « arméo, »

que Hêra recevait en Élide, Lycophron révèle chez

elle, à côté de son caractère chthonien, un aspectguerrier. On n'a donc pas lieu d'être étonné que,par suite de cette parenté de conception, le typeplasliquo créé pour liera Lacinia ait pu être appli-qué iLune liera Areia.

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T. II. lu

Ce nom géographique se lit pour la première fois

dans un diplôme de Jean et Guaimar, princes de

Salerne, date de 994. Il parait dériveur d'une con-

traction de cis Alentum le pays « en deçh de l'A-

lenlo », par rapport il la situation de la capitale de la

principauté dont il dépendrait. Et en effet cette ap-

pellations'appliqueproprement, encore aujourd'huicomme au x. siècle, au canton montueux comprisentre la mer, le cours inférieur du Selo, le Calore

et l'Alento. Cependant il s'est aussi étendu aux

deux côtés du bassin de ce dernier fleuve. Ainsi

dans la vie de saint Pierre Pappacarbonc, premier

évèque de Policastro dans le xi" siècle, écrite peu

après sa mort, le monastère bénédictin do Sant'Ae-

cangclo près de Sanseverino, dans le voisinage de

LE CILENTO

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226 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

la rivière Melpiou Rubicanlc, est dit situé in ter-ritorio Cilenti. Dans son sens le plus large le nomde Cilento comprend ainsi tout le paté de monta-gnes environnant le bassin de l'Alento et de sesaffluents. Délimité du côté de terre par la plaine dePsstum, la vallée du Calore et celle du Rubicante,le massifen question est bordé, tout le long du par-cours que je viens d'indiquer, par une chaîne inin-terrompue de crêtes escarpées dominant les vallées.Nulle part elles n'offrent une brèche, mais seule-ment dans certains endroits s'abaissent en for-mant des cols dont on a profitépour l'établissementdes routes; car lepays est traversé d'outre en outrepar celle de Salerne à Policastro, excellente voiecarrossable, parfaitement exécutée et dont les tou-ristes qui acceptent le vetturino comme moyen delocomotion pourraient user pour faire un voyagefort intéressant et sans aucun danger, dans une ré-gion entièrement inexplorée, où il y a beaucoupdécouvrir. La crête transversale qui part d'Angel-lara dansla direction du nord-est et fait la lignedepartage entre les hautes vallées du Caloreet du Ru-bicanlc, rattache au MonteCervati le rempart exté-rieur dubassin de l'Alento oudu Cilento,en prenantce terme dans son acception la plus étendue.

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LE CILEiNTO 227

Du reste, que l'on restreigne ou que l'on élar-gissele sens du nom de Cilcnlo, qu'on l'entendeseulement des montagnes à la droite du fleuveAlento, ou de celles qui occupent les deux côtésdesa vallée, lemassifdont je parle constitue un cantongéographiquement déterminé de la manière la plusnette, d'une parfaite unité d'aspect et de constitu-tion physique, dans l'étendue des limites que j'aiindiquées tout à l'heure. C'est un groupe de mon-tagnes peu élevées, mais très tourmentées, dont lesformes rappellent celles desmontagnes de la Grèce.Les vallées étroites qui les coupent, à part quelques-unes qui descendent directement à la mer, viennenttoutes se réunir à cellede l'Alonto.Cette rivière estformée par trois sources situées au-dessous doMa-gliano et de Gorga, auprès de Trenlenara et au-dessous de Monteforte, lesquelles se réunissentdans le voisinage de 'l'ecerale; après un cours d'en-viron 40 kilomètres, en tenant compte de ses cir-cuits, il a son embouchure à côté des ruines de Ve-lia. Les anciens l'appelaient Eléês ou Halés. C'estl'artère centrale de tout le canton.Dans le bas des vallées, surtout en approchant

de li mer, la température est étouffante pendantles mois d'été, ut les eaux stagnantes rendent l'air

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228 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIËJ

extrêmement malsain. On ne pourrait pas y séjour-ner impunément; la fièvre paludéenne et la fièvre

pernicieuse y règnent en maîtresses. Les habi-tants du voisinage ne se décident à y descendre

qu'en cas d'absolue nécessité. Pour rendre à cesvallées la salubrité dont elles ont autrefois jouipendant plusieurs siècles, il faudrait recommencercequi avait été fait avec succès dans l'antiquité,régulariser le cours des rivières, les endiguer,approfondir leurs embouchures envasées et par làles empêcher d'épandre en marais leurs eaux pri-vées d'écoulement. Les centres habités sont donctous établis sur les crêtes, où d'ailleurs un motif desécurité et de défense a fait choisir leurs emplace-ments. Sur ces hauteurs le climat est salubre etd'une douceur délicieuse. Les chaleurs de l'été n'ysont pas trop fortes et l'hiver y est absolument in-connu. C'est à tel point qu'on y voit très habituel-lement les arbres fruitiers donner une seconde flo-raison il la find'octobre ou en novembre. Les fruitsse forment généralement alors et il faut avoir soinile les enlever pour ne pas épuiser les arbres. Quandon n'a pas pris cette précaution et que des pluiesabondantes ne viennent pas arrêter le développe-ment de ces seconds fruits, on les voit quelquefois,

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LE CILENTO 229

surtout ceux noyau, parvenir à maturité en jan-vier ou février.La fécondité desalluvions qui remplissent le fond

des vallées est inouïe. Malheureusement les coursd'eau sont des torrents qui, n'étant contenus paraucun travail de la main de l'homme, se déplacentcontinuellement et promènent capricieusementleurs ravages sur la majeure partie du sol, n'enlaissant qu'une faible portion à la culture. Le ter-rain labouré étant ainsi des plus restreints, on n'ylaisse pas de jachères. Chaque année il est remisen blé, sans repos ni fumure, et pourtant dans cesconditions le grain y produit encore trente pourun. Les essais de culture du riz, qui ont été tenlésù diverses reprises dans les lieux marécageux et

noyés, ont donné des résultats extraordinaires, jus-qu'à soixante-quinze et cent pour un. Mais on adû y renoncer, l'adea étant trop forte, la réussitede la récolte trop rare, par suite des crues subites

que produisent les orages de l'été et qui viennenten quelques heures détruire le fruit d'un long tra-

vail, en bouleversant et en envasant le terrain misen culture.Toutes les pentes des montagnes sont couvertes

de bois naturels ou de plantations do vignes, d'oli-

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A ÏÏÏAVKRK VAVUUF. KT LA LUCMN'IF.

viers, de figuiers,d'amandierset d'arbres fruitiersde toute espèce.La contréequienvironnel'Alcnto,le Cilentodans son acceptionla plus étendue, estdonccommeunesorte d'immenseverger, dn reliefle plus pittoresque,unmassifprofondémentcoupéde valléesen éventailautour d'un centre commun,qu'une ceinture de crêtes ferme du côté de l'inté-rieur des terres et qui,dola Punta dellaLicosa laPunta di Spartivento,dn promontoirede Leucosiaau promontoiredePalinuref pourparler le langagedes anciens, s'abaissevers la haie de Velia en four-mant un amphithéâtrecolvert d'une riche et écla-tantevégétation.Dumilieude cemanteau généralde verdure, qui revêttoute la contrée,émergentdedistanceen distancedoRcrêtes derochersgrisâtresaux formesdécoupées,des croupesoù lesbruyèresjettent une teinte violette et surtout de nom-breux, mais pou considérables, villagesdont lesmaisonsblanchesont un aspect riant et prospère.Le caractèrepropreduCilentoconsiste,en effet,,

en ce qu'il est habité tout différemmentdu restedesprovincesméridionalesde l'Italie. An lieu d'ytrouver, commepartout ailleurs,degrossesagglo-mérations, villesou bourgs, situéesa unejournéedemarchelesunesdesantres, ou la populationru-

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LKCÎNKNTO Miralo s'accumule en laissant les campagnes déser-

tes, on n'y voit que rle petits villages de quelquescentaines d âmes, comme ceux do nos pays, quisont épars de tous les cotés et souvent très rappro-ches les uns des autros. Celle dispersion dos habi-

tants en villages multipliés facilite la culture et

rend la condition du paysan beaucoup meilleure,

beaucoup plus douce qu'ailleurs. Encore le nombre

des villages et des hameaux de la contrée n'est-il

aujourd'hui que le dixième à peine de ce qu'il était

du xin siècle au commencement du xv", ainsi qu'ilrésulte des chartes énumérant les casaux de telle

ou telle seigneurie. Le Cilonto était alors une des

parties les plus peuplées, les mieux cultivées et les

plus fertiles du royaume napolitain. Après avoir été

dans l'antiquité, où il devait être habité de môme,

compris en majeure partie dans le territoire de Vo-

lia, après avoir été dévasté de la manière la pluscruelle dans les guerres entre les Grecs elles Lon-

gobards de Bénévent et de Salerne, et surtout pen-

dant deux siècles de pilleries perpétuelles des mu-

sulmans d'Afrique et de Sicile, cette contrée avait

été, aux x9 et xt" siècles, repeuplée et remise en cul-

ture sous les auspices d'une véritable colonisation

monastique, entreprise par les Bénédictins du Mont-

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232 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Cassin et de La Cava. On y compta jusqu'à dix-huitmonastères de l'ordre de Saint-Benoît sur un ter-ritoire qui n'a pas plus que l'étendue moyenne d'unde nos arrondissements. Mais les guerres civilesdu xv" siècle, la détestable administration des Es-

pagnols, et pendant deux siècles les descentes con-tinuelles des corsaires barbaresques, dépeuplèrentde nouveau le pays et amenèrent la disparitiond'une quantité de villages. Ce n'est que depuis lecommencement de ce siècle, et surtout depuis la

conquête d'Alger par la France, que la sécuritéest définitivement revenue du côté de la mer, icicomme sur tout le littoral du Napolitain, et que la

population a pu recommencer à se développer en

paix.Bien que fort diminuée, comme je viens de le

dire, depuis l'époque florissante du moyen âge, la

population est encore plus dense dans le Cilento

qu'elle ne l'est généralement dans la plupart des

provinces méridionales de l'ancien royaume de

Naples. Mais tout est en villages; on n'y comptepas en réalité une seule ville. Deux localités seules

dépassent 2,000 habitants, sans atteindre à peine à

3,000; toutes les deux dans le district à l'est de

l'Alento, c'est-à-dire en dehors de ce qui s'appelle

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LE CILENTO 233

spécialement le Cilento, en prenant ce nom dansson sens restreint. L'une et l'autre sous l'ancien

régime, avant l'abolition du système féoda' par le

gouvernement de Murat, n'avaient que le rang de« terre » et non celui de « ville. » La première deces localités est le Vallo (officiellement aujourd'huiVallo di Lucania), où réside le sous-préfet. Autre-fois on l'appelait Cornuti, et au milieu du siècle

dernier, quand écrivait Antonini, on ne connais-sait pas d'autre nom; mais depuis les habitants

l'ont trouvé ridicule et sont parvenus à le faire

changer. C'est là que fut dans la contrée le prin-cipal établissement des Longobards, qui au vuesiècle fondèrent tout à côté le château fort de Novi,et de là se mirent à guerroyer contre les Grecs etles lieux qui leur obéissaient. Encore aujourd'huil'église paroissiale du village de Novi porte le nomde Santa-Maria de' Longobardi. La seconde des

localités auxquelles je fais allusion est celle des

Pisciolta, située très près de la mer entre l'embou-chure de l'Alento et l'ancien promontoire de Pali-nure. Cluvier y a placé par erreur l'antique Velia;d'autres géographes, égarés par une trompeuseressemblance de noms, l'ont assimilée à la ville

que les Grecs appelaient Pyxus (contraction de

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234 A TRAVERS I/APIIUK rr LA LlIflANMK

l'ancienne forme pélasgique Pyxoevî) et le» Ro-

mains Buxenlum, ville dont le véritable site est

incontestablement celui de Policastro. En réalité,

Pisciotta n'est pas une localité antique; au xn'

siècles ce n'était qu'un très petit fief, que les actes

latins appellent Piçsocla et que tenait une famille

normande. Son développement, un peu plus consi-

dérahle que celui du Vallo, ne date quo de la

seconde moitié du xv' siècle, époque où vint s'yétablir une partie de la population de Molpa, la

seule ville un peu importante que l'on comptât au

moyen Age entre Salcrnc et Policastro, laquelleavait été détruite en 1404 par une escadre de cor-

saires musulmans de Tunis.

En somme, icCilento est une contrée infiniment

pittoresque et riante, d'une grâce sauvage qui a

beaucoup de charmes, et je comprends rattache-

ment tout particulierqu'ont pour elle ses habitants.

L'accès en est fucile; une grande route la traverse

le site et les ruines de Velia devraient y attirer de

nombreux voyageurs. Cependant aucun étranger

ne va la visiter. A part le duc do Luynes, qui se

rendit en barque de Salerne à Velia en on

chercherait vainement te nom d'un seul voyageur

français, anglais ou allemand qui y ait pénétré

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Lf;CILRNTO

depuis Monter, à la fin du xvie siècle.Les habi-tants de Naples et même ceux de Salerne, qui onvoient les montagnes en face d'eux, de l'autrescûlé du golfe, à onze lieues seulement,de distance,n'y vont pas davantage. Il semble vraimentqu'au delà de P»>stum se dresse une barrièreinfranchissable, que nul ne puisse escalader et audelà de laquelle commence un pays aussi inconnu

que le centre de l'Afriqur,. Il n'y a que les gensnatifs du Cilento, ou bien y possédant des pro-priétés, qui osent s'y risquer. Un Napolitain con-damne à cette expédition ferait son testamentavant de l'entreprendre. Les choses sont ILtel

point qu'il m'a fallu plusieurs années avant d'ar-river me procurer les renseignements nécessaires

pour arriver il y organiser une excursion. Dans lesGuides du voyageur je né trouvais aucune indica-tion à ce sujet, et c'est vainement que je m'en étaisinformé Il Naples et Salcrne. Même dans cettedernière ville, aucun iles loueurs qui fournissentd'habitude des voitures aux étrangers n'était aucourant des routes, des distances, dos couchées

possibles dans le Cilento, et n'avait de cocher quise souciât de s'y lancer n l'aveugle. C'est à M. LaCava que j'ai du de pouvoir réaliser le désir,

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236 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

nourri par moi depuis longtemps, d'y exécuter une

pointe, malheureusement trop courte, mais que jeme promets bien de refaire une autre fois pluscomplète, en poussant jusqu'à Policastro et à Sapri,de manière à visiter après Velia les sites des villes

antiques de Molpa, Pyxus et Scidros. Il a des amisà Rotino, et c'est par eux qu'il était parvenu à se

renseigner sur le plan de notre petite campagne.Pour le touriste qui voudrait y aller dans l'étatactuel et sans avoir un pareil secours, c'est à Eboli

qu'il doit se rendre. C'est là seulement qu'il trou-vera des indications précises et pourra faire mar-ché avec un voiturier. En effet, en attendant quele Cilento soit traversé par un chemin de fer,premier tronçon de la ligne de Naples à Reggiopar le bord de la mer Tyrrhénienne, qui est pres-que achevé de construire et ne tardera pas beau-

coup à être ouvert jusqu'à Ogliastro, c'est la gared'Eboli qui sert aux communications de cette con-trée avec Salerne, Naples et le reste do l'Italie. Lescochers de la ville ont donc l'habitude de s'yrendre. On'y trouve même des voitures qui fonl,en relayant sur plusieurs points de la route, leservice de la poste pour le Vallo et do là pourPolicastro, et si l'on ne craint pas do s'y entasser

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LE CILENTO 237

avec des paysans, on peut à fort bas prix y louerdes places comme dans une diligence.Ce qui fait jusqu'ici du Cilento un pays inabordé

et inexploré, comme isolé du reste du monde et oùles voyageurs ne pénètrent pas, c'est la renomméeredoutable qui s'attache encore ù son nom. Rien

qu'à l'entendre, on se signe iLNaples et à Salerne.11éveille des idées de dangers de la part des bri-

gauds qui inspirent une sorte de terreur. S'en allerdans le Cilento, pour beaucoup de gens, semble lamême chose que s'enfoncer dans une caverne demalandrins. On croirait volontiers qu'il n'y a paspossibilité de le faire qu'après avoir eu la précau-lion de payer il l'avance un black mail. C'est qu'eneffet cette contrée a été pendant bien longtemps le

repaire et l'asile des bandes qui infestaient la plainede Salerne à Paestum et la vallée du ScIe sur la

route de Potenza. C'est de là que les brigands des-

cendaient pour détrousser les fermiers et les pas-sants c'est la qu'ils se retiraient après le coup fait,sitôt qu'il se voyaient poursuivis. Les paysans de

la contrée n'étaient pourtant pas des gens bien

à portée de le savoir. mel'affirment plus enclins

que d'autres au brigandage, et dans les bandes

qui prenaient le Cilento pour quartier général il y

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

avait beaucoup dç gens sortis d'ailleurs. Mais lesravins et les bois de cette région leur offraientdes facilités exceptionnelles pour se cacher à l'abride toutes les recherches. Diviséspar petits villagesqui n'eussent pas pu réunir un nombre d'hommesassez respectable pour se défendre, les habitantsétaient à la merci des bandes qui élisaient domicile

auprès d'eux; par suite ils s'étudiaient à vivre enbonne intelligence avec elles, leur fournissant desravitaillements et les aidant à sedissimuler, au lieudo les dénoncer. Les propriétaires composaientavec ces bandes, et leur payaient un tribut régulerpour en être respectés. Il résultait do la ce phéno-mène que la sécurité était assez grande, malgré la

présence des brigands, dans le pays même, tandis

que les régions environnantes était soumises à desdévastations dont il était le point de départ et commele foyer. Aussi l'approche en était rendue très dif-licile par la façon dont les routes étaient infestées.Mais en réalité il y avait peut-être plus de péril ùaller de Salerne ou d'Pboli il Paestum que de ladans le Cilento. Actuellement, là comme partoutailleurs, la répression énergique poursuivie par legouvernement italien pendant plusieurs années,que marquèrent de véritables campagnes mili-

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LE CILENTO 239

taires contreles bandes, a complètementextirpéle brigandage. Une surveillance active a pourobjetdé lui rendre impossiblede renaître. Je nedissimulerai pas que le luxe de gendarmeriedont on voit les brigades installées dans presquetous les villages dé l'arrondissementdu Vallô etles patrouilles surveillant les chemins donnenlàpenser que si l'on se relâchaitde cesmesuresdeprécautionil y aurait encoreà craindrede voir re-commencerl'ancien état des choses. Mais les gen-darmessont là,et lavuedeleurstricornes,ainsiquede leurs honnêtesfigures, est de nature à rassurerles plus timides. Une tournée dansle terribleCi-'lento est maintenant aussi sûre qu'une excursiondans les environs de Naples; même là, ceux quirêvent des aventurespérilleuses doivent renoncerà en rencontrer. Décidémentdans notre siècledechemins de fer et de gouvernements constitu-tionnels les voyagesdeviennentpartout bien pro-saïques.En partantdePasstum,noussortonsdel'enceinte

antique par la porte du sud, nous traversons leSalsoet nous suivons l'extrémité de la plainejus-qu'à l'endroitoù ellese termine,aupieddesmontra-gnes qui viennentrejoindrelamer.Resserréedans

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240 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

cettedernière portion de son étendueentre le rivage,où le flot vientmourir paresseusement avecun mur-mure étouffé, et les hauteurs qui s'étendent de Ca-

paccio à Ercditù, la plaine est inculte et couvertede buissons de lentisques et de pistachiers nains,qui forment par places de véritables môles de ver-dure, et auxquels semêlent de distance en distancedes myrtes, des lauriers roses, des agnus castus,et des hélianthèmes frutescents. C'est la végéta-tion, la nature et le climat de la Grèce. Le parfumsauvage des sauges, des thyms, des labiées odo-rantes, se mêle à l'odeur résineuse des lentisqueset aux effluvessalées de la mer, sur ces terrains dé-serts qu'animent seulement quelques troupeaux.Arrivés au bas des escarpements, nous commen-

çons la longue montée en lacets qui nous conduiraaux premières crêtes, et nous fera pénétrer dans leCilonto. Elle serpente au travers des oliviers et deschênes, et à mesure qu'on s'élève la perspectivedevient plus étendue et plus belle. Quand on at-teint au sommet,la vue qu'on a devant soi est unedes plus vastes et des plus magnifiques du monde,surtout quand on a, comme nous, la bonne for-tune de la contempler par un ciel radieux et sansnuages, baignée d'une lumière digne de l'Orient.

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LE CILENTO 241

T. II. 16

D'aucun autre point de son circuit, même des hau-teurs au-dessus de Vietri et d'Amalfi, ou bien duchâteau d'Eboli, le panorama du golfe de Salerne,avec son hémicycle de montagnes et les deux bras

qui en prolongent les extrémités à la façon d'un

cirque antique, ne se déploie d'une manière pluscomplète ni sous un plus splendide aspect. A elleseule cette vue mériterait le voyage, et je ne puiscomprendre comment elle n'est pas partout indi-

quée aux touristes qui viennent jusqu'à Paestum,comma un. complément naturel de l'excursion,qu'aucun amateur des beautés de la nature ne sau-rait négliger.Plaçons-nous pour la contempler dans la direc-

tion du nord-ouest, droit en face de Salerne, quis'étale au bord de la mer au pied des hauteurs de Vie-tri et deLa Cava, juste à l'extrémité de la ligne du ri-

vage qui forme la corde de l'arc de la plaine. A notre-droite la chaîne des montagnes sur lesquelles nousnous trouvons se prolonge en ligne presque directedu sud-ouest au nord-est, en suivant à quelque dis-lance la rive gauche du Selo, puis du Calore, jus-qu'au débouché de la vallée par oct passent le che-min de fer et la route pour aller d'Eboli il Potenza,Les bois y alternent avec les cultures et les parties

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242 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

de roches grises dénudées, que persillent quelquesbouquets d'une maigre verdure. C'est une succes-sion de sommets escarpés, de croupes arrondiesdessinant des plans successifs, entrecoupés deravins et de replis, par-delà lesquels on aperçoitplus loin d'autres montagnes, devenant de plus en

plus vagues et s'élevant graduellement jusqu'à la

grande chaîne des Apennins.Tout près de nous, dans un repli déjà élevé,

repose le village pauvre et malsain d'Eredità; plusloin, dans un autre est Capaccio. Entre deux, mais

plus en arrière, une montagne aux pentes singuliè-rement rapides porte à son sommetTrentenara, jadisfief important aux xn* etxm8 siècles, aujourd'huivillage d'un millier d'habitants seulement, tandis

qu'à son pied se trouve Giungano, dont une tra-

dition populaire, assez dénuée de, fondement his-

torique sérieux, pour qu'elle ne méritât pas d'êtrementionnée si elle n'était relatée dans une ins-

cription du xvi* ou du xvn* siècle, composée parquelque propriétaire de la terre, attribue la fonda-tion à un général du nom d'Ermus Coscius, gou-verneur de la Campanie pour un duc de Durazzo etnatif de Pœstum, qui s'y serait réfugié en 1003

après une grande défaite. Le nom du général et sa

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LE CILENTO 243

patrie sont choses tout à fait fabuleuses, qui nesauraient s'accorder avec l'histoire, non plus 'queles titres qu'on lui donne. Mais au travers de cesfables il y a peut-être une base réelle au souvenirde réfugiés des hasards de la guerre, s'établissant en1003 au milieu des bois de la montagne et y fon-dant un village; car précisément, en. 1002 et 1003,les contrées avoisinantle golfe de Salerne furentle théâtre d'une grande descente des Arabes, appe-lés contre les Longobards par le catapan byzantindepuis peu installé à Bari et dans ce moment enrelations amicales avec les musulmans. Pendant

plusieurs mois, ceux-ci parcoururent le pays en ypromenant la dévastation dans les campagnes jus-que sous les murs de Bénévent et de Naples, et en

rançonnant sur leur passage toutes les villes secon-

daires-qui voulaient échapper au pillage et à l'in-

cendie. Bernardino Rota, l'un des meilleurs poèteslatins do Naples à la Renaissance, était seigneurde ces lieux. Il a chanté plusieurs fois dans ses vers

Trentenara, Giungano, le village voisin de Comi-

nento, actuellement disparu, etles sources duSalso,

pour lequel il invente de beaux noms antiques,

TuqueAcciquondam,nuncversonommeSolphon,Qui vitreo exlailarau pinguia cuita pede.

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Cluvier et la plupart des topographes napolitains

après lui, en ne différant entre eux que sur les dé-tails de l'a.ssimilation, admettent que la montagnede Trentenara et celle qui s'élève de l'autre côté de

Capaccio sont celles que Fronlin désigne par les

nom do Calamarcum et de Cantonna, entre les-

quelles Crassus anéantit la division gauloise de l'ar-

méeservile commandéepar Gannicuset Gastus, quidans la marche du fond du Brutlium dans la direc-lionde Rome, s'était séparée du gros des forces do

Spartacus et avait perdu le contact avec lui. Ce fut,racontent tous les historiens, une bataille des plusacharnées. Sur les 2,300 hommes que les esclavesrévoltés laissèrent morts sur le champ de bataille,deux seulement avaient été frappés par derrièretous les autres avaient péri en braves gens, com-

battant de pied ferme. L'identification géogra-phique des localités qui en furent le théâtre offre

une assez grande probabilité; les renseignementsfournis par différents écrivains antiques sur les

circonstances de la bataille s'y appliquent d'une

manière satisfaisante. Cependant elle no s'établit

pas sur dos preuves absolues et sans réplique, et

l'on pourrait chercher ailleurs dans la Lucanie le

lieu do la défaite des esclaves gaulois car il n'est

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LE CILENTO 245

dit nulle part qu'elle se produisit précisément danslos environs de Paestum.De l'autre côté du golfe, la péninsule d'Amalfi

et de Sorrento fait pendant à la chaîne que je viensde décrire. C'est le bras parallèle du cirque, mais';la pointe s'en avance dans la mer plus lûin quo celledu Cilento, et en même temps la mer de ce côté

pénètre dans les terres pour atteindre jusqu'à Sa-

jerno, plus que du côté de Paestum. La montagneen forme d'échine allongée de N.-E. en S.-O. surune étendue de plus de huit lieues, depuis la valléedo La Cava jusqu'à la Punta della Campanella,haigne donc son pied directement dans les eaux'du golfe de l'une à l'autre de ses extrémités, surcelui de ses flancs que nous voyons tourné versnous. La perspective en est encore plus belle quecelle qu'à son tour lui offre le Cilento, quand on

regarde le golfe soit de Salérno ou d'Amal6,, soitd'un point plus élevé, de Ravello par exemple. Au

sud-ouest, au milieu de la mer, l'île de Capri en

précède la pointe comme une sentinelle avancée.Elle se présente à nous par le côté où son pointculminant, le Monte Solaro, cachant le plateau

d'Anacapri, fait tomber dans la mer les falaises

verticales que le général Lamarque eut l'audace

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2IG A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

d'escalader en 1808 pour y surprendre les Anglaisde sir Hudson Lowe, qui n'avaient pas songé à se

garder sur ce point. En arrière du canal qui sépareCapri de l'ancien promontoire de Minerve, on

aperçoit dans le lointain, s'estompant sur le ciel etréduit à l'état de simple silhouette parla distancede 25 lieues environ qui en séparent, le cône de

l'Epomeo, le volcan éteint de l'ile d'Ischia. Le soiril se découpe avec une extrême netteté, en se dé-tachant en sombre, sur le ciel enflammé du cou-chant. Le sommet le plus élevé de la presqu'île quisépare les deux golfes de Salerne et de Naples, leMonte Sant'Angelo, le Gaurus des anciens, quiatteint l'altitude de mètres, est situé presqueexactement à mi-distance entre le cap qui la ter-mine et la vallée de La Cava. L'arête dentelée dontles sommets s'étagent,en montant successivement

depuis la Punta della Campanella jusqu'à la cimedu Sant'Angelo, se dresse avec des pentes presqueabsolument à pic du côté du golfe de Salerne,tandis que du côté de celui de Naples elle laisse

place au développement des terrasses où Massa-

Lubrense, Sorrento et Vico Equense reposent pa-resseusement comme dans des nids de la plusriante verdure. Toute la moitié ouest de la pénin-

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LE CILENTO 247

suie ne présente donc devant nos regards, dans laface qu'elle tourne vers nous, qu'une muraille

abrupte et déserte surgissant de la mer sans qu'au-cun village puisse s'accrocherà ses flancs, sans autre

végétation que des taillis de broussailles, jetant destaches d'un vert sombre au milieu des rochers auxtons chauds, comme calcinés par le soleil. C'estseulement au pied même du Monte Sant'Angelo quePositano montre ses maisons blanches en amphi-théâtre au fond d'une conque verdoyante, et quePrajano déploie les siennes auprès de la mer surles deux côtés du cap Sottile.Au contraire, sur le flanc de la partie est de la

péninsule, au delà de la montagne qui en domine

tout l'ensemble, de la Punta di Conea au CapTumolo, les Crêtes du Monte Amarrata et du MonteAlbino enveloppent un hémicycle dont la forme,exactement pareille à celle d'un théâtre antique où

la mer tiendrait la place de la scène, s'accuse avecune netteté des plus remarquables à la distancedont nous la voyons et qui permet d'en embrasserl'ensemble. Pour achever la similitude, les ravins

remplis d'une éclatante verdure qui descendent en

pente rapide de la partie supérieure du pourtourde l'hémicycle et convergent vers la baie d'Amalfi,

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

le divisent en caves presque régulières, dont noussuivons le dessin sur les pentes. Au débouché dechacun de ces ravins sur la mer est bâtie une des

petites villes dont la réunion formait la républiqueAmalfitaine, Amalfimême, Atrani, Minori etMajuri.De loin elles semblent former une chaîne continued'habitations le long du rivage, une seule ville plusétendue que Salerne. Au-dessus, et jusqu'aux crê-

tes, d'anciennes villes aujourd'hui bien déchues deleur importance, comme Scala et Ravello, avec denombreux petits villages et des maisons isolées,

parsèment toutes les pentes, tantôt établies à décou-vert sur des rochers, tantôt comme enfouies dansles plantations et les vergers.Le tableau des destinées d'Amalfi est écrit dans

la disposition de son territoire, dont nous pouvonssi bien nous rendre compte par cette vue panora-mique. La nature l'avait disposé tout exprès pourêtre ce qu'il fut, un canton presque inhabité tant

que les plaines voisines offraient aux populationsdes demeures plus fertiles et d'un abord plus aiséil l'abri de la paix romaine, puis un refuge sûr pourceux qui cherchaient à échapper aux ravages do

barbares dénués de marine, hors d'état, par consé-

quent, d'attaquer l'asile d'Amalfi autrement que du

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LE CILENTO 2M

côté de ln terre, où le couvrait un rempart infran-chissable d'escarpements. Ainai fermés dans ladirection de la terre et bloqués de ce côté par desbarbares hostiles, les Amalfitains n'avaient d'autreissue que la mer, vers laquelle descendaient tous,.les chemins do leur territoire, trop restreint pourpouvoir nourrir la nombreuse population qui s'yétait agglomérée. C'est vers la mer qu'ils tour-nèrent leur activité; ils devinrent en peu de tempsd'habiles et intrépides matelots, dont les naviressillonnèrent toutes les parties de la Méditerranée,surtout dans la direction de l'Orient, en se livrantà un commerce des plus suivis et des plus fruc-tueux. Pour réussir dans ce commerce et conser-ver la libre circulation sur la mer, d'où dépendaientleur vie et leur richesse, ils durent à la fois s'assu-rer une existence séparée des États Longobards,qui sur terre les enserraient, de l'autre conserverla protection et la bienveillance de ceux que le

développement de leur marine militaire rendaitles dominateurs des eaux de la Méditerranée orien-

tale, car Amalfi, quelle que fut sa prospérité, n'au-rait pu sans folie rêver de prendre, comme Pise et

Venise, sa part de cette domination par la forcedes armes. Elle ne devait être qu'une ville exclusi-

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250 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

vcmcnt commerciale, ce que fut également Ragusesur l'Adriatique. C'est ainsi qu'elle fut amenée àse constituer en République indépendante, presquetoujours en lutte avec sa voisine Salerne, dont ellen'était distante que de 15 kilomètres et qui, voyantson importance politique et militaire grandir cons-tamment sous les Longobards, cherchait par tousles moyens à l'absorber. En même temps, poursauvegarder leur indépendance et la sécurité doleurs navigations, ils se faisaient les fidèles vas-saux de l'Empire Byzantin, mais sans le suivredans ses querelles avec les musulmans. Au con-

traire, envers ceux-ci ils se lièrent par des traités etnouèrent des relations d'étroite amitié, de telle

façon qu'au rxe et au x. siècle les flottes d'Afriqueet do Sicile, qui promenaient sans relâche ladévas-tation sur les côtes de l'Italie, respectaient Amalfi,dont le port était, comme ceux de Naples et de

Gaëte, toujours ouvert au ravitaillement de leurscorsaires. Grâce à leur prudente et quelque peucauteleuse diplomatie, les navires des Amalfitains

passaient en qualité de neutres, à l'abri des avanies,entre les deux belligérants qui se disputaient l'em-

pire des eaux orientales. Dans cette direction tousles ports les recevaient avec faveur, aussi bien ceux

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LE Cf LENTO 251

qui dépendaient de l'empereur de Constantinopleque ceux qui appartenaient aux divers lieutenantsdn Khalife. Ds en rapportaient les précieuses mar-chandises de l'Asie, les produits manufacturés de

l'industrie byzantine et de l'industrie arabe, quis'accumulaient dans leurs magasins et de là se

répandaient vers les diverses parties de l'Italie,transportés même au delà des monts par le com-merce de terre. La prospérité d'Amalfi ne pouvaitse maintenir que dans ces conditions, et la déca-dence devait promptement atteindre, cette ville du

jour où elle aurait cessé d'être une République auto-nome pour se trouver incorporée à un grand Étatterritorial dont elle partagerait les fortunes et les

querelles, en perdant les bénéfices de la neutra-lité.La péninsule d'Amalfi se termine à son extré-

mité orientale par la vallée de La Cava, derrière la

coupure de laquelle surgit le cône du Vésuve,constamment couronné de son panache de fumée,tandis qu'au débouché de cette vallée Vietri appa-raît assise sur les pentes du mont Liberatore. Un

peu plus à l'est et plus bas est Salerne, qui étendune partie de ses maisons sur un développementde deux kilomètres le long de lamarine, et en étage

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252 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

une autre portion sur les flancs -de la colline sur-montée par les ruines de son vieux château du

temps des Longobards. Apartir de cette ville com-mence le rivage, presque exactement perpendi-culaire à celui de la côte d'Amalfi, qui vient versnous en ligne directe et borne la plaine où coulentle Vicentino, le Tusciano et le Sele, plaine que se

partageaient dans l'antiquité les Picentins, lesÉburins et los gens de Pœstum. J'ai déjà décritcette plaine déserte, nue et grise, sauf dans sa

partie méridionale, qu'arrosent le .Sele et le Ca-lore. L'enceinte des murs de Peestum, avec sestrois temples, s'y voit presque immédiatement au-dessous do nous; des hauteurs d'où nous les regar-dons les ruines font un peu l'effet de ces petitesfabriques en liège qu'on met dans les plans enrelief pour représenter les édifices. Les plantationsau milieu desquelles surgit Eboli sur sa double

colline, et les vergers qui s'étendent le long de laroute de Salerne à cette ville, forment une ceintured'émeraude &la plaine dénudée, au pied des mon-

tagnes disposées en arc de cercle qui commencentau-dessus de Salerne pour aller au delà d'Eboli,reliant les deux bras parallèles entre lesquels lebassin du golfe est embrassé. De ce côté l'œil ren-

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LE CILENTO 253'

contre une succession de plans de montagnes quis'élèvent les uns derrière les autres comme autantde gradins, en devenant plus sauvages, plus âpreset plus nus à mesure qu'ils atteignent une plusgrande hauteur, jusqu'à l'arête culminante des

Apennins du pays des Samnites et desHirpins, quicourt depuis les environs de Bénévent jusqu'àceux de Pescopagano, en passant par Sant'Angelode' Lombardi et Teora et en déterminant le partagedes eaux entre les bassins de la mer Tyrrhénienncet de l'Adriatique. C'est de ces rudos montagnes quedescendirent, dans la seconde moitié du Vesiècleavant notre ère, les Lucaniens, bien dignes de les

avoir eues pour berceau..

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Après avoir longuement contemplé le merveilleux

panoramaquisedéployaitdcvantnosregardsduhautdes escarpements qui durent faire dans l'antiquitéla barrière entre le territoire de Poseidônia-Pœstumet celui de Hyélê-Velia, nous reprenons notreroute et bientôt de nouveaux aspects, non moins

pittoresques, mais d'une autre nature, se présententà nous. Nous cheminons jusqu'à Ogliastro sur uneétroite arête. A gauche la pente qui la borde s'abaisse

rapidement dans la direction d'Eredità et de Capac-cio, donnant au milieu des arbres des échappées dovuè sur les montagnes où se trouvent ces localitéset sur une partie de la plaiue du fond du golfe. A

droite, du côté du sud, où la route côtoie le bord des

escarpements, se creuse en entonnoir profond un

ACROPOLI

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25G A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

bassin de forme assez exactement ovale, allongéd'ouest en est, qui s'ouvre à l'orient sur la mer.Les pentes en sont entièrement revêtues de la ver-dure glauque de bois d'oliviers, auxquels se mêlent

quelques figuiers. La crête que nous, suivons en

forme le côté nord en face, au sud, se dresse une

montagne plus élevée, l'un des points culminantsdu massif du Cilento, dont le flanc est rayé d'une

grande coupure diagonale, par où descend un tor-rent. Un autre torrent, qui vient de l'est et com-mence au-dessous de Torchiara, se joint en basa

celui-ci, et le cours d'eau que forme leur réunion,tantôt presque à sec, tantôt grossi démesurément

par les pluies d'orage, arrose en la traversant dansson plus grand développement, qui est d'environtrois kilomètres, la petite plaine au niveau de lamer qui occupe le fond de l'entonnoir. Cette plaine,occupée en partie par des vignes et des plantations,est des plus fertiles et toute cultivée, mais fort mal-saine à cause des exhalaisons du cours d'eau qui de-vient stagnant à son embouchure. La mer y pénètreet forme dans la partie est une calanque peu pro-fonde, à l'embouchure resserrée. Les barques de

pêche et de cabotage peuvent seules y entrer, mais

elles y trouvent un abri parfaitement sur. Les côtes

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ACROPOLI 257

T.1.1. n

découpées de la Grèce présentent des anses proiefondément encaissées du même genre que celle-ci.Mais surtout, lorsque je l'ai vu se creuser au bas dela route que nous suivions, je me suis rappelé l'im-pression saisissante que produit la brusque décou-verte de la baie d'Agay, si gracieuse d'aspect, quandon traverse les montagnes de l'Esterel sur la lignedu chemin de fer qui conduit d'Hyères à Cannes.Les deux paysages ont une extrême ressemblance;et dans l'un et l'autre endroit les marins grecs quiy entrèrent pour la première fois durent se croireramenés aux rivages de leur patrie.L'entrée de la calanque est dominée du côté du

sud par une colline de médiocre hauteur ou mieux

par un rocher escarpé, dont le profil rappelle celuide l'Acropole d'Athènes, et qui n'est de même ac-cessible que par une de ses extrémités. A l'extré-mité opposée, celle qui commande le goulet, la fa-laise est absolument à pic, et son pied hérissé d'unebarrière d'écueils qui surgissent do l'eau. C'est surce rocher qu'est bâtie Acropoli, aujourd'hui simplebourgade de 7 à 800 habitants, qui conserve encoreune enceinte de murailles garnie de grosses tourset un château fort, datant du xv" siècle, du tempsdes Aragonais, comme les remparts, vestiges de

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258 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

l'époque où elle était une petite ville. La situation

n'en est pas assez élevée pour la mettre à l'abri des

émanations fiévreuses de la plaine. Scipione Maz-

zella, auteur d'une description du royaume de

Naples publiée en 1601, a écrit gravement que l'air

humide et mou qu'on respirait à Acropoli, alors

plus importante qu'aujourd'hui, allanguissait telle-

ment les habitants que les jeunes filles n'y savaient

pas défendre au delà de l'Age de douze ans ce queM. Alexandre Dumas appellerait leur capital. Je

n'ai pas appris s'il en était encore de même, après

bientôt trois siècles.

Le nom d'Acropoli est grec. Mais la localité qu'il

désigne est-elle une fondation desHellènes antiquesau temps de la colonisation de la Grande-Grèce? ou

bien ne date-t-ello que de l'ère de la domination

byzantine? Répondre à cette question d'une ma-,

nière positive est difficile. Cependant on doitremar-

quer que d'une part aucun écrivain antique ne men-

tionne de ville du nom d'Acropolis entre Posei-

dônia-Paestum et Velia, d'autre part que ceux des

modernes qui ont soutenu l'ancienneté d'Acropoli,

comme Antonini et Mazzocchi n'y signalent aucun

vestige d'antiquités; Giustiniani prétend même que

le lieu en est totalement dépourvu. C'est ce que

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ACROPOLI

l'on m'a égalementaffirmédans les environs. Carn'en ayant vule site quedeloin, sansyaller, je nepuis en parler que par ouï-dire. Ceciconstitueraitun argument très considérableen faveurde la se-conde hypothèse, induirait à penser que la villeétait defondation byzantine. Maisdans ce cas ilfaudraitla ranger parmi cellesqueNarsèslit cons-truire, après avoir terminéla guerre desGothsetreplacél'Italie sousle sceptredeJustinien.Eneffet,en 599, nous trouvonsAcropolisde Lucanieexis-tante et en possessionÆJ'unévêque.Il existe une-lettre du Pape saint Grégoirele Grandadresséeil.cet évêque,qui se nommaitalors Félix, pour luicommettrele soindevisiter les églisesdeVelia,deBlanda (Maratea) et de Buxentum (Policastro),veuves do leurs pasteurs. L'évêque de Capaccioporte le titre d'évêque d'Acropoliscomme celuid'évêquedeVelia. On ignore la date précise de laréunion de ces différentssièges, maisau xi,,sièclecelui d'Acropolin'avaitplus,depuisassez longtempsdéjà, d'existencedistincte.Presquetoutesles villesnouvelles, que les Empereurs d'Orient fondèrentdansle midi de l'Italie depuis la fin du vi° sièclejusqu'au commencementdu xi»,furentdotéesd'unévêchédèsle momentde leur naissance,afin d'en

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260 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

rehausser l'éclat. Le caractère de siège épiscopalconstatéen 599pourunevillequi n'était sûrementni colonie ni municipe aux temps florissants del'Empireestdoncplutôtun indiced'originerécente,de créationpostérieureau rétablissementde l'au-torité directedesEmpereursd'Orient en Italie.Ala fin duvm°siècle,unelettre duPapeAdrienIcr

à Charlemagneparle de trois envoyés constanti-nopolitains,deux spatharioiet le dioikitisou gou-verneur de la Sicile,qui étaient débarquésà Acro-polideLucanie,encoresur lesterresdeleurmaître,pour se rendre à Salerne et y avoir une entrevueavec le duc longobard de Bénévent, Arichis II,'gendredu roiDidier.Acropoliétait alors, en effet,le dernier avant-postede la dominationdirectedesGrecs,qui étaientparvenus, grâce à la supérioritéde leurs flottes,à se maintenir jusqu'à ce point, àpartir de la Calabre,en possessionde la chaînedesvilleslittoralesle longde lamerTyrrhénienne,tan-disque lesLongobardsétaientmaîtresdel'intérieurdes terres.Maisau nord d'Acropoliles Empereursd'Orientnecomptaientplusquedesvassaux,commeAmalfi,Napleset Gaëte,au lieu de simplessujets.A l'époqueoù Jean VIIImonta sur le trônepon-

tifical,dans la secondemoitié du iac°siècle, le duc

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ACROPOLI 261

de la République de Naples s'appelait Sergius, estson frère Athanase était en même temps évéque dela ville. Comme ses prédécesseurs, Sergius avaitsoin d'entretenir des rapports amicaux avec lesArabes de Sicile et d'Afrique, pour mettre sa villeà l'abri des ravages qu'ils promenaient sur toutesles côtes voisines, poussant leurs descentes jusquedans les environs de Rome. Le Pape avait conçu le

projet d'une sorte de Croisade pour éloigner lesmusulmans des Étatsde l'Église, et voulait en même

temps profiter de l'occasion pour étendre son au-torité temporelle sur Gaëte et sur Naples, en pre-nant thème de l'alliance coupable de ces deux répu-bliques avec les musulmans. Charles le Chauve,

qu'il appelait en Italie pour cet objet, n'ayant rienfait en sa faveur, il eut recours à l'intrigue et par-vint à faire éclater une révolution à Naples. L'é-

véque Athanase, ayant ourdi une conjurationcontre son propre frère Sergius, le déposa et se fitduc à sa place. Sergius fut envoyé chargé de chatnesà Rome, où Jean VIII lui fit crever les yeux et oùil mourut bientôt après en' prison. Mais le Papen'obtint pas de ces événements le résultat qu'il es-

pérait. Tandis qu'il s'en allait en France sacrerLouis le Bègue empereur, l'évêque-duc Athanase,

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262 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANFE

au lieudese montrerzélépourlacausedel'Église,resserra l'alliancede Naples avec les musulmanset seligua avecLambert, comte de Spoleto,aime'mi du Pape. Bientôt lui et .Iean VIII prirent ou-vertement parti l'un contre l'autre dans les que-relles dela successiondu comtéde Capoue,que lePapevoulaitfairevassalduSaint-Siègeet l'éveque-duc de Naples conquérir pour lui-même. Celteaffaire devintdès lors la préoccupationdominantede Jean VIII. Les historiensde l'Égliseont sévère-ment condamnéla facilitéavec laquelleil acceptala réintégration du schismatiquePhotios au pa-triarchat de Constantinopleaprèsla mort de saintIgnace, le grand défenseurde l'orthodoxie. Ils sesontétonnésdela faiblessequ'il avaitmontréedanscettecirconstance.Elle s'explique,semble-l-il,parle désir passionné que le Pape avait à ce momentde mettre dans ses intérêts l'empereurBasile.Uneflottebyzantinevenait d'arriver dans les eaux deNaples,oùelleavait battu la flottedesArabes; unede ses divisionsétait venuedevantOstie,pourpro-téger les possessionspontificales.Jean VIII, espé-rant déciderle Basileusà userde sa flottepour dé-poser[Alhanasc,voulait à tout prix lui complaireet ne savait rhn lui refuser.

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ACROPOU 263Menacéespar le Pape, GaëtcetNaplesfirentap-

pel auxmusulmans.CeuxqueDocibile,consuldeGaëte,prit à sonservice devinrenilepremiernoyaude la fameusecoloniesarrazinodu Garigliano,quitint pendant trente annéestout le paysvoisinsousla terreur. ANaples,c'est une armée entière d'a-venturiersarabeset berbèresqu'Athanasorassem-bla, et qui établit pendant deux années son campentre les muraillesde la villeet le Sebetô.Les in-cursions de ces hordes sans pitié, qui brûlaient,massacraientet pillaientpartout sur leur passage,sansdistingueramisni ennemis,allèrent jusqu'auxenvirons de Bénévent et jusqu'à la campagne daRome.Jean VIII, ayant réuni un synode,excom-munia l'évêque de Naples, qui recevaitsa part detout le butin que faisaient ses auxiliairesmusul-mans,mêmede celuiqui provenait du pillage deséglises.Celui-ci,pour toute réponse,au lieu de sesoumettre,fitvenirdonouvellesrecruesdeSicileetd'Afrique.Le nombredesmusulmansréunis sousNaplesdevinttel à la finde 881que le terrain d'a-bordassignéùleur campementne futplus suffisantet qu'il fallut le transporterle long du pied occi-dentalduVésuve,où lenouveau kairewânenglobaPortici, Résinaet Torre del Greco.Maisc'étaient

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264 ATRAVUHSL'APULIEETLALUCANIKlitde bien incommodeset de bien dangereuxauxi-liaires. Au lieu de se borner à aller courir sur le*terres desennemiscontre lesquelson le»avait ap-pelés, ils mirent il sac les campagnesmêmes doNaplcs, qu'ils rendirent inhabitableset ils nolaissèrentpas, nousdit fîrchcmpert,annalistecon-temporain, nn chevalou une jniine fille sans lesemmenerdans leur camp.Locri des citoyensdeNnplcsdevint telqu'ilcon-traignit Athanase écouler les propositions duPape, lequellui offraitdel'absoudredesone.vrom-rrmnicalions'il purgeait le paysdes infidèlesqu'ily avait attirés. L'éveque-ducn'étaitjamais embar-rasséd'une volte-faceni d'nne perfidie.Il filvenirsecrètementdes troupes de Salern<>,duCapotieetdeRénovent,tandisqu'il endormaitpar sescaressesInvigilancedes chefsdes Sarrasins, entre autresdu principal d'entre eux, nommé Soheim. Puisnn beau jour, quand tous ses préparatifs furentachevés,il levale masque, les assaillit il.l'impro-visle dansleur camp,et grâcea cette trahison enlit un horrible carnage. Ces aventuriers arabesétaient desbanditsmais des vaillants aprèsle pre-miermomentdela surprise,quidéridaleurdéfaite,ils se rallièrent et toujourscombattantentreprirent

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ACHOPOU 265

en bon ordre une retraite dans laquelle les milicesde Naples. et des principauté» longobardes n'osèrent

pas les poursuivre bien loin. Ils no savaient pastrop ou les conduirait cette retraite à tout hasardils marchaient vers le sud, résolus tr regagner laSicile par terre en passant sur le ventre de ceux

qui tenteraient de s'opposer a leur marche, s'ils netrouvaient pas sur la route un lieu favorable pours'y établir et recommencer leurs pillcrics. nemon-tant la vallée du Sarno, ils gagnèrent la coupure de

La Cava, déboucheront de làvors Salerne, défilèrent,sous les muraillos de cette ville, traversèrent lu

Irlainc dans ludircclîon de Ptnslum et entrèrent dansle Cilenlo. Lc choix qu'ils faisaient de cette région

pour y passer, au lieu de prendre la route plus na-lurelle et plus facile du Val di Tcgiano, indiqueclairement qu'ils ne voulaient pas quitter le sol ita-lien et qu'ils y étaient en quête d'un établissement,

qui leur servll do centre pour de nouvelles opéra-lions. Ils ne pouvaient, en effet, le fixer duc surnn point de la côte, d'où ils fussent en communi-cation par mer avec la Sicile et l'Afrique, de ma.nière a eu recevoir librement des renforts et des

ravitaillements. C'est dans ces condition qued'autres Surrusins avaient occupé AmanleaelTro-

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266 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

pea sur le littoral ouest de la'Calabre, et d'autres

encore le Fraxinet (aujourd'hui La Garde-Freinet)

dans Je massif des côtes de Provence qui a gardé

le nom de Montagne des Maures.

Arrivés à Acropoli, ceux qui venaient d'être chas+

sés du pied du Vésuve comprirent qu'ils avaient

trouvé leur affaire. Le site convenait merveilleuse-:

ment pour y établir un nid de pillards en commu-

nication avec la mer. Enlevant la ville par un coup

de main, ils en massacrèrent la population. Ce fut

désormais leur réduit, leur forteresse. Mais l'en-

ceinte n'en était pas suffisante pour les recevoir

tous, et avec eux les nouvelles bandes qui arrivè-

rent bientôt les renforcer. Un camp permanent fut

établi au pied de la ville, dans le lieu qui a conservé

jusqu'à ce jour le nom de Campo Saraceno. Une fois

solidement installés et sûrs de leur nouvelle base d'o-

pérations, ils reprirent la série de leurs incessantes

incursions, fondant du haut des montagnes dans

la plaine pour y tout dévaster, ou bien, comme nous

les montre Erchempert, cheminant par la crête des

montagnes pour aller surprendre au loin les popu-

lations qui ne s'attendaient pas à leur visite. La

colonie musulmane d'Acropoli et celle du Gari-

gliano, fondées toutes les deux en même temps, en

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ACROPOLI 267

882,devinrent pour un certain temps le fléaudel'ancienneCampanié,à laquelle ils infligèrentdessouffrancesinouïes. Nous sommesmieux rensei-gnés sur les exploitsdévastateursde ceuxdu Gari-gliano, quirendirent toute culture impossibledansla Terra di Lavoroet brûlèrent en 883l'abbayeduMont-Cassin.Maispour avoirmoinsdedétailsà cesujet, noussavonsencorequelesSarrasinsd'Acro-poli firentautant de mal. C'est devantleurs dévas-tations que Pœstum fut abandonné, que toute lapopulationde la plainequi s'étendjusqu'à Salernedut s'enfuir,et quecescampagnesjadis siricheset siflorissantesse transformèrentenundésert inculte.Pendant trois ans les deux coloniesmusulma-i

nes, combinant leurs entreprises, guerroyèrentpour leur propre compteet semblèrentau moment

d'ajouterune nouvelleprovinceà l'empirede l'Is-

lam, qui poursuivait en même temps l'acquisitionde la Calabre. Jamais peut-être le danger ne fut

plusgrand pour l'Italie.Maisen 885 un princedela familledesAghlabites vint au Gariglianoet à

Acropolidemander des secours pour les établis-sementsarabesde laCalabre,sérieusementmena-cés par NicéphorePhocas, général de l'empereurBasile,dont l'armée, tout récemmentamenéed'O-

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268 ATRAVERSL'APULIEETLALUCAN1E

rient, comptaitdans ses rangsl'élite desforcesim-périales. La fleur des guerriers musulmans desnouvelles colonies répondit ù l'invitation de ceprinceet le suivit Santa-Severinasur le Neto,oùNicéphoreles écrasal'année suivante.Diminuésdemoitié par ce départ, les établissementsdu Gari-gliano et d'Acropoli se maintinrent encore plnsd'un quart do siècle. Mais leur condition avaitchangé. Les musulmansquî les composaient,Ara-bes et Berbères, n'étaient plus en forcepour en-treprendre la conquêtedu pays, ni mêmepour ypoursuivrede grandes incursions,de la nature decelles qui leur avaient réussi durant plusieursannées.Leurs coursesn'étaient plus qu'un brigan-dage, qui souventrencontraitune résistanceheu-reuse. Ils semirent à fairelemétierdemercenairesau service des petitsÉtats du voisinage, qui lesemployaientdans leurs querelles et louaientleursservices il haut prix, ducs de Naples, comtes deCapoue,princesde Salernc et de Bénévcnl. L'é-vequo-ducAthanase, en particulier, qui 4'étaitpromplementremisen rapports aveceux, s'en ser-vit ùplusieurs reprises contre Capoueet Salerne,dontleprince,Waifer,étaitsoutenupar dessecoursde l'Empiregrec. Du jour au lendemain,suivant

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ACROl'OLl 269

qu'on les payait plus ou moins, les compagniesd'aventuremusulmanes[tassaientd'un campdansl'autre sans hésitation et sans scrupules.Les mo-tifs des disputes entre les chrétiens leur étaientindifférents,ils n'y voyaientquela soldeet lobutinqu'ils pouvaient en tirer. Le métier était bon etdonnait de grands profits. On avait fini par s'ha-bituer ù la présencedes coloniesd'Acropoliet duGarigliano, et personnene semblaitplus songer ùles extirper. Elles étaient comme une plaie quitendaità devenirchronique.Du reste,il a toujoursété dans le géniedesArabesd'associeret demenerde frontle brigandageet le négoce. Unepartie deceux d'Acropoliexerçait le trafic dans les inter-vallesdes expéditions.Les vaisseauxd'Afriqueetde Sicileapportaient des marchandisesdans leursports, et ils allaient, souscouleurdecommerçantspaisibles,lesproposeren ventedans les villesvoi-sincs, se contentantde cegenred'affairesquandilsne pouvaientpas faire autrement, mais toujours.prêts àse réveillerbanditsquandl'occasions'offraitdo faire un boncoup.AussiSalerne, où ils se pré-sentaientfréquemmentenmarchands,carc'était lagrande ville la plus rapprochée de leur repaire,avait dû interdire qu'ils franchissentsesportes en

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270 ATRAVERSL'APULIE1TLALUCANIE

gardant leurs armes, de peur de quelquecoupdomainde leur part.On m'affirmequ'il existeau château d'Acropoli

unmarbreportantuneinscriptioncoufique,déjà si-gnaléeau siècle dernier par Antonini. La chosemériterait d'être vérifiée, car si le renseignementest exact, l'inscriptionen question serait suivanttoutes les probabilitésun monumentde l'occupa-tion dela villepar les musulmans.On connaît la date précise et les circonstances

de l'exterminationdes Sarrasins du Garigliano.Iln'en est pas de mêmepour ceuxd'Acropoli.Aucunchroniqueur ne mentionne l'année où la ville futreprisesur euxpar leschrétiens.Onsait seulementqu'elle.ne fut pas reconquisepar lesprinceslongo-hardis,mais par la flotte byzantine, probablementpar cellequi coopérail l'expéditiondu Garigliano,car à partir de il y eut pendant quelquetempspaix et allianceenlrel'Empired'OrientétalesArabessur le terraindel'Italie.Quoiqu'il en soit,aumilieudu x"siècle, ConstantinPorphyrogénète enregis-trc Acropoliparmi les possessionsimpérialeset lacomptecommela seule ville appartenantdirecte-ment aux Grecsdans la région où elle était située.C'est probablementsur eux que la conquirent les

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ACROPOLI 271

Normands,qui s'installèrent de bonneheure dansle Cilento, longtemps avant la prise de SalerneLe territoire que Guillaume,l'un des fils deTan-crèdede Hauteville,devenu comte du Principato,s'était taillédès avant 1057aux dépensdelaprince-pauté de Salerneet des Byzantins,s'étendaitpres-que exclusivementle long de la côte. La seigneu-rie qui donna son nomà la famille Sanseverino,d'originenormande,estSansovorinodiCammarotasur la rivièreMenicardo,à l'extrémitéméridionaledu Cilonto,et la vie de saint Pierre Pappacarbone,en racontantun de ses miracles, montre l'auteur,de la famille,Roger, déjà établidans ce fiefentrel060 et i070.L'histoire féodaled'Acropolidepuisla conquête

normande est fort imparfaitement connue. Onsait seulement que la ville fut un temps fief desévêquesde Capaccio,que plus tard, au moins auxv° siècle, elle constitua une des possessionsdesSanseverino, enfin qu'ayant été confisquéesureux elle passa successivement,à partir du xvi"siècle,entre desmainsassez obscures.En dansla croisièreque le terribleKhaïr-

ed-Din, surnommé Barberousse, fit le long descôtes du royaume de Naples en compagniedes

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272 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

galères françaises commandéespar le baron deSaint-Blancard, Acropoli fut prise après San-?Lucidoet Cetraro,et 500deses habitantsemmenéscommeesclaves.Sept ans plus tard, la flotteque-Khaïr-ed-Din, escorté de nouveau de quelquebâtiments français sous la conduite de FrançoisEscalin, baron de la Garde,conduisaità Marseille7pour y coopérerà l'entreprise de Nicé, longeâtescôtesdu Napolitainen y faisant le dégât sur toutesa route. Acropolifut alors une seconde foismisà sac, et ce dernier désastre devint le point dedépart de sa rapide décadence.La montagne qui se dresse au sud du bassin

d'Acropoli, et dont la croupe se prolonge paral-lèlementà lamer, dunord-ouestausud-est,jusqu'àSessa, formant à cette extrémitéle côté droit dela vallée inférieure de l'Alento,porte le nom deMontedélia Stella. C'est à son sommet,l'un desplus élevés duCilento, qu'Antonini plaçait le sitede la ville imaginaire de Petelia, capitale desLucaniens, dont une phrase mal comprise deStrabon a fait rêver l'existence et chercher l'em-placement à tant d'érudits napolitainsdu tempspassé. En réalité cette ville n'a jamais existé. Iln'y a ta qu'une seule Petelia, celle du Bruttium,

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ACROPOLI

t. ii. 18

située auprès de l'actuel Strongoli, et c'est de

celle-ci qu'a parlé Strabon. J'en ai décrit les

ruines dans un autre ouvrage (1). Pour confirmer

sa détermination du site d`une ville inventée,

Antonini a produit toute une série d'inscriptions

apocryphes, au sujet desquelles il est impossible

de croire à son entière bonne foi. C'est ici l'excès

de son patriotisme local qui l'a égaré. Baron de

San-Biagio, il était natif du Cilento et il y avait

ses propriétés patrimoniales. De son temps encore

on était peu scrupuleux sur les moyens d'aug-

menter le lustre historique de sa province; quand

les documents vrais faisaient défaut, on en inventait

de toutes pièces; c'était une vieille habitude, qui

n'avait joué que trop de rôle dans les litiges

judiciaires de la fin du moyen âge et qui avait

passé dans le domaine de l'érudition. On ne la

jugeait pas alors avec la même sévérité qu'au-

jourd'hui. Sous ce rapport la conscience était

moins délicate. Mais la chose vraiment curieuse

est que, tout en se laissant aller à la coupable ten-

tation d'inventer des textes épigraphiques pour

prouver que Petelia était sur le Monte della

i. La Grande-Grèce, t. 1, chap. vu.

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274 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCAME

Stella et que le village de Vatolla, situé dansles parties hautes de cette montagne auprès de

Perdifumo, avait été un vicus antique (1), Antoninin'en est pas moins resté, ce qu'il est toujours,un topographe exact et consciencieux. Il n'a

cherché nulle part à décrire les prétendues ruines

de sa prétendue ville de Petelia, tandis qu'il décrit

fort bien celles de Pœstum et celles de Velia.Les contreforts du Monte della Stella du côté

du sud-est, en s'abaissant graduellement, formentles collines qui viennent mourir au bord de labaie de Velia et qui accompagnent sur la rivedroite l'embouchure de l'Alento. Elles sont par-semées du haut en bas de petits villages parmilesquels ceux d'Ortodonico, de San-Mauro, de

Pollica, d'Acquavella et de Casalicchio sont un

peu plus considérables que les autres. Au sud-

ouest, cette même montagne projette dans lamer le cap qui termine du côté du midi le golfede Salerne, faisant pendant à la Punta della Cam-

panella de l'autre côté. On l'appelle Punta della

Licosa, par une corruption du nom antique de

1. En réalitéVatolla(Batulla)est seulementcité commeunpetit château appartenant aux Longobards,dans une chartede Jean et Guaimar,princes.deSalerne,datéede

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ACROPOLI 275

la petite MeLeucosia (aujourd'hui Isola Plana),simple rocher qui précède la pointe du cap etn'en est séparée que par un canal étroit et peuprofond. L'ilot, suivant Lycopbron, Strabon etPline, devait son appellationà ce qu'il avait étéle tombeau de la Sirène Leucosia. Mais Denysd'Halicarnasse,copiéensuite par Solin, enregistreune autre tradition, qui rattachait l'origine dece nom au cycle de la légende d'Énée, devenuesi à la mode et comme un dogme patriotique à

l'époqued'Auguste.D'aprèscetteversion,Leucosiaou Leucasia aurait été une cousine du héros

troyen, morte pendant sa navigation, à laquelleil aurait donné la sépulture dans l'ile, de même

qu'il élevait à Palinure, son pilote, un cénotaphesur le promontoire qui garda son nom. Il est à

remarquer que Virgile n'a pas donné droit de

bourgeoisie dans son poèmeà la légendede Leu-cosiacommeà cellesde Palinure et deCaieta.Les commentateursanciensdeLycophrondisent

que le promontoire s'appelait Poseidêion, nomdont la formeionique convientbien à une localitédu prochevoisinagede la ville ioniennedeHyélêou Velia, faisantmême suivant.toutes les proba-lités partiede son territoire. Cependantce nomne

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276 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIEse lit chez aucun géographe, et il sembleque lecap lui-mêmeétait pluscommunémentappeléLeu-cosia comme l'île, au moins dans les temps ro-mains.Les terrains du cap sont bien arrosés, cou-verts de vignes et de plantations. On y rencontrepartout des restes de constructions privées del'époqueimpériale,commeaussi sur l'ilot qui faitface.En effetil résultededeuxpassagesdes lettresde Symmaqueque, de son tempsencore,il était debon ton parmi les riches Romains d'avoir desvillasde plaisancedansceslieuxvraimentenchan-teurs. Au point dit ;iarina di San-Marcol'on voitquelquesvestiges d'un petit port antique, auprèsduquel des tombeauxont été plusieurs fois trou-vés en creusant la terre.Au-dessusdu cap, sur un des contreforts de la

montagne,il 3 kilomètres de la mer, est Casteldcll' Abbate, bourg d'environ 2,000 habitants.C'était originairementune petite ville forte, queSaiul-Conslabilc,quatrièmeabbédumonastèredeLa Cava, natif de 'l'resinoprès Acropoli, fit cons-truire en H23 avecleconsentementde Roger, ducde Pouille, pour y rassembler et y mettre il l'abrila populationdu canton voisin, qui, répartie parminceshameaux,était trop à la merci des pirates.

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La nouvelles ville resta tenue féodalement par lesabbés de La Cava pendant toute la royauté desNormands et des Hohenstaufen. Dans la guerrequi suivit les Vêpres Siciliennes, Castel dell' Abbatefut pris en 1286 par les armées de Jayme d'Ara-

gon, roi de Sicile, qui y vint de sa personne en

1289, peu de temps avant de conclure la paix avecCharles II d'Anjou. En 1309, l'abbé de La Cavaobtint du roi Robert une exemption d'impôts, quipermit d'attirer de nouveaux habitants dans laville dépeuplée par la guerre. Le diplôme royalaccordant cette concession nous apprend que Tre-

fiino, Perdifumo, San Magno, Santa Lucia, San

Giorgio, Acquavella, Casalicchio, Li Zoppi, San

Mauro, Scrramczzana et San Primo, tous villagesencore existants aujourd'hui, relevaient de la sei-

gneurie de Castel dell' Abbate. Comme la guerre

qui venait d'avoir lieu avait révélé l'importance

stratégique de cette forteresse, tout en continuant à

appartenir à l'abbaye de La Cava, on nomma un

châtelain royal, qui devait y tenir garnison et fut

investi dans la ville d'une juridiction de policeallant jusqu'au droit de faire donner la bastonnade.

En le Pape Grégoire.XII vendit au roi Ladis-

las Castel dell' Abbate avec Acropoli, Castellam'

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278 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

mare della Bruca, Cetraro et d'autres seigneuriesecclésiastiques dépendant de différents monastèreset évêchés. En 1446, Alfonse d'Aragon donnacette ville à Giovanni Sanseverino, dans la famillede qui elle resta jusqu'en 1552. A dater de ce

moment, jusqu'à l'abolition du régime féodal, la

seigneurie en passa par vente ou par héritage endes mains nombreuses et diverses, dont la succes-sion n'offre aucun intérêt pour l'histoire. En 622,sous la vice-royauté du duc d'Ossuna, les Barba-

resques vinrent attaquer Castel dell' Abbate, maisen furent repoussés. Le territoire de ce bourg estfertile et exporte une assez grande quantité de

produits agricoles, comme, du reste, tout le Ci-lento.La description du bassin d'Acropoli et du Monte

della Stella qui le domine, ainsi que la revue dessouvenirs historiques qui se rattachent à ces lieux,m'ont entraîné assez loin de la route que nousavons suivie en pénétrant dans le Cilento pourgagner le village où nous devions coucher avantde gagner les ruines de Velia, but spécial de notreexcursion et couronnement du voyage que nousavions entrepris à travers l'Apulie et la Lucanie. Ilest grandement temps d'y revenir.

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ACROPOLI 279

L'arête que nous suivons, ainsi qu'il a été dit

plus haut, nous conduit assez rapidement à Oglias-tro, village pittoresquement situé et d'aspect pros-père, dont le territoire produit du vin et de l'huileen abondance. Il ne faut pas plus de deux kilomè-tres pour gagner de là Torchiara, autre village,renommé pour ses figues sèches. Il domine d'uncôté le ravin par où descend un des torrents quidescendent dans le bassin d'Acropoli. De l'autre

côté, vers l'ouest, la vue s'étend sur le chaos des

montagnes dé la partie septentrionale du Cilentoet permet de bien se rendre compte de la consti-tution orographique du pays. Immédiatement au-dessous de Torchiara se creuse le bassin profondet d'aspect sauvage, fermé au nord parl'échine dehauteurs qui va de Finocchieto à Monteforte, dans

lequel les trois sources de l'Alcnto se réunissenten un seul cours d'eau près de Tecerale. Au delàles premières montagnes, richement boisées, sontcelles qui portent Ostigliano, Oria, dont le nom,pareil à celui de villes du pays des Messapiens etde ceux des Danniens de l'Apulie et de la Campa-nie, parait un legs de l'époque des Pélasges, enfin

Giojo, dont l'histoire est absolument inconnue,mais qui, d'après les ruines considérables qu'on y

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280 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

voit, dut être une ville au moyen Age. Au siècle

dernier, il y avait à Giojo un grand monastère de

femmes, où toutes les jeunes filles nobles' du Ci-

lento recevaient l'éducation. A ces hauteurs suc-

cède en arrière la longue crête, notablement plus

élevée et dentelée, qui forme le rempart de la

région et s'étend du nord au sud, depuis Monte-

forte, pays de grande élève des porcs à demi sau-

vages qui se nourrissent des glands de ses bois de

chêne, jusqu'à Angellara, enfouie aussi au milieu

des châtaigniers et des chênes, en passant par

Magjiano, forteresse importante du temps des

Goths, puis siège d'un comté longobard relevant

de la principauté de Salerne, Gorga et Gannalunga.Plus loin encore on arrière se dressent les sommets

nus de la chaîne sourcilleuse des Alburni est du

Monte Cervali, de l'autre côté de laquelle se trouve

le Val di Tegiano. La distance à laquelle ils se

trouvent reculés, fait doviner entre la dernière crête

du Cilento et cette chaîne l'interposition d'une

vallée assez large cachée aux regards. C'est celle

du Calore.

Tout en perdant souvent la vue de la vallée

même de l'Alento, nous gardons toujours cette

grande perspective de montagnes plus éloignées

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ACROPOLI

pendant le trajet qui nous conduit de Torchiara ilRotino, où doit se terminer notre journée et oasera le lendemain notre point de départ pour gagnerVelia. Rotino est un village de 12 à 1,400 âmescomme suspendu sur les précipices de ravins quidébouchent dans la vallée de l'Alento. A peu do

distance, mais plus haut, sur los pentes qui s'é-lèvent vers le Monte della Stella et Perdifumo,où saint Pierre Pappacarbone fonda au xi° sièclole monastère bénédictin de Sant'Arcangelo, rele-vant de celui de La Cava et suivant la règle de

Cluny, se trouvent Lustra et Rocca di Cilento. Cette

dernière localité eut au moyen âge une certaine

importance; on y voit les ruines d'un château bâti

par Galvano Lancia, l'oncle de Manfred. C'est la

patrie de Giacomo Capano, qui construisit en 1347

l'église San-Pietro Marlire de Naples. L'aspectde Rotino est riant et gracieux. L'air d'aisance etde prospérité des maisons, leur propreté, l'ac-tivité des habitants, leur allure laborieuse, tout

m'y rappelle un de nos gros villages de France.Il y a dans la localité un relai de poste, un bu-reau de télégraphe et une brigade de gendarmerie.A leurs travaux de culture les habitants joignentune industrie de vannerie; ils fabriquent, avec des

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282 A TRAVERS L'APULTE ET LA LUCANIE

osiers diversement colorés, de jolis paniers, d'un

gotit original, qui se vendent à une assez grande

distance. C'est, d'ailleurs, le centre d'un commerce

agricole considérable. Un des propriétaire du lieu

a commencé depuis quelques années à mettre en

pratique les procédés d'une vinification perfection-

née-, et les produits qu'il obtient ont été primés ù

l'Exposition universelle de 1878. C'est un vin

rouge, moins chargé d'alcool que ceux de la Cala-

bre et de la Terre d'Olranle.Il se rapproche sensi-

blement de nos plus chauds bourgognes, et pour

ma part je le préfère aux vins rouges de Capri et

des autres localités des environs de Napics. Nul

doute que lorsque l'exemple, qui n'a été jusqu'ici

donné que par un seul propriétaire de Rotino, sera

généralement imité dans la contrée, les vins du

Cilento n'acquièrent une grande réputation et ne

trouvent un débouché considérable à l'étranger. Il

y a là pour cette région une source de richesse assu-

rée si on sait l'exploiter d'une manière intelli-

gente.Nous trouvons à Rotino une petite auberge de

campagne, meublée sommairement et où il n'y a

que trois chambres, plusieurs lits chacune, mais

parfaitement propre, on tout a l'aspect ragoûtant et

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ACROPOLI 283

où la cuisine est acceptable. Les fenêtres donnentsnr un ravin profond, dont la naissance se creuseen amphithéâtre aux parois escarpées et toutes gar-nies d'oliviers; il offre un tableau tout fait pourun paysagiste, et la perspective en prenait quelquechose de particulièrement frappant et un peu fan-

tastique, lorsque, la nuit faite, nous l'avons vu

baigné des clartés d'argent delà lune en son plein,avec lesquelles contrastaient des parties d'ombred'une noirceur intense. Nous étions attendus, etl'on nous fait fête de la façon la plus gracieuse. Le

syndic, le lieutenant de gendarmerie, plusieurs des

principaux habitants, parmi lesquels je dois une

mention spécialement reconnaissante àM.Magnonede la famille de celui qui dans le siècle dernier euttant de polémiques avec Antonini au sujet de l'his-toire et des antiquités de la Lucanie, s'empressentà nous faire accueil et à améliorer notre installationà l'auberge. Ce sont eux qui se chargent de tout

organiser au point de vue matériel pour notreexcursion archéologique du lendemain.Ils nous offrent à notre auberge un repas qu'ils

arrosent des meilleurs vins de leurs caves, et aprèsce repas la conversation se prolonge fort avant dansla soirée. Nous sommes dans la société de patriotes

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

des plus exaltés, qui presque tous ont passé plus oumoins longtemps en prison pour leurs opinions,qui du moins ont été sous la surveillance de la

police, alors beaucoup plus préoccupée des libé-raux que des malfaiteurs, pleine de trésors d'indul-

gence pour les derniers autant qu'impitoyablementsévère pour les premiers, et qui tous ont pris part àla révolution nationale. Ce sont donc les souvenirsdes événements de 1848 à 1860 qui font les frais dela causerie. Les histoires que -nos hôtes nous

racontent, et dans lesquelles ils ont été acteurs,nous font assister à ce que fut dans un coin reculéde province la réaction déchaînée après que le roiFerdinand II eut déchiré la constitution qu'il avait

jurée et rétabli le régime absolu mille traits dedétail nous donnent une idée juste des persécutionsqu'une police aussi inintelligente que tracassière no

dirigeait pas seulement contre ceux qui s'étaient

signalés par leurs opinions libérales et patriotiquesmais encore contre tous ceux qui faisaient preuved'un genre quelconque de distinction, qui deve-naient suspects par cela seul qu'ils avaient dutalent et qu'ils étaient instruits. Ces récits nousintroduisent aussi dans les conciliabules des cons-

pirations mazziniennes, qu'un tel gouvernement ne

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ACROPOLI 285

pouvait manquer de faire naître, et où le désirbien légitime d'échapper à des souffrances qui n'é-

taientque trop réelles, et les plus respectables aspi-rations d'unité nationale et de liberté, se combi-naient avec le goût invétéré des Italiens pour lessociétés secrètes,-avec l'attrait de leurs imagina-tions pour tout ce qui est théâtral. Il y. a quelquechose de profondément triste à repasser ce qui so

dépensa alors de vrai courage et de dévouementdans la machination d'entreprises impossibles,avortées avant d'être même tentées, condamnables

malgré la noblesse du but par les. moyens aux-

quels elles recouraient et par les chefs indignesdont on y acceptait la direction. Elles seraient à

jamais restées stériles si le génie de Cavour n'était

pas venu donner une autre direction aux efforts du

patriotisme italien, qu'il fit sortir du terrain funestedes conjurations pour les transporter sur-celui del'action politique découverte et avouable, les arra-

chant à l'influence d'un sectaire farouche, sans

scrupules et d'esprit étroit, pour les mettre au ser-:

vice de ses grands desseins d'homme d'État; si

bien compris et si bien secondés par son roi. Tout

ceci appartient à l'histoire, et j'écoute avidementles anecdotes instructives et caractéristiques que

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286 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

narrent nos amis de Rotino. Elles m'instruisent etme font comprendre bien des choses, qui jusque-làrestaient obscures pour moi. La politique du jourtient également une large place dans les conver-sations de la soirée, car nous sommes à quelquesjours seulement des élections générales où s'appli-quera pour la première fois la nouvelle loi qui arendu le suffrage presque universel, et naturelle-ment cette perspective préoccupe tous les esprits.En rentrant dans ma chambre, j'observe curieu-

sement la lampe que l'hôtesse y a placée et qui l'é-

claire à peine. C'est un de ces lumignons de forme

antique, où l'on verse l'huile de la même burette

qui sert à faire la salade, monté sur un pied assezhaut dont la forme se rattache aussi à une tradi-tion directe de l'antiquité, le tout en tertre gros-sièrement revêtue d'un émail blanc à dessins dediverses couleurs. La faïencerie populaire produitun abondance les lampes de ce genre dans tout lemidi de l'Italie; elles y sont universellement en

usage chez les paysans. Mais celle que l'on m'adonné à Rotino présente une particularité qui m'in-téresse et que je vois pour la première fois. De

chaque côté du bec où se place la mèche est tracéun grand œil, pareil à ceux qu'on voit près dos

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AGROPOLI 287

anses à l'extérieur des coupes de terre peinte defabrication grecque et étrusque. Cette paire de

gros yeux, destinée à repousser les influencesdu mauvais oeil et du mauvais sort, les anciensHellènes les peignaient également des deux côtésde la proue de leurs galères, et l'on a depuis long-temps signalé, j'ai observé moi-même bien desfois la conservation de cet usage superstitieux de

l'antiquité dans les barques de pèche et les spéro-nares de toutes les côtes napolitaines, de la Sicileet de Malte. Le trou d'écubier y forme la pupilledes yeux placés à l'avant, et sans la protection des-

quels le marin de ces contrées hésiterait à affronterles caprices des flots. Mais on n'avait pas encoreconstaté d'exemple de la conservation de l'emploide la figure talismanique et préservatrice des yeuxsur des produits de la céramique moderne. Il y alà un fait de survivance des pratiques et des croyan-ces des âges du paganisme jusque dans notre siècle,

qui mérite d'être noté. Informations prises, j'aiappris que les lampes de faïence émaillée garniesd'yeux auprès du bec se fabriquaient à Viotri prèsde Salerne, spécialement pour la région d'Eboli etdu Cilento. Dès le lendemain j'en achetais une pourla déposer dans les galeries du Musée ethnogra-phique du Trocadéro. 7

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T. H. 19

VELIA ET SON HISTOIRE

La colonisation grecque dans l'Italie méridionalefut principalement l'œuvre des Doriens et desAchéens. Les Ioniens n'y eurent qu'une part trèsrestreinte. Sur le littoral est de la Grande-Grècedeux cités seules leur durent leur fondation, Siriset Scyllêtion, et toutes les deux, après quelquetemps d'existence, virent leur population ioniennedétruite ott subjuguée par les Achéens de Sybariset de Crotbne.

Cependant c'étaient des marins de race ionienne

qui, les premiers entre les Hellènes, s'étaient misà fréquenter les mers de l'Occident et avaient cher-ché à y fonder des établissements, poussant même

bien au delà de la péninsule occupée par les Œno-trions et les restes des Sicules, allant jusque dans

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290 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

les parages des Tyrrhéniens ou Étrusques pour or-

ganiser avec leur pays des relations commerciale

régulières et suivies. Vers le vue siècle avant l'ère

chrétienne, les Chalcidiens de l'Eubée, alors à l'a-

pogée d'une puissance qui devait bientôt s'écrouler,avaient organisé des expéditions de marine mar-chande vers les contrées de l'ouest, et fondé comme

comptoirs de commerce les deux premières villes

grecques de l'Italie et de la Sicile, Naxos et Cymêou Cumes. Dans cette dernière ils étaient sur le solde la fertile Campanie, Campania felix, comme di-saient les anciens, et presque à la porte de l'Étrnrie,avec laquelle ils trafiquaient activement de ce point,sans s'exposer aux difficultés que la jalousie des

Tyrrhéniens auraient opposées à un établissementsur leurs côtes mêmes. Peu après, afin d'assurerune station à moitié route à leurs navires et de fer-mer le passage à toute concurrence, ils s'étaientrendus maîtres du détroit de Messine en enlevantZanclê (plus tard Messine) aux Sicules et en bâtis-sant Rhègion sur la côte opposée. Cymê assurait sa

position en se couvrant des établissements de Di-caiarchia (Pouzzoles) et de Palàipolis (fondue en-suite avec Néapolis ou Naples), comme de postesavancés.

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VELIA ET SON HISTOIRE 291

Dans leur commerce avec les contrées de l'Occi-

dent, les Chalcidiens étaient surtout des courtiers.La Grèce propre, au vue siècle, était encore singu-lièrement rude et barbare; elle se remettait à peinedu recul qui avait été pour. elle la conséquence del'invasion des Doriens. Toute la fleur de la civili-sation hellénique, alors encore dominée par l'in-fluence orientale dans les choses matérielles, toutel'activité de la production industrielle, étaient con-centrées dans les cités de l'Ionie, qui avaient et

devraient encore garder quelque temps une avanceconsidérable sur le reste de la race grecque. LaGrèce était tributaire de ces cités et recevait d'elles,ou des Phéniciens, tout ce qui exigeait pour être

produit un travail un peu raffiné, soit qu'elles le

fabriquassent elles-mêmes, soit qu'elles le tiras-sent des manufactures de l'Asie Mineure, de la

Syrie ou du bassin de l'Euphrate, alors en pleinéclat, pour le répandre parmi les Hellènes. Les

grandes villes de l'Eubée, Chalcis et Érétrie, dont

les habitants étaient par leur origine de sangionien, entretenaient les relations les plus intimes

avec l'Ionie et l'Éolie, auxquelles elles avaient

emprunté les éléments fondamentaux de leur

système monétaire. Ce sont les marchandises de la

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292 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

côte gréco-asiatique, fabrications locales ou ar-ticles amenés de l'intérieur de l'Asie, que leursvaisseaux transportaient à Cymê (Cumes) et enÉtrurie.Mais les habitants des florissantes cités de l'Ionio

étaient marins aussi habiles et aussi hardis quefabricants industrieux. Phocée et Milet, en parti-culier, brillaient au premier rang dans la carrièredes navigations commerciales. Dès le vue siècle,les Milésiens avaient couvert de leurs coloniestoutes les côtes du Pont-Euxin et s'étaient assurésle monopole du commerce de cette mer, où abou-tissaient les routes de caravanes qui apportaientune foule de marchandises précieuses, l'ambre dela Baltique, les pelleteries du pays des Scythes,l'or de l'Oural, l'acier des Chalybes, le lapis-lazulide la terre des Saspires. Aussitôt que Psamétik,dans le vie siècle, eut ouvert l'Egypte aux Grecs,ce furent aussi les Milésiens qui en accaparèrentpresque entièrement le négoce et finirent par yfonder la ville de Naucratis. Il était impossiblequ'ils ne cherchassent pas un moyen d'atteindre

par eux-mêmes les marchés si avantageux de

l'Italie, comme ils fréquentaient ceux de la Grèce

propre, de vendre directement aux Tyrrhéniens et

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VELIA ET SON HISTOIRE 293

de s'affranchir du tribut payé à la marine dea Chal-cidiens dans leurs relations avec l'Occident.

Mais c'était chose difficile et périlleuse, dans ces

lemps reculés, que de naviguer directement d'AsieMineure jusqu'en Éirurie. Sans doute on n'en était

plus à cet âge où les dangers de Scylla et de Cha-

rybde, grossis par l'imagination populaire jusqu'àdevenir des fables comme celles que nous lisonsdans l'Odyssée, faisaient trembler de terreur les

plus intrépides matelots. Mais la traversée n'enétait pas moins longue, dangereuse et au-dessusde ce que pouvaient faire la plupart des navires de

l'époque, capables seulement d'un cabotage tou-

jours en vue des côtes, où l'on cherchait un abri

sitôt que le temps devenait trop mauvais. Surtout

Je commerce de ces Ages avait toutes les allures dela piraterie, à laquelle ne s'attachait alors aucun

déshonneur, -bien au contraire; à tel point quenous possédons des traités gravés sur bronze etconclus entre deux villes grecques pour écumerles mers à frais communs. La pratique et mêmeles principes reconnus du droit maritime, étaientla barbarie pure. On admettait généralement

comme chose légitime qu'une cité qui s'était miseen possession du commerce, de mer avec un pays

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294 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

étranger en exclût tous concurrents et que, si sesvaisseaux rencontraient sur leur route ceux d'uneautre cité ou d'une autre nation, entreprenant lamême navigation, ils leur courussent sus et lescoulassent sans merci. Si les Chalcidiens s'étaientsaisis des deux rives du détroit de Messine, c'était

pour en fermer le passage à tout autre qu'eux, etceux à qui ils interceptaient la route ne pouvaientsonger à doubler la Sicile par le sud, car ils yauraient rencontré les mêmes dangers de la partdes Carthaginois établis à Diélitê (Malte), Gaulos

(le Gozzo) et Cossyra (Pantellaria).Encore n'était-ce là que le premier des obstacles

que rencontraient les tentatives de navigation dansl'ouest de la Sicile. Si les Chalcidiens veillaientavec un soin jaloux à écarter la concurrence desautres Hellènes dans cette -carrière, pour eux-mêmes les expéditions jusqu'à leur colonie de Cymêétaient extrêmement périlleuses et devaient revêtirun caractère' presque aussi guerrier que commer-cial. Le vaisseau qui dépassait le détroit de Mes-

sine, pour traverser la mer des Tyrrhéniens, devaitêtre prêt à combattre au besoin pour sa sécurité,et n'était rien moins que, sûf-de pouvoir atteindreson but ou en revenir. Non seulement il y rencon-

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VELIA ET SON HISTOIRE 295

trait les Carthaginois, ces ennemis nés desHellènes,mais les Tyrrhéniens eux-mêmes, qui 'possédaientune nombreuse marine et comme pirates s'étaientfait un nom justement redouté. Carthaginois et

Étrusques prétendaient au monopole exclusif des

mers situées à l'occident de la Sicile. Ils avaientsouvent des querelles entre eux, surtout pour la

possession de la -Sardaigne et de la Corse, à la-

quelle ils aspiraient également. Mais quand il

s'agissait des Grecs, de leur interdire l'accès de lamer Tyrrhénienne ou de les en expulser, l'intérêt

commun les conduisait immédiatement à unir leurs

efforts. Les colons hellènes des Iles Éoliénnes

eurent ainsi fréquemment à repousser leurs atta-

ques.Les Milésiens ne se soucièrent pas d'affronter ces

périls. Ils se préoccupèrent donc de trouver une

combinaison qui leur permit d'aller en Italie et de

commercer directement avec les Étrusques, sans

éveiller leur jalousie sur le chapitre du monopolede la mer Tyrrhénienne, sans se lancer dans les

risques de la navigation de cette mer. J'ai exposéailleurs avec détail comment ils y réussirent parleur alliance avec Sybaris, récemment fondée,

grâce à la façon dont cette cité profita de sa situa-

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2fXi A TRAVERS L'APULIG ET LA LUCANIE

lion sur un étranglement de la partie méridionale

de la péninsule italienne, presque un isthme res-

serré entre deux golfes, pour y organiser un com-

merce de transit entre la mer Ionienne et la mer

Tyrrhénienne. Les Milésicns abordaient au port

des Sybarites sur le golfe de Tarente et y dépo-

saient leurs marchandises; les Étrusques faisaient

do même au port situé sur l'autre mer, près de

l'embouchure du fleuve Laos. Les Sybarites se

chargeaient du transit par terre d'un rivage il

l'autre, et leur cité était a la fois l'entrepôt où se

concentraient les marchandises de l'Ionie et de

l'Étrurie, et le marchG où s'en opérait l'échange.

Hellènes et Tyrrhéniens, chacun restait ainsi sur

son domaine; aucune des deux parties n'empiétaitsur la mer dont l'autre se réservait la possessionexclusive. Entre ces deux domaines jalousement

gardés, Milésiens et Tyrrhéniens se rencontraient

sur un terrain neutre et intermédiaire, où ils trafi-

quaient. Sybaris était comme la foire permanenteouverte à leurs opérations.Les Phocéens furent plus aventureux. Ils s'en-

hardirent a aller naviguer par-delà l'Ile de Sicile,

bien plus loin dans l'oueslque n'avaient osé les Chal-

cidiens a l'époque de leur plus grande puissance.

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VKMACTSONHISTOIRE 297Affrontantl'hostilitédes Carthaginoiset des Tyr-rhéniens,ilspoussèrentjusquesur les côtesdel'Es-pagneméridionale,habitéespar Ie peupledesTar-lesHiens.Depuis plusieurs siècles les Tyriens,quidésignaientcettecontréepar le nom doTarschich,bienconnudansla Bible, s'en étaient faitsune vé-riUibleferme, dans l'exploitationde laquelle ils nesouffraientpas de rivaux; et quand des désastresde guerre curent abattu la prospéritéde Tyr, quine se releva pas du long siège que lui Ht subirNubou-koudourri-ouçourde Babylone, ce furentles Kenftnécnsoccidentaux,les Carthaginois,quirecueillirentcette portionde l'héritagede leur an-ciennemétropole.Vers640, un marin de Samos,dunomdeColéos,ayantétéentraînépar la tempêtedans ces régionsdontles Hellènesneconnaissaientle nom que d'une manièrevague et de réputation,abordaaux rivages desTartessicns,età sonretour.révélale secret de la route qui y conduisait,jus-que-la soigneusementcachée par la jalousie desTyriens. Ses récits sur la fertilitéde la vallée duUaitis,sur laprospéritécommercialedela villephé-nicienne de Gadis (Cadix)et sur les trésors desminesd'argent du pays do Tarschisch, surexcitt-rent prodigieusementles imaginationset les con-

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298 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

voitises des Grecs de l'Ionie. Ce pays lointain de-vint pour eux, dans les dernières années du vin"

siècle, un véritable Eldorado, que leurs navigateurss'efforcèrent d'atteindre, et ce furent surtout lesPhocéens qui s'engagèrent dans cette voie.En 600 av. J.-C., un marin de Phocée, nommé

Euxèno, cherchant la route d'Espagne, vint tou-cher aux rivages de la Gaule méridionale, non loinde l'embouchure du Rhône, dans le pays des Ségo-hriges. Reçu amicalement par Nannos, chef du

pays, il épousa la fille et fonda la ville de Massalia

(Marseille). Deux ans après, un nouvel essaim de

colons, conduit par Prôti.9, vint rejoindre Euxène,et Massalia se trouva dès le début une cité considé-rable et populeuse. En 578, d'autres Grecs d'Asie

Mineure, mais de race dorienne, les Rhodiens etles Cnidiens, tentant de suivre la même route,abordèrent sur la côte septentrionale d'Espagne etbâtirent Rhoda (aujourd'hui Rosas).Toute l'activité des Massaliêtes se dirigea vers la

Bétique, où ils espéraient supplanter les Phéni-ciens. Ils profitbrent de la catastrophe de Tyr et dela révolte dos habitants de la Bétiquo contre les co-lons Konànéens. Arganihônios, roi des Tartes-

siens, les accueillit alors avec une faveur marquée

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VELIA ET SON HISTOIRE 299

et leur ouvrit les marchés de son pays. Bientôt, ilest vrai, quand les Carthaginois furent venus ansecours de Gadis et eurent repris les anciennes

possessions tyriennes, ils se virent fermer la val-lée du Baitis. Mais ils ne cessèrent pas pour celade commercer avec le midi de l'Espagne, et sur lacôte des Bastules, tout auprès de la phénicienneQartheya, ils fondèrent la ville de Moinacé.Le grand trafic de Phocée, qui était alors avec

Milet la première cité de l'Ionie, se dirigea désor-mais vers Massalia et les établissements massa-liétes. Une nouvelle colonie phocéenne, Emporiai(aujourd'hui Ampurias), s'éleva sur le littoral dunord de l'Espagne, auprès des Pyrénées. En G56,les Phocéens, voulant assurer une station et un

port de relâche à leurs navires entre la Sicile et

Massalia, fondèrent sur la côte orientale de l'Ile de

Cyrnê, c'est-à-dire de la Corse, dans une situation

particulièrement favorable, la ville d'Alalia ou Ale-

ria, d'où ils commandaient toute la mer Tyrrhé-nienne et le golfe de Ligurie. Vers le même tempsils s'établissaiont aussi sur le littoral même de l'É-

trurie, à l'embouchure de l'Arnus, où ils fondaientPisa.Si les Phocéens réussirent si heureusement dans

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300 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

ces expéditions, c'est qu'ils étaient favorisés par la

bienveillance des anciennes colonies chalcidiennes,dont l'alliance intime avec eux est attestée partoute une série de faits. A l'époque où ils se mirentà fréquenter les routes de l'ouest, les colonies deChalcis avaient cessé d'être soutenues par leur mé.

tropole, désormais déchue de sa primitive splen-deur. L'Eubéc était tombée sous la domination

d'Athènes, qui n'était pas encore en mesure de

prendre l'héritage maritime des ChalcidienR. Zan-

clê, Rhêgion et surtout Cymê se trouvaient ainsidans un isolement qui auraient pu leur devenir fu-

neste, si d'autres Grecs'n'étaient pas venus fré-.

quenter leurs ports, les appuyer et maintenir leursrelations avec le reste de la race hellénique, et par-mi les concurrents qui se présentaient pour ce rôle

fructueux, ils avaient donné,la préférence à des

Ioniens; à cause de la parenté de sang. Mais cette

parenté n'aurait pas servi aux Phocéens, si Chalciset Érétrie avaient été encore puissantes et capablesde suffire par elle-mêmes au commerce avec leurscolonies.Mais au moment même où Phocée parvenait au

point culminant de la prospérité que développaitchez elle le succès de ses entreprises de commerce

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VELIA ET SON HISTOIRE 301

et de colonisation dans les contrées les plus recu-lées de l'Occident, son existence même fut subite-ment atteinte par un désastre dont elle ne devaitjamais se relever. Après avoir détruit lamonarchiedes Lydiens, le roi de Perse Kourous, que nousavons pris la mauvaise habitude de désigner sousle nom de la forme latinisée de Cyrus, entreprit lasoumission des cités grecques dont la chaîne inin-

terrompue garnissait tout le littoral ouest de l'AsieMineure. Il avait confié cette tâche à un de ses

généraux, que les Grecs appellent Harpagos. Celui-ci vint en S42mettre le siège devantPhocée.Les Phocéens résistèrent à outrance, mais fina-

lement ils en vinrent à la nécessité de cède* Ils

prièrent alors Harpagosde retirer momentanémentses troupes pendant qu'ilsdélibéreraient sur les con-ditions de capitulation qu'un leur avait proposées.Profitant de ce répit, ils lancèrent leurs vaisseauxà la mer, y firent monter les femmes, les enfants,

placèrent au milieu d'eux les staturesde leurs divi-

nités, et liront voile vers Chios. Arrivés dans cette

ville, ils voulurent acheter aux habitants les tles

Oinussai; mais ceux-ci redoutant pour leur com-

merce le voisinage d'un peuple actif et entrepre-nant, repoussèrent la demande. Les fugitifs repri,

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302 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

rent la mer et se retirèrent dans les contrées de

l'Occident, partie à Alalia, partie à Massalia. Avantde s'éloigner pour toujours de l'Asie Mineure, ilsrevinrent à Phocée, surprirent la garnison que les

Perses. y avaient installée et l'égorgèrent. Puis,,faisant les plus terribles imprécations contre ceux

qui se sépareraient de la flotte, ils jetèrent dans lamer une masse de fer rougie au feu, jurant de ne

pas retourner à Phocée avant que cette masse nerevint sur l'eau telle qu'ils l'y avaient jetée. Pour-

tant, au moment du départ, la moitié du peuplesentit sa constance fléchir et resta dans la ville.Le reste fit voile vers les mers de l'ouest.Grâce à cette émigration, la chute de la mère

patrie de l'Asie,Mineure; au lieu d'ébranler les éta-blissements phocéens de l'extrême Occident, aug-menta encore leur importance. ,De colonie Massaliadevint métropole, et Alalia aussi se transforma

brusquement en une grande ville. Les Massaliêtes,dont la population était largement accrue, sevirent en mesure de créer de nouvelles colonies

pour faciliter et protéger leur commerce. Sur lacôte d'Espagne, entre Emporiai et Môinacê, ilsbâtirent Hêméroscopion et Alônis. Au. pied durevers- gaulois des Pyrénées, dans le Ronssillon

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VELIA ET SON HISTOIRE 303

actuel, ils édifièrent Pyrènè (aujourd'hui Elne),après avoir ruiné la ville de Ruscino (aujourd'huiCastel-Roussillon, près de Perpignan), dont lenom indique assez clairement l'origine kenâ-néenne, et qui avait été l'échelle où les Tyriensd'abord, puis les Carthaginois, allaient chercherles riches produits miniers de la région des mon-

tagnes, particulièrement ceux des lavages d'ordes tables de l'Ariège (Auraria), alors d'un revenuconsidérable. Leur flotte battit les Carthaginoisdans plusieurs rencontres, et acquit pour quelquetemps une supériorité marquée dans ces mers.Le commerce si fructueux de l'Espagne mena-

çait donc de passer tout entier entre les mainsdes Massaliêtes et des autres émigrés de Phocée.C'était pour les Carthaginois un intérêt de premierordre que d'arriver à éteindre cette concurrence.Ils devaient faire les plus grands efforts pourruiner la puissance des colons phocéens, encoreà leurs débuts, et pour effacer de la carte leursétablissements. Pour cette entreprise ils trouvèrentdes auxiliaires naturels dans les Tyrhéniens del'Étrnrie maritime qui nourrissaient une profondejalousie contre les Phocéens d'Alalia et de Pisa,car ceux-ci les gênaient dans leur commerce et

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30f A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

dàns leurs pirateries, et menaçaient de leur enlever

là suprématie sur les mers ou ils avaient jusqu'a-lors dominé.En 536 une flotte nombreuse d'Étrusques et de

Carthaginois coalisés se présenta devant Alalia,

tandis que Pisà, assaillie par ses voisins, suc-,combait sous leurs coups. Les Phocéens sortirent

à la rencontre de la flotte, et une grande bataille

navale, la première que l'histoire enregistre dans

la partie occidentale de la Méditerranée, fut livrée

dans les eaux de la Corse. Les Phocéens y furent

complètement défaits, perdirent 40 vaisseaux sur

60 qu'ils avalent engagés, et bientôt reconnurent

l'impôssibilité de se maintenir dans Alalia. Ils

abandonnèrent donc la ville, dont les Carthaginois

prirent possession. Une partie d'entre eux se retira

à Màssalia. Le plus grand nombre, assez pourformer la population d'une ville considérable,chercha un refuge à Rhègion, dont les habitantslés acéueillirent avec empressement et sympathie.Cependant les Rbêgiens jugèrent qu'au lieu de

garder les émigrés Phocéens dans leur proprecité, il y avait avantage dé leur procurer en Italie

un nouvel établissement, de les aider à fonder uneville distincte, que leur nombre permettait de

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VELIA ET SON HISTOIRE 305

T. il. 2q

faire dès-ses débuts assez respectable pour qu'elleeût chance de se maintenir et de prospérer. Ils luichoisirent pour emplacement l'embouchure dufleuve Halês, à l'extrémité septentrionale de la côtede l'Œnotrie sur la mer Tyrrhénienne, entre le

golfe de Poseidônia. et celui de Laos, autrement

dit, pour employer les dénominations actuelles,le point du Cilento où la rivière Alenlo se déchargedans la mer, entre le golfe de Salerne et celui dePolicastro. La nouvelle cité ionienne devenaitainsi un poste intermédiaire de relâche et de prao-tection sur la lignes des communications mari-

times, qu'elle contribuait à assurer, entre lesétablissements Chalcidiens, c'est-à-dire Ioniensde Rhêgion et de Zanclê, d'une part, de Cymè etdes villes qui en dépendaient, d'autre part. Dansla série des villes helléniques installées sur lelittoral ouest de la Grande-Grèce, elle s'interposaitentre les deux colonies les plus septentrionalesqui eussent été fondées de ce côté sous les auspiceset lia suprématie de Sybaris, Poseidônia par lesTrézéniens et Pyxus par des Achéens.Le canton où fût fondée cette nouvelle cité était

occupé, nous dit-on formellement, par les PélasgesŒnolriens, dont le nom, se conserva dans celui

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A TRAVERS ,L'APULIE ET LA LUCANIE

des lles Œnolrides, situées dans le plus prochevoisinage. Le fleuyie&côté de l'embouchure duquelfut choisi son emplacement est appelé. par lesécrivains grecs et latins Halés pu Èleès; dans labasse latinité son nom devient Alenlus, Alentosous sa forme actuelle. Si l'on tient compte deslois régulières de transformation de l'onomastiquedes lieux dans l'Italie méridionale, on arrive àrestituer avec certitude un nom indigène primitifHaletas, qui otire- la désinence et la physionomiehabituelle de la majorité des noms pélasgiquesdan» l'extrémité sud de la péninsule italienne, nonseulement chez les Ménoapiens et les lapygiens,mais aussi chez les Œnolriens, où nous trouvons,comme noms de villes, Krymoeù, Vraloeis, Forets,Pyxoeis, devenus en latin.GrumentiErri, Fratzientum.,Ferentum, Buxentum, et comme noms de fleuvesKazoeis et Traeis, transformés en Casuenius etTraenlus.Le site même de la ville était désigné par un

nom qu'on affirme avoir signifié « le marais. » Laforme italiote et latine en est Velia, terme qui a

bien, en effet, ce sens dans le lalin antique et cor-

respond au grec elos. La forme éolienne et doriqueprimitive de elos était velos, écrit avec le digamma

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VELIA ET SON HISTOIRE 307

pour initiale. Si les colons qui, fondèrent la villeavaient été des Doriens ou dés Achéens, elle auraitété appelée on grec aussi Velia ou Velea, qui. seraitdevenu plus tard Elea. C'est, en effet, ainsi qu'ellefut le plus habituellement désignée en Grèce,; lesAthéniens, en particulier, ne l'appelaient pas autre-ment qu'Éléa, et l'on prit la coutume de qunlifierd' « école, éléate » l'école de philosophie qui se

développa dans cette ville. Mais les Ioniens, qui la

construisirent, n'avaient pas le digamma dans leur

alphabet pour représenter te son du -V.Ils adoptè-rent donc, pour transcrire la vieille appellationindigène,, qu'ils conservaient, une forme toutedifférente, Yelê ou Hyele. Les monuments numis,-

matiques attestent que tant que la ville demeura

purement grecque celte forme de nom fut la seule

qu'admirent'ses habitants, s'intitulant eux-mêmes

Hyélètes.Les ruines qui, subsistent encore sur l'em-

'placement de Hyélê-Velia, et que je décrirai endétail un peu plus loin, attestent que dès avantla colonisation phocéenne de 536 ou il yavait la, sur la hauteur qui devint ensuite l'acro-

pole, une petite ville fortifiée. Probablementc'étaient les Œnolriens qui l'avaient fondée et

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A TRAVERS L'APÙUE ET LA LUCANIE

qui la détenaient. Peut-être aussi, cependant,y avait-il déjà dans cet endroit un établissement

plus antique, mais restreint, des Phocéens. Carcertains écrivains, s'écartant des dires d'Hérodoteet d'Antiochos de Syracuse, que nous avons

suivis, prétendent que Velia fut fondée en même

temps que Massalia et que les réfugiés expulsésd'Alalia ne firent qu'agrandir la ville, au lieud'en être les premiers fondateurs.

Quoiqu'il en soit, il se produisit autour de

Hyélê la même chose que partout ailleurs oùles Œnotriens se trouvèrent en contact avec lesGrecs. Tout atteste que ces Œnotriens étaientun peuple singulièrement doux, pacifique, étrangeraux choses de la guerre et incapable d'une sérieusedéfense. Ils étaient en outre des Pélasges, c'est-à-dire avaient une étroite affinité de race avecles Hellènes, affinité qui avait déjà peoduit danscertaines parties de la Grèce, comme l'Attiqueet l'Arcadie, une fusion complète entre les deuxéléments pélasgique et hellénique, Ils prétendaienteux-mêmes être venus du Péloponèse, et parconséquent ils devaient être disposés à voir, dansles colons qui arrivaient des contrées grecques,dé proches parents, presque des frères, qui leur

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VELIA ET SON HISTOIRE

apportaient une culture plus avancée que celle

qu'ils avaient due antérieurement à la dominationdes Sicules. Toutes ces causes réunies furent

qu'ils se soumirent de bonne grâce, et pour ainsidire spontanément, à la suprématie des villes

helléniques établies sur leur territoire. C'est pres-que sans efforts et par un mouvement naturel

que celles-ci devinrent en peu de temps les capi-tales de véritables empires territoriaux. Les tribusœnotriennes reconnaissaient dans les Grecs des

protecteurs et des civilisateurs, dont elles sefaisaient volontiers les clientes, s'aggrégeant àleurs cités par le lien d'une sorte de confédérationdont elles leur remettaient la présidence et ladirection.Les Phocéens de Hyélê, sur la côte où ils

vinrent s'établir, avaient été précédés de plusd'un siècle par la colonisation achéo-dorienne,développée sous les auspices de Sybaris et relevantde son hégémonie. Le territoire où ils pouvaientétendre leur intluence et leur,suprématie était

donc a l'avance fort restreint. Les. Trézéniens,vassaux de Sybaris, occupaient Poseidônia. Si

l'attribution proposée. par le duc de Luynes pour,une monnaie incuse fort énigmatique est exacte

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310 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

et la.Chose ne manque pas de probabilité -les

Achéens, au nord de Pyxus, avaient fondé desétablissements ün peu moins importantes au portvoisin du cap Palinuros et à Molpu. Mais aucun

indice ne permet de supposer qu'il eussent prispied dans le Cilento proprement dit. On est mêmeen droit de penser que c'est parce qu'ils ne s'étaient

pas rendus maîtres de ce canton que les Phocéenseurent l'idée de s'y établir. Sans doute, malgrél'affinité des Œnotriens pour les Hellènes, ceuxdu district qui est aujourd'hui le Cilento, couverts

par le rempart continu des crêtes qui l'environnentdu côté de terre, étaient parvenus à se maintenirdans une entière indépendance. Ils accueillirentfavorablement les nouveaux colons qui venaients'établir chez eux, se soumirent facilement à leur

suprématie, et le rempart naturel qui les avait misà l'abri des Achéens devint la limite du champouvert à l'action politique des Hyélêtes.Ceux-ci étaient en droit de se considérer comme

n'empiétant pas sur le domaine des autres Hellènes.Mais Sybaris, encore à ce moment florissante et en

possession d'une puissance extraordinaire, étaitd'une jalousie féroce contre tout établissement quise fondait dans le voisinage do son empire, surtout

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VELIA ET SON HISTOIRE 311

quand il s'agissait d'établissement des Ioniens.Elle avait déployé un acharnement sauvage et unecruauté révoltante dans l'extermination des habi-tants ioniens de Siris, fondée par des réfugiés de.

Colophon. Voyant dans la fondation de Hyélê parles Phocéens une usurpation sur leurs domaines,les Sybarites résolurent de les châtier, en leurfaisant subir le même traitement qu'aux Ioniensde Siris. A peine fondée, la nouvelle ville se vitdonc en butte de la part des Achéens à une guerreacharnée, qui avait l'expulsion de ses habitants

pour objectif. Elle se prolongea quelque temps,car les Poseidôniates, ainsi que je l'ai dit un peuplus haut, la continuèrent même après la ruine deleur grande métropole. Les Hyélêtes parvinrent àen sortir vainqueurs, assurés d'être désormaislaissés en paix par leurs voisins grecs. La chute de

Sybaris, qui eût été leur ennemie la plus redouta-ble, dut contribuer à ce résultat. Mais surtout iltint aux conditions favorables du site où ils s'étaientétablis. Lorsqu'on est sur les lieux, on comprendfacilement à leur aspect le privilège par lequelHyélê-Velia parvint résister à toutes les attaquesviolentes dont elle fùt l'objet, même de la partd'ennemis qui subjuguèrent les autres villes grec-

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312 A TIIAVKHS l/Al'UUK ET LA LUCANE

que». Le Cilenlo qui t'environne forme une véri-table forteresse naturelle, dont la muraille demontagnes était impossible forcer si elle étaitdéfendue par des gens de cœur. Cette lutte desdébuts même de son existence contre les Achéens,et particulièrement les l'oseidrmintos, conduisit

JJyélè à nouer des liens d'étroite alliance avec

Cymè et les villes cluien dépendaient. Une courte

navigation cloublanl la péninsule d'Amalli l'on sé-

parait seule. Cyméens et Jlyélètes étaient égale-ment de sang ionien, les uns provenant de i'Eubee,les autres de l'Irmie, Il devait donc y avoir entreeux amilié naturelle, et la communauté des intérêtleur commandait de se confédGrer pour repousserles entreprises dont pouvaientlesmenacer lesGrecsd'autre race ou les indigènes italiotes, tels queIeK

étrusques qui commençaient à se montrer dans la(îumpariie, et Ies nouvelles tribus sabelliques quise formaient il l'abri des montagnes du Samnium.•Slruhonprétend que les gens do llyélè « étaient

contraints par la stérilité de leur territoire de selivrer a la navigation, et de vivre du fruit de lourspèches, de leurs salaisons et d'autres travaux som-blables. Il y a dans cette donnée à la fois une inexac-titude considérable et unfait réel. On a pu le voir

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VKLIASON MISTOII4K 3i:i

quand j'ai essayé «ledéfinir les caractères do la

région du Cilento, lc territoire de Hyéte-Vetian'était aucunement stérile d'autres écrivains an-ciens vantent, au contraire, sa fertilité, et ce sontceux-là qui sont dans le vrai. Mais ce territoireétait nécessairement restreint, et surtout les ttyéléles, parles conditions historiques dans lesquelless'était fait leur établissement, ne pouvaient nourrir

l'espoir de su former un empire continental commecelui de Tarente, de Sybaris, de Croton(,-ou doLocres. Ils durent en conséquence tourner leurs

principaux efforts vers la carrière maritime, iL

laquelle les aptitudes naturelles de leur originephocéenne les rendait éminemment propres, aussibien que leurs frères de Massalia. Les pêcheriesde leurs eaux étaient, comme ollox le sont encore

aujourd'hui, exceptionnellement poissonneuses et

productives aucune ville no se trouvait en parti-culier mieux située pour tirer parti des passagesde thons, Ils se firent pécheurs et marchandHde

salaisons, comme beaucoup d'autres Grecs; ilss'adonnèrent également au commerce de mer etdans celle double carrière ils parvinrent il gagnerde très grandes richesse.Fondée, non par une petite troupe de colons

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314 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

commela plupart des villes grecques d'outre-mer,mais,par une émigration en masse, à laquelle avaitpria part près de la moitié de la population d'unedes plus grandes cités qu'il y eut alors dans lemonde hellénique, Hyélê, dès sa naissance, fut uneville considérable et populeuse. L'énorme dévelop-pement do sa richesse pendant le vu et le m°siècleest attesté par l'abondance do ses belles monnaies

d'argent, domême que l'étendue de son commercepar la façon dont on les trouve répandues en quan-tité dans toutes les parties du midi de l'Italie. Ce

monnayage, comme celui de Massalia, a pour typepresque constant sur le revers le lion, qui était déjàl'emblème de Phocée. Il débute avec la fondationmême de la ville et se continue jusqu'à l'époque oùRome, après la prise de Tarente, interdit lafabrication de toutes espèces de monnaies d'argentautres que les siennes propres dans l'étendue dol'Italie.Les monnaies d'argent de Hyélê-Velia donnent

la plus haute idée du degré de développement etde perfection où les arts étaient parvenus dans cetteville. Celles de la première moitié du iv*siècle, en,

particulier, sur lesquelles on lit plusieurs signa-tures de' graveurs, dont les plus habiles sont Cleu-

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VELIA ET SON HISTOIRE 315

dôros et Philislion comptent au premier rangparmi les aeuvres les plus parfaites des monhoyersde l'Italie grecque. Elles sont à mettre de pair avecles monnaies de Syracuse et de certaines autrescités de la Sicile. Les monuments numismatiquesattestent, du reste, dans le silence des historiens,qu'au iv- siècle les relations demeuraient étroitesentre Hyélê et Massalia, sa sœur d'origine. Dansce siècle, à plusieurs reprises, quand la cité pho-céenne du midi de la Gaule, qui, plus reculée dansl'ouest, avait moins defacilités et d'occasions de se

retremper aux sources do la vie grecque, vit lescoins de ses monnaies s'altérer et tourner à la bar-barie, elle s'adressa pour réformer et régénérerses types à des graveurs qui travaillaient à Hyélêou pour cette ville.

Hyélê-Velia ne tient pourtant pas une place pré-pondérante dans l'histoire générale de l'art helléni-

que. On ne cite aucun artiste célèbre, ni sculpteur,ni peintre, qui en ait été originaire. Il n'y a pas eud'école propre à cette cité. Son rôle, au contraire,est capital dans l'histoire du développement intel-lectuel et philosophique des Grecs. Une des plusimportantes et des plus anciennes écoles de philo-sophiearris naissance à Hyélè, ou commedisaient

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3i6 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

les autres Grecs à Élée, presque aussitôt aprèssa fondation, et s'y est perpétuée pendant plusieursgénérations. Je ne m'arrête pas en ce mo-ment, du reste, à parler des philosophes qualifiésd'éléates; j'y reviendrai dans un chapitre spé-cial avec les développements que ce sujetcomporte.Actuellement, où c'est.l'histoire politique de

Hyélê qui m'occupe, je me bornerai à noter que les

philosophes de cette ville eurent une influence heu-reuse et considérable sur sa constitution. Le plusgrand d'entre eux, Parménide, au commencementdu vesiècle, avait donné à sa patrie un code delois,que chaque année les magistrats, en entrant en

charge, juraient d'observer. Ces lois restèrent en

vigueur tant que la ville se régit d'après des insti-tutions nationales. Et elle leur devait d'être citéecomme un modèle de république bien organisée,paisible et généralement à l'abri des troubles. L'ob-servation de ces lois eut pourtant quelques éclipses.Ellés ne parvinrent pas toujours à préserver Hyélêde l'établissement de la tyrannie, que les passionsdémocratiques favorisaient si souvent dans lesvilles grecques et qui avait fini par devenir uneinstitution régulière dans une partie de celles de

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VELIA ET SON HISTOIRE 317

la Sicile. Onraconte, en effet, que dans la secondemoitié du ve siècle le philosophe Zenon, disciplede Parménide, fut mis à mort pour avoir conspirécontre un tyran, que les uns appellent Néarchos etles autres Diomédon.De même que les villes chalcidiennes de Rhê-

gion, de Cymê et de Néapolis, Hyélê, par suite deson origine ionienne, se jeta à corps perdu dans lecourant de la politique d'Athènes, à l'époque oùcelle-ci tourna ses vues vers l'Italie, lors de la fon-dation de la grande colonie de Thurioi. Elle futalors du nombre desvillesgréco-italiques qui, pourmanifester leurs tendances et le parti qu'elles em-brassaient, adoptèrent la chouette d'Athènes pourtype d'une partie de leur monnaies. C'est à partirde ce moment aussi qu'elle mit sur toutes ses es-

pèces, comme effigie de divinité protectrice, la têted'Athêna, à la place de celle de la Sirène Leucosia,qui jusqu'alors les avait décorées. Même après ledésastre des Athéniens devant Syracuse, Hyélên'adhéra jamais à la ligne péloponésienne et s'abs-tint de prendre part aux hostilités contre la glo-rieuse cité dans laquelle le génie des Ioniens se per-sonnifiait sous sa plus belle expression. Le Péripleabusivement mis sous le nom de Scylax,mais com-

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318 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

posé au commencement du ivc siècle, désigne Éléa

ou Hyélêcommeayant reçu une eolonie-deThuridi.Sans doute elle avait offert Un asile auxhabitantsde cette ville d'origine athénienne ou partisansd'Athènes, qui en avaient été bannis par le parti pé-loponésien, à la suite de la révolution aristocra-tique et antiathénienae que le Rhodien Dôrieusprovoqua à Thurioi, sur la nouvelle dés événementsde Sicile. Hyélé s'honorait ainsi en restant fidèledans la défaite il:la cause qu'elle avait embrasséequand celle-ci était victorieuse.Survint bientôt après l'invasion des Lucaniens

de race sâbellique. En peu d'années, tout en s'em-parlant de l'intérieur des terres de 1 Œnolrie, dontila firent la Lucanie, ils subjuguèrent ou détruit-sirent la plupart des villes grecques qui s'échelon-nàient le long de la mer Tyrrhénienne, des em-bouchures du Silaros (le Sele) à celles du Sabatos(le Savuto). Poseidônia, commeje l'ai déjà raconté,succomba la première, puis Molpa,Palinuros, Py-xus, Scidros et enfin Laos, en 390. Hyélê fut cer-tainement enbutte, elle aussi, aux attaques des Lu-caniens mais, comme le remayue Strabon, seuleparmi les cités helléniques de la même contrée,elle sut les repousser victorieusement. Elle garda

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VELIA ET SON HISTOIRE

son caractère hellëniqueet son ancienneindépen-dance. Lesmonumentsde 'gonmonnayage attes-tent même qu'elle battait son plein de prospéritéet de richesse à l'époque où les villes d'origineachéennedu voisinagetombaientl'un aprèsl'autresous les coups des barbares. On peut déterminerlespoints les plusrapprochésdeHyélêoùdeYelia,commeles Lucaniensdevaientdire aussibien queles Latins, oùces nouveauxvenus s'établirentdé-finitivement.Nousavonsvu qu'ils s'étaientrendusmaîtresde Poseidônia.Del'autre côté du massifdu Cilento,on nous raconte que les Lucaniens,peu après leur installation dans le pays;-furentfrappésd'une peste. L'oracle qu'ils consultèrentàce sujet leurordonnad'apaiser les mânes duhérosPalinuros, le piloté du vaisseau sur lequel Énéeétait venu en Italie. Les Lucaniens élevèrentdonc un cénotaphemonumental Palinuros, etplantèrenten sonhonneurunbois sacrésur lepro-montoireoù l'on disait qu'il étaitmort, et quiavaitreçu son nom. Mais pour le Cilentolui-même,aucun indicenedonneàcroire.qu'ilsy aient jamaispris pied. Cesont sesbarrières extérieuresque lesHyélêtes durent défendre contre les Lucaniens,avecle concoursdes Œnotriens ^e la région,Jqui

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320 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

avaient accepté leur suprématie et s'étaient hellé-nisés à leur contact. Cette fois encore,ainsi quejele disais tout à l'heure, c'est ce rempart dé monta-gnes qui protégea la liberté et l'hellénisme de lacolonie phocéenne.Parmi les villes grecques de l'Italie, Hyélê ou

Velia était une des plus anciennes alliées deRome.Leurs relations semblent avoir remonté à la-mêmo

époque que celles entre Cymê (Cumes) et Rome,c'est-à-dire à la périodedes rois. Massalia aussi pré-tendait, au dire de Pausanias, que son amitié avecles Romainsremontait à sa fondationmême. Et ceci,quoiqu'en aient dit certains critiques modernes, n'arien d'impossible.Les colonies chalcidieünes de làCampanieétaient en rapports intimes aveclaïcitédeRomulus depuis sa premièreorigine. C'est de Cymêque Rome avait reçu son alphabet et ses LivresSibyllins. Or, nous avons vu dans quelle connexitéaveclés villes chalcidiennes de la Sicile et de l'Itàüeavaient été fondées les colonies occidentales dePhocée. Qu'il y ait donc eu des rapports amicauxentre Rome, d'une part, Massalia et Velia, de l'au-tre, dès la fin du vi°siècle, la chose est plutôt vrai-semblable.

Quoi qu'il en soit, du reste, ce qui est positif,

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VELIA ET SON HISTOIRE 321

T. II. 21

c'est qu'aussitôt après l'expulsion des Tarquins,l'année même de la bataille du Lac Régille, en496, le dictateur Aulus Ptislumius fit vœu de con-sacrer un temple à Cérès, Libera et Liber, c'est-à-dire à la triade grecque de Démêler, Perséphonêet Dionysos, sous des noms empruntés à la vieille

mythologie latine. L'édifice fut achevé et dédiétrois ans après, par le consul Spurius Cassius. C'estle premier temple complètement grec de disposi-tions et d'architecture qui ait été bâti à Rome; ladécoration en avait été.exécutée par deux Hellènesitaliotes, Damophilos et Gorgasos, sculpteurs et

peintres. Bien que les divinités en eussent étéaffublés de noms latins, par suite .d'assimilations

plus ou moins exactes entre le personnel des deux

Olympes, le culte du temple de Cérès à Rome étaitsi bien une importation grecque qu'il resta toujoursclassé dans les sacra peregrina. Ses rites et sesformules demeurèrent helléniques. 11y a plus; à

partir de sa fondation jusqu'au temps de Cicéron,qui mentionne encore cet usage comme subsistant,sa prêtresse dut obligatoirement être de naissance

grecque, et non romaine, fournie, peut être alter-nativement, par l'une des^deuxvilles de Néapolis,et de Velia. Grâce à ce fait, nous constatons d'une

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322 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

manière positive l'existence des relations d'alliancede Hyélê ou Velia avec Rome dès le début du v*siècle.Avec cette antique amitié qui ne s'était jamais

relâchée, on comprend combien Yolin, à laquelleil faut à partir d'alors donner ce nom, vit avec joiela conquête de la Lucanie par les Romains. C'estavec empressement qu'elle entra dès lors à titre decivitas foederata dans la confédération dont Romeavait l'hégémonie. Cicéron cite Velia comme

l'exemple typique des villes qui avaient reçu lesconditions les plus favorables dans leur traitéd'alliance, et qui fournissaient en vaisseaux le con-

tingent fédéral. Pas plus que Cumes et les autresvilles chalcidiennes de la Campanie, elle ne se

joignit à Pyrrhos quand il vint porter la guerre enItalie contre les Romains. Dans les guerres Puni-

ques, sa fidélité fut inébranlable; et, lors de la

seconde, son nom est cité à plusieurs reprises àl'occasion des vaisseaux qu'elle fournissait à laflotte romaine.Lors de la guerre Sociale, en 90 avant J.-C., la

loi Julia contraignit Velia, bien malgré elle,comme Néapolis et Héracléc, à échanger l'autono-mie grecque quelui assurait un traité exceptionnel,

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VELIA ET SON HISTOIRE 323

prope singulare foedus, dit Cicéron, contre la con-dition d'un municipe de citoyens romains. Mais ce

changement de régime ne porta pas tout d'abordatteinte à sa prospérité. Strabon cite encore ses

pêcheries et son commerce comme florissants.C'était une station hivernale des plus recom-mandées pour la douceur sans rivale de son climat.Nous voyons les médecins y envoyer Paul-Émile

pour rétablir sa santé, et Horace s'informer sicette localité n'offre pas plus d'avantages que Baïa.

Trébatius, l'ami de Cicéron, avait une maison de

campagne à Velia, et le grand orateur s'y arrêta

plusieurs fois dans ses voyages le long des côtesd'Italie.C'est là qu'en 44 avant J.-C. il eut avec Brutus

cette suprême entrevue qui décida des derniersactes de sa vie, les plus honorables de tous, et dontil rappelle le souvenir à plusieurs reprises, tou-

jours avec une profonde émotion, au milieu des

péripéties de sa lutte contre Antoine. Brutus, pardes scrupules de légalité étranges dans un pareilmoment et après l'acte qu'il venait de commettre,avait laissé perdre l'occasion d'assurer à son partile bénéfice des conséquences du meurtre de César.

Découragé, sans forces suffisantes pour s'opposer

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3:M A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

avec succès à Antoine en Italie, espérant d'ailleurséviter la guerre civile par une sorte d'exil volon-taire, il se préparait à partir pour la Grèce avec

quelques vaisseaux qu'il avait rassemblés a Velia.Renonçant aussi à la lutte, Cicéron s'était mis enroute pour chercher en Grèce un asile paisible.Mais à Regium le vent contraire l'avait forcé àrebrousser chemin. Quand il apprit que Brutusétait à Velia et s'apprêtait à partir, il accourutauprès de lui pour concerter leur conduite. Laconférence des deux amis fut grave et solennelle.Brutus détourna Cicéron de partir comme lui.Toujours scrupuleux, toujours ennemi de la guerrecivile, il lui demanda de faire encore quelquesefforts pour ranimer le peuple et de tenter une der-nière fois la lutte sur le terrain de la loi. A lui,Brutus, il n'était pas possiblede retourner à Rome,de reparaître dans le Sénat. Mais Cicéron étaitmoins compromis; sa gloire forçait le respect; onaimait à écouter sa parole. Brutus lui montra ungrand devoir à accomplir, un grand rôle à jouer.Ses conseils, ses reproches, ses prières le déter-minèrent à renoncer à son voyage et à revenir àRome. Il lui sembla entendre, comme il le dit unpeu plus tard, la voix de la patrie qui le rappelait.

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VELIA ET SON HISTOIRE 325

Brutus et Cicéron, sur la plage de Volia, se sépa-rèrent pour ne plus se revoir. Malgré sa résolutiondésormais intrépide, Cicéron devait être impuis-sant à sauver la République, mais-il allait cou-ronner sa carrière par la gloire des Philippiqueset par l'honneur de la mort du proscrit.Huit ans plus tard, en 36 avant l'ère chrétienne,

tout près des mêmeslieux, Octave essayait vaine-ment de faire entrer sur la rade de Velia, afin d'ychercher un abri, la flotte qu'il dirigeait contre laSicile pour y attaquer Sextus Pompée et que latempête avait surprise. Il n'y réussit pas, et cettevaste flotte périt avec toutes les troupes qu'elleportait, brisée sur les rochers du promontoire Puli-nure, qui avait déjà vu, en 253, le naufrage del'escadre ramenée d'Afrique par les consuls C.Servilius Coepioet C. Sempronius Bloesus. Anto-nini décrit des grottes qui existeraient, au nombrede six, sur le bord de la mer auprès de l'embou-chure de la rivière Melpi ou Rubicante, non loindu site de l'ancienne ville do Molpa. Tout le sol,d'après ce qu'il dit, en serait couvert d'une brècheosseuse renfermant de nombreux débris de sque-lettes humains. Naturellement; comme devait lefaire un antiquaire do son temps, il en conclut que

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A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

ce sont là les restes de la sépulture des matelotsde l'une ou de l'autre des deux flottes romaines

englouties dans les ilôts au cap l'alinure, peut-êtrodé toutes les deux. Aujourd'hui, surune indicationde ce genre nousconclurions à l'existence d'uneimportante station de troglodytes préhistoriques.Depuis Antonini, personne n'a pris la peine d'allervérifier ses dires sur place, visiter les grottes en

question et en étudier les brèches. La chose envoudrait pourtant la peine.Du temps de Strabon, Velia, quoique municipe

romain, était encore une ville toute grecque dommurs et de langue. Cependant c'était déjà sousAuguste le latin qu'on employait comme idiomeofficiel dans les inscriptions gravées publiquementau nom du municipe. C'est seulement pendant ladurée de l'Empire qu'il supplanta définitivementle grec. L'histoire de la ville &cette époque estcomplètement inconnue, et l'on a trop peu domonuments épigraphiqûos pour tenter de la res-tituer. La ville se trouvant en dehors du tracé desgrandes voies, elle n'est pas mentionnée par lesItinéraires mais le Liber coloniarzrm la cite aunombre des praefechirae de la Lucanic. A l'éta-blissement du christianisme, elle devint le siège

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VELIAET SONHISTOIRE

d'un évêché, que l'on voit encore mentionnéau vi* siècle, dans les lettres de Saint Grégoire le

Grand.Velia avait complètement disparu quand s'ouvre

la période du moyen Age; mais la date de sa

destruction est inconnue. 11 est problable qu'elleeut lieu,vers la même époque que cette de Paistum

et qu'elle fut aussi le résultat des ravages des

musulmans à la fin d|iix° siècle. Si la ville existait

encore au moment de l'établissement de» Sarrasins

d'Acropoli, ils ne durent pas manquer de la mettre

à feu et à sac.

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES

Diogène Laërte, en parlant de Hyélê ou Velia à

.propos des philosophes qui l'ont illustrée, dit queIl c'était une ville sans importance, mais qui sut

produire de grands hommes. » La première partiede la proposition est exagérée. On vient de voir,

par ce que nous avons raconté de son histoire, que

Hyélê ne fut pas une ville dénuée de toute impor-

tance, mais au contraire une cité riche, florissante

et populeuse, dont le commerce était considérable

et qui ne manqua pas de force quand il s'agit de

défendre son indépendance, quels que fussent les

ennemis par qui, ù diverses époques, elle se vit

menacée. Malgré cette exagération qui sent la rhé-

torique, la proposition n'en est pas moins vraie

dans sa donnée générale. Il est certain que Hyélê

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330 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

tient dans l'histoire intellectuelle des Grecs, dansla marche du développement et du progrès de la

philosophie, une place hors de proportion avecson rôle dans l'histoire politique. Contente de sa

prospérité commercialeet desonbon gouvernementintérieur, cette ville éminemment sage ne paraîtavoir jamais prétendu aux conquêtes, à la puis-sance extérieure, à une vaste extension d'influence.Elle a toujours vécu sur elle-même, dans une sorted'isolement, sans se mêler au bruit des grandsévénements, aux guerres et aux querelles qui dé-chirèrent la société hellénique. Son nom n'y ap-paraît pas, et à ce point de vue elle est toujoursrestée obscure, mais heureuse, semble-t-il, d'échap-per aux soucis, aux tracas et aux dangers insépa-rables d'une gloire trop retentissante.

Hyélên'a jamais eu le rôle politique et militaire

qui, dans la Grande-Grèce, a été joué par Tarente,Sybaris ou Crotone. Jamais on ne la voit prendrepart commeelles aux grandes guerres, en y pesantdu poids d'une puissance prépondérante. Ellen'est pas devenue la souveraine d'un empire terri-torial et colonial. Ce sont des souvenirs d'unetoute autre nature que réveille l'aspect de sesruines, mais des souvenirs qui dans leur genre ne

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 331

sont pas moins glorieux et qui se rapportent à desfaits dont les conséquences ont été plus considé-rables encore, car ils ont influé sur la marche gé-nérale de l'esprit humain. Les images qu'évoque le

voyageur qui visite la plage aujourd'hui déserte deHyélè ne sont pas celles de guerriers ou de poli-tiques aux vastes pensées, mais bien celles de phi-losophes et de sages. C'est Parménide enseignantses doctrines aux disciples, venus de toutes les

parties de la Grèce européenne,et asiatique, qui se

pressaient autourdé lui, et les formantà la dialec-

tique. C'est Zênon:s'arrachant à ses abstraites spé-culations pour conspirer contre le tyran en faveur dela liberté de sa patrie. Lesouvenir du dernier en-tretien de Brutus et de Cicéron, des graves con-seils qui décidèrent le grand orateur à retourneraffronter la mort en essayant de défendre les lois

par la seule force de l'éloquence, vient s'associer

dignement et naturellement à ceux-ci.J'ai déjà signalé ailleurs (i) la singulière prédis-

position à l'abstraction métaphysique la plus ab-truse et la plus hardie, mêlée d'un certain mysti-cisme, qui fut dans l'antiquité un des traits do-

1. LaGrande-Grèce,t. 1,p. 65et suiv.

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332 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

minants de l'esprit des Grecs italiotes et qui pro-duisit chez eux; dans l'espace d'un siècle, l'école

pythagoricienne et l'école éléate, de même que,dans le domaine purement religieux, dont la phi-losophie avait fini par se séparer complètement,elle amena le succès inouï de l'orphisme dans cescontrées et l'établissement des mystères diony-siaques, qui y prirent plus de développement quepartout ailleurs. J'ai remarqué aussi que cette pré-disposition s'est conservée, au travers du moyenâge et des temps modernes, dans la population des

provinces napolitaines, comme un héritage do ses

ancêtres antiques. Car c'est un des caractères parlesquels la patrie de saint Thomas d'Aquin, de

Giordano Bruno, de Telesio et des philosophes del'école de Cosenza, de Campanella et de Vico con-traste avec le reste de l'Italie, fort peu portée àla métaphysique et à l'utopie sociale. Encore au-

jourd'hui, le goût naturel de l'abstraction chez lesmaîtres et les disciples continue à faire l'origina-lité de l'Université de Naples, centre des études etdu mouvement intellectuel pour toutes les pro-vinces méridionales.C'est de l'Ionie que l'étude de la philosophie fut

importée dans les cités grecques de l'Italie, qui

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 333

devaient offrir un terrain si favorable à sa natu-ralisation et à sa floraison. Dès le milieu du vi°

siècle, avant même la fondation de Hyélê,les doctrines physiques de Thaïes et df Anàxi-mandre avaient commencé à se répandre dans lesvilles riches et florissantes du littoral de la mer

Ionienne, mais sans s'affermir assez pour ne paspouvoir être facilement supplantées. Vers 5a2,Pythagore vint de Samos s'établir à Crolonc èt fitde celte cité le centre d'une vaste propagande, à làfois politique et philosophique, qui s'étendit de

Rhêgion à -Tarente, instituant dans toute, celtecontrée une école puissante et un véritable institut

ascétique. A la fin du mêmesiècle, quand l'école

pythagoricienne était proscrite et dispersée par laréaction démocratique quelle avait fini par sou-lever contre ellë; Xénophane de Colophon arrivaitù Hyélê, fondée depuis un peu plus -d'un quart de

siècle, et y fondait l'école éléate.Comme celle de tous les philosophes de cette

époque reculée, la vie de Xénophane est fort matconnue et présente de grandes obscurités. Il étaitné vers le commencémentdu vusiècleà Colophon,l'une des cités grecques de l'Ionie que les rois de

Lydie de la dynastie des Mermnades avaient sou-

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334 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

misesà leur suprématie. Avant d'être encoreavancéen Age, il avait vu les Perses substituer leur domi-nation àcelle des Lydiens. Sa vie seprolongea jus-qu'à quatre-vingt-dix-sept ans suivant lesuns, centtrois suivant les autres. Il était encoredans sa patrieionienne, mais déjà vieux, lorsqu'éclata la granderévolte des Grecs d'Ionie contre DArayavous, fils'de Vislâçpa, que les écrivains hellènes ont ap-pelé Dareios, fils d'Hystaspês. Ce furent les désastres de la guerre à cette époque qui le con-traignirent à s'exiler de sa terre natale et à chercherun refuge dans l'Occident, où il acheva sa vie dansla pauvreté. Sorti de l'Ionie, Xénophane traînason existence errante à Catane et à Zanclê, enSicile, et à Hyélê, en Italie. On ignore dans la-quelle de ces villes il mourut; mais le séjour deprédilection de sa vieillesse presque mendianteavait été Hyélê. C'est là qu'il avnit été le mieuxaccueilli et qu'il avait fait école. Aussi, pour payerl'hospitalité qu'il y avait reçue, avait-il consacréun poème de 2,000 vers hexamètres à chanter lesvicissitudes de l'émigration des Phocéens et de lafondation de leur nouvelle ville en Italie.Ev effet, c'est surtout comme poète que Xéno-

phane était renommé près de ses contemporains.

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 335

On parle de ses relations poétiques avec Lasos.d'Hermionè on raconte que, suivant l'usage desanciens rhapsodes, il allait chantant lui-même sesvers, et que c'est en faisant ce métier qu'il par-venait à se procurer des moyens d'existence dansson exil. Xénophane de Colophon avait composédes élégies,- sans doute d'un caractère gnomiquecomme celles de Solon et de Théognis, et desiambes contre Homère et Hésiode, qu'il critiquaitsur ce qu'ils avaient dit des dieux. C'est dans unpoème en vers hexamètres qu'il avait exposé son

système de philosophie. On dit mais ce ren-

seignement n'est donné que par des écrivains dedate assez tardive que ce poème était intituléPéri Physeôs, «De la Nature », titre qui, dans toute'a période philosophique précédant Socrate, devintcommunà laplupart des ouvrages dumémo genre,soit on vers, soit en prose. Celui de Xénophaneparaît avoir été perdu de bonne heure, et il n'enest parvenu jusqu'à nous que de très courts lam-beaux. Les renseignements même que nous pos-sédons sur les doctrines philosophiques de cemaître sont très incomplets. Le peu qu'on en saitse rapporte soit à Dieu, soit à l'univers matériel.

Xénophane est avant tout un adversaire déclaré

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336 A TRAVERS LAPUUE ET LA LUCANIE

du polythéisme traditionnel, do la religion telle

qu'elle était chez les Hellènes. Il ne lient aucun

compte des croyances populaires, des récits des

poètes; il les signale comme un grossier anthropo-morphisme en désaccord avec la morale. Il neveut pas que l'on prête aux divinités les formes, les

organes et les passions de l'homme. « Si leschevaux ou les bœufs, dit-il, se font des images deDieu ils le représentent sous la forme d'un chevalou d'un bœuf. » II professe qu'il est inutile d'offriraux héros des sacrifices. Interrogé par les Hyélêtess'ils devaient immoler des victimes à Leucothéeou plutôt à la Sirène Leucosia il leur con-seilla de no pas la pleurer s'ils la croyaient une

déesse, et de ne pas lui offrir de sacrifices s'ils la

regardaient comme une mortelle.'Il faut descendre

jusqu'à Épicurc, c'est à dire près dé deux siècles

plus tard, pour trouver une incrédulité aussi peudéguisée.Rejetant le polythéisme et proclamant très nette-

ment l'unité divine, Xénophane identifie cetteunité avec celle de la substance, qui constitue le

point fondamental de sa doctrine. Il est doncfranchement et absolument panthéiste. « Tout estun, et cet un est Dieu, telle est la formule que

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LES PHILOSOPHES ELÉATES 337

T. Il. 22

lui attribue Aristote et dans laquelle il résumetout le système du philosophe. Aussi Xénophaneattribuait-il à son Dieu la forme sphérique, qui estla formeapparente de l'univers, et cela, non pointpar métaphore, ainsi qu'on l'a pensé quelquefois,mais bien parce qu'il confondait Dieu avec l'en-semble des choses, et en faisait ainsi une sorted'âme du monde, à laquelle il attribuait l'éternité,l'intelligence, la sagesse, la propriété de tout voiret de tout entendre.Quant à la formation du monde matériel, Xénô-

phane y accordait une place prépondérante dansses spéculations, de même qu'avaient fait avantlui les premiers philosophes de l'école ionienne,dont il partageait les préoccupations et dont il pro-cédait directement, tout en cherchant par certainscôtés à s'ouvrir une voie nouvelle. Il l'expliquaitpar l'action combinéedes quatre éléments, la terre,l'eau, l'air et le feu. C'était un système avec lequelcelui qu'Empédoéle combina, un demi-siècle envi-ron plus tard, nemanquait pas d'analogie, et commenne sorte de syncrétisme, de moyen terme entreceux qui ont été proposés par Thaïes, Phérécyde,Anaximèneet Heraclite. Cependant, tout en admet-.tant l'action combinée des quatre éléments, Xéno-

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338 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

phane donnait la primauté sur les autres à la terre,comme premier principe et substance fondamen-tale.Le philosophe de Colophon, bien qu'ayant in-

troduit dans les conceptions métaphysiques un

principe nouveau, celui de l'unité de l'être absolu,ne s'était pas encore nettement séparé des autresIoniens. Le véritable novateur, celui qui constituadéfinitivement l'école éléate en lui assurant unedoctrine particulière, fut son disciple Parménide.Celui-ci était né à Hyélê peu d'années après lafondation de la ville, vers 519 avant J.-C. Son pèrese nommait Pyrês ou Pyrrhês, et il descendaitd'une des familles les plus nobles et les plus riches

parmi les Eupatridesde Phocée. Il fut d'abord ins-truit par les leçons des Pythagoriciens Ameinias et

Diochaitês, et professa toujours pour ce dernierune telle vénération qu'après sa mort il lui élevaun hérôon,c'est à dire une chapelle où il lui rendaitle culte réservé aux héros. Desécrivains d'une auto-rité sérieuse affirment même que, s'il abandonna

pour d'autres les doctrines philosophico-rcligieusesde Pythagore, Parménide continua depuis sa jeu-nesse jusqu'à sa mort à pratiquer les préceptes dié-

tétiques et ascétiques de la règle pythagoricienne.

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 339

Mais c'est à Xénophane qu'il emprunta lé principefondamental formant le point do départ de toutson système. Jeune encore, il dut recevoir directe-ment ses enseignements pendant son séjour à

Hyélê, bien qu'Aristote ne soit pas sur ce pointaussi affirmatifque les auteurs de date plus récente.Tous les témoignages antiques sont unanimes à

vanter la gravité majestueuse et la pureté de la viede Parménide. Platon en parle avec une véritablevénération dans un de ses dialogues il le compareà Homère; dans un autre il l'appelle le Grand. Ses

compatriotes le traitaient comme un sage dont ilsétaient fiers et dont ils écoutaient les avis avec la

plus haute déférence. Aussi lui demandèrent-ilsd'être leur législateur. Aristote, bon juge en pareillematière, tient dans une estime toute particulièrel'étendue de ses connaissances scientifiques. Sarenommée de penseur s'était répandue dans toutle monde grec, à tel point que des cités les pluséloignées des disciples venaient se grouper autourde lui pour recevoir ses leçons, faisant exprès le

voyage de Hyélê, comme Mélissos de Samos, quiest encore compris parmi les Éléates, et Leucipposd'Abdère ou de Milet, premier auteur de la phi-losophie atomistique. En 151avant notre ère, Par-

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340 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

ménide, âgé de soiaante-cina ans et parvenu au

plus haut degré de la réputation, fit le voyaged'Athènes en compagnie de son disciple Zênon,plus jeune devingt-cinq ans. Les deux philosophes-de Hyélê y furent reçus avec la plus haute distinc-tion, recherchés de tous les hommes considé-rables da la cité de Minerve, et leur séjour y eutun retentissement considérable. Socrate, qui avaitalors quinze ans, eut occasion de voir et d'entendreParménide, et semble en avoir gardé une grandeinpression. C'est là le fait sur lequel Platon aéchafaudé la mise en scène de son dialogue duParménide, que l'on ne peut prendre que commeune fiction; car il n'est pas possible qu'un ado-lescent, tel que l'était alors Socrate, ait eu avec lesdeux Éléates un entretien de la nature de celui

que lui prête son éloquent disciple.De même que Xénophane et que la plupart des

philosophes de son époque, c'est dans un poèmedidactique en vers hexamètres que Parménideexposa ses doctrines philosophiques. Ce poèmeétait intitulé De la Nature, Péri physeôs ouPhysiologia. Suidas prétend que Parménide écriviten prose mais c'est là sûrement une erreur. Pla-ton, Théophraste et Diogène Laërte sont formels

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 3il

sur ce point que le fondateur de l'école de Hyêléou Élée n'avait laissé qu'un seul livre, son poèmé.Il en reste des fragments assez nombreux, qui ontété principalement conservés par Simplicius etSextus Empiricus. Combinés avec les témoignagesdes anciens, ces fragments permettent de se faireune idée exacte et presque complète du systèmede Parménide. lls ont, d'ailleurs, fort peu de valeur

poétique. Le philosophe à ce point de vue man-

quait d'invention, et ses vers ne diffèrent de la

prose que par le rythmeet la mesure.Le poème De la Nature s'ouvrait par une

allégorie. Les Vierges Héliaques conduisent le

philosophe par le chemin qui mène de l'obscuritéà la lumière, jusqu'aux portes où se séparent lesroutes de la nuit et du jour. Dicèouvre ces portes,et le voyageur arrive jusqu'à la déesse Sagesse,qui l'accueille amicalement et lui promet de luirévéler non seulement « le cœur immuable de lavérité », mais aussi les fausses imaginations deshommes. Cette double révélation remplissait lesdeux parties du poème, dont l'une était consacrée à« cequi est », à l'être absolu que la raison seule peutconcevoir et démontrer, l'autre à « ce qui parait »,aux phénomènes qui se manifestent aux sens.

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342 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Ainsi, parmi nos instruments de connaissance,Parménide distinguait nettement la raison quiconduit à la vérité, et les sens qui conduisent à

l'apparence, à l'opinion. Aux sens et aux facultés

qui en dépendent il refusait absolument la puis-sance d'atteindre à la vérité. La raison seule, sui-vant lui, a ce pouvoir. Or la raison ne conçoitcomme absolument vrai que l'être absolu, l'être en

soi, un, immuable, éternel. Tel est le grand prin-cipede logique et de métaphysique que Parménide

posait avec une netteté vigoureuse et démontraitau moyen d'une argumentation serrée, qui laisse

peu de place à la réfutation, si l'on admet, avec le

philosophe de Hyélê, que les témoignages dessens n'ont pas de valeur positive.La raison pure, s'exerçant d'une manière abs-

traite et sans tenir compte de l'observation desphénomènes, doit arriver à cette conception de l'u-nité absolue mais commela notion del'être, un, im-muable est complètement insuffisante pour expli-quer la réalité physique, les philosophes de l'écoled'Élée ou Hyélê, malgré leur profond dédain pourles sens, et bien qu'ils posassent en principe quele monde physique n'existe pas pour la raison,furent bien obligés. de s'occuper des phénomènes

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 343

sensibles, dont l'école ionienne faisait son grandsujet d'études. Parménide, après avoir établi sathéorie idéaliste de l'être, fut obligé de passer àl'exposition des phénomènes physiques et aux hy-pothèses destinées à les expliquer. C'était le sujetde la seconde partie de son poème. Sa cosmologiefaisait procéder l'univers sensible de la lutte et dela combinaison de deux principes antithétiques, lalumière et les ténèbres, identiques au chaud et aufroid, au sec et à l'humide. Reprenant une vieille

tradition asiatique, qui cadrait extrêmement bienavec ce système, il représentait l'homme commené du limon humide de la terre, échauffé par lesrayons du soleil, et son âme était une étincelle dufeu élémentaire et divin.Nous ignorons comment il avait ménagé la tran-

sition, logiquement impossible, entre les deux par-ties de sa doctrine, car de [idée abstraite de l'êtreon ne saurait tirer la réalité multiple et changeante,pas plus que l'on ne saurait de la multiplicité mo-bile tirer l'unité absolue. Parménide avait donnétant d'importance à l'un des termes du problème,qu'il fut amené à méconnaître et à supprimer l'au-tre terme. Tout en exposant un système de phy-sique, il n'attribua à notre connaissance des phé-

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344 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

nomènes physiques qu'une valeur incertaine et

sans autorité.Son système conduisait au septicisme. « Les

Éléates, eu Ritter, avaient reconnu et croyaientavoir démontré que la vérité dé toute chose estune et immuable; mais ils trouvaient que noussommes obligés, dans notre penser humain, denous conformer aux phénomènes et d'accepter lemuable et le multiple. Ils croyaient donc que nousne pouvons atteindre à la vérité divine, si ce n'est

par quelques idées générales; mais que, si nous en

rapportant à la façon de parler humaine, nous

croyons que la multiplicité et le changement exis-tant réellement, il n'y a dans cette croyance quemensonge et illusion des sens; qu'il faut bien recon-

naître, au contraire, que, dans ce qui nous apparaitcomme multiple et comme changeant, la substanceà laquelle se rapportent nos pensées particulièreset quelque chose de divin, méconnu par l'aveugle-ment de l'humanité, et qui s'offre à la connaissancecomme sous un voile. » Le scepticisme, qui étaitainsi en germe dans l'idéalisme de Parménide fut

développé par ses disciples Zénon et Mélissos, quiréduisirent la philosophie à une dialectique subtile,et quelquefois victorieuse, contre les écoles rivales.

Page 347: A travers l'Apulie et la Lucanie

LES PHILOSOPHES- ÉLÉATES 345

En somme, deux choses recommandent dans

l'histoire de la philosophie la mémoire de Parmé-nide. Il développa le premier, dans sa pureté abs-

traite, la notion de l'être, imparfaitement définie

par Xénophane. 11fut le véritable fondateur de la

dialectique., dont son maître Xénophane avait aussi,nous dit-on, donné un premier, mais insuffisant

exemple, au lieu de s'en tenir à la méthode d'expo-sition dogmatique des philosophes antérieurs; A

ces deux titres,Parménide est vraiment une grandegloire pour la cité qui le vit naître et où il ensei-

gna. Il a sa place parmi les plus nobles penseurs de

la Grèce et les plus dignes prédécesseurs de Platon.

Né vers 494 et plus jeune que Parménide de vingt-

cinq ans environ, Zênon fut son principal disciple et

son continuateur direct. Il était natif de Hyélè, etl'on remarque qu'il y passa toute sa vie sans en sor-

tir, sauf pour exécuter en 454, à l'âge de quaranteans, le voyage d'Athènes, entrepris en compagnie de

son maître, et dont nous avons parlé tout à l'heure.

On ne sait, du reste, que fort peu de chose de po-sitif sur la biographie de Zênon. Son père se nom-

mait Téleutagoras. A la différence des sophistes,tels que Protagoras et Gorgias, qui devaient deson vivant encore, faire école en Sicile, la philo-

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346 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANŒ

sophie était pour Zénon un exercice de sa penséeplutôt qu'une profession, et ne l'empêchait pas de

prendre une part active aux affaires de la ville de

Hyélê.C'était une opinion très répandue chez les an-

ciens qu'il trouva la mort en voulant délivrer sapatrie, opprimée par le tyran Néarchos. Cicéron,Plularque, Diogène Laërte, Diodore de Sicile rap-portent ce fait avec des variantes qui pourraientautoriser l'hypescritisme à le révoquer en doute.D'abord le nom du tyran est incertain, puisqu'onle trouve diversement appelé,Néarchos, Diomédonou Dêmylos; ensuite on ne dit pas si Zênon péritdans les tortures que lui infligea le tyran, ou si,délivré par le peuple indigné, il ne survécut pas autyran lui-même. Le récit circonstancié de Diogène-Luërte, quoique puisé à de nombreuses sources,nous laisse dans l'incertitude. Ce qui parait le plusprobable, c'est que Zênon périt en etl'et dans unetentative pour rendre à la ville de Hyélê,la libertérépublicaine, et que sa mort, à la fois obscure etglorieuse, fut un sujet dont les rhéteurs et les his-toriens, peu scrupuleux sur la réalité des détails,s'emparèrent, en le surchargeant de circonstancesfictives.

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 347

Voici le récit de Diogène, qui me dispensera de

reproduire les autres « Zénon, ayant entrepris derenverser le tyran Néarchos, d'autres disent Dio-médon, fut saisi, commele rapporte Héraclide dans

YAbrégéde Satyros. Interrogé sur ses complices etsur les armes qu'il avait déposées à Lipara, il dit

que tous les amis du tyran étaient dans le secret dola conspiration, afin de le séparer de ses partisans.Ensuite, sous prétexte d'avoir quelque chose à luidire à l'oreille, il le mordit, et ne le lâcha pasavant d'avoir été percé de traits, se conduisantcommeAristogeitonle tyrannicide. Dêmêtrios, dansses Homonymes,dit qu'il lui coupa le nez. Antis-thène, dans les Successions,raconte qu'après avoirdénoncé les amis du tyran, celui-ci lui demandas'il n'avait plus personne à dénoncer. Il rëpondit« Toi, fléau de ma patrie! » et il parla ainsi auxassistants « J'admire votre lâcheté. A cause de ce

que je souffremaintenant, vous restez les esclavesdu tyran. » Enfin, s'étant coupé la langue avec lesdents, il la cracha à la face du tyran. Alors les ci-

toyens se jetèrent sur celui-ci et le tuèrent. Voilàce que tient la plupart des auteurs. Hermippos pré-tend qu'il fut jeté dans un mortier et broyé. »

DiogèneLaërte, malgré toutes les autorités qu'il in-

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

voque, n'a donc pu arriver à rien de certain. Dans ces

données, on doit regarder seulement comme une

tradition très répandue chez les anciens que Zênon

périt en voulant délivrer sa patrie de la tyrannie,

dans la deuxième moitié du ve siècle. Hyélê n'eut

malheureusement pas d'historien national qui pût

rapporter les faits d'une manière plus certaine.

Suidas cite les titres de quatre ouvrages attri-

bués à Zénon Discussion Contre les philo

sophes naturalistes; Sur la nature; Explication

des vers dEmpédocle. Ce dernier n'était sûre-

ment pas authentique; la critique l'a démontré

d'une manière tout à fait positive. Les trois autres

titres, à leur tour, pourraient bien n'être que des

désignations différentes, et toutes incomplètes,

d'un même livre, qui aurait été intitulé en réa-

lité Discussions contre lés philosophes naturalistes

sur la nature. Ce qui est, en effet, positif, c'est

que Simplicius, malgré toutes ses recherches,.

n'était parvenu à se procurer qu'un seul traité de

Zénon, ou plutôt des extraits d'un, seul traité, qui

lui servirent à éclaircir le passage de la Physique

d'Aristote où sont rapportés les arguments de

Zénon contre le mouvement.

Ces arguments de la polémique du philosophe

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LESPHILOSOPHESÉLÉATES 349

de Hyélê contre les philosophesnaturalistes sontcélèbres.Ceux-cireprochaientà l'écoledesÉléatesd'avoiradoptéun principeabsurde,celuide l'unitéabsolue, qui rendait impossibletoute explicationdes phénomènes physiques. Zênon essaya dedémontrerque les phénomènesphysiquesétaienttout aussi inexplicables avec le principe de lapluralité. D'abord,dit-il, le principede la pluralitéet de la divisibilitéde la matière implique contra-diction, car il suppose que les choses sont à lafois finies et infinies finies,car, si nombreusesque soient les parties de la matière, elles formentpourtant un certain nombre; infinies, car,chaquepartie doit être séparée d'une autre partie par unintervalle;mais la matièrequi formecet intervalledoit être elle-mêmeséparée de ce qui précède etde ce qui suit, et ainsi de suite à l'infini. Secon-dement, les chosessont à la fois infinimentpetiteset infiniment grandes infiniment petites, puis-qu'elles sont composéesd'éléments indivisibles,donc sans aucunegrandeur, donc infinimentpe-tits infinimentgrandes, car elles contiennent unnombreinfinideparties, chacuneséparéedel'autrepar un intervalle.Je passe quelques autres raisonnements de

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350 A TRAVERSL'APULIEET LALUCANIE

moindre importance, également destinés à prouverque les entia multa discontinua inpliquent contra-

diction, et j'arrive aux quatre arguments sur lemouvement

Dans l'hypothèse de la pluralité et de la dis-

continuité absolues, chaque ligne ou portion dedistance est divisible en une infinité de parties.Or, pour qu'un corps se meuve, c'est-à-dire pourque dans un temps donné il aille d'une extrémitéde la ligne à l'autre, il faut que dans un tempsfini il parcoure un nombre infini de points, ce

qui est impossible; donc il n'y a pas de mou-vement.2° Argument d'Achille et de la tortue. Supposez

l'homme le plus rapide, Achille, séparé par uncertain intervalle de l'animal le plus lent, la tortue.Jamais Achille n'atteindra la tortue. L'intervalle

qui les sépare se composant d'une infinité de

parties discontinues, il faudrait que dans un tempsdonné il franchit une infinité, ce qui ne se peutconcevoir. De plus, les parties de l'espace étant

discontinues, et la tortue se mouvant toujours,il y aura toujours entre Achille et elle l'intervallede deux parties de l'espace.3° Argument de la flèche. La flèche est en repos

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 351

quand elle est en mouvement. En effet, le repos

c'est d'être à un moment donné dans un lieu

donné. Or le temps, du commencement à la fin

de la course de la flèche, consiste en une multitude

d'instants successifs. Pendant chacun de ces ins-

tants, la flèche est dans un lieu donné de dimension

égale à elle-même; elle est donc toujours au repos.

4." Supposez deux corps égaux, AB, CD, se mou-

vant le long l'un de l'autre, dans une direction

opposée et avec la même vitesse. Si AB est au

repos, CD ira de B à A en deux minutes; si AB

se meut, CD ira de B à A en une minute; donc,

avec la même vitesse, il aura parcouru le même

espace en moitié moins de temps.

A ces quatre arguments il faut en ajouter un

plus général, puisqu'il est dirigé contre l'idée

d'espace, toujours dans l'hypothèse de la pluralité

discontinue. L'espace, disait Zênon, est le lieu

des corps; mais cet espace, s'il est, est lui-même

dans un espace, et ce second espace dans un troi-

sième, et ainsi de suite il. l'infini; donc il n'y a pas

d'espace.

Cette remarquable argumentation a passé long-

temps pour une pure sophistique, et l'on a cru y

répondre assez en en appelant à l'expérience, qui

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352 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

établit victorieusement tout ce que mettait endoute le philosophedo Hyélèou Éléo. Maiscetteréponsene signifierien en réalité. Zenonno niaitpas les phénomènes physiques il niait qu'ilspussent être démontréslogiquementpar desprin-cipes absolus. Ce qu'il voulait établir, et ce qu'ilétablit en effet, c'est que les philosophesnatu-ralistes, les partisans de la pluralité absolue,n'étaient nullement fondés à arguer des phéno-mènes physiques contre l'hypothèse de l'unitéabsolue, puisque leur propre hypothèse était aumoins aussi contradictoireavec les faits. De cettepolémique,qui, dans les mêmes termes ou avecdesformesunpeu différentes,a étésouventreprise,il n'y a qu'une choseil conclure c'est que l'unitéabsolueet la pluralitéabsoluesontdesconceptionabstraites sans existenceréelle. Ce qui existe,c'est l'unité et la pluralité relatives, commeattri-buts des corps. A ce titre, l'unité et la pluraliténe s'excluentpas plus l'une l'autre qu'ellesne sonten contradictionavecles phénomènes.L'originalitédeXénonconsistaàplacerl'élément

négatif critique à côté de l'élément constructifdogmatique des premiers philosophes grecs. Ilmérite ainsi d'être regardé commeceluiqui mitla

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LES PHILOSOPHES ÉLIÎATES 853

T. il. 21»

dernière main à la création de la dialectique, con-

tinuant et perfectionnant l'œuvre de son maître

Parménide, et préparant la méthode de Socrale,

dont il fut le précurseur.

Mélissos,. un peu plus jeune que Zenon, avait

aussi suivi les leçons do Parménide. Il n'était

cependant pas un HyélAle. Fils d'Ithagénês, il était

natif de Samos et était venu d'Asie Mineure en

Italie, attiré par la grande renommée du naître.

Revenu plus tard dans son pays, il y joua un rôle

considérable comme homme d'État et surtout

comme navarque ou amiral. C'est lui qui comman-

dait la flotte des Samiens dans la bataille où elle

vainquit celle des Athéniens, en 442, et il eut

encore une part active u la guerre, quand bientôt

elle prit une tournure défavorable à ses compa-

triotes et se termina par leur entière défaite.

Malgré son origine ionienne, Mélissos est encore

compté parmi les Kléales et marque la fin de leur

écolo, dont il poussa les doctrines et les méthode

à l'extrême, les outrant au point de les faire

tombeur dans la sophistique pure. Il exposa ses opi-.

nions dans un ouvrage en prose ionique, que l'on

dit avoir été intitulé De l'Être ou De la Nature.

Mélissos y traitait, non de la variété infinie des

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

choses produites, engendrées, mais do la nature

éternelle considérée abstractivement, à part de

toutes les choses concrètes, et qu'il appelle, d'après

Parménide, cc l'Être, to On. Simplicius nuus a

conservé des fragments de ce traité, et l'auteur du

livre Sur Mélissos, Xénopllane et Gorgias, qu'il

ait été Aristote ou Théophraste, en fait assez bien

connaître les doctrines.

M6lissos prend pour point de départ la théorie

de Parménide sur l'Être ou l'Un absolu, qui, sui-

vant ce philosophe, était le seul objet qui pût être

connu, le seul, par conséquent, qui existât pour la

raison. Cet être, selon Mélissos, est infini; il est'

infini par cela seul qu'il existe. En effet l'être ne

peut pas provenir de l'étre car autrement il serait

déjà et n'aurait pas besoin de devenir. L'être ne

peut pas se transformer en être, car alors il passe-

rait, ce qui est contraire à la notion de l'être. Si

l'être ne devient pas, il n'a pns de commencement;

s'il ne passe pas, il n'a pas de fin or ce qui n'a ni

commencement ni fin est infini donc l'Être est

infini. Ce raisonnement revient à dire que comme

rien ne peut arriver à l'existence, ni Aire détruit, il

n'existe qu'un seul être infini.

Avec un pareil système, deux choses ne s'expli-

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LES PHILOSOPHESÉLÉATES 355

quaient pas, les dieux et le monde physique. Onne voit pas quelle théologie et quelle physique au-rainentpu se concilier avec la théorie de l'unité abso-lue poussée à ce point. Quant aux dieux, Mélissosdéclare nettement qu'il ne faut pas s'en occuper,parce qu'il est impossible de les connaître. Il est

plus affirmatif encore à l'égard du monde phy.si-que, et, prétendant que son principul but est decombattre les erreurs des physiciens, il s'efforce de

prouver qu'il ne peut y avoir ni mouvement, ni

changement, e'ést-à-dire qu'il n'y a pas de monde

physique, puisque le monde physique est produitpar le mouvement et te changement. Une pareilleargumentation parait le comble de l'absurde. Maisl'absurdité disparatt si l'on suppose que Mélissosentend par exister, non pas se manifester aux sens,mais être un objet de connaissance, gnôsis. Enadmettant cette distinction, qui est capitale pourl'intelligence des doctrines de l'école éléate, leraisonnement de Mélissos se comprend. Il n'existe

qu'un seul objet de connaissance, savoir l'être,l'Un absolu, qui n'admet ni mouvement ni change-ment donc ni le mouvement ni le changementn'existent comme objets de connaissance; donc ilne faut pas s'en occuper, et comme le mouvement

Page 358: A travers l'Apulie et la Lucanie

356 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

et le changement constituent toute la physique, il

ne faut pas s'occuper de la physique.

La théorie de Mélissos marque ainsi la transition

entre le dogmatisme appuyé sur la dialectique de

Parménide et le scepticisme de l'école des sophis-

tes, tels que Protagoras et Gorgias. Zénon s'était

déjà avancé dans cette voie; Mélissos v alla plusloin que lui. Il ne restait plus dès lors qu'un pas àfaire pour arriver a la sophistique. Le philosophe

de Samos niait la théologie et la physique, et ne

respectait que la métaphysique. Les sophistes fran-

chissent cette dernière borne, et appliquant le doute

aux spéculations sur le principe des choses, ils ne

conservèrent que la morale pratique.

L'école éléate, en poussant de cette manière son

principe aux plus extrêmes conséquences, se con-

damnait elle-même à disparaître 'dans l'enfante-

ment d'autres écoles. Elle ne survécut pas à la

génération de Zénon et de Mélissos. Platon nomme

bien un élève et ami de Zênon, Pylhodôros, mais

nous ne savons de lui rien autre que son nom..

Tandis que Leucippos, disciple étranger de Par-

m6nide, fondait l'école des atomistes, où Démocrile

d'Abdère devait suivre ses traces, un autre dca.

Grecs qui étaient venus de loin suivre les leçons

Page 359: A travers l'Apulie et la Lucanie

LESPHILOSOPHASUSATES

Idesmaîtresde Hyélè ou Élée, Xéniadèsde Corin-the, se plaçait auprès do Gorgias dans les rangsdes purs sophistes.En un espacede tempsd'un siècle, dumilieudu

vi*aumilieudu v",la philosophiegrecquevit deuxde ses plus grands mouvementsse produire et se(développerdans les coloniesdu midi de l'Italie,qui sous ce rapport succédèrentalors à l'Ionio,endevançant Athènes et le reste do la Grèce pro-prement dite. L'un fut l'tcuvre de Pythagore ivCrotone, l'autre celledo Parménideet de ses dis-ciples à Hyélê. Tous deux sont dignes du plushaut intérêt et font époque dans l'histoire de lupensée.Maisle secondeut une influencebienplusconsidérable, plus générale, plus étendue et plusdurableque le premier. Le pythagorisme,malgrésa grandeuret l'actionqu'il exerçaun momentsurles faits dé l'ordre politique, demeura quelqueschosed'à part, d'isolé,qui n'influa pas d'une ma-nière décisive sur la marchegénérale de l'espritgrec.Les persécutions, dont il fut l'objet en tantque parti etdoctrinesociale,ne parvinrentpas à lodétruire, commeavaient espéré ses ennemis.Il seperpétua longtempsencore, mais on restant lui-même,et il n'enfantarien. Il en fut autrementde

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358 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

la doctrine de l'école éléate. Elle n'eut qu'untemps, marqua une évolution déterminée du pro-grès général de la philosophie, et après cette

évolution-accomplie, elle fit place, comme si sonrôle était désormais terminé, -à d'autres doctrines,qu'elle avait préparées et vers la constitution des-

quelles elle avait fourni un échelon nécessaire. Cetne fut plus dans l'histoire que le souvenir d'une

étape dépassée. Mais les polémiques des philo-sophes de Hyélé devinrent le point de départ. detoutes les discussions des philosophes postérieurs,de la formation des autres écoles. En créant las

dialectique, dont l'invention est leur œuvre et leur

grand titre aux yeux de la postérité, ils dotèrent

l'esprit humain d'un instrument nouveau, d'unemerveilleuse puissance: Aussi l'influence de Par-ménide et des autres Éléates s'observe-t-elle, cer-taine et considérable, à la naissance de toutes lesécoles philosophiques qui leur succédèrent. Le

premier des atomistes sortit de l'école du maitre de

Hyélê; les sophistes ne furent pour ainsi dire quedes exagérateurs de sa méthode, qui en poussèrentl'application et les conséquences bien au delà du

point où il avait voulu les arrêter. Les doctrinesdes Ëléates n'ont pas eu moins de part que celles

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LES PHILOSOPHES ÉLÉATES 359

de Pythagore à la formation du système dogma-tique d'Empédocle. Surtout, et c'est là que -leur

exemple et leur enseignement a été le plus fécond,les rapports que Socrate avait eus dans sa pre-mière jeunesse avec Parménide et Zénon laissèrentsur le philosophe athénien une empreinte ineffa-

çable. C'est aux maîtres de Hyélê, venus à Athènes,qu'il emprunta le secret de sa dialectique victo-

rieuse, dont à son tour hérita Platon.Si donc Hyélê-Velia n'a jamais été qu'une ville

secondaire, tout à fait effacée dans l'ordre des faits

politiques et militaires, qui trop longtemps ont ététoute l'histoire, elle tient, au contraire, un rôle de

premier ordre dans les annales intellectuelles de

l'hellénisme, un rôle bien supérieur à celui decités plus riches, plus populeuses, plus puissantesau nom plus retentissant, comme Tarente, parexemple. Grâce aux philosophes qui y ont flori

pendant un peu plus d'un demi-siècle, Hyélè-Veliaest vraiment un des points lumineux du monde

grec dans l'histoire de l'esprit humain.

C'est là ce que ne saurait oublier le voyageurqui en visite les ruines, ce qui lui impose de lesaborder avec respect. Aussi, venant à traiter de cette

ville, il était impossible que nous ne nous arrêtions

Page 362: A travers l'Apulie et la Lucanie

360 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

pas quelques moments à parler des philosophes

éléates, de leurs théories et de leur influence, bien

que ce ne soit pas un livre d'histoire de la philo-

sophie que nous écrivons. De la même façon,

dans un autre ouvrage du même genre, j'ai du,

quaùd j'ai parlé de Crotone et de son histoire,

m'attacher à donner au lecteur une idée de Pytha-

-gorè et de ses théories. Mais il ne m'est pas, non

plus, possible de m'appesantir outre mesure sur

cette philosophie. Je suis donc obligé de laisser de

côté, à mon grand regret, un autre côté de la

question, qui n'est pas le moins curieux et le moins

piquant. C'est la façon dont, à la Renaissance, une

sorte d'effet d'atavisme, une influence incontes-

table de race ou de terroir, conduisit Telesio et

les philosophes de l'école de Cosenza, à renouveler

en grande- partie, presque dans les mêmes lieux,

-lès doctrines des Éléates, sans avoir certainement

connu leurs écrits.

Page 363: A travers l'Apulie et la Lucanie

LES RUINESDE VELIA

Avec les grands souvenirs qui s'attachént aunom de Hyélê-Velia et la renommée que la beauté

exceptionnelle de ses monnaies grecques a value àcelte cité parmi tous ceux qui portent intérêt auxarts et à l'archéologie, il semblerait que ses ruines,distantes de Salerne à peine de plus d'une journée,,devraient être bien connues et'fréquemment visi-tées. On s'attendrait à ce qu'elles fussent devenues

pour les touristes instruits, les humanisés, leséru-

dits, tout au moins pour les antiquaires, un lieu de

pèlerinage habituel. Il n'en est rien cependant.Presque aucun voyageur, -dequelque nation que ce

soit, Italien ou bien étranger, n'y a été. C'est pourainsi dire une terre inconnue. Depuis la Renais-

sance, depuis que l'on s'occupe de l'étude de la to-

Page 364: A travers l'Apulie et la Lucanie

A TRAVERS 1,'APUME ET LA LUCANIE

pogruphie antique et des monuments, je ne trouveà y relever avant mes compagnons et moi que troisvisiteurs. NiLéandro Alberti, ni Cyriaque d'Ancône,ni Cluvier, ni depuis aucun des archéologues queNaples a produits en grand nombre, ni aucun scho-tlar anglais connu, ni personne de l'lnstitut Archéo^îlogique allemand de Rome n'a cherché à aller voirce qui pouvait rester de cette ville célèbre. Au mi-,lieu du siècle dernier, Antonini, qui, je l'ai déjàdit, était natif du Cilento et y avait ses propriétés,!a décrit fort exactement et avec détail les ruines der

Velia; telles qu'elles étaient de son temps, mieuxconservées qu'aujourd'hui. Une trentaine d'années,

plus tard, le Danois Miniter, pendant son séjour euItalie, se rendait à son tour dans ce lieu, auquel il.a consacré une dissertation, imprimée en 1818 etdevenue fort rare. Enfin le duc de Luynes, en 1,828,'Ilfaisait à Velia, en compagnie de l'architecte égale-ment associé à ses travaux de Métaponte, M. Do-

bacq, une visite qu'il a brièvement racontée dansle premier volume des Annules de l'In.stitut de Cor-

respondance urchéologique. C'est exclusivementsur ces trois descriptions, et en particulier sur la

dernière, que l'on a vécu jusqu'ici. Il y avait biende quoi piquer ma curiosité dans une localité telle*

Page 365: A travers l'Apulie et la Lucanie

LES RUINES DE VELIA 363;

ment ignorée malgré son renom historique, et de-

puis longtemps visiter Velia, étudier son site et ses

ruines, était un de mes projeta favoris. Je n'avais

pu jusqu'alors le mettre à exécution, et c'est avecun vif contentement qu'enfin je me vis touchant il.la réalisation de ce rève, caresaé depuis plusieursannées, quand par une belle et radieuse matinéed'automne nous partîmes de bonne heure de Rotinopour gagner le bord de la mer, l'embouchure deTAlento et l'emplacement où fut la patrie de Par-ménideetde Zénon.La route commence à descendre presque immé-f

diatcmenl au sortir de Rotino, et s'attachant en cor-niche au flanc des escarpements, d'où elle offre par-tout aux regards des points de vue pittoresques,elle conduit assez rapidement au fond do la valléede l'Alento, à quelques kilomètres seulement au-dessous du point, où se réunissent les ruisseaux

qui forment cette rivière. On en atteint les bordsau pied des hauteurs qui, sur la rive droite, por-tent Ostigliano, puis Oria. La vallée est déserteet d'un aspect sauvage, étroite et profonde, en-caissée entre des montagnes aux flancs abruptes,dont les pentes rapides sont en partie boisées,en parties dénudées et rocheuses, avec de dis-

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3ôi A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

tance en distance des plantations d'oliviers. Lefond en serait très fertile si l'Alento avait soncours régularisé par des endiguements, commeil devait l'avoir dans l'antiquité, si ses crues d'hi-ver et ses changements fréquents de lit n'y prome-naient pas capricieusement leurs ravages. On trouve

pourtant dans cette vallée solitaire la culture par-tout où elle est possible. Mais pour labourer, se-mer et récolter, les paysans descendent des partieshautes où sont situées leurs villages. Il n'y a pasune habitation dans la vallée: Il est clair qu'on enredoute l'insalubrité. Des peupliers, des aunes,des saules, le pied dans l'eau, croissent vigoureuxsur les berges de la rivière. Ils me rappellent parleur végétation ceux des bords de l'Alphée et del'Eurotas. Héraclès aurait pu se couronner de leur

feuillage, comme la légende d'Olympie le racontaitdes peupliers de l'Alphée.Pendant une quinzaine de kilomètres la vallée

continue en serpentant, aussi déserte, aussi étroiteet présentant toujours.lo même aspect, puis brus-

quement elle s'élargit, à quelques kilomètres de lac mer.A l'endroit même où les montagnes s'écartent

pour laisser entre elles un espace considérable,

qui forme le fond de là baie de Vélia et où l'Alento

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LES RUINES DE VELIA 365

termine son cours en se grossissant de plusieursaffluents d'une certaine importance, à cet endroiton rencontre les bâtiments d'une ferme, qui est enmême temps maison de poste et qu'entourent de

plantureuses prairies ombragées de grands arbres.Comme sur les bords du Cratbis, les bestiaux sem-)lent à demis enfouis dans l'herbe de ces prairies,dont le sol imprégné d'humidité développe une vé-

gétation d'une inconcevable vigueur sous l'action

d'un soleil ardent. La grande route tourne ici vers

l'est, pour gagner le Vallo par Castelnuovo di Ci-lento et Pattano. Nous la quittons et continuonsdroit vers le sud, jusqu'à la mer, le chemin à peinecarrossable qui conduit à Ascea, puis à Pisciotta.Sortis du couvert touffu des bouquets d'arbres

et des haies qui environnent la masseria où relaientles voitures de la poste faisant le service du chef-lieu de l'arrondissement, nous embrassons du re-

gard l'ensemble de la sorte de plaine en hémicycles'ouvrant sur la mer, par laquelle se termine la val-lée de l'Alento. Le côté droit en est formé par les

montagnes qui se rattachent comme des contre-forts avancés, s'abaissant graduellement t parétages,au Monte, della Slella. Sur leurs pentes on dis-tingue les villages d'Acqunvella et de Casalicchio,

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3m A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

situés au milieu de la verdure de riches [email protected] côté gauche offre des collines plus basses,rocheuses et dénudées, à l'extrémité sud desquellesse dresse le château médiéval de Castellammaredélia Bruca, dominé par une très haute tour quis'élève à son centre Il occupe la pointe de l'anti-

que acropole grecque de Hyélê ou Velia, du côtéde la mer. Tout le terrain bas de la plaine, jusqu'aurivage, n'est qu'un vaste marais, complètementnoyé pendant une partie de l'année et entrecoupéde fossés, où l'Alento et ses affluents promènentparesseusement leurs eaux, dont le cours se déplacepresque chaque année, et les épandent en Saquesstagnantes, qui deviennent autant de foyers d'infec-tion paludéenne. C'est là le marais qui dans les

temps reculés des Œnotriens ou des Sicnles, alors

que le travail de l'homme n'avait pas encore entre-

pris de régulariser le régime des eaux pour rendre

,le sol habitable et cultivable, avait valu à la localitéle nom de Velia. Par tout un système d'endigue-ment et de canalisation des rivières, de drainagede la plaine, les colons Phocéens avaient dû ledessécher et le conquérir à la culture. Il est même

impossible que ce n'ait pas été leur première entre-

prise, au moment de leur établissement, car sans

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LES RUINES DE VELIA

cela leur ville de Hyélê n'aurait pas été tenable; la

fièvre l'eût dévastée, en décimant chaque année la

population. Mais une fois assainie, cette plaine de-

venait nécessairement ce qu'elle.serait encore au-

jourd'hui si l'on y reprenait les mêmes travaux,id'une merveilleuse fertilité. Les Hyélêtes avaient

dû la transformer en un immense verger, que par-semaient de riantes villas; et c'est ainsi qu'elledemeura jusqu'au temps des invasions barbares.

Mais depuis, de longs siècles d'abandon, le man-

que de bras, l'obstruction des anciens canaux de

décharge et l'envasement de l'embouchure du fleuve

ont ramené les choses à l'état oùelles se trouvaient

au sortir des temps préhistoriques. L'oeuvre, des

colons grecs est toute entière à recommencer, et il

se passera longtemps encore, bien des générationss'écouleront avant que le pays ne soit assez repeu-

plé pour qu'on puisse l'entreprendre de nouveau

avec des chances de succès.Bien que le chemin soit devenu fort mauvais

depuis que nous avons quitté la grande route,nous arrivons sans encombre jusqu'aux environs

du confluent où l'Alento reçoit à la fois sur sa rive

droite le torrent d'Acquavella et sur sa rive gauchele Palisco, descendu de San-Biagio, qui s'unissant

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368 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

un peu au-dessus ù la rivière qui vient de Pattanoet de Castelnuovo, lui apporte un volume d'eau

supérieur au sien propre. A cetendroit, qu'il s'agitde franchir à gué, nous nous trouvons dans le plusgrand embarras, ainsi que les autorités du Vallo,

qui sont venues nous rèjoindre à l'embranchementdes routes avec quelques-uns des habitants nota-blen de la ville. Un moment nous nous demandons

si, comme Moïse, après avoir entrevu la terre

promise, nous ne serons pas privés d'y pénétrer, siun obstacle insurmontable ne nous fermera pasl'accès des ruines de Velia, quand déjà nous y lou-chons. Do violentes pluies d'orages sont tombéessur la région dans les jours précédents et ont dé-mesurément grossi les rivières. La veille encore,une grande partie do la plaine était inondée, et silos eaux ont considérablement baissé, les terrains

qu'elles avaient couverts n'ont pas eu le temps desécher et de se mffermir. C'est une fange liquideoù les roues des voitures enfoncent jusqu'aumoyeu, où les chevaux ont peine à avancer,glissent et tombent chaque pas, et où, lorsqu'onveut soi-même mettre le pied il terre, on s'em-bourbe par-dessus le genou. Ce qu'il nous fautd'efforts et de temps pour traverser quelques con-

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LES HUINES DE VEHA 309

t. il. 24

laines de mètres de ce torrain détrompé, ceux

soûls qui se sont trouvés aux prises avec des diffi-

cullGs de ce genre au cours de leurs voyages

pourront s'en rendre compte.

Nous atteignons ainsi l'affluent de la rive gauche

de l'Alento, le Palisco,. qu'il faut guéer, car, pour

un pont, il n'en existe pas. Cette rivière est encore

débordée, et son courant gonflé se précipite avec

une extrême violence. Les cochers refusent abso-

lument de s'y risquer; l'eau monterait au-dessus

des portières des voitures et risquerait de los ren- y

verser. Les chevaux perdent pied au milieu du lit

de la rivière, nu veulent plus avancer, ou s'ils se

mettent il la nage, le courant les entraîne. Aussi

ceux de nous qui essaient do passer montés man-

quent de peu de se noyer et sont obligés de renon-

cer à l'entreprise.

Enfin quelques paysans, qui ont vu notre embar-

ras, viennent à notre aide avec des gendarmes. Ils

connaissent un passage étroit et un peu meilleur,

où la rivière est moins profonde. Ils nous y cou-

duisent, et se mettant résolument dans l'eau jus-

qu'aux aisselles, se tenant par la main pour former

une chaîne qui rompe l'impétuosité du courant,

ils nous portent de l'autre côté, à califourchon sur

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A TRAVERS L'APULIH lIT LA LUCANIR

leurs épaules. En remontant la berge, plus d'un

glisse et trébuche; le voyageur dont il est chargé

en est quitte pour un bain plus ou moins complet,

mais sans danger. Au delà de la rivière recom-

mence le sol détrempé, que l'iriondalbri vient à

peine d'abandonner. Heureusement do ce côté il

est moins étendu que de l'autre, et nous nous

trouvons bientôt en terrain sec est solide. Nous

sommes harassés de fatigue, trempés d'eau, cou-

verts de boue des pieds ù la tète. Mais tout cela

n'est rien le soleil est assez ardent pour nous

avoir bientôt séché* la saison n'est plus celle où

une pareille expédition donnerait infailliblement

une fièvre pernicieuse. Nous avons surmonté tous

les obstacles, et nous sommes à Velia! Un quart

d'heure de chemin encore dans des sables mou-

vants, et nous gravissons la pente escarpée de la

colline de Castellammare della Bruca.

La plus charmante surprise nous attendait dans

le vieux château, où nous nous demandions en

montant si nous pourrions trouver un abri pour

nous reposer et déjeuner avec les modestes provi-

sions que nous avions apportées avec nous do

Rotino. Un jeune homme très intelligent, très

aimable et du meilleur monde, appartenant il la

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LESHlîlNKSDlïVELIA

noblessedu pays, M. fraelano Fcrolla, de Santa-Barbara di Cilento, est devenu depuis quelquesannées le propriétairede cette terre. Laissant sonmassararo installé dans les autres bâtiments, il afait arranger avec beaucoup de goût en rendez-vousde chassepour son usage personnella hautetour rondede l'époqueangevine, qui en formaitledonjon. Nos amis de Holino l'ont prévenu, sansnous en rien dire, de notre projet. Et depuis laveille. avecquelquesamis, il est venunous atten-durepour nous offrirla plus aimable et la plus cor-diale hospitalité. La table est servie comme elleserait dansun château de notre pays, ei,de cettemanière, là oir tout nous donnait lieu dépenserque nous ne rencontrerionsqu'unemisérablehabi-lation depaysansdans un désert où nous aurionspeine il nous tirer d'all'aire,en sortant du passagedu gué du Palisco, qui rappelait les plus rudesépisodesd'un voyaged'Orient,unpiquantcontrastenousmet en présence de tous les raffinementsdela civilisation, argenterie, cristaux, beau linged'une blancheuréblouissante.Unhôte qu'onappré-cierait partout ailleurs nous fait le plus gracieuxaccueilet nous réunit drdes convivesagréablesetintéressantes,parmi lesquelsl'inspecteurdes anti-

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372 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

quités de l'arrondissement, deux architectes deNaples et un des professeurs de la Faculté demédecinede cette ville, tous natifs du Cilentoetvenus en vacancesdans leur pays. La cuisine estrecherchéeet desvins despremierscrus deFrancel'accompagnent.Quand j'avais essayé de me re-présenter à l'avancece qui m'attendaitaux ruinesde Velia, ce que j'avais certainement prévu lemoins, c'étaitce repasdegala,queTrebatiusauraitpu offriraux mêmeslieux dans sa villa à son amiCicéron. Du reste, quelques-unes des manièresdont on nous y a servisaccommodésle poissondela baie, tout frais sortant de la mer, un lièvredesgarriguesvoisines, tué du matin, et desgrives desvignes, devaient être celles que pratiquaientdéjàses cuisiniers.Castellammaredella Bruca,surgidans le moyen

âge sur les ruines de l'antiqueHyélê-Velia,posté-rieurement à la destructionde cette ville par lesbarbaresgermaniquesou par les musulmans,doitsonnom à une magnifique forêt de chênesverts,appeléelaBruca, qui partait du voisinagede Cuc-cari et, suivant le cours de la rivière de Santa-Barbara, s'étendait jusqu'à toucher les muraillesde l'ancienne ville grecque. On a le diplômede

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LESRUINESDEVELIA 373Guaimar IV, prince de Saleme, daté de etdonnant ce vaste bois au monastèredes Bénédic-tins de La Cava. Cinq siècles auparavant, Sym-maque, dans une de ses lettres, vantait l'incom-parablebeauté desyeusesbien des fois séculairesde la forêt de Velia.En remontant encoreun peuplusdecinq siècles,nous lisonsdansune lettre deCicéronque la maisondeTrebatiusétait attenanteau-bois,qui faisait l'admiration de tous ses hôtes,et qu'un tel voisinage constituait le plus grandagrémentdecettehabitation.Le bois n'existeplusaujourd'hui que dans la vallée; sur les hauteursoù il s'étendait autrefois, il n'en reste que quel-quesbouquetsépars dechênesverts.Aux xu8 et xiii*siècles, Castellammaredella

Bruca, juché sur sa colline, était un bourg d'unecertaine importance. En 1187, par ordre du roiGuillaumele Bon, GuglielmoSanseverino,qui enavait usurpé la seigneurie, le restitua aux moinesde La Cava. En pendant les troubles de laminorité de Frédéric II, ce fut unedes places oùse fortifièrent les barons ennemis de la maisonde Souabe. Manfred donna CastellammaredellaBruca à son oncle Galvano Lancia quand il lefil comte du Principato, et l'on voyait encore au

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ii74 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

ehAtenudans le siècle dernier une inscriptionenpartie mutilée qui mentionnait des constructions;faites par. ce personnage. Charles d'Anjou enattribua la seigneurie a Andrea et Boffillo delGiudice; un peu plus tard elle passa aux mainsdes Sanscverino.En FerdinandIeraccordaitù l'hôpital de l'Annunziata, à Naples, les droitsde fouage et de gabelle sur CaslellammaredéliaBruca et ses casaux,Ascea,Catona et Terradura.Dansle xvi*siècleoncomptaitencorecent soixantefeuxdans le bourg; en 1648les registresdes taxesn'en mentionnent qu^jlouzc, et à partir de 1669la localité n'y est plus inscrite. Elle était dé-sormais entièrement abandonnée et déserte; lechâteaune servait plus que commetour de gardesur là côte. La dépopulation,qui se produisaitalors avec une effrayante rapidité dans tout leNapolitainsous le régimedésastreux desvice-roisespagnols,avait été ici plus vite qu'ailleurs, pré-cipitée qu'elle était par les déprédationsdes cor-saires barbaresques,aux descentesde-qui tout celittoral était exposésans défense.M. Ferolla a commencéil rassembler chez lui

un noyau de collectiond'antiquités trouvées surles lieux. J'y ohserveavec intérêt quelques frag-

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LESRUINESDEVELIA 375

monta de terres-cuites de travail grec, qui medonnent une premièreidéede cellesde la fabriquede Velia,jusqu'à présent inconnues,sur lesquellesj'aurai a revenir un peu plus loin. Je copie deuxinscriptions latines des premiers tempsde l'Em-pire, récemment découvertes et encore inédites.-SL'uneest une dédicaceau dieu MercureAuguste,l'autre était gravée sur le piédestal d'une statue'élevée par les décurions et le municipede Veliason patron L. Nonius Asprenas, l'un des fami-

liers d'Auguste, l'année de son consulat, en l'anj £6de l'ère chrétienne. L'épigraphie latine de cetteville ne comptaitjusqu'ici que quatre monumentsauthentique, tous dépourvusd'importance.En montant la pente de la colline pour arriver

"«u château j'avais été frappé de voir le sol litté-ïralement jonchéde débris de briquesd'une formeïi4rèsparticulière,portant desestampillesdefabriqueinscriptions grecques. Il en est de même sur

toute l'étenduequ'occupaitla villedeHyélè-Velia.Cesbriquesy sontmultipliées avecune incroyableabondance et constituent une des particularitésles plus originaleset les plus saillantesdes ruines.II est évident que ç'a été l'un des matériaux les

plus employésdans les constructionsde cette cité,

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376 ATRAVERSL'APULIËETLALUCANIE

ce qui sort des habitudes grecques ordinaires.Tandisque la briquea été l'élémentpar excellencede la maçonnerie romaine, les Hellènes en ontfait en général très peu d'usage, et là où ils l'ontemployéece n'a été qu'à une époque relativement.tardive, au plus tôt dans les temps macédoniens.On compte les localités de la Hellade propre oùse rencontrent habituellement,commeà Corcyre,des briques à estampilles grecques antérieuresà la dominationromaine. Dans la Grande-Grèce,particulièrementà Rhêgionet à Hippônion,commesur plusieurs points de la Sicile, elles sont plusmultipliées. Mais nulle part on ne la trouve enaussi grande quantitéqu'à Velia.Les briques grecques de cette ville sont, du

reste, d'un type tout particulier, dont jun'ai vul'analoguenulle part. Aussilongueset aussi largesque les plus grandes briques romaines,elles sontplus épaisseset faitesd'une terre dureet compacte,qui a pris à la cuisson une couleursang-de-bœuf.Sur une de leurs surfaces elles présentent,-dansle sens de leur plus grande longueur, deux sillonsen creux, larges et profondément évidés, dontje ne puis comprendre la destination et qui leurdonnent l'aspect de triglyphes. C'est sur cette

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LESRUINESDEVELIA 377

même face qu'elles ont été timbrées en fabriqueavant d'être mises au four. Presque toujours il ya simultanément'deuxestampilles l'uneprésente,séparées l'une de l'autre ou groupées en mono-gramme, les deux lettres grecques AH, initialesdu mot démosion,« objetpublic l'autre le nomplus ou moinsabrégéd'un chefd'atelier. Il résultede ceci qu'à Velia les manufactures des briquesétaient municipales, exploitées pour le comptede la ville. J'ai constaté le même fait à Rhêgion,où il ressort des timbres grecs des briques, etOppidum du Bruttium (aujourd'hui Oppido deCalabre), où ce sondes timbres latins qui--1lerévèlent. Le même ordre de documentsattesteaussi qu'à Messana(Messine)il y avait une bri-queteriemunicipale,enmêmetempsqu'une autre,installée sans doute dans les dépendances-d'untemple,quimarquaitses briquesdumotgrechiera,« sacrée.»M.Ferolla a réuni toute une riche série de ces

briques, en exemplaires intacts, avec toutes lesvariantes d'estampillesqu'il a pu rencontrer dansles ruines. J'en ai relevé dix-sept différentes. Lacollectionrenfermant plusieurs exemplairesdou-blesde quelques-unesdesbriques,sonpropriétaire

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378 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

a eu l'extrême amabilité de m'en laisser choisirdeux, que j'ai rapportés au Musée du Louvrecommeéchantillonsd'une catégoried'objetsexclu-sivementspéciauxà Velia.Dupoint culminantqu'occupele-château,et sur-

tout de la plate-formesupérieure de la tour, jepeux très bienobserverle pays environnantet merendre comptede sa topographie,ainsi que de ladisposition de l'emplacementqu'occupaitla villefondéepar les Phocéens.Apartir du point où se termine au sud la plaine

de Paestum,sur toute la côte du Cilento, commeensuite tout autour du golfede Policastro et lelong de l'échine de l'ApenninCalabrais,jusqu'augolfede Santa-Eufemiaet à la plaine de Nicastro,les montagnesplongentdirectement dans la merle pied de leurs pentes rocailleuses et rapides.Cependant, à moitiéchemin du Cap de la Licosaau Cap Spartivento (Palinure), dans l'intervalled'environ i2 kilomètres d'étenduequ'embrassentd'un côté la Pointe de Pollica et de l'autre, la.Pointe d'Ascea, toutes les deux peu saillantesdans la mer, ce rivage abrupt et fortement relevés'interrompt pour faire place à une plage basseet sablonneuse,en arrière de laquelle s'étend une

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LESRUINESDEVELIA 379

plaine. Les montagnesen cet endroit s'écartentde la mer en dessinant un bassin arrondi dontje viens d'indiquer le développement,d'ouvertureet dont la plus grande profondeur est d'envi-ron 8 kilomètres. A l'hémicycleainsi formé parles montagnes correspond une courbure moinsaccusée du littoral, qui s'infléchitpourtant d'unemanière sensible pour former la baie de Velia,celle oùl'Alentosejette dans la mer.Le bassindélimitéde cette manièreest partagé

diagonalementen deuxparties inégales par unechaine de collinesrocheuseset assez basses, quicourt du nord-estau sud-ouest; se rattachantparune de ses extrémitésaux hauteurs deTerraduraet deCatona, tandisque, de l'autre, ellese termineau bordde la merpar le sommetcirculaireet pres-que isolé qui porte le château de Castellummare.La partie de beaucoupla plus large et la plus pro-fonde de la plaine ainsi divisée est celle qui setrouve au nord-ouest des collines. C'est elle quiconstitue l'extrémité inférieure de la vallée del'Alento, largede près d'une dizainede kilomètresson débouchésur la mer, et presqueentièrementoccupéepar les marais. Cellequi s'étend au sud-estdesmêmescollines,beaucoupmoinsdéveloppée

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ATRAVERSL'APUUEKTLALUCANIE

dans tous les sens, forme une petite plaine aumilieu de laquelle la rivière do Sanla-Barbaradébouchedes montagnesparallèlement-àl'Alontopour aller, elle aussi, se jeter dans la baie. Laformeen est presqueexactementcelle d'un théâtre

antique, où la mer tiendrait la place de la scène,tandis que les pentes correspondantaux gradinssont couvertes.devigneset d'un beau bois d'oli-viers touffuset serrés, au milieu desquelson dis-tinguedeux ou trois niasscriedu plus riant aspect,enfouiesdans la verdure. Quant a l'espaceentreles penteset la mer, qui, pour continuerla compa-raisonavecunthéâtre grec,répondicià l'orchestre,ce sont des terrains.baset unis qui vont jusqu'aurivage, occupépar des cultures soignées, richeset bien tenues, et par des prairies irriguées quiontpu rappeleraux Normands,à leurarrivée dansle pays, cellesdes bordsde la Risle, delaToucquoou de la Dive.Riendeplus exquisd'aspect,de plusdigne des pinceauxd'unpaysagiste,que lavue quiembrassod'un seul coup d'œil tout l'ensembledecette conqueverdoyante,pareilleà un vrai jardindedélices et encadréedans des lignes de rochersdu dessin le plus classique, au delà de laquelle,sur le sommet du petit promontoire s'avançant

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LESRUINESDEVELIA :»t

dans la mer, le villaged'Ascease montre coquet-tement environnéde vergers et de bois d'oliviers.En avant de la Pointed'Ascoa,un Ilot fort élevé,qui ensemblelacontinuation,dresseau-dessusdesflots ses falaises à pic. En arrière, dans la direc-lion du nord-est, les montagness'élèvent rapide-ment en s'étageant. Devastesboisde châtaigniersles couronnent.C'estau milieudecesboisque sontsitués les villes de Terradura, Catonaet RodioouRodi, qui doit son nomauxChevaliersde Rhodes,auquel il appartenait. Presque tous ces emplace-ments étaient dans l'antiquité ceuxde villagesoude bourgsdépendantdeVelia; ony voitdes ruinesromainesde constructionsprivées,et l'on ne peutpasy remuer le sol sans y mettre il découvertdesdébris antiques. Les trouvaillesde ce genre sontfréquentesà Catona.-AussiAntonini s'empresse-t-il de tirer le nom de ce villagede celui de Calond'Utiqueet desupposerque c'était litqu'il avait savilla de Lucanie, dont Plularque parle commedulieu oiiil aimaità s'enfermeravecses livresquandil était las des agitations du Forum. C'est une decesfantaisiesdontla naïvetéenfantinefaitsourire.Maissi Antoninin'en avait pas ou d'autres, il n'yaurait pasde reprochesbien sérieuxà lui adresser.

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,"W2 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

Sur la collineappeléeLi candidat!, entre RodioctAscea,une colonne se dresse encore, médit-on,deplusieursmètres au-dessusdu sol, au milieudemurs écroulés, et l'on constateauprès l'existenced'une nécropole, qui a donné des vases et desterres-cuites.Le duc deLuynesaffirmeque les paysans don-

nent encorele nom d'Anticavellaau terrain com-pris entre l'embouchurede la rivière de Sanlu-Barbara et celle de l'Alenlo. Je n'ai point, pourmapart, entenduprononcerce nom, pas plusquecelui de Castellammaredella Veglia, que la carted'état-major enregistre pour le château, conclu-remmentavecceluideCastellammaredella Bruca.Mais c'est bien le terrain auquel on l'attribuequ'occupaitHyélê-Veliadans les siècles antiques.L'acropole était assise sur l'extrémité sud-ouest

des collinesqui séparentlebassindesdeuxrivières.Le châteaudu moyenAge,conlruit tout entier enmatériaux antiques, briquesdes ruines et pierresde taillehellénique,en occupelapointesurla mer.Ses constructions reposent sur plusieurs assisesgrecques, restées en place, d'une belle coupe,poséessans cimentet très exactementjointoyées.Unedes assisesest tailléeen bossages,commeon

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LESRUINESDEVELIA 383le remarquedans lesmurailles de Terracina et deplusieursautres villes très antiquesde l'Italie cen-trale. Unedes poternes de la forteressegrecque,avec sesjambageset son linteaumonolithes,a étéconservée intacte, engagée qu'elle est dans lesmaçonneriesmédiévalesde la tour formantdonjon.Unpeuenavantduchâteau,sur lecôtédusud,on

observeun grandpandemur en terrasse,quisoute-nait lesrempartsau-dessusdes escarpementsnatu-rels.L'appareiln'en est plus l'isodomehellénique;c'est le systèmede constructionbien antérieur, oùlesblocsdepierres, taillésavec soin en polygonesirréguliers,enchevêtrentleurs angles les uns dansles autres sansformerd'assiseshorizontales.Hyélèn'a étéfondée qu'en 536. Il est presqueimpossibled'admettrequ'àcetteépoquedesHellènesaient en-coreemployéun tel systèmede construction.L'im-pressionque donnela vue de la muraille dont jeparle, et qui n'avait encoreété remarquéepar per-sonne,est qu'elle a duappartenir à une forteresseantérieureà l'établissementdesémigrésPhocéens,àl'enceinted'unebourgadedesl'élaages Œnotriens.Car, nous l'avons déjà remarquéà propos de Nu-mistroet de Consilinum,l'emploi de la construc-tion d'appareil polygonal,dite pélasgiqueou cy-

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384 ATRAVERSL'APULIEETLALUCANIE

clopéenne,par lesŒnotriens,-commepar les Tyr-rhéniens de l'Étrurie et les Aborigènesde l'Italiecentrale, commenceà se révélersur un-assezgrandnombrede pointsdu pays que leur enlevèrent plustard les Lucaniensde race sabellique.Plus basque le pan de murailledontje viens de

parler, est un vaste réservoir voûté, en formedecarré long, d'une maçonnerieromainede blocage,qui servait à emmagasiner les eaux avant leurdistributiondans la partie de lavilledeVeliaavoi-sinant la mer. A très peu de distanceen suivantle flanc de la colline dans la direction opposéeau rivage, la pente du terrain dessine un hémi-cycle presque régulier. A différentes hauteursdes chaînesde deux ou trois assises helléniques,par leur courbure sensiblement caractérisée, pa-raissent marquer despréciactions.Il sembledoncpremière vue que l'on doive reconnaître ici lesvestigesd'un théâtregrec,pour l'établissementdu-quel, commepour celuide Bâcchusà Athènes,onaurait profitéde la dispositionnaturelle du terrainet dontla scène,seule entièrementconstruite, au-rait été démolie. Je ne donne pourtant ceci quecomme une impressionrésultant d'une vue som-maire. Pourêtre plus affirmatifil faudraitdesme-.

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LES RUINES DE VELIA 385 Ï

T. Il.' 25

sures exactes et une étude d'architecte, relevantavec soin le terrain et les débris de constructions

qui subsistent encore.En arrière du mamelon qui porte le château du

moyen âge, le terrain s'abaisse légèrement. Il y alà comme une sorte de col moins élevé qui va re-

joindre la suite de la crête des collines. C'est là

qu'au milieu du siècle dernier on voyait les mai-sons en ruines du bourg abandonné de Castellam-mare della Bruca et deux églises encore debout,dont l'une d'architecture ogivale, ainsi que la cella

presque intacte d'un temple romain, construite en

opus reticulatum avec des chaînes de briques. Toutcela a disparu. L'église ogivale et la cella du templeont été démolies seulement par un des derniers pro-priétaires du lieu, pour bâtir avec leurs matériauxune sorte de grange. Dans cette partie de l'acropoleantiques il ne subsiste plus qu'une conserve d'eau

voûtée, de construction romaine en blocage, ausommet du versan t méridional. L'aqueduc qui ame-nait à la ville de Velia les eaux de la source de San-

Biagio se voit aussi plus haut il est égalementromain, voûté en briques, et la hauteur de sa voûtesous clef est de douze palmes napolitains. Un épaisdépôt calcaire en incruste le fond et les parois.

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386 A TRAVERSL'APULIEET LA LUCANIE

Les vestiges des murailles helléniques s'inter-

rompent dans cette partie plus basse de la colline.Ils recommencent quand le terrain se relève un peuplus loin pour former un petit plateau couronnantla crête. Trois ou quatre assises de grand blocs ad-rairablement taillés et appareillés en isodome, rcs-tant encore en place, s'étendent alors sans interrup-tion à droite et à gauche du plateau, dont les rem-

parts suivaient toutes les irrégularités. On arriveainsi jusqu'à une distance de près de 500 mètres du

,château, où l'acropole se terminait du côté dunord-est par un fossé large et profond, taillé dansle roc, qui coupe transversalement la continuationde la crête. La muraille qui bordait ce fossé a laissédes débris d'une certaine importance; on y recon-nait les restes d'une tour carrée et une porte étroite,dont il ne subsiste plus que la partie inférieure.Toute la superficie du platean de l'acropole est jon-chée de briques et de fragments de toute nature. On

y distingue dans le rocher de nombreux omplace-ments entaillés pour recevoir les fondations d'édi-lices, et de distance en distance apparaissent les pre-mières assises de murs de ces édifices, maisons ouautres, d'appareil grec, mais avec les pierres d'unedimension beaucoup moindre que dans les remparts.

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LES RUINES DE VELIA 387

La ville proprement dite, l'asty ceint de muraillesde fortifications, s'étagea!t sur la pente méridio-nalc de la coUine surmontée par l'acropole, s'allon-

geant en quart de cercle depuis la mer.jusqu'à làrivière de Santa-Barbara. La ligne inférieure deses remparts a laissé des restes importants, et onla suit presque sans interruption au bas de la pentepar endroits ce qui en subsiste atteint deux mètres'de hauteur. La petite plaine inférieure, située entreles collines et la mer, était donc laissée en dehorsde la ville proprement dite. Mais elle n'en était pasmoins couverte d'habitations dans tpute sa moitiéen deçà de la rivière. Il y avait là unvaste faubourg,un pirocasteiôn ouvert, qui a laissé dé nombreux

vestiges. Aupoint où s'étendait le rivage antique,un peu en arrière du rivage moderne, des restes de

maçonnerie romaine, importants par leur masse,mais tout à fait informes, subsistent au milieu des

prairies. C'est tout ce qui- subsiste des magasins,des'docks destinés aux marchandises apportées parmer, dont Antonini prétend avoir pu distinguer en-

core, il y a cent cinquante ans, trente chambres

placées en file, les unes à côté des autres.L'existence de ces magasins prouve qu'en avant

du faubourg méridional de Velia il y avait une Ma-

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388 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

rina, comme on dit sur tontes les côtes méridio-

nales de l'Italie, qu'une partie. des bâtiments de

commerce qui venaient aborder à la ville, en gé-.néral petits caboteurs dont la dimension ne dépas-sait guère celle de grosses barques de pêche, ve-naient mouiller le long de cette plage d'une tenue.

assez sure, abritée qu'elle est par la pointe d'Ascea,

y débarquaient leurs marchandises et y étaient ti-

rées à sec, suivant l'usage hellénique. La plupartdes .villes de la Grande-Grèce n'avaient pas de portde commerce dans d'autres conditions, puisqueTarente et Crotone étaient seules à posséder. des

véritables porËs naturels. Quand les cités avaient

fait les fraia d'un bassin creusé artificiellement,

comme celui que nous avons observé à Métaponteet celui que Locres avait au promontoire Zèphy-

rion; le Capo Bruzzano d'aujourd'hui, les dimen-

sions en étaient toujours si restreintes qu'on le ré-

servait exclusivement à l'usage de port militaire.

C'était là que la ville tenait ses trières.

Hyélê-Yelia s'était dotée d'un bassin de ce genre,

autour duquel se groupaient les bâtiments et ma-

gasins du port, distinct de la ville suivant l'usage

constant-des Grecs. Ainsi que Cicéron l'indiquedans une de ses lettres, en parlant du lieu où sta-

Page 391: A travers l'Apulie et la Lucanie

LESRUINESDEVELIA 389

tionnaient les vaisseaux de Brutus, il était situé del'autre côté de la colline de l'acropole, tout auprèsde l'embouchure du fleuve. Haies La forme dubassin était arrondie. Il est actuellement tout à faitensablé et ne se distingue que difficilement dumarais. environnant. Mais des gens encore vivantsl'ont vu dans leur jeunesse, il y a cinquante ousoixante ans, rempli d'eau, formant un petit lac

qui communiquait avec la mer, comme le Lagonedi Santa-Pelagina à Métapohte. Les débris qu'onrencontre en grand nombre sur le versant nord dela colline attestent que, de ce côté encore, un fau-

bourg ouvert s'étendait dans la direction du port.Virgile s'est donc exprimé avec sa précision et

son exactitude habituelles, quand, dans le VIe chantde V Enéide, il parle des Il ports de Velia »,

require

La ville en avait deux, séparés par la. hauteur oùson acropole était assise. Elle possédait, en outrè,un mouillage extérieur, dans les deuxpetites îles,toutes voisines, que l'on désignait par le nom com-mun d'Œnotrides. Strabon affirme que de soin

temps elles offraient une station commode pour lesvaisseaux. Pline, d'après les portulans qu'il avait

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390 A TRAVERS L'APULI E ET LA LUCANIE

-entre ses mains comme amiral do la flotte de Mi-

sène, dit qu'elles s'appelaient Iscia et Pontia. La

première existe encore; c'est l'Ilot qui termine la

pointe d'Ascea. Ce nom même d'Ascea, qui dansles plus anciens diplômes du moyen âge se pré-sente sous la forme Scia, n'est certainement pasautre que celui d'Iscia. Il a seulement été trans-

porté de l'îlot au village le plus voisin sur le con-tinent. Quant à Pontia, elle a disparu. Mais jecrois, avec le duc de Luynes, qu'il faut en recon-naître un dernier vestige dans deux écueils conti-

gus, désignés en commun sous Je nom de LaSecca par les pêcheurs du pays, qui se trouvent àfleur d'eau vers le quart de la baie do Velia, envenant de la pointe d'Ascea, à la hauteur de latour de garde appelée Torre Sciabica, un peu avantd'atteindre la hauteur de l'embouchure du Fiumcdi Santa-Barbara.Grâce aux secouasses que les forces volcaniques

souterraines impriment fréquemment au sol danstoute cette région, et qui en modifient quelquefoisle sol d'une manière notable, plusieurs autres petitesîles, signalées par les anciens sur les côtes de l'Italie

méridionale, ont disparu de même, en ne laissant

après elles que des vestiges analogues. Dans mon

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LES RUINESDEVEL1A

livre sur la Grande-Grèce (1), j'ai signalé la dispa-rition du petit archipel de cinq îlots que tous les

'géographes antiques signalent en avant de Cro-tono, à dix milles romains en mer du promontoireLacinion. Il y a quelques mois, retournant a Co-trone, j'ai appris de différentes sources, de M. le

marquis Anlonio Luciforo, de mon ami M. Gio-vanni Baracco, et aussi directement des marinier,de la ville, que des pécheurs avaient tout récem-ment reconnu, au large de l'embouchure du Nolo

(lueNéaithos antique), dans le sud-est, à une dits-tance du cap qui s'écarte peu de celle donnée parPline pour les tics aujourd'hui disparues, deuxsèches étendues et presque à fleur d'eau qui nesont marquée» sur aucune carte marine. Cesécueils sous-marins, d'un développement considé-

rable, paraissent bien marquer les emplacementsdes deux îles des Dioscures et de Calypso, les.

plus importantes du groupe voisin de Crotone.Ce qui en reste est juste ce qui reste aussi de l'Iledo Pontia, dans la baie de Velia. Du reste, les

phénomènes de subites appparitions et dispari-lions d'Iles ne sont pas rares dans la zone, tra-

TomeII, p.

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392 ATRAVERSL'APULIEETLALUCAME

vailléeconstammentpar les actions plutoniennes,qui s'étend du Vésuveà Santoria, en passant parl'Etna, ctoùÉlic de Beaumontplaçait précisémentune desfissuresde son réseaupenlagonal.Après avoir parcouru l'emplacementde l'acro-

pole,nous descendons,sous la conduite de M.Fe-rolla et de M.Passaro, inspecteur des antiquitésde l'arrondissementdu Vallo, visiter les ruines dela ville. Nous cheminonsle long des pentes, autravers des plantations, observant les débris an-tiques qui se rencontrent à chaque pas et parti-culièrement les restes des remparts, jusqu'à unebelle fermé appartenantà M.L. de Lisa, qui s'y:trouvepour surveiller ses récolteset nous fait unexcellent accueil. Les bâtiments sont entière-ment construits d'anciens matériaux. Nousy re-marquons deux inscriptions grecques inédites,dont celled'un petit autel à Hestia, une margelledo puits de travail grec, des fragmentsde l'archi-tecture de temples. Dans l'enclos se trouvent lesruines bien caractériséesde thermesromains avecleur hypocauste,et sous des oliviersun pavementdemosaïquemisa découvertily a quelquesannéespar les travaux de la culture. Il oll'redes figuresdeTritons en noir sur un fondblanc.Maisaucune,

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LESRUINESDEVELIA 393

mesuren'a étéprisepour préservercettemosaïqueles intempériesla dégradent rapidement; elle s'enva cube à cube, et d'ici à peu il n'en restera plusrien. Nous poussons encore à un demi-kilomètreplus loin, et nous gagnonsla fermede M.Batta-gliesi, tout auprès de la rivièrede Santa-Barbara:Le point oùelle so trouveétait l'extrémiténord-estde la ville c'est là que de ce côté commençaientles tombeaux, au delà des remparts. Deuxstèlesfunérairesà inscriptionsgrecquesse trouventdansla ferme. L'une d'elles, en pierre calcaire,hautede 2m. se termine au sommet par une pal-mette du plus élégantdessin.A l'aller et au retourje suis frappédola quantité

des ruines encorevisiblesau milieu des vignesetdesoliviers, sur l'étendueentièredel'espacequ'oc-cupait la ville. Partout les maçonneriesromainesou helléniques,et de ces dernières plus que desautres, affleurentle solou enfontpointerau dehorsquelques assises. A chaque instant, grâce à cesvestigeson peut suivre le tracé de maisons, d'édi-ficesde diverses natures, de rues et de places. Ilest des endroits où l'on chemine encore pendantquelquesmomentsentre deux champssur le pavéd'une rue grecque, resté à découvert et bordé

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ATRAVERSL'AMJLIEETLALUCANIE

d'arasements de mur. Les ravins que les pluiesd'hiver creusent dansle terrain en pentemettent anu des fondationsdemurailles,des pavementsdopierre, de briques, de mosaïquerustique et sur-tout d'un beau bétond'un rouge corallin, mélangéde terre-cuite pilonnée, dont la texture est trèsfineet la dureté extrême,des seuilsde portes, desintérieurs de chambre»avec des restes d'enduitpeint au bas des murs. Presque nulle part le mlantiquene se trouve à uneplus grande profondeurqu'un ou deux mètres. Et, je le répète, la grandemajorité des constructionsdont on discerne ainsiles vestiges appartiennent& l'époque hellénique.Je ne connais pas de ville antique ou des fouillesseraientplus facileset moinscoûteusesqu'àVelia.Et les résultats ne pourraient manquer d'y êtred'un véritable intérêt. C'est l'endroit par excel-lencepour étudier les dispositions, encore si peuconnues, des maisons grecques, pour établir unecomparaisonscientifiquesérieuseentre elleset lesmaisons de Pompéï. J'aimerais, pour ma part, avoir notre jeune ÉcolodeRomechoisir Veliapourle théâtre d'excavationsrégulièreset suivies,d'au-tant plus que je n'ai pas de doutes sur le succèsqui l'y attendrait. L'entente à ce sujet serait assez

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LES RUINESDE VRLIA H95

facile avec le gouvernement italien, dont il n'est

que justice de reconnaître les bonnes dispositionspour lea intérêts de la science.Sur tout le terrain quo nous avons parcouru, il

n'y a littéralement qu'à se baisser pour ramasserdes fragmenta de briques empreintes d'estampilles-grecques, comme celles que nous avons vues en-tières au château, des tessons de toute espèce de

céramiques antiques, parmi lesquels ceux de vases

peints et do vases dits étrusco-campaniens sontdos plus abondants, des terres-cuites brisées, demenus objets de natures très variées, de petitesmonnaies plus ou moins oxydées. En plantant desarbres et en cultivant la terre, les paysans ren-.contrent souvent des tuyaux de conduites d'eaux,les uns en poterie, qu'ils brisent, les autres en

plomb, qu'ils arrachent et vont vendre au Vallo

pour le poids du métal. Les trouvailloâ de mé-dailles sont aussi très fréquentes; ut quand celles-ci sont d'argent ou d'or les paysans, qui rejettentavec dédain les autres fragments amenés au jourpar leur houe, les portent également au Vallo, oules orfèvres les achètent pour les expédier ensuiteà Naples. Les ruines de Velia sont de cette ma-nière une des sources principales qui approvi-

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396 A TRAVERS L'APULÎE ET LA LUCANIE

sionnent de monnaies antiques le marché napoli-tanin.Naturellement ce qu'elles fournissent le plusabondamment, ce sont les belles espèces d'argentfrappées par les Hyoïdes au veet au iv siècle avantJ.-C. Pendant notre promenade, les paysans quenous avons rencontrés dans les champs nous en ont

présentées plusieurs, qu'ils venaient de découvrir,Il n'est pas rare non plus d'y exhumer de petites

pièces d'argent d'un travail archaïque, offrant surune de leurs faces la partie antérieure d'un lion

qui dévore une proie et sur l'autre un carré creuxdivisé en quatre parties au fond taillé en biseau, ce

qui produit une disposition en-ailes de moulin.C'est le carré creux caractéristique de monnayageprimitif des villes de l'Asie Mineure occidentale.Comme toutes celles de ces pièces que l'on ren-contre dans le commerce de Naples parviennent de

Velia, Millingen et les numismatistes napolitainsles ont données à cette ville. C'est même uneattribu-tion généralement admise dans la science. Pour-tant je crois qu'il faut la réviser et qu'elle ne doit

pas être maintenue.Ce n'est pas à Velia seulement que se trouvent

les monnaies dont je parle. On les découvre aussi

fréquemment à Marseille ou dans les environs, et

Page 399: A travers l'Apulie et la Lucanie

LES RUINES DE VELIA :m

en Toscane autour de Pise et de Piombino, c'est-à-dire sur les territoires de la colonie phocéenne deMassalie et des comptoirs phocéens de Pisa et de

Populonia. Dans les grands dépôts monétairesd'Auriol (Bouches-du-Rhône) et de Volterra (Tos-cane), elles étaient associées à d'autres monnaies

d'argent de même poids, de même module et demême travail, avec des types très variés et le

même carré creux, produits du monnayage desdiverses cités de l'Ionie dans la première moitiédu vi" siècle avant notre ère, et à quelques piècescontemporaines d'Agrigente d.e Sicile, les seulesdans ces dépôts qui fussent d'une autre contrée quel'Asie Mineure.. L'époque que toutes les circons-tances réunies permettent d'assigner aux enfouis-semonts d'Auriol et de Volterra, avant 540, est bienaussi la date que le style d'art indique comme ayantété celle des monnaies à la protome de lion. Il neserait pas possible de les faire descendre jusqu'audernier quart du siècle. Comment donc les attri-

buer à Velia, puisqu'elles sont dans la réalité anté-rieures à la fondation de cette ville en Pourma part, m'appuyant en outre sur ce fait que j'enai vu venir quelques rares exemplaires d'AsieMineure par les voies du commerce d'Athènes. et

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398 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

de Smyrne, aussi bien qu'il en vient des différents

points de l'Occident énumérés tout à l'heure, je ne

puis les envisager autrement que comme ayant été

frappées en Ionio et ayant constitué une des formes

du numéraire d'argent de Phocée même. C'est

seulement ainsi que peut s'expliquer le fait de la

circulation de ces pièces à la fois dans la péninsule

asiatique et dans les établissements phocéens de la

Gaule méridionale et de TEtrurie. Quanta leur

présence assez habituelle dans les ruines de Hyélè-V-elia; elle s'accorde aussi fort bien avec l'attribu-tion que je propose. Les émigré» de Phocée, à la

prise de la ville par les Perses, emportèrent aveceux tout ce qu'ils purent de leurs richesses, c'est-à-dire nécessairement une quantité considérabledu numéraire monnayé de leur cité. Et dans lenouvel établissement qu'ils se créèrent à l'embou-chure du fleuve Halês, ce numéraire amené d'Ioniedut former le premier fond de la circulation.Il me reste à parler des nécropoles de la ville.

Elles ont une étendue considérable et se rencon-trent un peut partout sur son pourtour, en dehorsde ses murs, principalement sur la erête qui con-tinue celle de l'acropole, sur les deux versants dela colline et dans la petite plaine du sud, au voi*

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LES RUINES DE VELIA 399

sinagc du terrent. Antonini parle d'une centainede tombeaux qui avaient été ouverts à Ia fois, aulieu dit Le Pantanelle, quelques années avant

qu'il ne publiât son livre. D'après les renseigne-ments que j'ai pu recueillir, les sépultures, dispo-sées suivant le mode grec habituel, ont en généralla forme d'un sarcophage allongé, fait de dallesde tuf calcaire ou de grandes briques, avec pourcouverture des dalles ou des briques pareilles dis-

posées en toit à double pente. De nombreux objetsy sont disposés autour des restes du mort. Jamaison n'a fouillé régulièrement les tombeaux de Veliani observé d'un manière soigneuse et scientifiquece qu'ils rendraient. Mais les paysans qui culti-vent les terrains où ils se rencontrent ont sou-vent l'occasion d'en mettre à découvert, soit pardes trouvailles fortuites, soit en les recherchant

pour les exploiter. M. Passaro et M. Ferolla m'af-firment que ces paysans en tirent fréquemment des

bijoux, des vases peints, dont quelques-uns de

dimensions importantes et d'un fort beau travail,

qu'ils connaissent la valeur de ces objets et qu'ilssavent fort bien en tirer parti. C'est au chef-lieu de

l'arrondissement, au Vallo, qu'ils les transpor-tent, et ils les y vendent aux correspondants qu'y

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400 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

entretiennentles grands marchandsd'antiquités de

Naples.Il est vraiment très regrettable qu'aucun habitant

du Vallo n'ait eu jusqu'ici l'idée de profiter desoccasions que fournit cette habitude des paysansdu canton de Velia, pour former une collection

d'antiquités. C'est seulement ainsi que l'on pour-rait se faire une idée exacte et complète du carac-tère des objets qui seprésentent dans les nécropolesde la brillante colonie de Phocée. Lemarché d'an-

tiquités de Naples est l'un des plus considérablesdu monde. Je le connaisà fond avec tous ses trucs,pour l'avoir beaucouppratiqué. C'est un gouffred'où la bonne foi est depuis longtemps bannie.Nulle part on n'a moins de scrupule à vous pré-senter le faux pour du vrai, en le garantissant decertificats apocryphes, destinés à égarer la con-fiance naïve des étrangers crédules. Tout objetauthentique qui arrive sur cemarché perd son étatcivil, et il est impossiblede se fier à ce qu'on vousdit de son lieu d'origine et de -trouvaille. Suivant

que des découvertes, qui ont attiré l'attention eteu quelque retentissement, ont mis momentané-ment telle ou telle provenance à la mode, tout estdonné comme en sortant, afin d'en rehausser la

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LES RUINES DE VELIA 401

T. H. 26

valeur et de pouvoir en demander un meilleurprix. J'ai connu un temps où tout vase un peu finétaitinvariablementdésignécommedécouvertdansles fouillesde Santa-Mariadi Capua.Il y a deuxans, la provenance unique et favorite pour lesobjetsde même nature était VicoEquense. Celledesterres-cuitesest aujourd'huiTarente. Ajoutonsque depuis quelques années, les objets donnéscommeprovenantdéla Grècepropre faisantprimedans une très forte proportion par rapport àceux de l'Italie méridionale sur les marchés deParis et de Londres, les négociants en antiquitésd'Athènesont pris l'habitudedes'arrêter à Naplesdans leur roule vers l'Occident et d'y compléterleur approvisionnementd'objets qu'ils vendentensuite commetrouvés à Athènes ou à Corinthe.Je connais l'histoire positived'un certainnombred'objets qui figurent avec cette dernière prove-nance dansles muséespublicsou dans les collec-tions de nos premiers amateurs, tandis qu'en faitils ont été découvert dans la Grande-Grèce et

acquispar tel ou tel Athénien,queje pourraisnom-mer, chezM.BaroneouchezM.Scognamiglio.Au milieu de cette mascarade de provenances

apocryphes, il en est d'autres, au contraire, que

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402 A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

l'on ne songe jamais à- articuler, même quandelles sont réelles, parce que la mode ne les a pasencore recherchées et qu'elles ne donneraientaucune valeur à un objet. Telle est-celle de Velia.Je sais positivement, par les témoignages les plusdignes de foi, que celte localité fournit à Napleschaque année un certain contingent d'objets anti-

ques, et cependant jamais chez les marchands

napolitains on ne m'en a montré un seul en medisant qu'il venait de Velia. C'est une provenancequi n'est de mise que pour les médailles, pointpour les vases et les terres-cuites. Voilà pourquoijusqu'ici, quelques recherches que j'aie faites àcet égard, je n'ai pu parvenir encore à connaîtretelle chose- qu'un vase peint de la nécropole, deVelia. Il y aurait pourtant un intérêt archéologiquede premier ordre à savoir exactement ce que sontceux qu'on y découvre, s'ils représentent unefabrication locale ou une importation de produitesmanufacturés en Grèce.Pour les terres-cuites j'ai été plus heureux. J'ai

pu me. procurer sur place deux figurines d'assezfortes proportions, qui, avec les fragments que j'aiétudiés chez M. Ferolla, caractérisent une fabriqueparticulière et nettement déterminée, dont on pos-

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LES RUINES DE VELIA

aédait quelques autres spécimens dans les musées,au Louvre par exemple, parmi les terres-cuitesde la collection Campana, mais sans savoir surleur origines autre chose que cette indication vaguequ'elles provenaient du midi de l'Italie. La terre

employée par les coroplastes grecs de Hyélê-Velia est facilement reconnaissable entre toutesles autres. Elle est moins fine, moins souple etmoins plastique que celle des figurines de Tanagraou d'Athènes, et en général de la Grèce propre;elle est aussi moins blanchie. La texture en est

rude, courte, assez- rèche -et grossière, -se rap-prochant de celle de la terre à briques, dont ellea la couleur rouge. N'ayant à leur disposition quecette matière imparfaite et peu docile, les mode-leurs n'ont pas cherché à atteindre un certain

dégré de finesse dans l'exécution. Cependant leursœuvres n'ont pas l'aspect mou et banal des terres-

euites de l'Apulie, qui ne sont en général que de

médiocres surmoulés de surmoulés des statuettes

grecques. Les terres-cuites de Velia sont. fran-chement helléniques d'accent, ont du caractère

et de l'originalité. Ceux qui les ont faites avaient

leur manière propre et n'étaient pas dénués d'in-

vention. Quand on les connaîtra mieux; d'après

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Mi A TRAVERS L'APULÎE ET LA LUCANIE

des exemplaires plus nombreux, elles tiendrontune place honorable dans la série des terres-cuitesgrecques, sans cependant pouvoir y prétendreun rang comparable à celui des médailles de lamême ville entre les monuments de l'art moné-taire.Les figurines que j'ai rapportées représentent

deux catégories différentes, que l'on observe pres-que partout dans le monde grec parmi les terres-cuites et dont l'exécution est toujours sensiblementautre. L'une appartient il l'imagerie religieusepopulaire; c'est une idole, dont la partie posté-ricure, où se trouve percé le trou d'évent, estplate, informe et sans travail. La face antérieurea été simplement poussée dans un moule, sansêtre retouchée. Elle représente une Aphroditenue, debout, au corps d'un modelé gras et libre,et d'un beau caractère, qui s'appuie sur un hermèsde Priape. N'était la nature différente de la terre,on la prendrait facilement pour une des figurinesde la même nature qui se trouvent dans la Locrido

Oponlienne ou dans certaines des îles méridionalesde l'Archipel. L'autre est, au contraire, une statuettede ronde bosse, achevée sous toutes ses faces etexécutée en partie à l'ébauchoir, après un premier

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LES RUINES DE VELIA

moulage. Le modelé en est large et sommaire,sans recherche de cette finesse merveilleuse à

laquelle savaient atteindre les coroplasles d'Athè-nes, de Tanagra, de Cymê d'Éolie, de Myrina, de

Cyrène. Mais ce qui y fait défaut sous ce rapportn'empêche pas la tête d'être charmante et gracieuse,et surtout est racheté par la grande tournure etl'accent sculptural de l'ensemble. Je ne connais

pas de statuette de terre-cuite, sauf deux ou trois

de Myrina, qui ait plus la physionomie d'une véri-table statue que cette figure de femme, entière-ment vêtue, sans attributs, d'un caractère indécis,qui rentre dans celles où il serait difficile dechercher autre chose qu'un sujet puisé dans lavie quotidienne et familière; à moins, toutefois,qu'on ne veuille y voir une Muse. A ce point devue du caractère sculptural elle a vivement frappédeux des maîtres les plus éminents de la sculp-ture contemporaine, mes amis et confrères d'Ins-titut, MM. Guillaume et Chapu. Leur jugement lamettait bien plus haut que celui des collection-neurs, un peu déroutés de trouver dans cetteterre-cuite un sentiment qui s'éloigne de celui

qu'on est habitué à rencontrer dans les statuettes

qu'ils couvrent d'or.

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A TRAVERS L'APULIE ET LA LUCANIE

Velia a été le terme de mon excursion en Lu-canie. C'est donc avec elle que je terminerai ce vo-lume. Dans mes projets primitifs, en partant de

France, j'espérais pouvoir pousserplus loin et ache-ver mon exploration archéologique par la côte, en

poussant jusqu'à Policastro et Sapri, de manière àvisiter les emplacements, presque absolument in-

connus, des villes antiques de Molpa, Palinuros,

Pyxus ou Buxentum et Scidros. J'ai dû renonceraréaliser cette dernière partie du programme que jem'étais tracé. Mes compagnons étaient obligés derevenir. Malade et pouvant à peine me trainer, jen'étais plus. en état de me lancer seul dans une ex-

pédition qui devait être plus rude encore que toutce que nous avions traversé. Abandonnant donc

pour cette fois tout autre projet, le soir même denotre visite aux ruines de Velia nous rentrions àRotino pour y passer la nuit. Le lendemain, aprèsavoir repris le chemin de fer à Eboli, j'étais à

Naples avant la fin de la journée. 7 ,'X

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TABLEDESMATIÈRESDUTOMESECOND

PlCBRNO.

bépart de Poténzadans là directiondel'ouest. 1LeLebourgde Picerno. Ibid.Appelà la levéeen masse lancépar la royautéen 1799,à l'approche des Français. 3

Caractèrepopulairedu soulèvementquiy répondit. 4Dispositionsde la noblesseen faveur des idéesnou-velle*. Ibid.Les chefsde. l'insurrection royaliste. 5Pronio et Rodio dans les Abruzzes Ibid.Imposturede DeCesareet de ses compagnonsdans laPouille. 6

Frà Diavolo. 8Mammone 9Sciarpa 1tDébarquementdu cardinalRuffoen Calabre 12Plan de résistance de la RépubliqueParthénopéenneavec l'aidedes Français Ibid.Dernierssuccèset retraite de l'arméefrançaise. 14

Page 410: A travers l'Apulie et la Lucanie

iO8 TABLEDES MATIÈRESl'âges.

Plan d'opérations du cardinal RufTo 15Dévouement des villes d'Altamura et de Pieerno pourdonner le temps d'organiser la résistance à Naples. 17

Siège d'Altamura 18Prise de la ville et massacre des habitants. Ibid.Résistance héroïque de Picerno. 19Massacre dans l'église. 20Long oubli de l'héroïsme de ce bourg. 21

Muno.Suite du trajet du chemin de fer 22Baragiano Ibid.Muro. 24Aspect original de la ville 25Son histoire. 28Ses monuments 29Enceinte pélasgique de Raja San-Basile.. 32Autres enceintes de même nature dans la Lucanie lbid.Laville antique de Numistro et ses souvenirs histori-ques. 34

Bella. 35Balvano. 36Romagnaho 38Vietri di Potenza et la bataille des CampiVeteres. Ibid.Ponte San-Cono. 39Saint Cono et sa légende. 'v lbid.Buccino, l'antique Volceii f 40

LEVALdi Teoiako.La station de Ponte San-Cono. 43Un paysan gallomane.. 44Vue des hauteurs au delà du Pïatano. 45Les monts Alburni. 46Auletta 47Le Val di Tegiano, esquisse de sa topographie.. 48

Page 411: A travers l'Apulie et la Lucanie

DU TOME SECOND 409

Son aspect. 50Ancien bassin d'un lac. Ibid.Humidité du sol 51Sa fertilité et ses produits 52Fièvres paludéennes Ibid.Dessèchement de la vallée par les Romains. 54

Son étal au moyen âge. 55Travaux de dessèchement modernes Ibid.

Dépopulation progressive du pays. 56Ses causesAbandon des anciennes institutions de crédit agricole. 60

L'émigration vers l'Amérique 62Les habitants du Val di Tegiano. 63Leurs costumes Ibid..Rôle du Val di Tegiano dans l'histoire comme route

stratégiqueLa Via Popilia et son itinéraire. 66La grande route moderne des Calabres. 68Le Val di Tegiano dans l'antiquité.. 69Ses origines chrétiennes .70Destinées du pays lors *des invasions barbares. Ibid..A la conquête NormandeGuglielmo Sanseverino et Frédéric Il. «.. 72Les Sanseverino dans le parti Angevin. 73Antonio Sanseverino, prince de Salerne, et ses mal-heurs. 74

Derniers seigneurs féodaux du pays. 75

Expédition de Lautrec. 76

SALAETDIANO.

Caggiano.. 77Poila.. Ibid.

Son origine et son ancien nom de Forum Popilii. 78Taverne di Polla 79

Inscription de Popilius Ltcnas • • 80

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410 TABLE DES MATIÈRES

Pages.La politique agraire des Romains,Politique inverse du moyen Age. Ibid·

Inscription fausse, inventée pour pratiquespar un exempte de l'antiquité. 82

La perte duTunnel creusé de main d'homme et ancien lit desséchéde la rivière. 83

6ant' Arsenio et son gouffre..Atena, l'ancienne Atina, et ses ruines.Curieux groupe de terre-cuite 86Sala.Château

Le Ponte di 89Le Tegianum antique et son identité avec

Antiquités de la ville.Restes deOdéon.. 8. -8 92Statue de 93

Réplique du Tireur d'épine..Autres marbres antiques. 95Monuments du moyen Age.

96Anciens tableau: 98

Antagonisme moral de Diano et de Sala. 99Les deux principes qui se disputent le monde. i02

San-Giovanni in Fonte. 105Ascension pénible à

Ce que nous allions y chercher.de

la première de ces villes..Comment elle devait être la Cività

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DUTOMESECOND

Ara romaine du temps de la République. 116Restes d'une enceinte pélasgique,Emplacement de la ville.. 1i8Grotte de 119Panorama du haut des ruines de la 120Montesano.

ibid.Monastère de 121

ibid.

Sanza.Souvenir de la mort de Pisacane. 122

agitation des esprits dans l'Italie en

Expédition du 123Carlo Pisacane, duc deDescente 125

Débarquement à Sapri, indifférence des populations 126Marche sur 127Échec de la tentative d'insurrection dans cette ville. 128Pisaeane et ses compagnons gagnent Sanza:Massacre d'une partie d'entre eux. 130Procès des survivants Salerne. 131Meurtre par lequel les Garibaldiens crurent venger celuide

Son testament. 132Sa gloire posthume. 133

Conséquences considérables de l'expédition de Pisacane. Ibid.Comment l'exemple de son échec servit de leçon à Gari-

135La Chartreuse de San-Lorenzo prèsBAtiments extérieurs. 138Tombeau du fondateur HO

L'église. 141Portes de bois sculpté

Pagel.

Page 414: A travers l'Apulie et la Lucanie

412 TABLE DES MATIÈRESPage*.

Grand cloitre U3

Souper dans une des salles de la Chartreuse, 146Nuit dans le couvent désert. 148

FBOLI.

Retour au chemin de fer 151

Sicignano. Ibid.LeSele 152Contursi zlud.

Campagna 153

Imprimerie dans cette ville au xvi" siècle. 154Cesare CapaccioEboli.. 156L'Eburom des Lucaniens. 158Histoire de la ville au moyen âge et ses seigneurs. 159Comment j'ai visité très imparfaitement Eboli.Vue merveilleuse que l'on a du château. 163

Rentréç pour un moment en terrain battu. 167Rencontre de touristes à Paustum. 168Souvenirs d'une visite aux ruines dans leur solitude

pendant les mois de la fièvre 169Les deux routes pour aller ù Ptcslum 171Route en venant d'Eboli. 172La Villa-Reale.. 173Forêt de Persane. Ibid.Théâtre des exploits de la bande de Manzi après 1860. 174La forêt des bords du Silarus dans l'antiquité. 178Font du Sele Ibid.

Pâturages marécageux voisins de la mer Ibid.Les buffles 177Le marais Lucanicn. 178

Arrivée à Pœstum.. 179

Origine du nom de cette ville i80

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DUTOMESECOND

Station de l'époque néolithique sur son emplacement.. 181La PoseidOnia grecque et sa fondation 182Sa dépendance à l'égard de Sybaris. 183Guerre avec les Phocéens de Hyélê-Velia IMd.Prospérité de Poseidônia au vil, siècle 184Ses monnaies incuscs.. Ihid.Part des Poseidôniates dans les tentatives de rétablis-sement de Sybaris 185

Invasion des Lucaniens de race sabellicjue 186Dates principales de leur conquête 188Ils s'emparent de Poseidônia 189La ville change de nom et devient Picstutn 190Condition des habitants grecs sous la domination desLucaniens Ihid.

Victoire d'Alexandre d'Épire à PœsturaLa ville retombe sous le joug des Lucaniens 192Conquête de la Lucanie par les Romains Ibid..Colonie de droit latin à Piesluin 193Fidélité de cette ville la cause de Rome dans lesguerres Puniques 194

Elle devient un municipe de citoyens. 195Sa condition au début de l'Empire Ibid.P ivilège exceptionnel de droit monétaire qu'elle reçoitsous Auguste 196

Elle est refaite colonie Ibid.Évêques de Pwslum 197Légendes sur le transport du corps de saint Matthieudans cette ville Ibid.

Nom de Lucaniu qu'on lui donnait sous les Lonçobards. Ibid.Son abandon et sa destruction. Ibid.Exploitation des ruines de Ptestum comme carrière pourles monuments d'Amalfi et de Salerne 198

Long oubli des ruines de celle ville 199Leur découverte au xvni" siècle et les travaux dont eliesont été l'objet. 200

Pages.

Page 416: A travers l'Apulie et la Lucanie

*tt TABLEDESMATIÈRESPage».

Murs d'enceinte. 202

Temple dit de Neptune. 203Sa date. 206La prétendue Basilique Ibid.Ce qu'il était en réalité, un temple de Déméter et Persé-

phonê. 209Petit temple, dit improprement de Cérès ou de Vesta. 210Vestiges d'autres édifices. 212Tombeaux avec peintures. 213Aqueduc 218

Capaccio, sa fondation et son histoire. 219Le temple de HéraAreia à l'embouchure du Silaros..

Le Cilento.

Origine et extension du nom de Cilento. 225Le bassin du fleuve Alento. 227Climat de la région. Ibid.Fertilité des vallées 229

fDîsposition des montagnes. Ibid.

Multiplicité des petits villages 230Absence de villes. 232Le Vallo 233Pisciotta. Ibid.Absence de voyageurs étrangers dans cette région. 234Sa renommée de foyer de brigandage 237Traversée de la plaine au delà de Pœstum. 239Ascension des montagnes. 240Vue admirable 241La plaine de Salerne et de Patstum. Ibid.Eredità. 242Trentenara et Giungano Ibid.Site possible de la défaite des lieutenants gaulois de

Spartacus. 244La péninsule d'Amalfi. 245Le territoire de cette ville et ses destinées. 249

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DUTOMESECONDPages

La Cava, Salerne et les montagnes voisines. 251'La grande chaîne des Apennins. 253

ACAOPOLI.

.Entrée dans le¡Le bassinLe bourg de 257Ses originesLes Grecs à Acropoli au sieste. 260Le Pape Jean VIII et Athanase, évêque-due de

261Les Sarrasins appelés à Naples comme auxiliaires. 263Ils en sont chassés par trahison 264Leur retraite 265Leur établissement à 266Dévastations des SarrasinsUne partie d'entre eux se porte au secours de

en Calabre, et y est détruite.Maintien de la colonie 268

Époque probable de sa chute.. Õ 269Les Normands dans le 271

Catastrophes d'Acropoli dans siècle. Ibid.'Le Monte della 272La prétendue PeteliaVersant sud-est du Monte della Stella. 274

275Le capCastel dell' Abbate. 276

Ogliastro. 279Ibid.

Rotino.Causeries avec nos hôtes. 283Une pratique superstitieuse de l'antiquité conservée jus-qu'à nos jours. 286

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416 TABLE DES MATIÈRES

VELIA ET SON HISTOIRE.

Faible part des Ioniens dans la colonisation grecque del'Italie méridionale 289

Les établissements Chalcidiens du vme siècle. 290Rôle des Chalcidiens comme courtiers par rapport auxvilles grecques de la côte d'Ionie. 291

Navigations des Milésiens. 292

Dangers du voyage maritime jusqu'en Étrurie au vm"et au Vile siècle 293

Combinaison imaginée par les Milésiens pour les éviter. 295àôle de Sybaris comme ville de transit. 296Hardiesse plus grande des Phocéens, leurs navigationsdans les mers de l'Ouest. Ihid.

Découverte de. la route de l'Espagne méridionale. 297Fondation de Massalia en Gaule. 298Établissements des Phocéens et des Massaliétes en Es-

pagne Ibid.Fondation d'Alalia en Corse 299

Rapports intimes des Phocéens avec les anciennes colo-nies de Chalcis. 300

Phocée conquise par.les Perses 301

Émigration d'une partie des habitants en Gaule et enCorse 302

Coalition des Carthaginois et des Tyrrhériiens contreeux. 303

Bataille navale d'Alalia 304Les Phocéens, obligés d'abandonner la Corse, se reti-rent àRhêgion. Ibid.

Ville qu'ils fondent, pour leur établissement définitif,à l'embouchure du fleuve Hâtés. 305

Le nom de ce fleuve 306Le nom de la nouvelle ville, Velia-Éléa-Hyélê. Ibid

Vestiges d'une bourgade fortifiée des Pélasges OEno-triens en cet endroit, antérieurement à l'établissement

des Phocéens 307

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DU TOMESECOND

t. u.

Page§.Facilité avec laquelle les indigènes du voisinage, derace pélasgique, acceptèrent la suprématie des Grecs. 308

Jalousie des Achéens, antérieurement fixés en Italie,contre les nouveaux colons ioniens. 309

Guerre des Sybarites et des Poseidôniates contre les

Hyélêtes 311Alliance de la ville nouvelle avec Cymê (Cumes). 312Activité maritime des gens de Hyélê-Velia. Ibid.Riche numismatique de cette ville.. 314Ses philosophes 315Lois que lui donna l'un d'eux, Parménide 316Adhésion de Hyélê-Velia à la politique athénienne. 317Elle recueille les partisans d'Athènes chassés de Thu-

318

Hyélè-Velia parvient à résister aux Lucaniens et iLsemaintenir indépendante d'eux. Ibid.

Ancienneté de son alliance avec Rome. 320Le temple de Cérès à Rome, sa fondation et ses prê-tresses fournies par Néapolis et Velia.

Velia ville fédérée sous la suprématie de Rome. 322Elle devient municipe de citoyens romains. Ibid.Son rôle comme station hivernale recommandée par lesmédecins 323

Suprême entrevue de Brutus et de Cicéron à Velia.. lbid.

Naufrage de la flotte d'Octave au promontoire de Pali-nure 325

Velia sous l'Empire 326Ses évoques Ibid:Sa ruine 327

Les philosophes ÉLÉATES.

Grand rôle de Hyélé-Velia dans l'histoire intellectuelledes Grecs 329

Images qu'on évoque dans ses ruines. 330Tendance des populations de l'Italie méridionale à l'abs-

Page 420: A travers l'Apulie et la Lucanie

418 TABLE DES MATIÈRESPages.

traction philosophique, dans l'àntiquité et dans les

temps modernes.Les doctrines des philosophes ioniens en 333

son influence et son école. I6id.

Xénophane deSon enseignement à 334Sa poésie. 335Ses doctrines philosophiques. 336Unité de la substance et panthéisme.Cosmologie. 337Fondation de l'école dite éléate. 338Parménidc.Son poème « De la 340Théorie de l'être. 342Incertitude de la connaissance des phénomènes. 343

Physique. 344Création de la dialectique. 345

Récits de sa mort. 346Ses écrits. 348

Arguments fameux contre la pluralité et le mouvement. 349Valeur de ces arguments.Zênon comme dialecticien.. 352Métisses. 353Théorie de l'être. 354Incertitude de la réalité physique.Comment ces doctrines conduisaient au scepticisme.. 356Les Pythagoriciens et les Éléates. 357Influence décisive de ces derniers sur la marche géné-rale de la pensée grecque. 358

LESRUINESDEVELIA.

Rareté des visiteurs en ces lieux. 361

Départ de Rotino. 363La vallée de l'Alento.

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DU TOME SECOND 419

Déboucha dans la plaine de Velia 365Le marais voisin de la mer, 366

Passage difficile de la rivière Palisco. 368

Agréable surprise à l'arrivée.. 370La forêt de la Bruca. 372Castellammare della Bruca dans le moyen tige 373

Inscriptions conservées au chilteau. 374

Briques grecques. 375

Topographie des ruines de Velia. 378Ascea et Catona 381

Acropole de Velia 382Pan de mur pélasgique 383

Emplacement possible du théâtre 384Site du bourg de Castellammare della Bruca 385Partie nord de l'acropole. 386

Emplacement de la ville. 387Les deux ports. Ibid.

Mouillage des !les OEnotrides 389

Disparitions d'îles sur les côtes méridionales de l'Italie. 390Visite aux ruines de la villeRésultats certains qu'y donneraient des fouilles. 394Petits objets qu'on y trouve 395Petites monnaies archaïques attribuées à Velia. 396Tombeaux. 398Incertitude des provenances des antiquités mises envente sur le marché de Naples 400

Les terres-cuites de Velia 402Fin du voyage 405

ANOEH8, IMP. BUHDIN 4.

Pages-